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Category: Amérique du Nord
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Le retour de Trump et de son régime milliardaire d’extrême droite
Juste avant que Donald Trump, négationniste du changement climatique, n’entame son second mandat, il a été annoncé qu’en 2024, les températures moyennes avaient franchi la limite cruciale d’une hausse de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Nous en avons vu la réalité à Los Angeles, où des feux de forêts incessants ont détruit des milliers de maisons, tuant des dizaines de personnes.
Par Donal Devlin (Socialist Party, Irlande)
« Drill, baby, drill »
L’une des premières mesures de Donald Trump est de retirer, pour la deuxième fois, les États-Unis, deuxième pollueur mondial après la Chine, de l’accord de Paris de 2015 sur le climat Contrairement à d’autres gouvernements, son administration ne s’engagera pas, même de manière nominale, à lutter contre le changement climatique. En fait, il se vante de son désir de faire la guerre à la nature – son slogan de campagne caractéristique et grossier « Drill, Baby, Drill » en est un exemple. Sa présidence donnera aux compagnies pétrolières et gazières toute latitude pour extraire et fracturer indéfiniment, sans se soucier des coûts extrêmement destructeurs.
Le ministre de l’énergie choisi par Trump est Christ Wright, évangéliste de la fracturation, PDG de la société pétrolière et gazière Liberty Energy. Dans son empressement à prouver sa sécurité, Wright a bu du liquide de fracturation dans une vidéo qu’il a postée sur Facebook en 2019. Comme la plupart des Trumpistes, il semble ignorer superbement la science du changement climatique. Le gaz naturel liquide issu de la fracturation contient 85 % de méthane, qui est 80 fois plus puissant que le CO2.
Trump nomme des milliardaires
Plus généralement, le cabinet de Trump est rempli de milliardaires et de cadres supérieurs de Wall Street qui épousent des idées et des théories du complot toxiques, racistes, transphobes et misogynes. Parmi eux figure son ministre de la santé, Robert Kennedy Jr, qui a propagé le mythe honteux selon lequel les vaccins seraient à l’origine de l’autisme.
Son ambassadeur à l’ONU sera Elise Stefanic, qui a proclamé la « théorie du grand remplacement » raciste, y compris dans ses publicités de campagne pour le Congrès. Le nouvel ambassadeur d’Israël est Mike Huckabee, qui soutient l’affirmation sioniste absurde selon laquelle « les Palestiniens n’existent pas » – un argument utilisé pour justifier 76 ans de nettoyage ethnique, d’occupation et de génocide israéliens.
Donald Trump menace également les membres de la Cour pénale internationale (CPI) de sanctions, telles qu’une interdiction de voyager aux États-Unis, en représailles à sa décision d’émettre des mandats d’arrêt contre les criminels de guerre israéliens que sont le Premier ministre Benjamin Netanyahou et l’ancien ministre de la défense Yoav Gallant.
Elon Musk dirigera le nouveau département de l’efficacité gouvernementale (Department of Government Efficiency, DOGE), une agence qui sera probablement remplie de patrons de la Silicon Valley. L’objectif de l’agence est d’élaborer un plan de réduction des dépenses du gouvernement fédéral, avec un objectif de 2 000 milliards de dollars d’économies. Ce faisant, elle perpétue le fantasme néolibéral de la réduction des « grosses dépenses publiques ». Ils ont jeté leur dévolu sur la sécurité sociale, Medicare et Medicaid.
Un tel programme se heurte à des obstacles politiques fondamentaux. Par exemple, de nombreux partisans de Trump ont exprimé leur sympathie pour les actions de Luigi Mangione et leur aversion pour les sociétés de santé privées, ce qui montre qu’ils sont opposés à l’affaiblissement du rôle de l’État dans la fourniture de services de santé. En outre, à l’ère de la rivalité inter-impérialiste, en particulier avec la Chine, le capitalisme américain a besoin d’un « grand gouvernement » pour continuer à investir dans des industries stratégiques cruciales telles que les semi-conducteurs.
Renforcement de l’extrême droite
Comme en 2016, l’élection de Trump va encore enhardir l’extrême droite dans le monde entier, compte tenu de la position qu’il occupe et de la rhétorique et des politiques racistes qu’il préconise. Il est déterminé à mettre fin à la « citoyenneté de naissance » (selon laquelle vous avez droit à la citoyenneté américaine si vous êtes né dans ce pays), à criminaliser les enfants de millions de migrants dits « illégaux » et a promis d’expulser 11 millions d’entre eux. Criminaliser les migrants n’est pas seulement un acte raciste flagrant, c’est aussi un acte totalement hypocrite. La peur de l’expulsion et de l’arrestation signifie qu’ils peuvent plus facilement être utilisés comme source de main-d’œuvre super exploitée, ce qui est crucial pour le capitalisme américain et fait sans aucun doute partie du calcul.
L’élection de Trump a été accueillie avec un réel sentiment d’effroi par les personnes trans et queer aux États-Unis et à l’étranger. Cela s’inscrit dans le contexte d’une attaque vicieuse contre leurs droits et de tentatives d’alimenter les LGBTQ phobies dans ce que l’on appelle de manière trompeuse les « guerres culturelles ». Trump a promis de « tenir les hommes à l’écart des sports féminins » et de priver de fonds Medicare et Medicaid les hôpitaux qui dispensent aux mineurs des soins conformes à leur genre. Vingt-six assemblées législatives des États fédérés, dirigées par des républicains, ont déjà adopté une telle législation.
Le président des riches
Avec sa victoire, Trump est adopté par différentes sections de la classe dirigeante américaine, y compris celles qui soutenaient auparavant les démocrates. Le magazine Time l’a nommé « homme de l’année ». Après avoir été écarté de Meta en 2020, Dana White (de l’Ultimate Fighting Championship), grand fan de Trump, a rejoint le conseil d’administration de cette société. Mark Zuckerberg a promis d’abolir la « vérification des faits » sur Facebook et Instagram, ouvrant ainsi la voie aux théories du complot racistes et rétrogrades. Amazon, Uber, Google et Microsoft, ainsi que Tim Cook, PDG d’Apple, ont tous fait don d’un million de dollars au fonds d’inauguration de Trump.
Dans une période de crise et de décomposition du système, les dirigeant.es capitalistes se dépouillent de plus en plus de la mince couche progressiste – ou « woke » – qu’ils et elles ont été contraint.es de revêtir dans le cadre d’une large opposition aux oppressions ces dernières années. Trump est leur nouveau représentant à la Maison-Blanche et il est l’incarnation vivante de tout ce qui est pourri dans ce système.
Son élection est un signal d’alarme. À l’heure de la montée du racisme, de la LGBTQIA+phobie, du génocide, de la catastrophe climatique et des inégalités, la nécessité de l’unité dans la lutte internationale, dans le respect de toute la diversité de la société, contre le capitalisme et pour le socialisme démocratique est plus urgente que jamais.
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Elon Musk, le Henry Ford des temps modernes
Un salut nazi, voici le message envoyé par Elon Musk lors de l’investiture de Donald Trump. Voici bien l’extrême-droite fascisante, raciste, masculiniste et décomplexée qui vient d’arriver à la tête de l’empire états-unien. Elle est représentée par ses plus puissants capitalistes, cette “broligarchie” comme l’appelle Carole Cadwalladr dans le journal The Guardian.
Par Jonas (Liège)
Né sous le régime ségrégationniste de l’apartheid en Afrique du Sud, fils d’un actionnaire d’une mine d’émeraude en Zambie, mais présenté comme un self-made man de génie, Musk est le profil parfait de l’AltRight (droite alternative) Trumpiste. Il a racheté Twitter pour imposer son agenda anti-woke en trafiquant les algorithmes et en enlevant toute régulation contre les harcèlements racistes, sexistes ou anti-LGBTQIA+. On se souvient de ses tweets appelant à la guerre civile en Angleterre lors des émeutes racistes en août dernier ou qui soutiennent des complotistes antisémites.
À l’image de Henry Ford dans les années 1920, Elon Musk soutient l’extrême-droite européenne dès qu’il le peut, en Angleterre Tommy Robinson ou dernièrement en Allemagne l’AFD, reliée à divers groupes nazis. De même, il a témoigné de son soutien à Nétanyahou dans son entreprise génocidaire à Gaza.
Musk a misé sur le bon cheval
Après avoir bombardé la campagne de Trump à coup de 120 millions de dollars, le propriétaire de Tesla, X et SpaceX se retrouve bien récompensé. Non seulement les actions de Tesla ont gagné 15%, mais en plus ce grand libertarien se retrouve à la tête du nouveau département de l’efficacité gouvernementale. On lui donne la main pour détruire l’appareil public ainsi que les réglementations contraignantes. C’est 30% du budget fédéral qu’il compte couper avec la même tronçonneuse que Javier Milei en Argentine.
De plus, Trump combine un programme protectionniste à une violente agressivité envers l’Union européenne. Tesla va obtenir l’hégémonie totale aux États-Unis, en tenant la tête sous l’eau aux marques européennes qui dépendent de l’exportation. Il cherche aussi à faire plier l’Union européenne sur les restrictions qu’elles mettent sur le marché des données. Le duo Trump et Musk forme un bélier de l’impérialisme états-unien contre le vieil impérialisme européen en pleine déperdition. Il y a une contradiction entre les deux qui pourrait faire surface au sujet de la Chine, dont Elon Musk est tout à fait dépendant, et contre laquelle Trump est à couteaux tirés. Mais pour le moment, il est question que le plus riche des milliardaires rachète la filiale étasunienne de TikTok sous la menace que cette dernière soit tout simplement interdite.
L’histoire s’accélère
Cette fois-ci, Trump a les mains libres, il domine le Parti républicain et les deux chambres sont avec lui. Trump déclarait même durant la campagne “Vous n’aurez plus à voter après”. Nous sommes bel et bien dans un tournant ouvertement autoritaire, lorsque la grande bourgeoisie – la classe dominante – décide qu’il est dorénavant dans son intérêt de sortir de la démocratie. En face, la pression sociale se fait de plus en plus forte, notamment suite à la pandémie de covid-19. Selon Human Right Watch, “les 50 % d’Américains les plus pauvres [ne détiennent] que 1,5 % seulement de la richesse privée du pays”. On a vu apparaître un certain nombre de grèves : professions médicales, enseignant·es, scénaristes, ouvrier.ères, dockers. Près de 500.000 personnes ont participé à l’une des 342 grèves recensées aux États-Unis en 2023. Et n’oublions pas que sans les mobilisations pour la Palestine, Trump n’aurait pas forcé Nétanyahou au cessez-le-feu (aussi fragile qu’il soit).
Cette vague mondiale d’extrême droite est résistible. Nous devons absolument nous organiser, consolider nos campagnes antifascistes, rester mobilisé·es et solidaires dans toutes les luttes contre le capital, contre l’impérialisme et contre toutes les oppressions.
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Un fasciste au pouvoir avec l’investiture de Trump?
La victoire de Donald Trump représente-t-elle un moment “Weimar”, en référence au nom de la république qui a précédé l’accession au pouvoir d’Hitler ? Un fasciste arrivera-t-il au pouvoir avec l’investiture de Trump comme 47e président pour les États-Unis ?
Par Stef (Anvers)
Fasco-bingo
En apparence, Trump, son mouvement MAGA (Make America Great Again) et le “Projet 2025” peuvent cocher un grand nombre de cases. Ils crachent sur tout ce qui est progressiste, sont ultranationalistes, s’en prennent aux femmes, aux personnes immigrées et aux droits des personnes LGBTQIA+, prêchent la vengeance contre leurs adversaires politiques et n’hésitent pas à recourir à la logique conspirationniste. Trump bénéficie du soutien d’un large segment de la classe capitaliste américaine. L’administration précédente de Trump a fait de son mieux pour repousser les syndicats. Parallèlement, ils affirment qu’ils ramèneront les jours de gloire, l’emploi et la prospérité.
L’extrême droite applaudit Trump, sa confiance gonflée par cette victoire. Mais les partisans du magnat de l’immobilier sont-ils tous gagnés à l’idée d’un Quatrième Reich en Amérique? Se limiter à conclure que Trump a gagné cette élection grâce à ses opinions conservatrices, cela sert les Démocrates qui tentent d’imputer leur défaite au rejet du “wokisme”. Les électeur.trice.s américain.ne.s cherchent une issue face à l’effondrement de leurs conditions de vie. D’ailleurs, dans un certain nombre d’États où Trump a réussi à s’imposer, des référendums ont au même moment renforcé le droit à l’avortement ou encore augmenté le salaire minimum local.
Des projets d’expulsions racistes
Ces dernières années, Trump et ses semblables sont passés à la vitesse supérieure en matière de racisme. Tous les “illégaux” doivent être expulsés du pays, l’Amérique doit “rester blanche”. On estime à 11 millions le nombre de personnes sans papiers aux États-Unis, dont 7 millions travaillent. Trump envisage même de déchoir de leur citoyenneté des personnes immigrées régularisées. L’interdiction de l’immigration en provenance des pays musulmans menace à nouveau.
Les projets d’expulsion de millions de personnes impliquent inévitablement de séparer (à nouveau) les enfants de leurs parents, de détruire les communautés et de porter un coup énorme à divers secteurs de l’économie. La seule façon d’organiser une telle déportation est de facto d’organiser des camps de concentration. Dans l’UE, quelque 100.000 demandeurs d’asile sont expulsés chaque trimestre et, là aussi, il y a des centres fermés et des frontières avec barbelés… Le racisme est enraciné dans le capitalisme.
Autoritaire, mais pas bagarreur
Trump est une figure autoritaire populiste de droite. Sous sa direction, la droite s’emploie à interdire les livres, à sanctionner les enseignant.e.s, à restreindre les droits des femmes, à interdire les soins d’affirmation de genre et à brider les syndicats. Les attaques contre les médias et les opposants politiques sont légion, bien qu’elles s’en tiennent le plus souvent aux menaces verbales.
Pourtant, Trump prend quelque peu ses distances avec les manifestations les plus visibles de l’extrême droite. Il les laisse faire, mais ne s’entoure pas de milices privées et ne les déploie pas activement comme troupes de choc. Seule exception: la prise d’assaut du Capitole le 6 janvier 2021. Bien que Trump porte sans aucun doute la responsabilité de cet assaut, il ne s’agissait pas d’une tentative bien coordonnée de prise de contrôle de l’État.
La refonte de la bureaucratie de l’État figure en tête de l’agenda du second mandat de Trump. Il souhaite remplacer les fonctionnaires par des loyalistes. Lors de son précédent mandat, il avait déjà pris un décret pour licencier 50.000 fonctionnaires. Au Pentagone aussi, Trump est libre de remplacer les hauts gradés de l’armée par des généraux qui ne se tiendront pas au travers de sa route.
Un gouvernement de riches
Le fascisme classique a mobilisé de larges pans de la population avec une rhétorique faussement anticapitaliste pour ensuite établir une sanglante dictature de fer pour sauvegarder la domination capitaliste. En tant que mouvement principalement composé de la classe moyenne aisée, le fascisme de Mussolini et d’Hitler a été perçu à leur époque comme le parfait sauveur du capitalisme. Ils ont protégé le système en écrasant physiquement les organisations ouvrières et en réprimant violemment la moindre opposition. Aux États-Unis également, à l’époque, certains secteurs du grand capital étaient favorables au fascisme afin d’empêcher la mise en œuvre du New Deal de Roosvelt. Mais après l’expérience du fascisme dans les années 1930 et 1940, les capitalistes réfléchiront à deux fois avant de s’engager dans une voie aussi redoutable.
Trump n’est pas particulièrement synonyme de discrétion, ce qui vaudra aussi pour son soutien au capital. Trump et sa bande ont tenté de faire reculer l’Affordable Care Act (la Loi sur la Protection des Patients et les Soins Abordables) et ont bloqué diverses augmentations du salaire minimum dans les États. Trump veut faire pleuvoir les réductions d’impôts sur la classe capitaliste. Il veut que le kleptocrate Elon Musk réduise de 500 milliards de dollars le fonctionnement des services fédéraux. Les capitalistes américains sont clairement aux commandes. De même, les attaques contre les personnes transgenres ne sont nouvelles que dans le sens où le genre n’était pas sur le radar des Républicains il y a 20 ans. Au niveau des États, ils s’opposent même encore au mariage homosexuel. La puissance culturelle et institutionnelle du MAGA rend inévitable l’intensification des attaques. Nous l’avons déjà constaté dans plusieurs États et avec l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade (l’arrêt de la Cour Suprême des États-Unis qui garantissant l’accès à l’avortement).
Les projets de Trump et du mouvement MAGA comportent des éléments fascistes. Mais à bien des égards, ces plans s’inscrivent parfaitement dans l’ordre actuel des choses dans le pays. Là où Trump rompt avec les traditions de son parti, c’est principalement dans la manière dont les États-Unis mènent leur politique impérialiste. L’expansionnisme a toujours été inhérent à la politique étrangère traditionnelle des États-Unis. Trump, en revanche, prêche la suprématie économique avant tout. Lorsqu’on lui demande s’il défendrait Taïwan contre la Chine, par exemple, sa réponse est beaucoup moins claire que celle de ses prédécesseurs.
Trump : “Aussi américain que la tarte aux pommes”, tout comme la résistance
Présenter Trump comme un fasciste alors que, disons, l’esclavagiste Andrew Jackson ou George Bush ne le sont pas, revient au fond à blanchir l’histoire politique américaine. Le capitalisme américain soutient invariablement des régimes d’extrême droite et a imposé une ségrégation stricte à son propre peuple. Cela dit, un second mandat de Trump est une véritable menace pour les droits démocratiques de la classe travailleuse. Les attaques contre la fonction publique, la société civile et les mouvements sociaux ne manqueront pas.
Organiser des milices pour les déployer dans les rues et assister les plans de déportation, par exemple, générerait sans aucun doute une riposte antiraciste majeure. A fortiori si ces milices privées étaient déployées contre des manifestant.e.s, des syndicalistes, des Prides… Trump n’a pas à avoir peur des Démocrates et de l’establishment, mais bien des explosions massives de colère et des mouvements sociaux. N’oublions pas que Black Lives Matter a atteint son apogée au moment où Trump était président.
Arrêter Trump et ses attaques est possible si la classe travailleuse s’organise dans des syndicats et des comités d’action. La classe travailleuse américaine a derrière elle une riche histoire de résistance. C’est à partir de là que l’opposition politique doit se développer. Trump a remporté l’élection en raison de l’inquiétante incertitude économique et de la colère de larges pans de la population. Il ne dispose d’aucune réponse face à tout ça. Mais mettre un terme au trumpisme exigera bien plus que de recourir une nouvelle fois au “moindre mal” dans quatre ans. Il faudra développer un mouvement révolutionnaire, rien de moins.
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La sérieuse gueule de bois de la logique du “moindre mal”
Redoutant la victoire de Donald Trump, les partis Verts européens, parmi lesquels ECOLO, ont demandé à l’écologiste radicale américaine Jill Stein de retirer sa candidature pour donner le maximum de chances à Kamala Harris. Ce fut l’une des expressions de l’angoisse réelle de millions de personnes à travers le monde face à l’agenda autoritaire, raciste et misogyne de Trump. Mais regardons la réalité en face: reposer sur les Démocrates pour battre le trumpisme revient à scier la branche sur laquelle on est assis.
De ce côté-ci de l’Atlantique, la situation a régulièrement été caricaturée à l’extrême: un homme blanc raciste opposé à une femme noire. La formule-choc ne permet toutefois pas de comprendre pourquoi la majorité de ses électeurs – 59% – sont des femmes ou des personnes de couleurs. Aussi étrange que cela puisse paraître au premier abord, l’électorat de Trump s’est féminisé et diversifié.
L’héritage de quatre ans de présidence démocrate
Le professeur de sociologie à l’ULB Daniel Zamora soulignait au lendemain des élections que “plus d’un tiers des électeurs ont indiqué que l’économie était leur priorité numéro un, alors que seuls 11% ont indiqué l’immigration. Et parmi ceux inquiets quant à l’état de l’économie, 80% ont préféré Donald Trump à Kamala Harris. Enfin, à peine 20% des États-uniens pensent qu’ils sont mieux lotis qu’en 2020.”(1)
Il poursuit : “La focalisation autour du “danger fasciste” et d’une éventuelle “fin de la démocratie” (…) a malheureusement fait oublier que c’est en focalisant son message sur l’économie que Biden l’avait emporté il y a quatre ans.” Et quatre ans plus tard, que reste-t-il des belles paroles? Joe Biden avait averti du risque d’exclusion de 20 millions de personnes de l’assurance-maladie publique en cas de victoire de Trump. Il y en a eu 25 millions avec Biden. Les expulsions de domiciles ont aujourd’hui dépassé le niveau pré-pandémie et il n’y a jamais eu autant de sans-abris. Mais en Europe, la plupart des commentateurs de la presse dominante ont parlé des “bons chiffres macro-économiques” de Biden en déplorant que le “ressenti de la population” soit différent. On leur souhaite de passer une nuit sur le trottoir pour venir ensuite nous parler de leur “ressenti” économique.
Pas d’augmentation de salaire quand on cajole les milliardaires
L’idée centrale de Kamala Harris et des Démocrates était de partir à la chasse à l’électorat républicain anti-Trump. Le parti démocrate n’est déjà pas un parti de gauche à la base, mais ce fut sa campagne la plus à droite depuis longtemps, alliant une approche de faucon sur la scène internationale à un vide sidéral sur le terrain social.
Kamala Harris s’est ainsi affichée à de nombreuses reprises aux côtés de la Républicaine Liz Cheney. Cette recrue démocrate est notamment la fondatrice de l’association nationaliste Keep America Safe, dont l’objectif était entre autres d’attaquer les avocats des détenus du camp de Guantánamo. Si celle-ci s’est opposée à Trump, c’est essentiellement au nom de la défense de l’héritage politique de son père, Dick Cheney, PDG de la multinationale pétrolière Halliburton et vice-président des États-Unis au moment de l’invasion de l’Irak, sous l’administration George W. Bush. Encore plus dans le contexte du soutien sans faille apporté par Kamala Harris au régime israélien, on peut comprendre pourquoi tant d’arabo-américains et de musulmans étaient furieux.
Pour tenter de contrer l’effet “Elon Musk”, les démocrates ont affiché le soutien du très médiatique milliardaire Mark Cuban, qui a notamment souligné : “Je suis socialement libéral, mais fiscalement conservateur (…). Et je pense que le vice-président Harris correspond parfaitement à notre mission”.
L’augmentation du salaire minimum figure parmi les thèmes majeurs des campagnes syndicales depuis de nombreuses années aux États-Unis. Le salaire minimum fédéral est actuellement de 7,25 dollars de l’heure. Dans le sillage de diverses campagnes locales victorieuses sur cette question, Biden avait promis en 2020 de relever le salaire minimum fédéral à 15 dollars à l’heure et de renforcer, via la législation fédérale, la capacité d’organisation et de négociation collective des travailleur.euse.s. Rien de tout cela n’a été fait. Ce n’est que du bout des lèvres, et à la toute fin de sa campagne, que Kamala Harris a accepté ce chiffre symbolique (désormais largement dépassé en raison de l’inflation). Lors de ses 35 apparitions publiques, elle n’a mentionné que deux fois l’augmentation du salaire minimum, sans jamais donner d’indication précise concernant le montant.
Comme l’explique Daniel Zamora : “Si plus de 81 millions d’Américains ont voté pour Joseph Biden, seuls 68 millions se sont mobilisés pour Kamala Harris. Trump, quant à lui, a mobilisé presque autant qu’en 2020. En un sens, il s’agit plus d’une défaite historique du parti démocrate que d’une victoire de Trump.”
Aspiration au changement et cri de désespoir
Tout cela n’enlève rien au fait que la victoire de Trump est une victoire du racisme et de la misogynie. Celle-ci ancrera encore plus profondément la haine de l’autre dans l’aliénation de larges couches vis-à-vis de la société. L’absence de perspective d’amélioration des conditions d’existence et d’une lutte collective alimente les frustrations. Et lorsqu’on se retrouve aux prises avec un angoissant sentiment d’impuissance, il est plus facile d’imaginer frapper vers le bas, vers les plus faibles, que vers le haut et le monde des puissants. C’est cela qui permet d’expliquer qu’aux États-Unis, une si grande partie des personnes issues de l’immigration y soient aujourd’hui opposées.
Stimuler cette lutte collective pour arracher des victoires est un enjeu crucial dès maintenant : il ne faut pas pleurer, mais s’organiser, comme le disait le syndicaliste révolutionnaire Joe Hill. Il n’y a pas d’autre remède que la construction d’une alternative politique reposant sur l’action collective, fermement accrochée à une approche de classe et qui défend toutes les personnes opprimées avec autant d’acharnement que les Démocrates et les Républicains défendent, chacun à leur manière, la classe capitaliste dominante.
Laissons une dernière fois la parole à Daniel Zamora : “Loin d’être une anomalie, le trumpisme apparait donc comme le symptôme le plus visible d’un libéralisme en décomposition et, dans sa version européenne, d’une gauche encore incapable d’inverser le cours de l’histoire.” Renverser le cours de l’histoire, c’est là toute l’ambition que doit avoir la gauche, vers une transformation révolutionnaire de toute la société. Sans cela, l’avenir nous réservera encore pire que Trump. Gardons en tête qu’il était difficile à l’époque d’imaginer pire que Bush…
“La victoire de Trump, par-delà les fantasmes”, Daniel Zamora, revuepolitique.be, publié le 7 novembre 2024.
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La politique du “moindre mal” s’écrase aux USA. Trump, président d’un système en état de putréfaction
L’élection de Trump représente un danger immédiat pour toutes les personnes migrantes ou issues de l’immigration, pour les personnes LGBTQIA+, les féministes, les travailleur.euse.s et toutes celles et ceux qui s’opposent au système d’accumulation des profits pour une poignée de super-riches. Les élections américaines ont suscité un enthousiasme limité : Kamala Harris a récolté moins de voix que Joe Biden il y a quatre ans, mais Trump lui-même en a près de 1 million alors que le corps électoral a grandi depuis lors. La victoire de Trump est une expression du rejet de la politique dominante et de la crise dans laquelle est plongée le système. Un système en crise cherche à assurer sa domination avec des représentants politiques qui correspondent à son état de putréfaction.
Notre solidarité va d’abord et avant tout aux victimes de ces politiques. Avec Trump, la répression sera encore plus intense. Les mesures racistes ont atteint de nouveaux sommets : l’administration Biden-Harris a par exemple expulsé encore plus de personnes immigrées que Trump durant son premier mandat. Aujourd’hui, Trump et ses alliés parlent de déportations massives et de camps de détention. Cela pue un passé dont les conséquences désastreuses sont connues de tous.
De son côté, la communauté LGBTQIA+ craint à juste titre les conséquences du pouvoir croissant des groupes conservateurs et religieux. Trump a largement utilisé la transphobie pour s’attirer le soutien des conservateurs et sa nouvelle administration devrait rapidement statuer que les lois fédérales sur les droits civils ne couvriront pas la discrimination anti-LGBTQ+.
Le personnel du secteur de la santé redoute la perspective du complotiste anti-vaccin Robert F. Kennedy comme ministre de la Santé. Elon Musk n’a pas fait mystère de sa volonté de participer à la réduction drastique des dépenses publiques : il a lui-même déjà proposé des coupes budgétaires de deux milliers de milliards de dollars dans les dépenses publiques. Cela affectera l’ensemble des travailleur.euse.s.
Cette normalisation des mesures d’extrême droite aura également des conséquences en Europe et ailleurs. Le Premier ministre hongrois Orban et Filip Dewinter (Vlaams Belang) se sont tous deux réjouis de la victoire de leur riche ami et homme d’affaires corrompu. La confiance de l’extrême droite grandit, ce qui conduira inévitablement à de nouvelles violences. Et puis il y a le feu vert inconditionnel donné au régime israélien de Netanyahou pour ne pas limiter le génocide et le carnage à Gaza et au Sud-Liban.
La menace est réelle et le danger est grand. La résistance doit être sérieusement organisée. Et c’est tout à fait possible. La semaine dernière, la grève de 30.000 travailleur.euse.s de Boeing aux Etats-Unis a pris fin après sept semaines. Le personnel a obtenu une augmentation de salaire de 38 % pour les quatre prochaines années. Cela semble être une augmentation considérable, mais compte tenu des taux d’inflation de ces dernières années, il était nécessaire d’aller encore beaucoup plus loin. La proposition finale a recueilli 59 % des votes des grévistes, ce qui indique qu’un groupe important souhaitait continuer le combat pour obtenir davantage. Par ailleurs, au momen-même de l’élection présidentielle, des référendums sur le droit à l’avortement étaient organisés dans dix États. Dans huit d’entre eux, une majorité s’est dégagée en faveur d’un renforcement des droits, y compris dans certains États où les républicains l’ont emporté. Seuls le Dakota du Sud et le Nebraska n’ont pas approuvé le renforcement du droit à l’avortement. En Floride, 57 % des électeurs ont voté en faveur de ce renforcement, mais une majorité de 60 % est nécessaire pour modifier la législation. Aujourd’hui, une majorité d’Américain.ne.s soutient le droit à l’avortement. De nombreux autres exemples montrent le potentiel présent pour la lutte sociale et la résistance.
Les démocrates espéraient faire de l’élection un référendum sur le droit à l’avortement. Eux-mêmes n’ont rien fait ces dernières années pour défendre efficacement ces droits ou en imposer de nouveaux. Tout a été renvoyé aux élections. Dans le contexte de l’effondrement des conditions de vie de la classe travailleuse en raison d’une forte inflation, cela ne pouvait pas susciter l’enthousiasme. Le statu quo, la préservation de l’ordre actuel des choses, représente déjà une douleur permanente pour des millions de personnes aux Etats-Unis. Une tactique du « moindre mal » visant simplement à préserver la catastrophe sociale en cours ne pouvait qu’échouer.
Un parti comme le parti démocrate, qui soutient résolument le génocide à Gaza et qui est le parti de Wall Street par excellence, ne constitue pas une alternative à Trump. Bernie Sanders déclare aujourd’hui que les démocrates ont « abandonné la classe ouvrière » et « défendent le statu quo », laissant le « peuple américain en colère et désireux de changement ». C’est vrai. Mais ce sont précisément pour cette direction démocrate que Bernie Sanders a lui-même fait campagne. Attendre que les élections soient passées pour se connecter à la colère et à l’aspiration populaire au changement est une erreur monumentale qui sape toute crédibilité.
Les marchés boursiers ont salué la victoire de Trump. La crainte du chaos s’est évanouie avec un résultat électoral aussi clair. Les marchés supposent, à juste titre, que Trump continuera à défendre les intérêts des grandes entreprises. Que cela se fasse avec une rhétorique brutale et une haine plus brutale ou avec une version polie et moins ouverte, ils ne s’en soucient guère.
Au cours de la campagne électorale, Trump a reçu le soutien enthousiaste d’Elon Musk. Jeff Bezos, d’Amazon, lui a également ouvert la porte. Les capitalistes attendent de Trump qu’il ne leur mette pas de bâtons dans les roues pour maintenir leurs profits. Cependant, il existe des contradictions majeures. Par exemple, agir face à la crise climatique est plus nécessaire que jamais, comme l’illustrent le nombre et la gravité des catastrophes naturelles. Ces catastrophes touchent principalement les travailleur.euse.s, mais aussi les capitalistes. Et c’est dans ce contexte que devraient prendre place des coupes budgétaires supplémentaires dans la réponse des autorités gouvernementales face aux catastrophes naturelles. Alors que certains capitalistes estiment que le protectionnisme sera le plus à même d’assurer leurs profits, d’autres redoutent que cela leur rende l’accès plus difficile au marché international. Certains espèrent des règles plus souples pour faire baisser les salaires tout en soutenant une politique d’expulsion du réservoir de main-d’œuvre immigrée bon marché.
La joie des riches sur les marchés boursiers contraste fortement avec la peur et l’angoisse d’innombrables activistes. Pour la classe travailleuse et ses instruments de lutte, les choses se présentent effectivement sous un jour très sombre. Cela ne doit pas nous décourager, mais au contraire nous stimuler à organiser sérieusement notre colère pour en faire une force de changement vers un autre système et une autre organisation de la société.
Le système capitaliste nous enfonce vers des catastrophes multiples et la seule force capable le bloquer pour ensuite repartir dans une toute autre direction, c’est la classe travailleuse dans toute sa diversité, avec ses méthodes de grève et de blocage potentiel de toute la production et l’économie. Voilà la force sociale qui fait tout basculer. La propriété et le contrôle démocratiques des secteurs clés de l’économie permettraient une planification rationnelle où les ressources et capacités technologiques disponibles seraient utilisées pour satisfaire aux besoins de l’humanité et de la planète. C’est en luttant activement pour ce type de société, le socialisme démocratique, que l’on peut combattre l’angoisse et la peur en donnant à notre colère une perspective positive d’émancipation collective au lieu du désespoir qui domine aujourd’hui.
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Élections américaines de 2024 : Les limites du moindre mal à l’ère du désordre
Des oreilles bandées en hommage à la blessure de Trump lors d’une tentative d’assassinat en été, des participant.e.s à la Convention nationale démocrate (DNC) vêtus de blanc en clin d’œil aux suffragettes, des débats diffusés en direct où le modérateur doit clarifier en temps réel que « le meurtre de nourrissons est illégal dans les 50 États » lorsqu’un avortement fictif de neuf mois est décrit.
Par Harper Cleves, Socialist Party (Irlande)
Les élections américaines sont réputées pour leur faste et leur caractère dramatique, mais pour beaucoup, les enjeux de cette élection sont particulièrement élevés. D’une part, le démagogue Donald Trump, avec ses projets politiques dystopiques et son sectarisme manifeste ; d’autre part, la poursuite d’une administration qui a supervisé et contribué activement à un génocide qui a tué des centaines de milliers de Palestinien.ne.s au cours de l’année écoulée. Il est essentiel de comprendre le contexte de cette élection présidentielle pour en envisager les résultats potentiels, mais aussi pour imaginer une alternative à la mascarade déplaisante et dangereuse de la politique corporatiste américaine.
Une économie pour les patrons, au détriment des travailleur.euse.s
Pour comprendre le cirque des élections présidentielles américaines, il est essentiel d’avoir un aperçu de ce qu’est la vie aux États-Unis aujourd’hui. Les inégalités économiques n’ont jamais été aussi fortes, même si le taux de chômage est le plus bas depuis 54 ans. Au premier trimestre 2024, 67 % de la richesse totale était détenue par les 10 % de personnes les mieux rémunérées, tandis que les 50 % les plus pauvres n’en possédaient que 2,5 %. Les soins de santé constituent un exemple frappant de l’impact de l’inégalité des richesses et de l’ampleur de la privatisation de ressources essentielles au maintien de la vie humaine : en 2022, 45 % des Américain.e.s n’étaient pas en mesure de se payer des soins de santé ou d’y avoir accès.
Trump, et les présidents américains qui se sont succédé avant lui, n’ont rien fait pour atténuer la question des inégalités parce qu’elle provient d’une dépendance à l’égard du marché privé pour fournir des biens essentiels. La « Bidenomics » – la politique économique de l’administration Biden – n’a fait que creuser ce fossé. Les investissements de Biden dans les infrastructures, ainsi que les subventions accordées à la fabrication de voitures électriques et de semi-conducteurs, tout en contribuant à une modeste reprise économique, ne visent pas à mettre de l’argent dans les poches des Américain.e.s de la classe travailleuse, mais plutôt à revitaliser la production nationale dans le contexte d’une nouvelle guerre froide avec la Chine, en fournissant des fonds publics aux grandes entreprises.
La trahison démocrate face à la lutte des cheminot.e.s de 2022 démontre clairement les relations douillettes qu’entretient Joe Biden avec les entreprises au détriment des travailleur.euse.s, malgré son titre autoproclamé de « président le plus pro-syndical de l’histoire des États-Unis ». Dans ce conflit, où plus de 100.000 cheminots de plusieurs syndicats ont menacé de faire grève pour obtenir un droit fondamental au congé maladie, Biden est intervenu en utilisant les pouvoirs présidentiels qui lui permettent de briser la grève en cas de perturbation substantielle du commerce interétatique, forçant ainsi un accord que la plupart des travailleur.euse.s avaient rejeté afin de satisfaire les patrons du rail.
Le plan de Trump pour une politique économique protectionniste, tout en prétendant se concentrer sur le retour des emplois aux États-Unis, ne résoudra pas cette question et placera également les intérêts des grandes entreprises au premier plan.
Les jeunes sont perdants
Les jeunes sont particulièrement touchés par ces dures réalités économiques. Le rapport annuel 2024 sur le bonheur dans le monde, élaboré à partir des sondages mondiaux de Gallup, montre que les États-Unis sont au plus bas de leur classement, quittant pour la première fois le top 20 pour se retrouver à la 23e place. L’insatisfaction des jeunes de moins de 30 ans est principalement à l’origine de ce recul, les répondants de la génération Z se déclarant plus stressés et insatisfaits de leurs conditions de vie. Les jeunes ont des taux d’endettement étudiant beaucoup plus élevés, des taux d’accession à la propriété plus faibles, des taux de location plus élevés et sont plus susceptibles de vivre avec leurs parents ou d’autres colocataire.trice.s que les générations précédentes.
Cependant, d’autres indicateurs incluent « le sentiment d’être moins soutenu par les amis et la famille, et d’être moins libre de faire des choix de vie ». Ces phénomènes inquiétants ne peuvent être dissociés de l’ardoise de lois régressives adoptées et de la désignation consciente de boucs émissaires parmi les femmes, les personnes queer et les personnes victimes de racisme, tant au niveau des États qu’au niveau fédéral, les millennials (personnes nées entre le début des années 1980 et le milieu des années 1990) et la génération Z (personnes nés entre la fin des années 1990 et le début des années 2010) représentant les générations les plus diversifiées de l’histoire des États-Unis.
Rien qu’en 2024, 642 projets de loi anti-trans ont été envisagés aux États-Unis, sur des sujets tels que la limitation de l’utilisation des toilettes, l’interdiction de l’accès aux soins de réaffirmation du genre ou l’interdiction pour les enfants transgenres de participer à des activités sportives. Depuis l’annulation de Roe V Wade (arrêt rendu par la Cour suprême des États-Unis en 1973 concernant la protection du droit à l’avortement abrogé en 2022), 14 États ont interdit presque totalement l’accès à l’avortement, ce qui se traduit par des taux de mortalité liés à la grossesse deux fois plus élevés que dans les États où l’avortement est autorisé. En 2021 et 2022, 563 projets de loi ont été déposés contre l’enseignement de la théorie critique de la race dans les écoles publiques.
La commission de l’éducation et de la main-d’œuvre de la Chambre des représentants, sous couvert de s’attaquer à l’antisémitisme sur les campus universitaires au milieu d’un mouvement international de solidarité avec la Palestine, trouve également des moyens créatifs de réduire les programmes de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI), ce qui a été alimenté par la décision explicite de la Cour suprême conservatrice contre la discrimination positive contre le racisme comme moyen de réduire les disparités et les inégalités racistes sur les campus universitaires.
Biden-Trump : la bataille originelle perdue d’avance
Dans ce contexte de crise extrême, il n’est pas surprenant que la polarisation ait prospéré. Les politiques modérées qui semblaient raisonnables à la population en des temps plus stables se révèlent aujourd’hui tout à fait insuffisantes. Dans un sondage réalisé en mars par leNew York Times et le Siena College, quatre fois plus d’électeur.trice.s se sont déclaré.e.s en colère, effrayé.e.s, déçu.e.s, résigné.e.s ou inquiet.e.s à propos de cette élection qu’iels ne se sont déclaré.e.s heureux.ses, enthousiastes ou plein.e.s d’espoir.
Même si de nombreux électeur.trice.s sont désespéré.e.s, il est clair que les Républicains ont l’avantage. La désaffection que Trump a su exploiter avec sa marque unique de populisme de droite est puissante et constitue en soi un indicateur d’un système défaillant. Qu’il s’agisse des richissimes qui soutiennent la soumission de Trump aux grandes entreprises, de la classe travailleuse blanche privée de ses droits et des pauvres des zones rurales qui détestent l’establishment démocrate et qui ont également adhéré à son discours haineux pour expliquer leur désespoir, le bloc Trump est un bloc puissant que les démocrates n’ont pas réussi à imiter. Un récent sondage a montré que 88 % des républicains considèrent Trump de façon très favorable ou plutôt favorable – un chiffre de soutien interne dont la campagne de Biden n’aurait pas pu se vanter.
Cette dynamique, associée à une suspicion publique quant à la capacité mentale de Biden à remplir ses fonctions, a eu un impact sur les sondages. Après une performance abominable lors du premier débat présidentiel cet été, cette idée a gagné encore plus de terrain, certains sondages montrant que la piètre performance de Biden le donnait distancé par Trump de six points. Dans un geste sans précédent, le 21 juillet, 182 jours seulement avant la fin de son mandat, Joe Biden s’est retiré de la course présidentielle et a choisi l’impopulaire vice-présidente Kamala Harris pour lui succéder. Cette décision n’a fait qu’exposer la faiblesse du Parti démocrate, tout en lui donnant l’occasion d’entamer une campagne avec un bagage moins lourd que celui de Biden.
Trump VS Kamala : quelle est leur position sur les questions d’actualité ?
Projet 2025 : L’un des thèmes majeurs de la campagne présidentielle est un ensemble de propositions politiques associées à Donald Trump, appelé « Projet 2025 », produit par un groupe de réflexion de droite appelé The Heritage Foundation. Les objectifs déclarés du document sont de « restaurer la famille en tant que pièce maîtresse de la vie américaine ; démanteler l’État administratif ; défendre la souveraineté et les frontières de la nation ; et garantir les droits individuels donnés par Dieu pour vivre librement ».
La « théorie de l’exécutif unitaire » du plan prévoit de placer l’ensemble de l’appareil fédéral sous le contrôle de l’exécutif, y compris les ministères indépendants, comme le ministère de la justice. Il appelle au démantèlement complet du Département de l’éducation et promet de licencier les employés fédéraux « corrompus », ce que beaucoup ont compris comme signifiant les employés qui ne sont pas loyaux envers l’administration Trump. Cela équivaudrait à une énorme consolidation du pouvoir présidentiel, que beaucoup considèrent raisonnablement comme une menace pour les fondements mêmes de la démocratie. Cette situation a été exacerbée par le moment où le colistier de Trump JD Vance, lors d’un débat vice-présidentiel, a refusé de répondre à la question « qui a gagné l’élection de 2020 ».
Bien que le projet 2025 ne soit pas officiellement soutenu ou produit par la campagne de Trump, certaines parties du plan ont été fortement dirigées par des personnes qui étaient des conseillers de premier plan de Trump pendant sa présidence. Il existe également une grande cohérence entre le Projet 2025 et le programme politique de Trump, à l’exception notable de l’avortement, que Trump ne mentionne pas une seule fois dans son plan, alors que la réalité des interdictions d’avortement a montré à beaucoup à quel point cette forme de soins de santé est essentielle.
Dans ce contexte, de nombreux électeurs craignent qu’une présidence Trump ne ressemble davantage à une dictature, une crainte amplifiée par l’impact persistant de l’insurrection du « 6 janvier » (la prise d’assaut du capitole), qui a suivi les déclarations de Trump selon lesquelles les élections avaient été volées, et par la récente décision de la Cour suprême, qui a effectivement placé les présidents en exercice au-dessus de la loi. Les démocrates s’appuient sur cette crainte et considèrent qu’un vote en faveur de Kamala Harris est un vote en faveur de la préservation de la « démocratie américaine », aussi antidémocratique qu’elle puisse être.
Le « grand flic » Harris : L’un des éléments du Projet 2025 auquel Trump a adhéré est la promesse de déployer l’armée américaine à la frontière entre les États-Unis et le Mexique pour assister les déportations massives, une demande reflétée lors de la Convention nationale républicaine (RNC), où les participant.e.s ont brandi des pancartes portant les mots « Déportations massives maintenant ! ». Trump a formulé des slogans et des promesses dangereux, comme sa menace d’expulser « un million d’immigrés ». Ces dernières années, l’immigration aux États-Unis a considérablement augmenté, en particulier en provenance d’Amérique latine et des Caraïbes. Selon l’Office of Homeland Security Statistics, la frontière sud a enregistré au moins 6,3 millions de rencontres avec des migrant.e.s depuis que Biden est devenu président en 2021, et plus de 2,4 millions de ces personnes ont été autorisés à entrer dans le pays. Même si la plupart d’entre elles se trouvent aujourd’hui devant les tribunaux dans le cadre de procédures d’expulsion actives, cela représente tout de même une augmentation significative de la migration récente, attribuable aux tendances qui affectent les pays à l’échelle mondiale, telles que la crise climatique, l’instabilité politique et les difficultés économiques.
Les démocrates, comme les républicains, ne sont pas à l’abri d’imputer aux immigré.e.s les problèmes causés par la fausse pénurie posée par le marché privé, et leur rhétorique et leur programme ont contribué à faire régresser l’opinion publique sur ces questions. La proportion d’Américain.ne.s souhaitant que le niveau de toutes les formes d’immigration diminue a radicalement augmenté, passant de 28 % à la mi-2020 à 55 % en juin 2024. C’est la première fois depuis 2005 que la majorité des Américain.ne.s souhaitent une diminution de l’immigration. Le sentiment anti-immigration a atteint son apogée en 2001, dans le sillage du 11 septembre. Tous les secteurs de l’électorat reflètent ce virage à droite en matière d’immigration, y compris les électeurs latino-américains, qui sont plus enclins que par le passé à soutenir des politiques frontalières plus strictes, ainsi que les démocrates inscrits sur les listes électorales.
Trump a même progressé auprès de l’électorat noir et latino-américain. Si Harris conserve une avance significative, 78 % contre 15 % pour M. Trump auprès de l’électorat noir et 56 % contre 37 % auprès des Latinos, cette avance est bien maigre par rapport aux bases de soutien dont disposaient les démocrates par le passé. En 2020, Joe Biden a obtenu 92 % de soutien de la part des électeurs noirs et 63 % de la part des Latinos.
En conséquence, le programme du Parti démocrate pour 2024 représente un recul des droits des immigrés, en soutenant des déportations plus rapides pour les migrant.e.s économiques et en appelant à des règles plus strictes pour les demandeur.euse.s d’asile, y compris la possibilité d’arrêter complètement le traitement des demandes d’asile. Ce revirement se reflète également dans le fait que Kamala Harris a remis l’accent sur son rôle de procureure dans l’État de Californie, en arborant fièrement son badge de « Top Cop ». Dans les publicités, elle a souligné son rôle dans la lutte contre la criminalité transfrontalière. En tant que procureure, elle était également favorable à ce que les immigré.e.s sans papiers qui commettaient des délits, même non violents, soient remis aux services de l’immigration.
Le contraste est saisissant avec la situation qui prévalait il y a quatre ans, dans le sillage du puissant mouvement Black Lives Matter, le plus grand mouvement de protestation de l’histoire des États-Unis. À la lumière de ces faits, Kamala Harris a dû renoncer à son personnage de Top Cop. Lors de la convention nationale démocrate (DNC) de 2020, les membres des familles d’hommes noirs tués par des violences policières ont été invités à monter sur scène, et Kamala Harris elle-même a parlé du racisme structurel. Une fillette de 11 ans qui avait été détenue dans un centre de détention a eu le droit de s’exprimer. Les bénéficiaires de l’action différée pour les arrivées d’enfants (DACA, dispositif mis en place par le gouvernement Obama qui permet à certains immigrés mineurs entrés illégalement sur le territoire américain de bénéficier d’un moratoire de deux ans sur leur expulsion) se sont vus offrir une plateforme pour démontrer ce message également. Bien que ces messages se soient avérés creux lorsqu’il s’agissait de politique réelle, il était clair qu’en 2020, le Parti démocrate ressentait la pression de refléter un certain état d’esprit.
En réalité, les démocrates, Kamala Harris en tête, tentent de marcher sur une corde raide : d’une part, décrier le type de racisme et de sentiment anti-immigrés affiché lors des rassemblements de Trump, et être le parti de la diversité, de l’humanité et du progrès ; et d’autre part, démontrer plus ouvertement la réalité de leur insensibilité sur la question en rendant plus difficile l’accès à la sûreté et à la sécurité pour les immigrants vulnérables à une époque où la guerre, les catastrophes climatiques et la pauvreté créent des réfugiés dans le monde entier.
La bataille contre le « wokisme ». Alors que nous entrons dans le dernier mois avant les élections, Donald Trump a dépensé au moins 17 millions de dollars pour des publicités qui s’en prennent à Kamala Harris, qui soutient les soins de genre pour les détenu.e.s dans le cadre de sa campagne de 2019. Il n’est pas certain qu’il s’agisse de sa position actuelle, étant donné qu’elle est revenue sur bon nombre de ses positions les plus progressistes. L’une des publicités se termine par un slogan incendiaire : « Elle est aux côtés d’eux/elles – Trump est aux côtés de vous ». Ce slogan est diffusé sur une image de Trump discutant avec des ouvriers d’usine et sur une citation de CNBC : « Trump : Moins d’impôts, plus de salaires pour les travailleurs ». Ces publicités de Trump ont été diffusées plus de 30 000 fois, y compris dans les États clés de l’échiquier politique, avec une attention particulière pour les retransmissions de matchs de football américain.
À première vue, il peut sembler étrange de mettre l’accent sur un tel sujet au cours du dernier mois précédant l’élection, surtout lorsque les principaux thèmes abordés par les électeurs semblent être l’économie et l’avortement. Pourtant, opposer les droits des personnes transgenres aux problèmes de la classe travailleuse, comme le laisse entendre la campagne publicitaire, est une approche utilisée par l’ensemble du parti républicain. S’il est vrai que le Parti démocrate n’est pas un parti qui défend les intérêts de la classe travailleuse, le fait que Kamala Harris ait déjà soutenu la prise en charge des détenu.e.s en fonction de leur genre n’a aucune incidence sur ce fait. Une lutte réussie pour des soins de santé gratuits et accessibles aux personnes transgenres, intégrés dans un système de santé public, serait une victoire pour toutes les personnes de la classe travailleuses qui luttent contre des coûts démesurément élevés pour les soins de santé de base. Le choix de Trump de mettre l’accent sur cette question démontre l’efficacité du retour de bâton sur le « wokisme », c’est-à-dire les idées progressistes sur le genre, le racisme et la sexualité, et la façon dont cela peut trouver un écho auprès de l’électorat.
En ce qui concerne l’avortement, Trump est moins catégorique. Reconnaissant qu’il s’agit d’une faiblesse pour lui, puisque des États « rouges » (la couleur du parti républicain) ont voté des référendums qui limiteraient l’accès à l’avortement, il se contente généralement d’insister sur le fait qu’il s’agit d’une question relevant des « droits des États ».
Et pourtant, même si Kamala Harris se présente comme une candidate progressiste, la réalité est qu’elle fait également partie d’une administration qui a connu le pire recul en matière de droit à l’avortement, de prise en charge des personnes handicapées et de droits des personnes LGBTQIA+ depuis des années. Cette situation ne peut être imputée uniquement à l’administration Trump, aux assemblées législatives conservatrices des États et à la Cour suprême. Pendant des décennies, les démocrates ont permis de subtiles érosions des droits des femmes ; ils ont laissé prospérer un système de santé de plus en plus privatisé ; ils ont siphonné l’avortement et les soins d’affirmation du genre vers des cliniques spécialisées ; tout cela montre leur mépris pour ces formes essentielles de soins de santé, mais a également préparé le terrain pour les attaques de la droite radicale contre ces services.
Le « meilleur ami d’Israël » et le bras droit de Joe le Génocidaire. La complicité de l’administration Biden dans le génocide de Gaza est bien documentée et constitue un problème important pour les démocrates à l’approche de cette élection. En août 2024, on estime que l’administration Biden a envoyé plus de 600 cargaisons d’armes à Israël, ce qui représente plus de 50 000 tonnes d’équipement militaire en seulement 10 mois. Ces livraisons d’armes représentent une complicité et une participation absolues au génocide.
Cette grave vérité a eu un impact sur l’opinion américaine. La majorité soutient toujours Israël, mais des chiffres plus importants que jamais démontrent le scepticisme et la désapprobation pure et simple de l’approche des gouvernements israélien et américain à l’égard de la Palestine, en particulier auprès des personnes musulmanes et de la jeunesse. Un sondage réalisé en novembre dernier a montré que 70 % de l’électorat âgé de 18 à 34 ans déclaraient désapprouver la façon dont Biden a géré la « guerre » contre Gaza. En mai de cette année, un sondage de l’Institut arabo-américain (AAI) a montré que le soutien de Biden parmi les Américain.ne.s d’origine arabe se situait juste en dessous de 20 %. L’électorat arabo-américain constituent un bloc de vote important dans des États en pleine mutation, comme au Michigan. Ce printemps et cet été, des milliers de jeunes gens fréquentant les universités américaines ont participé à des manifestations et à des occupations de campus appelant leurs universités à rompre leurs liens avec les produits, les universités et la recherche en Israël qui contribuent au génocide à Gaza.
Kamala Harris a tenté d’adopter un ton plus empathique et conciliant à l’égard de la Palestine, reconnaissant à juste titre les problèmes que le génocide pourrait poser à sa campagne. Elle a qualifié de « dévastatrices » et de « catastrophiques » les « images d’enfants morts et de personnes désespérées et affamées fuyant pour se mettre à l’abri, parfois déplacées pour la deuxième, la troisième ou la quatrième fois », et a promis que « je ne resterai pas silencieuse ».
En réalité, Harris s’aligne sur l’approche de Biden et, en dépit de ses témoignages de sympathie, sa politique ne fera que perpétuer la catastrophe. Elle s’est fait l’écho du soutien « inébranlable » et « à toute épreuve » de Biden à Israël et n’a fait aucune suggestion quant à l’arrêt de l’envoi d’armes vers Israël – un pouvoir qui relève de l’exécutif et qui, plus que toute autre chose, réduirait la capacité de l’État israélien à poursuivre son règne de la terreur.
En ce qui concerne la politique étrangère, et notamment le génocide en cours à Gaza, la campagne de Trump n’a pas grand-chose à dire, si ce n’est qu’elle présente la Chine comme l’ennemi principal et réaffirme une politique protectionniste, fondée sur des tarifs douaniers élevés, en matière de commerce extérieur. Dans ce contexte, il a parfois affirmé qu’il mettrait fin à l’implication des États-Unis dans les guerres étrangères. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles des personnalités comme le maire de Hamtramck, ville du Michigan, Amer Ghaleb, originaire du Yémen, ont soutenu Trump dans cet État où le vote arabe et musulman sera un facteur clé.
Néanmoins, il n’y a aucune raison de penser que Donald Trump sera l’ami des Palestinien.ne.s. Il s’est décrit comme le « meilleur ami d’Israël ». Au cours de son mandat de président, Trump a montré son mépris total et, en fait, sa malveillance à l’égard de l’autodétermination du peuple palestinien en reconnaissant Jérusalem comme la véritable capitale de l’État israélien. Malgré l’utilisation occasionnelle par Trump du surnom de « Joe le génocidaire » pour décrire le président Biden, les Palestinien.ne.s et leurs allié.e.s en lutte aux États-Unis devraient anticiper son mandat de président avec beaucoup plus de crainte que d’espoir.
Quand le « moindre mal » reste un mal certain
À l’extérieur de la convention démocrate, un manifestant nommé Farzeen Harunani, originaire de Chicago, a déclaré : « J’ai été bleu (couleur démocrate) toute ma vie. J’ai fait du bénévolat pour les démocrates, j’ai fait des dons aux démocrates, j’ai fait du porte-à-porte pour eux, j’ai fait des appels téléphoniques pour eux ». Il a expliqué qu’il se sentait politiquement sans abri. Harunani a poursuivi en disant : « Nous sommes tous très frustrés parce que le système bipartite est tellement ancré dans nos habitudes. Et si, au lieu de voter pour une réduction des dégâts, nous pouvions voter pour l’absence de dégâts ? »
Ces propos expriment le sentiment de nombreuses personnes qui se demandent s’il faut voter pour Harris, pour un tiers parti ou ne pas voter du tout. Beaucoup de ceux qui éprouvent une profonde sympathie pour les Palestinien.ne.s voteront tout de même pour Harris, espérant peut-être qu’elle sera la porte la plus facile à pousser, ou craignant en particulier la politique intérieure promise par une administration Trump. C’est éminemment compréhensible. En tant que socialistes révolutionnaires, nous continuerons à nous battre aux côtés de ces personnes pour faire pression sur celle qui accèdera à la présidence afin qu’elle mette fin au génocide à Gaza, parmi beaucoup, beaucoup d’autres choses.
Cependant, fondamentalement, le parti démocrate est une impasse, que ce soit sous la direction de Kamala Harris ou de Joe Biden. Dans un monde dominé par les crises, qu’il s’agisse d’une augmentation considérable du racisme, d’ouragans gigantesques sur une côte ou d’incendies de forêt sur l’autre, de soins de santé et d’éducation qui peuvent entraîner des dettes à vie, d’attaques quotidiennes contre l’autonomie et la sécurité physiques ou d’une conflagration apparemment sans fin de génocides et de guerres, il est clair pour un nombre croissant de personnes que la politique du « business as usual » ne suffira pas.
La solidarité est l’antidote à la peur
Pour certaines de ces personnes, le style incendiaire et le populisme haineux de Donald Trump et d’autres comme lui trouveront un écho. La haine que représente Trump s’inscrit mieux dans les sillons du capitalisme néolibéral hyper individualiste dans lequel nous avons été socialisés pendant des décennies.
Mais pour d’autres, en particulier ceux qui sont confrontés au racisme quotidien, qui regardent avec horreur des êtres chers être bombardés à Gaza ou au Liban, qui craignent d’être contraints d’être parents ou de subir des violences à l’école pour le simple fait d’être eux-mêmes, le système capitaliste qui repose si complètement sur la violence, l’oppression et l’exploitation est de plus en plus remis en question.
Kamala Harris est très légèrement en tête des sondages au moment où nous écrivons cet article. Elle n’est pas perçue avec le même scepticisme que Joe Biden, mais représente-t-elle quelque chose de suffisamment différent pour surmonter le culte que Trump inspire à de nombreuses personnes ? C’est peu probable : son bilan et celui du parti démocrate dans son ensemble laissent présager la poursuite du statu quo.
Ce qui est clair, c’est que peu importe qui s’assiéra dans le bureau ovale en janvier, nous ne pouvons pas nous reposer sur nos lauriers. Nous devons poursuivre nos manifestations pour mettre fin au génocide, maintenir la pression sur la personne qui occupera le bureau pour rétablir le droit national à l’avortement, lutter pour des soins de santé et des logements socialisés et pour tout ce dont nous avons besoin pour vivre. Nous avons vu que le sentiment pour de tels mouvements existe ; des campements universitaires en solidarité avec la Palestine qui ont inspiré un mouvement mondial, aux nouvelles couches de travailleurs qui testent leur pouvoir en se mettant en grève, aux jeunes qui organisent l’entraide dans leurs communautés – il est clair que beaucoup se battent pour trouver un moyen de construire et de lutter pour le monde dont nous avons besoin en dehors de la politique officielle.
De ces mouvements et organisations communautaires – ou de ceux dont nous n’avons pas encore rêvé – pourraient naître les graines d’un nouveau type de politique et d’organisation de base, capable de coaliser un mouvement ou un parti qui représente une véritable alternative à la mascarade déprimante que nous voyons dans les plus hautes fonctions. Telle est la tâche essentielle. Nous rassembler, refuser les compromis, sentir notre force à travers l’action collective afin de ne plus avoir à accepter un moindre mal, mais de pouvoir construire un monde socialiste fondé sur une action active en faveur du bien.
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Vidéo. Il y a dix ans… une marxiste était élue à Seattle
Il y a dix ans, Kshama Sawant a été élue conseillère de ville à Seattle (le conseil se compose de 9 sièges en tout et pour tout en plus du maire, sans équivalent d’un collège échevinal). Ce fut une surprise totale pour l’establishment de cette ville. L’establishment politique a été stupéfait et l’establishment économique a rapidement suivi. Seattle est à la base une ville surtout connue comme le siège de Jeff Bezos, le patron d’Amazon. Ce dernier s’est confronté à Kshama et son parti, Socialist Alternative, concernant la “taxe Amazon”, une taxe sur les grandes entreprises à Seattle, notamment pour financer des logements. Bezos s’est battu, mais a perdu.
Seattle a également été la première grande ville américaine à augmenter le salaire minimum à 15 dollars de l’heure. Dans deux vidéos de la série “On Strike”, Kshama revient sur la dernière décennie avec Bia Lacombe de Socialist Alternative.
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Incendies à Hawaï : Notre planète brûle de la crise climatique née du capitalisme
Au 13 août, au moins un millier de personnes sont portées disparues et plus de 93 sont confirmées mortes dans la catastrophe la plus meurtrière de l’histoire d’Hawaï : des incendies de forêt dévastateurs qui ont détruit des milliers de bâtiments et rasé des villes entières.
Par Mandy Gee, Socialist Alternative (ASI-USA)
Comment cela s’est-il produit ?
Une série d’incendies s’est déclarée sur l’île de Maui le mardi 8 août. Si la cause directe des incendies n’est pas encore connue, le combustible ultime des flammes est le changement climatique mortel, qui a contribué à la gravité de cette crise.
En l’espace de quelques semaines, Maui est passée d’un climat luxuriant à un climat sec (et donc plus propice aux incendies). Tout comme le Nord-Est et le Midwest ont souffert ces derniers mois de sécheresses suivies d’inondations soudaines et intenses, les zones tropicales plus chaudes seront également touchées par des “sécheresses soudaines” à mesure que le changement climatique s’intensifie.
Les sécheresses soudaines sont si sèches et si chaudes que l’air aspire littéralement l’humidité du sol et des plantes, ce qui les rend plus susceptibles de s’enflammer. Fin mai, aucune partie de Maui n’était anormalement sèche ; une semaine plus tard, plus de la moitié de l’île était “anormalement sèche”. Le 13 juin, les deux tiers de l’île étaient soit anormalement secs, soit en état de sécheresse modérée. Et au cours de cette dernière semaine, environ 83 % de l’île a été soit anormalement sèche, soit en situation de sécheresse modérée ou sévère.
Le changement climatique provoqué par le capitalisme rend les sécheresses plus rapides et plus furieuses, intensifiant le risque d’incendies de forêt. Le changement climatique accroît également la force des tornades et des ouragans, qui peuvent alors alimenter des “événements éoliens” plus violents, comme celui qui est à l’origine des incendies de Maui.
L’histoire hawaïenne s’embrase
Imprégnée d’une histoire hawaïenne vieille de 300 ans et vénérée par les Hawaïens, la ville de Lahaina, autrefois luxuriante et verdoyante, est aujourd’hui réduite à l’état de cendres.
Plus de dix mille habitants de Maui sont privés d’électricité et le système hospitalier de l’île est submergé de grands brûlés et de personnes souffrant d’inhalation de fumée.
L’incendie de Lahaina est le plus meurtrier aux États-Unis depuis plus de 100 ans, et les habitants comparent la dévastation à une zone de guerre. “L’étendue de la destruction de Lahaina vous choquera. Il semble qu’une bombe ait explosé”, a déclaré le gouverneur d’Hawaï, Josh Green.
Alors que les flammes dévoraient la ville, plusieurs personnes ont été contraintes de sauter dans l’océan pour échapper à la scène apocalyptique, flottant pendant des heures avant d’être secourues par les garde-côtes américains. Des milliers d’habitants se retrouvent au chômage, voire sans abri. Des milliards de dollars seront nécessaires pour reconstruire.
C’est loin d’être la première tragédie d’origine humaine à frapper les Hawaïens. En 1898, les États-Unis ont annexé l’île, donnant le coup d’envoi d’une longue lutte entre les habitants de l’île et l’impérialisme américain.
Les États-Unis ont d’abord jeté leur dévolu sur Hawaï en raison de l’essor du commerce du sucre dans l’île, mais à mesure que les puissances impérialistes du monde entier se développaient, les îles hawaïennes ont été de plus en plus utilisées par l’armée américaine comme station de ravitaillement en carburant et installation navale stratégiquement précieuse au milieu du Pacifique. En effet, depuis la “découverte” d’Hawaï par les Européens au XVIIIe siècle, les terres hawaïennes ont été accaparées et utilisées à mauvais escient par des non-Hawaïens, souvent au détriment des Hawaïens et de leurs traditions.
L’industrie très lucrative du tourisme est la dernière d’une série d’industries qui ont jeté leur dévolu sur les îles. Les paysages luxuriants des îles hawaïennes ont été une vache à lait pour les grandes chaînes hôtelières qui ont fabriqué de toutes pièces la dépendance des Hawaïens de souche et de la classe ouvrière à l’égard de cette industrie.
Qu’adviendra-t-il de la classe ouvrière et des pauvres de Maui ?
Dans le cadre du système capitaliste et de l’État qui le soutient, la reconstruction en cas de catastrophe naturelle n’est jamais garantie. Par exemple, une étude a révélé que le programme “Road Home” de la Louisiana Recovery Authority, qui aide les propriétaires à reconstruire après les ouragans Katrina et Rita, “a lésé les habitants des quartiers pauvres tout en donnant à ceux des quartiers riches plus de ce dont ils avaient besoin… Les habitants des zones les plus pauvres de la Nouvelle-Orléans – celles dont le revenu médian est inférieur ou égal à 15 000 dollars – ont dû couvrir 30 % de leurs coûts de reconstruction après les subventions de Road Home, l’aide de la Federal Emergency Management Agency et l’assurance. Dans les zones où le revenu médian était supérieur à 75 000 dollars, le déficit était de 20 %”.
La situation est encore pire pour les habitants de Maui. Les incendies ont décimé un grand nombre de maisons et d’appartements où vivaient les personnes travaillant dans l’industrie touristique de Maui. L’île est depuis longtemps confrontée à une pénurie de logements, les logements abordables étant les moins accessibles pour les personnes qui font fonctionner l’île. Alors que les stations balnéaires et autres attractions touristiques ont consommé une grande partie des terres, les propriétés résidentielles ont également été utilisées abusivement comme propriétés de vacances pendant des années, ce qui a encore étouffé l’offre de logements et forcé les travailleurs à consacrer encore plus de temps et d’argent à déménager ailleurs, simplement pour avoir un toit au-dessus de leur tête.
Aujourd’hui, avec plus d’un millier de bâtiments détruits, les travailleurs qui ont perdu leur maison seront probablement logés dans des hôtels, mais pour combien de temps ? Quand les entreprises qui les possèdent mettront-elles les personnes déplacées à la porte pour recommencer à faire des bénéfices ?
Si les compagnies aériennes peuvent encore transporter des touristes pendant la pire catastrophe naturelle de l’histoire d’Hawaï, qui peut dire qu’elles ne continueront pas à donner la priorité à l’industrie du tourisme, comme l’a fait la classe dirigeante de Porto Rico après l’ouragan Maria de 2017 ? Le PRTC, l’organe directeur officiel de l’industrie du tourisme à Porto Rico, a déclaré l’île officiellement ouverte au tourisme en décembre 2017, trois mois seulement après l’ouragan – mais il a fallu onze mois pour que l’électricité soit entièrement rétablie sur l’île. Et en 2022, on estimait que plus de 3 000 personnes vivaient encore sans toit solide, leurs maisons étant recouvertes de bâches.
Les travailleurs récemment déplacés de Maui n’ont cependant pas à partager ce sort. Dès que la vague de choc et de chagrin sera passée, les habitants pourront se regrouper et organiser la reconstruction de manière à ce que les pertes subies par tous les travailleurs soient indemnisées. Ce sont ces travailleurs qui font de Maui la destination touristique ultra-profitable que l’on connaît ; sans eux, l’île ne peut et ne doit pas fonctionner. Cette tragédie devrait inciter les travailleurs à se battre pour prendre en main l’industrie touristique, afin de garantir non seulement la stabilité des logements, mais aussi la conservation de leur belle île, qui continue d’être érodée par le développement immobilier haut de gamme et l’industrie touristique.
Affronter les catastrophes climatiques nécessite un monde sans capitalisme
Cette tragédie est due à 100 % au capitalisme et aux politiciens au pouvoir qui refusent de faire quoi que ce soit pour lutter contre la catastrophe climatique qui s’est déjà produite.
Il est désormais tout à fait clair pour de nombreux travailleurs que la classe dirigeante a complètement et totalement échoué à prendre des mesures significatives pour lutter contre le changement climatique, qui résulte en premier lieu de son système de recherche du profit. Le capitalisme nous tue. Le sang de centaines de milliers, voire de millions, d’innocents est entre les mains des élites dirigeantes. Puisque les grandes entreprises et les politiciens capitalistes sont incapables de mettre en œuvre les changements nécessaires, car ceux-ci vont à l’encontre des piliers mêmes du capitalisme, nous devons nous battre nous-mêmes pour le changement.
Les travailleurs, y compris ceux qui sont employés dans les industries polluantes, les familles qui cherchent à protéger leurs enfants et leurs parents âgés, les jeunes qui font face à la menace d’un avenir limité, et les personnes opprimées qui subissent les impacts brutaux du changement climatique combinés à la marginalisation résultant des divisions sociales du capitalisme, doivent s’unir dans une lutte indépendante pour obtenir l’aide dont nous avons le plus urgemment besoin, ainsi que les vraies solutions, une fois pour toutes, à la crise climatique.
En fin de compte, cela signifie que les travailleurs doivent prendre l’industrie en main, mais cela ne sera possible que si nous pouvons construire un mouvement de masse de la classe ouvrière, avec un programme de revendications pour lier la lutte contre la crise climatique à la lutte contre la crise du coût de la vie, les bas salaires, et d’autres luttes en cours. Un tel programme ouvrirait la possibilité d’une action unie plus forte, rendrait possible des victoires concrètes et jetterait les bases d’un renversement du système capitaliste qui détruit la planète. Participez à la lutte pour un monde meilleur – un monde socialiste – et rejoignez-nous !
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Plafond de la dette aux Etats-Unis : nous n’avons pas à payer pour l’échec du système capitaliste
La presse économique a tiré la sonnette d’alarme au sujet du « plafond de la dette » et du défaut de paiement aux Etats-Unis. Un récent article du Financial Times évoquait la possibilité d’un “Armageddon financier” avec pour illustration une photo de champignon atomique. Parallèle révélateur de l’inquiétude générale.
Par Stephen Thompson, Socialist Alternative (section d’ASI aux Etats-Unis)
Depuis trois mois, la presse économique tire la sonnette d’alarme à propos du “plafond de la dette”, qui fixe la limite légale du montant que le gouvernement américain peut emprunter. Le plafond de la dette a été créé il y a plus d’un siècle et, depuis lors, le Congrès l’a relevé à plusieurs reprises pour faire face aux nouveaux emprunts de l’État. Par exemple, il a été relevé plus d’une douzaine de fois sous la présidence de Ronald Reagan et, plus récemment, il a été porté à 22.000 milliards de dollars en 2019 et à 31.400 milliards de dollars en 2021. En règle générale, ces augmentations n’étaient que des événements de routine.
Mais cet hiver, faisant écho à un incident similaire survenu en 2011, les républicains du Congrès ont menacé de bloquer tout nouveau relèvement du plafond de la dette. La secrétaire d’État au Trésor, Janet Yellen, a averti que cela pourrait conduire à un “effondrement économique et financier”. Que se passe-t-il ?
Un système en déclin
L’agitation de la politique américaine est le reflet de problèmes plus profonds. Depuis les années 1970, l’économie américaine a connu une stagnation de la croissance de la productivité, ce qui a rendu plus difficile la réalisation des profits toujours croissants sur lesquels repose le capitalisme.
Pour consolider leur système et rétablir la rentabilité, les capitalistes et leurs hommes politiques – tant démocrates que républicains – se sont efforcés de supprimer les salaires et de réduire les taux d’imposition des sociétés. Paul Volcker, choisi par l’administration Carter pour diriger la Réserve fédérale, a résumé l’état d’esprit de l’époque en déclarant que “le niveau de vie de l’Américain moyen doit baisser”. Les attaques contre le mouvement ouvrier se sont multipliées et les entreprises ont délocalisé des emplois dans des pays où les salaires étaient nettement inférieurs. Au lieu de rallier l’opinion publique à la lutte et de lancer des mouvements pour défendre le niveau de vie des travailleurs, les dirigeants de la plupart des syndicats ont largement accepté la défaite.
En conséquence, de 1980 à 2014, le revenu des 0,01 % d’Américains les plus riches a augmenté de 423 %, alors que le revenu réel moyen de la moitié inférieure des adultes est resté bloqué à environ 16 000 dollars par an. Face à l’affaiblissement de la croissance économique, la classe dirigeante a réussi à devenir de plus en plus riche en redistribuant les revenus vers le haut, tout en imposant la stagnation et l’austérité au reste d’entre nous. La stratégie consistant à réduire les taux d’imposition des entreprises, à délocaliser la production à l’étranger et à monter les travailleurs les uns contre les autres dans un jeu international de “diviser pour régner” s’est avérée efficace pour relancer les bénéfices des entreprises après la crise des années 1970.
Des bénéfices en hausse et un endettement croissant
Bien que réussie en soi, cette tentative de soutenir le capitalisme a créé toute une série de nouveaux problèmes. En particulier, en raison des réductions d’impôts accordées aux entreprises et aux riches, il est devenu de plus en plus nécessaire pour le gouvernement fédéral d’emprunter pour financer ses opérations.
Les économistes Emmanuel Saez et Gabriel Zucman ont documenté ce changement en termes particulièrement frappants. Dans un livre récent, ils montrent que le taux d’imposition moyen sur les revenus des bénéfices aux États-Unis est passé d’environ la moitié à un quart, et que les milliardaires paient désormais un taux d’imposition inférieur à celui du travailleur moyen. Entre-temps, alors que les impôts sur les sociétés et les riches ont été réduits, les dépenses militaires ont augmenté. Rien qu’entre 2001 et 2021, le Pentagone a dépensé la somme colossale de 14.000 milliards de dollars pour la guerre. L’effet combiné de tout cela a été une augmentation massive de la dette du gouvernement fédéral.
Les événements récents ont renforcé cette tendance. La pandémie COVID a particulièrement mis à mal les bilans des gouvernements et, malgré les déclarations des démocrates, ceux-ci n’ont fait aucun effort sérieux pour taxer les riches lorsqu’ils contrôlaient la Maison Blanche et le Congrès en 2021 et 2022. Pendant ce temps, les dépenses militaires ont continué d’augmenter – le budget de la “défense” de cette année s’élève à près de mille milliards de dollars, et l’escalade de la guerre en Ukraine, dont le financement a été voté par les démocrates et les républicains, a déjà coûté des dizaines de milliards.
Un Armageddon financier ?
En conséquence, le gouvernement fédéral ne perçoit que suffisamment de recettes fiscales pour financer environ 80 % de ses dépenses, ce qui signifie que le montant restant doit être emprunté. C’est ainsi qu’en janvier, la dette fédérale a atteint la limite légale actuelle de 31.400 milliards de dollars.
En réponse, les républicains ont d’abord déclaré qu’ils ne relèveraient pas le plafond de la dette à moins que Biden n’accepte de réduire les dépenses de plusieurs milliards de dollars. Une proposition spécifique avancée par les républicains consisterait à relever à 70 ans l’âge de la retraite pour Medicare et la sécurité sociale, tandis que d’autres ont suggéré des coupes sombres dans Medicaid et d’autres programmes sociaux. Plus récemment, les républicains de la Chambre des représentants ont adopté un projet de loi qui augmenterait la limite de la dette à court terme, mais le projet de loi comprend des pilules empoisonnées comme la réduction du financement de l’IRS, la réduction des subventions pour l’énergie verte, des exigences plus strictes pour l’éligibilité à Medicaid, et la fin du programme actuel de remise de la dette étudiante. Il est peu probable que le projet de loi soit adopté par le Sénat, et Joe Biden a promis d’y opposer son veto s’il arrivait sur son bureau.
En attendant, pour payer les factures du gouvernement sans dépasser le plafond de la dette, les fonctionnaires du Trésor ont dû recourir à des “mesures extraordinaires”, comme la suspension des investissements de l’État dans les plans de retraite. Ces manœuvres permettent de gagner du temps, mais si le plafond de la dette n’est pas relevé, dans quelques mois, le gouvernement n’aura tout simplement pas assez d’argent pour payer les intérêts, les prestations de retraite et les autres obligations légales. Cela signifierait un défaut de paiement sans précédent de la part du gouvernement américain.
Les conséquences pourraient être désastreuses. Historiquement, la dette fédérale américaine a été largement considérée par les investisseurs et les banques centrales comme un moyen “sûr” de stocker des richesses (par exemple en achetant des obligations du Trésor), en raison de l’hypothèse selon laquelle elle produira des paiements d’intérêts garantis et conservera une valeur relativement stable. Un défaut de paiement montrerait que cette hypothèse ne tient plus. Les fondements du système financier mondial s’en trouveraient ébranlés, ce qui pourrait être extrêmement déstabilisant.
L’objectif du plafond de la dette
Bien sûr, il existe un moyen simple d’éviter tout cela : se débarrasser du plafond de la dette. Pourquoi cela ne s’est-il pas produit ? La raison en est que, du moins pour certaines parties de la classe dirigeante, le plafond de la dette sert un objectif important.
Les enquêtes d’opinion ont montré que, si la plupart des gens normaux n’attachent pas une grande importance à la dette publique, les personnes fortunées considèrent la réduction de la dette fédérale comme une priorité absolue. Ils constatent l’accumulation massive de la dette par rapport au PIB et s’inquiètent à juste titre de ce que cela signifie pour la viabilité à long terme de leur système. Ils veulent donc réduire cette dette en diminuant les dépenses des programmes sociaux qui profitent au reste d’entre nous.
Bien que de telles réductions de dépenses susciteraient probablement une opposition publique massive, une crise de la dette peut permettre de les imposer malgré tout : il suffit de demander aux habitants de l’Équateur, de la Grèce, de la Jordanie ou de l’Irlande. Bien qu’une véritable crise de la dette aux États-Unis ne soit pas dans l’intérêt de la classe dirigeante, la menace d’une telle crise – précisément ce pour quoi a été créé ce plafond de la dette – peut servir le même objectif. En fait, en réponse à la précédente impasse sur le plafond de la dette en 2011, le président de l’époque, Obama, a proposé des coupes budgétaires dans la sécurité sociale qui auraient autrement été impensables. C’est pourquoi une partie des donateurs républicains ultra-riches, et les politiciens qu’ils ont contribué à mettre au pouvoir, sont prêts à pousser le gouvernement fédéral au bord du défaut de paiement.
D’autres membres de la classe dirigeante ont exprimé leur opposition à cette tactique, tout en soutenant l’objectif de réduction des dépenses sociales. Par exemple, dans une déclaration faite au début de l’année, la Chambre de commerce des États-Unis a exhorté les républicains de la Chambre à ne pas “jouer à la poule mouillée avec le crédit des États-Unis”, tout en reconnaissant qu’ils souhaitaient réduire la dette fédérale au moyen de “révisions” des programmes sociaux. De même, Joe Biden a exigé des républicains qu’ils relèvent le plafond de la dette, mais a longtemps prôné des coupes budgétaires dans la sécurité sociale. Toute cette bataille sur le plafond de la dette reflète finalement des désaccords essentiellement tactiques au sein de la classe dirigeante concernant la manière de mettre en œuvre un objectif commun : faire en sorte que les gens ordinaires vivent avec moins, tandis que les riches continuent de s’enrichir.
Nous ne paierons pas pour les échecs de leur système !
Le capitalisme est un système dysfonctionnel en plein déclin. Pour le maintenir en vie, la classe dirigeante doit plier le reste de la société à sa logique tordue. Fondamentalement, leurs objectifs politiques reflètent cet objectif commun, même s’ils ne sont pas d’accord entre eux sur les tactiques. Mais pour le reste d’entre nous – l’écrasante majorité de la société – il n’y a aucune raison de continuer à soutenir un système qui a échoué. Nous avons au contraire besoin d’une économie socialiste reposant sur la propriété publique et la planification démocratique, gérée dans l’intérêt de tous et non pour l’enrichissement d’une poignée de personnes.
Tant que le capitalisme existera, la classe dirigeante cherchera à faire payer au reste d’entre nous les problèmes qu’elle crée. C’est pourquoi, afin d’économiser des liquidités et d’éviter un défaut de paiement de l’État, l’administration Biden a déjà commencé à réduire les investissements de l’État dans les plans de retraite des travailleurs fédéraux. Alors que le drame du plafond de la dette s’éternise, nous pouvons nous attendre à d’autres manœuvres de ce type. Nous devons nous organiser et riposter, en étant prêts à défendre des programmes clés comme la sécurité sociale par des actions de masse sur nos lieux de travail et dans la rue si nécessaire.
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États-Unis. La droite à l’offensive pour interdire les pilules abortives
Après l’abolition du droit fédéral à l’avortement aux États-Unis, avec l’abrogation de l’arrêt Roe v Wade, la droite poursuit son offensive contre les droits des femmes, au niveau judiciaire notamment. Un juge nommé par Trump a interdit la mifépristone, un médicament qui, associé au misoprostol, est le moyen le plus sûr et le plus efficace de mettre fin à une grossesse. Cette combinaison est utilisée dans la moitié des avortements pratiqués aux États-Unis.
Version raccourcie d’un article de Socialist Alternative (ASI-USA)
La décision, prise par le juge conservateur Kacsmaryk, équivaut à une interdiction des pilules abortives. La Cour suprême est immédiatement intervenue pour suspendre temporairement certaines parties de l’arrêt dans l’attente d’une décision sur le fond. Cependant, il est clair que la Cour suprême n’est pas un allié fiable pour la défense des droits des femmes. C’est elle qui a décidé d’abroger l’arrêt Roe v Wade, ouvrant ainsi la voie à l’interdiction de l’avortement dans les États américains. De plus, le verdict n’a été que partiellement suspendu: l’interdiction d’envoyer les pilules par la poste, par exemple, est maintenue. Il est possible que l’accès général aux pilules abortives soit bientôt considérablement restreint. Dans l’ensemble, il est évident que la droite mène une campagne déterminée pour retirer les pilules abortives du marché.
La recherche scientifique indique que la mifépristone est extrêmement sûre. Le médicament présente un meilleur bilan de sécurité que, par exemple, le Viagra. Pourtant, le juge Kacsmaryk a invoqué l’innocuité présumée de la mifépristone pour justifier l’interdiction. Il s’agit d’une attaque idéologique qui n’a rien à voir avec la sécurité du médicament, mais tout à voir avec le droit des personnes susceptibles de tomber enceintes de décider pour elles-mêmes.
Si l’arrêt de la Cour suprême est incertain, c’est principalement en raison des intérêts des grandes sociétés pharmaceutiques qui produisent les pilules abortives. Plus de 600 entreprises pharmaceutiques et biotechnologiques ont signé une lettre de protestation contre l’arrêt interdisant la mifépristone. Il est possible que les profits des grandes entreprises pharmaceutiques soient une pilule trop lourde à avaler pour les juges de droite. Mais ce n’est pas certain: la Cour suprême actuelle est très réactionnaire et déterminée. De plus, si cette attaque contre les pilules abortives échoue, il est certain que d’autres suivront.
Une interdiction judiciaire des pilules abortives créerait un vide juridique dans lequel l’administration fédérale de Biden pourrait décider de ne pas appliquer l’interdiction, autorisant ainsi la distribution et la vente de mifépristone. Toutefois, cela entraînerait une grande incertitude quant à ce qui est autorisé ou pas. Cela ouvrirait la porte à une distribution très difficile des pilules abortives, au moins dans certains États.
Pour garantir la protection juridique des pilules abortives, il faudra exercer une pression sous la forme d’un mouvement. Les protestations se multiplient et les actions de jeunes se multiplient pour défendre les droits des personnes transgenres contre le déluge d’attaques. Après l’abrogation de l’arrêt Roe v Wade, de grandes manifestations ont eu lieu et une majorité large et croissante de la population s’est prononcée en faveur du droit à l’avortement. Il existe donc un potentiel de lutte pour revendiquer le droit à l’autonomie corporelle.
Les victoires ne seront pas obtenues dans les tribunaux, mais dans la rue. Les jeunes femmes, les jeunes et les travailleur.euse.s doivent s’organiser et mener la lutte. Nous devons construire le type de mouvement qui rendra impossible l’application d’une interdiction des pilules abortives. Les politiciens et les personnalités de droite doivent craindre des manifestations de masse s’ils osent imposer des sanctions aux personnes qui souhaitent avorter.
Il n’existe pas encore de véritable mouvement actif pour défendre le droit à l’avortement, mais il pourrait se développer dans le contexte de la guerre générale menée par la droite contre l’autonomie corporelle des femmes et des personnes LGBTQIA+. Des Pride combatives peuvent y contribuer en exigeant clairement des soins gratuits, sûrs, légaux et largement accessibles pour l’avortement.
L’objectif devrait être de rassembler des dizaines de milliers de personnes au sein d’un mouvement dynamique et visible. Un tel mouvement de masse peut organiser ou permettre la distribution illégale de pilules abortives dans le cadre de la lutte. Cela pourrait contribuer à créer un rapport de force pour stopper les attaques de la droite et imposer des soins publics de qualité pour tous.