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  • Rwanda 1994. Comment le capitalisme a engendré la barbarie dans la région des Grands Lacs

    Il y a 30 ans, un événement d’une horreur inouïe et historique a eu lieu en Afrique de l’Est : le génocide des Tutsis et le massacre des Hutus modérés. Cet événement qui fut médiatisé sidéra le monde entier. La barbarie à l’échelle industrielle entraina la mort de 800.000 à 1.000.000 de personnes en 3 petits mois.

    Par Alain Mandiki (écrit en 2019)

    https://boutique.socialisme.be/produit/1994-genocide-au-rwanda-une-analyse-marxiste

    (1) Le Rwanda avant la colonisation

    On dit souvent que l’histoire est écrite par les vainqueurs. C’est une autre manière d’exprimer le fait que les sociétés humaines sont traversées par des rapports de forces entre classes antagonistes qui s’affrontent. Ceci constitue le moteur de l’histoire. Pour ceux qui veulent voir la société se transformer dans l’intérêt de la majorité sociale, ce que nous appelons une société socialiste démocratique, il est important d’étudier l’histoire en relation avec cette lutte de classe. C’est ainsi que nous pouvons tirer les leçons pour les combats politiques actuels.

    Le Rwanda est situé en Afrique de l’Est dans ce que l’on a dénommé la région des Grands Lacs. C’est une région qui a une histoire riche, variée et complexe, à l’origine des sources du Nil. Un des éléments qui rend complexe l’analyse historique, c’est que la dynamique des relations sociales dans la région a souvent été fixée pour pouvoir défendre idéologiquement un régime politique particulier. Certains historiens de la région, comme l’Abbé Kagame Alexis, ont établi des éléments qui étaient vrais à une période historique dans une région géographique précise pour justifier et perpétuer la domination de leur couche sociale. Il en est de même pour les colons qui ont, eux, surtout assis leur autorité sur un récit national et une vision des relations sociales qui correspondaient à la nécessité de diviser pour régner, sur base notamment des théories racistes de Gobineau (1). Lors de la période coloniale, cela prendra la forme de l’indirect rule (2). Pour cela, il fallait jouer sur les contradictions qui étaient présentes dans le Rwanda précolonial, amplifier les antagonismes, en créer de nouveaux et les fixer comme s’ils étaient là de tout temps. C’est ainsi qu’est née l’idéologie génocidaire selon laquelle les Tutsis, peuple de pasteurs (3) hamitiques (4), aurait colonisé le Rwanda, un pays peuplé d’Hutus, peuple de cultivateurs Bantous.

    Une des autres difficultés est de pouvoir étudier les processus historiques dans leur développements et leurs contextes. L’histoire de la région des Grands Lacs connait des similarités avec des périodes que nous avons connu en Europe occidentale, mais il y a surtout des différences. On ne peut pas tout simplement parler du Rwanda précolonial comme étant médiéval et tirer un parallèle complet avec notre Moyen-Âge. Malgré certains points communs, la temporalité des faits et les spécificités liées aux différents royaumes qui se sont établis dans la région doivent nous éviter de tirer des raccourcis hâtifs. Il reste aux scientifiques à faire leur travail pour nous donner une image de ce que fut l’histoire précoloniale de cette région, depuis son peuplement qui remonte à l’expansion du premier homo sapiens sapiens de la vallée du Grand Rift (Afrique de l’Est). Différents auteurs, qu’ils soient de la région ou originaire de pays impliqués dans le processus colonial, s’intéressent à ce vaste sujet. Au-delà des nuances et des débats contradictoires propres à l’immensité de la tâche, des consensus scientifiques se dégagent et établissent des faits historiques sur certains points d’importance.

    Des Etats monarchiques centralisés

    Dans la région des Grands Lacs, de manière spéculative à partir du 15e siècle, mais de manière plus sûre au 18e siècle, il existait plusieurs petits Etats monarchiques centralisés comme le Bunyro, le Buganda, le Nkore, le Burundi et le Rwanda. Ces Etats étaient parcourus de luttes pour le pouvoir interne entre les différents clans de la noblesse, et de contradictions sociales propres à l’exploitation d’un surproduit social sur lequel vivait la couche supérieure de la société. Il y existait également une volonté propre à chaque royaume de s’étendre au détriment de ses voisins.

    Cela se faisait en fonction du potentiel des forces productives et du développement de celles-ci. L’ensemble de la société, et en particulier les couches dominantes, était organisée sur une base patrilinéaire clanique. Les clans pouvaient se composer d’un mélange Hutu – Tutsi ou Bairu – Bahima. D’autres groupes de populations existaient, comme les Twas. Un peuplement très anciens de la région vit de la culture maraichère et céréalière et de l’élevage pastoral. Il faut bien comprendre que la relation qui lie l’agriculture et l’élevage dans la région est autant complémentaire que contradictoire. Les troupeaux ont besoin de pâture pour se produire et se reproduire, et les pâtures ont besoin de troupeaux pour le travail du sol et le fumier qui permet la fertilisation du sol. Les grands propriétaires terriens s’élèvent au-dessus de la société, comme les propriétaires de grands troupeaux. En dessous d’eux se trouvent ceux qui doivent entretenir le bétail, le travailler, et de même pour les cultures. Il y avait au Rwanda ceux qui sont devenus des Hutus, qui parfois possédaient du bétail, et ceux qui sont devenus des Tutsis, qui étaient parfois agriculteurs, au contraire de ce que les colons ont pu écrire. Ceci étant dit, la vache représentait un capital important : par exemple, un grenier de 300 kg de haricots achetait une génisse de 100 kg ; une peau de vache non tannée achetait 30 kg de haricots, ou une houe, ou une jeune chèvre (5). ‘‘Rien ne surpasse la vache’’ dit un dicton rwandais. Cela reflète le statut primordial de la vache dans les échanges commerciaux. Les pasteurs, majoritairement Tutsis, ont donc eu tendanciellement une position de force plus importante en possédant ce capital.

    La question ethnique – Les idées vraies, comme les idées fausses peuvent devenir une force matérielle quand elles sont reprises en masses

    Le racisme est un ensemble d’idées né dans un contexte économique et social bien particulier. Cependant, une fois que ce contexte a déterminé l’idéologie qui la reflète, celle-ci prend sa dynamique propre et influe sur le développement du contexte lui-même. Ainsi, l’idéologie des races avait pour contexte l’esclavage dans le cadre de l’accumulation primitive capitaliste. Alors que ce contexte sous cette forme particulière a disparu, l’idéologie des races a resurgi à plusieurs reprises dans l’histoire avec les diverses conséquences funestes que nous connaissons. Nous pensons que si nous comprenons le contexte qui a pu faire émerger un tel ensemble d’idées, nous serons plus à même de le combattre. C’est ce que nous appelons la théorie de l’action.

    L’ethnisme dans la région a toujours été un outil idéologique qui permet de diviser pour mieux régner. Mettre en avant un antagonisme ethnique permet de masquer le conflit de classes et d’éviter de répondre par exemple à la question agraire. Ainsi, les historiens, fonctionnaires et missionnaires coloniaux allemands puis belges ont inventé l’idée selon laquelle les Tutsis étaient des Hamitiques venus d’Abyssinie (6) et qu’ils étaient plus aptes au commandement. Cela a justifié le retrait de plusieurs chefs locaux (mwami) qui s’opposaient aux colons et leur remplacement par des chefs Tutsis acquis à la cause coloniale. Lors de la lutte pour l’indépendance, cet antagonisme a été joué dans l’autre sens, notamment par la démocratie chrétienne belge, pour maintenir la domination coloniale puis néocoloniale. Cette idéologie raciste a été promue par des pseudoscientifiques qui, sur base de l’anthropologie physique, ont installé un antagonisme permettant d’asseoir la domination impérialiste, et générant par là même les bases de l’idéologie génocidaire.

    La production du surproduit social

    Le Rwanda précolonial était une société inégalitaire. La soudure (7), les accidents de cultures, les épizooties (8) entrainaient des famines qui pouvaient jeter des familles ou des clans dans la pauvreté et les faire entrer dans des relations de dépendance. Un riche était défini par le nombre de personnes qu’il faisait travailler sur ses propriétés (cultures ou élevages). Une partie de ce qui était produit par le paysan moyen allait au chef qui lui avait concédé la parcelle. Ceux ne possédant pas de terre travaillaient donc comme journaliers sur des terres possédées par d’autres contre rétribution en marchandise (haricots, sorgho, bière, beurre,..) leur permettant d’acquérir d’autres biens. Ce statut, considéré comme indigent, était en marge de la société. À côté de cela s’établissaient des relations de clientèle propres à la société féodale rwandaise entre un riche et son corvéable, renforcées et valorisées par l’idéologie.

    Lors de l’émergence de la dynastie des Banyiginya au Rwanda fin du 18e siècle, on a vu un renforcement du pastoralisme dans la structure sociale. Un système que l’on peut rapprocher du servage s’est développé, par lequel le paysan devait travailler sur les terres du seigneur un certain nombre de jours (2 jours d’akazi), sur une semaine de 5 jours. Le régime de l’ubuhake, une relation de clientèle et d’obligation qui fonctionnait en milieu pastoral, a été étendu et a recoupé les nouvelles structures de pouvoir. Néanmoins, ce ne sont pas les Tutsis dans leur totalités qui ont constitué la classe dominante, mais bien une minorité d’entre eux. On estime entre 10.000 et 50.000 le nombre de Tutsis de clan noble qui ont été impliqués dans le pouvoir colonial sur un total de plusieurs centaines de milliers de Tutsis au 18e siècle.

    On le voit : les contradictions et les lignes de failles de la société rwandaise étaient nombreuses. Cela entraînait des luttes et des résistances. L’entrée en jeu des puissances impérialistes viendra modifier les rapports de forces internes à la région et fera entrer de plain-pied l’Afrique de l’Est dans les contradictions capitalistes.

    Notes :
    (1) Homme politique et écrivain français du 19e siècle.
    (2) Méthode d’administration d’une colonie se basant sur des relais locaux.
    (3) Eleveurs de bétails.
    (4) Terme d’origine biblique attribué péjorativement à des populations africaines qui descendraient de personnages du Premier Testament.
    (5) Claudine Vidal, Économie de la société féodale rwandaise, Cahiers d’Études africaines, 1974.
    (6) Région de la Corne de l’Afrique.
    (7) Période entre deux récoltes.
    (8) Maladie frappant un groupe d’animaux.

    (2) La colonisation et la décolonisation du Rwanda

    Les puissances impérialistes se disputent le gâteau Africain

    L’Allemagne, nouvelle puissance impérialiste

    Aucun Etat africain n’a l’allemand comme langue issue de la colonisation occidentale. Cette situation est due aux rapports de forces internationaux qui ont fait perdre à l’Allemagne toute leurs colonies sur le continent. L’Allemagne était déjà arrivée tardivement dans la « course aux colonies ». La cause était le retard qu’avait pris la bourgeoisie allemande pour réaliser son unité nationale. Alors que l’Angleterre, La France, la Belgique, l’Espagne, le Portugal et les Pays-Bas menaient des explorations depuis des dizaines d’années, l’Allemagne se lança tardivement dans la conquête coloniale.

    Ce retard accumulé dans l’unification nationale explique aussi le fait que le jeune Etat allemand se focalisa en 1871 sur le renforcement de son Etat en interne et ne se lança pas directement dans la guerre de conquête coloniale que menèrent ses rivaux. Dans un premier temps, c’est du capital privé qui bénéficia de la protection de l’Etat allemand qui se lança dans les explorations, les conquêtes et les investissements. La conférence de Berlin de 1885 consacra les rapports de forces militaires entre les différents puissantes qui verront émerger l’Afrique Orientale Allemande dont fera partie le Ruanda-Urundi.

    Parallèlement aux rivalités inter-impérialistes, les contradictions de la société monarchique rwandaise étaient remontées à la surface, entraînant une grave crise de régime. Après la mort de Kigeli IV Rwabugiri, son successeur a dû faire face à des incursions militaires belges sur son territoire et fut renversé suite à une défaite militaire et un complot ourdi en interne. Yuhi Musinga arriva ensuite à la tête du royaume. Très vite, le jeune roi s’allia avec les allemands pour stabiliser son pouvoir. Comme l’exprime très bien l’historien français Jean-Pierre Chrétien : « manifestement l’aristocratie rwandaise a joué la carte d’un camp européen contre l’autre, elle cherche l’appui de ceux qui lui semble les moins dangereux ou les plus respectueux… »(2) Cette alliance permit à l’Allemagne de stabiliser son empire colonial et de le gérer de manière économique avec des relais sur place ; et cela permit à la famille royale régnante de s’assurer le pouvoir.

    La Première Guerre mondiale redistribue les cartes

    Les puissances impérialistes tenteront de résoudre leurs différends coloniaux de manière pacifique à travers plusieurs conférences internationales. Finalement, la logique intraitable de concurrence entre les différentes bourgeoisies nationales conduira à la Première Guerre mondiale. Cette guerre fut menée pour redistribuée les cartes au niveau mondial, chaque Etat capitaliste voulant augmenter sa part du gâteau et assurer son hégémonie. La défaite de la Triple alliance (Allemagne, Autriche-Hongrie et Italie), se soldera par la perte de l’AOF pour l’Allemagne.

    La tutelle du Ruanda-Urundi fut confiée à la Belgique qui réussit par un jeu d’équilibre à récupérer cette région-clé. En effet, la rivalité entre le Royaume-Uni et la France en Afrique de l’Est était permanente à l’époque, comme l’avait par exemple illustré l’incident de 1898 à Fachoda, dans l’actuel Soudan du Sud. Le territoire occupé par le Ruanda-Urundi est stratégique à plusieurs égards car il constitue une porte d’entrée au Congo, il est à la source du Nil et c’est aussi une porte d’entrée vers le Tanganyika et le Kenya qui ont des côtes sur l’océan Indien.

    La colonisation des esprits

    Afin d’assurer son pouvoir, le colonisateur belge comme l’allemand auparavant ne pouvait pas compter que sur la force ou la coercition. Ils se sont basés sur la famille royale, qui était le pouvoir précédent, pour avoir une base dans la société. Mais ils ont aussi eu besoin de casser toutes les résistances qui pouvaient être une barrière à l’exploitation coloniale. Ils ont donc figé la société qu’ils ont trouvée et ont créé de toutes pièces une division ethnique dans la population. Au Rwanda, l’ensemble de la population partageait la même culture, parlait la même langue, vénérait le même dieu « Imana ». Les colonisateurs ont institué le fait que ce peuple était divisé en deux ethnies totalement distinctes. Les Batutsi : race supérieure Hamito-sémites ou nilo-hamitique constituant 5% de la population, éleveur naturellement apte à diriger, couche de seigneurs proche de la race blanche. En dessous d’eux, les Bahutu : paysans bantous, race inférieure qui devait être commandée. Les Pères blancs (3) considéraient que seuls les Batutsi pouvaient bénéficier d’une instruction essentiellement primaire qui permettait d’avoir des postes dans l’administration coloniale. Une petite élite tutsi se constitua alors, mais qui ne représentait pas l’ensemble de la population décrite comme étant tutsi. Celle-ci était, dans sa majorité, exploitée comme les Bahutu.

    Pour faciliter ce processus, il a fallu réduire le pouvoir du roi et autoriser la liberté de religion afin d’imposer le catholicisme. Ce processus aboutira à la destitution de Musinga et à la mise en place d’un roi catholique proche de l’administration coloniale, Mutara III Rudahigwa. L’élite tutsi en constitution autour de lui aura sa place seulement si elle fait la jonction avec les intérêts coloniaux, comme le rappella le colonel Jungers aux élèves du groupe scolaire Astrida des Frères de la charité de Gand, qui formait les futures élites : « restez modestes. Le diplôme de sortie qui vous sera attribué, n’est pas une preuve de compétence. Il ne constitue que la preuve que vous êtes aptes à devenir des auxiliaires compétents. »(4)

    Dans les années 1930, l’administration coloniale fera renseigner, sur les papiers d’identité, la race à laquelle appartenait chaque rwandais. Selon l’historien français Yves Ternon, à cette époque, 15% se déclarèrent Tutsi, 84% Hutu et 1% Twa.(5)

    Après la guerre, la Belgique a été mise sous pression suite aux terribles famines qui ont eu lieu à cause du manque d’investissement agricole et en infrastructures. La Belgique a été forcée, par exemple, d’ouvrir l’enseignement aux Bahutu. Mais, encore en 1948, la revue des anciens élèves d’Astrida disait : « de race caucasique aussi bien que les Sémites et les indo-Européens, les peuples hamitiques n’ont à l’ origine rien de commun avec les nègres… Physiquement ces races sont superbes : malgré les inévitables métissages résultant d’un contact prolongé avec les nègres, la prépondérance du type caucasique est resté nettement marquée chez les Batutsi… »(6)

    L’Arabica, base du revenu de la colonie

    Au-delà de sa situation géostratégique, une des richesses du Rwanda réside dans ses terres agricoles. Le colonisateur Allemand, d’abord, puis Belge, a fait du Rwanda une terre de caféiculture. Ce processus a vu le remplacement de cultures maraîchères et vivrières par des cultures d’exportations dépendantes des prix sur les bourses mondiales. Pour acheminer ces marchandises, il a fallu construire et entretenir un réseau de routes carrossables. Cela s’est fait par le travail forcé, qui en 1930 représentait presque 2 mois par an.(7) Ces deux éléments ne pouvaient que renforcer les contradictions sociales, puisque la population était écartée du travail des champs pour entretenir l’infrastructure coloniale, mais devait en plus cultiver du café pour pouvoir payer les impôts à l’Etat. Cela entraînera des famines et des fuites de population vers les pays voisins.

    Edmond Leplae, Directeur de l’Agriculture au Ministère des Colonies de 1910 à 1933, mis en place un système de culture obligatoire qu’il copia du modèle Hollandais à Java. À cette époque, il y eu de 1 à 4 millions de plants de café planté par an. De 11 tonnes en 1930, la production grimpera à 10.000 tonnes en 1942 et 50.000 en 1959.

    La « révolution coloniale » : les populations opprimées commencent à se libérer de leurs chaînes

    Les marxistes ont toujours expliqué que la révolution entraîne la guerre et que la guerre entraîne les révolutions. Après la Seconde Guerre mondiale, un processus révolutionnaire a pris place partout à travers le monde. Les Etats alliés objectifs de ce processus ne pouvaient être que les pays dans lesquels la base sociale de l’Etat était différente et où le système de production représentait une alternative au système capitaliste. C’est donc l’URSS dans un premier temps puis la Chine en 1949 qui vont inspirer les révolutionnaires. À cette époque, la dégénérescence bureaucratique en URSS était déjà un frein relatif, mais l’économie bureaucratiquement planifiée (même avec ses limites) et la victoire face aux nazis vont conférer à la bureaucratie stalinienne une immense autorité. En effet, l’existence d’une alternative au système capitaliste permettra d’installer un rapport de force international favorable qui obligera la bourgeoisie dans les pays capitalistes avancés à offrir d’énormes concessions économiques, démocratiques et sociales à la classe ouvrière dans leur pays, et démocratiques dans les pays qui subissaient l’oppression coloniale. Par ailleurs, la bureaucratie qui s’est installée au pouvoir en URSS au cours des années 1920 a tout fait pour que n’émerge pas une révolution socialiste démocratique dans un autre pays. Cela aurait pu relancer le processus de lutte en URSS-même pour une véritable démocratie ouvrière et pour une planification économique démocratique. Malgré ces limites, c’est donc un modèle de révolution dirigée par le haut et une économie planifiée bureaucratiquement qui a été prise comme modèle alternatif dans tout un tas de pays lors des révoltes contre l’oppression coloniale.

    Dans la lutte contre l’impérialisme sur le continent asiatique, la victoire de l’armée populaire de Mao et la constitution d’un Etat ouvrier déformé par la bureaucratie dès son début sera le modèle que beaucoup de nationalistes dans les pays qui subissait encore le joug colonial utiliseront. Il ne se base pas sur la méthode et le programme du parti bolchevik durant la révolution russe qui s’est basée sur la combativité et le sens d’initiative de la classe ouvrière russe. Partant des contradictions propres au régime colonial, ce modèle se base sur la petite-bourgeoisie nationaliste, la couche supérieure de la société (officiers supérieurs, intelligentsia, …) et des éléments progressistes radicalisés qui luttent contre le pouvoir impérialiste. La stratégie utilisée n’est donc pas la mobilisation systématique de l’ensemble de la société à travers les actions collectives de masse telles que les manifestations et les grèves d’où émergent une situation de double pouvoir, mais bien la guerre de guérilla dirigée par ces couches. Dans une situation internationale et nationale favorable, cela mena à des victoires et à un recul temporaire des puissances impérialistes.

    Ce sera le cas par exemple en Indochine avec la défaite de l’armée française à Diên Biên Phu. De manière générale, un processus révolutionnaire dans un pays inspire les masses en lutte et les révolutions dans d’autres pays. En Afrique et en Amérique centrale et du Sud, ces exemples ont inspiré les couches qui cherchaient à vaincre l’impérialisme. Cela s’est traduit par la vague de luttes sur base des méthodes de guerres de guérilla qui prendra place entre autres à Cuba et en Algérie. À la fin des années ‘50, la plupart des combattants pour l’indépendance dans les pays colonisés sont gagnés par le nationalisme ; certaines couches de la petite-bourgeoisie sont touchées par les idées socialistes mais sur base du modèle de l’armée populaire de Mao. Le rôle dirigeant dans la révolution n’y est pas dévolu à la classe ouvrière et ses organisations indépendantes, mais bien à une couche supérieure de la société qui s’appuie sur une guérilla paysanne pour prendre le pouvoir.

    Au Rwanda, les élites nationales sont aussi touchées par ce processus. Mais la division ethnique de la société divise l’élite en deux camps qui tirent des conclusions différentes sur la manière de voir l’oppression coloniale. Dès 1957 se fonde l’Association pour la promotion sociale de la masse (APROSOMA). Celle-ci ne s’organise malheureusement pas sur une base de classe mais bien sur une base ethnique. En 1957 aussi, le Manifeste des Bahutu est écrit par 9 intellectuels hutu dont le futur président de la République Grégoire Kayibanda. Il dénonce non pas la colonisation mais bien le pouvoir tutsi. Pour eux, la question de l’indépendance est secondaire par rapport à la question de l’élimination de la domination économique, politique et culturelle des Batutsi.

    Les bases de l’idéologie génocidaires sont présentes dans ce manifeste. Il reprend la division en catégories créées par l’administration coloniale pour en déduire la nécessite d’une passation de pouvoir à la majorité hutu. Sur base de cette idéologie se crée le Parti du mouvement de l’émancipation hutu (PARMEHUTU). Pour l’élite tutsi regroupée autour de l’Union Nationale Rwandaise (UNAR), il faut l’indépendance et le départ de l’administration coloniale, ainsi que la remise en place d’une monarchie constitutionnelle au Rwanda. À côté de cela, un parti favorable aux intérêts occidentaux émerge : le Rassemblement démocratique rwandais (RADER), qui regroupe des anciens « astridiens » (8) et des Bahutu.

    Le pouvoir colonial, voyant le danger de la perte de contrôle, changea alors ses alliances et utilisa la petite-bourgeoisie hutu en promouvant l’idée du « peuple majoritaire ». Celle-ci fut portée en grande partie par la démocratie-chrétienne, principalement flamande, et l’élite de l’Eglise catholique sur place. Des élections furent organisées et remportés par le PARMEHUTU. La première république fut installée. Grégoire Kayibanda en était le président. Une politique de discrimination systématique vis-à-vis des Batutsi se mit en place, appuyée par des violences et des pogroms vis-à-vis de ceux identifiés comme tels. Les violences permettront de dévier la colère des masses contre un ennemi identifié et de détourner l’attention des problèmes auxquels faisait face le Rwanda : l’inégalité économique et la question agraire non résolue. La première République durera de 1962 à 1973. Mais le mécontentement populaire se poursuivra. Et sur base de cela, Juvénal Habyarimana, provenant du Nord du pays, utilisera les tensions régionales entre la petite-bourgeoisie hutu du centre et celle du Nord pour s’élever au pouvoir en 1973.

    Notes :

    (1) Dans la région des Grands Lacs, pour les noms des populations, l’accord au pluriel se fait en ajoutant le préfixe ‘Ba-‘ et, au singulier, ‘Mu-‘. Par exemple, pour un ‘Tutsi’ et un ‘Hutu’, on dira ‘Mututsi’ et ‘Muhutu’.
    (2) Jean-Pierre Chrétien, L’Afrique des grands lacs. Deux mille ans d’histoire, Paris, Aubier, 2000, p. 188.
    (3) Ordre religieux missionnaire fondé par le Cardinal Lavigerie.
    (4) Jean-Pierre Chrétien, L’Afrique des grands lacs…, p. 240.
    (5) Yves Ternon, Rwanda 1994. Analyse d’un processus génocidaire, dans « Revue d’Histoire de la Shoah » 2009/1 (N°190).
    (6) Citation reprise dans : Jean-Pierre Chrétien, L’Afrique des grands lacs…, p. 247.
    (7) Ibidem, p. 245.
    (8) Anciens du groupe scolaire de Butare (ex-Astrida).

    (3) La Deuxième République, la guerre civile et le génocide de 1994

    Dans les 2 premières parties, nous avons retracé de manière chronologique les éléments d’histoire qui permettent selon nous d’analyser les causes du génocide. Dans cette troisième partie, nous ne suivrons plus chronologiquement les événements, mais nous voulons entrer directement dans le débat. Au-delà de l’explication, il s’agit surtout de remettre en cause certaines analyses superficielles qui ont été amenées dans le débat public.

    Comment expliquer le génocide ?

    Un des clichés de la propagande coloniale pour justifier la colonisation de l’Afrique par les puissances impérialistes a été “la mission civilisatrice”. La propagande raciste de l’époque dépeignait l’Afrique comme un continent barbare en proie à l’esclavage arabo-musulman et aux guerres ethniques. La mission de l’Occident était d’apporter la paix et le développement économique. Ce qui allait amener la démocratie et le progrès.

    Mais la réalité, c’est qu’après la mise en place du système de production capitaliste et l’intégration au marché mondial, les standards moyens de démocratie ne sont pas présents et la paix est loin d’être garantie dans l’ensemble du continent, et en Afrique de l’Est en particulier. Au lieu de chercher les explications dans les contradictions du capitalisme, beaucoup d’idéologues ont préféré aller reprendre des explications dans la propagande raciste des années coloniales.

    Selon nous, le point culminant des tensions “ethniques” a pour base une classe dominante qui se bat par tous les moyens pour rester aux commandes et profiter des miettes qui tombent des termes des échanges mondiaux. Dans cette lutte, l’élimination physique comme “solution finale” de son challenger et la désignation de l’ennemi en tant que race qui serait la cause de toutes les contradictions a été l’option du Hutu Power, les extrémistes du régime d’Habyarimana. Selon les idéologues précités, il n’en est rien : le génocide serait lié aux luttes ethniques et barbares consubstantielles à l’Afrique et aux africains. C’est une manière ironique de reconnaître l’échec total du projet colonial. Voyant la contradiction argumentative, certains intellectuels poussent l’argument à l’absurde en réclamant une nouvelle colonisation de l’Afrique (1).

    Les deux premières parties ont apporté des éléments de réponses à ce courant réactionnaire qui utilise la distorsion de l’histoire et la racialisation de la société comme moyen de division pour cacher les ambitions impérialistes. Il existe cependant un courant d’idéologues considéré comme “progressistes” et “scientifiques” qu’il convient aussi de démasquer.

    Le néo-malthusianisme à la rescousse du capitalisme

    Analyser le génocide comme un phénomène “moderne” lié aux contradictions du capitalisme est une attitude philosophiquement matérialiste, c’est à dire rationnelle. Mais aujourd’hui, avec la division du travail dans le monde intellectuel et l’absence de remise en cause globale du système capitaliste, ce genre d’approche est beaucoup moins audible. Les experts de chaque discipline abordent une question générale sous l’angle unique de leur expertise et il généralise cela en voulant faire correspondre la réalité à leur analyse. C’est ce que nous appelons une réflexion philosophiquement idéaliste.

    C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre les analyses de Jared Diamond. Ce géographe et biologiste est davantage connu dans le monde anglo-saxon, mais ses thèses sont aussi relayées dans le monde francophone et belge par des académiques comme Jean-Philippe Platteau, de l’Université de Namur. De manière générale, avec la crise environnementale, le néo-malthusianisme fait un retour en force. On entend des dirigeants de premier plan comme le Président français Emmanuel Macron dire que la cause du sous-développement en Afrique est due au ventre des femmes africaines (2). On entend aussi certains courant écologistes réclamer un arrêt de la reproduction pour sauver la planète (3).

    Le marxisme est souvent disqualifié, car il ne serait qu’une “vieille théorie”. Mais en général, les contradicteurs réutilisent des idées tout aussi vieilles qui, déjà à leur époque, ont été battue en brèche. Jared Diamond a été l’un de ceux qui ont remis au goût du jour les idées de Malthus (4). Il a écrit deux livres qui traitent de ce sujet. L’un d’eux : “Guns, Germs, and Steel: The Fates of Human Societies” (“De l’inégalité parmi les sociétés : Essai sur l’homme et l’environnement dans l’histoire”). Il y explique comment les occidentaux ont pu coloniser l’Afrique. Les éléments géographiques et biologiques sont mis en avant comme déterminant la supériorité occidentale. Lié au même sujet, son second livre est “Collapse: How Societies Choose to Fail or Survive” (“Effondrement : Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie”). Il y expose le fait que la trop grande pression sur les ressources environnementales est la cause d’effondrement des civilisations. Il prend pour exemple les habitants de l’île de Pâques, les Pascuans, et leurs statues (Moaï). Dans ce même livre, il y a tout un chapitre sur le génocide au Rwanda, s’intitulant “Malthus en Afrique”. Il prend l’exemple du génocide pour développer sa thèse : la surpopulation a été l’un des éléments déterminants les événements.

    Dans l’absolu, il ne faut pas écarter la surpopulation comme élément explicatif. C’est d’ailleurs à prendre en compte pour comprendre les tensions sociales dans la région de manière fine. À ce titre, les analyses de Platteau et consorts sur le Rwanda sont intéressantes à plus d’un titre.

    Mais l’erreur consiste à prendre un élément d’analyse et le généraliser pour en faire l’élément de causalité principale en considérant le système de production capitaliste comme un invariant. Ce faisant, on cache les contradictions sociales et économiques qui sont liées au capitalisme et on le présente comme étant l’horizon indépassable de l’humanité. Dans l’analyse, on oublie donc comment, dans le cadre d’un conflit de classe aigu de revendication foncière non traitée, la question de la démographie approfondit la crise. C’est l’erreur que commet Diamond. Dans le chapitre consacré au génocide, il écrit : “La pression démographique a été l’un des facteurs importants à l’œuvre dans le génocide rwandais. Le scénario catastrophe de Malthus peut parfois se réaliser et le Rwanda en fut un modèle. De graves problèmes de surpopulation, d’impact sur l’environnement et de changement climatique ne peuvent persister indéfiniment : tôt ou tard, ils se résolvent d’eux-mêmes, à la manière du Rwanda ou d’une autre que nous n’imaginons pas, si nous ne parvenons pas à les résoudre par nos propres actions. Des mobiles semblables pourraient œuvrer de nouveau à l’avenir, dans d’autres pays qui, comme le Rwanda, ne parviennent pas à résoudre leurs problèmes environnementaux. Ils pourraient jouer au Rwanda même, où la population augmente aujourd’hui encore de 3 % l’an, où les femmes donnent naissance à leur premier enfant à l’âge de quinze ans, où la famille moyenne compte entre cinq et huit enfants.”

    Dans son “Essai sur le principe de la population”, Malthus avait la même approche. Karl Marx avait réfuté Malthus en remettant l’élément démographique en lien dialectique avec les rapports de production capitaliste. La théorie de Diamond sur l’effondrement a été réfuté dans son ensemble (5). Des intellectuels sont revenus sur son analyse de la société pascuane. Mais très peu a été écrit sur son analyse du génocide.

    L’élément que nous voulons ajouter à cette réfutation concerne donc l’analyse faite par Diamond sur le génocide au Rwanda mais de manière spécifiquement matérialiste. Le capitalisme ne se développe pas de manière linéaire et homogène. C’est ce que les marxistes appellent le “développement inégal et combiné”, cela génère des possibilités de réserves jusqu’au moment où l’ensemble des régions du monde sont soumises aux rapports capitalistes de productions. La manière dont les rapports capitalistes s’imposent à de nouvelles sociétés ne peut être pacifique. Cela est liée d’une part à l’affrontement entre l’ancien et le nouveau rapport de production, et d’autre part à la concurrence impérialiste. Pour établir sa domination, l’impérialisme réutilise l’ancienne organisation sociale en la remodelant en fonction de ses intérêts et donc, ce faisant, il la transforme, créant de nouveau rapports sociaux et ainsi de nouvelles contradictions. C’est ce que nous avons voulu illustrer aussi avec les 2 premières parties. C’est aussi dans ce sens que nous ne suivons pas les analyses soient disant “progressistes” et “scientifiques” comme celles de Diamond.

    L’analyse de la crise de la Deuxième République rwandaise et du génocide illustre bien ce propos.

    La crise de la Deuxième République

    Juvénal Habyarimana a pris le pouvoir en 1973. La fraction de la classe dominante a changé. Une petite minorité hutu du nord du pays a pris le contrôle du pouvoir d’Etat, profitant de celui-ci pour pouvoir s’enrichir sur base de leur rôle d’intermédiaire dans l’exportation des principales ressources du pays, essentiellement agricoles (café, thé). Pour renforcer son pouvoir, le régime s’est appuyé sur l’organisation du pays, avec une population sous contrôle stricte de l’administration. Il y avait ainsi une division du pays en 10 préfectures, elle-même subdivisées en sous-préfectures, et 145 communes divisées en secteur de 5.000 habitants, subdivisés en cellules de 1.000 personnes. Chaque cellule était contrôlée par 5 personnes proches du régime. Tous les samedis, la population devait participer à du travail communautaire et aux réunions d’endoctrinement du régime. Ce contrôle strict de la population servira le régime une fois qu’il mettra en œuvre les plans d’éliminations physiques des Batutsi (6). Le régime de parti unique était soutenu par 7.000 soldats et par une garde prétorienne forte de 1.500 hommes (7). Tout au long de la dictature du régime Habyarimana, il s’est développé une coopération militaire et diplomatique forte avec la France qui a saisi cette opportunité d’affaiblissement de l’ancienne force coloniale belge pour s’implanter dans l’Est de l’Afrique.

    Le Rwanda à l’époque était présenté comme un pays modèle de coopération au développement. L’économie du pays était sous perfusion d’aide internationale. Cela a pu masquer temporairement les faiblesses du régime, mais les contradictions économiques sont remontées à la surface lors de la chute des prix mondiaux des matières premières, et plus particulièrement fin des années 80 quand le thé et le café ont chuté. Cela a obliger les dirigeants rwandais à frapper à la porte du FMI et à s’astreindre aux fameux plans d’ajustement structurels, les ancêtres des plans d’austérités, et autres mémorandums d’aujourd’hui. Cela s’est déroulé alors que la famine frappait fin des années 80 et début 90 suite à une sécheresse dans le Sud du pays. La question agraire n’étant pas réglée, une minorité concentre la majorité des terres : 16% de la population détient 43% des terres et les revenus du café constituent 80% des revenus de l’Etat. Entre 1962 et le début des années 90, la population a augmenté de 2.400.000 à 7.148.000 personnes. Principalement rurale et jeune c’est une population en proie à la famine et à la misère qui doit subir des coupes drastiques imposées par l’extérieur suite au développement de sa dette (7).

    En parallèle à cela, les Batutsi qui avaient dû quitter le pouvoir au tout début de la Première République dans les années 60 se sont organisés dans la diaspora au sein de différentes organisations politico-militaires. Présente dans les pays frontaliers, une partie a pu prospérer et constituer des moyens pour challenger le pouvoir en place au Rwanda. Fin des années 70, l’Ouganda du président Idi Amin Dada est confronté à une guérilla qui conteste son pouvoir. A la suite de luttes de factions, le guérillero Yoheri Museveni, avec la National Resistance Army (NRA), arrivera à s’établir comme chef de l’Etat ougandais. Des guérilleros batutsi combattront dans cette guérilla, dès le début et jusqu’à la prise de pouvoir de Museveni. Fred Rwigema, l’un des fondateurs du Front Patriotique Rwandais (le FPR), mais aussi Paul Kagame, actuel Président du Rwanda, y seront présents et y acquerrons une expérience militaire. Le FPR est issu de la Rwandese Alliance for National Unity (RANU) qui est le regroupement politique de la diaspora tutsi. Une fois au pouvoir, Yoheri Museveni installa ses frères d’armes à des postes-clés. La concurrence pour les postes poussa les proches de Museveni à contester la présence de Batutsi aux postes à responsabilité en Ouganda. Ce dernier chassera donc les Batutsi hors de son régime et les poussera à retourner au Rwanda. Rwigema sera tué dans des circonstances troubles lors de la première attaque et Paul Kagame, en formation militaire aux USA, reviendra pour diriger l’Armée patriotique rwandaise (APR), l’aile militaire du FPR.

    C’est le début de la guerre civile rwandaise qui part de l’Ouganda vers le nord du pays. Les contradictions du régime rwandais sont trop fortes et, très vite, l’APR qui est bien financée, très bien entrainée et disciplinée engrange des victoires militaires. Pour stopper la poussée du FPR, le régime demande l’appui de militaires et diplomatiques de la France qui va, jusqu’à la chute du régime, lui accorder sans faillir. Le but pour la France étant de maintenir dans la région un régime favorable à ses intérêts et éviter un nouveau Fachoda, c’est-à-dire l’émergence d’un régime ou un dominion anglo-saxon en Afrique de l’Est. Face à cette situation, la France propose au régime de mener des négociations vers une transition démocratique (ouverture au multipartisme) et pacifique sous l’égide de l’ONU. Ce seront les Accords d’Arusha qui amèneront une force, la MINUAR, à prendre pied au Rwanda. Ces négociations sont le reflet du rapport de force interne mais aussi international. Il n’y a pas la volonté du régime de concéder une miette de pouvoir. Et dans cette démarche, il se sait soutenu par la France.

    Le régime réagit à cette situation de crise en amplifiant la propagande raciale. Face à la colère et à la misère de la population, lors de ses réunions d’endoctrinement, il désigne le retour de l’ancien ordre féodal “Tutsi”. Cela génère des explosions de colère et des pogroms, mais au fur et à mesure que la situation militaire se résout en faveur du FPR, le régime durci son discours racial. Dès le début des années 90, un courant extrémiste se développe autour de la femme du président, qui vient aussi du Nord du pays. C’est l’idéologie du Hutu Power et de l’élimination physique des opposants. Les préparatifs du génocide se mettent en place par un battage idéologique raciste renforcé par les moyens modernes. Comme dit précédemment, la population devait participer à des réunions hebdomadaires d’endoctrinement. La bourgeoisie hutu du Nord finançait la Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLM) qui diffusait dans tout le pays un climat de haine raciste qui désignera le mututsi comme la cause des problèmes. Il s’agira aussi de déshumaniser le mututsi en le présentant comme un “cafard” venu de l’étranger pour oppresser le muhutu. Dans une situation de crise économique et sociale terrible et d’une sécheresse qui entraîne une famine pour une population nombreuse n’ayant pas accès à la terre de manière égale, à cela s’ajoute une militarisation de la société par l’endoctrinement et les médias de masses, c’est le cocktail qui explique qu’une partie de la population a pu perpétrer et participer à ce massacre de masse.

    Cela illustre que le génocide n’était pas une manifestation de colère spontanée. C’est le résultat d’un processus qui a été soigneusement préparé par une frange de la bourgeoisie comprador (8) aux abois en compétition avec une autre frange de la bourgeoisie. D’ailleurs, dans la première phase du génocide en lui-même, les premières personnes à être exécutées l’ont été sur base d’une liste préétablie de Batutsi considérés comme sympathisants avec le FPR. C’est la garde présidentielle appuyée par les milices extrémistes hutu interahamwe qui ont effectué la “chasse”. C’est seulement dans un deuxième temps que l’élimination physique comme “solution finale” des Batutsi en tant qu’ethnie a été mise en place pour éliminer à tout jamais le danger de restauration. Ce processus a été assisté par la France de François Mitterrand, Hubert Védrine et Bernard Kouchner, qui ont jusqu’au bout soutenu la frange dure du régime et qui l’ont même exfiltrée vers le Congo voisin une fois la guerre perdue.

    Un génocide sous l’œil des médias du monde entier

    Le génocide de 1994 s’est établi alors que, depuis le début de la guerre et très certainement depuis 1992, le double discours du régime lors des accords d’Arusha (9) était limpide : “négocié” en français, “appeler au meurtre” en la langue rwandaise (kanyarwanda). Les médias du monde entier ont suivi les développements, une force des Nations-Unies était présente sur place, mais s’est retirée après le massacre des 10 Casques bleus belges.

    Le génocide des Batusti et le massacre des Bahutu qui s’opposaient au régime au pouvoir a engendré un déchirement de la société rwandaise et a déstructuré toute la sous-région. Plusieurs centaines de milliers de Bahutu issu du régime ou qui ont perpétré des massacres, mais aussi ceux craignant des représailles ou fuyant la misère sont partis en exil, notamment dans le Congo voisin. L’arrivée au pouvoir du FPR a remodelé les rapports de force internes et internationaux dans la région. Le battage médiatique racial a eu un impact sur toute la région de l’Afrique centrale et de l’Est en mettant notamment en danger les Banyamulenge (10) en République démocratique du Congo (RDC).

    Les contradictions liées au capitalisme n’ont pas disparues mais se sont transformées, générant une nouvelle situation et un nouveau rapport de force. Nous reviendrons dans la dernière partie sur la nouvelle situation post-génocide. Nous voulons ajouter que, sur le déroulement du massacre en lui-même et sur le génocide en général, il existe énormément de documents, analyses, documentaires, livres, … Il est nécessaire de les consulter pour avoir une idée précise de la situation et aussi de tenter de s’imaginer à quelle point la violence à déchiré la région. C’est aussi nécessaire pour tordre le cou aux idées révisionnistes et négationnistes qui ne manquent pas d’émerger chez les nostalgiques du régime de 73.

    Enfin, pour conclure cette partie, nous trouvions nécessaire de publier une analyse conséquente, à l’occasion des 25 ans du génocide, pour pouvoir indiquer la manière dont les marxistes veulent répondre à la situation actuelle en Afrique de l’Est. Comme nous l’avons indiqué dans la première partie, la lutte des classes détermine le cours de l’évolution historique. Dans cette lutte, nous nous basons sur la majorité sociale qui lutte contre l’oppression de la minorité pour répondre aux problèmes et aux contradictions capitalistes. Cette approche exclu donc toute division raciale de la société. Elle met en avant un programme qui vise à l’unité de toute les couches exploitées et oppressées et établit que seule la majorité sociale peut construire une société où les besoins de l’ensemble de la population seront assouvis. Nous appelons cette société le socialisme démocratique.

    Notes :
    (1) http://www.slate.fr/story/152360/article-bienfaits-colonisation-revue-scientifique.
    (2) https://www.nouvelobs.com/politique/20180706.OBS9286/7-ou-8-enfants-par-femme-en-afrique-le-refrain-demographique-de-macron.html.
    (3) https://www.lalibre.be/actu/planete/ne-pas-faire-d-enfant-pour-sauver-la-planete-5bbc5ececd70a16d814e8a16.
    (4) Intellectuel du 19e siècle qui a développé la théorie de la surpopulation.
    (5) https://www.scienceshumaines.com/la-theorie-de-l-effondrement-s-effondre_fr_24958.html.
    (6) Dans la région des Grands Lacs, pour les noms des populations, l’accord au pluriel se fait en ajoutant le préfixe ‘Ba-‘ et, au singulier, ‘Mu-‘. Par exemple, pour un ‘Tutsi’ et un ‘Hutu’, on dira ‘Mututsi’ et ‘Muhutu’.
    (7) Yves Ternon, Rwanda 1994. Analyse d’un processus génocidaire, dans « Revue d’Histoire de la Shoah » 2009/1 (N°190).
    (8) Intermédiaires locaux de l’impérialisme.
    (9) Négociations mises en place sous l’égide de la France dont le motif officiel était de trouver une solution politique à la guerre civile.
    (10) Populations de l’Est de la RDC provenant historiquement de la région qui deviendra l’actuel Rwanda.

    (4) Le rôle de l’impérialisme et la situation post-génocide

    Impérialisme = barbarie

    En 2011, un mouvement révolutionnaire a parcouru l’Afrique du Nord et le Moyen Orient. Les difficultés dans le processus ont conduit une partie de l’opinion publique européenne à soutenir des interventions « humanitaires », notamment en Libye. L’illusion répandue et entretenue alors était que nos Etats avaient un rôle à jouer pour faire advenir la démocratie et le progrès social dans ces régions. Dans les sondages d’opinions de l’époque, une grande majorité soutenait le fait que les pays occidentaux devaient intervenir pour protéger la ville de Benghazi de la répression sanglante de Kadhafi. Une majorité de la social-démocratie et des verts, ainsi que des figures de gauche comme Jean-Luc Mélenchon, se sont rangés derrière une intervention à l’initiative de la France. Même une partie de la gauche marxiste révolutionnaire a abandonné la position internationaliste pour soutenir une intervention impérialiste.

    Aujourd’hui, la Libye est enfoncée dans la guerre civile et la France, contre l’avis même de l’Union Européenne, soutient le général Haftar, un seigneur de guerre barbare, pour défendre ses propres intérêts. La Libye est, dans les faits, démantelée. Et ce n’est pas seulement elle qui est en proie aux forces centrifuges, mais même l’ensemble du Sahel qui a été déstructuré par ces interventions impérialistes. Des groupes terroristes comme AQMI (1) ont créé le chaos pour la population. L’Union européenne, quant à elle, est touchée par la vague de migration issue de la région. Et en son sein, l’incapacité des politiques néolibérales à régler la question de l’accueil de ces réfugiés est instrumentalisée par les populistes de droite et d’extrême droite.

    De manière générale, les aspects humanitaires d’une opération militaire ne sont que de la poudre aux yeux qui masquent le calcul froid et brutal des intérêts d’une petite minorité qui a le pouvoir. La lutte des classes ne se pose pas comme une question morale, mais comme un rapport de force. L’impérialisme ne se soucie pas de la vie humaine ou de la nature. Il se soucie de son approvisionnement, de ses débouchés, de ses zones d’influences et, en dernière analyse, de son taux de profit. Et, cela, quel que soit le coût pour l’humanité et la nature. Pour s’en convaincre, l’étude du génocide rwandais est un cas d’école.

    Au Rwanda, l’impérialisme français a subi une énorme défaite. Mais ça n’a pas été une défaite sans combattre. L’impérialisme a fait tout ce qu’il pouvait pour protéger ses relais sur place. Avant d’entrer en détail dans le développement, il est important de rappeler que si l’impérialisme français a joué un rôle réactionnaire dans ce cas, cela ne veut pas dire que les impérialismes américain et britannique y ont joué un rôle progressiste. Ils avaient juste des intérêts contradictoires. Dans la même période, l’impérialisme américain a notamment mené l’opération Tempête du désert qui sera le prélude à la déstructuration de l’ensemble de la région du Golfe Persique après 10 ans de guerre Iran-Irak. De plus, suite à l’installation du régime de Kagame au Rwanda et la déstabilisation de l’ensemble de la région suivront les deux guerres du Congo (2). Celles-ci verront mourir plusieurs millions de personnes avec notamment le phénomène de viols de guerre massifs. Les USA n’ont pas voulu participer directement à la mission de l’ONU après l’échec de l’opération « Restore Hope » de la Force d’intervention unifiée (UNITAF) en Somalie.

    Le « nouveau Fachoda » : de la Françafrique au Commonwealth

    Les faits datent de 25 ans, mais ça n’est que depuis récemment que du matériel commence à s’accumuler et que certaines langues commencent à se délier. Cela permet de se faire une idée de l’implication de l’Etat français dans la guerre civile et le génocide. Mais énormément de travail reste à faire, dont l’essentiel : se débarrasser de ce système d’exploitation capitaliste qui, pour couvrir ses crimes, travestit la vérité. L’armée française a son honneur couvert de sang par le génocide de 1994. Plusieurs journalistes et militaires en témoignent, comme le lieutenant-colonel Guillaume Ancel qui a récemment sorti un livre, le général Jean Varret qui avait dès les années ’90 avertit sa hiérarchie que les extrémistes du régime voulaient « liquider » les Batutsi, le journaliste Jacques Morel qui a déclaré que « la France a couvé le génocide comme une poule couve ses poussins » (3). Pour avoir une idée de l’implication générale de la France, les documentaires « Rwanda, chronique d’un génocide annoncé » (3) et « Tuez-les tous ! » (4) sont à conseiller.

    En 1990, la France a envoyé un millier soldats sur place pour former, armer et même commander certaines unités opérationnelles des Forces armées rwandaises. Le but étant de maintenir en place un régime avec lequel la coopération avait débuté dès 1973. Jusqu’au bout, l’armée française jouera sa carte. La mission des Nations Unies pour le Rwanda (la MINUAR), avec à sa tête le canadien Roméo Dallaire, avait pour mission de faire tampon entre les deux camps soutenus par des Etats impérialistes différents. Celle-ci avait averti des mois auparavant de la préparation imminente d’un génocide sur base d’informateurs au sein des milices interahamwe (5). Mais, dès que la situation d’affrontement entre les deux factions en présence est montée à son point critique avec l’assassinat de 10 casques bleus belges, la MINUAR s’est retrouvée bloquée par les contradictions de son mandat, laissant le rapport de force déterminer quelle faction l’emportera et la population aux mains des génocidaires. En juin 1994, la France lançait sa fameuse « opération Turquoise », dont faisait notamment partie l’actuel chef d’Etat-major des armées françaises, le général Lecointre. Selon Ancel et d’autres, cette opération militaire française, conçue à la base comme une tentative de sauver in extremis le régime, s’est mué en opération humanitaire face à la médiatisation du massacre et la déliquescence du régime. Cependant, l’armée française a exfiltré tous les hauts dignitaires et responsables vers le Congo voisin (6).

    Certains en tirent la conclusion qu’il faut donner plus de pouvoir aux institutions supranationales et sont, du coup, pour un monde multilatéral et multipolaire. C’est une illusion complète. Quand les puissances impérialistes jugent dans leur intérêt d’adopter une approche multilatérale, elles le font. Si cela contrarie leur intérêt, ils passent outre. L’exemple de la Libye est très parlant. Et si vraiment les institutions supranationales gênent et que les intérêts sont jugés comme étant de vie ou de mort par les puissances impérialistes, alors, s’il faut les sacrifier, elles n’hésitent pas non plus. La récente relance de l’enquête sur la mort de Dag Hammarskjöld en route vers le Congo illustre ce point (7).

    Déchirée par le génocide, une société à reconstruire

    Malgré le soutien de l’impérialisme français, le régime de Habyarimina a perdu la guerre civile. La victoire du FPR a permis de mettre fin au génocide des Batutsi. Cette victoire militaire et l’arrêt de la barbarie meurtrière du Hutu Power a conféré au nouveau régime un crédit et une autorité nationale et internationale importante. D’autant plus que les opposants organisés étaient défaits et en dehors des frontières nationales.

    La prise du pouvoir du FPR n’est cependant pas dénuée de contradictions. Tout d’abord, lors de la campagne militaire, plusieurs membres de l’APR ce sont livrés à des massacres, des représailles voire des actes de crimes de guerres plus classiques (8). Ces massacres auraient continué une fois la victoire militaire établie pour sécuriser le pouvoir récemment acquis et pour permettre l’installation d’anciens réfugiés Batutsi dans certaines régions comme Byumba et Kibungo (9). Ces massacres sont à la base de deux récits réactionnaires : l’un purement négationniste qui nie la réalité du génocide des batutsi et des bahutu modéré ; l’autre qui, sur base de ces massacres, avance la théorie du « double génocide ». Selon cette dernière, des massacres « équivalents » ont été perpétrés par les deux ethnies. Et en mélangeant l’histoire du Rwanda et du Burundi, la confusion peut être créée. Au Burundi, les puissances capitalistes néocoloniales ont misé sur une minorité tutsi pour diriger le pays. Suite à une rébellion de la population et en particulier des bahutu, le régime de Micombero a organisé des massacres de nature génocidaire en 1972. Et en 1993, la crise au Burundi a dégénéré en guerre civile où se sont perpétrés des massacres à caractère génocidaire.

    Même si une partie de ces massacres étaient conditionnés par la haine ethnique, la plupart d’entre eux sont le fait de lutte pour le pouvoir et révèlent l’incapacité de réponse aux besoins sociaux sur base d’un système capitaliste en proie à ses contradictions. La propriété privée des moyens de productions, les terres agricoles en premier lieu, implique que les conflits se soldent en luttes politiques et armées, pour pouvoir disposer de ressources.

    La situation post génocidaire était catastrophique. Le Rwanda est un pays pauvre qui a connu, entre 1989 et 1994 : une crise économique ; un programme d’austérité imposé par le FMI et la banque mondiale ; des épisodes de famines, une guerre civile où différents impérialistes s’affrontent par procuration ; et un génocide. On se trouvait dans une société avec un million de personnes massacrées, des centaines de milliers d’orphelins, et des milliers de femmes contaminées par le sida suite aux viols subis durant la guerre. Et une société qui s’apprêtait à juger plusieurs centaines de milliers de personnes suspectées d’avoir participé aux massacres. Tout devait être reconstruit avec peu de moyen. L’aide internationale se concentra dans un premier temps sur les camps de réfugiés et une grosse partie de cette aide n’arriva même pas directement au Rwanda mais dans la caisse des banques, en remboursement de prêts concédés par la Banque mondiale et la Banque africaine de développement (BAD) (10).

    Les Gacaca, une tentative de réconcilier la société minée par les contradictions de l’Etat en régime capitaliste

    Afin de démasquer les responsables de la préparation et de l’organisation du génocide, et aussi de juger les nombreux suspects, plusieurs instruments ont été mis en place. Au niveau international, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a étudié le cas de près de 100 personnes à Arusha (11). Sur base de sa Loi de compétence universelle de 1993, la Belgique a jugé 4 personnes du Hutu Power (12). Mais la faiblesse de ces institutions est multiple. Tout d’abord, elle ne se concentre que sur des « gros poissons », laissant de côté la masse de suspects pourrissants dans les prisons. Et puis, tout cela a un coût. Le Procès des « quatre de Butare » en Belgique a ainsi coûté plus de 3 millions d’euros. D’autre part, les institutions internationales ne jugent que ce que le rapport de force leur permet de juger. À ce jour, aucun membre du FPR ayant perpétré des actes de crime de guerre n’a été jugé. De plus, très vite, la Belgique a abrogé la version forte de sa Loi de compétence universelle, sous pression américaine, suite au conflit en Irak (13). Du coup, cela fait dire à certains observateurs que la justice internationale ne jugent que des Africains, ce qui affaibli son autorité. C’est évidemment une mauvaise formulation, mais dans le fond la justice que nous connaissons est tributaire des contradictions de classe de la société et donc dépendantes des rapports de forces entre les classes. Cela limite le potentiel de rendre une justice qui permette une vrai réconciliation.

    Au niveau du Rwanda, l’autorité judiciaire c’est concentrée sur les organisateurs, ceux qui ont tués des enfants et ceux qui ont commis des viols. Les moyens dévolus à la justice ne permettaient pas de faire beaucoup plus. Mais l’élément limitant principal est que si l’on veut retracer l’histoire du génocide on doit pouvoir raconter l’histoire récente du Rwanda de manière libre. Or, on le sait, l’histoire est écrite par les vainqueurs. Ces derniers n’ont pas d’intérêt à ce que leur règne de classe soit dévoilé.

    Pour les présumés coupables de crime de génocide des autres catégories, une institution originale s’est mise sur pieds : les Gacaca. Ces juridictions communautaires sont la version moderne d’une vieille tradition et institution de règlement des conflits dans la société rwandaise avant la période de colonisation. Les Gacaca ont jugé plus de 1,2 millions d’affaires et 2 millions de personnes de 2005 à 2012. Le bilan de ces jugements est mitigé (14). Le président Kagame a présenté ces tribunaux communautaires comme étant des « solutions africaines à des problèmes africains ». Cette manière de formuler les choses est souvent une justification pseudo-panafricaine de l’injustice et de la dictature. En effet, comme nous avons pu le montrer plus haut, ce qui s’est passé au Rwanda en 1994 et avant cela ne relève pas d’une problématique « strictement » africaine mais bien d’une situation où les rapports de forces internationaux et nationaux sont intrinsèquement liés.

    Au-delà des critiques, force est de reconnaître qu’après un tel déchirement, au sein d’un système capitaliste qui se nourrit de la division et qui n’est prêt à sortir les budgets que lorsque c’est profitable pour les élites économiques et politiques, ou lorsque la pression de mouvements de masse le leur impose, réconcilier la société est impossible. Il aurait fallu mettre les moyens nécessaires pour assurer une prise en charge matérielle et psychologique des victimes et mettre en place des institutions qui forment adéquatement les personnes impliquées dans la justice communautaire, ce qui implique d’investir dans l’enseignement et l’éducation populaire. Il aurait aussi fallu réparer les dégâts de la guerre civile et du génocide en reconstruisant tout ce que cette période avait détruit. Seul un plan démocratiquement discuté par l’ensemble de la population pouvait y faire face. Un plan faisant un état des lieux des besoins sociaux, répartissant de manière égalitaire les terres et orientant les moyens économiques vers la réponse aux besoins et non vers le remboursement des bailleurs. Et seul le cadre d’une société socialiste démocratique permettrait la mise en place de ces éléments.

    Notes :
    (1) Al-Qaïda au Maghreb islamique, anciennement GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat).
    (2) 1996-1997 et 1998-2003.
    (3) « Rwanda, chronique d’un génocide annoncé », Reporters, reportage long format de France 24, 5 avril 2019.
    (4) « Tuez-les tous ! (Rwanda : Histoire d’un génocide « sans importance ») », Raphaël Glucksmann, David Hazan et Pierre Mezerette, 27 novembre 2004.
    (5) Milice créée en 1992 par le régime de Habyarimana. Celle-ci a pris part aux massacres qui ont eu lieu au cours du génocide. Une partie de leurs forces ont été exfiltrées par la France dans l’Est du Congo, où elles résident toujours.
    (6) https://www.lemonde.fr/international/article/2018/03/15/guillaume-ancel-nous-devons-exiger-un-reel-controle-democratique-sur-les-operations-militaires-menees-au-nom-de-la-france_5271448_3210.html.
    (7) Ancien secrétaire général de l’ONU dont l’avion s’est écrasé dans des circonstances suspectes. https://www.lalibre.be/actu/international/un-pilote-belge-m-a-confie-avoir-tue-le-secretaire-general-de-l-onu-hammarskjold-5c3b54ccd8ad5878f0fc194d.
    (8) https://www.liberation.fr/evenement/1996/02/27/rwanda-executions-massives-de-hutus-dans-l-ombre-du-genocide-des-tutsis_161810.
    (9) Colette Braeckman, Les Nouveaux prédateurs: Politique des puissances en Afrique centrale, Aden Belgique, 2009, p.235.
    (10) Idem, p.238.
    (11) Pour en savoir plus à ce sujet : http://unictr.irmct.org/fr/tribunal.
    (12) https://www.liberation.fr/planete/2001/04/17/la-belgique-juge-quatre-genocideurs-rwandais_361579.
    (13) https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_il-y-a-15-ans-la-belgique-abrogeait-sa-loi-de-competence-universelle?id=9988443.
    (14) https://www.hrw.org/fr/report/2011/05/31/justice-compromise/lheritage-des-tribunaux-communautaires-gacaca-du-rwanda.

    (5) Les contradictions actuelles du Rwanda et la réponse des marxistes

    Le Rwanda post-génocide voit l’arrivée au pouvoir du Front patriotique rwandais (FPR). Afin de maintenir la stabilité de son régime, le FPR lutta contre les divisions ethniques héritées de l’ancien régime. La mention de l’ethnie fut retirée de la carte d’identité, les écoles furent ouvertes à tous et les orphelins furent dispensés de minerval. Mais les contradictions du régime capitaliste ont rendu bancale la reconstruction de la société. L’aide internationale n’est pas arrivée jusqu’aux victimes dans les villes et villages. La mémoire politique du génocide a été confisquée par le régime. D’une part pour faire taire toute opposition en interne et d’autre part pour discréditer la communauté internationale lorsque celle-ci se met en tête de critiquer le régime : celui-ci peut à tout moment agiter le spectre de l’implication impérialiste ou de l’inaction d’autres durant le génocide.

    La détribalisation de la société n’a pas abouti à un partage démocratique du pouvoir. En fait, de nouvelles contradictions ont émergé. Les batutsi autour de Kagame qui avaient émigré en Ouganda ont repris le pouvoir. Et afin d’établir leur pouvoir sur une autre base que l’ethnisme, ils ont transformé la société. Cela a abouti en 2009 à l’adhésion du pays au Commonwealth (1). Alors que la langue parlée par la majorité des rwandais, outre le kinyarwanda, était le français, tout a été fait pour que l’anglais devienne la langue de l’enseignement supérieur et de l’administration. Cela a permis de favoriser les réfugiés tutsi anglophones proches du régime.

    Paul Kagame, l’homme fort du Rwanda

    Directement après la fin du génocide, sur base des accords d’Arusha, un gouvernement d’union nationale est créé autour du président Pasteur Bizimungu (2), avec Faustin Twagiramungu (3) comme Premier ministre et Paul Kagame comme ministre de la défense et vice-président. Malgré ce soi-disant partage du pouvoir, c’est bien le FPR et Kagame qui tenait les rênes. En 2000, après la démission de Pasteur Bizimungu, Kagame deviendra président de la république.

    Paul Kagame est, depuis, le dirigeant inamovible du Rwanda. Il a réussi à stabiliser le nouveau régime et à s’attirer les bonnes grâces des dirigeants états-uniens, canadiens et britanniques dans un premier temps. Cela lui a permis de bénéficier de l’afflux d’investissements directs étrangers mais aussi de fonds d’aide au développement colossaux. Kagame a réussi à se présenter comme « l’homme de la situation ». Il a réussi à donner une image d’un Rwanda moderne et réconcilié : la parité hommes-femmes est respectée à la Chambre des députés ; la lutte contre la corruption est intraitable, surtout contre les ennemis du régime ; la capitale Kigali est bien entretenue et sécurisée ; la lutte contre les déchets et l’interdiction du plastique datent de 2004 (4).

    Ce statut d’homme fort, Paul Kagame le doit aussi et surtout à la manière dont il traite toute opposition. Il n’hésite pas à liquider ses opposants au Rwanda même, mais aussi à l’extérieur du pays et notamment en Afrique du Sud où se sont réfugiés une partie des récents opposants à son régime (5). Une journaliste canadienne a dû être placée sous la protection de la Sûreté de l’État belge car elle était menacée par des mercenaires rwandais pour ses enquêtes (6). Après l’accession de Kagame à la présidence de la République, l’ancien président Bizimungu sera emprisonné par le régime entre 2004 et 2007 « pour considérations politiques » et ne devra sa libération qu’à une grâce présidentielle (7). L’ancien Premier ministre Twagiramungu deviendra lui aussi un opposant au régime, dont il dénoncera l’hégémonie du « parti unique FPR » (8). Cette hégémonie, Kagame a su manœuvrer pour la construire, comme en témoigne la modification de la Constitution en 2015, basée sur un référendum largement remporté par le régime. Cela lui a permis de se présenter aux élections présidentielles au-delà des deux mandats jusqu’alors autorisés, qui allaient se terminer en 2017. Dès lors, s’il est élu, Kagame pourra ainsi rester à la fonction suprême jusqu’en 2034, après cinq mandats consécutifs… (9)

    La manière dont Kagame a stabilisé le régime est aussi parlante. Afin que les ex-génocidaires ne reprennent pas pieds au Rwanda, le FPR a été mener la guerre au Congo voisin en appuyant le changement de régime lors de la chute de Mobutu en 1997. Prenant pieds dans l’Est du Congo, il a profité de sa situation militaire pour exploiter les minerais et les terres congolaises, avec les multinationales états-uniennes, britanniques et canadiennes. Cela a contribué aux deux guerres dans l’Est du Congo et aux massacres qui y ont pris place. Cela a aussi contribué à la déstabilisation de l’ensemble de la région dont l’Ouganda et le Rwanda se disputent l’hégémonie (10).

    Le Rwanda, élève modèle du FMI

    Grâce à la stabilité retrouvée et au développement économique, le Rwanda est considéré actuellement comme l’élève modèle du Fonds monétaire international (FMI), ce qui se solde par des lignes de crédit qui sont renouvelées pour le pays (11). Les chiffres de l’économie Rwandaises impressionnent, avec un taux de croissance à 7% sur base annuelle. Le Rwanda de Kagame sait très bien vendre son image et arrive même à investir dans le « softpower », par exemple en achetant un encart publicitaire sur la manche du maillot de l’Arsenal Football Club (12).

    Mais cela ne doit pas masquer les contradictions qui dorment sous la surface de l’économie rwandaise. Il est vrai que le Rwanda a connu en 2018 une croissance du PIB de 8,6% et près de 8% en moyenne depuis le début du siècle, selon les chiffres du FMI. Il s’agit d’une croissance élevée, en partie due à un phénomène de rattrapage, après des années de difficultés profondes. Mais c’est aussi une croissance stimulée par de gros investissements étrangers, et par l’exploitation des « minerais du sang » dans l’Est du Congo (13). Il faut en outre nuancer : en 2018, le PIB du pays était de 9,5 milliards de dollars pour une population de plus de 12 millions d’habitants, ce qui pousse le PIB par habitant à près de 800 dollars par personne, et donc un revenu d’environ 2,2 dollars par jour (14). Et ce n’est qu’une moyenne, calculée mécaniquement. On le voit : tout reste à faire, d’autant plus que la répartition des richesses reste fondamentalement inégalitaire.

    Il y a eu tout un tas de discussions sur la réduction de la pauvreté constatée sous le régime Kagame. En août 2019, le Financial Times annonçait que le Rwanda avait en 2015, année de modification constitutionnelle, manipulé ses statistiques sur la pauvreté (15). Et les chiffres récents tendent à penser que les inégalités ne se sont pas réduites, mais ont augmentées. Il semble même que l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) ait dû procéder à des distributions alimentaires dans certaines régions du pays afin d’éviter la famine (16). 37% des enfants Rwandais souffrent de malnutritions chroniques. Dans les campagnes, la « révolution verte » préconisée par le FMI se révèle être catastrophique (17). 70% des parcelles sont de moins de 1 hectare (18), ce qui ne permet pas d’assurer la subsistance d’une famille.

    Cela illustre un processus de morcellement des terres qui ne fait que s’accroitre au fil de l’évolution du nombre de la population. Les contradictions de la propriété privée sur les terres agissent dans les deux sens : d’une part la concentration et d’autre part le morcellement. La combinaison des deux processus entraîne des conflits fonciers qui augmentent les tensions parmi la population rurale.

    D’un autre côté, on assiste à une urbanisation importante de la société. Le phénomène a été jusqu’ici sous-évalué. Il semble que la part de la population urbaine soit de 26,5% en 2015, contre 15,8% en 2002 (19).

    Quelle couche sociale et quel système pour régler les contradictions ?

    On le voit, les contradictions sociales n’ont pas disparu dans la société rwandaise. Le nouveau régime ne peut pas jouer sur les questions « ethniques » pour maintenir son pouvoir, comme cela a pu être fait auparavant. Le régime d’Habyarimana basait sa légitimité sur le fait qu’il représentait le « peuple majoritaire hutu ». Cette division ethnique de la société avait pour but d’écarter les batutsi des postes de pouvoir sans répondre réellement aux critères de représentations démocratiques de base. Le régime de Kagame, qui est issu des couches aristocratiques d’ancien régime, n’a aucun intérêt à reprendre ces théories pour se maintenir.

    L’embrigadement de la population dans la haine ethnique ne semble pas être à l’ordre du jour au Rwanda. Cela ne veut pas dire que cette question est réglée à tout jamais. L’ancien régime de Habyarimana a été vaincu mais pas éliminé. Grâce au soutien militaire de la France et du régime de Mobutu, ils se sont installés dans l’Est du Congo. Ils sont encore organisés, principalement au sein des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), et disposent de ressources importantes via l’exploitation des minerais tels que coltan, wolframite et tungstène. Au Rwanda, à court terme, le risque de retourner dans les conflits ethniques est faible mais, sur base des contradictions de la société rwandaise et de l’ensemble de la région, il ne peut être écarté. Les FDLR sont une des sources de déstabilisation dans la région. Pour les affaiblir, la nationalisation et le contrôle démocratique des richesses minières par la majorité sociale est la seule alternative.

    Nous pensons tout de même qu’une catastrophe de l’ampleur de 1994 n’est pas le scénario le plus probable à court terme, dans le Rwanda d’aujourd’hui. D’une part parce que les rapports de forces actuels ne le permettent pas, d’autre part parce qu’après le génocide de 1994, les bourgeoisies nationales et internationales ne permettront pas de jeter leur autorité aux abîmes comme ce fut le cas en 1994. Néanmoins, des contradictions sont toujours présentes sous la stabilité affichée en surface. Les conflits fonciers font rage dans toute la région : au Rwanda, au Burundi, au Congo dans la province d’Ituri et en Ouganda. Cela sur fond d’inégalités sociales et de maintien de régimes dictatoriaux. Dans ce genre de situation, les forces centrifuges et les divisions sur bases ethniques peuvent trouver un terreau fertile.

    Reste les deux questions essentielles : quelle couche sociale peut faire face à la situation, et avec quel programme ? Il faut bien sûr placer ceci dans le contexte de nouvelles vagues de crises économiques sur le plan mondial. Dans une récente étude sur la désindustrialisation dans le monde néocolonial, le Centre tricontinental (CETRI) (20) nous livre quelques éléments de réflexion intéressants : « (…) la part de l’industrie dans l’emploi global comme dans le revenu national commence à diminuer à des niveaux de revenu par habitant beaucoup plus bas que pour les pays riches : 700 dollars par habitant en Afrique ou en Inde, contre 14 000 dollars en Europe occidentale. (…) « de nombreux pays, sans être sortis d’un sous-développement industriel, deviennent des économies de services bas de gamme ou de qualité moyenne à faible productivité, via l’explosion des activités dites informelles » » (21).

    Les auteurs poursuivent, dans la préface de leur analyse, concernant les conséquences de cette désindustrialisation au niveau social et démocratique : « Donc oui, la désindustrialisation précoce apparaît à nos auteurs comme une évolution négative (…). Au-delà des considérations économiques (…), le « développement » sans industrie présente généralement des caractéristiques régressives sur les plans social, démocratique et environnemental. (…) Le travail dans les manufactures est par ailleurs plus propice au développement du syndicalisme et de la capacité d’action collective des secteurs populaires face aux oligarchies économiques et politiques. » (22).

    Ces conclusions sont très importantes pour la présente discussion car elles tirent des leçons politiques sérieuses :

    • La crise mondiale du capitalisme est liée au fait qu’il a cessé de développer les forces productives de l’humanité. Empêtré dans ses contradictions, il continue d’exploiter de manière délétère les deux seules sources de richesse : le travail humain et la nature.
    • Sous le capitalisme, les régions qui sont sous-développées en terme industriel ne pourront pas arriver à établir des régimes politiques où les normes démocratiques de bases sont respectées. Dans beaucoup de pays en Afrique, des élections sont organisées de manières régulières. Ces périodes sont souvent des périodes d’instabilités et le fait même d’organiser le scrutin est une victoire du mouvement social. Mais l’organisation d’élections à elle seule ne garantit pas forcément la démocratie. En fait, seule la maîtrise de la politique économique peut garantir une réelle démocratie. Comment peut-on parler de démocratie dans une zone où l’accès à l’eau, l’alimentation, l’électricité, le logement et la formation n’est pas garanti. Pour arriver à réaliser cela, le mouvement social doit pouvoir s’organiser et mener des actions collectives. Beaucoup de droits démocratiques de base manquent dans les pays néocoloniaux : liberté d’opinion, liberté de presse, droit d’association, droit de mener des actions collectives, reconnaissance du fait syndical, inviolabilité du domicile, droit à ne pas être détenu sans motif, droit à un procès équitable. Cela entrave la capacité de résistance et d’action collective.
    • Seule la classe ayant un caractère ouvrier constitue la couche capable de répondre à ces défis. Elle peut le faire du fait de sa position dans le système de production. Le mouvement ouvrier ne possède pas de capital et, pour survivre, ne peut que vendre sa force de travail à des propriétaires de capitaux qui en retirent une plus-value. La position unique occupée par les ouvriers dans la chaîne de production leur confère la capacité de bloquer le processus de production lors d’un bras de fer avec leur patron ou avec les autorités. En partageant cette condition commune d’exploitation et cette capacité d’impact sur l’économie, les prolétaires développent des pratiques de solidarité et de luttes collectives contre leur exploitation. En Angleterre, à partir de 1830, le mouvement « chartiste » mettait en avant des revendications démocratiques pour résoudre les problèmes socio-économiques auxquels la classe ouvrière faisait face. La bourgeoisie a durement réprimé ces mouvements, révélant ainsi son caractère anti-démocratique. C’est aussi une leçon qui illustre que les revendications socio-économiques et démocratiques sont inextricablement liées. C’est sur base de ce genre d’expériences que la théorie et le programme socialiste ce sont développés.
    • Concernant la nature, la désindustrialisation entraîne une re-primarisation de l’économie qui a des conséquences économiques et écologiques tragiques. La position de l’Afrique dans la chaîne de valeur mondiale en fait une zone qui produit des matières premières et se base surtout sur le secteur primaire. Ce sont des secteurs tels que le pétrole, les mines, l’agriculture qui sont exploités de manière capitaliste, c’est-à-dire sans vision à long terme et de manière prédatrice sur l’environnement. Le but est de générer des profits en vendant les matières premières aux bourgeoisies des pays capitalistes avancés qui vont tirer la plus grande partie de la plus-value. Les exemples actuels les plus tragiques concernent la déforestation et les feux de forêts. La concentration des terres agricoles productives dans ce secteur et le morcellement des terres entraîne une pression énorme sur le foncier. Cela conduit à une déforestation qui se fait sur base d’abattis-brûlis, une méthode agricole qui, dans ce contexte, se révèle tragique pour l’environnement. Afin de répondre aux besoins sociaux, il faudrait un plan d’investissement et de production qui nécessite une infrastructure industrielle, quoiqu’en pensent certains écologistes qui aujourd’hui se prononcent contre ce genre d’approche.

    Les tâches du mouvement ouvrier et des socialistes

    Une partie du mouvement ouvrier essaye de maintenir les leçons de l’expérience des luttes collectives. La théorie socialiste, qui est le résumé de 200 ans de luttes de la classe ouvrière contre son exploitation, est riche d’enseignement pour tout qui cherche des alternatives au régime capitaliste. Malgré les bonnes conclusions des auteurs précédemment cités, force est de constater qu’elles ne vont pas assez loin. En effet, quel est l’intérêt pour la bourgeoisie locale au Rwanda et dans la région de développer un secteur d’activité économique qui sera son propre fossoyeur, si ce n’est qu’elle soit poussée par la concurrence ?

    On se retrouve en fait à l’étape de la discussion dans laquelle se sont retrouvés les militants du mouvement ouvrier socialiste en Russie avant la révolution de 1917. Pour la plupart des marxistes à cette époque, la révolution ouvrière en Russie n’était pas possible du fait de l’arriération économique du pays. La révolution devait « obligatoirement » débuter dans un pays industriellement avancé. Une révolution bourgeoise devait « obligatoirement » avoir lieu au préalable en Russie, pour accomplir les tâches nécessaires afin de pouvoir réaliser le développement des forces productives qui installent les bases d’une future société socialiste.

    Trotsky avait répondu à cela dès 1905 avec sa théorie de la « révolution permanente » (23). Au niveau international, les conditions sont mûres pour une révolution socialiste. Le mouvement ouvrier dans les pays arriérés industriellement doit donc prendre sur ses épaules les tâches « bourgeoises » et « ouvrières » de la révolution, dans le même mouvement. Mais ce type de révolution ne peut réussir que si elle commence sur l’arène nationale et se termine sur l’arène internationale. Pour ce faire, la classe des travailleurs et des opprimés a besoin de partis ouvriers organisés nationalement mais aussi internationalement, pour l’aider dans sa prise de pouvoir.

    Le développement d’une classe ouvrière jeune et urbaine au Rwanda est une opportunité qu’il faut saisir pour construire ce genre d’organisation de classe dans la région. Évidemment ce processus de construction de forces révolutionnaires n’est pas linéaire et dépend dans une certaine mesure de la préexistence de forces révolutionnaires qui se donnent ces tâches et se construisent elles-mêmes. C’est dans ce sens que le PSL, avec son organisation internationale, veut contribuer à la lutte dans la région.

    Notes :
    (1) http://www.rfi.fr/contenu/20091129-le-rwanda-le-commonwealth.
    (2) Membre du FPR. Son oncle, colonel des Forces armées rwandaises (FAR), avait été assassiné par le régime Habyarimana suite à des luttes de fractions.
    (3) Membre du Mouvement démocratique républicain (MDR) et beau-fils du président de la première République Grégoire Kayibanda, qui avait été déposé par le régime de Habyarimana.
    (4) https://www.nouvelobs.com/planete/20180525.OBS7239/comment-le-rwanda-est-devenu-le-premier-pays-d-afrique-a-se-debarrasser-du-plastique.html.
    (5) https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/01/21/assassinat-de-l-ex-chef-des-renseignements-rwandais-des-liens-entre-les-suspects-et-kigali_5412364_3212.html.
    (6) https://www.rtl.be/info/monde/international/menacee-par-des-agents-rwandais-une-journaliste-canadienne-a-beneficie-de-la-protection-de-la-surete-de-l-etat-en-belgique-745142.aspx.
    (7) https://www.lemonde.fr/afrique/article/2007/04/06/l-ancien-president-rwandais-pasteur-bizimungu-a-ete-libere_892928_3212.html.
    (8) https://www.jeuneafrique.com/58929/archives-thematique/faustin-twagiramungu/.
    (9) https://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/12/19/le-rwanda-vote-la-revision-de-la-constitution-permettant-un-nouveau-mandat-pour-kagame_4835071_3212.html.
    (10) https://www.liberation.fr/planete/2000/07/21/kisangani-ville-martyre-de-l-occupation-etrangere_330760.
    (11) https://afrique.latribune.fr/economie/conjoncture/2017-01-09/le-rwanda-eleve-modele-selon-le-fmi.html.
    (12) https://www.jeuneafrique.com/563591/politique/polemique-sur-le-sponsoring-darsenal-par-le-rwanda-londres-reagit/.
    (13) « En 2010, les exportations d’or, de coltan et de cassitérite par le Rwanda ont atteint plus de 30 % de ses exportations, derrière le thé et le café. Le Rwanda ne possède pourtant ces minerais qu’en infime quantité. » Lu dans : https://www.lepoint.fr/monde/les-minerais-du-sang-passent-par-le-rwanda-05-01-2011-126866_24.php. A lire également : https://www.franceinter.fr/emissions/geopolitique/geopolitique-03-aout-2018.
    (14) https://donnees.banquemondiale.org/pays/rwanda.
    (15) Financial Times, « Rwanda: where even poverty data must toe Kagame’s line », 12/08/2019, https://www.ft.com/content/683047ac-b857-11e9-96bd-8e884d3ea203. A lire en français sur : https://www.france24.com/fr/20190813-rwanda-manipulation-statistiques-pauvrete-economiques-financial-times?fbclid=IwAR1NgeOeX7g9Kfyx_c5MRQv3LFLLekbQ8HgSBskNESgHWpJE83h0cFVZnU0&ref=fb_i.
    (16) http://www.rfi.fr/afrique/20180606-miracle-mirage-rwandais-chiffres-economie-pauvrete-kagame.
    (17) https://www.alimenterre.org/rwanda-bilan-mitige-pour-la-revolution-verte.
    (18) https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/06/14/au-rwanda-une-revolution-verte-a-marche-forcee_5315138_3212.html.
    (19) https://www.banquemondiale.org/fr/country/rwanda/publication/leveraging-urbanization-for-rwandas-economic-transformation.
    (20) Fondé en 1976 et basé à Louvain-la-Neuve (Belgique), le Centre tricontinental est un « centre d’étude, de publication, de documentation et d’éducation permanente sur le développement et les rapports Nord-Sud » (cetri.be).
    (21) CETRI, « Quêtes d’industrialisation au Sud », coll. Industrialisation – Alternatives Sud, coord. François Polet, XXVI – 2019 n°2, 06/2019, p. 9.
    (22) Idem, p. 11.
    (23) « (…) 2. Pour les pays à développement bourgeois retardataire et, en particulier pour les pays coloniaux et semi-coloniaux, la théorie de la révolution permanente signifie que la solution véritable et complète de leurs tâches démocratiques et de libération nationale ne peut être que la dictature du prolétariat, qui prend la tête de la nation opprimée, avant tout de ses masses paysannes. (…) 10. La révolution socialiste ne peut être achevée dans les limites nationales. Une des causes essentielles de la crise de la société bourgeoise vient de ce que les forces productives qu’elle a créées tendent à sortir du cadre de l’Etat national. D’où les guerres impérialistes d’une part, et l’utopie des Etats-Unis bourgeois d’Europe d’autre part. La révolution socialiste commence sur le terrain national, se développe sur l’arène internationale et s’achève sur l’arène mondiale. Ainsi la révolution socialiste devient permanente au sens nouveau et le plus large du terme: elle ne s’achève que dans le triomphe définitif de la nouvelle société sur toute notre planète. (…) » Dans : Léon Trotsky, La révolution permanente, « Qu’est-ce que la révolution permanente (thèses) ». A lire sur : https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/revperm/rp10.html.

  • Stop au massacre génocidaire !

    Le désastre humanitaire à Gaza est insoutenable et l’extrême droite veut aller encore plus loin

    Netanyahou et son gouvernement d’extrême droite restent inflexibles. Ils poursuivent leur carnage et bloquent l’acheminement de l’aide humanitaire. Plus de 100 personnes ont été tuées lors du bombardement israélien d’un convoi humanitaire dans la ville de Gaza à la fin du mois de février. A droite, il y en a qui se permettent de prétendre que le régime israélien “défend les valeurs démocratiques”, à l’image de Bart De Wever. Et les centaines d’enfants tués ? Et la famine qui s’abat sur les nouveaux-nés ?

    La catastrophe humanitaire en cours est insoutenable. Les gens mangent de l’herbe et la malnutrition est terrifiante. Les médecins soulignent que plus aucun bébé ne naît avec un poids normal. La réaction du terrorisme d’État israélien ? L’hôpital Al Shifa de Gaza a de nouveau été pris d’assaut à la mi-mars. Les livraisons d’aide ont été interrompues et des centres de distribution d’aide ont même été bombardés. Même Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères, doit bien admettre que la famine est utilisée comme une arme de guerre.

    Pendant ce temps, la répression militaire à Gaza et en Cisjordanie continue de s’intensifier et de s’organiser. La construction de milliers de nouvelles maisons pour les colons israéliens en Cisjordanie est planifiée. À Gaza, le régime israélien construit une large route pour diviser complètement le nord et le sud du territoire. Une attaque terrestre à grande échelle sur Rafah, où s’entassent 1,2 million de Palestiniens, couperait entièrement le flux d’aide déjà insuffisant.

    Si cela dépend de l’extrême droite, toute la population palestinienne devrait disparaître de la bande de Gaza. Le Ministre des Finances et ministre délégué à la Défense Bezalel Smotrich dit depuis des années qu’il veut « aider les Palestiniens à partir ». Pour ceux qui ne veulent pas partir, il a d’autres solutions : « Soit je leur tire dessus, soit je les mets en prison, soit je les déporte. » Cette rhétorique génocidaire est de plus en plus transformée en actes. Il faut être clair : l’extrême droite israélienne encourage le génocide et le met même de plus en plus en pratique.

    L’indignation mondiale, la colère et la solidarité de masse avec les Palestiniens ont forcé les gouvernements à se montrer prudemment critiques. Leurs appels à mettre fin à l’offensive contre Gaza, à mettre en place des largages aériens et le ponton américain (qui ne serait là que dans deux mois au mieux) sont hypocrites, car parallèlement, le soutien militaire, économique et financier à Israël se poursuit.
    Seule une résistance de masse, dans la région et au niveau international, de la part du mouvement ouvrier, de la jeunesse et de toutes les personnes opprimées, peut arrêter ce processus génocidaire. Cela renforcerait également le mouvement anti-guerre opprimé et encore isolé au sein même d’Israël. Pour exiger quoi ? Un cessez-le-feu immédiat, suivi de la fin de l’occupation et du droit des Palestiniens à leur propre État.

    Nous nous opposons aux profiteurs de guerre, y compris en Belgique. Des entreprises comme OIP et Challenge jouent un rôle dans la fourniture d’armes. D’autres, comme Volvo et Cemex, fournissent des machines pour démolir des maisons ou construire des colonies. Solvay et IBM fournissent des équipements pour espionner les civils palestiniens. Belfius, KBC, Degroof Petercam et Ackermans & Van Haaren investissent des centaines de millions d’euros dans des entreprises impliquées dans les colonies israéliennes. Ces entreprises démontrent à quel point la logique capitaliste de profits alimente le bain de sang génocidaire. Cela souligne à quel point la lutte contre l’occupation est également une lutte contre le capitalisme.

    Intensifions notre action ! Il y a déjà eu des actions contre Challenge, Elbit ou encore au port d’Anvers. La licence d’exportation de PB Clermont a déjà été (provisoirement) retirée sous cette pression. Le syndicat indien des dockers a annoncé qu’il ne chargerait ni ne déchargerait plus de cargaisons d’armes à destination d’Israël.

    Ce qui se passe actuellement à Gaza trouve son origine dans des décennies d’occupation et de blocus par l’État capitaliste raciste d’Israël, dans l’exploitation de la main-d’œuvre arabe et juive et dans l’oppression nationale, le vol des terres et la négation du droit des Palestiniens à l’autodétermination.

    Nous lions le combat pour un cessez-le-feu permanent à la lutte pour la reconstruction de la Palestine. Cela nécessite des investissements collectifs massifs dans les soins de santé (y compris psychologiques), l’éducation, les services, la réhabilitation des quartiers pollués, la construction massive de logements et d’infrastructures de toutes sortes… sous contrôle démocratique afin d’éviter la corruption.
    Il y a suffisamment de ressources dans les poches de l’élite capitaliste régionale et impérialiste, qui s’enrichit par l’exploitation (néo)coloniale, l’industrie de l’armement et au détriment de l’autodétermination des peuples de la région. Imaginez que les ressources locales puissent être contrôlées démocratiquement et utilisées par la collectivité pour garantir l’égalité de toutes les nations et de tous les peuples avec de bonnes conditions de vie !

    Telle est l’alternative socialiste pour laquelle le PSL et Alternative Socialiste Internationale (ASI) se battent à travers le monde. Prenez contact avec nous et rejoignez-nous pour défendre une société socialiste et internationaliste !

  • Gaza. La CGSP Brugmann mobilisée contre les attaques sur les hôpitaux et la population civile

    Les membres du personnel de l’hôpital, à l’appel de la CGSP, se sont rassemblés hier pour exprimer leur colère et solidarité avec celles et ceux victimes aujourd’hui de bombardements permanents et de manque de moyens pour soigner la population civile qui en a atrocement besoin.

    Nous reproduisons ici leur communiqué de presse ainsi que leurs photos de cette inspirante action de solidarité.

    Cette initiative vise à dénoncer les attaques dévastatrices dont font l’objet les hôpitaux de Gaza, et qui ont pour conséquences directes des souffrances inhumaines infligées à la population civile privée de tout soins.

    Les agressions sans relâche de ces dernières semaines sur les installations médicales de Gaza ont atteint un niveau de cruauté insoutenable. Plusieurs rapports officiels indiquent que des hôpitaux, lieux de refuge et de premiers soins pour les blessés et les malades, ont été sciemment ciblés, entraînant des pertes en vies humaines parmi la population civile et le personnel médical qui continue malgré tout à œuvrer sans relâche. Cette attaque inacceptable contre le droit à la santé est une atteinte à notre humanité commune et une violation flagrante du droit international.

    Nous estimons, en effet, qu’il est aujourd’hui impératif que la communauté internationale prenne des mesures immédiates et décisives pour mettre fin à ces atrocités. Pour nous, le silence équivaut à de la complicité avec ces actes de barbarie. Il est donc temps de travailler activement à un cessez le feu immédiat et la fin du siège de Gaza.

    En tant que syndicat engagé dans la lutte pour la justice, pour la souveraineté des peuples et pour le respect des droits humains, nous nous tenons aux côtés de la population palestinienne dans sa quête de liberté, de dignité et de paix.

    Notre organisation syndicale soutient et protège cet idéal de fraternité international, défendant la paix, l’unité et la solidarité entre les peuples. Et c’est dans cette solidarité universelle que réside notre force et notre espoir pour un avenir meilleur pour tout un chacun. Ensemble, nous sommes plus forts et nous disons non à l’oppression et à la guerre !

    Contact presse :

    Karim Brikci, permanent CGSP Brugmann – GSM 0485933756

  • Des milliers de personnes participent à nouveau à la grande manifestation pour Gaza à Bruxelles

    Continuer à parler de ce qui se passe à Gaza, c’est absolument crucial. C’était largement partagé par les plus de 10.000 manifestants venus renforcer la manifestation de ce dimanche à Bruxelles. Il s’agissait déjà de la cinquième manifestation nationale et la colère reste bien entendu énorme. Alors que nous semblons être au bord d’une invasion terrestre à Rafah, il est plus que jamais nécessaire de descendre dans la rue.

    Netanyahou et son gouvernement d’extrême droite ne bougeront pas. Ils poursuivent leur campagne sanglante et bloquent les livraisons d’aide. Plus de 100 personnes ont été tuées lors du bombardement israélien d’un convoi d’aide dans la ville de Gaza à la fin du mois de février. La semaine dernière, au moins 29 personnes ont été tuées lorsque des coups de feu ont été tirés sur un centre de distribution d’aide à Gaza. La droite affirme que le régime israélien défend les valeurs démocratiques et se trouve du côté des lumières, comme l’a dit Bart De Wever il y a quelques mois. Comment concilier ça avec les dizaines d’enfants morts et de bébés mourant de malnutrition ? Même Josep Borrell, Vice-président de la Commission européenne, doit bien admettre que la famine est utilisée comme une arme de guerre.

    Pendant ce temps, la répression militaire à Gaza et en Cisjordanie continue de s’intensifier et de s’organiser. Par exemple, il est prévu de construire des milliers de nouvelles maisons pour les colons israéliens en Cisjordanie. À Gaza, le régime israélien construit une large route pour diviser complètement le nord et le sud du territoire. Si cela dépend de l’extrême droite, toute la population palestinienne devrait disparaître de Gaza.

    Heureusement, le mouvement international de protestation contre cette politique se poursuit. Bien sûr, il n’est pas possible de manifester par centaines de milliers chaque semaine pendant des mois, mais la protestation reste remarquablement forte après cinq mois. La manifestation de Bruxelles a rassemblé plus de 10.000 participants ; il s’agissait d’une longue chaîne de solidarité avec le peuple palestinien et de colère face au désastre humanitaire et à la terreur de l’État israélien.

    Comme nous l’avons noté dans le tract du PSL à destination de cette manifestation, seule une résistance massive, dans la région et au niveau international, de la part du mouvement ouvrier, de la jeunesse et de tous les opprimés, peut arrêter ce processus génocidaire. Cela renforcerait également le mouvement anti-guerre opprimé et encore isolé en Israël. Pour exiger quoi ? Un cessez-le-feu immédiat, suivi de la fin de l’occupation et du droit des Palestiniens à leur propre Etat.

    Nous nous opposons aux profiteurs de guerre, y compris en Belgique. Ainsi, une action est en préparation à Namur pour exiger la fin des licences d’exportation vers Israël d’armes et d’équipements destinés à l’offensive et à l’oppression des Palestiniens. Poursuivre la mobilisation et ne pas laisser tomber les bras, tel est le message. La manifestation de Bruxelles a montré le potentiel pour une telle action.

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  • Les régimes et les forces oppressifs ne sont pas nos alliés dans la lutte contre l’oppression et l’exploitation

    Le président américain Joe Biden a déclaré lors de sa dernière campagne électorale qu’il voulait mettre fin aux « guerres éternelles » au Moyen-Orient. La réalité l’a rattrapé. Les liens étroits qu’entretiennent les États-Unis avec le terrorisme d’État israélien et la large solidarité populaire avec les victimes palestiniennes contribuent à l’escalade régionale et affaiblissent la position de l’impérialisme américain.

    Par Geert Cool, article tiré de l’édition de mars de Lutte Socialiste

    Les Houthis au Yémen lient leurs actions au sort du peuple palestinien, en partie en réponse à leur propre impopularité croissante. Les attaques contre les routes commerciales que sont la mer Rouge et le canal de Suez ont un impact majeur. En janvier, le volume de marchandises traversant la mer Rouge était inférieur de 80% à ce qu’il était auparavant. L’itinéraire plus long le long de l’Afrique du Sud implique des coûts et des délais supplémentaires, ce qui a entraîné une baisse de 25% du nombre de navires accostant dans les grands ports tels qu’Anvers, Rotterdam, Hambourg et Bremerhaven en janvier. Bombarder les Houthis dans le nord du Yémen n’y changera rien. Après des années de bombardements par l’Arabie saoudite voisine, les opérations militaires américaines et britanniques font pâle figure.

    Pendant ce temps, les tensions augmentent dans le reste de la région. Au moins 170 attaques ont déjà été menées par des milices chiites contre des cibles militaires américaines en Irak, en Syrie et en Jordanie. Après une attaque qui a tué trois soldats en Jordanie, l’armée américaine a lancé des attaques en représailles contre les milices en Irak et en Syrie. Par ailleurs, fin janvier, des bombardements iraniens ont eu lieu sur le territoire pakistanais et vice-versa, visant officiellement des militants nationalistes du Baloutchistan dans chaque cas. Cela a abouti à une désescalade rapide entre le Pakistan et l’Iran, mais cela montre à quel point les confrontations militaires peuvent rapidement avoir une expansion régionale.

    Ni l’impérialisme américain ni le régime réactionnaire religieux-conservateur iranien ne souhaitent une nouvelle « guerre perpétuelle » l’un contre l’autre. Pour les États-Unis, l’armée iranienne est un adversaire d’un autre calibre que les Houthis au Yémen ou les milices soutenues par l’Iran en Irak et en Syrie. Une guerre ouverte avec les États-Unis serait par ailleurs un choc en Iran et pourrait menacer la position fragile de ce régime régulièrement confronté à des mobilisations de masse. D’un autre côté, il existe déjà des éléments d’escalade régionale et rien ne peut être exclu dans cette «ère du désordre».

    Comme les Houthis, le régime iranien et ses alliés comme le Hezbollah au Liban tentent d’invoquer le sort des Palestiniens persécutés et exterminés à Gaza. Ils évoquant «l’axe de la résistance» et peuvent ainsi compter sur une certaine sympathie, jusque dans les manifestations de solidarité avec les masses palestiniennes où la médiatique confrontation entre les Houthis et l’impérialisme américain peut être présentée comme un combat de David contre Goliath. L’histoire d’un siècle de lutte palestinienne contre le colonialisme, le sionisme et l’oppression montre cependant que les régimes réactionnaires de la région n’ont jamais représenté des alliés fiables. Comment le régime iranien, qui opprime et persécute durement son propre peuple, pourrait-il jamais obtenir la libération des masses palestiniennes? La vague de protestation féministe massive en Iran après la mort de la jeune femme kurde Jina Amini en septembre 2022 a montré que la lutte contre l’oppression doit également être dirigée contre ce régime.

    Lorsque Biden appelle le gouvernement Netanyahou à la prudence, cela n’a rien à voir avec une soudaine découverte d’humanité, mais tout à voir avec la pression de l’élection américaine. L’opinion publique rejette de plus en plus explicitement une politique militaire qui persécute et extermine une population entière, détruit toute l’infrastructure et le secteur des soins de santé, et ce au nom de la « civilisation démocratique ». Les crimes de guerre n’ont rien de civilisé.

    Seule la lutte de masse des peuples opprimés peut offrir une issue. C’est de cette façon qu’apparaissent de manière limpide qui sont nos alliés et qui ne le sont pas. Les manifestations de masse contre le massacre de Gaza exercent une pression qui s’est reflétée dans les procédures devant la Cour internationale de justice de La Haye. Dans les manifestations de masse, la solidarité s’accroît. Lors des manifestations, les féministes et les activistes queer apportent leur soutien, tandis que des délégations de solidarité palestinienne ont participé à des manifestations féministes ou à des actions en faveur du climat. Il est essentiel d’étendre cette solidarité au mouvement ouvrier.

    La libération de l’oppression et de l’exploitation ne sera jamais l’œuvre de régimes et de forces oppressifs, mais de la classe ouvrière et de la majorité opprimée de la population, sur base de l’auto-organisation et de la lutte une transformation de toute la société.

  • Les féministes anticapitalistes socialistes contre le massacre génocidaire à Gaza : intensifions la modilisation internationale!

    Féministes socialistes contre la guerre, l’impérialisme et le capitalisme : pour la libération nationale et sociale de la Palestine, pour la fin de toutes les formes d’oppression et de “diviser pour régner”

    Cette année, à l’occasion de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, nous nous mobilisons pour intensifier la lutte contre la guerre génocidaire contre Gaza, contre l’armement et le soutien impérialiste au capitalisme israélien ainsi que contre le siège de Gaza et l’occupation. 

    À l’heure où nous écrivons ces lignes, même l’étape insuffisante d’un cessez-le-feu temporaire n’a pas encore été franchie. Au contraire, les menaces d’extension de l’invasion à Rafah et d’escalade de l’offensive en une guerre régionale continuent de souligner les dangers de catastrophes encore plus horribles. Les attaques génocidaires du régime israélien ont déjà massacré plus de 30.000 personnes à Gaza – dont une majorité de femmes et d’enfants – et des milliers de personnes sont portées disparues sous les décombres. Le régime israélien impose des conditions de famine, les mères n’ayant plus de lait pour nourrir leurs enfants, des centaines de milliers de femmes menstruées et enceintes ayant été contraintes d’accoucher dans les décombres, tandis que des familles et des communautés entières ont été décimées ou déplacées dans des tentes, dans le froid, exposées à la propagation rapide de maladies. 

    L’assaut génocidaire contre Gaza se développe parallèlement à l’escalade de l’agression militaire et coloniale en Cisjordanie et à Jérusalem-Est occupée, à l’accélération du nettoyage ethnique dans cette région – ainsi que dans le Naqab/Negev – et à la discrimination et la répression politique suffocantes dans les territoires de 1948, y compris la chasse aux sorcières nationaliste à laquelle sont confrontés les Palestinien.ne.s. Tout cela fait partie d’un pic historique d’oppression nationale brutale et d’expropriation du peuple palestinien. Simultanément, la lutte pour mettre fin à l’assaut sanglant et à l’oppression des Palestinien.ne.s fait également partie intégrante de la lutte internationale pour la libération contre l’oppression de genre. 

    Ce n’est pas seulement parce que la catastrophe actuelle tue, blesse et pousse femmes et jeunes filles dans des conditions de survie horribles, ou parce que l’occupation met en danger la vie et le bien-être de centaines de milliers de femmes et de jeunes filles, mais aussi parce que, de manière générale, le même système qui a engendré le désastre historique actuel est responsable de la perpétuation et de l’aggravation de l’oppression de genre et des difficultés de vie des femmes de la classe travailleuse et des femmes pauvres à l’échelle mondiale. Le féminisme socialiste repose sur la lutte contre l’oppression et l’exploitation partout de même que sur la lutte de la classe travailleuse en faveur d’une alternative socialiste au système en crise des classes dirigeantes. La lutte contre l’assaut israélien sur Gaza et l’occupation ainsi que contre ses soutiens impérialistes fait partie intégrante de la lutte contre le système capitaliste impérialiste mondial qui perpétue violence, guerres et domination.

    L’oppression nationale, le colonialisme et l’impérialisme engendrent et normalisent la violence sociale et la misogynie. Nous nous opposons à toute utilisation du viol et des agressions sexuelles comme arme de guerre. Des rapports font état de soldats de l’occupation israélienne et de gardiens de prison agressant sexuellement des Palestinien.ne.s, ainsi que de colons et de soldats israéliens attaquant des Palestinien.ne.s en Cisjordanie. Les violences sexuelles commises par le Hamas et d’autres milices lors de l’attaque du 7 octobre ont été cyniquement exploitées de manière démagogique et manipulatrice par les représentants de l’État israélien pour justifier les horreurs que l’attaque génocidaire de l’État israélien a infligées au cours des cinq derniers mois. Le rapport scandaleux du New York Times n’a pas été publié par empathie pour les victimes israéliennes d’abus sexuels, mais plutôt pour justifier le soutien du Times à la guerre génocidaire, alimentant potentiellement aussi des tropes islamophobes et racistes. 

    Cependant, comme l’ont souligné les organisations féministes palestiniennes opérant dans les territoires de 1948, il convient de croire les rapports crédibles (tels que celui de Physcians for Human Rights) faisant état de violences sexuelles à l’encontre de femmes et de jeunes filles israéliennes le 7 octobre et de s’opposer sans équivoque aux actions décrites, parallèlement à d’autres méthodes réactionnaires, telles que le meurtre et l’enlèvement de femmes, de jeunes filles et d’autres personnes. Cela est également nécessaire du point de vue de la lutte de libération palestinienne face au terrorisme d’État israélien. Ces méthodes et programmes réactionnaires ne peuvent pas ébranler l’occupation israélienne. Cela le renforce au contraire dans son assaut sanglant contre les Palestinien.ne.s. Les féministes ne doivent pas ignorer les autres oppressions, mais doivent s’opposer partout au terrorisme d’État israélien, à la destruction, au déplacement de population, aux meurtres, à la torture, à la violence sexuelle ainsi qu’à la violence d’État et des colons de toutes sortes.

    Dans le monde entier, les femmes ont joué un rôle de premier plan dans la lutte contre l’oppression nationale, le colonialisme et l’impérialisme. Les femmes font partie intégrante de la lutte pour la libération nationale palestinienne depuis ses débuts dans la Palestine d’avant 1948, au fil des décennies, et surtout pendant la première Intifada. Les femmes palestiniennes se sont organisées, ont manifesté et se sont battues contre l’oppression du régime israélien. Ces dernières années, les femmes palestiniennes ont été au premier plan des Marches du retour de 2018 à Gaza, ainsi que de la manifestation de masse intercommunautaire et de la grève des femmes contre le féminicide dans les territoires de 1948, auxquelles ont participé des femmes palestiniennes-arabes et israéliennes-juives. La grève de la dignité de 2021 fut une démonstration de force puissante qui a vu la participation de Palestinien.ne.s de tous les genres.

    Aujourd’hui, dans le cadre de cette guerre génocidaire, de ce nettoyage ethnique et de cette oppression nationale, des femmes de Gaza et des Palestiniennes de tous âges ont héroïquement survécu à ce qui ne peut être décrit que comme l’enfer sur Terre. À l’échelle internationale, des millions de personnes sont descendues dans les rues pour manifester leur solidarité. Ces dernières années, au niveau mondial et dans l’ensemble du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, les femmes ont pris la tête de manifestations et de révoltes contre l’oppression, qu’il s’agisse du soulèvement “Femmes, vie, liberté” en Iran qui a éclaté à la suite du meurtre brutal de Jina Mahsa Amini, une jeune femme kurde, par la “police de la moralité”, ou des mouvements en Tunisie, au Soudan, au Liban et dans d’autres pays encore. La région est particulièrement touchée par la crise capitaliste, l’inflation et l’explosion des prix des denrées alimentaires, ainsi que par la catastrophe climatique.

    Comment mettre fin à la guerre génocidaire

    Nous appelons les syndicats à travers le monde à reprendre à leur compte la demande des syndicats palestiniens du 16 octobre de mettre fin à toute complicité, d’arrêter d’armer Israël et d’aller plus loin dans l’action de solidarité de masse. 

    Au cours des derniers mois, nous avons assisté à des manifestations et des protestations de masse dans le monde entier :

    • Des mobilisations de masse ont vu le jour du Royaume-Uni au Yémen en passant par l’Afrique du Sud.
    • Des structures syndicales belges ont appelé leurs membres à refuser de manutentionner du matériel militaire à destination d’Israël.
    • Aux États-Unis et au Canada, les manifestations ont bloqué l’expédition de matériel militaire vers Israël. 
    • En Inde, une fédération syndicale représentant les travailleurs de 11 grands ports du pays a déclaré qu’elle refusait de manutentionner des armes à destination d’Israël.
    • Plusieurs manifestations ont eu lieu en Egypte, y compris tout récemment de la part de centaines de journalistes, demandant l’arrêt de l’offensive et du siège de Gaza, de même que l’ouverture du point de passage de Rafah. Des manifestations de milliers de personnes, ainsi que des marches vers la frontière, ont également été organisées en Jordanie. Ces régimes, qui craignent pour leur stabilité et leurs intérêts dans le cadre de leurs collaborations stratégiques avec l’occupation israélienne et l’impérialisme américain, ont répondu par une répression brutale des manifestations et aussi sur les réseaux sociaux.

    Ces actions des travailleurs doivent être organisées de manière plus systématique afin de bloquer efficacement la machine de guerre israélienne. Tous les syndicats doivent intensifier cette lutte ! Ne laissons pas les régimes impérialistes qui soutiennent les attaques génocidaires d’Israël s’en tirer en faisant comme si de rien n’était. 

    Organisons-nous pour mettre fin à la guerre génocidaire, à l’impérialisme et au colonialisme, un combat lié à la lutte anticapitaliste et en faveur des droits des femmes et des personnes LGBTQIA+.  Nous luttons pour la vie, la libération et le bien-être des gens ordinaires dans le monde entier, pour mettre fin à l’occupation, au siège et à l’oppression nationale du peuple palestinien, et pour stopper l’intervention impérialiste au Moyen-Orient et la menace d’une guerre régionale.

    Pour mettre fin à la guerre génocidaire à Gaza et obtenir une véritable libération palestinienne, la solidarité régionale et internationale est nécessaire. Cependant, nos véritables alliés dans la région sont les travailleurs, les pauvres et les opprimés et non les tribunaux internationaux, l’ONU ou les gouvernements réactionnaires de la région.

    Une action de masse dans toute la région est nécessaire pour mener à bien ce projet, ainsi qu’une solidarité et une action internationales de masse. C’est pourquoi nous appelons à faire de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes une journée d’action contre l’offensive et l’occupation israéliennes, une lutte également à poursuivre après le 8 mars.

    Ce que nous défendons

    Les institutions internationales et les gouvernements capitalistes occidentaux ont une fois de plus illustré qu’ils acceptent les attaques génocidaires afin de préserver les intérêts de leurs classes dirigeantes. De Milei en Argentine à l’AfD en Allemagne, l’extrême droite ainsi que divers gouvernements exploitent la situation pour attiser criminellement le racisme et l’islamophobie et justifier l’horrible massacre. La lutte féministe socialiste contre l’impérialisme doit prendre en charge la lutte contre l’islamophobie, l’antisémitisme et toute forme de racisme et de division afin de construire une résistance tangible contre la menace de l’extrême droite.

    Les féministes socialistes n’ont aucune confiance envers les institutions internationales telles que la Cour internationale de Justice, l’ONU ou les puissances capitalistes occidentales. En laissant les attaques génocidaires se poursuivre, en réduisant le financement de l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) et en armant activement la machine de guerre israélienne, les gouvernements et les institutions capitalistes ont prouvé à maintes reprises que leur façade de démocratie est creuse lorsque leurs intérêts économiques et stratégiques sont en jeu. Dans le meilleur des cas, certains se contentent d’un soutien symbolique. Quoi qu’il en soit, ils ne mettront pas fin à l’occupation et à l’oppression profondément enracinée des Palestinien.ne.s et continueront à s’en prendre aux femmes et à la classe travailleuse, poussant le monde vers de nouvelles catastrophes.

    La complicité continue des régimes arabes bourgeois face au carnage incessant du peuple palestinien souligne, une fois de plus, qu’aucune consolation ni solution ne peut venir de ces régimes oppressifs, autoritaires et corrompus. Les paroles creuses des élites dirigeantes de la région à l’encontre du régime israélien ne font que refléter la pression sociale qu’elles subissent – elles s’inquiètent de l’effet que cela aura sur leur propre stabilité. 

    Ces régimes ne sont pas les amis des opprimé.e.s. De nombreux pays du Moyen-Orient et du Golfe appliquent encore des lois qui imposent l’obéissance des femmes à leur mari, les empêchent de se déplacer librement, de voyager à l’étranger ou de travailler sans l’autorisation d’un tuteur masculin. Les Houthis au Yémen, qui prétendent défendre le peuple palestinien par leurs attaques en mer Rouge, étouffent également les droits des femmes dans leur pays, notamment en renforçant les lois sur la tutelle masculine, mais aussi par des politiques de droite pro-capitalistes désastreuses. 

    Les impérialismes russe et chinois ne constituent pas une alternative. Nous nous trouvons aux côtés des travailleurs, des femmes, des personnes LGBTQIA+ et des luttes de libération nationale qui se battent contre ces régimes brutalement oppressifs. L’occupation israélienne et les régimes impérialistes occidentaux utilisent cyniquement l’idéologie réactionnaire du Hamas pour justifier leurs attaques contre tou.te.s les habitant.e.s de Gaza, y compris les femmes palestiniennes et les personnes LGBTQIA+, parfois même en utilisant hypocritement une rhétorique “pro-femmes”. Mais comme la répression du soulèvement “Femmes, vie, liberté” par le régime iranien brutal l’a montré une fois de plus, les postures des régimes d’oppression barbares en tant que champions des personnes opprimées ne sont rien d’autre que de cyniques paroles en l’air.

    L’Autorité palestinienne, attaquée et en proie à une grave crise financière provoquée par le régime d’occupation, a réprimé les manifestations palestiniennes et s’est révélée être un sous-traitant de l’occupation israélienne. Bien que considéré par certains comme une alternative “militante” à l’AP contrôlée par le Fatah, le Hamas, basé sur une idéologie islamiste de droite pro-capitaliste, a finalement démontré que son programme et ses méthodes constituent une impasse dans la lutte contre le siège de Gaza, l’occupation et l’oppression. Le Hamas ne s’appuye pas sur une lutte indépendante et démocratique des masses palestiniennes et de la classe travailleuse en tant qu’agents du changement social. L’attaque du 7 octobre menée par le Hamas reposait sur un effet de choc visant à mobiliser des puissances capitalistes. Elle ne visait pas la mobilisation de la force révolutionnaire potentielle des masses palestiniennes. Le Hamas aspire à un État autoritaire sur le modèle de la dictature iranienne, ce qui serait désastreux pour le peuple palestinien, en particulier pour les femmes et les personnes LGBTQIA+. La seule voie viable pour la libération nationale et sociale des Palestinien.ne.s passe par une lutte de masse indépendante, organisée démocratiquement, comprenant des comités populaires élus qui pourraient aider à organiser des actions et une défense armée dans le meilleur intérêt du mouvement. Nous sommes en faveur d’une nouvelle intifada populaire et démocratique ainis que pour l’intensification des mobilisations et des actions de solidarité internationale.

    Nous luttons pour mettre fin à la guerre et pour renverser le régime de siège, d’occupation et d’oppression. Nous appelons à un échange “tou.te.s contre tou.te.s” et à la fin des enlèvements et des incarcérations de masse de Palestinien.ne.s. Nous demandons l’arrêt de tout soutien impérialiste à l’occupation et l’arrêt des attaques contre l’UNRWA. Toutes les forces militaires et étatiques israéliennes doivent impérativement quitter Gaza et la Cisjordanie. Il faut mettre un terme aux projets de colonisation ainsi qu’à toutes les politiques discriminatoires et racistes qui soutiennent la logique du nettoyage ethnique de masse de la Nakba de 1948. Nous luttons pour la pleine égalité et la libération pour tou.te.s : pour des investissements publics massifs dans la reconstruction complète des communautés d’une Gaza libre et de toutes les communautés de la région touchée par la crise et la guerre, sur base démocratique. La classe dirigeante israélienne, les riches oligarchies de la région et les classes dirigeantes des puissances impérialistes mondiales doivent en supporter les coûts financiers. 

    Nous sommes pour la libération nationale et sociale du peuple palestinien. Ne prêtons aucune confiance aux discours des impérialistes qui prétendent soutenir un État palestinien alors qu’ils veulent poursuivre l’oppression nationale sous d’autres formes, par le biais d’une Autorité palestinienne “revue”, c’est-à-dire d’un Etat fantoche dans el meilleur des cas.

    Pour lutter efficacement en faveur d’une véritable libération pour tou.te.s, nous devons construire une alternative politique, une lutte révolutionnaire reposant sur un programme politique féministe socialiste. La lutte contre l’oppression fait partie de la lutte nécessaire pour renverser le capitalisme et l’impérialisme et pour construire une société socialiste qui ne laisse personne de côté. Nous luttons pour renverser tous les régimes oppresseurs, dans le cadre d’une lutte pour une transformation socialiste dans la région, afin de permettre l’utilisation démocratique des vastes ressources de la région dans le but de garantir de bonnes conditions de vie et une égalité entre toutes les nations, comprenant donc le droit à l’autodétermination ainsi que le droit au retour. 

    Les femmes de la classe travailleuse ont toujours joué un rôle essentiel dans tous les mouvements anti-guerre de l’histoire. Faisons de cette journée internationale de lutte pour les droits de femmes une démonstration de force dans la lutte contre la guerre génocidaire à Gaza et poursuivons la lutte pour la libération nationale palestinienne après le 8 mars. Nous devons peser de tout notre poids dans la lutte contre la guerre et l’occupation – et contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression !

  • Argentine : Javier Milei et sa politique d’austérité rencontrent une résistance immédiate

    Les forces de la réaction se sont sans aucun doute senties renforcées lorsque Javier Milei a remporté les élections présidentielles en Argentine en novembre dernier. Se décrivant comme un “anarcho-capitaliste”, l’ancien animateur de télévision a promis de passer à la tronçonneuse le secteur public avec une série de privatisations chocs et de mesures d’austérité.

    Par Darragh O’Dwyer, Alternative Socialiste Internationale

    Trois mois après le début de sa présidence, l’assaut de Milei contre les masses a déclenché des vagues de protestations et une grève générale. Ce n’est encore qu’un avant-goût des confrontations majeures qui se profilent à l’horizon.

    La faillite du péronisme et l’ascenssion de Milei

    Comment un tel personnage a-t-il pu devenir le président ayant reçu le plus de votes de l’histoire de l’Argentine ? Milei est en définitive le produit des crises économiques, sociales et politiques du capitalisme. Comme beaucoup de monstres d’extrême droite vomis par le système au cours de la période récente, il s’est appuyé sur une rhétorique anti-élite, s’en prenant à “la caste” qui constitue l’establishment politique. Il a même arboré avec cynisme le slogan “que se vayan todos !” (débarrassez-vous d’eux tous), le cri de ralliement de l’Argentinazo, une révolte de masse des travailleurs, des jeunes et des opprimés qui a secoué le pays sud-américain en 2001.

    Durant sa campagne, ses principales cibles étaient les forces du péronisme. Le gouvernement réformateur de centre-gauche d’Alberto Fernandez, élu en 2019, s’est contenté de gérer un capitalisme argentin en pleine déliquescence et a assisté à l’appauvrissement total des masses. À la fin de son mandat, le taux de pauvreté avait grimpé à 40 %, l’inflation atteignait 160 % et la dette extérieure s’élevait à 400 milliards de dollars (dont 110 milliards de dollars dus au seul FMI). À l’image des tendances observées ailleurs, l’échec du réformisme a créé un terrain propice au développement de l’extrême droite.

    L’opposant péroniste de Milei, Sergio Massa, a été ministre de l’économie de 2022 à 2023. Il a été considéré à juste titre comme responsable de la crise actuelle. En fait, une grande partie des quelque 11,5 millions de personnes qui ont voté pour Massa l’ont fait en se bouchant le nez, en choisissant le “moindre mal”. Si la base sociale la plus solide de Milei est constituée par les sections les plus réactionnaires de la classe moyenne, il a également obtenu un soutien important de la part d’une couche de travailleurs et de jeunes désireux de porter un coup au statu quo. Malheureusement, l’absence d’une alternative de gauche de masse capable de canaliser leur rage dans une lutte organisée contre le capitalisme a permis à “El Loco” de s’engouffrer dans la brèche.

    Cependant, la victoire de Milei ne représente pas une défaite totale pour la classe ouvrière et les opprimés. Au contraire, l’offensive sociale réactionnaire de Milei et l’intensification de la répression étatique peuvent être considérées comme une réponse aux mouvements titanesques qui ont ébranlé les fondements mêmes du capitalisme argentin au cours des deux dernières décennies. Après tout, l’Argentine est le berceau de la lutte héroïque “ni una menos” contre la violence machiste, le premier pays d’Amérique latine à avoir obtenu l’égalité en matière de mariage et également la patrie de la très combative “marea verde” (marée verte) qui s’est battue bec et ongles pour finalement obtenir le droit à l’avortement en 2020. Sans parler du mouvement radical “piquetero”, un mouvement de chômeurs, et des traditions combatives qui existent plus largement au sein du mouvement ouvrier.

    Non seulement Milei veut détourner la colère des véritables causes de la misère sociale, mais en s’attaquant au droit à l’avortement, en réduisant l’aide aux survivant.e.s de violence de genre et en lançant des tirades transphobes contre “l’idéologie du genre”, il veut soumettre et démoraliser les couches les plus radicales de la société argentine. Cela permettrait de créer les conditions politiques nécessaires à la mise en œuvre de son programme économique.

    Les contradictions au sein de la classe dirigeante

    Néanmoins, Milei est confronté à de multiples défis pour consolider ce qui ressemble à un régime stable. Son parti, Libertad Avanza, créé en 2021, ne dispose que de 38 sièges au Congrès, ce qui l’oblige à rechercher l’alliance avec la droite traditionnelle. La candidate à la présidence Patricia Bullrich, qui a soutenu Milei après l’avoir perdu au premier tour, a été récompensée par le poste de ministre de la sécurité et dirige avec enthousiasme la répression des droits démocratiques. Luis “Toto” Caputo, ministre des finances sous le gouvernement de droite détesté de Marcio Macri, est désormais ministre de l’économie. Le fait que Milei ait composé son cabinet avec une grande partie de la “casta” traditionnelle a mis à mal toute prétention de légitimité “anti-establishment”.

    Certains secteurs de la bourgeoisie ont été mis mal à l’aise par l’instabilité potentielle que les politiques économiques radicales de Milei pourraient provoquer. En effet, pour gagner la confiance du plus modéré Caputo, il a mis en veilleuse ses projets de dollarisation de l’économie, perdant ainsi le soutien de ses conseillers les plus intransigeants. De même, la décision de Milei de se retirer des BRICS et de poursuivre un alignement stratégique sur Washington est un casse-tête pour les capitalistes de l’agro-business qui ont intensifié leurs échanges avec le Brésil et la Chine. D’un autre côté, le FMI a applaudi les mesures de Milei, les qualifiant “d’audacieuses” et de “bien plus ambitieuses” que celles de ses prédécesseurs.

    Premier revers pour Milei, mais la bataille continue

    Dans son discours d’investiture du 10 décembre, Milei a clairement indiqué qu’il “n’y a pas d’alternative possible à l’austérité”. Le 20 décembre, il a tenu ses promesses et est allé de l’avant avec son “mégadécret”, qui modifie plus de 300 lois, en s’attaquant au droit de grève, en réformant le travail et en interdisant le contrôle des loyers. Il a également présenté au congrès sa loi “omnibus”, un ensemble de plus de 600 nouveaux textes législatifs qui font partie du plan d’austérité de choc de Milei.

    Le jour même où Milei a annoncé le décret, les masses ont immédiatement répondu par un cacerolazo : les coups de casseroles ont résonné dans les quartiers ouvriers de Buenos Aires et des villes du pays. Alors que l’économie continue de s’enfoncer, Milei perd 1 % de soutien par jour. La demande de la fédération syndicale CGT d’appeler à une grève nationale a commencé à circuler et à gagner du terrain. Finalement, la pression de la base a contraint les dirigeants syndicaux à convoquer une journée de grève générale le 24 janvier. 1,5 million de personnes y ont participé dans tout le pays, les travailleurs étant rejoints par les piqueteros, les groupes féministes et les assemblées de quartier.

    La grève générale, associée à des manifestations, a contraint à l’abandon du projet de loi omnibus. Il s’agit d’une première victoire significative contre le gouvernement, mais qui doit être consolidée dans le cadre d’un plan de bataille global visant à vaincre Milei. Un tel mouvement doit être contrôlé démocratiquement par la base et non géré d’en haut par les partis péronistes et la bureaucratie syndicale. De cette manière, de nombreux partisans de Milei issus de la classe ouvrière pourront être libérés de son influence et leur colère pourra être canalisée dans une lutte qui s’attaquera réellement à l’élite capitaliste.

    La gauche trotskiste organisée au sein du Front de Gauche des Travailleurs – Unité (FIT-U) doit fournir une direction active – il ne suffit pas d’avoir des députés ou de participer à la lutte. La crise du péronisme et l’intensification de la lutte des classes offrent l’opportunité de construire un outil politique de gauche qui aille au-delà de la simple unité électorale et qui serve à offrir une alternative politique à la crise avec un programme socialiste. Cet outil doit se battre pour inclure non seulement les militants de gauche, mais aussi les milliers de personnes qui sont actives dans la lutte, mais en dehors des rangs de la gauche organisée.

    Une occasion majeure de mener à bien cette tâche se présente ces semaines-ci. Suite à la défaite du projet de loi omnibus, l’attaque contre le droit à l’avortement s’est intensifiée. La Journée internationale de lutte pour les droits des femmes du 8 mars sera donc une journée de lutte cruciale pour résister à l’offensive de Milei.

    Les assemblées féministes qui se tiennent pour préparer le 8M sont très nombreuses et impliquent même la participation de certains syndicats. Mais il est nécessaire que les confédérations syndicales appellent à une grève générale le 8M pour donner une continuité à la lutte contre les mesures d’austérité du gouvernement. Alternative Socialiste Internationale – Argentine est active dans ce mouvement, soutenant que la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes de cette année doit pleinement embrasser ses traditions socialistes et ouvrières dans le cadre du combat contre Milei et le système capitaliste qui l’a engendré.

  • De la Palestine au Congo, les femmes en première ligne dans la lutte anti-guerre 

    La récente décision de l’État israélien d’attaquer Rafah est un tournant dévastateur pour les Palestinien.ne.s. Considéré comme le « dernier refuge » pour la population, Rafah accueille 1,4 million de personnes fuyant la guerre. 

    Par Laura (Bruxelles), article tiré de l’édition de mars de Lutte Socialiste

    Cette attaque alourdit considérablement le nombre déjà important de décès, s’élevant, au moment de la rédaction, à 28.340 personnes dans la bande de Gaza, dont plus de 5.350 enfants. Les femmes et les enfants représentent 70% des personnes touchées par les bombardements (blessés compris). À Gaza, 7 femmes meurent toutes les deux heures, un bilan aggravé chaque jour de façon atroce. La bande de Gaza est aujourd’hui l’endroit le plus dangereux au monde pour un enfant et un cauchemar pour les femmes enceintes. 

    Victimes, certainement, mais pas uniquement. Beaucoup de mythes entourent les femmes dans les conflits armés. Perçues exclusivement comme victimes, leur rôle actif a souvent été volontairement caché. Loin d’être de simples spectatrices ou victimes passives, les femmes ont joué et continuent de jouer un rôle crucial dans la résistance à travers le monde, y compris dans des zones de conflit telles que la Palestine. 

    La guerre exacerbe les violences faites aux femmes  

    La valeur de la vie humaine perdant de son importance en temps de guerre augmente encore les violences subies par les plus vulnérables. Dans tous les conflits, la menace de violences sexuelles est utilisée comme arme de guerre, de nombreux cas de viols et mutilations de Palestiniennes ont été rapportés dans les prisons. Les violences au sein des foyers explosent durant chaque conflit, car l’accès à un accompagnement psychologique nécessaire en cas de crise est réduit, voire inexistant. 

    En détruisant les structures de santé, l’accès aux soins maternels est aussi rompu. Depuis le 7 octobre, on estime que 50.000 femmes seraient enceintes. Elles doivent accoucher dans des conditions dangereuses et des césariennes ont lieu sans anesthésie.  Elles doivent quitter l’hôpital directement après l’accouchement alors qu’il s’agit du moment où le risque de complications est le plus élevé.  

    Le chemin de l’exil, quand celui-ci est possible, est quant à lui synonyme de vulnérabilité, de précarité et de violences. 

    L’engagement des femmes dans les conflits armés  

     Vivant plus lourdement les atrocités de la guerre, les femmes ont toujours été en première ligne dans les mouvements contre celle-ci.  

    En Palestine, dès 1948, elles se sont opposées à l’occupation israélienne. En 1987, elles ont joué un rôle essentiel dans le mouvement de résistance lors de la première Intifada : elles ont occupé les rues, elles ont créé et participé à des comités pour organiser les mobilisations et les grèves. Comités qui leur ont permis de se pencher sur les conséquences du sexisme.

    La perception du rôle de la femme a évolué également, elles ont rempli de nouveaux rôles au sein de la famille, ont été davantage à la recherche d’emploi rémunéré afin de subvenir aux besoins de la famille, occupant plus l’espace public. Elles ont par ailleurs joué un rôle d’aide aux blessé.e.s, ont caché des militant.e.s recherché.e.s, livré des médicaments,…  

    Malheureusement, l’évolution de leur statut a été remise en cause dès le début des années 90 en raison de facteurs multiples tels que la répression militaire israélienne, le développement du Hamas et l’imposition de son idéologie réactionnaire… Non représentées au niveau politique, leur rôle fut considérablement impacté lors de la seconde Intifada – où les attentats-suicides ont pris le pas sur la mobilisation de masse – même si elles continuaient à prendre des initiatives lorsque cela était possible.

    Aujourd’hui encore, aux quatre coins du monde, des mouvements de femmes s’organisent dans une véritable lutte anti-guerre. En Russie, plusieurs dizaines de groupes féministes militants se réunissent et sont actifs dans au moins 30 villes, appelant à la fin de la guerre, à une solidarité internationale et apportant leur soutien aux victimes ukrainiennes, et ce, malgré la lourde répression qui sévit. Elles demandent également qu’il soit mis fin aux tentatives de Poutine d’attaquer leurs droits et ceux des personnes LGBTQIA+ sous couvert de guerre, comme l’abolition récemment annoncée du droit à l’avortement. 

    En République Démocratique du Congo, où se déroule actuellement le plus gros génocide depuis la Seconde Guerre Mondiale, les femmes s’impliquent dans les négociations avec les groupes armés pour éviter certaines attaques sur les civils en mettant leur vie en danger. Grâce à leurs réseaux d’informations, des militantes permettent à des familles de rentrer chez elles, mais aussi aident les autorités militaires à débusquer les rebelles qui se déguisent en civil.  

    Occupons les rues le 8 mars en solidarité avec les femmes de Gaza et d’ailleurs ! 

    La guerre exacerbe les inégalités de genre et fait reculer de nombreuses années d’acquis en matière de droits humains. Elle est inconciliable avec les valeurs et les objectifs essentiels du mouvement féministe et LGBTQIA+, mais aussi ceux de la classe des travailleur.euse.s toute entière. Le 8 mars, est une date symbolique dans la lutte contre toutes les formes d’oppression et contre le système capitaliste qui les engendre. 

    Clara Zetkin, avec d’autres femmes socialistes, est à l’origine de la Journée internationale de lutte pour les droits des femmes. Ce sont des femmes révolutionnaires qui ont organisé la première conférence socialiste internationale en 1915 pour organiser leur opposition à la guerre. Et c’est le 8 mars 1917 que des dizaines de milliers d’ouvrières russes, rejointes par les travailleurs, ont manifesté à Petrograd pour réclamer du pain et la fin de la guerre. Cet événement a marqué le début de la révolution russe et a joué un rôle dans la fin de la Première Guerre mondiale. Descendons, nous aussi, dans les rues pour dénoncer chaque forme de discrimination et leur utilisation pour diviser la majorité de la population au profit des plus puissants. Nous y défendrons la nécessité d’une société basée sur les besoins et les capacités de chacun : une société socialiste. 

  • Palestine/Israël, quelques leçons de l’histoire de l’oppression des masses palestiniennes

    Contre l’impasse de l’impérialisme, l’issue de la classe travailleuse

    C’est un véritable enfer qui continue de s’abattre sur Gaza. En à peine plus de trois mois, approximativement 1,5% de la population a été tuée, pourcentage similaire à celui des personnes qui ont trouvé la mort en France durant les cinq ans qu’a duré la Seconde guerre mondiale. Parmi les morts, environ 75 % de femmes, enfants et vieillards.

    Après 43 jours passés dans les hôpitaux du nord de la bande de Gaza, Ghassan Abu Sitta, un chirurgien britannico-palestinien spécialisé dans les blessures de guerre, a expliqué que l’intensité de l’offensive israélienne dépasse tout ce qu’il a déjà connu précédemment à Gaza, en Irak, en Syrie, au Yémen ou encore au sud-Liban. « C’est la différence entre une inondation et un tsunami, l’ampleur est complètement différente », a-t-il commenté à l’agence de presse AFP.

    Il assure également avoir soigné des brûlures au phosphore blanc, une arme chimique proscrite par le droit international à la blessure très caractéristique puisqu’elle « continue de brûler jusqu’aux parties les plus profondes du corps, jusqu’à atteindre l’os. » L’ONG britannique Save the Children a indiqué qu’en trois mois de bombardement, l’armée israélienne avait tué à Gaza un nombre d’enfants supérieur à celui des enfants tués chaque année depuis 2019 dans toutes les zones de conflit du monde. Le prétexte officiel du gouvernement israélien « d’éradiquer » le Hamas est parfaitement grotesque.

    C’est d’autant plus hypocrite que le Hamas a longtemps été favorisé par les autorités israéliennes et le Mossad, les services secrets extérieurs israéliens, dans le but d’affaiblir le Fatah de Yasser Arafat et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Quand, en 1981, le gouvernement égyptien a expulsé des dizaines de militants islamistes égyptiens après l’assassinat du dictateur El-Sadate (tué notamment en raison de son rapprochement avec Israël), Ariel Sharon, ministre de la Défense de l’époque, les a autorisés à s’installer à Gaza. Nombre d’entre eux seront ensuite dirigeants du Hamas et du Djihad islamique.

    Peu après, Israël a autorisé (il serait même question d’un soutien matériel) la construction de l’immeuble de l’Association islamique dont les membres allaient régulièrement saccager les bureaux du Croissant rouge palestinien, proche du Parti communiste et de l’OLP. Pour le journaliste Charles Enderlin « La bienveillance israélienne ira jusqu’à juguler l’opposition aux islamistes. Les étudiants qui osent leur porter la contradiction au cours de débats publics se retrouveront derrière les barreaux. »(1) Le soutien aux fondamentalistes islamistes afin de saper celui dont disposent les forces de gauche ou nationalistes figurait en bonne place dans les manuels de la CIA et de ses alliés. En Afghanistan, c’est la même logique qui a poussé les États-Unis à soutenir avec enthousiasme le développement des talibans. Des fondamentalistes religieux aux narcotrafiquants, l’impérialisme a créé de nombreux monstres de Frankenstein à travers le monde.

    Dans l’espoir d’obtenir elles-mêmes une part du gâteau, les élites régionales ont accepté l’oppression impérialiste. La Jordanie avait manœuvré pour accaparer la Cisjordnaie, le roi Abdallah payant de sa vie en 1951 sa rivalité avec l’indépendantisme palestinien. Israël a reçu des renseignements cruciaux d’Hassan II du Maroc (avant la guerre des six jours) et d’Hussein de Jordanie (avant la guerre du Kippour). À la suite des accords d’Oslo (1993), la direction de l’OLP a accepté de devenir le sous-traitant de l’occupation israélienne. À l’exception de l’Iran, les régimes de la région ont peu à peu normalisé leurs relations avec l’État israélien tandis que les Nations unies consolidaient l’occupation.

    Le droit du peuple palestinien à l’autodétermination n’était réellement à l’ordre du jour que lorsque la lutte de masse l’imposait. Ce fut le cas lors de la grève générale de 1936 et de la première Intifada (1987-93). À chaque fois, les masses se sont organisées à partir de la base et ont pu compter sur une solidarité régionale et internationale croissante.

    Plus fondamentalement, il est évidemment impossible d’en finir avec les violences sans en finir avec le régime d’occupation et avec l’oppression des masses palestiniennes. La responsabilité en incombe bien sûr à l’État sioniste d’Israël, mais également aux puissances impérialistes ainsi qu’aux régimes dictatoriaux arabes de la région.

    L’autodétermination palestinienne sabotée par les grandes puissances et les élites régionales depuis plus d’un siècle

    Avant même la fin de la Première guerre mondiale, la France et le Royaume-Uni se sont entendus, avec l’aval de la Russie tsariste, sur le dépeçage de l’Empire Ottoman et l’extension de leur domination coloniale. En mai 1916 déjà, les accords secrets Sykes-Picot prévoyaient de découper le Proche-Orient en plusieurs zones d’influence ou d’administration directe, contrairement aux promesses d’indépendance faites au porte-parole de la nation arabe, le chérif Hussein.

    Si ces accords secrets ont été révélés au grand jour, c’est grâce à la révolution russe de 1917. Le premier décret du pouvoir soviétique, le décret sur la paix, avait proclamé l’opposition à toute diplomatie secrète impérialiste. Pour la première fois, une loi proclamait l’égalité de toutes les nations et leur droit à l’autodétermination. Les actes ont suivi avec l’octroi de l’indépendance à la Finlande, à la Pologne et à d’autres pays précédemment intégrés de force dans l’Empire de Russie.

    Les accords Sykes-Picot ont été qualifiés par Lénine de « traité de brigands coloniaux ». Parmi les documents trouvés figurait une carte traversée de traits de crayon à papier : le prélude à la balkanisation impérialiste de toute la région. C’est Trotsky, en sa qualité de Commissaire du Peuple aux Affaires étrangères, qui a publié le traité dans les journaux soviétiques en novembre 1917 avant que la nouvelle ne fasse également grand bruit à l’étranger.

    Les États-nations du Moyen-Orient tels que nous les connaissons aujourd’hui furent dessinés en 1920, à la conférence de San Remo, en fonction des intérêts stratégiques et financiers des impérialismes français et britannique. C’est à cette date que la Palestine s’est retrouvée placée sous mandat britannique. Les terribles bains de sang et horreurs qui affectent toujours aujourd’hui les masses de toute la région découlent directement de là. Les premiers coupables sont à chercher à Londres, Paris et Washington.

    Pour tenter de garder leur contrôle de ce découpage arbitraire, les peuples, notamment juifs et arabes, ont été montés les uns contre les autres, à l’image de l’Inde où les Hindouistes ont été opposés aux Musulmans. C’est de cette façon que l’impérialisme s’est toujours imposé : diviser pour mieux régner.

    La force de la résistance par en bas : la grève générale de 1936

    Hélas, sur place, les dirigeants du mouvement ouvrier sont rentrés dans ce jeu désastreux. En mars 1936, le trotskyste américain Félix Morrow écrivait à ce sujet : « En Palestine aussi, une réorientation décisive du prolétariat juif est nécessaire. Dirigés par le Mapai(2), les travailleurs juifs ont poursuivi la fausse politique de chercher à construire une patrie juive sous le capitalisme. Au nom de cette illusion, ils se sont éloignés de plus en plus de leurs alliés naturels, les paysans et les ouvriers arabes. Dans l’unité permanente au sein de l’Agence juive(3), ces soi-disant dirigeants socialistes-sionistes ont pratiqué la collaboration de classe la plus grossière avec la bourgeoisie juive ; ils se sont prosternés devant l’impérialisme britannique ; ils ont brandi des slogans chauvins de travail juif pour les Juifs seulement et d’achat de produits fabriqués par les Juifs seulement ; ils ont réduit les salaires pour faire face à la concurrence arabe au lieu de s’unir avec les Arabes dans des syndicats uniques ; ils ont dressé des piquets de grève là où les Juifs osaient employer de la main-d’œuvre arabe. Ils ont rendu infiniment plus facile la tâche des classes dirigeantes arabes, qui ont transformé le mécontentement de l’ouvrier arabe pour en faire le vecteur d’émeutes antijuives.

    « Ce qu’il faut, si les masses juives veulent faire un pas réel vers une Palestine libre, si les masses juives ne veulent pas être massacrées par une attaque arabe généralisée, c’est mettre fin à la collaboration avec l’impérialisme britannique et la bourgeoisie juive, et se tourner vers l’unité avec les masses arabes. La lutte des Arabes et des Juifs contre l’impérialisme britannique est un slogan qui sera combattu non seulement par les sionistes, mais également par les propriétaires terriens et la bourgeoisie arabes. »(4)

    Un mois plus tard éclatait la grande grève de 1936, qui dura 6 mois et mobilisa les masses palestiniennes contre la colonisation, mais aussi pour l’arrêt de l’immigration juive. Des soulèvements anticoloniaux se développaient dans toute la région et, en Syrie, une grève générale venait d’arracher au Mandat français des concessions dans le sens de l’accession à l’indépendance. Mais les dirigeants de la société palestinienne désiraient utiliser les masses comme simple moyen de pression sur l’Angleterre pour obtenir des concessions aux classes supérieures arabes. Celles-ci préféraient largement l’éclatement de révoltes armées (comme ce fut le cas en 1921, 1929, 1933 et 1935) qui ne menaçaient pas leur exploitation des masses pauvres.

    La grève prit de court les sionistes, les Britanniques et surtout les chefs palestiniens eux-mêmes. Pendant six mois, les masses palestiniennes ont vécu une organisation et un pouvoir propres, détachés de l’État mandataire. Le mouvement de grève s’est apaisé en octobre et, à partir de là, les éléments de lutte armée ont résolument pris le dessus, y compris entre clans arabes eux-mêmes, jusqu’en 1939, quand l’impérialisme britannique a cédé des concessions limitées pour attirer la population arabe dans son camp dans la guerre contre l’Allemagne nazie.

    Durant toute cette période, le Parti communiste palestinien suivait les ordres de Moscou où, en raison de l’isolement de la révolution dans la seule Russie économiquement arriérée et détruite, la bureaucratie avait usurpé le pouvoir. Dans les colonies, la politique stalinienne dictait de suivre docilement les dirigeants nationalistes. Chaque politicien arabe était considéré comme un “combattant sérieux contre l’impérialisme britannique” même si certains d’entre eux avaient pris contact avec l’Allemagne nazie. Les pogroms commis contre les Juifs en Palestine étaient analysés comme autant de « poussées révolutionnaires ».

    Après la Seconde guerre mondiale, Staline et l’Union soviétique ont opéré un zigzag en soutenant le Plan de partage de la Palestine présenté à l’ONU en novembre 1947, non seulement de façon diplomatique mais aussi via des livraisons d’armes tchécoslovaques ainsi qu’en favorisant l’émigration des Juifs du bloc de l’Est en constitution. La bureaucratie stalinienne estimait alors qu’il s’agissait du plus sûr moyen d’affaiblir la Grande-Bretagne.

    L’impérialisme permet la création de l’État d’Israël

    L’intensification des persécutions contre les juifs, la montée du fascisme et l’horrible massacre industrialisé de l’Holocauste ont eu un impact considérable sur les consciences et le débat sur l’État d’Israël. Une grande contradiction existait entre la nécessité pratique d’émigrer pour des millions de Juifs et le manque d’options en termes de destination.

    Nos prédécesseurs britanniques du Revolutionnary Communist Party (RCP) se sont opposés au projet. Ils expliquaient en août 1946 dans leur journal Socialist Appeal : « cela soulèverait invariablement le violent antagonisme des Arabes en Palestine et dans tout le Moyen-Orient. L’antisémitisme serait simplement transféré de l’Europe vers les pays arabes. (…) Les impérialistes ferment leur porte mais ils veulent à tout prix décider pour les Arabes. »

    A titre d’exemple, entre 1940 et 1948, les États-Unis n’ont accueilli en tout et pour tout que 57.000 Juifs européens. Pourtant, en 1947, un sondage mettait en avant que 50% des survivants des camps de concentration désiraient s’y rendre plutôt qu’en Palestine.(5) Le RCP continuait : « La sainte horreur avec laquelle les puissances alliées ont considéré l’extermination des juifs se révèle totalement hypocrite. Si Staline avait représenté les intérêts véritables du socialisme, il aurait affirmé la volonté de l’URSS d’accueillir les réfugiés désirant trouver un abri en Russie, puisqu’il y a pénurie de main d’œuvre. Mais les frontières de l’URSS restent hermétiquement fermées. De même, la Grande-Bretagne et l’Amérique, malgré leurs énormes richesses et leurs ressources, ne sont pas préparées à donner le droit démocratique d’asile à ceux qui le demandent. Ces pays proposent, au contraire, le palliatif de la Palestine. »(6)

    En novembre 1947, la Palestine historique ne comptait plus qu’un tiers de Juifs, répartis à l’époque sur 14 % du territoire. Le Plan de partage de l’ONU prévoyait que la population juive reçoive 55 % du territoire. Cette solution signifiait évidemment le déplacement forcé de centaines de milliers de Palestiniens. Ce fut la Nakba, en 1948, la « catastrophe » : 85% des villages palestiniens ont été vidés de leurs habitants. Dans de nombreux cas, même après la reddition du village, les habitants ont été tués par balles. Au total, plus de 700.000 Palestiniens ont été chassés de chez eux. Aujourd’hui encore, des familles vivent dans des camps de réfugiés aux conditions épouvantables. Pour survivre, l’État juif devait être surmilitarisé et devenir un instrument de l’impérialisme. C’est ainsi que le crime de l’antisémitisme a conduit au crime du sionisme, un crime contre le peuple palestinien.

    Quelle stratégie pour la libération palestinienne ?

    Nos précurseurs se sont opposés à la création de l’État israélien en Palestine il y a 70 ans, prévoyant qu’il n’apporterait pas la sécurité aux Juifs et qu’il serait synonyme de souffrance pour les Palestiniens. À la veille de la Nakba, une série de grèves avait pourtant transcendé les frontières communautaires, culminant dans une puissante grève générale en 1946 à laquelle ont participé 30.000 travailleurs juifs et arabes. Les grévistes criaient des slogans tels que « L’unité des travailleurs juifs et arabes est la voie de la victoire ». Cette démonstration de force avait mis en évidence le potentiel de développement de la lutte des classes au-delà des tensions nationales.

    Le Plan de partage, la guerre et la nouvelle situation qu’elle a créée ont radicalement coupé court à cette tendance à la lutte commune, comme le souhaitaient d’ailleurs les dirigeants sionistes et arabes qui estimaient que cela menaçait leurs privilèges et leur autorité.
    Au cours des décennies qui ont suivi, une conscience nationale israélienne s’est développée. La grande majorité de la population est désormais née en Israël et il y existe une classe dirigeante disposant de l’une des forces militaires les plus puissantes et les plus lourdement armées du monde. Mais à ses côtés existe également une classe ouvrière israélienne forte de millions de personnes, qui a le pouvoir potentiel de défier et d’éliminer ses exploiteurs capitalistes sionistes.

    La stratégie des organisations palestiniennes a beaucoup reposé sur l’implication des régimes arabes de la région. Quand peu de temps après la création du parti nationaliste et laïc Fatah, l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) a été lancée en 1964, ce fut à l’initiative de la Ligue Arabe et autour du projet panarabiste du président égyptien Nasser. Les organisations à la gauche du Fatah se sont essentiellement retrouvées à sa remorque sans défendre de politique ou de stratégie basée sur une indépendance de classe. Quand la guerre des six jours éclatera en 1967, Israël attaquant l’Égypte avec l’accord des États-Unis, l’objectif des dirigeants israéliens était d’affaiblir cette unité arabe. Les élites dirigeantes arabes étaient toutefois déjà fortement divisées, l’impérialisme avait manœuvré pour les monter les unes contre les autres au point de ne plus partager qu’une condamnation rhétorique d’Israël.

    Peu de temps après, en 1973, la guerre du Kippour a, elle aussi, été perdue par la coalition arabe, l’Égypte reconnaissant même officiellement Israël et s’engageant sur la voie de la collaboration avec Israël. Cela perdure encore aujourd’hui, notamment avec la fermeture de sa frontière avec la bande de Gaza. Ce fut la fin du projet panarabiste. Peu à peu, les régimes autocratiques arabes en sont venus à considérer que leur intérêt propre était lié au statu quo dans lequel Israël poursuit son projet de colonisation tandis que les États arabes ignoraient la cause palestinienne.

    Mais la stratégie des “alliés” régionaux est restée, elle se prolonge encore aujourd’hui avec l’alliance entre l’Iran, pourtant chiite, et le Hamas sunnite. Un des objectifs fondamentaux derrière l’attaque du Hamas du 7 octobre était d’ailleurs de bloquer le processus de normalisation entre Israël et les régimes arabes de la région. Parallèlement à cette stratégie, l’OLP s’est lancé dans une campagne d’attentats, d’actes de piraterie et de prise d’otages, tout particulièrement à partir de la fin des années ‘60.

    Ce qui a véritablement mis en difficulté le régime israélien, ce fut la première Intifada (1987-1993). Notre camarade irlandais Peter Hadden, dont l’approche sur la question nationale a été forgée sur l’expérience des « Troubles » en Irlande du Nord, commentait ainsi les événements : « les manifestations de masse et les grèves ont ébranlé l’État israélien à un degré que 25 années de terrorisme de l’OLP n’ont pas réussi à atteindre. » (La révolte de la jeunesse palestinienne, février 1988) Mais, à l’image de la grève générale de 1936, il manquait au mouvement de masse de 87-93 un programme et une direction orientés vers un changement de système. Cela a ouvert la voie à la mascarade des Accords d’Oslo en 1993, où le Fatah a repris la main par crainte de voir une direction alternative émerger des comités de bases nés de l’Intifada. C’est ce manque qu’il convient de combler aujourd’hui.

    Il est évident que l’action de masse ne va pas venir dans un premier temps de Gaza, noyée sous un déluge de bombes. Mais la résistance internationale a un rôle à jouer. En 1982, durant l’invasion israélienne du Liban pour déloger l’OLP de Beyrouth, qui a notamment conduit au massacre de Sabra et Chatila, les protestations internationales ont mis pression sur le plus proche allié de l’État israélien, les États-Unis, qui ont considéré de stopper la livraison d’armes à Israël.(6) Reagan avait dit au gouvernement israélien que l’opinion était « contre nous ». Le régime israélien n’écoutera pas la colère internationale, mais il est sensible à ce soutien de l’impérialisme étasunien. Cela pourrait redonner un souffle aux masses palestiniennes.

    Le socialisme et la résolution des conflits nationaux

    Sur une base capitaliste, ni un ni deux États n’offrent une solution à l’oppression nationale. Dans le contexte capitaliste du Moyen-Orient, une « solution à deux États » signifie la création d’un État fantoche néocolonial pour les Palestiniens sans véritable indépendance nationale ni solution des problèmes fondamentaux auxquels sont confrontées les masses palestiniennes. La libération nationale est indissolublement liée à la libération sociale.

    La Palestine est minuscule et ne peut exister qu’en tant que partie d’une totalité économique mondiale. L’objectif à viser, c’est la fin du « régime de Sykes-Picot » qui ne servait que les intérêts de l’impérialisme. La lutte de masse de la classe travailleuse et des pauvres doit redessiner toute la région en respectant le droit à l’autodétermination des peuples et les intérêts de chaque communauté (arabes, amazighs, kurdes, juifs,…). C’est pourquoi nous défendons la construction d’une fédération socialiste volontaire du Moyen-Orient reposant sur des structures étatiques démocratiques nées des mobilisations de masse, à partir de comités démocratiques de lutte, pour en finir avec la trahison des aspirations nationales et sociales par des élites autocratiques. Cela devra être lié à la collectivisation des richesses et grands moyens de production de la région afin d’assurer l’épanouissement de chacun et de la société dans son ensemble.

    Au sein de celle-ci, nous défendons de lutter pour deux États palestinien et israélien socialiste, avec droit au retour dans des conditions de vie décente pour les millions de réfugiés qui vivent actuellement en dehors de Palestine, ce qui nécessitera l’extension du territoire de Palestine et e démantèlement des colonies en Cisjordanie. Il s’agit d’une étape nécessaire pour garantir la construction de la confiance nécessaire pour aller plus loin dans la collaboration volontaire. Ce n’est qu’à cette condition que la paix dans la région et la prospérité pour tous seront possibles.

    NOTES
    1) Quand Israël favorisait le Hamas, par Charles Enderlin, Le Monde, 3 février 2006, disponible sur lemonde.fr
    2) Parti des travailleurs de la terre d’Israël, disparu en 1968 par sa fusion avec le Parti travailliste israélien.
    3) Organisation sioniste créée en 1929 sous le nom d’Agence juive pour la Palestine pour être l’exécutif de l’Organisation sioniste mondiale en Palestine mandataire britannique.
    4) Felix Morrow, For a Socialist Policy on Palestine, marxists.org
    5) Alain Gresh et Dominique Vidal, Palestine 47 un partage avorté, Editions complexes, Bruxelles 1987.
    6) When Push Comes to Shove: Israel flouts U.S. diplomacy with an attack on Beirut, TIME Magazine, 16 août 1982

  • Allemagne : des mobilisations antifascistes qui démontre le potentiel de résistance face à l’extrême droite

    Au cours du week-end du 19 au 21 janvier, on a compté jusqu’à 1,5 million de manifestants en Allemagne, dont 350.000 à Berlin, 200.000 à Munich et 130.000 à Hambourg. En Autriche, 80.000 manifestants sont également descendus dans la rue peu après. Puis, c’est en Argentine que des manifestations de masse ont aussi eu lieu contre l’entrée en fonction du nouveau président d’extrême droite, Javier Milei. Une grève générale a paralysé le pays. Ces mobilisations démontrent que l’extrême droite est confrontée à une forte opposition.

    En Allemagne, les récentes mobilisations ont réagi à la divulgation concernant les discussions qui ont eu lieu dans un hôtel de luxe de Potsdam entre des représentants du parti d’extrême droite AfD (Alternative für Deutschland), ainsi que des néo-nazis comme l’Autrichien Martin Sellner de l’Identitaire Beweging, ainsi que certains membres du parti chrétien-démocrate allemand CDU et des hommes d’affaires. Leur rencontre portait sur un plan de “remigration”  visant à déporter des millions de personnes. Alors que l’extrême droite aime s’en prendre à “l’élite” et à “l’establishment”, les participants à la réunion ont été invités à effectuer un don de 5.000 euros. Ce n’était pas vraiment un rassemblement pour les gens ordinaires…

    La croissance de l’extrême droite se heurte aux manifestations

    Que l’extrême droite projette d’expulser violemment des millions de personnes, ce n’est pas neuf. En revanche, que des hommes d’affaires, des politiciens établis et des représentants d’un parti qui, selon les sondages, pourrait devenir le deuxième plus grand parti d’Allemagne, leur accordent une audience est choquant pour de nombreux Allemands. Cette mobilisation de masse a démontré que la croissance électorale de l’extrême droite n’est pas un processus uniforme. En cette année d’élections européennes et autres (y compris aux États-Unis et en Inde), cela n’est pas anodin. L’extrême droite engrange des voix sur base d’une aversion pour les politiques menées, mais sa croissance se heurte également à des résistances.

    La situation n’est pas différente en Belgique. Un sondage réalisé auprès de jeunes ayant le droit de voter pour la première fois cette année a montré que le Vlaams Belang remportait le plus grand nombre d’intentions de vote (24,7 %), devant Groen, la N-VA et le PTB. Dans ce même sondage, Tom Van Grieken (Vlaams Belang) et Jos D’Haese (PTB) sont considérés comme des figures populaires, aux côtés de De Wever (N-VA) et de Croo (Open VLD). Fait remarquable, 25 % des personnes interrogées n’apprécient absolument pas Tom Van Grieken. Il est le politicien le plus ouvertement impopulaire, la deuxième place étant occupée par Conner Rousseau (Vooruit). La mobilisation antifasciste contre le VB reste aujourd’hui encore limitée, bien trop à notre avis, mais le potentiel pour une plus grande résistance existe bel et bien.

    La banalisation de l’extrême droite

    S’il n’y a pas plus de protestations, c’est sans doute en grande partie parce qu’une certaine accoutumance s’est développée. L’extrême droite est présente depuis 30 ans avec son message de division, de racisme, de sexisme et de queerphobie. Il faut encore ajouter qu’une partie de scène politique traditionnelle adopte simplement les propositions de l’extrême droite. Sellner et ses comparses ont discuté à Potsdam d’un “plan” visant à déporter des millions de personnes issues de l’immigration vers un pays africain. Ce n’est pas si éloigné des propositions des conservateurs britanniques qui veulent expulser les réfugiés vers le Rwanda. Ce “modèle d’asile australien” est également défendu en Belgique par la N-VA, au côté du Vlaams Belang. Le plan britannique est retardé en raison d’objections juridiques. Le Rwanda avait conclu un accord pour l’accueil de réfugiés expulsés d’Israël, mais n’a pas été en mesure de fournir des données sur le sort qu’attend ces réfugiés.

    L’expulsion de millions de personnes rappelle les souhaits des membres les plus extrémistes du gouvernement israélien, des propositions explicitement qualifiées de génocidaires. Les partis allemands au pouvoir tentent de récupérer les mobilisations antifascistes. Quand s’exprimeront-ils aussi fermement contre leurs collègues du gouvernement israélien ? Et quand rompront-ils avec les politiques antisociales qui creusent les inégalités et nourrissent les tensions sociales ? Car ce sont ces politiques qui ouvrent un boulevard à l’extrême droite.

    Les politiques répressives des partis établis à l’égard des réfugiés et leurs politiques de “bouc émissaire” afin de dévier l’attention de leurs échecs dans la sphère sociale contribuent à la normalisation de l’extrême droite. Il n’est pas possible de lutter durablement contre l’extrême droite sans s’attaquer à son terreau. Cela implique de s’opposer également aux politiques qui banalisent l’extrême droite.

    Les connexions belges

    Tant l’AfD que le Mouvement identitaire et Martin Sellner ne sont pas étrangers à la Belgique. En avril 2023, une réunion du NSV (Association des étudiants nationalistes, organisation étudiante officieuse du Vlaams Belang) avec Martin Sellner avait fait grand bruit à Louvain. Le NSV s’y porte toutefois bien, le président du Vlaams Belang Tom Van Grieken expliquant au quotidien flamand De Standaard (20 janvier) : Le NSV de Louvain est désormais une section très importante, au sein de laquelle nous avons récemment recruté de nouvelles personnes. L’université de Louvain avait refusé d’accorder une salle au NSV pour accueillir cette conférence avec Sellner, mais elle y a ensuite été contrainte par le tribunal, dans le cadre d’une procédure en référé. Cette réunion néonazie a donc pu prendre place. Il avait déjà été souligné à l’époque que Sellner avait notamment reçu du soutien financier de la part du terroriste qui avait attaqué deux mosquées à Christchurch en 2019. Sellner est une figure importante des cercles néo-nazis. Quelqu’un veut-il un autre argument pour expliquer pourquoi il vaut mieux ne pas compter sur les tribunaux afin de stopper l’extrême droite ?

    Sellner a fait son entrée dans l’activisme politique au sein de cercles néonazis autrichiens autour de Gottfried Küssel, qui a dirigé la VAPO (Volkstreue Ausserparlamentarische Opposition) pendant de nombreuses années. Dans les années 1980, la VAPO a entretenu des contacts avec des personnalités telles que le fasciste autoproclamé Bert Eriksson et Roger Spinnewyn, tous deux actifs au sein du VMO (Vlaams Militante Orde) et, plus tard, dans les cercles du Vlaams Belang. Feu Spinnewyn a été candidat du Vlaams Belang à plusieurs reprises et sa belle-fille siège toujours au parlement pour ce même parti. A l’occasion du décès d’Eriksson en 2005, Tom Van Grieken en a parlé comme d’un “grand homme”. Gottfried Küssel a été condamné à 10 ans de prison en 1993 pour ses activités nazies, une condamnation qui a donné lieu à un certain nombre d’attentats à la bombe. Par la suite, Küssel a été condamné à plusieurs reprises pour néonazisme et détention d’armes prohibées. Bref, un mentor idéal pour Martin Sellner.

    L’audience de Sellner est faite de membres des principaux partis d’extrême droite. Sa rhétorique sur la “remigration” est reprise par les politiciens de l’AfD, qu’il connaît bien. Ces dernières années, le VB a entretenu des liens très étroits avec l’AfD, les “radicaux” du parti l’ayant emporté sur les anciens libéraux de droite. Lorsque Tom Van Grieken a pris la parole à un événement de l’AfD en juin dernier, il a lancé un appel : “Soyez identitaires” en expliquant : Ceux qui s’excusent pour leur passé devront toujours s’excuser. Celui qui s’agenouille devra toujours s’agenouiller à nouveau. L’Identitäre Bewegung Österreich de Sellner est l’un des exemples sur lesquels s’est appuyé Schild & Vrienden, le groupe fondé par Dries Van Langenhove.

    Alors que Marine Le Pen s’est exprimée avec véhémence contre le plan de remigration de Sellner et la présence de représentants de l’AfD à une réunion avec Sellner, le VB n’y voit aucun inconvénient. Tom Van Grieken minimise les faits, tout comme il a précédemment minimisé le rôle de Frank Creyelman, ancien chef de groupe du Vlaams Belang récemment exclu par la direction nationale à la suite d’accusations d’espionnage au profit de la dictature chinoise.

    Pour un antifascisme de classe

    En Argentine, l’assurance de Javier Milei a immédiatement été mise à mal par des manifestations de masse et des grèves. Cela montre comment la classe travailleuse peut s’imposer dans le débat politique. Non pas en exigeant docilement des choses, mais en défendant ses revendications de façon offensive et sans accepter de se soumettre à la destruction des conquêtes sociales et des services publics.

    Les actions antifascistes sont renforcées par des revendications offensives visant à améliorer la vie de la majorité sociale. Pour cela, nous ne pouvons pas compter sur les partis traditionnels. Un antifascisme efficace repose sur une base de classe. Cela ne signifie pas que la démocratie n’est pas importante. Au contraire ! Défendre une société dans laquelle la classe ouvrière décide démocratiquement ce qu’elle veut produire et comment elle veut le faire est bien plus démocratique qu’un système dans lequel nous colorons une case toutes les quelques années, tout ça pour obtenir encore un peu plus de la même politique de casse sociale.

    Les syndicats ont un rôle central à jouer dans l’antifascisme. Leurs rangs sont composés d’affiliés et de militants aux origines diverses pour défendre leurs intérêts communs. Les syndicats et la gauche doivent faire comprendre que ce ne sont pas les réfugiés qui sont responsables du manque de logements au loyer abordable  ou encore de l’état catastrophique des écoles. Cela résulte des politiques antisociales qui rognent sur tout pour servir les grandes entreprises et leurs actionnaires. Là où les syndicats sont plus faibles, les inégalités augmentent plus fortement. Et l’extrême droite peut tenter d’en tirer parti.

    La coalition Köln stellt sich quer (KSSQ, littéralement “Cologne se met en travers”), à l’origine de la manifestation qui a rassemblé 70.000 participants le 21 janvier, a appelé lors de cette manifestation à une grève générale symbolique de 15 minutes le 21 mars, journée internationale contre de lutte contre le racisme. Pour ce faire, elle propose que des discussions sur le racisme et la lutte contre celui-ci soient organisées sur chaque lieu de travail. Cette coalition comprend également les syndicats, qui ont annoncé qu’ils diffuseraient cette proposition d’action partout. La campagne #15for12 est une initiative utile pour porter la lutte sur les lieux de travail.

    À partir de là, le mouvement ouvrier peut jouer un rôle plus central et relier l’opposition à l’extrême droite à la lutte pour la défense et l’extension de nos conquêtes sociales.

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