Category: Dossier

  • L’extrême droite et la droite populiste en passe de gagner les élections européennes

    “Jobs, geen racisme”, De emplois, pas de racisme. Ce slogan fait partie de notre approche dans la lutte contre l’extrême droite et tout ce qui nous divise.

    Combattre la crise de l’UE et la croissance de l’extrême droite avec une alternative internationaliste et socialiste

    Les élections du nouveau Parlement européen à la fin du mois de mai sont caractérisées par le manque d’enthousiasme, la méfiance et même une hostilité ouverte envers l’Union européenne. La saga autour du Brexit n’en est qu’une illustration. Dans la plupart des pays, la participation sera très faible. En outre, toutes sortes de partis populistes de droite et d’extrême droite vont marquer des points. Il est difficile d’encore trouver de l’optimisme pour le progrès et une plus grande unité du projet européen. Dans toute l’Europe, l’establishment est confronté à un profond discrédit politique.

    L’Europe du capital sous pression

    Ces dernières décennies, l’establishment a fait tout son possible pour rendre l’UE synonyme de paix, de prospérité et de coopération. On parle encore aujourd’hui souvent des ‘‘valeurs européennes’’ de démocratie et de tolérance, mais toute cette hypocrisie tombe en miettes. L’UE est une machine d’austérité néolibérale qui ne tolère aucune contradiction. Le peuple grec en a durement fait l’expérience en 2015 lorsqu’il a démocratiquement choisi un gouvernement qui avait promis de rompre avec l’austérité. L’UE a alors agi en véritable tyran pour empêcher que cela n’arrive et forcer le gouvernement Syriza à rentrer dans le rang.

    Les promesses de prospérité liées à la coopération européenne n’ont été concrétisées que pour les ultra-riches. Les multinationales ont bénéficié de l’élargissement du marché intérieur et d’une meilleure position concurrentielle face à d’autres blocs comme les États-Unis, le Japon et, de plus en plus, la Chine. Depuis ses origines, la raison d’être de l’UE est la défense des intérêts des grandes entreprises. L’UE est donc utilisée pour imposer privatisations, libéralisations et mesures antisociales. Tout cela est présenté comme nécessaire pour la ‘‘compétitivité’’ des entreprises. Ces politiques néolibérales jouent un rôle de premier plan dans l’aversion croissante que suscite l’UE. Le déclin d’enthousiasme est évident au vu du taux de participation aux élections. Lors des toutes premières élections du Parlement européen en 1979, deux tiers des électeurs s’étaient rendus aux urnes ; contre 40% aux élections européennes de 2014.

    Les gouvernements nationaux se cachent souvent derrière les diktats de l’UE en déplorant n’avoir d’autre choix que de mener une politique néolibérale. Ils oublient de préciser que ces mêmes partis sont également au pouvoir à l’UE. Les gouvernements nationaux composent d’ailleurs la Commission européenne, l’organe non élu qui prend les décisions les plus importantes. Le Parlement européen a une fonction plus propagandiste mais, là aussi, ce sont les mêmes familles politiques forment la majorité. Depuis 1979, il y a toujours eu une large majorité en faveur de la ‘‘grande coalition’’ composée des sociaux-démocrates (le groupe Socialistes & Démocrates) et des démocrates chrétiens (le groupe du Parti Populaire Européen). Les élections de cette année menacent de bouleverser les choses pour la première fois.

    Dix ans après la récession de 2007-08, le capitalisme est embourbé dans des problèmes partout dans le monde. De gigantesques moyens ont été injectés dans l’économie, mais ce sont surtout les plus riches qui en ont profité. La reprise économique nous a largement échappé. Les travailleurs et leurs familles ont continué à souffrir des mesures d’austérité et des attaques contre les conditions de travail, les salaires, la sécurité sociale, les services publics,… Et aujourd’hui, les économistes avertissent du danger d’une nouvelle récession. Les politiciens capitalistes savent que les moyens manquent pour promettre des dépenses et gagner des voix. Le système est en outre mal préparé pour être capable de faire face à une nouvelle récession : les taux d’intérêt restent très bas et les ressources injectées dans l’économie ont laissé une importante dette derrière elles.

    L’establishment des différents États membres, et donc aussi de l’UE, n’est pas du tout en mesure de répondre à ce que les citoyens considèrent comme des défis majeurs : l’avenir de l’humanité et de la planète. Des centaines de milliers de personnes manifestent pour le climat, mais l’UE n’est pas en mesure de lutter contre la fraude des logiciels automobile. Les lobbys du profit s’opposent à toutes mesures sérieuses et l’UE et ils n’ont pas beaucoup d’efforts à livrer, les gouvernements nationaux rentrent totalement dans leur jeu. Des voix se sont fait entendre pour le pouvoir d’achat, les Gilets Jaunes suscitent la sympathie dans toute l’Europe. Mais l’argent n’existe pas non plus pour cela. Après l’incendie de Notre Dame de Paris, les ultra-riches arrogants ont démontré qu’ils avaient suffisamment d’argent : en quelques heures seulement, ils ont réuni près d’un milliard d’euros. Finalement, il s’est avéré que cette générosité était fiscalement avantageuse, une bonne partie de la facture étant renvoyée aux gens ordinaires…

    L’UE n’a-t-elle rien à offrir ? Qu’en est-il du processus d’unification ? C’est vrai, nous nous n’avons plus besoin de nous arrêter à la frontière pour nous rendre en France ou aux Pays-Bas. Nous n’avons plus besoin de changer d’argent et nous pouvons même passer des appels sans frais de roaming. Parallèlement, la libéralisation du transport ferroviaire international rend les trains à destination d’autres pays, même limitrophes, particulièrement onéreux. L’envoi d’une lettre ou d’un colis dans un pays voisin est également plus cher en raison de la libéralisation des services postaux. Et même l’unité européenne est sous pression. Le cas du Brexit est bien connu. Mais il existe d’autres sources de tension. La Russie tente d’accroître son influence par l’intermédiaire des pays d’Europe centrale et orientale ; la Chine est également en train d’explorer ses possibilités dans cette région. Des tensions existent aussi entre pays européens. La France soutient, par exemple, la dictature au Tchad et le chef de guerre libyen Khalifa Haftar qui contrôle le sud de la Libye. Début février, la France a participé à une opération militaire de ces forces et elle a également soutenu de récentes attaques, bien qu’elles visaient des alliés de l’Italie et d’autres pays européens. Il est évident que l’UE n’est pas si unie.

    Croissance de l’extrême droite et de la droite populiste

    Le plus grand vainqueur des prochaines élections européennes sera sans aucun doute l’extrême droite, ou plutôt les 50 nuances entre la droite populiste et l’extrême droite. Des commentateurs superficiels parleront d’un ‘‘virage à droite’’ ou d’extrême droite européen. Le raisonnement est dangereux car il attribue la responsabilité de l’instabilité politique aux gens ordinaires et non au système. Le fait est que l’extrême droite est souvent choisie pour punir les politiciens établis et leurs politiques, sans pour autant placer sa confiance dans la prétendue alternative des populistes de droite. Les électeurs cherchent des moyens de punir l’establishment pour sa politique antisociale et l’absence de perspective d’avenir optimiste. Les premiers qu’ils rencontrent souvent dans cette recherche, c’est l’extrême droite.

    Aux Pays-Bas, le Forum pour la Démocratie (FvD) de Baudet est devenu le premier parti lors des récentes élections provinciales. En France, le Rassemblement National (RN) de Le Pen peut aussi marquer des points. En Italie, la Lega risque de devenir le plus grand parti. En Allemagne, il y a l’AfD. Vox en Espagne. Et plusieurs partis de droite en Europe centrale et orientale.

    L’autorité des institutions de l’establishment disparait, mais cela ne signifie pas automatiquement que tous les préjugés sur lesquels repose le régime de l’élite vont faire de même. Ces dernières décennies ont connu un fort processus d’individualisation : plus rien n’est un problème social, nous sommes tous devenus des individus seuls responsables de leur situation. Cela tire sa source de la pensée néolibérale selon laquelle la société n’existe pas. Le but de cette propagande est avant tout d’empêcher les travailleurs d’unir leurs forces et de lutter ensemble contre l’establishment capitaliste. Cela a un certain effet, le mouvement des travailleurs s’est retrouvé sur la défensive ces dernières décennies. Beaucoup de gens ne considèrent pas le système responsable de la dégradation de leurs conditions de vie, ils estiment que c’est de la faute des réfugiés ou du rôle des politiciens corrompus. L’establishment n’est pas le seul à avoir un problème de représentation politique, le mouvement des travailleurs y est également confronté.

    Si diverses forces populistes et d’extrême droite peuvent rencontrer un certain succès aux élections européennes, cela est essentiellement dû au manque de confiance envers les autres partis. Tout comme le manque de confiance dans le Parti démocrate est le principal atout de Trump, la force de l’extrême droite repose principalement sur la faiblesse de ses opposants. Si la seule alternative proposée est de de se regrouper derrière des partis établis qui perdent leurs derniers vestiges d’autorité, alors l’extrême droite et les populistes de droite ont encore de beaux jours devant eux. Ils ne jouissent pas de masse de militants actifs ce qui leur pose un problème de stabilité.

    Une Europe en lutte

    Nous n’entretenons aucune illusion ni aucun espoir envers le projet capitaliste européen. Mais notre réponse ne réside pas dans le retour à l’État-nation. Nous soutenons la lutte pour l’autodétermination en Écosse et en Catalogne, dans le cadre de la lutte contre l’austérité. Nous combinons ce soutien à la nécessité de rompre avec le capitalisme pour bâtir des fédérations socialistes dans ces régions et dans l’ensemble de l’Europe. Depuis 2007, dans toute l’Europe, des mobilisations prennent place sous la forme de manifestations, de grèves et même de grèves générales contre l’austérité. Ces dernières années, les manifestations contre le racisme et le sexisme se sont également multipliées. Plus récemment, une nouvelle génération de jeunes s’est mobilisée autour de la question du réchauffement climatique, ce qui a donné lieu à de grandes mobilisations le 15 mars en reprenant une méthode typique de la classe ouvrière : la grève.

    Les marxistes ne doivent pas laisser la colère contre l’Europe des patrons et sa politique d’austérité aux mains de l’extrême droite opportuniste. Ils ne doivent pas non plus abandonner l’envie d’agir contre les dangers antidémocratiques et racistes aux forces libérales et petites-bourgeoises pro-UE. Nous défendons tous les droits démocratiques pour lesquels la classe ouvrière s’est battue, cela ne signifie pas de soutenir l’UE et ses structures antidémocratiques.

    Nous défendons les droits sociaux et démocratiques des travailleurs. Cela signifie que nous exigeons plus de moyens pour le secteur de la santé et de l’éducation ; la réduction collective du temps de travail et, en même temps, une augmentation des salaires. Il faut aller chercher l’argent dans les poches des riches pour répondre aux besoins de la classe des travailleurs et de la jeunesse. Comme le dit le slogan, nous ne nous battons pas seulement pour une plus grande part du gâteau, nous voulons toute la boulangerie ! Nous exigeons que nos droits démocratiques ne se limitent pas à aller voter à quelques années d’intervalle : nous voulons disposer d’un pouvoir réel sur les richesses de la société et la manière de les produire.

    L’UE, ses partis et ses institutions ne sont pas des outils visant à mettre fin au racisme et à la croissance de l’extrême droite. L’UE fait partie du problème et non de la solution. Nous luttons contre l’Europe des patrons, contre les coupes budgétaires, contre le racisme et contre l’extrême droite. Cela signifie de mettre fin à cette UE, à ses institutions et à sa politique d’austérité. Nous exigeons l’égalité des droits pour toutes les personnes vivant en Europe, la fin de l’Europe-Forteresse et que les richesses des super-riches soient saisies pour permettre à chacun de connaitre une vie décente.

    Nous luttons pour une Europe socialiste gérée démocratiquement et constituée sur une base volontaire. Cela signifie que notre solution aux problèmes en Europe ne réside pas dans les États-nations, mais dans la capacité des travailleurs à diriger et contrôler l’économie et la société pour qu’elle réponde aux besoins de tous, et non à la soif de profits de l’élite.

    Nous sommes bien conscients que l’on peut se demander si cela est bien réaliste au vu de la croissance de l’extrême droite dans les sondages. Mais n’oublions pas qu’après la crise économique de 2007, la première réaction de la classe des travailleurs et de la jeunesse a été de résister aux politiques d’austérité capitalistes. De vastes opportunités se présentaient pour la gauche en faveur de solutions socialistes. C’est la capitulation des diverses forces de gauche à la ‘‘logique’’ du capitalisme et leur trahison des intérêts de la classe des travailleurs, à l’instar de Syriza en Grèce, qui a posé les bases de la percée de l’extrême droite.

    On ne combat pas efficacement l’extrême droite en se limitant à faire appel aux ‘‘valeurs européennes’’. L’attitude des syndicats vis-à-vis de l’UE et de la manière de lutter pour les intérêts des travailleurs doit fondamentalement changer. Ce combat exige des organisations et des partis de gauche socialistes qu’ils ne tombent pas dans le piège de la défense du ‘‘moindre mal’’ européen face à l’extrême droite, mais qu’ils adoptent une position d’indépendance de classe. Cela nécessite des forces socialistes qui lient la lutte contre l’extrême droite à la lutte contre le capitalisme et pour des États socialistes volontaires, démocratiques et unis d’Europe.

  • 25 ans du génocide au Rwanda (1) – Le Rwanda avant la colonisation

    Comment le capitalisme a engendré la barbarie dans la région des Grands Lacs

    Photographies de victimes du génocide au Centre du mémorial du génocide à Kigali Gisozi (Rwanda). Wikipédia

    Il y a 25 ans, un événement d’une horreur inouïe et historique a eu lieu en Afrique de l’Est : le génocide des Tutsis et le massacre des Hutus modérés. Cet événement qui fut médiatisé sidéra le monde entier. La barbarie à l’échelle industrielle entraina la mort de 800.000 à 1.000.000 de personnes en 3 petits mois. La période d’avril à juin 2019 est l’occasion de revenir sur les causes et les conséquences de ce massacre pour le Rwanda et toute la région. Nous publierons cette analyse en plusieurs parties, de la période précédant la colonisation à la situation actuelle, en passant par la colonisation, la décolonisation et la période du génocide elle-même.

    Par Alain Mandiki

    On dit souvent que l’histoire est écrite par les vainqueurs. C’est une autre manière d’exprimer le fait que les sociétés humaines sont traversées par des rapports de forces entre classes antagonistes qui s’affrontent. Ceci constitue le moteur de l’histoire. Pour ceux qui veulent voir la société se transformer dans l’intérêt de la majorité sociale, ce que nous appelons une société socialiste démocratique, il est important d’étudier l’histoire en relation avec cette lutte de classe. C’est ainsi que nous pouvons tirer les leçons pour les combats politiques actuels.

    Le Rwanda est situé en Afrique de l’Est dans ce que l’on a dénommé la région des Grands Lacs. C’est une région qui a une histoire riche, variée et complexe, à l’origine des sources du Nil. Un des éléments qui rend complexe l’analyse historique, c’est que la dynamique des relations sociales dans la région a souvent été fixée pour pouvoir défendre idéologiquement un régime politique particulier. Certains historiens de la région, comme l’Abbé Kagame Alexis, ont établi des éléments qui étaient vrais à une période historique dans une région géographique précise pour justifier et perpétuer la domination de leur couche sociale. Il en est de même pour les colons qui ont, eux, surtout assis leur autorité sur un récit national et une vision des relations sociales qui correspondaient à la nécessité de diviser pour régner, sur base notamment des théories racistes de Gobineau (1). Lors de la période coloniale, cela prendra la forme de l’indirect rule (2). Pour cela, il fallait jouer sur les contradictions qui étaient présentes dans le Rwanda précolonial, amplifier les antagonismes, en créer de nouveaux et les fixer comme s’ils étaient là de tout temps. C’est ainsi qu’est née l’idéologie génocidaire selon laquelle les Tutsis, peuple de pasteurs (3) hamitiques (4), aurait colonisé le Rwanda, un pays peuplé d’Hutus, peuple de cultivateurs Bantous.

    Une des autres difficultés est de pouvoir étudier les processus historiques dans leur développements et leurs contextes. L’histoire de la région des Grands Lacs connait des similarités avec des périodes que nous avons connu en Europe occidentale, mais il y a surtout des différences. On ne peut pas tout simplement parler du Rwanda précolonial comme étant médiéval et tirer un parallèle complet avec notre Moyen-Âge. Malgré certains points communs, la temporalité des faits et les spécificités liées aux différents royaumes qui se sont établis dans la région doivent nous éviter de tirer des raccourcis hâtifs. Il reste aux scientifiques à faire leur travail pour nous donner une image de ce que fut l’histoire précoloniale de cette région, depuis son peuplement qui remonte à l’expansion du premier homo sapiens sapiens de la vallée du Grand Rift (Afrique de l’Est). Différents auteurs, qu’ils soient de la région ou originaire de pays impliqués dans le processus colonial, s’intéressent à ce vaste sujet. Au-delà des nuances et des débats contradictoires propres à l’immensité de la tâche, des consensus scientifiques se dégagent et établissent des faits historiques sur certains points d’importance.

    Des Etats monarchiques centralisés

    Dans la région des Grands Lacs, de manière spéculative à partir du 15e siècle, mais de manière plus sûre au 18e siècle, il existait plusieurs petits Etats monarchiques centralisés comme le Bunyro, le Buganda, le Nkore, le Burundi et le Rwanda. Ces Etats étaient parcourus de luttes pour le pouvoir interne entre les différents clans de la noblesse, et de contradictions sociales propres à l’exploitation d’un surproduit social sur lequel vivait la couche supérieure de la société. Il y existait également une volonté propre à chaque royaume de s’étendre au détriment de ses voisins.

    Cela se faisait en fonction du potentiel des forces productives et du développement de celles-ci. L’ensemble de la société, et en particulier les couches dominantes, était organisée sur une base patrilinéaire clanique. Les clans pouvaient se composer d’un mélange Hutu – Tutsi ou Bairu – Bahima. D’autres groupes de populations existaient, comme les Twas. Un peuplement très anciens de la région vit de la culture maraichère et céréalière et de l’élevage pastoral. Il faut bien comprendre que la relation qui lie l’agriculture et l’élevage dans la région est autant complémentaire que contradictoire. Les troupeaux ont besoin de pâture pour se produire et se reproduire, et les pâtures ont besoin de troupeaux pour le travail du sol et le fumier qui permet la fertilisation du sol. Les grands propriétaires terriens s’élèvent au-dessus de la société, comme les propriétaires de grands troupeaux. En dessous d’eux se trouvent ceux qui doivent entretenir le bétail, le travailler, et de même pour les cultures. Il y avait au Rwanda ceux qui sont devenus des Hutus, qui parfois possédaient du bétail, et ceux qui sont devenus des Tutsis, qui étaient parfois agriculteurs, au contraire de ce que les colons ont pu écrire. Ceci étant dit, la vache représentait un capital important : par exemple, un grenier de 300 kg de haricots achetait une génisse de 100 kg ; une peau de vache non tannée achetait 30 kg de haricots, ou une houe, ou une jeune chèvre (5). ‘‘Rien ne surpasse la vache’’ dit un dicton rwandais. Cela reflète le statut primordial de la vache dans les échanges commerciaux. Les pasteurs, majoritairement Tutsis, ont donc eu tendanciellement une position de force plus importante en possédant ce capital.

    La question ethnique – Les idées vraies, comme les idées fausses peuvent devenir une force matérielle quand elles sont reprises en masses

    Le racisme est un ensemble d’idées né dans un contexte économique et social bien particulier. Cependant, une fois que ce contexte a déterminé l’idéologie qui la reflète, celle-ci prend sa dynamique propre et influe sur le développement du contexte lui-même. Ainsi, l’idéologie des races avait pour contexte l’esclavage dans le cadre de l’accumulation primitive capitaliste. Alors que ce contexte sous cette forme particulière a disparu, l’idéologie des races a resurgi à plusieurs reprises dans l’histoire avec les diverses conséquences funestes que nous connaissons. Nous pensons que si nous comprenons le contexte qui a pu faire émerger un tel ensemble d’idées, nous serons plus à même de le combattre. C’est ce que nous appelons la théorie de l’action.

    L’ethnisme dans la région a toujours été un outil idéologique qui permet de diviser pour mieux régner. Mettre en avant un antagonisme ethnique permet de masquer le conflit de classes et d’éviter de répondre par exemple à la question agraire. Ainsi, les historiens, fonctionnaires et missionnaires coloniaux allemands puis belges ont inventé l’idée selon laquelle les Tutsis étaient des Hamitiques venus d’Abyssinie (6) et qu’ils étaient plus aptes au commandement. Cela a justifié le retrait de plusieurs chefs locaux (mwami) qui s’opposaient aux colons et leur remplacement par des chefs Tutsis acquis à la cause coloniale. Lors de la lutte pour l’indépendance, cet antagonisme a été joué dans l’autre sens, notamment par la démocratie chrétienne belge, pour maintenir la domination coloniale puis néocoloniale. Cette idéologie raciste a été promue par des pseudoscientifiques qui, sur base de l’anthropologie physique, ont installé un antagonisme permettant d’asseoir la domination impérialiste, et générant par là même les bases de l’idéologie génocidaire.

    La production du surproduit social

    Le Rwanda précolonial était une société inégalitaire. La soudure (7), les accidents de cultures, les épizooties (8) entrainaient des famines qui pouvaient jeter des familles ou des clans dans la pauvreté et les faire entrer dans des relations de dépendance. Un riche était défini par le nombre de personnes qu’il faisait travailler sur ses propriétés (cultures ou élevages). Une partie de ce qui était produit par le paysan moyen allait au chef qui lui avait concédé la parcelle. Ceux ne possédant pas de terre travaillaient donc comme journaliers sur des terres possédées par d’autres contre rétribution en marchandise (haricots, sorgho, bière, beurre,..) leur permettant d’acquérir d’autres biens. Ce statut, considéré comme indigent, était en marge de la société. À côté de cela s’établissaient des relations de clientèle propres à la société féodale rwandaise entre un riche et son corvéable, renforcées et valorisées par l’idéologie.

    Lors de l’émergence de la dynastie des Banyiginya au Rwanda fin du 18e siècle, on a vu un renforcement du pastoralisme dans la structure sociale. Un système que l’on peut rapprocher du servage s’est développé, par lequel le paysan devait travailler sur les terres du seigneur un certain nombre de jours (2 jours d’akazi), sur une semaine de 5 jours. Le régime de l’ubuhake, une relation de clientèle et d’obligation qui fonctionnait en milieu pastoral, a été étendu et a recoupé les nouvelles structures de pouvoir. Néanmoins, ce ne sont pas les Tutsis dans leur totalités qui ont constitué la classe dominante, mais bien une minorité d’entre eux. On estime entre 10.000 et 50.000 le nombre de Tutsis de clan noble qui ont été impliqués dans le pouvoir colonial sur un total de plusieurs centaines de milliers de Tutsis au 18e siècle.

    On le voit : les contradictions et les lignes de failles de la société rwandaise étaient nombreuses. Cela entraînait des luttes et des résistances. L’entrée en jeu des puissances impérialistes viendra modifier les rapports de forces internes à la région et fera entrer de plain-pied l’Afrique de l’Est dans les contradictions capitalistes.

    > Nous publierons d’ici peu la deuxième partie de cette analyse – La colonisation et la décolonisation du Rwanda : les puissances impérialistes se disputent le gâteau africain.

    Notes :
    (1) Homme politique et écrivain français du 19e siècle.
    (2) Méthode d’administration d’une colonie se basant sur des relais locaux.
    (3) Eleveurs de bétails.
    (4) Terme d’origine biblique attribué péjorativement à des populations africaines qui descendraient de personnages du Premier Testament.
    (5) Claudine Vidal, Économie de la société féodale rwandaise, Cahiers d’Études africaines, 1974.
    (6) Région de la Corne de l’Afrique.
    (7) Période entre deux récoltes.
    (8) Maladie frappant un groupe d’animaux.

  • USA. Réaliser le ‘‘Green New Deal’’ exige de défier le capitalisme

    ‘‘La seule chose dont nous avons besoin plus que d’espoir, c’est d’action. Une fois que nous commençons à agir, l’espoir est partout. Donc, au lieu de chercher l’espoir, cherchez l’action. Alors, et seulement alors, l’espoir viendra.’’ – Greta Thunberg, activiste suédoise de 16 ans qui a aidé à lancer la récente vague de mobilisations dans le monde entier contre l’inaction face au changement climatique.

    Par Elan Axelbank, Socialist Alternative (USA)

    Espérer sans agir concernant le changement climatique n’a pas plus de sens que les ‘‘pensées et prières’’ qui accompagnent chaque tuerie de masse aux Etats-Unis. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a publié un rapport spécial en octobre 2018 avertissant que d’ici 2050, sans une importante correction de cap, plus de 350 millions de personnes de plus dans le monde seront exposées à des niveaux mortels de stress thermique. Aux États-Unis, les feux de forêt dans l’Ouest du pays ravageront au moins le double des surfaces forestières des années précédant 2019 et les dommages aux infrastructures publiques et au domaine côtier pourraient atteindre les mille milliards de dollars. En 2014, les États-Unis étaient responsables de 20 % de toutes les émissions mondiales de gaz à effet de serre.

    Pendant des décennies, on était considéré comme radical en défendant simplement que le changement climatique était un fait bien réel. Aujourd’hui, la réalité du changement climatique est largement acceptée, mais face à l’inaction exaspérante de l’establishment politique, ce qui est considéré comme radical, c’est de proposer une solution appropriée à ce problème aux proportions gigantesques.

    Cet écart entre l’ampleur des problèmes auxquels nous sommes confrontés et les solutions proposées par les politiciens de l’establishment peut être vu sur tous les fronts : qu’il s’agisse des inégalités économiques obscènes, du racisme et du sexisme systémiques ou de la crise climatique imminente. Cette situation constitue une force motrice centrale derrière la politisation et la radicalisation actuellement à l’œuvre à travers le monde.

    Qu’est-ce que le Green New Deal ?

    C’est dans ce contexte que le Green New Deal (en référence au New Deal de Roosvelt dans les années ’30, NdT) proposé par la députée Alexandria Ocasio-Cortez (qui se décrit comme étant une socialiste démocratique) recueille un soutien massif dans tout le pays. C’est autour de ce projet que se déroule le débat sur le type d’actions nécessaires pour combattre le changement climatique.

    Le Green New Deal proposé par Ocasio-Cortez est une résolution et non un projet de loi, ce qui signifie qu’il n’est pas contraignant. Une fois adopté, il fixerait des priorités que le Congrès serait censé atteindre en adoptant par la suite des lois et des mesures politiques concrètes.

    Le Green New Deal défend que l’alimentation électrique des Etats-Unis soit à 100 % composée d’énergie propres, renouvelables et à émissions de gaz à effet de serre nulles. La plupart des médias ont rapporté que le Green New Deal appelle à une énergie 100% renouvelable d’ici 2030. Mais la résolution elle-même ne précise pas d’année. Elle préconise une refonte totale des transports aux États-Unis afin de les rendre plus respectueux du climat de même que la modernisation de “tous les bâtiments existants aux États-Unis et la construction de nouveaux bâtiments” pour atteindre une efficacité énergétique maximale, ainsi que l’échange international de technologies, d’expertise, de produits et de financement pour aider d’autres pays à conclure un Green New Deal.

    Cette résolution est présentée comme un vaste programme de lutte contre la pauvreté au langage ferme contre les inégalités économiques et sociales. Elle appelle à la création de millions ‘‘de bons emplois [des ‘‘union jobs’’, c’est-à-dire des emplois dont le cadre de travail a été fixé en accord avec les syndicats] de qualité qui respectent les salaires en vigueur, embauchent des travailleurs locaux, offrent des possibilités de formation et d’avancement et garantissent la parité salariale et sociale pour les travailleurs touchés par la transition’’. La résolution défend également un processus démocratique et participatif qui implique les travailleurs et les communautés opprimées dans la planification, la mise en œuvre et l’administration du Green New Deal au niveau local. Il n’est toutefois pas précisé comment cela pourrait pratiquement se faire.

    Au-delà de l’environnement, le Green New Deal demande que tous les Américains aient la garantie d’un emploi avec un salaire suffisant pour subvenir aux besoins de leur famille, avec des congés familiaux et une couverture médicale adéquate, des congés payés et une sécurité de pension. Le texte appelle également à mettre fin à l’”oppression historique” des femmes, des personnes de couleur et des migrants aux États-Unis. Enfin, la résolution conclut en demandant au gouvernement fédéral de garantir à tous des soins de santé de haute qualité, des logements abordables et une sécurité économique globale.

    Les Etats-Unis représentent le pays le plus riche de l’histoire du monde, mais aucun de ces besoins fondamentaux n’est garanti pour une personne ordinaire. Répondre aux besoins fondamentaux de chacun et passer à une énergie renouvelable à 100 % coûterait bien trop cher, entend-on souvent dire. Pendant ce temps, les trois hommes les plus riches des Etats-Unis accumulent autant de richesses que la moitié la plus pauvre de la population du pays ! 100 entreprises dans le monde sont responsables de plus de 70 % des émissions de gaz à effet de serre depuis 1988. La vérité, c’est que notre civilisation et la planète sont sacrifiées pour qu’une poignée de personnes puissent continuer à gagner des sommes énormes. Le Green New Deal cherche à renverser la vapeur.

    Que faudra-t-il pour gagner ?

    Le rapport 2018 du GIEC estime qu’il faut 900 milliards de dollars par an pour mettre en œuvre le programme qu’il juge nécessaire. Le Green New Deal s’inspire de ces propositions. M. Ocasio-Cortez propose que ce montant soit payé en partie au moyen d’un taux marginal d’imposition de 70 % sur tous les revenus supérieurs à 10 millions de dollars. Ce serait un bon début, mais qui ne serait pas suffisant pour financer l’ensemble du programme.

    Un financement supplémentaire pourrait provenir des impôts des grandes sociétés de combustibles fossiles, des grandes banques et des institutions financières. Toutefois, ces sociétés ne sautent pas de joie à l’idée d’être imposées pour lutter contre les changements climatiques. Elles sont prêtes à s’opposer par tous les moyens au Green New Deal. Cette opposition deviendra de plus en plus aigüe et visible au fur et à mesure que le mouvement qui l’appuie se développera.

    Jusqu’à présent, l’opposition s’est principalement manifestée sous la forme d’affirmations selon lesquelles le Green New Deal est un fantasme irréaliste. C’est “juste un tas d’idées qui ne fonctionnent même pas en théorie et encore moins dans le monde réel”, comme l’a déclaré le businessman Lourenco Goncalves (qui possède une fortune de 60 millions de dollars essentiellement issue des mines). Ce type de jugement à l’emporte-pièce constitue souvent la première ligne de défense de l’élite dirigeante et des politiciens lorsqu’ils sont confrontés à des idées progressistes audacieuses qui menacent leurs intérêts. Lors des élections primaires démocrates de 2016, Hillary Clinton a qualifié à maintes reprises de “promesses en l’air (pie in the sky)” bon nombre de propositions de Bernie Sanders, tout particulièrement dès lors qu’il s’agissait du projet de couverture de soins de santé Medicare for All.

    Mais aujourd’hui, trois ans après que Sanders ait commencé à populariser le projet Medicare for All, une majorité d’Américains le soutiennent, dont une majorité de républicains. Des démocrates de longue date proches des grandes entreprises tels que Corey Booker ou Kamala Harris se sentent maintenant obligés de soutenir de telles politiques du bout des lèvres pour être acceptés par la plupart des électeurs démocrates. Ce pourrait également être le cas avec le Green New Deal.

    Soyons toutefois prudents. Il y a une différence énorme entre offrir un soutien verbal au Green New Deal pendant une campagne politique et soutenir les mesures concrètes requises pour le concrétiser, sans encore parler de la construction du mouvement social qui sera nécessaire. Les déclarations publiques sont une chose, mais dans les coulisses, les lobbyistes et les puissants intérêts des entreprises exercent des pressions et donnent même des directives sur ce que les politiciens qu’ils financent peuvent et ne peuvent pas faire.

    Unir tous ceux qui veulent stopper la catastrophe imminente, cela exige un ensemble de revendications claires et audacieuses. Cela exige également une compréhension claire de la manière d’obtenir un tel changement progressiste majeur. La seule force capable de contrer l’opposition des grandes entreprises, c’est un mouvement de masse centré autour du pouvoir social et économique de la classe des travailleurs.

    Récemment, la direction du Comité Energie de la fédération syndicale AFL-CIO a envoyé une lettre ouverte aux auteurs du Green New Deal. Dans celle-ci, le syndicat convient de la nécessité de s’attaquer au changement climatique et d’investir dans les technologies renouvelables, en prenant note de l’appel du Green New Deal en faveur de l’inclusion des travailleurs et des syndicats dans ce processus. Le syndicat fait toutefois valoir que la résolution proposée “est beaucoup trop limitée en termes de solutions spécifiques concernant les emplois de nos membres et les secteurs critiques de notre économie (…) et fait des promesses qui ne sont ni réalisables ni réalistes”. Il ajoute : “Nous ne resterons pas les bras croisés et ne laisserons pas sans réponse les menaces qui pèsent sur les emplois de nos membres et sur le niveau de vie de leurs familles”.

    Il y a là un élément à remettre en question. La véritable menace pour les affiliés du syndicat et tous les travailleurs, ce n’est pas le Green New Deal. Ce sont les patrons des usines, des secteurs de la construction et de l’énergie, ainsi que l’establishment capitaliste des partis républicain et démocrate. Ce sont eux qui entretiennent la situation de bas salaires généralisés, de baisse des allocations sociales et de hausse du coût de la vie. Sans parler des effets désastreux des changements climatiques à venir.

    En fait, la résolution demande “des emplois avec droits syndicaux de haute qualité […], des possibilités de formation et d’avancement, et garantit la parité salariale et sociale pour les travailleurs touchés par la transition”. Cela pourrait être plus clair et plus spécifique, mais il est totalement faux de qualifier cela d’atteinte à l’emploi et au niveau de vie des familles de travailleurs. Il est vrai que le mouvement écologiste a souvent adopté une approche méprisant les préoccupations légitimes des travailleurs concernant leur emploi et leur niveau de vie. Ocasio-Cortez devrait accepter leur offre de poursuivre le dialogue et mettre publiquement au défi ces dirigeants syndicaux de s’asseoir à la table pour discuter d’une proposition commune que tous les travailleurs et les écologistes pourraient soutenir.

    Il existe à l’échelle nationale des syndicats favorables à une action énergique contre le changement climatique, comme Amalgamated Transit Union, Communication Workers of America et National Nurses United. De nombreuses sections locales d’autres syndicats partagent leur approche, y compris dans les métiers du bâtiment. Ces syndicats devraient activement mobiliser leur soutien en faveur d’un Green New Deal pour les travailleurs et construire une alternative aux directions syndicales conservatrices qui dominent actuellement la plupart des syndicats. Ce sont les patrons du secteur des combustibles fossiles qui doivent être laissés dans la poussière, pas les travailleurs qui ont un rôle stratégique à jouer dans la lutte pour cette transition industrielle.

    Pour assurer l’instauration d’un Green New Deal pour les travailleurs, le mouvement – y compris les travailleurs – ne doit pas considérer comme alliés les directions capitalistes des Démocrates ou des Républicains. Il doit au contraire mobiliser sa pleine puissance avec des manifestations de masse, des actions syndicales et des grèves.

    Le Green New Deal pour les travailleurs exige la propriété publique

    La raison pour laquelle nous connaissons la situation actuelle, c’est que nous vivons dans une société où les décisions politiques et économiques sont dictées par le profit des entreprises privées. Agir sérieusement nécessite de s’attaquer directement aux intérêts d’une grande partie des entreprises américaines. C’est pourquoi l’establishment politique s’oppose à toute proposition visant à passer rapidement à une énergie 100% renouvelable.

    Même en restant dans le cadre du capitalisme, un mouvement de masse suffisamment fort pourrait concrétiser certains aspects du Green New Deal. Mais pour parvenir à une transition complète vers une économie reposant sur les énergies renouvelables d’ici 2030, il faudra prendre des mesures sans précédent contre la propriété privée des secteurs clés de l’économie. Malheureusement, ni Ocasio-Cortez ni Bernie Sanders n’acceptent de sortir du cadre du capitalisme pour atteindre ces objectifs. C’est la faiblesse fondamentale de leur approche.

    Tant que les principales compagnies énergétiques appartiendront au secteur privé et seront gérées sur base de la recherche de profit et du principe de concurrence, elles lutteront contre le Green New Deal. Le financement, la planification et la coopération crucialement nécessaires pour ce projet ne pourra tout simplement pas être obtenus. Nous devons assurer que les entreprises énergétiques appartiennent au secteur public, sous contrôle démocratique des travailleurs, pour mettre en œuvre un plan d’une telle envergure, surtout dans un si court laps de temps.

    La transition devra s’accompagner d’une refonte complète de l’infrastructure, ce qui nécessitera que des secteurs clés de l’industrie manufacturière et de la construction deviennent également propriété publique. Sur base d’une planification démocratique, les transports publics pourraient être massivement développés. De nouvelles voies ferrées et de nouveaux trains à grande vitesse pourraient être construits, et l’industrie automobile pourrait enfin se séparer des grandes entreprises pétrolières et passer rapidement à la production de véhicules écologiques. L’infrastructure routière devrait s’adapter à ce changement.

    Comme nous l’avons mentionné précédemment, un plan de cette envergure coûterait environ 900 milliards de dollars par an, un chiffre énorme. Mais les ressources existent déjà pour cela. Collectivement, les quinze plus grandes banques des États-Unis détiennent à elles seules 13,5 mille milliards de dollars. Elles ne renonceront jamais volontairement à cet argent pour le bien commun. L’expropriation des grandes banques et des grandes institutions financières fait également partie de la transition.

    Étant donné que la classe des milliardaires s’opposera farouchement à ce que ces industries clés lui soient retirées, cela ne se produira qu’à la suite d’un mouvement de masse des travailleurs, uni dans une lutte consciente pour y parvenir. Dans ce combat, il est vital de construire un nouveau parti de la classe des travailleurs avec un programme clairement socialiste.

    Nous sommes tout à fait d’accord avec les objectifs du Green New Deal visant à mettre fin à la pauvreté et à l’oppression. Mais cela ne peut être atteint en restant dans le cadre de ce système. Cela exige un changement révolutionnaire. La collectivisation des principaux leviers de l’économie pour instaurer une économie démocratiquement planifiée, reposant sur les besoins humains, jetterait les bases du développement d’une société socialiste égalitaire, dans laquelle l’exploitation et toutes les formes d’oppression pourraient être éradiquées.

    Avec l’escalade de la crise climatique internationale, la nécessité pour l’humanité de passer du capitalisme au socialisme n’a jamais été posée aussi clairement. Rejoignez Socialist Alternative pour nous aider à lutter pour un Green New Deal pour ls travailleurs et en faveur du socialisme !

  • Le Brexit bloqué, les Conservateurs en pleine débâcle – Le mouvement ouvrier doit agir

    Le compte à rebours du 29 mars, date initialement prévue pour le retrait de du Royaume Uni de l’Union européenne, a beau être terminé, le jeu n’est pas fini. Le gouvernement conservateur est en crise politique profonde. Au moment où nous écrivons ces lignes, la Première ministre Theresa May a été incapable d’obtenir une majorité parlementaire pour son projet d’accord de retrait. Le chaos est tel qu’une source européenne anonyme a comparé le Royaume-Uni à un ‘‘État en faillite’’(1).

    Par Ciaran Mulholland, Socialist Party, Irlande du Nord, article tiré de l’édition d’avril de Lutte Socialiste

    L’accord de retrait avait déjà été rejeté à deux reprises par une large majorité des parlementaires. Dans des circonstances normales, la défaite du gouvernement sur sa priorité politique le ferait s’effondrer, mais nous ne sommes pas dans une période normale.

    Theresa May espérait pouvoir encore une fois essayer de faire passer son accord au vote avant la date limite du 29 mars. En pariant sur le fait qu’un vote proche de l’échéance mettra une pression énorme sur les députés et qu’un nombre suffisant d’entre eux changeront de camp plutôt que de risquer une sortie sans accord. Certains députés conservateurs avaient en effet indiqué vouloir changer d’avis dans un tel scénario, tandis que, dans les coulisses, les pourparlers avec le DUP(2) se poursuivaient pour tenter de convaincre ses 10 députés.

    May perd le contrôle

    Theresa May marche sur une très fine couche de glace. Quoi qu’elle fasse, elle risque de déclencher une réaction en chaîne qui provoquerait sa chute. Ses adversaires au sein du Parti conservateur ressemblent à des vautours prêts à la pousser dans un précipice pour lui succéder. Pour les éloigner, elle pourrait envisager de passer par-dessus la tête des députés avec des élections anticipées, mais elle craint que cela aboutisse à la victoire du parti travailliste de Corbyn.

    May est bloquée parce qu’elle ne peut pas obtenir la majorité parlementaire. Il y a plusieurs raisons à cela, mais la question critique est celle du ‘‘backstop’’ (‘‘filet de sécurité’’), un arrangement présenté comme nécessaire pour éviter le retour d’une frontière physique sur l’île d’Irlande. L’argument avancé est le fait que tout durcissement de la frontière irlandaise ‘‘mettrait en péril le processus de paix’’. L’UE insiste sur le fait qu’il doit y avoir une frontière ‘‘dure’’ (c’est-à-dire avec un contrôle du trafic de marchandises et des taxes d’importation) quelque part afin de protéger ses intérêts commerciaux. Si la frontière irlandaise reste ouverte, de nouveaux contrôles des marchandises traversant la mer d’Irlande devront être effectués, c’est-à-dire une frontière Est-Ouest, entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne.

    La majorité des protestants d’Irlande du Nord s’oppose à de nouveaux contrôles des marchandises traversant la mer d’Irlande. Une frontière Est-Ouest, aussi molle soit-elle, représente aujourd’hui une menace pour l’union entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne. Tout durcissement de la frontière Nord-Sud, aussi mineur soit-il, est considéré comme une menace pour les aspirations nationales des Catholiques irlandais. La seule façon de respecter les droits des deux communautés est de garder les deux frontières ouvertes, mais la logique de l’UE capitaliste n’en veut pas.

    Quoi qu’il en soit, le conflit entre les aspirations des communautés protestantes et catholiques en Irlande du Nord aurait été problématique. Mais le fait accidentel que le DUP détienne l’équilibre du pouvoir au Parlement, pour la toute première fois, a précipité une crise majeure et a bloqué le retrait prévu du Royaume-Uni vis-à-vis de l’UE. Le DUP a froidement profité de sa position centrale pour s’aligner avec l’aile pro-Brexit du Parti conservateur contre toute menace perçue sur le statut de l’Irlande du Nord au Royaume-Uni. Pour les pro-Brexit comme pour le DUP, c’est un mariage de convenance. Dans certaines circonstances, chacun abandonnerait l’autre pour en tirer un avantage tactique. Pour l’instant du moins, leurs intérêts continuent à coïncider.

    Non à des frontières plus dures !

    Le Socialist Party, parti-frère du PSL en Irlande, s’oppose à l’UE, une institution créée dans l’intérêt du capitalisme. L’UE n’est l’amie d’aucun travailleur d’Irlande, du Nord ou du Sud, ni d’aucun travailleur d’Angleterre, d’Écosse, du Pays de Galles ou du reste de l’Europe. Les travailleurs ne peuvent pas compter sur l’UE pour assurer un avenir meilleur, pas plus qu’ils ne peuvent compter sur les gouvernements de Leo Varadkar en République d’Irlande et de Theresa May au Royaume-Uni, ni sur la coalition DUP-Sinn Fein en Irlande du Nord, dans l’hypothèse où elle reviendrait un jour au pouvoir.

    Le Socialist Party s’oppose au projet d’accord parce qu’il agit contre les intérêts économiques et sociaux de la classe ouvrière et appelle le mouvement ouvrier à faire de même. Il est essentiel que le mouvement ouvrier prenne également en compte l’impact potentiel de l’accord de retrait sur les divisions sectaires dans le Nord. Le mouvement ouvrier unit les travailleurs catholiques et protestants dans une lutte commune pour une vie meilleure – dans les luttes sur les lieux de travail et dans les campagnes parmi les communautés locales pour défendre nos services. Cette unité doit être défendue et ne peut être tenue pour acquise. Il est d’une importance vitale que les syndicats et les véritables partis de gauche, anti-sectaires, s’opposent à toute démarche qui affaiblit l’unité de la classe ouvrière.

    Le projet d’accord décrit un scénario dans lequel surgirait une frontière Est-Ouest. Cela augmentera les tensions sectaires et affaiblira l’unité des travailleurs. Nous sommes opposés à l’accord sur cette base. Si le Royaume-Uni quitte l’UE sans accord, un durcissement de la frontière Nord-Sud deviendrait ‘‘inévitable’’. Si cela devait se produire, cela aussi augmenterait les tensions sectaires et affaiblirait l’unité des travailleurs. Nous sommes là aussi résolument opposés à ce scénario.

    L’UE et le gouvernement britannique pourraient éviter d’avoir des frontières dures en prenant la décision politique de maintenir la frontière Nord-Sud ouverte et de ne pas laisser se développer une frontière Est-Ouest, quel que soit l’impact supposé sur le commerce et la circulation des personnes. Nous n’avons aucune confiance dans le fait qu’ils feront cela, à moins qu’ils ne soient soumis à d’immenses pressions venant d’en bas. Pour protéger les intérêts de la classe des travailleurs, il est essentiel que le mouvement ouvrier – les syndicats et les véritables forces politiques de gauche – intervienne dès maintenant armé d’un programme socialiste basé sur une indépendance de classe. Le mouvement ouvrier devrait tracer ses propres «lignes rouges» sur les questions-clés.

    Le mouvement ouvrier doit maintenant agir

    Le référendum de 2016 pour le retrait de l’UE était une manifestation de l’aliénation généralisée d’un establishment politique qui mène les politiques néolibérales depuis des décennies. La majorité de ceux qui ont voté pour le Brexit l’ont fait pour exprimer leur colère face aux années d’austérité. Ils étaient bien conscients du rôle central qu’ont joué les institutions de l’UE pour faire payer à des millions de personnes l’avidité des milliardaires.

    Durant la campagne vers le référendum, il y avait une campagne de gauche qui a plaidé en faveur du retrait de l’UE. Le syndicat des cheminots RMT en Grande-Bretagne et le syndicat du secteur public NIPSA en Irlande du Nord ont pris des positions principielles d’opposition à l’UE et en faveur d’une alternative de gauche. Ces syndicats ont montré la voie à suivre. Si les syndicats apportaient leur poids à un mouvement pour une nouvelle Europe, organisée dans l’intérêt des 99%, des millions de personnes pourraient être mobilisées à travers les Iles britanniques et toute l’Europe, à la fois contre un Brexit qui favorise la classe capitaliste et contre l’UE.

    (1) Financial Times, 21 mars 2019.
    (2) Democratic Unionist Party, parti nord-irlandais soutenant le gouvernement minoritaire May.

  • [INTERVIEW] Ici aussi, le 8 mars a largement fait son retour comme journée de lutte !

    Entretien avec Emily Burns, organisatrice nationale de la Campagne ROSA

    Cette Journée internationale de lutte pour les droits des femmes a mobilisé bien plus de monde qu’à l’accoutumée. Il est possible d’aller encore plus loin. Cela exige de soigneusement examiner les revendications que nous voulons défendre mais aussi la manière de le faire. Retour sur cette journée qui a renoué avec ses origines combatives.

    Emily, ce 8 mars, tu étais à Bruxelles, où la manifestation était la plus imposante depuis de nombreuses années.

    Emily.

    ‘‘Nous étions plus de 10.000 personnes! La Campagne ROSA (Résistance contre l’Oppression, le Sexisme et l’Austérité) a participé à l’organisation de cette manifestation à l’initiative de la Marche Mondiale des Femmes. Une série d’actions et de manifestations ont aussi eu lieu dans d’autres villes, comme à Liège où une Cycloparade a réuni 1.700 personnes à l’initiative de diverses organisations féministes et des syndicats. La Campagne ROSA a aussi organisé une action à Courtrai et, pour la 3e année consécutive, une manifestation à Gand, à laquelle ont participé environ 800 personnes. Nous avons également tenu un stand au festival féministe organisé à Anvers par le Collecti.e.f 8 maars, de même qu’au village associatif organisé par ce même collectif avant la manifestation de la Marche Mondiale des Femmes.’’

    Selon toi, qu’est-ce qui a changé par rapport aux autres années ?

    ‘‘Les grèves historiques de l’an dernier dans l’Etat espagnol en défense de l’émancipation des femmes – mais aussi en réaction à la politique antisociale du gouvernement – ont eu un effet de contagion. Alors que l’an dernier, la Campagne ROSA était parmi les seules organisations à avoir mis sur pied des marches contre le sexisme et la précarité, à Bruxelles, Liège, Namur, Gand et Anvers, cette année, un appel lancé par un nouveau collectif – le Collecti.e.f 8 maars – a suscité un enthousiasme certain pour partir en grève.

    ‘‘Les syndicats se sont davantage impliqués pour faire vivre cette journée comme une journée de lutte et de revendications. De nombreuses centrales syndicales ont organisé un comité professionnel pour préparer collectivement cette journée. La Campagne ROSA a d’ailleurs été invitée à deux occasions dans ce cadre. Une série de secteurs professionnels majoritairement féminins ont organisé des actions de sensibilisation à l’occasion du 8 mars, soutenues ou non par un préavis de grève.

    ‘‘Par exemple, aux hôpitaux bruxellois Brugmann et Saint-Pierre, une trentaine de travailleuses et travailleurs ont distribué des tracts aux entrées pour sensibiliser les collègues et les patients aux conditions de travail du secteur et à leur lien avec le problème du sexisme. Sans Contrat à Durée Indéterminée et sans une paie qui permette l’indépendance financière, comment être véritablement libre de dénoncer une situation de harcèlement ou encore de quitter son partenaire sans risque de tomber dans une précarité extrême ? Les déléguées et délégués syndicaux des hôpitaux privés bruxellois ont organisé une action similaire, avec un autocollant servant d’outil pour entrer en discussion.

    ‘‘Des arrêts de travail ont aussi eu lieu dans des universités. A Gand, c’est déjà la 3e année consécutive qu’une telle action était organisée à l’Université, sous l’impulsion de chercheuses et chercheurs, avec le soutien de la délégation syndicale qui comporte plusieurs membres de la campagne ROSA. Et lors de la manifestation que nous organisions le soir dans la même ville, aucun membre du collège échevinal n’était présent et ce pour la première fois. Les autorités communales savent que les revendications mises en avant par le personnel et les jeunes remettent directement en cause leurs politiques d’austérité… Nous ne pensons pas que l’objectif des manifestations et des actions est nécessairement de réunir le plus de monde possible : nous voulons avant tout réunir celles et ceux qui veulent lutter contre le sexisme dans les faits, et non uniquement avec des belles paroles tout en appliquant une politique qui impacte plus durement la vie des femmes de l’autre.’’

    Des hommes ont également participé à ces actions et arrêts de travail. Pourquoi la Campagne ROSA souligne-t-elle autant dans son matériel la nécessité de faire appel tant aux femmes qu’aux hommes ?

    ‘‘Lorsque seules les femmes font grève sur leur lieu de travail, ce à quoi une partie du mouvement appelait, cela signifie de facto que les hommes doivent compenser par une augmentation de leur charge de travail. Cela s’est vu dans un supermarché bruxellois ce 8 mars, où les femmes étaient en grève, remplacées par des travailleurs masculins portant un brassard en solidarité. Ce n’est pas ainsi que l’on fait mal au portefeuille des actionnaires ni que l’on concrétise le slogan ‘‘Quand les femmes s’arrêtent, le monde s’arrête’’. La division nous affaiblit et ROSA prend cette lutte au sérieux.

    ‘‘Il ne faut pas remonter loin pour voir l’efficacité des luttes menées de manière unie. À Glasgow en Écosse, le personnel municipal des secteurs à bas salaire a mené une grève en octobre. Il est composé à 90% de femmes. Elles ont été rejointes par les hommes d’autres secteurs municipaux dans ce combat, alors payé 3 à 4 £ de plus à l’heure. Grâce à ça, elles ont obtenu une victoire historique : elles vont toucher rétroactivement leur salaire non perçu pour un montant de 567 millions d’euros et vont être augmentées pour une vraie égalité salariale, mais surtout vers un salaire qui leur permette de vivre dignement !’’

    À l’initiative du Collecti.e.f 8 maars, il a beaucoup été question dans la presse de ‘‘grève’’ du travail domestique et des soins aux autres. Qu’en penses-tu ?

    ‘‘Le collecti.e.f 8 maars est parvenu à avoir une grande couverture médiatique de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes. Grâce à cela, le débat sur les méthodes et les revendications à mettre en avant a débordé le cadre des activistes ‘‘habituelles’’.

    ‘‘Les femmes prennent encore en charge aujourd’hui la majorité des tâches domestiques et, ce, particulièrement après le premier enfant. Cette surcharge de travail est entretenue dans de nombreux domaines de la société, à travers l’enseignement ou encore les jouets, mais c’est surtout le manque de services publics comme les crèches, les aides familiales et maisons de repos pour nos aînés, les services de repassage,… qui nous oblige à prester une deuxième journée de travail, une fois rentrées du boulot. Et c’est encore plus lourd à supporter pour les familles monoparentales.

    ‘‘Nous pouvons revendiquer un meilleur financement public des services publics et du secteur non marchand, et aussi pourquoi pas que des secteurs précaires comme les titres-services deviennent un service public organisé localement avec de bonnes conditions de travail ! Organiser une grève dans ces secteurs serait bien utile. Une ‘‘grève des tâches domestiques’’ le 8 mars, ce n’est pas la même chose. Cela peut mettre en lumière des problèmes, c’est certain. Mais veut-on limiter notre lutte à plus de solidarité dans les familles, entre homme et femme, quand la famille ressemble à ça, ou veut-on construire la solidarité au niveau de l’ensemble de la société ? Nous défendons cette deuxième option.’’

    Qu’est-ce que tu penses de la lettre ouverte écrite par 6 politiciennes belges francophones à faire des droits des femmes une priorité sociétale dans tous les partis et à tous les niveaux de pouvoir ?

    ‘‘Il n’y a rien à en attendre. Le gouvernement MR-NVA avait lui déclaré que ‘‘la meilleure prise en compte du genre dans l’emploi sera la pierre angulaire de ce gouvernement’’. Si des politiciennes veulent réellement mener une politique en faveur des droits des femmes, elles doivent relayer des revendications syndicales telles que le salaire horaire minimum de 14€, la semaine des 30 heures sans perte de salaire et avec embauches compensatoires, l’individualisation des droits et le relèvement des allocations sociales au-delà du seuil de pauvreté.’’

    Quelle est l’utilité de la campagne ROSA ? N’y a-t-il pas déjà suffisamment d’organisations féministes ?

    ‘‘Les mouvements en faveur de l’émancipation des femmes prennent de l’ampleur à travers le monde. Ces mouvements s’opposent tous au sexisme qui est au cœur de cette société. Mais d’où cela provient-il ? Comment le combattre ? Comment aller au-delà de la dénonciation ? Avec quelles méthodes ? La campagne ROSA veut s’engager ouvertement dans ce débat. Nous ne pensons pas que c’est en taisant les différences que l’on peut renforcer le mouvement.

    ‘‘Notre féminisme est un féminisme qui s’oppose non pas aux hommes mais au système capitaliste. Nous participons activement au développement du mouvement tout en soulignant la nécessité de lier ce combat à la force du mouvement ouvrier. Lui seul est capable de bloquer, par la grève générale, la totalité de la société pour contester le pouvoir économique des capitalistes. Nous pourrons ainsi construire une société sur de nouvelles bases, une fois débarrassée des actionnaires ultra-riches, de l’exploitation et des discriminations. Notre féminisme est un féminisme socialiste.’’

  • Algérie. Le mouvement de masse fait vaciller le régime

    Manifestants le 10 mars 2019 à Blida. Photo : Wikipédia

    Le départ de Bouteflika ne suffira pas : tout le système doit dégager !

    Dans les médias dominants, les événements actuels en Algérie semblent tomber du ciel. En 2010, le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), dont le PSL est la section en Belgique, évoquait déjà ce pays comme une ‘‘chaudière sociale prête à exploser à tout moment’’. Nous nous sommes entretenus avec Cédric Gérôme, responsable du CIO pour le suivi de cette région du monde.

    Dans quel contexte surviennent ces impressionnantes mobilisations ?

    Des éléments avant-coureurs sont là depuis longtemps. En 2010 déjà, nous parlions de l’Algérie comme d’une « chaudière sociale prête à exploser à tout moment. » Un rapport de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme estimait en 2015 que 80% de la richesse nationale était détenue par 10% de la population, et que quelque 14 millions de personnes vivaient dans une misère complète. Des milliers de jeunes algériens sans avenir ont péri dans la méditerranée, tentant d’échapper à cette situation. La désaffection massive croissante lors de chaque échéance électorale était une indication de l’aliénation de pans de plus en plus importants de la population.

    Le 5e mandat ne fut que l’élément déclencheur pour le déferlement d’une colère populaire latente, qui s’était accumulée depuis des années. Le mouvement actuel n’a en effet pas surgi de nulle part. D’innombrables luttes locales et sectorielles ont émaillé la période précédente, et ce dans toutes les régions du pays. Cette situation explique pourquoi les manifestations étudiantes initiales le 22 février se sont si rapidement propagées à tous les segments de la société. Fait notable, la classe ouvrière a émergé dernièrement comme une force majeure du mouvement, marquant une nouvelle étape dans la lutte.

    Pendant des années, les larges recettes pétrolières et gazières avaient permis au régime de jeter de l’eau sur les braises, à coup de subventions sociales ciblées, pendant même que les inégalités structurelles se creusaient. Mais l’effondrement des prix des hydrocarbures après 2014 a réduit les marges de manœuvre pour activer cette manne pétrolière. Depuis lors, plus de 90% des ménages algériens ont vu leur niveau de vie chuter. L’an dernier encore, la volonté des capitalistes algériens de faire porter aux masses le fardeau de la crise s’est traduite par une nouvelle flambée généralisée des prix, dans un contexte de stagnation des salaires et des pensions.

    Les travailleurs sont donc entrés en action ?

    Les grèves se sont développées de manière indépendante du contrôle des dirigeants de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), la centrale syndicale officielle, lesquels ont toujours travaillé main dans la main avec le régime pour domestiquer la classe ouvrière, réprimer les syndicalistes militants et « accompagner » les politiques de casse sociale. Les médias sociaux ont joué un rôle important pour contourner le sabotage de la bureaucratie syndicale, et diffuser des mots d’ordre d’action parmi les travailleurs. A partir de dimanche 10 et lundi 11, beaucoup de sections locales de l’UGTA ont défié leurs dirigeants et ont rejoint les mots d’ordre de grève générale, apparus via des appels anonymes sur internet, et relayés par certains syndicats autonomes.

    Face à une UGTA de plus en plus moribonde (bien qu’encore en proie à d’importants fiefs combatifs), ces syndicats autonomes ont gagné en importance dans les dernières années, particulièrement dans la fonction publique (santé, enseignement, administrations…). Mais leur enracinement reste faible. La réappropriation et l’unification des organisations syndicales par la base sera d’une importance décisive sur le futur du mouvement en cours.

    Depuis un peu plus d’une semaine, des grèves en cascade ont balayé le pays, frappant les ports, des usines de fabrication de voitures, les transports en commun, l’industrie agro-alimentaire, les écoles et universités, les commerces – ainsi que des secteurs stratégiques comme le pétrole et le gaz, et la zone industrielle de Rouiba à l’est d’Alger, bastion historique du mouvement ouvrier algérien. Il n’y a pas le moindre doute que c’est la multiplication de ces grèves qui a précipité l’annonce d’un renoncement à la cinquième candidature de Bouteflika, de la démission du premier ministre et du report des élections. Cependant, cette vaine tentative des classes dirigeantes de reprendre contrôle sur la situation n’a fait que stimuler la confiance du mouvement en ses propres forces.

    Les héritiers du Front islamiste du salut (FIS) disposent-ils encore d’une influence dans le pays ?

    Le soutien pour les courants salafistes politiques s’est liquéfié après l’expérience de la « sale guerre » des années ’90. Une branche légaliste de l’islam politique s’est intégrée dans l’appareil d’état, mais son influence reste plutôt limitée. Dans le Sud surtout, des cellules jihadistes existent encore, notamment celles d’Al Qaeda au Maghreb Islamique, mais ne disposent plus de la même base opérationnelle que par le passé.

    L’âge médian en Algérie est de 28 ans, à savoir la période qui nous sépare de la victoire électorale du FIS en décembre 1991. Parmi les plus jeunes générations, le traumatisme d’un nouveau bain de sang, exploité pendant longtemps par le régime pour se pérenniser, est un argument qui a de moins de moins de prise. Lorsque le régime a récemment brandi l’épouvantail syrien, disant que les manifestations en Syrie ont mené à une décennie de guerre, les manifestants ont répliqué: «l’Algérie n’est pas la Syrie».

    A noter aussi que dans le mouvement actuel, les femmes ont pris dès le début une place prépondérante, réoccupant l’espace public d’une manière encore impensable il y a quelques mois. Le climat actuel n’est pas propice aux politiques de ségrégation sexuelle prônées par la droite islamiste. Ceci dit, un certain « retour de pendule » n’est pas à exclure, dans le cadre d’impasse et de reculs dans le processus révolutionnaire, combinées aux sentiments de frustration populaire et aux manœuvres du régime en place. La construction d’une alternative de gauche révolutionnaire est le meilleur rempart contre la réaction, qu’elle soit islamiste ou non.

    Quelle est la situation de la gauche dans le pays ?

    Louisa Hanoune, dirigeante du Parti des Travailleurs (PT), est connue pour être proche de Bouteflika et de son régime. Elle fut la première parmi les candidats en lice aux présidentielles de 2014 à donner son aval formel aux résultats des élections, appelant au respect de la prétendue « volonté du peuple ». Après les manifestations initiales en février, elle s’est couverte de ridicule en affirmant, contre toute évidence, que « Les slogans n’étaient pas contre Bouteflika .» Les interventions publiques de ce parti semblent se limiter à multiplier les mises en garde envers le régime quant au danger d’explosions incontrôlables s’il ne lâche pas du lest.

    Le PST (Parti Socialiste des Travailleurs) est quant à lui rattaché au Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale, a des positionnements plus à gauche, et a eu le mérite d’appeler publiquement à la grève générale dès février. La question reste à savoir dans quelle mesure la direction de ce parti a tiré les enseignements des erreurs de ses consœurs en Tunisie, lesquels tant en 2011 qu’en 2013, se sont malheureusement fourvoyés dans des arrangements court-termistes avec la bureaucratie syndicale et avec l’aile soi-disant « progressiste » de la bourgeoisie, contribuant ainsi à dérailler le processus révolutionnaire.

    Quelles sont les perspectives pour le mouvement ?

    Il s’agit d’une lame de fond inédite. Même des figures proches du pouvoir ont reconnu que « des millions » de gens sont descendus dans la rue ces dernières semaines, et jusqu’à présent, chaque vendredi semble franchir de nouveaux records de mobilisation. Une telle irruption des masses sur le champ politique ne disparaitra pas d’un simple claquement de doigt.

    Il n’y a plus eu autant de jeunes dans les rues algériennes depuis 1962, lors de la proclamation de l’indépendance face au pouvoir colonial français. Il est d’ailleurs intéressant de voir que dans toutes les marches sont brandis des slogans et pancartes faisant référence à la révolution algérienne contre le colonialisme français. Pour un pouvoir qui s’est toujours revêtu d’une prétendue « légitimité historique » pour asseoir son autorité, usant de son rattachement à la lutte de liberation nationale de 1954-1962, c’est une véritable mise au ban de l’histoire.

    Une ambiance de « fin de règne » est manifeste, et les éléments d’une situation prérévolutionnaire sont en gestation, exprimés entre autres par les fissures ouvertes dans l’appareil d’état. Ce véritable soulèvement a forcé l’une défection après l’autre dans le camp du régime, un certain nombre de ministres du FLN et hauts bureaucrates faisant le calcul selon lequel Bouteflika devra être démis de ses fonctions afin de protéger le reste du régime. Bouteflika étant un point d’équilibre fragile pour arbitrer les luttes entre les différents clans qui se disputent le pouvoir et le gâteau économique, tous ces clans manœuvrent maintenant pour préparer une « transition » à leur avantage. Ce qui met en évidence le besoin pour les masses révolutionnaires de développer leur propre outil politique, à l’abri de toutes ces manœuvres.

    Un nouveau ‘‘printemps arabe’’ est-il possible ?

    La lutte en Algérie n’évolue pas en vase clos. En janvier, 750.000 travailleurs étaient en grève dans la fonction publique en Tunisie. Le Maroc est traversé par une vague de grèves, notamment dans l’enseignement et les hôpitaux publics. Le Soudan est en proie à une situation semi-insurrectionnelle depuis plusieurs mois. Autrement dit, on assiste à une « nouvelle vague », que le soulèvement en Algérie pourrait stimuler davantage. Si le régime de Bouteflika est renversé, il n’y a aucun doute que cela rallumerait les flammes de la révolution dans toute la région.

    L’implication des Algériens de la diaspora dans le mouvement à Genève, Londres, Montréal, New York, et surtout dans les villes françaises, fut massive elle aussi. Vu les quatre à cinq millions d’habitants d’origine algérienne vivant en France, mais aussi les intérêts stratégiques de l’impérialisme français en Algérie, Macron a de bonnes raisons de suivre la situation de près.

    L’expérience des révolutions de 2010-2011 signifie aussi que le mouvement en Algérie ne commence pas à partir d’une page blanche : les masses ont tiré des leçons des luttes, des victoires et des défaites dans la région. Les appels au renversement du régime ont rapidement fait surface, le mouvement étant bien conscient que se contenter de la tête de Bouteflika (qui par ailleurs est un pantin sénile dans un état semi-végétatif) ne ferait que laisser la main aux restants du régime pour se refaire une deuxième santé sur le compte des masses.

    Quelles revendications et quels mots d’ordres permettraient-ils d’en finir avec le régime tout entier ?

    Le début d’un processus, encore timide, d’auto-organisation voit le jour. Ce processus est d’une importance vitale pour construire la lutte sur la durée, et doit se consolider. Des comités de grève sur les lieux de travail et d’étude, des assemblées populaires dans les quartiers et les villages, sont nécessaires pour organiser la lutte démocratiquement par la base, planifier collectivement les actions à mener, et structurer les forces vives du mouvement, indépendamment du pouvoir et de ses partis satellites.

    Ces comités pourraient se structurer à l’échelle de chaque localité et wilaya, en vue d’envoyer leurs délégués à une Assemblée constituante révolutionnaire chargée de rédiger une nouvelle constitution. Une telle constitution balayerait le « code de la famille » et ses lois moyenâgeuses contre les femmes, étendrait les libertés démocratiques de base, les droits d’expression et de rassemblement, les droits syndicaux, et appliquerait la non-interférence de la religion dans les affaires de l’état. Elle affirmerait la défense des droits linguistiques, culturels et religieux de chaque communauté, y compris le droit du peuple amazigh de déterminer librement son avenir.

    Mais le mouvement doit aussi discuter d’une alternative aux politiques économiques du régime, et à celles préconisées par l’opposition néo-libérale derrière laquelle se cache une poignée d’oligarques – lesquels cherche à exploiter le mouvement en cours dans le but d’accélérer le démantèlement du secteur public et l’appauvrissement généralisé au profit de la bourgeoisie la plus étroitement liée à l’impérialisme occidental. Il faut demander un arrêt des privatisations, la renationalisation des entreprises privatisées, et la mise sous contrôle ouvrier et populaire des secteurs stratégiques, à commencer par les hydrocarbures. Cela permettrait de financer un vaste plan d’investissement dans les secteurs sociaux, le logement, la rénovation des infrastructures, etc. L’ouverture des livres de compte dans les entreprises est aussi une revendication importante pour mettre un terme à la corruption et au vol de l’argent public.

    L’armée, colonne vertébrale du pouvoir en place, a massé des troupes près des axes stratégiques, et s’est dite garante de la sécurité du pays « en toute circonstances ». Pour l’instant, la mobilisation semble trop forte pour qu’une répression d’envergure ne fasse autre chose que radicaliser les masses davantage, voire même créer des réactions de solidarité avec le mouvement parmi une partie des troupes. Déjà la vidéo d’un policier rejoignant le mouvement dans la ville de Bejaia a fait le tour des médias sociaux. Ceci dit, il faut se préparer au danger que la situation puisse changer : organiser sérieusement la sécurité de chaque manifestation, mais aussi multiplier les appels de classe vers les policiers et les militaires, les enjoignant à ne pas jouer le jeu de la répression.

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    30 & 31 mars. SOCIALISME 2019 : du ras-le-bol à la riposte !

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  • 4 propositions pour le climat et pour un changement de système

    1/ Des transports publics gratuits, de qualité et en suffisance

    La gratuité et la qualité des transports publics est une revendication très populaire qui répond directement aux tentatives d’opposer action climatique et pouvoir d’achat.

    Avec le processus de libéralisation et de privatisation du secteur, les transports publics sont devenus de plus en plus chers pour les usagers. Le transport international de passagers a été libéralisé, ce qui a entraîné une hausse des tarifs. Nos parents et grands-parents prenaient encore régulièrement le train pour voyager à l’étranger, c’est aujourd’hui quasiment inabordable. Un trajet Anvers-Amsterdam coûte 70 euros ! Le transport ferroviaire de marchandises a été libéralisé, de sorte que la part du rail est passée de 10% à 7% entre 2000 et 2015. Résultat : davantage de camions sur les routes ! La politique actuelle aggrave les problèmes de mobilité et nuit à notre environnement.

    En cinq ans, la subvention publique de la SNCB a diminué de 663 millions d’euros par an. Les effectifs ont diminué d’un quart en quinze ans. 110 millions d’euros ont été retiré à la société flamande de transport en commun De Lijn. Le total des contributions publiques à la SNCB, à De Lijn, à la STIB et au TEC s’est élevé à 2,4 milliards d’euros l’année dernière. C’est beaucoup, mais seulement la moitié de ce que coûtent les voitures de société à la communauté ! Nous ne proposons pas de supprimer cet avantage en nature pour les travailleurs : la réduction des subventions gouvernementales pour les voitures de société doit être liée à la conversion de cet avantage en nature en salaire net pour les travailleurs (le ‘‘coût’’ plus élevé du salaire brut revient à l’employeur).

    Ce manque de moyens est un manque de respect pour les efforts des travailleurs. Toutes sortes d’autres mesures s’y rajoutent encore : relèvement de l’âge de la pension, limitation de la retraite anticipée, diminution des salaires,… Impossible d’avoir des transports publics optimums dans ces conditions. La lutte pour des alternatives à la voiture va de pair avec les intérêts du personnel des transports publics. Comme l’a fait remarquer Naomi Klein : ‘‘Les cheminots en grève sont les activistes du climat du XXIe siècle’’.

    Au lieu des punitions individuelles, il nous faut des alternatives collectives : la gratuité et la qualité des transports publics représentent un élément essentiel. Luttons pour davantage de moyens publics et pour une planification rationnelle de la mobilité !

    2/ L’énergie aux mains du public

    Les 100 entreprises responsables de 71% des émissions mondiales depuis 1988 sont presque exclusivement des compagnies actives dans le secteur du gaz, du charbon et du pétrole ! Les scientifiques sont donc unanimes : un changement radical s’impose dans notre paysage énergétique. La façon dont nous produisons de l’énergie aujourd’hui, y compris en brûlant des combustibles fossiles, produit trop d’émissions de gaz à effet de serre.

    Nous ne pourrons pas convaincre les géants de l’énergie avec de bons arguments. L’an dernier, toutes les sociétés pétrolières et gazières cotées en bourse n’ont fourni que 1,3% de leur budget total aux investissements dans l’énergie verte.

    En Belgique, 85% de l’approvisionnement en électricité est entre les mains de quatre géants européens de l’énergie : GDF Suez (Electrabel), EDF (Luminus), ENI et RWE (Essent). Ce sont ces entreprises et leurs actionnaires qui déterminent la façon dont l’énergie est produite. La communauté n’a rien à dire à ce sujet, mais c’est elle qui supporte le plus gros des conséquences néfastes des méthodes de production polluantes des géants de l’énergie.

    Entre 2007 et 2017, le prix de l’électricité pour une famille ordinaire en Belgique a augmenté de 71,8%. Cette augmentation de prix n’a pas été réalisée pour permettre des investissements dans les énergies renouvelables ! Cette hausse des prix n’était pas non plus destinée à investir dans l’infrastructure nécessaire à la production d’énergie. Les menaces de pénuries d’électricité sont utilisées pour augmenter encore les prix pour les ménages. En conséquence, un ménage belge sur cinq vit dans la pauvreté énergétique.

    Des mesures provisoires telles qu’une réduction de la TVA ou un contrôle des prix peuvent faire baisser les prix. Mais pour compenser la perte de revenu pour le gouvernement, il faut aller chercher l’argent là où il se trouve. Un impôt progressif sur le capital peut y contribuer. Les multinationales s’opposeront bec et ongles à ce genre de mesure. Il suffit de penser aux campagnes du lobby nucléaire ou à la résistance d’une entreprise comme Amazon lorsqu’une taxe limitée sur l’entreprise a été proposée à Seattle. A Barcelone, l’appel d’offres public pour la fourniture d’électricité a reçu une clause sociale…. et aucune entreprise n’a fait d’offre ! Une procédure en justice a également été engagée dès que la ville a créé sa propre société d’énergie ! Quiconque touche aux sacro-saints profits est combattu de toutes les manières possibles.

    3/ Augmentation du financement public pour une recherche scientifique démocratique et indépendante

    L’argument favori des politiciens de droite et d’autres cyniques contre les jeunes activistes du climat est qu’ils devraient aller à l’école pour acquérir suffisamment de connaissances pour s’attaquer au problème climatique. Les connaissances techniques et scientifiques ne manquent pas. Mais qui contrôle la recherche ? Comment est-elle financée ?

    La recherche ne se fait généralement qu’en fonction du profit. De plus, les découvertes qui peuvent apporter une contribution positive à la lutte contre le changement climatique sont souvent achetées par des entreprises qui veulent empêcher leur application. Des brevets pour des batteries durables et un stockage efficace de l’énergie sont disponibles dans les coffres d’entreprises telles qu’Exxon Mobil. Il est dans leur intérêt que chaque goutte de pétrole soit forée avant que les alternatives ne soient mises sur le marché.

    Pire encore, ces dernières années, les multinationales ont investi des milliards dans la ‘‘recherche’’ pour nier ou minimiser le changement climatique. Les compagnies pétrolières connaissent le lien entre combustibles fossiles et empoisonnement de notre atmosphère depuis la fin des années ‘70. L’information n’a pas été divulguée et, lorsqu’elle a été connue, les grands groupes pétroliers ont investi dans toutes sortes de groupes de réflexion qui l’ont contestée.

    De plus, des investissements ont été faits dans le travail de lobbying pour préserver ou faciliter les pratiques polluantes. Sous le capitalisme, des milliards sont gaspillés pour la destruction de notre environnement, les marxistes veulent utiliser ces milliards pour le développement d’alternatives écologiques.

    Pour l’instant, nous ne disposons pas d’un tableau complet des mesures nécessaires et possibles pour sauver notre cadre de vie. Souvent, ce n’est pas non plus une priorité pour la recherche. Même dans les universités, elle dépend de plus en plus de mécènes privés. Bien sûr, les grandes entreprises sont particulièrement intéressées par les projets qui peuvent leur apporter des bénéfices supplémentaires. C’est pourquoi, à travers la privatisation de l’enseignement supérieur, elles s’efforcent de mieux contrôler les universités.

    Bien sûr, des recherches intéressantes proviennent des universités et de leurs laboratoires, même si cela s’effectue souvent sans réelle coordination et que les découvertes sont achetées par les entreprises pour éviter qu’elles ne soient appliquées. Beaucoup de connaissances existent déjà. Mais pour avoir une vision plus complète de la situation, les leviers de notre économie et de notre savoir doivent être aux mains de la collectivité.

    Il faut que la recherche scientifique soit débarrassée de toute ingérence de l’industrie et du secteurs privé. Nous exigeons que la recherche scientifique soit indépendante et non soumise à la recherche du profit. Une abolition des brevets et des investissements massifs dans la recherche sur les technologies durables est nécessaire pour mettre toutes les connaissances au service de l’homme et de la planète. Cela signifierait que toute la technologie et les connaissances disponibles pourraient être utilisées dans la lutte contre le réchauffement climatique !

    4/ Pour une économie planifiée écologique et démocratique

    Les grandes multinationales responsables de la plus grande partie des émissions sont aux mains d’un petit groupe d’ultra-riches. Les 26 personnes les plus riches possèdent autant que les 3,8 milliards les plus pauvres. Imposer des règles ne suffit pas : ces grandes entreprises trouvent des milliers d’échappatoires et ont suffisamment de lobbyistes et d’autres politiciens établis dans leurs poches pour tricher comme bon leur semble.

    Nous ne pouvons pas contrôler ce que nous ne possédons pas. C’est ce qui pousse à la réaction, compréhensible, de se concentrer non pas sur la production, mais sur la consommation. Les médias font tout pour renforcer cela : presque chaque entretien avec un jeune activiste du climat commence par une question sur ses efforts personnels. Parfois, cela va jusqu’à la défense de mesures antisociales comme les écotaxes. Ces taxes n’ont pas accru la production respectueuse de l’environnement, elles ont par contre affecté le pouvoir d’achat des travailleurs ordinaires et des jeunes en évitant de toucher à l’essentiel : la production. Il n’est donc pas surprenant qu’une entreprise comme ExxonMobil soit en faveur d’une taxe sur le CO2 !

    L’absence de planification démocratique entraîne un énorme gaspillage. Un quart à un tiers de la production alimentaire est gaspillée : au moins 1,3 milliard de tonnes par an ! Sans parler du gaspillage résultant des investissements dans la publicité, du lobbying et de l’arrêt de la production de biens plus durables et à plus longue durée de vie.

    Une réorientation majeure de la production est nécessaire. Pour y parvenir, il faut investir massivement dans les énergies renouvelables. Le GIEC estime qu’il faut y consacrer 2.400 milliards de dollars par an. Ce budget est à notre portée : pourquoi ne pas utiliser les 1.700 milliards de dollars dépensés annuellement dans l’armement? Et si l’on y ajoute les sommes englouties par la fraude fiscale et la spéculation, on pourrait largement couvrir les besoins pour la transition écologique et en même temps améliorer significativement le bien-être de l’humanité. Selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT), 24 millions d’emplois devront être créés dans le monde afin d’adapter nos modes de production. Bref, relever le défi climatique ne signifie pas entrer dans une ère de privations et de régression, c’est même plutôt le contraire… sauf pour les capitalistes et leurs profits ! Mais si tous les secteurs stratégiques de l’économie ne sont pas sous propriété publique démocratique, nous ne pourrons pas maîtriser correctement le changement de cap radical qui s’impose.

    C’est pourquoi nous défendons la nationalisation des secteurs clés de l’économie sous contrôle démocratique de la communauté. Cela doit poser les bases d’une planification rationnelle, en adaptant les ressources disponibles aux besoins et aux exigences de l’humanité et de la planète. Le capitalisme exploite tout à la fois le travail humain et la nature, les deux sources de toute richesse. Une économie planifiée rationnellement et démocratiquement permet d’arrêter le gaspillage, d’utiliser les connaissances disponibles et de commencer une transition verte. C’est ce que nous appelons le socialisme.

  • Économie mondiale : la crainte d’une nouvelle récession

    2018 a marqué les dix ans de l’effondrement de la banque Lehman Brothers qui a plongé l’économie mondiale dans la récession la plus profonde depuis les années 1930. Le virus financier s’est ensuite très rapidement propagé, paralysant la production et le commerce. Seule la prompte action coordonnée de la part des capitalistes et politiciens du monde entier a permis d’éviter une dépression similaire à celle des années 1930.

    Par Robin Clapp, Socialist Party (section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et au Pays de Galles)

    Les éléments déclencheurs de cette crise étaient l’endettement excessif des États, des entreprises et des ménages, la spéculation déraissonnée sur le marché des hypothèques immobilières ‘‘subprimes’’ aux États-Unis et l’effondrement du marché international des dérivés, largement dérégulé, décrit par les économistes comme une ‘‘arme financière de destruction massive’’.

    La panique s’est répandue à travers les frontières, à mesure que les banques européennes se trouvaient tout à coup à cours de dollars pour rembourser leurs emprunts souscrits en dollars, ce qui a forcé la Banque fédérale des États-Unis à injecter 11.000 milliards de dollars de liquidités pour maintenir le système à flot. Toutefois, même cette somme était minuscule en comparaison du plan de relance mis en place par la Chine.

    Le retour de la crise

    La rencontre annuelle des milliardaires du monde entier s’est tenue à Davos en janvier dernier. Il y avait là très peu d’optimisme, tant s’accumulent les problèmes géopolitiques, économiques et sociaux, qui s’élèvent comme des spectres qui viennent les hanter.

    Les failles grandissantes du monde capitaliste étaient on ne peut mieux illustrées par l’absence flagrante de Donald Trump, d’Emmanuel Macron et de Theresa May, tous bloqués chez eux du fait de la situation explosive dans leurs pays respectifs (paralysie de l’administration, mouvement des Gilets jaunes, négociation du Brexit).

    Davos a révélé les inquiétudes des dirigeants du monde. Ils sont à présent forcés de reconnaitre les signes évidents d’un ralentissement de la croissance économique mondiale. Le danger que représente la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis, la baisse de la croissance chinoise (qui a atteint son point le plus bas en 30 ans), le bouillonnement d’une nouvelle crise de la dette, la récession en Italie et la possibilité d’un Brexit sans accord auront tous des conséquences extrêmement graves et incertaines pour le système au niveau mondial.

    En Occident, le coût total de la recapitalisation des banques en faillite et de l’effacement des dettes a dépassé les 14.000 milliards de dollars. En ramenant les taux d’intérêt à un niveau historiquement bas et en appliquant un ‘‘assouplissement quantitatif’’ qui a permis aux banques centrales d’acheter des titres sur le marché afin d’accroitre la quantité d’argent en circulation. C’est ainsi qu’ils ont évité, de justesse, l’effondrement complet du système économique.

    Ces mesures d’urgence n’ont cependant pas permis une reprise durable. Au lieu de ça, elles ont contribué à un gonflement des prix des actifs ; dans de nombreux pays, la dette des consommateurs a de nouveau très vite atteint son niveau d’avant 2008. Les causes réelles du dernier crash ont été ignorées. La valeur totale de la dette mondiale (tant pour le public que pour le privé) a maintenant atteint le record historique de 182.000 milliards de dollars.

    En 2018, on a vu à deux reprises des mouvements de panique à Wall Street (la bourse de New York), suscités par l’instabilité de la croissance et l’impact qu’aura le durcissement de la politique monétaire des États-Unis. En février 2018, 4.000 millions de dollars ont été effacés des marchés boursiers mondiaux en à peine deux jours. La reprise boursière qui s’est ensuivie aux États-Unis a été spectaculaire ; mais entre octobre 2018 et janvier 2019, on a assisté à une nouvelle série de baisses qui ont fait s’évaporer 20 % de la ‘‘valeur’’ du marché des actions.

    Malgré les messages réconfortants de la part des grandes banques, qui affirment avoir nettoyé leurs comptes, de troublants parallèles refont surface. Les plus grandes banques du monde sont devenues encore plus grandes : le pourcentage d’actifs détenus par les cinq plus grandes banques n’a fait qu’augmenter, ce qui suscite des craintes du fait que ces banques restent trop importantes pour pouvoir tomber en cas de nouvelle crise.

    En février de l’an passé, Chris Cole, directeur d’un fonds spéculatif états-unien, a décidé de quitter son travail qui consiste à brasser des millions issus de couvertures financières, en faisant ce commentaire cynique : « Le système tout entier est comme un serpent qui mange sa propre queue. Nous sommes sur le point de connaitre une crise financière à grande échelle, de même ampleur que la dernière, si pas pire. »

    Un autre signe de l’épuisement de la qualité du crédit sur les marchés internationaux est la détérioration des émissions obligataires médianes. Depuis 1980, celles-ci sont passées de ‘‘A’’ à ‘‘BBB’’, soit un cran au-dessus du statut ‘‘à risque’’.

    Le déclenchement de guerres commerciales

    La présidence Trump a ajouté un nouvel élément d’imprévisibilité dans une situation par ailleurs déjà explosive. Les tensions commerciales entre les États-Unis et la Chine restent non résolues, et pourraient encore empirer en mars. Trump vitupère contre la Chine en l’accusant de cyber-espionnage et de vol de propriétés intellectuelles états-uniennes.

    Bien que les divergences entre les États-Unis, le Mexique et le Canada quant à l’Accord de libre-échange nord-américain se soient un peu calmées, l’Union européenne a été frappée en mars dernier par une hausse de 25 % des taxes douanières sur les importations d’acier et de 10 % sur les importations d’aluminium. Elle a répliqué en juin par une hausse de ses propres taxes sur les produits états-uniens.

    Ces mesures ouvertement protectionnistes compliquent une situation déjà très tendue du point de vue des relations inter-impérialistes. Ces taxes augmentent le coût des importations, et donc les frais pour les entreprises, ce qui nuit aux profits. De plus, la réduction de la croissance mondiale a un effet contraire sur les exportations des États-Unis.

    Trump tonne contre l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qu’il soupçonne d’être hostile aux intérêts des États-Unis. Cette organisation a été créée il y a 20 ans par les capitalistes qui, alors, croyaient étaient convaincus que le processus de mondialisation était irréversible. Dans un entretien avec Bloomberg en septembre, il menaçait : ‘‘S’ils ne se ravisent pas, je me retire de leur organisation’’.

    Les tensions commerciales internationales actuelles soulignent un revirement de politique qui a commencé en 2008, entretenu par les politiciens de droite populiste qui s’en prennent, de façon démagogique, à la ‘‘mondialisation’’ et ses institutions, comme l’Union européenne, en exigeant un retour à la protection de leurs ‘‘intérêts nationaux’’.

    Dans son édition du 24 janvier, la revue The Economist décrit cette période de repli partiel vers le protectionnisme comme celle de la ‘‘mondialisation ralentie’’, faisant remarquer que la valeur mondiale des investissements transfrontaliers par les entreprises multinationales est tombée de 20 % rien qu’en 2018.

    Le commerce mondial connait un ralentissement qui, avec la remise en cause des accords internationaux par les États-Unis, réduit d’autant les chances d’une réaction coordonnée à la future crise économique.

    L’économie des États-Unis

    La hausse des incertitudes est également illustrée par la rupture à peine camouflée entre Trump et la Banque centrale des États-Unis sur la question des taux d’intérêt et de la durabilité de la reprise.

    L’économie états-unienne semble robuste, avec une croissance de 4,1 % au dernier trimestre de 2018. Pourtant, le taux de croissance moyen dans la phase actuelle de ‘reprise’’ n’a été que de 2,2 %. On est très loin des 4,9 % par an en moyenne pendant les années 1960, ou même des 3,6 % par an pendant les années 1990. Cette ‘‘reprise’’ est le premier cycle de croissance depuis 1945 pendant lequel il n’y a pas eu au moins une année à plus de 3 %.

    Depuis 2014, le dollar a connu une hausse de sa valeur de près de 25 %, du fait de la bonne performance de l’économie états-unienne et de la hausse des taux d’intérêt. Cette revalorisation du dollar a fortement endommagé les économies des pays en développement, qui ont vu les dollars abandonner leur territoire pour partir profiter des taux d’intérêt supérieurs aux États-Unis. La Turquie et l’Argentine ont particulièrement souffert de ce processus.

    Trump a diminué les taxes sur les grandes entreprises de 35 % à 21 %. Mais de nombreuses entreprises états-uniennes ont utilisé cette hausse de leurs profits non pour investir, mais pour racheter leurs propres actions et mettre à l’abri d’immenses piles d’argent. Ceci indique un manque de confiance dans la profitabilité sur le long terme des investissements dans l’industrie.

    Maintenant que la Banque fédérale des États-Unis revient sur sa politique d’assouplissement quantitatif par le rachat des bons d’État, le pays est maintenant confronté à une politique de resserrement quantitatif. L’assouplissement quantitatif avait pour but de soutenir la croissance des valeurs des actifs, des actions et de l’immobilier. Le resserrement quantitatif a l’objectif contraire.

    Certains indicateurs financiers des États-Unis commencent à clignoter en rouge. De nombreux économistes sont à présent convaincus qu’une correction du marché en profondeur pointe à l’horizon. Cette correction pourrait provenir du secteur financier, déclenchée peut-être cette fois par le désarroi sur le marché des fonds négociés en bourse, des produits financiers qui offrent une diversification des risques.

    Dans les maisons de commerce dirigées par des algorithmes capables de faire monter de 10 % la valeur des bons du Trésor états-unien en quelques minutes, ces instruments demeurent non testés et susceptibles aux effets des vagues de ventes à grande échelle causées par les vents de panique.

    Trump pense pouvoir remporter un second mandat du fait de la vigueur de l’économie. Mais si la récession devait à nouveau frapper, il aura certainement à lutter pour pouvoir être réélu.

    Le mois passé, le géant Apple a connu des pertes – ce pourrait être là aussi un signe avant-coureur de la crise à venir. Et lorsque le secrétaire au Trésor des États-Unis, Steve Mnuchin, a déclaré sans prévenir en décembre que ‘‘Les banques sont suffisamment pourvues en liquidités’’, cela a causé une nouvelle panique sur les marchés.

    Le syndrome chinois

    Le ralentissement de la Chine aussi suscite de nouvelles tensions. La Chine produit 16 % du PIB mondial aujourd’hui, contre 6 % en 2018. Mais dans la même période, elle a vu son taux d’endettement passer de 150 % de son PIB à 300 %.

    La hausse des taxes douanières aux États-Unis ont infligé un rude coup à l’économie chinoise. Et les États-Unis menacent de nouvelles hausses de taxe pour un montant total de 300 milliards de dollars ce mois-ci au cas où Beijing refuserait de signer certains accords. La Chine est extrêmement vulnérable à une guerre commerciale ouverte.

    Les tensions sociales augmentent aussi : l’année 2018 a connu plus de 1700 mouvements de grèves dans le pays, dont la majorité était liés aux vagues de licenciements dans les entreprises poussées à la faillite par la dette.

    Bien qu’il soit impossible de pointer du doigt la cause immédiate ou le moment précis de la prochaine récession, tout comme il est impossible de définir à l’avance sa gravité, il semble bien que cette fois-ci, il sera bien plus difficile cette fois pour les gouvernements capitalistes du monde de parvenir à un plan coordonné et rapide pour y faire face, vu la division croissante entre eux.

    Perspectives

    On pourrait voir un effondrement boursier, une crise de la dette déclenchée par la hausse des taux d’intérêt (surtout dans les pays en développement), des faillites de banques qui entraineraient une crise financière, ou un choc pétrolier découlant des ingérences des États-Unis dans la politique iranienne.

    Après 2008, les ministères des Finances et les banques centrales avaient réduit leurs taux directeurs à des niveaux historiquement bas et surchargé l’économie mondiale par l’assouplissement quantitatif. Mais de ce fait, aujourd’hui, leur capacité d’intervention financière est complètement épuisée. Cela signifie que la prochaine récession ou le prochain crash sera bien plus lourd de conséquences que ce que l’on a connu.

    À toutes ces failles structurelles du capitalisme, s’ajoute le rapport bouleversant du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, qui avertit que le monde n’a plus que 12 ans pour prendre les mesures nécessaires afin d’éviter une catastrophe à l’échelle planétaire.

    Lorsque la crise a frappé en 2008, la classe prolétaire était trop abasourdie et mal préparée pour pouvoir riposter. Elle a été dupée, trahie et abandonnée par les partis sociaux-démocrates qui adhéraient à l’idée de l’infaillibilité du marché. Les trahisons comme en Grèce et ailleurs ont eu pour conséquence que le capitalisme a fini par être renfloué, à nos dépens.

    La prochaine crise sera différente. Partout dans le monde, les prolétaires, les travailleurs et les jeunes sont en train de se radicaliser. Ils seront plus à même de riposter et de construire de nouveaux partis prolétariens de masse capables de mettre un terme au règne du capital, plutôt que de s’y soumettre.

    Le programme du marxisme sera repris à l’échelle internationale afin d’armer la nouvelle génération des armes politiques dont elle a besoin pour anéantir la dictature du marché et la reléguer à jamais aux poubelles de l’histoire.

  • Le mouvement climatique à un carrefour : qui sont nos alliés naturels ?

    Depuis la marche historique pour le climat du 2 décembre 2018 et, surtout, depuis le début des grèves scolaires pour le climat le 10 janvier 2019, un mouvement historique et inédit s’est développé dans notre pays. La Belgique s’est retrouvée en toute première ligne des mobilisations internationales pour le climat et l’environnement. Parmi les manifestants et leurs sympathisants, un consensus semble régner : celui de transformer la société pour qu’elle respecte notre planète mais aussi tous ses habitants, dont les plus vulnérables. ‘‘Pas de justice climatique sans justice sociale’’ a-t-on pu régulièrement entendre. La vague pour le climat a le potentiel de devenir un tsunami qui pourrait balayer ces pratiques par lesquelles la planète bleue est sacrifiée au profit du billet vert.

    Par Nicolas Croes

    L’unité la plus large possible… mais à quel prix ?

    Le 5 février, une campagne appelant à une politique climatique forte en Belgique a été lancée en grande pompe. En une semaine à peine, sa pétition ‘‘Sign for my future’’ avait déjà récolté 100.000 signatures. La coalition à la base du projet estimait à juste titre qu’il s’agissait d’un ‘‘signal fort qui démontre que cette thématique fait partie des préoccupations de la population’’. Après les dizaines de manifestations de la jeunesse et les grandes marches pour le climat du 2 décembre et du 27 janvier, c’était déjà évident.

    La coalition se targue d’être la plus vaste mise sur pied pour ‘‘faire pression sur les élus’’ en matière climatique. Elle réunit des collectifs (Bruxsel’air, Youth For Climate,…), des ONG (CNCD, WWF, Unicef, Médecins du Monde,…), des universités (UMons, UGent,…), des médias (Roularta, RTL, IPM,…), mais aussi la fédération patronale Agoria, la Chambre de commerce et d’industrie de Bruxelles et enfin des entreprises telles que BNP Paribas, KBC, ING, bpost, Colruyt, Ikea, Proximus ou encore Solvay.

    Disons-le clairement : l’opération vise à brouiller les pistes en masquant la responsabilité des grands pollueurs. Il est à déplorer que diverses ONG et collectifs se soient laissés ainsi prendre au piège ou, pire encore, soient convaincues que l’urgence climatique implique de trouver des compromis avec des banques qui investissent dans les énergies fossiles !

    Il n’y a pas si longtemps, début 2017, le CNCD 11.11.11 (coupole d’ONG et associations belges francophones et germanophones engagées dans la solidarité internationale) a publié un rapport sur les investissements dans vingt sociétés minières controversées, notamment des mines de charbon. De celui-ci ressortait que BNP Paribas, ING Bank et KBC Bank ont respectivement investi 448 millions, 399,5 millions et 111 millions d’euros dans les sociétés minières Glencore, Vale et BHP Billiton en 2017.(1)

    Les géants miniers Vale et BHP Billiton sont directement impliqués dans le ‘‘Fukushima brésilien’’ la pire catastrophe écologique du Brésil survenue en 2015. Une vingtaine de personnes y ont trouvé la mort, des déchets toxiques miniers ont parcouru 600 kilomètres à travers le Rio Doce et la population s’est retrouvée sans moyens de subsistance. Les recherches de la police fédérale ont montré que Samarco, l’entreprise responsable (une coentreprise des multinationales Vale et BHP Billiton) était consciente du risque du barrage et qu’elle en faisait trop peu pour éviter la catastrophe.

    Comment le CNCD – organisation qui a participé à la divulgation de ces faits – peut-il aujourd’hui accepter de se retrouver côte-à-côte avec de telles banques ?! Et à côté de Nathalie Guillaume, Corporate Affairs Director de la multinationale agroalimentaire Danone, multinationale qui a fait pression sur plusieurs États membres de l’Union européenne pour rejeter une proposition imposant des normes plus strictes pour les emballages en plastique ? De Solvay, membre du groupe de lobbying PlasticsEurope ? De JCDecaux et ses panneaux publicitaires digitaux énergivores ? D’EDF Luminus ? Sans surprise, ‘‘Sign for my future’’ soutient d’ailleurs le marché du carbone européen, un instrument qui permet aux entreprises les plus polluantes de continuer à émettre des gaz à effet de serre sans trop dépenser d’argent.

    En grève pour le climat !

    Si le CNCD avait dénoncé cette opération de greenwashing, il y a fort à parier que Youth for Climate ne se serait pas non plus retrouvé embarqué dans cette galère. Bien heureusement, cela n’a pas empêché Youth for Climate d’appeler les syndicats à rejoindre la grève mondiale pour le climat prévue pour le 15 mars. Au moment d’écrire ces lignes, le président de la CSC Marc Leemans avait déclaré : ‘‘Nous soutenons la mobilisation et appelons même à y participer. Mais nous n’introduirons pas de préavis de grève’’. Quant à la FGTB, elle soutient le mouvement mais laisse la décision aux centrales professionnelles. La Centrale Générale (qui compte plus de 430.000 membres) a déjà fait savoir qu’elle déposerait un préavis de grève. Nous espérons qu’une pression suffisante permettra au plus grand nombre de travailleurs de rejoindre la grève pour le climat.

    Le 20 février, 300 chercheurs de France et de Belgique ont appelé à participer à la grève climatique mondiale en dénonçant ‘‘les actuels détenteurs du pouvoir économique, ceux pour qui seul compte de vendre plus, quel que soit ce qui est vendu et ses conséquences ; ceux qui maintiennent des procédures biaisées d’évaluation du risque des pesticides et autres substances dangereuses ; ceux qui proposent des investissements juteux dans les produits fossiles’’ et ceux qui ‘‘signent des accords commerciaux multilatéraux assortis d’une justice féodale à la solde de géants industriels ; ceux qui orientent la colère des foules vers des cibles trompeuses ou secondaires.’’(2) Ils disent comprendre la radicalité des activistes ‘‘bien faible face à celle de ceux qui veulent nous faire survivre hors sol, ou nous promettent de nous conduire sur Mars, c’est-à-dire sur une planète morte, après avoir rendu la nôtre impropre à la vie !’’

    Comment parvenir au ‘‘grand basculement’’ ?

    Selon un sondage réalisé pour Le Soir, RTL-TVi, VTM et Het Laatste Nieuws par Ipsos, plus de huit personnes interrogées sur dix se disent ‘‘très inquiètes’’ ou ‘‘plutôt inquiètes’’ vis-à-vis du climat en Belgique. L’humanité fait face à un tournant crucial, peu nombreux sont ceux qui osent encore contester cela. Pour l’establishment, le capitalisme est le seul système de société qui fonctionne. La noblesse féodale et les esclavagistes avant elle prétendaient de même à leur époque concernant leurs systèmes. Chaque système fonctionne, sinon il n’existerait pas. Il répond toujours à un certain degré de développement de nos capacités productives. Dès qu’un système de société devient un frein au progrès scientifique et technique, il provoque le chaos plutôt que le progrès. C’est alors que le moteur de l’histoire se déclenche; la lutte des classes.

    La classe des travailleurs – tous ceux qui créent de la richesse en vendant leur force de travail contre un salaire et qui sont source de valeur ajoutée – représente aujourd’hui la majorité de la population mondiale. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), cela concerne pas moins de 3,4 milliards de personnes. Sans cette main-d’œuvre, les capitalistes ne peuvent pas faire de profits. Leur système ne fonctionne pas sans notre travail. Toute la richesse provient de notre travail et de la nature. Le capitalisme sape les deux sources de richesse, comme le disait déjà Marx en son temps.

    C’est cette réalité qui éclate au grand jour dans une grève, par le blocage de l’économie. Il n’existe pas de moyen plus puissant pour affronter le capitalisme et poser la question d’une réelle démocratie, c’est-à-dire un système où ceux qui produisent les richesses décideraient de la manière de les produire et de les utiliser ensuite. Bien entendu, une grève, même générale, d’une seule journée sera insuffisante pour délivrer un changement véritable. Mais l’appel pour le 15 mars constitue un pas audacieux sur la voie à suivre pour construire un puissant mouvement capable de renverser l’économie capitaliste pour instaurer une véritable transition écologique grâce à la planification démocratique de l’économie et à l’appropriation collective des secteurs d’activité stratégiques. C’est ce que nous appelons le socialisme.

    (1) https://bankwijzer.be/fr/actualit%C3%A9s/2018/investissements-dans-les-sci%C3%A9t%C3%A9s-mini%C3%A8res-controvers%C3%A9es/
    (2) https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/02/20/nous-scientifiques-ferons-aussi-la-greve-scolaire-du-15-mars_5425917_3232.html

  • Journée internationale de lutte pour les droits des femmes & lutte pour le socialisme

    Ce sont les ouvrières russes du textile qui, il y a 100 ans, le 8 mars 1917 ont donné le coup d’envoi à la révolution de Février. À l’occasion de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, elles sont descendues en masse manifester dans les rues de Saint-Pétersbourg aux abords des usines pour protester contre l’explosion des prix des denrées alimentaires en conséquence de la guerre. Ce fut le début d’une période de lutte intense qui se traduira par la prise du pouvoir par les soviets et la création du premier état ouvrier.

    Par Anja Deschoemacker et Liesje (Gand), article de 2017

    Cette révolution a eu un énorme écho international et a signifié un immense pas en avant pour le mouvement ouvrier. En ce qui concerne les conditions de vie et de travail des femmes, ce sont des pas de géants qui ont été réalisés. Les mesures prises il y a 100 ans ont représenté une amélioration fondamentale des conditions de vie des femmes (et des hommes). Ces réalisations sont, pour l’époque, phénoménales en comparaison de ce que les pays occidentaux dits “développés” avaient alors à offrir.

    Le jeune état ouvrier russe a légalisé le droit à l’avortement en 1920. Aux Pays-Bas, ce ne fut le cas qu’en 1981 et en Belgique en 1990. L’accès au divorce a été facilité et les droits qu’avaient les hommes mariés sur leur femme ont disparu. En Belgique, refuser des rapports sexuels au sein d’un couple marié a été longtemps considéré comme un non-respect des devoirs qu’impliquait le mariage. C’est seulement depuis 1989 que le viol au sein du mariage est officiellement reconnu et donc punissable. Le congé de maternité est introduit en Russie juste après la révolution alors qu’il a fallu attendre l’après-Seconde Guerre mondiale pour l’obtenir en Belgique. Le travail de nuit pour les enfants a été interdit alors que dans la même période les enfants étaient encore envoyés dans les mines en Belgique.

    Les acquis de la révolution russe sont donc énormes (cette énumération n’en est qu’une petite partie) et indiquent clairement ce qui est possible dans une société où la logique du profit cesse de prévaloir et où les richesses existantes sont utilisées pour répondre aux besoins de la majorité de la population. On peut aujourd’hui se demander : si cela a déjà été possible dans les conditions de développement de la Russie de 1917, qu’est-ce qui serait aujourd’hui possible si la science et la technologie, le développement économique et la richesse actuelle étaient mis au service de la majorité de la population et non pas pour répondre aux intérêts d’une élite toujours plus petite?!

    L’origine de la Journée internationale de lutte pour les droits des Femmes

    La Journée internationale de lutte pour les droits des Femmes trouve son origine dans une grève de travailleuses de l’industrie textile et du vêtement à New York, menée pour une journée de travail de 8 heures, pour de meilleures conditions de travail et pour le droit de vote des femmes, le 8 mars 1908. L’année suivante, un appel du Socialist Party américain a débouché sur une lutte de plusieurs semaines pour de meilleurs salaires et conditions de travail, dans laquelle 30?000 travailleuses ont été impliquées. Cette journée est restée longtemps un jour de fête et de lutte pour les organisations de femmes du mouvement ouvrier, même si la mobilisation s’affaiblissait d’année en année.

    De ce point de vue, l’histoire de l’origine de la Journée internationale de lutte pour les droits des Femmes ressemble beaucoup à celle du 1er Mai. Tout comme celle-ci, elle célèbre des actions qui ont eu lieu aux États-Unis et qui ont été ensuite reprises internationalement par le mouvement ouvrier organisé. La première célébration internationale, celle qui a été en ce sens la première véritable Journée internationale de lutte pour les droits des Femmes, date de 1911.

    La Journée de lutte pour les droits des Femmes du 8 mars 1917 fut cependant la plus tumultueuse et la plus enthousiasmante. Celle aussi qui a eu le plus de conséquences : elle annonçait le début de la Révolution russe. Ce n’est qu’en 1922, à l’appel de l’Internationale Communiste, que la journée a été fixée à une date qui s’est imposée à travers le monde : le 8 mars.

    Cette date trouve sa source dans la Russie du début du 20e siècle, une période où le capitalisme exigeait la participation active des femmes dans l’économie du pays. Chaque année, le nombre de femmes qui devaient travailler dans les usines et les ateliers ou comme domestiques augmentait. Les femmes travaillaient ensemble avec les hommes et elles créaient, de leurs mains, une partie de la richesse du pays. Pourtant, les femmes n’avaient pas le droit de vote.

    Les femmes ont lutté pour l’acceptation de leurs revendications au sein du mouvement ouvrier

    L’acceptation de la revendication du droit de vote des femmes n’était pas évidente dans l’Internationale Socialiste (aussi connue comme la Deuxième Internationale), tout comme ne l’était d’ailleurs pas l’ensemble de la lutte pour les droits des femmes. L’organisation en 1907 par Clara Zetkin et les femmes socialistes allemandes d’une Conférence internationale des Femmes Socialistes – la veille de la Conférence de la Deuxième internationale – a marqué les origines du mouvement de défense des droits des femmes au sein du mouvement socialiste. Une motion y est votée par laquelle les partis adhérents à la Deuxième Internationale s’engagent à lutter pour le droit de vote des hommes et des femmes.

    Clara Zetkin était une figure importante dans le parti socialiste allemand, une socialiste convaincue et une championne des droits des femmes, mais aussi une opposante déterminée au féminisme bourgeois. Lors de la réunion où a été décidée la mise sur pied de la Deuxième Internationale (1889), elle avait déjà argumenté que le socialisme ne pouvait pas exister sans les femmes, que les hommes devaient lutter ensemble avec les femmes pour les droits des femmes et que cette lutte faisait partie de la lutte des classes. La réponse peu encourageante qu’elle reçut l’a conduite à prendre l’initiative d’un mouvement socialiste des femmes, ayant pour but d’influencer les partis socialistes. Elle essaya d’acquérir et d’élargir cette influence avec le journal femme socialiste « Die Gleichheit », dont elle était rédactrice en chef.

    Mais, malgré l’acceptation de la résolution, l’enthousiasme pour le droit de vote des femmes était tiède dans la plupart des partis socialistes. Pour changer cela et pour impliquer davantage les femmes dans la lutte, la deuxième Conférence internationale des Femmes Socialistes (1910) a décidé de tenir chaque année une journée internationale de lutte pour les droits des femmes, une journée pendant laquelle on manifesterait, on ferait de la propagande,… En 1911, la Journée internationale de lutte pour les droits des Femmes est célébrée en Allemagne, en Autriche, au Danemark, en Suisse et aux États-Unis. La liste des pays participants s’est allongée jusqu’à la Première Guerre mondiale.

    Cette guerre n’a pas seulement signifié un massacre, mais également la désintégration de la Deuxième Internationale. Le soutien à la guerre des différents partis socialistes – d’abord la social-démocratie allemande et ensuite tous les partis de la Deuxième Internationale – montre que, dans le cadre d’une analyse réformiste, le soutien à la bourgeoisie nationale avait pris le dessus sur l’internationalisme, sur le refus de laisser les travailleurs de “son” pays tirer sur ceux d’autres pays, et ce au seul bénéfice de leur propre bourgeoisie belliqueuse. Le seul parti qui est resté fidèle aux principes internationalistes du socialisme a été le Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie et en particulier son aile gauche majoritaire (les bolcheviks), sous la direction de Lénine et suivie dans cette voie par une partie de l’aile gauche de l’Internationale Socialiste (la Deuxième Internationale).

    L’organisation internationale des femmes a continué d’exister et s’est rangée dans le camp anti-guerre. Les femmes socialistes allemandes, au contraire de la direction du Parti Social-Démocrate allemand, ont aussi continué à mobiliser contre la guerre et contre la répression de l’État. En 1914 notamment, elles ont milité contre la guerre qui approchait à grands pas et contre l’arrestation de Rosa Luxembourg, qui participait avec Clara Zetkin à la direction des groupes de gauche au sein du SPD.

    Les protestations à l’occasion de la Journée internationale de lutte pour les droits des Femmes ouvrent la voie à la Révolution de février en Russie

    Pendant la guerre, les femmes socialistes ont poursuivi les actions de protestation à l’occasion de la Journée internationale de lutte pour les droits des Femmes, dont la date varie alors entre le 23 février et le 18 mars. Ces protestations étaient fortement centrées sur le manque de vivres et les prix élevés de la nourriture provoqués par la guerre ainsi que sur l’opposition à la guerre elle-même.

    C’est ainsi que les femmes socialistes italiennes de Turin ont diffusé une affiche, adressée aux femmes des quartiers ouvriers. L’arrière-plan de leur propagande, c’est alors l’augmentation générale des prix de la nourriture de base, comme la farine (dont le prix a grimpé de 88 % entre 1910 et janvier 1917) et les pommes de terre (+ 134 %). Ces affiches disaient : “N’avons-nous pas assez souffert à cause de cette guerre?? Maintenant la nourriture nécessaire à nos enfants commence aussi à disparaitre. (…) Nous crions : à bas les armes?! Nous faisons tous partie de la même famille. Nous voulons la paix. Nous devons montrer que les femmes peuvent protéger ceux qui dépendent d’elles.”

    Mais les protestations les plus spectaculaires ont eu lieu lors de la célébration de la Journée internationale de lutte pour les droits des Femmes en 1917 en Russie. Sous la direction d’Alexandra Kollontaï, les femmes russes sont descendues dans les rues. Au centre de leurs préoccupations se trouvaient les conditions de vie qui continuaient à empirer. Le loyer d’un logement à Saint-Pétersbourg avait doublé entre 1905 et 1915. Les prix des produits alimentaires, surtout ceux de la farine et du pain, avaient augmenté de 80 à 120 % dans la plupart des villes européennes. Le prix d’une livre de pain de seigle, qui était la base de la nourriture des familles ouvrières de Saint-Pétersbourg, était monté de 3 kopecks en 1913 à 18 kopecks en 1916. Même le prix du savon avait augmenté de 245 %. Une spéculation énorme et un marché noir de la nourriture et de l’énergie se développaient à toute allure alors que les entreprises fermaient leurs portes les unes après les autres faute d’énergie. Les femmes et les hommes qui étaient licenciés partaient souvent en grève. En janvier et février 1917, plus d’un demi-million de travailleurs russes ont ainsi fait grève, surtout à Saint-Pétersbourg. Comme dans les autres pays impliqués dans la guerre, les femmes formaient une grande partie de ces travailleurs, vu que beaucoup d’hommes avaient été envoyés au front.

    À l’occasion de la Journée internationale de lutte pour les droits des Femmes (le 23 février du calendrier russe correspond au 8 mars), des ouvrières ont organisé une manifestation passant le long des usines de Saint-Pétersbourg. Beaucoup de travailleurs des usines métallurgiques ont rejoint cette action. Le 25 février, deux jours après le début de l’insurrection des femmes, le Tsar a ordonné que l’armée tire sur les masses pour arrêter le mouvement. Ainsi a commencé la Révolution de Février, qui força le tsar à abdiquer le 12 mars. Le Gouvernement Provisoire qui est mis au pouvoir est le premier gouvernement d’une grande puissance à accorder le droit de vote aux femmes.

    Mais, pour le reste, ce gouvernement n’était pas du tout prêt à augmenter le niveau de vie de la majorité de la population et d’ailleurs en était incapable. Le Tsar était parti, mais les grands propriétaires fonciers et les capitalistes continuaient d’exploiter la grande partie de la population et d’accaparer les richesses. À côté de ce Gouvernement Provisoire, une autre force s’est cependant construite, les Conseils (soviets) de délégués élus des travailleurs, paysans et soldats. Ces Soviets sont entrés en concurrence avec le Gouvernement Provisoire sur la question centrale : qui va diriger le pays. De plus, le gouvernement refusait également de mettre fin à la guerre, une revendication qui gagnait toujours plus de soutien parmi les masses, en raison aussi de la campagne menée sans répit par les bolcheviks.

    Ce double pouvoir – d’un côté le Gouvernement Provisoire et de l’autre les soviets – ne pouvait pas durer longtemps. Lors de la Révolution d’Octobre, les Soviets, réunissant les représentants élus des masses laborieuses, ont répondu à l’appel des bolcheviks et ont pris le pouvoir. Ces événements ont fixé la date de la Journée internationale de lutte pour les droits des Femmes en Russie et en Europe au 8 mars. En 1922, l’Internationale Communiste (ou Troisième Internationale), mise sur pied à l’initiative de Lénine et Trotsky, a fait de cette journée un jour férié communiste.

    La dégénérescence du mouvement communiste révolutionnaire coïncide avec celle de la Journée internationale de lutte pour les droits des Femmes

    L’État ouvrier, arrivé au pouvoir par la Révolution d’Octobre, a donné aux femmes travailleuses des acquis dont les femmes en Occident ne pouvaient alors que rêver. À côté de l’égalité devant la loi, les femmes ont obtenu le droit au travail et à des régimes de travail spéciaux (diminution du temps de travail, interdiction du travail de nuit, congé de maternité,…) qui tenaient compte de la fonction sociale des mères en plus du travail hors de la maison. Et le jeune état ouvrier a aussi été le premier à prendre réellement ses responsabilités envers la majorité de la population sur le plan du logement et des services de base. Les richesses produites par la population ont été, pour la première fois, réellement utilisées pour servir les intérêts des masses par le biais d’une économie planifiée, qui avait au cœur de ses préoccupations les besoins des masses et qui également avait été élaborée dans une première période de manière démocratique à travers les soviets, les conseils des travailleurs, paysans et soldats.

    Mais le jeune État ouvrier a fait beaucoup plus encore. L’oppression des femmes est en effet un problème plus profond qu’une simple question de revenu et de salaire. Le droit à l’avortement, la possibilité de divorcer plus facilement, l’abolition des “droits” que les hommes avaient sur les femmes dans le mariage,… tout cela a fait partie des acquis des femmes de la classe ouvrière en Russie – des acquis que les femmes en occident ont dû attendre longtemps encore. Afin de stimuler et d’aider les femmes à sortir de leur foyer et à s’engager dans la société, un travail de formation à grande échelle a aussi été mis sur pied, au moyen de campagnes d’alphabétisation dans les zones rurales et d’un travail de formation pour élever le niveau culturel. Des femmes socialistes ont parcouru cet immense pays pour expliquer aux femmes les droits dont elles disposaient.

    Mais la Révolution Russe ne pouvait pas tenir debout et évoluer vers une société socialiste dans l’isolement total dans lequel se trouvait le pays après la défaite des mouvements révolutionnaires en Europe, et tout particulièrement en Allemagne. Ces défaites se sont succédé surtout à cause de la trahison des dirigeants des partis socialistes de la Deuxième Internationale. La société russe se heurtait à un manque de développement technique, à une arriération culturelle dans les vastes régions rurales,… et était en plus entraînée dans une guerre sans fin : les puissances capitalistes de l’extérieur faisant tout pour aider l’ancienne élite dirigeante russe à reprendre le pouvoir, en bloquant les relations commerciales, mais aussi en envoyant des troupes (les armées de 21 pays ont ainsi foncé à travers le territoire russe). La poursuite de la guerre imposée à la société russe a conduit à des famines dans différentes parties du pays.

    Le soutien – ouvert et concret – donné par tous les partis russes, excepté les bolcheviks, à la contre-révolution a conduit à une situation dans laquelle de plus en plus de partis ont été mis hors-la-loi. Cette période de “communisme de guerre” est toujours perçue, même aujourd’hui, par une série de partis communistes comme un “modèle” alors qu’il ne s’agissait que d’une adaptation à la guerre, concrète et nécessaire, imposée au jeune État ouvrier. Beaucoup de penseurs bourgeois mettent cela en avant pour montrer combien le “communisme” est “antidémocratique” – bien que dans les pays capitalistes la démocratie ait également été suspendue en temps de guerre et parfois d’une manière encore plus profonde qu’en Russie.

    Mais l’échec des révolutions en Europe occidentale et les difficultés économiques internes dans un pays détruit par la guerre ont fait qu’en Russie, une bureaucratie a pu concentrer dans ses mains toujours plus de pouvoir. Cette bureaucratie, sous la direction de Staline, a progressivement étranglé toute opposition et a remplacé le fonctionnement démocratique de l’économie planifiée par son propre pouvoir tout-puissant. Cette prise de pouvoir de la bureaucratie s’est marquée aussi à travers l’adaptation graduelle du programme du Parti Communiste russe envers les femmes, qui a glissé de plus en plus vers la glorification de la maternité et de la famille nucléaire dans laquelle la mère préoccupée du bien-être de la famille occupait la place centrale.

    Parallèlement, l’Internationale Communiste (la Troisième Internationale) est devenue partout dans le monde un instrument de cette bureaucratie russe, donnant chaque jour davantage la priorité aux intérêts de la politique extérieure de l’URSS sur les intérêts de la classe ouvrière dans le reste du monde. C’est ainsi qu’a commencé une longue chaîne de trahisons, débutant avec la première Révolution Chinoise dans les années ’20 (au cours de laquelle le Parti Communiste chinois a été forcé d’aider le Kouo-Min-Tang, le parti bourgeois nationaliste au pouvoir), se poursuivant avec la guerre civile espagnole en 1936-39 (au cours de laquelle le Parti Communiste espagnol a notamment utilisé son influence pour retirer leurs armes aux femmes ouvrières et les cantonner au rôle de cuisinières et d’infirmières dans l’armée), dans laquelle les intérêts des travailleurs et paysans espagnols ont reçu une importance bien moindre que les accords que Staline avait conclus avec différents pays capitalistes (ce qui a mené à la victoire de Franco) ou encore avec la Révolution Iranienne de 1979 (au cours de laquelle le Parti Communiste iranien a refusé de jouer un rôle indépendant et de diriger lui-même la lutte, a apporté son soutien à Khomeiny et a totalement abandonné les femmes iraniennes à leur sort. Dans ce cadre, la Journée internationale de lutte pour les droits des Femmes a changé de nature dans les pays staliniens pour devenir une sorte de fête des Mères ou de Saint-Valentin, un jour où les femmes reçoivent des petits cadeaux et des fleurs.

    Relance de la lutte des femmes dans les années ‘60

    Dans le reste du monde, la Journée internationale de lutte pour les droits des Femmes a été de plus en plus oubliée pour n’être reprise qu’à la fin des années ’60 par le nouveau mouvement féministe, ce qu’on a appelé la “deuxième vague” (après une “première vague” pour le droit de vote). C’est également la période durant laquelle d’autres mouvements d’émancipation, comme le mouvement pour les droits pour les homosexuels, a connu une forte poussée.

    Les années ’60 ont vu un grand afflux de femmes sur le marché du travail. Vu le chômage très bas, les femmes ont été stimulées à aller revendiquer leur place au travail. La nouvelle vague féministe s’est donc développée sur la base de ces conditions économiques favorables. En Belgique, la montée de ce mouvement a été annoncée par la grève des ouvrières de la FN d’Herstal sur la revendication “à travail égal, salaire égal”, qui a duré 12 semaines.

    Cette nouvelle vague féministe, qui a coïncidé avec le développement d’autres mouvements d’émancipation comme celui des homosexuels, avait comme objectifs d’obtenir l’indépendance économique, de rompre avec la répartition classique des rôles entre hommes et femmes, d’arracher la libération sexuelle, de casser le “plafond de verre” qui maintenait les femmes loin des hautes fonctions, y compris en politique. Dans beaucoup de pays, des acquis importants ont été obtenus grâce à cette lutte, entre autres sur les questions de la contraception et de l’avortement, de l’assouplissement des lois sur le divorce,… illustré par des slogans comme le très célèbre “maître de mon ventre” ou “le personnel est politique”.

    En termes légaux, la revendication “à travail égal, salaire égal” a été obtenue tout comme l’interdiction des discriminations professionnelles, mais sur on doit bien constater encore aujourd’hui que les salaires réels des femmes sont toujours en moyenne 25 % plus bas que ceux des hommes.

    La lutte n’est pas encore terminée

    Malgré les énormes acquis pour les femmes – l’accès à l’enseignement et au marché du travail, la légalisation de l’avortement, la facilitation des procédures de divorce, l’égalité devant la loi,… – obtenus par les luttes dans les pays capitalistes industrialisés, les problèmes ne sont pas fondamentalement résolus. Au contraire. Suite aux dizaines d’années de politique antisociale et néolibérale, un grand nombre d’acquis ont été rabotés. Et ceci touche les femmes très durement.

    Une partie d’une liste malheureusement longue :

    Un quart des femmes pensionnées ont droit à une pension de moins de 500 euros par mois. Le gouvernement Michel veut augmenter l’âge de la retraite de 65 à 67 ans d’ici 2030 et dans le même temps exige une carrière plus longue pour avoir droit à une pension complète. En 2017, il faudra une carrière de 41 ans, en 2019, de 42 ans. Les trois quarts des travailleuses (et un quart de la main-d’œuvre masculine) ne répondent pas à cette exigence de carrière. Ces mesures, auxquelles s’ajoute la suppression prévue d’un certain nombre de périodes assimilées (crédit temps, régimes de congé, chômage, études,…), aggraveront encore la situation déjà pénible des femmes au niveau des pensions.

    L’accès aux allocations d’insertion (les ex-allocations d’attente), qui avaient déjà été limitées à 3 ans par le gouvernement Di Rupo, a encore été restreint par le gouvernement Michel. Près de deux tiers des 40?000 chômeurs qui ont perdu leurs allocations de cette façon ou à qui elles ont été refusées sont des femmes, dont la moitié sont seules avec enfants. Le gouvernement Michel en a encore rajouté une couche en baissant les allocations complémentaires pour les travailleurs à temps partiel.

    Avec la loi Peeters, la demande croissante de flexibilité atteint son paroxysme. Si l’horaire d’une personne peut toujours être modifié 7 jours à l’avance, comment peut-elle encore par exemple prendre ses dispositions pour la prise en charge des enfants.

    Les coupes dans les services publics affectent doublement les femmes. Les femmes y sont surreprésentées et donc les premières victimes en tant que membres du personnel. De plus, à cause de la baisse des services, de plus en plus de tâches retombent sur les familles au lieu d’être prises en charge par la société. Et dans les ménages, les femmes prennent en charge en moyenne à 80 % des tâches ménagères.

    Nous appelons la double journée de travail, la combinaison des tâches ménagères et des soins avec le travail rémunéré. Beaucoup de femmes travaillent en dehors de la maison aujourd’hui et très peu de filles et de jeunes femmes se voient comme des futures femmes au foyer. Mais la société ne voit toujours pas les tâches ménagères et les soins – que ce soit pour les enfants, pour le mari et, à cause du coût élevé des maisons de repos combiné au faible montant des pensions, toujours plus aussi pour les parents âgés – comme des tâches sociales pour lesquelles il faut créer des services publics. Tout le poids repose dès lors sur les épaules des femmes qui subissent une double journée de travail. Cette double journée, dans la situation d’un marché du travail de plus en plus flexible, fait que beaucoup de femmes ne gagnent pas assez pour être indépendantes sur le plan financier.

    Ce manque d’indépendance financière fait que les femmes sont particulièrement vulnérables face à la violence. Même si elles veulent échapper à une relation violente, elles rencontrent plein d’obstacles sur leur route. Comment, avec les bas salaires que beaucoup de femmes subissent à cause du temps partiel, avec les titres-services et autres “petits boulots”, avec l’insécurité d’un contrat temporaire ou intérim,… trouver un nouveau logement et des revenus suffisants pour vivre, en particulier s’il y a des enfants??

    La violence contre les femmes est inhérente au capitalisme : elle fleurit sur la division et les préjugés entretenus envers les groupes spécifiques afin de diviser et de paralyser la majorité de la population qui est exploitée et opprimée par la bourgeoisie. Les femmes sont souvent confrontées au harcèlement sexuel dans l’espace public, dans les écoles et les lieux de travail, mais aussi à la violence physique et sexuelle dans leurs familles. Les préjugés envers les femmes font aussi qu’elles doivent souvent travailler bien plus dur pour être perçues comme égales aux hommes. Le sexisme installe des limitations très réelles dans la vie des femmes. Malgré les énormes pas en avant qui ont été faits et la plus grande liberté que les femmes ont aujourd’hui pour décider de leur vie, cette violence perdure.

    Une femme sur trois est confrontée un jour à la violence au cours de sa vie. En Belgique, une femme sur sept est victime de violence intrafamiliale grave et 68 % des femmes déclarent avoir un jour été victimes de violence physique ou sexuelle. Environ 70 % des femmes victimes de meurtre ont été tuées par leur partenaire. 8,9 % des femmes ont déjà été victimes avant leurs 18 ans de contact ou de relations sexuelles forcés.

    De nouvelles formes d’oppression sont aussi apparues, ou plus exactement de vieilles formes sous une nouvelle apparence. La croissance de l’internet a été utilisée par la mafia du sexe pour assurer un élargissement jamais vu de l’industrie du sexe – le porno est un des plus grands secteurs sur internet. On voit aussi une évolution vers du porno de plus en plus dur, vers la pornographie enfantine. Le porno est présent partout aujourd’hui et diverses études ont montré que cela exerce une pression sérieuse sur les jeunes femmes, en particulier sur le plan de leurs “prestations” sexuelles. Ces études ont montré que, dans 97 % du matériel pornographique, les relations entre les sexes reposent sur l’obéissance et la soumission des femmes. La plus grande partie du matériel porno déborde de clichés du genre “les femmes veulent dire oui quand elles disent non”, etc.

    Pour beaucoup de jeunes femmes qui atterrissent dans cette industrie du porno, faire des photos est une manière rapide de se faire un peu d’argent, mais cela s’avère aussi souvent être un tremplin vers la prostitution.

    Dans la société, le point de départ dans le débat au sujet de la prostitution c’est souvent la notion de ‘choix’. Cependant pour la plupart de ces filles, il n’est aucunement question de choix. Leurs ‘choix’ sont limités par la nature restreinte du capitalisme en crise. Une enquête récente dans neuf pays indique que 60 % des prostituées travaillent dans des conditions d’esclavage, que 38 % disent ne pas avoir d’autre choix en raison de la pauvreté, du racisme, du manque de possibilités et du sexisme. Seulement 2 % des prostituées interrogées pensent qu’elles peuvent arrêter cette activité à tout moment.

    Les médias grand public mettent en avant volontiers les compagnies d’escortes qui offrent de la prostitution de luxe afin de démontrer que la prostitution serait un choix. La réalité est différente. Les prostituées de luxe ne représentent qu’une petite minorité. Beaucoup de personnes qui atterrissent dans la prostitution n’ont aucune autre ‘solution’ pour survivre. Il s’agit entre autres des sans-papiers ou des personnes restées sur la touche et qui n’ont aucune source de revenus.

    En affirmant que “la prostitution est un droit humain”, Amnesty International se joint à un nombre croissant d’institutions, de personnalités publiques et même d’États qui sont mis sous pression afin de faire de l’industrie du sexe un secteur comme les autres. Une organisation des droits de l’Homme qui présente la prostitution comme faisant partie des droits de l’Homme fait naître l’illusion que la prostitution sans exploitation est possible. En fait, la position d’Amnesty International revient à dire que les hommes – ce sont en effet presque toujours des hommes qui font appel à des prostituées – ont le droit d’acheter du sexe et qu’un commerce basé sur l’oppression des femmes ne pose aucun problème. Des études menées aux Pays-Bas et en Allemagne indiquent que ceux qui font des bénéfices sur base de la vente du corps des autres – les proxénètes donc – bénéficient de la légalisation de l’industrie du sexe. La traite des personnes a même augmenté dans ces pays. La plupart des prostituées vivent encore toujours dans l’illégalité et sont vulnérables à la violence sexuelle et physique en plus des autres formes d’abus.

    Plutôt que de voir la prostitution comme un «droit de l’Homme», la nécessité de se prostituer pour de nombreuses femmes est entraînée selon nous par les manques de droits sociaux comme le droit au travail, des salaires et des allocations décents et le droit à une vie sans pauvreté. Le chômage élevé, les bas salaires et allocations, le coût élevé du logement, des soins et des services … font tout simplement que beaucoup de femmes atterrissent dans la prostitution. Et également de plus en plus d’hommes, surtout les hommes appartenant à des groupes défavorisés tels que les sans-papiers, atterrissent dans la prostitution, principalement la prostitution homosexuelle. Cela reflète la façon dont, dans la société, des couches toujours plus larges – aussi au-delà des couches traditionnellement défavorisées – atteignent une situation où leurs possibilités de faire des choix sont de plus en plus limitées.

    La prostitution n’est pas une question de “choix”, mais d’un manque de choix?! ROSA défend les droits des femmes – et des hommes – et lutte contre la criminalisation de la prostitution, ce qui a comme seul effet de pousser ce secteur à travailler encore plus “underground” et à rendre la situation des prostituées encore plus difficile. Mais pour défendre les droits des femmes, nous devons surtout, en plus de la lutte contre la criminalisation, mener une lutte pour un programme social qui offre des possibilités pour les personnes qui se prostituent de quitter la prostitution, même pour celles sans-papier . Les enquêtes réalisées à travers le monde montrent déjà que c’est ce que la majorité d’entre elles veulent.

    Nécessité d’une nouvelle Journée internationale de lutte pour les droits des femmes combative dans le cadre de la lutte pour le socialisme

    La lutte des générations précédentes pour plus d’indépendance, de liberté et d’égalité a débouché sur de nombreux acquis. Cependant, nous voyons que le capitalisme est capable de convertir tout progrès à son propre avantage et d’en faire une source de profit. Dans une société où la logique du profit continue de prévaloir, aucun acquis ne sera définitif.

    Pour arriver à un changement réel de la situation des femmes et des hommes, nous avons besoin d’une société qui fait disparaitre les bases matérielles de l’oppression. La lutte pour l’émancipation d’un groupe opprimé doit être menée par l’ensemble de la classe ouvrière. Quand celle-ci se mettra massivement en action, elle devra tirer avec elle tous les groupes opprimés. C’est ce qui s’est passé au cours de la Révolution russe. Les hommes et les femmes de la classe ouvrière ne peuvent pas se laisser diviser, mais doivent s’unir dans leur lutte pour une société dans laquelle ils y gagnent tous.

    Nous voyons dans le monde entier des femmes qui se révoltent contre la réalité quotidienne. Aux États-Unis, il y a des manifestations massives contre les déclarations sexistes de Trump. Les femmes polonaises et irlandaises luttent pour mettre fin à l’interdiction de l’avortement. En Islande, les femmes ont fait grève contre l’écart salarial. En Belgique ces dernières années, les femmes sont principalement descendues dans les rues lors des mobilisations syndicales et elles étaient massivement représentées lors des actions contre les coupes budgétaires dans le secteur non marchand.

    Le nombre de femmes et de jeunes filles qui veulent dénoncer et combattre le sexisme augmente à nouveau. Il y a un sentiment de “c’en est assez” et le mouvement féministe connait un nouvel élan. Il y a un rejet radical et marqué de toute forme de subordination et de sexisme. La volonté de s’engager dans la lutte s’accroît. Nous appelons à faire à nouveau de la Journée internationale pour les droits des femmes une journée de résistance des masses.

    Nous de luttons pas pour que plus de femmes occupent des postes élevés, telles que la PDG de Proximus, Dominique Leroy, ou la présidente de l’organisation patronale (la FEB), Michèle Sioen, et qu’elles appliquent ensuite la même politique que leurs homologues masculins, c’est-à-dire défendre les intérêts de la classe capitaliste au détriment de millions de travailleurs et travailleuses. Leur objectif et ceux de leur classe sociale ont été clairement expliqués dans un article de ‘De Tijd’, le 31 décembre 2016. Elles font pression sur le gouvernement pour qu’il mette le paquet pour une énième réduction d’impôt pour les entreprises, ce qui mènera indubitablement à des coupes supplémentaires dans la sécurité sociale, avec toutes les conséquences que cela comporte pour la vie de milliers de femmes et de leur famille. Nous n’avons justement pas besoin de telles figures emblématiques, qu’elles soient femmes ou non?! Ainsi, il est apparu que Sanders, d’inspiration socialiste, était beaucoup plus populaire auprès des femmes que Clinton, la candidate pro-Wallstreet. Cela montre que ce genre de politiques identitaires longtemps en vogue n’est pas la voie à suivre.

    La place des femmes est dans la lutte contre l’oppression, le sexisme et les économies sans fin que le capitalisme nous impose et qui rendent la vie de la plupart des femmes toujours plus difficile. C’est une lutte pour un programme et un parti qui pourrait libérer la classe entière, les hommes et les femmes, de toutes les formes d’oppressions et de discriminations. Une lutte pour un programme de transformation socialiste de la société?!

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