Category: Dossier

  • USA. Le féminisme socialiste et les nouveaux mouvements féministes

    Un nouveau mouvement des femmes est en train d’émerger aux États-Unis et à l’échelle internationale dans un contexte de menaces majeures par les discours réactionnaires qui pèsent sur les acquis durement gagnés par les femmes.

    Article de notre organisation-soeur, Socialist Alternative

    La victoire électorale de Donald Trump a poussé des millions de personnes dans la rue et a radicalisé une partie de la société sur la base de la lutte contre le sexisme. Au Brésil, les femmes jouent un rôle crucial dans le mouvement #EleNao contre Jair Bolsonaro, le méprisable misogyne qui est arrivé au pouvoir en cette période de crise économique, sociale et politique dévastatrice. Les droits démocratiques des femmes, des Brésiliens noirs, de la communauté LGBTQI+, des peuples indigènes et de l’ensemble des travailleurs sont sous pression avec le gouvernement Bolsonaro.

    La campagne #MeToo a mis le harcèlement sexuel et les agressions sexuelles au cœur des discussions de la société, non seulement aux États-Unis mais également au niveau international. De plus, la Grande Récession, ainsi que les attaques de la droite, ont déclenché une série de luttes explosives ces dernières années. Celles-ci ont politisé de nombreuses jeunes femmes et de travailleuses, touchées de manière disproportionnée par la crise du capitalisme. Les jeunes femmes ont également joué, en 2016, un rôle clé dans la campagne de Bernie Sanders, qui a mis en évidence un véritable défi de dénoncer le pouvoir des entreprises qui bénéficient du sexisme et du racisme. Avant même que des millions de personnes n’aient protesté contre le « prédateur en chef », l’envie de lutter contre le sexisme avait atteint un point d’ébullition. Des « Slutwalk » à Carry That Weight, en passant par #YesAllWomen, les jeunes femmes ont clairement indiqué qu’elles étaient prêtes à lutter contre le sexisme et les abus. Des millions de femmes veulent non seulement lutter contre leurs propres Weinsteins et Kavanaughs mais aussi mettre fin au sexisme endémique qui imprègne toute notre vie. Alors que la droite continue de mener des attaques contre les femmes, les LGBTQI+, les personnes de couleur, les immigrants, les syndicats et tous les travailleurs, le nouveau mouvement des femmes est confronté à des questions décisives. Comment pouvons-nous combattre la droite ? Pour qui nous battons-nous ? Et comment bâtir un mouvement qui peut à la fois vaincre ces attaques immédiates et obtenir des gains réels pour les femmes ?

    #MeToo et la lutte contre Kavanaugh

    La nomination de Brett Kavanaugh à la Cour suprême est devenue le symbole de la lutte générale contre le harcèlement et les agressions sexuelles, avec presque six Américains sur dix ayant suivi de près les travaux de la Commission judiciaire du Sénat. Depuis sa création, #MeToo a fait tomber une série d’hommes puissants qui ont été exposés comme misogynes et agresseurs. Mais cette fois, aidée par la faiblesse de l’approche démocrate, la campagne des républicains a réussi … La nomination de Kavanaugh représente une menace directe pour les droits reproductifs, les droits des LGBTQI+, les droits de vote, les protections environnementales et les droits des travailleurs en général. Avant que Christine Blasey Ford ne se présente courageusement, la direction démocrate avait fondamentalement accepté qu’il s’agissait d’un accord conclu et qu’elle ne ferait qu’exprimer son opposition. Bien qu’ils aient changé d’approche une fois que l’attention de la nation s’est concentrée sur les abus passés de Kavanaugh, ils ont quand même refusé de mener le genre de bataille qui aurait pu vaincre les Républicains.

    La direction démocrate aurait pu mobiliser des protestations et des actions directes pour diriger toute la force de l’indignation massive existante contre Kavanaugh, en se concentrant non seulement sur son comportement prédateur, mais en l’utilisant comme un moyen de se mobiliser contre tout l’agenda réactionnaire républicain. Mais c’est précisément ce qu’ils ne feront pas, car s’ils sont heureux d’utiliser la politique identitaire à des fins électorales, ils vivent dans la crainte de tout mouvement de masse réel dont les revendications iraient au-delà de ce qui est acceptable pour leurs donateurs corporatifs.

    Le contrecoup de la nomination de Kavanaugh montre le potentiel et la nécessité de développer le nouveau mouvement des femmes en une véritable force qui donne une expression concrète à des sentiments généraux existant pour la lutte contre le sexisme et pour la défense de nos droits. En outre, le résultat montre que le mouvement ne peut pas compter sur la volonté d’actions du Parti démocrate. Le mouvement, en commençant par s’attaquer au harcèlement sur le lieu de travail, doit aussi s’attaquer à toutes les questions qui touchent les femmes de la classe des travailleurs. Il doit se battre pour la santé pour tous, l’éducation pour tous, le logement pour tous et s’attaquer sans détour à toutes les attaques contre les travailleurs/travailleuses.

    Alors que des millions de personnes se sont présentées pour voter aux élections de mi-mandat de cette année et ont voté pour les démocrates afin de repousser Trump et le parti républicain, des millions d’autres voient également la nécessité d’une nouvelle force politique. En même temps, il existe un sentiment palpable dans la société pour mettre fin au sexisme, au racisme et à la profonde inégalité qui ravage nos communautés.

    Leçons tirées des luttes passées

    Pour mener notre lutte aujourd’hui, il est crucial que nous tirions des leçons des luttes héroïques des femmes du passé ainsi que de toutes les luttes contre l’oppression. Le mouvement des femmes des années 60 et 70 a coïncidé avec une ère de grands bouleversements sociaux, du mouvement des droits civiques au mouvement contre la guerre du Vietnam, ainsi qu’avec une énorme poussée des luttes des travailleurs. Les femmes, les personnes de couleur, les personnes LGBTQI+ et les travailleurs en général ont été encouragés à porter leur lutte contre l’oppression et l’inégalité à des niveaux supérieurs d’organisation et d’action.

    En même temps, les femmes sont entrées en grand nombre sur le marché du travail dans les années ’60 et ’70 et faisaient partie d’une transformation démographique de la classe ouvrière américaine qui comprenait également de nouvelles industries et catégories d’emplois -s’ouvrant aux travailleurs noirs et autres minorités raciales. Les femmes de la classe ouvrière se sont organisées et ont lutté pour l’égalité et le respect au travail ainsi que dans leur famille et leur communauté. Cela a fait du féminisme un véritable courant dans la classe ouvrière. Ce fut le moteur de l’évolution des attitudes à l’égard des femmes au niveau , l’un des gains les plus cruciaux de cette période.

    Malheureusement, les dirigeants des organisations de femmes n’ont pas réussi à tirer parti de l’élan du mouvement, en luttant sans relâche pour un programme en faveur de la classe ouvrière, qui aurait pu mobiliser des pans encore plus larges de la société. Des organisations comme NOW et NARAL ne visaient pas à affronter le capitalisme dans son ensemble et ont donc refusé de construire le type de mouvement nécessaire pour mettre fin au sexisme. Dans le but de paraître acceptable aux yeux du « courant dominant » de la société, la direction de NDT a même sciemment mis de côté les militants les plus radicaux. En conséquence, l’incapacité du mouvement à adopter un programme clair qui puisse répondre aux intérêts et aux besoins des femmes de la classe ouvrière et des femmes de couleur a limité son attrait, même si ses campagnes ont eu un impact positif sur l’opinion publique et ont permis d’importants gains.

    Beaucoup de tâches historiques des luttes des années ’60 et ’70 restent à accomplir, mais les leçons de cette époque sont essentielles pour le nouveau mouvement des femmes. Les limites des mouvements de défense des droits des femmes du passé montrent que la question de la classe sociale est décisive dans la lutte. Le féminisme libéral et les organisations qu’il dirige peuvent se battre pour des réformes radicales, mais défendront en fin de compte le système qui maintient les femmes, les personnes LGBTQI+, les personnes de couleur, les immigrants et toutes les personnes de la classe ouvrière sous divers niveaux d’oppression. Une tendance féministe socialiste dans le mouvement des femmes est cruciale pour ne pas permettre au leadership du féminisme libéral et pro-capitaliste de freiner des mouvements qui ont le potentiel de remettre véritablement en question le statu quo qui existe actuellement.

    Mesures de lutte contre le harcèlement sexuel sur les lieux de travail mixte

    #MeToo a déclenché une discussion sur la nécessité de mettre fin au harcèlement sexuel, en particulier sur nos lieux de travail. Et bien que la première année du moment #MeToo ait été principalement exprimée par le biais de discussions en ligne et interpersonnelles, et non par des manifestations de masse, elle contenait déjà le pouvoir de faire tomber des abuseurs très en vue. Pour des millions de femmes ordinaires, cela nous a donné l’assurance que nos propres agresseurs pourraient également être confrontés et qu’un monde dans lequel Weinsteins ne pourrait atteindre un tel niveau de succès est réellement possible.

    Au cours des derniers mois, les travailleurs de certaines des plus grandes entreprises mondiales ont montré la voie à suivre pour introduire #MeToo dans nos lieux de travail et la possibilité de bâtir des luttes de classe contre le sexisme. En septembre, les employés de McDonald’s ont mené la toute première grève nationale contre le harcèlement sexuel au travail dans dix villes des États-Unis, dont Chicago, San Francisco, Los Angeles et la Nouvelle-Orléans. En partie inspirés par cette grève, les travailleurs de Google ont organisé le 1er novembre une grève internationale contre le harcèlement sexuel, à laquelle 20 000 personnes ont participé.

    En fait, la résistance croissante des travailleurs aux États-Unis a été dirigée par des travailleuses, notamment des infirmières et des enseignantes. La révolte des enseignants du printemps dernier était aussi une révolte contre des années d’une campagne vicieuse et essentiellement sexiste qui visait à blâmer les enseignants pour les problèmes de la société. Les enseignants de Virginie-Occidentale, d’Arizona, d’Oklahoma et de Caroline du Nord se sont levés pour se défendre, défendre leurs élèves et leurs communautés.

    Une caractéristique de la grève des employés de Google a été le nombre d’hommes qui ont quitté le travail pour lutter contre le harcèlement sexuel. C’est le reflet d’un changement global de conscience, en particulier chez les jeunes. Les gens de tous les sexes, en nombre croissant, rejettent le sexisme et veulent se joindre à la lutte plus large contre les patrons. La grève des employés de Google a entraîné la fermeture, ou la fermeture partielle, de 40 bureaux dans le monde entier, ouvrant ainsi une nouvelle étape dans la lutte contre le harcèlement sexuel et représentant les premiers pas concrets vers l’auto-organisation des travailleurs du secteur des technologies.

    Fin octobre, les employés municipaux de Glasgow, en Écosse, ont mené la plus grande grève pour l’égalité salariale de l’histoire britannique. Les femmes représentaient 90 % des grévistes, qui ont atteint 10 000 travailleurs le premier jour et ont inspiré une participation massive dans leurs communautés. Des piquets de grève ont été érigés devant des centaines d’écoles et de bâtiments municipaux, ce qui a permis d’obtenir encore plus de soutien massif et de solidarité. Par la suite, les travailleurs de la propreté, majoritairement masculins, ont mené une action de grève de solidarité qui a complètement fermé les services de propreté à Glasgow. Le fait d’avoir une main-d’œuvre à prédominance masculine prête à se solidariser avec les travailleuses qui luttent pour l’égalité salariale a donné un coup de fouet à la grève et à son impact politique.

    Au carrefour d’un mouvement ouvrier et féministe en plein essor, ces travailleuses ont montré comment la lutte contre le harcèlement doit être menée sur le lieu de travail pour faire face au sexisme quotidien auquel nous sommes confrontés. Un mouvement de masse qui descend dans la rue et met en place une organisation efficace sur les lieux de travail. Les travailleurs ont un énorme pouvoir social potentiel s’ils prennent des mesures collectives, qui peut perturber le statu quo et remettre en question les patrons abusifs et les inégalités systémiques. En fin de compte, c’est tout le système d’exploitation et d’abus légalisés appelé capitalisme auquel il faut mettre fin.

    Les socialistes pensent que pour parvenir à la libération des femmes, nous devons construire une nouvelle société. Plus important encore, nous croyons que c’est possible. Chaque lutte réussie que nous organisons contre les attaques de la droite contre les femmes, les LGBTQ, les immigrants, les personnes de couleur et les syndicats et chaque réforme que nous pouvons gagner sous le capitalisme renforce la confiance pour que les travailleurs s’unissent et luttent pour notre libération et un monde socialiste égalitariste.

    Dans les villes des États-Unis, des membres de l’Alternative socialiste ont organisé des rassemblements contre la nomination de Brett Kavanaugh à la Cour suprême, y ont participé et y ont pris la parole. Nous y avons dénoncé la misogynie et la violence que Kavanaugh représentait ainsi que les menaces plus larges qu’il représentait pour tous les travailleurs par son programme de droite. Nous avons pris la parole lors de manifestations à New York, Boston, Pittsburgh, San Francisco, Cincinnati et plus encore. Vous trouverez ci-dessous des extraits de ces discours de jeunes femmes membres de Socialist Alternative.

    « Tout ce procès a été un témoignage de la façon dont notre système est brisé. Le problème ne réside pas dans les agresseurs individuels, bien qu’ils méritent d’être punis. Le problème, c’est le système fondé sur l’oppression qui permet aux hommes de s’en tirer avec des crimes odieux contre les femmes. Voter pour plus de femmes au Congrès ne changera pas le fait qu’une femme sur quatre a été victime d’agression sexuelle. Un plus grand nombre de femmes PDG ne changera pas le fait que de nombreuses mères célibataires occupent plusieurs emplois et n’ont toujours pas les moyens d’acheter les produits de première nécessité. Nous devons nous éloigner du féminisme des grandes entreprises qui cherche à élever quelques femmes et à supprimer la voix du reste des femmes. Nous devons construire un mouvement féministe socialiste qui lutte pour les droits des femmes de la classe ouvrière, des femmes de couleur, des femmes sans papiers, des femmes LGBTQI+ et des femmes handicapées. Nous devons lutter pour une société socialiste qui garantisse l’accueil universel des enfants, des soins de santé gratuits de qualité pour tous, un logement pour tous, l’accès à l’éducation et aux arts. Nous nous battons contre Kavanaugh aujourd’hui, mais demain nous commencerons la lutte pour un monde meilleur. Nous devons poursuivre le mouvement #MeToo afin de pouvoir construire un nouveau système, avec une nouvelle norme pour la façon dont nous traitons les femmes. » – Mari

    « Nous avons toujours la capacité de défendre les femmes et les gens de la classe ouvrière par la protestation, la grève et l’action directe. Dans un monde où un violeur peut siéger à la Cour suprême, nous devons suivre l’exemple des travailleurs de McDonald’s en grève et exiger maintenant une politique de tolérance zéro pour le harcèlement sexuel sur le lieu de travail. Dans un monde où le coût du logement à lui seul emprisonne des millions de femmes dans des relations de violence, il est temps de taxer les riches pour financer le logement abordable. Dans un monde où les élites blanches de l’Ivy League comme Kavanaugh grandissent en sachant que notre système de justice pénale raciste ne les touchera pas, nous devons suivre l’exemple des activistes de Black Lives Matter de Chicago et lutter pour un avenir où tous les gens seront tenus responsables de leur violence. Nous ne pouvons attendre sur aucune de ces questions. Les femmes ne devraient pas seulement avoir accès à l’avortement et à la contraception, mais aussi à des services publics de garde d’enfants gratuits et de qualité et à un congé de maternité adéquat pour gérer confortablement une famille et un emploi. Le féminisme socialiste signifie que les femmes gagnent non seulement un salaire égal à celui de leurs homologues masculins, mais aussi un véritable salaire minimum vital, de sorte qu’aucune femme n’est forcée de se prostituer pour survivre. La lutte contre Kavanaugh montre que nous avons le pouvoir de construire cet avenir pour les filles et les femmes de cette génération et de toutes celles à venir. » – Quinn

  • Le conseil des soldats allemands à Bruxelles en novembre 1918

    Cela a dû faire un drôle d’effet à la population bruxelloise : le dimanche 10 novembre 1918 après-midi, un cortège de 5 à 6000 soldats allemands défilaient dans la ville au rythme de l’Internationale, drapeaux rouges à la main. C’était le point d’orgue du soulèvement de soldats allemands contre les dirigeants de leur armée et leur gouvernement. Cet épisode de la Révolution allemande mérite d’être davantage connu.

    Dossier basé sur un texte de Tim Joosen paru dans notre livre ‘‘1918-1923: La révolution allemande’’

    L’impact de la Révolution d’Octobre sur le front Ouest

    La Révolution d’Octobre 1917 en Russie a eu un énorme impact sur les armées du Front occidental. La nouvelle de la création d’un État ouvrier, les propositions de paix et les mesures socialistes du nouveau gouvernement soviétique en Russie se sont vite répandues parmi les soldats. Tout à coup, il s’avérait qu’il existait une alternative au système capitaliste qui, pour ces soldats, était surtout synonyme de soif de sang, de massacres et de privations sur le front.

    L’état-major allemand a vu dans ces mutineries et l’affaiblissement des alliés une opportunité pour débuter une nouvelle offensive : celle du printemps. La prépondérance des troupes allemandes a été renforcée par la paix sur le front de l’Est. Les commandants en chef Ludendorf et Hindenburg voulaient ériger un mur entre les troupes alliées pour diviser les armées britanniques, françaises et belges et ensuite les attaquer séparément.

    Bien que l’attaque fut un succès dans un premier temps – les alliés ont été repoussés de quelque 60 kilomètres – cette offensive s’est soldée par un fiasco. D’un point de vue logistique, l’attaque a très mal été préparée et les dirigeants de l’armée ont à nouveau montré leur mépris total de la vie et du bien-être des simples soldats. Du côté allemand, sur les quatre mois qu’a duré l’offensive, 700.000 victimes sont tombées. Chez les alliés, les pertes ont été encore plus importantes : plus de 860.000 soldats sont tombés, morts ou portés disparus.

    C’est surtout dans les rangs de l’armée allemande que les soldats en avaient marre de ce massacre. De plus, les dirigeants de l’armée ont commis la grosse erreur d’amener sur le front occidental des soldats du front russe. Beaucoup avaient sympathisé avec les soldats russes et parlaient désormais à leurs frères d’armes de la Révolution d’Octobre. À la fin de l’offensive du printemps, 200.000 soldats allemands avaient déjà déserté et étaient rentrés chez eux de leur propre initiative. Lorsqu’à la fin de l’été 1918, les troupes alliées ont commencé une contre-offensive, les soldats allemands restants ont quitté massivement leurs tranchées. Fin septembre 1918, la guerre était, dans les faits, pratiquement finie sur le front occidental.

    Voici donc le contexte dans lequel la guerre mondiale a pris fin, qui n’a rien à voir avec le génie des états-majors alliés. Toute cette guerre s’est avérée être un statu quo stratégique. Ce n’est que quand la classe ouvrière s’est organisée contre la guerre que les gouvernements capitalistes ont été obligés d’y mettre un terme.

    Retour au chaos et Révolution allemande

    Les dirigeants de l’armée allemande savaient que la guerre était finie et qu’il valait mieux entamer un retour organisé. Il s’est cependant vite avéré qu’il n’était pratiquement pas question d’organisation et d’ordre : beaucoup d’unités ont été abandonnées à leur sort à mi-parcours de leur retour, l’intendance ne suivait pas.

    Fin octobre, les matelots de la marine allemande ont entamé des actions de protestations massives dans les villes portuaires allemandes. En cause, la tentative des dirigeants de l’armée de lancer une dernière offensive de la marine contre les alliés, dans l’espoir d’inciter l’empereur à poursuivre la guerre. Cette offensive fut impossible parce que des milliers de matelots ont refusé de quitter le port. Le 3 novembre, les matelots allemands mutinés occupaient la ville portuaire de Kiel et proclamaient une république soviétique socialiste. Trois jours plus tard, la même chose eut lieu à Hambourg, puis de tels soulèvements ont suivi dans la Ruhr, en Bavière et à Berlin. Le 9 novembre, la situation était à ce point sans issue pour la classe dirigeante allemande qu’elle a forcé l’empereur allemand Guillaume II à abdiquer. Ce geste à destination de la direction officielle du mouvement ouvrier avait pour but d’éviter une révolution comme en Russie.

    Cela a donné lieu une collaboration entre les dirigeants de la social-démocratie allemande (SPD) et la direction syndicale, d’une part, et la direction de l’armée et les représentants du capital allemand, d’autre part. La classe dirigeante allemande s’est engagée à mettre en place des réformes démocratiques et à donner suite aux revendications sociales. La direction du SPD a, quant à elle, promis de tout faire pour contrer une version allemande de la révolution d’Octobre, si nécessaire par la violence.

    En Belgique aussi, une alliance contre nature

    À partir d’octobre 1918, des contacts ont eu lieu entre représentants des autorités allemandes en Belgique, délégués du gouvernement belge en exil au Havre et représentants de la direction syndicale et du Parti ouvrier belge (POB). Au départ, les Allemands voulaient aller jusqu’à l’instauration d’une république belge avec pour président le socialiste Edward Anseele. Toutefois, les socialistes avaient auparavant déjà été réceptifs à l’appel du roi belge Albert Ier d’une ‘‘Union Sacrée’’ ou ‘‘paix de Dieu’’ : tous les conflits internes, y compris la lutte des classes, devaient être mis de côté au nom de l’unité nationale.

    Les importantes concessions (suffrage universel masculin, reconnaissance du droit de grève, éléments de sécurité sociale) montrent à quel point les capitalistes (et la direction du POB) avaient peur, principalement à cause du conseil de soldats allemands et du soutien témoigné par les syndicalistes belges.

    La protestation des soldats allemands

    La situation pitoyable dans laquelle se trouvaient les soldats qui se repliaient par Bruxelles continuait de susciter des protestations. De plus, beaucoup de ces soldats étaient membres et militants du SPD voire, pour certains, de sa scission à gauche, l’USPD. Quelques-uns parmi eux avaient accès, grâce à leur travail dans les services de communication militaire, à des informations de premier ordre concernant les événements révolutionnaires dans leur pays d’origine et les partageaient avec enthousiasme avec leurs frères d’armes.

    Lorsque le 9 novembre, la nouvelle de l’abdication de l’empereur allemand est arrivée, les soldats allemands ont mené diverses actions à Bruxelles. Dans différents régiments, les soldats ont emprisonnés leurs officiers tandis que leurs insignes et décorations étaient arrachés et piétinés en public. Dans plusieurs casernes temporaires, les symboles de la monarchie allemande ont été arrachés. Le drapeau impérial a fait place aux drapeaux rouges. C’était, entre autres, le cas dans les baraquements et les lieux de travail à la Gare du Nord où un important contingent de soldats allemands résidait. C’est là que le conseil révolutionnaire de soldats a officiellement pris forme.

    Ce même samedi soir du 9 novembre, un meeting a eu lieu dans le local communautaire des ouvriers du rail à la Gare du Nord où ils ont décidé de créer un conseil de soldats et ont élu une direction provisoire pour ce conseil. Cette direction devait négocier avec l’état-major allemand qui avait reçu de Berlin l’ordre d’accepter toutes les ‘‘revendications raisonnables’’.

    Le conseil de soldats allemands à Bruxelles en action

    Tout comme en Allemagne, la direction a été laissée aux dirigeants socialistes, qui désiraient essentiellement garder la révolution sous contrôle. La direction du conseil de soldats allemands à Bruxelles en fut l’expression. Le président Hugo Freund était médecin militaire et militant USPD, le seul membre USPD parmi la direction. Elle comptait aussi les militants SPD Kurt Heinig, Nottebohm, Auguste Horn et Siegmund. Carl Einstein, un anarchiste, a également joué un rôle important. Il ne faisait vraisemblablement pas partie de la direction, mais avait reçu pour mission de veiller à la propagande et à la communication du conseil de soldats. Einstein, qui parlait couramment le français, a reçu la mission spécifique de nouer des contacts avec les syndicats et partis ouvriers belges.

    Lorsque, plus tard, on a demandé à Freund les raisons du succès limité du conseil de soldats, il a répondu que seuls Einstein et lui-même étaient à gauche et que l’attitude tant de la direction du SPD que celle du mouvement ouvrier belge rendait impossible toute autre issue.

    Pourtant au début, le conseil de soldats allemands était particulièrement combatif. Outre des revendications relatives aux besoins immédiats des soldats allemands – nourriture, logement et préparation du retour en Allemagne – beaucoup d’attention a, de nouveau, été consacrée au contact avec la population belge. Le conseil de soldats allemands a ordonné à ce qui restait du commando de l’armée allemande de tout mettre en oeuvre pour pourvoir la population belge en nourriture, de libérer les déserteurs allemands ainsi que les résistants belges et de permettre aux travailleurs forcés en Allemagne de rentrer en Belgique. Des collaborateurs belges ont été arrêtés et une enquête a été ouverte concernant les officiers responsables de l’exécution de l’infirmière britannique Edith Cavell qui avait travaillé avec la résistance belge. Les grades militaires et les insignes ont été supprimés et les officiers démis de leur fonction. Chaque régiment pouvait élire démocratiquement ses propres commandants. La discipline militaire disparut : après les heures de service, chaque soldat était désormais un citoyen libre. Enfin, une main a été tendue au POB et aux syndicats belges à qui il fut demandé d’entrer en contact avec le conseil de soldats.

    Le 10 novembre, cet appel à la population et au mouvement ouvrier belge a été renforcé par une manifestation à Bruxelles. Quelque 5 à 6.000 soldats, tous désarmés, ont démarré de leur quartier gare du Nord vers la place Poelaert via la Bourse. Les soldats portaient des drapeaux rouges, distribuaient des tracts en français et néerlandais à la population avec un appel à la solidarité. Ils chantaient l’Internationale et demandaient aux passants de se joindre à eux. Arrivé sur place, Freund et Einstein ont fait des discours, le dernier était en français et relatait les événements révolutionnaires en Allemagne. Ils ont rappelé l’appel à la solidarité à la population belge et à la classe ouvrière.

    L’attitude du POB

    À la grande consternation de la direction du POB, l’appel du conseil de soldats allemands a été suivi d’effet. Plusieurs militants socialistes, surtout des jeunes affiliés aux Jeunes Gardes Socialistes, se sont joints aux soldats allemands. Des figures de gauche au sein du POB ont également essayé de convaincre le parti de choisir le camp du conseil de soldats.

    Dans le syndicat, il y avait une opposition à l’orientation pro-belge de la direction. Celle-ci était menée par le dirigeant syndical Volckaert qui appelait à la création d’une ‘‘république socialiste belge’’. La direction du POB a eu toutes les difficultés à inverser cette tendance. Emile Vandervelde a été spécialement dépêché de Gand pour lutter contre l’aile gauche à Bruxelles. Pendant une concertation avec la direction du conseil de soldats allemands, la direction du POB a fait clairement comprendre que toute forme de coopération et de solidarité de la part du mouvement ouvrier belge était exclue. Elle a conseillé aux Allemands de rentrer chez eux le plus rapidement possible.

    Le début de la fin du conseil de soldats allemands

    Déçue du manque de soutien du mouvement ouvrier belge, la direction du conseil de soldats a décidé de changer d’orientation et c’est focalisé sur le retour des soldats allemands hors de Belgique. Suite à cette grande désillusion, une partie des soldats allemands ont participé à des beuveries et se sont rendus coupables de pillages. Les dirigeants de l’armée allemande ont prévenu le conseil de soldats qu’il était désormais responsable du maintien de l’ordre à la suite de quoi les dirigeants du conseil de soldats ont retiré une série de mesures progressistes : la hiérarchie militaire a été réintroduite, des congés retirés et les pilleurs ont été punis.

    Des contacts ont alors été pris avec les autorités belges et la ville de Bruxelles et l’autorité civile a ainsi été rendue à la police belge, la justice belge et l’armée alliée et une ‘‘garde civile’’ mise en place par la ville de Bruxelles. Le conseil de soldats ne s’occupait plus que de l’organisation logistique du retour en Allemagne et du maintien de l’ordre parmi les soldats allemands restants. Toute tentative d’approche de la population belge et du mouvement ouvrier était bloquée. Ainsi, les ordres du nouveau gouvernement SPD de Friedrich Ebert à Berlin étaient scrupuleusement suivis. Le 17 novembre, les derniers soldats allemands ont quitté Bruxelles, parmi eux Freund et Einstein.

    En conclusion

    De retour en Allemagne, beaucoup de soldats actifs dans le conseil de soldats sont retournés à la vie civile. Plusieurs d’entre eux, dont Carl Einstein, ont par la suite joué un rôle important dans le mouvement révolutionnaire. Einstein, après l’échec de la Révolution allemande, s’est rendu en Espagne où il a pris les armes contre le fascisme au sein du POUM. D’autres, comme Hugo Freund, ont été démoralisés par l’échec de la révolution et se sont détournés de toute activité politique.

    Le contexte dans lequel le conseil de soldats allemands a dû agir était particulièrement difficile. Beaucoup de Belges considéraient toujours les soldats allemands comme des occupants. Malgré cela, les ouvriers les plus conscients savaient voir au travers de la surenchère nationaliste et témoigner de leur solidarité envers les soldats allemands insurgés. Malgré l’horreur des quatre années de guerre impérialiste, l’internationalisme était toujours vivant, et ce, même après que les directions des partis sociaux-démocrates de toute l’Europe aient joué la carte du nationalisme.

    Cet épisode remarquable de l’histoire belge montre qu’il y avait dans notre pays un potentiel pour l’extension de la révolution d’Octobre russe. Pour le concrétiser, il aurait fallu un parti révolutionnaire. La direction du POB a précisément tout fait pour éviter une révolution. Cette dernière a poursuivi cet objectif durant la vague de grèves de 1918-19 qui n’a pas pu développer et y a finalement mis un terme. Emile Vandervelde était dans ce sens très clair : ‘‘Nous devons espérer que les employeurs comprennent qu’ils ont intérêt à ce que les syndicats deviennent puissants et puissent canaliser la colère. Ils empêchent que les revendications ne s’expriment violemment et ne désorganisent le pays.’’ L’appel à une grève générale le 1er mai 1920 a été étouffé par les dirigeants syndicaux. ‘‘Pour renverser l’ordre existant, il faut être en mesure de le changer. Disposez-vous des techniciens nécessaires ? Les ouvriers sont-ils avec vous ? Je n’oserais pas le confirmer’’ déclarait Delattre du syndicat des mineurs du Borinage. Une grève a été évitée et remplacée par de grandes manifestations le 1er mai. Quand le ‘‘danger’’ de la révolution a été écarté en 1921, la bourgeoisie n’a plus estimé nécessaire de garder le POB au gouvernement.

  • Brésil. La résistance commence maintenant !

    Déclaration de Liberdade, Socialismo e Revolução (LSR, section brésilienne du Comité pour une Internationale Ouvrière)

    La victoire de Jair Bolsonaro au second tour des élections brésiliennes représente un énorme pas en arrière politique pour le pays et le peuple brésilien. Nous ne partageons pas le cynisme des analystes bourgeois qui parlent de la légitimité du système et de la “consolidation” des institutions démocratiques.

    Un candidat qui défend explicitement la dictature et la torture et qui veut stimuler la violence dans les rues contre les opposants, provocant des morts et des blessés, ne devrait pas être traité comme un candidat « normal ».

    La violence que l’ancien capitaine de l’armée a encouragée a déjà coûté des vies, comme celle du professeur Mestre Moa do Catendê, qui a été poignardé 12 fois pour avoir critiqué Bolsonaro ou celle de Charlione Lessa Albuquerque, 23 ans, fils d’un syndicaliste de la CUT, tué par un partisan de Bolsonaro lors d’une manifestation pro-Haddad (le candidat du PT). Une semaine avant les élections, Bolsonaro a publiquement menacé ses opposants d’exil ou de prison et une vidéo dans laquelle son fils, Eduardo Bolsonaro a menacé de fermer la Cour suprême, a été largement diffusée.

    Bolsonaro ne sera pas un Président “normal”. Il a été élu sur la base d’une série de coups d’État et d’abus qui ont suivi le coup d’État institutionnel qui a fait tomber Dilma Rousseff (ancienne présidente du PT). Les droits démocratiques courent un grand risque et cela doit être dit haut et fort.

    Après sa victoire, même au beau milieu d’une opération de communication visant à calmer l’atmosphère, Bolsonaro a continué à proférer ses menaces. Dans des interviews au journal national, Rede Globo, il a déclaré que lorsqu’il a parlé d’interdire tous les “bandits rouges” du pays, il faisait “seulement” référence aux dirigeants du PT et du PSOL (le Parti du socialisme et de la liberté, auquel participe LSR – la section du CIO au Brésil) et a attaqué directement Guilherme Boulos, le candidat du PSOL et dirigeant du MTST (le Mouvement des travailleurs sans-toit).

    Les éléments d’un “état d’urgence” non déclaré qui étaient déjà présents dans le pays depuis le coup d’Etat de 2016 seront renforcés. Le rôle de l’appareil judiciaire dans ce processus a été essentiel. Nous devons nous rappeler que le candidat favori pour remporter ces élections (Lula) a été enfermé et que le chemin a ainsi été ouvert pour Bolsonaro, tandis que les révélations concernant la corruption entourant la campagne de Bolsonaro ont été ignorés.

    Le financement illégal, estimé à au moins 12 millions de Reals, des grandes entreprises qui ont financé une campagne de masse de “fakes news” en faveur de Bolsonaro sur les réseaux sociaux privés a même été dénoncé par l’Organisation des États américains (OEA) comme sans précédent dans une démocratie. Le Tribunal électoral suprême n’a rien fait à ce sujet. Ce scandale n’a été révélé que par un reportage spécial dans le journal principal, Folha de Sao Paolo. Ce journal, et le journaliste qui a rédigé le rapport, sont aujourd’hui menacés par Bolsonaro.

    Ce n’est pas non plus une coïncidence si, juste avant le second tour des élections, au moins 17 universités ont subi des interventions policières simplement parce que des étudiants, des enseignants et d’autres travailleurs avaient exercé leur droit démocratique de protester contre les idées et pratiques proto-fascistes.

    L’intimidation et la répression de l’opposition et du droit de manifester existaient déjà avant l’arrivée au pouvoir du Bolsonaro. A quoi pouvons-nous nous attendre maintenant ?

    Pratiques proto-fascistes et politiques ultra-néolibérales

    Même s’il n’était pas leur premier choix, les partisans du grand capital ont d’abord toléré puis soutenu directement Bolsonaro. Leur mission est maintenant de contenir une partie des excès de l’ex-capitaine mais en même temps de profiter de sa “poigne de fer” pour appliquer des attaques néolibérales dures et radicales. Le grand capital est prêt à tolérer de nombreux abus au nom de coupes budgétaires dramatiques, de privatisations massives et de contre-réformes des retraites. Les capitalistes savent que la majorité des électeurs de Bolssonaro n’ont pas voté pour lui en s’attendant à une détérioration de leurs conditions de vie, à une perte de droits démocratiques et que tôt ou tard, viendra le mécontentement.

    A l’exception d’une partie de la société ouvertement réactionnaire, une grande partie des 39,2% (57,7 millions d’électeurs) de l’électorat total qui a voté pour Bolsonaro étaient issus de gens qui en ont assez du système politique, qui veulent voir un changement radical et qui ne voient aucune alternative à gauche. Les 60,8% restants (89,5 millions) de l’électorat qui n’ont pas voté pour Bolsonaro (le total combiné des votes pour Haddad, des votes blancs, des votes nuls et des abstentions) ne sont pas prêts à accepter des politiques qui attaquent leurs droits fondamentaux.

    Malgré cela, même s’il promet de respecter la Constitution, le gouvernement aura tendance à augmenter les éléments bonapartistes qui existent déjà. En même temps, Bolsonaro ouvre déjà la voie à la violence des groupes para et des éléments fascistes, pour compléter son gouvernement autoritaire.

    Il pourrait y avoir des divisions et des conflits au sein de la classe dirigeante face au bonapartisme croissant du gouvernement. Nous devons chercher à comprendre, à stimuler et à tirer parti de ces divisions. Cependant, nous devons aussi comprendre que seul le pouvoir organisé des masses, de la classe ouvrière et de tous les exploités et opprimés peut faire face à l’autoritarisme et aux attaques de Bolsonaro.

    Nous n’abandonnerons pas les rues

    La victoire de Bolsonaro constitue une défaite pour le mouvement ouvrier qui aggrave l’équilibre social et politique des forces du point de vue des opprimés. Cependant, ce scénario est encore en cours de définition et sera déterminé dans les jours à venir. L’équilibre des forces se définit aussi par des actions concrètes de notre classe et de nos organisations de lutte.

    Il est donc crucial de participer aux manifestations de masse dans les différentes capitales des États appelées par le Frente Povo Sem Medo (Front des personnes sans peur). Nous devons dire clairement que nous n’abandonnerons pas la rue et que nous n’accepterons pas les menaces et l’intimidation des mouvements.

    Les actions du mouvement étudiant au lendemain des élections, avec des actions appelées à contrer les tentatives de la droite pro-bolsonaro dans les universités, sont des exemples de la manière dont nous devons prendre place dans les rues, les lieux de travail et les quartiers et ne laisser aucun espace aux groupes proto-fascistes.

    La défense des libertés démocratiques sera une bannière fondamentale dans toutes nos luttes. Nous devons également mettre en garde contre le danger que Bolsonaro et Temer s’allient immédiatement au Parlement pour mettre en œuvre des attaques comme la réforme des pensions. S’ils adoptent cette attaque contre les pensions publiques maintenant, avant que Bolsonaro ne prenne le pouvoir, Bolsonaro serait libéré des dommages énormes que l’adoption de cette réforme causerait à son propre gouvernement. Une fois de plus, Temer joue un rôle pourri.

    Il s’agit notamment de préparer le terrain pour Bolsonaro en adoptant le décret qui a créé une nouvelle force de renseignement, dirigée par l’actuel ministre de la Sécurité, le général réactionnaire Sérgio Etchegoyen. Ce sera un outil qui, au-delà du crime organisé, sera utilisé contre l’opposition publique.

    Les syndicats et les autres mouvements sociaux doivent se mobiliser contre ces contre-réformes, en particulier la réforme des retraites et les atteintes aux droits démocratiques. Nous devons créer les conditions permettant au mouvement ouvrier de prendre des mesures fortes, comme ce fut le cas avec la grande grève générale d’avril 2017 qui a stoppé la réforme des pensions à l’époque.

    Dans les jours qui ont précédé le second tour, un large mouvement d’activistes a renaît, souvent spontanément, qui s’est mobilisé contre l’extrême droite et Bolsonaro : distribution de tracts, frappe aux portes, réunions sur les places des villes, action sur les médias sociaux, etc. De nombreux comités de lutte, des brigades démocratiques et des fronts antifascistes ont été créés. Une nouvelle couche d’activistes est née et beaucoup sont retournés à l’activité, générant un immense espoir et une grande solidarité.

    Ce mouvement doit être poursuivi et renforcé. L’organisation de la lutte par le bas peut donner un réel pouvoir au mouvement et garantir la participation démocratique et la prise de décision. L’organisation est cruciale au niveau régional, sur les lieux de travail, dans les écoles et les universités, sur une base large et démocratique, pour organiser la résistance contre le gouvernement et les gangs d’extrême droite.

    La garantie de notre sécurité ne peut être atteinte que par une organisation collective. Les actions de solidarité, les pressions politiques, les actions de masse et la légitime défense pratique ne peuvent être efficaces que si elles sont organisées collectivement. C’est une tâche que les organisations de masse de la classe ouvrière doivent clairement assumer, avec la participation de chaque comité, brigade et groupe local.

    Pour un front uni de la gauche socialiste

    La tâche du moment est la construction d’un front uni de toutes les organisations de la classe ouvrière dans la résistance contre Bolsonaro et l’extrême droite et son agenda autoritaire néolibéral.

    Au-delà du front uni de la classe ouvrière, qui rassemble les fédérations syndicales, les mouvements sociaux et les partis ouvriers, nous devons aussi construire une unité d’action encore plus large avec les organisations démocratiques et la société civile. Cela s’applique surtout à la défense des droits démocratiques contre les attaques.

    Cependant, il est nécessaire de comprendre que le moteur fondamental de cette lutte doit être l’action unie et coordonnée de la classe ouvrière et des opprimés. Seules nos organisations de classe peuvent faire le lien nécessaire entre la défense des droits démocratiques et la lutte contre l’agenda néolibéral et les mesures antisociales. À l’heure actuelle, autoritarisme et mesures néolibérales vont de pair et doivent être combattus ensemble.

    Dans cette lutte, la gauche socialiste doit stimuler un débat sur la réorganisation de la gauche. Nous ne pouvons pas gagner contre l’extrême droite sans une profonde compréhension de la manière dont nous sommes arrivés ici. Cela signifie une profonde compréhension de l’échec des politiques de conciliation de classe et d’adaptation au système adopté par le PT et le camp de Lula.

    L’expérience de la défaite actuelle ne sera utile que si, dans le processus de résistance et de lutte, de larges pans de la classe ouvrière et des jeunes, des femmes et d’autres secteurs opprimés tirent des conclusions concernant la nécessité de construire une nouvelle force politique de gauche socialiste, reposant sur la lutte directe de la classe ouvrière, organisée par le bas, radicalement démocratique et avec un programme anti-capitaliste et socialiste pour résoudre la crise actuelle.

    Cette alternative de gauche doit provenir à la fois du PSOL et de ce qu’il a accumulé jusqu’à présent, mais elle doit aussi être encore plus large, impliquant des alliances avec le MTST et d’autres mouvements sociaux. Cela devrait permettre de faire progresser la réorganisation de la gauche ouvrière et des sections combatives des mouvements ouvriers, étudiants et populaires.

    L’extrême droite a canalisé une grande partie du mécontentement populaire, en partie parce qu’elle a pu se présenter comme quelque chose de nouveau, de radical et d’extérieur au système. En vérité, elle ne représente que la continuité et l’approfondissement de l’ordre actuel et de son chaos.

    Nous, la gauche socialiste conséquente, devons offrir à la classe ouvrière et aux pauvres dans leur ensemble une nouvelle bannière, radicale, combative, remplie d’idées d’égalité, de solidarité, de démocratie et de socialisme.

    Vive la lutte !

  • Guerre, révolution, fascisme. L’actualité de la Révolution allemande

    Si beaucoup d’attention est consacrée cette année à la Première Guerre mondiale, les circonstances de sa fin semblent moins intéressantes aux yeux des commentateurs traditionnels. La Révolution allemande est à peine connue, alors que le processus de révolution et de contre-révolution en Allemagne a tracé les contours du XXe siècle. Nous estimons que jeter un regard sur cette période révolutionnaire reste d’une grande actualité. Elle a démontré que la révolution était bien possible dans un pays capitaliste développé. La Révolution allemande est née de la fatigue de la guerre et a précipité la fin de ce conflit mondial. A l’heure où tant de guerres font rage, savoir comment y mettre un terme est d’une actualité brûlante. L’échec de la révolution a permis au capitalisme de perdurer et de maintenir la Russie soviétique isolée et sous l’emprise progressive de la bureaucratie stalinienne. Tout cela a ouvert la voie au fascisme et à la Seconde Guerre mondiale. Il est aujourd’hui souvent fait référence aux années ‘30. Pour pouvoir entrer plus en détail sur ce sujet, la compréhension de la Révolution allemande est essentielle.

    Guerre et révolution

    Le 11 novembre, nous célébrerons le 100e anniversaire de la fin du massacre, de la destruction et des misères de la Première Guerre mondiale. L’enthousiasme initial pour la guerre est vite devenu colère, puis révolte. La chaîne s’est d’abord rompue à son maillon le plus faible : la Russie. Mais le processus révolutionnaire ne s’y est pas limité. En Allemagne, les protestations et les grèves se sont succédé à partir de janvier 1918. La guerre a engendré la révolution.

    Comme dans tout mouvement révolutionnaire, de nouveaux outils sont apparus pour organiser la lutte : les conseils d’ouvriers et de soldats. Il y en eut même à Bruxelles, alors occupée ! Sous la pression du mouvement révolutionnaire, le SPD social-démocrate a été obligé de lâcher l’Empereur, de proclamer la république et de mettre en œuvre une série de réformes sociales. Le même parti qui avait voté en faveur des crédits de guerre en 1914 – mettant ainsi fin à la Deuxième Internationale – a dû déclarer l’armistice le 11 novembre. La révolution a rendu impossible de poursuivre la guerre. Beaucoup de travailleurs et de soldats considéraient encore le SPD comme leur parti et espéraient qu’il serait l’outil de l’avènement du socialisme. La direction du SPD avait toutefois un tout autre projet : contrer une nouvelle explosion révolutionnaire par en bas avec des réformes menées par en haut. La faiblesse des forces révolutionnaires organisées a permis au SPD de s’en tirer à bon compte, même si le parti a dû faire beaucoup d’efforts pour freiner de nouveaux mouvements. C’est dans ce contexte que Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, les pionniers révolutionnaires en Allemagne, furent assassinés en janvier 1919.

    Dans les guerres, la perspective et la possibilité de la révolution et des mouvements de masse ne sont pas souvent perçues. Qui associe aujourd’hui la Syrie ou l’Afghanistan à la possibilité d’un mouvement révolutionnaire ? La guerre ne pose pas automatiquement la question de la révolution, mais elle rend le choix plus clair : la barbarie de la guerre ou l’alternative socialiste construite sur base de l’action des masses. La vague de soulèvements au Moyen-Orient et en Afrique du Nord en 2011 en a illustré le potentiel.

    L’aspiration au changement se développe partout dans le monde. Aux États-Unis, le socialisme est, chez les jeunes, plus populaire que le capitalisme. Comment rompre avec l’exploitation, l’oppression et donc le capitalisme ? La Révolution allemande offre d’importantes leçons concernant la nécessité de l’unité dans l’action, d’une clarté programmatique et de l’audace.

    Révolution et contre-révolution

    Le processus révolutionnaire entre 1918 et 1923 a connu différentes phases au cours desquelles un changement de société socialiste était possible. Ce potentiel n’a pas été saisi, ce qui a permis au capitalisme de perdurer et de condamner à l’isolement la jeune république soviétique, ce qui a permis la contre-révolution bureaucratique stalinienne en Russie.

    A la suite de la répression de 1919, la droite a tenté de passer à l’offensive avec un coup d’État mené par Wolfgang Kapp. Mais le ‘‘fouet de la contre-révolution’’ a réveillé le potentiel révolutionnaire. Une grève générale de 12 millions de personnes a paralysé le pays. Les protagonistes du coup d’État n’ont même pas trouvé d’imprimerie pour annoncer à la population leur prise du pouvoir ! Ce mouvement de grève, de même que celui de 1923, ouvrait la possibilité de renverser le capitalisme. Mais les dirigeants du Parti communiste (KPD) n’ont pas vu cette vague, ou ne l’ont perçue que lorsque celle-ci avait échoué.

    L’absence d’une direction révolutionnaire suffisamment développée, aggravée par l’assassinat de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, a été fatale à la Révolution allemande. En Russie, l’existence du Parti bolchévique et de sa direction – avec Lénine, Trotsky et d’autres – a constitué la plus grande différence avec l’Allemagne, où le KPD était politiquement inexpérimenté.

    La construction d’un parti révolutionnaire est un travail de longue haleine nécessitant une grande préparation durant laquelle des expériences collectives sont acquises et une direction peut se former en tant qu’équipe. Un doigt peut facilement être cassé ; si les doigts s’unissent pour former un poing, cela devient plus difficile. Mais ce n’est pas suffisant pour casser une planche à mains nues. Un exercice intense et prolongé ainsi qu’une grande concentration permettent aux athlètes de briser des planches et même des briques avec leurs mains. La lutte de classe n’est pas différente : elle exige une expérience collective, de la pratique, la connaissance de ses propres forces et faiblesses, de la volonté et de la concentration pour briser le mur du capitalisme avec le poing de la classe ouvrière.

    La défaite en Allemagne a posé les bases du fascisme et de la Seconde Guerre mondiale. Au début des années 1920, le fascisme n’avait aucune chance. Une tentative de putsch en Bavière s’était d’ailleurs terminée par un fiasco pour Hitler. Après la récession de 1929 – face à une direction du SPD très complaisante alors que celle du KPD, devenue stalinienne, considérait le SPD ‘‘social-fasciste’’ comme un plus grand danger que les nazis – il est devenu possible pour le parti nazi de se transformer en une organisation de masse capable de mobiliser des dizaines de milliers de membres. La non-réalisation de l’espoir révolutionnaire a ouvert la voie au désespoir contre-révolutionnaire. Aujourd’hui, comme dans les années 1930, nous vivons une crise économique, avec l’instabilité et les troubles politiques et sociaux qui l’accompagnent. Mais nous ne sortons pas d’une période de défaites fondamentales du mouvement ouvrier ; au contraire, nous avons précédemment plutôt vécu une période de contre-révolution néolibérale sur base de laquelle des luttes se sont développées et où la recherche d’une alternative au capitalisme a été lancée. C’est dans cette perspective que nous devons tirer les leçons de la Révolution allemande.

     

    Moments-clés :

    • 4 août 1914 : Début de la Première Guerre mondiale.
    • 1916 : Les opposants à la guerre sont expulsés de la fraction parlementaire du SPD et forment un an plus tard l’USPD (Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne).
    • Janvier 1918 : Vague de grèves à travers l’Allemagne sous le slogan ‘Paix, liberté et pain’.
    • Novembre 1918 : Après une mutinerie dans la base navale de Kiel, la protestation se propage dans tout le pays. Des conseils sont mis en place dans de nombreuses villes. La direction du SPD est obligée de proclamer la république. Le mouvement révolution exerce une pression pour la paix et ainsi mettre fin à la Première Guerre mondiale.
    • Janvier 1919 : Des actions à Berlin contre la destitution du préfet de police de gauche Eichhorn conduisent à une confrontation avec des groupes paramilitaires déployés par la direction du SPD. Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht sont assassinés le 15 janvier.
    • Mars 1920 : Avec la répression du mouvement en 1919, la droite se sent assez forte pour lancer un coup d’État mené par Wolfgang Kapp. Cela entraine une riposte massive : une grève générale avec 12 millions de participants. Le coup d’État échoue, mais le potentiel de révolution n’est pas saisi.
    • Octobre 1920 : L’USPD rejoint le Komintern, ce qui signifie qu’il y a maintenant un parti communiste de masse en Allemagne. En mars 1921, des appels désordonnés à une insurrection armée sont lancés. Ils échouent et conduisent à une dure répression.
    • Janvier 1923 : Les troupes françaises et belges occupent la région de la Ruhr parce que l’Allemagne ne peut plus payer les réparations de guerre. Les protestations sont massives dans la Ruhr et, à partir du mois de juin, plus largement, contre l’hyperinflation.
    • Août 1923 : Les conseils ouvriers de Berlin décident une grève générale pour la démission du gouvernement. Le gouvernement Cuno démissionne immédiatement, mais la vague de grèves se propage dans tout le pays. Le potentiel d’une escalade de la lutte n’est toutefois pas saisi. Le gouvernement prend des mesures pour contenir l’inflation, même si cela conduit à une augmentation du chômage. L’élan révolutionnaire s’éteint.
    • 1930 : Après des années de relative stabilité entre 1923 et 1929, suivent la crise et l’instabilité politique avec la première grande percée électorale des Nazis.
    • 1933 : Sans beaucoup d’opposition, Hitler peut prendre le pouvoir et commencer sa politique fasciste visant à briser le mouvement ouvrier.

     

    Livre

    Marxisme.be publie le livre ‘‘1918-1923 : La Révolution allemande’’. Il s’agit d’un recueil de textes qui esquisse le cours des événements depuis la Première Guerre mondiale jusqu’à la montée du fascisme en Allemagne. Un chapitre remarquable traite du conseil des soldats bruxellois de novembre 1918 (plus d’informations à ce sujet dans notre prochain journal).

    En novembre, nous présenterons le livre sur la Révolution allemande lors de meetings spéciaux à Bruxelles (21 novembre), Namur (7 novembre), Anvers (28 novembre), Gand (21 novembre), … Le livre compte quelque 150 pages et coûte 10 euros (+ 2 euros de frais de port).

  • Le gouvernement mis en difficulté, la résistance sociale doit passer à la vitesse supérieure !

    Photo : Jean-Marie

    Les deux dernières semaines de la campagne électorale ont mis les questions sociales au premier plan. La journée d’action des syndicats du 2 octobre avait réuni des dizaines de milliers de manifestants et, en Flandre, le thème du logement social et des loyers (in)abordables a été plus discuté. Ces thèmes sont arrivés assez tardivement dans la campagne. Le résultat montre que les partis au pouvoir ont été un peu touchés ici et là, mais qu’il en faut plus, certainement du côté flamand, pour éviter une réédition du gouvernement Michel après mai 2019.

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    Les partis du gouvernement reçoivent des claques

    A Bruxelles et en Wallonie, le MR de Charles Michel a bu la tasse. Le premier ministre lui-même ne s’est pas présenté mais à Wavre, sa ville natale, la Liste du bourgmestre (libérale) a enregistré 15% de pertes. Dans les villes où le PS s’est retrouvé empêtré dans les scandales (comme Liège ou Bruxelles), le MR n’a pas su progresser. Son partenaire de coalition à la Région wallonne, le CDH, ne s’en est lui non plus pas bien sorti. Son déclin se poursuit dans les villes.

    Du côté flamand, la N-VA s’en est bien tirée à Anvers et dans sa périphérie. Ce phénomène n’est cependant pas neuf, les résultats dans la “ceinture jaune” anversoises étaient d’ailleurs encore plus forts lors des élections fédérales de 2014. Pour citer deux exemples : dans le district de Kapellen (Kapellen, Brasschaat, Stabroek et Schoten), la N-VA avait obtenu 46% en 2014, alors que son meilleur résultat est désormais à Brasschaat avec 44% ; dans le district de Zandhoven (Zandhoven, Schilde, Wijnegem, Wommelgem et Ranst) le score de 49,5% avait été atteint en 2014, tandis que le meilleur résultat de la N-VA est aujourd’hui de 41% à Schilde. La lisière sud anversoise a également montré des résultats similaires. Les scores électoraux restent toujours élevés, mais ils indiquent toutefois une légère baisse.

    En raison du résultat obtenu à Anvers et des scores élevés dans la périphérie, cette légère perte n’est pas perçue comme telle. A Anvers, De Wever est parvenu à supplanter l’opposition et à quasiment répéter son résultat de 2012 avec 35%. En dehors d’Anvers, la N-VA a éprouvé des difficultés. Dans des villes comme Gand, Bruges, Ostende ou Courtrai, le parti a perdu des voix et reste petit. A Sint-Niklaas, Hasselt, Turnhout, Louvain ou Hasselt, la stagnation ou une légère progression ont été présentées comme des victoires. Ce n’est qu’à Genk que de réels progrès ont été engrangés avec Zuhal Demir. Les efforts effectués par la N-VA pour s’implanter dans un certain nombre de communes bruxelloises se sont révélés vains.

    Pour le VLD et le CD&V, les résultats sont mitigés. Les bastions du CD&V à la campagne tiennent bon et le parti progresse même ici et là. De plus, le parti se maintient à Genk et connait une croissance à Bruges. Dans les grandes villes comme Anvers, Gand ou Malines, le CD&V a perdu sa pertinence. Kris Peeters était le grand perdant de la campagne électorale à Anvers. L’Open VLD a eu de bons résultats à Ostende, Courtrai et Gand, mais surtout à Malines, où Bart Somers obtient une majorité absolue dans un cartel avec Groen (Groen ayant toutefois 13 sièges contre 10 pour l’Open VLD). A Anvers, cependant, le secrétaire d’Etat De Backer est resté bloqué à 5% à peine et, pour la première fois de l’histoire, il existe un district où l’Open VLD n’a pas obtenu d’élu (Hoboken, où le parti a réuni 2,8% des voix).

    Si les résultats provinciaux sont convertis en sièges pour le Parlement flamand et la Chambre, c’est en particulier le nombre de la N-VA qui diminuerait, mais ce serait aussi le cas pour le CD&V et l’Open VLD. Au gouvernement flamand, l’Open VLD n’était pas mathématiquement nécessaire en 2014, mais il le serait avec les résultats actuels. Du côté francophone, le MR et le CDH ne constituent pas de majorité. Le gouvernement fédéral perdrait lui aussi sa majorité.

    L’opposition de gauche fédérale pourrait-elle en bénéficier ?

    Dans la Région de Bruxelles-Capitale, le PS tient largement le coup tandis qu’Ecolo et le PTB ont réalisés des percées remarquables. A Bruxelles-Ville, la perte pour le PS est très limitée et Philippe Close peut continuer à être bourgmestre en dépit du scandale du Samusocial. Les pertes du MR étant supérieures, le PS peut même prétendre que sa légère baisse est une victoire. Dans la Région de Bruxelles-Capitale, le résultat à Molenbeek est remarquable : une fois de plus, le PS est le parti le plus important après six ans d’opposition et un maïorat détenu par Françoine Schepmans (MR). Catherine Moureaux (PS) s’est directement déclarée favorable à une coalition de gauche avec le PTB et Ecolo.

    Ecolo et le PTB connaissent une croissance partout à Bruxelles, ce dernier dépassant les 10% dans plusieurs communes : 11,6% à Bruxelles-Ville, 13,6% à Molenbeek, 14,6% à Anderlecht, 13% à Saint-Gilles, 10% à Forest, 12,7% à Schaerbeek. Au total, le PTB compte maintenant 36 conseillers communaux bruxellois. A Forest, Ixelles et Watermael-Boitsfort, Ecolo est devenu le plus grand parti. A Forest, Ecolo fournit le bourgmestre d’une coalition avec le MR et le CDH, à Watermael-Boitsfort dans une coalition avec le MR et à Ixelles dans une coalition avec le PS-SP.a. La rapidité de la formation de ces coalitions et la rapidité de leur formation peuvent être vus comme de la politique politicienne de la part d’Ecolo, les postes semblent être plus importants que le programme.

    Le PS résiste relativement bien en Wallonie malgré l’affaire Publifin. Dans les grandes villes wallonnes, le PS encaisse une perte, mais le MR ou le CDH n’ont guère pu en profiter. Le PS demeure au-dessus des sondages désastreux d’il y a un an environ. Ce sont principalement le PTB et Ecolo qui connaissent des percées dans les villes. A Liège, le PS perd 7% mais, avec 30,8%, il reste beaucoup plus important que le MR qui perd également 3% et termine à 18%, tout juste avant le PTB et ses 16,3% et Vert Ardent (une liste constituée autour d’Ecolo) avec 14,75%. A Charleroi, le PS perd 6% mais reste le parti le plus important avec 41,3% et le PS obtient même une faible majorité absolue en nombre de sièges. Le PTB est le deuxième parti de la ville avec 15,7 %. Il en va de même à Mons, où le parti de Di Rupo cède 11% et reste le plus fort avec 45%, devant le MR, Ecolo et le PTB.

    La PTB a obtenu des résultats remarquables en Wallonie : 24 % à Herstal (9 sièges) et Seraing (11 sièges) par exemple. Mais il a égalemet eu de bons résultats à Grâce-Hollogne (19 %) et Flémalle (18 %) en périphérie liégeoise. Avec 16,3% à Liège (9 sièges), 15,5% à La Louvière (7 sièges) et 15,7% à Charleroi (9 sièges), un grand nombre de conseillers communaux viennent rejoindre les rangs des élus du PTB. Dans les 16 communes wallonnes où le PTB s’est présenté, le parti a obtenu 78 sièges. La force du PS n’a pas été brisée et il est possible que ces résultats ne soient pas suffisants pour rejoindre des majorité communales, même si des pressions existent en ce sens à Liège, par exemple, où une majorité progressiste du PS et des Verts doit prendre le PTB pour obtenir une majorité confortable. La perte du MR a sapé l’option de coalitions entre le PS et le MR au niveau local.

    Ces résultats sont un tremplin pour que le PTB dispose d’un grand un grand nombre d’élus aux parlements régionaux et à al Chambre après mai 2019. Cette croissance est importante. On dirait que le PS n’a rien appris des scandales, ces derniers étant des conséquences logique de l’acceptation du néolibéralisme dans la politique locale. Selon ce raisonnement, les services publics doivent être des entreprises commerciales, quand bien même sont elles encore aux mains du secteur public. Et dans les entreprises commerciales, seul compte le profit. Ce n’est pas au bénéfice de la communauté, les seuls qui en profitent réellement sont les cadres supérieurs qui se servent eux-mêmes pour se remplir les poches. Rien n’indique que le PS va rompre avec cela.

    En Flandre, le résultat du SP.a est mauvais. A Louvain et Vilvorde, les bourgmestres SP.a tiennent le coup, mais le résultat à Gand n’est pas bon et, à Ostende et à Bruges également, les pertes ont été considérables. Le cartel de Gand reste la formation la plus importante mais, au sein de celui-ci, Groen obtient de meilleurs résultats que le SP.a, de sorte que la discussion sur le poste de bourgmestre porte sur Groen et un Open VLD très triomphant. A Anvers, le SP.a semble satisfait des 11% de Jinnih Beels. Ce résultat signifie cependant que, pour la première fois dans l’histoire de l’après-guerre, le SP.a ne joue pas de rôle important à Anvers. Le SP.a est au plus mal dans toute la province d’Anvers : le dernier bourgmestre rouge (à Herentals) est maintenant aussi de l’ordre du passé.

    Groen a connu une progression dans de nombreuses villes, mais aussi en campagne. Une vague verte a eu lieu et Groen dépasse maintenant le SP.a. Cela reflète certainement des inquiétudes sur la pollution de l’air dans les villes. Le changement climatique reste également une question très sensible, en particulier chez les jeunes. Groen en a profité et a obtenu d’excellents résultats, même si cela ne s’est pas immédiatement traduit en bourgmestres. La percée s’est toutefois révélée insuffisante pour faire descendre Bart De Wever de son trône à Anvers. Avec 18,1%, le parti est resté en deçà des attentes, malgré la bataille menée entre De Wever pour la N-VA et Van Besien pour Groen. Le maintien d’une coalition progressiste à Borgerhout est une maigre consolation si ce district reste isolé (comme cela sera probablement le cas). Au niveau local, Groen collabore avec à peu près tout le monde : en cartel avec l’Open VLD à Malines et avec le SP.a à Gand, mais aussi en coalition avec la N-VA (dans le district anversois de Deurne lors de la précédente législature, où vivent la présidente de Groen Meyrem Almaci et le président de la N-VA Bart De Wever). Groen a déjà formé des coalitions avec la N-VA et l’Open VLD à Sint-Niklaas et avec la N-VA, le SP.a et le CD&V à Turnhout tandis que l’administration de Malines, où Groen gouverne avec l’Open VLD, est présentée comme un modèle de politique. Comme dans d’autres grandes villes, l’embellissement du centre-ville s’améliore visiblement, mais Malines aussi des logements de plus en plus inabordables et le déplacement social.

    Le PTB a remporté 3 siège à Gand et 2 à Hasselt, mais il gagne également ses premiers élus communaux à Louvain, Vilvorde, Malines, Saint-Nicolas, Turnhout, Geel et Brasschaat. A Lommel, Genk, Zelzate et Anvers, le parti reste au conseil communal. En Flandre, le PTB passe de 14 à 24 conseillers communaux. Dans les districts d’Anvers, s’ajoutent deux autres élus. Cette percée est bien sûr plus limitée qu’en Wallonie et à Bruxelles, elle n’en demeure pas moins réelle. Grâce au scandale du logement social inhabitable à Gand et à plusieurs interviews croisées entre Peter Mertens et Bart De Wever, le PTB a été présent dans le débat public. Davantage était attendu à Anvers, où le PTB n’a progressé que de 0,7% depuis 2012 et a obtenu 8,7%, un score inférieur à l’objectif de 11% fixé par le présidetn du parti Peter Mertens. Dans les districts de Hoboken et de Borgerhout, où le PTB avait déjà eu de bons résultats, il y a une légère perte chez l’un, une légère progression chez l’autre. Peut-être que le PTB restera au conseil de district de Borgerhout et, en outre, la seule possibilité de participation de coalition est à Zelzate, où le PTB augmente légèrement et conserve ses 6 sièges.

    Peut-être que les thèmes sociaux sont arrivés trop tard dans la campagne pour permettre de meilleurs résultats au PTB. Là où les têtes de liste ont été identifiées aux campagnes actives du parti, les résultats ont été plus importants : la tête de liste gantoise Tom De Meester s’est faite connaître sur le thème de l’énergie et a pu défendre ses opinions concernant les logements sociaux. A Gand, il y a aussi eu la pression des sections locales du PSL qui, par des actions et avec un programme combatif, ont défendu sur la place publique des thèmes tels que l’amélioration des transports publics ou encore la lutte contre le sexisme et le racisme. La tête de liste à Hasselt, De Witte, est le spécialiste des pensions du parti. Le défi du PTB est maintenant de passer d’un petit parti d’opposition à un facteur qui dirige la résistance sociale. Ce qu’il faut, ce sont des initiatives audacieuses visant à développer de larges mouvements sociaux pour défendre des revendications offensives. C’est tout particulièrement le cas à Anvers, où De Wever est dans les starting-blocks pour six autres années de démolition sociale.

    La menace de l’extrême droite

    Le Vlaams Belang n’a pas pu faire son retour dans le bastion historique du parti à Anvers. Filip Dewinter a annoncé qu’il sera remplacé comme chef de groupe par Sam Van Rooy, qui n’a qu’une avec obsession : l’Islam. Dans certaines communes de la périphérie d’Anvers (Stabroek, Schoten), certaines petites villes (Turnhout, Sint-Niklaas) et dans la région de Denderleeuw (Alost, Denderleeuw, Ninove), le Vlaams Belang a pu obtenir de bns résultats ou au moins récupérer une partie des votes perdus aux précédentes élections.

    Les 40 % obtenus par Forza Ninove, autour de Guy D’Haeseleer, sont particulièrement inquiétants. Le soir-même des élections circulaient déjà des images du journal De Morgen qui montraient les partisans de Forza Ninove tels qu’ils sont. La photo de l’homme effectuant le salut hitlérien restera longtemps gravée dans les mémoires. A Denderleeuw, le Vlaams Belang est le parti le plus important avec 26% des voix, mais le risque de rupture du cordon sanitaire est limité. Une coalition avec Forza Ninove n’est pas à l’ordre du jour, les messages haineux de D’Haeseleer sur les médias sociaux rendent cela impossible pour la N-VA. Pendant ce temps, les limites du cordon sanitaire autour de l’extrême droite sont explorées, avec par exemple le coalition de l’Open VLD et de la N-VA avec l’ancien membre du Vlaams Belang Bart Laeremans à Grimbergen, qui avait monté une liste indépendante. Laeremans a rompu avec le VB, mais au moins un de ses élus est toujours membre du personnel du VB.

    Le président du Vlaams Belang Van Grieken a présenté le résultat de son parti comme une grande victoire. A la suite des reculs connus par le parti ces dernières anénes et dans le cadre de l’accent actuellement mis sur l’immigration dans le débat public, il était évident qu’une nouvelle progression était de l’ordre du possible. Le Vlaams Belang est cependant encore loin des résultats de 2006 (sauf à Ninove et Denderleeuw) et, dans les grandes villes, il n’a pas été possible de réellement remettre le parti sur les rails. Cependant, le danger de l’extrême droite, en particulier dans la région de Dender, reste élevé. Ceci est renforcé par le fait que la N-VA a adopté de nombreux points du Vlaams Belang et les a fait valoir avec enthousiasme dans cette campagne. Il n’en sera peut-être pas autrement lors des élections fédérales de l’année prochaine : les préjugés racistes sont utilisés pour masquer les politiques antisociales en matière de pensions, de salaires, d’allocations sociales et de services publics.

    Acroître la résistance sociale !

    Pour le mouvement des travailleurs, ces élections ont donné l’opportunité d’exprimer nos préoccupations mais il en faut plus pour rompre avec la politique actuelle. À l’approche des élections de mai 2019, nous devons en tirer les leçons et renforcer la résistance sociale dans la rue.

    Comme l’a résumé De Standaard ce lundi : “La coalition suédoise survit, mais elle a été mise à rude épreuve. Sa viabilité est menacée. La gauche est en plein mouvement, mais n’est toujours pas une alternative. Les extrêmes de droite et de gauche progressent. Le paysage politique n’est pas devenu plus stable.” Ce résultat est un problème pour la coalition suédoise. Cela peut aussi expliquer pourquoi De Wever examine explicitement d’autres options, comme l’option d’une coalition dans laquelle les verts seraient inclus. Pour les verts, la chose n’est pas évidente, l’expérience du gouvernement arc-en-ciel a été suivie d’un châtiment qui leur fut presque fatal. D’un autre côté, une crise politique peut alimenter leur “responsabilité d’Etat”. D’autre part, les résultats différents obtenus du côté francophone et du côté néerlandophone peuvent encourager la N-VA à ressortir l’artillerie communautaire.

    Si nous n’assurons pas nous-mêmes que les questions sociales telles que les pensions, les salaires, les allocations sociales et les services publics soient défendues de manière offensive, alors les élections porteront sur les questions que d’autres déterminent, autour de leur perspective de droite. Pour éviter cela, il faut renforcer la résistance sociale. Les syndicats ont un rôle à jouer à cet égard, mais aussi le PTB et toutes les forces qui s’opposent activement à l’austérité. Le pa, d’action allant crescendo de 2014 et la campagne d’information du Journal des pensions des syndicats en vue de la manifestation de mai 2018 en ont donné une idée de ce qui est possible en termes de lutte sociale.

    Des réunions régionales de militants et des assemblées du personnel sont nécessaires pour préparer de nouvelles actions. Dans le même temps, des campagnes doivent être lancées contre les mesures antisociales au niveau local et autour de revendications telles que accessibilité du logement abordable. S’il entre en action, le mouvement des travailleurs pourra faire des pas en avant. Des demandes offensives et des objectifs clairs, tels que la fin de la politique d’austérité ou le doublement du nombre de logements sociaux, peuvent accroître la participation aux actions. À notre avis, cela devrait être lié à une perspective de changement social : le capitalisme entraîne une augmentation des inégalités et des tensions sociales. C’est ce que nous avons mis en évidence avec les listes auxquelles nous avons participé à Saint-Gilles (Gauches Communes) et à Keerbergen (LSP-Consequent Links) où nous avons obtenu respectivement 2,28% et 1,9%. C’est aussi ce que nous avons défendu ailleurs en appelant à un vote en faveur du PTB. Il faut rompre avec le capitalisme pour construire une société socialiste basée sur la satisfaction des besoins de la population plutôt que sur la soifs de profits des ultra-riches.

  • Pourquoi un plan radical d’investissements publics est-il nécessaire ?

    L’échec de l’austérité illustrée par l’infrastructure délabrée

    Si quelque chose caractérise la période actuelle, c’est bien l’inégalité. Une poignée d’ultra-riches possèdent autant que la moitié la plus pauvre de la population mondiale. Comment y parviennent-ils ? Au prix d’un travail acharné, dit-on parfois. C’est vrai. Cependant, c’est notre travail qui les enrichit ! C’est non seulement le cas directement, puisqu’une partie de la valeur que nous produisons est accaparée par les patrons, mais aussi de façon indirecte, à travers la politique d’austérité. Celle-ci réduit considérablement les dépenses publiques. La pénurie de moyens frappe durement les soins de santé, l’enseignement ou encore les infrastructures (routes, bâtiments, etc.). Les conséquences sont désastreuses.

    La politique d’austérité signifie que la population ordinaire est de moins en moins protégée en cas de malheur. Jusqu’à un quart des ouvriers n’ont pas d’épargne et une personne sur six ne saurait pas s’en sortir un mois sans salaire. Mais le filet de sécurité collectif disparaît lui aussi : les chômeurs et les malades sont ciblés par des mesures de ce gouvernement (et les précédents). Disposer d’un logement abordable relève de l’impossible parce que les autorités n’investissent pas et laissent tout au marché privé, qui réalise de juteux profits. L’infrastructure délabrée met à nu un système qui ne génère pas d’optimisme ou de confiance en l’avenir. La confiance dans ce système devient progressivement aussi instable que l’était le pont Morandi à Gênes. La question n’est pas de savoir s’il va s’effondrer, mais quand.

    Pas de lumière au bout du tunnel

    Ces derniers mois, nous avons connu une timide reprise économique. En Belgique, la croissance est présente quoiqu’inférieure à celle du reste de l’Europe. De nombreux facteurs de risque – de la guerre commerciale en cours à l’instabilité politique, en passant par les montagnes de dettes – font de plus en plus craindre une nouvelle récession. Cela aurait des conséquences d’une portée considérable dans notre pays. En 10 ans, les mesures d’économie budgétaire ont été massives. Comment pourrait-on aller encore plus loin ?

    C’est pourtant la seule perspective avancée par les analystes. Le scénario optimiste dépeint une croissance de seulement 1,5% pour cette année et des chiffres similaires sont attendus pour les années à venir. En sachant que l’inflation est de 1,9%, on comprend de suite que la croissance stagne. Selon la logique néolibérale, le seul remède est de saigner encore plus le malade.

    La reprise économique de ces dernières années n’a signifié aucune amélioration de nos conditions de vie. Au contraire, les travailleurs ordinaires et leurs familles ont le sentiment légitime d’avoir été laissés de côté. Des mesures comme le saut d’index ont réduit nos salaires, les réformes des retraites nous obligent à travailler plus longtemps, les attaques contre la sécurité sociale et les nombreuses augmentations d’impôts indirects (du carburant au sucre) nous pressent comme des citrons. Mais il n’est possible de presser un citron qu’une fois. Si la reprise de ces dernières années n’a pas entraîné de reprise pour la majorité de la population, que signifiera une nouvelle récession ? Sous le capitalisme, la lumière au bout du tunnel n’existe pas.

    Les investissements publics diminuent

    Les investissements publics ont diminué de moitié depuis les années 1970. À l’époque, 5,5% du PIB était consacré à l’investissement public en Belgique, contre seulement 2,3 % aujourd’hui, soit 9,7 milliards d’euros. (1) Dans les années ‘70, 100 km de nouvelles routes se sont ajoutés au réseau alors que, aujourd’hui, il n’est tout simplement pas possible d’entretenir le réseau existant. De Tijd écrivait le 17 août : ‘‘Depuis la fin des années ‘80, les investissements publics n’ont guère suffi à compenser la détérioration des infrastructures existantes. En plusieurs années, le taux d’investissement a même été inférieur à ce qui est nécessaire pour faire face à la vitesse à laquelle le béton s’érode.’’ (2) En dehors de l’Irlande, aucun autre pays européen n’investit aussi peu dans l’infrastructure routière. Nous pouvons encore comprendre qu’il y a moins d’investissements dans les routes en Irlande : il s’agit d’une île avec une seule grande ville. Mais la Belgique est une plaque tournante logistique en Europe, facilement accessible depuis l’Allemagne, la France et les Pays-Bas. Pourtant, le montant d’investissement dans nos routes est lamentable.

    Même un économiste libéral comme Bart Van Craeynest tire la sonnette d’alarme : ‘‘La Belgique est au plus bas avec ses investissements depuis plus de trente ans. Moins investir a été perçu comme une économie facile, car les gens n’en ressentent pas directement l’impact. Mais les conséquences sont les mêmes : des tunnels bruxellois qui s’effondrent, des carrefours de circulation qui se bouchent ou des problèmes avec les chemins de fer. Les dommages économiques causés par le manque d’investissements sont bien réels.’’ La situation est telle que même les partisans idéologiques de cette politique qualifient ses conséquences de désastreuses.

    Au cours des dix dernières années, la baisse des investissements s’est encore accélérée. Dans l’Union européenne, l’investissement public est tombé à 2,7 % du PIB en 2016, son niveau le plus bas en 20 ans. La Banque européenne d’investissement a constaté que les investissements sont de 20 % inférieurs au niveau d’avant la crise financière de 2008(3), ce qui signifie que la reprise économique ne s’est pas non plus répercutée sur l’infrastructure publique.

    Bien entendu, l’investissement public ne concerne pas seulement les routes et les infrastructures. Environ un tiers des investissements sont réalisés au niveau local. Sur les 9,7 milliards d’investissements publics, 3 milliards sont réalisés par les villes et communes. Cela concerne les écoles et les crèches, les maisons de quartier, les infrastructures routières et cyclables, la politique de la jeunesse, les centres culturels, la politique de lutte contre la pauvreté… Bref, toutes les structures de base de notre vie quotidienne. En 2012, les communes ont dépensé 4 milliards d’euros en investissements mais, en 2017, ce chiffre est tombé à 3 milliards d’euros : un quart de moins ! Cela signifie qu’il faut réduire les services et les effectifs, que les services existants sont devenus plus coûteux et que toutes sortes d’impôts et de taxes touchent la population ordinaire.

    Massacre social parmi le personnel communal : 17.000 statutaires en moins !

    Les économies réalisées par les collectivités locales – tant en termes d’investissements que de ressources de fonctionnement – ont un impact majeur sur l’emploi : entre 2011 et 2017, le nombre de fonctionnaires locaux dans les 589 communes belges est passé de 156.582 à 139.687, soit une baisse de 17.000 ou 11%. (4) Certaines de ces fonctions ont été externalisées ou reprises par des contractuels, mais la diminution est spectaculaire et affecte évidemment aussi le personnel restant. Plusieurs employés communaux nous ont confirmé qu’il y avait une augmentation du nombre de burnouts, des cas de stress et des tensions sur les lieux de travail. La charge de travail, le sentiment d’insécurité au travail et le problème des pensions futures des travailleurs statutaires s’accentuent.

    En Flandre, la composition du collège échevinal ne semble pas faire de différence dans la diminution du nombre d’employés statutaires. A Anvers (dirigée par la N-VA), la diminution de -11% est même plus faible qu’à Gand (dirigée par le SP.a), où elle a été de -18%. Cependant, il existe une différence communautaire : la plus forte baisse se situe en Flandre avec -15%, contre -2% en Wallonie. A Bruxelles, le personnel statutaire a augmenté de +8%. Cela s’explique en partie par le fait qu’il y a plus d’agents statutaires en Flandre : ce pourcentage est encore de 36%, alors qu’il n’est que de 24% dans les communes wallonnes.

    La forte baisse des investissements publics dans le cadre de la politique d’austérité des années ‘80 a également entraîné des pertes indirectes d’emplois (un emploi sur quatre dans le secteur de la construction).

    Pourquoi n’y a-t-il pas d’investissements ?

    L’infrastructure et les services participent au tissu social d’une collectivité. Là où il y a des pénuries, les tensions augmentent. De plus, les déficits actuels sont dangereux. L’effondrement du pont Morandi à Gênes a tué 43 personnes. Et s’il y a une catastrophe demain dans un des tunnels de Bruxelles ? Ou si un pont s’effondre ? Il y a 31 ponts sur une liste flamande de vigilance accrue, environ 50 des 4.500 ponts wallons sont sur la liste des problèmes et à Bruxelles deux des 92 ponts sont sur cette liste des problèmes à surveiller.

    En 2016, le professeur de finances publiques Wim Moesen a déclaré : ‘‘Un pays civilisé consacre trois pour cent de son produit intérieur brut à l’investissement public.’’ (5) La Belgique se situe en dessous de ce niveau depuis une trentaine d’années. Ces dernières années, tous les investissements publics (du fédéral au communal) ont représenté de 2 à 2,5 % du PIB, la plupart de ces ‘‘investissements’’ étant en fait des amortissements et non de nouveaux investissements. L’investissement public net ne représente qu’une fraction de 1% du PIB. Il y eut même, certaines années, un désinvestissement net.

    Les investissements sont maintenus aussi bon marché que possible. L’ingénieur en génie industriel Wim Van den Bergh (Université d’Anvers) a déclaré dans DS Weekblad : ‘‘Techniquement, nous pouvons construire des ponts et des routes parfaitement pour les 50 ou même 100 prochaines années, les ingénieurs ont le savoir-faire. Mais quand mes étudiants arrivent sur le marché, on ne parle que de prix. Les marges sont devenues si faibles que la qualité en souffre. C’est ainsi que nous ouvrons la porte à la dégradation.’’ Van den Bergh ajoute : ‘‘Je me sens mieux quand je conduis sur une route bien construite ou quand j’entre dans un bel immeuble, tout comme c’est mieux pour le moral quand on vous enseigne dans un bel immeuble scolaire. Les bâtiments inesthétiques et les mauvaises routes rendent les gens tristes.’’ (6)

    Pourquoi n’y a-t-il plus d’investissement aujourd’hui ? questionne De Tijd dans un édito du 16 août 2018. ‘‘Parce que les autres dépenses devraient être supprimées. Les politiciens, cependant, préfèrent dépenser de l’argent en cadeaux pour plaire aux électeurs et aux groupes d’intérêt. Les investissements dans les infrastructures de base en souffrent.’’ (7) L’argent manquerait car il a été dépensé pour satisfaire la population ? C’est faux. Ce sont les cadeaux fiscaux aux ultra-riches qui représentent le problème.

    Le gouvernement affirme être en train de renverser la vapeur, il y a même un véritable pacte d’investissements. Lors de son lancement en mars 2017, le Premier ministre Michel a opportunément inclus les investissements existants tels que ceux de la liaison Oosterweel à Anvers ou encore l’achat d’avions de combat. Ce ‘‘pacte d’investissement’’ vise à porter l’investissement public à 3,2 % du PIB. Un comité d’experts a calculé que pas moins de 150 milliards d’euros pourraient être investis d’ici 2030. La plupart des idées restent toutefois vagues, sans propositions d’investissement concrètes et encore moins de propositions de financement concrètes. Avec ce pacte d’investissement, Michel dit qu’il veut transformer notre pays en un ‘‘nouvel eldorado’’. (8) Mais au cours de cette législature, aucun changement n’est survenu dans les investissements publics. Sous la pression de la logique d’austérité, les investissements sont restés inférieurs aux normes.

    Pour un plan radical d’investissement public

    Augmenter les investissements publics global, qui est passé de 2,3 % du PIB à 5,5 % comme au début des années 70, a plus que doublé. Si ces 2,3% correspondent aujourd’hui à 9,7 milliards d’euros d’investissements publics, 5,5 % représenteraient 23 milliards d’euros. Si plus d’un tiers à 40% devaient être investis par les municipalités, nous parlerions d’un budget de 7,7 à 9,3 milliards d’euros par an au lieu des 3 milliards actuels. Ces ressources sont nécessaires pour éliminer les déficits sociaux.

    Cela signifierait que les pénuries croissantes de logements sociaux, d’éducation, de garderies et de services pourraient être traitées dans le cadre d’un plan radical d’investissement public. Un tel plan donnerait à de plus larges couches de la population une meilleure perspective d’avenir : les ressources existantes et les possibilités technologiques seraient enfin utilisées dans l’intérêt de la majorité de la population, et non au profit d’une petite minorité. Les investissements seraient également plus durables.

    Aller chercher l’argent là où il est

    Les années de laisser-aller et d’austérité résultent en partie des défaites des luttes passées et de l’offensive idéologique néolibérale qui a poussé le mouvement ouvrier dans une position très défensive dans les années 1990. La situation évolue progressivement : aujourd’hui, même les défenseurs de ce système doivent reconnaître que les politiques menées conduisent à un manque de ‘‘civilisation’’, pour paraphraser les propos du professeur Moesen. Parmi les jeunes, on constate une recherche croissante d’alternatives aux Etats-Unis mais aussi en Europe : le socialisme est plus populaire que le capitalisme parmi les jeunes Américains. Au Royaume-Uni, le dirigeant de gauche du parti travailliste Jeremy Corbyn est largement le plus populaire parmi la jeunesse.

    Soyons honnêtes, il faudra se battre pour changer de politique. Les ultra-riches ne renonceront pas volontairement à leur position privilégiée. Sans rapport de forces, nous n’obtiendrons pas un plan d’investissements publics massifs. Cette lutte ne peut qu’être renforcée en étant d’emblée associée à l’idée d’une alternative au capitalisme : une société socialiste où les ressources disponibles seraient utilisées en fonction des besoins et des exigences de la population, les secteurs clés de l’économie étant aux mains des pouvoirs publics pour s’inscrire dans une démarche planifiée sous gestion démocratique.

    Les campagnes électorales menées par le PSL – à la fois avec nos candidats de Saint-Gilles (Gauches Communes) et de Keerbergen (Consequent Links) et, là où nous ne disposons pas de nos propres candidats mais appelons à voter en faveur du PTB, mais à rejoindre le PSL – soulignent la nécessité d’investissements publics massifs. Nous voulons préparer le terrain afin d’y parvenir par la lutte. Ce défi se pose également après les élections locales du 14 octobre : des administrations communales rebelles peuvent briser la logique d’austérité et construire un front de villes et communes désireuses de briser la camisole budgétaire qui les étouffe pour répondre aux besoins de la population. Il ne suffit pas de rejeter la politique d’austérité, nous devons également défendre de nouveaux investissements et de nouvelles réalisations sociales.

    Notes

    1) Nationale Bank: https://www.nbb.be/doc/ts/publications/other/Report_public_investments_fr.pdf
    2) “Belgische investeringen in beton lopen hopeloos achter,” De Tijd 17 augustus 2018, https://www.tijd.be/politiek-economie/belgie/algemeen/belgische-investeringen-in-beton-lopen-hopeloos-achter/10040516.html
    3) “België barst: een infrastructureel probleem. ‘We zijn al 30 jaar putjes aan het vullen’,” De Standaard weekblad 15 september 2018, http://www.standaard.be/cnt/dmf20180914_03743593
    4) “17.000 jobs weg bij gemeenten,” Het Laatste Nieuws 25 januari 2018, https://www.hln.be/de-krant/17-000-jobs-weg-bij-gemeenten~a08f8d54/
    5) “Gat in de begroting, gaten in het wegdek,” NRC 29 september 2016, https://www.nrc.nl/nieuws/2016/09/29/gat-in-de-begroting-gaten-in-het-wegdek-4516264-a1523957
    6) “België barst: een infrastructureel probleem. ‘We zijn al 30 jaar putjes aan het vullen’,” De Standaard weekblad 15 september 2018, http://www.standaard.be/cnt/dmf20180914_03743593
    7) “Investeringen,” De Tijd 16 augustus 2018, https://www.tijd.be/opinie/commentaar/investeringen/10040500.html
    8) “Experts presenteren Investeringspact van 150 miljard,” De Tijd 11 september 2018, https://www.tijd.be/politiek-economie/belgie/federaal/experts-presenteren-investeringspact-van-150-miljard/10048224.html

    Le Musée national de Rio de Janeiro détruit par la négligence

    Le manque d’investissement a des effets désastreux. Le Brésil en est un exemple remarquable. Le Musée national de Rio de Janeiro a été presque entièrement détruit par un incendie le 2 septembre. Le bâtiment et ses collections ont presqu’été totalement détruits. Le musée était le plus ancien du pays et contenait des pièces inestimables, dont le crâne de Luzia, le plus ancien vestige humain jamais trouvé en Amérique latine. Un membre du personnel du musée a déclaré : ‘‘C’est 200 ans de travail d’un institut scientifique, le plus important d’Amérique latine. Tout est détruit.’’

    Le musée attendait un prêt de 5 millions d’euros pour installer un système de détection et de lutte contre l’incendie. On savait depuis longtemps que le musée était en mauvais état, mais aucun fonds n’a été débloqué pour sa rénovation ou sa sécurité. Un anthropologue belge associé à l’Université de Rio a déclaré : ‘‘C’est un symbole de la situation dramatique à Rio et dans tout le Brésil : une réduction systématique des investissements dans la recherche historique et scientifique, dans l’éducation et dans le patrimoine.’’ Même le secteur de la lutte contre l’incendie a souffert du manque d’investissement.

    Le manque d’investissement dans la science et la culture a été dénoncé le 3 septembre. La réaction du gouvernement ? Les manifestants ont été dispersés avec des gaz lacrymogènes. On investit dans la répression, mais pas dans la science et la culture. Cela en dit long sur la santé du capitalisme.

  • Angleterre : les femmes dans la première guerre mondiale

    Manifestations, grèves, et égalité

    Par Jane James et Jim Horton, Socialist Party (CIO en Angleterre & Pays de Galles)

    La Première Guerre mondiale a entraîné le massacre horrible de millions de travailleurs qui ont d’abord été encouragés, puis enrôlés dans les horreurs sanglantes de la guerre des tranchées. Les femmes aussi ont été « cajolées » à faire leur part pour ” la guerre qui mettra fin à toutes les guerres ” en remplaçant les hommes envoyés au front dans les usines et les lieux de travail à travers la Grande-Bretagne et ailleurs en Europe.

    Mais en cette année anniversaire, il est peu probable que l’on accorde beaucoup d’attention aux luttes militantes des femmes de la classe ouvrière au cours de ces quatre années de conflit brutal, où les divisions de classe sont restées une caractéristique de la vie quotidienne.

    Les historiens se réfèrent souvent à la façon dont la Première Guerre mondiale a transformé la vie et les attitudes envers les femmes et prétendent que les femmes ont été récompensées pour leurs sacrifices en temps de guerre par l’extension du droit de vote à la fin des hostilités.

    La réalité était cependant très différente puisque les femmes de la classe ouvrière -abandonnées par les dirigeants nationaux des syndicats et du mouvement pour le suffrage (les « suffragettes »)- ont mené leurs propres batailles pour l’égalité de salaire et les droits des femmes.

    Il est vrai qu’au cours de la guerre, des centaines de milliers de femmes se sont retrouvées dans des emplois qui étaient auparavant réservés aux hommes. Mais si les anciennes notions de travail masculin et féminin ont été contestées dans une certaine mesure, quoique temporairement, les salaires sont restés inégaux.

    L’extension du droit de vote après la guerre n’a pas été appliquée de manière égale. Tous les hommes de plus de 21 ans ont eu le droit de vote, tandis que pour les femmes, il était limité à celles qui étaient chefs de ménage et âgées de plus de 30 ans, excluant de nombreuses femmes de la classe ouvrière.

    De nombreux portraits de femmes pendant la guerre ont tendance à se concentrer sur les volontaires du Voluntary Aid Detachment (VAD), comme dans la récente série dramatique de la BBC1 ” The Crimson Field ” et l’Armée de terre des femmes (WLA), qui comptait 20 000 membres en 1918.

    Mais pour la première fois, les femmes ont également occupé des postes dans les chemins de fer, les bus et les trams, ainsi que dans les bureaux de poste, les banques, le commerce de détail et la fonction publique. Les femmes sont devenues des laveuses de vitres, des ramoneuses, des livreuses de charbon, des balayeuses de rues, des électriciennes et des pompiers.

    L’afflux de femmes dans les usines de munitions a également captivé l’imagination des commentateurs. Les peintures représentant des ouvrières d’usine par des artistes féminines comme Anna Airy et Flora Lion témoignent des profonds changements culturels de l’époque.

    Le sentiment de « dislocation sociale » a été capturé dans le poème de 1918 de Nina MacDonald, « Sing a Song of Wartime » (sur l’air de « Sing a Song of Sixpence »), qui se termine par le verset :

    Ev’ry body’s doing
    Something for the War,
    Girls are doing things
    They’ve never done before,
    Go as ’bus conductors,
    Drive a car or van,
    All the world is topsy-turvy
    Since the War began.

    Tout le monde fait
    Quelque chose pour la guerre,
    Les filles font des choses
    Qu’elles n’ont jamais fait auparavant,
    Travailler en tant que conductrices de bus,
    De voiture ou camion,
    Le monde est à l’envers
    Depuis le début de la guerre.

    L’impression générale selon laquelle les femmes étaient absentes du lieu de travail avant la guerre est erronée : Environ quatre millions de femmes (en Angleterre), soit un quart de la population féminine, travaillaient déjà à l’extérieur de la maison.

    Le début de la guerre a d’abord entraîné un déclin dramatique de l’emploi féminin, les industries traditionnelles employant des femmes telles que la couture se sont pratiquement effondrées, les femmes plus riches achetant moins d’articles de luxe.
    L’industrie du coton a également été affectée par la fermeture de la mer du Nord au transport maritime. En septembre 1914, près de la moitié des femmes étaient au chômage.

    La guerre a finalement abouti à l’arrivée d’un million et demi de femmes sur le marché du travail pour la première fois. Cela a été facilité par la création de crèches, une mesure progressive qui a été inversée à la fin de la guerre, l’establishment politique cherchant à ramener les femmes dans leurs rôles traditionnels d’avant-guerre.

    L’intégration des femmes dans la force de travail ne s’est pas faite sans ressentiment et sans une certaine résistance de la part de nombreux membres des syndicats des métiers d’artisanat notamment, la plupart des professions masculines restant fermées aux femmes pendant toute la guerre.

    Mais les divisions au sein de la société ne se limitaient pas au genre. Les types d’emplois occupés par les femmes étaient fortement influencés par leur classe sociale.

    La WLA (armée de terre des femmes) se composait principalement de femmes de la classe supérieure et de la classe moyenne. Les femmes de la classe ouvrière ont été jugées inaptes au motif qu’elles n’avaient pas la ” fibre morale élevée ” nécessaire.

    Ce sont aussi des femmes de la classe supérieure et de la classe moyenne qui s’enrôlaient avec VAD (travail volontaire). Beaucoup ont sacrifiées leur vie en travaillant comme infirmières sur le front, mais un grand nombre d’entre elles faisaient plutôt des missions ponctuelles et temporaires dans les hôpitaux locaux pendant que des domestiques nettoyaient leur maison.

    En revanche, les femmes de la classe ouvrière ont travaillé pendant la guerre par nécessité. Cependant, pour beaucoup, la guerre a changé la nature de leur travail, leur donnant la possibilité d’échapper à l’exploitation comme dans le service domestique et le travail manuel.

    Conditions d’usine

    On estime que 800 000 femmes sont finalement devenues employées dans tous les secteurs de l’industrie d’armement. Les trois quarts d’entre elles travaillaient sous l’égide directe du Ministère de l’Armement, en fait le contrôle de l’Etat et la planification nationale des fabricants de munitions suite aux échecs de l’industrie privée au début de la guerre.

    Les conditions de travail dans les usines de munitions étaient difficiles. Les heures étaient longues, et avec l’assouplissement des règles de santé et de sécurité, les conditions de travail étaient dangereuses. Elle a eu un impact désastreux sur la santé des femmes.

    L’empoisonnement par le produit chimique TNT était courant, entraînant le jaunissement de la peau, ce qui a valu aux ouvrières le surnom de ” Canary Girls ” (les filles canari)

    Pourtant, la jaunisse toxique était grave. Des milliers de femmes et d’hommes ont inhalé et ingéré de la poussière. Ils souffraient de maux d’estomac, de vertiges, de somnolence et de gonflement des mains et des pieds.

    Les premiers décès de travailleuses dues à cette maladie insidieuse ont été signalés en 1916, mais peu de mesures ont été prises.

    Des accidents sont également survenus lors de la manipulation quotidienne de produits chimiques explosifs. Des centaines de travailleurs ont perdu la vie dans des explosions et des milliers de personnes se sont retrouvées sans toit.

    Toute référence aux femmes de la classe ouvrière dans les programmes et articles célébrant l’anniversaire de la fin de la guerre cette année risque d’ignorer leur lien avec le mouvement syndical. Pourtant, la concentration des travailleuses dans l’industrie d’armement a encouragé une croissance rapide de leur affiliation syndicale.

    The best militants, mainly socialists and Marxists, rejected the industrial truce declared by the union leaders and created new rank and file bargaining structures, which by 1917 were to result in the formation of the National Shop Stewards Movement.

    Dans l’ensemble, les effectifs féminins dans les syndicats ont augmenté de 160% pendant la guerre, en particulier au sein de la Fédération nationale des travailleuses et du Syndicat des travailleurs. En 1918, ce dernier employait 20 femmes fonctionnaires à plein temps et comptait plus de 80 000 membres féminins, soit le quart des membres du syndicat.

    Les femmes furent de plus en plus nombreuses à adhérer aux syndicats à une époque où les mécanismes officiels des syndicats se sont effectivement intégrés à l’État.

    Les meilleurs militants, principalement socialistes et marxistes, rejetèrent cette trêve industrielle déclarée par les dirigeants syndicaux et créèrent de nouvelles structures de négociation pour la base (la majorité des membres) qui, en 1917, devaient aboutir à la formation du « Mouvement national des délégués syndicaux ».

    Ce processus a commencé à Clydeside (Angleterre) où une grève des ingénieurs en février 1915 avait été organisée par le Clyde Labour Withholding Committee, le précurseur du Clyde Workers’ Committee (CWC).

    Clydeside “rouge”

    Neuf mois plus tard, menacés de déduire les arriérés de loyer des salaires, une grève de 15 000 travailleurs du chantier naval de Clyde a été organisée pour soutenir les grèves de loyer organisées par des femmes impliquées dans un mouvement de locataires contre les augmentations de loyer. Cela a donné un nouvel élan à la Convention sur les armes chimiques.

    William Gallacher, l’un des principaux dirigeants du CWC, a commenté le rôle des femmes de la classe ouvrière à la tête de la campagne : “Mme Barbour, une femme au foyer typique de la classe ouvrière, est devenue la dirigeante du mouvement comme on n’en avait jamais vu auparavant… Réunions de rue, réunions de cour arrière, tambours, cloches, trompettes – toutes les méthodes étaient utilisées pour faire sortir les femmes et les organiser en vue de la lutte. Les avis étaient imprimés par milliers et placés dans les vitrines : partout où vous alliez, vous pouviez les voir. Une rue après l’autre, pas une fenêtre sans: “Nous ne payerons pas un loyer plus élevé.”

    Des équipes de femmes se sont mobilisées contre les huissiers de justice pour prévenir les tentatives d’expulsion. Cette action communautaire et industrielle combinée de femmes et d’hommes de la classe ouvrière a forcé le gouvernement à imposer immédiatement des restrictions de loyer aux propriétaires privés.

    Le principal problème auquel le CWC fut confronté était la dilution, c’est-à-dire le remplacement de la main-d’œuvre qualifiée par une main-d’œuvre non qualifiée, y compris les femmes. En temps de guerre, il était difficile de prévenir cela.

    Le CWC accepta à l’époque de ne pas s’opposer à la dilution à condition que toutes les industries et les ressources nationales soient nationalisées sous le contrôle des travailleurs et que tous, y compris les femmes, soient payés au taux standard pour l’emploi.

    Les comités de délégués syndicaux s’étendirent également, en particulier à Sheffield où cela a été élargi pour inclure les travailleurs et travailleuses qualifiés, semi-qualifiés et non qualifiés.

    JT Murphy, l’un des dirigeants du Comité des travailleurs de Sheffield, expliqua comment l’utilisation des femmes comme main-d’œuvre bon marché avait créé un antagonisme entre les hommes et les femmes.

    Murphy et le comité des délégués syndicaux de Sheffield ont cherché à surmonter ce problème en soutenant activement la lutte des travailleurs non qualifiés, hommes et femmes pour des salaires plus élevés et en encourageant les femmes dans le mouvement syndical.

    Le comité des travailleurs à prédominance masculine condamna le sexisme et chercha à coopérer plus étroitement avec les syndicats représentant les travailleuses, en particulier le Syndicat des travailleurs.

    Suffragettes

    Les divisions de classe entre les femmes pendant la guerre se sont étendues au mouvement pour le suffrage, car les dirigeantes de la classe moyenne abandonnèrent la lutte pour le vote pour des campagnes femmes spécifiques.

    Par exemple, Christabel Pankhurst a pleinement soutenu la guerre et s’est impliquée dans le mouvement patriotique pour faire pression sur les hommes pour qu’ils s’enrôlent dans les forces armées. De nombreux militaires en repos, en congé et même blessés sont devenus les cibles de ce mouvement, tout comme les hommes jugés inaptes au service militaire.

    De nombreux ouvriers ingénieurs qui avaient été exemptés du service militaire ont décidé de porter des insignes ” On War Service ” (en service de guerre) pour se protéger des « justiciers et justicières à plumes blanches » (ceux et celles qui faisaient pression pour que personne ne puisse échapper à l’enrôlement).

    Emmeline et Christabel Pankhurst appelèrent à la conscription militaire pour les hommes et à la conscription industrielle pour les femmes. Elles mirent les fonds de leur organisation à la disposition du gouvernement. Elles organisèrent des manifestations soutenues par le gouvernement pour faire pression sur les femmes pour qu’elles acceptent des emplois dans les usines.

    La nature réactionnaire de leur politique patriotique s’est manifestée par leur soutien à l’interdiction des syndicats.

    Christabel Pankhurst exigea que les travailleurs non qualifiés et semi-qualifiés soient embauchés sans aucune garantie et sécurité.

    Contrairement à sa mère et à sa sœur, Sylvia Pankhurst a défendu la cause de l’égalité de salaire pour un travail égal et s’est battue pour de meilleures conditions de travail pour les femmes.

    La Fédération des Suffragettes de Sylvia Pankhurst, basée à Londres, a continué à militer pour le vote des femmes pendant la guerre, tout en faisant campagne pour la paix, les libertés civiles et le contrôle des loyers et des prix des denrées alimentaires contre le profit flagrant des capitalistes sur la guerre. La Fédération a également exigé la nationalisation de l’approvisionnement alimentaire et l’abolition du profit privé.

    A la fin de la guerre, diverses organisations femmes ont exigé l’égalité des salaires, la réglementation des salaires dans les métiers peu rémunérés, une semaine de 48 heures, l’abolition des amendes de travail, les dispositions relatives à la maternité et le vote. Il a également été demandé que tous les syndicats soient ouverts aux travailleuses et que les femmes soient représentées dans les organes de direction des syndicats.

    La classe dirigeante, cependant, voulait simplement un retour aux affaires normales. Mais avec une action industrielle de masse dépassant les chiffres d’avant la guerre et une atmosphère presque insurrectionnelle, le gouvernement a été contraint d’introduire une série de lois sur le contrôle des loyers, le logement social, les droits de maternité et la protection de l’enfance. Avec le temps, avec la défaite des luttes ouvrières, ces mesures progressistes furent annulées.

    L’attitude des syndicats sur les droits des femmes n’était pas toujours progressiste. En 1918, une conférence syndicale a adopté une motion demandant que les femmes soient bannies des métiers ” inadaptés ” et que les femmes mariées soient exclues du travail.

    Ces points de vue étaient encouragés par l’establishment politique qui considérait la position des femmes dans l’industrie comme une utilité en temps de guerre.

    Lutter pour l’égalité

    L’adoption de telles motions par les syndicats pourrait s’expliquer en partie par les conditions d’un capitalisme d’après-guerre où des millions d’hommes démobilisés ont découvert les dures réalités de la ” terre digne des héros “, mais aussi par les limites de la direction officielle du mouvement ouvrier qui n’avait pas la volonté d’affronter le capitalisme.

    Ce fut aux travailleuses elles-mêmes de se battre pour obtenir de meilleures conditions de travail et de meilleurs salaires.

    Le succès d’une grève à salaire égal la même année, la première du genre à Londres et dans le sud-est par les travailleuses du tramway et du métro, a contraint le gouvernement à mener une enquête spéciale pour déterminer si le principe de l’égalité salariale entre les hommes et les femmes devrait s’appliquer à toutes les industries.

    Elle a conclu que les principes existants de détermination des salaires ne devraient pas être modifiés.

    Plus de 50 ans se sont écoulés avant que l’égalité salariale ne soit inscrite dans la loi en Angleterre, et ce, uniquement en raison de la grève réussie des femmes machinistes à Ford (Dagenham).

    Au milieu du carnage de la Première Guerre mondiale, des idées radicales et progressistes ont émergé sur les droits des femmes, ce qui reflète l’expérience riche du temps de guerre, y compris l’intégration des femmes dans le mouvement syndical, et le militantisme plus large des travailleurs avant et pendant la guerre.

    Les meilleurs militants de la classe ouvrière, femmes et hommes, sont devenus les chefs de file des batailles industrielles de masse contre l’austérité de l’après-guerre et les attaques contre les conditions de travail des travailleurs.

    Inspirés par la Révolution russe de 1917, ils ont créé le Parti communiste, qui représentait à l’époque le meilleur moyen de faire progresser les droits des femmes de la classe ouvrière.

    Cent ans plus tard, nous sommes confrontés à une tâche similaire, celle de créer des organisations ouvrières indépendantes pour contester les inégalités du capitalisme, les oppressions comme le sexisme, le racisme, la LGBTQI+ phobie. Il est essentiel de pouvoir apprendre des luttes du passé pour pouvoir mieux préparer le futur.

  • USA. Les leçons du mouvement de masse des femmes des années ’60 et ’70

    Un nouveau mouvement des femmes émerge en réponse à l’élection du misogyne Donald Trump, à commencer par les marches des femmes de 2017 et maintenant avec la campagne #MeToo. Le pouvoir potentiel du moment #MeToo a tellement effrayé la classe politique, les PDG, les investisseurs et actionnaires, -en bref les « 1% »- que des douzaines d’abuseurs célèbres ont été licenciés ou forcés de démissionner. C’est une victoire, mais les femmes ont beaucoup plus à gagner.
    Un véritable outil pour que les travailleurs et travailleuses puissent se défendre face à des patrons et des collègues abusifs, (que votre patron soit célèbre ou non) peut être gagné, mais il faudra un mouvement de masse qui prend la rue et perturbe le statu quo. Le dernier grand mouvement des femmes aux États-Unis au cours des années 1960 et 1970 a été une période de mobilisation soutenue autour des questions féminines qui a permis d’obtenir d’importantes réformes et de changer l’attitude de millions de personnes à l’égard du rôle des femmes dans la société. Elle a également montré les limites du féminisme libéral.

    Le mouvement des femmes des années 1960 et 1970 a émergé au cours d’une période de bouleversements sociaux massifs à l’échelle nationale et internationale. Aux États-Unis, la lutte déterminée des Afro-Américains dans le mouvement des droits civiques a eu un effet transformateur sur la conscience de millions de travailleurs et de jeunes. Le mouvement contre la guerre du Vietnam était d’une ampleur énorme, attirant environ 36 millions de personnes pour protester au cours de la seule année 1969. L’establishment était contesté de tous les côtés, et les femmes, les gens de couleur, les LGBTQI+ et les travailleurs étaient encouragés à porter leur lutte contre l’oppression et l’inégalité à des niveaux d’organisation et d’action plus élevés.

    La naissance de NOW

    L’Organisation nationale des femmes (NOW), fondée en 1966, a élaboré une stratégie et des tactiques pour assurer la pleine égalité juridique des femmes et des hommes. Bien que NOW ait souvent fait campagne pour des revendications qui profiteraient à toutes les femmes, les politiques de NOW étaient centrées sur les préoccupations des femmes instruites de la classe moyenne et étaient parfois en désaccord avec les intérêts des femmes de la classe ouvrière.

    NOW a réussi à obtenir des réformes grâce à une avalanche de poursuites judiciaires combinées à des protestations et à des actions de masse, en particulier en matière de discrimination à l’emploi. Elle a commencé par faire pression pour que l’on mette fin à la ségrégation des listes d’emplois dans les journaux, en combinant les efforts de lobbying avec des piquets de grève et des manifestations qui ont réussi à mettre fin à cette pratique en 1968. La Commission pour l’égalité des chances en matière d’emploi, l’organisme fédéral chargé d’appliquer les règles contre la discrimination dans l’emploi, n’a commencé à appliquer la loi qu’après qu’une campagne de NOW ait forcé le changement.

    Le 26 août 1970, la grève nationale des femmes a vu des dizaines de milliers de femmes faire grève dans tout le pays autour de trois revendications centrales : le droit à l’avortement, le droit à la garde d’enfants et l’égalité des chances en matière d’emploi et d’éducation. Le caractère des manifestations variait d’une ville à l’autre, mais c’est à cause de l’existence de NOW que la grève des femmes a été une action coordonnée à l’échelle nationale.

    Dans la ville de New York, cinquante mille femmes ont marché sur la 5e Avenue, et une bannière a été accrochée à la Statue de la Liberté, portant l’emblème « Women of the World Unite ! ». La grève d’un jour a été un énorme succès, et le nombre de membres de NOW a augmenté de 50 % au cours des mois suivants. À son apogée en 1974, NOW pouvait revendiquer 40 000 membres, ce qui reflète le fait que le Mouvement des femmes avait vraiment acquis un caractère de masse.

    Bien que NOW ait adopté un programme relativement radical, l’organisation n’a pas cherché à contester le système capitaliste, mais à obtenir une place équitable pour les femmes au sein même du système. Dans l’intérêt de paraître acceptable aux yeux du “courant dominant” de la société, les dirigeantes de NOW ont consciemment repoussé les radicaux. Cette tactique était clairement liée à une aile du Parti démocrate.

    Malgré certaines campagnes sur l’inégalité raciale, NOW avait de graves lacunes dans son approche à l’égard des femmes de couleur, et l’organisation était majoritairement blanche.

    Betty Friedan, la dirigeante de NOW, a qualifié de “menace lavande” la radicalisation des femmes lesbiennes ; le lesbianisme ne cadrait pas avec la politique de respectabilité de Friedan. Le refus de NOW d’adopter pleinement la diversité ethnique et de genre dans l’organisation et l’accent mis sur l’égalité juridique plutôt que sur un programme répondant aux besoins des travailleuses constituait une faiblesse importante pour l’ensemble du mouvement des femmes.

    La libération des femmes

    Pour beaucoup de jeunes femmes impliquées dans les mouvements anti-guerre et de défense des droits civils, le féminisme libéral incarné par NOW n’était pas suffisant. L’énorme radicalisation de cette période a incité les femmes à explorer le démantèlement complet des rôles des femmes dans les relations amoureuses, dans la famille, dans la société et dans les organisations de gauche. La naissance des groupes de libération des femmes peut être attribuée aux expériences des femmes militantes qui sont mises à l’écart politiquement, souvent sexuellement objectifiées au sein de certaines organisations de « gauche ».

    C’était particulièrement vrai pour « Students for a Democratic Society », qui n’a pas réussi à s’attaquer au chauvinisme généralisé dans ses rangs. Cela a conduit un certain nombre de femmes de la SDS à une discussion plus intense sur les racines profondes de l’oppression des femmes et sur la façon de la combattre. Ce type de débats a eu lieu parmi les femmes militantes de gauche à travers le pays, y compris dans les organisations noires et latines. À l’automne 1967, des femmes radicales ont commencées à former leur propre organisation, dédiée à la libération des femmes. En 1969, il y avait des groupes de libération des femmes dans plus de 40 villes.

    Les organisations de libération des femmes ont souvent commencé comme des groupes de conscientisation, où les femmes se réunissaient pour discuter de leur oppression commune et se sont développées en groupes activistes qui ont utilisé l’action directe pour faire campagne sur les droits reproductifs, le viol et l’objectivation des femmes. Les militantes ont renversé le tabou sur le fait de parler de la sexualité et de la santé reproductive des femmes, et les femmes lesbiennes ont été accueillies dans le mouvement.

    Bien que le mouvement de libération des femmes ait adopté une vision plus globale des expériences des femmes que le mouvement féministe dominant, il était également dominé par les femmes blanches de la classe moyenne. Les socialistes-féministes au sein du mouvement n’ont jamais fusionné en une force unifiée qui aurait eu un impact sur la direction générale de la libération des femmes. Les idées séparatistes selon lesquelles les femmes s’organisent et même vivent séparées des hommes était une tendance au sein du mouvement de libération des femmes, ce qui donnait aux médias le moyen de le dénigrer en le qualifiant de “haine de l’homme”. L’incapacité du mouvement à adopter un programme clair qui puisse répondre aux intérêts et aux besoins des femmes de la classe ouvrière et des femmes de couleur a limité son attrait, même si ses campagnes ont eu un impact positif sur l’opinion publique.

    Gagner le droit de choisir

    NOW a été la première organisation nationale à exiger l’abolition de toutes les lois restreignant l’avortement et a contribué à la création de l’Association nationale pour l’abrogation des lois sur l’avortement (NARAL), qui a mené la campagne principale en faveur du droit à l’avortement.

    NARAL a travaillé avec le mouvement de libération des femmes, qui connaissait alors une croissance rapide, pour organiser des événements provocateurs, tels que des conférences où les femmes témoignaient de leurs propres expériences d’avortement. Les débats contre les activistes anti-avortement étaient une autre tactique privilégiée de NARAL, et l’organisation a produit du matériel donnant des conseils sur la façon d’organiser et de gagner des débats, et comment obtenir une couverture médiatique maximale.

    Le « Chicago Women’s Liberation Union », un groupe socialiste-féministe dont les nombreux projets comprenaient le « Jane Collective », a organisé une action directe au congrès de l’American Medical Association, où des activistes ont infiltré l’événement et présenté une liste de revendications incluant l’avortement gratuit et légal. Le mouvement des femmes de New York a obtenu le droit à l’avortement après une lutte soutenue, y compris des actions directes en 1970. Des campagnes similaires ont éclaté dans tout le pays et 14 États ont libéralisé les lois sur l’avortement à des degrés divers avant l’affaire Roe vs. Wade.

    Dans l’État de Washington, un groupe de médecins préoccupés par la menace des avortements illégaux pour la santé des femmes a réussi à faire inscrire l’avortement comme revendication sur le bulletin de vote de l’État en 1970. Deux organisations féministes de Seattle ont reformulé la question comme une question de libération des femmes et ont créé un mouvement populaire pour se battre pour chaque vote. « Women’s Liberation Seattle” a produit et vendu 10 000 exemplaires d’une brochure intitulée “One in Four of Us Have Have Had or Will Have Have an Abortion”. Des rassemblements et des réunions ont eu lieu dans tout l’État et les militants ont distribué des tracts et frappé à la porte pour faire passer le mot. En fin de compte, l’initiative a été adoptée avec 56 % des voix en faveur du droit des femmes à l’avortement.

    La décision de la Cour suprême de 1973 légalisant l’avortement à l’échelle nationale, Roe vs. Wade, a été une victoire historique pour le mouvement des droits des femmes. Dans une série d’événements qui ressemble à la lutte plus récente pour l’égalité du mariage, une Cour suprême conservatrice a suivi le mouvement de masse et le changement d’attitude de la population à l’égard de l’avortement. La Cour, représentant les intérêts de la classe dirigeante, a été forcée par le mouvement à passer à l’action s’il voulait éviter une nouvelle radicalisation massive.

    Les femmes et le mouvement ouvrier

    Les femmes de la classe ouvrière, la plupart du temps hors des projecteurs du mouvement féministe organisé, ont tracé leur propre chemin vers la libération, et elles l’ont fait sur leur lieu de travail et dans leurs syndicats. Les femmes sont entrées en grand nombre sur le marché du travail dans les années 60 et 70, et faisaient partie d’une transformation démographique de la classe ouvrière américaine qui incluait également de nouvelles industries et catégories d’emploi s’ouvrant aux travailleurs noirs et autres minorités ethniques.

    Les femmes exerçant des professions traditionnellement féminines, comme les employées de maison, de bureau, d’hôpital et d’autres travailleuses du secteur des services se sont également engagées dans la lutte, utilisant l’action collective pour lutter contre les revendications économiques, y compris contre le sexisme rampant sur le lieu de travail, présent dans de nombreux emplois à prédominance féminine dans le secteur des services. Les femmes de la classe ouvrière se sont engagées dans une lutte féministe qui correspondait à leurs propres conditions, où les normes sexistes, racistes et paternalistes qui régissaient les relations de travail ont été remises en question dans un mouvement qui a contribué de façon importante au rejet croissant des attitudes sexistes traditionnelles sur le rôle des femmes.

    Par exemple, les conditions de travail des agents de bord dans les années 1960 étaient un cauchemar de l’objectivation féminine : pesée hebdomadaire avec des travailleuses qui risquaient d’être licenciées si elles dépassaient, âge maximum de travail de 32 ans et des campagnes publicitaires qui invitaient pratiquement les passagers à harceler sexuellement les travailleuses. Les agents de bords syndiquées se sont heurtées à un mur lorsqu’elles ont essayé d’obtenir de leurs dirigeants syndicaux masculins qu’ils prennent des mesures contre le sexisme au travail. Les employées de bureau étaient considérées comme des “épouses de bureau” mal payées qui devaient aller chercher du café et faire le déjeuner pour les patrons masculins. Les deux groupes de travailleuses ont créé de nouvelles organisations pour protester contre leur statut de seconde classe et souvent hypersexualisé sur le lieu de travail et tous deux ont fini par former de nouveaux syndicats.

    Les hôtesses de l’air ont construit « Stewardesses for Women’s Rights » (SFWR), qui a développé une vaste campagne de protestation, de recours juridiques et de publicité avec le soutien du mouvement féministe dominant. Les employées de bureau ont mis sur pied des organisations qui ont construit des manifestations et fait pression sur le gouvernement au sujet de la discrimination fondée sur le sexe en matière d’embauche, de rémunération et de promotion. Les agents de bord ont particulièrement bien réussi à utiliser les ralentissements, les arrêts maladie et les menaces de grève en conjonction avec SFWR pour mettre fin à plusieurs des politiques déshumanisantes les plus flagrantes.

    Les travailleuses domestiques, majoritairement noires, étaient confrontées à la double oppression du racisme et du sexisme au travail et fortement exploitées sans aucune protection légale du travail. Les organisations de travailleuses domestiques, comme le « Syndicat national des travailleuses domestiques », remplissaient souvent de nombreuses fonctions : faire campagne contre les bas salaires et les pratiques abusives, éduquer les travailleurs sur leurs droits, placer les travailleurs dans des emplois et régler les griefs avec les employeurs. Malgré les difficultés de syndicalisation des travailleuses très isolées, ces organisations ont contribué à obtenir certaines protections juridiques fédérales et des salaires plus élevés sur certains marchés régionaux.

    Le potentiel révolutionnaire des années 1970

    Le chevauchement des mouvements des femmes dans NOW, dans les groupes féministes radicaux et dans les lieux de travail a coïncidé avec une recrudescence dramatique et soutenue du militantisme de la classe ouvrière. En 1970, environ un sixième des 27 millions de travailleurs syndiqués sont partis en grève. Ces travailleurs se battaient pour obtenir plus qu’une augmentation des salaires et des avantages sociaux ; les enseignants, en grande majorité des femmes, ont fait grève pour améliorer les politiques en classe et étendre les droits à la négociation collective dans le secteur public. Les mineurs, les routiers et les travailleurs de l’automobile ont frappé en masse, tout en organisant simultanément des comités pour casser le contrôle des dirigeants de leurs syndicats et donner davantage de voix à la base. Les travailleurs de l’électricité, du téléphone et des chemins de fer ont mobilisé des centaines de milliers de personnes lors de grèves qui ont stoppé des pans entiers de l’industrie.

    La révolte ouvrière, combinée aux mouvements sociaux radicaux contre le racisme et le sexisme, et la révolte au sein de l’armée américaine au Vietnam créait une situation de plus en plus ingouvernable. Le scandale du Watergate et la mise en accusation subséquente de Richard Nixon ont montré le chaos qui enveloppait la classe dirigeante américaine.

    Tragiquement, cependant, le potentiel de transformation des années 1970 n’a pas été réalisé. Les travailleurs, les jeunes, les femmes, les personnes de couleur et les LGBTQI+ se révoltaient contre l’establishment, mais leurs dirigeants n’ont pas réussi à s’unir et à construire un nouveau parti politique représentant les intérêts des travailleurs et de tous les opprimés pour s’attaquer au système politique et économique dominé par le capitaliste.

    L’une des premières victimes de cet échec a été le veto largement incontesté de Nixon à l’égard d’une loi qui aurait créé une puériculture universelle en 1971. Malgré l’afflux de femmes sur le marché du travail, un mouvement de masse organisé de femmes et une recrudescence de la base dans les syndicats, aucun effort commun n’a été lancé pour combattre ce veto.

    A partir de 1975, des valeurs familiales émergentes de l’extrême-droite ont pris de l’ampleur, qualifiant de communistes et d’anti-américains les services de garde d’enfants, au fur et à mesure que se développait la réaction contre le mouvement des femmes. Le Parti démocrate a également commencé à se diriger vers la droite lorsque les capitalistes se sont dirigés vers des politiques néolibérales. L’élection de Ronald Reagan en 1980, et son licenciement des travailleurs en grève de la circulation aérienne un an plus tard, a marqué le début de plusieurs décennies de défaites pour les syndicats, dont le mouvement ouvrier ne s’est pas (encore) remis.

    Nécessité d’un leadership marxiste

    Les expériences des femmes confrontées aux attitudes régressives choquantes dans certaines sections de la « nouvelle gauche » reflétaient l’absence d’un courant marxiste authentique et significatif aux Etats-Unis, luttant pour des idées féministes socialistes.

    Au mieux, la première gauche radicale américaine était en première ligne dans la lutte pour les droits des femmes, en particulier dans l’organisation de travailleuses extrêmement exploitées. Les « ouvrières industrielles du monde » (I.W.W) et les activistes socialistes comme Elizabeth Gurley Flynn, par exemple, ont joué un rôle clé dans la fameuse grève du “pain et des roses” de 1912 par les ouvrières immigrées du textile à Lawrence, Massachusetts. C’est aussi le Parti socialiste qui a organisé la première marche de la Journée des femmes en 1909 à New York et qui a inspiré l’Internationale socialiste à l’adopter comme journée internationale d’action pour les femmes de la classe ouvrière l’année suivante.

    Les socialistes révolutionnaires, y compris Marx et Engels, voyaient l’oppression des femmes comme faisant partie intégrante de toute l’histoire de la société de classe. Ils ont conclu que, tout en luttant bec et ongles pour tous les gains possibles pour les femmes qui travaillent aujourd’hui, leur libération totale ne pouvait être gagnée qu’en mettant fin au règne des capitalistes.

    Armées d’un véritable programme marxiste, des dizaines de milliers de combattantes et combattants pour la libération des femmes, la libération des Noirs et le pouvoir ouvrier auraient pu s’unir aux États-Unis dans les années 70 pour construire un courant révolutionnaire puissant dans un large parti ouvrier de masse. Les tâches historiques du mouvement des femmes des années 1960 et 1970 restent à accomplir : les femmes continuent de se heurter à des obstacles en matière de droits reproductifs, d’emploi, de violence sexuelle, etc. Un nouveau mouvement des femmes est nécessaire à côté d’un mouvement ouvrier de masse qui, sur la base des leçons du passé, défie le système capitaliste lui-même dans une lutte décisive pour la libération des femmes.

  • La gauche marxiste, le conflit national et la lutte palestinienne

    La nécessité d’une approche de classe et d’une alternative socialiste

    Le Socialist Struggle Movement (Mouvement de lutte socialiste) participe à la lutte pour mettre fin à l’occupation et à l’oppression nationale des Palestinien·ne·s et pour une paix juste fondée sur l’égalité entre les deux groupes nationaux, y compris un droit égal à l’existence, l’autodétermination, la sécurité personnelle et le bien-être.

    L’escalade continue dans le conflit israélo-palestinien intensifiant la polarisation nationale et les tendances destructrices dans la société israélienne. Les horreurs de la guerre de Gaza en 2014, l’image de la victoire du parti Likoud aux élections de 2015, les attaques brutales et meurtrières constantes du régime israélien contre les Palestinien·ne·s (qui ne sont rien d’autre que du terrorisme d’État), les attaques contre les libertés démocratiques et la persécution politique accrue contre les député·e·s palestinien·ne·s (membres du Knesset, le parlement israélien) et des activistes anti-occupation parmi le public juif – tout cela a contribué à renforcer les humeurs pessimistes, d’abord parmi les Palestinien·ne·s des masses, y compris parmi le public arabo-palestinien en Israël, parmi plus les couches de gauche dans le public juif et parmi la gauche des deux groupes nationaux. En fait, la gauche en Israël est en crise ces jours-ci, comme on peut le voir ouvertement, entre autres, dans la direction du Parti communiste et Hadash (Front démocratique pour la paix et l’égalité – établi et contrôlé par le PC).

    Un sondage mené par Pew Research au cours du premier semestre de 2015 a montré que 48% des juifs traitaient positivement l’idée d’un transfert ou expulsion de résident·e·s arabes du territoire israélien. Ce chiffre s’ajoute à d’autres caractéristiques importantes du chauvinisme national d’une large couche dans le public israélien. Néanmoins, ce n’est pas un consensus absolu et il faut prendre en compte, par exemple, que 46% du public juif ou 58% des Juifs laïques, ont exprimé leur opposition à cette idée. Parallèlement, le sondage Peace Index de janvier a mis en évidence une polarisation de la population juive entre 45% qui soutiennent et 45% qui s’opposent à l’idée d’annexer à Israël les territoires occupés saisis en 1967.

    Parmi les masses palestiniennes, en particulier dans les territoires de 67, il y a une fois de plus un retrait significatif de l’appui à une position de « deux États », dans une mesure qui n’a pas été observée depuis plusieurs années. Les sondages d’opinion menés par des organisations palestiniennes pendant un certain temps reflètent constamment le manque de confiance dans la possibilité d’une solution au conflit et de la libération de l’oppression nationale. Ces humeurs expriment l’écœurement des promesses frauduleuses pour un « futur État », qui conduisent jusqu’ici à l’aggravation de l’oppression, l’extermination de masse et à la construction de colonies galopantes à Jérusalem-Est et en Cisjordanie. De plus, le régime Netanyahou montre clairement qu’il continue de s’opposer fermement à la création d’un État palestinien.

    Cependant, l’idée d’un État binational israélo-palestinien est toujours rejetée par une majorité encore plus grande de Palestinien·ne·s, car en fait, cela revient à abandonner la demande d’un État-nation palestinien indépendant (comme le reflètent systématiquement les sondages d’opinion, par exemple le sondage du CCMM au début de mars). Bien qu’il existe un sentiment de sympathie pour l’ancien programme de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine) visant à créer un État-nation arabo-palestinien sur l’ensemble du territoire à l’ouest du Jourdain, cela n’est pas perçu comme un programme pratique. Un tel programme est en effet une utopie nationale bourgeoise. Ni l’OLP, ni les partis politiques palestiniens, le Fatah et le Hamas, n’ont de voie à proposer pour « occuper » Israël, qui est aujourd’hui la plus puissante puissance militaire de la région. Ainsi, les dirigeants pro-capitalistes de ces deux partis cherchent en dernière analyse à s’appuyer sur des alliances avec les puissances impérialistes pour que ceux-ci fassent pression sur Israël pour obtenir des concessions.

    En réponse aux attaques de l’État et à la réaction nationaliste du public juif, une tendance à la réclusion nationale des Palestinien·ne·s en Israël a été renforcée. Il y a une couche de jeunes qui se radicalisent et ont tendance maintenant à se référer avec suspicion et cynisme, non seulement à l’idée de « deux États », mais aussi à des slogans sur la « paix », la « coexistence » des deux nationalités, ainsi qu’aux mouvements sociaux qui se développent parmi les travailleurs et les jeunes dans le public juif israélien. Cette couche n’a aucune confiance dans la possibilité d’une lutte commune des travailleurs et des jeunes des deux groupes nationaux sur les conditions de vie et contre la discrimination, l’exploitation et l’oppression – ce qui est souvent considéré comme l’abandon d’une lutte sérieuse pour la libération nationale.

    Le renforcement périodique de ces approches, qui reflète parfois la rationalisation du désespoir politique, n’est pas surprenant, compte tenu de la rhétorique hypocrite du régime israélien, de la faiblesse de la gauche dans le public israélien, de l’expérience des dernières décennies et en particulier de l’expérience des accords d’Oslo, qui ont été promus sous de faux slogans sur la paix, mais qui ont assuré la continuation de l’oppression nationale sous d’autres formes brutales. À cela s’ajoute le dangereux chauvinisme national, exprimé aussi par un soutien scandaleux aux attaques sévères contre les Palestinien·ne·s, caractéristiques des dirigeant·e·s de la Histadrout (la principale organisation syndicale), du parti travailliste et du Meretz, les partis israéliens de gauche. En outre, les approches chauvines camouflées des mouvements libéraux, telles que « Peace Now », qui répandent des slogans sur la paix mais ne rejettent pas systématiquement et de façon radicale l’oppression des Palestinien·ne·s.

    À cette couche de jeunes Palestinien·ne·s poussé·e·s à la lutte, il n’y a pas d’alternative socialiste claire ou de gauche visible devant les programmes impérialistes frauduleux. Les mouvements politiques de gauche, en premier lieu le PC et Hadash, ont contribué à répandre des illusions dans les accords d’Oslo et dans des programmes similaires – et qui n’ont pas encore corrigé leur position – en assument une certaine responsabilité.

    Le phénomène des Juifs et des Arabes se photographiant, en particulier sur les lieux de travail, avec le message « Juifs et Arabes refusent d’être ennemis », ou manifestations conjointes de résident·e·s sous ce message, pour protester contre l’escalade de la violence nationaliste, est plutôt marginal, mais ce serait une erreur de le minimiser. C’est une réponse sincère et courageuse qui contribue à saper la réaction nationaliste dans la société et à promouvoir la solidarité de classe. Néanmoins, des slogans amorphes sur la « coexistence » et le « partenariat judéo-arabe » dans une réalité de séparation nationale profonde et d’oppression nationale brutale de l’opinion arabo-palestinienne ne peuvent pas suffire. Une véritable lutte politique commune des travailleurs et des jeunes des deux groupes nationaux exige, en bout de ligne, un programme pour l’élimination de toutes les formes de discrimination et d’oppression nationale des Arabes et des Palestinien·ne·s, et de manière générale.

    Faire progresser une lutte aussi large est l’une des tâches importantes de la gauche socialiste parmi les deux groupes nationaux. Le mouvement de lutte socialiste s’oppose complètement à la répression politique et à la violente chasse aux sorcières menée contre le public arabo-palestinien en Israël, indépendamment des controverses politiques avec d’autres mouvements, y compris de la droite palestinienne. Nous avons explicitement, et de manière explicative, opposé la mise hors la loi du Mouvement Islamique du Nord – une démarche hypocrite et dangereuse destinée à aider le régime israélien à viser les populations arabo-palestiniennes et musulmanes en Israël comme des boucs émissaires, destinés à criminaliser et réprimer les luttes politiques parmi ce public et envoyer un message menaçant à d’autres mouvements politiques en conflit avec le régime, d’abord les mouvements palestiniens, mais pas uniquement.

    L’absence de mouvements sociaux de travailleurs et de jeunes en Israël, depuis le mouvement de protestation de 2011, permet de renforcer la perception isolationniste de la « politique identitaire » parmi les groupes opprimés dans la société. Dans ce contexte, de nombreux militants concluent que la lutte politique contre l’oppression nationale des Palestiniens nécessite une stratégie basée sur « l’unité nationale » qui traverse les classes sociales et les approches politiques. C’est aussi une réponse aux mesures de répression et à la politique du « diviser pour régner » utilisée par le régime israélien. Il essaie de déchirer les masses palestiniennes sur une base géographique, religieuse et ethnique – y compris en encourageant le militarisme israélien et le projet militaire des citoyens arabes en Israël – nuisant ainsi au potentiel d’une lutte large et efficace contre l’oppression nationale. Le rejet de l’instigation du conflit ethnico-religieux est définitivement juste, tout comme la compréhension qu’un mouvement large et fort est nécessaire.

    La forme embryonnaire de l’État policier capitaliste représenté par l’Autorité palestinienne du Fatah et de l’OLP, et son parallèle dans sa version islamiste dirigée par le Hamas dans la bande de Gaza, sont un signe avant-coureur de la direction dans laquelle les dirigeants pro-capitalistes de droite peut mener. L’atténuation des différences politiques au sein de la minorité arabo-palestinienne au nom de « l’unité nationale » finit par faire le jeu de la droite israélienne, qui cherche à isoler ce public afin de faciliter la politique de répression.

    Dans la perspective des élections de 2015, malheureusement, Hadash n’a pas insisté pour proposer une alternative de gauche de premier plan au niveau national. Au lieu de cela, il a capitulé devant les pressions et s’est associé à la fondation de la « liste commune », en tant que coalition de forces de gauche et de droite dans le public palestinien, y compris les forces pro-capitalistes et conservatrices. La gauche est l’aile nécessaire pour faire les concessions significatives dans cette alliance. Le profil national du Hadash, en tant que force de gauche la plus importante à ce niveau, a été obscurci. Comme nous l’avions prévu, malgré les discussions sur un développement « historique », la liste commune n’a pas, jusqu’à présent, mené de lutte significative et n’a pas réussi à présenter des résultats essentiels. Elle reste « neutralisée » dans le domaine parlementaire et, par conséquent, a également déçu des couches de partisans qui y ont placé leurs espoirs.

    Les couches plus larges du public arabe, dont la majorité vivent sous le seuil de la pauvreté et subissent une offensive quotidienne en raison de leur origine nationale, s’intéressent, à long terme, à des solutions pratiques aux problèmes criants de la pauvreté et de la discrimination. Mais les forces politiques sur la liste n’arrivent pas à esquisser un objectif de lutte efficace pour le changement – elles n’arrivent pas à mettre de l’avant une véritable opposition à la droite israélienne, la domination de Netanyahu, l’oppression nationale et le capitalisme israélien. Les faiblesses du programme politique, y compris en ce qui concerne le changement socialiste, et le manque de confiance dans les luttes de la classe ouvrière et des masses, sont à l’origine de l’approche étroite du Hadash dans le domaine parlementaire et l’orientation des campagnes électorales. Cela se fait d’une manière presque détachée de la construction d’une lutte extra-parlementaire, et cette approche se reflète également dans des alliances politiques sans principes.

    Certains dirigeants du Parti communiste peuvent prétendre que leur approche est « pratique » pour changer la réalité dans des circonstances complexes. Bien sûr, les organisations politiques sérieuses doivent examiner quand il est nécessaire de changer les demandes et les tactiques. Mais pour la gauche marxiste, de tels changements devraient être faits sur la base d’une approche de principe et de classe. Malheureusement, ce n’est pas l’approche de la direction du PC, qui a tendance à adopter une approche réformiste qui affaiblit la gauche, car elle nourrit des illusions de solutions dans le cadre de la société capitaliste, garde des couches larges dans un rôle relativement passif et abandonne la construction d’une lutte politique basée sur la classe ouvrière dans la société. La même logique conduit le PC et Hadash à se ranger du côté de l’impérialisme russe, du régime Assad et du Hezbollah dans la guerre civile en Syrie, en tant que forces jouant un rôle « progressiste », selon la tradition stalinienne de tendre aux forces en conflit avec les puissances impérialistes occidentales.

    D’autre part, si les forces de gauche à Hadash avaient adopté une approche de classe et un programme socialiste de manière centrale et proéminente, ils auraient pu utiliser beaucoup plus efficacement leur poids relatif au niveau national afin de défier les forces de droite dans les deux groupes nationaux. Notre organisation au niveau national et international est pleinement engagée à promouvoir la solidarité internationaliste avec la lutte des masses palestiniennes pour la libération de l’oppression nationale, et s’engage également à contribuer à la discussion en ce qui concerne la façon dont cette lutte pourrait être gagnée.

    D’une manière générale, et compte tenu des ambitions actuelles et de l’intensification brutale des mesures répressives à l’encontre des Palestinien·ne·s, ne serait-il pas opportun de promouvoir actuellement un programme de « deux États » pour résoudre le conflit? Dans le contexte du Moyen-Orient capitaliste d’aujourd’hui, le sens de cette revendication est en effet la fondation d’un État fantoche néo-colonial pour les Palestiniens, et non une véritable indépendance nationale. Les problèmes fondamentaux des masses palestiniennes ne seraient pas résolus et le conflit sanglant continuerait.

    Par contre, l’idée d’un État binational est complètement utopique dans un contexte capitaliste – la majorité décisive des deux nationalités ne sont pas intéressées à renoncer à l’indépendance nationale et à partager un seul État, et même si un tel État serait contraint, il serait basé sur l’inégalité et un schisme national profond. Ce fait souligne qu’à ce stade, même si le mot d’ordre de « deux États » suscite de plus en plus de suspicion, l’idée d’une solution basée sur deux États nationaux – mais dans un contexte socialiste – est encore nécessaire. À ce stade, avancer un programme qui propose une solution sous la forme d’un État commun pour les deux nationalités, même un État socialiste, n’est pas capable de fournir une réponse fondamentale aux peurs, aux soupçons et au désir intense d’indépendance nationale pour les deux groupes nationaux. Néanmoins, le rôle de la gauche marxiste est aussi d’expliquer que les couches de la classe ouvrière et les masses de tous les groupes nationaux ont, à la base, un intérêt dans une lutte unitaire autour d’un programme de changement socialiste.

    Bien que des luttes significatives puissent certainement gagner des accomplissements importants auparavant, seulement sur une base socialiste, il sera possible d’assimiler les conditions de vie des Palestinien·ne·s à celles des Israélien·ne·s – et d’élever, en fait, le niveau de vie général bien au-delà des meilleures conditions qui pourraient être atteintes sous le capitalisme – et de garantir une complète égalité des droits dans tous les domaines. Ce n’est qu’ainsi qu’il sera possible de s’assurer que toutes les ressources de la société servent rationnellement et démocratiquement le bien-être des masses, et permettront également l’investissement nécessaire des ressources pour les réfugiés palestiniens – une solution juste de leur situation exige une lutte pour garantir les conditions de bien-être et d’égalité dans la région, et la promotion du dialogue direct et du consentement, qui inclurait la reconnaissance de l’injustice historique et du droit au retour. Dans ces circonstances, la diminution de l’aversion mutuelle et du schisme national peut aussi préparer le terrain pour un État socialiste commun.

    Les approches des sections de la gauche internationale, qui adoptent une approche nationale étroite du problème et proposent d’ignorer les craintes de millions de juifs israéliens et leur volonté d’autodétermination nationale, ne présentent aucun moyen sérieux de trouver une solution. Le processus catastrophique d’occupation, d’expropriation et d’oppression des Palestinien·ne·s par le mouvement sioniste et l’État d’Israël n’annule pas le fait que des masses de réfugiés juifs des pays européens et des pays arabes et musulmans ont été cyniquement exploitées par les puissances mondiales et par l’élite nationaliste sioniste. La référence nationaliste simpliste à tous les juifs israéliens en tant que « colons » ignore le fait que la majorité d’entre eux sont nés dans le pays, sans aucune affinité avec un autre pays.

    Considérant l’histoire de l’Holocauste, la persécution des Juifs et les menaces antisémites des forces arabes et islamistes réactionnaires au Moyen-Orient, un programme qui proposerait que des millions d’Israélien·ne·s renoncent simplement à l’indépendance nationale sera perçu comme un plan « d’annihilation ». Cela poussera plus fortement la classe ouvrière israélienne entre les mains de la droite israélienne et pour une « guerre de survie » par tous les moyens, y compris les armes nucléaires. Plus que cela, même dans un scénario sanglant hypothétique dans lequel une force externe subjuguerait militairement Israël, alors des millions de Juifs israéliens deviendraient une minorité nationale opprimée et le conflit national continuerait sous une nouvelle forme terrible.

    Certes, le mouvement sioniste et l’État d’Israël ont mis en œuvre, et mettent en œuvre jusqu’à ce jour, une politique colonialiste visant à repousser et à exproprier la population arabo-palestinienne en faveur de la population juive israélienne. Cette politique comprend non seulement l’idée de déraciner la population palestinienne et la construction de colonies actuellement en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, mais aussi des plans organisés par l’État pour la judaïsation des territoires, en particulier dans le Néguev et en Galilée. La classe dirigeante israélienne considère les masses palestiniennes expropriées comme une menace existentielle pour l’avenir de sa domination. Le régime capitaliste israélien, qui est toujours en conflit avec la population palestinienne et avec les populations arabes et musulmanes de la région, s’efforce de fonder son existence sur le soutien mobilisateur de la population juive en Israël et par des collaborations avec la politique impérialiste des puissances capitalistes, en particulier les États-Unis, ainsi que les régimes autocratiques qui sont prêts à faire des affaires avec elle.

    Dans ce contexte, il y a des courants dans la gauche qui s’opposent au « droit d’existence » d’Israël. Bien sûr, la gauche marxiste s’oppose à tous les régimes d’oppression dans la région et dans le monde. Mais sur cette base, on pourrait aussi opposer le « droit d’existence » des États-Unis, de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne ou de la France, qui, en tant que puissances impérialistes majeures, ont causé les plus grandes horreurs de l’histoire. Certains prétendent que le droit à l’existence d’Israël devrait être spécifiquement combattu parce que c’est un État-nation « inventé » et établi sous le patronage des puissances capitalistes pour servir leur politique impérialiste au Moyen-Orient, et parce qu’il est été établi par l’expropriation des masses palestiniennes.

    Cependant, en général, les frontières nationales au Moyen-Orient, que les guerres civiles en Irak et en Syrie sapent actuellement, ont été dictées en grande partie par les puissances impérialistes, à travers l’accord Sykes-Picot signé secrètement il y a cent ans suivant les accords impérialistes. La revendication des États nationaux, que les puissances impérialistes ont créée de facto ou nourrie à leur profit, peut également aller à l’encontre du droit à l’existence d’une série d’autres États dans le monde, y compris dans les anciens territoires de l’URSS, les Balkans ou Taiwan, par exemple.

    En dehors de cela, bien que le processus d’établissement de l’État d’Israël ait des caractéristiques uniques, il faut tenir compte qu’une longue liste d’états nationaux ont été créées de manière tragique à la suite des occupations, du déracinement massif des populations, de l’expropriation coloniale et de la politique nationaliste visant à modifier la composition démographique en faveur du groupe national-ethnique au pouvoir. Cependant, la question importante, également par rapport aux États-Unis par exemple, est de savoir comment il est possible de passer d’une réalité d’oppression et de vol à une solution aux problèmes fondamentaux et à l’établissement d’une société nouvelle, démocratique et égalitaire. La gauche marxiste ne peut pas se contenter de montrer le caractère réactionnaire des régimes et leur histoire sanglante – elle doit montrer comment les nations capitalistes et impérialistes sont fondées sur des contradictions, comment elles pourraient se scinder en classes et comment il serait possible de surmonter les calamités de l’ère capitaliste et impérialiste de cette façon. Ainsi, l’État d’Israël n’est pas seulement un État colonial/colonisé, gouverné par une nationalité et expropriant une autre – c’est aussi un état capitaliste d’exploitation et d’oppression de classe dans une société de classe en crise.

    Des parties de la gauche internationale ont tendance à adopter une attitude nationaliste envers les millions de Juifs israéliens, comme un bloc de réaction, une société de colons, dans laquelle la contradiction fondamentale n’en est pas une de classe mais nationale, et dans laquelle les masses n’ont aucun intérêt réel à mettre fin à l’oppression des Palestiniens, à la libération sociale ou au changement socialiste. C’est une abstraction grossière de la réalité. Une telle approche réduit, en fait, la responsabilité des généraux, des magnats et des partis nationalistes pour les horreurs qu’ils aident à créer. C’est une approche qui dépeint la société israélienne d’une manière non dialectique et presque sans contradiction interne.

    Bien que l’antagonisme national soit généralement le plus important et freine le développement de la lutte de classe du côté des travailleurs, l’antagonisme de classe est néanmoins la contradiction interne fondamentale qui sape « l’unité nationale » et représente le potentiel pour dépasser la société capitaliste israélienne et construire une nouvelle société. Objectivement, et indépendamment des humeurs et des perceptions réactionnaires qui sont répandues au stade actuel, la classe ouvrière israélienne a un rôle clé à jouer dans la lutte contre le capitalisme israélien et pour le changement socialiste de la société.

    Certes, certaines couches de la classe ouvrière israélienne, par exemple dans les grandes colonies, sont « soudoyées » afin de soutenir politiquement l’entreprise de colonisation, y compris avec certains avantages économiques directs et indirects. Mais une analyse plus large des intérêts de la classe ouvrière n’indique aucun intérêt économique essentiel, ni un véritable « profit politique ». Les capitalistes israéliens profitent des zones industrielles des colonies et généralement de la surexploitation des Palestinien·ne·s comme main-d’œuvre bon marché (bien que ce soit une part restreinte de l’ensemble des profits de la classe capitaliste israélienne, alors que la politique principale du sionisme et du capitalisme israélien aux Palestiniens est le déracinement et l’expropriation, dans le but de renforcer la base sociale du régime). En outre, il est intéressant de noter que les capitalistes sont moins exposés que les travailleurs aux confrontations basées sur le nationalisme dans les rues et les lieux de travail et aux risques de sécurité personnelle résultant du conflit.

    La classe ouvrière israélienne-juive – les travailleurs discriminé·e·s de Mizrahi et les milieux éthiopiens et les anciens travailleurs de l’URSS, mais aussi les travailleurs descendants ashkénazes – ne souffre pas le même niveau d’oppression et de pauvreté que les masses palestiniennes. Mais elle souffre collectivement du « diviser pour régner » sur une base nationale, rivalisant dans une course contre la main-d’œuvre bon marché, et souffre surtout des conséquences politiques du conflit perpétué. Généralement, les couches non négligeables ont même tendance, dans une certaine mesure, à avoir une attitude réservée vis-à-vis de l’entreprise de colonisation et à en être aliénées. La réaction nationaliste-raciste en son sein ne repose pas, fondamentalement, sur un intérêt économique mais surtout sur des peurs existentielles sur la sécurité (plus que tout autre problème, notamment la discrimination ethnique historique de Mizrahis, que les partis Likoud et Shas exploitent cyniquement). Cela signifie que cette section est politiquement enchaînée à la classe dirigeante sur la base d’une fausse politique capable de répondre à ses intérêts de sécurité. Comme mentionné précédemment, au profit de la classe dirigeante israélienne, d’autres forces réactionnaires au Moyen-Orient se mobilisent pour contribuer à ce résultat.

    Il existe de puissants mécanismes idéologiques permettant au nationalisme sioniste de mobiliser le soutien même parmi les parties du public arabo-palestinien en Israël, particulièrement les travailleurs·eus druzes et bédouins et les pauvres, mais cela ne signifie pas que ces mécanismes sont basés sur les intérêts fondamentaux de ces groupes. La gauche marxiste devrait aider à faire la lumière sur le fait que, finalement, l’intérêt fondamental de la classe ouvrière des deux côtés du schisme national est une lutte commune contre les crimes de la classe dirigeante israélienne. Le conflit israélo-palestinien n’est bien sûr pas symétrique et il a un caractère national-colonial, entre une nationalité oppressive et expropriante et une nationalité opprimée et expropriée. Mais la gauche marxiste ne peut pas adopter une approche nationaliste simpliste de la société israélienne. Contrairement aux idées qui favorisent la « normalisation » de l’occupation et de l’oppression des Palestiniens – y compris les relations économiques et militaires entre l’Autorité palestinienne et le gouvernement Netanyahou – la gauche marxiste devrait promouvoir la lutte contre l’oppression nationale, le dialogue et les luttes conjointes des deux côtés de la fracture nationale, en particulier des travailleurs, ce qui aidera à clarifier les grands intérêts communs dans une lutte contre le capitalisme israélien et pour une nouvelle société, sans aucune discrimination nationale.

    Alors que les approches qui cherchent à mettre une « culpabilité collective » et à prendre, par exemple, l’action d’un boycott généralisé contre la société israélienne, pourraient donner l’impression que la lutte est généralement contre les Israélien·ne·s et ainsi faire le jeu de l’aile droite israélienne, une approche de classe à la société israélienne, ainsi que des initiatives de boycott plus sélectives et ciblées, pourraient constituer une menace beaucoup plus sérieuse contre la droite israélienne. Contrairement aux traditions staliniennes, la gauche marxiste n’abandonne jamais une analyse de classe ou un programme politique de classe en faveur d’une approche nationale ou « patriotique » des luttes progressistes qu’elle soutient, même lorsqu’il s’agit de luttes de libération nationale.

    Notre programme politique de base est la lutte pour éradiquer toutes les formes de discrimination et d’oppression dans la société et pour une société socialiste au niveau régional et mondial, qui surmontera tous les schismes nationaux et ethniques. Cependant, il ne suffit pas de parler uniquement de la future société socialiste, surtout si l’on considère la centralité de la lutte nationale des Palestiniens et le conflit national. Dans les circonstances actuelles, un programme qui inclura la reconnaissance d’un droit égal à l’existence et à l’autodétermination, qui sera exprimé dans deux états socialistes avec des droits égaux, avec des droits égaux pour les minorités, et aspirant à ce que les deux états travaillent volontairement dans un cadre confédératif commun et dans le cadre d’une confédération d’États socialistes de la région, pourrait potentiellement convaincre de larges couches des deux côtés de la fracture nationale et servir de base à une lutte commune contre le capitalisme israélien et pour la justice sociale et la paix. Nous ne présumons pas une carte prête à l’emploi avec de nouvelles frontières – cette question et d’autres finiront par être décidées à la suite de processus démocratiques menés par de larges mouvements.

    Tenant compte des profondes lacunes actuelles dans les perceptions politiques des deux côtés de la fracture nationale et dans la région, influencés en ce moment par le manque de partis socialistes forts, et compte tenu de la suspicion à l’égard de la position des « deux États », il est clair que le point de départ pour expliquer et promouvoir ce programme, y compris par des slogans politiques, ne peut être identique dans toutes les situations. Mais le programme lui-même est à notre avis le programme objectivement nécessaire aujourd’hui. En même temps, nous sommes certainement ouverts au développement d’une discussion fructueuse sur cette question avec les mouvements de gauche et socialistes des deux côtés et au niveau international.

    La tendance des parties de gauche à identifier arbitrairement les tendances dangereuses de la réaction dans la société israélienne comme « fascisme » est dangereuse sur le plan politique, car elle peut conduire à des conclusions erronées sur les opportunités à l’ordre du jour et sur la stratégie et la tactique l’étape actuelle. D’ailleurs, les attaques sévères contre les libertés démocratiques en Turquie, en Russie ou en Égypte, aussi brutales soient-elles, ne représentent pas des régimes fascistes.

    Néanmoins, il existe un besoin important de formations de défense communautaire – démocratiques et armées si nécessaire – contre les attaques des colons, de l’armée et de la police dans les villes palestiniennes de Cisjordanie, à Jérusalem-Est, en même temps qu’il y a un besoin de forces politiques de gauche et socialistes qui proposeraient un moyen de lutte politique pour le changement. Il est clair que l’organisation d’une lutte politique est plus complexe dans les territoires de 67 dans des conditions de répression intense et meurtrière – tout militant risque l’emprisonnement et la mort – d’abord sous la dictature militaire du régime israélien, mais aussi sous les gouvernements de l’Autorité palestinienne et le Hamas. La grève de masse populaire organisée par les enseignants en Cisjordanie en février-mars a été la plus grande lutte des travailleurs des dernières années dans les territoires de l’Autorité. Elle a réussi à secouer un syndicat bureaucratique, a secoué l’Autorité palestinienne elle-même, qui sert de sous-traitant de l’occupation, et a ramené à l’ordre du jour la perspective d’un mouvement de couches plus larges vers la lutte.

    Des développements de ce type peuvent créer la base de la croissance des forces de gauche et socialistes qui proposeront une alternative à l’impasse des dirigeants de droite du Fatah et du Hamas. Promouvoir l’idée d’assemblées populaires dans les villes et les quartiers pourrait aider à développer une discussion sur la stratégie, les tactiques et les demandes, à impliquer des couches plus larges et à élire des comités d’action démocratiques. Le régime Netanyahou est loin de s’appuyer sur un large soutien du public israélien. Il est nettement plus faible que le régime de Sharon lors de la deuxième Intifada. Il a été présenté avec – en 2011 – le plus grand mouvement de protestation sociale dans l’histoire d’Israël et avec une série de luttes sociales. Malgré l’utilisation claire de la démagogie nationaliste-raciste pour mobiliser les électeurs, Netanyahou n’a pu former au Knesset que des coalitions gouvernementales de majorités très éprouvées, qui n’ont été rendues possibles que par l’aide de nouveaux partis capitalistes qui promettaient un « changement », comme ceux de Lapid et Kahlon.

    D’une part, l’idée que l’oppression des Palestiniens et les problèmes du conflit seraient résolus à la suite des pressions exercées sur Israël par d’autres gouvernements capitalistes est une illusion. La solution ne viendra pas de l’extérieur. Mais néanmoins, les développements qui montrent le potentiel et les réalisations pour les mouvements de masse et pour la gauche régionale et internationale ont influencé – comme cela s’est produit pendant les révolutions arabes en 2011 – et influenceront encore l’ouverture aux idées de gauches, de classe et socialistes parmi les couches de la classe ouvrière et la classe moyenne dans les deux groupes nationaux. Le tremblement de terre politique représenté par la campagne de Sanders aux États-Unis est déjà un certain point de référence.

    La promotion de collaborations fondées sur des principes entre les forces politiques de gauche pourrait aider à surmonter l’absence d’une force politique basée sur la classe ouvrière dans les deux groupes nationaux et à commencer à mettre une alternative socialiste à l’ordre du jour national. Le Socialist Struggle Movement est pleinement engagé dans une lutte basée sur une approche de classe et internationaliste et nous avons pleinement confiance dans le potentiel des idées socialistes et marxistes pour convaincre et gagner le soutien des deux côtés de la fracture nationale.

  • 10 ans après le krach financier : une réponse socialiste à la crise capitaliste

    Le 15 septembre dernier, une rencontre particulière a eu lieu dans un lieu tenu secret à Londres. Des banquiers de premier plan qui faisaient partie de Lehman Brothers – autrefois la quatrième banque d’investissement au monde – y ont célébré le dixième anniversaire de son effondrement en 2008 avec ‘‘cocktails et canapés’’. La disparition de cette banque d’investissement a marqué un tournant majeur dans la crise financière déjà en cours depuis 2007, mais qui s’est ensuite transformée en un krach économique mondial.

    Par Steve Score, Socialist Party, section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et au Pays de Galles.

    L’économie mondiale ne s’est toujours pas totalement remise de cette crise qui a fondamentalement changé la politique à travers le monde. Les milliards de personnes qui ont subi les conséquences de ces événements avec une dégradation de leurs conditions de vie n’avaient vraiment aucune raison de se réjouir !

    Jusqu’à l’effondrement de Lehman Brothers, les gouvernements, banquiers et économistes répétaient encore à l’envi que le capitalisme basé sur un marché libre non réglementé, avec une intervention limitée de l’État, était systématiquement la meilleure option. Ils se sont alors rendu compte que, s’ils n’intervenaient pas, ils risquaient non seulement un accident, mais un accident de l’ampleur de celui de 1929. Cet événement a entraîné la grande dépression des années 1930, avec toutes ses conséquences, y compris la révolution et la contre-révolution. Ils ont été forcés d’agir.

    L’intervention des autorités

    Les gouvernements capitalistes néolibéraux ont totalement changé d’approche. Ils ont nationalisé et subventionné les banques. Ils ont injecté des milliards de dollars dans les économies du monde entier. Cela n’était pas à destination de la classe des travailleurs. Tous les efforts visaient les banques et les institutions financières. Cette énorme intervention des autorités a empêché une répétition du crash de 1929, mais cela n’a pas permis de stopper l’important ralentissement économique mondial.

    Il ne s’agissait bien sûr pas de nationalisations socialistes mais plutôt de ‘‘socialisme pour les riches’’ dans le but de soutenir le capitalisme. Les faiblesses du capitalisme ont été mises en évidence. Parallèlement, des millions de personnes perdaient leur emploi et leur maison. Mais aucune subvention n’est venue soutenir leurs conditions de vie ! De leur côté, les banquiers qui ont précipité l’économie dans la crise n’ont pas été sanctionné pour leur rôle. Ils ont même pu continuer à récolter des bonus de plusieurs millions de dollars.

    Une fois de plus, les événements ont prouvé la justesse du marxisme. Parfois, ce furent même les principaux porte-parole du capitalisme qui s’accordaient à contrecœur à dire que l’analyse de Marx sur le capitalisme était rigoureusement exacte. L’an dernier, on a pu lire dans les pages de The Economist que ‘‘beaucoup de ce que Marx a dit semble devenir plus pertinent de jour en jour’’. Bien sûr, leur conclusion n’est pas de se débarrasser du capitalisme, mais de le consolider.

    La crise économique fait partie de l’ADN du capitalisme. Les périodes de croissance et d’effondrement périodiques n’ont jamais été éliminées, avec leur destruction de valeur, de capacités productives et compétences à grande échelle. Les effondrements affectent radicalement les conditions de vie de la classe ouvrière et, en même temps, démontrent le gaspillage et l’absurdité du capitalisme en tant que système. Depuis des centaines d’années, les économistes capitalistes ont été incapables de résoudre ce problème fondamental.

    Expansion et récession

    Dans chaque boom économique, les représentants des capitalistes prétendent avoir trouvé la réponse ! Gordon Brown, ancien Premier ministre britannique travailliste en place au moment de l’effondrement, avait prétendu à plusieurs reprises avoir résolu les maux du capitalisme. Il l’a encore affirmé dans son discours sur le budget de 2007, quelques mois seulement avant le début de la crise.

    Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) avait depuis longtemps analysé les processus qui conduiraient à l’inévitable crash. Toute la question était de savoir quand cela surviendrait. Cette conviction n’a pas été formulée à la manière grossière de ceux qui prétendent qu’une crise catastrophique se profile à l’horizon chaque année, mais sur base d’une analyse sobre des facteurs économiques.

    Le déclencheur immédiat de la crise a été la perte de confiance dans les grandes banques d’investissement qui avaient investi dans des prêts qui, en réalité, ne seraient jamais remboursés. Sur fond de bulle immobilière, le marché américain des ‘‘subprimes’’ accordait des prêts à des personnes qui n’avaient pas les moyens de les rembourser. Ces dettes extrêmement risquées ont ensuite été vendues sous forme de produits financiers, mélangées à d’autres prêts de manière complexe. Les banques ont réalisé d’énormes profits sur leurs spéculations, mais celles-ci reposaient sur une construction financière fragile de dettes et de risques.

    Une série de formes de spéculation initialement destinées à répartir le risque s’est transformée en ‘‘instruments financiers de destruction massive’’. Les problèmes sont apparus lorsque certains de ces risques ont commencé à faire faillite et que les banques ont commencé à admettre qu’elles n’avaient aucune idée de la valeur réelle de leurs fonds de placement. Lehman Brothers avait emprunté 35 fois plus que la valeur de ses actifs.

    Les banques dans leur ensemble étaient ‘‘sous-capitalisées’’, en accordant des prêts beaucoup plus importants qu’elles n’avaient d’actifs. Le château de cartes du monde de la finance a commencé à s’effondrer et son impact s’est répandu dans le monde entier. La crise financière s’est inévitablement étendue à l’économie réelle, à la production de biens matériels. À ce moment-là, le gouvernement américain est intervenu pour renflouer de grandes banques d’investissement comme Bear Stearns et les courtiers en hypothèques soutenus par le gouvernement Freddie Mae et Fannie Mac.

    Au Royaume-Uni, le gouvernement a dû intervenir pour sauver la banque Northern Rock, la Royal Bank of Scotland (RBS) et Lloyds. Le chancelier Alastair Darling a rappelé qu’il avait eu une conversation avec le président de la RBS, alors la plus grande banque du monde, qui a déclaré qu’elle manquait de liquidités. Quand Darling lui a demandé ‘‘combien de temps avons-nous ?’’, on lui a répondu ‘‘quelques heures’’.

    La cause sous-jacente de cette crise était bien plus qu’une simple spéculation financière qui a mal tourné. Partout dans le monde, la dette avait atteint des niveaux sans précédent. Nous avons commenté ces causes à l’avance.

    En décembre 2006, Lynn Walsh a écrit dans le magazine Socialism Today un article intitulé : ‘‘L’économie américaine se dirige-t-elle vers la récession ?’’ Il a expliqué que le boom avait, jusqu’alors, été soutenu par l’endettement des consommateurs. Mais l’inégalité croissante et l’appauvrissement constant des travailleurs au cours d’un certain nombre d’années ont contribué à l’instabilité de l’économie. Il disait alors du capitalisme américain : ‘‘Son orgie de profits à courts termes a sapé ses propres fondements, et le système fait face à un avenir de crise économique et de bouleversements politiques.’’

    Dans un autre article, publié en mai 2007, nous avons expliqué : ‘‘Derrière la marée de liquidités, il y a une source plus profonde, la suraccumulation de capital. Les capitalistes n’investissent leur argent que s’ils peuvent trouver des domaines d’investissement rentables. Depuis la dernière phase de la reprise d’après-guerre (1945-73), les capitalistes ont eu de plus en plus de mal à trouver des domaines d’investissement rentables dans la production. Malgré la croissance de nouveaux produits et de nouveaux secteurs de l’économie, il existe dans de nombreux secteurs une surcapacité par rapport à la demande de crédits garantis. Des milliards de personnes manquent de produits de première nécessité. Mais ils n’ont pas les revenus nécessaires, le pouvoir d’achat, pour acheter les biens et services disponibles dans le cadre de l’économie capitaliste.’’

    Les contradictions du capitalisme

    L’inégalité et l’exploitation sont ancrées dans les fondements du capitalisme. Marx a expliqué que le capitalisme repose sur la création de profit. Cela provient du travail non rémunéré des véritables créateurs de richesse, la classe ouvrière. Les travailleurs créent de la valeur, mais les patrons font des profits en les payant moins que la valeur qu’ils produisent. Avec le temps, les travailleurs ont tendance à être incapables à racheter la pleine valeur de ce qu’ils produisent, ce qui entraîne une surcapacité de production.

    Cette contradiction peut être surmontée par le capitalisme pendant un certain temps si les capitalistes réinvestissent ce surplus dans la production. Mais aujourd’hui, ils n’y parviennent pas, ils ne remplissent même pas leur mission historique de développer les forces productives. C’est ce qui sous-tend le cycle d’extension et de récession du capitalisme.

    Dans la période qui a précédé 2007, la bulle de la dette a soutenu la croissance économique pendant longtemps. Il a fallu qu’elle finisse par éclater. L’élément déclencheur, ce fut les prêts hypothécaires à risque. Mais cela aurait pu être une conséquence des nombreux problèmes qui existent dans ce système.

    Nous nous opposons à l’anarchie du capitalisme, un système fondamentalement non planifié, motivé par la nécessité de profits pour les propriétaires individuels et les grandes entreprises, au détriment de la satisfaction des besoins de la société et d’une planification socialiste démocratique. Pour pouvoir planifier l’économie, il faut la retirer des mains des ultra-riches et en faire une propriété publique. L’éclatement de la bulle a eu un impact immédiat sur l’économie réelle. Dix millions d’emplois ont été perdus aux États-Unis et en Europe.

    Cette situation a été exacerbée par les mesures d’austérité imposées par les gouvernements. La récession réduit les recettes du gouvernement, car les gens gagnent moins et payent moins d’impôts. Plus les autorités réduisent les dépenses publiques, moins les gens ont à dépenser, ce qui crée un cercle vicieux. Nous avons maintenant le plus haut niveau de dette publique depuis la Seconde Guerre mondiale.

    Les mesures d’austérité ont dévasté les services publics. Le niveau de vie réel, pour la grande majorité, ne s’est pas rétabli par rapport à son niveau d’avant 2007. Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre, a déclaré l’an dernier qu’il n’y a pas eu de période de si faible croissance des revenus en Grande-Bretagne depuis le XIXe siècle.

    Les inégalités ont continué de grimper en flèche : la valeur nette des 500 premiers milliardaires du monde a augmenté de 24 % pour atteindre 5,38 milles milliards de dollars en 2017. Oxfam affirme que 82 % de la richesse générée l’an dernier est allée au 1 % le plus riche de la population mondiale. La moitié la plus pauvre du monde – 3,7 milliards de personnes – n’a pas connu d’augmentation.

    La reprise

    La “reprise” économique depuis 2008 a été extrêmement faible et de nombreux facteurs laissent présager qu’un nouvel effondrement économique se profile. La dette a de nouveau augmenté, atteignant aujourd’hui 240 % de la production mondiale annuelle totale, soit 30.000 $ par personne ! Le rédacteur en chef américain du Financial Times parle ainsi des banques : ‘‘Ce qui s’est passé, c’est que la dépendance à l’égard de la dette privée – l’héroïne, si vous voulez – a été remplacée par une dépendance à l’égard de la dette publique – la morphine. Le système dans son ensemble est toujours déséquilibré.’’

    Toute une série de menaces pèsent sur l’économie mondiale, notamment le protectionnisme commercial croissant, ainsi que les troubles politiques et le changement climatique.

    Le marxisme n’est pas déterministe. Il n’y a pas de ‘‘crise finale’’ du capitalisme. Ce système ne s’effondrera pas de lui-même. C’est le rôle de la classe ouvrière au niveau international, avec le soutien de la grande majorité de la population mondiale, de mettre fin au capitalisme et de le remplacer par un système plus sain et plus humain. Le rôle des socialistes est de fournir une analyse, une alternative et une stratégie.

    Les banques et les institutions financières, ainsi que le nombre relativement restreint de grandes entreprises qui dominent l’économie doivent être nationalisées et placées sous contrôle démocratique. Cela permettrait de mettre en place un plan de production économique visant à produire ce qui est nécessaire, en utilisant les ressources du monde de manière durable et au profit de la société tout entière. Cela permettrait de mettre fin à la pauvreté, à l’inégalité et à toutes les horreurs causées par le capitalisme.

    Mais pour y parvenir, nous devons construire un mouvement de masse et une force socialiste qui puisse intervenir dans les événements. Le résultat de l’austérité imposée au monde depuis 2008 a été l’instabilité politique. D’énormes mouvements ont eu lieu à gauche dans de nombreux pays, mais on a également connu une croissance du populisme de droite et de l’extrême droite. Les gens sont de plus en plus désabusés par les partis politiques établis.
    Au cours des prochaines années, nous serons confrontés à une série de crises économiques et à la recherche de réponses par des millions de travailleurs et de jeunes. Nous devons construire des partis de masse armés de réponses socialistes face à la crise du capitalisme.

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