Category: Economie

  • La banque SVB s’effondre. Vers une nouvelle crise bancaire mondiale ?

    La menace d’une crise bancaire plane sur l’économie mondiale après le krach de la Silicon Valley Bank (SVB), la deuxième plus grande faillite bancaire de l’histoire des États-Unis…

    Editorial d’Offensiv, journal de Rattvisepartiet Socialisterna (section suédoise d’ASI)

    https://fr.socialisme.be/95039/interview-en-degradant-les-conditions-materielles-dexistence-des-gens-ce-systeme-ne-fait-que-se-jeter-dans-la-gueule-du-lion
    https://fr.socialisme.be/94888/le-capitalisme-plonge-de-crise-en-crise-revolte-e-viens-redecouvrir-marx-et-le-socialisme-revolutionnaire

    De nombreux marchés gonflés ont été plongés dans la tourmente. Les marchés boursiers ont été frappés par une “frénésie bancaire mondiale”. La hausse de Wall Street de cette année a été anéantie et les transactions sur les obligations d’entreprises se sont arrêtées net. La fin d’une période de près de 15 ans pendant laquelle l’argent bon marché semblait être une source inépuisable – à taux d’intérêt faibles ou nuls – a également marqué le début de la fin pour la SVB.

    L’abondance d’argent bon marché a gonflé les actifs, les bénéfices et les cours boursiers pendant une longue période et a servi de lubrifiant pour les opérations spéculatives, mais le retour de l’inflation l’année dernière a mis fin à cette époque. En lieu et place de l’argent bon marché, les taux d’intérêt (le prix de l’argent) ont augmenté parallèlement à la hausse de l’inflation, augmentant ainsi la probabilité de crises financières et de la dette. Depuis le début de l’année 2022, la Réserve fédérale américaine a augmenté son taux d’intérêt directeur de 0,25-0,50 % à 4,50-4,75 %, soit une augmentation de plus de 1.000 %.

    Le fait que certaines banques dites “de niche” aient été les premières à s’effondrer sous le poids des taux d’intérêt élevés et de la baisse de la valeur des actifs n’est que le début de plusieurs effondrements du secteur financier. Le prochain pourrait bien se produire dans le secteur immobilier surendetté. Ou comme l’a écrit l’économiste américain Kenneth Rogoff dans le Guardian du 5 janvier : « La hausse des taux d’intérêt, par exemple, a exercé une pression énorme sur les sociétés de capital-investissement qui ont emprunté massivement pour acheter des biens immobiliers. Aujourd’hui, alors que l’immobilier résidentiel et commercial est sur le point de connaître une chute brutale et durable, certaines de ces sociétés vont très probablement faire faillite. »

    La faillite de la SVB la semaine dernière a été suivie deux jours plus tard par celle de la “crypto-banque”, Signature Bank, ce qui en fait la troisième plus grande faillite bancaire de l’histoire des États-Unis. Ces deux banques ont été prises en charge par les autorités américaines dans l’attente d’éventuels repreneurs.

    Cette semaine a commencé avec une autre banque américaine, la First Republic Bank, qui a frôlé la faillite après que le cours de son action a chuté de près de 60 % en une journée (13 mars). « La Silicon Valley Bank avait fait d’énormes investissements au moment où les prix des obligations (de la pandémie) atteignaient des sommets. Depuis la pandémie, les taux d’intérêt américains ont augmenté très rapidement et les prix des obligations se sont effondrés. Il en a résulté des pertes importantes », a écrit le quotidien suédois Dagens Nyheter le 13 mars.

    La SVB est loin d’être la seule banque ou entreprise à avoir enregistré des pertes importantes sur des transactions similaires. Même la Riksbank suédoise (banque centrale) a subi des pertes importantes sur les achats d’obligations pendant la pandémie et les contribuables pourraient devoir contribuer à hauteur de 50 à 70 milliards de couronnes suédoises pour les payer.

    En l’espace de 48 heures, les actions détenues par le fonds de pension suédois Alecta dans les deux banques américaines en faillite ont perdu leur valeur et 12 milliards de couronnes suédoises (1,1 milliard de dollars américains), qui devaient servir à financer les retraites futures, ont été perdues. « Ceux qui ont une pension professionnelle chez Alecta et qui sont nés en 1979 ou plus tard seront affectés par les investissements fracassés (d’Alecta) » (SvD Näringsliv, 13 mars). Les pensions ne devraient pas être déterminées par le marché boursier et les spéculateurs : un système de pension entièrement neuf est nécessaire.

    Il reste à voir s’il s’agit du début d’une nouvelle crise bancaire mondiale. Mais les faillites bancaires ont montré à quel point le système financier est fragile. L’effondrement des banques aux États-Unis n’est pas non plus le premier signe de l’imminence d’une crise financière. En septembre dernier, le Royaume-Uni était au bord de l’effondrement de ses marchés obligataires et de son système de retraite. La crise n’a été évitée que grâce aux achats massifs d’obligations d’État subventionnés par la banque centrale.

    Les effondrements bancaires de ces derniers jours ne sont pas une coïncidence, mais une conséquence directe de la crise stagflationniste du capitalisme (inflation et croissance stagnante, voire négative), et même si les banques centrales ralentissent temporairement le rythme des hausses de taux d’intérêt, de nouvelles crises ne sont pas loin, et les pauvres et les travailleurs du monde entier en paieront le prix.

    Il n’y a pas d’issue dans le cadre du système capitaliste, il faut l’abolir pour faire place à un monde socialiste et à une économie planifiée démocratiquement pour assurer les besoins communs et l’avenir de la planète.

  • Crise de l’économie mondiale. «Just in time» et plongée dans le chaos

    Au fur et à mesure que les luttes se développent, l’idée de faire fonctionner la société « juste à temps » et avec juste ce qui est nécessaire pour assurer les profits sera de plus en plus considérée comme une erreur. Elle fera place à l’idée de faire fonctionner la société pour répondre aux besoins humains et protéger l’environnement.

    Par Bill Hopwood, Socialist Alternative (ASI-Canada)

    La production « Just in time » / « juste-à-temps » a constitué un élément clé du processus du néolibéralisme et de la mondialisation, dans le cadre de la volonté de maximiser les profits. D’abord utilisée au Japon dans les années 1970, elle s’est répandue dans le monde entier et, au-delà de la fabrication, dans presque toutes les facettes de l’économie capitaliste et des systèmes de gestion.

    L’idée de base est que les fabricants ne détiennent pas de stocks de pièces et de matières premières. Au contraire, ceux-ci sont livrés juste à temps pour le moment où ils doivent être utilisés. Cela permet d’économiser les coûts de stockage – le terrain et la construction d’un entrepôt ainsi que le catalogage et la gestion des matériaux stockés.

    Toutefois, le système nécessite de nombreux composants. Il a besoin de fournisseurs et d’une logistique fiables pour que les matériaux arrivent à temps et dans la quantité requise. Il nécessite un suivi précis des stocks disponibles, afin qu’aucun composant ne vienne à manquer. Il repose sur une connaissance prévisible ou précise de la demande afin que les bons composants soient disponibles pour répondre à cette demande. À l’origine, au Japon, les chaînes d’approvisionnement étaient courtes, les fabricants de composants étant proches de l’usine d’assemblage final.

    L’effondrement du stalinisme, l’ouverture de la Chine au commerce mondial et sa transformation en économie capitaliste ont permis aux chaînes d’approvisionnement en « juste-à-temps » de s’étendre dans le monde entier pour exploiter des coûts de main-d’œuvre plus faibles. Pour que cela fonctionne, l’adoption généralisée des conteneurs a été nécessaire, ce qui rend l’expédition des marchandises beaucoup moins chère et plus rapide que lorsque les marchandises en vrac étaient chargées dans des navires. Les ordinateurs et les codes-barres ont permis un suivi plus fiable des marchandises. Les longues chaînes d’approvisionnement comportant de nombreux composants, qui arrivent tous juste à temps et alimentent la production finale, nécessitent une main-d’œuvre qui ne perturbe pas le mouvement constant des marchandises.

    Juste assez plutôt que juste au cas où

    Les méthodes du « juste-à-temps » se sont étendues de la fabrication à la plupart des facettes de la vie. Les détaillants avaient des stocks minimums, comptant sur un flux constant de livraisons.

    Les idées néolibérales selon lesquelles même les services publics devraient fonctionner selon des modèles de profit – les marchés internes dans le domaine de la santé par exemple – les idées du « juste-à-temps » se sont étendues aux services. Auparavant, comme la fiabilité du service était la priorité, une certaine capacité de réserve était intégrée au système, juste en cas de problèmes imprévus. Le système du « juste-à-temps » a supprimé la capacité de réserve pour fonctionner « à flux tendu ».

    Les hôpitaux ont réduit leur capacité de réserve qui était prévue pour faire face aux urgences. Le Canada a réduit le nombre de lits d’hôpitaux pour soins intensifs, passant de 4,99 lits pour 1.000 habitants en 1976 à seulement 1,96 en 2018. Avant le COVID, les hôpitaux, même dans les pays riches du Nord, connaissaient une crise chaque hiver, en raison de l’augmentation des cas de grippe.

    À une époque, les fournisseurs de transports publics disposaient d’équipes de réserve pour faire face aux maladies et autres imprévus. Pour les gestionnaires et les comptables qui géraient de plus en plus ces services, payer des travailleurs pour qu’ils soient en réserve était une dépense inutile. Les effectifs ont été réduits au strict nécessaire.

    L’incapacité persistante de nombreux pays et entreprises à investir dans la maintenance est une bombe à retardement due au « juste-à-temps ». Les décideurs ne voyaient pas la raison de dépenser de l’argent pour l’infrastructure et la maintenance, alors que cet argent pouvait être consacré aux bénéfices ou à des réductions d’impôts pour les riches. Pourquoi faire aujourd’hui quelque chose qui peut être reporté à demain ? Le manque d’entretien a été géré simplement comme un problème pour plus tard. Mais cet avenir se rapproche de plus en plus. Les investissements publics américains dans les infrastructures ont chuté de plus de 40 % en pourcentage du PIB depuis les années 1960. Aujourd’hui, près d’un pont routier sur quatre aux États-Unis est défectueux. Le coût de la réparation du retard accumulé dépasse désormais 1000 milliards de dollars.

    Au cours de l’été 2022, de grandes parties de l’Angleterre étaient soumises à des restrictions d’utilisation de l’eau en raison de la sécheresse. Pourtant, près d’un quart de l’eau est perdue dans les tuyaux qui fuient. Les compagnies des eaux privatisées font de gros bénéfices – 72 milliards de livres sterling de dividendes ont été versés entre 1989 et 2021 – obtenus en partie en privant le système de maintenance. Au rythme actuel des remplacements, il faudra 2.000 ans pour remplacer toutes les canalisations d’eau de l’Angleterre, des canalisations qui sont censées durer 100 ans au maximum.

    Le transport ferroviaire de marchandises au Canada est vital pour l’économie selon le gouvernement, qui a légiféré pour que les travailleurs en grève reprennent le travail à plusieurs reprises. Pourtant, les entreprises privées, Canadian Pacific et Canadian National, sont autorisées à sous-investir dans l’entretien du réseau. Les trains de marchandises circulent à une vitesse moyenne de 39 kilomètres par heure, et beaucoup plus lentement à travers les Rocheuses. En 2019, 78 déraillements en voie principale ont eu lieu, et 5 travailleurs ont été tués et 15 gravement blessés. Certains de ces déraillements ont déversé des produits chimiques toxiques et provoqué des incendies. En 2022, CP a annoncé des bénéfices annuels de 6,6 milliards de dollars, tandis que ceux de CN étaient de 4,9 milliards de dollars.

    Depuis des décennies, les investissements dans les compétences par le gouvernement et les entreprises ont été réduits. Autrefois, les employeurs payaient les travailleurs pour qu’ils acquièrent des compétences, par le biais d’apprentissages rémunérés ou de formations en cours d’emploi, et les gouvernements prenaient en charge la majeure partie du coût des diplômes universitaires. Aujourd’hui, ce sont surtout les jeunes et les travailleurs qui paient l’éducation et la formation, accumulant ainsi les dettes. Il y a eu le mythe selon lequel la société n’avait pas besoin de travailleurs qualifiés, tout était une question « d’économie de la connaissance ». Cependant, les humains vivent dans un monde analogique, avec une plomberie et des maisons matérielles, mangent des aliments matériels et se déplacent dans des véhicules matériels. Pendant des années, les entreprises ont sous-investi dans la formation de travailleurs qualifiés, se fiant au bassin de travailleurs existant, et aujourd’hui, 700.000 travailleurs qualifiés prendront leur retraite d’ici 2028. Le Canada est confronté à une pénurie de 55.000 chauffeurs de camion.

    Au Canada, il faut huit ans d’université pour devenir médecin, ce qui coûte entre 200.000 et 300.000 dollars si l’on compte les frais universitaires, les livres et de quoi vivre. Seuls 5,5 % des candidats sont admis dans les écoles de médecine canadiennes. Aux États-Unis, cela coûte plus cher et en Grande-Bretagne, cela prend plus de temps. Pas étonnant qu’il y ait une pénurie de médecins et d’autres travailleurs médicaux.

    Partout, les systèmes, les réseaux et les politiques d’emploi qui disposaient d’une certaine capacité de réserve au cas où, ont été réduits au minimum pour fonctionner en temps « normal ». Cependant, le monde est plein d’imprévus. Lorsqu’un porte-conteneur, l’Ever Given, s’est échoué dans le canal de Suez, il a perturbé l’une des routes commerciales les plus fréquentées du monde, immobilisé quelque 450 navires et coûté 10 milliards de dollars.

    Et les travailleurs ?

    Le « juste-à-temps » et le « juste-assez » reposent sur une main d’œuvre conforme, dont chaque minute de travail est souvent gérée. Les frappes sur les ordinateurs des travailleurs sont surveillées, les employés des centres d’appels sont réprimandés s’ils font une pause ou s’ils passent trop de temps à discuter avec les clients. Amazon est l’un des exemples les plus extrêmes de ce processus : les moindres gestes des travailleurs sont surveillés par des gadgets électroniques espions qui « observent » les mouvements de leur main. En juste-à-temps, chaque seconde est mesurée. Marx a écrit que le capitalisme fait de l’ouvrier « l’appendice de la machine ». Dans un entrepôt Amazon, un travailleur est la « marionnette de la machine » : chacun de ses mouvements est contrôlé.

    Les chauffeurs de camions longue distance doivent dormir dans la cabine au bord de l’autoroute pour respecter les horaires en flux tendu et en raison du manque d’aires de repos. Les chauffeurs de bus doivent faire pipi dans une bouteille pour respecter les horaires impossibles à respecter. Les travailleurs du secteur de la technologie font souvent de longues heures pour respecter le calendrier impossible que l’entreprise a fixé pour la livraison d’un logiciel ou d’un produit.

    Malgré la pénurie de main-d’œuvre revendiquée et l’inflation galopante, la plupart des employeurs sont toujours réticents à convenir de salaires permettant de relever le niveau de vie ou d’améliorer les conditions de travail.

    Les coûts environnementaux

    Le « juste-à-temps », ainsi que les chaînes d’approvisionnement mondiales, nécessitent un mouvement incessant de ressources, de pièces et de marchandises transportées par des navires, des camions, des avions et des trains. Presque tous ces moyens utilisent des combustibles fossiles. Le transport maritime contribue à lui seul à 3 % des émissions mondiales de CO2 et le fret routier à deux fois plus.

    Outre le CO2, les camions utilisent principalement du diesel et les navires brûlent du combustible de soute, deux formes de pétrole polluant qui produisent de nombreux polluants, notamment du dioxyde de soufre, de l’oxyde nitreux et de petites particules, tous dangereux pour la santé humaine et animale.

    Le transport maritime est bruyant et désoriente de nombreux animaux marins qui utilisent les sons pour communiquer, trouver de la nourriture et se déplacer. La mortalité due au transport maritime est très répandue : baleines, requins et tortues en sont tous victimes. L’abattage par le fret routier est courant, mais n’est pas bien répertorié. On estime que, rien qu’aux États-Unis, un million d’animaux sont tués chaque jour sur les routes. La plupart des animaux tués sur les routes le sont en dehors des grandes villes et la nuit, dans des endroits et à des moments où il y a une forte proportion de camions – qui conduisent la nuit pour le « juste-à-temps », et non pour la santé des camionneurs.

    Les ports sont construits dans des zones autrefois riches en vie, souvent là où les rivières rencontrent la mer. Les larges autoroutes dévorent les terres, constituent des barrières pour les animaux et créent des nuisances sonores.

    Puis vint le COVID

    Le COVID a mis à mal toute cette approche. Les chaînes d’approvisionnement ont été perturbées, la demande de certains biens et services s’est effondrée alors que dans d’autres secteurs, la demande a explosé. Les travailleurs étaient malades ou s’isolaient chez eux.

    Le capitalisme, dans sa volonté de maximiser les profits à court terme, avait supprimé toute capacité de réserve, laissant l’économie mondiale et l’humanité extrêmement vulnérables.

    Les gouvernements avaient estimé qu’il n’était pas nécessaire de stocker des équipements de santé et de protection, car ils risquaient de ne pas être nécessaires. Pourquoi « gaspiller » de l’argent juste au cas où ?

    Soudain, les gouvernements ont « découvert » qu’ils n’avaient pas la capacité de fabriquer des EPI, des masques ou des produits pharmaceutiques ; tout avait été sous-traité pour être livré juste à temps. Mais les gouvernements des pays ayant une capacité de production faisaient passer leurs intérêts nationaux en premier. Le nationalisme et l’impérialisme vaccinaux étaient nés.

    Les conteneurs se sont soudainement retrouvés en quantité insuffisante ou ont échoué au mauvais endroit. Une perturbation, même minime, du système de juste-à-temps se répercute sur les réseaux, les lieux de travail et les systèmes. Des usines automobiles ont arrêté leur production parce que des pièces essentielles n’étaient pas arrivées. Les puces de microprocesseurs, qui sont désormais omniprésentes dans de nombreux produits, ont été particulièrement touchées.

    MAKE.UK, l’organisation qui chapeaute les fabricants britanniques, a indiqué que 60 % des entreprises considéraient les problèmes de chaîne d’approvisionnement comme leur plus grand risque. Un rapport récent indique que « le processus « juste à temps », avec des liaisons de transport pratiquement garanties et une production à faible coût, a été bouleversé, les perturbations et la volatilité accrue devenant rapidement normales ».

    Les hôpitaux qui avaient fonctionné avec « juste assez » avant le COVID ont été submergés. La plupart des systèmes de santé ont à peine survécu, au prix d’un retard dans le traitement de nombreux patients non COVID, avec parfois de graves conséquences pour ces personnes. Aujourd’hui, près de trois ans après le début du COVID, les hôpitaux et les travailleurs sont toujours débordés alors que le COVID continue de circuler parallèlement à la grippe et à une augmentation alarmante du virus respiratoire syncytial (VRS) chez les enfants.

    Dans les secteurs qui ont continué à fonctionner pendant le COVID, les « services essentiels », les travailleurs ont dû faire des heures supplémentaires pour compenser le manque de capacité et de personnel, et faire face aux défis supplémentaires du COVID et de la maladie des collègues.

    Maintenant que les restrictions visant à empêcher la propagation du COVID ont été largement levées, les patrons se plaignent de la pénurie de main-d’œuvre. Dans certains cas, il s’agit en réalité d’une pénurie de bons salaires et de bonnes conditions de travail. Les travailleurs ont décidé qu’il y a autre chose à faire que de travailler de longues heures pour un salaire de misère et de supporter un mauvais patron. Il y a un manque à long terme de travailleurs qualifiés, en raison des faibles niveaux de formation, et beaucoup cherchent à prendre leur retraite.

    Dans d’autres cas, il s’agit d’épuisement professionnel après près de trois ans de travail « essentiel » et donc de surcharge de travail. Il existe encore des niveaux élevés de maladie COVID, car elle est toujours présente dans la société. Aujourd’hui, alors que la Chine assouplit les restrictions draconiennes imposées par le COVID depuis trois ans, il est à craindre que cette maladie ne se propage rapidement et ne perturbe encore davantage la fabrication et les chaînes d’approvisionnement mondiales.

    Trois ans après son apparition, le COVID continue de perturber les chaînes d’approvisionnement, l’économie mondiale et la vie des gens. Le capitalisme, dans sa recherche de profits rapides, a rendu la société mondiale très vulnérable à tout stress.

    La tendance est de plus en plus au « near-shoring » (délocaliser une activité économique, mais dans une autre région du même pays ou dans un pays proche) et au « friend-shoring » (délocaliser dans un pays ami), au lieu de chaînes d’approvisionnement mondiales « just-in-time ». C’est une réponse à la perturbation liée au COVID et au conflit géopolitique croissant entre les États-Unis et la Chine.

    Les travailleurs ont du pouvoir

    L’expérience du COVID a démontré à de nombreux travailleurs qu’ils sont nécessaires au fonctionnement de la société. Un groupe clé de travailleurs est celui de la logistique, dans les ports et les aéroports, dans les navires, les camions et les trains, ainsi que dans l’entreposage et la distribution.

    Le rôle scandaleux joué par Biden et les démocrates pour ordonner aux cheminots américains de reprendre le travail montre le pouvoir de ces travailleurs. L’ensemble du modèle économique d’Amazon repose sur le super-contrôle et l’exploitation des travailleurs. Si les travailleurs d’Amazon se syndiquent et obtiennent un certain contrôle sur leurs conditions de travail, Jeff Bezos ne sera plus aussi riche. Au Canada, le pont Ambassador entre Windsor et Détroit a été bloqué pendant six jours et a fait perdre des milliards de dollars aux entreprises.

    Les travailleurs vont en tirer des leçons et renforcer leur pouvoir pour lutter pour de meilleurs salaires et conditions. Au fur et à mesure que les luttes se développent, l’idée de faire fonctionner la société juste à temps et avec juste assez pour faire des profits sera de plus en plus considérée comme erronée. Elle sera remplacée par l’idée de faire fonctionner la société pour répondre aux besoins humains et protéger l’environnement. Ces idées sont au cœur du socialisme.

  • De l’inflation à la récession : le capitalisme en faillite

    La facture mensuelle d’énergie, l’indexation du loyer ou simplement une visite à la pompe : de nos jours, il y a de quoi avoir le cœur qui s’emballe. Pour la grande majorité des gens, l’augmentation du coût de la vie est un problème palpable et urgent. Et la fin n’est pas encore en vue. D’où vient cette inflation ? Qu’est-ce que cela signifie pour l’avenir ? Que pouvons-nous faire ?

    Dossier de Koerian (Gand), tiré de l’édition de septembre de Lutte Socialiste

    Une tempête parfaite

    Le spectre de l’inflation étend son ombre sur le monde entier. En Belgique, selon Eurostat, l’inflation est de 10,4%, soit près de 2% de plus que la moyenne européenne. Quant à la cause de l’inflation, les médias pointent principalement du doigt la guerre en Ukraine. L’invasion de la Russie a surgi de nulle part et a déséquilibré l’économie mondiale, tel est le discours. Mais ce conflit n’est pas tout simplement tombé du ciel. Il est le fruit d’une accumulation de tensions interimpérialistes entre l’UE et la Russie, l’Occident et la Chine. Lorsque les politiciens et les faiseurs d’opinions pointent du doigt la guerre en Ukraine, c’est parce qu’ils veulent faire l’autruche quant aux causes profondes et complexes de l’inflation et de la crise profonde de leur système capitaliste.

    Bien sûr, la guerre en Ukraine joue un rôle non négligeable. De nombreuses multinationales profitent des pénuries relatives créées par la guerre pour réaliser des profits monstrueux. L’entreprise énergétique Engie a réalisé un bénéfice de 5,2 milliards d’euros au premier semestre 2022. BASF, prétextant la hausse des prix des matières premières, a réalisé un quart de bénéfice en plus au deuxième trimestre de 2022. Elle s’inspire des géants pharmaceutiques et de leurs profits scandaleux durant la pandémie. Ils empochent, nous en faisons les frais. L’arrêt de l’approvisionnement en céréales en provenance d’Ukraine et de Russie est utilisé par les spéculateurs pour faire grimper les prix des denrées alimentaires, principalement aux dépens de la population du monde néocolonial, mais l’inflation est également galopante ici concernant l’alimentation.

    Les tensions entre les puissances mondiales jouent également un rôle dans l’inflation d’une autre manière. La lutte entre les États-Unis et la Chine pour la domination militaire et économique entraîne une démondialisation et une perturbation des chaînes d’approvisionnement. Il y a quelques années encore, les entreprises recherchaient les pays où elles pouvaient produire le moins cher pour y installer leurs usines. Les marchandises sont transportées sur de très longues distances et les stocks sont maintenus au plus bas niveau possible (production en flux tendu) afin de maximiser les profits. Le conflit entre les États-Unis et la Chine, qui s’est exacerbé pendant la pandémie, a fait pression sur ce point. Il a entraîné des problèmes d’approvisionnement qui ont fait grimper le prix des marchandises et encouragé les entreprises à rapprocher leur production de leur domicile.

    La crise écologique a aussi un impact sur la hausse des prix. Les étés secs et chauds et les hivers froids deviennent un facteur économique de plus en plus important. Pas seulement dans les secteurs traditionnellement sensibles au climat comme l’agriculture, d’ailleurs. Cet été, le faible niveau d’eau du Rhin a causé de gros problèmes à l’industrie de la région allemande de la Ruhr. Au cours du premier semestre de cette année, les catastrophes climatiques ont causé des dommages d’une valeur de 35 milliards d’euros. La quasi-sécurité d’une escalade de phénomènes météorologiques extrêmes aura un impact croissant sur l’économie.

    Les montagnes d’argent sur lesquelles sont assis les capitalistes eux-mêmes jouent également un rôle. Le capitalisme s’est en partie défendu contre la crise économique de 2008 en injectant d’énormes quantités d’argent bon marché dans l’économie, ce que l’on appelle l’assouplissement quantitatif, et en maintenant les taux d’intérêt à un bas niveau. Ils espéraient que les entreprises emprunteraient de l’argent et l’investiraient dans l’économie. En réalité, il était beaucoup plus rentable de le thésauriser dans des actions, des biens immobiliers et des bulles spéculatives (par exemple les cryptomonnaies) qui ne contribuent en rien à l’économie réelle. Seule une petite partie de l’argent bon marché emprunté par les entreprises a été réinjectée dans de vraies entreprises et usines, avec de vrais emplois et une vraie valeur ajoutée. Plus d’argent, sans augmentation de la production, signifie que cet argent perd de sa valeur et provoque donc l’inflation. La suraccumulation du capital entraîne un manque de rentabilité et un manque d’investissements productifs.

    Ces causes d’inflation ne viennent donc pas de nulle part. Elles sont inhérentes au système capitaliste. La nouvelle guerre froide est essentiellement une compétition entre les entreprises américaines et chinoises pour l’accès économique, la sphère d’influence et donc les profits. La crise écologique est le résultat de 150 ans de pollution par les Shell et les Arcelor Mittal de ce monde. Les profits spéculatifs et le manque d’investissement dans l’économie réelle sont les marques d’un capitalisme en crise. Le capitalisme est pris dans la tempête parfaite d’une crise économique, écologique et sociale qu’il a lui-même créée.

    Le capitalisme à court de mots

    Les solutions des banques centrales, des économistes et des politiciens montrent avant tout qu’ils ne savent pas de quel bois faire flèche. Il y a deux ans, ils pensaient que toute la demande accumulée pendant les confinements et la crise sanitaire entraînerait une croissance économique débridée à l’aube du royaume de la liberté. C’était en dehors de leur propre système.

    La Réserve fédérale, la banque centrale américaine, a augmenté les taux d’intérêt de 2% cette année. La BCE a relevé ses taux d’intérêt de 0,5%. De nouvelles augmentations pourraient suivre en septembre. Ils essaient en fait de provoquer ce qu’ils appellent une légère récession afin d’éviter une longue période d’inflation. En rendant les emprunts plus coûteux, les économistes espèrent réduire la demande de produits et donc faire baisser les prix.

    Cette tactique n’est pas sans risque. 20% des entreprises américaines ont recours au crédit, et ce chiffre est encore plus élevé en Europe. Cela signifie que lorsque les emprunts deviendront plus chers, beaucoup de ces entreprises feront faillite. Le chômage va encore augmenter. Pour les capitalistes, plus de chômage signifie une opportunité de réduire les salaires. Pour nous, cela signifie la misère.

    La hausse du chômage n’est pas le seul effet d’une hausse des taux d’intérêt. Les personnes ayant une hypothèque variable devront, en plus de la hausse des prix, faire face à des remboursements plus élevés. Ceux qui veulent acheter leur propre maison devront, en plus des prix impossibles, tenir compte d’un prêt plus cher. Des dizaines de pays du monde néocolonial s’enfonceront davantage dans la dépendance de la dette vis-à-vis du FMI et de la Banque mondiale en augmentant les taux d’intérêt (et en rendant ainsi leurs dettes en dollars et en euros plus chères).

    Ainsi, une légère récession pour eux signifie un puits profond pour les travailleurs ordinaires du monde entier. C’est une stratégie qui a fait ses preuves. Au début des années 1980, Volcker, alors président de la Réserve fédérale, a porté les taux d’intérêt à 20 % pour provoquer une crise et combattre l’inflation. Plus qu’une sortie de crise, cela signifiait un cimetière social.

    Le capitalisme s’est échoué. Lorsqu’il augmente les taux d’intérêt trop lentement, il court le risque d’une hyperinflation, lorsqu’il les augmente trop rapidement, il pousse une masse d’entreprises à la faillite, étouffe la demande et nous laisse face à une récession sans précédent.

    Bataille dans les rues

    La manière dont la classe dirigeante gérera cette crise dépendra principalement de la bataille qui sera menée dans les rues. Le mécontentement face à la baisse du pouvoir d’achat a conduit la France au premier parlement sans majorité de l’histoire de la Cinquième République, après les bons scores électoraux du bloc de gauche NUPES et du Rassemblement national d’extrêmes droites. La crise de la dette du Sri Lanka a déclenché une révolte qui a fait fuir le président du pays. Les politiciens traditionnels sont effrayés par la colère que suscite la baisse du niveau de vie.

    La classe dirigeante belge a également peur. Les patrons de la FEB et certainement du VOKA plaident depuis des mois pour un saut d’index. De Croo se retient et fait l’éloge de l’indice comme étant un mécanisme de stabilité. Non pas que le Premier ministre libéral tienne à l’index, mais parce qu’il est sous la pression des syndicats, notamment après la manifestation nationale du 20 juin. De Croo et Cie ont peur d’une révolte du pouvoir d’achat.

    Cet automne, les négociations commencent sur l’enveloppe sociale et la norme salariale. Sur la base de la loi sur les normes salariales de 1996, qui stipule que les salaires en Belgique ne doivent pas augmenter plus vite que dans les pays voisins, elle n’a augmenté que de 0,4 % la dernière fois. Maintenant, ce ne sera probablement rien du tout. En pleine crise du pouvoir d’achat, à l’approche d’un hiver au prix du gaz impossible, dans le contexte d’une hausse des taux d’intérêt par la Banque centrale européenne, les patrons et leurs politiciens veulent geler nos salaires. Le résultat est que nous reculons. Une nouvelle journée nationale de grève a déjà été annoncée pour le mois de novembre. S’attaquer à l’index maintenant serait un suicide politique.

    Ce n’est pas que l’indice ne continuera pas à être remanié. Au début de cette année, la spirale salaires-prix a fait l’objet d’un débat animé. Selon les politiciens traditionnels et les économistes capitalistes, des salaires plus élevés, voire indexés, entraînent automatiquement une hausse des prix. Comme si les prix n’étaient déterminés que par les salaires. Par ailleurs, les bénéfices augmentent beaucoup plus vite que les salaires et ont donc un effet plus important sur la hausse des prix.

    L’ajustement des salaires à la hausse des prix a déjà été mis à mal. L’indice de santé ne tient pas compte du carburant, par exemple, et il y a aussi quelque chose à dire sur la composition du panier de l’indice (les produits et leurs poids). L’index ne suit pas entièrement la hausse des prix. Il reste un outil important pour protéger les travailleurs de la pire pauvreté, mais il faut rétablir l’index complet.

    Organiser la colère

    Des luttes sur l’augmentation du coût de la vie continueront à éclater dans le monde entier. Mais la colère seule ne suffit pas, la colère doit être organisée. Le mouvement des gilets jaunes a montré que l’on ne peut pas remporter une victoire en se fiant uniquement à son instinct, mais qu’il faut des structures démocratiques et un programme qui s’oppose au système.

    La vague de grèves en Grande-Bretagne dans les transports publics et le service postal, entre autres, est remarquable. Cela montre que la classe ouvrière est de retour (voir aussi page 6). La campagne «Trop, c’est trop ! » menée par des dirigeants syndicaux et des parlementaires de gauche exige des salaires convenables, la fin de la pauvreté alimentaire, la baisse des prix de l’énergie, un logement confortable pour tous et un impôt sur les riches. Les réunions locales sont utilisées pour construire la campagne. Le site web de l’initiative s’est effondré lorsque plus de 200.000 personnes ont voulu s’inscrire en même temps. L’initiative présente des limites, mais aussi des points forts dont nous pouvons tirer des leçons. Les réunions locales et les réunions ouvertes du personnel qui débouchent sur des moments d’action autour d’un programme de revendications fort peuvent faire de la grève de novembre un grand succès. Une campagne des syndicats et de la gauche peut donner à chacun, quel que soit son lieu de travail, son école ou son université, une place dans le développement du mouvement. De cette façon, la colère peut être rassemblée dans la perspective de la grève de novembre.

    Un programme de revendications pour le mouvement doit avant tout répondre aux besoins les plus urgents : des allocations plus élevées et garanties pour maintenir ou sortir les plus vulnérables de la pauvreté, des investissements dans le logement social, la rupture de la loi sur les normes salariales pour forcer une augmentation significative des salaires, le gel des taux hypothécaires et des loyers, et la baisse des prix de l’énergie.

    En revanche, elle ne peut s’arrêter là. Si nous voulons nous attaquer au problème de l’usure dans le secteur de l’énergie, il faut qu’il soit entre les mains des pouvoirs publics. Si nous voulons protéger notre pouvoir d’achat, nous avons besoin d’un indice complet. Si nous voulons un emploi valorisant pour tous, nous avons besoin d’une semaine de travail de 30 heures avec maintien du salaire et recrutement compensatoire supplémentaire. Si nous voulons nous attaquer aux profits usuraires des multinationales de l’énergie, de la pharmacie et de l’alimentation, nous devons faire passer ces entreprises sous contrôle public.

    Cette crise du pouvoir d’achat est avant tout inhérente au système. Le capitalisme s’est piégé dans une situation qui lui laisse le choix entre l’inflation et la récession et nous laisse le choix entre beaucoup de misère et encore plus de misère. Pour mettre fin à cette crise une fois pour toutes, il faut renverser ce système.

  • Inflation. Il faut une riposte à la hauteur de l’enjeu !

    Image : pixabay

    Face à l’inflation galopante, les capitalistes tentent d’utiliser l’argument de la concurrence pour sauvegarder leurs profits au détriment des salaires. Ce n’est qu’un prétexte pour renchérir la guerre de classe en faveur du monde patronal.

    Par Jeremy (Namur)

    Dans l’édition précédente de Lutte Socialiste, nous étions revenus en profondeur sur les causes de l’inflation, qui dépasse de très loin le simple cadre de l’énergie. Le chaos règne sur les chaînes d’approvisionnement internationales, en raison des troubles liés à la pandémie, mais aussi de l’instabilité politique et des tensions interimpérialistes croissantes, au premier rang desquelles la concurrence économique et la « nouvelle guerre froide » entre la Chine et les USA. L’inflation n’est pas prête de disparaître et avec elle menacent une crise massive de la dette, une chaîne de défauts de paiement et de faillites et une profonde récession économique.

    La concurrence à la rescousse ?

    Le président américain Joe Biden déclarait en juillet dernier : « Je suis un capitaliste fier. J’ai passé la plupart de ma carrière à représenter l’état corporatif du Delaware. Mais laissez-moi être très clair : le capitalisme sans concurrence n’est pas du capitalisme, c’est de l’exploitation. Sans une concurrence saine, les grands acteurs peuvent faire payer ce qu’ils veulent et vous traiter comme ils le veulent, cela signifie accepter une mauvaise affaire pour des choses dont on ne peut pas se passer. » La solution parait donc évidente : plus de concurrence.

    Ce mauvais sketch n’est pas neuf. On l’a déjà vu à l’œuvre pour justifier la destruction du service public. Personne n’est dupe ; la flambée des prix de l’énergie démontre avec éclat que la compétition entre les fournisseurs ne fait pas baisser les prix.

    Début février, la CREG révélait que les centrales à gaz ont enregistré collectivement un bénéfice opérationnel de 353 millions € (le plus grand bénéfice depuis 15 ans). Les entreprises gazières privées ont profité de la forte augmentation du prix du gaz pour vendre leurs stocks plus chers qu’ils ne les avaient achetées. Avec l’argent de la vente, ils ont ensuite acheté l’électricité qu’ils s’étaient engagés à fournir à leurs clients et à d’autres opérateurs, contribuant ainsi à faire monter encore les coûts de l’électricité pour tous en dégageant les marges citées plus haut.

    Des troubles sociaux inévitables

    Les périodes de forte inflation ont toujours été des champs de bataille importants dans l’histoire de la lutte des classes. Cette année 2021 a d’ailleurs commencé par un soulèvement de masse réprimé dans le sang avec l’aide de l’impérialisme russe au Kazakhstan à la suite du doublement soudain du prix du gaz. Le nouvel âge du désordre dans lequel nous sommes entrés pourrait bien connaître rapidement des mouvements sociaux qui éclipseraient par leur ampleur le mouvement des Gilets jaunes en France en 2018.

    En 2008, l’augmentation des prix des denrées alimentaires (essentiellement en raison d’une spéculation découlant de la crise économique) avait conduit à un cycle « d’émeutes de la faim » en Afrique, à Haïti, en Asie (Indonésie, Philippines, etc.), et en Amérique latine (Pérou, Bolivie, etc.). La répétition d’un tel scénario, surtout en période de pénurie créant de nombreuses opportunités spéculatives, est parfaitement imaginable. L’augmentation des prix avait également joué un rôle clé dans la vague de mobilisations de masse en Afrique du Nord et au Moyen-Orient en 2010-2011 qui avait commencé avec les révolutions qui ont mis fin aux règnes des dictateurs Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Égypte. En 2019, année où les soulèvements de masse ont parcouru le monde, le thème avait été au centre de la révolte en Équateur, au Soudan et ailleurs.

    C’est donc avec un certain désespoir que les économistes libéraux se bousculent dans les matinales de radio pour nous expliquer qu’il ne faudrait pas revendiquer d’augmentation de salaire en expliquant que cela conduirait mécaniquement à plus d’inflation. Rien n’est plus faux. En vérité, une entreprise capitaliste qui subit une pression pour augmenter les salaires dispose toujours d’une autre option (qu’elle s’échine à tenir secrète): celle de diminuer ses profits.

    Une offensive contre nos salaires est en préparation

    Pris au niveau de la société dans son ensemble, cela revient à augmenter la part de la redistribution de la richesse produite en direction des travailleurs, au détriment des capitalistes (par les cotisations ou la part de l’impôt qui finance les services publics). Il faut garder cette idée en tête pour évaluer des propositions comme celle de réduire la TVA sur l’électricité de 21 % à 6 % entre les mois de mars et juin 2022.

    En tant qu’impôt sur la consommation, s’appliquant de la même façon à tous les niveaux de revenus, la TVA est une taxe injuste. Cependant, il y a fort à parier que son abaissement provisoire ne soit pas motivé par un sentiment de justice, ni même de générosité. Au début février, l’économiste Philippe Defeyt (Ecolo) de l’Institut pour un développement durable a calculé que la baisse de la TVA allait retarder le deuxième basculement d’index anticipé pour l’année 2022 : « Soit six mois de “perte” de pouvoir d’achat pour tous les ménages qui bénéficient du mécanisme de l’indexation : ils gagneraient davantage d’argent avec une facture d’électricité plus élevée » (Le Soir, 7 février).

    La menace d’un saut d’index est également agitée par le patronat. Pieter Tiemermans, le patron de la FEB, écrivait récemment : « L’indexation n’est pas payée par Saint-Nicolas, mais par les entreprises qui doivent en supporter le coût en performant encore plus ou en appliquant des hausses de prix. C’est pourquoi (…) nous devons respecter scrupuleusement la loi de ’96. » Et il ajoutait « Si nous n’intervenons pas aujourd’hui, la Belgique redeviendra le canard boiteux de l’Europe. » Une phrase qui illustre à merveille l’instrumentalisation de la concurrence par le patronat pour casser les salaires.

    En son temps, Karl Marx avait déjà été amené à débattre de l’inflation au sein de l’Association Internationale des Travailleurs (AIT, la Première Internationale). Sa contribution publiée ensuite dans son livre Salaires, Prix, Profits montre avec brio pourquoi ce ne sont pas les salaires qui tirent les prix vers le haut, mais bien le contraire ! Et ce toujours à l’issue d’une lutte farouche des travailleurs pour récupérer ce qui leur est dû. L’indexation automatique – « l’échelle mobile des salaires » dans le Programme de transition de Trotsky – est une épine dans le pied des capitalistes et sa défense un enjeu majeur pour la classe travailleuse.

    Une riposte socialiste

    La classe travailleuse doit répondre avec un programme offensif. L’indexation automatique des salaires doit être maintenue et rétablie dans sa version pré-1994, avant l’introduction de l’indice « santé » qui ne tient pas compte de l’augmentation des coûts du carburant. En plus de la suppression de la TVA sur les produits de première nécessité, il est plus que temps d’imposer un salaire minimum de 14 €/h. Il faut également abolir immédiatement la loi de ‘96 sur le contrôle des salaires, afin de permettre de vraies négociations dans toutes les branches qui ont réalisé des profits pendant la crise. Cela doit passer par une ouverture des livres de compte de toutes les entreprises à leurs salariés et par l’imposition d’une taxe sur les profiteurs de crise de façon à financer le réinvestissement dans les filières productives.

    Pour mettre un terme à l’explosion des prix de l’énergie, l’allégement temporaire de la TVA ne peut être suffisant. Il faut réclamer immédiatement la nationalisation de tout le secteur sans compensation. La crise combinée de l’inflation et du coronavirus nous donne également un avant-goût de la violence de ce qui est à venir si l’on compte sur les mécanismes de marché pour s’ajuster aux crises écologiques produites par le réchauffement climatique. Y faire face ne nécessite rien de moins que la nationalisation immédiate du secteur bancaire pour piloter une transition énergétique juste et respectueuse de l’environnement, avec la création d’emplois stables et bien payés pour l’isolation des bâtiments, des investissements massifs dans les services publics, et un accès au crédit à bon marché pour le logement et les entreprises durables.

    Finalement, il faut bien comprendre que l’inflation n’est pas étrangère au capitalisme, il s’agit d’une de ses conséquences naturelles, tout comme l’existence de monopoles privés. En effet, si la classe capitaliste dans son ensemble ne jure que par les vertus de la concurrence comme remède, au niveau de leurs affaires individuelles les capitalistes la détestent ! Le protectionnisme, les droits exclusifs d’exploitation, ainsi que les brevets sur les inventions et les médicaments sont autant de contournements légaux pour échapper à la concurrence. Aussitôt sur le marché, les capitalistes individuels n’aspirent qu’à devenir des monopolistes en rachetant les plus petites entreprises concurrentes. Pour se débarrasser définitivement de ses effets néfastes, il faut lutter pour sortir de ce mode de production et le remplacer par la planification socialiste et démocratique de l’économie.

    Les problèmes majeurs auxquels nous sommes confrontés, insolubles dans le cadre de la société capitaliste, stimuleront la recherche de solutions plus radicales. Les forces populistes de droite tenteront d’exploiter ce phénomène. Il serait illusoire de penser que le réformisme ou le « populisme » de gauche puissent y répondre. Seule une attitude sérieuse en matière d’analyse, de perspectives, de programme et d’organisation peut offrir une issue socialiste internationaliste à la décadence du capitalisme.

  • Comprendre d’où vient l’inflation pour la vaincre

    +5% dans l’Union Européenne, + 7% aux USA : depuis plusieurs mois, l’inflation s’est solidement installée, à des niveaux que l’on n’avait pas connus depuis des décennies. Lorsque les prix ont commencé à grimper à la fin du printemps, les institutions économiques avaient qualifié l’augmentation de temporaire. Elles doivent aujourd’hui reconnaitre qu’elles se sont trompées, tout en s’efforçant d’être rassurantes en annonçant une inflation « plus modérée » jusqu’à la fin 2022. C’est en tout cas le discours tenu par Christine Lagarde (BCE), Jerome Powels (Fed) et Kristalina Gieorgieva (FMI). On peut parfois lire que c’est l’augmentation du prix de l’énergie qui est responsable. Si ce facteur est bien réel, la réalité est plus complexe.

    Par Clément (Liège), dossier issu de l’édition de février de Lutte Socialiste

    Le chaos sur les chaînes d’approvisionnement

    Après une année 2020 marquée par les confinements, la baisse de la consommation et un recul de 3,2% du PIB, l’année 2021 devait être celle du grand rebond et de la reprise économique. L’activité économique a effectivement repris, pour ensuite immédiatement être confrontée à une série de difficultés. Parmi celles-ci, la fragilité des chaînes d’approvisionnement, qui ne se résume pas aux conséquences démesurées d’accidents maritimes fortuits comme le blocage du canal de Suez (pour où transitent 10% du commerce mondial) par l’Evergiven en mars 2021.

    En octobre, 77% des ports commerciaux du monde rencontraient des délais de déchargement anormalement longs. Puces électroniques, matériaux de construction, matières premières pour l’industrie, … à tous les niveaux, les pénuries s’accumulent et ralentissent, voire interrompent temporairement, l’activité des entreprises. La classe capitaliste n’était pas prête à répondre à l’augmentation de la demande qui a accompagné la réouverture de l’économie. Dans une certaine mesure, elle a profité de l’effet d’aubaine pour augmenter ses prix dans le but de compenser les augmentations de prix des matériaux et les pertes liées au covid tout en garantissant de nouvelles marges de profits.

    Les confinements successifs et les effets du covid ont évidemment joué un rôle important dans ces pénuries, d’autant plus que les économies nationales ne se réouvrent et ne se ferment pas au même rythme. Avec la circulation du virus dans les pays en voie de développement ayant un faible accès aux vaccins et l’apparition de nouveaux variants, ce facteur pourrait perdurer.

    Mais, plus fondamentalement, cette crise d’approvisionnement illustre la faiblesse du modèle de la production en flux tendu. Généralisé à partir des années ’80 après avoir été mis au point chez Toyota dans l’après-guerre, ce modèle vise à couper massivement dans les frais d’entreposage pour augmenter les profits en assurant un approvisionnement en pièces juste au moment où on en a besoin. Entre 1981 et 2000, les entreprises américaines ont ainsi en moyenne diminué leurs stocks de 2% annuellement. Dans ces conditions, le moindre grain de sable dans la machine peut avoir d’énormes conséquences. Or, dans le cadre d’une haute division internationale du travail, fonctionner de la sorte nécessite une stabilité politique qui au regard les tensions interimpérialistes croissantes et la concurrence économique entre la Chine et les USA, ne peut être que fragile.

    Les salaires, responsables de l’inflation ?

    En Belgique, l’augmentation des prix met une indexation des salaires à l’ordre du jour. Rapidement, la FEB et la VOKA ont réclamé un nouveau saut d’index (puis une manipulation de celui-ci) au nom de la traditionnelle « compétitivité » et du risque d’une « spirale d’augmentation prix-salaire ». La substance de l’argument de Pieter Timmermans (FEB) est que l’augmentation des salaires ferait mécaniquement augmenter les prix, qui à leur tour feraient augmenter les salaires via l’indexation, entrainant un cycle sans fin.

    Les salaires ont connu plusieurs attaques ces dernières années avec le saut d’index du gouvernement Michel en 2015 qui représente une perte de salaire de 27.000 euros sur une carrière complète, ainsi que la réduction des cotisations sociales patronales (notre salaire indirect) de 32 à 25%. Tout cela n’a pas mené à une diminution des prix, mais plutôt à une baisse de la rémunération du travail dans le PIB en faveur des profits (-2.3% par rapport à la période 2006-2014, eurostat). Cette tendance concerne d’ailleurs la majorité des pays capitalistes avancés.

    Timmermans présente le salaire comme un coût parmi d’autres dans le processus de production, concluant que si cette valeur venait à augmenter au même titre que le coût des matières premières ou de l’énergie, cela entrainerait une augmentation du prix des marchandises. À cet égard, même la Banque nationale belge (BNB) lui donne tort : « la pression extérieure sur les coûts est appelée à se modérer dans le courant de 2022 (…) le fait est que la forte croissance des coûts salariaux sera en grande partie compensée par la compression des marges bénéficiaires des entreprises.»

    Fondamentalement, la malhonnêteté du raisonnement vient de ce que le travail n’est pas un coût, mais bien la source même de la valeur. Qu’il s’agisse des machines-outils, des matériaux ou des matières premières, si on remonte la chaîne de production, on trouve du travail. Comme Marx l’expliquait déjà, le salaire ne représente pas la valeur du travail fourni sur une période donnée mais seulement une fraction de celui-ci : le produit nécessaire à la reconstitution de la force de travail, à ce que le travailleur revienne le lendemain. Le reste, le patron se l’approprie, ce qui explique les profits. En 2022, 2000 milliards de dollars devraient ainsi être distribués aux actionnaires, soit 18% de plus qu’en 2019 (cabinet IHS Markit). Plutôt que des salaires déjà insuffisants, c’est cette manne qu’il faut compresser pour juguler la hausse des prix.

    La faiblesse des investissements productifs pousse aussi les prix à la hausse

    Dans des conditions normales, la classe capitaliste tend à réinvestir sa plus-value dans de nouvelles machines et technologies afin d’obtenir un avantage comparatif sur ses concurrents en termes de productivité du travail. En conséquence, le travail nécessaire par unité de production tend à diminuer et, avec lui, le prix des biens et services.

    Cependant, dans la situation actuelle, on constate que seule une faible proportion de l’argent dont disposent les capitalistes est effectivement réinvestie dans la production. Motivés par la recherche de profits à court terme, ils investissent massivement dans des actions financières ou dans l’immobilier. Ainsi, malgré les énormes quantités d’argent injectées dans l’économie, la part des actifs financiers dans le PIB augmente alors que celle des bénéfices issus la production stagne. Ainsi, une étude de McKinsey montre que depuis 2011, dans une sélection de 10 pays, la part de la valeur des actifs financiers dans le PIB a augmenté de 61% tandis que la part des bénéfices issus de la production (qui est sensée servir de base aux actifs financiers) a diminué de 1%. La circulation de grandes masses d’argent utilisées dans un but spéculatif, dans le contexte d’une stagnation de la productivité, peut ainsi stimuler la hausse des prix.
    Un potentiel explosif
    Derrière les indicateurs de +5% (UE) et +7% (USA) d’inflation se cachent des réalités bien plus choquantes. L’augmentation des factures d’électricité en Belgique en est un exemple, mais c’est loin d’être le seul. Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, en un an le prix des denrées alimentaires de base est en train d’augmenter de manière spectaculaire avec une moyenne de +28% toutes denrées confondues. Cette hausse ne s’est pas encore pleinement répercutée sur les prix de la consommation, le processus est néanmoins enclenché. Le magazine Forbes rapporte ainsi une augmentation de 21% du ticket de caisse aux USA au quatrième trimestre de 2021.

    Au cours de la dernière décennie, les augmentations de prix ont joué un rôle crucial dans le déclenchement de mouvement de masses, particulièrement lors de la vague de 2019. Si l’inflation devait se maintenir, s’étendre et se renforcer dans les biens de consommation, de nouveaux mouvements larges autour de cette thématique pourraient être à l’ordre du jour dans certains pays, avec le caractère explosif qui caractérise cette « ère du désordre ».

    La lutte contre l’inflation exige de se battre pour des revendications telles que l’abolition de la TVA sur les produits de première nécessité, la restauration du mécanisme d’indexation des salaires et des allocations sociales tel qu’il existait avant les manipulations de « l’indice-santé », l’augmentation des salaires et des allocations (tout particulièrement du salaire minimum),… Une coordination de comités populaires comprenant les syndicats et des groupes de consommateurs devraient être mis en place pour surveiller les prix et mesurer l’augmentation réelle du coût de la vie pour les travailleurs. Ce ne sont là que quelques éléments programmatiques, mais pour vaincre le monstre de l’inflation, il faut remettre en cause l’exploitation et la propriété privée des moyens de production. Nous avons besoin d’une économie démocratiquement planifiée sous contrôle et gestion démocratiques afin d’en finir avec le chaos capitaliste dans la production.

  • Les crypto-monnaies, expression d’un capitalisme spéculatif

    Image issue de Wikimedia Commons

    Après des décennies de marasme salarial et de conditions de vie déclinantes, comment s’étonner du relatif succès des crypto-monnaies et de leurs promesses de gains financiers rapides ? Le phénomène n’est pas entièrement neuf, les jeux de hasard existent depuis des décennies. Mais la hausse spectaculaire de la valeur des crypto-monnaies semble offrir plus d’opportunités que le Lotto…

    Le problème, bien sûr, c’est que les bitcoins et autres monnaies fictives ne sont qu’autant d’illusion en fin de compte. Il n’y a pas de valeur réelle, seulement du capital fictif. Il n’y a pas de création de valeur nouvelle, seulement la construction d’une bulle spéculative. Tragiquement, de nombreuses personnes finiront par être victimes de ce système pyramidal à grande échelle. L’essor des crypto-monnaies n’est pas surprenant à l’heure où l’on assiste à une prolifération de toutes sortes de produits financiers et de produits dérivés associés. C’est en soi le résultat de la stagnation du rendement des investissements dans la production réelle, qui a conduit ces dernières décennies à une envolée galopante de la spéculation.

    On fait souvent la comparaison avec la tulipomanie – ou « crise des tulipes » – aux Pays-Bas dans les années 1630. La spéculation de l’époque avait fait exploser le prix du bulbe de tulipe jusqu’à atteindre dix fois le revenu annuel moyen. Tout s’est effondré en 1637 lorsqu’il est apparu que des commerçants avaient revendu des tulipes qu’ils ne possédaient pas à des acheteurs qui ne pouvaient pas payer ! Bien sûr, les bitcoins ne sont pas des tulipes. Mais la caractéristique essentielle d’une bulle, c’est qu’elle finit par éclater.
    Certains partisans des crypto-monnaies les présentent non pas comme des paris, mais comme une invention capable d’améliorer le monde puisqu’elles éliminent le rôle des banquiers et des gouvernements en rendant le système plus démocratique, transparent et égalitaire. L’argumentation s’arc-boute sur une foi envers le « marché libre » qui s’apparente à celle qui nous a conduits droit au crash de 2008. De plus, la hausse de la valeur des crypto-monnaies s’explique par l’augmentation de la spéculation financière ces dernières années. Ce n’est ni transparent, ni démocratique.

    Loin d’être une solution face au gaspillage et au chaos financiers, il s’agit d’une expression ultime de ceux-ci. Les économies du petit investisseur sont à la merci des marchés où les grands joueurs tirent les ficelles. De grandes entreprises comme PayPal et Tesla ont beaucoup investi dans les crypto-monnaies. Et quand les grands acteurs craignent de tout perdre, ils changent simplement les règles. Nous l’avons déjà constaté avec Gamestop. Les nouvelles technologies sont utilisées pour augmenter les profits des plus riches, pas dans l’intérêt de la majorité de la population.

    Il convient également de noter que le bitcoin est extrêmement nocif pour l’environnement. De puissantes firmes informatiques travaillent jour et nuit pour “extraire” des bitcoins. Une transaction nécessite 5 000 fois plus d’énergie qu’un simple paiement par carte bancaire. Toutes les opérations de Bitcoin en un an nécessitent autant d’énergie que l’Argentine, un pays de 45 millions d’habitants. Pendant ce temps, 13 % de la population mondiale n’a pas accès à l’électricité.

    Pour que la finance soit transparente et démocratique, l’ensemble du secteur doit être aux mains du public. Alors, une planification démocratique et rationnelle sera possible, avec une préoccupation centrale pour l’environnement. Les ressources disponibles pourront alors être utilisées pour créer de nouvelles richesses pour l’humanité au lieu d’être gaspillées dans des bulbes de tulipe virtuels.

  • Le régime chinois face à un dilemme après l’effondrement d’Evergrande

    Evergrande, la société immobilière chinoise, manque une échéance de paiement après l’autre. Si elle s’effondre, les conséquences pourraient être énormes pour l’économie chinoise, son régime autoritaire et le capitalisme mondial. Nous nous en avons discuté avec Vincent Kolo, de chinaworker.info.

    Le nom d’Evergrande est soudainement apparu dans l’actualité. Qu’est-ce qu’Evergrande ? Comment cette société est-elle devenue si importante ?

    VK : Evergrande est le deuxième plus grand promoteur immobilier de Chine. C’est une énorme entreprise à l’agonie qui se dirige vers la faillite. Evergrande a construit environ 12 millions de logements, soit l’équivalent de la moitié du parc immobilier total du Royaume-Uni.

    Une partie de la crise en cours est due au fait que l’entreprise compte actuellement 1,6 million de logements inachevés. Beaucoup de promoteurs immobiliers en Chine utilisent un modèle commercial basé sur la prévente : les gens achètent leur nouvelle maison avant même que la première pelletée de terre n’ait été creusée. Aujourd’hui, ils paniquent car ils ont déjà payé, mais si l’entreprise s’effondre, ils n’obtiendront pas leurs nouvelles maisons.

    La dette d’Evergrande s’élève à 300 milliards de dollars, ce qui équivaut, par exemple, à la dette nationale de l’Irlande. Fin septembre, elle a commencé à faire défaut sur ses dettes libellées en dollars sur le marché obligataire international. Mais elle n’a effectivement pas payé ses dettes en Chine depuis mars de cette année. Elle a payé ses créanciers, ses fournisseurs, les entreprises de construction avec lesquelles elle a passé des contrats, sous la forme de reconnaissances de dette d’une valeur totale de 100 milliards de dollars supplémentaires. Peut-être que pas mal de cela ne sera jamais payé.

    La crainte est que l’entreprise se dirige vers l’effondrement. Si cela se produit et qu’il n’y a pas de sauvetage de la part du gouvernement chinois, cela pourrait déclencher un effondrement du secteur immobilier chinois. Cela pourrait ensuite se propager aux banques, qui sont très exposées au marché immobilier. Et il y aurait alors une crise financière en Chine avec toutes les ramifications économiques et politiques que cela implique.

    Certains comparent Evergrande à Lehman Brothers : est-ce une bonne comparaison ?

    VK : Je pense que l’on peut dire oui et non.

    Il est clair qu’Evergrande n’est pas une banque d’investissement comme l’était Lehman Brothers. Le système financier chinois n’est pas le même que celui des États-Unis ou de l’Union européenne. Il est dominé par les banques, et les banques, dans la plupart des cas, appartiennent à l’État. Le système bancaire est protégé par le contrôle des changes, la monnaie n’est pas librement échangeable, elle est protégée par le contrôle des capitaux, ce qui signifie qu’ils ont une plus grande résistance aux turbulences financières que les capitalistes occidentaux.

    Cela signifie-t-il que le système est à l’épreuve des balles, qu’il ne peut y avoir de crise financière en Chine ? La réponse à cette question est “non”, mais il est moins probable qu’une crise se déroule de la même manière que dans une économie capitaliste occidentale.

    Lorsque les commentateurs pro-capitalistes disent “ce n’est pas un nouveau Lehman Brothers”, dans un sens, ils ont bien sûr raison. Mais tout d’abord, le risque d’une crise bancaire en Chine existe bel et bien, c’est pourquoi le régime de Xi a imposé des contrôles de capitaux d’une sévérité sans précédent, à la fois en interne et vers l’extérieur. L’interdiction des crypto-monnaies et la répression de l’année dernière à l’encontre de Ant Group [la société de fintech détenue par Alibaba de Jack Ma] en sont des exemples. Même les transactions entre provinces sont désormais plus difficiles.

    Deuxièmement, Lehman Brothers n’a pas provoqué la grande récession de 2008-2009. Mais son effondrement a constitué un tournant, qui a accéléré de manière spectaculaire le cours des événements. La crise, dont les racines se trouvent dans la nature même du capitalisme, était déjà en cours. Si le gouvernement Bush était intervenu pour sauver Lehman Brothers, la crise n’aurait pas été évitée, elle aurait simplement pris une autre forme.

    Evergrande est un symptôme de quelque chose de beaucoup plus grand.

    Jusqu’en 2008, il semblait que les bulles immobilières aux États-Unis et en Chine avaient gonflé en parallèle, mais après 2008, la bulle américaine a éclaté, tandis que celle de la Chine a continué de croître.

    VK : 2008 a constitué un tournant. Depuis lors, aucun des problèmes fondamentaux à l’origine de la crise mondiale n’a été résolu. La dette a explosé à l’échelle mondiale, avec deux bulles d’endettement sans précédent qui se sont développées aux deux pôles de la guerre froide. Aux États-Unis, le crédit bon marché et les taux d’intérêt nuls ont permis à la capitalisation des marchés boursiers de passer de 140 % du PIB avant 2008 à 200 % aujourd’hui.

    Mais l’explosion la plus rapide de toutes les grandes économies a été celle de la Chine, où le marché boursier est un facteur secondaire. Ici, le marché immobilier a été décisif. La valeur marchande de l’ensemble des biens immobiliers des villes chinoises équivaut désormais à cinq fois le PIB du pays. À titre de comparaison, la valeur marchande de l’ensemble des biens immobiliers aux États-Unis en 2020 représentait environ deux fois le PIB. En Chine, la proportion est complètement hors normes.

    La Chine, dont la population est environ quatre fois plus importante que celle des États-Unis, construit chaque année dix fois plus de maisons. Bien que cela puisse sembler une bonne chose, beaucoup de gens ordinaires n’ont pas les moyens de les acheter. Quatre des cinq villes aux logements les plus chers se trouvent en Chine. L’ensemble du marché du logement a été privatisé depuis 1998, il y a très peu de logements sociaux. Le taux d’accession à la propriété sur le marché immobilier est de 93 %, bien plus élevé qu’aux États-Unis et en Europe. Mais alors que de très nombreuses personnes n’ont pas les moyens d’acheter de nouvelles maisons, les riches, les fonctionnaires et les couches les plus aisées de la classe moyenne spéculent sur l’immobilier. Il en résulte un énorme problème de logements vides. En 2017, 20 % des logements urbains étaient vacants. Cela représente une utilisation incroyablement gaspilleuse et improductive du capital, et le régime estime qu’il doit intervenir pour stopper cette évolution.

    L’autre facteur en Chine est que la population est ségréguée via le système du “hukou” (enregistrement du logement). Ce système divise la population entre ceux qui ont le droit de vivre dans les villes et ceux qui sont enregistrés pour vivre dans les zones rurales. Même si la Chine est aujourd’hui largement urbanisée, la majorité de la population est toujours considérée comme rurale. Les villes aussi sont classées par niveaux. Les villes les plus riches – Shanghai et Pékin – se trouvent dans le “Tier 1”. Les personnes possédant un hukou “rural” ne sont jamais autorisées à résider de façon permanente dans ces villes.

    Evergrande se concentre davantage sur les villes les plus pauvres, celles que l’on appelle en Chine les “Tier 3” et “Tier 4”, qui ne sont généralement pas visitées par les journalistes du Financial Times ou du Washington Post. C’est là que vivent les gens de la classe ouvrière ordinaire et c’est là que la crise immobilière se fait le plus sentir. Cela s’explique en partie par le fait que des capitaux ont été investis dans le développement immobilier alors que la plupart des villes chinoises ne connaissent plus de croissance. Cette situation est liée à la crise démographique, un problème majeur pour la dictature chinoise, car la population diminue. Un chiffre qui replace toute la crise d’Evergrande dans son contexte est que les trois quarts des villes chinoises sont en train de rétrécir. Alors pourquoi construire de plus en plus d’énormes projets immobiliers ?

    Comment analyser l’évolution de la crise du marché immobilier ?

    VK : La bulle immobilière en Chine a atteint ses limites. Elle est en train d’éclater. La façon dont le processus va se dérouler n’est pas tout à fait claire, il pourrait y avoir différentes trajectoires. Mais ce que nous pouvons dire avec certitude, c’est qu’Evergrande marque un tournant.

    Le marché immobilier a été crucial pour la croissance de l’économie, il représente 29 % du PIB en Chine. Aujourd’hui, il est probable que l’ensemble du secteur soit plongé dans la crise. Evergrande est la plus grande, la plus sensationnelle des entreprises en crise, mais il y a d’autres entreprises du secteur immobilier qui ne remboursent pas leurs dettes, qui sont surendettées et qui vont probablement s’effondrer au cours de la prochaine période. La crise est bien plus importante que celle d’Evergrande. Cela signifie que le marché immobilier ne peut plus être le principal moteur de croissance de l’économie chinoise.

    La guerre froide entre les impérialismes américain et chinois intensifie la pression exercée sur le régime de Xi Jinping pour qu’il “modernise” l’économie. Mais l’environnement international est désormais complètement différent, la démondialisation faisant son œuvre. La Chine est contrôlée et bloquée, notamment par le capitalisme américain, dans de plus en plus de domaines. Le régime chinois a donc décidé de prendre le taureau par les cornes en s’attaquant à l’effet de levier excessif dans le secteur immobilier, qui représente une énorme ponction sur les ressources.

    Xi Jinping essaye de sevrer l’économie de son gaspillage, de sa spéculation, de sa dépendance à l’égard du surinvestissement et du surendettement et, l’année dernière, il a imposé les “trois lignes rouges” au secteur immobilier. Seules les entreprises répondant à ces critères, à savoir le rapport entre le passif et l’actif, la dette nette et les fonds propres, et les liquidités et les emprunts à court terme, seraient autorisées à accéder au marché du crédit. Evergrande n’a pas respecté les trois lignes rouges et a donc été privé de capitaux provenant de sources normales et a opté pour une “économie de reconnaissance de dettes”. De plus en plus de promoteurs immobiliers font maintenant la même chose qu’Evergrande : ils vendent les maisons avant même qu’elles ne soient construites et utilisent l’argent pour rembourser leurs dettes.

    La question est de savoir si, face à l’escalade de ce processus destructeur et douloureux, le gouvernement garde son sang-froid ou s’il abandonne sa ligne dure, de peur que la bulle immobilière ne devienne incontrôlable et ne fasse s’effondrer toute l’économie.

    Les experts financiers s’inquiètent des effets de l’effondrement d’Evergrande sur les banquiers, les investisseurs et autres. Mais qu’en est-il des gens ordinaires ? L’effondrement affectera-t-il les personnes à la recherche d’un logement ? Qu’en est-il de ceux qui travaillent directement ou indirectement pour Evergrande ?

    VK : La majorité des travailleurs en Chine, à l’exception peut-être de quelques personnes appartenant à l’aristocratie du travail, je suppose qu’on pourrait l’appeler ainsi, ont été exclus de ce processus, n’achetant pas ces maisons. L’effet que cela aura sur la classe ouvrière sera donc contradictoire. Si le marché de l’immobilier s’effondre, et que les prix commencent à chuter, cela pourrait être populaire parmi une partie de la population.

    Mais pour ceux qui ont acheté des biens immobiliers, ce qui inclut certains cols blancs urbains, qui ont investi non seulement leurs propres économies mais aussi celles de leurs parents et de leurs proches pour acheter un endroit où vivre, l’effondrement des prix de l’immobilier serait une catastrophe. Ils seront confrontés à des fonds propres négatifs, comme cela s’est produit aux États-Unis, en Irlande, en Espagne et ailleurs après 2008. C’est un signal d’alarme pour le régime chinois car si cela commence à se produire dans tout le pays, vous avez les germes d’un mécontentement social massif.

    Quant aux travailleurs d’Evergrande, il s’agit principalement du personnel de vente, des gestionnaires, des planificateurs et des comptables, mais pas des constructeurs. L’entreprise emploie environ 160.000 personnes effrayées de perdre leur emploi. Le travail de construction proprement dit est sous-traité à des entreprises qui emploient principalement des travailleurs migrants sous contrat temporaire, travaillant pour de bas salaires dans des conditions très brutales. Lorsque le travail est terminé, ils sont au chômage, puis vont ailleurs. Si Evergrande tombe, trois à quatre millions d’emplois sont menacés dans la construction et dans les chaînes d’approvisionnement de l’entreprise. Et avec une dizaine d’autres “Evergrande” plus petits menacés, les effets sur l’emploi et sur l’économie en général pourraient être graves.

    Selon certaines informations, des manifestations ont déjà eu lieu en Chine à ce sujet. Sont-elles généralisées ?

    VK : Il y a des protestations depuis plusieurs mois, avec beaucoup de gens qui réclament le remboursement de leur argent, surtout des ouvriers de la construction, parfois des patrons de la construction qui n’ont pas été payés, donc ne paient pas non plus leurs ouvriers. Plus de 80.000 employés d’Evergrande ont “prêté” de l’argent à l’entreprise – environ 15,5 milliards de dollars selon un responsable d’Evergrande – car les responsables ont escroqué la main-d’œuvre pour qu’elle achète des produits dits de gestion de patrimoine, en promettant des taux d’intérêt très attractifs pour aider l’entreprise à sortir de son marasme financier. Ces personnes ne sont pas des spéculateurs, dont on pourrait dire “ça les arrange”, mais souvent des gens désespérés qui veulent sauver leur emploi ou gagner un peu d’intérêt pour leur vie future. Il y a eu le cas d’une femme atteinte d’un cancer qui essayait de réunir des fonds pour son traitement.

    Dans plusieurs villes, des personnes se sont rassemblées devant les bureaux des entreprises, très en colère, pour demander à être remboursées. La plupart sont des employés d’Evergrande. À ce stade, la colère n’est pas dirigée contre Xi Jinping, ni contre le PCC (le parti soi-disant communiste), mais contre Evergrande. Mais elle peut se transformer en une colère plus générale si le gouvernement n’intervient pas pour organiser une sorte de renflouement.

    Alors comment pensez-vous que Xi Jinping va gérer cette crise ?

    VK : Publiquement, le gouvernement ne dit rien. C’est incroyable. Les médias du monde entier parlent beaucoup d’Evergrande, mais vous ne lirez rien à ce sujet en Chine. Cependant, le gouvernement essaie d’utiliser cette crise pour faire pression sur les autres sociétés immobilières afin qu’elles réduisent leur endettement. Mais c’est une sorte de jeu de la poule mouillée : à quel moment vont-ils abandonner cette approche musclée s’il y a un risque d’effondrement de l’ensemble du secteur immobilier ?

    Je pense qu’ils utiliseront un mélange de mesures. L’approche du PCC sera de nier officiellement qu’il sauve Evergrande, mais au niveau local et régional, il y aura différents types d’interventions et de renflouements de certaines entités pour éviter que cela n’aille trop loin et limiter les retombées sociales. Tout d’abord, pour ceux qui ont acheté les 1,6 million de propriétés inachevées et qui risquent de ne pas les obtenir, différentes entreprises d’État et gouvernements locaux interviendront pour achever la construction ou reprendre des actifs clés comme dans le cas du stade de football de Guangzhou [propriété d’Evergrande comme l’équipe, Guangzhou FC], afin que cela ne devienne pas une source de mécontentement social. Certains détenteurs nationaux de produits de gestion de patrimoine pourraient être partiellement indemnisés. Mais je pense que les spéculateurs internationaux seront laissés en plan. Ils n’obtiendront rien en retour.

    À mon avis, Evergrande elle-même ne sera pas sauvée. Le plan consiste donc à utiliser cette situation pour donner une leçon aux autres, pour établir une discipline et un contrôle sur le secteur immobilier. Mais la question est de savoir s’ils y parviendront. C’est une entreprise très, très compliquée et dangereuse. Par sa nature même, vous ne pouvez pas contrôler une bulle. Il y a donc beaucoup de risques pour le régime chinois quant à la façon dont cela peut se dérouler.

    Evergrande a été critiqué pour avoir suivi le “modèle mondial” du capitalisme chinois – une croissance fulgurante alimentée par la dette. Ce modèle est-il en train d’échouer ?

    VK : Le “go global model” fait plutôt référence à des champions nationaux tels que Huawei, qui a été poussé à réussir sur le marché mondial, du moins jusqu’à ce qu’il soit bloqué par Trump puis Biden. Aujourd’hui, Huawei est une entreprise en détresse.
    Evergrande n’a pas été particulièrement active sur les marchés internationaux, mais son modèle est très largement alimenté par la dette. Depuis de nombreuses années, la Chine se dirige vers un scénario à la japonaise. Une bulle immobilière remplie de dettes s’est effondrée en 1989. À l’époque, les biens immobiliers situés autour du palais impérial de Tokyo valaient plus que l’ensemble de l’État de Californie – c’est du moins ce que l’on disait souvent. Cette bulle a éclaté et le capitalisme japonais ne s’en est jamais vraiment remis. Il a souffert de plus de deux décennies de stagnation et l’année dernière, l’économie avait la même taille qu’en 1995. Cela pourrait maintenant être la perspective de l’économie chinoise.

    Bien sûr, ce ne sera pas exactement la même chose, mais ce sera beaucoup plus alarmant si cela se produit en Chine, car le Japon avait un coussin de protection sociale beaucoup plus solide que la Chine.

    En raison du “hukou”, les populations rurales sont exclues du système d’allocations de chômage, tandis que seule une partie de la population urbaine bénéficie d’un certain niveau d’aide. La grande majorité de la population n’est absolument pas assurée. Ainsi, le type de crise qui s’est produit au Japon, ou dans le capitalisme occidental en 2008, ne se produira pas. Au contraire, toute crise dans le contexte chinois, avec des niveaux de vie si bas et l’absence de tout filet de sécurité sociale, sera plus prolongée, plus longue. C’est une perspective pour l’agitation révolutionnaire qui se développe en Chine.

    Certaines personnes de gauche au niveau international affirment que le régime du PCC peut contrôler la crise grâce à son système supérieur de contrôle de l’État. Êtes-vous d’accord avec cela ?

    VK : Le système fonctionne différemment mais il est toujours soumis aux lois économiques de la gravité. Le régime chinois a évité la crise qui a frappé le reste du monde en 2008 précisément en encourageant des entreprises comme Evergrande. Elles ont permis à d’énormes quantités de crédit d’affluer sur le marché immobilier, augmentant la demande de toutes les matières premières grâce au boom de la construction, et alimentant l’économie sur la base de la dette. De cette façon, la Chine a apparemment traversé la crise, entraînant avec elle des économies comme l’Australie. Mais elle y est parvenue en modifiant complètement son modèle de croissance.

    Aujourd’hui, elle en paie le prix. Le fait que Xi Jinping se trouve dans cette situation et soit prêt à prendre ces risques montre à quel point la situation est désespérée. Les sections de la gauche qui ont des illusions sur le régime du PCC, et qui pensent qu’il peut éviter une crise, font une erreur fondamentale dans leur évaluation. La seule autre option dont dispose le PCC est de rouvrir le robinet du crédit et de gonfler encore plus la bulle, pour la faire éclater plus tard. Même avec ce capitalisme guidé, ils ne peuvent pas indéfiniment éviter une crise, les contradictions finiront par se refléter.

    Quelle que soit la décision prise au sujet d’Evergrande, comment cela affectera-t-il la promesse déclarée du PCC de promouvoir la “prospérité commune” ?

    VK : Le slogan clé du Parti communiste chinois, la “prospérité commune”, est un slogan vide qui n’a absolument rien à voir avec le socialisme. Si vous revenez 100 ans en arrière, “prospérité commune” était le slogan du Kuomintang de Sun Yat-sen. C’est vague, c’est vide. Mais le gouvernement peut sentir la pression explosive qui se développe dans la société à cause de l’écart de richesse, et le PCC en est responsable. Ses attaques contre le secteur capitaliste privé ne se traduiront pas d’elles-mêmes par une amélioration des salaires et des conditions de travail des travailleurs, surtout sous une dictature qui interdit les syndicats.

    Il est étonnant que certaines sections de la gauche internationale pensent que le régime chinois est socialiste, que cet énorme secteur privé, spéculatif et capitaliste [le marché immobilier] qui représente 29 % du PIB s’est développé sans que le PCC n’en soit responsable d’une manière ou d’une autre.

    Le propriétaire et président d’Evergrande, Xu Jiayin, est membre du Parti communiste depuis 35 ans, il est membre du Comité consultatif politique du peuple chinois (CCPPC), l’organe jumeau du soi-disant parlement – le Congrès national du peuple. En 2012, l’année où Xi Jinping a été nommé “leader suprême”, Xu Jiayin a assisté à une session de la CCPPC en portant une ceinture “Hermès” en or très chère. Cela a fait le tour des médias sociaux. Il a été deux fois l’homme le plus riche de Chine. Toute sa carrière professionnelle a été liée à l’élite du PCC.

    De nombreux contrats d’Evergrande ont été financés par les gouvernements locaux, qui tirent la moitié de leurs revenus de la vente de terrains. La vente des terres les plus lucratives a procuré des revenus corrompus aux élites du PCC dans tout le pays. Ainsi, si la bulle éclate, les vagues se répercuteront sur l’ensemble des gouvernements locaux. Ils ressentent déjà les effets de la forte baisse des ventes de terrains.

    Xu Jiayin lui-même ne sera certainement plus un milliardaire, il pourrait bien finir en prison à cause de ce qui est en train d’être révélé sur Evergrande. Ce que ses patrons ont fait est effrayant, ils ont construit un énorme système de Ponzi, basé sur la tromperie des gens pour que la fraude continue. Les régimes capitalistes autoritaires comme celui de Xi Jinping peuvent de temps en temps montrer l’exemple, poursuivre les hommes d’affaires et même les abattre, mais cela ne change pas la base capitaliste de l’économie.

    Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a appelé Pékin à “agir de manière responsable” dans ses relations avec Evergrande, probablement en raison d’informations selon lesquelles tout sauvetage par le gouvernement chinois privilégierait les intérêts nationaux par rapport à ceux des détenteurs d’obligations étrangers. Comment cela s’inscrit-il dans le cadre des tensions croissantes entre la Chine et les États-Unis ?

    VK : Le problème d’Evergrande n’est pas seulement celui de la Chine. Si Evergrande marque un tournant, le début d’une crise généralisée dans le secteur immobilier chinois, cela aura des répercussions mondiales.

    Blinken tente de faire pression sur le régime chinois pour qu’il préserve les intérêts des fonds spéculatifs et des spéculateurs de Wall Street, qui ont acheté ces obligations de pacotille. D’ailleurs, les banques occidentales, telles que la banque britannique HSBC et la banque suisse UBS, continuent d’acheter ces titres, même s’ils n’ont aucune valeur, parce qu’elles calculent qu’il pourrait encore y avoir un gain. Je pense que le régime chinois ne leur accordera que peu d’importance. Sa priorité est d’éviter les troubles intérieurs.

    Mais c’est un problème pour les États-Unis. Il est intéressant de constater un certain changement de ton de la part de certains analystes internationaux pro-capitalistes. Depuis le début de la guerre froide actuelle, l’accent a été mis sur “la Chine devient trop puissante”, “la Chine est une menace parce qu’elle est si forte”. Aujourd’hui, on trouve de plus en plus d’articles affirmant que “la Chine est peut-être plus faible que nous le pensions”. La Chine peut être une menace non pas parce qu’elle “dépasse les États-Unis”, mais parce que son économie entre dans une crise grave. Cela affectera l’ensemble du capitalisme mondial.

    Depuis la grande récession de 2008, la Chine a représenté environ 28 % de la croissance mondiale. Tout le monde sait que le charbon d’Australie, le fer du Brésil et les matières premières d’Afrique et d’Amérique latine ont été aspirés sur le marché chinois à des prix élevés précisément parce que des entreprises comme Evergrande construisaient toutes ces maisons. La part de la Chine dans les mises en chantier mondiales est actuellement de 32 %.

    En 2020, Kenneth Rogoff, de Harvard, et Yuanchen Yang, de l’université de Tsinghua, ont affirmé qu’”une chute de 20 % de l’activité immobilière pourrait entraîner une baisse de 5 à 10 % du PIB, même sans l’amplification d’une crise bancaire, ni la prise en compte de l’importance de l’immobilier comme garantie”. Le scénario qu’ils esquissent n’est pas farfelu. En août de cette année, on a constaté une chute de 20 % en glissement annuel des ventes de logements. En septembre, elle est passée à 30 %. Si ce marché continue à s’effondrer de la sorte, cela se traduira par de graves problèmes non seulement pour la Chine, mais aussi pour l’ensemble de l’économie mondiale, sans oublier les craintes d’une forte baisse des prix des métaux.

    En ce qui concerne les États-Unis, ils se sont préparés à cette guerre froide à long terme en partant du principe que la Chine les défie, mais ils pourraient être confrontés à un scénario différent consistant à limiter les dégâts causés par une Chine en crise profonde.

    Comment les socialistes feraient-ils face à cette situation ?

    VK : Quelle serait une véritable politique socialiste ? Le PCC n’est pas un parti socialiste mais un parti capitaliste et autoritaire de milliardaires comme Xu Jiayin, et d’ailleurs Xi Jinping lui-même et sa famille, qui sont également extrêmement riches. S’ils devaient mettre en œuvre des politiques socialistes, ils provoqueraient leur propre chute.

    Les politiques socialistes impliqueraient la nationalisation des sociétés immobilières en Chine – certaines sont déjà détenues par l’État, d’autres, comme Evergrande, sont privées. Mais la nationalisation nécessite une planification démocratique par la main-d’œuvre, par les représentants des résidents et par les syndicats, qui n’existent pas en Chine. La propriété publique et la planification démocratique sont la clé.

    Si un cinquième des appartements urbains sont vides, alors un gouvernement ouvrier les confisquerait, ne versant une compensation que dans les rares cas où un individu peut prouver qu’il souffre d’une réelle détresse financière. Cela signifierait que des millions d’unités de logement seraient instantanément disponibles pour le logement social, louées à des loyers bas plutôt que vendues, avec une réorganisation totale du marché du logement vers le logement social et locatif, loin du marché exclusif et coûteux des appartements à vendre.

    Bien entendu, si le secteur immobilier est un élément crucial de l’économie chinoise, il ne serait pas possible de le planifier de manière isolée. Cela nécessiterait la transformation socialiste de l’économie au sens large, y compris du système financier. De cette manière, toutes les dettes pourront être annulées et les ressources utilisées pour répondre aux besoins des gens ordinaires.

    Une mesure clé serait de se débarrasser du système du hukou. S’il était aboli demain, les gouvernements locaux chinois ne disposeraient pas de l’infrastructure sociale nécessaire pour y faire face. La majorité des cols bleus vivant dans les grandes villes ont des hukous ruraux. Comme ils ne peuvent pas posséder leur propre maison, il arrive souvent que deux ou trois familles vivent dans des pièces sordides et exiguës. Les administrations municipales n’ont pas les moyens de fournir les soins de santé, les indemnités de chômage et les pensions nécessaires. Pour abolir le hukou, il faut donc une révision complète et révolutionnaire de l’ensemble du système financier gouvernemental.

    Toutes ces questions sont liées les unes aux autres. Il n’y a pas de syndicats en Chine, alors comment développer les mécanismes de planification, afin d’éviter tous les problèmes qui se posent actuellement. La seule façon d’y parvenir est de placer toutes les décisions économiques sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière, ce qui implique l’auto-organisation des travailleurs dans des partis démocratiques, des organisations de travailleurs et, surtout, des syndicats. Tout cela nécessite une lutte révolutionnaire, en d’autres termes un programme révolutionnaire, pour des droits démocratiques complets et immédiats et le renversement de la dictature.

  • Le capitalisme fait-il payer les riches ? Réponse socialiste au sujet de Biden, du FMI et des hausses d’impôts

    Bien que la proposition de Biden fasse payer plus d’impôts à Google dans certains pays, c’est aussi un moyen d’éviter différents types de taxes numériques à différents niveaux (Photo : Outreach Pete / Flickr CC).

    Pourquoi le FMI, Joe Biden et le gouvernement britannique, parmi de nombreuses autres institutions et gouvernements capitalistes, préconisent-ils soudainement une augmentation des impôts ? Ces mesures résoudront-elles les problèmes qui s’accumulent dans l’économie capitaliste ?

    Per-Ake Westerlund, Rattvisepartiet Socialisterna (ISA en Suède)

    En un court laps de temps, les propositions suivantes ont été annoncées :

    • Le gouvernement britannique conservateur va augmenter l’impôt sur les sociétés de 19 à 25 % au cours des quatre prochaines années.
    • Le nouveau président américain, Joe Biden, propose d’augmenter l’impôt sur les sociétés de 21 à 28 %, ainsi que l’impôt sur les personnes gagnant plus de 400.000 dollars par an, afin de financer un plan d’infrastructure de 3 à 4 billions de dollars. En outre, la nouvelle administration souhaite la création d’une limite mondiale (minimale) pour l’imposition des sociétés.
    • Le Fonds monétaire international, FMI, préconise que “les hauts revenus et les entreprises qui ont prospéré pendant la crise du coronavirus devraient payer des impôts supplémentaires en signe de solidarité”.

    Ces propositions marquent-elles un changement politique important ? Voici un commentaire pour illustrer la réponse : « L’autre semaine, j’ai vu en gros titre que le FMI mettait en garde contre les réductions de dépenses et des emprunts publics. Le rapport m’a arrêté dans mon élan. Après avoir été, pendant un demi-siècle environ, le gardien de la flamme sacrée de la prudence budgétaire, le FMI disait aux responsables politiques des riches nations industrielles qu’ils ne devaient pas s’inquiéter outre mesure de l’énorme accumulation de la dette publique pendant la crise du Covid-19. John Maynard Keynes avait été déterré, et le monde était sens dessus dessous. (…) C’était le FMI qui parlait… C’est l’organisation qui, des années durant, ne disposait que de quelques réponses simples pour tous les problèmes économiques auxquels vous pouviez penser : réduction des dépenses budgétaires, réduction de la taille de l’État et/ou libéralisation du marché. Ces conseils ont été baptisés « consensus de Washington » en raison de la localisation du FMI. » (Philip Stephens, commentateur politique en chef, Financial Times, 19 février)

    Il est également révélateur que ces propositions émanent principalement des mêmes partis et gouvernements qui ont lancé la vague néolibérale dans les pays capitalistes « avancés », les États-Unis et la Grande-Bretagne, dans les années 1980 et 1990. Le plan de Biden comporte les toutes premières augmentations d’impôts aux États-Unis depuis 1993.

    Pourquoi cela se produit-il ?

    Pour reprendre les termes de l’OCDE : « En 1980, les taux d’imposition des sociétés dans le monde étaient en moyenne de 40,11 %… Depuis lors, les pays ont pris conscience de l’impact que des taux élevés d’imposition des sociétés ont sur les décisions d’investissement des entreprises, de sorte qu’en 2020, la moyenne est désormais de 23,85 pour cent. »

    L’OCDE répète le prétexte officiel des réductions d’impôts néolibérales en faveur des riches : libérer les « investissements des entreprises ». En réalité, avec les attaques contre les finances du secteur public dont ces réductions d’impôts faisaient partie, parallèlement à la réduction des salaires et à la détérioration des conditions de travail, la classe capitaliste menait une guerre de classe contre la classe ouvrière, afin d’augmenter ses profits.

    Cette « libération » des forces du marché n’a jamais atteint les objectifs de stabilité, de croissance et d’amélioration de la vie de toutes et tous que ces politiciens promettaient lorsqu’ils s’adressaient à un public de masse. Au contraire, elle a entraîné une augmentation record des inégalités, détruit le bien-être là où il existait et accéléré la crise climatique. Il y a environ 20 ans, ce système avait déjà été profondément remis en question par le mouvement contre la mondialisation capitaliste.

    La crise financière de 2008-2009, suivie de la « grande récession », a souligné la fragilité du système. Des idées telles que la « taxe Tobin » sur les transactions financières et des propositions similaires de l’économiste Thomas Piketty reflétaient la prise de conscience croissante parmi les capitalistes et leur personnel politique que quelque chose devait être fait. Certains milliardaires ont commencé à préconiser une augmentation des impôts et même le FMI a mis en garde contre les inégalités.

    Mais aucun gouvernement n’a franchi la ligne. L’austérité pour le peuple et les milliards pour les riches, voilà quelle était la médecine des années 2010. Cela a créé vague après vague de luttes et de mouvements de travailleurs et d’opprimés au cours de cette décennie. Alors qu’elle touchait à sa fin en 2019, une vague de révoltes de masse s’est répandue sur la planète, qui s’est poursuivie depuis, avec seulement une courte pause lorsque la pandémie a commencé.

    Par conséquent, ce tournant dans les politiques gouvernementales repose sur les raisons fondamentales suivantes : 1) L’échec complet de l’idéologie néolibérale à stabiliser l’économie durant les décennies précédentes. 2) La crainte d’un mécontentement et de révoltes de masse venant d’en bas, sapant davantage le capitalisme et ses partis politiques.

    Bien entendu, la pandémie et la crise qu’elle a déclenchée ont joué un rôle important. Dans la plupart des pays, une intervention massive de l’État a été nécessaire pour éviter un effondrement économique total. Les entreprises ont été payées pour ne pas faire faillite et même les travailleurs ont reçu un peu d’argent, surtout aux États-Unis, pour maintenir la consommation (qui compte pour 70 % de l’économie américaine).
    L’OCDE explique : « Les estimations pour l’ensemble de l’OCDE en 2020 suggèrent une augmentation de 5 points de pourcentage du PIB du déficit primaire ajusté au cycle économique (une mesure de l’orientation budgétaire) ; et une augmentation de près de 17 points de pourcentage du PIB pour la dette publique brute. » La dette moyenne des États du G20 est passée de 82,1 % du PIB en 2019 à 103,2 % en 2021.

    « Sans ces mesures fiscales et monétaires, la contraction mondiale de l’année dernière aurait été trois fois plus grave. Cela aurait pu être une nouvelle Grande Dépression », a commenté la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva.

    Guerre fiscale et paradis fiscaux

    Depuis plus d’une décennie, l’OCDE et les pays du G20 négocient pour trouver des solutions mondiales à la concurrence fiscale entre gouvernements. Les écarts entre les impôts sur les sociétés, bien qu’ils aient été réduits partout, restent importants : 5,5% à la Barbade, 9% en Hongrie, 12,5% en Irlande, 32% en France et environ 35% dans de nombreux pays d’Afrique et d’Amérique latine. Il existe parallèlement des pays à la fiscalité nulle, des paradis fiscaux tels que les îles Caïmans, Jersey, les Émirats arabes unis, etc.

    Le site web de l’ONG « Global Alliance for Tax Justice » estiment que « les pays perdent au total plus de 427 milliards de dollars d’impôts chaque année à cause de l’évasion fiscale des entreprises internationales et de l’évasion fiscale privée, ce qui coûte aux pays l’équivalent du salaire annuel de près de 34 millions d’infirmières chaque année – ou le salaire annuel d’une infirmière toutes les secondes. »

    Les systèmes d’évasion fiscale ont été exposés, par exemple, par les Panama papers, divulgués en 2016, qui ont démontré la culpabilité de grandes banques et entreprises renommées. Les entreprises se livrent à toutes sortes de transactions et de manœuvres pour dissimuler l’ampleur de leurs bénéfices afin d’échapper à l’impôt. Les paradis fiscaux sont d’autre part grands ouverts aux criminels et au blanchiment d’argent.

    La guerre fiscale entre les pays a longtemps été décrite comme une course vers le bas. La diminution des revenus pour le secteur public a évidemment aidé les gouvernements de droite favorables aux réductions budgétaires et aux privatisations. Les États-Unis disposaient d’un taux d’imposition des sociétés de 35 %, mais Trump et les républicains l’ont abaissé à 21 % en 2017, juste en dessous de la moyenne mondiale. L’augmentation proposée par Biden, à 28 %, ne fait donc finalement que le rétablir à mi-chemin du niveau précédent.

    En Europe, l’Union européenne a été le principal vecteur du néolibéralisme en poussant à la privatisation et à la déréglementation. Au sein de l’UE, la concurrence fiscale s’est poursuivie. Lorsque la Commission européenne a ordonné à Apple de payer 13 milliards d’euros d’impôts à l’Irlande, le gouvernement irlandais a refusé d’accepter la décision en déclarant qu’Apple avait déjà payé « le montant correct ». Le Socialist Party (section irlandaise d’Alternative Socialiste Internationale et parti-frère du PSL/LSP) a souligné à quel point la faible taxation des grandes entreprises s’accompagnait d’une forte austérité pour les travailleurs.

    Que peut donc faire Biden ?

    L’augmentation des impôts américains proposée par Biden est censée accroître les revenus de l’État de 2 à 2,5 billions de dollars. Comme elle s’étale sur une période de 15 ans, il s’agit en fait d’une augmentation modeste. Elle peut être comparée à la valeur du marché boursier américain, qui dépasse les 50.000 milliards de dollars.

    La proposition internationale de Biden a été diffusée auprès de 135 gouvernements dans le cadre des négociations fiscales de l’OCDE. Elle a reçu des réponses positives de Berlin et de Paris, et une proposition finale est censée être prête d’ici l’été.

    Cette proposition comprend ce que l’OCDE appelle deux piliers : 1) un taux minimum mondial d’impôt sur les sociétés de 21 % et 2) une proposition selon laquelle les multinationales devraient payer des impôts en fonction de leurs ventes dans chaque pays. Cette dernière proposition était clairement rejetée par Trump, qui a préféré la poursuite des réductions d’impôts. La proposition de Biden, même si elle implique que Google ou Microsoft paient plus d’impôts dans certains pays, est toutefois un moyen d’éviter les taxes numériques à différents niveaux mises en œuvre par les gouvernements nationaux.

    Un minimum mondial augmenterait également les recettes fiscales aux États-Unis, car il y aurait moins de raisons de déplacer les sièges sociaux à l’étranger pour des raisons fiscales, et pour les entreprises américaines à l’étranger qui paient aujourd’hui 10,5 % d’impôts. Il y a un fort élément nationaliste dans la proposition apparemment « mondiale » de Biden. D’autres nouvelles annonces politiques de Biden, telles que le renforcement du rôle de l’État et les plans d’investissement dans les infrastructures, font également partie de la stratégie des Etats-Unis dans la nouvelle guerre froide avec la Chine.

    Cette proposition globale est également très modeste. Elle profitera aux pays les plus riches et ne fera rien pour arrêter l’augmentation des inégalités dans le monde. Elle ne couvre que moins de dix pour cent des 2.300 entreprises figurant dans le plan initial de l’OCDE pour les impôts mondiaux.

    La popularité à court terme de M. Biden, qui découle de ses mesures de relance et des pronostics récemment plus positifs concernant l’économie américaine, lui confère certains avantages. Néanmoins, la droite républicaine et une partie au moins des grandes entreprises s’opposeront à son plan. Et bien sûr, de nombreux gouvernements auront des objections à l’égard d’un taux d’imposition mondial, surtout en cette période de nationalisme croissant des capitalistes et des partis politiques.

    Les propositions du FMI sont également limitées, bien qu’elles signifient un changement de cap. Ce que le FMI propose, c’est une taxe temporaire et limitée pour les superprofits réalisés pendant la pandémie.

    Vitor Gaspar, responsable de la politique fiscale du FMI, a déclaré : « La vaccination sera probablement le projet d’investissement mondial au rendement le plus élevé jamais envisagé ». Avec tant de personnes affectées négativement par la crise, une « taxe de solidarité » sur les bénéfices extraordinaires aurait un « impact symbolique », a-t-il ajouté.

    Si le FMI a également formulé des commentaires positifs sur l’impôt sur la fortune et l’impôt sur les successions, tant le FMI que l’OCDE soulignent que toute mesure de soutien et toute dépense publique seront temporaires. Les travailleurs ne doivent pas s’habituer à l’aide de l’État.

    Les marxistes et l’impôt

    Les politiciens et les médias qualifient souvent les impôts élevés de politiques socialistes. Et bien sûr, nous sommes en faveur d’une augmentation des impôts pour les milliardaires et les grandes entreprises. Dans le même temps, nous mettons en garde contre les limites d’une politique d’augmentation des impôts.

    Dans le cas de Biden, les mesures positives telles que l’augmentation des allocations familiales portent le message suivant : « Le président s’occupe du problème, pas besoin d’un mouvement de masse organisé démocratiquement ». Dans le cadre du capitalisme, chaque mesure n’est que temporaire et, dans ce cas, il y a même une limite temporelle explicite à la mesure : septembre ou décembre 2021. Même si Biden propose de rendre cet avantage permanent, il n’y a en fait aucun réel gain à long terme pour les travailleurs dans la loi de relance de 1,9 billion de dollars adoptée en mars.

    L’augmentation des impôts ne sera pas tout simplement acceptée en silence par les entreprises et les riches. Ceux-ci engageront des milliers d’experts en évasion fiscale et ils augmenteront les prix ou réduiront les salaires afin de transférer la charge sur la classe ouvrière.
    Pendant toute une période, de 1945 à 1980 environ, la Suède était considérée comme un modèle où l’augmentation des impôts et le bien-être public allaient de pair pour améliorer la vie des travailleurs. Mais cela a pris fin, car les impôts n’ont pas modifié l’équilibre réel du pouvoir économique et de la propriété. Les capitalistes ont pu riposter, car la social-démocratie a accepté de rester dans le cadre du capitalisme. Une « économie sociale de marché » à la Piketty est impossible.

    Il est vrai que des augmentations d’impôts relativement faibles suffiraient à financer des logements moins chers, des retraites plus élevées, le financement des écoles et des hôpitaux, etc. Mais sous le capitalisme, de telles mesures sont temporaires. Toute mesure de ce type dans le cadre du capitalisme est temporaire. La facture finira par peser sur les travailleurs et les pauvres, au niveau national et international.
    Le récent changement de politique ne sauvera pas le capitalisme de la crise. Les tensions et les contradictions nationales, la dette massive et le danger d’inflation s’ajouteront plus tard à tous les autres facteurs de crise de ce système.

    Les marxistes ne sont pas des pom-pom girls pour les politiciens qui augmentent les impôts. Nous soutenons les réformes positives, et nous nous préparons aux luttes pour les défendre et les améliorer. Au cours de l’année à venir, il est probable que les politiciens rentreront en eaux troubles dès lors qu’ils tenteront d’abolir les mesures temporaires d’assistance aux travailleurs. Nous avons besoin de partis politiques de la classe ouvrière et de mouvements sociaux de masse et démocratiques qui luttent pour un changement de système, pour abolir le capitalisme et établir une société socialiste démocratique.

    Contrôler les grandes entreprises, les Amazon et les Jeff Bezos, avec des taxes est aussi difficile que d’arrêter la crise climatique en essayant de contrôler les compagnies pétrolières privées. Pour les marxistes, taxer la richesse privée ne suffit pas, la question clé est celle de la propriété de la richesse. Pour prendre un réel pouvoir sur l’économie, la nationalisation des grandes entreprises est nécessaire, sous le contrôle démocratique des travailleurs et des pauvres, dans le cadre d’une véritable coopération internationale.

  • Jeu en bourse & GameStop : Les milliardaires sont propriétaires du casino

    Les actions GameStop ont vu leu valeur augmenter de 700% la semaine dernière en raison de ce certains ont appelé un “bain de sang” organisé par un sous-groupe de Reddit contre des prévisions d’un fonds spéculatif de Wall Street qui prévoyait la chute des actions GameStop.

    Par Conor Tormey, Socialist Party (section irlandaise d’Alternative Socialiste Internationale)

    GameStop a subi des pertes massives ces dernières années avec l’essor du marché numérique des jeux et le déclin de la grande distribution. Il était presque inévitable que GameStop ferme ses portes au cours des prochaines années, ou que l’entreprise réduise considérablement ses effectifs comme l’ont fait d’autres sociétés. L’année dernière, GameStop a fermé 400 magasins et 600 l’année précédente.

    Cependant, les espoirs de l’entreprise ont changé en septembre dernier lorsque Ryan Cohen ( co-fondateur et ancien PDG de la société de commerce électronique Chewy) a investi 76 millions de dollars. La valeur des actions a remonté jusqu’à comprendre deux chiffres pour la première fois depuis mars 2019.

    Qu’est-ce qu’une “vente à découvert” ?

    Malgré cela, GameStop ne se portait pas encore très bien et une société d’investissement basée à New York, Melvin Capital, l’a vu et a essayé ce qu’on appelle une “vente à découvert”. La vente à découvert consiste pour un investisseur à emprunter des actions à un courtier et à les vendre immédiatement, en espérant que le prix baissera afin de pouvoir les racheter au prix le plus bas avant de rendre au courtier en empochant la différence : plus le prix baisse, plus les vendeurs à découvert sont rentables.

    Cela peut toutefois être risqué, car si le prix augmente, les vendeurs à découvert devront acheter des actions à un prix plus élevé avant de retourner chez le courtier. Et c’est ce qui s’est passé dans ce cas. Un sous-goupe de Reddit (de 4,4 millions d’utilisateurs) appelé “WallStreetBets” a réalisé ce que Melvin Capital faisait et a encouragé d’autres petits investisseurs à placer leur argent sur GameStop. La valeur des actions a donc grimpé. Lorsque Mevin Capital a réalisé ce qui se passait, la société a été contrainte de mettre fin à sa vente à découvert et de racheter les actions en perdant elle-même des milliards de dollars, mais en faisant encore monter la valeur des actions GameStop.

    L’année dernière, à la même époque, GameStop se situait à 3,21 dollars par action. Mercredi, à leur apogée, les actions valaient 491 dollars. Les petits investisseurs se sont révélés plus malins qu’un fonds spéculatif de Wall Street.

    Un système truqué

    Mais l’élite de Wall Street a alors exercé sa magie corrompue. Robinhood, l’un des plus grands et des plus récents sites de commerce, a empêché les gens d’acheter des actions de GameStop, ce qui a sauvé Melvin Capital et de nombreuses autres entreprises de pertes encore plus importantes. Cette manoeuvre, tout comme les renflouements sans précédent de l’année dernière, montre une fois de plus que le capitalisme est un système truqué, où les règles sont écrites dans l’intérêt des milliardaires aux dépens de la majorité de la société, y compris des petits investisseurs. Il est clair que le capitalisme n’est pas vraiment un “marché libre” pour tout le monde, c’est un marché libre pour les élites.

    En fin de compte, ce fiasco démontre que les marchés boursiers ne sont rien d’autre que du jeu d’argent, mais que ce sont les gros joueurs qui possèdent le casino. Cela illustre la nature véritablement parasitaire du capitalisme. Ce système repose sur des milliardaires qui s’accaparent la richesse créée par les travailleurs au lieu de l’investir là où cela est nécessaire : pour fournir des emplois, des logements, des soins de santé ou assurer la transition vers une économie sans carbone.

    Des milliards de dollars sont échangés chaque jour en bourse et des richesses obscènes sont amassées par les grandes entreprises et l’élite super-riche aux Etats-Unis. Et ce, à un moment où le Congrès débat de l’opportunité de donner ou non 2 000 dollars d’allocation unique spéciale aux travailleurs américains qui ont du mal à joindre les deux bouts dans cette crise sanitaire ! Le capitalisme est la plus grande escroquerie qui soit et les fiascos comme celui qui s’est produit avec GameStop ne font qu’exposer le système pour ce qu’il est. Il est temps de le renverser.

  • Économie mondiale : Le changement de politique ne permettra pas de vacciner le système contre la dépression


    « Nous ne devons pas nous vanter trop de nos victoires humaines sur la Nature. Pour chacune de ces victoires, la Nature se venge sur nous. » Friedrich Engels, Dialectique de la nature.

    Beaucoup se seront sentis soulagés de la réussite du développement d’une première génération de vaccins et de leur déploiement progressif dans un certain nombre de pays. Quel témoignage des capacités de la science moderne ! Malheureusement, depuis lors, les contaminations augmentent rapidement, avec un nombre record de décès et l’annonce de nouveaux confinements. Il semble que le virus prenne sa revanche, et nous rappelle que ce n’est pas encore fini.

    Par Eric Byl, Exécutif international d’ASI 

    Le Covid 19 est venu s’ajouter aux catastrophes écologiques et à l’aggravation des privations sociales. La pandémie a mis en évidence le manque de crédibilité politique du système et a déclenché une dépression économique qui était déjà imminente. Elle a plongé le capitalisme dans un tourbillon de crises d’une ampleur inédite, avec des conséquences dramatiques sur tous les aspects de la vie et n’épargnant aucune partie de la planète.

    La “main directrice” de l’État

    Cette crise a aussi complètement mis en pièces le conte de fées du capitalisme en tant que système “autorégulateur”. La “main invisible du marché” a totalement perdu le contrôle des forces qu’elle a libérées. Elle s’est vue forcée de céder la place à la “main directrice de l’État” dans une tentative désespérée de retrouver un semblant de contrôle sur la situation.

    L’utilisation de la “main directrice de l’État” est loin d’être neuve ou exceptionnelle sous le capitalisme. Cela a été essentiel dès sa création, lors de l’exploration et du pillage des colonies, que Marx a décrit comme la période d’”accumulation primitive” du capital. Le développement de la plus ancienne bourse d’Amsterdam au XVIIe siècle n’a été possible qu’après que la Compagnie privée des Indes orientales ait obtenu le monopole du commerce extérieur et soit devenue le bras armé de la politique coloniale néerlandaise. La “Belle Epoque”, la période de mondialisation capitaliste qui a précédé la Première Guerre mondiale, a pris son envol après la normalisation du rail et du télégraphe à l’initiative de l’Etat. En fait, l’histoire du capitalisme est jonchée d’exemples d’événements politiques, de financement public et d’initiatives publiques qui ont posé les bases du profit privé.

    Le développement des vaccins sera bien sûr mis à profit pour prétendre – à tort – que cela résulte de l’initiative privée, de la concurrence entre acteurs privés et du marché libre, par opposition à l’intervention publique qui étoufferait prétendument l’initiative. En réalité, l’afflux de fonds publics représentait une condition préalable cruciale pour que les entreprises pharmaceutiques privées puissent développer des vaccins en si peu de temps. Le ministère américain de la santé a, à lui seul, engagé 10,6 milliards de dollars pour les développeurs de vaccins. Moderna a reçu plus de 2,5 milliards de dollars en commandes prépayées et en partenariats public-privé du gouvernement américain. Pfizer a reçu un montant similaire provenant de différentes ressources publiques et AstraZeneca a reçu 1,7 milliard de dollars de fonds publics. Toutes ces entreprises s’appuyaient fortement sur la recherche fondamentale développée dans des universités publiques comme Harvard, Mayence, Oxford, etc. On estime qu’au total, 3 nouveaux médicaments sur 4 sont développés grâce à la recherche fondamentale financée par l’État, plutôt que d’être le résultat du prétendu dynamisme du secteur privé.

    Contrairement à Moderna et Pfizer, AstraZeneca a promis de vendre son vaccin sans faire de profit tant que durera la pandémie. Johnson & Johnson et GSK ont pris des engagements similaires, mais comme l’a prévenu Médecins sans frontières, AstraZeneca décidera elle-même quand elle estimera la pandémie terminée. D’importantes hausses de prix sont à prévoir par la suite. En outre, comme l’a souligné l’Observatoire européen des entreprises, la Commission européenne refuse de communiquer les prix convenus avec les entreprises pharmaceutiques. Grâce à une bévue du secrétaire d’État au budget belge, ces prix sont désormais dans toute la presse. Ils varient entre 1,80 € pour le vaccin AstraZeneca et 14,70 € pour le vaccin Moderna.

    La pandémie a souligné le peu de rapport qui existent entre la mondialisation capitaliste et la “coopération et la solidarité internationales”. Aujourd’hui, ce constat s’étale à nouveau au grand jour avec le développement de ce que l’on a déjà appelé le “nationalisme vaccinal”. Pays et régions se bousculent et jouent des coudes pour être les premiers servis dans l’espoir de relancer pleinement la machine à profits. Avant leurs principaux concurrents de préférence.

    Déjà 9,6 milliards de doses de vaccins ont été achetées ou réservées, la majeure partie d’entre elles par des pays à revenu élevé. Le Canada en a acheté 5 fois plus qu’il n’en a besoin, l’UE deux fois plus qu’il n’en faut, etc. Les pays à revenu moyen supérieur ont acheté beaucoup moins, mais ce sont les pays à faible revenu qui devront compter sur COVAX, un projet de coopération internationale impliquant l’Organisation mondiale de la santé et visant à vacciner 3 % de la population, puis 20 % à un stade ultérieur, ce qui est encore loin des 70 % requis pour éradiquer le virus.

    Selon les modèles actuels, il n’y aura assez de vaccins pour couvrir la population mondiale qu’en 2023 ou 2024. Un sondage d’opinion réalisé en Belgique a révélé que 80 % des personnes interrogées étaient favorables à la suppression des brevets, une proportion probablement similaire à celle d’autres pays. L’Inde et l’Afrique du Sud ont proposé de renoncer aux brevets jusqu’à la fin de la pandémie. Cela est techniquement possible du fait de l’accord ADPIC (Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce) de l’Organisation mondiale du commerce adopté en 2003. Mais cela n’a jamais été appliqué en raison de la pression des grands lobbies pharmaceutiques. Cela est à nouveau rejeté aujourd’hui par le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada, l’Australie et l’Union européenne. Les principaux responsables politiques doivent pourtant bien savoir qu’au cours des dix dernières années, les grandes entreprises pharmaceutiques ont versé plus de dividendes aux actionnaires qu’elles n’ont investi dans la recherche et le développement de vaccins.

    Le développement de la première génération de vaccins sera accueilli par beaucoup avec soulagement, mais il y a de nombreux obstacles à surmonter, tels que la réfrigération mobile et l’accès à une électricité fiable. Des questions restent également entières concernant la durée de l’immunité fournie, les effets secondaires possibles et la possibilité de mutation du virus. Un certain scepticisme existe au sujet des vaccins en raison des échecs répétés des classes dirigeantes dans la lutte contre le virus, du secret et de la méfiance envers les hommes et femmes politiques dévoués aux intérêts des entreprises. L’Organisation mondiale de la santé considère “l’hésitation à se faire vacciner” comme l’une des dix principales menaces sanitaires mondiales.

    Le coronavirus a aggravé une dépression économique déjà en cours

    Ce qui restera dans l’histoire comme la crise économique du coronavirus a plongé l’économie mondiale, en quelques semaines, dans une dépression similaire à celle qui a mis des années à se développer lors de la Grande Dépression des années 1930.

    Suite à la mise en place de mesures de confinement dans le monde entier depuis mars 2020, au cours du 2e trimestre 2020, le PIB réel de la zone OCDE a chuté de 9,8 % selon les estimations, ce qui est nettement plus que la chute de 2,3 % enregistrée au premier trimestre 2009, au plus fort de la crise financière. Le PIB a baissé de 20,4 % au Royaume-Uni, de 13,8 % en France, de 12,4 % en Italie et en Allemagne. Dans l’ensemble de la zone euro et dans l’Union européenne, il a baissé respectivement de 12,1 % et 11,7 %, après des baisses de 3,6 % et 3,2 % au trimestre précédent. Aux États-Unis, il a baissé de 9,5 % et au Japon de 7,8 %.

    Après un tel quasi-arrêt, il est logique qu’une fois que les économies ont commencé à rouvrir, il y ait eu un rebond significatif au troisième trimestre avec une croissance du PIB de 7 % aux États-Unis, 8 % en Allemagne, 16 % au Royaume-Uni et 18 % en France. Cela a ravivé l’espoir que la récession serait en forme de “V” (c’est-à-dire suivie d’une reprise rapide) et que la prédiction de l’économiste en chef du FMI, Gina Gopinath, selon laquelle la période de reprise après la crise serait “longue, inégale et incertaine”, se serait avérée fausse.

    Le rebond s’est avéré de courte durée puisque le virus a refait surface. Mais même avant les deuxièmes vagues, le FMI avait déjà prédit une chute du PIB mondial de 4,4 % en 2020, un record. Il avait alors estimé que les économies avancées se seraient contractée de 4,7% d’ici fin 2021 par rapport à leurs estimations de début 2020, et de 8,1 % pour les économies émergentes. Les coronavirus et les confinements, s’ils ont eu un impact extrême, n’ont pas causé mais plutôt déclenché une aggravation dramatique de la dépression économique qui se développait déjà. Aucun des problèmes préexistants n’a été résolu depuis, tous se sont aggravés.

    La croissance de la productivité, principale mesure de la performance d’un système économique, est en déclin depuis de nombreuses décennies. Mesurée par la croissance du PIB mondial par personne employée, elle est passée de 3,2 % en 1970 à 1,2 % au début des années 1980, puis a remonté à 2,5 % au début des années 2000 avec l’intensification de l’exploitation et l’ouverture de nouvelles régions à l’exploitation capitaliste, avant de redescendre régulièrement pour atteindre 1,5 % en 2019.

    Dans les pays capitalistes avancés, à l’exception des États-Unis, la croissance du PIB par personne employée est passée de 4 % en 1970 à 2 % au début des années 1980, puis a stagné pendant 15 ans avant de redescendre régulièrement à 0,8 %. Les États-Unis ont suivi une courbe inverse : d’un creux de 1,3 % en 1970 à un pic de 2 % en 2000, ils ont depuis rejoint la même courbe descendante. Au niveau mondial, l’augmentation de l’efficacité de la production entre 2007 et 2014 n’a été que d’environ un quart de celle enregistrée entre 1999 et 2006 ! Cette situation comprime les profits, sape les investissements dans la production réelle, menace la croissance économique, la création d’emplois et le niveau de vie. En outre, toutes les prévisions indiquent une nouvelle érosion à long terme.

    Le rapport sur la richesse mondiale en 2020 du Crédit Suisse a confirmé que les inégalités, déjà à un niveau historique, ont rapidement augmenté. On estime désormais que le 1% des ménages les plus riches possède 43% de l’ensemble de la richesse personnelle mondiale, dont 25% sont détenus par les 175.000 ménages ultra-riches – le 0,1% ! Les 50 % les plus pauvres possèdent 1 % de la richesse mondiale, les 90 % les plus pauvres 11 %. Le FMI et la Banque mondiale estiment qu’entre 90 et 150 millions de personnes dans le monde vont tomber dans l’extrême pauvreté, faisant passer de 8,4 à 9,1 % la part de la population mondiale vivant avec moins de 1,90 $ par jour.

    La colossale montagne de dette s’agrandit

    Depuis plus d’une décennie, l’économie mondiale est également en proie au piège de la dette. Il y a plus de dix ans, la Chine a pu lancer un gigantesque plan de relance qui a contribué à amortir les effets de la Grande Récession à l’échelle mondiale. C’est en partie grâce à cela que la Chine a accumulé une dette telle qu’elle n’est plus en mesure de répéter une intervention de cette ampleur. Selon l’Institute of International Finance (IIF), la dette mondiale totale – publique, entreprise et ménages confondus – a augmenté de 15.000 milliards de dollars en 2020. Entre 2016 et 2020, elle a augmenté de 52.000 milliards de dollars, contre 6.000 milliards de dollars entre 2012 et 2016. Au début de 2020, la dette mondiale atteignait 320 % du PIB mondial et se situe maintenant à 365%.

    En réponse à la Grande Récession de 2008/09, les banques centrales, créées à l’origine pour contrer les liquidités excessives et éviter une inflation incontrôlable, ont injecté de vastes sommes d’argent dans l’économie. En conséquence, leurs bilans ont explosé, la FED (États-Unis) passant d’une moyenne historique de 4 à 6 % du PIB américain à 22 %. Les tentatives de réduction substantielle de cette moyenne ont échoué en raison de la faiblesse de la croissance post-récession. En janvier 2020, elle s’élevait encore à 4,2 billions de dollars, soit 19 % du PIB américain, mais la dépression « coronavirus » est ensuite arrivée. Déjà avant la pandémie, les économistes avaient mis en garde contre l’endettement excessif des entreprises. Fin 2019, près de 20 % des entreprises américaines étaient considérées comme des « entreprises zombies », maintenues en vie par des prêts dont elles ne peuvent pas assurer le remboursement. Leur effondrement provoquerait une réaction en chaîne imparable ainsi qu’un krach financier.

    La FED n’a donc pas eu d’autre choix que d’intervenir à nouveau et, en juin, son solde atteignait 7,2 billions de dollars, soit 33 % du PIB américain. En novembre, elle avait déjà atteint 7,2 billions de dollars, soit 33 % du PIB américain. Les banques centrales du monde entier avaient injecté pas moins de 8 700 milliards de dollars dans l’économie et continuent à en faire plus. Cela explique pourquoi les marchés boursiers, après des chutes record fin février et début mars, ont rebondi pour atteindre de nouveaux niveaux records. Mais la menace d’un effondrement financier n’a pas du tout disparu. On estime que lorsque les mesures spéciales liées au Covid seront retirées, un nombre record de ces sociétés zombies ainsi qu’un nombre encore plus important de sociétés qui étaient viables jusqu’avant la pandémie, feront faillite. Les économistes cherchent désespérément une issue.

    Certains défendent l’illusion qu’il est possible de se sortir de l’endettement sans même avoir besoin de dégager un excédent budgétaire. “Tant que les taux d’intérêt restent inférieurs à la croissance économique nominale”, comme si cela était concevable lorsque les grandes économies chercheront à attirer des flux de capitaux supplémentaires ou – à un stade ultérieur – à lutter contre l’inflation. D’autres défendent des variantes de la “théorie monétaire moderne”, à savoir que les gouvernements créent de la monnaie sans limite à partir de rien, soutenus par les banques centrales qui gonflent leurs bilans à des taux d’intérêt de 0 %, soit pour une période indéterminée, soit pour une très longue période (environ 100 ans). Il s’agirait d’une méga version moderne de la « planche à billets » qui, tôt ou tard, déclencherait une forte inflation et balancerait sur liste noire des devises soupçonnées de ne pas refléter la valeur réelle des biens et des services.

    Le commerce mondial

    Une des caractéristiques du capitalisme énormément renforcée pendant la période de mondialisation capitaliste est la division internationale du travail et, donc, le commerce international. En pourcentage du PIB mondial, la valeur du commerce mondial des biens et des services a augmenté régulièrement, passant de 19 % en 1984 à un pic de 31 % en 2008. Mais s’il est impossible de revenir simplement sur le passé, les systèmes en déliquescence ont tendance à bloquer, voire à inverser les évolutions objectives. Pendant un certain nombre d’années avant la crise actuelle, le commerce mondial est devenu un fardeau pour la production mondiale et, en tant que part du PIB mondial, il a stagné sous son pic de 2008. En 2020, le commerce mondial devrait encore se contracter de 10,4 %, une tendance qui ne sera pas totalement inversée par un inévitable rebondissement partiel en 2021.

    D’autres statistiques vont dans le même sens. Les créances bancaires transfrontalières mondiales n’ont cessé d’augmenter jusqu’en 2008, pour atteindre 60 % du PIB mondial, mais elles ont ensuite fortement chuté et représentaient 40 % du PIB mondial en mars 2019. La libre circulation des capitaux a également diminué. En 2017, le total des flux de capitaux mondiaux en pourcentage du PIB mondial a été réduit à un tiers de son niveau record de 2007. On estime que sa principale composante, l’investissement direct étranger, a diminué jusqu’à 40 % en 2020 et devrait encore se contracter de 5 à 10 % en 2021.

    Le degré de financiarisation, mesuré par la capitalisation boursière mondiale, a augmenté régulièrement, passant de 27 milliards de dollars en 1975 à 816 milliards de dollars en 2007, mais il a stagné depuis. En 2019, il était tombé à 632 milliards de dollars. Les recettes mondiales des privatisations sont passées d’environ 40 milliards de dollars par an en 1988 à environ 170 milliards de dollars en 2000, principalement en raison des privatisations en Europe de l’Est. Cela a ensuite oscillé entre 40 et 120 milliards de dollars par an jusqu’en 2008, puis cela est remonté à 200 milliards de dollars en raison de la revente de banques rachetées par les gouvernements pendant la crise financière ainsi que de vastes programmes de privatisations en Chine, et dans une moindre mesure en Russie et en Inde. Ailleurs, les privatisations se sont cependant enlisées.

    À l’ère du désordre

    Tout cela montre que l’ère du néolibéralisme s’est essoufflée depuis plus d’une décennie. La dépression « coronavirus » lui a porté un nouveau coup, peut-être fatal. Cela ne signifie pas que certaines politiques, à tort ou à raison, identifiées au néolibéralisme, ne continueront pas. L’austérité va se poursuivre, tout comme les tentatives de privatisation et, sans aucun doute, la poursuite de la déréglementation du marché de l’emploi. Mais cela se fera à l’échelle nationale ou régionale, les gouvernements s’écartant plus fréquemment des “règles” internationales, intervenant directement pour défendre les intérêts de leur propre classe capitaliste nationale ou faisant même des concessions limitées face à la résistance de masse, une fois que la répression aura échoué.

    Alors que le néolibéralisme se heurte à un mur, nous entrons dans une nouvelle ère d’instabilité. Dans une de ses études, la Deutsche Bank qualifie cela “d’ère du désordre”, ce qui indique une polarisation accrue, à gauche et à droite, ainsi que des tensions inter-impérialistes croissantes. Bien que parfois indirectement, ces tensions seront liées à la nouvelle guerre froide entre les impérialismes américain et chinois, qui est désormais le facteur prépondérant dans la politique et l’économie mondiales.

    Alors que la présidence Biden bénéficiera peut-être d’une certaine lune de miel aux Etats-Unis après la désastreuse époque de Trump, ses faux appels à l’unité se heurteront bientôt aux profondes contradictions qui ravagent la société américaine et qui continueront à alimenter la polarisation. Sur le plan international, on peut s’attendre à ce que la nouvelle administration américaine parle un langage plus réfléchi, moins provocateur et plus prévenant, et qu’elle relance probablement certains des engagements internationaux les plus symboliques comme l’accord de Paris sur le climat ou l’engagement des États-Unis dans l’OMS. Mais si l’image de marque pourrait changer, le contenu restera globalement le même et continuera à se développer.

    Il y aura des caractéristiques contradictoires, surtout si nous entrons dans une période de transition où l’ancien meurt alors que le neuf n’est pas encore né. Toutefois, la tendance dominante de cette nouvelle ère sera l’augmentation des tensions, avec des guerres tarifaires, monétaires et commerciales, qui se transforment parfois en guerres par procuration et peut-être même en guerre froide qui devient parfois chaude, bien qu’à une échelle limitée, comme nous l’avons vu lors des affrontements à la frontière entre l’Inde et la Chine l’année dernière.

    Contrairement à ce que beaucoup peuvent penser, la révolution commence généralement au sommet, lorsque les désaccords publics expriment l’incapacité de l’élite dirigeante à proposer une voie d’avenir de manière crédible. Toute cette situation va pousser les classes dirigeantes à introduire plus de répression, renforcer les forces populistes d’extrême droite ainsi que le chauvinisme national. Mais elle alimentera également le sentiment croissant parmi les jeunes, les travailleurs et les opprimés que “nous n’en pouvons plus”.

    Les mouvements se développent rapidement

    On se serait attendu à ce qu’une dépression aussi soudaine et profonde puisse paralyser les travailleurs et les jeunes. Après tout, selon l’Organisation internationale du travail (OIT), plus d’un demi-milliard d’emplois équivalents temps plein ont été perdus au cours du seul deuxième trimestre 2020. Cette dévastation est concentrée parmi les travailleurs les plus vulnérables, les travailleurs à bas salaires, les travailleurs migrants et les travailleurs du secteur informel. Les femmes, qui représentent 39 % de la main-d’œuvre mondiale, subissent 54 % des pertes d’emploi.

    Les statistiques officielles du chômage sous-estiment l’ampleur réelle de la catastrophe. Dans l’ensemble de l’OCDE et des économies émergentes, quelque 30 millions de “travailleurs découragés” (qui ne recherchent plus activement un emploi) n’apparaissent pas dans les statistiques officielles. En Chine, la plupart des chômeurs sont des migrants internes qui ne figurent pas non plus dans les statistiques officielles. Selon des rapports indépendants crédibles, 50 millions de ces travailleurs migrants sont toujours sans emploi malgré le soi-disant rebond économique de la Chine.

    Mais au lieu d’une paralysie, nous avons vu des mouvements se développer, même sous des restrictions de confinement, sur toute une série de questions telles que l’oppression raciale, sexuelle ou nationale, les questions environnementales, la corruption, les élections truquées, la législation répressive et bien sûr la privation sociale, l’austérité et l’état lamentable des soins de santé, de l’enseignement et d’autres services essentiels. Ces mouvements ont partiellement ressuscité la vague de révolte qui a secoué le monde en 2019. Bien qu’il y ait des faiblesses évidentes en termes d’organisation, de programme et de direction, ces mouvements étaient généralement massifs et bénéficiaient d’un large soutien public. Ils se sont également caractérisés par un degré frappant de courage, de détermination et de ténacité, un sens impressionnant de l’internationalisme et de l’unité par delà la couleur de peau, le genre et la nationalité, et étaient présents sur tous les continents. Le mouvement de Hong Kong a finalement été vaincu, d’autres mouvements ont connu un certain épuisement, mais certains mouvements ont également obtenu des victoires impressionnantes qui stimuleront d’autres développements.

    En général, ces mouvements ont mis en évidence la base sociale très mince des élites dirigeantes qui tend à se réduire encore plus à mesure que la crise se développe. L’un des effets secondaires de la crise a été un bond gigantesque dans la concentration du capital. Une part importante des pertes d’emplois est concentrée dans les petites entreprises. L’OIT estime qu’environ 436 millions de petites entreprises dans le monde sont menacées. Cela alimente déjà la radicalisation des classes moyennes, dont un partie subira des conditions similaires à celles des couches les plus pauvres de la classe ouvrière. Bien sûr, en son sein, certains, comme c’est le cas d’une couche plus aliénée de travailleurs, traduiront leur colère en une sorte de soutien au populisme de droite, mais d’autres rejoindront les rangs de la résistance de la classe ouvrière. En tant que base sociale de l’élite dirigeante, les classes moyennes deviendront un facteur beaucoup moins fiable.

    De l’orthodoxie fiscale à l’activisme fiscal

    Quelle a été la réaction générale des élites dirigeantes à cette crise jusqu’à présent ? Les banques centrales sont intervenues avec des injections monétaires représentant environ 10 % du PIB mondial. Mais il ne s’agissait que d’une intervention économique “d’urgence” immédiate. Il en faut davantage pour sauver le système d’un effondrement total et éviter la révolte sociale. L’establishment a compris qu’il s’agissait de la mesure la plus proche d’une situation de guerre. “D’abord vous vous inquiétez de la guerre, ensuite vous trouvez comment la payer”, a déclaré Carmen Reinhart, ancienne partisane de la ligne dure fiscale, aujourd’hui économiste en chef de la Banque mondiale. Sur le déficit budgétaire record de 3,13 billions de dollars américains, le président de la Fed, M. Powell, a déclaré que “ce n’est pas le moment de donner la priorité à ces préoccupations”. La présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, a déclaré : “Il est clair que le soutien budgétaire et le soutien monétaire doivent rester en place aussi longtemps que nécessaire et qu’il faut éviter les effets de falaise”. La majorité des économistes, journalistes, politiciens, etc. se rallient à des déclarations similaires.

    Le dogme de l’orthodoxie fiscale a été jeté par la fenêtre et remplacé par l’activisme fiscal. En décembre, des mesures de relance budgétaire d’un montant de 13.500 milliards de dollars, soit 15 % du PIB mondial, avaient été lancées, ce qui est 4 à 5 fois plus que pendant la Grande Récession de 2008/09.

    Dans les pays capitalistes avancés, cela représente 1.365 dollars par habitant, dans les pays en développement, 76 dollars par habitant et dans les pays les plus pauvres, 18 dollars par habitant. Fin octobre 2020, le Japon avait injecté des stimulants fiscaux représentant 21 % de son PIB, les États-Unis 13,2 % (avant que le dernier paquet de mesures ne soit adopté), l’Allemagne 8,9 %, mais aussi le Brésil 12 %, l’Inde 6,9 %, l’Argentine 6 % ou l’Indonésie 4,3 %. D’autres injections sont en cours de discussion et devraient être approuvées.

    Cette politique sera-t-elle de courte durée ? Le néolibéralisme reprendra-t-il bientôt après une brève interruption, comme ce fut le cas au lendemain de la Grande Récession ? Cette dépression ne représente pas un simple nid de poule sur la route, il s’agit du résultat d’une crise organique qui a mûri pendant une longue période. Elle est due au fait que les forces productives ont depuis longtemps dépassé le mode de production capitaliste et les rapports de propriété, qui sont passés d’un frein relatif au développement à une entrave absolue. Le développement productif a atteint depuis longtemps un stade qui exige une planification démocratique, une coopération internationale et un échange de connaissances ainsi qu’un contrôle et une propriété publics des ressources, mais cela se heurte à la soif de profit du système.

    En outre, cette crise est également fortement liée à l’affaiblissement de l’impérialisme américain qui, tout en restant la puissance dominante, est de plus en plus contesté, notamment par l’impérialisme chinois.

    Tout cela rend très improbable une renaissance de l’ère néolibérale. Cela exigerait soit une victoire majeure de l’impérialisme américain, soit un retour à la politique d’”engagement” avec la Chine qui a commencé avec la visite de Nixon en 1972 et a conduit à l’adhésion de la Chine à l’OMC en 2000. Tous deux semblent extrêmement improbables et exigeraient également une explosion sociale en Chine qui créerait ses propres complications. Cela exigerait également une répression importante de la classe ouvrière, réduisant les droits des travailleurs et les conditions de travail et de vie à un niveau tel que la rentabilité productive pourrait être au moins partiellement restaurée. Cela exigerait de grandes batailles de classe, qui ne sont pas exclues, tout comme ne le sont pas les défaites pour la classe ouvrière, surtout avec le manque actuel de programme et d’organisation adéquats en raison du manque d’une direction capable de faire face aux défis et tâches à venir. Mais en même temps, les élites dirigeantes savent que ce ne serait pas une tâche facile et, pour l’instant, elles manquent de confiance et de force pour le faire rapidement, c’est pourquoi à ce stade, ce n’est pas la pensée dominante dans les sphères dirigeantes.

    Ainsi, alors que nous assisterons à des rebondissements, que la politique d’activisme fiscal sera mise en œuvre de différentes manières dans différents pays et régions du monde, la tendance dominante dans l’économie mondiale sera à une plus grande intervention de l’État – politiquement et financièrement – avec moins de poids donné au dogme “néolibéral” classique de réduction des déficits.

    Ni le FMI ni aucune autre grande institution internationale, ni les principaux faiseurs d’opinion à ce stade ne plaident pour un abandon rapide du soutien budgétaire. Ce n’est ni réaliste, ni souhaitable. Tout comme la Grande Dépression des années 1930 ou la “crise pétrolière” de 73-75, cette dépression montre que la politique dominante des dernières décennies a atteint ses limites. Sa poursuite ne fera qu’aggraver la catastrophe. Comme d’habitude, l’État est appelé à sauver le système, puis à le sauver par la réforme, ou dans le langage du FMI “pour aider aux ajustements”. Mais ceux-ci seront immenses. L’issue de tout cela sera principalement décidée par la lutte des classes.

    La voie à suivre n’est pas de sauver le capitalisme, mais de le renverser

    Tout cela représente un changement majeur, un changement tectonique dans les politiques économiques des capitalistes, auquel nous devons faire face afin de nous préparer aux luttes de classes à venir. À bien des égards, la situation à laquelle nous sommes confrontés est unique, mais une pierre angulaire de la méthode marxiste consiste à s’enquérir des lois du développement à l’œuvre dans l’histoire de l’humanité afin de mieux comprendre les processus qui se développent. Le parallèle le plus proche de la situation réelle est la période qui englobe la Grande Dépression des années 1930. Tout comme la dépression actuelle, la Grande Dépression des années 1930 a montré que la politique capitaliste du “laissez-faire”, alors dominante, ne fonctionnait plus. L’idée d’Adam Smith, selon laquelle l’intérêt général est mieux servi lorsque chacun poursuit son propre intérêt, s’est heurtée à un mur de briques. Afin de sauver le système, Keynes a favorisé une nouvelle approche anticyclique : les gouvernements devraient dépenser pour sortir des récessions et se retirer lorsque la reprise s’installe.

    Roosevelt l’a appliquée avec hésitation aux États-Unis, en visant à sauver le capitalisme. Cela a échoué, non pas parce qu’il n’en a pas fait assez, mais parce qu’aucune des causes sous-jacentes de la Grande Dépression n’avait été traitée. C’est la menace croissante de la révolution, la seconde guerre mondiale et sa destruction, son issue et le rapport de forces qui en a découlé, qui a poussé le processus bien au-delà de ce que Keynes avait lui-même jamais envisagé. Cela a conduit à ce que les États-providence – dans les pays capitalistes avancés et à quelques exceptions près dans le monde néocolonial – évitent à nouveau la révolution. Il s’agissait d’une situation exceptionnelle, le résultat de la conjonction de plusieurs facteurs pour lesquels il n’existe absolument aucune base matérielle aujourd’hui. Ce chapitre est clos, car depuis la crise “pétrolière” de 1973-75, la stagflation et la baisse des taux de profit ont fait au keynésianisme d’après-guerre ce que la Grande Dépression des années 30 avait fait au “laissez-faire”.

    Le néolibéralisme lui-même n’est pas entré en scène tout prêt. Il a commencé comme une expérience monétariste au Chili après le coup d’État de Pinochet en 1973. Ailleurs, il a fallu de grandes luttes de classes sur une période de 5 à 10 ans avant que la classe dirigeante ne gagne la confiance et la force nécessaires pour l’imposer comme sa politique principale.

    En substance, le monétarisme considère la masse monétaire, et non la politique fiscale, comme le principal outil de régulation économique, garanti par des banques centrales indépendantes des gouvernements élus. Il considère que l’intervention politique dans l’économie est soumise à des pressions en faveur de l’égalité des revenus et des richesses au détriment de “l’efficacité économique”. Le néolibéralisme a pris forme au fur et à mesure que la déréglementation, la financiarisation, la libéralisation et la privatisation se sont accélérées. Il a été renforcé par l’expansion du processus de mondialisation après l’effondrement du stalinisme. Bien qu’il soit possible de mettre en évidence certaines caractéristiques spécifiques, le néolibéralisme ne doit pas être considéré comme un ensemble de règles fixes, mais comme les politiques telles qu’elles ont évolué au cours d’une période historique.

    Le changement de politique appliqué aujourd’hui présente des similitudes avec les méthodes de type keynésien et l’intervention de l’État telles qu’elles étaient appliquées dans les années 1930. Bien que toutes les comparaisons soient imparfaites et qu’un examen plus attentif révèle de nombreuses différences, il y a néanmoins des leçons importantes à tirer. Roosevelt a combiné l’augmentation des dépenses sociales, les travaux d’infrastructure et la création d’emplois. Cela a conduit les dirigeants syndicaux ainsi que les dirigeants du Parti Communiste, qui avait alors une influence considérable, à se rallier à lui. Ces derniers avaient remarqué le changement de politiques, mais au lieu d’exposer que celles-ci visaient à sauver le système, ils ont partagé et répandu des illusions. Aucune des mesures temporaires de Roosevelt ne résolvait les problèmes sous-jacents de l’économie, et elles étaient combinées à une répression brutale des luttes des travailleurs. Aujourd’hui également, nous devons avertir que le changement de politique par rapport au néolibéralisme ne signifie pas qu’il n’y aura pas de tentatives pour déplacer le fardeau de la crise sur les travailleurs, mais que cela prendra la forme d’une austérité nationale au lieu d’un régime international.

    Dans son programme de transition, Trotsky a souligné que le “New Deal” n’était possible que dans un pays où la bourgeoisie réussissait à accumuler des richesses incalculables. Dans de nombreux pays pauvres, on ne peut aujourd’hui rien imaginer de tel. Et pourtant, dans certains d’entre eux, on fait des entorses plus limitées au livre de cuisine néo-libéral. En Inde, le nouveau plan de relance de Modi en octobre visant à stimuler la demande des consommateurs et les dépenses publiques supplémentaires pour les projets d’infrastructure en est un exemple, de même que le plan d’aide d’urgence mensuel du gouvernement brésilien qui a permis de verser des paiements en espèces à 67 millions de familles pauvres depuis avril.

    Ces exceptions limitées seront de courte durée et feront bientôt place à des difficultés insupportables si la classe ouvrière ne mène pas de féroces luttes. Mais même lorsque des concessions sont accordées, tout en soutenant avec enthousiasme toute lutte pour la réforme, nous ne pouvons pas nous permettre de partager les illusions inévitables qui en découleront. Nous ferons remarquer que le système capitaliste est usé et que tant qu’il existera, quelle que soit la politique appliquée, il profitera toujours aux riches aux dépens des pauvres. Alternative Socialiste Internationale (ASI, dont le PSL/LSP est la section belge) se joindra aux mouvements à venir et aidera à les construire et à les renforcer en démontrant la pertinence de nos méthodes marxistes et en expliquant patiemment, mais fermement, notre programme pour le renversement du capitalisme et une transformation socialiste de la société.

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