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Category: Dossier
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Lutter comme en 2014… et aller au bout
Les militant.es syndicaux qui ont déjà une certaine expérience font souvent référence aux luttes de 2014 comme un modèle du type de lutte qui s’impose aujourd’hui. S’y attarder un moment est bien utile, histoire de rafraîchir les mémoires et de présenter aux jeunes militant.e.s la lutte qui a connu la plus grande journée de grève générale de l’histoire de Belgique.
Par un délégué de la FGTB en Flandre
Le contexte de la Coalition suédoise
Le combat de 2014 était mené contre la coalition « suédoise » composée des libéraux, de la N-VA et du CD&V. Ce gouvernement de droite dure dirigé par Charles Michel (MR) et Bart De Wever en tant que Premier ministre fantôme a marqué une rupture avec les gouvernements précédents dirigés par Di Rupo, Leterme ou encore Van Rompuy, chacun d’eux étant issu de familles politiques traditionnelles. Suite à la crise financière de 2008, les banques ont été renflouées grâce à des fonds publics, une sorte de «socialisme pour les riches». La crise économique qui a suivi a entraîné une augmentation de la dette publique et des déficits budgétaires.
Le gouvernement Di Rupo (2011-2014) a ouvert la voie aux premières mesures d’austérité. L’allocation d’insertion destinée aux jeunes ayant quitté l’école a été limitée dans le temps, constituant ainsi une nouvelle attaque contre les chômeur.euses. Face à la perspective d’une série d’attaques antisociales, une manifestation de masse rassemblant entre 60.000 et 80.000 personnes a eu lieu avant même l’entrée en fonction du gouvernement, en décembre 2011. La FGTB a brandi la menace d’une grève générale, qui a effectivement eu lieu en janvier 2012. Mais quelques concessions limitées de la part du PS ont suffi pour que la direction syndicale ne donne pas suite au mouvement.
En 2014, la N-VA a remporté les élections avec 32% des voix tandis que, du côté francophone, le MR a gagné du terrain vis-à-vis du PS. De Wever a saisi l’occasion de former un gouvernement d’austérité brutale. La chose ne manquait pas d’intérêt pour la classe dominante qui pouvait ainsi toujours avoir en réserve une nouvelle coalition tripartite traditionnelle et, entre-temps, ramasser tout ce que De Wever, Michel et leur bande pouvait voler de nos conquêtes sociales.
Au nom de la nécessité de «mettre de l’ordre» et de «s’attaquer au déficit budgétaire», une attaque en règle contre la classe travailleuse a été lancée. Au programme: relèvement de l’âge de la pension de 65 à 67 ans, accélération de la diminution des allocations de chômage, saut d’index contre les salaires… Imaginez qu’un.e travailleur.euse commençant à l’époque à travailler pour un salaire moyen, ce saut d’index signifie jusqu’à 30.000 euros de moins sur l’ensemble de sa carrière !
Si le déficit budgétaire a diminué, c’est d’ailleurs uniquement en raison de la croissance économique. Ce qui a été volé aux salarié.es est allé directement dans les poches du patronat, qui ont reçu une pluie de cadeaux fiscaux.
L’idée d’un plan d’action se concrétise
L’objectif du gouvernement était également d’affaiblir fondamentalement la force de frappe des syndicats. Les dirigeants syndicaux l’avaient bien compris, ce qui a conduit à une situation exceptionnelle où un plan d’action clair, simple et solide a été annoncé en front commun. Avant même la formation du gouvernement fédéral, une concentration militante a regroupé entre 6.000 et 7.000 personnes.
Auparavant, un «plan d’action» était un concept défendu par les organisations et activistes de gauche. L’idée est qu’un plan permet d’intensifier les actions, en utilisant chaque étape comme tremplin vers la prochaine jusqu’à atteindre la grève générale.
Lors de réunions interprofessionnelles dans les grandes villes, des délégué.es de tous les secteurs se sont réuni.es pour harmoniser leurs positions. Une campagne d’information, présentée sous la forme d’un « journal des pensions », a été tirée à un million d’exemplaires avec une foule d’arguments en béton et une série de revendications claires. Ce fut d’une grande aide pour mobiliser parmi les collègues.
Une manifestation de masse réunissant jusqu’à 150.000 participants le 6 novembre, la plus grande manifestation syndicale depuis 1986, a marqué le coup d’envoi de la campagne. La colère était aussi alimentée par les révélations concernant les fraudes commises par les super-riches, telles que les «Luxleaks», ainsi que par la manière dont Marc Coucke avait vendu sa société Omega Pharma pour 1,4 milliard d’euros sans payer un seul centime d’impôt. Cette manifestation a été le point de départ de trois journées de grèves provinciales tournantes, chaque semaine dans deux provinces à la fois, en préparation d’une grève générale nationale le 15 décembre.
Impliquer plus largement
Une dynamique d’action sérieuse attire directement d’autres groupes dans son orbite. Cela a été particulièrement évident lors de la manifestation du 6 novembre 2014, à laquelle ont également pris part des artistes, des jeunes, des travailleur.euses indépendants, etc. Des études ont montré que 16% des manifestant.es n’étaient pas syndiqués.
Par ailleurs, la jeunesse était passée à l’action en Flandre contre l’augmentation du minerval. Le PSL a joué un rôle actif dans le développement de groupes d’action au sein de diverses écoles à Gand, qui ont organisé des sit-ins et des manifestations, suivis d’assemblées générales. La mobilisation de la jeunesse a fait partie intégrante du mouvement, notamment lors de la manifestation du 6 novembre, où un important contingent de jeunes était présent, certain.es se rendant par la suite à bicyclette faire la tournée des piquets de grève en solidarité.
L’extension de la mobilisation s’est toutefois principalement manifestée sur le lieu de travail, grâce à une campagne d’information accessible, mais aussi aux assemblées du personnel. Grâce à cela, tous les collègues ont été touché.es et les réunions ont permis de répondre à leurs questions et de discuter des prochaines étapes des actions à entreprendre. En 2014, tout comme aujourd’hui, la pratique des réunions du personnel avait été mise en veilleuse par les appareils syndicaux, mais elle a repris de la vigueur sur base du plan d’action. Cela s’est traduit, entre autres, par le nombre record de 132.750 candidat.es aux élections sociales de 2016.
Un mouvement de masse permet d’arracher des choses impossibles en temps normal. La popularité du gouvernement de droite a fondu comme neige au soleil en 2014. Rétrospectivement, De Wever a reconnu ce que les marxistes avaient déjà observé en décembre 2014, à savoir que le «gouvernement des riches» était en train de vaciller. En même temps, la popularité de revendications telles que l’impôt sur la fortune des super-riches a augmenté: une majorité se dégageait en sa faveur jusque dans l’électorat de la N-VA et du MR! Ce large soutien a permis l’adoption de méthodes d’action audacieuses. Des zones industrielles entières ont été bloquées, y compris l’ensemble de la zone industrielle autour de l’Escaut à Anvers.
Le patronat contre-attaque
Le patronat a immédiatement tenté de créer la division chez les travailleur.euses, notamment en accordant des primes au travail volontaire. Patronat et gouvernement ont intensifié la pression sur les directions syndicales, notamment dans le cadre de l’accord interprofessionnel qui devait être conclu au début de 2015, avec la promesse d’un transfert fiscal du capital vers le travail. Ils ont également su utiliser le contexte des attentats contre Charlie Hebdo en janvier 2015 pour détourner l’attention des enjeux sociaux.
Des doutes sont donc apparus quant à la possibilité de poursuivre le mouvement en le faisant grandir. À ce stade, l’idéal aurait été d’évaluer la situation en réunions du personnel sur chaque lieu de travail, avec ensuite une grande réunion nationale en janvier au cours de laquelle un deuxième plan d’action aurait pu être annoncé. Ce plan aurait pu inclure, par exemple, des grèves provinciales de 48 heures, menant à une grève générale nationale de 48 heures, puis de 72 heures.
Attendre les élections n’est pas la bonne idée
Les directions syndicales n’avaient aucun projet en ce sens et se sont, à quelques exceptions près, concentrées sur la manière de faire atterrir le mouvement. Les appels en faveur d’une fiscalité plus équitable ont commencé à occuper le devant de la scène, mais sont restés vagues. Cela a permis au gouvernement de proposer un «tax shift», mais qui fut finalement un virage fiscal adapté aux exigences des grandes entreprises. Un accord interprofessionnel prévoyant une norme salariale de 0,8%, bien que très modeste, a obtenu une courte majorité au sein du conseil de la CSC, grâce à diverses manoeuvres.
Des actions ont encore eu lieu dans certains secteurs tandis qu’en guise de nouveau « plan d’action », une série d’actions modestes et symboliques a été proposée. Cela a fait le lit d’une large démoralisation, qui a permis au gouvernement de se redresser. Le potentiel de combativité n’a pas été éliminé pour autant: en octobre de la même année, une manifestation organisée à l’occasion du premier anniversaire du gouvernement Michel a encore rassemblé entre 80.000 et 100.000 personnes. Sans mots d’ordre clairs malheureusement. En 2018, la tentative d’imposer un système de pension à points a directement été enterrée grâce à un sursaut de nouvelles protestations syndicales.
Entre-temps, les directions syndicales ont de plus en plus soutenu qu’il était nécessaire d’attendre les prochaines élections pour présenter la note aux partis de la coalition suédoise. Ces derniers ont effectivement été sanctionnés en 2019. Les thèmes sociaux étaient présents lors des élections, ce qui a conduit à la première percée nationale du PTB. Cependant, le recul du mouvement a particulièrement permis à l’extrême droite de capitaliser sur le mécontentement en Flandre, entraînant un retour spectaculaire du Vlaams Belang.
Leçons d’hier pour aujourd’hui
Malgré les attaques visant le droit à l’action collective, y compris le droit de grève, ainsi que les défaites subies, comme chez Delhaize ou Audi Brussels, la force organisationnelle des syndicats demeure intacte. Les manifestations du 13 janvier et du 7 novembre (dans les secteurs public et non-marchand) ont révélé le potentiel d’un nouvel élan de la lutte. Un plan d’action est essentiel et pourrait également engendrer d’autres dynamiques, le lien avec la protestation contre le génocide en Palestine étant ici manifeste.
Des assemblées du personnel et des réunions militantes sont indispensables pour permettre à la base de contrôler la manière dont les actions se poursuivent, y compris comment et quand elles sont arrêtées. L’engagement actif constitue également la meilleure réponse aux tentatives de division. En affinant et en précisant nos revendications, nous pouvons éviter que nos préoccupations ne soient placées sur une voie de garage comme cela s’est produit avec le «tax shift» de 2015.
Le mouvement de 2014 n’a pas réussi à mettre fin aux attaques, mais il a réussi à ébranler un gouvernement de droite provocateur. Cela offre un aperçu de ce qui est possible pour une classe travailleuse en mouvement.
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[Entretien] Limitation dans le temps des allocations de chômage: c’est au système économique qu’il faut s’en prendre, pas à ses victimes
Entretien avec Cédric Leterme, Gresea (Groupe de Recherche pour une Stratégie économique alternative)
Dans le catalogue des horreurs que préparent De Wever, Bouchez et tous les partis de l’Arizona figure en bonne place la limitation dans le temps des allocations de chômage, un véritable “trophée de chasse” pour la droite. Nous en avons discuté avec Cédric Leterme, du GRESEA.
Propos recueillis par Nicolas Croes
Merci, Cédric, de nous accorder cet entretien. L’an dernier, tu avais écrit une carte blanche intitulée “Limitation des allocations de chômage : où sont les profiteurs ?” Tu y développais d’une part l’inefficacité des mesures de répression des chômeurs pour lutter contre le chômage et d’autre part qu’attaquer les chômeurs permet de faire diversion (et division) quant aux vrais profiteurs.
Vooruit s’était pour la première fois déclaré en faveur de cette mesure, une nouveauté qui ne vient pas de nulle part : elle est dans la filiation du plan d’activation des chômeurs instauré en 2004 sous l’action du ministre Frank Vandenbroucke, très proche de l’actuel président du parti Conner Rousseau. Les Engagés ont également rejoint la cohorte à ce moment-là. Cette nouvelle configuration rendait très probable que ça arrive sur table après les élections.
Par ailleurs, c’était clairement une manœuvre de diversion. Quand on parle de ça, on ne parle pas de ce qui est plus massif. C’est systématique depuis des décennies : pour ne pas parler de l’évasion fiscale, pour ne pas parler de l’inflation, pour ne pas parler de profits, on va parler chômeur et chômage de longue durée. C’est d’autant plus outrancier que la précédente attaque, en 2012, a limité dans le temps les allocations d’insertion et a rendu extraordinairement dégressives les autres allocations, puisque deux des trois planchers sont en dessous du seuil de pauvreté au-delà de la période maximum. C’est impossible de vivre correctement.
Deux études ont fait le bilan des mesures de 2012, sans parvenir à de grandes surprises. On savait déjà qu’on ne crée pas d’emploi en punissant les chômeurs. Les chiffres montrent que la dégressivité et la limitation dans le temps des allocations d’insertion n’ont servi à rien. Ça n’a pas suscité de retour à l’emploi des personnes concernées, au contraire, ça a fait exploser la précarité et ça a accru la charge sur les CPAS. Mais parmi les personnes exclues du chômage, il n’y en a que la moitié qui arrivent ensuite au CPAS. Que deviennent les autres ? Alors, la droite parle de la toxicomanie, de la mendicité… Tout ça, ça a une source. À un moment donné, quand on coupe tout et que les gens passent même au travers du dernier filet de sécurité, ces personnes se retrouvent forcément quelque part. Il y a la solidarité intrafamiliale, les gens retournent chez eux, mais d’autres ont recourt au trafic. On perd la trace de ces personnes-là. Donc, même d’un point de vue de contrôle social, cette mesure est complètement absurde. La sécurité sociale, c’est aussi une manière de garder du lien.
Les économies espérées sont ridicules. Ici, dans la note de De Wever, on espère économiser 1,8 milliard avec la limitation à 2 ans des allocations, en sachant que sur ce 1,8 milliard, il y a un milliard qui va être reporté sur les CPAS, dont 800 millions sur les communes. En gros, on vise à économiser 800 millions, des cacahouètes, en enfonçant des dizaines de milliers de personnes encore plus dans la misère et en aggravant les inégalités sociales et territoriales.
Le gouvernement De Croo (avec participation du PS et d’ECOLO) a fixé cet objectif d’un taux d’emploi de 80 % en 2030, objectif repris aujourd’hui par les partis qui négocient la coalition Arizona. D’où vient ce chiffre ?
De nulle part, ça n’a aucun sens. 80%, ça fait joli. Plus que 78% ou 82%. C’est tout. Dans ce taux d’emploi, on compte le nombre de personnes qui ont eu un “travail rémunéré” durant la semaine précédant l’enquête, y compris à temps partiel, en intérim, peu importe. Et peu importe aussi si ces emplois sont utiles ou nuisibles à la collectivité. On rapporte ensuite ce nombre à la « population en âge de travailler », en considérant que toutes les personnes entre 20 et 64 ans devraient logiquement avoir un emploi. Mais on a aujourd’hui un taux de chômage historiquement faible et, sur toute la population en âge de travailler, il y a plein de gens qui ont de bonnes raisons de ne pas être présents sur le marché du travail. Ces personnes sont malades, s’occupent de leur famille, se forment, etc. Beaucoup “travaillent” donc, mais pas au sens du taux d’emploi.
Par ailleurs, quand on rapporte notre taux d’emploi au nombre d’équivalents temps plein, on dresse une réalité différente. On nous parle d’un taux d’emploi magnifique en Hollande, qui frôle les 80%. Mais avec combien d’intérimaires et de contrats précaires ? Si la base du calcul repose sur les équivalents temps plein, la différence est marginale. De toute façon, ce n’est pas en punissant 100.000 chômeurs qu’on va atteindre ces 80% : il faudrait recaser 8 à 900.000 personnes absentes aujourd’hui du marché du travail pour des raisons diverses, en sachant qu’il y a 180.000 postes disponibles à l’heure actuelle.
L’enjeu se situe donc ailleurs. Ce n’est pas innocent non plus qu’on en parle maintenant alors que la situation économique est morose et que les licenciements se succèdent.
Oui, il faut s’attendre à ce que le taux de chômage explose et que les drames sociaux s’accumulent. Et on va de nouveau mettre la faute sur les premières victimes. Où faudrait-il recaser ces gens ? On ne nous chiffre jamais les emplois en pénurie. Oui, il y a des secteurs où il y a des tensions de recrutement. Pourquoi ? Notamment parce que les conditions de travail sont dégueulasses.
Par contre, on ne parle pas de mesures beaucoup plus bénéfiques pour le taux d’emploi – à supposer que cet indicateur soit pertinent, ce qui est déjà discutable – comme la réduction collective du temps de travail. C’est une mesure qui a une efficacité prouvée bien plus élevée que de punir les gens.
C’est très juste, et ça s’impose aussi face à la charge de travail. Dans tous les secteurs, les gens craquent. Ce type de revendication est au cœur de la bataille idéologique à mener contre la droite.
Que le MR parvienne à se positionner comme parti du travail, c’est quand même incroyable. Leur première mesure au gouvernement wallon, c’est de supprimer les droits de succession. Ils parlent du mérite individuel et ils s’empressent de favoriser l’héritage et les nantis. Ils favorisent les actionnaires, qui sont quand même les premiers à ne pas travailler. C’est fabuleux.
Ce monde-là ne parle que du travail dans une perspective marchande et capitaliste. Il faut un emploi, c’est-à-dire un travail qui paye, une façon d’avoir de l’argent, indépendamment des enjeux sociaux, indépendamment de la sécurité sociale, indépendamment du sens du travail et indépendamment de son utilité sociale. Et il faut surtout éviter que l’État ou les syndicats aillent à l’encontre de ce fonctionnement marchand du travail.
Mais la gauche ne parle plus du travail, ou alors en parle selon les termes de la droite. C’est dramatique. J’ai lu une interview dans l’Echo de quelqu’un du PTB, on a absolument voulu lui faire dire qu’on a besoin des multinationales pour travailler, ce à quoi il a répondu “oui, oui, effectivement, mais après il faut qu’elles payent leurs justes impôts”. C’est un abandon complet d’accepter le “besoin” de multinationales pour nous dire ce qu’on doit produire et comment le faire pour ensuite qu’elles en récupèrent un maximum en nous laissant éventuellement quelques miettes. Une fois que tu as accepté ça, le champ discursif idéologique est assez réduit. On a pourtant derrière nous une séquence historique, avec le covid et les inondations, qui aurait dû inviter à une remise en cause de notre fonctionnement, ne fut-ce que d’un point de vue écologique, pour réfléchir à une production mise au service de la collectivité et pas de quelques actionnaires. Mais les discours un peu radicaux étaient rares. Au contraire, c’est le MR qui a fini par imposer le nucléaire.
Le renoncement à gauche en termes de réflexion un peu radicale sur l’économie est terrible. On a encore vu cela avec Audi, où le désert était complet en termes de solution et de perspective de lutte. On a quand même une histoire d’occupations d’entreprises en Belgique, qui remonte un peu, mais qui est réelle. On a aussi l’exemple de l’occupation et de la reconversion sous contrôle ouvrier de GKN en Italie et ça, c’est aujourd’hui. Et à aucun moment ça ne sort. Le PTB parle d’un moratoire sur les usines automobiles, on cherche des repreneurs, mais qui est-ce que ça fait rêver ça ? Qui y croit ?
Il y a un fatalisme, une résignation. Il y a eu le résultat des urnes, c’est vrai. Mais on ne doit pas surinterpréter ça. Le discours de droite populiste est d’autant plus fort qu’il y a ce renoncement à gauche. Peu avant les élections, il y avait encore des sondages sur la popularité d’un impôt sur la fortune, tout ça n’a pas disparu. Les gens se rendent bien compte de la concentration obscène de richesses. Mais sans perspective stratégique collective, ça parait tellement énorme qu’on ne sait pas trop bien sur quoi agir. Tout parait inatteignable : nationalisation, socialisation… On n’arrive déjà pas à limiter la casse, alors pourquoi penser à aller plus loin ? Et donc, le truc concret sur lequel on pense avoir une prise, c’est le voisin qu’on soupçonne d’avoir 100 euros de plus.
Pourtant, assumer la rupture, c’est exactement ce qu’il faut faire. L’échec vient souvent du manque d’audace. On doit avoir un projet qui parle à l’imagination, qui suscite de l’espoir, qui ne se contente pas de limiter la casse.
Nous sommes au 80e anniversaire du Pacte social dont la Sécurité sociale est un pilier. On ne va pas manquer de commémorations insipides, autour de l’idée que tout le monde était d’accord. C’est faux, il y avait un rapport de force. Tout l’enjeu aujourd’hui est de ne pas défendre cette réalisation comme si c’était le maximum à obtenir. Il faut l’élargir, la prolonger, aller au-delà et dépasser la question de purs transferts financiers pour inclure la socialisation de la production et la sécurité d’existence des gens, avec le logement, l’alimentation, etc. Les patrons disent qu’ils ne sont pas contents avec cette sécurité sociale là, et bien nous aussi, on doit pouvoir dire haut et fort que c’est insuffisant et qu’on va se battre pour le faire valoir.
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Liban : Netanyahou exporte le bain de sang
Le 23 octobre uniquement, au moins 558 personnes libanaises ont été tuées par des attaques israéliennes, dont 50 enfants. Plus de 1.800 personnes étaient également blessées. Il s’agissait de la journée la plus meurtrière que le Liban ait connue depuis la fin de la guerre civile en 1990. Depuis son attaque terroriste de masse à l’aide d’engins explosifs dissimulés dans des milliers de bipeurs à travers le Liban les 17 et 18 septembre, Israël ne fait qu’augmenter le niveau de violence. Des dizaines d’immeubles de Beyrouth, la capitale, ont été complètement rasés, sans la moindre sommation, avec un déluge de morts. En date du 24 octobre, les rapports font état d’au moins 2.600 personnes mortes et de millions de déplacées.
Par Ammar (Bruxelles), article tiré de l’édition de novembre de Lutte Socialiste
Depuis plus d’un an maintenant l’Etat Israël assassine impunément des centaines de milliers de personnes. A Gaza, le nombre de personnes directement tuées est d’au moins 45.000 personnes et il faudrait encore y ajouer environ 200.000 personnes décédées “indirectement” des suites de la destruction de toutes les infrastructures de soin et de logement tandis que l’aide humanitaire est bloquée. Il s’agit de près de 10% de la population gazaouie, et l’estimation est encore prudente.
Ce génocide puise ses origines avant même la création de l’État d’Israël en 1948, dans la politique de “diviser pour régner” de l’impérialisme britannique à l’époque de la Palestine sous mandat britannique, à la suite de l’effondrement de l’empire ottoman. Pour tenter de garder leur contrôle de ce découpage arbitraire, les peuples, notamment juifs et arabes, ont été montés les uns contre les autres, à l’image de l’Inde où les Hindouistes ont été opposés aux Musulmans.
C’est sur cette même logique que l’État libanais indépendant a été créé et reconnu en 1943, sur une base confessionnelle et sectaires très strictes. C’est ainsi que depuis lors, à la suite du mandat français, le Liban a fonctionné sur base d’un système politique semi féodal reposant sur l’institutionnalisation des divisions confessionnelles essentiellement entre chiites, maronites et sunnites, au parlement comme dans tous les aspects de la vie politique du pays. Ce système avait pour but de figer la domination de l’élite chrétienne maronite sur le pays.
A la sortie de la Seconde Guerre mondiale, les élites, principalement maronites et sunnites, se sont fortement enrichies en développant principalement un système bancaire qui est parvenu à attirer des placements venant de toute la région dans ce nouveau paradis fiscal. On parlait à l’époque de la “Suisse du Moyen Orient”.
Ce système économique et politique n’a fait qu’accentuer les inégalités au cours des décennies, et a créé un État libanais complètement gangréné par la corruption et dépourvu de tout moyen financier entraînant une absence quasi complète de services publics dans le pays. Cette situation de crise sociale et politique amplifiée par une question nationale complexe, avec notamment environ 140.000 réfugié.e.s de Palestine arrivé.e.s au Liban dans le sillage de la guerre israélo-arabe de 1948, a conduit à une guerre civile entre 1975 et 1990 et, déjà, une intervention militaire israélienne meurtrière sur le sol libanais en 1982, suivie d’une occupation jusqu’en 2000.
Corruption, crise financière et sous-développement de l’infrastructure
La fin de la guerre civile n’a pas pour autant supprimé la misère. En 2019-2021, le pays a connu une série de mobilisations de masse – par-delà les frontières confessionnelles – à la suite d’une profonde crise financière, avec l’élément déclencheur d’un paquet de mesures d’austérité sans précédent et sous l’inspiration du Hirak algérien (mouvement de masse opposé à un cinquième mandat du président Bouteflika).
En août 2020, deux explosions ont frappé le port de Beyrouth, une des plus graves explosions non nucléaires de l’histoire, qui a causé 235 mort.e.s, 6.500 blessé.e.s et 300.000 personnes sans abri. Plusieurs manifestations ont à nouveau exigé la démission du gouvernement et dénoncé la corruption généralisée de la caste politique. Durant la pandémie, quand un confinement national a été décrété alors que la faim, l’inflation et le chômage augmentaient, la police a tiré à balles réelles sur la foule de manifestant.e.s.
Les inégalités dans le pays sont telles que les 1 % les plus riches, soit 42.000 personnes, possèdent 58 % de la richesse de l’ensemble de la population. La corruption des élites politiques des différentes communautés du pays n’a laissé aucun moyen dans les caisses de l’État pour la création de services publics viables. Dans la période à venir, un grand nombre de décès indirects de cette guerre seront dus à l’inaction de partis libanais corrompus depuis des décennies pour développer les infrastructures et les services à la population.
La situation était déjà désastreuse au Liban avant cette attaque unilatérale qui vise principalement les régions où la majorité de la population est musulmane chiite, base confessionnelle du Hezbollah : au sud du Liban (où sont principalement aussi les camps historiques de réfugié.es palestinien.ne.s), dans la banlieue sud de Beyrouth, et dans la plaine de la Bekaa (dans l’Est du pays). Il est important de souligner que la population chiite est historiquement celle dont les couches larges sont parmi les plus pauvres du pays, par opposition aux populations chrétiennes du centre et du nord du pays. Même si cela n’empêche pas Israël de bombarder des zones à majorité chrétienne ou sunnite, telles que Tripoli ; où le Hezbollah ne dispose d’aucune implantation.
Les ambitions coloniales des couches les plus réactionnaires de la politique israélienne débordent largement de Gaza, c’est l’ensemble de la sous-région qui est concernée, ce qui permet aussi de comprendre les frappes israéliennes en Syrie et l’invasion terrestre au Liban.
Oui à la résistance, non à l’islamisme
Sur qui peut-on se reposer ? Israël ne pourrait continuer ses exactions sans le soutien actif de la “communauté internationale”, c’est-à-dire des puissances impérialistes occidentales. Le double standard entre les sanctions appliquées à la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine et le soutien militaire et financier à Israël saute aux yeux. Israël est la tête de pont par excellence de l’impérialisme occidental dans la région, elle continuera à bénéficier de ce soutien, peu importent les résolutions de l’ONU ou les condamnations de la Cour pénale internationale.
Dans la région, la république islamique d’Iran est aujourd’hui la plus grande menace militaire vis-à-vis d’Israël. Elle soutient financièrement et logistiquement le Hezbollah, et aussi le Hamas, et est la seule force militaire dans la région capable de représenter une menace pour le régime sioniste.
Les peuples palestiniens et libanais ont évidemment le droit aujourd’hui de résister contre l’envahisseur, y compris de façon armée. Nous refusons de renvoyer simplement dos à dos Israël et le Hezbollah ou le Hamas. Mais nous estimons toutefois essentiel de rappeler que remplacer un régime réactionnaire par un autre n’est pas la solution pour la libération et l’émancipation de toustes les habitant.e.s de la région. Si nous nous opposons résolument à l’offensive génocidaire israélienne et à sa politique coloniale, nous saluons aussi le courage et la détermination des femmes iraniennes et du soulèvement de masse “Femme, Vie, Liberté” déclenché par la colère suite de l’horrible assassinat de Mahsa Jîna Amini en 2022 par le régime misogyne iranien.
Au Liban, le Hezbollah a lui aussi montré son vrai visage ces dernières années. Malgré sa capacité relative à unifier des couches issues de différentes confessions lors du conflit israélo-libanais de 2006, le Hezbollah a par la suite lui-même profité du système de corruption libanais, à l’image des autres forces politiques du pays, sur des bases confessionnelles sectaires et tout particulièrement depuis qu’il est devenu la force politique la plus influente au Liban.
Le Hezbollah a même fait usage de son autorité et de la force pour freiner la révolution d’octobre durant l’automne 2019, en qualifiant la jeunesse révoltée de “traitre à la solde de l’Occident” et en attaquant physiquement les rassemblements contestataires. A l’époque, les revendications du mouvement, initialement économiques et opposées à la corruption de l’ensemble de l’élite politique, se sont transformées en revendications sociales pour réclamer un changement de société. Ainsi durant des mois, la Thawra (Révolution en arabe) a dépassé les frontières confessionnelles et a posé les germes d’une alternative à l’État libanais défaillant. Des assemblées générales ; des comités de quartier ; des groupes de solidarité financière, médicale et juridique ont vu le jour pour assister les occupations de places et des grèves générales. Malheureusement, la pression de partis tels que le Hezbollah, l’absence de coordination claire et de perspectives ainsi que la pandémie de covid ont eu raison du mouvement. Mais les causes sociales et économiques qui lui ont donné naissance n’ont pas disparu.
Au même moment, en 2019-2020, des mobilisations anti-gouvernementales déferlaient sur l’Irak, là aussi par-delà les frontières confessionnelles, de même que sur l’Iran. C’est dans ce type de mobilisations populaires de masse et dans l’exploitation de leur potentiel révolutionnaire qu’une issue peut être trouvée. Nous soutenons la résistance, y compris de manière armée, mais pas sur des bases confessionnelles et antisémites, tels que le fait le Hezbollah, mais sur des bases anticoloniales et révolutionnaires. Cela pourrait trouver un écho dans toute la région, jusque parmi les masses pauvres israéliennes. La résistance contre l’impérialisme, ou qu’il soit, est plus puissante si elle repose sur l’unité dans la lutte de toutes les couches exploitées et opprimées, au-delà des différences confessionnelles et nationales, et surtout organisée de manière démocratique. Cette résistance doit prendre différentes formes, y compris de manière armée, mais elle doit surtout reposer sur l’action des masses qui lutte non seulement contre les colonisateurs mais aussi contre le capitalisme et les gouvernements dont le pouvoir repose sur ce système.
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Élections américaines de 2024 : Les limites du moindre mal à l’ère du désordre
Des oreilles bandées en hommage à la blessure de Trump lors d’une tentative d’assassinat en été, des participant.e.s à la Convention nationale démocrate (DNC) vêtus de blanc en clin d’œil aux suffragettes, des débats diffusés en direct où le modérateur doit clarifier en temps réel que « le meurtre de nourrissons est illégal dans les 50 États » lorsqu’un avortement fictif de neuf mois est décrit.
Par Harper Cleves, Socialist Party (Irlande)
Les élections américaines sont réputées pour leur faste et leur caractère dramatique, mais pour beaucoup, les enjeux de cette élection sont particulièrement élevés. D’une part, le démagogue Donald Trump, avec ses projets politiques dystopiques et son sectarisme manifeste ; d’autre part, la poursuite d’une administration qui a supervisé et contribué activement à un génocide qui a tué des centaines de milliers de Palestinien.ne.s au cours de l’année écoulée. Il est essentiel de comprendre le contexte de cette élection présidentielle pour en envisager les résultats potentiels, mais aussi pour imaginer une alternative à la mascarade déplaisante et dangereuse de la politique corporatiste américaine.
Une économie pour les patrons, au détriment des travailleur.euse.s
Pour comprendre le cirque des élections présidentielles américaines, il est essentiel d’avoir un aperçu de ce qu’est la vie aux États-Unis aujourd’hui. Les inégalités économiques n’ont jamais été aussi fortes, même si le taux de chômage est le plus bas depuis 54 ans. Au premier trimestre 2024, 67 % de la richesse totale était détenue par les 10 % de personnes les mieux rémunérées, tandis que les 50 % les plus pauvres n’en possédaient que 2,5 %. Les soins de santé constituent un exemple frappant de l’impact de l’inégalité des richesses et de l’ampleur de la privatisation de ressources essentielles au maintien de la vie humaine : en 2022, 45 % des Américain.e.s n’étaient pas en mesure de se payer des soins de santé ou d’y avoir accès.
Trump, et les présidents américains qui se sont succédé avant lui, n’ont rien fait pour atténuer la question des inégalités parce qu’elle provient d’une dépendance à l’égard du marché privé pour fournir des biens essentiels. La « Bidenomics » – la politique économique de l’administration Biden – n’a fait que creuser ce fossé. Les investissements de Biden dans les infrastructures, ainsi que les subventions accordées à la fabrication de voitures électriques et de semi-conducteurs, tout en contribuant à une modeste reprise économique, ne visent pas à mettre de l’argent dans les poches des Américain.e.s de la classe travailleuse, mais plutôt à revitaliser la production nationale dans le contexte d’une nouvelle guerre froide avec la Chine, en fournissant des fonds publics aux grandes entreprises.
La trahison démocrate face à la lutte des cheminot.e.s de 2022 démontre clairement les relations douillettes qu’entretient Joe Biden avec les entreprises au détriment des travailleur.euse.s, malgré son titre autoproclamé de « président le plus pro-syndical de l’histoire des États-Unis ». Dans ce conflit, où plus de 100.000 cheminots de plusieurs syndicats ont menacé de faire grève pour obtenir un droit fondamental au congé maladie, Biden est intervenu en utilisant les pouvoirs présidentiels qui lui permettent de briser la grève en cas de perturbation substantielle du commerce interétatique, forçant ainsi un accord que la plupart des travailleur.euse.s avaient rejeté afin de satisfaire les patrons du rail.
Le plan de Trump pour une politique économique protectionniste, tout en prétendant se concentrer sur le retour des emplois aux États-Unis, ne résoudra pas cette question et placera également les intérêts des grandes entreprises au premier plan.
Les jeunes sont perdants
Les jeunes sont particulièrement touchés par ces dures réalités économiques. Le rapport annuel 2024 sur le bonheur dans le monde, élaboré à partir des sondages mondiaux de Gallup, montre que les États-Unis sont au plus bas de leur classement, quittant pour la première fois le top 20 pour se retrouver à la 23e place. L’insatisfaction des jeunes de moins de 30 ans est principalement à l’origine de ce recul, les répondants de la génération Z se déclarant plus stressés et insatisfaits de leurs conditions de vie. Les jeunes ont des taux d’endettement étudiant beaucoup plus élevés, des taux d’accession à la propriété plus faibles, des taux de location plus élevés et sont plus susceptibles de vivre avec leurs parents ou d’autres colocataire.trice.s que les générations précédentes.
Cependant, d’autres indicateurs incluent « le sentiment d’être moins soutenu par les amis et la famille, et d’être moins libre de faire des choix de vie ». Ces phénomènes inquiétants ne peuvent être dissociés de l’ardoise de lois régressives adoptées et de la désignation consciente de boucs émissaires parmi les femmes, les personnes queer et les personnes victimes de racisme, tant au niveau des États qu’au niveau fédéral, les millennials (personnes nées entre le début des années 1980 et le milieu des années 1990) et la génération Z (personnes nés entre la fin des années 1990 et le début des années 2010) représentant les générations les plus diversifiées de l’histoire des États-Unis.
Rien qu’en 2024, 642 projets de loi anti-trans ont été envisagés aux États-Unis, sur des sujets tels que la limitation de l’utilisation des toilettes, l’interdiction de l’accès aux soins de réaffirmation du genre ou l’interdiction pour les enfants transgenres de participer à des activités sportives. Depuis l’annulation de Roe V Wade (arrêt rendu par la Cour suprême des États-Unis en 1973 concernant la protection du droit à l’avortement abrogé en 2022), 14 États ont interdit presque totalement l’accès à l’avortement, ce qui se traduit par des taux de mortalité liés à la grossesse deux fois plus élevés que dans les États où l’avortement est autorisé. En 2021 et 2022, 563 projets de loi ont été déposés contre l’enseignement de la théorie critique de la race dans les écoles publiques.
La commission de l’éducation et de la main-d’œuvre de la Chambre des représentants, sous couvert de s’attaquer à l’antisémitisme sur les campus universitaires au milieu d’un mouvement international de solidarité avec la Palestine, trouve également des moyens créatifs de réduire les programmes de diversité, d’équité et d’inclusion (DEI), ce qui a été alimenté par la décision explicite de la Cour suprême conservatrice contre la discrimination positive contre le racisme comme moyen de réduire les disparités et les inégalités racistes sur les campus universitaires.
Biden-Trump : la bataille originelle perdue d’avance
Dans ce contexte de crise extrême, il n’est pas surprenant que la polarisation ait prospéré. Les politiques modérées qui semblaient raisonnables à la population en des temps plus stables se révèlent aujourd’hui tout à fait insuffisantes. Dans un sondage réalisé en mars par leNew York Times et le Siena College, quatre fois plus d’électeur.trice.s se sont déclaré.e.s en colère, effrayé.e.s, déçu.e.s, résigné.e.s ou inquiet.e.s à propos de cette élection qu’iels ne se sont déclaré.e.s heureux.ses, enthousiastes ou plein.e.s d’espoir.
Même si de nombreux électeur.trice.s sont désespéré.e.s, il est clair que les Républicains ont l’avantage. La désaffection que Trump a su exploiter avec sa marque unique de populisme de droite est puissante et constitue en soi un indicateur d’un système défaillant. Qu’il s’agisse des richissimes qui soutiennent la soumission de Trump aux grandes entreprises, de la classe travailleuse blanche privée de ses droits et des pauvres des zones rurales qui détestent l’establishment démocrate et qui ont également adhéré à son discours haineux pour expliquer leur désespoir, le bloc Trump est un bloc puissant que les démocrates n’ont pas réussi à imiter. Un récent sondage a montré que 88 % des républicains considèrent Trump de façon très favorable ou plutôt favorable – un chiffre de soutien interne dont la campagne de Biden n’aurait pas pu se vanter.
Cette dynamique, associée à une suspicion publique quant à la capacité mentale de Biden à remplir ses fonctions, a eu un impact sur les sondages. Après une performance abominable lors du premier débat présidentiel cet été, cette idée a gagné encore plus de terrain, certains sondages montrant que la piètre performance de Biden le donnait distancé par Trump de six points. Dans un geste sans précédent, le 21 juillet, 182 jours seulement avant la fin de son mandat, Joe Biden s’est retiré de la course présidentielle et a choisi l’impopulaire vice-présidente Kamala Harris pour lui succéder. Cette décision n’a fait qu’exposer la faiblesse du Parti démocrate, tout en lui donnant l’occasion d’entamer une campagne avec un bagage moins lourd que celui de Biden.
Trump VS Kamala : quelle est leur position sur les questions d’actualité ?
Projet 2025 : L’un des thèmes majeurs de la campagne présidentielle est un ensemble de propositions politiques associées à Donald Trump, appelé « Projet 2025 », produit par un groupe de réflexion de droite appelé The Heritage Foundation. Les objectifs déclarés du document sont de « restaurer la famille en tant que pièce maîtresse de la vie américaine ; démanteler l’État administratif ; défendre la souveraineté et les frontières de la nation ; et garantir les droits individuels donnés par Dieu pour vivre librement ».
La « théorie de l’exécutif unitaire » du plan prévoit de placer l’ensemble de l’appareil fédéral sous le contrôle de l’exécutif, y compris les ministères indépendants, comme le ministère de la justice. Il appelle au démantèlement complet du Département de l’éducation et promet de licencier les employés fédéraux « corrompus », ce que beaucoup ont compris comme signifiant les employés qui ne sont pas loyaux envers l’administration Trump. Cela équivaudrait à une énorme consolidation du pouvoir présidentiel, que beaucoup considèrent raisonnablement comme une menace pour les fondements mêmes de la démocratie. Cette situation a été exacerbée par le moment où le colistier de Trump JD Vance, lors d’un débat vice-présidentiel, a refusé de répondre à la question « qui a gagné l’élection de 2020 ».
Bien que le projet 2025 ne soit pas officiellement soutenu ou produit par la campagne de Trump, certaines parties du plan ont été fortement dirigées par des personnes qui étaient des conseillers de premier plan de Trump pendant sa présidence. Il existe également une grande cohérence entre le Projet 2025 et le programme politique de Trump, à l’exception notable de l’avortement, que Trump ne mentionne pas une seule fois dans son plan, alors que la réalité des interdictions d’avortement a montré à beaucoup à quel point cette forme de soins de santé est essentielle.
Dans ce contexte, de nombreux électeurs craignent qu’une présidence Trump ne ressemble davantage à une dictature, une crainte amplifiée par l’impact persistant de l’insurrection du « 6 janvier » (la prise d’assaut du capitole), qui a suivi les déclarations de Trump selon lesquelles les élections avaient été volées, et par la récente décision de la Cour suprême, qui a effectivement placé les présidents en exercice au-dessus de la loi. Les démocrates s’appuient sur cette crainte et considèrent qu’un vote en faveur de Kamala Harris est un vote en faveur de la préservation de la « démocratie américaine », aussi antidémocratique qu’elle puisse être.
Le « grand flic » Harris : L’un des éléments du Projet 2025 auquel Trump a adhéré est la promesse de déployer l’armée américaine à la frontière entre les États-Unis et le Mexique pour assister les déportations massives, une demande reflétée lors de la Convention nationale républicaine (RNC), où les participant.e.s ont brandi des pancartes portant les mots « Déportations massives maintenant ! ». Trump a formulé des slogans et des promesses dangereux, comme sa menace d’expulser « un million d’immigrés ». Ces dernières années, l’immigration aux États-Unis a considérablement augmenté, en particulier en provenance d’Amérique latine et des Caraïbes. Selon l’Office of Homeland Security Statistics, la frontière sud a enregistré au moins 6,3 millions de rencontres avec des migrant.e.s depuis que Biden est devenu président en 2021, et plus de 2,4 millions de ces personnes ont été autorisés à entrer dans le pays. Même si la plupart d’entre elles se trouvent aujourd’hui devant les tribunaux dans le cadre de procédures d’expulsion actives, cela représente tout de même une augmentation significative de la migration récente, attribuable aux tendances qui affectent les pays à l’échelle mondiale, telles que la crise climatique, l’instabilité politique et les difficultés économiques.
Les démocrates, comme les républicains, ne sont pas à l’abri d’imputer aux immigré.e.s les problèmes causés par la fausse pénurie posée par le marché privé, et leur rhétorique et leur programme ont contribué à faire régresser l’opinion publique sur ces questions. La proportion d’Américain.ne.s souhaitant que le niveau de toutes les formes d’immigration diminue a radicalement augmenté, passant de 28 % à la mi-2020 à 55 % en juin 2024. C’est la première fois depuis 2005 que la majorité des Américain.ne.s souhaitent une diminution de l’immigration. Le sentiment anti-immigration a atteint son apogée en 2001, dans le sillage du 11 septembre. Tous les secteurs de l’électorat reflètent ce virage à droite en matière d’immigration, y compris les électeurs latino-américains, qui sont plus enclins que par le passé à soutenir des politiques frontalières plus strictes, ainsi que les démocrates inscrits sur les listes électorales.
Trump a même progressé auprès de l’électorat noir et latino-américain. Si Harris conserve une avance significative, 78 % contre 15 % pour M. Trump auprès de l’électorat noir et 56 % contre 37 % auprès des Latinos, cette avance est bien maigre par rapport aux bases de soutien dont disposaient les démocrates par le passé. En 2020, Joe Biden a obtenu 92 % de soutien de la part des électeurs noirs et 63 % de la part des Latinos.
En conséquence, le programme du Parti démocrate pour 2024 représente un recul des droits des immigrés, en soutenant des déportations plus rapides pour les migrant.e.s économiques et en appelant à des règles plus strictes pour les demandeur.euse.s d’asile, y compris la possibilité d’arrêter complètement le traitement des demandes d’asile. Ce revirement se reflète également dans le fait que Kamala Harris a remis l’accent sur son rôle de procureure dans l’État de Californie, en arborant fièrement son badge de « Top Cop ». Dans les publicités, elle a souligné son rôle dans la lutte contre la criminalité transfrontalière. En tant que procureure, elle était également favorable à ce que les immigré.e.s sans papiers qui commettaient des délits, même non violents, soient remis aux services de l’immigration.
Le contraste est saisissant avec la situation qui prévalait il y a quatre ans, dans le sillage du puissant mouvement Black Lives Matter, le plus grand mouvement de protestation de l’histoire des États-Unis. À la lumière de ces faits, Kamala Harris a dû renoncer à son personnage de Top Cop. Lors de la convention nationale démocrate (DNC) de 2020, les membres des familles d’hommes noirs tués par des violences policières ont été invités à monter sur scène, et Kamala Harris elle-même a parlé du racisme structurel. Une fillette de 11 ans qui avait été détenue dans un centre de détention a eu le droit de s’exprimer. Les bénéficiaires de l’action différée pour les arrivées d’enfants (DACA, dispositif mis en place par le gouvernement Obama qui permet à certains immigrés mineurs entrés illégalement sur le territoire américain de bénéficier d’un moratoire de deux ans sur leur expulsion) se sont vus offrir une plateforme pour démontrer ce message également. Bien que ces messages se soient avérés creux lorsqu’il s’agissait de politique réelle, il était clair qu’en 2020, le Parti démocrate ressentait la pression de refléter un certain état d’esprit.
En réalité, les démocrates, Kamala Harris en tête, tentent de marcher sur une corde raide : d’une part, décrier le type de racisme et de sentiment anti-immigrés affiché lors des rassemblements de Trump, et être le parti de la diversité, de l’humanité et du progrès ; et d’autre part, démontrer plus ouvertement la réalité de leur insensibilité sur la question en rendant plus difficile l’accès à la sûreté et à la sécurité pour les immigrants vulnérables à une époque où la guerre, les catastrophes climatiques et la pauvreté créent des réfugiés dans le monde entier.
La bataille contre le « wokisme ». Alors que nous entrons dans le dernier mois avant les élections, Donald Trump a dépensé au moins 17 millions de dollars pour des publicités qui s’en prennent à Kamala Harris, qui soutient les soins de genre pour les détenu.e.s dans le cadre de sa campagne de 2019. Il n’est pas certain qu’il s’agisse de sa position actuelle, étant donné qu’elle est revenue sur bon nombre de ses positions les plus progressistes. L’une des publicités se termine par un slogan incendiaire : « Elle est aux côtés d’eux/elles – Trump est aux côtés de vous ». Ce slogan est diffusé sur une image de Trump discutant avec des ouvriers d’usine et sur une citation de CNBC : « Trump : Moins d’impôts, plus de salaires pour les travailleurs ». Ces publicités de Trump ont été diffusées plus de 30 000 fois, y compris dans les États clés de l’échiquier politique, avec une attention particulière pour les retransmissions de matchs de football américain.
À première vue, il peut sembler étrange de mettre l’accent sur un tel sujet au cours du dernier mois précédant l’élection, surtout lorsque les principaux thèmes abordés par les électeurs semblent être l’économie et l’avortement. Pourtant, opposer les droits des personnes transgenres aux problèmes de la classe travailleuse, comme le laisse entendre la campagne publicitaire, est une approche utilisée par l’ensemble du parti républicain. S’il est vrai que le Parti démocrate n’est pas un parti qui défend les intérêts de la classe travailleuse, le fait que Kamala Harris ait déjà soutenu la prise en charge des détenu.e.s en fonction de leur genre n’a aucune incidence sur ce fait. Une lutte réussie pour des soins de santé gratuits et accessibles aux personnes transgenres, intégrés dans un système de santé public, serait une victoire pour toutes les personnes de la classe travailleuses qui luttent contre des coûts démesurément élevés pour les soins de santé de base. Le choix de Trump de mettre l’accent sur cette question démontre l’efficacité du retour de bâton sur le « wokisme », c’est-à-dire les idées progressistes sur le genre, le racisme et la sexualité, et la façon dont cela peut trouver un écho auprès de l’électorat.
En ce qui concerne l’avortement, Trump est moins catégorique. Reconnaissant qu’il s’agit d’une faiblesse pour lui, puisque des États « rouges » (la couleur du parti républicain) ont voté des référendums qui limiteraient l’accès à l’avortement, il se contente généralement d’insister sur le fait qu’il s’agit d’une question relevant des « droits des États ».
Et pourtant, même si Kamala Harris se présente comme une candidate progressiste, la réalité est qu’elle fait également partie d’une administration qui a connu le pire recul en matière de droit à l’avortement, de prise en charge des personnes handicapées et de droits des personnes LGBTQIA+ depuis des années. Cette situation ne peut être imputée uniquement à l’administration Trump, aux assemblées législatives conservatrices des États et à la Cour suprême. Pendant des décennies, les démocrates ont permis de subtiles érosions des droits des femmes ; ils ont laissé prospérer un système de santé de plus en plus privatisé ; ils ont siphonné l’avortement et les soins d’affirmation du genre vers des cliniques spécialisées ; tout cela montre leur mépris pour ces formes essentielles de soins de santé, mais a également préparé le terrain pour les attaques de la droite radicale contre ces services.
Le « meilleur ami d’Israël » et le bras droit de Joe le Génocidaire. La complicité de l’administration Biden dans le génocide de Gaza est bien documentée et constitue un problème important pour les démocrates à l’approche de cette élection. En août 2024, on estime que l’administration Biden a envoyé plus de 600 cargaisons d’armes à Israël, ce qui représente plus de 50 000 tonnes d’équipement militaire en seulement 10 mois. Ces livraisons d’armes représentent une complicité et une participation absolues au génocide.
Cette grave vérité a eu un impact sur l’opinion américaine. La majorité soutient toujours Israël, mais des chiffres plus importants que jamais démontrent le scepticisme et la désapprobation pure et simple de l’approche des gouvernements israélien et américain à l’égard de la Palestine, en particulier auprès des personnes musulmanes et de la jeunesse. Un sondage réalisé en novembre dernier a montré que 70 % de l’électorat âgé de 18 à 34 ans déclaraient désapprouver la façon dont Biden a géré la « guerre » contre Gaza. En mai de cette année, un sondage de l’Institut arabo-américain (AAI) a montré que le soutien de Biden parmi les Américain.ne.s d’origine arabe se situait juste en dessous de 20 %. L’électorat arabo-américain constituent un bloc de vote important dans des États en pleine mutation, comme au Michigan. Ce printemps et cet été, des milliers de jeunes gens fréquentant les universités américaines ont participé à des manifestations et à des occupations de campus appelant leurs universités à rompre leurs liens avec les produits, les universités et la recherche en Israël qui contribuent au génocide à Gaza.
Kamala Harris a tenté d’adopter un ton plus empathique et conciliant à l’égard de la Palestine, reconnaissant à juste titre les problèmes que le génocide pourrait poser à sa campagne. Elle a qualifié de « dévastatrices » et de « catastrophiques » les « images d’enfants morts et de personnes désespérées et affamées fuyant pour se mettre à l’abri, parfois déplacées pour la deuxième, la troisième ou la quatrième fois », et a promis que « je ne resterai pas silencieuse ».
En réalité, Harris s’aligne sur l’approche de Biden et, en dépit de ses témoignages de sympathie, sa politique ne fera que perpétuer la catastrophe. Elle s’est fait l’écho du soutien « inébranlable » et « à toute épreuve » de Biden à Israël et n’a fait aucune suggestion quant à l’arrêt de l’envoi d’armes vers Israël – un pouvoir qui relève de l’exécutif et qui, plus que toute autre chose, réduirait la capacité de l’État israélien à poursuivre son règne de la terreur.
En ce qui concerne la politique étrangère, et notamment le génocide en cours à Gaza, la campagne de Trump n’a pas grand-chose à dire, si ce n’est qu’elle présente la Chine comme l’ennemi principal et réaffirme une politique protectionniste, fondée sur des tarifs douaniers élevés, en matière de commerce extérieur. Dans ce contexte, il a parfois affirmé qu’il mettrait fin à l’implication des États-Unis dans les guerres étrangères. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles des personnalités comme le maire de Hamtramck, ville du Michigan, Amer Ghaleb, originaire du Yémen, ont soutenu Trump dans cet État où le vote arabe et musulman sera un facteur clé.
Néanmoins, il n’y a aucune raison de penser que Donald Trump sera l’ami des Palestinien.ne.s. Il s’est décrit comme le « meilleur ami d’Israël ». Au cours de son mandat de président, Trump a montré son mépris total et, en fait, sa malveillance à l’égard de l’autodétermination du peuple palestinien en reconnaissant Jérusalem comme la véritable capitale de l’État israélien. Malgré l’utilisation occasionnelle par Trump du surnom de « Joe le génocidaire » pour décrire le président Biden, les Palestinien.ne.s et leurs allié.e.s en lutte aux États-Unis devraient anticiper son mandat de président avec beaucoup plus de crainte que d’espoir.
Quand le « moindre mal » reste un mal certain
À l’extérieur de la convention démocrate, un manifestant nommé Farzeen Harunani, originaire de Chicago, a déclaré : « J’ai été bleu (couleur démocrate) toute ma vie. J’ai fait du bénévolat pour les démocrates, j’ai fait des dons aux démocrates, j’ai fait du porte-à-porte pour eux, j’ai fait des appels téléphoniques pour eux ». Il a expliqué qu’il se sentait politiquement sans abri. Harunani a poursuivi en disant : « Nous sommes tous très frustrés parce que le système bipartite est tellement ancré dans nos habitudes. Et si, au lieu de voter pour une réduction des dégâts, nous pouvions voter pour l’absence de dégâts ? »
Ces propos expriment le sentiment de nombreuses personnes qui se demandent s’il faut voter pour Harris, pour un tiers parti ou ne pas voter du tout. Beaucoup de ceux qui éprouvent une profonde sympathie pour les Palestinien.ne.s voteront tout de même pour Harris, espérant peut-être qu’elle sera la porte la plus facile à pousser, ou craignant en particulier la politique intérieure promise par une administration Trump. C’est éminemment compréhensible. En tant que socialistes révolutionnaires, nous continuerons à nous battre aux côtés de ces personnes pour faire pression sur celle qui accèdera à la présidence afin qu’elle mette fin au génocide à Gaza, parmi beaucoup, beaucoup d’autres choses.
Cependant, fondamentalement, le parti démocrate est une impasse, que ce soit sous la direction de Kamala Harris ou de Joe Biden. Dans un monde dominé par les crises, qu’il s’agisse d’une augmentation considérable du racisme, d’ouragans gigantesques sur une côte ou d’incendies de forêt sur l’autre, de soins de santé et d’éducation qui peuvent entraîner des dettes à vie, d’attaques quotidiennes contre l’autonomie et la sécurité physiques ou d’une conflagration apparemment sans fin de génocides et de guerres, il est clair pour un nombre croissant de personnes que la politique du « business as usual » ne suffira pas.
La solidarité est l’antidote à la peur
Pour certaines de ces personnes, le style incendiaire et le populisme haineux de Donald Trump et d’autres comme lui trouveront un écho. La haine que représente Trump s’inscrit mieux dans les sillons du capitalisme néolibéral hyper individualiste dans lequel nous avons été socialisés pendant des décennies.
Mais pour d’autres, en particulier ceux qui sont confrontés au racisme quotidien, qui regardent avec horreur des êtres chers être bombardés à Gaza ou au Liban, qui craignent d’être contraints d’être parents ou de subir des violences à l’école pour le simple fait d’être eux-mêmes, le système capitaliste qui repose si complètement sur la violence, l’oppression et l’exploitation est de plus en plus remis en question.
Kamala Harris est très légèrement en tête des sondages au moment où nous écrivons cet article. Elle n’est pas perçue avec le même scepticisme que Joe Biden, mais représente-t-elle quelque chose de suffisamment différent pour surmonter le culte que Trump inspire à de nombreuses personnes ? C’est peu probable : son bilan et celui du parti démocrate dans son ensemble laissent présager la poursuite du statu quo.
Ce qui est clair, c’est que peu importe qui s’assiéra dans le bureau ovale en janvier, nous ne pouvons pas nous reposer sur nos lauriers. Nous devons poursuivre nos manifestations pour mettre fin au génocide, maintenir la pression sur la personne qui occupera le bureau pour rétablir le droit national à l’avortement, lutter pour des soins de santé et des logements socialisés et pour tout ce dont nous avons besoin pour vivre. Nous avons vu que le sentiment pour de tels mouvements existe ; des campements universitaires en solidarité avec la Palestine qui ont inspiré un mouvement mondial, aux nouvelles couches de travailleurs qui testent leur pouvoir en se mettant en grève, aux jeunes qui organisent l’entraide dans leurs communautés – il est clair que beaucoup se battent pour trouver un moyen de construire et de lutter pour le monde dont nous avons besoin en dehors de la politique officielle.
De ces mouvements et organisations communautaires – ou de ceux dont nous n’avons pas encore rêvé – pourraient naître les graines d’un nouveau type de politique et d’organisation de base, capable de coaliser un mouvement ou un parti qui représente une véritable alternative à la mascarade déprimante que nous voyons dans les plus hautes fonctions. Telle est la tâche essentielle. Nous rassembler, refuser les compromis, sentir notre force à travers l’action collective afin de ne plus avoir à accepter un moindre mal, mais de pouvoir construire un monde socialiste fondé sur une action active en faveur du bien.
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Halte au génocide à Gaza et à la spirale sanglante au Moyen-Orient
Depuis plus d’un an, le monde assiste avec horreur et en temps réel à l’une des campagnes de bombardement les plus destructrices et les plus impitoyables de l’histoire – un assaut incessant aux proportions génocidaires – sur la bande de Gaza. La machine de mort et de destruction maniée par l’État israélien tourne et elle plonge dans de nouvelles profondeurs indicibles, tout en élargissant son champ d’action régional. Le Moyen-Orient est aujourd’hui au bord de ce qui pourrait être la plus grande conflagration régionale depuis des décennies.
Par Serge Jordan
Une horreur sans fin
Selon le bilan officiel publié par le ministère de la santé de Gaza, le génocide israélien à Gaza a tué plus de 43.000 Palestiniens en 12 mois. Ce chiffre représente toutefois plus que probablement une importante sous-estimation. Plusieurs milliers de personnes sont toujours portées disparues et ne sont pas prises en compte dans les statistiques officielles. L’anéantissement des établissements de santé, des réseaux de communication et des infrastructures routières a gravement entravé la tenue de registres précis. Ce chiffre ne tient pas non plus compte du nombre important – et croissant – de victimes dues à des causes indirectes telles que la maladie, la malnutrition et la famine. Plusieurs organisations, dont l’Organisation mondiale de la santé, des groupes de défense des droits humains et des professionnel.le.s de la santé qui ont travaillé à Gaza, affirment que le nombre réel de victimes est beaucoup plus élevé que ce qui est indiqué. Une étude récente du “Costs of War Project” de l’université Brown (Etats-Unis) estime ce nombre à environ 114.000, ce qui représente environ 5 % de la population de Gaza, et le qualifie de “nombre minimum ferme et prudent de morts”, tandis que les estimations de la revue scientifique britannique “The Lancet” faisait déjà état de plus de 180.000 personnes décédées de causes indirectes il y a plusieurs mois.
Entre-temps, la Cisjordanie occupée a également connu une recrudescence des attaques meurtrières de l’armée israélienne et des colons au cours de l’année écoulée, ce qui a entraîné la détention de près de 12.000 Palestinien.ne.s et la mort de centaines de personnes, dont 36 enfants tués lors de frappes aériennes et en raison de tirs à balles réelles 129, la plupart touchés à la tête ou à la partie supérieure du corps.
Aussi horrible que cela puisse paraître, le nombre de mort.e.s ne représente qu’une partie de la barbarie dont est victime le peuple palestinien. Un nouveau rapport de l’Agence des Nations unies pour le développement sur l’impact socio-économique de la guerre révèle que les indicateurs de développement humain dans la bande de Gaza se sont effondrés à des niveaux jamais atteints depuis les années 1950, et qu’il faudrait 350 ans (!) pour que l’économie de Gaza retrouve les niveaux d’avant le 7 octobre 2023. La quasi-totalité de la population de Gaza souffre d’une forte insécurité alimentaire, un demi-million de personnes sont menacées de famine. Des dizaines de milliers de personnes ont subi des blessures qui ont changé leur vie ; Gaza abrite désormais le plus grand nombre d’enfants amputés de l’histoire moderne, avec 10 enfants en moyenne qui perdent une jambe ou les deux chaque jour.
Dans ce qui a marqué un nouveau degré d’horreur et d’intensification de cette guerre brutale d’extermination – que l’envoyé palestinien auprès des Nations unies a qualifié de « génocide dans le génocide » -, le nord de Gaza a été soumis à un siège d’une cruauté stupéfiante au cours des trois dernières semaines (alors que les zones dites « sûres » ou « humanitaires » dans les parties méridionales de la bande continuent d’être régulièrement bombardées elles aussi). Depuis le 1er octobre, les forces israéliennes ont empêché l’entrée de nourriture ou d’aide de quelque nature que ce soit dans le nord de Gaza et ont soumis la région à des frappes aériennes et à des tirs d’artillerie incessants. L’armée israélienne a intensifié son offensive terrestre – la troisième en douze mois – encerclant le camp de réfugiés de Jabalia, tuant des centaines de civils et forçant des dizaines de milliers de personnes à fuir. Les familles déplacées qui s’abritaient dans des bâtiments publics sont chassées sous la menace des armes, avant que ces bâtiments ne soient rasés ou brûlés par les soldat.e.s israélien.ne.s. Les Palestinien.ne.s qui ont fui ont fait des récits effrayants de cette campagne permanente de meurtres, de famine planifiée et de déplacements forcés : des dizaines de corps éparpillés dans les rues, des preuves d’exécutions sommaires, des blessés laissés sur place alors que les ambulances et les secours sont délibérément bloqués, voire directement attaqués. L’armée israélienne prend également pour cible ce qui reste des réserves et des canalisations d’eau, poussant la population restante plus près du bord de la famine et de la soif. Joyce Msuya, responsable des affaires humanitaires de l’ONU, a averti samedi que « l’ensemble de la population du nord de Gaza risque de mourir sous le siège israélien », au lendemain d’un raid israélien de grande envergure sur Kamal Adwan, le dernier hôpital opérationnel de la région.
Le directeur de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orien (UNRWA), Philippe Lazzarini, a récemment déclaré : “L’odeur de la mort est omniprésente, les corps gisant sur les routes ou sous les décombres. Les missions de déblaiement des corps ou d’assistance humanitaire sont refusées. Dans le nord de Gaza, les gens attendent simplement de mourir. Ils se sentent abandonnés, désespérés et seuls. Ils vivent d’une heure à l’autre, craignant la mort à chaque seconde.” Malgré ces conditions insupportables et la menace imminente d’anéantissement, de nombreux.ses Palestinien.ne.s ne peuvent tout simplement pas partir – ou refusent de le faire en sachant qu’une fois parti.e.s, il ne sera pas possible de revenir – une expérience gravée dans leur histoire.
Cette stratégie militaire israélienne semble s’inspirer des principes fondamentaux de ce que l’on appelle le « plan des généraux », un projet publié en septembre par une association d’officiers retraités et de réservistes israéliens, que le Premier ministre Netanyahou a qualifié de « logique ». Les principaux objectifs de ce plan sont l’encerclement militaire du nord de Gaza, l’interruption de l’aide humanitaire et l’utilisation de la famine comme moyen de pression pour forcer l’évacuation totale de la zone. Chaque Palestinien.ne qui resterait sur place serait qualifié.e d’agent du Hamas et traité.e comme une cible légitime à abattre. Connu également sous le nom de « plan d’Eiland », il porte le nom de Giora Eiland, général de division à la retraite et ancien chef du Conseil national de sécurité d’Israël, qui en a conçu le cadre et a résumé son raisonnement brutal il y a déjà un an dans une interview, en déclarant : « Gaza doit être complètement détruite : chaos terrible, crise humanitaire grave, cris au ciel… ». Cette déclaration s’accompagne des projets du mouvement des colons et de l’extrême droite israélienne de réinstaller Gaza, ouvertement discutés lors d’une conférence le 21 octobre à laquelle ont participé des membres de la Knesset (le Parlement) et plusieurs membres du Likoud (le parti de Nétanyahou) ainsi que des ministres du gouvernement, et qui ont été protégés par l’armée et la police.
Cependant, la faisabilité pratique d’un plan visant à soumettre environ 400.000 personnes à l’horrible ultimatum « partir ou mourir » est une toute autre question. Outre l’attachement indéfectible des Palestinien.ne.s à leur terre, on peut se demander combien de temps les forces d’occupation israéliennes pourront maintenir leur emprise sur le nord de Gaza sans subir des pertes croissantes de la part du Hamas et d’autres groupes armés palestiniens qui continuent d’opérer dans la région. L’armée israélienne est également confrontée à des contraintes militaires, logistiques et humaines de plus en plus importantes pour soutenir les opérations dans la bande de Gaza, compte tenu des exigences simultanées de l’intensification de la guerre avec le Liban – qui nécessite d’importants déploiements de troupes – ainsi que de la possibilité d’une escalade de la guerre à l’extérieur.
L’assaut s’étend au Liban
Malgré les affirmations publiques du contraire, plus d’un an après le début de la guerre, le gouvernement de Netanyahou n’a toujours pas atteint les objectifs qu’il s’était fixés à Gaza. Par exemple, moins de 7 % des otages israéliens libérés ont été récupérés par la force militaire. Les célébrations triomphalistes de l’establishment israélien à l’occasion de l’assassinat des dirigeants du Hamas, Ismail Haniyeh et plus récemment Yahya Sinwar, ne peuvent occulter la réalité : le Hamas, bien qu’ayant subi des pertes militaires significatives en hommes et en matériel, est loin d’être « éliminé ». L’affirmation du ministre israélien de la défense, Yoav Gallant, selon laquelle le Hamas est effectivement démantelé en tant que force de combat à Gaza – reprise la semaine dernière par le secrétaire d’État américain Antony Blinken – ne correspond pas aux faits. Outre le fait que ce récit contredit clairement la propagande de l’État israélien, qui continue d’imputer au Hamas la responsabilité de la quasi-totalité pertes civiles palestiniennes massacrées par les bombes de Tsahal, le groupe conserve objectivement une capacité et une volonté de se battre. Dans un contexte pratiquement dépourvu de forces de résistance de gauche, la spirale d’atrocités du régime israélien devrait également aider le Hamas à reconstituer ses rangs au sein d’une nouvelle génération de Palestinien.nes. Sur le plan politique, les résultats du dernier sondage effectué par le Centre palestinien de recherche sur les politiques et les sondages au début du mois de septembre montrent que si le soutien au Hamas a légèrement baissé, il reste le plus élevé par rapport à toutes les autres factions palestiniennes, tant à Gaza qu’en Cisjordanie occupée.
Confronté à une impasse stratégique, Nétanyahou s’est retrouvé sous la pression des factions les plus extrémistes et ultranationalistes de son propre cabinet, qui l’ont incité à poursuivre l’escalade de la guerre. Il cherchait aussi désespérément à détourner l’attention de ses propres vulnérabilités politiques et des critiques intérieures croissantes concernant sa conduite de la guerre. Ces critiques ont culminé, début septembre, avec des manifestations historiques dans tout Israël et une grève générale de courte durée déclenchée par la fédération syndicale Histadrut, qui a cédé à la pression massive de la base – à laquelle ont participé des travailleurs d’origine juive, arabe et autre, exigeant un « accord immédiat ».
Encouragé par les facteurs susmentionnés et sentant une opportunité dans la faiblesse évidente de l’actuelle administration Biden, Nétanyahou a opté pour une fuite en avant imprudente, appuyant sur l’accélérateur de la guerre au Liban. L’explosion meurtrière de bipeurs et d’appareils de communication piégés dans une opération de terrorisme d’Etat à travers le Liban à la mi-septembre a simplement servi de prélude aux « Flèches du Nord », une offensive militaire israélienne aérienne et terrestre brutale de plus grande envergure sur le Liban. Les affirmations du régime israélien selon lesquelles ce nouvel assaut ne vise que le Hezbollah sont manifestement fausses. Il a attaqué sans discrimination des hôpitaux, des zones résidentielles, des postes frontières, des équipes de la Croix-Rouge et de la protection civile, des agriculteurs, des bergers, des journalistes et même des forces de « maintien de la paix » de l’ONU. Les infrastructures essentielles – eau, électricité, communications – ont été délibérément prises pour cible, de même que les bâtiments gouvernementaux, les monuments culturels et les sites historiques. L’offensive a tué plus de 2.600 personnes à ce jour et en a déplacé environ 1,2 million, forçant plus d’un.e habitant.e du Liban sur cinq à quitter son foyer.
L’offensive de l’armée israélienne au Liban semble en partie reposer sur l’idée de terroriser et de saper la base sociale du Hezbollah. Attiser les flammes sectaires au sein de la population libanaise pourrait bien être un élément intentionnel de cette stratégie, alors que les Libanais.es majoritairement chiites sont contraints de fuir le sud vers des régions majoritairement sunnites, druzes et chrétiennes. Ainsi, à la mi-octobre, l’armée israélienne a frappé le petit village septentrional d’Aito, dans le cœur chrétien du pays, loin des principales zones d’influence du Hezbollah dans le sud et l’est du Liban, mais où étaient accueillies les personnes déplacées à l’intérieur du pays en provenance des régions à majorité chiite. Vingt-deux personnes ont été tuées dans l’attentat.
L’assassinat de Hassan Nasrallah, leader historique et très en vue du Hezbollah, à la fin du mois de septembre, ainsi que l’élimination de la plupart des hauts commandants militaires de l’organisation, ont incontestablement porté un coup au Hezbollah. Ces actions, ainsi que les attaques de bipeurs et de talkies-walkies ont également mis en évidence de graves failles de sécurité au sein de la structure du groupe. Sur le plan politique, elles ont permis à Nétanyahou de rehausser temporairement son prestige sur le plan intérieur. Son parti, le Likoud, est remonté d’un niveau historiquement bas pour prendre la tête des sondages d’opinion nationaux.
Toutefois, les limites de cette tendance sont déjà visibles. Des sondages récents montrent également qu’une majorité de la population israélienne souhaite une élection anticipée et la coalition de Nétanyahou serait incapable de former un gouvernement lors d’élections hypothétiques, l’un des deux partenaires de la coalition d’extrême droite risquant de perdre tous ses sièges au parlement. Sur le champ de bataille, le Hezbollah reste un adversaire redoutable. Par rapport à sa guerre de 2006 contre Israël, l’organisation a considérablement renforcé ses capacités de combat, en grande partie grâce à des années d’expérience aux côtés des forces du régime réactionnaire d’Assad en Syrie. Le Hezbollah dispose d’un vaste arsenal de missiles et de roquettes guidés avec précision ; bien que certaines parties de cet arsenal aient été dégradées lors des récentes frappes aériennes israéliennes, il est toujours capable d’atteindre presque n’importe quelle cible en Israël – comme l’a récemment souligné une frappe de drone visant la luxueuse villa privée de Netanyahou dans la ville côtière de Césarée. En outre, le groupe peut compter sur des dizaines de milliers de combattants aguerris, endurcis par une guerre de longue haleine. Bien que les médias ne s’accordent pas sur le nombre exact de victimes militaires israéliennes au Liban, il est largement admis que les pertes de ces derniers jours ont été les plus lourdes jamais infligées par le Hezbollah, qui mène un combat acharné sur le terrain – tout en faisant pleuvoir des tirs de roquettes de l’autre côté de la frontière, dont certains ont fait des victimes civiles. L’idée initiale et déclarée de l’armée israélienne d’une « opération ciblée et limitée » au Liban pourrait facilement se transformer en son contraire.
Croire qu’Israël a ouvert ce nouveau front – aux dépens du peuple libanais – pour assurer une « sécurité » et une « paix » durables à sa propre population est une illusion cruelle qui s’effondrera bientôt sous le poids de la réalité. Sans parler du fardeau que la guerre et la spirale des dépenses militaires font peser sur l’économie israélienne, ce qui, comme l’a noté « The Hindu », « oblige à faire des choix difficiles entre les programmes sociaux et l’armée ». Cela exacerbera les tensions sociales et approfondira les contradictions au sein de la société israélienne.
L’armée israélienne bombarde l’Iran
Tragiquement, le potentiel destructeur de ce conflit pourrait encore se déployer, car la dynamique engagée risque de l’entraîner dans quelque chose de bien plus grave. Ce que le régime israélien cherchait à obtenir, sans y parvenir, par le biais des accords d’Abraham – à savoir un changement à long terme de l’équilibre régional des forces en sa faveur vis-à-vis de l’Iran et des groupes soutenus par l’Iran, ainsi que la mise à l’écart de la question palestinienne et la normalisation et le renforcement de son régime d’occupation – il tente à présent de l’obtenir par une campagne de mort et de destruction. Cette logique conduit le gouvernement de Nétanyahou sur la voie d’une confrontation avec Téhéran.
Alors que le gouvernement génocidaire de Tel-Aviv multiplie les provocations – il a bombardé, le Yémen, la Syrie, le Liban et Gaza en l’espace de 24 heures en septembre – le régime iranien cherche à maintenir une stratégie d’escalade « contrôlée » et « calculée », marchant sur un fil entre le fait de se poser comme une ligne de front clé dans « l’axe de la résistance » contre le régime israélien tout en évitant consciemment des actions qui pourraient déclencher une guerre à grande échelle. Cette prudence ne découle pas d’une position de force, mais de la crainte des retombées politiques, sociales, économiques et militaires qu’un tel scénario entraînerait, d’autant plus que le pays a été confronté à des éruptions périodiques de mécontentement interne massif au cours des dernières années. Pourtant, le lancement par l’Iran de 200 missiles balistiques en direction d’Israël à la suite de l’assassinat de Nasrallah, qui a tué un civil (un Palestinien dans la ville de Jéricho, en Cisjordanie), a été immédiatement exploité par les responsables israéliens comme prétexte pour menacer de représailles punitives. Dans la foulée, le Pentagone a envoyé en Israël son système de défense antimissile le plus avancé, accompagné d’une centaine de personnes chargées de le faire fonctionner. Il s’agissait du premier déploiement officiel de troupes américaines sur le terrain depuis le début du génocide à Gaza, et d’un « exemple opérationnel du soutien sans faille des États-Unis à la défense d’Israël », selon le secrétaire américain à la défense, Lloyd J. Austin.
Présentée comme une mesure défensive, l’attaque israélienne, orchestrée en tandem avec Washington, est intervenue le 26 octobre et a pratiquement représenté une offensive. Elle visait les sites de fabrication de missiles et de drones iraniens, ainsi que les défenses aériennes. Bien que les installations nucléaires et pétrolières – cibles auxquelles l’administration Biden s’est publiquement opposée – ont été épargnées, il n’est pas certain que d’autres frappes suivront. Même isolée, cette première attaque militaire israélienne ouvertement reconnue contre l’Iran comporte le risque de déclencher une réaction en chaîne plus large.
La danse hypocrite de l’impérialisme
Les timides tentatives de la Maison Blanche de mettre le pied à l’étrier pour éviter un conflit total avec l’Iran en plaidant pour des frappes aériennes relativement “limitées”, combinées à son insistance renouvelée sur la nécessité d’un cessez-le-feu à la suite de l’assassinat de Yahya Sinwar, dissimulent mal le rôle instrumental que l’impérialisme américain a joué tout au long de l’année écoulée dans la préparation de cette situation explosive et dans la facilitation matérielle, politique et diplomatique du génocide à Gaza. De nouvelles données de l’agence de surveillance d’Al Jazeera, Sanad, révèlent l’ampleur stupéfiante de l’implication américaine et britannique dans les opérations militaires d’Israël entre octobre 2023 et octobre 2024. Ces données font état de pas moins de 6.000 vols militaires au-dessus de la région, soit une moyenne de 16 par jour, dont 1 200 vols de fret livrant des armes à Israël, ainsi que des missions de reconnaissance, du ravitaillement en vol et d’autres formes de soutien.
Néanmoins, les prétendues « contraintes » de l’administration Biden concernant l’attaque d’Israël contre l’Iran, sa capitalisation sur la mort de Sinwar pour plaider à nouveau en faveur d’un cessez-le-feu – bien que le Premier ministre israélien ait ostensiblement fait savoir qu’il ne voyait pas les choses de cette manière – ainsi que ses menaces – largement inconséquentes – de geler l’aide militaire si le régime israélien ne levait pas les restrictions sur l’aide humanitaire à Gaza dans les 30 jours, trahissent toutes de réelles inquiétudes dans les cercles dirigeants américains. Ces efforts timides pour freiner les manœuvres de guerre les plus extrêmes de Nétanyahou ne sont pas motivés par des considérations morales, mais par l’indignation publique massive et la réaction brutale contre les actions du régime israélien, par des calculs électoraux cyniques (un récent sondage a montré que les Américains d’origine arabe préfèrent légèrement Trump à Harris) et par le spectre d’une déstabilisation beaucoup plus importante de la région. Washington hésite certainement à s’engager dans une guerre à grande échelle avec l’Iran, sachant que cela pourrait exacerber le sentiment anti-américain et causer des ravages sur les marchés pétroliers et l’économie mondiale dans son ensemble. Préoccupé par l’intensification de sa rivalité stratégique avec la Chine, l’establishment politique américain – démocrates et républicains confondus – préférerait réduire son empreinte au Moyen-Orient plutôt que de l’aggraver. Toutefois, paradoxalement, si un tel conflit devait éclater, l’impérialisme américain passerait probablement en mode réactif, contraint de renforcer son soutien au régime israélien de peur que toute manifestation de faiblesse n’enhardisse ses rivaux régionaux et mondiaux. Dans le contexte de la « nouvelle guerre froide » (c’est-à-dire la bataille pour l’hégémonie mondiale entre les deux principales superpuissances que sont les États-Unis et la Chine), le président qui occupera la Maison Blanche favorisera objectivement l’affaiblissement de l’Iran et des puissances impérialistes qui lui sont associées, à savoir la Chine et la Russie.
Quoi qu’il en soit, les gestes actuels de l’administration américaine ne signalent aucun changement significatif dans la politique des États-Unis. Le soutien de Washington à Israël reste profondément ancré dans des impératifs géostratégiques, qui ne peuvent être modifiés par la seule rhétorique. Seuls des mouvements d’envergure venant d’en bas, y compris des développements majeurs de la lutte des classes, pourraient exercer la pression de masse nécessaire pour perturber cette alliance bien ancrée.
Dans l’état actuel des choses, alors que Biden peut occasionnellement déclarer qu’il y a trop de victimes civiles, il continue d’armer Israël jusqu’aux dents. De même, le Premier ministre britannique Keir Starmer affirme que “le monde ne tolérera plus d’excuses de la part d’Israël » – ce même Starmer qui a déjà justifié le droit d’Israël à couper l’eau et l’électricité à Gaza. Le Premier ministre canadien Justin Trudeau fustige le régime indien de Narendra Modi pour ses exécutions extrajudiciaires en territoire étranger, mais garde un silence complice lorsqu’Israël commet des actes similaires à Gaza, au Liban ou en Iran. Modi, quant à lui, parle de « diplomatie de la paix » tout en soutenant le gouvernement de Nétanyahou par le biais de contrats d’armement impliquant des entreprises indiennes, en facilitant l’envoi de travailleurs indiens en Israël et en s’abstenant sur les résolutions de l’ONU appelant à un cessez-le-feu ou condamnant l’occupation et les crimes de guerre d’Israël. Le président turc Erdoğan a beau s’insurger contre les bombardements d’Israël, il ordonne la même semaine plus de 40 frappes aériennes sur le nord et l’est de la Syrie, tuant des dizaines de civils. Quant à Macron, un ancien fonctionnaire français cité par Politico décrit son approche hésitante : « Lorsqu’il parle aux pays émergents, il est pro-palestinien ; et lorsqu’il parle à Netanyahou, il ne pense qu’à la sécurité d’Israël. » Son récent revirement vers une rhétorique plus ferme à l’encontre de certaines politiques de Nétanyahou semble coïncider avec l’invasion israélienne du Liban, un pays que l’impérialisme français continue de considérer comme faisant partie de son arrière-cour.
Cette hypocrisie éhontée met à nu la faillite morale des dirigeants capitalistes mondiaux de tous bords. Leur indignation sélective révèle que les condamnations de la violence ne sont rien d’autre que des outils de commodité pendant que le massacre se poursuit. La fin de ce massacre ne viendra pas des hautes sphères du pouvoir, mais d’une résistance généralisée et organisée à l’échelle internationale, forçant une rupture dans le système qui permet et facilite ces crimes.
Arrêter le génocide, arrêter la machine de mort de l’État israélien – Combattre l’ensemble du système par une action de masse
Le peuple palestinien, ainsi que tous les travailleurs et opprimés vivant au Liban et dans la région, ont besoin de notre solidarité inébranlable. Nous devons appeler à l’arrêt immédiat du déchaînement sanglant du régime israélien dans la région et au retrait total de ses forces d’occupation du Liban, de Gaza et de la Cisjordanie occupée. Les États-Unis et la plupart des dirigeants occidentaux plaident en faveur d’un cessez-le-feu centré sur la libération des otages israéliens toujours détenus à Gaza. Pourtant, non seulement ils restent indifférents au sort des milliers de prisonniers palestiniens qui croupissent dans les prisons israéliennes, mais ils ont également apporté leur soutien au cabinet de guerre de Nétanyahou, qui a méthodiquement saboté toutes les possibilités de cessez-le-feu, tout en exploitant sans ménagement le sort des otages pour accélérer son agenda sanglant. Le chahut récent de Nétanyahou par les familles endeuillées des otages lors de son discours au cours d’un rassemblement de commémoration des victimes du 7 octobre à Jérusalem est un signe certain de l’indignation croissante de l’opinion publique face à ces manœuvres cyniques.
Il est évident qu’aucun cessez-le-feu véritable et durable ne peut avoir lieu dans des conditions de siège et d’occupation militaire. En l’état actuel des choses, nous défendons le droit inaliénable des masses au Liban et dans les territoires palestiniens occupés de résister à l’agression militaire permanente d’Israël, y compris par les armes. Une résistance armée reposant sur des bases de masse et liée au contrôle démocratique de la population, cherchant à unir les travailleurs et les opprimés à travers les diverses confessions et communautés nationales, et intégrant les revendications de libération nationale avec les revendications de transformation économique et sociale radicale, serait le meilleur moyen d’y parvenir.
La résistance contre ce génocide doit s’attaquer à ses racines fondamentales. Cela signifie mener une lutte politique sans compromis non seulement contre le colonialisme et le racisme de l’État israélien, mais aussi contre le système capitaliste et impérialiste qui les soutient. Cette lutte doit aller de pair avec la construction d’organisations socialistes indépendantes capables d’organiser la classe ouvrière et tous les opprimés autour d’un tel programme. Elle doit s’éloigner des capitulations des partis pro-capitalistes corrompus comme le Fatah, mais aussi des forces islamistes de droite comme le Hamas et le Hezbollah. Même si, dans les conditions actuelles, ces forces bénéficient d’un soutien important, les socialistes révolutionnaires doivent s’attaquer aux causes profondes de l’oppression nationale sans succomber à des méthodes politiques réactionnaires qui, en fin de compte, servent à consolider les relations de pouvoir existantes. Il ne peut y avoir de libération pour certains sans libération pour tous : pour réussir, la lutte doit être anti-sectaire, internationaliste, féministe, anti-impérialiste, anticapitaliste et donner la priorité à la participation démocratique de masse – autant de qualités dont ces organisations sont malheureusement dépourvues. De plus, leurs attaques aveugles contre les civils israéliens et leur collaboration avec le régime despotique iranien – celui-là même qui a brutalement écrasé le mouvement « Femme, Vie, Liberté » – contribuent à renforcer la propagande sanguinaire de Nétanyahou et de la bande de bouchers qui font pleuvoir la terreur sur Gaza et le Liban.
Notre lutte doit viser non seulement l’assaut militaire de l’État israélien, mais aussi tous ceux qui le soutiennent, toutes les puissances impérialistes dont les intérêts particuliers font partie intégrante du bain de sang qui engloutit actuellement le Moyen-Orient, et tous les régimes autoritaires et oppressifs de la région – y compris l’Iran et la Turquie – qui se soucient davantage de leur propre richesse et de leur survie politique que du sort des masses palestiniennes.
Ensemble, la complicité effective des régimes arabes dans l’autorisation des actions barbares d’Israël à Gaza et leur perpétuation de la violence d’État et de la misère chez eux, pourraient alimenter un mélange puissant susceptible de déclencher de nouveaux soulèvements dans toute la région. En octobre, le régime égyptien d’al-Sissi a augmenté les prix des carburants pour la troisième fois cette année dans le cadre de « réformes structurelles » plus larges imposées à la demande du FMI –après avoir réduit les subventions pour le pain en juin. Ces politiques ne font qu’accentuer la colère d’une population qui souffre déjà de graves difficultés économiques, tout en voyant leur gouvernement agir comme un facilitateur de facto de l’étranglement du peuple palestinien. « Le deuxième printemps arabe se prépare, sans aucun doute, mais tous les moteurs sont toujours là : la pauvreté, la corruption, le chômage, le blocage politique et la tyrannie », a déclaré Oraib Al Rantawi, directeur du Centre d’études politiques d’Al-Qods, basé à Amman. Bien que les rues du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord semblent actuellement dominées par des sentiments de démoralisation et d’impuissance, les événements horribles qui se déroulent à Gaza et au Liban continuent d’agir comme un catalyseur pour une accumulation moléculaire mais constante de rage de masse et de radicalisation – qui pourrait éclater de la manière la plus explosive et, si elle est organisée efficacement, devenir un puissant levier pour arrêter la spirale de la machine de mort du régime israélien et de ses soutiens impérialistes.
Pendant ce temps, à travers le monde, bien qu’avec des fluctuations et des degrés d’intensité variables, des millions de personnes se sont levées par défi, en manifestant, en boycottant, en faisant grève, en occupant. Des actions menées par des étudiants et des travailleurs universitaires – parfois soutenus par des syndicats, y compris par des grèves comme celle des United Automobile Workers (UAW) aux États-Unis – ont appelé les universités à rompre tous leurs liens avec l’État d’Israël. Ces actions ont permis de démasquer les mensonges de la classe dirigeante – qui a généralement répondu par une violente répression policière contre les campements – et de populariser la question du contrôle démocratique par les étudiants et les travailleurs de la gestion et de l’utilisation des fonds de leurs universités.
Rien qu’à Londres, 300.000 personnes ont envahi les rues à la suite de l’invasion du Liban. Fin septembre, une grève générale de 24 heures « contre le génocide et l’occupation en Palestine » a été organisée dans l’État espagnol à l’appel de plus de 200 syndicats et ONG, accompagnée de manifestations de masse dans tout le pays. C’est la voie à suivre : pour obtenir les résultats les plus tangibles, nous devons frapper au cœur des profiteurs de guerre et des États impérialistes, en ciblant leurs fonctions et leurs profits, et donner un nouveau souffle à l’appel initial des syndicats palestiniens au mouvement ouvrier mondial, appelant à la solidarité contre le génocide à Gaza – et maintenant l’assaut sur le Liban et la poursuite de l’escalade de la guerre dans la région.
Les dockers grecs ont récemment bloqué les livraisons d’armes à Israël, les travailleurs de Google et de Microsoft se sont révoltés contre le partenariat de leur entreprise avec le gouvernement et l’armée israéliens, les travailleurs des hôpitaux parisiens ont manifesté en solidarité avec leurs homologues soumis à un blocus à Gaza, et la campagne « Arrêtez d’armer Israël » s’est poursuivie, aux militants français de « Stop Arming Israel » qui ont distribué des tracts dans plusieurs usines d’armement françaises qui soutiennent le génocide israélien afin de nouer des liens avec les travailleurs de l’industrie, aux appels publics des syndicats français CGT STMicroelectronics et CGT Thales pour que leurs entreprises respectives cessent de faire des affaires avec Israël… ces innombrables actes de solidarité de la classe ouvrière doivent être amplifiés partout où cela est possible, en particulier dans les secteurs stratégiques qui sont au cœur du fonctionnement de la machine de guerre israélienne. Aussi stimulantes que soient ces actions, les syndicats et les organisations de travailleurs du monde entier pourraient et devraient faire beaucoup plus pour mobiliser activement leurs membres, dénoncer la complicité de leurs gouvernements dans les atrocités en cours et libérer toute la puissance de la classe ouvrière par une action de masse audacieuse et coordonnée.
Cette lutte doit également s’étendre aux travailleurs et aux jeunes de l’État d’Israël, en les exhortant à utiliser leur pouvoir et à tirer parti de leur travail pour bloquer la machine de guerre et affronter ce qui est objectivement – même si ce n’est pas encore consciemment reconnu – un ennemi commun. Nous saluons et sommes pleinement solidaires de tous ceux qui, à l’intérieur de la ligne verte, prennent des mesures audacieuses pour s’opposer au régime de Nétanyahou et à l’ensemble des forces politiques qui soutiennent cette guerre d’extermination contre les Palestiniens.
Incontestablement, des contradictions majeures compliquent ce processus. Par exemple, la courte grève générale du 2 septembre s’est produite non pas à cause mais en dépit de la direction de la Histadrout, dont le président nationaliste de droite Bar-David, en décembre 2023, a signé de manière dégoûtante un obus destiné à être utilisé pour bombarder la bande de Gaza, avec l’inscription suivante : “Le peuple d’Israël vit. Salutations de la Histadrout et des travailleurs d’Israël”. La grève a également été soutenue par une partie de la classe capitaliste israélienne, pour ses propres intérêts. Quant au mouvement « Deal now », il a reflété une conscience profondément conflictuelle et contradictoire, et son soutien a été considérablement affaibli par l’attaque contre le Liban. Malgré ces difficultés, la grève et les manifestations « Deal now » ont laissé entrevoir le rôle que les travailleurs israéliens pourraient jouer à l’intérieur de la ligne verte pour soutenir la lutte contre le génocide à Gaza, la guerre au Liban, la violence des colons et des militaires en Cisjordanie occupée, ainsi que la politique du régime israélien en général. Les socialistes révolutionnaires ont pour tâche essentielle d’encourager activement ce processus et de démasquer la rhétorique trompeuse de la sécurité et de l’autodéfense que la classe dirigeante israélienne exploite pour déguiser un agenda qui ne conduit qu’à plus d’insécurité, d’austérité et d’effusion de sang pour toutes les parties impliquées.
En fin de compte, la lutte pour la libération de la Palestine est inséparable de la lutte globale contre le capitalisme, un système axé sur le profit privé qui engendre des guerres, la dévastation de l’environnement et d’obscures inégalités. Dans ce système, les technologies les plus avancées de l’humanité sont exploitées non pas pour améliorer la vie mais pour l’anéantir à une échelle génocidaire, tandis que les appareils les plus perfectionnés permettent de diffuser en direct les actes de violence les plus primitifs et les plus déshumanisants à des millions de personnes. L’urgence d’une transformation révolutionnaire n’a jamais été aussi claire. Il est essentiel de renverser ce système destructeur pour récupérer les immenses richesses et ressources de la société, y compris celles qui sont actuellement canalisées vers le massacre de masse et la ruine de Gaza. Ce n’est que par le biais d’un programme socialiste visant la propriété et le contrôle collectifs des moyens de production et défendant les droits de toutes les communautés nationales et religieuses à la pleine égalité et à l’autodétermination que nous pourrons jeter les bases d’un avenir où la paix, la sécurité et la prospérité seront garanties à tous les peuples.
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L’éclatante résistance antifasciste de jeunes marxistes en Bretagne, entretien avec François Preneau et Robert Hirsch
Le livre “Résistance antinazie ouvrière et internationaliste : De Nantes à Brest, les trotskistes dans la guerre (1939-1945)” raconte l’histoire remarquable de jeunes marxistes révolutionnaires engagé.e.s dans la résistance à l’occupation nazie et au capitalisme. Pour eux, la guerre n’a pas signifié de pause dans leur approche basée sur la lutte des classes. Ils et elles ont regroupé des dizaines d’autres jeunes – jusqu’à des soldats allemands ! – autour d’un antifascisme de classe visant à la transformation socialiste de la société. Cet été, nous nous sommes rendus à Nantes pour y rencontrer deux des trois auteurs de cet important ouvrage : François Preneau et Robert Hirsch.
Comment en être venu à écrire ce livre ?
François : “Nous avons découvert que les militants trotskystes de Nantes ont été les premiers à faire de la propagande clandestine contre l’Occupation nazie. De plus, celle-ci était explicitement internationaliste. Ils ont publié un journal clandestin, Front Ouvrier, distribué dans une vingtaine de grandes entreprises nantaises et dont l’influence a été croissante.”
Robert : “Nous sommes nous-mêmes des militants de la IVe Internationale depuis longtemps et nous étions évidemment intéressés par ce groupe de militants qui agissaient dans des moments très difficiles. Dans la situation apocalyptique du début de la Seconde Guerre mondiale, ces jeunes militants, hommes et femmes, disaient qu’il fallait agir ou du moins tenter d’agir.”
Ce qui est frappant avec le Front Ouvrier, c’est qu’il y a toujours eu une tentative s’adresser aux besoins du moment avec une approche de classe. Front Ouvrier comportait des revendications concernant la protection contre les bombardements alliés, sur le contrôle démocratique du ravitaillement ou encore sur les salaires. D’où vient cette approche ?
François : “Il s’agissait de très jeunes travailleurs à une époque où le mouvement ouvrier s’était complètement effondré. Les conditions de vie étaient très difficiles, mais il leur était impossible de rester sans rien faire. Il fallait résister, non pas aux Allemands en tant que tels, mais au fascisme.”
Robert : “Ce sont des jeunes qui ont acquis une première expérience dans les mobilisations autour du Front populaire et des grèves de 1936. Cette expérience figurait régulièrement dans le journal Front Ouvrier. C’est l’expérience de cette révolte de la classe ouvrière qui les a vraiment inspirés. Ils ont voulu stimuler ce potentiel qui réside en son sein. Et pour ça, ils sont partis de la vie quotidienne. Bien sûr, c’était très difficile avec les bombardements, la violence de la répression et la question du ravitaillement. Ce n’était pas non plus facile sur les lieux de travail, avec les petits chefs qui étaient également souvent des collaborateurs. Les descriptions de la vie sur les lieux de travail sont très détaillées et incisives. Il ne s’agit pas d’étudiants qui, de l’extérieur, se tiennent à la porte et disent comment il faut faire.”
François :“Le matériel écrit visait à convaincre les travailleurs que ce qui se passait dans leur entreprise était important et qu’il fallait reprendre la lutte. Il tentait également de convaincre les travailleurs qu’une véritable paix ne serait possible qu’avec le renversement du capitalisme. Il s’agissait de lutter contre le nazisme, mais aussi de mettre fin au système qui lui avait donné naissance. D’où le slogan récurrent “Pain, paix, liberté”. C’était la formule à l’époque de la lutte pour le socialisme.”
“Ce slogan fait référence à la lutte des années 1930. Front Ouvrier est sorti principalement en 1943-44, à un moment où il y avait aussi l’expérience des grèves italiennes de l’été 1943 qui ont joué un rôle crucial dans le renversement de Mussolini. Il était clair que des mouvements étaient possibles, que la révolution pouvait avoir lieu, même en Allemagne. La peur existait, mais aussi une compréhension du potentiel de la classe ouvrière.”
Quelle était la particularité de la résistance autour du Front Ouvrier ?
Robert : “Ces jeunes ne se contentaient pas d’obéir. Ils réfléchissaient, faisaient des choix, débattaient. Même pendant la guerre, il y avait des discussions et la diffusion de bulletins internes. Il y a même eu un congrès durant la guerre.
“Front Ouvrier était un journal, mais aussi une démarche politique. S’il y a une chose que Robert Cruau, le pionnier du groupe en Bretagne, a défendu toute sa vie, c’est que l’émancipation de la classe ouvrière sera l’oeuvre des travailleurs eux-mêmes. C’est à leur côté et avec eux que l’on pouvait construire une résistance ouvrière réellement active avec une forte conscience politique. Cela a toujours été essentiel pour Front Ouvrier : on ne fait pas à la place des gens, on fait ensemble. Si on ne fait pas ça, on ne construit rien non plus.
“Par ailleurs, une approche internationaliste a toujours été adoptée. Dans Front Ouvrier, vous ne lirez jamais des termes comme ‘boches’, ce qui était très courant dans la presse communiste. A Brest, de petits articles en allemand étaient également régulièrement publiés dans le Front Ouvrier.”
Cela nous amène à parler du travail effectué en Bretagne à destination des soldats allemands. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
François : “L’approche du Parti communiste était que chaque soldat allemand éliminé était un ennemi de moins. Mais pour les trotskistes, un soldat allemand gagné à leur cause était un futur combattant de la révolution allemande. C’est pourquoi il n’y avait pas de slogans nationalistes.”
Robert : “Robert Cruau avait l’idée que les gens devaient s’organiser. Cela n’avait toutefois rien d’évident d’imaginer des soldats allemands qui s’organisent et se retrouvent avec des militants trotskistes ! Il s’agissait surtout de jeunes ou d’anciens syndicalistes d’Allemagne. Il y avait par exemple un homme dont le père avait encore député communiste avant le régime nazi. Peut-être entre 20 et 27 soldats allemands ont participé à ce groupe d’« Arbeiter und Soldat » à Brest.
“Alors que l’armée allemande déplaçait généralement ses troupes d’une ville à l’autre tous les quelques mois afin d’éviter que des liens ne se tissent avec la population locale, il en allait différemment à Brest. Avec une base navale, on a besoin de soldats, mais aussi de techniciens qui restent sur place plus longtemps. Cela facilitait l’établissement de ces liens.
La police militaire allemande n’a évidemment pas apprécié de trouver des exemplaires d “Arbeiter und Soldat”. Et certainement pas quand les soldats allemands de Brest ont eux-mêmes distribué quatre numéros de leur propre journal, “Zeitung für Soldat und Arbeiter im Westen”. Nous n’avons pas tout retrouvé d’exemplaires de ce journal, mais nous avons le témoignage de celui qui l’a dactylographié, André Calvès.
Dans ce journal, il y avait un éditorial politique qui montrait que pour arrêter la guerre, il fallait en finir avec le capitalisme. On y lisait aussi des échos de soldats allemands qui s’étaient rendus en Allemagne en permission et qui y avaient vu les ravages de la guerre. Ils rapportaient que Hambourg n’était pas beaucoup mieux lotie que Brest. Et puis on y trouvait des articles sur la responsabilité de chaque soldat allemand : “Les Français nous détestent souvent, mais que faisons-nous ? Nous les persécutons.” C’était donc un contenu très révolutionnaire.
Après le quatrième numéro, tout le groupe a été massacré. Nous ne connaissons pas les détails, nous n’avons pas trouvé les archives de la Gestapo à ce sujet. Le groupe a-t-il été infiltré ? Quelqu’un a-t-il été brisé et a parlé ? Nous n’en savons rien. Mais la répression a été terrible. Publier un journal avec des soldats allemands, dirigé contre le nazisme, c’était bien entendu une attaque directe contre l’armée allemande.”
Après la guerre, un travail a également été organisé à destination des prisonniers de guerre allemands.
“Quand André Calvès est rentré en 1946, son premier réflexe a été de parler à d’autres camarades qui revenaient de déportation, et de dire : le combat que nous menions, qu’est-ce que c’était ? C’était de dire : ce sont nos frères de classe. Et que font-ils maintenant avec les prisonniers de guerre allemands ? Ce sont des esclaves du capital. Et nous ne faisons rien ? Finalement, ils parviennent à avoir un bref contact avec quelques dizaines de prisonniers de guerre allemands, notamment en leur distribuant du matériel obtenu auprès de leurs camarades britanniques.
“Lors du redémarrage des syndicats français, ils sont parvenus à convaincre 35 prisonniers allemands d’adhérer à la CGT. Imaginez : Brest était une ville en ruine et soudain 35 Allemands frappaient à la porte du syndicat pour y adhérer. Les prisonniers de guerre allemands ont donc reçu la visite de jeunes Français qui sont venus les voir en leur disant qu’ils étaient des frères de classe. C’est vraiment un exemple remarquable d’internationalisme.”
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A mesure que la “fête de la démocratie” devient un simulacre vide de sens, toujours plus de gens s’en détournent
La suppression du vote obligatoire en Flandre s’est traduite par une participation beaucoup plus faible que prévu, avec un taux de participation de 63,7 %. Même à Bruxelles, où le vote est obligatoire, il y a de nombreuses communes où plus d’un cinquième de l’électorat ne s’est pas présenté. En Wallonie, malgré le vote obligatoire, les gens qui n’ont pas été voter, les gens qui ont voté blanc et les gens qui ont voté nul représentent 22,7% de l’électorat, le chiffre le plus élevé depuis 1919.
Le suffrage universel a été imposé à la suite d’une lutte acharnée de la part du mouvement ouvrier menée contre celles et ceux qui revendiquent aujourd’hui de représenter la “démocratie”. Une fois arrachée, cette conquête sociale a été pervertie jusqu’à devenir l’occasion de colorier un bulletin toutes les quelques années pour que les partis traditionnels appliquent tout de même la même politique antisociale par la suite. Ce n’est pas une coïncidence si les jeunes et les personnes peu qualifiées sont les premières personnes à tourner le dos à ce système : ce sont précisément les couches qui s’identifient le moins à la manière dont le système fonctionne. Alors qu’un bourgmestre sur huit entretient des liens avec des promoteurs immobiliers, la question des liens avec les personnes précarisées ou la jeunesse n’est même pas soulevée. Si le monde politique ne s’y intéresse pas, comment peut-il espérer gagner leur intérêt politique, alors que ces couches sont justement celles qui ont le plus besoin de sortir du statu quo ?
Souvent, chez les partis traditionnels, des figures locales populaires permettent de sauver les meubles, mais elles ne peuvent pas complètement cacher la poursuite de l’érosion de soutien. Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, l’extrême droite arrive au pouvoir au niveau local, à Ninove. Le PTB a globalement progressé, avec de beaux scores à Bruxelles et Anvers notamment, mais un score plus important était attendu.
L’extrême droite au pouvoir à Ninove
Le 9 juin, le Vlaams Belang était le premier parti dans 143 communes flamandes, alors qu’il ne l’est plus aujourd’hui que dans deux d’entre elles : Ninove et Denderleeuw. Dans des villes comme Anvers, Gand et Louvain, l’extrême droite décline. A Anvers, pour se distinguer face au discours droitier de la N-VA, la vieille figure de proue du Vlaams Blok/Belang Filip Dewinter devient encore plus caricatural, tout particulièrement dans le contexte d’une population si diversifiée. Faire une croix sur l’extrême droite est toutefois malheureusement prématuré dans la perspective d’inégalités croissantes et d’augmentation de tous les problèmes sociaux qui y sont liés.
À Ninove, la liste Forza Ninove a obtenu la majorité absolue. Le 9 juin, un quart des électeur.trices de Ninove avaient accordé un vote préférentiel à Guy D’Haeseleer. Aujourd’hui, il s’agit de près de 40 % des votants. Pourquoi l’extrême droite peut-elle faire un tel score ? Une série de facteurs entrent en jeu : la disparition de l’industrie et des sources locales d’emploi, la réduction de tous les services publics (et privés), une pression accrue sur le marché du logement et les services publics due à l’arrivée rapide de gens fuyant la politique de logement antisociale et inabordable de Bruxelles et, pour couronner le tout, l’accent mis sur le racisme par tous les partis. A cela s’ajoute un réel ancrage de l’extrême droite. Dès la première percée du Vlaams Blok, des noyaux étaient actifs dans la région de la Dendre. Ces dernières années, D’Haeseleer s’est développé un réseau de soutien avec Forza Ninove. Celui-ci aide les gens à remplir leur déclaration d’impôt et D’Haeseleer signe de son nom la notice nécrologique de chaque habitant de Ninove décédé par exemple, choses que les autres partis ne font plus en Flandre. Là où d’autres partis se limitent de plus en plus aux opérations de communication, Forza Ninove est ancré localement.
En 2018, Forza Ninove a échoué de peu à obtenir la majorité absolue et tous les autres partis ont formé une coalition. Il a toutefois fallu faire preuve de persuasion avec la N-VA. Aujourd’hui, Forza Ninove obtient 18 sièges sur 35. D’Haeseleer a annoncé vouloir discuter avec la N-VA (qui a perdu 1 de ses 2 sièges), mais les chances de parvenir à une coalition sont inexistantes. Forza Ninove a besoin que cette discussion prenne place essentiellement à des fins de propagande. Si Bart De Wever ouvre cette porte, la N-VA risque bien de se retrouver aspirée par l’extrême droite au-delà de Ninove. Le fait que la N-VA représente le parti par excellence des attaques antisociales sévères prévues par la coalition fédérale Arizona contre la classe travailleuse ne pose aucun problème au Vlaams Belang. Bien au contraire.
Forza Ninove affirme défendre les services sociaux avec la construction d’un nouvel hôpital et d’une nouvelle maison de repos et de soins. En réalité, Forza Ninove s’est contenté de souhaiter que ces questions soient examinées. Ce qui est par contre très concret, ce sont les restrictions d’accès au logement social et à l’aide sociale (présentées comme trop généreuses et comme un « Win-for-life ») ainsi que le contrôle strict du catalogue de la bibliothèque, du menu des repas scolaires, de la langue des vendeur.euse.s aux étals du marché, du maquillage lors des fêtes de Saint-Nicolas… Les coupes budgétaires dans le secteur social iront de pair avec une augmentation de la répression, le déploiement de services de sécurité privés, l’utilisation accrue de Sanctions administratives communales (SAC) et de travaux d’intérêt général obligatoires pour les personnes qui font appel au CPAS. Forza Ninove souhaite un contrôle approfondi de la vie de la population : « Pour les personnes qui résident déjà légalement ici, il n’y a de place dans notre société que dans la mesure où elles s’intègrent, contribuent à notre prospérité, se conforment à nos lois et à nos normes et respectent nos valeurs, notre culture et nos traditions. » Combien de SAC la police des valeurs va-t-elle bientôt donner ? Forza Ninove veut lancer une chasse ouverte aux personnes sans-papiers. Les subventions pour les associations culturelles ou sportives ne seront accordées que pour autant que l’on n’y parle que le néerlandais exclusivement. Quant au reste, les promesses de campagne concernant la lutte contre la corruption et le népotisme sont généralement les premières à être rompues une fois que l’extrême droite est en mesure d’elle-même attribuer les postes et les contrats. C’est ce qui ressort notamment des municipalités françaises où l’extrême droite est arrivée au pouvoir.
À Denderleeuw, le scénario qui s’y présente est similaire à celui d’il y a six ans à Ninove. Le Vlaams Belang y est devenu le plus grand parti avec un peu moins de 40 %. Cela signifie soit une coalition du VB avec la N-VA, soit une coalition de tous les autres partis contre le VB, l’option la plus probable. Comme le cas de Ninove le démontre, cela ne suffira pas à stopper la progression de l’extrême droite.
Sans réponse collective de la part du mouvement des travailleur.euse.s pour s’en prendre au terreau sur lequel l’extrême droite se développe et sans approche réelle des problèmes sociaux, l’extrême droite peut continuer à croître. Une opposition de gauche forte et combative est nécessaire pour combattre le succès électoral de l’extrême droite. Une liste du PTB à Ninove aurait pu offrir une alternative de gauche à celles et ceux qui souhaitaient exprimer un vote de protestation. Mais il faut bien plus que ça, la lutte sociale est également nécessaire pour s’opposer à la politique d’extrême droite de « diviser pour mieux régner » sur base de la haine de l’autre. Les projets antisociaux du futur gouvernement fédéral Arizona vont donner du vent aux voiles de l’extrême droite.
Une semaine avant les élections, le président du Vlaams Belang Tom Van Grieken a déclaré triomphalement que le cordon sanitaire « est sur le point d’exploser ». La déclaration semblait surtout destinée à encourager ses troupes. Avec la « défaite victorieuse » du 9 juin, où le Vlaams Belang n’était finalement pas arrivé en tête en Flandre, le tremplin vers une participation à grande échelle aux autorités locales avait déjà disparu. Van Grieken doit maintenant se contenter de Ninove, une victoire qu’il s’est empressé de revendiquer pour ne pas avoir à parler des autres résultats. Il est possible qu’il y ait une autre percée dans les communes avec des listes locales. Il attend avec impatience que se clarifie la situation à Middelkerke, où Jean-Marie Dedecker (député indépendant élu sur une liste N-VA) a perdu sa majorité absolue et n’a pas apprécié que la N-VA présente sa propre liste contre la sienne. La rancune jouera certainement pour embarquer à bord le seul élu VB à Middelkerke, surtout avec un personnage comme Dedecker.
L’arrivée de l’extrême droite au pouvoir à Ninove est un signal d’alarme pour tou.te.s les antifascistes. C’est aussi un danger évident pour toutes les personnes perçues comme étrangères ou d’origine étrangère. Allons-nous laisser l’aliénation causée par des années de politiques antisociales et la colère qu’elles suscitent être exploitées par des partis qui ne font qu’alimenter la haine de l’autre et la discorde ? Ou allons-nous organiser une résistance sérieuse aux mesures antisociales à tous les niveaux de pouvoir, couplée à un effort antifasciste à Ninove et dans la région de la Dendre ? Cela peut se faire en scrutant systématiquement les politiques locales, en rassemblant toutes les victimes des politiques de droite, les jeunes, les personnes opprimées et toutes les personnes exploitées aux côtés de syndicalistes, en renforçant les initiatives locales et en développant des campagnes qui soulignent les intérêts de la classe travailleuse dans toute sa diversité.
Du côté francophone, l’extrême droite dispose d’un élu sur une liste de “Chez Nous”, à Mouscron. En 2018, l’extrême droite francophone était représentée par quatre formations et une centaine de listes dans des dizaines de communes, avec 13 élus dans 10 communes. En 2024, il y a eu 6 listes péniblement constituées et au final des échecs à Liège, Amay et même Fleurus où Nicotra a échoué à se faire réélire. Cela s’explique notamment par la trumpisation du MR, le parti servant notamment de refuge pour diverses figures d’extrême droite, mais aussi par l’activité conséquente des divers réseaux et groupes antifascistes qui ont largement contribué à bloquer l’essor d’initiatives d’extrême droite. La dynamique de la Coordination Antifasciste de Belgique (CAB) renforce très clairement cela.
Face à la consolidation de l’Arizona, place à la lutte dans la rue
De Wever a triomphé une fois de plus à Anvers. Avec 37%, il a maintenu son challenger Jos D’Haese (PTB) loin derrière à la deuxième place. La N-VA reste aux commandes à Anvers dans une coalition avec Vooruit, qui semble s’y être confortablement habitué. Il est excessivement embarrassant qu’une partie de la direction de de la FGTB d’Anvers se soit lancée à corps perdu dans la campagne de Vooruit et ait même été candidate pour ce parti, tandis que Vooruit a fait le lit de De Wever aux niveaux local, régional et fédéral. Vooruit préfère appliquer des politiques de droite avec la N-VA plutôt que d’envisager une coalition progressiste. Même en ce qui concerne le conseil de district anversois de Borgerhout – où figure le PTB avec Groen et Vooruit, les trois formations ayant obtenu 67% des voix – pour la députée européenne Vooruit Kathleen Van Brempt, il ne saurait être question d’un conseil de district « en opposition avec le conseil communal ». La participation des dirigeant.e.s de la FGTB à la campagne de Vooruit n’est d’aucune aide pour organiser l’opposition au prochain gouvernement Arizona. Quelle explication vont-ils et elles donner aux personnes qui perdront bientôt leurs allocations de chômage ? Aux travailleur.euse.s qui devront faire face à de nouvelles attaques contre leurs pensions et leurs salaires ? Ou aux jeunes qui ne trouvent pas de logement abordable parce que ce sont les désirs des magnats de l’immobilier qui font loi ?
Une fois de plus, De Wever a pu apparaître comme le vainqueur central et s’imaginer tranquillement en empereur romain. Des campagnes locales ont bien eu lieu ces 12 dernières années contre la politique antisociale de l’hôtel de ville, sans toutefois qu’un large mouvement social ne se matérialise. Cela ne joue pas à la faveur de notre camp social, même si le résultat historique du PTB (à la deuxième place avec 20%) donne une fois de plus une indication du potentiel existant pour mener une lutte conséquente.
De Wever a déclaré, avec une islamophobie répugnante, que le PTB recueillait des voix sur base de Gaza et du port du voile. Comme si le vote des personnes issues de l’immigration comptait moins ! Comme l’opposition active au terrible génocide à Gaza et à son escalade en une guerre régionale était quelque chose de négatif ! De Wever parle bien entendu à partir de son propre point de vue, totalement dénué d’empathie pour le massacre des masses palestiniennes ou libanaises et reposant sur un soutien sans équivoque au gouvernement de droite et d’extrême droite en Israël. Ce soutien, soit dit en passant, est en partie motivé par des raisons électorales. Pour notre part, nous estimons que le fait que les manifestations autour de Gaza se traduisent également sur le plan politique est un atout. La lutte sociale et les élections ne sont jamais séparées, l’implication active de couches plus larges dans ces luttes est la meilleure façon de mobiliser un soutien, y compris lors des élections.
Cette victoire à Anvers renforce la position de De Wever dans les négociations pour former le gouvernement fédéral. Il a déjà annoncé que sa « super-note » reviendrait sous un autre nom sur la table dès le 14 octobre. Le résultat à Anvers éclipse les faiblesses électorales de la N-VA. Les hommes forts du gouvernement flamand ne s’en sortent pas bien. A Brasschaat, l’ancien ministre-président flamand Jan Jambon a conservé sa majorité absolue mais a perdu près de la moitié de ses voix de préférence en tant que tête de liste. À Beersel, l’ancien ministre flamand de l’Enseignement Ben Weyts a perdu deux tiers de ses votes préférentiels. Le nouveau ministre-président flamand Matthias Diependaele à Zottegem et l’ancienne ministre de l’Environnement, de la Justice, du Tourisme et de l’Energie Zuhal Demir à Genk perdent également des votes préférentiels. A Bruxelles, la N-VA a perdu ses six conseillers communaux, dont la nouvelle ministre du gouvernement flamand Cieltje Van Achter à Schaerbeek. Le talon d’Achille de la machine de campagne de De Wever est la politique de son parti. À Anvers, il a réussi à détourner l’attention sur ce point, mais en tant que Premier ministre fédéral, ce sera considérablement plus difficile d’opérer le même tour de passe-passe. Surtout avec le catalogue des horreurs qu’il a déjà présenté avec sa super-note.
Les libéraux francophones de Georges-Louis Bouchez ont reproduit la vague bleue du 9 juin, mais pas dans la mesure où l’espérait le MR. Ils n’ont pas pu briser la domination du PS à Mons, Charleroi et Liège. A Bruxelles aussi, le PS tient bon. L’érosion du PS se poursuit, mais le MR et Les Engagés ont été incapable de simplement traduire le résultat du 9 juin au niveau local. Les Engagés sont sortis renforcés des élections, le MR a également progressé mais, fidèle à l’arrogance de Bouchez, il avait placé la barre beaucoup trop haut.
Le PS a quant à lui mené sa campagne pour les communales en soulignant tout particulièrement son opposition à l’Arizona et aux projets de la droite. Tout ça, une fois de plus, pour se dépêcher de conclure des majorités avec le MR une fois le scrutin passé. Ce fut même le cas à Evere, alors que le PS y dispose d’une majorité absolue. ECOLO n’est pas innocent de pareilles alliances : à Tournai, le parti vert s’est allié au MR et aux Engagés pour reléguer le PS dans l’opposition et permettre à Marie-Christine Marghem de devenir bourgmestre. L’ancienne ministre de l’Energie MR est notamment connue pour sa position très pro-nucléaire : “Nous devons prolonger tout ce qu’il est possible de prolonger pour calmer les marchés”.
Les autres partenaires de l’Arizona revendiquent une victoire. Le CD&V s’est maintenu dans les zones rurales et reste le plus important dans 108 communes flamandes (contre 113 en 2018), avec des bastions en Flandre occidentale, dans le Limbourg, dans certaines parties de la Flandre orientale et dans la région de la Campine. Le président du parti Sammy Mahdi a remporté un succès personnel avec une liste de cartel CD&V et Open Vld à Vilvorde. Vooruit a obtenu de bons résultats dans un certain nombre de villes centrales, devenant le plus important à Ostende, Turnhout, Louvain et Herentals. À Saint-Nicolas, il l’a raté de peu. À Gand, Vooruit était le plus important au sein du cartel avec les libéraux du bourgmestre De Clercq. De l’autre côté, Conner Rousseau n’a pas été à la hauteur de ses ambitions de bourgmestre, et le ministre flamand Gennez à Malines, en tant que deuxième sur la liste, a attiré beaucoup moins de votes préférentiels qu’en tant que tête de liste en 2018.
Pendant ce temps, l’Open Vld et Groen continuent de prendre des coups. Le premier ministre sortant De Croo a pu maintenir de justesse sa majorité absolue à Brakel. Les libéraux perdent Ostende, sont en position de faiblesse au sein du cartel à Gand et à Anvers, pour la première fois, ont même complètement disparu du conseil communal. La coprésidente de Groen, Nadia Naji, a affirmé que son parti ne disposait pas de suffisamment de temps après le 9 juin pour rectifier le tir. Ce qu’elle n’a pas mentionné, c’est que Groen est en train de perdre du terrain avec Ecolo à Bruxelles. A Ostende, Groen partage les coups de l’Open Vld avec lequel il a formé une liste communale. A Louvain et Anvers, le déclin est net. Les espoirs à Audenarde avec Elisabeth Meuleman n’ont pas été comblés. Heureusement pour Groen, il y a eu les résultats à Gand, celui de l’entente avec Vooruit à Mortsel et celui avec la N-VA dans le Horebeke de Petra De Sutter. Ecolo est resté relativement intact à Liège sous le nom Vert Ardent et a conservé la tête du scrutin à Ixelles, mais une alliance entre le MR, les Engagés et le PS a eu raison du mayorat des Verts, décroché en 2018. Pour la première fois depuis 2000, Ecolo va également dans l’opposition à Ottignies-Louvain-la-Neuve.
La percée spectaculaire de Team Fouad Ahidar en juin s’est poursuivie à Bruxelles, avec notamment des scores élevés à Anderlecht et Molenbeek. Au niveau local, la percée reste pour l’instant limitée à la région de Bruxelles, mais ailleurs, la méfiance à l’égard de la politique dominante est également très répandue. Les listes Team Fouad Ahidar à Bruxelles ont été considérées par de nombreuses personnes issues de l’immigration comme les leurs, alors que d’autres partis ont placé des candidat.e.s issu.e.s de l’immigration sur leur liste principalement ou uniquement pour obtenir des votes, mais pas pour lutter contre la discrimination quotidienne, une discrimination qui augmente à mesure que le manque de tout grimpe en flèche, pénurie qui frappe le plus durement les groupes les plus pauvres et les plus opprimés de la population. Après le score élevé de Fouad Ahidar en juin, les partis établis ont répondu par une campagne islamophobe répugnante. Cela ne fera qu’accroître l’aliénation à l’égard de la politique traditionnelle. Le fait de se tenir debout avec des listes est un pas en avant. En particulier avec des revendications de logements abordables, d’investissements dans l’enseignement et de soins de santé accessibles. D’un autre côté, l’opposition à un meilleur accès à l’avortement et aux droits des personnes LGBTQIA+ (ce qui était notable dans la campagne d’Anvers) est problématique. Les partis traditionnels n’ont pas de leçons à donner à Fouad Ahidar sur ce point : c’est le CD&V et la N-VA qui ont bloqué l’assouplissement du droit à l’avortement, et les libéraux, les sociaux-démocrates et les verts l’ont également autorisé pendant des années, formation de gouvernement après formation de gouvernement, en dépit de leur majorité parlementaire. C’est d’ailleurs ce que Vooruit continue à faire concernant la coalition Arizona. Les réactions islamophobes des partis établis servent principalement à éviter d’avoir à répondre à la méfiance justifiée d’une partie de la population et à l’aversion justifiée pour la politique blanche raciste de discrimination quotidienne. À partir de la voix contre l’oppression exprimée dans le résultat de Fouad Ahidar, d’autres mesures peuvent être prises pour lutter contre toutes les formes d’oppression. L’ensemble de la classe travailleuse, dans toute sa diversité, a un rôle à jouer à cet égard.
Que signifient ces résultats pour la période à venir ? Les chances de voir le gouvernement de l’Arizona s’imposer ont augmenté. De Wever, Rousseau, Mahdi et Prévot sortent confiants des élections. Cependant, les éléments de la super-note de De Wever dans la formation du gouvernement indiquent clairement l’arrivée de politiques antisociales particulièrement dures. Celles-ci visent à atomiser le mouvement organisé des travailleur.euse.s afin de rendre plus favorable la position du capital dans la société, avec l’impact de nous appauvrir collectivement ainsi que d’isoler et de réprimer plus durement les plus faibles. Il s’agit d’une recette éprouvée pour la croissance de l’extrême droite. Le MR adoptant une position trumpienne, il en va de même du côté francophone. Même si le résultat de Chez Nous reste limité (1 siège à Mouscron), c’est un signal d’alarme. A moins, bien sûr, que le mouvement des travailleur.euse.s ne s’en mêle. Le journal de la FGTB sur la super-note est une excellente initiative pour une campagne d’information. Ce journal s’adresse surtout aux syndicalistes, mais il pourrait constituer un tremplin vers un journal plus accessible en front commun syndical, comme lors de la lutte finalement victorieuse contre le système de pension à points. Si les dirigeants syndicaux sont aveuglés par la présence du Vooruit et du CD&V dans les gouvernements, ils risquent d’alimenter l’aliénation au sein de leurs propres organisations. Il s’agit maintenant de commencer à organiser la lutte.
Le PTB progresse, mais s’attendait à plus
Le duel anversois entre Bart De Wever et Jos D’Haese a dominé la campagne électorale du côté néerlandophone. Avec 20,2%, le PTB devient le deuxième parti d’Anvers, un résultat historique. Dans les arrondissements d’Anvers, le nombre de conseillers de district du PTB a doublé, passant de 19 à 43. A Borgerhout, le PTB est le premier parti avec 28,8% et le deuxième à Hoboken (26,2%) et à Deurne (22,2%). C’est phénoménal ! En même temps, le PTB doit reconnaître que les attentes étaient plus élevées. Le pari était de briser la coalition autour de la N-VA, et l’on rêvait même ici et là que le PTB devienne le plus grand parti d’Anvers. Cela ne s’est pas concrétisé, avec 37 %, la N-VA est presque deux fois plus importante électoralement.
Dans une première réaction, Jos D’Haese a souligné le rôle de l’abolition du vote obligatoire. C’est certainement un facteur. Mais cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir à la façon de convertir le soutien au PTB, en particulier dans les quartiers populaires, en une implication plus active dans les luttes sociales et dans la campagne électorale. Au cours des 12 dernières années, de petites actions ont eu lieu contre la gestion froide et antisociale d’Anvers, certaines d’ailleurs couronnées de succès. Cependant, l’absence d’un mouvement de protestation plus large contre De Wever lui a permis de s’en tirer avec sa rhétorique digne de la guerre froide mêlée de ses fantasmes d’empereur romain pour éviter d’avoir à parler de sa politique de casse sociale. La mobilisation dans d’autres domaines peut également stimuler l’implication dans une campagne électorale pour s’opposer aux politiques menées par ce biais.
En 2018, le PTB avait obtenu nationalement l’élection de 142 conseiller.ère.s communaux.ales. Lors de Manifiesta, Raoul Hedebouw avait déclaré que l’ambition du parti était de doubler ce nombre. Au final, le PTB a obtenu 197 sièges, en plus des 43 conseiller.ère.s de district mentionnés ci-dessus. De premier.ère.s élu.e.s sont arrivé.e.s à Ostende, Alost, Ronse, Boom, Mortsel, Heist-op-den-Berg, Halle, Asse et Dilbeek du côté néerlandophone ; à Mouscron, Tournai, Binche, Ath, Tubeke, Châtelet, Sambreville et Fleurus du côté francophone et à Jette et Etterbeek à Bruxelles. Avec 20 %, le PTB est le nouveau venu le plus frappant à Mouscron, la commune où le parti d’extrême droite Chez Nous a obtenu son seul siège. De l’autre côté, le PTB perd son siège à Lommel et il y a une perte de siège à Zelzate.
Le deuxième objectif était de former des majorités progressistes dans quatre ou cinq communes. Conner Rousseau et Vooruit ont explicitement bloqué cet objectif dans les derniers jours avant les élections. A défaut d’une majorité absolue, Vooruit pourrait opter pour un partenaire plus petit à Zelzate (peut-être le cartel CD&V et N-VA pour graisser la patte au gouvernement fédéral ?) Kathleen Van Brempt s’oppose à une coalition progressiste à Borgerhout. Là, le PTB est le plus grand parti, mais il dépend de Groen, qui peut soit former une majorité avec le PTB, soit en constituer une avec Vooruit et la N-VA. Quel prix la N-VA est-elle prête à payer pour cela à la mairie d’Anvers ?
Il y a plus de possibilités à Bruxelles et du côté francophone, notamment à Mons et La Louvière. A Molenbeek, avec Catherine Moureaux, le PS est de justesse resté le parti le plus important et, comme en 2018, il veut y discuter avec le PTB. À Saint-Gilles, la coalition du PS et d’Ecolo est déjà formée. Il y a encore une petite chance à Forest. À Seraing, le PS dispose d’une majorité absolue, mais il peut encore y avoir une coalition. Herstal sera un cas intéressant : le PS y est à deux doigts de la majorité absolue et doit choisir de gouverner soit avec le MR, soit avec le PTB. Il existe donc des possibilités de participation à des coalitions. Il convient de rappeler qu’il s’agit de communes placées sous la tutelle financière de la région et qui disposent donc d’une marge de manœuvre très réduite.
Le léger recul du PTB à Zelzate soulève la question de savoir si la participation ne devrait pas produire des résultats plus ambitieux. Dans un contexte de méfiance croissante à l’égard de la politique dominante – en fait à l’égard de toutes les institutions capitalistes – il ressort de toute évidence qu’une approche limitée au terrain électoral et institutionnel est trop limitée. Imaginez que l’énorme organisation militante que le PTB a mis en place dans les campagnes électorales au cours de l’année écoulée puisse poser les bases de comités d’action et de campagnes en faveur d’un impôt sur la fortune, d’un plan massif d’investissement public dans le logement social, les soins de santé et l’enseignement, de transports publics plus nombreux et gratuits ou encore pour s’opposer à la coalition Arizona ?
Ce n’est qu’en transformant le mécontentement passif en entrée en action, par le biais d’actions et de campagnes, que nous pourrons orienter la méfiance vers une lutte contre l’ensemble du système capitaliste. C’est par la lutte que nous pourrons construire un rapport de force favorable à un changement de système.
Une résistance active est nécessaire !
Le catalogue des horreurs de l’Arizona s’accompagne de politiques antisociales au niveau régional. Le nouveau gouvernement flamand tente de le cacher en prétendant investir davantage dans la politique sociale et le logement social, mais il n’a pas de réponse aux énormes déficits et défend principalement une politique de division dirigée contre les plus faibles de la société. Le nouveau gouvernement de Fédération Wallonie Bruxelles a déjà clairement signalé que le personnel de l’enseignement était en ligne de mire. A Bruxelles, les discussions sont toujours bloquées mais tout le monde reconnaît que les caisses sont vides. C’est aussi le cas au niveau local. La limitation dans le temps des allocations de chômage va encore plus peser sur les finances communales et les CPAS et ce alors que dans de nombreuses communes, tout ce qui le pouvait a déjà été privatisé et que le monde socioculturel est devenu un désert.
À tous les niveaux, les plus riches se voient dérouler le tapis rouge ; le futur premier ministre De Wever se targue même d’entretenir des liens étroits avec les magnats de l’immobilier et les grands patrons. Un bourgmestre sur huit a des liens avec le secteur immobilier, a-t-on appris dans les médias flamands les jours précédant les élections. Combien de bourgmestres ont des liens avec le monde des personnes défavorisées ?
Plusieurs années s’écouleront sans élections. Le faible taux de participation aux élections locales illustre que l’espoir d’arracher un changement par cette voie est limité. Cela ne doit toutefois pas inévitablement conduire à la résignation ou au pessimisme. La classe travailleuse peut imposer le respect de ses intérêts et de ses revendications. C’est le chemin qui avait été pris en 2014 avec un puissant plan d’action en escalade contre le pire gouvernement de droite depuis les années ‘80. C’est le manque de détermination dans les sommets syndicaux pour continuer le combat dans l’élan de la grève générale nationale de masse du 15 décembre qui a permis au gouvernement Michel de reprendre l’initiative. Il a manqué au sein du mouvement une force capable de défendre largement une proposition alternative à la voie sans issue de la direction syndicale. Cela n’a toutefois pas empêché le mouvement des travailleur.euse.s d’enterrer plus tard le projet de pensions à point en 2018.
Un tel type de lutte est également possible et tout à fait nécessaire pour les questions relatives à l’échelon communal, telles que l’investissement dans des logements abordables plutôt que dans des projets prestigieux de marketing urbain, le développement des services publics (et la manière dont cela contribue à la sécurité de la population), la protection et l’amélioration des conditions de travail et des pensions du personnel communal, etc.
Dans le cadre du plan Oxygène destiné à aider les communes wallonnes en difficulté financière (28 actuellement), la Région wallonne, via le Centre régional d’aide aux communes (Crac), avait prévu de lever par emprunt 350 millions d’euros auprès des banques en 2024. Seule la banque ING a répondu, mais pour un total de 82 millions seulement et en refusant de financer sept villes wallonnes, et non des moindres : Liège, Charleroi, Mons, Ath, Namur, La Louvière et Verviers. Il manque donc 268 millions, ce qui s’ajoute aux nombreux autres défis des communes, dont le financement des CPAS et des pensions des fonctionnaires locaux ou encore des zones de secours. C’est une indication claire du type de combat qui sera nécessaire, avec une lutte résolue pour briser la camisole de force budgétaire des communes, refuser de payer la dette des communes aux banquiers spéculateurs et récupérer dans le giron public toutes les matières qui ont été bradées au privé.
Les illusions d’une partie de la direction syndicale envers Vooruit et le PS sont l’expression d’une faiblesse plus large, celle d’un manque de solutions face aux multiples crises du capitalisme. C’est un obstacle considérable pour entrer en lutte. Même après l’annonce des licenciements collectifs chez Audi, il n’y a guère eu de lutte digne de ce nom. Une perspective de victoire est essentielle pour s’engager dans l’action collective. Mener ce type de discussion sur nos revendications et notre approche avec le plus grand nombre possible de travailleur.euse.s et de militant.e.s est une priorité cruciale.
Il nous faut une mobilisation active d’en bas contre les attaques d’en haut, en faveur d’un changement fondamental de société et d’un système différent. Le PSL a appelé à voter pour le PTB lors de ces élections, en considérant qu’il s’agissait de la meilleure façon de renforcer la position de la classe travailleuse. Nous continuerons à suivre ce type d’approche constructive et continuerons, dans la lutte au côté de camarades d’horizons différents, à débattre de la nécessité d’une société socialiste.
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Attention aux voleurs! L’Arizona veut nous faire les poches !
La propagande de droite dit que travailler devrait rapporter plus et qu’il devrait y avoir une différence d’au moins 500 $ par mois entre les allocations sociales et le travail. C’est déjà le cas.(1) L’objectif de cette propagande est de s’attaquer aux allocations sociales: avec la limitation des allocations de chômage à deux ans, la baisse du revenu d’intégration, la diminution des indemnités de maladie, l’accès plus difficile aux pensions minimales… et parallèlement, une préparation d’une offensive contre les salaires!
Hold-up sur les salaires
La super note ne propose pas de saut d’index, mais un bricolage du mécanisme qui en affaiblirait l’application. Par exemple, au nom des “objectifs climatiques”, elle propose de réduire le poids du prix des énergies fossiles comme le gaz dans le panier de référence de l’index. En 1994, l’index-santé a été mis en place comme mesure d’économie. Au nom de notre santé, le prix de certains produits nocifs pour la santé avait été retiré du calcul (y compris le tabac sur lequel des taxes de plus en plus élevées ont été introduites par la suite). Aujourd’hui, c’est l’argument du climat qui est utilisé dans le même objectif. Bien entendu, le document ne mentionne pas de mesures climatiques sérieuses en contrepartie. En outre, il négocie la possibilité d’éliminer partiellement l’indexation en cas d’inflation supérieure à 4%, en introduisant une augmentation plus aléatoire des salaires. Ce serait donc au moment où l’indexation serait la plus nécessaire qu’elle serait moins efficace.
L’accroissement de la flexibilité des travailleur.euse.s exercera une pression supplémentaire sur les salaires. Il est question d’augmenter les emplois flexibles, de permettre davantage de travail étudiant, de limiter la définition du “travail de nuit”, d’ouvrir les possibilités de travailler le dimanche et les jours fériés, d’abolir le nombre minimum d’heures de travail par jour, de développer les possibilités d’effectuer des heures supplémentaires sans que celles-ci soient rémunérées comme tel…
Pour faire passer tout cela, De Wever veut accroître les divisions sur le lieu de travail. Il est plus facile de briser les doigts un par un que de se retrouver face à un poing. Cette règle de base s’applique aussi à la lutte de classes. La note parle de négociation individuelle du salaire, de suppression progressive de la concertation sociale et d’introduction d’un actionnariat d’entreprise organisé entre quelques travailleur.euse.s. Dans ce dernier cas, un organe serait délibérément mis en place à côté de la représentation élue du personnel, et contre celle-ci.
La réduction du nombre de commissions paritaires, la diminution de la protection des délégués et de la personnalité juridique des syndicats complètent le tableau de cette offensive contre le pouvoir d’organisation de la classe travailleuse.
Pouvoir d’achat et pensions
Une augmentation de la TVA sur les produits de base de 6 à 9% est proposée pour remplacer les taux de 6 et 12%. Le taux de 12% s’applique aujourd’hui notamment aux repas préparés dans le secteur de l’hôtellerie et dans la restauration. Mais tout le monde ne s’y rend pas tous les jours. En revanche, le taux de 6% s’applique à la quasi-totalité des produits de base. Le taux de TVA ajusté devrait rapporter jusqu’à 2 milliards d’euros. Cet argent sort essentiellement des poches des moins nantis.
Il n’y a qu’à se servir sur les allocations sociales! Les chômeur.euse.s se retrouveraient avec un revenu d’intégration du CPAS non indexé au bout de deux ans, les malades sont traqués, l’enveloppe bien-être destinée à augmenter les allocations sociales serait largement supprimée et l’accès à une pension minimale restreint. Les personnes qui prendraient leur retraite avant l’âge légal de 67 ans recevraient une pension réduite (un « malus » qui augmenterait dans les années à venir). Les pensions plus élevées de la fonction publique seraient réduites. Dans tous ces cas, les femmes seraient particulièrement touchées.
Rien que sur les pensions, De Wever veut économiser 2 milliards d’euros! Au profit de qui ?
Au cours des six dernières années, la richesse créée par les travailleurs des plus grandes entreprises opérant en Belgique a augmenté de 45%. Au cours de la même période, les “dépenses” par salarié.e dans ces entreprises n’ont augmenté que de 13%. Une part croissante de la valeur que nous produisons est aspirée dans les bénéfices et distribuée aux actionnaires sous forme de dividendes. (1) Les gouvernements successifs ont multiplié les cadeaux aux grandes entreprises sous forme de réductions d’impôts en tous genres qui ont fait chuter d’un tiers la contribution patronale réelle à la sécurité sociale, passée de 34% en 1996 à 22 %. (2) On ne prête qu’aux riches, comme le dit le dicton.
Au cours des dix dernières années, la part des salaires dans le produit national brut est passée de plus de 51% à 48,5%. Cela signifie que sur l’ensemble de la valeur produite, une part plus faible est consacrée à nos salaires. Cela représente 16 milliards d’euros par an. De tels transferts de la classe travailleuse vers les capitalistes, voilà le projet des négociateurs de l’Arizona. A nous de les empêcher de nuire.
- Pour chaque tranche de 100 € de profits réalisés, les plus grandes entreprises actives en Belgique reversent 73 € à leurs actionnaires, oxfambelgique.be, 1er mai 2024.
- Chiffres du think tank Minerva sur X (Twitter), 11 septembre 2024
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L’Allemagne vire à droite
En février 2022, le chancelier fédéral allemand Olaf Scholz avait utilisé le terme « Zeitenwende » ou « changement d’époque » lors d’un discours au Bundestag peu après l’invasion russe de l’Ukraine. Cela reste très pertinent pour décrire la période actuelle de l’histoire allemande.
Article de Christian (Louvain)
Alors que l’économie allemande est au bord de la récession et qu’une vague d’austérité se profile, le gouvernement de coalition allemand (le SPD social-démocrate, les verts et les libéraux du FDP) ne cesse de perdre du soutien. Les trois récentes élections régionales à l’Est du pays ont représenté un succès inédit pour le parti d’extrême droite AfD. À la suite de la scission du parti Die Linke du BSW (Bündnis Sahra Wagenknecht, Alliance Sahra Wagenknecht), la gauche est dans un processus de recomposition, voire de décomposition. A gauche, comme sur le reste de l’échiquier politique, on observe un repositionnement marqué vers la droite.
Sur le sujet de l’immigration, la récente extension des contrôles aux frontières par le gouvernement de centre-gauche – une mesure longtemps prônée par l’extrême droite – illustre l’importance de ce virage à droite. Cette question, ainsi que le positionnement « pacifiste » du BSW et même de l’AfD, feront l’objet d’un autre article, à paraitre à une date ultérieure.
Le modèle économique allemand en difficulté
La crise totale dans laquelle nous plonge le système capitaliste avance à des vitesses variables selon les pays. Le statut de l’Allemagne comme moteur économique de l’Europe, comme symbole de stabilité, semble aujourd’hui révolu. Certains vont jusqu’à lui recoller l’étiquette « d’homme malade d’Europe » par lequel le pays était désigné à la fin des années 1990 et au début des années 2000, période de croissance stagnante et de chômage élevé.
L’économie allemande a connu une récession en 2023 (-0,3 %), alors que, point d’ironie, la croissance en Europe du Sud a permis à l’UE d’échapper globalement à la récession. Pour 2024, l’économie allemande vacille au bord de la récession avec une croissance tout au plus de 0,3%.[i] Le secteur automobile, secteur phare de l’économie allemande, est un parfait exemple de la crise de compétitivité. Volkswagen pourrait supprimer 15.000 emplois en Allemagne, où l’entreprise envisage des fermetures d’usines pour la première fois depuis 1938.[ii]
Le chômage est en légère hausse, à 6,0% actuellement contre 5,7% en 2023. Cela reste relativement faible par rapport aux normes historiques (le record du 21e siècle était de 11,2% en 2005), mais cela semble être dû à des facteurs démographiques, notamment le départ à la retraite des baby-boomers, ce qui entraîne son propre lot de problèmes.
La dernière fois que la bourgeoisie allemande a réussi à se débarrasser de cette étiquette « d’homme malade de l’Europe », c’était grâce aux (contre) réformes « Agenda 2010 » introduites par la coalition SPD (social-démocrate) et Verte du chancelier Gérard Schröder en 2003. S’en prenant aux allocations sociales et à l’assurance chômage, les réformes “Harz IV” représentèrent une attaque massive contre l’État providence. La création d’un vaste secteur à bas salaires, l’introduction massive de travail intérimaire et une retenue salariale marquée ont permis au capital allemand de redevenir compétitif à l’échelle européenne voire mondiale, une vraie « superstar » de l’exportation. Pendant la crise de l’euro, le capital allemand a su imposer sa volonté aux économies plus faibles du sud de l’Europe et ainsi même profiter de la crise.
Les points forts du modèle économique du pays sont aujourd’hui devenus des faiblesses. Après le trou financier produit par la crise du covid, la guerre russo-ukrainienne a porté un coup encore plus sévère à l’édifice allemand. L’Allemagne a désormais perdu sa source d’énergie bon marché, le gaz russe. Le découplage de l’économie mondiale a porté préjudice aux exportations allemandes, en particulier celles vers le marché chinois. L’accès à la Chine, un pays désormais lui-même en crise, fut un élément crucial de la recette du succès allemand au cours de la dernière période. Un vaste secteur à bas salaires présente aussi le désavantage d’une plus faible demande intérieure. Le sous-investissement dans les infrastructures publiques (tel la numérisation) nuit désormais à l’économie. L’Allemagne, à l’instar de l’UE dans son ensemble, est en position de faiblesse dans les technologies de pointe, loin derrière les États-Unis et la Chine.
Crise budgétaire et austérité
L’Allemagne est également confrontée à une crise budgétaire en grande partie auto-imposée. La coalition fédérale allemande dite ‘feu tricolore’ (‘Ampel-Koalition’) composée du Parti social-démocrates (SPD), du Parti libéral-démocrate (FDP) et de l’Alliance 90 / Les Verts a tenté de réaffecter un fonds d’urgence covid de 60 milliards d’euros au nouveau « fonds pour le climat et la transformation ». Au Bundestag les chrétiens-démocrates du CDU/CSU s’y sont opposés. Ils ont également eu recours à la cour constitutionnelle pour empêcher la mesure en question. Le verdict donna raison aux chrétiens-démocrates, au motif que la mesure enfreignait le « Schuldenbremse » (frein à l’endettement) lequel limite depuis 2016 le déficit budgétaire à 0,35 % du PIB.[iii]
La coalition s’est divisée sur la question de savoir si elle doit remettre en cause le principe du frein à l’endettement. Christian Lindner, le ministre des Finances issue du FDP, parti néolibéral particulièrement zélé, est, contrairement à ses partenaires de coalition sociaux-démocrates et verts, un particulièrement attaché à ce principe constitutionnel. Le gouvernement n’étant pas disposé à abandonner les allégements fiscaux garantis aux riches et aux grandes entreprises pour combler les trous budgétaires qui se sont ouverts dans le budget 2025, des coupes dans les dépenses sociales se profilent. A partir de 2027, les coûts de réarmement, actuellement encore couverts par un fonds spécial, vont encore d’avantage mettre le budget de l’État sous pression. La crise du covid, le réarmement, la transition énergétique, etc. devront tous être mis sur leur dos de la classe travailleuse afin que le pays, voir le capital allemand, retrouve sa compétitivité.
Virage à droite
La classe dirigeante a besoin du racisme et de la persécution des personnes marginalisées et vulnérables pour diviser la classe travailleuse. C’est la seule façon de lui faire payer la facture. Les médias et l’ensemble du spectre politique, par leur acceptation même du capitalisme comme une fatalité, sont poussés sur la voie de la droitisation. La quasi-invisibilité de la gauche, voire l’absence complète d’une perspective d’une alternative socialiste au système, assure que cette surenchère ne rencontrer que très peu d’opposition. De plus, quand des perspectives économiques pessimistes s’ajoutent au désert social crée par les politiques des dernières décennies, cela alimente encore davantage les craintes de déclin social qui motivent le vote pour l’extrême droite.
Ceci explique le succès électoral sans précédent de l’AfD et ainsi que la droitisation de l’ensemble du champ politique. Les partis établis se bousculent pour mettre en œuvre de nombreux éléments du programme de l’extrême droite. L’Allemagne suit ainsi bon nombre d’autres pays de l’UE, ou cette évolution est déjà en court pour assez longtemps. Cependant, la récente droitisation accélérée de l’Allemagne, la première puissance de l’UE, risque de donner de l’élan à cette tendance ailleurs sur le continent.
L’Est du pays
Pour des raisons historiques, le bousculement politique allemand se présente de la façon la plus aiguë dans l’Est du pays. Le malaise allemand des années 1990 et du début des années 2000 fut en partie lié aux coûts de l’intégration de l’ex-Allemagne de l’Est par le capitalisme ouest-allemand. Les bouleversements massifs causés par la restauration capitaliste, en particulier la destruction de la majeure partie de l’industrie est-allemande et le chômage de masse qui en a résulté, ont laissé un traumatisme durable dans la région. 35 ans après la réunification, l’Est du pays connait toujours un taux de pauvreté nettement plus élevé. Le revenu moyen y est notamment 14 % inférieur à celui dans l’Ouest du pays.[iv]
À l’exception de quelques grands centres de population, cette partie du pays connaît aussi un déclin démographique continu marqués par l’émigration. Dans un contexte néolibéral, ceci s’accompagne de la perte concomitante de services publics. Les partis d’extrême droite, ainsi que des groupuscules (néo)fascistes violents, y connaissent depuis longtemps un terrain fertile. La colère est redirigée vers l’immigration, bien que celle-ci soit relativement peu importante dans ses contrées. La présence significative du parti Die Linke dans le paysage politique de l’Est du pays (ici largement basée sur l’ancien PDS, parti successeur de la dictature bureaucratique est-allemande), a dans une certaine mesure mit un frein à la monté de l’extrême droite. Toutefois en s’accommodant du statu quo, Die Linke n’a finalement pas réussi à apporter une réponse à la crise systémique dont souffre la population et le parti disparaît peu à peu.
Trois excellents résultats pour l’AfD
En septembre, trois élections régionales ont eu lieu dans l’est de l’Allemagne : en Thuringe et en Saxe le 1er septembre et dans le Brandebourg le 22 septembre. Le parti d’extrême droite AfD a remporté les élections en Thuringe avec près de 33% des voix, soit une hausse de plus de 9% par rapport aux résultats de 2019. En Saxe et dans le Brandebourg, l’AfD a atteint un score d’environ 30 %, manquant de peu la première place.
Le succès de l’AfD n’était toutefois pas inattendu. Depuis un certain temps déjà, le parti était donné deuxième dans les sondages au niveau fédéral, un fait confirmé par les élections européennes de juillet 2024.
Toutefois, pour la première fois depuis la deuxième guerre mondiale, un parti d’extrême droite est arrivé premier dans une région allemande. Coïncidence troublante de l’histoire, c’est en Thuringe que le parti nazi, après les élections régionales de janvier 1930, a participé pour la première fois à une coalition gouvernementale. Cependant, l’AfD n’est pas le NSDAP, et nous ne sommes pas dans les années 1930.
La situation est grave, mais nous vivons dans une période assez différente. Le poids plus important de la classe travailleuse aujourd’hui par rapport aux années 1930 et l’absence d’une gauche forte, et surtout d’une gauche révolutionnaire, signifient que l’extrême droite prend pour l’instant la forme de partis populistes, tout à fait à l’aise avec le cadre de démocratie représentative existante.
La trajectoire actuelle reste pour autant inquiétante. De plus en plus de gens votent pour l’AfD par conviction, par exemple par adhésion à son programme raciste anti-migrants, plutôt que par déception envers les autres partis. En Thuringe, sur dix ans la part du « vote protestataire » est ainsi passée de 57 % à 40 % parmi les électeurs de l’AfD.[v] Pour la première fois, les gens votent majoritairement pour l’AfD parce qu’ils lui font confiance pour résoudre leurs problèmes.[vi]
Contrairement au Rassemblement national en France, l’AfD n’est pas non plus sur une trajectoire de dédiabolisation. Le parti fut fondé en 2013 en réaction à la crise de l’euro comme parti eurosceptique ultra-néolibéral. Elle prônait, entre autres, soit la réintroduction des monnaies nationales ou la formation de zones monétaires séparées plus stables (voir le nord et le sud l’UE). Le parti a ensuite connu plusieurs épisodes de luttes intestines au cours desquelles les éléments d’extrême droite raciste les plus extrêmes sont à chaque fois sortis vainqueurs. L’AfD se caractérise aujourd’hui par son programme profondément islamophobe et anti-immigration.
L’AfD de Thuringe est particulièrement à droite, même selon les normes du parti, avec un style de communication que certains dirigeants nationaux préféreraient éviter. Le chef du parti régional, Björn Höcke, s’est notamment opposé à la commémoration des crimes de l’Allemagne nazie en critiquant le mémorial de l’Holocauste à Berlin et en affirmant que les Allemands sont le « seul peuple au monde à avoir planté un mémorial de la honte au cœur de leur capitale ». Il a encore été condamné en juillet 2024 pour utilisation d’un slogan nazi.
Si l’AfD n’est pas un parti de combattants de rue fascistes, il s’est sans aucun doute renforcé grâce à des mouvements de protestation tels que Pegida (extrême droite islamophobe) ou Querdenker (conspirationniste covid). L’AfD entretient des liens avec des groupes d’extrême droite violents et son succès s’accompagne d’une augmentation de la violence raciste et d’extrême droite. Au cours du premier semestre 2024, le nombre de crimes attribués à l’extrémisme de droite a atteint un nouveau record en Allemagne.[vii]
Faire barrage mais pour combien de temps encore…
Dans chacune des trois élections régionales récentes, un parti de l’establishment réussi à concentrer le vote anti-AfD. En Thuringe et en Saxe, ce fut la CDU chrétienne-démocrate, actuellement en opposition au niveau fédéral. En Thuringe le CDU est arrivé deuxième, en Saxe premier. Dans le Brandebourg, ce fut le vote SPD social-démocrate qui a su faire barrage à l’AfD. Le “vote barrage” est surtout une affaire des plus de 60 ans ou d’électeurs encore plus âgés. Au Brandebourg, parmi les plus de 70 ans, la moitié aurait voté pour le SPD et seuls 17% pour l’AfD. Parmi les Brandebourgeois âgés de 25 à 44 ans, le vote pour l’extrême droite est par contre en moyenne deux fois plus élevé, soit 34%.[viii] Chez les générations moins âgées, l’argument moral contre le fascisme utilisé par les partis établis a clairement moins de poids. La cohorte d’âge qui constitue l’épine dorsale du barrage anti-extrême droite ne présage rien de bon pour la performance future du dit barrage.
Malgré la victoire serrée du SPD dans le Brandebourg, Etat détenu par les sociaux-démocrates depuis la réunification allemande, les élections régionales représentent un revers majeur pour la coalition fédérale allemande. Sur l’ensemble des trois élections, les verts et les libéraux ont quasiment été anéantis électoralement. En Thuringe et en Saxe, les partis formant de la coalition fédérale n’ont obtenu respectivement que 10,5 % et 13,3 %, tous les trois réunis. En effet la popularité du gouvernement Chancelier d’Olaf Scholz connaît une chute continue. Selon un sondage national réaliser le 19 septembre seul 16% de l’électorat se disait satisfait du gouvernement, avec 47% se montrant « pas du tout satisfait ».[ix]
Bouleversement à gauche
Outre l’avancée de l’extrême droite, les dernières élections régionales ont également vu un bouleversement à gauche de l’échiquier politique. Die Linke est en effet la grande perdante de ces élections. Die Linke, qui avait déjà largement perdu son image de parti anti-establishment, notamment en participant à des coalitions gouvernementales d’austérité dans de nombreuses régions du pays, surtout à l’Est du pays, mais aussi à Brême. Le lancement en janvier du Bündnis Sahra Wagenknecht (BSW), alliance prônant le nom de sa dirigeante, ancienne figure de proue de Die Linke, n’a fait qu’accélérer un effondrement déjà en cours. Le BSW, scission droitière de Die Linke, est arrivé troisième dans chacune des trois élections régionales ; Thuringe (15.8%) Saxe (11,8%) et Brandebourg (13,5%).
Dans le Brandebourg, Die Linke a perdu l’entièreté de ses sièges. En Thuringe, la chute a aussi été particulièrement dramatique. Aux élections de 2019, Die Linke avait encore connu un succès électoral historique, devenant le plus grand parti avec 31% des voix (29 sièges). Aujourd’hui, son résultat est de 13% (12 sièges). Le fait que l’office du Ministre-président de l’Etat de Thuringe soit occupé depuis 2020 par Bodo Ramelow, homme politique de Die Linke, n’a pas convaincu les électeurs. Alors que Ramelow est personnellement populaire, Die Linke n’a fait que de perdre en popularité. Parti électoraliste largement absent des luttes sociales, Die Linke gouverne comme n’importe quel autre parti, adhérant notamment aux carcans budgétaires.
En Saxe, Die Linke a également perdu plus de la moitié de ses électeurs, passant de 14 à 6 sièges. Si Die Linke n’a pu éviter un échec électoral complet, c’est grâce à une légère hausse du soutien parmi les jeunes électeurs de moins de 35 ans dans les villes universitaires et les grandes villes tel que Leipzig.
Le BSW prétendent être pour « la raison et la justice », se dit économiquement de gauche mais conservateur sur les questions d’oppression (anti-woke) et s’oppose aux dépenses environnementales. La dirigeante du BSW en Saxe, Sabine Zimmermann, a situé le BSW « à droite du SPD et à gauche de la CDU » avec de grands « chevauchements politiques » avec la CDU dans les domaines de la « politique de l’éducation et de la migration ».[x]
Bien que le BSW ait principalement pris des voix à Die Linke, il a sans doute empêché l’AfD d’avoir encore de meilleurs résultats. Selon une enquête auprès des électeurs BSW en Thuringe et en Saxe, respectivement 26 et 33 % de ceux-ci auraient voté pour l’AfD si l’option BSW était inexistante.[xi] Contrairement à Die Linke, BSW semble en effet attirer autant le support d’électeurs ruraux qu’urbains. Ses meilleurs résultats se situe dans les petites villes.[xii] Pour l’AfD, plus la circonscription est rurale, meilleur est non seulement son résultat électoral, mais aussi sa progression électorale depuis les dernières élections.[xiii]
Cependant, le discours social-conservateur du BSW contribue à normalisation des positions de droite et contribue ainsi à la droitisation du spectre politique allemand. Die Linke, toujours nettement plus à gauche, est désormais plus inaudible que jamais dans les débats publics. Alors que le BSW a exclu toute coalition avec l’AfD, Sahra Wagenknecht a déjà déclaré qu’elle pouvait imaginer une coopération substantielle avec le parti d’extrême droite.[xiv]
Une difficile formation de coalitions régionales
Dans l’Est du pays, les partis de la coalition fédérale et le CDU (tous des partis dit « de l’Ouest ») ont collectivement obtenu de mauvais résultats. Pour l’instant, on souhaite maintenir un cordon sanitaire pour empêcher l’AfD de prendre part au gouvernement. Les négociations de coalition s’avèrent donc difficiles.
Dans le Brandebourg, les sièges sont répartis à parts égales entre le SPD et la CDU d’un côté et l’AfD et le BSW de l’autre. Le SPD et la CDU ne sont donc pas en mesure de constituer une majorité. Une coalition du SPD avec le BSW, qui a deux sièges de plus que la CDU est donc une possibilité.[xv]
En Thuringe, la coalition la plus probable serait celle entre la CDU, le BSW et le SPD. Mais comme ces trois partis ne détiennent ensemble que la moitié des sièges, cette coalition devrait compter sur la tolérance de ce qui reste de Die Linke. L’AfD se retrouverait alors dans la position d’être l’unique parti d’opposition, ce qui risquerait de la renforcerait encore davantage.[xvi]
En Saxe, la CDU, arrivée en tête aux élections, donne du fil à retordre à ses éventuels partenaires de coalition, le SPD et le BSW. Jusqu’à présent, les chrétiens-démocrates, qui sont susceptibles de former le prochain gouvernement fédéral, ont engagé une collaboration limitée avec l’AfD au niveau local. Les chrétiens-démocrates tentent de se distinguer des partis de la coalition fédérale en surpassant ceux-ci dans l’adoption du programme de l’extrême-droite, notamment sur le sujet de l’immigration. A plus long terme, il n’est pas exclu que ceux-ci ne préfèrent pas une coalition avec l’AfD au maintien d’une orientation envers les parties « centristes ». L’exemple de Meloni en Italie, qui entretient de bonnes relations avec la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, membre de la CDU, montre les compromis que l’AfD devrait faire pour que cela devienne une option. Cela impliquerait une position plus conciliante envers l’UE et l’OTAN.
La capacité de la BSW à participer dans des coalitions dépendra sans doute de son insistance sur ses positions sur la guerre en Ukraine et sur le stationnement de missiles américains en Allemagne. Le parti saura-t-elle mettre ces positions de côté sous prétexte que ces questions sont moins conséquentes au niveau des régions ? Le BSW parle également constamment de la promotion des intérêts des petites et moyennes entreprises. Dans quelle mesure une telle position est-elle compatible avec ses revendications d’une augmentation du salaire minimum et des retraites ? Il est tout à fait possible que si le BSW entre dans des coalitions régionales, il décevra ses électeurs encore plus rapidement que Die Linke ne l’a fait par le passé.[xvii]
Vers des élections fédérales
Les prochaines élections fédérales en Allemagne sont prévues dans un an, le 28 septembre 2025. D’après un récent sondage (28/09/2024), si ses élections avaient lieux actuellement, le CDU/CSU arriverait en tête avec (32%) suivit par l’AfD (19%) et le SPD (15%). Le BSW arriverait juste derrière l’Alliance 90 / Les Verts avec 10% contre 11%. Le FDP et Die Linke ne pourrait recevoir aucun mandat.[xviii]
L’AfD passerait ainsi de la 5e place en 2021 (où elle avait recueilli 10,4% des voix) au deuxième parti du pays. La monté de l’Afd, n’est d’ailleurs pas d’un phénomène limité à l’est du pays. Les sondages régionaux laissent penser que le parti obtiendrait en moyenne 14% des voix dans les régions de l’Ouest contre 25% dans celles de l’Est.[xix] Cependant, dans certaines régions de l’Allemagne de l’Ouest elle pourrait obtenir un vote bien plus important. En Basse-Saxe, par exemple, l’AfD pourrait obtenir jusqu’à 21 % des voix.
Si la gauche s’associe à des politiques antisociales ou adopte même des éléments de la rhétorique de division de l’extrême droite, cela ne fait que renforcer l’extrême droite. Le mouvement ouvrier ne doit pas se résigner à la crise économique, sociale, écologique et politique, mais formuler ses propres alternatives et les défendre de manière offensive par une lutte conséquente.
[i] https://www.cnbc.com/2024/09/23/europe-adrift-without-a-rudder-as-france-and-germany-fight-crises.html
[ii] https://www.euronews.com/business/2024/09/12/why-are-these-6-top-european-car-maker-stocks-trading-at-record-lows
[iii] https://www.theleftberlin.com/anti-muslim-racism-as-diversion-from-social-crises/
[iv] https://internationalsocialist.net/en/2024/09/german-state-elections
[v] https://internationalsocialist.net/en/2024/09/german-state-elections
[vi] https://www.tagesschau.de/inland/innenpolitik/analyse-ltw-afd-100.html
[vii] https://www.tagesschau.de/inland/rechtsextreme-straftaten-anstieg-100.html
[viii] https://www.rbb24.de/politik/wahl/Landtagswahl/2024/brandenburg-wahl-waehler-spd-afd-alte-junge.html
[ix] https://de.statista.com/statistik/daten/studie/2953/umfrage/zufriedenheit-mit-der-arbeit-der-bundesregierung/
[x] https://jacobin.com/2024/09/sahra-wagenknecht-germany-foreign-policy
[xi] https://jacobin.com/2024/09/sahra-wagenknecht-germany-foreign-policy
[xii] https://www.mdr.de/nachrichten/thueringen/landtagswahl-stadt-land-ergebnis-afd-bsw-gruene-100.html
[xiii] Cet entretien tire des conclusions intéressantes sur le contexte sociologique de l’hégémonie croissante de l’extrême droite dans les zones rurales délaissées. Dans ce cas, il s’agit du RN en France, mais je pense qu’il y a des leçons plus larges à en tirer. Il explique comment les couches de classe moyenne, des petits indépendants, qui sont souvent les premières à adhérer à l’extrême droite, peuvent ensuite influencer des couches plus larges dans ce type d’environnement. https://www.youtube.com/watch?v=KuKnsKHRQN0
[xiv] https://www.mdr.de/nachrichten/deutschland/politik/afd-bsw-koalition-zusammenarbeit-thueringen-sachsen-100.html
[xv] https://web.de/magazine/politik/wahlen/landtagswahlen/brandenburg/bleibt-buendnis-bsw-cdu-woidke-verhandeln-40157722
[xvi] https://www.tagesschau.de/inland/innenpolitik/landtagswahlen-koalitionen-100.html
[xvii] https://jacobin.com/2024/09/sahra-wagenknecht-germany-foreign-policy
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Ils ont volé notre histoire! La queerphobie nazie et la destruction de l’Institut de Sexologie de Magnus Hirschfeld en 1933
Non, le mouvement et l’activisme LGBTQIA+ ne sont pas nés le 28 juin 1969 à Greenwich Village lors du soulèvement de Stonewall. Le mouvement LGBTQIA+ moderne est en réalité né en Allemagne dans la seconde moitié du 19e siècle. Lors de notre week-end antifasciste début juillet, notre camarade Sam est revenu.e sur ces racines que le fascisme avait tenté d’arracher et dont l’héritage fut crucial pour le mouvement de libération LGBTQIA+ des années ‘60 et ‘70.
Karl Heinrich Ulrichs, un pionnier
Du début des années 1860, Karl Ulrichs fut le premier à reconnaître publiquement les personnes LGBTQIA+ en tant que minorité opprimée devant se battre pour son émancipation. Pionnier de la sexologie autant que précurseur du militantisme LGBTQIA+, il a souligné la nécessité d’adopter des termes clairs plutôt que des descriptions vagues et a également écrit sur ce qu’il décrivait comme le « troisième genre », que nous appelons aujourd’hui non-binaire ou genre queer. Il fut encore le premier à reconnaître véritablement l’existence de l’homosexualité féminine, chose très controversé à l’époque.
Karl Ulrichs voyageait à travers l’Europe pour organiser des réunions clandestines afin de parler de la LGBTQIA+phobie et de la manière de lutter contre l’oppression, dans le but de mobiliser les individu·e·x·s pour qu’elles/iels/ils agissent eux-mêmes, car son objectif principal restait l’activisme. Il a d’ailleurs organisé une ou plusieurs réunions de ce type en Belgique (probablement à Bruxelles). Il n’est cependant pas parvenu à construire un véritable mouvement.
Hirschfeld et l’Institut de sexologie
Après l’unification de l’Allemagne sous la forme d’un État-nation en 1871, les paragraphes 175 et 175b ont été inscrits dans le Code pénal allemand (Strafgesetzbuch). Ils ont criminalisé l’homosexualité de 1871 à 1994, mais interdisaient aussi très clairement aux individu·e·x·s d’être transgenres ou non conformes au genre. Bien que l’homosexualité entre femmes cisgenres n’était pas strictement interdite, l’« article 175 » a également été utilisé pour persécuter et emprisonner des lesbiennes. À partir de 1880, il y a même eu à Berlin une unité de police dédiée uniquement à l’arrestation des personnes LGBTQIA+.
C’est dans ce contexte que s’est déployée l’activité de Magnus Hirschfeld, lui-même homosexuel, à partir de son expérience de médecin et de psychologue, au début des années 1890. En 1897, il a fondé le Comité humanitaire scientifique (Wissenschaftlich-humanitäres Komitee) pour la réforme juridique de l’article 175, dont la devise était « par la science vers la justice » et qui reposait sur la combinaison de l’action politique, de la recherche scientifique et de l’éducation publique.
Bien que ses premiers écrits n’aient porté que sur les personnes gays et lesbiennes, il a rapidement commencé à accorder plus d’attention aux personnes transgenres et à celles qui ne se conforment pas au genre. Dans son livre phare « Die Transvestiten », il a nuancé l’idée d’Ulrichs sur l’existence d’un soi-disant « troisième genre discret ». Il était plutôt convaincu que le genre constituait un spectre et qu’il existait de multiples (ou nombreuses) identités de genre. Il a également établi une distinction entre le sexe biologique et le genre, de même qu’entre orientation sexuelle et identité de genre.
En 1919, il a fondé avec d’autres psychologues, médecin·e·x·s et activistes l’Institut für Sexualwissenschaft (Institut pour la science sexuelle) à Berlin, qui fournissait des conseils médicaux et psychologiques sur une série de questions sexuelles, principalement pour les personnes LGBTQIA+, mais pas seulement. Un autre objectif important de l’institut était la recherche scientifique claire et détaillée. L’Institut comprenait par ailleurs des archives, une bibliothèque et un musée visité par plus de 3.500 personnes chaque année. Des conférences y étaient organisées, comme le congrès international sur l’homosexualité. La même année, l’Institut a sorti le premier film de l’histoire sur l’homosexualité : « Anders als die Anderen ».
Très vite, les activités de l’institut ont été visées par des groupes d’extrême droite et conservateurs, comme les Freikorps et plus tard les SA. L’Institut était également un refuge pour personnes transgenres et non binaires.
Hirschfeld n’a certainement pas été le seul à effectuer de telles recherches, mais il fut une source d’inspiration directe pour presque tout le monde. Un ou plusieurs activistes agissant de manière indépendante ne constituent pas pour autant des mouvements sociaux. Voilà quelle était la grande différence avec Hirschfeld et son institut.
Il s’agissait du tout premier véritable mouvement LGBTQIA+ alliant recherche scientifique, activisme dans les rues et un travail d’éducation par le biais de magazines, de journaux et de tout un mouvement littéraire, avec le soutien des mouvements socialistes, anarchistes et féministes, y compris par-delà les frontières, notamment en tissant des liens avec les bolcheviks et l’Union soviétique, du moins jusqu’à ce que le totalitarisme bureaucratique stalinien n’en décide autrement.
Magnus Hirschfeld était particulièrement en relation avec les militantes féministes socialistes Clara Zetkin (à qui l’on doit la Journée internationale de lutte des droits des femmes) et Alexandra Kollontaï, ainsi que d’August Bebel, dirigeant du parti social-démocrate allemand, par ailleurs auteur du livre « La femme et le socialisme » (1891). Sans jamais avoir adhéré officiellement à un parti, la pensée de Hirschfeld était fortement influencée par les idéaux socialistes. Il défendait la plus forte solidarité possible entre le mouvement LGBTQIA+ et le combat féministe.
La persécution nazie
Les nazis ont qualifié Hirschfeld « l’Allemand le plus dangereux ». À l’époque, l’homosexualité était également appelée de manière moqueuse « l’amour allemand » ou « la maladie allemande », conséquence directe des travaux de Magnus Hirschfeld et de son institut.
Peu après leur arrivée au pouvoir en 1933, les nazis ont commencé à interdire les livres qu’ils considéraient comme « non allemands », y compris l’ensemble de l’œuvre de Magnus Hirschfeld. Ses livres ont été parmi les premiers à être interdits.
Le 6 mai 1933, les nazis ont détruit l’ensemble de l’institut, au cours d’un spectacle macabre, avec une fanfare et une foule d’environ 200 personnes invitées à regarder la démolition avec boissons et snacks à leur disposition. La persécution des personnes LGBTQIA+ par les nazis plongea alors dans l’horreur, de nombreuses personnes étant arrêtées, torturées et/ou déporté·e·x·s dans des camps de concentration.
La destruction de l’institut et l’inculpation du personnel n’étaient pas des surprises, mais cela s’est produit beaucoup plus rapidement que ce à quoi tout le monde s’attendait. Toute la bibliothèque et les archives de l’institut ont été perdues, le travail de toute une vie de Hirschfeld et de beaucoup d’autres. Hirschfeld est mort en exil en France quelques mois plus tard. En mai 1933, il était en tournée mondiale hors d’Allemagne pour avertir des dangers du fascisme.
Jusqu’en 1934, les poursuites à l’encontre des personnes LGBTQIA+ étaient du ressort de la police. À partir de cette date, la Gestapo a créé une nouvelle unité, le « Bureau spécial II S », qui se consacrait uniquement à la poursuite des personnes LGBTQIA+ et des personnes ayant eu recours à l’avortement. La loi a été modifiée de manière que les preuves ne soient plus nécessaires.
Plus de 160.000 homosexuels et transsexuels ont connu les camps de concentration et les prisons nazis. Les personnes survivantes ont ensuite continué à être persécutées par le gouvernement allemand. Il n’existe malheureusement pas de chiffres fiables concernant le nombre de lesbiennes envoyées dans les camps de concentration.
Le sort des personnes LGBTQIA+ sous le nazisme a toujours été tenu à l’écart de l’histoire. Il a fallu attendre environ 70 ans pour qu’elles/iels/ils soient officiellement reconnues comme victimes. Nous pouvons entretenir leur mémoire en poursuivant leur combat, par la liaison de la lutte pour l’émancipation LGBTQIA+ et de la lutte antifasciste. Ce n’est qu’en s’organisant et en luttant que l’on peut réaliser de réels progrès.