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  • France. Gilets Jaunes : entretien au cœur du mouvement


    “Faire le lien avec le milieu syndical, pour organiser une grève générale qui puisse bloquer l’économie de l’intérieur”

    Plusieurs mois après le début du mouvement, la colère est insatiable contre Macron et son monde. Un mouvement puissant et déterminé, même s’il connait bien sûr des hauts et des bas. Déclenché autour de la hausse des taxes sur le carburant, le mouvement s’est rapidement transformé en révolte générale contre le coût de la vie, les salaires, retraites et allocations trop faibles, les privilèges des plus riches et des élus, la manipulation de l’information par les médias établis, la violence policière et l’arrogance des élites et les manquements démocratiques. Nous avons pu discuter de ce mouvement inédit, de sa nature et de ses perspectives avec Rachel (1), Gilet Jaune organisatrice de différents blocages et manifs à Montélimar (Drôme, Sud-Est) et membre de la Gauche Révolutionnaire, organisation-sœur du PSL en France.

    “Le mouvement étonne absolument tout le monde, y compris les Gilets Jaunes, par sa durée, par la détermination des gens et la capacité à mobiliser” explique Rachel. Des mois après, et malgré les nombreuses tentatives de discréditation et de déviation, le mouvement jouit toujours d’une très grande sympathie, même si surtout encore passive.

    Depuis le début du mouvement, le gouvernement a dû reculer, peu, mais quand même : sur certaines taxes sur le pétrole et un léger bonus pour le salaire minimum. “Macron est vraiment en mauvaise posture. Il est sur un vrai champ de mine. Où qu’il aille, ça peut réexploser. Et donc il y a une certaine paralysie du programme économique que le gouvernement voulait mettre en place. Et ça, quelque part, c’est déjà une victoire.”

    La fameuse ‘lettre aux français’ de Macron, lançant le ‘Grand débat national’, est l’un de ces essais de déviation. “C’est un tentative de division. D’abord sur la question d’aller ou pas dans ce débat demandé par Macron, et deuxièmement en avançant des questions comme la procréation médicale assistée (PMA), le mariage pour tous et l’immigration. Il veut diviser un mouvement dangereux et fort.” Comment va réagir le mouvement aux appels à ‘débattre’ du président des riches ? “Des discussions que j’ai eu à notre QG, il n’y a absolument personne qui veux entrer là-dedans. Aucun gilet jaune actif avec qui j’ai pu discuter ne perçoit ce soi-disant grand débat comme quelque chose pouvant apporter une solution à nos revendications.”

    L’extrême droite et les tentatives de division

    Macron relance la discussion sur l’immigration et la laïcité. Des thèmes qui, depuis que le mouvement s’est intensifié et massifié, sont clairement plus en arrière dans les discussions et revendications parmi les Gilets Jaunes. En général, d’ailleurs, les idées racistes comme les organisations d’extrême droite sont peu présentes dans le mouvement. “Elles font beaucoup de bruit dans les médias et sur les réseaux sociaux, mais elles n’organisent pas grand-chose sur place. Beaucoup d’électeurs d’extrême droite sont par contre présents, mais n’osent pas non plus avancer ouvertement leurs idées.”

    Le mouvement fait aussi face à de nombreuses accusations d’antisémitisme. C’est, comme toujours, une tentative de diviser le mouvement et, plus largement, le soutien parmi la population. Tour à tour accusé d’être ‘anti-climat’, puis ‘complotiste’ après l’attentat de Strasbourg, le mouvement est attaqué par la classe dominante. Mise en grosse difficulté, celle-ci essaie toujours de dévier l’attention et de ‘diviser pour régner’, ou, dans ce cas : ‘diviser pour éviter un mouvement de masse de tous ceux qui ont intérêt à faire tomber Macron et son monde’.

    Dans un mouvement peu structuré, chaque personne émet une analyse ou une idée sans que celles-ci soient pour autant portées par l’ensemble du mouvement. Il est d’ailleurs particulièrement remarquable que les idées nauséabondes soient très souvent directement répondues par d’autres Gilets Jaunes, souvent plus nombreux. Mais les choses remarquables qui sont positives pour le mouvement sont très rarement relayées par les médias dominants ; elles sont peu utiles aux intérêts des puissants.

    “Dans le Gard, plus au sud, certains QG sont composés quasi que d’électeurs d’extrême-droite. Il y en a qui disent ne plus vouloir voter dans ce sens, parce qu’ils se sont impliqués dans le mouvement, avec notamment des gitans, et se sont rendus compte qu’on est tous ensemble dans la lutte.” La trahison des partis traditionnels, du PS surtout, a poussé beaucoup de travailleurs à la recherche d’une alternative politique ou même simplement d’un vote-sanction. L’absence d’une alternative correcte et claire de la part de la gauche a laissé l’espace pendant longtemps à des forces populistes de droite pour se construire, comme le Rassemblement National (ex-FN) de Marine Le Pen. Beaucoup de gens voient encore chez elle, de manière erronée, un vote plus cohérent qu’à nouveau voter pour Macron ou son camp. Il faut y apporter une alternative de gauche à ce vote anti-système.

    La France Insoumise

    “La France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon est la formation à gauche qui a la position la plus juste depuis le départ par rapport au mouvement.” De nombreuses revendications des Gilets Jaunes étaient en effet présentes dans le programme ‘L’Avenir en commun’ pour les élections de 2017. C’est d’ailleurs la FI, bien plus que le RN, qui représente un réel danger pour Macron et les élites. “Il y a clairement une manipulation médiatique pour essayer de minimiser le lien et la représentativité que pourrait avoir la France insoumise. Surtout là avec les européennes qui arrivent, la FI est une vraie menace pour Macron.”

    Mais la classe des travailleurs se remémore les nombreuses trahisons des représentants politique de gauche. C’est pourquoi le mouvement rejette en général les étiquettes politiques, même si “beaucoup d’Insoumis sont actifs parmi les Gilets Jaunes”. La question cruciale du relais politique devra pourtant se poser. Pas seulement pour les urnes, mais surtout pour organiser la colère et l’orienter vers un réel changement. La France Insoumise, très active depuis le début de la législature pour stimuler la contestation contre la politique de Macron, a clairement les armes en termes de programme pour jouer ce rôle. Mais elle devra tout de même revoir une partie de son fonctionnement interne peu démocratique, et se battre pour une réelle rupture avec le système capitaliste et l’instauration d’une alternative sociétale.

    Revendications et structuration

    Pour son débat, Macron dit n’avoir aucun tabou, mais refuse de revenir sur les mesures déjà prises… “Il dit tout de suite qu’il ne veut pas lâcher sur les questions économiques et sociales.”

    La plateforme de 42 revendications sortie il y a quelques semaines comporte pourtant énormément de demandes socio-économiques. “A côté du RIC (2) et de la démission de Macron bien sûr, certaines revendications sortent du lot, comme l’augmentation du SMIC (3), la réinstauration de l’ISF (4), la suppression du CICE (5) qui signifie 40 milliards de cadeaux fiscaux aux plus grandes entreprises, et l’abolition des privilèges des élus.” Mais c’est bien le RIC, moins coûteux et plus inoffensif, que les médias surexposent. “Demander une réelle démocratie, c’est important. Mais pour moi, si on ne prend pas le pouvoir économique, et si on n’a pas d’égalité, on n’aura jamais de démocratie. Le système nous oppresse économiquement. Il faut le renverser, pour pouvoir imposer la démocratie.”

    “Des obligations de référendum peuvent être un premier pas. Mais la mise en avant de cette revendication par les médias, c’est une tentative d’enfermer le débat dans un truc institutionnel.” Cette surexposition pousse la demande pour le RIC à être largement reprise au sein du mouvement. “C’est présenté comme la solution miracle par tout un tas de Gilets Jaunes. Avec l’idée que, si on se limite à ça, c’est davantage possible de l’obtenir et donc, après, d’avoir le pouvoir pour tout changer. Mais beaucoup d’autres, dont la quasi-totalité dans notre QG, pensent qu’on ne peut pas se contenter de revendications démocratiques. (…) On est dans un mouvement extrêmement flou, même en termes de revendications. Les gens ne savent pas exactement ce qu’ils veulent, si ce n’est vivre mieux. Mais concrètement, comment traduire ça, ça reste flou, même si ça dépend très fort d’un endroit à l’autre.”

    “La faible structuration du mouvement est perçue par la plupart des Gilets Jaunes comme une faiblesse, une fragilité. Mais en même temps, il y a une tendance à rejeter toute représentativité. Ceci dit, c’est très divers. Il y a des endroits où ils sont très structurés, avec des représentants.” Des points forts sont présents, comme la rédaction collective de tracts comprenant les revendications et les appels aux manifs et à rejoindre le mouvement, ainsi que la tenue régulière d’Assemblées Générales. “Sur Montélimar, on a fait quotidiennement des AG avant Noël. Depuis, on est passé à deux AG par semaine. Il y a cette idée lancée au niveau départemental de faire une AG avec deux mandatés pour chaque QG de Gilets Jaunes, dans tout le département. Ça a été voté à notre AG à une très large majorité. Mais il faudra bien sûr voir comment ça se met en place.”

    La violence, l’une des manipulations des médias établis

    La violence semble être omniprésente. De la part du mouvement, elle a beau être ultra-minoritaire, les médias établis en parlent comme étant une généralité. De la part des forces de l’ordre, elle a beau être ultra-majoritaire, les médias établis n’en parlent presque pas. “La violence elle vient d’abord des autorités et de leur politique, et c’est perçu comme ça à l’intérieur du mouvement. Ensuite, c’est la répression policière qui pousse à la violence qui émane du mouvement.” Cette violence policière que les Gilets Jaunes subissent est brutale et permanente : gaz lacrymogène, tirs de flashballs, arrestations arbitraires,… Elle a pour but tant de provoquer une réponse violente de la part des manifestants, afin de discréditer le mouvement dans la société, que de pousser d’éventuels actuels ou futurs Gilets Jaunes à rester chez eux et abandonner la lutte. “Beaucoup de gens extérieurs tombent dans le piège présenté par les médias. Il reste un très grand soutien, mais la manière dont les choses sont présentées refroidit quand même la possibilité d’avoir un large soutien actif parmi les couches qui ne sont pas mobilisées.”

    “Mais ici, localement, ça se passe bien. Ça dépend vraiment des villes, et c’est surtout dans les plus grandes. On a plutôt de bons contacts avec les forces de l’ordre, si ce n’est les CRS quand on faisait vraiment de grosses actions comme le blocage d’Amazon-logistique au sud de Montélimar (…) Mais par contre, ils ont vraiment beaucoup durci tout l’aspect judiciaire. On a énormément de Gilets Jaunes qui se prennent des amendes.”

    Si la violence émanant du mouvement à l’encontre des forces de l’ordre et de journalistes est compréhensible, étant donné la méfiance qui règne contre toutes les institutions, particulièrement celles qui sont vues comme déformant l’information, elle constitue tout de même un frein au rassemblement de couches encore plus larges dans la société. Comme le disait Jean-Luc Mélenchon le 16 janvier dernier au Journal de 20h sur France2 : “(…) la preuve a été faite que quand on est très nombreux, le nombre submerge y compris les violents. (…) La conduite d’un mouvement, ça nécessite que ça s’enracine, que ça s’élargisse. Dès qu’il y a de la violence, ça rabougrit, ça réduit.”

    Et pendant que les pro-Macron (grands patrons, médias dominants, …) condamnent l’attitude soi-disant trop complaisante de Mélenchon envers la violence du mouvement, l’ancien Ministre de l’Education Luc Ferry disait le 7 janvier sur Radio Classique, sans recevoir de critiques des médias et partis établis : “ce que je ne comprends pas, c’est que l’on ne donne pas les moyens aux policiers de mettre fin à ces violences”. “Quand on voit des types qui tabassent à coups de pied un malheureux policier… Qu’ils se servent de leurs armes une bonne fois, écoutez, ça suffit ! Ces espèces de nervis, ces espèces de salopards d’extrême droite, d’extrême gauche et des quartiers qui viennent taper du policier, ça suffit”,”. “On a, je crois, la quatrième armée du monde. Elle est capable de mettre un terme à ces saloperies, faut dire les choses comme elles sont”.

    Femmes Gilets Jaunes

    L’un des points fort du mouvement, c’est la présence en très grand nombre de femmes, y compris parmi les leaders de la lutte. “J’ai été frappée par la place qu’ont les femmes dans le mouvement, de manière générale, c’est impressionnant”, explique Rachel. “Il y a eu une forme d’appel, de vague nationale pour organiser des manifs, pour valoriser la manière avec laquelle les femmes s’investissent dans le mouvement. On en a fait une ici à Montélimar le premier dimanche de janvier. Elle a été organisée complètement à l’arrach’, en une journée de mobilisation, et on était 350, donc ça a quand même rameuté beaucoup de monde. Les femmes étaient à l’avant du cortège et les hommes se sont mis à l’arrière, avec les enfants.”

    De nombreuses manifestations de femmes Gilets Jaunes ont ainsi eu lieu, comme la ‘Marche des lionnes’ du 13 janvier à Nice. Les hommes y étaient également invités, “pour ne pas ajouter un élément de division”, comme l’expliquait une participante. Ce sont notamment les revendications ‘Stop à la violence contre les femmes’ et la revalorisation des retraites et du pouvoir d’achat des mères célibataires qui y étaient à l’avant-plan.

    Grève générale et mouvement ouvrier organisé

    Différents appels à l’organisation de grèves générales ont été lancés depuis début janvier. “Il ne s’agit pas de mots d’ordres clairs. Les appels sont par exemple ‘pas de magasin ouvert’, ‘pas de consommation pendant 3 jours’,… Avec l’idée que le gouvernement cède. (…) Les gens impliqués parmi les Gilets Jaunes sont plutôt des couches périphériques de la classe ouvrière. (…) La plupart des gens ont conscience qu’il faut bouger, bloquer l’économie, mais souvent sans comprendre réellement comment l’économie fonctionne.”

    De par sa place spécifique dans la production économique et ses méthodes de lutte, et notamment la grève et le blocage de la production, le mouvement ouvrier est primordial pour un changement réel de système. Il pourrait aider à l’organisation d’une véritable grève générale qui bloquerait réellement l’économie et ferait extrêmement mal aux grands capitalistes et à ses relais politiques. Il permettrait aussi de davantage structurer le mouvement et de s’organiser contre la répression. Malheureusement, “de la part des directions syndicales, si ce n’est dans certaines villes, il n’y a aucune tentative de rapprochement. Il y a par contre beaucoup de syndicalistes qui sont investis parmi les Gilets Jaunes, et pour qui c’est un réel déchirement de voir leur direction rester à l’écart voire critiquer avec arrogance. (…) A Toulouse le week-end dernier, le blocage était massif, aussi grâce au renfort des syndicats de routiers.”

    Tout comme de nombreuses organisations de gauche dans le passé, la plupart des directions syndicales n’a pas toujours pris les décisions et initiatives nécessaires en faveur des travailleurs et leurs familles. Cela explique la méfiance qui vit également envers les dirigeants du mouvement ouvrier organisé.

    “Aujourd’hui, quand j’avance la nécessité de faire le lien avec le milieu syndical, c’est beaucoup mieux pris qu’il y a quelques mois. Au sein du mouvement, il y a davantage d’ouverture envers les syndicats qu’au début. L’idée de s’adresser aux syndicats pour qu’ils fassent un appel à une grève générale est discutée de plus en plus entre les Gilets Jaunes. Le but est d’arriver à organiser une grève et de bloquer l’économie par l’intérieur, parce qu’ils se rendent compte que de l’extérieur c’est compliqué. Jouer au chat et à la souris avec les forces de l’ordre constamment, c’est pas fructueux.”

    Les organisations du mouvement ouvrier doivent entrer en action, avec et aux côtés des Gilets Jaunes. Elles doivent rejoindre la lutte avec respect, sans donner de leçons, en tenant compte du fait que la direction syndicale a miné son autorité auprès d’une grande partie de la classe ouvrière. ” Si des bastions de la classe ouvrière ou des fédérations syndicales entrent aussi dans la bataille, ça redonnera certainement un souffle au mouvement. Que nous soyons tous organisés au sein de comités de lutte serait le pire cauchemar du gouvernement. Et c’est le moment d’y aller car il est vachement fragilisé.”

    Changer le système économique

    La jeunesse aussi, a son rôle à jouer. Dans chaque grand mouvement de classe, elle a joué un rôle dynamique. “Les lycéens en lutte il y a quelques semaines. Si le mouvement est retombé depuis, on sait que ça peut réexploser à tout moment.”

    Depuis le début du mouvement, de nombreuses références sont faites à Mai 68. Au plus fort de ce mois de révolution, c’était la combinaison de la jeunesse en lutte et de la grève générale de 10 millions de travailleurs qui avaient failli faire tomber le système. C’est vers un tel type de lutte que le puissant mouvement des Gilets Jaunes doit s’orienter pour obtenir des victoires.

    “Les discussions sur les revendications, c’est une porte ouverte pour moi pour discuter socio-économique avec les autres Gilets Jaunes et la nécessité d’un changement de société.” Nous devons nous doter d’un programme de revendications portant des mesures socialistes, telles que la nationalisation des secteurs-clés de l’économie pour décider nous-mêmes de la production nécessaire pour satisfaire aux besoins de tous, et pour pouvoir disposer des moyens financiers pour mener des politiques ambitieuses pour chacun et pour la planète sur laquelle nous vivons. Et, ceci, avec la perspective d’établir un gouvernement des travailleurs et d’aller vers un changement de système ; une société socialiste démocratique est la seule issue pour satisfaire aux revendications légitimes du mouvement.

    “Si la majorité des gens veut juste gagner quelques revendications, je vais bien sûr me battre avec eux. Mais je pense qu’on a un potentiel pour prendre le pouvoir aujourd’hui. Il y a un potentiel révolutionnaire.”

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    (1) Interview réalisée mi-janvier. Sauf mention contraire, toutes les citations de cet article sont issues de l’entretien avec Rachel. Une version courte de cet article se situe en page 11 de notre mensuel Lutte Socialiste de février 2019.
    (2) RIC = Référendum d’Initiative Citoyenne
    (3) SMIC = Salaire minimum interprofessionnel de croissance
    (4) ISF = Impôt de solidarité sur la fortune
    (5) CICE = Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi

  • Le Corbynisme, trois ans plus tard

    Le gouvernement conservateur ne tient qu’à un fil. Sa politique désastreuse du Brexit menace de l’anéantir et le désespoir et la colère généralisée face à une austérité apparemment sans fin peuvent éclater à tout moment. Il est encore temps, selon PETER TAAFFE, que Jeremy Corbyn agisse de manière décisive dans la « guerre civile » du parti travailliste – pour développer une alternative socialiste à la crise et à la misère capitaliste.

    Article tiré de l’édition de novembre du magazine Socialism Today (édité par la section du CIO en Angleterre et au Pays de Galles)

    Cela fait maintenant trois ans que Jeremy Corbyn a été élu pour la première fois à la tête du Parti travailliste. Il s’agissait d’une révolution politique, de l’intérieur et de l’extérieur, provenant de forces essentiellement neuves qui exigeaient une rupture nette avec les politiques pro-capitalistes du Blairisme.

    Bien sûr, une révolution sociale – qui bouleverse la société de fond en comble – diffère d’une révolution politique au sein d’un même parti, que le mouvement Corbyn pouvait représenter. Cependant, la question du leadership est vitale dans les deux types de bouleversements.

    La révolution russe a prospéré pendant neuf mois en octobre 1917 pour une seule raison : le rôle vital de Lénine et Trotsky dans la direction du parti bolchevique.

    Eux seuls avaient compris le rythme de la révolution à chaque étape, en particulier de la conscience des masses, et l’ont dotée du programme et de la perspective nécessaires pour prendre le pouvoir.

    L’un des facteurs qui ont conduit à la défaite finale de la révolution espagnole de 1931-1937 est que la classe ouvrière n’avait pas de parti et de direction capable de prendre le pouvoir. Le Parti socialiste espagnol (PSOE) avait le potentiel pour devenir un tel parti, mais Largo Caballero, le leader de la gauche, a permis au parti de rester sous le contrôle de la droite dirigée par Indalecio Prieto.

    Les forces de l’ancien régime travailliste, la droite blairiste, ont mené une politique consciente de sabotage digne des révoltes de la réaction féodale vendéenne à la révolution française.

    Il est tout à fait intéressant de jeter un regard rétrospectif sur les trois années de guerre civile inachevées des travaillistes et sur les attaques continues, vindicatives et organisées de la droite travailliste et de ses partisans dans les médias sur ce que Corbyn représente.

    Ed Miliband a perdu les élections générales en mai 2015 et a démissionné. Le mois suivant, on disait que Jeremy Corbyn serait le porte-drapeau de la gauche à l’élection à la direction du parti travailliste et il s’est déclaré dans le journal local d’Islington comme « candidat anti-austérité ».

    En juin, Corbyn est arrivé sur le bulletin de vote avec quelques minutes d’avance. Certains députés de droite pensaient qu’il n’était qu’un « loser » et, par conséquent, qu’il n’y avait aucun risque à lui « prêter leur vote ».

    Nombre d’entre eux, soucieux de préserver leur réputation de « démocrates », avaient regretté d’avoir laissé Gordon Brown courir en toute liberté – accompagné de ses hommes de main – lors de la course à la direction en 2007.

    Ils ont passé les trois dernières années à regretter leur décision d’avoir facilité la victoire de Corbyn ! En septembre, il a été annoncé comme chef élu du Parti travailliste lors d’une conférence spéciale.

    La droite ne s’est toujours pas réconciliée de sa victoire. Depuis lors, les travaillistes ont connu des coups d’État ou des tentatives de coups dignes d’une république d’Amérique centrale !

    En décembre 2015, Hilary Benn s’est exprimé au Parlement en faveur d’une intervention militaire en Syrie. Cette position a été massivement rejetée par les membres du Parti travailliste et la masse de la population qui s’opposaient à toute nouvelle aventure après la catastrophe irakienne.

    Corbyn a refusé (à tort) d’émettre un « whip [i]» de trois lignes avant le débat. Puis, en juin 2016, lors du référendum de l’UE, les électeurs ont voté pour le Brexit.

    Immédiatement après le référendum, Benn a finalement été licencié par Corbyn pour avoir organisé des démissions massives du cabinet fantôme[ii].

    Cela a conduit à une révolte de la droite qui domine toujours le Parti travailliste parlementaire (PLP). Une motion de défiance à l’égard de Corbyn a été proposée par Margaret Hodge et appuyée par 172 députés à 40 ! Quelques jours plus tard, le 9 juillet, le leader adjoint du parti travailliste, Tom Watson, a refusé de rencontrer Len McCluskey, secrétaire général d’Unite, et d’autres dirigeants syndicaux qui se plaignaient de son hostilité et de celle du PLP envers Corbyn.

    Crucially, the main reason Labour registered a partial victory was the launch of the anti-austerity manifesto over the heads of the right, particularly the PLP. At its core was the promise to abolish student fees and bring back grants.

    Trois jours plus tard, le Comité exécutif national du Parti travailliste, les dents serrées – contrôlé comme il l’était encore par la machine Blairiste non reconstruite – a permis à Corbyn de revenir sur le bulletin de vote pour un nouveau défi de leadership.

    Dans une lutte âprement disputée, sur fond de diffamation personnelle et politique de Corbyn, Owen Smith était le porte-drapeau de l’aile droite.

    Il essaya de manière farfelue de se déguiser en gauchiste, voire même en « révolutionnaire aux yeux froids ». Pourtant, Corbyn a été réélu.

    Lors de l’élection générale surprise de juin 2017, bien que les travaillistes n’aient pas gagné, ils ont obtenu leur plus forte augmentation de votes depuis 1945 et éliminé la majorité du gouvernement conservateur.

    La Première ministre Theresa May ne s’est accroché qu’au travers d’un sale accord avec le parti unioniste démocratique d’Irlande du Nord[1][iii] ; ce pacte menace de s’effondrer à tout moment.

    La principale raison pour laquelle le Parti travailliste a eu une victoire partielle a été le lancement du manifeste anti-austérité par-dessus la tête de la droite, en particulier le PLP. La promesse d’abolir les frais de scolarité et de rétablir les bourses d’études était au cœur de ce projet.

    Ce message anti-austérité a électrisé toute une nouvelle génération qui étaient motivée pour soutenir le Parti travailliste de Jeremy Corbyn.

    Cela a confirmé nos arguments de l’époque selon lesquels un appel audacieux en faveur de mesures socialistes radicales trouverait une réponse de masse.

    Si cela avait été combiné avec l’adoption par Corbyn d’une position de principe claire sur l’Écosse – défendre le droit à l’autodétermination du peuple écossais et à un second référendum sur l’indépendance s’il le souhaitait – cela aurait pu sceller une victoire travailliste, soit comme parti le plus important, soit même avec une majorité globale.

    Redémarrage du Labour

    Il en va de même pour la situation interne au sein du parti travailliste, où les vagues radicalisées de nouveaux membres, en particulier, étaient ouvertes à un leadership audacieux.

    Le Parti socialiste[iv] a suggéré que, comme pour le lancement du manifeste, Jeremy Corbyn devrait contourner la machine travailliste de droite.

    Il devrait lancer sa propre constitution qui serait soumise au vote de tous les membres du Parti travailliste avec une resélection obligatoire.

    Dans le même temps, le mouvement travailliste devrait être reconstitué en tant que fédération ouverte de différentes organisations socialistes, y compris le Parti socialiste, tout en conservant les fondements des affiliations syndicales démocratisées.

    Il ne fait aucun doute que cela aurait suscité l’enthousiasme généralisé des membres de gauche, remplissant le mouvement travailliste d’une base active prête à s’organiser contre la droite qui aurait probablement pris cela comme le signal pour déserter le Labour.

    Au lieu de cela, la guerre civile s’est poursuivie et la droite a été autorisée à poursuivre sa campagne de provocation – en fait, d’autres soulèvements contre Corbyn et la gauche – comme l’a montré la campagne antisémite scandaleuse et renouvelée de Hodge et la cabale de droite toujours dominante dans le PLP cette année.

    Malgré les menaces de former un nouveau « parti du centre » avec des déserteurs « libéraux » du parti conservateur et peut-être des libéraux-démocrates, les travaillistes de droite n’ont pas encore fait le premier pas, pour une très bonne raison.

    En cette période de crise organique profonde du capitalisme et de forte polarisation des classes, le milieu favorable qui existait au moment de la formation du SDP [v]au début des années 1980 n’existe pas aujourd’hui.

    Les forces qui ont formé le SDP possédaient trois dirigeants de renommée nationale qui pouvaient rallier un bloc électoral important pendant un certain temps.

    Les « Lib-Dems », cependant, sont maintenant si faibles qu’ils ont dû envisager de faire de la publicité à l’extérieur de leurs rangs pour qu’un leader remplace Vince Cable dévoré par les mites.

    Les vagues de nouveaux adhérents du Parti travailliste, ceux qui pensaient rejoindre un parti socialiste rajeuni, sont devenus frustrés par la timidité politique, le refus d’affronter le sabotage blairiste et par l’hésitation de Jeremy Corbyn.

    C’est particulièrement le cas du leadership de Momentum, représenté par Jon Lansman et ses partisans.

    Souvenez-vous de leur mantra apaisant – « Yes we Khan » – en faveur de Sadiq Khan, le maire de Londres qui a exigé « plus de milliardaires pour Londres » dans sa campagne électorale de 2016 ?

    Lansman a également rejeté et s’est opposé à nos arguments selon lesquels, sans le contrôle de la resélection obligatoire des députés, le corbynisme était comme un couteau sans lame – qu’il serait difficile, voire impossible, de retirer l’ensemble de la droite blairiste par le mécanisme dit du « vote de déclenchement [vi]».

    Cette question a été écartée parce qu’elle n’était pas « pertinente ». Ce faux argument, déguisé en « réalisme » de gauche, a été mis à nu lors de la récente conférence du Parti travailliste avec la clameur des rangs travaillistes pour une resélection obligatoire.

    Cette proposition a été rejetée, certains syndicats de gauche comme Unite jouant un rôle moins que glorieux dans le règlement de la question de la prolongation du vote de déclenchement.

    Cela signifie que la majorité des députés de droite resteront en position, libres de saper Corbyn et de nuire à l’attrait du Parti travailliste en tant que parti socialiste transformé et radical.

    Cela aura de graves conséquences à l’avenir, en particulier si un gouvernement travailliste arrive au pouvoir.

    Les travaillistes de droite sont des agents ouverts du capitalisme, prêts à faire ce dont le système a besoin -s’ils pensent que c’est dans leur intérêt.

    Regardez les accusations pernicieuses, vicieuses et fausses d’antisémitisme portées contre Jeremy Corbyn. Malgré une couverture médiatique extrêmement biaisée, cela n’a toutefois pas empêché la grande majorité des membres du mouvement syndical ou de l’opinion publique de se rallier à son point de vue.

    Certains dirigeants syndicaux – à Unite, par exemple – pensaient sans aucun doute qu’ils agissaient dans le meilleur intérêt de leurs membres qui souhaitent désespérément voir la fin de May et des Conservateurs et les remplacer par un gouvernement Corbyn.

    D’où l’accent mis par les dirigeants syndicaux de gauche sur l’unité – « Soutenons Jeremy et John ». Malheureusement, cela pourrait surtout devenir l’unité de la fin.

    La tendance « au coup de poignard dans le dos »

    L’expression « église large » [vii] n’est utilisée par la droite travailliste que lorsqu’elle est minoritaire et de plus en plus rejetée par la base.

    Il n’y avait pas d’église aussi large quand la droite était dans l’ascendant. Au contraire, les chasses aux sorcières et les exclusions étaient à l’ordre du jour lorsque le parti était dirigé par le baron -aujourd’hui totalement discrédité- Neil Kinnock, suivi de John Smith, puis du criminel de guerre Tony Blair, qui a entrepris de détruire la clause IV – les aspirations historiques socialistes du mouvement syndical.

    Blair a poursuivi une politique de terre brûlée contre les droits des membres du Parti travailliste et la démocratie interne.

    Cependant, les bourgeois se préparent aussi politiquement à toutes les éventualités, y compris un gouvernement Corbyn et comment « gérer » cela.

    Le Evening Standard – édité par George Osborne, architecte de l’austérité en chef – a félicité Tom Watson pour avoir agi dans « l’intérêt national » en restant dans le mouvement travailliste.

    Watson est considéré comme un frein géant à toute « dérive à gauche » sous un gouvernement travailliste ! Il est douteux qu’il possède le poids politique nécessaire pour remplir cette tâche, mais il n’y a aucun pouvoir au sein du PLP prêt à jouer le rôle d’une cinquième colonne conservatrice.

    Theresa May a courtisé environ 31 députés travaillistes pour appuyer le gouvernement au sujet d’un éventuel accord du Brexit.

    S’ils trahissent ainsi le Labour, il y aura des pressions massives pour qu’ils soient retirés des rangs même du parti travailliste.

    Mais le fait qu’une telle spéculation puisse même apparaître -la trahison des députés travaillistes de droite- est en soi un avertissement pour l’avenir.

    Par conséquent, la décision de la conférence du Labour de ne pas introduire de système de contrôle effectif du PLP pourrait avoir des conséquences désastreuses pour le parti et la classe ouvrière à l’avenir.

    L’écrasante majorité des députés travaillistes ont déjà démontré qu’ils sont en fait la tendance « à poignarder dans le dos ».

    Ils ont qualifié d’antisémite le Parti travailliste et consciemment donné aux conservateurs et aux médias le bâton pour se faire battre ; et ont même soutenu l’affirmation de la députée blairiste Chuka Umunna selon laquelle le Labour est « institutionnellement raciste ».

    Malheureusement, les forces de gauche rassemblées derrière Corbyn n’ont pas fait preuve d’une réelle détermination. Momentum s’est rendu coupable d’avoir pris ses désirs pour des réalités.

    Les syndicats devraient réexaminer la question de la resélection obligatoire. La gauche devrait diriger l’appel à une conférence d’urgence d’une journée pour envisager son introduction immédiate.

    Programme économique

    Sur le plan programmatique, John McDonnell a fait de son mieux pour rassurer les capitalistes, tout comme Jeremy Corbyn, que les travaillistes ne menaceront pas leurs intérêts vitaux au gouvernement.

    Lors de la conférence du Parti travailliste, McDonnell a exposé les grandes lignes d’un programme qui, selon lui, ferait des travailleurs des  « copropriétaires » de leur entreprise, qui bénéficieraient finalement d’une « propriété partagée » par le versement de dividendes plafonnés à 500 livres par an.

    Les excédents iraient dans les coffres de l’État. Will Hutton de la Fondation Resolution, un fervent partisan du capitalisme « éclairé » et un opposant virulent au socialisme, a salué cette décision comme une étape bienvenue vers son concept d’un capitalisme « réformé ».

    Ce n’est pas une idée nouvelle, mais une idée qui a été testée par les grands et sincères prédécesseurs de Karl Marx, tels que Robert Owen.

    Elle représentait une tentative utopique de « changer la société dans le dos de la société ». Même là où elle a été mise en œuvre avec succès pendant un certain temps – par exemple, avec la reprise d’industries défaillantes – elle se heurte inévitablement aux barrières impénétrables du capitalisme et aux lois du marché et sa soif insatiable de profit.

    Au mieux, elle représente des îlots de socialisme dans un océan de capitalisme. Cependant, si elle ne s’étend pas rapidement pour s’emparer des hautes sphères de l’économie, des quelque 100 monopoles qui contrôlent la grande majorité de l’industrie britannique, elle sera vouée à l’échec.

    A cela s’ajoute la crainte des patrons qu’une fois qu’une ou plusieurs industries seront reprises par l’Etat, l’appétit augmentera en mangeant.

    Ce serait particulièrement le cas dans le contexte d’une situation économique qui se dégrade et dont l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement Corbyn offre toutes les perspectives.

    S’il y avait des fermetures massives d’usines et de lieux de travail à la suite d’une nouvelle crise économique ou d’une crise encore plus grave qu’en 2007-08 – qui a mis au moins 20 millions de personnes au chômage dans les pays capitalistes avancés – la patience de la classe ouvrière s’épuiserait, les manifestations de masse et les demandes d’action remonteraient à la surface.

    Les stratèges du capitalisme, cependant, ne peuvent pas être entièrement sûrs qu’ils seront capables de contrôler complètement Corbyn et McDonnell étant donné la crise profonde du capitalisme britannique et mondial.

    Il y a déjà un mécontentement massif, les pauvres en particulier souffrant de réductions budgétaires cruelles et de conditions de vie de plus en plus mauvaises.

    C’est si grave que même d’anciennes stars du football comme le gardien d’Everton Neville Southall – reconnu comme l’un des plus grands – a écrit récemment : « Nous sommes en difficulté…. La NHS, l’emploi, le crédit universel, la pauvreté, l’austérité, Brexit.

    « C’est pourquoi j’ai rejoint Unison – les syndicats doivent jouer un plus grand rôle et pourtant le gouvernement essaie de dissoudre les syndicats, alors nous devons nous battre… J’apprécie Jeremy Corbyn. Il s’en tient à ce en quoi il croit, il ne change pas. C’est sûrement mieux que quelqu’un qui se plie avec le vent. »

    Les indignités quotidiennes menacent de déclencher des émeutes spontanées à tout moment. Les files d’attente dans les banques alimentaires se sont allongées, avec des rapports indiquant que le gouvernement a facilité l’approvisionnement en nourriture de ces points de vente afin de garder le contrôle d’une situation incendiaire.

    L’espérance de vie en Grande-Bretagne a stagné, contrairement à ce qui se passe ailleurs. La police proteste aussi contre les coupes budgétaires, tout comme les chefs d’établissement qui ont manifesté poliment à Downing Street, comme jamais auparavant.

    Les femmes retraitées lèvent les bras après avoir découvert qu’elles ont été escroquées, que l’âge de la retraite a été repoussé alors qu’elles avaient hâte de mettre les pieds en l’air…

    En même temps, le chancelier conservateur Philip Hammond a indiqué que la situation économique désastreuse de la Grande-Bretagne et la situation financière du gouvernement signifient la poursuite des réductions, y compris des augmentations d’impôts, dans le prochain budget.

    C’est pourquoi les perspectives de la Grande-Bretagne au cours de la prochaine période ne peuvent être contenues uniquement au sein du parti travailliste.

    Préoccupations capitalistes

    La perspective d’un gouvernement travailliste s’inscrit dans le contexte des 30 dernières années ou plus de politiques néolibérales : privatisation, augmentations de salaires historiquement faibles frôlant les salaires de misère pour beaucoup, logements de location inadéquats et pratiquement inexistants, d’où l’augmentation du nombre de sans-abri qui frappe désormais les grandes villes britanniques.

    Cela remplit d’effroi les capitalistes. McDonnell a menacé de très légères augmentations de l’impôt sur la fortune qui ne feraient que leur couper les ongles.

    Jim O’Neill, ancien ministre du Trésor, conservateur et inventeur du terme « Brics » – pour décrire la puissance croissante dans le passé des économies « émergentes » du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud – s’est présenté pour un gouvernement Corbyn ! Il reflète les préoccupations d’une aile des capitalistes qui voit à quel point le déclin du capitalisme en Grande-Bretagne a été favorisé par la concentration à court terme de la finance parasitaire à travers le « capitalisme actionnaire » au détriment de la reconstruction de la base industrielle, y compris les infrastructures.

    O’Neill a écrit dans le Guardian : « Au cours des quatre dernières décennies, il est devenu beaucoup plus facile d’embaucher et de licencier des travailleurs au Royaume-Uni, au point où l’investissement en capital est maintenant moins intéressant.

    “Dans ces circonstances, il n’est pas du tout surprenant que la productivité soit si faible. Changer l’équilibre pour aider les conditions de travail des employés, y compris leurs gains, devrait faire partie de la solution ».

    Un gouvernement Corbyn, avec un programme d’imposition et de dépenses modéré, pourrait en fait stimuler le marché et donc la « demande », explique-t-il.

    Le Daily Telegraph a récemment déclaré que la crise du capitalisme n’était pas économique ou financière mais le spectre d’un gouvernement Corbyn.

    Pourtant, son programme formel n’est que modérément social-démocrate, n’allant pas au-delà du programme du SDP séparé du Parti travailliste dans les années 1980.

    Cela n’a pas empêché une panique mineure dans les rangs des super-riches. Le Financial Times a rapporté : « Les ultra riches de Londres délocalisent des actifs hors du Royaume-Uni et certains se préparent à partir à mesure que les inquiétudes concernant un gouvernement travailliste de gauche dirigé par Jeremy Corbyn s’intensifient… 

    La plupart des gens [c’est-à-dire les patrons] sont beaucoup plus inquiets pour Corbyn que pour le Brexit…. Les ultra-riches du monde sont incroyablement mobiles, ce qui ne doit pas être sous-estimé. Si Corbyn mettait en place un contrôle des capitaux, il y en aurait beaucoup plus qui s’en iraient”.

    Bien sûr, nous et le mouvement syndical soutiendrons toutes les mesures qui cherchent sérieusement à empiéter sur le pouvoir économique des capitalistes et à le supprimer.

    Le scandale des tarifs élevés, le surpeuplement massif et la rareté des services ferroviaires, ainsi que le pillage scandaleux de leurs budgets, en font une cible de choix pour une nationalisation démocratique.

    Le dépouillement tout aussi scandaleux des actifs financiers des compagnies des eaux signifie que la proposition de les reprendre, ainsi que les services d’énergie à tarification élevée, recevrait un soutien enthousiaste.

    Malgré cela, il s’agit de mesures très modestes qui ne dépassent pas les frontières du capitalisme.

    Briser le mythe blairiste

    La lutte n’est pas seulement ou même principalement dans les salles de commission du Parti travailliste, étant donné la décision de la conférence du parti de mettre en suspens une véritable resélection, le contrôle des membres sur les députés.

    Il est plus susceptible de se développer dans les rues et dans les usines, les écoles, les universités et les collèges – où la lutte se poursuit actuellement – en particulier à cause des coupes continuelles dans les conseils communaux.

    La promesse de May de reporter ou de réduire l’austérité est un non-sens : « D’ici 2021, 37 milliards de livres sterling seront dépensés en moins pour la sécurité sociale pour ceux en âge de travailler qu’en 2010, malgré la hausse des prix et du coût de la vie, selon les estimations de la bibliothèque de la Chambre des communes“. Les crédits d’impôt seront réduits, de même que les allocations pour les enfants, pour l’incapacité et pour le logement.

    Les anciens premiers ministres Gordon Brown et John Major ont mis en garde contre des émeutes de type « poll-tax [viii]» si le crédit universel n’est pas retiré ou amendé – sa mise en œuvre complète a récemment été repoussée.

    Le spécialiste de la gauche travailliste Owen Jones s’est joint au chœur de protestation tout en prônant une résistance de masse sur le modèle de la taxe électorale, en louant même la All-Britain Anti-Poll Tax Federation – créée par Militant[ix], ce qu’il ne reconnaît pas, évidemment.

    La fédération a organisé la défaite de la taxe électorale en convainquant 18 millions de personnes de ne pas payer. Elle a été organisée et dirigée par des militants qui ont consenti à de grands sacrifices : 34 de nos camarades sont allés en prison.

    Jones admet maintenant que la taxe électorale a relégué Thatcher aux oubliettes.

    Les raisons du sabotage de la droite travailliste ont été résumées par un député travailliste anonyme dans le « INews » (24 septembre) : « Après avoir passé ma vie à essayer d’obtenir un gouvernement travailliste au pouvoir, je suis maintenant dans la position incroyable de devoir faire tout ce que je peux pour empêcher Corbyn de devenir Premier ministre. Cela me brise le cœur ».

    Ils souhaitent un gouvernement travailliste, mais pas un gouvernement Corbyn. Pourquoi ? Parce qu’ils soupçonnent à moitié qu’un tel gouvernement, alimenté par une autre crise économique, aura été élu sur un programme radical et avec une pression massive pour le changement, contrairement aux gouvernements Blair et Brown.

    S’ils mettent en œuvre même quelques-unes de ces politiques radicales, cela briserait le mythe blairiste selon lequel le Parti travailliste ne peut réussir sur le plan électoral qu’avec des politiques « centrales » (pro-capitalistes) – comme l’ont fait les succès électoraux du Parti travailliste de Liverpool, quand il était fortement influencé par le Militant dans les années 1980.

    De plus, le bilan « modéré » des gouvernements Brown et Blair, aux côtés de celui des Conservateurs, est quotidiennement réfuté par des rapports, les uns après les autres.

    Aditya Chakrabortty dans The Guardian illustre à quel point Blair a été désastreux en cherchant à réaliser le même programme que Thatcher.

    Il utilise l’analyse du FMI de 31 pays, de la Finlande à la France, qui montre que le Royaume-Uni « est dans le rouge pour plus de 2 000 milliards de livres sterling ».

    Seuls le Portugal, la Gambie et le Kenya sont en moins bonne posture, mais « les raisons pour lesquelles la Grande-Bretagne est dans un tel état sont presque aussi surprenantes : elles reviennent toutes au néolibéralisme », en particulier la privatisation.

    Chakrabortty conclut que les gouvernements britanniques ont « bradé presque tout ce qui se trouvait dans l’armoire, des aéroports au Royal Mail – souvent à des prix très intéressants – aux amis de la ville ».

    De telles privatisations, juge le FMI, « augmentent les recettes et réduisent les déficits », mais réduisent aussi les avoirs du gouvernement, et transfèrent en même temps la richesse à quelques privilégiés.

    « Le néolibéralisme vous a arnaqué et aveuglé. Les preuves s’accumulent – dans vos factures, dans vos services et dans les finances de votre pays ». De telles analyses sont assez courantes, en particulier dans la presse « libérale ». Pourtant, il n’y a toujours pas de conclusions tirées de ces mises en accusation cinglantes du système capitaliste…

    Transformer le Labour

    Il n’y a pas non plus de vaste programme de nationalisation socialiste et de planification économique venant de Jeremy Corbyn.

    En fait, il n’a mentionné le socialisme qu’une seule fois, en passant, dans son discours de conférence du Parti travailliste !

    La perspective d’un gouvernement dirigé par Corbyn a été évoquée à maintes reprises. Mais quel type de gouvernement ? Il y aurait du dégoût si c’était une répétition du désastre de Blair-Brown.

    Les bourgeois et les conservateurs réfléchissent à la manière de gérer la discussion sur la « crise du capitalisme » désormais largement reconnue.

    Il est donc absolument essentiel que le mouvement ouvrier, en particulier la gauche, saisisse l’occasion de soulever l’idée de véritables mesures socialistes démocratiques et de la planification de la société. Cependant, ce n’est manifestement pas le cas !

    Il est nécessaire d’adopter l’ancienne revendication contenue dans la clause IV, partie 4 de la constitution travailliste, supprimée impitoyablement par Blair et Brown dans les années 1990 : la « nationalisation des sommets de l’économie ».

    Aujourd’hui, cela signifierait la prise par l’État d’une centaine de monopoles sur la base du contrôle et de la gestion des travailleurs.

    Ce n’est qu’à cette condition qu’il sera possible de satisfaire pleinement aux exigences en matière de programmes de construction de logements, d’écoles, de services sociaux et ainsi de suite.

    Depuis le début de la guerre civile travailliste, la gauche officielle, y compris Momentum et certains dirigeants syndicaux de gauche, a pris beaucoup de retard sur les événements.

    Ils ont refusé de proposer des mesures politiques et organisationnelles audacieuses pour consolider le Parti travailliste en tant que force de gauche et socialiste.

    Les dirigeants de Momentum ont tenu à concilier avec la droite blairiste même si cette dernière s’en est prise à la gauche.

    Il en va de même pour certains dirigeants syndicaux de gauche, même ceux comme Matt Wrack, qui se sont précipités pour affilier le syndicat des pompiers (FBU) qu’il dirige au Parti travailliste.

    Cela signifiait remettre des honoraires considérables à la machine travailliste à une époque où elle restait sous l’emprise des Blairistes et où elle menait à bien les exclusions et les expulsions de ceux qui se trouvaient à gauche.

    Cela aurait été fait, semble-t-il, dans le but d’effectuer un « véritable changement », mais n’a pas été couronné de succès. Il faut toutefois reconnaître à son honneur que le FBU a été pratiquement le seul syndicat à appuyer la resélection obligatoire à la conférence du Parti travailliste.

    Néanmoins, comparez ceci à la position de principe du syndicat Rail Maritime et Transport qui a obstinément résisté aux appels de Matt Wrack et d’autres à remettre ses précieuses ressources financières à la machine toujours non « reconstruite » du Parti travailliste.

    Les maires travaillistes ont refusé de soutenir le syndicat à propos des trains sans accompagnateurs. Le RMT est tout à fait disposé à se joindre au mouvement travailliste s’il y a une perspective réaliste qu’il devienne une arme pour ses membres et les autres travailleurs dans leurs luttes quotidiennes. Mais cela ne s’est pas produit jusqu’à présent.

    Le changement au sein du parti travailliste doit être efficace, non seulement en exerçant un contrôle sur les députés, mais aussi sur la question cruciale des coupes dans les conseils communaux souvent effectuées par les conseillers travaillistes eux-mêmes.

    Le soulèvement contre ces coupes budgétaires se poursuit. Elle touche de plus en plus les partis locaux, avec des critiques sur le rôle honteux des conseillers travaillistes en particulier, qui président à l’austérité du gouvernement. Les budgets des conseils municipaux sont nécessaires pour mobiliser les travailleurs dans l’action.

    C’est pourquoi, tout en soutenant Jeremy Corbyn à toutes les étapes – y compris lors d’une élection générale – un défi électoral aux conseillers travaillistes de droite continuera d’être nécessaire, même contre ceux qui se font passer pour de « gauches » tout en faisant le sale boulot du gouvernement conservateur au niveau local.

    Même d’anciennes figures pro-Blairistes comme l’écrivain Polly Toynbee – aujourd’hui une Corbynista- écrit que seulement 4% des gens soutiennent les coupes budgétaires.

    Si elle dit ça, cela doit être vrai ! Il n’y a pas d’excuse pour traîner les pieds sur cette question. Les conseillers communaux devraient lutter contre l’austérité, comme Liverpool l’a fait dans les années 1980 avec d’autres conseils.

    Dans le cas contraire, les personnes touchées par les coupes – dont certaines sont dévastatrices –s’y opposeront lors des élections, et nous serons à leurs côtés.

    A l’heure actuelle, la Grande-Bretagne semble relativement calme en surface. Cependant, une révolte de masse se prépare à mesure que l’ampleur et le type d’indignités qui ont été accumulées sur les épaules de la classe ouvrière augmentent.

    Cela remontera inévitablement à la surface. Il est nécessaire que cette colère soit dirigée par les bataillons organisés du mouvement ouvrier, qui s’unissent en un mouvement de masse pour renverser les conservateurs et amener au pouvoir un gouvernement travailliste socialiste, dirigé par Corbyn.

     Notes:

    [i] Dans les pays appliquant le système de Westminster ainsi qu’aux États-Unis, le whip est le député ou représentant chargé de veiller à ce que les élus de son parti soient présents et votent en fonction des consignes du parti.

    [ii]Dans les pays appliquant le système de Westminster, le cabinet fantôme (« anglais : shadow cabinet ») comprend les députés d’un parti d’opposition qui, sous la conduite du chef de leur parti, forment un cabinet alternatif à celui du gouvernement. Chaque membre du cabinet fantôme est chargé de surveiller et critiquer l’action d’un ministre du gouvernement.

    [iii] Le Parti unioniste démocrate (en anglais : Democratic Unionist Party, DUP) est un parti politique britannique présent en Irlande du Nord depuis 1971

    [iv] The Socialist Party, section-sœur du PSL en Angleterre et au Pays de Galles

    [v] Le Parti social-démocrate (en anglais : Social Democratic Party, abrégé en SDP) est un parti politique britannique fondé en mars 1981 et qui fusionne en 1988 au sein des Libéraux-démocrates. Pour les élections générales de 1983 et 1987, le SDP forme avec le Parti libéral l’« Alliance SDP-Libérale » puis, lors du congrès de 1987, décide de fusionner avec les libéraux au sein des Libéraux-démocrates.

    [vi] Actuellement, si une élection générale est déclenchée et que le député travailliste sortant souhaite se présenter à nouveau comme candidat, le processus de contestation implique un vote de toutes les sections, forums et organisations affiliées du parti de circonscription, comme les syndicats, qui doivent répondre par “oui” ou “non”. Une majorité simple de candidatures affirmatives de ces organisations signifie que le député évite un concours de sélection ouverte. Ce processus, connu sous le nom de ” scrutin de déclenchement “, est ouvert à la manipulation et confrontationnel, c’est pourquoi il est déconseillé aux députés d’ouvrir un processus de réélection contre leur député. Par contre, la réélection obligatoire signifierait une course ouverte chaque fois qu’une élection générale est déclenchée, les membres ayant le pouvoir de choisir leur candidat par un processus de sélection démocratique

    [vii] En anglais, le terme « Broad Church » est souvent utilisé pour caractériser toute organisation, par exemple politique, qui englobe un large éventail d’opinions.

    [viii] La poll tax (mot anglais signifiant « capitation »), officiellement appelée Community Charge, est un impôt locatif forfaitaire par tête, instauré au Royaume-Uni par le gouvernement de Margaret Thatcher en 1989. Entré en vigueur en 1990, il fut jugé très inégalitaire par les couches les plus modestes de la population car, frappant les foyers et non les personnes et ce sans distinction de revenu ou de capital, il était d’autant plus lourd pour les foyers les plus pauvres. La poll tax fut l’une des causes essentielles de la chute de Margaret Thatcher

    [ix] Militant tendency est un courant politique britannique fondé en 1964 autour du journal Militant par des militants trotskystes. Militant s’est spécialisé dans l’entrisme au sein du Parti travailliste et a atteint le maximum de son influence au début des années 1980. À partir de 1982-1983, la direction du Labour s’est employée à exclure les dirigeants de Militant. La tendance de Peter Taaffe a quitté le Labour et s’est rebaptisée en 1997 Socialist Party.

     

     

  • Belgique – Le gouvernement thatchérien peut être battu !

    En décembre 2018, le PSL a organisé des congrès régionaux ou des assemblées générales afin de discuter du fonctionnement local du parti et d’établir les lignes directrices de notre travail politique pour la période à venir. Cela s’est bien entendu effectué sur base d’une discussion politique concernant la période dans laquelle nous nous trouvons. Une contribution du Bureau exécutif du PSL sur la situation internationale et belge a été utilisée à cette fin. Nous avons publié la partie internationale de ce texte hier, voici la seconde partie consacrée à la Belgique. Ce texte a été écrit à la fin du mois d’octobre.

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    Les partis du gouvernement continuent leurs attaques – Vertenueil répond

    Cet été, le gouvernement fédéral de droite a illustré qu’il n’allait pas arrêter ses réformes en attendant les élections. Son accord d’été comporte notamment une attaque contre les chômeurs avec 26 mesures pour les activer mais, en particulier, une dégressivité accrue après six mois d’allocation plus élevée. Les fonctionnaires ne pourront dorénavant plus transférer leurs 21 jours de maladie annuels payés à 100% du salaire (les salaires retombent ensuite à 60%) d’une année à l’autre. C’est pire que dans le privé où, pendant 30 jours, le salaire est payé à 100% pour retomber ensuite à 60%. Dans le privé, les jours de maladie ne sont pas transférables, sauf contre-indication de la Convention collective de travail (CCT) du secteur. Selon Jambon (N-VA), trop de fonctionnaires épargnent leurs jours de maladie pour partir en pension jusqu’à deux ans à l’avance. Mais, selon Medex, qui effectue les contrôles pour le SPF santé, il n’y aurait que 0,6% d’absences pour maladie où le doute serait permis.

    La condition de carrières pour la prépension ou la RCC (Régime de chômage avec complément d’entreprise) passe de 40 à 41 ans de carrière et, à partir de 2019, la RCC en cas de restructuration ne sera plus possible qu’à partir de 59 ans et 60 ans en 2020. Le récent accord conclu à Mestdagh, qui prévoit la RCC à partir de 56 ans, ne sera plus possible d’ici quelques mois. Le gouvernement veut aussi, en concertation avec les partenaires sociaux, revoir la formation des salaires, quitter progressivement le principe d’ancienneté pour un salaire reposant sur la prestation et la productivité. Il faut encore voir comment cela sera mis en pratique, mais cela pourrait signifier que les salaires collectifs fixes devront probablement graduellement faire place à des salaires à négocier individuellement.

    Celui qui estimerait que le pire serait derrière nous a reçu un avertissement de la part de la N-VA par la voix de son dirigeant de fraction à la Chambre, Peter De Roover, qui a fait savoir que ‘‘ces gouvernements [du fédéral et de la région flamande, NDA] appliquent trop peu le programme de la N-VA.’’ Personne ne doute que cette critique a été mise en scène par le parti lui-même. Le dirigeant de la fraction au parlement flamand, Matthias Diependaele a d’ailleurs ajouté : ‘‘si la base se fait entendre, c’est qu’en effet la politique pourrait bien être plus à droite. Je le reconnais. Moi-même je déplore que nous n’ayons pas été capables de limiter dans le temps les allocations de chômage’’.

    Mais la limitation du chômage dans le temps n’est pas ce dont il s’agit ici en premier lieu. Ce que la N-VA déplore surtout, c’est qu’elle n’a pas été en mesure de casser la force fondamentale des syndicats, c’est-à-dire que le gouvernement s’est révélé insuffisamment thatchérien. C’est pourquoi elle s’est fixée comme objectif, à côté de la limitation dans le temps des allocations de chômage, d’également transformer les négociations salariales collectives en négociations individuelles, de limiter le droit de grève, d’inspecter le contenu des caisses de grève, d’instaurer une personnalité juridique pour les syndicats, de retirer le paiement des allocations de chômage des syndicats et des allocations de maladie des mutualités. Cela ne signifie rien d’autre que de paralyser les mutualités et les syndicats. Nous savons tout de suite quel est l’enjeu des élections de mai 2019.

    Directement cet été, les syndicats avaient annoncé qu’ils ne laisseraient pas passer l’accord d’été du gouvernement sans riposter. Mais, à l’exception d’une action du syndicat socialiste de la fonction publique aux écluses, il apparaissait qu’une fois l’été passé, les syndicats s’étaient endormis. Au sujet des ‘‘grandes’’ actions syndicales du 2 octobre contre l’accord d’été, les rumeurs parlaient d’un quizz à Gand pour la Flandre orientale et, pour la province d’Anvers, d’une manifestation à Turnhout.

    Cela a changé lors de l’annonce effectuée par le président de la FGTB Vertenueil de faire du 2 octobre une journée de grève générale. Les discussions n’ont pas manqué au sujet de cette annonce. Certains prétendaient que Vertenueil, en tant que nouveau président de la FGTB, voulait montrer sa radicalité, d’autres que ses paroles n’étaient que du théâtre. Il se pourrait bien qu’il s’agit ici d’un exemple de stratégie de communication mais, au-delà de cela, nous préférons qu’un nouveau président de la FGTB montre ses dents tout de suite à beaucoup d’autres qui veulent surtout amadouer le gouvernement et le patronat en voulant démontrer qu’il est possible de discuter avec eux. Cela peut bien être accompagné d’un peu de théâtre si cela sert à l’action et non pas à la passivité.

    S’il y a une critique à faire sur l’annonce de Vertenueil, c’est qu’il aurait mieux valu préparer celle-ci par des assemblées du personnel et des concentration militantes avant de partir devant la presse. Mais il se pourrait bien que Vertenueil savait que plusieurs centrales de la FGTB feraient tout pour boycotter d’office toute action sérieuse et que la CSC et la CGSLB n’avaient pas en tête d’organiser quoi que ce soit. Il se pourrait donc qu’en allant à la presse, il a voulu faire pression. Nous supposons qu’il a tenu compte de la possibilité que le bureau fédéral de la FGTB ne le suive pas, ce qui s’est confirmé. Lorsque les négociations sur l’Accord interprofessionnel (AIP) commenceront bientôt, cela lui sera certainement reproché par les représentants patronaux et cela a donc affaibli sa position.

    D’autre part, avec cette déclaration, Vertenueil a sans doute redonné vie à la résistance sociale et a fortement contribué au succès du 2 octobre. Il a ainsi coupé court à la stratégie électorale des partis du gouvernement, en particulier la N-VA et le MR. Ces derniers voulaient jouer la migration, la sécurité et l’identité pour dévier l’attention de leur programme antisocial. Les attaques de la N-VA sur les libertés syndicales ne sont d’ailleurs pas présentées par la N-VA comme des attaques sur les acquis sociaux mais contre un appareil sclérosé très éloigné du ‘‘flamand ordinaire qui bosse dur’’.

    L’action sociale empêche le gouvernement de mettre ses thèmes au centre

    Le 20 septembre, 6000 personnes essentiellement de la FGTB ont manifesté à Namur contre l’intention du gouvernement wallon de transformer le statut des APE (Aide à la promotion de l’emploi). Les APE sont des emplois subsidiés dans des maisons de repos, des écoles, des clubs sportifs, des hôpitaux, des communes et des CPAS, des ASBL de jeunesse et culturelle, à la province, etc. Au total, il s’agit de 60.000 emplois éparpillés sur toute la Wallonie, dont des milliers sont menacés et, avec eux, de nombreuses associations ou services. Déjà le 25 juin, 10.000 manifestants avaient répondu à l’appel, alors lancé par tous les syndicats et les patrons impliqués. Une grève générale des fonctionnaires wallons a d’abord été annoncée pour le 10 octobre et a été reportée au 19 octobre.

    Les syndicats des fonctionnaires flamands ont organisé 7 assemblées du personnel durant la 2e semaine de septembre. La participation a été tellement grande et la colère tellement forte que les syndicats ont été obligés d’appeler à la grève pour le 21 septembre. Apparemment, cette annonce a suffi pour faire reculer la ministre flamande Hoomans. La concertation sur ‘‘l’harmonisation des conditions de travail’’ a été renvoyée à des groupes de travail. Il était plus qu’évident que les sommets syndicaux rechignaient à passer à l’action, nous espérons pour le personnel que les syndicats n’ont pas ainsi laissé passer le moment d’éviter une harmonisation vers le bas. Une semaine plus tard, le 28 septembre, 10.000 fonctionnaires fédéraux ont manifesté, surtout des pompiers et des policiers, à propos de revendications semblables. Des escarmouches ont eu lieu avec la police à hauteur de la rue de la Loi.

    Avec le nouveau Journal des pensions du front commun syndical consacré aux métiers lourds, qui était moins fort que l’édition précédente, tout cela a contribué au développement d’une atmosphère sociale. De plus, les ‘‘actions de sensibilisation’’ prévues dans le secteur privé étaient prises plus au sérieux. Ainsi, dans les entreprises chimiques anversoises, une pétition a circulé à propos des fins de carrière et des métiers lourds, une part importante de l’accord d’été. A GSK, dans le Brabant wallon, des assemblées du personnel ont eu lieu. Mais en général, à nouveau, la préparation restait dépendante de l’initiative de quelques individus ou, au mieux, d’une délégation combative.

    Nous avons dit que si le 2 octobre était de cette façon transformé en succès, cela pourrait être un bon début pour lancer une grève générale encore avant la fin de l’année, comme la FGTB de Charleroi & Sud-Hainaut l’a exigé à juste titre. La FGTB de Liège-Huy-Waremme n’a pas voulu attendre jusque-là et a appelé à la grève régionale le 2 octobre. Finalement, ce jour-là, 65.000 syndicalistes ont manifesté toutes provinces confondues.

    C’est surtout en Flandre que la participation a dépassé les attentes. C’est probablement dû au fait que le moyen d’action correspondait mieux à ce qui vit dans les entreprises et dans le mouvement des travailleurs en général. Pour toutes sortes de raisons, la volonté de partir en grève y est plus limitée. Non pas nécessairement parce que beaucoup de gens seraient d’accord avec les mesures gouvernementales, mais la propagande de droite continuelle contre les migrants, les socialistes et les syndicats y laisse en effet ses marques. En plus, un certain cynisme s’est installé contre les syndicats qui aboient mais qui s’enfuient la queue entre les pattes lorsque les choses deviennent sérieuses. Une grève générale y est possible, mais seulement après avoir mené une intense campagne d’assemblées du personnel, de concentrations militantes, etc. Si le succès des manifestations du 2 octobre démontre quelque chose, c’est que les syndicats, s’ils le voulaient, disposent toujours des militants nécessaires pour mener une telle campagne intense. S’ils ne le font pas, alors, ce qui attend la classe ouvrière, c’est une série de reculs prononcés, et ce qui attend les syndicats, c’est de perdre leur pertinence.

    En Wallonie et à Bruxelles, la participation était plus clairsemée, bien que là aussi un certain cynisme existe aussi quant à la volonté d’agir des directions syndicales. La participation moindre était surtout due au fait que beaucoup de gens estiment qu’une manifestation est inadéquate et n’est pas à la hauteur des attaques du gouvernement. Ils auraient préféré saisir l’arme de la grève. Néanmoins, le gouvernement avait perdu l’initiative de déterminer les thèmes du débat public autour des élections communales et provinciales.

    Une cascade de contrariétés

    Comme d’habitude, après cette contrariété, une cascade d’autres a suivi. Fin septembre, il était devenu clair qu’en novembre, seul un des sept réacteurs nucléaires serait disponible en Belgique à cause du manque d’entretien. Les constructeurs privés de l’époque ne suivaient pas les plans de construction à la lettre et les centrales nucléaires n’ont jamais été prévues pour durer aussi longtemps. C’était une mauvaise nouvelle pour la N-VA qui, ces dernières années, était devenue le porte-voix du lobby nucléaire au sein du gouvernement. Voilà qui ne renforcera certainement pas la confiance dans le secteur. Mais il s’agissait également d’une mauvaise nouvelle pour le MR. Cet hiver, un manque d’approvisionnement à hauteur de 1700 mégawatts serait possible. Cela s’était déjà produit il y a quelques années, la ministre Marghem était donc avertie, mais elle n’a rien fait. Tant en novembre qu’en janvier et février, il est possible qu’il faille appliquer le plan de délestage.

    Démarrer de la capacité supplémentaire et importer du courant de France aura un coût supplémentaire. Cela fera augmenter la facture d’énergie des ménages de 40%, et ceci alors qu’à cause de la libéralisation les factures sont devenues 72% plus chères entre 2007 et 2017. Les prix de l’énergie ont déjà conduit à la faillite de quelques casseurs de prix chez les fournisseurs. Ceux qui étaient en faveur de la libéralisation ont toujours nié que cela conduirait à des pénuries d’approvisionnement et finalement même à des black-out. Lors de l’application du plan de délestage il y a quelques années, on en parlait alors comme d’une maladie infantile. Ce n’est apparemment pas le cas. La revendication de la nationalisation du secteur énergétique, la seule possibilité pour rendre une transition énergétique possible, gagnera en force.

    En septembre encore, le gouvernement a connu une autre contrariété. La N-VA surtout, mais de fait tous les politiciens, y compris de l’opposition, craignent qu’un camp de tentes de transmigrants puisse être créé quelque part à la côte depuis la fermeture de la jungle de Calais. La seule manière dont ils pensent pouvoir l’éviter, c’est par la dissuasion : pas de structure d’accueil, des conditions aussi mauvaises que possible et systématiquement envoyer la police. C’est cette politique qui conduit à des drames tels que la mort de la petite Mawda. L’homme qui correspond à cette politique à poigne s’appelle Theo Francken.

    Lui est conscient de l’hypocrisie de l’establishment et du caractère intenable de leur ‘‘fondamentalisme des droits humains’’. Il a même écrit un livre où il se plaint de ‘‘la démographie incontrôlée’’ et de ‘‘la discrimination institutionnalisée’’ dans les pays musulmans. A la Fnac, ce livre s’est retrouvé entre celui de Woodward sur Trump et la dernière édition de Mein Kampf. Lorsque, en septembre, Francken a voulu répondre à la police, qui se plaignait de toujours devoir embarquer les mêmes transmigrants, en relâchant 200 autres sans-papiers pour faire de la place, il apparaissait qu’une trentaine de condamnés figuraient parmi ces derniers. Par après, il est apparu qu’ils étaient simplement connus de la justice. Mais, comme illustration de son improvisation politique, cela pouvait compter. Sa maxime ‘‘Humain, mais ferme’’ devenait soudainement du travail bâclé.

    Le 5 septembre, la VRT a diffusé un reportage sur Scild & Vrienden. Ce club élitiste d’extrême droite s’était fait remarquer ces dernières années par quelques actions ‘‘méchantes’’. A un piquet de grève, à une action en soutien aux réfugiés et en volant et en brûlant un drapeau de la FGTB. Ils ont attiré l’attention de la presse avec des provocations médiatiques inspirées de l’Alt-right et se sont vus offrir un forum, entre autres dans les pages de De Morgen et de Humo. En agissant comme service d’ordre pour Francken et à cause de la sympathie quasiment ouverte d’autres membres de la N-VA, ils pensaient pouvoir s’en sortir, jusqu’à ce qu’ils soient dénoncés par la VRT comme une milice privée d’extrême droite qui appelait à l’armement, qui organisait des camps d’entraînement et qui, derrière l’écran, avait les positions racistes, sexistes et LGBTQI-phobes les plus brutales.

    Contrairement au VMO, au Voorpost, à BBET et à d’autres, S&V est composé d’enfants de l’élite richissime. Les conditions sont bien entendu complètement différentes mais, si les autres groupes s’inspirent plutôt de la SA allemande de l’entre-deux guerres, alors S&V s’inspire plutôt des SS avec un dédain pour le petit peuple. S&V fait un point d’honneur de l’occupation de postes dans la société, mais le groupe a mal estimé quelles étaient les relations de forces et a provoqué une résistance qui a surpassé de loin ses fantasmes juvéniles. Pour le gouvernement, l’affaire sent mauvais. Des membres de S&V figuraient sur les listes électorales du CD&V, de l’Open-VLD et bien entendu du Vlaams Belang, mais surtout sur des listes de la N-VA. S&V ne provient pas seulement du NSV (organisation étudiante officieuse du Vlaams Belang) et du KVHV (cercle étudiant catholique conservateur) mais aussi des Jeunes-N-VA. Pour la N-VA, qui avait eu peine à se débarrasser des soupçons pesants sur son passé dans la collaboration, c’est très ennuyant. Avec d’autres, les Etudiants de Gauche Actifs (EGA), la campagne ROSA et les Syndicalistes contre le fascisme ont saisi l’occasion pour pousser la droite le plus possible dans la défensive.

    Un des arguments les plus importants du gouvernement Michel c’est que, malgré l’austérité, il aurait, grâce au Tax-shift, réussi à faire croître ‘‘notre’’ pouvoir d’achat. Chaque salarié ou allocataire social sent bien qu’il y a quelque chose de pas net derrière cela. Mais lorsque l’on continue à répéter un mensonge, après quelques temps, ce dernier a un effet. Mais, dans les jours ayant précédé les élections du 14 octobre, cela a été taclé par le service d’étude du PTB. Ce dernier a pu lire dans les chiffres d’AMECO, la banque de données de la commission européenne, que la proportion des salaires dans le revenu national brut (RNB) a diminué de 50,5% en 2015 lors de l’arrivée de Michel au pouvoir à 48,5% fin 2017. Il s’agit d’une baisse de 2% chiffrée à 9 milliards d’euros. Si la proportion des salaires n’avait pas baissé, chaque salarié aurait 191 euros en plus par mois !

    La proportion des salaires dans le RNB est ainsi plus basse dans notre pays que dans les pays voisins, elle a diminué 2 fois plus en Belgique qu’au Pays-Bas et 7 fois plus en Belgique qu’en France pendant qu’en Allemagne la proportion représentée par les salaires a même augmenté de 0,6%. La proportion du profit des entreprises dans le RNB a augmenté dans cette même période de 2,7% pour atteindre 22%. Cette augmentation représente 12 milliards d’euros, la plus grande augmentation depuis le début de l’étude de ces statistiques il y a 32 ans. La croissance du profit en pourcentage du RNB est en Belgique équivalente au double des Pays-Bas, à 5 fois plus qu’en France et à 6 fois plus qu’en Allemagne.

    Cette discussion prend place sur le niveau flamand aussi. Matthias Diependaele, président du groupe de la N-VA au Parlement flamand, prétendait fin septembre sur Radio Een que le pouvoir d’achat du flamand a grimpé de 7% entre 2017 et 2019. Il tenait le chiffre du ministre-président flamand Geert Bourgeois (CD&V), dans le texte duquel s’était glissé une erreur de frappe, puis qu’il s’agissait de la législature complète de 2014 à 2019. Le Bureau du Plan a calculé cela et a corrigé le chiffre à 4,7%. Beaucoup moins que les 9% du gouvernement Leterme/Peeters de 2004-2009, par après, une baisse de 5% s’est produite durant la grande récession. A Bruxelles, la croissance pour 2014-2019 serait de 3,2% et en Wallonie de 3,6%.

    Mais cela ne sont que des moyennes qui ne nous apprennent rien. Selon le Bureau du plan, cette augmentation serait surtout due au fait que plus de gens sont au boulot, à la forte augmentation des fortunes et à des diminutions d’impôts telles que le tax-shift. Dans son baromètre socio-économique, par contre, la FGTB démontre que, sur 2 années, 2016-2017, le pouvoir d’achat des salariés en Belgique a diminué de 1,7% pendant que celui des pays voisins a augmenté partout, de 0,85% en France, de 2,2% en Allemagne et de 2,91% aux Pays Bas. Entre 2000 et 2016, dans l’eurozone, le revenu disponible, pas seulement les salariés, mais aussi les allocations sociales et les fortunes, n’a connu de croissance moindre qu’en Belgique qu’en Espagne, en Italie, au Portugal et en Grèce.

    Dans sa réplique au service d’étude du PTB, le MR admet que les revenus bruts ont diminué, mais il ressort un autre argument favori du gouvernement, c’est-à-dire que, grâce à cela, 219.000 jobs ont été créés. Mais le baromètre socio-économique illustre que la croissance des emplois en Belgique est depuis le 2e trimestre de 2015 en dessous de la moyenne européenne, que la Belgique est 25e sur 28 en termes de croissance économique et 24e sur 28 en terme de taux d’emploi. En plus, 53% des nouveaux emplois depuis les débuts du gouvernement Michel sont partiels, 41% à temps plein et 6% en intérim ou du travail saisonnier. Le baromètre socio-économique nous raconte aussi des choses intéressantes sur les indépendants : le nombre d’indépendants qui sont pour 75% dépendants d’un client, c’est-à-dire le nombre de faux indépendants, était de 13,4% en 2010 contre 29,2% en 2015. Le nombre d’indépendants pour moins de 75% dépendants d’un client, les vrais indépendants, a diminué de 86,6% en 2013 vers 70,8% en 2015.

    La FGTB a aussi comparé les revenus des plus de 60 ans par rapport au reste de la population. Dans la zone euro, ils sont en moyenne 3% plus bas. Aux Pays-Bas, ils sont 14% plus, tout comme en Allemagne, mais il s’agit de 22% de moins en Belgique. Si nous regardons les dépenses pour les pensions en pourcentages du PIB, l’Autriche dépense 13,2%, la France 13,8%, l’Allemagne, 10,6% et la Belgique 10,2%. La fortune moyenne de tous les Belges, immobilier compris, est de 510.000 euros, mais c’est en raison de l’existence de quelques très grands, car la fortune médiane, celle de celui qui se trouve tout juste au milieu, n’est que de 217.900 euros. La fortune financière moyenne, sans immobilier, est de 215.000 euros. La fortune financière des 10% les plus riches correspond à 13 fois la fortune médiane, presque un record européen. Les 50% les plus pauvres disposent ensemble de 11,5% de la fortune, moins que le 1% le plus riche qui représentent 12,1%. Le risque de pauvreté a parallèlement augmenté pour atteindre 15,9%.

    Le gouvernement balaye tout cela comme étant de la ‘‘propagande de gauche’’. Le constat du Bureau du Plan a fait plus mal. Selon lui, le déficit budgétaire de 2018 ne serait pas de 0,7% ou 3,2 milliards d’euros, l’objectif que le gouvernement s’était imposé lui-même après avoir abandonné l’ambition d’un budget en équilibre, mais de 1,8% du PIB, soit 8,2 milliards d’euros ! Pas moins de 5 milliards de plus. Ce qui ramène le déficit budgétaire après 5 années d’austérité dure quasiment à nouveau au niveau de celui en vigueur à l’accession au pouvoir de Michel.

    Les élections du 14 octobre et leur signification

    Toutes ces contrariétés ont conduit à un point tournant pour les partis du gouvernement, d’abord dans les sondages à partir du début de l’été et puis, surtout, lors des élections elles-mêmes. Jusqu’au dimanche après-midi des élections, presque tous les partis, à l’exception du SP.a, avaient remporté les élections, la victoire des Verts était réelle mais modérée et la Flandre avait surtout voté à droite. En Belgique francophone, en revanche, les partis traditionnels, en particulier le PS, avaient perdu face à une vague verte à Bruxelles et une vague verte et rouge vif en Wallonie. La conclusion était évidente : nous vivons dans un pays à deux démocraties, l’une toujours plus à droite en Flandre, l’autre toujours plus à gauche à Bruxelles et en Wallonie.

    Le soir-même et les jours suivants, les médias ont dû ajuster leur analyse. En Flandre, nous sommes passés d’un perdant et de nombreux gagnants à de nombreux perdants et deux gagnants. En Wallonie, la coalition de droite MR-CDH s’avère finalement être le plus grand perdant ; et à Bruxelles c’est le MR. Les trois partis gouvernementaux flamands atteignent toujours 58,1% ensemble, mais c’est 6,4% de moins qu’en 2012 et 8,5% de moins qu’en 2014 ! La N-VA perd 3,4% comparé à 2012 et 7% comparés à 2014 et retombe à 24,9%. La perte du CD&V se situe entre 0,6 et 1,6%.

    Le grand perdant SP.a perd 1,2% en comparaison de 2012 et 3,7% comparé à 2014 tandis que Groen gagne 4,9% comparé à 2012 et 4,5% comparé à 2014. Le PTB gagne 1% comparé à 2012. Ensemble, les partis ‘‘de gauche’’ (le SP.a, Groen et le PTB), représentent 26,6% et sont encore loin du compte. L’écart entre ces partis et les partis au pouvoir diminue de 11% par rapport à 2012. Pour le gouvernement flamand, cela signifierait que la N-VA (de 43 à 33 sièges) et le CD&V (de 27 à 26) ne suffiraient plus à constituer une majorité régionale (63 sièges) et que l’Open VLD (de 19 à 18) passerait du rang de partenaire facultatif à celui de partenaire indispensable pour une majorité.

    La N-VA a fait un bon score là où des figures connues tiraient la liste et est le plus grand parti autour d’Anvers, mais le CD&V a étonnamment bien tenu le coup en Flandre occidentale et au Limbourg. L’Open-VLD a pu sauvegarder et conquérir quelques maïorats importants. Le Vlaams Belang a absorbé une grande partie de la perte de la N-VA et se remet fortement de son niveau le plus bas en 2014. Face à 2012, le VB gagne 4% et 7,9% face à 2014. Surtout dans la région de la Dendre et autour de Turnhout, il obtient des scores importants mais, avec 13%, le parti est encore loin de son score monstre de 21,5% en 2006.

    Certains dans le mouvement ouvrier vont saisir la progression du Vlaams Belang pour renforcer le fatalisme et défendre un grand front des partis démocratiques, y compris ceux de droite. Ce serait folie d’entamer une collaboration avec les partis qui créent justement le terreau fertile de l’extrême droite. Il ne faut pas exagérer la progression du VB, mais bien être alerté, considérer de réanimer Blokbuster et donner plus d’attention à Syndicalistes contre le fascisme. Il y a entre-temps en Flandre une vingtaine de communes où la N-VA et le VB parviennent ensemble à la majorité. La remontée du VB confirme ce que nous avons systématiquement souligné : tant que la politique de casse sociale et d’exclusion continue, il est prématuré de déclaré la mort du VB. Du moment que le ballon de la N-VA se vide, celui du VB peut se remplir. La lutte contre l’extrême droite est donc loin d’être terminée.

    En Wallonie et surtout à Bruxelles, le PS est très heureux qu’après les scandales chez Publifin et Samusocial, la perte est restée limitée à 7,9% (25,9%). Le parti sauvegarde ainsi sa position dans toutes les villes centrales importantes, à Liège, Charleroi, la Louvière, Mons et Tournai et parvient à reconquérir Molenbeek et Koekelberg à Bruxelles, tandis que la perte est négligeable à Bruxelles-Ville. La grande percée de la N-VA dans la région, avec laquelle ce parti espérait pouvoir bloquer la formation du gouvernement bruxellois en mai prochain, ne s’est pas produite. Le MR perd 4%, mais cela signifie qu’il perd 4 de ses 6 bourgmestres bruxellois. Et ses figures de proues Marghem à Tournai et Belot à Rochefort font un très mauvais score. Son partenaire de coalition wallon, le CDH, perd 3,5%, mais est déjà content de ne pas être totalement rayé de la carte.

    ECOLO est le grand vainqueur sur toute la ligne avec 16,2%. Ce n’est pas exagéré de parler d’une vague verte, ni d’une vague rouge vif pour le PTB (+7,2% vers 10%). Avec un tel résultat, la prise de pouvoir régionale du MR et du CDH en Wallonie serait sanctionnée en mai 2019. Le MR et le CDH n’arrivent qu’à 33 sièges alors qu’il leur en faudrait 38, PS-CDH n’en a que 34 et PS-ECOLO (36) ne suffirait pas. Si Défi fait un meilleur score en 2019 en utilisant ces têtes bruxelloises en Wallonie, une coalition PS-ECOLO-Défi n’est pas exclue. Sinon arrive à l’horizon une coalition contre-nature PS-MR (45 sièges).

    Bart Sturtewagen, éditorialiste de De Standaard a expliqué : ‘‘La coalition suédoise survit, mais elle a été mise à rude épreuve. Sa viabilité est menacée. La gauche est en plein mouvement, mais n’est toujours pas une alternative. Les extrêmes de droite et de gauche progressent.’’ Nous le dirions en d’autres termes mais son analyse est correcte. Comme toute la droite, il fait un amalgame entre la gauche radicale et l’extrême droite. Ce n’est pas la promotion de la haine, des discriminations, de l’intimidation et de la violence qui est invoquée pour étendre le cordon sanitaire au PTB.

    Mais toute l’Histoire a été jusqu’à présent marquée par des guerres, des guerres civiles, des massacres, des génocides, etc. Les machines à tuer les plus efficaces ont toujours été celles qui avaient atteint le plus haut niveau technologique, et elles se trouvent aujourd’hui en Occident, où ce sont les ‘‘partis démocratiques’’ qui gouvernent. Si le nombre de crimes commis par leurs prédécesseurs ou des alliés à qui ces armes ont été fournies devient la norme, alors presque tous les partis doivent être interdits. C’est totalement hypocrite, la droite le sait pertinemment, mais elle veut à tout prix éviter un gouvernement de gauche des travailleurs. Pour l’instant, cela peut être évité sans faire appel au Vlaams Belang. Mais quand ça deviendra vraiment crucial, les portes du pouvoir s’ouvriront pour lui aussi. De Wever a envisagé tester ce que signifierait une percée prudente du cordon sanitaire par une coalition avec la liste du Vlaams Belang ‘‘Forza Ninove’’, mais les blagues racistes de sa tête de liste et le salut hitlérien de ses partisans ont torpillé le projet.

    De nouveau vers une formation gouvernementale avec le confédéralisme en arrière fond

    Avec ce résultat, la coalition suédoise perdrait totalement sa large majorité (de 85 à 73 sièges sur 150) sur le plan fédéral. Elle pourrait alors embarquer le CDH (7 sièges), mais ce serait une coalition de cinq perdants ! Cela, on voudra l’éviter. Cela pourrait expliquer pourquoi Bart De Wever (N-VA) à Anvers, Tommelein (VLD) à Ostende, De Clercq (VLD) et Van Hecke (CD&V) à Gand lorgnent vers Groen. Les Verts se prétendent ‘‘ni de gauche, ni de droite’’, ils prennent des voix des deux côtés et pourraient servir de monnaie d’échange si les partenaires de la coalition suédoise souhaitent continuer.

    Groen peut bien prétendre ce qu’il veut, dans l’opinion publique on le considère comme de gauche. A chacune de ses participations précédentes au pouvoir, Groen a été sévèrement puni par la suite. Il nous semble peu probable que ce parti rejoigne un gouvernement de droite au niveau fédéral, et certainement pas sans Ecolo à ses côtés. Bien que l’environnement a certainement joué un rôle important, nous pensons que le succès d’ECOLO à Bruxelles peut aussi s’expliquer partiellement par le fait que ce parti est considéré comme tolérant vis-à-vis des réfugiés et des sans-papiers. C’est probablement le parti le plus populaire dans le mouvement de solidarité contre la politique migratoire brutale de Francken.

    Pour ECOLO et pour le PS, il faudrait déjà une grave crise institutionnelle appelant à leur ‘‘sens de l’Etat’’ avant de rejoindre un gouvernement comprenant la N-VA. Mais si le résultat du 14 octobre devient également celui du 26 mai, cela ne peut être complètement exclu. Le caractère thatchérien du gouvernement serait de ce point de vue adouci.

    Renvoyer la N-VA sur les bancs de l’opposition pourrait se faire aussi après les contractions nécessaires. De la simulation de Vives sur la manière dont les élections provinciales se traduiraient en sièges pour mai 2019, il apparaît qu’une tripartite classique ou une autre combinaison de 3 des 4 familles politiques (avec les verts) obtiendrait une majorité fédérale. Est-ce qu’il se pourrait que les coalitions PS-MR dans diverses communes en Wallonie et à Bruxelles représentent un premier pas du PS pour décoller le MR de la N-VA, un peu la contrepartie francophone de la tentative d’approche de la N-VA vers Groen ?

    Même si des gouvernements asymétriques ne sont plus exceptionnels, cela signifie presque avec certitude qu’il faudrait aussi éjecter la N-VA du gouvernement flamand pour éviter que ce gouvernement devienne l’exécutif de lutte de la nation flamande contre le gouvernement fédéral. Mais cela exige une tripartite renforcée des verts, ce qui implique en Flandre que seuls la N-VA, le VB et le PTB s’il obtient des élus seraient dans l’opposition. Dans ce cas aussi, une lourde artillerie communautaire sera mise en position pour tirer des obus confédéraux. Les négociations gouvernementales deviendront d’office compliquées.

    Les coalitions progressistes n’arrivent pas

    La FGTB wallonne s’était déjà prononcée en faveur d’une majorité progressiste PS-PTB-ECOLO au parlement wallon en 2019. Le même appel a également été lancé au niveau communal. Le lendemain des élections, la FGTB a condamné les ‘‘alliances contre nature’’ PS-MR conclues au lendemain des élections, comme à Verviers. Le syndicat a d’ailleurs mené une action à Liège pour soutenir sa revendication. La FGTB explique qu’il y a un déplacement politique vers la gauche en Wallonie, qui était prévisible, et que la composition d’alliances PS-PTB-ECOLO est la seule manière d’opérer un virage à 180 degrés contre les politiques d’austérité du gouvernement Michel selon la FGTB.

    Le PTB a eu raison de vouloir prendre du temps pour en débattre au sein de ses structures et consulter ses membres. C’est compréhensible, le soir-même des élections, on a vu les partis traditionnels former immédiatement des ‘‘accords au coin d’une table’’, en se répartissant les postes. Il est préférable de prendre le temps nécessaire, de consulter la base et de préférence de mener les négociations le plus ouvertement possible au lieu de se laisser piéger dans des négociations secrètes. La constitution de coalitions progressistes doit être ancrée dans un large débat public au sein du mouvement des travailleurs sur la manière de mettre sur pieds une politique de rupture anti-austérité. Mais cela n’enlève rien au fait que le PTB aurait pu se préparer plus tôt en répondant à l’appel de la FGTB lorsqu’elle l’a lancé et en discutant d’avance avec la FGTB, et dans la mesure du possible avec le PS et ECOLO, sur ce qu’une telle coalition pourrait représenter.

    Immédiatement après les élections, il y a eu des discussions entre le PS et le PTB. Pour le PS, l’enjeu était clair dès le début : illustrer qu’il est impossible de parvenir à un accord avec le PTB, que ce parti ne veut pas participer au pouvoir et qu’un vote pour ce parti n’a aucun sens. A Charleroi, où le PS a pu sauvegarder sa majorité absolue, Paul Magnette a invité le PTB mais a immédiatement déclaré que le programme local du PTB augmenterait les dépenses annuelles de 30% ce qu’il considérait comme impayable et irréaliste. Ainsi, il voulait se dédouaner de la responsabilité de ne pas conclure d’accord avec le PTB.

    A Herstal, où Frederic Daerdenne a aussi une majorité absolue avec le PS-H, les choses se présentaient de façon différente. Daerdenne a offert des pourparlers de coalition au PTB avec l’argument qu’ils représentent une tendance réelle dans la commune. Finalement, il n’y a pas eu d’accord, mais il apparaît que la tentative a été réelle. A Liège, il a été clair dès le début que le PS préférait une coalition avec le MR de Christine Defraigne. Defraigne s’est auparavant comportée comme franc-tireur au MR, qui n’était pas d’accord avec les attaques fortes contre le PS et est maintenant remerciée pour cette approche.

    A Molenbeek, la situation était différente. Là, le MR avait chassé le PS de Philippe Moureaux, pourtant le plus grand parti, chose considéré comme historique à l’époque. Pour pouvoir y parvenir, le MR a été obligé d’offrir à ses partenaires de coalition plus petits , le CDH et Ecolo-Groen, autant de postes d’échevins qu’au MR. Catherine Moureaux (PS) a par conséquent laissé entendre immédiatement après sa victoire cette année que des pourparlers avec Françoise Schepmans (MR) n’étaient pas à l’ordre du jour et qu’elle préférait une coalition PS-PTB-Ecolo en raison des nombreuses convergences et de la nécessité d’une majorité progressiste pour s’attaquer aux ‘‘besoins sociaux urgents’’.

    Maintenant que les pourparlers ont échoué et que finalement une coalition PS-MR est formée, le PTB prétend que Moureaux n’a jamais voulu rien d’autre. Nous en doutons. On ne peut pas reprocher au PTB d’être allé aux négociations avec un programme impayable. Dans sa note, le PTB revendiquait 1000 logements sociaux en 6 années de temps, alors qu’il y a pas moins de 17.000 personnes sur les listes d’attentes ; le recrutement de 20 instituteurs, un par école communale, pour 1 million d’euros ; la restauration de la garderie (accueil extra-scolaire) gratuite que Schepmans avait supprimée d’un coût de 2 millions d’euros ; la limitation du salaire des échevins à 6000 euros bruts et la réduction du collège échevinal d’un échevin ; un chèque sport ou culture pour chaque adolescent de 200 euros, d’un coût 1,5 million d’euros.

    Le PTB lui-même chiffrait tout cela à 5,3 millions d’euros, le tout à récolter complètement avec des impôts supplémentaires comme de doubler la taxe sur les bureaux, une taxe sur les logements inoccupés, une taxe sur les terrains à bâtir non-bâtis, une taxe sur les places de parking commercialisées, une taxe de surface sur les grandes galeries commerciales et sur les caisses automatiques et une taxe sur les antennes de GSM.

    Nous pensons que le PTB a adopté cette approche car il pensait que Moureaux était sérieuse. A Charleroi, les revendications du PTB étaient comparables, 3000 logements sociaux, etc. Pour les revenus, de nouveau toute une série d’impôts étaient énumérés tels que sur la force motrice, mais là, le PTB a aussi questionné le carcan budgétaire imposé par les autorités supérieures en inscrivant dans l’accord une lutte pour arracher 15% de moyens supplémentaires des autorités supérieures. Bref, là où le PTB s’en tenait au cadre budgétaire à Molenbeek, le PTB a proposé de la rompre à Charleroi, au moins partiellement. Nous pensons que c’est parce que le PTB était convaincu dès le début à Charleroi que le PS ne faisait que du théâtre.

    Sur quoi les négociations à Molenbeek ont-elles échoué ? Dès la deuxième entrevue, ECOLO a décroché. ECOLO et aussi le PTB reprochent au PS d’avoir trop tenu au clientélisme. Cela ne nous étonnerait pas, mais est-ce que les choses étaient différentes lorsqu’ECOLO était en coalition avec Schepmans ou cela serait-il différent n’importe où avant de disposer d’une majorité absolue ? N’était-ce pas plutôt le refus du PS de passer une majorité des échevins à Ecolo et au PTB bien que ces partis représentent bien moins que la moitié des élus, qui a été à la base de la cassure ?

    Dès qu’ECOLO a quitté le navire, le PTB a dit que le déséquilibre entre le PS et le PTB était si grand que le PS pouvait bloquer n’importe quelle proposition du PTB. Mais ça, un partenaire de coalition peut quand même le faire à tout moment. Le PTB ne s’imagine pas que le travail au sein du conseil communal peut être soutenu par une mobilisation active de l’extérieur et vice versa et que cela aussi fait partie de la construction d’une relation de forces. Mais le plus important, c’est que le PTB n’a pas cassé la négociation sur base du programme, mais sur la division des postes, là où le programme aurait dû être le point de départ pour en arriver à une majorité.

    Qu’est-ce qu’un programme d’urgence sociale signifierait à Molenbeek ? A l’initiative de la CGSP ALR (Administrations locales et régionales), des mobilisations importantes du personnel ont eu lieu dans les services publics locaux et régionaux pour de meilleures conditions de travail 3 jours avant les élections. Est-ce que cette majorité de gauche adopterait les revendications du syndicat ? Cela signifierait entre autres la staturisation du personnel contractuel, de s’en prendre aux bas salaires et d’instaurer une réduction collective du temps de travail sans perte de salaire et avec embauches compensatoires.

    Dans son livre ‘‘Nouvelles Conquêtes’’, Di Rupo ne s’était-il pas prononcé pour la semaine des 4 jours et un salaire minimum de 14 euros de l’heure ? Est-ce que ce n’était pas justement les revendications du personnel ? Pourquoi cela n’est-il pas devenu les points cruciaux dans les négociations ? Ou bien le PS l’avait accepté, une bonne partie du personnel avait connu une forte avancée et la démonstration était faite de ce qu’une coalition avec le PTB était capable de faire. Ou bien le PS l’aurait refusé et alors cela aurait été clair que ce parti n’est même pas prêt à mettre en application ses propres promesses en concrétisant les positionnements du parti sur le plan local.

    Évidemment, un salaire minimum de 14 euros et une semaine de 4 jours ne résoudrait pas tout, tout de suite. Mais cela seulement déjà aurait sans doute provoqué un énorme enthousiasme et jeté la base pour une lutte pour obtenir plus à Molenbeek mais probablement aussi ailleurs. Il y a aussi le gigantesque désinvestissement public source de nombreuses pénuries sociales, y compris au niveau local. Pour changer cela résolument, il faut stopper le transfert des moyens publics vers les profits des grandes entreprises et les riches pour rattraper le retard en investissements publics.

    Ces investissements doivent être orientés vers les besoins sociaux, cela signifie une augmentation drastique du nombre d’écoles, de crèches communales et de logements sociaux publics pour répondre aux nécessités. A Saint-Gilles, avec Gauches Communes, nous avons traduit cela vers un programme local. Sur base des besoins sociaux concrets, nous avons revendiqués un plan radical d’investissements publics pour 4 écoles, 30 crèches, 3000 logements sociaux et 850 emplois décents. Nous avons expliqué qu’il est absolument nécessaire que des majorités de gauche brisent les carcans budgétaires existants. Impossible sans cela d’appliquer un programme qui représente un vrai changement et ne se limite pas à des mesures symboliques dans la marge.

    Notre attitude avant, pendant et après le 14 octobre

    Un conseil communal de gauche qui opère un virage à 180 degrés contre l’austérité sera nécessairement une majorité de désobéissance. Elle sera rapidement soumise par la région à une trajectoire budgétaire faite de coupes budgétaires contre les services publics et le personnel. Si elle s’y oppose, la région pourrait carrément suspendre le conseil et prendre le contrôle de toute la commune : un coup de force contre le mandat des électeurs. La région et le fédéral se comportent de la même manière envers les communes que la commission européenne envers les Etats nationaux ou comme les créanciers se sont comportés envers la Grèce. Cette campagne de Gauches Communes peut sembler plus difficile à mener, mais elle préparait le débat aux attaques venant de la droite, pour qui une politique de rupture anti-austérité serait ‘‘impayable’’.

    Le PTB est confronté aujourd’hui à la difficulté de ne pas avoir mené cette campagne, de ne pas avoir préparé ses militants et ses électeurs à faire face à cette offensive. Il aurait fallu clarifier la nécessité de construire un réseau de villes rebelles qui stimule la mobilisation active de la population et du mouvement des travailleurs pour rompre avec la camisole de force budgétaire. Le PTB en était d’ailleurs conscient. Très exceptionnellement Raoul Hedebouw parlait de ”fronde municipaliste” en analogie avec Mélenchon, mais c’était de manière exceptionnelle, certainement pas de façon systématique. Avec Gauches Communes, nous avons défendu ce modèle de gauche qui, aujourd’hui, a toute son importance dans le débat sur des majorités de gauche.

    Nous savions que le PTB allait réaliser une percée électorale. Pour beaucoup de syndicalistes et de jeunes radicalisés, c’est le seul espoir possible sur le plan électoral. Au plus était forte la percée du PTB, au plus l’idée serait minée que seule la droite a quelque chose à proposer et que la gauche n’offre pas d’alternative. Plus d’une année avant les élections communales, nous avons écrit au PTB pour inviter à nous voir et discuter ensemble de la manière de contribuer au mieux au résultat le plus fort possible. Nous avons offert de déposer des candidats du PSL sur les listes du PTB. Nous n’avons pas reçu de réponse pour finalement essuyer un refus sec 11 mois après.

    Malgré cela, nous ne voulions pas aller à l’encontre du souhait de ce qui représente selon nous une partie importante du mouvement ouvrier. A Gand, où nous sommes jusqu’à un certain point une donnée objective avec une capacité de réaction et de mobilisation reconnue, ils nous ont finalement permis de mener campagne, à condition que cela se fasse séparément des membres et sympathisants du PTB. Cela nous a permis, avec notre propre profil, d’approcher de nombreux électeurs du PTB. En tant que non-membre du PTB et membre du PSL, nous avons quand même appelé à voter PTB, cela n’était pas un frein mais plutôt un avantage et l’occasion d’un dialogue plus ouvert.

    Nous étions préparés à soutenir le PTB au maximum mais sur base de notre propre profil politique. En plus, nous ne voulions pas complètement disparaître du terrain électoral. A Keerbergen, où le PTB n’avait pas de listes, nous avons déposé une liste de 9 candidats tirée par un membre du PSL et avec seulement un autre membre du PSL sous le nom de ‘‘Gauche conséquente’’. En composition sociale, cette liste était particulièrement prolétaire, une représentation idéale de tous les travailleurs de la région. La liste a obtenu 2% dans la deuxième commune la plus riche de Belgique où les partis de droite, Open-VLD, N-VA et CD&V ensemble font un score de 83,4%, 94,5% si nous incluons aussi les verts, Groen.

    Saint Gilles fait partie des communes les plus pauvres du pays, les partis de gauche, PS (39,6%), Ecolo (28,1%), PTB (13%) et Gauches Communes (2,3%) y obtiennent ensemble 83%. Nous savions qu’électoralement nous serions pris en tenaille mais nous voulions d’une façon ou d’une autre pouvoir propager quelque part notre programme et nous espérions pouvoir répéter notre résultat de 2014 (1,12%). En commençant tôt avec un programme reposant sur les besoins sociaux, élaboré en discussion avec les délégués syndicaux du personnel local, et qui offre une perspective combative mais réelle, nous sommes devenus une partie importante de la lutte électorale et il n’a pas été du tout possible de nous marginaliser.

    Nous avons organisé 62 stands en 8 semaines, avec chaque semaine un nouveau tract dans chaque boîte, avec des affiches dans les commerces et d’innombrables discussions. Nous avons réussi à rendre nos thèmes centraux, les logements sociaux, les crèches et l’emploi. Nous avons obligé le conseil communal à répondre et à assurer que les thèmes de la droite, réfugiés, sécurité et identité, n’ont jamais fait surface. Le MR est retombé de 15% à 9%. Le CDH de 8% à 3,7% et Défi de 3,9% à 3,3%. Quand il a été demandé à ECOLO pourquoi le parti ne voulait pas entrer en coalition avec le PTB, ECOLO a répondu que le programme du PTB – 30 crèches, 4 écoles, 3000 logements sociaux et 850 emplois – était impayable. Mais c’était notre programme, pas celui du PTB, qui se limitait à la rénovation de 100 logements sociaux, du parking gratuit et plus d’espaces verts.

    Depuis 2006, le nombre de votes de la gauche radicale à Saint Gilles à évolué de 2,15% ensemble en 2006 vers 7,48% en 2012, 9,08% en 2014 et 15,30 % en 2018. Evidemment, le PTB représente la grosse majorité de cette croissance. Mais Gauches Communes a obtenu en 2018 autant à elle seule que toute la gauche radicale jusqu’à 2007, avant le congrès de renouvellement du PTB de 2008, et autant que le PTB en 2010.

    Que le PTB dispose maintenant d’élus dans beaucoup de communes où nous avons un fonctionnement ne peut pas rester sans conséquence pour nous. Là où l’occasion se présente pour des actions locales, nous les mettrons sous pression pour aborder ces problématiques au conseil communal. Nous devons suivre ce qu’ils font, faire des suggestions concernant le programme et l’action de manière amicale mais correcte et, là où nous disposons nous-mêmes d’une force, en particulier à Gand et à Saint Gilles, nous mettrons les élus PTB sous pression avec nos propres actions.

    Perspectives vers mai 2019

    Le gouvernement Michel est mauvais pour l’économie

    Le gouvernement devra faire attention dans la prochaine période, jusqu’aux élections. Sur le plan économique, les dernières prestations sont décevantes. Le gouvernement s’est même fait corriger par la commission européenne puisque, en plus du déficit budgétaire qui est 5 milliards d’euros plus grand que prévu, le déficit structurel aussi, donc sans influence conjoncturelle et dépense unique, reste 1% au-dessus de l’objectif de 0,8% de 2018 et de 0,8% au-dessus de l’objectif de 0,61% de 2019 comme trajet vers l’équilibre total vers 2020. La commission européenne craint ‘‘une déviation sérieuse’’ de la trajectoire prévue.

    Autre mauvaise nouvelle pour le gouvernement : la Belgique baisse cette année à nouveau de 2 places sur la liste du Forum économique mondial (FEM) concernant la compétitivité. En 2011, la Belgique était encore en 15e position, elle est maintenant à la 21e place. En plus, les perspectives n’ont pas l’air positives pour ces prochains mois. Le ralentissement économique depuis le premier trimestre était considérable, surtout en Wallonie qui dépend de l’exportation pour 40% de son PIB. De cela, 50% va vers les pays voisins : la France (24%), l’Allemagne (16%) et les Pays Bas (8%). Seuls 20% sont exportés en dehors de l’Europe. Selon le service d’étude de l’Union wallonne des entreprises (UWE), la croissance de l’économie wallonne en 2018 serait de 1,4% et en 2019 de 1,3% contre 1,9% en 2016 et 1,8% en 2017.

    Le ralentissement de la croissance est aussi présent en Flandre qui dépend pour 80% de son PIB de l’exportation et est moins sensible à la conjoncture du marché intérieur. En plus, la Flandre exporte également plus à l’extérieur de l’Europe. On craint surtout pour la montée des prix du pétrole et plus globalement pour les prix de l’énergie. Pour l’industrie belge qui est très énergivore, ce serait un coût supplémentaire considérable, mais aussi pour les ménages puisque le marché du logement belge consomme beaucoup d’énergie. En plus, on craint le protectionnisme, surtout sachant que la Belgique est l’une des économies les plus ouvertes au monde, qui exporte 70% de tous ses biens et services et importe une partie comparable.

    Des tensions géopolitiques peuvent également traverser les perspectives économiques, les sanctions contre l’Iran par exemple signifient une malchance pour quelques ténors économiques belges. Ce n’est pas pour rien que Reynders avait visité Téhéran dès que l’accord nucléaire avait été conclu. Le Brexit peut aussi constituer un danger sérieux, on estime que cela pourrait signifier une perte 26.000 emplois dans le pays, dépendant d’un Brexit plus dur ou plus soft. Selon la Banque nationale, la conjoncture économique est déjà en train de tourner, ainsi le nombre d’emplois intérim a reculé en septembre de 3,1% comparé au pic de décembre de l’an dernier. Les emplois intérimaires sont considérés pour l’économie comme les canaris dans les mines.

    Les syndicats pourraient battre le gouvernement

    Après le 2 octobre, l’action sociale ne s’est pas du tout arrêtée. Déjà le 16 octobre, les syndicats des policiers ont été dépassés par leur base qui s’est déclarée massivement malade, ce qui a concerné jusqu’à 25% des effectifs à Bruxelles. Les pompiers aussi sont tout le temps sur le point de partir en action. Les fonctionnaires wallons se sont mis en grève le 19 octobre. A la chaîne de distribution Mestdagh, un mauvais accord social a été négocié. Le nombre de licenciements a été réduit de 450 à 340 et une RCC à partir de 56 ans a été convenue, mais l’ouverture le dimanche, plus de flexibilité et la non-rémunération des pauses ont été donnés en échange. Ce n’est pas du tout devenu la victoire connue chez Lidl avant l’été.

    Cette victoire était présente chez Ryanair où la justice belge est dorénavant applicable et la concertation collective n’a pas seulement été arrachée pour les pilotes mais aussi pour le personnel de cabine. Cette victoire était aussi présente à Aviapartner où des contrats partiels ont été transformés en temps plein et des intérimaires reçoivent un contrat fixe et 3 millions d’euros sont investis dans du matériel. Dans beaucoup de lieux de travail, la frustration est telle que des confrontations soudaines et très dures peuvent arriver. Il est caractéristique que celui qui tient bon obtient ce qu’il veut.

    Il y a moins de succès lors des actions généralisées où l’initiative ne vient pas d’en bas, pas du lieu de travail, mais d’en haut, de l’appareil syndical. Là, il est apparemment impossible de s’accorder ni entre syndicats, ni entre régionales, ni entre centrales professionnelles. De plus, on commence à en avoir marre sur les lieux de travail de toujours devoir attendre le sommet, puis soudainement d’avoir des mots d’ordre sans la moindre consultation et, lorsque l’action est mise en branle, de devoir tirer le frein à main sans la moindre idée du résultat et évidemment sans la moindre consultation.

    A la fin des manifestations du 2 octobre et dans les jours après, nous n’avons rien entendu concernant de nouvelles actions. Le comité fédéral de la FGTB a décidé qu’à l’approche du 26 octobre, un processus de discussion serait initié dans toutes les instances, tant dans les régionales que dans les centrales. C’est positif : ainsi les militants peuvent être impliqués et il est possible d’aborder les discussions sur un programme avec lequel nous pouvons aborder nos collègues et les convaincre. Mais il reste entre temps évident que nous n’allons pas arracher nos revendications en le demandant gentiment à l’un ou l’autre gouvernement. Il faut être honnête et clair : il faudra lutter.

    Cet automne, un nouvel Accord interprofessionnel (AIP) sera discuté. C’est un moment idéal pour vraiment mettre en route la lutte pour les 14 euros de l’heure, pas comme une lutte pour un futur lointain, mais comme quelque chose dont les travailleurs et leurs familles ont besoin dans l’immédiat. Si le salaire minimum n’est augmenté qu’au rythme des derniers AIP, cela peut encore durer 30 ans avant d’atteindre les 14 euros de l’heure. Le mieux serait d’immédiatement aller vers un vrai salaire fédéral minimum sans échappatoire.

    La division pourrait menacer nos actions et nos revendications. En effet, la description des professions lourdes est, par exemple, traitée séparément pour les agents de la fonction publique et le secteur privé. Ne nous laissons pas prendre à ce jeu. Nous devons nous préparer à cette bataille. Cela se fait de préférence en continuant à augmenter la pression jusqu’au dernier jour de ce gouvernement, non pas en attendant que le gouvernement s’efface de lui-même et en criant de temps à autre, nous devons constamment défier la politique dans la rue et dans les entreprises afin que nos besoins soient centraux.

    La proposition de la FGTB de Charleroi & Sud-Hainaut d’organiser encore une grève générale avant la fin de l’année n’a pas été retenue au comité fédéral de la FGTB, mais il y aurait quand même une journée d’action avant le 15 décembre. Ce que cela va devenir n’est pas encore clair. Mais, apparemment, chaque régionale et chaque centrale serait libre de la manière de mettre les choses en place. Quelque part en mars, il y aurait une manifestation syndicale européenne à Bruxelles pour plus de démocratie et concernant les pensions. Nous ne savons pas encore ce que cela va vraiment devenir. Pourtant, les élections ont démontré que le gouvernement est affaibli et peut être battu.

    Mais cela exigerait une campagne nationale des syndicats, avec des formations de militants, des réunions du personnel, des concentrations militantes, des manifs provinciales ou nationales et des grèves à tour de rôle aboutissant à une grève générale nationale. Nous ne savons pas ce qui s’est passé exactement, mais l’annonce dans la presse que le secrétaire fédéral FGTB Tamellini la FGTB voudrait déposer une liste de gauche en mai 2019 pour mettre pression sur le PS, le PTB et ECOLO en faveur d’une coalition progressiste et puis la négation par Vertenueil illustre que, pour l’instant, à la FGTB, ils ne savent plus quoi faire.

    Pourrons nous voter en mai prochain pour un gouvernement de la ‘‘taxe des millionnaires’’

    Nous pouvons pourtant en mai de l’année prochaine pour un gouvernement de la ‘‘taxe des millionnaires’’, du moins si les syndicats réalisent que seul un appel de vote clair pour le PTB peut éviter une coalition de droite. En nous renvoyant de nouveau en direction de la social-démocratie ou même des verts, non seulement la base risque de décrocher encore plus, mais nous courrons alors le risque que ces partis préfèrent dépanner la droite plutôt que de mettre sur pied un gouvernement de gauche.

    Mais le PTB aussi a une responsabilité. Tout d’abord, il est loin d’être sûr qu’en Flandre il obtienne son premier élu. Pour cela, il est nécessaire de réunir toutes les forces de gauche. Le PSL l’a déjà suggéré de nombreuses fois au PTB, a offert de contribuer de prendre cette initiative, mais a été rejeté à chaque fois jusqu’ici. C’est un luxe que le PTB, nous du PSL, les syndicats et les autres forces de gauche ne peuvent plus se permettre. Si nous laissons de nouveau l’initiative à la droite, nous et notre classe prendront une vraie raclée. Le PTB ferait d’ailleurs bien de ne pas attendre jusqu’au jour des élections mais de prendre le plus vite possible, sur base de son résultat aux élections communales, une initiative pour mettre autour de la table autant d’activistes possibles sur le plan local et régional pour préparer ce combat ensemble.

    La justice fiscale est quelque chose sur lequel les syndicats reviennent régulièrement et un souhait sur lequel reviennent des couches larges dans la société. C’est sur ça que le PTB répond avec sa taxe des millionnaires. Evidemment, le PTB sera de nouveau, comme chacun qui va à l’encontre des intérêts de l’élite dominante, être mis de côté comme irréaliste. On va référer au danger de la fuite des capitaux. Le PTB essaye à chaque fois d’y répondre en faisant référence à l’Impôt sur la fortune en France (ISF).

    Il s’agissait d’un impôt sur la fortune beaucoup plus limité et avec nombre d’exceptions qui rapportait chaque année entre 4 et 5 milliards d’euros et est remplacé depuis le début de cette année par un impôt sur la fortune immobilière (ISI) qui n’est plus applicable qu’à l’immobilier. Dans sa forme originale, argumente le PTB, elle n’entraînait qu’une fuite de capitaux négligeable de 0,3%, ce qui fait conclure au PTB que ce serait également faisable dans le cadre de la taxe des millionnaires. Mais l’ISF était très restreint, avec une recette très limitée, presque un coup dans l’eau. Ce que le PTB propose devrait rapporter, à juste titre, 9 milliards d’euros dans une économie 6 fois plus petite que celle de la France. En France, cela représenterait 54 milliards d’euros, environ 12 fois ce que rapportait l’ISF.

    L’ISF a été à l’époque en 1981 introduit par le gouvernement Mitterrand qui a déjà été cité comme un exemple par Raoul Hedebouw à Manifiesta. Parallèlement, Mitterrand avait augmenté le salaire minimum de 10%, introduit une allocation familiale et un 15e mois, la pension à 60 ans, et 5 grandes entreprises et des banques ont été nationalisées. Ce qui a suivi, c’était des lock-out patronaux et des riches qui traversaient la frontière suisse avec des valises pleines d’argent. Mitterrand a cédé par après et son gouvernement a appliqué une politique d’austérité dure avec entre autres l’abolition de l’indexation des salaires. Cela a conduit à une énorme démoralisation.

    La leçon que nous pouvons en tirer n’est pas de laisser tomber la taxe des millionnaires, mais qu’une telle mesure exige un programme de mesures socialistes avec entre autre le non-paiement des dettes publiques, la nationalisation des banques et l’usage de l’arme de la nationalisation contre la contre-offensive patronale inévitable.

    Les élections de mai tombent au même moment que les élections européennes. Pour celles-ci, Mélenchon a pris l’initiative d’un mouvement ‘‘maintenant le peuple’’ qui s’oppose à l’Europe des entreprises et plaide pour casser les traités qui tiennent la population européenne dans une camisole de force austéritaire. Ce mouvement est entre-temps soutenu par La France Insoumise, Podemos en Espagne, le Bloc de gauche portugais, l’Alliance rouge verte danoise, le parti de gauche suédois et l’Alliance de gauche en Finlande.

    Le mouvement veut être une collaboration progressiste reposant sur la démocratie et la solidarité contre le dumping social et pour des droits sociaux garantis. Ils plaident pour la justice fiscale et un système financier équilibré par le contrôle public et le droit à la propriété publique du secteur bancaire. Il veut aussi des investissements publics dans l’énergie renouvelable et la technologie durable. Elle rejette les accords commerciaux et les tribunaux d’arbitrage privés, l’Europe-forteresse et la militarisation de l’Europe.

    Bien que le PSL aurait préféré un rejet plus explicite de l’Europe du capital et un plaidoyer explicite pour une fédération socialiste volontaire en Europe, nous estimons qu’il s’agit d’un pas en avant important en Europe et, jusqu’à un certain point une réponse sur ce qui s’est passé avec Syriza lorsque la Grèce a été financièrement asphyxiée par la troïka et que le gouvernement avait hélas cédé.

  • 1949 – La révolution chinoise

    Dirigeant communiste s’adressant aux survivants de la Longue Marche.

    Le capitalisme et l’impérialisme ont été chassés du pays, mais le pouvoir politique est resté entre les mains d’un parti unique stalinien

    En cette année du 60e anniversaire de la République populaire de Chine (c’est article a initialement été publié en 2009), le régime du Parti communiste chinois est particulièrement nerveux. Il dépend de plus en plus de campagnes de propagande prestigieuses, du style Jeux olympiques, pour s’assurer une certaine base de soutien ; en effet, malgré des décennies de croissance économique record, il est à présent confronté au mécontentement des travailleurs, des paysans et de la jeunesse.

    Ma?o Tsé-Tou?ng (Mao Zedong), l’homme à la tête du Parti communiste chinois au moment de la fondation de la République populaire chinoise il y a 60 ans, a beau être crédité d’être le père fondateur de la nation, le point de vue officiel du régime actuel est que sa politique était une vision d’« ultragauche », qui a dû être « corrigée » par le retour à la loi du marché sous son successeur Te?ng Hsia?o-P’i?ng (Deng Xiaoping) en 1978. Pour en savoir plus sur la véritable histoire révolutionnaire de la Chine, nous devons tout d’abord nous pencher sur ses origines.

    Par Vincent Kolo du groupe « Ouvrier chinois » (section chinoise du CIO), 2009

    Le PCC (Parti communiste chinois) n’est pas arrivé au pouvoir à la tête d’un mouvement des travailleurs. Étant donné son orientation stalinienne et ses méthodes de même type, le PCC était à l’origine en faveur d’un programme limité, l’établissement d’une « nouvelle démocratie », dans le cadre d’une économie capitaliste. Mais, presque malgré lui, le PCC s’est retrouvé hissé à la tête d’une des plus puissantes vagues révolutionnaires de l’histoire mondiale.

    C’est cette véritable fièvre révolutionnaire de masse, dans le cadre du contexte international qui se mettait en place après la Seconde Guerre mondiale, qui a poussé le régime de Mao à introduire les changements qui ont transformé la Chine de fond en comble.

    Cela faisait longtemps que la Chine était connue comme « le grand malade » du continent asiatique ; c’était un pays pauvre, même par rapport au reste de l’Asie à cette époque. Avec son immense population (près de 500 millions d’habitants en 1949), la Chine était le plus grand « État failli » du monde et ce, depuis près de 50 ans.

    De 1911 à 1949, la Chine était un territoire déchiré, partagé entre différents chefs de guerre, avec un gouvernement central corrompu, à la merci des interventions des puissances étrangères. Mais mettre une terme à la domination des comptoirs coloniaux et à l’occupation par des armées impérialistes étrangères n’a été qu’un des gains de la révolution parmi d’autres. Le régime de Mao a également introduit une des réformes foncières les plus importantes de l’histoire mondiale – même si elle n’était pas aussi étendue que la réforme foncière mise en place par la révolution russe, la population rurale concernée était quatre fois plus grande.

    La révolution paysanne

    Cette révolution paysanne a, comme le disait l’historien Maurice Meisner, « annihilé la classe féodale chinoise en tant que classe sociale (en lui ôtant toutes les terres qui constituaient la base de son pouvoir), éliminant ainsi pour de bon une des classes dirigeantes qui avait eu avait eu le règne le plus long de l’histoire mondiale, une classe qui avait pendant très longtemps représenté un obstacle majeur à la modernisation et au retour de la Chine sur la scène mondiale. »

    En 1950, le gouvernement de Mao a également signé une loi sur le mariage qui interdisait les mariages arrangés, le concubinage et la polygamie, tout en facilitant l’obtention de divorces pour les hommes comme pour les femmes. C’était un des bouleversements les plus importants jamais vus dans l’histoire des relations familiales et maritales.

    Lorsque le PCC a pris le pouvoir, 80 % de la population était analphabète. En 1976, à la mort de Mao, l’analphabétisme était tombé à 10 %. En 1949, l’année où Mao a pris le pouvoir, il n’y avait que 83 bibliothèques publiques dans tout le pays, et 80.000 lits d’hôpitaux – une situation d’arriération. En 1975, on y trouvait 1250 bibliothèques et 1.600.000 lits d’hôpitaux.

    L’espérance de vie est passée de 35 ans en 1949 à 65 ans en 1975. Les innovations dans la santé publique et le système d’enseignement, la réforme de l’alphabet (simplification des caractères chinois), le réseau de « docteurs aux pieds nus » mis en place pour couvrir la plupart des villages ont en effet transformé les conditions des populations rurales pauvres. Toutes ces réalisations, à une époque où la Chine était bien plus pauvre qu’aujourd’hui, démontrent la faillite du nouveau système de marché libre et de privatisation qui a amené la crise dans les systèmes de santé et d’enseignement.

    L’abolition du féodalisme était une précondition cruciale pour le lancement de la Chine sur la voie du développement industriel moderne. Le régime de Mao avait tout d’abord espéré pouvoir conclure une alliance avec certaines sections de la classe capitaliste et a laissé des pans entiers de l’économie entre les mains du privé. Mais il s’est rapidement retrouvé contraint d’aller beaucoup plus loin qu’initialement prévu, en expropriant même les « capitalistes patriotes » pour incorporer leurs entreprises dans un plan étatique sur le modèle du système bureaucratique en vigueur en Union soviétique.

    Comparé à un véritable système de démocratie ouvrière, le plan maoïste-stalinien était un outil assez rudimentaire et brutal, mais un outil néanmoins, incomparablement plus vital que le capitalisme chinois corrompu et anémique qui l’avait précédé.

    Au vu du caractère relativement primitif de l’économie chinoise au début de la révolution, le niveau d’industrialisation obtenue tout au long de cette phase d’économie planifiée est absolument époustouflant. De 1952 à 1978, la part de l’industrie dans le produit national brut est passée de 10 % à 35 % (données de l’OCDE). Il s’agit d’un des taux d’industrialisation les plus rapides jamais vus, supérieur au taux d’industrialisation du Royaume-Uni à l’ère de la révolution industrielle de 1801-1841 ou à celui du Japon lors de sa période de transition au capitalisme de 1882 à 1927 (ères Meiji et Taïsh?). Au cours de cette période, la Chine a bâti des industries nucléaires, aéronautiques, maritimes, automobiles et de machinerie. Le PIB mesuré en pouvoir d’achat s’est augmenté de 200 %, tandis que le revenu par habitant augmentait de 80 %.

    Une révolution n’est pas l’autre

    Les deux grandes révolutions du 20e siècle, la révolution russe de 1917 et la révolution chinoise de 1949, ont plus contribué à changer le monde que n’importe quel autre évènement au cours de l’histoire mondiale. L’une comme l’autre ont été la conséquence de l’incapacité du capitalisme et de l’impérialisme à résoudre les problèmes fondamentaux de l’humanité. L’une comme l’autre ont été des mouvements de masse d’une ampleur épique, et non pas de simples coups d’État militaires comme les politiciens bourgeois aiment le raconter. Ayant dit ceci, il faut cependant noter des différences fondamentales et cruciales entre ces deux révolutions.

    Le système social établi par Mao n’était pas le socialisme, mais le stalinisme. C’est l’isolement de la révolution russe à la suite de la défaite des mouvements révolutionnaires en Europe et ailleurs au cours des années 1920 et 1930 qui a fait arriver au pouvoir une bureaucratie conservatrice en Russie sous Staline, qui tirait son pouvoir et ses privilèges de l’économie étatique.

    Tous les éléments de démocratie ouvrière – la gestion et le contrôle de l’économie et de la politique par des représentants élus et dépourvus de privilèges – avaient été anéantis.

    Cependant, comme l’a expliqué Léon Trotsky, une économie planifiée a tout autant besoin de démocratie pour vivre que le corps humain a besoin d’oxygène. Sans cela, sous un régime de dictature bureaucratique, le potentiel de l’économie planifiée peut être dilapidé et au final, comme cela a été démontré il y a maintenant un peu plus de vingt ans, l’ensemble de l’édifice se voit menacé de destruction.

    Mais c’est le modèle stalinien qui a été adopté par le PCC lorsqu’il a pris le pouvoir en 1949. Car même si l’URSS stalinienne était loin d’être un véritable système socialiste, l’existence d’un système économique alternatif au capitalisme et les gains visibles que cela représentait pour la grande masse de la population exerçaient un puissant pouvoir d’attraction et de radicalisation dans la politique mondiale.

    La Chine et la Russie, en raison de leurs économies étatiques, ont joué un rôle important dans la politique mondiale en contraignant le capitalisme et l’impérialisme à faire toute une série de concessions, notamment en Europe et en Asie.

    La révolution chinoise a accru la pression sur les impérialistes européens qui ont fini par évacuer leurs colonies dans l’hémisphère sud. Elle a aussi contraint l’impérialisme états-unien, craignant de voir ces pays suivre l’exemple chinois, à financer la reconstruction et l’industrialisation rapides du Japon, de Taïwan, de Hong Kong et de la Corée du Sud afin de pouvoir utiliser ces États en tant que satellites et zones-tampons pour contrer l’influence de la révolution chinoise.

    Si tant la révolution chinoise que la révolution russe étaient dirigées par des partis communistes de masse, il existait des différences fondamentales entre ces deux partis tant en terme de programme que de méthode et avant tout en terme de base sociale. La révolution russe de 1917, dirigée par le parti bolchévique, avait un caractère avant tout ouvrier, un facteur d’une importance cruciale. C’est ce facteur qui a doté la révolution russe d’une indépendance politique et d’une audace historique qui a permis à tout un pays de s’engager sur une route qui n’avait jamais été ouverte auparavant. Les dirigeants de cette révolution, notamment Lénine et Trotsky, étaient des internationalistes qui considéraient leur révolution comme le début de la révolution socialiste mondiale.

    Au contraire, les dirigeants du PCC étaient en réalité des nationalistes avec seulement un fin vernis d’internationalisme. Cela correspondait à la base paysanne de la révolution chinoise. Lénine a toujours dit que la paysannerie est la moins internationaliste de toutes les classes sociales. Ses conditions de vie, son isolement et sa dispersion, lui donnent une mentalité de village qui lui rend bien souvent difficile même le développement d’une perspective nationale.

    Plutôt qu’un mouvement ouvrier de masse basé sur des conseils avec des dirigeants élus par la base (ces conseils, appelés en russe « soviets », étant le véritable moteur de la révolution russe) dirigé par un parti prolétarien marxiste démocratique (le parti bolchévique), en Chine, le pouvoir a été pris par une armée, l’Armée de libération du peuple chinois (ALP). La classe ouvrière n’a pas joué le moindre rôle dans la révolution chinoise – au contraire, elle a même reçu des ordres pendant la révolution de ne pas faire grève ni manifester mais d’attendre l’arrivée de l’ALP dans les villes.

    La paysannerie est capable d’un grand héroïsme révolutionnaire, comme toute l’histoire de lutte de l’Armée rouge en Russie ou de l’Armée de libération du peuple en Chine l’a montré, que ce soit dans la lutte contre le Japon ou contre le régime dictatorial de Tchang Kaï-chek (Jiang Jieshi). Cependant, elle est incapable de jouer le moindre rôle politique indépendant. Tout comme les villages suivent toujours la ville, la paysannerie, sur le plan politique, est condamnée à toujours suivre l’une ou l’autre des classes urbaines : soit la classe prolétaire, soit la classe capitaliste.

    En Chine, au lieu de voir les villes se tourner vers la campagne, le PCC est arrivé au pouvoir en construisant une base de masse parmi la paysannerie avant d’occuper les villes qui étaient essentiellement passives, fatiguées par des années de guerre. La base sociale de la révolution a eu pour résultat qu’elle a pu copier un modèle social existant (celui de l’URSS), mais pas en créer un nouveau.

    La théorie de la « révolution par étapes »

    L’orientation du PCC envers la paysannerie a été élaborée à la suite de la terrible défaite de la révolution chinoise de 1925-1927, une défaite causée par la théorie de la « révolution par étapes » promue par l’Internationale communiste sous la direction de Staline. Selon cette théorie, la Chine n’était encore qu’à l’étape « nationaliste-bourgeoise » de la révolution (avec un territoire national sous la coupe de différents chefs de guerre), et donc les communistes devaient soutenir et servir le Parti nationaliste (le Kouoo-mi?n tang / Guomin dang) bourgeois de Tchang Kaï-chek. L’impressionnante base jeune et ouvrière du PCC a été brutalement massacrée lors de la prise du pouvoir par le Parti nationaliste.

    Mais si une importante minorité trotskiste s’est formée peu après cette défaite, tirant à juste titre la conclusion que la révolution chinoise devait être guidée par la classe ouvrière et non pas par les bourgeois, la majorité des dirigeants du PCC s’en sont tenus à la conception stalinienne de la « révolution par étapes », même si, ironiquement, ils ont eux-mêmes fini par comprendre qu’il fallait abandonner cette idée après leur prise du pouvoir en 1949.

    Par conséquent, à la fin des années 1920, le principal groupe de cadres du PCC (pour la plupart issus de la petite-bourgeoisie intellectuelle), conservant ces idées erronées et pseudo-marxistes, est passé à la conception d’une lutte armée à partir du village. Tch’e?n Tou?-hsie?ou (Chen Duxiu), le fondateur du PCC, qui deviendra plus tard trotskiste et sera chassé du parti pour cette raison, avait averti du fait que le PCC risquait de dégénérer au rang de la « conscience paysanne », un jugement qu’on peut qualifier de prophétique. Alors que le parti comptait 58 % d’ouvriers en 1927, il n’en comptait plus que 2 % en 1930.

    Cette composition de classe est restée pratiquement inchangée jusqu’à la prise de pouvoir en 1949, étant donné que la direction ne se focalisait plus que sur la paysannerie et rejetait les villes en tant que centres de la lutte.

    On assistait en même temps à une bureaucratisation croissante du parti, au remplacement du débat et de la démocratie internes par un régime de décrets et de purges, avec le culte de la personnalité autour de Mao – toutes ces méthodes étant copiées de celles de Staline.

    Un environnement paysan, une lutte principalement militaire, sont beaucoup plus enclins à donner naissance à une bureaucratie qu’un parti immergé dans les luttes du prolétariat. Par conséquent, alors que la révolution russe a dégénéré en raison d’un contexte historique défavorable, la révolution chinoise était bureaucratiquement déformée dès le début. C’est ce qui explique la nature contradictoire du maoïsme, d’importants gans sociaux accompagnés d’une féroce répression et d’un régime dictatorial.

    La guerre d’occupation

    Lorsque la guerre d’occupation japonaise a pris fin en 1945, l’impérialisme états-unien a été incapable d’imposer de façon directe sa propre solution pour la Chine. L’opinion publique avait en effet un fort désir de voir les soldats rentrer au pays. Les États-Unis n’ont donc pas eu d’autre option que de soutenir le régime corrompu et incroyablement incompétent de Tchang Kaï-chek en lui envoyant des quantités massives d’armement et de soutien financier.

    Les États-Unis n’avaient cependant que peu de confiance dans le régime du Parti nationaliste chinois, comme l’exprimait le président Truman quelques années plus tard : « Ce sont des voleurs, il n’y en a pas un pour racheter l’autre. Sur les milliards que nous avons envoyé à Tchang, ils en ont volé 750 millions ».

    Pour les masses, le régime « nationaliste » a été une véritable catastrophe. Ce fait est en grande partie oublié aujourd’hui, sans quoi nous n’assisterions pas au phénomène grotesque du regain de popularité de ce parti aujourd’hui en Chine parmi la jeunesse et les classes moyennes.

    Au cours des dernières années du règne du Parti nationaliste, plusieurs villes étaient réputées être remplies de « personnes en train de mourir de faim dans les rues et abandonnées là ». Les usines et les ateliers fermaient en raison du manque de matières premières ou parce que leurs travailleurs étaient trop faibles pour pouvoir accomplir leur travail, tant ils avaient faim. Les exécutions sommaires par les agents du gouvernement, le crime omniprésent sous la tutelle des gangs mafieux, tout cela était la norme dans les grandes villes.

    En plus de la redistribution des terres qu’il opérait dans les zones qu’il avait libérées, la plus grande force du Parti communiste était la haine de la population pour le Parti nationaliste. C’est également ce facteur qui a favorisé des désertions massives des soldats de Tchang Kaï-chek qui passaient à l’Armée de libération du peuple. À partir de l’automne 1948, à quelques exceptions près, les armées de Mao avançaient la plupart du temps sans aucune opposition sérieuse.

    Dans une ville après l’autre, partout dans le pays, les forces du Parti nationaliste se rendaient, désertaient, ou se mutinaient pour rejoindre l’ALP. Dans les faits, le régime de Tchang qui pourrissait de l’intérieur présentait au Parti communiste des circonstances extrêmement favorables. Les autres mouvements de guérilla maoïste qui ont tenté de reproduire chez eux la victoire de Mao (en Malaisie, aux Philippines, au Pérou, au Népal) n’ont pas eu autant de chance que lui.

    Les grèves des travailleurs

    Avec une véritable stratégie marxiste, le Parti nationaliste aurait certainement pu être dégagé beaucoup plus rapidement et à bien moindres frais.

    Dès septembre 1945, à la suite de la débandade militaire du Japon, jusqu’à la fin 1946, les travailleurs de toutes les grandes villes ont organisé une vague de grèves splendide, avec 200.000 grévistes rien qu’à Shanghaï. Les étudiants marchaient en masse dans les rues, dans le cadre d’un mouvement de masse qui reflétait la radicalisation des couches moyennes de la société.

    Les étudiants exigeaient la démocratie et rejetaient la mobilisation militaire du Parti nationaliste dans le cadre de la guerre civile contre le Parti communiste. Les travailleurs exigeaient des droits syndicaux et des hausses de salaire après des années de blocage salarial.

    Au lieu de donner une direction à ce mouvement prolétarien, le PCC a cherché à le freiner, appelant les masses à ne pas recourir à des « extrémités » dans le cadre de leur lutte. À ce moment-là, Mao était toujours convaincu de la nécessité d’un « front uni » avec la bourgeoisie nationale, qu’il ne fallait pas effrayer en soutenant les mouvements des travailleurs.

    Les étudiants ont été utilisés par le PCC en tant qu’objet de marchandage afin de faire pression sur Tchang Kaï-chek, pour le convaincre de se rendre à la table des négociations. Le PCC a tout fait pour maintenir séparées les luttes des étudiants et les luttes des travailleurs.

    Les lois inévitables de la lutte de classe sont ainsi faites qu’en s’efforçant de limiter ce mouvement, le PCC a automatiquement entrainé sa défaite et sa démoralisation. De nombreux militants étudiants et travailleurs se sont retrouvés pris par la vague de répression qui a ensuite été lancée par le régime nationaliste. Bon nombre ont été exécutés.

    Une occasion en or a été ratée, ce qui a permis à la dictature du Kouo-min tang de prolonger sa vie d’autant d’années, tout en rendant les masses urbaines passives, simples spectatrices de la guerre civile qui se jouait dans le pays.

    Après la révolution

    Toujours aussi fidèle à la théorie stalinienne de la « révolution par étapes », Mao écrivait ceci en 1940 : « La révolution chinoise à son étape actuelle n’est pas encore une révolution socialiste pour le renversement du capitalisme mais une révolution démocratique bourgeoise, dont la tâche centrale est de combattre l’impérialisme étranger et le féodalisme national » (Mao Zedong, De la Nouvelle Démocratie, janvier 1940).

    Afin d’accomplir ce bloc avec les capitalistes « progressistes » ou « patriotes », Mao a tout d’abord limité sa redistribution des terres (en automne 1950, elle ne concernait encore qu’un tiers du pays). De même, alors que les entreprises appartenant aux « capitalistes bureaucratiques » (les cadres du Parti nationaliste) avaient été nationalisées directement, les capitalistes privés ont conservé le contrôle de leurs entreprises, lesquelles, en 1953, comptaient toujours pour 37 % du PIB.

    La situation a beaucoup changé avec le début de la guerre de Corée qui a éclaté en juin 1950. Cette guerre, qui s’est soldée par la division de la Corée entre une Corée du Nord, « communiste » (stalinienne) et une Corée du Sud capitaliste (sous protectorat états-unien), a fortement intensifié la pression des États-Unis, avec toute une série de sanctions économiques et même la menace d’un bombardement nucléaire sur la Chine.

    Cette guerre, et la brusque intensification de la situation mondiale qui l’a accompagnée (c’était le début de la « guerre froide » entre l’Union soviétique et les États-Unis) a eu pour conséquence que le régime de Mao, pour pouvoir rester au pouvoir, n’a pas eu d’autre choix que d’accomplir la transformation complète de la société, accélérant le repartage des terres et étendant son contrôle sur l’ensemble de l’économie.

    La révolution chinoise a donc été une révolution paradoxale, en partie inachevée, qui a permis d’obtenir d’énormes avancées sociales mais tout en créant une dictature bureaucratique monstrueuse dont le pouvoir et les privilèges ont de plus en plus sapé le potentiel de l’économie planifiée.

    Au moment de la mort de Mao, le régime était profondément divisé et en crise, craignant que de nouveaux troubles de masse ne lui fassent perdre le pouvoir.

    Un mécontentement grandissant face aux successeurs de Mao

    Lorsque les dirigeants actuels de la Chine contemplent la gigantesque parade militaire du 1er octobre, sans doute pensent-ils en même temps aux problèmes croissants auxquels ils sont confrontés au fur et à mesure que la crise du capitalisme mondial s’approfondit. Les centres d’analyses du gouvernement ont déclaré que le pays a perdu 41 millions d’emplois en 2008 en raison de la baisse des exportations (-23 % cette année). En même temps, le nombre de grève se serait accru de 30 %.

    Le gouvernement est agité. Ça se voit par sa décision de limiter à 200.000 le nombre de participants à la grande parade de la Fête nationale à Pékin – il y a 20 ans encore, on s’accommodait sans difficultés d’un million de participants. Le régime a également prohibé les cérémonies et parades dans les autres villes. Pour quelle raison ? Parce qu’il est terrifié que ces évènements pourraient être exploités pour en faire des marches contre son gouvernement. Partout dans le pays, le régime fait face à une opposition massive de la part de la population, pas seulement dans les régions d’ethnies non chinoises (comme l’Ouïghouristan à majorité turco-musulmane dans l’ouest, où d’ailleurs les Ouïghours n’étaient pas les seuls à marcher contre le régime, les Chinois aussi y étaient).

    Les étudiants de deux universités de Pékin se sont mis en grève contre leur programme d’entraînement trop rigoureux qui leur est imposé avant la cérémonie du 1er octobre, certains allant même jusqu’à brûler leurs uniformes de cérémonie. Sur de nombreux réseaux, on voit les gens commenter « C’est votre anniversaire, maintenant moi j’ai quoi à voir dans ça ? ». Beaucoup de jeunes sont devenus de fervents anticommunistes, qui soutiennent le capitalisme mondial en pensant à tort qu’il s’agirait d’une alternative au régime actuel. D’autres préfèrent se tourner vers l’héritage de Mao, qui a été selon eux complètement trahi par ses héritiers politiques. Au vu de toutes les turbulences sociales et politiques dans le pays, les marxistes tentent, via leur site et leurs publications, de gagner l’adhésion de ces jeunes au socialisme démocratique mondial en tant que seule alternative viable.

  • Comment construire la dynamique du 8 mars parmi les travailleurs ?

    Le 8 mars, la Campagne ROSA (Résistance contre le Sexisme et l’Austérité) veut organiser des marches contre le sexisme en Belgique, dans la continuité du mouvement international croissant en faveur de l’émancipation des femmes et contre toute forme de discrimination.

    De #MeToo à #WeFightBack

    #MeToo a provoqué un raz-de-marée de témoignages. Les politiciens traditionnels ont soudainement lancé des campagnes de sensibilisation contre le sexisme. Cela ne change rien au terreau fertile sur lequel prospère ce fléau, que leur politique d’austérité antisociale renforce d’ailleurs dangereusement.

    #MeToo a clairement démontré que la problématique est sociétale et qu’elle exige une réponse collective. Ces dernières semaines, des actions ont eu lieu sur les lieux de travail, d’une grève chez McDonald’s aux États-Unis contre le harcèlement sexuel à un ‘‘walk-out’’ (une sortie collective du lieu de travail) international chez Google. Nous organiser sur le terrain contre le sexisme est effectivement crucial.

    Le problème social du sexisme s’exprime de plusieurs façons. Le corps féminin est systématiquement utilisé comme objet commercial, ce qui aiguise les stéréotypes à seule fin de vendre. Les conséquences sont profondes concernant la manière de traiter les femmes. Cela entretient la culture du viol, qui présente les victimes comme responsables de ce qu’elles subissent.

    L’égalité formelle existe. Nous sommes pourtant quotidiennement confrontés au sexisme et aux injustices. Le gouvernement prétend défendre les femmes, mais il refuse d’investir dans les soins de santé ou de permettre un accès plus facile aux contraceptifs et à l’avortement. Assurer aux femmes d’être réellement libre de leurs choix implique le fait que donner naissance ne signifie pas tomber dans la pauvreté.

    Nous nous battons :

    • Pour que les syndicats aident à organiser la lutte contre le sexisme sur le lieu de travail : à travail égal, salaire égal ! Non aux abus sexuels !
    • Pour un accès gratuit aux contraceptifs et un accès facile à l’avortement
    • Pour plus d’investissements dans l’enseignement !
    • Pour une véritable éducation sexuelle qui va au-delà de la biologie, avec des agents de formation formés !

    Lutter pour l’émancipation des femmes, c’est combattre l’austérité

    Les femmes sont parmi les premières victimes de l’austérité. La réduction des services publics fait reposer sur les épaules des familles, généralement des femmes, des tâches auparavant collectivement organisées. En Flandre, il existe un système qui encadre l’aide à domicile effectuée par des membres de la famille: 171.846 personnes en 2017, soit 20% de plus qu’en 2015. Le manque de places s’aggrave constamment dans les garderies et les homes pour personnes âgées.

    Les attaques du gouvernement contre les travailleurs frappent plus durement les femmes. La moitié des femmes reçoit une pension inférieure à 1.000 euros par mois. Les attaques contre la retraite anticipée, le crédit-temps et les droits à la pension ne feront qu’empirer les choses.

    Les pénuries sociales engendrent des tensions. Nous avons déjà entendu parler de bagarres après le fait qu’un membre du personnel ait pris un congé parental, ce qui a empêché un collègue de partir en vacances. La colère ne doit pas être dirigée contre l’un d’entre nous, mais contre les responsables du manque de moyens.

    Nous nous battons :

    • Pour des investissements massifs en faveur de services publics décents qui répondent aux besoins existants (crèches, mais aussi transport public, soins de santé,…) avec suffisamment de personnel et de bonnes conditions de travail !
    • Pour le retrait de toutes les contre-réformes qui ont dégradé nos pensions et le crédit-temps! Pour une pension minimale de 1.500 euros par mois !

    Lutter contre la violence faite aux femmes, c’est lutter pour leur indépendance financière !

    Les femmes travaillent souvent dans des secteurs sous-payés, aux emplois temporaires et flexibles et aux contrats très précaires. Aujourd’hui encore, l’écart salarial historique de 20% entre hommes et femmes existe toujours. ‘‘A travail égal, salaire égal !’’, criaient les femmes en grève de la FN Herstal en 1966. C’était aussi le slogan de la grève du personnel municipal de Glasgow, en Écosse, il y a quelques semaines.

    L’incertitude et la pauvreté augmentent les risques de violence. Tant au travail que dans la famille. Que faire si l’on a peur de perdre son emploi ? D’autre part, les bas salaires rendent plus dépendant de son partenaire et donc plus vulnérable en cas de violence domestique. Plus de la moitié des parents seuls connaissent la pauvreté.

    Nous nous battons :

    • Pour une augmentation du salaire minimum à 14 euros de l’heure !
    • Pour une réduction collective du temps de travail avec embauches compensatoires et sans perte de salaire afin de pouvoir combiner harmonieusement travail et vie privée!
    • Pour des allocations sociales individualisées et supérieures au seuil de pauvreté !

    Luttons ensemble !

    Il est facile de se laisser diviser. Certains le font consciemment en instrumentalisant les droits des femmes ou des LGBTQI+. Le Vlaams Belang est un spécialiste en la matière : jusqu’à récemment, ce parti déclarait que la place des femmes était au foyer. Mais en y voyant une opportunité de diffuser le racisme, il s’est soudainement présenté comme un défenseur des droits des femmes. Comment lutter contre une oppression en promouvant d’autres formes de discrimination ? Cette recherche de boucs émissaires détourne l’attention des véritables responsables de la misère sociale. Elle divise aussi notre lutte contre l’austérité et pour défendre nos intérêts communs.

    C’est ensemble qu’il faut nous battre et dépasser le stade de l’indignation. Les problèmes sociaux exigent une réponse collective. La Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, le 8 mars, doit être une journée de lutte ! La place des femmes est dans la lutte, tout particulièrement le 8 mars.

    Participez à l’organisation des marches contre le sexisme le 8 mars ! Demandez à votre section syndicale de soutenir la marche et de lancer un appel à la rejoindre ! Mais surtout : venez vous-même et essayez d’amener des collègues, des amis ou des membres de votre famille.

  • Changement climatique et pollution. Le libre marché n’est pas la solution, c’est le problème!

    Il est plus que temps d’agir, le changement climatique est déjà un fait ! Les pires effets du changement climatique peuvent encore être évités en stoppant la hausse de la température moyenne par rapport à l’époque pré-industrielle pour la limiter à 1,5°C. C’est ce que le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) affirme dans son rapport à destination du sommet climatique de décembre (la COP 24). Cependant, plus l’unanimité grandit sur l’urgence, plus il devient évident que les politiciens traditionnels restent sans réponse. Nous avons besoin de bien plus que des mesures individuelles : il nous faut des investissements publics massifs dans une planification économique écologique.

    Dossier de Michael Bouchez

    Le changement climatique et la pollution sont de plus en plus visibles et tangibles. Les phénomènes météorologiques extrêmes et les sécheresses tuent des dizaines de milliers de personnes par an et affectent des millions d’autres, obligées de fuir en raison d’ouragans, d’incendies de forêt, d’inondations ou de sécheresses dévastatrices. L’été chaud et sec de 2018 constitue un nouveau record. À l’échelle mondiale, à politique inchangée, nous sommes sur la voie d’atteindre une augmentation de 3 à 6° d’ici 2100. Les conséquences que cela représenterait pour l’homme et la nature sont incalculables.

    Les émissions de CO2 qui réchauffent la planète posent également des risques immédiats pour notre santé. Nos enfants grandissent dans les particules fines et la pollution. Selon Greenpeace, la Belgique est l’un des quatre pays les plus pollués d’Europe. Anvers est l’un des “hotspots mondiaux de l’azote”, avec Taiwan, Buenos Aires et Paris. Les particules fines et les substances toxiques que nous respirons quotidiennement causeront un afflux d’asthme, de maladies pulmonaires et de cancers. Les politiciens néolibéraux n’ont pas non plus de réponse à cette question : les émissions en Belgique ont de nouveau augmenté ces dernières années.

    Tous responsables ?

    Depuis des décennies, le problème climatique est dominé par les formules néolibérales. Ainsi, nous serions tous responsables car nous sommes tous consommateurs et pollueurs, les solutions seraient donc individuelles, liées à notre seul comportement. Beaucoup de gens font d’ailleurs de grands efforts. Nous ne constatons par contre pas du tout la même implication de la part de des réels responsables. L’empreinte écologique de l’être humain moyen est relativement faible. Mais les 10% les plus riches au monde émettent autant que la moitié la plus pauvre de la population mondiale !

    Pendant des décennies, les consommateurs ont été mis en avant comme les vecteurs d’un changement grâce à leur comportement individuel. Les consommateurs seraient de nature à stimuler le libre marché à s’orienter vers les “entrepreneurs verts”. Cette manière de voir fut un échec.

    Les initiatives bien intentionnées qui dépassent le cadre du bête ‘‘greenwashing’’ et du capitalisme vert concernant une alimentation saine, locale et durable sont plus populaires aujourd’hui, mais elles atteignent les limites de leur marché de niche. Les prix des agriculteurs biologiques ne peuvent rivaliser avec l’agro-industrie, ce qui signifie qu’ils sont condamnés à rester dans la marge, avec des prix élevés, ou à être repris par des acteurs plus importants de l’agro-industrie qui négligent la production écologique mais savent repérer une bonne affaire. C’est ce qui s’est produit avec le fournisseur et producteur wallon d’électricité verte et de gaz naturel Lampiris, racheté par le pétrolier français Total en juin 2016.

    Les géants de l’agro-industrie, de l’énergie et de l’automobile sponsorisent les fameuses conférences des Nations Unies sur le climat. Ces conférences, comme la COP21 de Paris et la prochaine qui se tiendra en décembre à Katowice, en Pologne, doivent être saisie par le mouvement écologique comme occasion de dénoncer la mentalité de statu quo des dirigeants du monde, sans entretenir la moindre illusion envers ces dirigeants.

    Le sommet sur le climat est une occasion importante de discuter d’un programme qui rompt avec le cadre de pensée néolibéral et propose des revendications collectives pour s’attaquer aux vrais pollueurs plutôt qu’au consommateur individuel.

    Dès 1988, James Hansen, expert de la NASA, a averti qu’il existait un lien évident entre les émissions et le changement climatique. D’importantes campagnes de lobbying et des groupes de réflexion de l’industrie pétrolière et d’autres multinationales climato-sceptique ont pris des mesures pour semer le doute et mettre fin à toute forme de mesures structurelles, d’enquêtes financées par des fonds publics ou même de législation stricte. C’est le contraire qui s’est produit. Les grandes sociétés pétrolières et d’autres multinationales ont été laissées libres d’émettre du CO2 dans l’atmosphère et d’exploiter les ressources naturelles de la planète. Au lieu d’études financées par des fonds publics, les gouvernements néolibéraux ont laissé “l’initiative” au monde des affaires. Aujourd’hui, le déni du changement climatique n’est plus guère pris au sérieux dans l’opinion publique. Les efforts des partisans du statu quo visent à faire porter la responsabilité de la situation aux travailleurs et à leurs familles.

    Aujourd’hui, nous payons le prix de l’approche néolibérale du changement climatique et de la pollution. Depuis 1988, 71 % des émissions de CO2 ont été causées par 100 entreprises. Des sources d’énergie polluantes comme les sables bitumineux, la fracturation hydraulique et l’énergie nucléaire ont bénéficié d’investissements massifs. Les partis verts traditionnels sont les héritiers de ce néolibéralisme. En Flandre, Groen est avant tout un partenaire amical des entrepreneurs qui n’encourage que les initiatives individuelles visant à réduire la pollution et les émissions. En Wallonie et à Bruxelles, ECOLO ne diffère pas fondamentalement de cette approche. La facilité avec laquelle ECOLO entre en coalition avec le MR parle d’elle-même.

    A eux les profits, à nous la facture

    Le capitalisme fait payer sa soif de profits à la collectivité et à la nature. La problématique du plastique est un des derniers exemples illustratifs de ce fait. Les océans et la biodiversité sont asphyxiés par le plastique tandis que des microparticules de plastique pénètrent dans nos aliments. Est-ce la faute des consommateurs qui jettent leurs déchets dans la rue ou à la mer ? Payons-nous le prix de la paresse de l’être humain et de sa pensée à court terme ?
    Le plastique devenant de plus en plus utilisé, les emballages jetables sont devenus très populaires auprès des fabricants enthousiastes vis-à-vis des marges bénéficiaires en jeu. Les produits emballés individuellement restent frais plus longtemps et le plastique permettait de se débarrasser du nettoyage et du recyclage des bouteilles en verre.

    Les bouteilles en plastique pouvaient être incluses dans le prix de revient très bas et ensuite balancées sans le moindre frais pour le fabricant.

    Face à la montagne de déchets plastiques qui s’est soudainement développée et a pollué les parcs et les rivières, l’Etat du Vermont (aux Etats-Unis) a adopté en 1953 une loi interdisant la vente de boissons en emballages non réutilisables ! Dans les années qui ont suivi, les législateurs d’autres régions des États-Unis ont continué à chercher des réponses à la pollution.

    Mais les géants des boissons et les lobbies considéraient qu’il s’agissait d’une attaque contre leurs profits. La même année, Coca-Cola et d’autres géants de la boisson ont fondé avec Phillip Morris l’ONG ‘‘Keep America Beautiful’’ pour mettre pression sur les législateurs et enfoncer dans le crâne du public que le problème, ce n’était pas la production et la vente, mais bien la consommation et l’utilisation. A la population de gérer ses déchets et d’apprendre à recycler ! Après quatre ans de campagne contre la législation, le Vermont a abandonné sa loi et les fabricants ont pu produire des bouteilles en plastique et faire des profits à leur guise.

    La production de plastique est passée de 2,3 millions de tonnes en 1950 à 162 millions de tonnes en 1993 et 448 millions de tonnes en 2015. La moitié de la production est utilisée pour l’emballage et seule une fraction du plastique ‘‘recyclé’’ est effectivement recyclée.

    Ce que cela nous apprend, c’est qu’avant la consommation, il y a aussi la production. En fait, le plus grand succès de Keep America Beautiful a été de transférer la responsabilité environnementale au consommateur. La forme moderne du recyclage individuel, telle que nous la connaissons, provient de la campagne Keep America Beautiful, une campagne de capitalistes qui ont tout fait pour protéger leurs intérêts. C’est un phénomène qui est également apparu dans d’autres domaines et qui a été renforcé par le néolibéralisme.

    C’est un exemple historique qui montre que la logique du profit ne recule face à rien. Les grandes entreprises sont prêtes à (littéralement) empoisonner notre environnement tant que cela leur est rentable. Pour eux, les gobelets jetables étaient une économie, pour nous, pour notre planète, c’est devenu une activité très coûteuse qui met des vies en danger. Pour le capitalisme, la nature n’est qu’une source de ressources naturelles d’une part et de l’autre un terrain vague où balancer ses déchets.

    Sans réponse collective, le capitalisme saura voir une opportunité dans la crise. Le célèbre ‘‘Ocean Cleanup’’ de l’entrepreneur Boyan Slat qui a conçu un système pour pêcher le plastique dans les océans peut maintenant utiliser la crise causée par le modèle de profit pour faire des profits lui-même. Son business plan : ‘‘D’une part, les entreprises peuvent acheter/parrainer une installation, qui prend alors son nom à des fins de marketing. D’autre part, nous voulons fournir le plastique aux producteurs qui en font des produits de consommation. Ils paient pour le plastique comme matière première, mais obtiennent une licence sur notre marque, de sorte qu’ils peuvent rendre leurs produits distinctifs parce qu’ils sont faits de plastique Ocean Cleanup.’’ Notre environnement, leur jackpot.

    Quel programme pour le mouvement climatique ? Des investissements publics contre la soif de profits du privé

    Il nous faut des changements radicaux si l’on souhaite vivre dans un monde à l’oxygène respirable. Le slogan “System change, not climate change” est devenu populaire dans le mouvement climatique. Certains parlent d’ailleurs d’une ‘‘révolution climatique’’. Ces slogans illustrent une recherche de solutions. Mais nous devons aussi oser nommer ces ‘‘systèmes’’ et développer un programme pour réaliser ce ‘‘changement de système’’.

    Il faut stopper la production polluante et inutile, s’engager dans une planification rationnelle de la production, passer le plus immédiatement possible aux énergies renouvelables, se retirer des énergies fossiles et nucléaires, prendre des mesures collectives d’économie d’énergie telles que de meilleurs transports publics gratuits, l’isolation des logements, etc.

    Ces mesures pourtant absolument nécessaires s’opposent aux intérêts de l’élite économique et politique, car elles mineraient les taux de profit. Pour le capitalisme, la pureté de l’air, la propreté des océans, la biodiversité,… ce ne sont pas des incitants économiques. La rentabilité du charbon et du pétrole est bien supérieure à la recherche de sources d’énergie renouvelables.

    L’accent est mis sur le profit privé à court terme et les coûts sociaux (et donc aussi les coûts écologiques) sont imputés à la communauté et ses conditions de vie. Ce n’est que lorsque notre air ne pourra plus être respiré qu’il pourra faire des profits en vendant de l’oxygène. Pour ceux qui peuvent se le permettre, du moins.

    Le rôle de la classe ouvrière dans le mouvement climatique

    Dans le passé, les changements radicaux n’ont jamais été mis en œuvre par l’establishment lui-même. Les élites politiques et économiques ont tout au plus fait des concessions par crainte d’un mouvement masse. C’est l’action collective du mouvement ouvrier, inspiré par un programme socialiste, qui a imposé un changement. C’est également de cette manière que les législations en matière de santé et de sécurité au travail et dans les alentours des usines ont été introduites.

    La classe ouvrière est bien sûr aujourd’hui très diversifiée, elle fait face à une multitude d’activités et de problèmes. Pour ceux qui travaillent 8 heures par jour, qui ne peuvent joindre les deux bouts à la fin du mois, qui doivent s’occuper de leurs parents parce que les maisons de repos sont trop chères et qui doivent élever leurs enfants et les amener à l’école, la question climatique ne semble pas être la plus urgente. Nous avons souvent besoin de notre voiture pour conduire les enfants à l’école et au travail. Beaucoup ne se soucient pas de l’économie du partage, des potagers collectifs ou des zones à faibles émissions qui signifient que les vieux moteurs diesel doivent être remplacés par un neuf sans compensation. Beaucoup de travailleurs d’industries polluantes n’ont pas d’alternative s’ils veulent payer leurs factures et l’éducation de leurs enfants.

    Des bouleversements sociaux majeurs se sont produits lorsque les intérêts immédiats de la classe ouvrière ont coïncidé avec la nécessité de contester le système. Si nous voulons un changement, le mouvement climatique doit donc se concentrer sur un moyen d’impliquer les larges couches des travailleurs, plutôt que de tenter d’influencer des décideurs politiques acquis au capitalisme.

    Le personnel des transports publics est un exemple évident. Les actions de grève des cheminots ou des conducteurs de bus contre les économies et pour de meilleures conditions de travail sont un élément crucial du mouvement climatique. Le mouvement pour le climat peut développer la solidarité en travaillant avec les syndicats à l’élaboration d’un programme pour des transports publics plus nombreux et gratuits, un recrutement supplémentaire et une réduction de la charge de travail.

    On ne peut revendiquer des investissements publics massifs dans l’énergie durable et une sortie de l’énergie nucléaire et des énergies polluantes sans exiger un plan de reconversion, de formation et de création d’emplois dans ce secteur. Les syndicats du personnel de ces secteurs peuvent être mobilisés pour une sortie du nucléaire et des sources d’énergies polluantes, pour un programme de formation des travailleurs et une reconversion vers des emplois verts et sains.

    Cela stimulerait le débat sur les revendications climatiques et leur financement au sein des syndicats et du mouvement ouvrier. Un tel mouvement populariserait également l’idée d’un gouvernement de gauche représentant le mouvement ouvrier et climatique.

    Le programme de la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon est un bon point de départ pour un programme écologique basé sur les intérêts des travailleurs. La FI prône la planification écologique, la nationalisation du secteur énergétique, la sortie du nucléaire, la reconversion des emplois, l’isolation de 700.000 logements par an, …

    En liant les besoins directs des travailleurs et de leurs familles aux mesures écologiques d’un programme socialiste, le mouvement climatique peut s’élargir et se renforcer tout en sortant du carcan idéologique néolibéral des partis verts traditionnels.

    Un parti révolutionnaire

    Cependant, nous ne devons pas nous leurrer. Un gouvernement de gauche qui tente de mettre en œuvre un tel programme et qui défie le système entrera immédiatement en conflit avec la bourgeoisie nationale, l’establishment européen, le FMI et les multinationales. Ils feront tout leur possible pour saboter une véritable transition écologique structurelle et collective, car elle affecterait fondamentalement leurs intérêts. C’est la leçon la plus importante de l’expérience de Syriza en Grèce : à leurs yeux, la démocratie ne doit jamais être en décalage avec le système capitaliste.

    C’est pourquoi, en plus d’un tel programme, un parti révolutionnaire est également nécessaire. En l’absence d’une direction révolutionnaire dotée d’un programme de lutte contre le chantage et le sabotage, les bonnes intentions d’un gouvernement de gauche risquent d’être balayées. C’est ainsi que Tsipras et Syriza ont finalement mis en œuvre le plus important plan d’austérité de Grèce, malgré la volonté du peuple grec de lutter contre ces mesures antisociales.

    Pour permettre une planification et une transition écologiques, une rupture avec le capitalisme est inévitable. Ici aussi, la classe ouvrière est la force sociale qui peut faire changer le système. Elle peut retirer les ressources naturelles et les moyens de production des mains de ceux qui causent les changements climatiques.

    En nationalisant également le secteur financier et d’autres secteurs-clés de l’économie et en les plaçant sous le contrôle démocratique et la gestion de la classe ouvrière, les ressources peuvent être générées pour faire les investissements dont nous avons besoin. Une économie socialiste et planifiée garantirait donc que les décisions soient prises en fonction des besoins de l’humanité et des coûts sociaux (et donc de la nature), plutôt qu’en fonction du profit.

    La recherche nécessaire mais coûteuse de nouveaux développements technologiques, les grands travaux d’infrastructure pour la production et la distribution d’énergie verte, les solutions inclusives et collectives pour nos transports,…. Bref, un plan d’urgence écologique ne donne rien d’un point de vue capitaliste. Combinés à un changement socialiste dans la société, ce sont des investissements démocratiques qui constituent un atout inestimable et une valeur ajoutée pour l’humanité, son environnement et les générations futures.

    Le programme du PSL

    • La mobilisation des activistes, des syndicats et des jeunes dans un mouvement de masse contre les investissements destructeurs soutenus par l’establishment politique.
    • Des transports publics plus nombreux, meilleurs et gratuits, seule véritable alternative aux bouchons et aux particules fines.
    • Une conversion rapide aux sources d’énergie véritablement renouvelables : énergie éolienne, houlomotrice et solaire, …
    • La mise en œuvre de mesures collectives sur base d’un financement public pour économiser de l’énergie, notamment pour rendre les maisons basse énergie.
    • Un programme à grande échelle de reconversion en emplois verts et décents pour parvenir à une reconversion énergétique.
    • Solidarité avec la lutte des populations locales victimes de la sécheresse, des inondations, …
    • Pour une politique d’asile digne et humaine qui ne fasse aucune distinction entre réfugiés politiques, économiques et climatiques.
    • L’expropriation et la nationalisation de la production et de la distribution énergétique sous contrôle démocratique. Combiné à la nationalisation du secteur financier et de la recherche scientifique, les investissements énormes mais nécessaires pourraient être réalisés en peu de temps.
    • Une production socialiste planifiée démocratiquement et basée sur les besoins de la population qui tienne compte de la protection de notre environnement.

  • La série ‘Trotsky’sur Netflix. “L’histoire ? Connais pas.”

    Une des dernières calomnies au sujet de la révolution russe est venue de Russie avec une série en huit épisodes consacrée à la vie de Léon Trotsky. Le révolutionnaire y est dépeint comme un gangster sexiste et assoiffé de sang tandis que les innombrables ouvriers révolutionnaires qui ont sacrifié leur vie pour la lutte contre le dictature du tsar et des capitalistes sont présentés comme un ramassis d’ivrognes idiots. Lev Sosnovsky, de la section russe du Comité pour une Internationale Ouvrière, passe en revue la série ”Trotsky”.

    Comment l’armée d’intellectuels du Kremlin considère-t-elle la révolution ?

    « C’était une personne d’une grande vitalité et d’une énergie inépuisable. Si nous devions chercher un acteur pour représenter Trotsky, le seul qui pourrait vraiment bien jouer ce rôle serait Kirk Douglas (rires). Douglas a ce dynamisme qui était typique de grand-père… Il croyait fermement que le socialisme déterminerait l’avenir de l’humanité. Il n’avait aucun doute à ce sujet. Mais l’horloge de l’histoire avance plus lentement qu’on ne le voudrait. Une vie humaine est très courte comparée aux cycles historiques. » –Esteban ‘Seva’ Volkov (petit-fils de Trotsky) dans une récente interview accordée au magasine Jacobin

    Les auteurs de la série ” Trotsky ” présentée en première sur la première chaîne russe à l’occasion du 100e anniversaire de la révolution russe ont commis une grave erreur. Ils ont oublié d’inclure une clause de non-responsabilité – comme celle que l’on voit souvent au début ou à la fin des films – indiquant une certaine séparation avec la réalité. Il aurait fallu voir un texte tel que celui-ci : “Ceci est une œuvre de fiction. Toute ressemblance avec des personnes réelles, vivantes ou décédées, ou des événements réels, est purement fortuite.”

    La série aurait peut-être été plus supportable avec cela à l’esprit. Peut-être même aurait-il été possible de mieux surmonter cette envie de balancer un objet lourd sur l’écran. Cette série présente en fait la version stalinienne de la mort de Trotsky, telle que décrite par la presse soviétique en août 1940 : “Trotsky est mort dans un hôpital mexicain des suites d’une fracture du crâne – le résultat d’une tentative d’assassinat commise par l’un de ses plus proches associés (…) Enchevêtré dans ses propres réseaux, Trotsky a atteint la limite de la dégradation humaine avant d’être tué par un de ses propres partisans. (…) Trotsky a été victime de ses propres intrigues, trahisons, et atrocités.” Et cette série d’intrigues, de trahisons et d’atrocités nous est montrée, étape par étape, jusqu’au coup fatal de piolet à glace. Même l’assassin est dépeint sous un jour sympathique comme un jeune journaliste.

    Malheureusement, nous ne pouvons pas soumettre cette série à la rigueur de la critique historique en raison de l’absence d’histoire en tant que telle. Toute approche cohérente de la critique historique serait un effort considérable, et pour cela, il existe déjà de meilleures ressources. Ceux qui souhaitent découvrir les événements tels qu’ils se sont produits ont intérêt à oublier cette série et à lire, par exemple, l’autobiographie de Trotsky, “Ma vie”, ou toute autre littérature sérieuse sur la révolution.

    Si la série reste un objet de critique, alors, pour reprendre les mots de Karl Marx, c’est ”tout comme le criminel, qui est au-dessous du niveau de l’humanité, reste l’objet du bourreau”. Plutôt que de refléter des événements historiques réels, la série ne reflète que les idées et les craintes que les idéologues modernes voudraient nous faire avaler.

    Les personnages apparaissent et disparaissent comme des deus ex machina, uniquement selon les caprices des auteurs. Les spectateurs ne peuvent que se poser la question : “Attends, qu’est-ce qui vient de se passer là ??” Le problème, c’est que les auteurs tentent d’aborder un sujet qu’ils ne comprennent pas. Ils considèrent le Soviet de Petrograd, le Parti bolchevique, le Comité militaire révolutionnaire et même la révolution elle-même comme de simples mots, complètement dénués de sens.

    Par exemple, le pseudo-Lénine reproche au pseudo-Trotsky d’avoir pris le pouvoir pour le parti. Mais on ne nous montre jamais le contexte de cet échange, ni le parti lui-même d’ailleurs. Au lieu de cela, on nous montre pseudo-Lénine parlant devant un congrès de la nécessité de renverser Plekhanov. Mais le spectateur restera complètement déconcerté : qui sont tous ces gens ? Qui est Plekhanov, comment est-il arrivé à sa position dans le parti et pourquoi devrait-il être destitué ?

    Un peu d’argent sale des ambassades étrangères, une paire de dirigeants charismatiques, une foule de marins ivres – tout cela, selon les auteurs, est ce à quoi ressemble une révolution.

    En fait, les auteurs de cette série tentent de nous ramener à une époque antérieure à l’émergence de la science historique, celle où l’histoire était décrite comme une chaîne d’actions effectuées par de “grands hommes” – princes, rois, empereurs, ou, dans ce cas, un ou plusieurs chefs révolutionnaires. Même les classes sociales et les nations n’apparaissent comme rien de plus que de l’argile entre leurs mains.

    Pendant ce temps, les aspects psychologiques de l’intrigue sont lourdement réduits à une sorte de pseudo-freudisme. Les interprétations de la relation entre notre héros et la foule, ainsi que vis-à-vis du sexe, de la violence, de la mort et de la révolution, ne connaissent pas de limites. Tout cela accompagné de sexisme. Les “masses” sont comparées à une femme qui n’a pas – et par définition ne peut pas avoir – ses propres intérêts. Par conséquent, elle a besoin d’un “mâle alpha” pour prendre toutes ses décisions à sa place.

    Si vous êtes à la recherche d’un grand drame politique et de passions humaines, vous feriez mieux de vous tourner vers la pièce de Sartre ”Les mains sales”. Dans l’ensemble, il s’agit d’une bien meilleure utilisation de son temps pour apprendre la dialectique et le matérialisme historique.

    Lénine, à différentes époques, a été joué au théâtre et au cinéma par Yuri Kayurov, Alexander Kalyagin, Cyril Lavrov, et Mikhaïl Ulyanov. Comme beaucoup de membres de l’intelligentsia des derniers moments de l’Union soviétique, ils étaient très critiques envers le régime soviétique. Mais, en tant qu’artistes, ils pouvaient se surpasser et embrasser pleinement le personnage qu’ils représentaient, créant ainsi des performances très mémorables.

    L’expérience est très différente des performances de Khabensky et Stychkin dans le rôle de Trotsky et Lénine. Ils n’atteignent pas la hauteur de leurs personnages et ne cachent pas leur antipathie à leur égard. Ils finissent par conséquent à abaisser les personnages à leur propre niveau de médiocrité.

    Contrairement à la fertile imagination des auteurs, Léon Trotsky n’a pas trahi son ami le marin Nikolaï Markine. En fait, à la nouvelle d’une tentative d’assassinat perpétrée contre Lénine, Trotsky avait été convoqué à Moscou à la veille de la capture de Markin. Markin est de plus présenté comme un voyou éternellement ivre extorquant des roubles aux passants. C’était en réalité un ouvrier instruit – un électricien – ce qui était l’une des qualifications les plus élevées de son époque. Markin a rejoint le Parti bolchevique en 1916, alors qu’il était sous-officier dans la marine impériale. Il a ensuite servi dans le détachement gardant Lénine et Trotsky pendant la révolution de 1917, et a souvent servi comme mandataire de Trotsky dans le Comité des affaires étrangères du premier gouvernement soviétique.

    Pendant la guerre civile, Markin s’est retrouvé commissaire politique de la flottille de la Volga. Il est héroïquement mort au combat. Comme indiqué sur le site du Musée d’histoire locale de Penza : “Le 1er octobre 1918, alors qu’il effectuait une reconnaissance sur la rivière Kama, près de Pyany Bor, sur la canonnière Vanya-Communiste, il tomba dans une embuscade d’artillerie (ils ne remarquèrent pas la batterie camouflée sur le côté du navire). Le navire a été coulé. Markin, courageux et audacieux, mourut avec le navire tout en assurant les tirs de couverture pour les membres de l’équipage.”

    Larissa Reisner a consacré quelques lignes au matelot Markin qui louent son courage. Elle n’est au fait présentée dans la série que comme une “jeune femme glamour” alors qu’elle était bien plus que ça. Journaliste, commissaire et éclaireuse, elle a à maintes reprises engagé les Blancs au combat.

    Malheureusement, le sujet est trop tabou pour qu’une description honnête de la révolution et de ses dirigeants puisse être faite aujourd’hui. Les travailleurs en Europe et même aux Etats-Unis commencent à s’intéresser de plus en plus à la politique – et beaucoup d’entre eux s’intéressent au socialisme. En Russie aussi, les jeunes s’intéressent à la politique et veulent occuper les rues.

    La classe dirigeante a besoin d’une riposte idéologique pour contrecarrer l’évolution actuelle des choses et elle essaye de la trouver en salissant la Révolution et ses héros à l’aide d’une intelligentsia privilégiée. Comme l’écrivait Larissa Reisner en son temps : “en littérature, ils ne se disputent pas sur la formation de l’intrigue, la beauté d’une syllabe ou le dénouement de l’histoire – non – ils se disputent, avant tout, sur la politique. Nulle part la lutte des forces sociales n’est plus aiguë, plus éclatante et impitoyable que dans l’art (…)”

    Mais, en période de bouleversement politique, une telle anti-propagande peut avoir un effet inattendu pour ses créateurs, en incitant les gens à commencer à chercher la vérité historique des idées, des personnalités et de la lutte des classes représentées.

    Comme antipode moral à Léon Trotsky, les auteurs ont mis en avant Ivan Ilyin : ils sont bien conscients qu’il s’agit du philosophe préféré de Poutine. Ils ont bien entendu oublié d’ajouter que cette “autorité morale” vantait le fascisme, ayant trouvé en lui un esprit “semblable à celui du mouvement russe blanc”. Et même en 1948 – après toutes les horreurs de la Seconde Guerre mondiale – il n’a pas hésité à écrire que le fascisme avait raison, parce qu’il venait d’un sentiment national-patriotique “sain”, sans lequel les gens ne peuvent affirmer leur existence ou créer leur propre culture.

    Il convient de mentionner que les similitudes entre le fascisme et les gardes blancs russes ont été remarquées par le vrai Léon Trotsky, qui a averti dans les années 1930 qu’Hitler se positionnait comme le combattant de la bourgeoisie contre les socialistes, les communistes et les juifs à l’échelle européenne.

    Ivan Ilyin n’est donc guère la personne adéquate pour critiquer l’”humanisme” de Léon Trotsky. Et si vous désirez vraiment attribuer la responsabilité morale de l’Holodomor, de la collectivisation forcée et du goulag à Trotsky, alors il faut au moins être cohérent et attribuer la responsabilité de Babi Yar, Khatyn, Auschwitz et Buchenwald à Ivan Ilyin.

    Quoi qu’il en soit – pour toutes les tentatives passées, présentes et futures de qualifier la révolution d’immorale – Léon Trotsky a déjà fourni une réponse dans son essai “Leur morale et la nôtre” :

    « L’évolutionnisme bourgeois s’arrête, frappé d’impuissance, sur le seuil de la société historique, ne voulant pas admettre que la lutte des classes soit le ressort principal de l’évolution des formes sociales. La morale n’est qu’une des fonctions idéologiques de cette lutte. La classe dominante impose ses fins à la société et l’accoutume à considérer comme immoraux les moyens qui vont à l’encontre de ces fins. Telle est la mission essentielle de la morale officielle. Elle poursuit “le plus grand bonheur possible”, non du plus grand nombre, mais d’une minorité sans cesse décroissante. Un semblable régime, fondé sur la seule contrainte, ne durerait pas une semaine. Le ciment de l’éthique lui est indispensable. La fabrication de ce ciment incombe aux théoriciens et aux moralistes petits-bourgeois. Ils peuvent faire jouer toutes les couleurs de l’arc-en-ciel ; ils ne sont, tout compte fait, que les apôtres de l’esclavage et de la soumission. »

  • Que s’est-il réellement passé le 10 novembre 1918 à Bruxelles ?

    Le POB fait tout ce qui est en son pouvoir pour éviter la révolution

    Le dirigeant du POB Joseph Wauters a fait tout son possible pour étouffer dans l’œuf l’appel en faveur d’une république socialiste.

    10 novembre 1918, Bruxelles. Le lendemain, les armes allaient enfin se taire. La veille, l’empereur abdiquait et l’Allemagne devenait une république. La révolution gronde. Durant ces journées, le pouvoir est vacant. Le contrôle de l’armée allemande vacille. Un conseil de soldats s’est substitué à Bruxelles pour que la retraite se passe de façon aussi ordonnée que possible. Le conseil de soldats cherche à rentrer en contact avec les ouvriers bruxellois. Des drapeaux rouges flottent. On pense à un État ouvrier. Même au sein du syndicat belge, le soutien à cette idée grandit.

    Par Wilfried Mons

    L’establishment, au cours des quatre longues années de guerre, avait toujours été bien représenté via le comité national de secours et d’alimentation sous la direction du banquier Francqui, président de la puissante Société Générale. Le Parti ouvrier belge (POB) a été assuré de sa participation au premier gouvernement en récompense de son approbation des crédits de guerre et de son attitude loyale durant le conflit, un gouvernement d’unité nationale avec les catholiques et les libéraux.

    Le POB fait tout pour éviter la révolution

    Un changement révolutionnaire n’avait-il aucune chance chez nous ? Ce constat domine la majorité des écrits portant sur les événements de novembre 1918. Nous avons l’impression, a posteriori, que le refus de la main tendue du conseil de soldats allemands par la direction du POB a suffi à étouffer dans l’oeuf toute tentative révolutionnaire de la part du mouvement ouvrier.

    Ainsi, on peut lire dans l’ouvrage de référence sur l’histoire sociale ‘‘Wat zoudt gij zonder ‘t werkvolk zijn?’’ (‘‘Que serions-nous sans la classe ouvrière ?’’, 1977) : ‘‘Lorsqu’un jour avant l’armistice, les conseils de soldats allemands ont hissé le drapeau rouge sur l’hôtel de ville de Bruxelles et ont pris contact avec les socialistes belges, le POB a clairement fait comprendre qu’il n’était absolument pas favorable à ce type de révolution. Il refusait toute collaboration. Il incitait constamment la population à ne pas s’adonner à des troubles qui ne feraient qu’augmenter le chaos existant’’.

    Dans ‘‘L’histoire du Parti Ouvrier Belge’’ (Marius des Essarts et Sylvain Masy, 1937), il ressort de façon évidente, de ce premier aperçu historique complet du POB, que la direction du parti socialiste n’était pas favorable aux conseils de soldats de Bruxelles et Anvers. Ces derniers étaient encore considérés comme des ennemis criminels. ‘‘Ce n’est pas parce que vous faites une demi-révolution à la suite de votre défaite militaire que nous allons pardonner vos erreurs et vos crimes en tant qu’armée envahissante.’’

    Dans ‘‘Koning Albert, Charles de Broqueville en de Vlaamse Beweging tijdens de Eerste Wereldoorlog’’ (‘‘Le roi Albert, Charles de Broiqueville et le mouvement flamand durant la Première Guerre mondiale’’, 1982), Luc Schepens écrit sur les discussions de Loppem où séjournait le roi : ‘‘Le 11 novembre 1918, en présence du chef du gouvernement Cooreman, (….) une délégation du Comité National d’Aide et de Nutrition s’est réunie, composée de P.E. Janson, délégué d’Emile Francqui, et Pedro Saura, délégué de l’Ambassadeur espagnol le Marquis de Villalobar. A Gand, le représentant socialiste Edouard Anseele les avait rejoints. Dans une lettre du 24 novembre 1918 à son épouse, le ministre A. Van de Vyvere raconte ce qu’il a entendu de la bouche de G. Cooreman au sujet de cet entretien. Pedro Saura a déclaré au roi : ‘‘Hier [le 10 novembre], des soldats allemands se sont révoltés à Bruxelles. Ils ont levé le drapeau rouge, établi un conseil de soldats et ont invité la population à fraterniser avec eux et à déclarer la révolution sociale. Une partie du Parti socialiste, à l’instigation d’un certain [Vincent] Volckaert, s’est alignée sur cette idée. Wauters, rédacteur en chef du Peuple et député socialiste, s’est immédiatement rendu à la Maison de Peuple où ils s’apprêtaient à proclamer la république. Il a dû y plaider pendant deux heures pour les convaincre d’être plus raisonnables, et il a dû promettre aux travailleurs bruxellois le suffrage universel à l’âge de 21 ans.’’

    Le ‘‘coup de Loppem’’

    A première vue, il semble que Schepens était isolé, comme le dit le célèbre historien de gauche José Gotovich : “il est bien seul à évoquer cet épisode.” Dans son récit des événements turbulents de Bruxelles, ce dernier ne parle de la version de Schepens qu’à la toute fin, en mentionnant à tort que Schepens ne mentionne pas de source puisqu’il mentionne une lettre de Van de Vyvere.
    Les conservateurs ont accusé les socialistes d’avoir fait chanter le roi pour faire respecter le suffrage universel masculin avec la menace de la révolution. Cette accusation est connue sous le nom de ‘‘coup de Loppem’’. La version de Schepens contredit cela : la direction du POB n’a donné qu’un état des lieux et s’est activement engagée dans la lutte contre la menace révolutionnaire.

    Un large soutien à l’idée d’une république socialiste dans les syndicats

    Il est remarquable que peu de choses aient été écrites sur les syndicalistes favorables à la république socialiste. Même la brochure biographique sur Joseph Jacquemotte, alors dirigeant syndical de gauche, puis dirigeant du parti communiste, ne le mentionne pas.

    Cependant, dans une interview accordée à Karel van de Woestijne pour le Nieuwe Rotterdamsche Courant (NRC) le 17 novembre 1918, le député du POB Joseph Wauters lui-même a confirmé que des couches plus larges de syndicalistes étaient favorables à un soulèvement. Il a déclaré, entre autres : ‘‘Les syndicats qui se sont si bien comportés pendant la guerre veulent maintenant reprendre toute liberté d’action, ne veulent faire aucune concession, pas même sur la question de la royauté. Ils voient l’opportunité de faire de l’idéal socialiste une réalité.’’ Il a ajouté : ‘‘Mais nous pensons que certaines questions doivent être éliminées pour le moment si nous voulons obtenir des partis bourgeois les concessions que nous estimons nécessaires. C’est la seule chose qui nous sépare des extrémistes : une question de tactique.’’

    L’appel à la république socialiste a été remplacé par le suffrage universel masculin. La direction du POB a estimé que la réalisation d’une société socialiste résulterait de ce droit de vote. Il s’est avéré que c’était une grave erreur de calcul. Le manque de soutien du mouvement ouvrier belge a sapé le conseil de soldats et l’opportunité d’un changement socialiste dans notre pays a également été perdue.

  • L’électricité de plus en plus chère, sans aucune garantie de service fourni !

    Photo: Flickr/nathanchantrell

    Contre l’échec du marché privé, la reprise en mains publiques du secteur de l’énergie

    Peut-être lisez-vous cet article à la bougie après que l’électricité ait été coupée ? Les chances que cela se produise en novembre sont finalement très limitées, mais l’échec de la politique en vigueur a conduit à l’élaboration d’un plan de délestage. Cette panne d’électricité potentielle s’ajoute à la série d’échecs du gouvernement fédéral. La politique du laissez-faire qui domine depuis longtemps – les grands producteurs et distributeurs d’énergie peuvent faire tout ce qu’ils veulent – n’a entraîné ni sécurité énergétique ni politique énergétique durable.

    Par Arne (Gand)

    Le chaos du marché de l’énergie

    En Belgique, la production d’énergie a toujours été privée. EBES a été créée en 1956 à partir de trois sociétés énergétiques régionales, dont la SEE (créée par la Société Générale). Les autres grands producteurs d’électricité – Intercom et Unerg – étaient étroitement liés les uns aux autres par l’intermédiaire d’actionnaires importants tels que la Société Générale, le Groupe Bruxelles-Lambert et Albert Frère. En 1990, ils ont fusionné pour former Electrabel.

    La distribution de l’énergie a été organisée en fonction de l’utilisateur. Les communes ont obtenu le monopole de la fourniture d’électricité aux particuliers et aux petits consommateurs. Les gros consommateurs ont pu se tourner vers les distributeurs d’électricité communaux ou directement vers les entreprises privées. A partir de 1922 et de la première loi intercommunale, les entreprises communales d’énergie ont formé des alliances toujours plus complexes. Les collaborations avec le secteur privé se sont également multipliées, les entreprises intercommunales mixtes devenant la norme.

    Après la Première et la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement belge a refusé de nationaliser l’ensemble du secteur énergétique, contrairement à presque tous les autres pays d’Europe occidentale. Le privé est resté en charge du marché, avec une concentration qui a conduit au monopole d’Electrabel en tant que producteur et fournisseur d’énergie.

    En 2005, la libéralisation complète de l’approvisionnement en énergie a été mise en œuvre : en plus d’Electrabel, d’autres fournisseurs d’énergie sont arrivés comme Luminus (propriété d’EDF en France), la société néerlandaise Eneco, Lampiris (aujourd’hui propriété de Total) et Essent (propriété de la société allemande Innogy). Steve Stevaert (SP.a) faisait alors remarquer que ‘‘la libéralisation du marché de l’énergie est bonne pour les citoyens’’. Absurde. En 2006, Electrabel a annoncé une hausse de prix qui a augmenté la facture moyenne de 105 euros par an. Electrabel – qui appartenait déjà à l’époque au holding français Suez, devenue Engie – a réalisé un bénéfice de 3,6 milliards d’euros la même année, notamment grâce aux cadeaux fiscaux.

    La libéralisation était une bonne affaire pour les géants de l’énergie, pas pour la population. Entre 2007 et 2017, le coût de l’électricité a augmenté en moyenne de 71,8 % pour une famille ordinaire. ‘‘Environ un cinquième des ménages belges vivent dans la précarité énergétique’’, déclarait l’an dernier la Fondation Roi Baudouin.

    Le manque d’investissements conduit au délestage

    En novembre, un seul des sept réacteurs nucléaires sera opérationnel. Le mauvais entretien des autres réacteurs et centrales amène notre pays à réaliser presque par hasard une sortie du nucléaire. La défaillance des réacteurs entraîne une pénurie d’électricité imminente. Entre-temps, des capacités supplémentaires ont été trouvées ailleurs, mais le risque d’une carence en électricité demeure pour le début de 2019.

    La menace d’une pénurie d’électricité est utilisée pour faire monter les prix de l’énergie. Cette stratégie a également été utilisée en 2014 avec la clôture prévue des réacteurs Doel 1 et 2. Rétrospectivement, il s’est avéré qu’il n’y a jamais eu de véritable risque de pénurie d’électricité. C’était l’occasion de faire payer 100 euros de plus par an aux familles. La même chose menace aujourd’hui de se produire pour l’électricité et le gaz. De Tijd rapportait en octobre que les prix de l’électricité et du gaz pourront potentiellement augmenter de 270 à 400 euros sur l’année !

    Les centrales nucléaires ont été construites dans les années 1970 et 1980 et n’étaient pas destinées à être maintenues en activité aussi longtemps. Cependant, elles génèrent des profits faciles à encaisser ; même longtemps après avoir été amorties, cet argent n’a pas été pour autant investi dans d’autres productions d’énergie. On a connu des problèmes de fissures dans les réacteurs Tihange 2 et Doel 3. Dans le réacteur Tihange 3, il y a un problème avec l’acier du béton armé. Le manque d’investissements dans des alternatives retarde la sortie du nucléaire. Le lobby nucléaire, soutenu par la N-VA, utilise la situation pour mettre en garde qu’une sortie du nucléaire conduirait à des pannes d’électricité et à des augmentations substantielles de prix.

    En 2008, la CREG – la Commission de régulation de l’électricité et du gaz – avait déjà tiré la sonnette d’alarme en annonçant une pénurie d’énergie imminente en raison de nos importations élevées d’énergie. Contrairement à tous les pays voisins, la Belgique a importé plus d’énergie entre 2000 et 2008 qu’elle n’en a exporté. Les importations ont augmenté de 149% et ont rendu la Belgique encore plus dépendante des grandes entreprises énergétiques étrangères. Les importations massives n’ont pas entraîné de baisse des prix. En 2017, un Belge ayant une consommation moyenne avait une facture, en moyenne, de 996 euros, contre 534 et 585 euros aux Pays-Bas et en France.

    Le refus d’investir suffisamment dans la production d’énergie renouvelable est lié aux intérêts financiers des grandes entreprises énergétiques qui contrôlent le marché belge. Au lieu d’investir, on fait des économies jusqu’à ce que la lumière menace de s’éteindre.

    Nationalisons le secteur énergétique !

    Les politiciens font diverses propositions pour faire baisser le prix de l’énergie. Ils parlent de taxes, d’une réduction de la TVA ou d’un contrôle des prix. Ce sont des propositions intéressantes, mais elles ne mettent pas fin à la recherche de profits des grandes entreprises énergétiques. Les taxes sur les entreprises du secteur sont répercutées sur les utilisateurs. Une réduction de la TVA est certainement nécessaire, car l’énergie n’est pas un produit de luxe, mais cela ne provoquerait qu’une baisse temporaire de la facture, les fournisseurs pourraient rapidement saisir l’occasion pour augmenter leurs tarifs.

    Les grandes entreprises énergétiques dominent le marché européen et disposent d’un pouvoir énorme dans les seuls intérêts des principaux actionnaires. Les dividendes priment sur les investissements dans les énergies renouvelables et l’amélioration des infrastructures. Les intérêts de ces entreprises sont opposés à ceux de la population. L’énergie est trop importante pour être laissée au marché ! Les décisions concernant le secteur de l’énergie doivent être prises par les travailleurs, les utilisateurs et la communauté dans son ensemble.

    Au niveau local, des coalitions progressistes pourraient prendre des mesures telles que l’interdiction d’une coupure du gaz et de l’électricité des foyers. Il serait également possible de créer des sociétés d’énergie pour développer elles-mêmes des sources d’énergie renouvelable. Mais il faudra bien davantage pour apporter des changements structurels. L’ensemble du secteur de l’énergie – de la production à la distribution – doit être placé entre les mains du secteur public afin d’être contrôlé par la collectivité et que les ressources disponibles puissent être utilisées pour le développement des énergies alternatives.

    Cela sera nécessaire : le réchauffement de la planète remet de plus en plus en question la politique énergétique. Le besoin d’une politique énergétique durable est énorme. Le GIEC l’a réaffirmé début octobre : ‘‘seuls des changements rapides, profonds et sans précédent dans toutes les composantes de la société’’ peuvent encore limiter le réchauffement climatique. Ceux qui contrôlent le marché de l’énergie aujourd’hui n’offriront pas ces changements. Dans les actions climatiques (voir aussi page 15), nous devons également inclure la lutte pour la reprise en main publique du secteur.

    L’énergie publique devrait permettre une production d’électricité respectueuse de l’environnement et des factures abordables. Pour mettre fin à la soif de profit d’entreprises telles qu’Engie-Electrabel et Co, rejoignez le PSL et mener campagne en faveur de la nationalisation du secteur et d’alternatives respectueuses de l’environnement.

  • Plus que 12 ans pour éviter un désastre écologique irréversible

    L’écologie libérale est impuissante, la lutte pour la sauvegarde de l’environnement sera anticapitaliste ou sera vaine

    L’existence du système capitaliste représente moins de 1% de l’Histoire de l’humanité. C’est pourtant suite à son règne dévastateur que la planète pourrait être détruite. Tant et si bien que certains experts en matière d’écologie, qui parlaient jusqu’à présent d’anthropocène pour définir la responsabilité de ‘‘l’activité humaine’’ dans le réchauffement climatique, dénoncent aujourd’hui le capitalocène. Selon eux, cette modification sémantique est stratégique : il faut désormais penser la fin du capitalisme, et non la fin du monde.

    Par Sébastien (Liège)

    Ce 7 octobre, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a rendu publique son étude sur les effets d’un réchauffement de 1,5°C des températures mondiales (par rapport à l’époque préindustrielle). Ce rapport fut commandé en 2015 à Paris lors de la COP 21, durant laquelle 197 États s’étaient engagés à respecter cette limite. Le verdict des 86 auteurs principaux mobilisés pour cette étude est tombé, et il est sans équivoque : non seulement un tel réchauffement aurait des conséquences dramatiques sur la planète mais, en plus, ‘‘chaque dixième de degré de réchauffement supplémentaire porte en lui un risque mortel’’, affirme Emilie Both, porte-parole d’Oxfam France. La publication de ces résultats vise en fait à relever les ambitions climatiques des États en vue de la COP 24 de décembre prochain.

    L’Accord de Paris sur lequel a débouché la COP 21 doit toutefois être considéré comme ce qu’il est vraiment : un catalogue de vœux pieux. Depuis la signature de ce texte, les émissions mondiales de CO2 ont d’ailleurs inexorablement augmenté. A cette occasion, les gouvernements ont une fois de plus prouvé qu’ils ne peuvent aller à l’encontre des intérêts du secteur pétrolier, des lobbies nucléaires et des multinationales.

    Le capitalisme est la cause première du changement climatique

    Le système dans lequel nous vivons permet à huit personnes de posséder autant de richesse que les 50 % les plus pauvres de la population mondiale. Il fonctionne de sorte que 82% des richesses créées en 2017 ont bénéficié aux ultra-riches.

    Cette tendance à l’accumulation de la majorité des richesses par une infime minorité, au détriment de la majorité de la population, ne représente pas une faille du système capitaliste : c’est sa raison d’être. Or, cette recherche d’accumulation infinie de richesses rentre inévitablement en contradiction avec la nécessité de sauvegarder un monde aux ressources naturelles qui, elles, sont limitées. En 2015, un rapport du FMI indiquait que les subventions allouées aux énergies fossiles représentaient 10 millions de dollars par minute (4740 milliards d’euros pour cette même année), soit 4,5 % du PIB mondial : le secteur des énergies fossiles est davantage subventionné que l’ensemble des programmes de santé publique dans tous les pays de la planète !

    Pourtant, l’utilisation de ce type d’énergies continue de se faire à un coût environnemental de plus en plus élevé. Nicholas Stern, économiste et spécialiste du climat à la London School of Economics précise qu’il n’y a non seulement ‘‘aucune justification aux énormes subventions attribuées à ces combustibles fossiles’’ mais, qu’en plus, elles ‘‘nuisent aux économies, en particulier dans les pays les plus pauvres’’.

    Aujourd’hui, cette recherche de profits engendre de véritables ravages sanitaires et environnementaux. Selon l’ONG internationale Carbon Disclosure Project, plus de 70 % des émissions de gaz à effet de serre émise depuis 1988 émanent de seulement 100 entreprises, dont les 25 premières sont responsables à elles seules de la moitié des émissions globales !

    L’écologie libérale individualise les solutions

    Le constat est alarmant et quasiment plus personne ne le remet en cause. Mais le discours majoritaire repose sur le changement de nos habitudes de consommation et les pressions sur la classe politique. A aucun moment il n’est fait mention du système capitaliste. Ce n’est pas un hasard. La logique néolibérale pousse à envisager les choses sous l’angle individuel, par le pouvoir de notre portefeuille.

    Pour beaucoup de gens, cela semble être le plus accessible. Mais la solution la plus accessible n’est pas toujours la meilleure. En effet, à moins d’être l’un des frères des industries Koch (active dans le génie pétrolier et chimique, la finance, le courtage de matières premières et l’élevage) qui, à elles seules, relâchent environ 24 millions de tonnes de CO2 par an dans l’atmosphère, il y a peu de chance que nos choix individuels impactent le changement climatique. Reposer essentiellement sur le changement de consommation, c’est ce qui a été favorisé ces dernières décennies. Il faut en faire le bilan : il est urgent de changer d’approche !

    On ne contrôle pas ce qu’on ne possède pas !

    Ce n’est pas tant l’individu qui est la cause du problème que l’organisation sociale et les rapports de productions. Tous les modes d’organisation de la production économique n’ont pas un impact identique sur l’environnement. Le capitalisme est un système où la production est très chaotique. Au contraire, une économie démocratiquement planifiée – où les secteurs-clés de l’économie seraient contrôlés et gérés par la collectivité – pourrait prendre en compte les besoins de toute la population dans le respect des ressources de la planète.

    Le mouvement climatique doit s’orienter vers ceux qui sont en mesure de retirer le contrôle de la société des mains des entreprises : les travailleurs. Les syndicats peuvent jouer un rôle crucial dans le mouvement environnemental en étendant au reste de la société les revendications et méthodes qu’ils ont utilisées pour la protection de la santé et de la sécurité au travail. L’organisation des travailleurs dans la lutte peut également poser les bases de comités démocratiques capables à terme de prendre en charge la gestion des entreprises.

    Toutes les grandes conquêtes sociales ont été acquises grâce aux mobilisations de masse et à l’arme de la grève. Aucune amélioration de nos conditions de vie n’a été obtenue en la demandant gentiment. Elles ont toutes été arrachées par la lutte. Il nous faut nous organiser et lutter ensemble autour d’un programme de transformation socialiste de la société.

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