Category: International

  • La révolution à “l’ère du désordre” capitaliste. Comment parvenir à changer de société?

    Le marxisme est la science qui étudie comment les êtres humains produisent les moyens de subsistance qui leur sont nécessaires et, à cette fin, établissent des relations économiques qui constituent le fondement de toutes les formes de coexistence humaine. Une fois qu’un surplus important et permanent dépasse les besoins immédiats, une classe dirigeante peut émerger et maintenir l’exploitation à l’aide d’un appareil d’État.

    Par Peter Delsing, article tiré de l’édition d’été de Lutte Socialiste

    https://fr.socialisme.be/1244/parti-3

    Les rapports de propriété qui prévalent déterminent dans une large mesure l’idéologie dominante politique, juridique ou encore concernant les relations entre les genres et la famille, la moralité, etc. Tant que la classe dirigeante parvient à développer les forces productives, elle peut prétendre être le “chef de la nation”. Depuis la Première Guerre mondiale, le capitalisme n’a pu y parvenir qu’en détruisant massivement des forces de production. La crise de surproduction des années 1930 a posé les bases du fascisme, du discrédit des partis bourgeois traditionnels et des mouvements révolutionnaires de cette décennie, comme en Espagne.

    Avec la défaite des forces révolutionnaires après la Première Guerre mondiale, à l’exception des Soviets en Russie, le fascisme a précipité le monde dans la Seconde Guerre mondiale. La crise de surproduction a été réglée par les moyens brutaux inhérents au capitalisme : sur les os et le sang de millions de travailleur⸱euses et de jeunes, au prix d’un génocide et de souffrances incalculables. Cela a conduit à une nouvelle opportunité temporaire de croissance, d’introduction de nouvelles technologies et d’investissements, de 1950 à 1973.

    L’existence de puissants partis ouvriers est caractéristique de la période qui a précédé la première phase de la politique néolibérale, de la moitié des années 1970 à la chute du stalinisme à la fin des années 1980. Des partis sociaux-démocrates de masse se sont formés au 19e siècle. Ils ont souvent été influencés par le marxisme dès leur naissance. Dans la pratique, un fossé s’est creusé entre la volonté de réformes (réduction de la journée de travail, droit de vote, amélioration des salaires et des conditions de travail…) et le programme de transformation révolutionnaire. L’e transfert de la propriété des moyens de production à la classe travailleuse et sa prise de pouvoir politique n’étaient plus considérés comme des objectifs. Après la trahison de la Deuxième Internationale sociale-démocrate en 1914 (dont les partis s’étaient rangés derrière leur propre bourgeoisie dans la guerre), la révolution russe a offert un nouvel espoir en 1917.

    Parti de cadres et parti révolutionnaire de masse

    Le révolutionnaire russe Lénine qualifiait alors les partis sociaux-démocrates comme des partis ouvriers-bourgeois, c’est-à-dire procapitalistes à leur sommet, mais avec une base ouvrière. Les socialistes révolutionnaires devaient s’adresser à ces couches larges, par exemple en appelant à la constitution d’un gouvernement ouvrier doté d’un véritable programme socialiste, mais sans abaisser leur propre drapeau politique, celui du marxisme. Après la révolution russe de 1917, la Troisième Internationale a vu le jour, composée de jeunes partis communistes.

    Lénine, dans des écrits tels que “Que faire ?” (1902) développe l’idée d’un parti de cadres révolutionnaires, c’est-à-dire un parti qui n’essaye pas d’inclure toute la classe travailleuse à la fois, mais ses sections les plus combatives. En affinant leurs idées et leur programme en interaction constante avec les mouvements sociaux, les bolcheviks sont devenus un parti révolutionnaire de masse en 1917. Plongé dans des conditions révolutionnaires, le parti a vu son nombre de membres décupler pour atteindre plusieurs centaines de milliers de militant⸱es. C’était alors un phénomène neuf. Un parti révolutionnaire de masse, solidement ancré dans les entreprises, les quartiers, les écoles, les universités… qui pouvait concentrer l’énergie des masses sur la prise du pouvoir.

    Il ne s’agissait pas, comme le disent les fables bourgeoises, d’instaurer le règne autocratique du “parti”. L’objectif était de transférer le pouvoir aux soviets (conseils, en russe), ces assemblées générales constituées au niveau des villes avec des représentant⸱es élu⸱es des entreprises, des casernes, etc. Les bolcheviks y avaient démocratiquement remporté la majorité face aux autres partis ouvriers et paysans. L’absence de ce type de partis est essentielle pour comprendre l’échec de la révolution dans d’autres pays à ce moment. L’isolement de la révolution eut une conséquence dramatique : elle a favorisé l’émergence de la bureaucratie stalinienne qui a usurpé le pouvoir aux masses et plongé la jeune république soviétique dans une sanglante caricature de socialisme.

    Conscience et organisation après la chute du stalinisme

    Après l’effondrement des économies bureaucratiquement planifiées staliniennes à la fin des années 1980 et au début des années 1990, la classe capitaliste a proclamé sa victoire idéologique. Sa propagande selon laquelle seul le marché capitaliste pouvait fonctionner s’est infiltrée dans toute la société. Les dirigeants des partis “socialistes” se sont vautrés dans le néolibéralisme.

    Alors qu’à l’apogée des luttes d’après-guerre entre 1968 et 1974 (de Mai ‘68 à la révolution portugaise des œillets) le socialisme était perçu comme une possibilité réelle par une couche plus large de la population, cette prise de conscience s’est affaiblie par la suite, en particulier à partir des années 1990. La social-démocratie s’est vidée de sa base militante et ouvrière. Ces partis sont devenus des machines électorales creuses qui ont perdu leur caractère de classe double pour malheureusement devenir des partis essentiellement bourgeois. Ce discrédit a créé un nouvel espace à gauche. Le PSL et ses organisations-sœurs dans le monde ont appelé à la création de nouveaux et vastes partis de lutte de gauche, des partis des travailleur⸱euses.

    Le recul idéologique autour d’une alternative socialiste au capitalisme, le déclin temporaire des luttes, la domination néolibérale, la concentration de l’attention des dirigeants syndicaux sur les seuls secteurs les mieux organisés… sont autant de tendances qui se sont encore plus lourdement fait sentir après la crise économique de 2008.

    Mais cette Grande Récession a marqué une ligne de fracture sur le plan idéologique. Une vision des choses plus résolument anticapitaliste est réapparue. La menace d’une nouvelle dépression économique similaire à celle des années 1930 a été combattue par la classe dirigeante par tous les moyens possible. Les banques ont été renflouées, aux frais de la collectivité. Les milliards dépensés pour les sauver ont conduit à une vague de mesures d’austérité budgétaire. Les capitaux du monde entier ont été mobilisés avec d’impressionnants plans de relance pour sauver le système. Pendant la pandémie, ces fonds ont encore augmenté. Cela a contribué à stabiliser la situation, “botter en touche” serait une meilleure expression, sur base d’une croissance économique historiquement faible et faussée, avec la fonte de l’épargne, tout particulièrement pour les jeunes générations.

    Les mouvements révolutionnaires en Afrique du Nord et au Moyen-Orient ont eu un effet considérable à l’échelle mondiale au début des années 2010. Mais la combinaison de l’affaiblissement des organisations de classe avec des erreurs stratégiques héritées de la puissante tradition stalinienne sur celles-ci (la “révolution par étapes”), ces mouvements se sont heurtés à un mur. Des mouvements révolutionnaires spontanés ont balayé des dictatures, mais en laissant intacte la structure d’exploitation économique, ce qui a ouvert la voie au retour de la dictature sous des formes neuves en Égypte et en Tunisie. L’absence de partis démocratiques de masse des opprimé⸱es dotés d’un programme socialiste révolutionnaire a compliqué le processus de transformation de la société plus long, fait d’essais et d’erreurs, avec de puissantes luttes inspirantes, mais aussi des résultats amers et des défaites temporaires.

    L’Ère du désordre : l’expérience de la lutte – combinée à l’action des socialistes révolutionnaires – prépare le renversement du capitalisme

    De nouvelles organisations et figures de gauche ont été testées – et souvent rejetées – dans les années 2010 et 2020. En Grèce, Syriza a capitulé devant les institutions capitalistes. Aux États-Unis, Bernie Sanders a fini par se ranger derrière la direction du Parti démocrate. Au Royaume-Uni, Jeremy Corbyn a gaspillé de nombreuses occasions de restaurer le Parti travailliste comme une organisation reposant sur la classe travailleuse. Un des problèmes de ces nouvelles formations de gauche est qu’elles se concentrent principalement sur les succès électoraux et beaucoup moins sur l’organisation des luttes.

    La nature extrême de la crise – du pouvoir d’achat à la géopolitique, de l’oppression nationale à l’environnement – amènera encore et encore les travailleur⸱euses et les jeunes à occuper les rues. Nous l’avons constaté avec les nouvelles luttes syndicales aux États-Unis (qui comporte quelques victoires importantes dans l’industrie automobile) et en Grande-Bretagne. Mais aussi dans la résistance de masse contre la réforme des retraites de Macron. Ces combats élargira la compréhension que des réponses politiques plus radicales sont nécessaires.

    Ces dernières années, nous avons assisté à des mouvements révolutionnaires parfois impressionnants. Au Sri Lanka, au Soudan ou au Myanmar… les masses ont fait preuve d’une énorme volonté de changement. Il est frappant de constater que ces mouvements n’ont pas encore débouché sur des formes plus significatives d’organisation de classe. À travers de nouvelles luttes et en tirant les leçons de celles menées ailleurs, les travailleur⸱euses et les jeunes continueront inévitablement à chercher des réponses à l’absence de perspective au sein du capitalisme. Les crises successives plus rapides constituent la base matérielle d’une plus grande ouverture aux idées marxistes, combinée à une intervention active des marxistes dans les luttes.

    L’intervention des forces qui défendent la transformation révolutionnaire sera nécessaire pour apprendre des nouveaux mouvements sociaux. Mais aussi pour renforcer ceux-ci par l’expérience marxiste cruciale concernant les formes d’auto-organisation et le type de revendications et de programmes qui peuvent entraîner une véritable rupture avec le capitalisme, vers le socialisme démocratique.

  • Le progrès s’arrache par la lutte! Rapport des occupations de campus

    Ce n’est qu’en nous mobilisant que nous pouvons stopper le génocide en Palestine !

    Lorsque les universités les plus importantes du pays ont été occupées au début du mois de mai, peu de gens auraient imaginé que les actions allaient durer jusqu’à la fin du mois de juin. Mais ce fut le cas. Avec des victoires non négligeables en bout de course. Ce dossier regroupe les témoignages de plusieurs occupant⸱es, la manière dont iels ont vécu ces dernières semaines et les leçons qu’iels en ont tirées. Une chose est d’ores et déjà acquise : le combat continue. C’est malheureusement nécessaire.

    Par Arne Lepoutre

    https://fr.socialisme.be/97730/personnel-et-etudiant%e2%b8%b1es-plus-forts-ensemble-entretien-avec-tim-joosen-delegue-cgsp-a-luniversite-de-gand

    Comment tout a commencé

    C’est à la mi-avril que Johnny ( “nom d’activiste” de l’un⸱e des occupant⸱es) a reçu sa première notification sur son smartphone concernant les manifestations étudiantes aux États-Unis. “Des dizaines d’étudiants américains ont été arrêtés lors de manifestations pro-palestiniennes. Plusieurs centaines d’étudiants campent depuis plusieurs jours à l’université Columbia à New York. Ils exigent que leur université prenne ses distances avec les entreprises ayant des liens avec l’État israélien.” À l’époque déjà, une occupation était aussi prévue à Gand par “Gent Students for Palestine” et “End Fossil”. Le fait que cela devienne soudainement un mouvement international était une bonne surprise! Le mouvement aux États-Unis montrait tout le potentiel de telles initiatives.

    En quelques jours, “comment arrêter le génocide” devint le sujet central de l’actualité mondiale. Moins de trois semaines plus tard, malgré les brutalités policières, des manifestations étudiantes étaient en cours dans 45 des 50 États américains ! Des occupations, des camps de tentes, des débrayages et des sit-in ont lieu sur 140 campus. Malgré la criminalisation de la protestation, ces actions constituaient une véritable démonstration de force, avec des victoires à la clé. L’université d’État de Portland (PSU) a ainsi annoncé le 28 avril qu’elle rompait ses liens avec Boeing en raison des relations de cette entreprise avec l’État d’Israël.

    Une génération internationale

    L’extension des occupations de campus hors des États-Unis à la fin du mois d’avril fut une victoire au moins aussi importante. Le phénomène est désormais bien connu. Que des jeunes manifestent quelque part dans le monde et d’autres leur emboitent le pas spontanément ailleurs. Constantin, l’un des occupants liégeois, espère que dans la période à venir, le plus grand nombre d’occupant⸱es possible, y compris au niveau international, se mettront en contact les un⸱es avec les autres. “Aujourd’hui, plus que jamais, nous avons besoin de la solidarité internationale. Elle renforce la lutte pour la libération de la Palestine, mais elle est aussi indispensable pour lutter contre d’autres injustices.”

    Constantin et d’autres jeunes membres du PSL ont pris l’initiative, à plusieurs reprises au cours du mouvement, de se réunir entre occupant⸱es de différentes universités. Cela leur a permis de discuter des développements sur chaque campus, mais aussi de réfléchir à l’action commune à mener, un aspect parfois resté absent dans le mouvement. Lors de l’une de ces réunions en ligne, iels ont entendu les expériences de Daragh, un étudiant irlandais de Belfast, qui a parlé des actions menées dans son université ainsi que de l’occupation de l’université Trinity à Dublin, où une victoire a été remportée le 6 mai. Cette université a décidé de ne plus investir dans les entreprises israéliennes figurant sur la “liste noire” du Conseil des Droits Humains des Nations unies. Arracher une victoire est donc bien possible! Cela a immédiatement déclenché une vive discussion sur la manière de franchir cette étape en Belgique également.

    L’État et la révolution

    Mardi 7 mai. La police fait une descente à l’université d’Amsterdam. La colère est grande dans les différentes occupations, mais aussi le questionnement. “Qu’est-ce qu’on fait quand la police envahit tout d’un coup l’université?” Jonas, un occupant de Liège, explique comment lui et d’autres occupant⸱es ont défendu le fait que “plus nous sommes nombreux⸱ses, plus il devient difficile pour l’État d’utiliser son appareil de répression.” C’est une autre raison pour laquelle les groupes de travail “Recherche” de chaque faculté sont essentiels : ils permettent de persuader d’autres étudiant⸱es de rejoindre la lutte, de tisser des liens avec le personnel, mais aussi de construire un réseau à l’extérieur des universités, qui peut être déployé pour augmenter le rapport de force.

    La répression est un sujet qui est souvent revenu sur table. C’est intimidant, et c’est précisément la raison pour laquelle les discussions de groupe à ce sujet sont si essentielles. “Pourquoi la police fait-elle toujours littéralement face aux activistes ?” La brutalité policière rappelle à certains ce que plusieurs occupants anversois ont vécu quelques mois plus tôt lors des actions de Code Rouge. Les policiers s’étaient alors déchaînés sur des militant⸱es pacifiques qui voulaient occuper l’aéroport de Deurne pour dénoncer la pollution des ultra-riches et de leurs jets privés. C’est le genre d’expériences que l’on préférerait ne pas vivre, mais qui façonnent notre vision du monde. Milan, l’un des occupants d’Anvers, raconte : “Voir les brutalités policières vous amène à des conclusions comme celle que Lénine a tirée dans son célèbre livre L’État et la révolution. À savoir que l’État est en fin de compte un groupe d’hommes armés qui protège la classe dirigeante de la classe opprimée lorsque celle-ci se rebelle.”

    Beaucoup de répression, pas de justice

    La répression a également été utilisée en Belgique, moins brutalement qu’ailleurs toutefois en raison du large soutien de l’opinion publique. L’un des occupants de Gand raconte: “Après la victoire historique, le recteur s’est rendu au tribunal avec une requête unilatérale d’expulsion. Celle-ci a été refusée par un juge de paix au motif que les étudiant⸱es avaient le droit de manifester et qu’ils et elles n’avaient pas perturbé les activités d’enseignement dans le bâtiment Refaat AlAreer (le nouveau nom que les activistes ont donné au Forum universitaire UFO) par leur action de protestation. Malheureusement, ce verdict a été annulé par la Cour d’appel sur la base de mensonges. Des mythes islamophobes et racistes ont été créés pour discréditer l’occupation. Sans aucune preuve, on a prétendu que l’occupation avait provoqué une augmentation des comportements transgressifs et des vols.”

    L’université et les tribunaux se sont discrédités en utilisant le racisme et le mensonge pour refuser aux étudiant⸱es et au personnel le droit de manifester. Le recteur et la direction ont intimidé le personnel et les représentant⸱es du personnel en les menaçant de sanctions. Emilie, occupante et membre du personnel de l’UGent, pense qu’il ne s’agit pas d’une coïncidence. “La victoire des étudiant.es et du personnel est historique et montre que la lutte offensive est payante. C’est pourquoi le recteur tente maintenant de lancer la contre-offensive. Il s’agit d’effrayer les futurs militant⸱es pour qu’iels ne suivent pas les traces de cette lutte historique.”

    Personnel et étudiant⸱es: plus fort⸱es ensemble

    Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce mouvement est historique. Il suffit de regarder les dizaines de victoires qui ont été remportées. Dans presque toutes les universités, comme la VUB et l’ULB, des mesures de boycott académique ont été prises. À l’U-Antwerpen, deux facultés ont mis fin à toutes leurs collaborations et à leurs investissements dans des entreprises israéliennes. Dans d’autres facultés, les collaborations doivent passer par un comité d’éthique. L’ULiège a annoncé qu’elle ne maintiendrait pas ses partenariats bilatéraux avec des universités israéliennes et s’est engagée à ne pas conclure de nouvelles collaborations tant qu’il y aura des violations du droit international. Elle suspendra également la coopération avec les partenaires qui contribuent aux crimes israéliens contre la population de Gaza ou qui soutiennent les actions militaires du gouvernement Netanyahou. Et puis, bien sûr, il y a Gand, où une victoire historique a été remportée avec, entre autres, le retrait de l’université du prestigieux projet Europe Horizon.

    Les universités ont l’image d’institutions progressistes, mais nous devons sérieusement remettre cela en question. Le livre de Maya Wind “Towers of ivory steel”, que de nombreux⸱ses occupant⸱es ont lu ces derniers mois, révèle comment les universités jouent un rôle central dans la production de connaissances de l’impérialisme et la production d’idées coloniales. C’est également la raison pour laquelle les activistes appellent à un boycott académique complet et non pas sélectif, comme les recteurs et rectrices le préféraient. Les occupant⸱es sont clairs : “Notre objectif est de boycotter les universités israéliennes en tant qu’institutions, et pas seulement les collaborations de recherche spécifiques. Ces universités en tant qu’institutions sont complices du génocide, de la répression contre les étudiant⸱es et les travailleur⸱euses palestinien⸱nes, du silence imposé aux voix progressistes israéliennes… Les universités sont des instruments idéologiques de l’élite dirigeante, c’est vrai pour certaines facultés comme pour d’autres, et c’est aussi le cas de nos propres universités, soit dit en passant.”

    Le recteur de l’U-Gent, Van de Walle, a affirmé qu’un boycott isolerait les voix progressistes en Israël. Pendant ce temps, le personnel de l’UGent qui a participé aux actions de boycott a reçu plusieurs lettres de soutien de la part de collègues israélien⸱nes. Une de ces lettres disait : “Aujourd’hui, tous les membres du personnel, à l’exception de quelques-uns, ont peur d’exprimer leurs opinions, car nous sommes immédiatement accusé⸱es de saper l’effort de guerre. (…) Par conséquent, même les universitaires opposé⸱es à la politique du gouvernement sont extrêmement prudents dans ce qu’ils et elles disent et écrivent, d’autant plus que cette semaine, une loi a été soumise au Parlement israélien (la Knesset) selon laquelle les institutions universitaires qui ne suivent pas “la ligne patriotique” subiront des coupes budgétaires. Sous le gouvernement actuel, qui dispose d’une solide majorité au Parlement et qui n’a aucune chance d’être contesté à l’intérieur du pays, la seule chose qui pourrait changer la politique est une pression extérieure, telle que la mesure prise par votre université. (…) Comme de plus en plus d’institutions académiques prennent de telles mesures, la pression interne est également susceptible d’augmenter, et bien qu’il soit peu probable que cela change la politique actuelle du gouvernement, il semble que ce soit la seule chose qui puisse être faite.”

    Ce sont des paroles encourageantes, mais la lettre souligne également les limites d’un boycott académique à lui seul. Les occupant⸱es en sont également conscient⸱es. A Liège, certain⸱es avaient participé à des actions contre l’entreprise Challenge, qui transporte de l’armement pour l’armée israélienne. Leurs actions et les enquêtes précises de journalistes sur les détails des livraisons d’armes ont permis d’obtenir une interdiction politique des livraisons d’armes. Les militants comme Constantin et Jonas se félicitent de cette décision, mais ne font pas confiance au gouvernement pour l’appliquer. “Nous ne pouvons compter que sur le mouvement. C’est pourquoi nos tactiques doivent être basées sur le mouvement. Nous appelons à poursuivre le développement d’un boycott de la classe ouvrière sur les livraisons d’armes à Israël, entre autres. Les travailleur⸱euses sont les mieux placé⸱es pour mener la lutte contre les livraisons d’armes et le régime israélien.” C’est non seulement la seule garantie d’un boycott réel, mais aussi une source d’inspiration pour les travailleur⸱euses du monde entier. Si un tel mouvement prenait la forme d’actions étudiantes, même en Israël, beaucoup plus de travailleur⸱euses opposé⸱es au massacre auraient le courage de descendre dans la rue et de rejoindre le mouvement de lutte international. Surtout si ce mouvement est également lié à la lutte contre l’ensemble du système impérialiste et l’exploitation de la classe travailleuse qui l’accompagne.

    Une source d’inspiration

    La vie sur l’occupation est une source d’inspiration. Les discussions y sont quotidiennes. Cela contraste fortement avec les mouvements précédents, où il n’y avait souvent pas de discussion collective. Cette fois-ci, un consensus s’est rapidement dégagé sur la nécessité de mettre en place des conseils de porte-parole, des assemblées générales, des groupes de travail et d’autres méthodes d’organisation collective de la démocratie sur l’occupation. Cette expérience portera ses fruits pendant longtemps. Des centaines d’étudiant⸱es sont désormais impliqué⸱es dans des discussions politiques. Même si ces discussions ne se sont pas toujours déroulées sans heurts et que le rythme des réunions était souvent très élevé pour des étudiant⸱es dont le programme d’examens est chargé, il s’agit d’une expérience que l’on emporte avec soi dans toutes les luttes ultérieures.

    Il y a eu des discussions sur la manière de lutter pour la paix dans tout le Moyen-Orient, sur l’histoire de la Palestine et sur la complicité de l’État belge. Les commentateurs arrogants qui prétendent que les étudiant⸱es ne savent pas de quoi iels parlent n’ont manifestement jamais mis les pieds dans les occupations. En l’espace de quelques semaines, les occupations se sont transformées de petits camps de tentes en véritables villages politiques. Caractérisées par une énorme volonté de sacrifice et une discipline de travail, les tâches étaient effectuées par roulement tout au long de la journée. On cuisinait, on étudiait, on nettoyait, on travaillait sur des banderoles et des pancartes, et à l’université de Gand, il y avait même un service de coiffure. Même la nuit, les étudiant⸱es restaient éveillé⸱es pour assurer la sécurité. Ce n’était pas un luxe. Dans plusieurs universités, des provocateurs sionistes sont venus défier les occupant⸱es.

    La discipline et le dévouement dont ont fait preuve les militant⸱es pour mener à bien leurs actions pendant des semaines sont une source d’inspiration considérable pour toutes celles et ceux qui luttent contre l’injustice. Leurs actions symbolisent la détermination qui caractérise l’ensemble du mouvement pour la libération de la Palestine.

    “Nous reviendrons : vous ne pouvez pas arrêter la révolution.”

    La question qui se pose maintenant est la suivante : quelle est la prochaine étape ? Des actions sont prévues contre la répression, des manifestations contre le génocide en cours, mais aussi lors d’autres manifestations comme les Prides cet été à Gand, Liège et Anvers, les occupant⸱es propageront la lutte pour la libération de la Palestine.

    Rassembler les occupant⸱es lors d’une journée d’action nationale et d’une conférence pourrait constituer une étape importante pour préparer la nouvelle année académique. Milan, l’un des occupants d’Anvers, souhaite également concentrer les flèches du mouvement sur le financement de l’éducation et pense que cela aiderait également la lutte palestinienne. “La leçon principale est que tout le système est coupable. Comment est-il possible que nos universités dépendent d’un argent privé sanglant ? Il est urgent de mettre fin aux investissements privés et d’investir massivement dans l’enseignement supérieur. Tant que les universités dépendront d’investisseurs capitalistes, elles resteront des instruments capitalistes. Si nous pouvions gagner une telle bataille, cela montrerait à quel point la lutte pour la libération palestinienne et la justice au Moyen-Orient est inextricablement liée à la lutte contre le capitalisme. Cela nous apprendrait pourquoi la classe travailleuse du monde entier bénéficierait de la libération des peuples opprimés.”

    Nous ne devons donc avoir aucun doute : les dernières paroles des occupant⸱es de Gand se réaliseront. “Nous revenons. Vous n’arrêterez pas la révolution.”

  • Capitalisme, crise climatique et stratégie socialiste

    Se débarrasser des criminels climatiques pour un monde où il fait bon vivre

    Les douze derniers mois ont été les plus chauds jamais enregistrés sur la planète, avec une hausse moyenne de 1,58 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Comment gérer la crise climatique ? Les classes dirigeantes sont divisées sur le sujet. Une couche plus “clairvoyante” préconise des mesures limitées qui favorisent l’électrification et l’expansion des énergies renouvelables, le plus souvent dans le cadre d’investissements publics dans des secteurs stratégiques, à l’image de Joe Biden aux États-Unis et du “Green Deal” européen de décembre 2019.

    Par Philipp Chmel

    Ces plans étaient aussi partiellement une réponse aux mobilisations de masse de la jeunesse de l’année 2019, l’année des “grèves pour le climat”. Même ces mesures extrêmement limitées et insuffisantes sont sous pression, par la droite et l’extrême droite, mais aussi par les dirigeants d’entreprises. En février dernier, 70 PDG de 20 secteurs à forte consommation d’énergie ont dévoilé la “Déclaration d’Anvers”, un accord industriel européen visant à contrer les mesures “vertes” décidées par l’Union européenne. Par ailleurs, les autorités publiques continuent d’offrir de généreuses subventions au secteur des combustibles fossiles : le FMI a estimé ces aides publiques à 7.000 milliards de dollars en 2022 à travers le monde, soit 7,1 % du PIB mondial de cette année-là. Qu’en est-il en Belgique ? Le même rapport parle de 13 milliards d’euros, soit plus de 4 fois le montant des subventions à destination de la SNCB et d’Infrabel la même année.

    La rupture métabolique

    L’escalade de la crise climatique – et écologique de façon plus globale – est inséparable du maintien du capitalisme. Elle est le produit des contradictions fondamentales d’un système reposant sur la propriété privée des moyens de production et dont l’impératif absolument fondamental est l’accumulation du profit privé. Combien de fois la “compétitivité des entreprises” n’est-elle pas invoquée pour faire barrage aux mesures environnementales, même les plus timides ? L’insolente prospérité d’une infime élite passera toujours avant les besoins des gens et de la planète.

    Comme le soulignait déjà Karl Marx à son époque, le capitalisme sape ainsi “les sources originelles de toute richesse : le sol et le travailleur”, phénomènequ’il décrit dans sa théorie de la rupture métabolique. Les ruptures dans les échanges matériels (ressources, déchets et émissions de gaz à effet de serre) entre la nature et la société – le métabolisme social – ne sont pas apparues dans le cadre des relations de production capitalistes, mais ont été considérablement intensifiées et accélérées par celles-ci. Elles ne peuvent être surmontées en restant dans ce système de production. Au cours des dernières décennies, la rupture métabolique est devenue telle que son impact destructeur fait désormais partie du quotidien.

    Avec une économie rationnellement planifiée à l’échelle internationale, dont les secteurs clés (finance, industrie, transport en commun et de marchandises, etc.) seraient démocratiquement détenus par la collectivité pour fonctionner dans un cadre commun, avec l’implication décisionnelle des travailleureuse.s, des usagers et des riverains, il serait possible de satisfaire les besoins de la population tout en veillant de façon consciente à la préservation de la nature. C’est la seule manière de garder un contrôle sur la production mondiale qui permette d’en finir avec le monstrueux gaspillage découlant de l’économie de concurrence. On pourrait aussi opérer une transition verte rapide de l’énergie, de l’industrie, de l’urbanisme, etc. tout en débloquant les sommes colossales qu’exige l’adaptation au bouleversement climatique tout en freinant sa dynamique. Tout cela non seulement en garantissant les droits des travailleur.euse.s et même en les élargissant d’une manière que l’humanité ne l’a encore jamais connu.

    Ils organisent notre misère, organisons notre colère

    Les inégalités extrêmes sont également au cœur des manifestations agricoles déclenchées par les discussions sur la réduction des subventions au diesel. Aujourd’hui, 80% de budget de la politique agricole européenne sont orientés vers moins de 20% des agriculteur.trices: les plus riches et plus rapaces. La politique agricole commune (PAC) est régulièrement présentée comme une politique de protection, c’est en fait un facteur clé du déclin des petites exploitations. Entre 2005 et 2020, le nombre d’exploitations agricoles dans l’Union européenne a baissé de près de 40 %. L’agro-industrie tente aujourd’hui de détourner à son avantage la colère paysanne légitime, mais les deux couches ont des intérêts diamétralement opposés. D’ailleurs, une récente étude (BVA Xsight, avec le soutien de Parlons Climat) démontre que 62% des agriculteur.trices de France estiment que la transition écologique est une nécessité. Seuls 15% y sont opposés.

    Ces inquiétudes sont largement partagées. Un sondage Ipsos réalisé en octobre 2023 démontre que “sept personnes sur dix prévoient que le changement climatique aura des conséquences graves dans leur région au cours des dix prochaines années” et que 71% des personnes interrogées ne font pas confiance aux entreprises, car ces dernières “utilisent des affirmations environnementales sans s’engager à un changement réel”. Une autre étude, parue dans la revue Nature (9 février 2024), qui a interrogé 130.000 personnes dans 125 pays, a révélé que “89 % des personnes interrogées demandent une intensification de l’action politique”.

    “En avant les salaires, en arrière le CO2 !”

    Après l’explosion des manifestations et grèves pour le climat de 2019, différents groupes ont exploré une variété de méthodes et de stratégies, dont l’action directe de masse contre les infrastructures fossiles (Ende Gelände, Code Rouge, Les Soulèvements de la Terre, etc.) et la convergence des luttes en rejoignant les mobilisations contre les oppressions en tant que groupe d’activistes du climat, notamment dans le cas de Gaza et de la Palestine. Greta Thunberg a ainsi déclaré “Il n’y aura pas de justice climatique sur une terre occupée”. Les idées ouvertement anticapitalistes et anti-impérialistes ont clairement fait leur chemin, de même que la liaison des revendications pour en faveur de la justice climatique et de la justice sociale. Le potentiel gigantesque derrière le slogan “Fin du monde et fin du mois, mêmes coupables, même combat” est illustrée par les résultats d’une récente enquête de la Banque européenne d’investissement (novembre 2023, 30.000 personnes interrogées dans 35 pays européens), qui mettent en évidence que les principales préoccupations de la population sont la crise du coût de la vie (68%) et la crise climatique (45%).

    Le mouvement le plus impressionnant contre l’industrie destructrice de l’environnement a été observé au Panama, où le plus grand mouvement social depuis des décennies a rassemblé les populations autochtones, les jeunes et les syndicats contre une société minière canadienne en octobre 2023. Après des semaines de barrages routiers, de grèves et de manifestations dans dix villes au moins, la Cour suprême du pays a déclaré inconstitutionnel le contrat minier contesté. Même si nous n’en sommes encore qu’aux toutes premières étapes, le lien renforcé entre activistes du climat et syndicats est extrêmement significatif.

    En Allemagne, Fridays for Future et le syndicat Verdi ont uni leurs forces pour la campagne #wirfahrenzusammen (“Nous roulons ensemble”) pour exiger le doublement des capacités de transports en commun du pays d’ici à 2030, ainsi que des salaires plus élevés et de meilleures conditions de travail pour le personnel du secteur. En mars 2023, travailleur.euse.s des transports publics et activistes du climat ont fait grève ensemble dans plus de 40 villes. En mars de cette année, une semaine d’action et de grèves a été organisée, culminant par des manifestations dans tous les États régionaux allemands. Une campagne similaire a récemment été lancée en Autriche aux côtés du syndicat Vida.

    Aux États-Unis, des groupes de défense de l’environnement ont rejoint les grévistes de l’automobile sur leurs piquets à l’automne 2023 tandis que le mouvement Sunrise reprenait la défense d’emplois verts sous protection syndicale. En Suisse, le groupe Climate Strike Switzerland (Grève du climat – Suisse) a clairement défendu que “la propriété privée rend impossible la justice climatique”. Il exige l’expropriation du groupe énergétique allemand RWE et la propriété publique démocratique du secteur de l’énergie, appelle les gens à se syndiquer et a rejoint la manifestation syndicale pour l’augmentation des salaires de septembre 2023 avec pour slogan : “En avant les salaires, en arrière le CO2 !”

    En Italie, les anciens ouvriers de GKN (pièces d’automobile) ont occupé leur usine depuis juillet 2021, et ont ensuite relancé leur production pour produire des panneaux photovoltaïques. Ils exigeaient tout d’abord la nationalisation sous contrôle démocratique de l’usine, mais n’ont pas été rejoint par les syndicats officiels. Ils ont par contre trouvé un soutien solide chez les groupes féministes et d’action pour le climat. La délégation de GKN fait aujourd’hui partie intégrante des mobilisations pour le climat et contre les oppressions. D’autres délégations de métallos du secteur automobile leur ont emboîté le pas, comme les travailleurs de Marelli à Bologne, ou ceux de Fiat à Turin.

    Ces exemples sont très positifs et peuvent servir d’inspiration. Avec l’électrification du secteur automobile, nous verrons de plus en plus de suppressions d’emplois (la construction de voitures électriques nécessite généralement moins de travailleurs) et d’attaques contre les travailleur.euse.s de l’industrie. Des développements similaires peuvent également être observés dans l’industrie sidérurgique européenne. La réponse à ces attaques doit être l’unité dans la lutte des travailleur.euse.s et des mouvements sociaux contre les pertes d’emplois, pour la reconversion durable de la production sous contrôle du personnel ainsi que la nationalisation sous contrôle et gestion démocratiques des travailleur.euse.s.

  • [ARCHIVES] France. Mort de Nahel : C’était un meurtre, un de plus

    Violences sociales, racistes et policières : c’est tout le système qui est coupable !

    Transformons la colère en un mouvement de masse des quartiers et lieux de travail ! 

    Nous republions cette déclaration publiée initialement le 3 juimmet 2023 concernant le meurtre de Nahel survenu le 27 juin. Ce texte garde tout son sens, d’autant plus dans le contexte actuel du danger d’une victoire de l’extrême droite aux élections législatioves anticipées dont le premier tour aura lieu ce dimanche.

    L’horrible assassinat raciste du jeune Nahel par un policier à Nanterre le 27 juin a soulevé une vague d’indignation et de révolte contre le racisme systémique et les violences policières incessantes, particulièrement à l’encontre des jeunes aux origines d’Afrique du Nord ou subsaharienne. Le puissant mouvement social contre la réforme des retraites et la révolte de la jeunesse dans les quartiers populaires doivent être combinés et approfondis afin d’organiser et de construire une lutte de masse contre la violence policière raciste et contre l’ensemble du système capitaliste.

    Les événements sont connus. Lors d’un contrôle policier, Nahel Merzouk, un adolescent de 17 ans, a reçu un tir mortel d’un policier. Il l’avait menacé de son arme quelques secondes auparavant en lui disant de couper son moteur sinon « je te tire dans la tête ». Pris de peur et de panique, Nahel a démarré son véhicule. Il s’est directement pris une balle qui lui a traversé l’épaule et le thorax, ne lui laissant aucune chance de survie. L’histoire aurait pu s’arrêter là, comme tant et tant de fois par le passé. La police aurait invoqué la légitime défense face à un véhicule « fonçant » sur un policier. Mais une vidéo a immortalisé la scène et a de suite révélé le mensonge policier. 

    Nahel s’ajoute à la longue liste de jeunes hommes aux origines d’Afrique du Nord ou subsaharienne tués lors d’une intervention policière. 15 jours avant Nahel, un autre jeune, Alhoussein, 19 ans, a été tué par la police à Angoulême alors qu’il partait travailler. 

    Pour cette jeunesse, l’injustice n’est pas qu’un sentiment. Les affaires sont souvent classées sans suite et les policiers meurtriers rarement condamnés. La peur d’être confronté à un contrôle de police n’a d’égal que la haine envers les institutions d’un système qui n’est là que pour opprimer et humilier ces couches de jeunes des quartiers populaires.

    Cette révolte, c’est la voix de ceux qui ne sont pas entendus. Les faire entendre, eux et toutes les autres victimes de violences policières, et obtenir justice, cela exige de construire un mouvement de lutte de masse. La gauche syndicale et politique doit s’engager dans une solidarité active. 

    Macron accumule les crises

    L’assassinat de Nahel constitue une nouvelle crise pour la macronie, obligée d’admettre qu’il y a un problème. « Inexplicable » et « inexcusable », a été obligé de déclarer Macron suite au meurtre filmé du jeune homme. Voilà qui n’a clairement pas plu aux syndicats réactionnaires dans la police, comme Alliance qui s’est senti lâché par le président. Une crise de plus que Macron doit gérer.

    Le meurtre de Nahel a mis aussi l’extrême droite en difficulté. Dans le programme du Rassemblement national de Marine Le Pen, on trouve par exemple permettre aux policiers et gendarmes d’utiliser la force en bénéficiant d’une présomption de légitime défense. Une telle présomption existe en fait déjà dans beaucoup de cas, mais le RN veut rendre cela indiscutable dans tous les cas, ainsi que par exemple l’impossibilité de porter plainte contre les policiers. Autant dire que lorsque les journalistes lui ont tendu le micro après la mort de Nahel, Le Pen ne faisait pas la fière et répondait qu’elle allait s’exprimer plus tard, parce qu’elle n’avait soi-disant « pas encore vu la vidéo »… 

    Mais pour la droite et l’extrême droite, dans chaque crise réside souvent une opportunité. Et cette opportunité pour eux n’a pas tardé à arriver, avec l’instrumentalisation des révoltes qui ont commencé dans les quartiers suite à ce nouveau meurtre policier.

    “Une émeute est le langage de ceux qu’on n’entend pas.” – Martin Luther King

    Dès la première nuit après l’assassinat de Nahel, des milliers de jeunes principalement d’origine immigrée sont entrés en révolte dans les quartiers populaires des grandes villes. Nombreuses sont les références aux révoltes de 2005 suite à la mort des jeunes Zyed Benna et Bouna Traoré lors d’une intervention policière à Clichy-sous-Bois.

    Mais les comparaisons qui sont faites oublient souvent un élément d’importance : beaucoup de choses ont changé depuis 2005, et pas seulement l’omniprésence des réseaux sociaux. 

    Ces derniers 20 ans ont surtout vu le manque d’investissements dans les services publics empirer, et de manière exponentielle, d’année en année. Les politiques d’austérité et de diminution des budgets qui ont sillonné la période du néolibéralisme depuis le début des années ‘80 ont causé un mal incommensurable. C’est tout particulièrement vrai pour les personnes économiquement les plus fragiles. C’est à tel point que dans certains quartiers, des personnes retraitées habitant dans des HLM avec trop peu de revenus pour payer leur loyer sont aidées financièrement par de plus jeunes pour leur permettre de continuer à vivre dans la cité. 

    On trouvait déjà en 2005 cette absence de perspectives d’avenir positives pour de larges couches de la jeunesse vivant dans ces quartiers, particulièrement celle aux origines immigrées. Mais de quelles perspectives parle-t-on aujourd’hui ? Tout a empiré. Les frustrations et les colères sont plus grandes et répandues que jamais. Réduire l’actuelle explosion de colère aux réseaux sociaux ou aux “jeux vidéos” (selon le commentaire ridicule de Macron), cela vise avant tout à minimiser ses causes sociales. Et si cette colère s’est étendue si rapidement à toute la France, et pas seulement aux plus grandes villes d’ailleurs, c’est parce que ces causes sociales sont systémiques et se retrouvent partout.

    Dans les révoltes que vivent les quartiers aujourd’hui, la police se trouve devant des jeunes discriminés et humiliés depuis leur plus jeune âge, processus accentué durant la pandémie de covid-19. Ces jeunes hommes ont certainement subi un contrôle au faciès encore tout récemment. 

    Mais la réponse des autorités se résume à “encore un peu plus de la même chose”. À nouveau plus de « sécuritaire », avec des mobilisations records de policiers, l’envoi de tanks défiler avec arrogance dans les rues des quartiers, et même l’envoi d’unités réservées à la gestion de prise d’otage ou à l’antiterrorisme (BRI, GIGN, RAID). Avec aussi des couvre-feux et la fermeture des transports en commun le soir. Parallèlement, le Garde des Sceaux (ministre de la Justice) Éric Dupond-Moretti a envoyé une circulaire aux parquets pour demander « une réponse pénale rapide, ferme et systématique » contre les jeunes interpellés lors des manifestations de révolte.

    Il n’y a pas de meilleure méthode pour attiser les flammes, alors que la mort du jeune Nahel est à peine passée d’une poignée de jours. Comme si davantage de sécuritaire allait permettre de résoudre un cocktail explosif composé de discriminations et d’humiliations racistes créées par les institutions et la perte de repères et d’avenir. 

    Avec les violences policières, les autorités visent très consciemment à stimuler davantage de violences de la part des jeunes en révolte pour dévier l’attention et tenter de semer la discorde dans notre classe sociale. 

    Cette réponse autoritaire du gouvernement donne des ailes aux organisations d’extrême droite. Les syndicats réactionnaires Alliance et Unsa Police ont ainsi davantage encore ajouté de l’huile sur le feu, avec un communiqué raciste le 30 juin qui appelle à durcir la répression : « Face à ces hordes sauvages, demander le calme ne suffit plus, il faut l’imposer ! » ; « L’heure n’est pas à l’action syndicale mais au combat contre ces ‘nuisibles’ » ; « Aujourd’hui les Policiers sont au combat car nous sommes en guerre. Demain nous serons en résistance et le Gouvernement devra en prendre conscience. » (à noter que UNSA Éducation et le secrétaire général de l’UNSA ont condamné le communiqué). C’est un reflet d’une polarisation qui existe bel et bien et est stimulée : une cagnotte de soutien au policier auteur du tir mortel a récolté 900.000€ (en date du 3 juillet, par 25.000 donateurs) ; elle a été lancée par le politicien d’extrême droite Jean Messiha, ex-membre du RN puis ex-soutien d’Éric Zemmour.

    Violences raciste et sociale ; violence policière ; et violence du mouvement

    Les révoltes dans les quartiers comprennent des épisodes de casses, d’incendies et de pillages. Il est important de clarifier avant toute chose : la première violence, elle est raciste et socio-économique, c’est celle qui vient des politiques menées par le système et aujourd’hui par Macron. Ce sont elles qui stimulent la colère et son expression de différentes manières, et donc qui stimulent aussi des violences de la part d’une partie des révoltés. 

    En second lieu, les violences viennent des forces de l’ordre, ce sont les violences policières racistes. C’est tout ceci qui stimule aussi de la violence issue des quartiers.

    Le gouvernement et l’extrême droite en profitent aujourd’hui, mais il est trop facile de cacher les problèmes du système derrière ces débordements. Ils sont aussi la conséquence de la politique menée ces dernières décennies et accentuée par Macron, et donc de la haine qui existe envers les institutions. Les cibles principales sont les bâtiments les plus représentatifs des institutions du système, comme les mairies et commissariats, ainsi que les bâtiments de grandes chaînes commerciales, à côté d’autres choses cassées ou incendiées.

    Que de la violence vienne d’une partie de la jeunesse révoltée, c’est largement compréhensible ; c’est l’expression de la rage aveugle contre le système, mais ce n’est bien sûr pas la solution. Pour ces quartiers, qui subissent relégation sociale et pauvreté, déjà désertés par les services publics, c’est la double peine : ce sont souvent les biens de la collectivité qui sont touchés, comme des bus, des maisons de quartier, des écoles, des pharmacies, mais aussi des voitures, appartenant aux habitants des mêmes quartiers. C’est hélas notre classe, nos quartiers, qui subit les conséquences des attaques contre des biens qui peuvent profiter à toute la communauté, insérant ainsi des divisions dans nos rangs.

    De tels éléments de casses, d’incendies et de pillages permettent aussi d’être saisis par le camp d’en face, pour nous diviser et pour durcir son approche liberticide et l’appareil répressif de l’État. La classe dominante peut alors utiliser justement ces faiblesses de ces révoltes, mobiliser tout son arsenal et particulièrement les médias dominants pour les orienter contre la révolte, vers la division et même l’oubli de ce pour quoi ces révoltes existent. 

    En fin de compte, ces casses, incendies et pillages affaiblissent la contestation. C’est par la force du nombre et l’unité dans la lutte de l’ensemble de la classe travailleuse et de la jeunesse que nous pourrons arracher de réelles solutions. 

    Lorsque l’État s’occupe de cette jeunesse, c’est pour l’humilier

    Depuis son arrivée à la présidence en 2017, Macron a de suite attaqué frontalement les travailleurs et travailleuses ainsi que la jeunesse avec des politiques d’austérité et de restriction des droits syndicaux. Mais il a aussi accompagné cette guerre de classe par un accroissement de l’autoritarisme de l’État et ses forces de l’ordre, tout en encourageant le racisme systémique inhérent au système capitaliste. Quand tu t’attaques à la majorité de la population, mieux vaut la diviser pour mieux régner.

    La brutalité politique de Macron à l’encontre des travailleurs et des jeunes a été un véritable marchepied pour la croissance du RN. Le racisme d’État et les stigmatisations permanentes se sont accrus : de la loi sécurité́ globale à la loi sur le séparatisme en passant par la chasse à « l’islamo-gauchisme »… Macron et ses gouvernements n’ont eu de cesse d’alimenter la division et d’accumuler les gages à destination de l’extrême droite. 

    Ce n’est donc pas étonnant si Marine Le Pen est en tête dans les sondages, et ce malgré le puissant mouvement social contre la réforme des retraites. Que le RN soit vu comme le « véritable » opposant, c’est le but de Macron et ses ministres. C’est d’ailleurs pourquoi ce sont surtout eux qui aujourd’hui, bien plus que le RN, distillent consciemment le racisme et la division, avec notamment la loi JO 2024, la future loi immigration et l’opération militaire raciste anti-migrants comoriens à Mayotte (« l’Opération Wuambushu »), et bien sûr aujourd’hui encore avec la réponse autoritaire et raciste de Darmanin et sa police face aux révoltes dans les quartiers populaires.

    La politique néolibérale menée particulièrement depuis « le tournant de la rigueur » de Mitterrand en 1983 puis dans les décennies qui ont suivi a vidé les services publics de leur contenu, avec des conséquences concrètes vécues partout, mais surtout dans les quartiers populaires où s’accumule la pauvreté. Logements insalubres, perspectives d’emplois difficiles, manque d’accès aux soins et aux services publics de base : là-bas plus que partout ailleurs, le désinvestissement dans tous les pans de la vie se fait cruellement sentir. L’absence de perspectives d’avenir est le dénominateur commun à de larges couches de la jeunesse habitant ces quartiers. Et pour tenter de masquer cette pauvreté et ce manque de perspectives, le système a d’autant plus encore besoin de l’arme de la division, notamment raciste.

    L’attitude agressive de la police dans les quartiers pauvres où les personnes d’origine immigrée sont surreprésentées est destinée à maintenir les gens enfermés dans des logements et des écoles inférieurs aux normes et à les maintenir dans une forme de ségrégation. Et les politiciens racistes cherchent à présenter ces populations comme une menace pour les couches « blanches » parmi la classe travailleuse et la classe moyenne afin de disposer d’un plus large soutien pour leurs politiques répressives.

    “Il n’y a pas de capitalisme sans racisme” – Malcolm X

    Dans cette société, le racisme est systémique. À l’instar des autres oppressions qui sévissent dans la société (particulièrement le sexisme et la LGBTQIA+phobie), le racisme est une arme consciemment utilisée par la classe dominante et ses instruments politiques pour imposer plus facilement sa politique en évitant de devoir faire face à une classe travailleuse unifiée.

    Dans cet exercice, l’État français a toujours excellé. De l’introduction de l’esclavage sur base du commerce triangulaire avec les Antilles jusqu’à l’assassinat de Nahel, les autorités françaises ont toujours appliqué des politiques enfermant les personnes « de couleur » dans un statut d’infériorité, longtemps  ouvertement, aujourd’hui non plus dans les mots mais toujours dans la pratique.

    Le contrôle au faciès n’est pas un mythe : en France, une personne noire ou d’origine nord-africaine a 6 à 7 fois plus de risque de se faire contrôler qu’une personne blanche. Si on y ajoute le fait que les jeunes de 18-25 ans sont 7 fois plus contrôlés que la moyenne de la population, les statistiques montrent qu’un jeune homme noir ou d’origine nord-africaine a une probabilité 20 fois plus élevée d’être contrôlé. Et ce n’est qu’une étude, probablement en dessous de la réalité. 

    Le racisme est systémique, et pas seulement dans les contrôles policiers : discriminations à l’embauche et à l’accès au logement, sous-représentation dans les études et formations menant à des emplois aux conditions de travail et de salaire supérieurs, surreprésentation dans les emplois non qualifiés moins rémunérateurs, …

    Violences racistes et policières – la promesse d’injustice

    C’est un fait que l’utilisation des armes par la police ainsi que les meurtres ont augmenté sous Macron, même si l’adoption de la loi sur l’usage des armes par la police a été introduite en février 2017 sous Hollande, par le Premier ministre Bernard Cazeneuve, juste avant que Macron arrive au pouvoir. De 2017 à 2021, l’usage des armes par les policiers a augmenté de 26 % par rapport à 2012-2016. L’augmentation est même de 39 % sur l’usage des armes contre un véhicule.

    Mais le changement dans la loi n’est pas le seul accélérateur des violences policières. L’arrivée de Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur a fait passer un cap aux violences meurtrières : comme le magazine en ligne Basta! l’indique, depuis 2020, le nombre de personnes tuées par un tir des forces de l’ordre a doublé ; et trois fois plus de personnes sont décédées suite à une arrestation. 

    Les condamnations de policiers meurtriers sont extrêmement rares. On peut imaginer que l’assassin de Nahel, vu l’existence de cette vidéo et vu la pression, devrait probablement être condamné. D’autant qu’il est lâché par une partie de sa hiérarchie et par les autorités politiques, qui jouent la stratégie du « policier violent isolé », pour tenter d’éviter que toute l’institution soit montrée du doigt. Mais la jeunesse des quartiers populaires est très consciente  qu’il ne s’agit pas d’un problème d’individus au sein des forces de l’ordre, mais bien de violences racistes généralisées, stimulées par les autorités politiques et au sein de même de la police.

    Le gouvernement a beau se cacher derrière l’invariable « laissez la justice faire son travail », nous sommes nombreux à savoir que dans ce genre de cas, comme dans bien d’autres, la justice ne fait pas ce qu’on attend d’elle. Dans une société composée de différentes classes sociales aux intérêts antagonistes, les différentes institutions jouent le rôle, en dernière instance, de défendre la classe qui dirige. Dans notre société, il s’agit de la classe capitaliste. Et c’est bien à une justice de classe que nous avons à faire.

    Le rôle de l’État ; le rôle des forces de l’ordre

    Comme l’expliquait Friedrich Engels il y a plus de cent ans, l’émergence de l’appareil répressif de l’État, comprenant armée, police, prisons, etc. reflète historiquement la division de la société en classes sociales ayant des intérêts antagonistes impossibles à concilier. L’État est constitué, selon les termes d’Engels, de « détachements spéciaux d’hommes armés », qui maintient le conflit de classes « dans les limites de l’ordre » mais défend en fin de compte les intérêts de la classe dominante (pour approfondir : lire L’État et la Révolution, Lénine). La répression et la menace du recours à la violence font partie intégrante de la protection des richesses et de la domination de la classe dominante dans une société aussi inégalitaire que la nôtre.

    C’est pourquoi la répression de la part du bras armé de l’État capitaliste est vive contre chaque mouvement social qui menace les intérêts de la classe dominante. Le déchainement policier contre le mouvement des Gilets Jaunes fin 2018 et en 2019 a blessé 25.000 manifestants, dont 353 à la tête, 30 éborgnés et 6 mains arrachés ; ainsi que la mort de Zineb Redouane, une octogénaire algérienne qui vivait à Marseille. 

    Le puissant mouvement social contre la réforme des retraites a lui aussi reçu une répression policière impressionnante, avec notamment l’éborgnement par le tir d’une grenade de désencerclement d’un cheminot syndicaliste SUD Rail à Paris, ou encore l’arrachage par une grenade d’un pouce d’une travailleuse dans l’accompagnement des élèves en situation de handicap (AESH) à Rouen. Dans les secteurs et entreprises où le personnel a été en grève reconductible (raffineries, collecte et traitement des déchets, …), la violence de l’État capitaliste s’est aussi illustrée, par sa justice et sa police, avec le forçage de piquets de grève et la réquisition de personnel pour relancer le travail.

    Durant la pandémie, le personnel soignant était officiellement applaudi par les autorités, mais lorsqu’il manifestait pour davantage de moyens et de personnel, la réponse était invariablement les matraques et les gaz lacrymogènes.

    La jeunesse aussi, particulièrement ces dernières années, est une cible privilégiée de la répression policière. La classe dominante connaît le risque d’une jeunesse qui se lève et qui peut entraîner derrière elle des couches entières de la classe travailleuse. Lorsqu’elle se mobilise contre les politiques anti-écologiques, ou contre l’arrogance antidémocratique de Macron à l’occasion du mouvement contre la réforme des retraites, elle est directement sous attaque. Gaz lacrymogènes, matraquages, tirs de LBD, grenades de désencerclement, charges policières contre les cortèges, nasses et gardes à vue arbitraires… 

    En mars, un enregistrement audio a démontré que de jeunes manifestants arrêtés ont reçu des gifles, des intimidations, des insultes (y compris racistes) et des menaces physiques par des policiers de la BRAV-M (Brigade de répression de l’action violente – motorisée). D’autres témoignages faisaient part d’attouchements sexuels dont été victimes des jeunes femmes emmenées dans un commissariat. Le but de tout ceci est de faire peur, et de faire taire les mouvements sociaux.

    La police ne peut pas être « abolie » dans le cadre d’une société capitaliste. Tant que les capitalistes seront au pouvoir, ils devront trouver un moyen de protéger leurs intérêts et leurs biens. Il n’est pas non plus possible de créer une police « non raciste » tant que le racisme et la ségrégation institutionnels restent intacts dans la société. Des petites améliorations peuvent être parfois gagnées, sur base de luttes, mais la solution est de se débarrasser du capitalisme lui-même.

    Pour un mouvement de masse de la classe travailleuse et de la jeunesse contre les violences du système !

    Le mouvement ouvrier doit jouer un rôle en s’impliquant activement dans l’organisation, la canalisation de toute cette colère et cette énergie mises dans les casses et pillages. Cette colère doit s’orienter non vers les bâtiments publics et de grandes enseignes commerciales, mais vers ce qu’il y a derrière : le système lui-même, qui crée les conditions pour que les violences existent, et qui s’en nourrit.

    Mi-juin, l’intersyndicale a acté la fin du mouvement contre la réforme des retraites. Un puissant mouvement social, qui n’a pas obtenu le retrait de la réforme, mais qui a pesé et va peser lourdement sur l’atmosphère sociale et politique durant les 4 années de mandat qu’il reste à Macron. En réalité la bataille des retraites n’est pas terminée, et septembre pourrait sonner le renouveau du combat syndical, sur les retraites ou d’autres questions. Le potentiel de lutte va rester explosif, avec une avant-garde renforcée numériquement et qualitativement au côté de couches larges de travailleurs et travailleuses enrichies par ce combat historique et qui ont repris confiance dans la force de la lutte collective. Tout ce potentiel doit être engagé dans une lutte de masse contre les humiliations et violences racistes et policières.

    Fin mai 2020, le meurtre raciste de George Floyd par la police aux USA avait relancé le mouvement #BlackLivesMatter (« les vies des noirs comptent »). En écho et pour s’opposer au racisme systémique et aux violences policières en France, des dizaines de milliers de personnes s’étaient mobilisées, particulièrement à l’appel du comité « La vérité pour Adama ». Un an plus tard, ce sont encore 150.000 personnes qui se sont mobilisées dans les rues partout en France. Le caractère structurel du racisme et des violences policières est de plus en plus visible et largement reconnu. Le mouvement Black Lives Matter a permis de mettre à mal la propagande officielle. C’est une base sur laquelle construire pour aller plus loin.

    Les milliers de personnes présentes à la Marche blanche organisée à Nanterre le 29 juin en hommage à Nahel reflètent la volonté de se mobiliser pour la vérité et la justice, et pour que les choses changent. De telles mobilisations peuvent servir d’exemple. Le mouvement ouvrier organisé doit se tourner vers ces couches parmi la jeunesse, souvent non organisées syndicalement, pour élargir la lutte à toutes les couches de la classe travailleuse, fournir les méthodes de lutte et montrer des perspectives pour faire reculer les autorités et l’extrême droite, et aller vers des victoires.

    Pour construire un bon rapport de force, il faut chercher à rassembler et organiser toutes celles et ceux qui veulent lutter contre le racisme, car c’est par l’action collective et la mobilisation de masse que des victoires peuvent être obtenues. Et ce qui nous unit, c’est que nous sommes victimes, à des degrés divers, des pénuries sociales (manque de logements sociaux, manque d’emplois décents, manque de moyens dans les services publics,…) et de l’exploitation qui découle du système de profit capitaliste.

    Un programme qui ne laisse personne de côté

    Les organisations syndicales ont encore trop souvent l’attitude de se concentrer sur leurs “bastions”, mais si ceux-ci peuvent et doivent jouer le rôle moteur, il est absolument crucial de chercher à entraîner dans leur sillage les secteurs et les couches moins mobilisées, et tout particulièrement la jeunesse , notamment des quartiers. C’est une des faiblesses de la résistance contre la réforme des retraites et c’est aussi tout l’enjeu d’une lutte antiraciste ambitieuse. 

    Durant le mouvement contre la réforme des retraites, nous avions d’ailleurs proposé la mise sur pied de comités de lutte et de grève anti-Macron partout, sur les lieux de travail, dans les écoles et facs, mais aussi dans les quartiers populaires. Des comités larges, ouverts à tous et toutes, qui permettent de construire la lutte à la base, démocratiquement, en impliquant tout le monde activement dans sa préparation et son organisation. Si de tels comités avaient été mis en place, ils pourraient aujourd’hui servir de tremplin pour faire passer la révolte contre le racisme d’État à un autre niveau. 

    Dans les syndicats, beaucoup de militants et de militantes se sont aujourd’hui investis dans la solidarité avec les victimes de violences policières racistes. Mais c’est beaucoup moins le cas des organisations syndicales elles-mêmes. Les organisations syndicales et leurs activistes ont un rôle majeur à jouer dans la mise sur pied d’un mouvement de masse, qui implique activement toutes les couches de la classe travailleuse, la jeunesse et les populations opprimées.

    Nous devons réagir à chaque attaque raciste par la mobilisation : une mobilisation de masse de l’ensemble qui doit s’opposer en fait à toutes les politiques racistes journalières dont sont victimes principalement les quartiers populaires ainsi que les populations dans la “France d’Outre-Mer”, dont la gestion par l’État français est un vestige direct de son empire colonial. “Une émeute est le langage de ceux qu’on n’entend pas” disait Martin Luther King. Donnons une voix à ceux et celles qu’on entend pas par la solidarité active et la construction d’un mouvement de masse contre les politiques racistes structurelles. Il est impossible de résoudre le problème en s’en remettant aux institutions de l’État qui entretiennent le racisme systémique.

    La colère doit être rassemblée autour du mouvement ouvrier en défendant un programme qui combat l’austérité et le racisme par la solidarité : une lutte massive unitaire de la classe travailleuse, la jeunesse et des populations opprimées, armée d’un programme de revendications offensives pour imposer ce que le camp d’en face refuse de mettre en place : la vérité et la justice pour toutes les victimes des violences policières racistes ; la démilitarisation de la police, le démantèlement des unités les plus réactionnaires comme les Brigades anticriminalité (BAC) et la BRAV-M, et la mise sous contrôle démocratique de la police par les communautés ouvrières et quartiers défavorisés, les secteurs de travail clés et syndicats pour en finir avec les brutalités policières.

    Une revendication cruciale est celle d’investissements publics massifs dans les quartiers défavorisés : dans les services publics, le logement et l’accès à un emploi bien rémunéré pour tous et toutes ; dans l’éducation, l’accès à la santé à la culture et au sport ; dans les associations et les centres sociaux. La France Insoumise a raison de porter une telle revendication, reprise dans son plan d’urgence « Justice partout » (voir ici)

    Les conditions de travail et de salaire doivent changer. Un minimum est de défendre une augmentation immédiate de tous les salaires de 10% et le retour de l’échelle mobile des salaires supprimée par Mitterrand en 1983 pour affronter l’inflation. Garantir l’accès à l’enseignement pour toutes et tous implique aussi l’instauration d’un salaire étudiant à hauteur du SMIC. Quant aux secteurs à bas salaires, plaçons-les sous contrôle public afin d’assurer un véritable statut au personnel, avec un bon salaire et de bonnes conditions de travail. Il nous faut un emploi garanti et du temps pour vivre, et donc une réduction collective du temps de travail, sans diminution des salaires, avec embauches compensatoires et diminution des cadences. 

    Les militant.e.s de la FI et les syndicalistes ont un rôle à jouer dans la construction d’un mouvement de lutte unifié. Mélenchon avait d’ailleurs remporté des scores exceptionnels dans les quartiers populaires lors de l’élection présidentielle 2022, même si l’alliance de la NUPES qui a suivi a mis à mal une partie du soutien, un accord qui n’était pas partagé par tous et toutes dans les quartiers populaires surtout, puisqu’il contient des éléments qui se sont illustrés dans la gestion du système, qui ont mené des politiques locales contre les intérêts des habitants de ces quartiers.

    Pour une lutte socialiste révolutionnaire

    Vivre dans une société où personne n’aura à craindre la répression de l’État et le racisme, ça implique de se débarrasser du capitalisme. La seule manière de répondre aux besoins sociaux de l’ensemble sans discrimination nécessitera de remettre le pouvoir à la majorité sociale.

    Finissons-en avec l’exploitation capitaliste des deux sources de toutes richesses, les travailleurs et travailleuses et la nature, en nationalisant sous contrôle et gestion démocratiques les secteurs clés de l’économie. De cette manière, il serait possible d’avancer vers une économie démocratiquement planifiée qui poserait les bases de l’anéantissement de toute oppression, exploitation, violence, inégalité et injustice. C’est le projet du socialisme révolutionnaire : renverser le capitalisme et balancer le racisme, le sexisme, la LGBTQI+phobie et les autres discriminations et oppressions dans les poubelles de l’histoire.

  • Personnel et syndicats rejoignent la lutte : “Nous occupons pour exiger une action contre le génocide”

    Bart Vandersteene s’est entretenu pour Lutte Socialiste avec Emilie Vanmeerhaeghe, membre du personnel de l’université de Gand (UGent) et participante active à l’occupation en tant que militante du syndicat des services publics ACOD (CGSP)-UGent.

    Bonjour Emilie, on a pu te rencontrer dès les premiers jours de l’occupation.

    “C’est vrai. L’UGent a été la première université belge où l’occupation a commencé, le 6 mai. J’ai rapidement pris l’initiative d’appeler les collègues pour déplacer notre lieu de travail vers l’occupation, dans le bâtiment UFO (Universiteitsforum). Dès le mercredi 8 mai, une dizaine de collègues travaillaient de là. Entre-temps, plusieurs dizaines de membres du personnel s’étaient déjà engagé.e.s dans l’occupation.

    “Au départ, de nombreux membres du personnel ont, chacun à leur manière, exprimé leur soutien. Un collègue a écrit une lettre ouverte en réponse à une décision du Conseil d’administration du 3 mai qui ignorait le conseil du Comité des droits humains de l’UGent de ne pas entamer de nouvelles collaborations bilatérales avec des universités israéliennes. En très peu de temps, 1.500 membres du personnel et étudiant.es ont signé cette lettre. Une preuve plus que suffisante que la thématique et la colère sont bien présentes à l’université.”

    Depuis lors, des étudiant.e.s et des membres du personnel de l’université se sont mobilisés dans tout le pays, inspirés par les occupations aux États-Unis. Comment les occupant.e.s voient leur rôle dans la lutte contre les génocides?

    “Partout, dans toutes les universités, la question est présente. Les gens voient l’implication des gouvernements occidentaux, des entreprises et des universités dans ce qui se passe en Palestine et en Israël. Ils et elles veulent que leur université cesse de collaborer avec les universités israéliennes, car celles-ci jouent un rôle direct dans la politique d’occupation et fournissent des services à l’armée israélienne.

    “Nous avons reçu la semaine dernière la visite de Maya Wind, une chercheuse de renommée internationale qui a été interviewée dans tous les journaux. Ses recherches nous aident à comprendre la réalité là-bas. À Gaza, toutes les universités ont été détruites par Israël. Plus de 90.000 étudiant.e.s palestinien.ne.s sont privé.e.s d’enseignement (et de tout le reste). Les universités ont été utilisées pendant des décennies pour la colonisation, l’oppression et la guerre. Ce sont aussi des institutions de falsification de l’Histoire, qui ont forgé l’idéologie justifiant la colonisation et l’oppression. Elles constituent des instruments de répression contre les voix critiques et les protestations.

    “Remettre explicitement en question les liens qui existent avec ces institutions conduit également à questionner le rôle des universités et de l’enseignement supérieur en général. En Occident aussi, les universités sont des institutions qui, historiquement et jusqu’à aujourd’hui, ont servi le colonialisme, l’impérialisme et le capitalisme. Plus l’enseignement supérieur devient une marchandise, plus il est difficile de mettre la recherche et la science au service de la collectivité. De la revendication de boycott académique découle donc logiquement celle d’un autre type d’enseignement supérieur, au service des peuples et des opprimé.e.s, et non un instrument au service de l’oppression.

    L’implication du personnel dans l’occupation à Gand est plus qu’un acte symbolique de solidarité.

    “Oui, et la raison est qu’il y a une grande colère parmi le personnel. Son origine remonte à un certain temps… Dans beaucoup d’autres dossiers, on a constaté un échec total de l’administration de l’université et un manque total de transparence.

    “Depuis plusieurs années, nous sommes confrontés à des coupes budgétaires inacceptables imposées au personnel. Et concernant les comportements abusifs et le leadership toxique, l’université obtient de très mauvais résultats. Ce dossier est un exemple de plus dans une pile de problèmes préexistants.

    “Dans de nombreuses facultés, le personnel s’est organisé et veut contribuer aux actions pour augmenter la pression. Les étudiant.e.s menaient campagne depuis le mois de novembre et l’administration de l’UGent les ignorait complètement. Écrire une lettre ouverte était une chose, mais participer activement à une occupation était la suite logique. Une fois l’occupation devenue celle des étudiant.e.s et du personnel, le recteur a senti la pression augmenter ; il s’est senti obligé de réagir. Cela montre le rôle que les travailleur.euse.s peuvent jouer, y compris dans d’autres secteurs ou mouvements de lutte.

    Quel rôle a joué l’ACOD/CGSP en tant que syndicat ?

    “Depuis plusieurs années, la délégation syndicale ACOD a très consciemment construit une culture d’activisme et de combativité, dans une stratégie plus large de construction d’une relation de force à l’avantage du personnel. Dès le début de l’occupation, les militant.e.s de l’ACOD se sont impliqué.e.s. Le 10 mai, nous avons rédigé notre premier appel à rejoindre l’occupation, à lire sur notre site acodugent.be. 

    “Nous considérons que c’est une tâche essentielle pour un syndicat de participer à toutes les formes de résistance contre l’injustice, l’oppression et la discrimination. C’est ce que nous avons fait il y a quelques années en luttant avec succès pour un salaire minimum de 14 euros de l’heure pour le personnel de nettoyage. La communauté universitaire compte 50.000 étudiant.e.s et 15.000 membres du personnel. Elle est donc le reflet de ce qui se passe dans l’ensemble de la société. Avec des initiatives comme la grève féministe du 8 mars, le soutien aux actions contre le racisme et notre lutte quotidienne pour le bien-être au travail, nous voulons donner corps à ce que nous estimons qu’un syndicat devrait être et devrait faire.”

    Ces étudiant.e.s sont vraiment impressionant.e.s, leur engagement touche bien au-delàs de la communauté étudiante.

    “Le personnel aussi est très impressionné par l’organisation des étudiant.e.s qui offrent notamment, au sein de l’occupation, des espaces de soutien pour le bien-être psychologique des participant.e.s. L’action est très disciplinée. Il n’y a pas de place pour l’alcool ou d’autres drogues sur l’occupation. Cela va à l’encontre des clichés dominants sur les actions étudiantes. Il y a un très grand respect mutuel et une approche très inclusive dans l’action. Quel contraste avec les politiques universitaires ! Et vous savez, des liens se tissent et se renforcent dans cette lutte et mèneront à des coopérations à l’avenir.”

    Transfert d’armes vers Israël

    Plus de 70 tonnes d’explosifs et de munitions transitent via Liège Airport !

    Quelle hypocrisie de la part des autorités wallonnes! À l’occasion de la reconnaissance officielle de l’État palestinien par l’Espagne, l’Irlande et la Norvège, Paul Magnette (PS) s’est montré offensif contre le MR : “Nous dénonçons le double discours du MR et de sa ministre Hadja Lahbib, qui se prononce publiquement pour la reconnaissance de l’État de Palestine, tout en empêchant cette reconnaissance au sein du gouvernement fédéral.  (…) C’est une condition sine qua non pour imposer des sanctions à Israël.”Au même moment, les autorités wallonnes et le ministre-président Di Rupo (PS) ferment les yeux sur le transit de tonnes d’armes utilisées au massacre à Gaza. 

    Nous avons déjà participé à plusieurs actions devant l’entreprise Challenge à l’aéroport de Liège avec le Collectif Liège Palestine Solidarité tandis qu’une manifestation, le 12 mai, soulignait la responsabilité des autorités wallonnes dans l’alimentation de la machine de guerre israélienne. Aujourd’hui, Amnesty International (AI), la Coordination Nationale d’Action pour la Paix et la Démocratie (CNAPD), la Ligue des droits humains (LDH) et Vredesactie confirment, preuves à l’appui, que des dizaines de tonnes d’armes légères, de détonateurs et de pièces d’avions de chasse F-35 et F-16 ont transité par l’aéroport de Liège vers Israël depuis les États-Unis. Les données récoltées concernent une dizaine de vols entre le 7 novembre 2023 et le 4 mars 2024 “Rien n’indiquant du reste que le transit d’armes à destination d’Israël par cet aéroport s’est tari après cette date.” Tout cela a été transporté par la compagnie aérienne israélienne Challenge Airlines.

    “Nous sommes choqué·es par ce qui semble être au mieux de la négligence et au pire de l’hypocrisie. Alors que depuis des mois les responsables politiques de notre pays s’indignent à juste titre de la catastrophe en cours à Gaza et appellent à un cessez-le-feu, des documents auxquels nous avons pu avoir accès nous apprennent que des dizaines de tonnes de matériel militaire à destination d’Israël ont transité – et transitent peut-être encore – par l’aéroport de Liège”, s’indignent les organisations.

    Les autorités régionales wallonnes sont compétentes pour la réglementation du transit d’armes sur le territoire de la Région. Et, début février, elles s’étaient réengagées à ne pas exporter ou laisser transiter des armes à destination d’Israël. C’était déjà le cas depuis une quinzaine d’années, mais plusieurs médias (dont Le Soir) avaient dévoilé que des cargaisons militaires à destination d’Israël avaient transité par la Belgique. Mais il existe un angle mort dans la législation, comme l’explique en toute conscience un employé de Challenge dans un des documents dévoilés : “Je ne peux transporter (la marchandise) QUE sur des vols qui continue avec le même avion. Si nous ne nous y plions pas, nous nous exposons à des sanctions (sic).” La CNAPD, la LDH, Vredesactie et Amnesty International ont donc décidé de lancer prochainement une procédure judiciaire, en citant la Région wallonne en responsabilité devant le Tribunal de première instance de Namur.

    En Belgique, une majorité écrasante de la population (près de 75%) s’oppose à l’envoi d’armes vers Israël. Ce potentiel doit être mis en action, en premier lieu sur les lieux de travail: c’est de là que l’on peut contrôler et bloquer le transit. Les syndicats ont donc un rôle de premier plan à jouer pour stimuler et organiser le refus de participer au génocide. Une campagne syndicale doit être lancée de toute urgence pour permettre de concrétiser sur le terrain les appels au cessez-le-feu permanent.

  • Entretien. “La lutte pour la Palestine est l’expression de la lutte contre le système dans son entièreté”

    Depuis le vendredi 10 mai, une occupation étudiante a démarré à l’université de Liège. L’occupation – se plaçant dans le contexte d’un mouvement international des jeunes en solidarité du peuple palestinien – exige de mettre un terme à la complicité des institutions académiques avec le régime d’occupation israélien. Nous nous sommes entretenus avec Abdullah Al-Tahafi, l’un des porte-paroles de l’occupation. 

    Propos recueillis par Constantin (Liège)

    À l’heure où nous parlons, nous avons dépassé les dix jours d’occupation. Peux-tu revenir sur le contexte de l’occupation et sur ses revendications ? 

    Le contexte est international. L’horreur des sept mois de massacres à Gaza ainsi que le silence et la complicité des gouvernements contrastent avec la mobilisation populaire massive en soutien à la cause palestinienne. Les jeunes se sont emparés de cette mobilisation, particulièrement depuis le 17 avril, où un mouvement d’occupation des universités d’ampleur mondiale a commencé aux États-Unis, avec l’occupation de l’université de Columbia. L’occupation à Liège va dans le sens de ce mouvement plus large. 

    À la base, l’occupation n’était ni prévue ni organisée. Le plan de base consistait à organiser un sit-in dans l’université. Considérant le manque de préparation et la mobilisation qui s’est faite sur le vif, je ne m’attendais pas à plus de 50 personnes présentes. Finalement, on s’est retrouvés à 500 ! Puisque les négociations avec le rectorat ont abouti au refus de nos revendications, nous nous sommes décidé.e.s à lancer le campement le jour-même. 

    Nos revendications sont les suivantes: réaffirmation d’un cessez-le-feu immédiat, permanent et inconditionnel, un boycott académique complet des institutions universitaires israéliennes et la transparence de l’université quant à ses partenariats. À ces revendications s’est ajoutée la cessation des partenariats avec l’industrie militaire. Nous nous sommes rendu.e.s compte que l’université agissait comme le supplétif de l’industrie de l’armement, et avait collaboré avec des entreprises qui ont fourni l’armée israélienne, Tsahal, en armes et en matériel militaire.

    Face à ces revendications, le rectorat a menti. Il a affirmé que l’université n’avait aucune convention de recherche sur des thématiques militaires. Mais nous avons constaté que c’était totalement faux. L’université collabore notamment avec OIP Sensor Systems, une filiale détenue à 100% par Elbit Systems, entreprise israélienne dont l’unique secteur d’activité est celui de l’armement. L’université entretient aussi des partenariats avec P.B -Clermont et Léonordo, qui ont respectivement fourni Tsahal en poudre et en canons. 

    En outre, l’université niait également que les conventions qu’elle entretenait avec les universités israéliennes participaient à la politique d’occupation, comme si les universités flottaient au-dessus du monde social et pouvaient se draper de l’apparence de la neutralité. En réalité, nous avons prouvé que les universités israéliennes étaient pleinement impliquées dans le processus de colonisation, notamment en formant des officiers des forces armées israéliennes. Mais au-delà du soutien à l’armée, les universités israéliennes servent aussi d’instrument idéologique au service du sionisme. Par exemple, l’archéologie est utilisée par les institutions académiques israéliennes comme moyen de justifier la politique de colonisation en Cisjordanie.

    Nous avons produit deux documents à destination du rectorat qui prouvent la complicité de l’université avec la politique de colonisation israélienne. Ces deux documents ont été rendus publics et sont libres d’accès. La réalité des faits, c’est que les institutions académiques, pieds et poings liés avec les profiteur.euse.s de guerre, mentent et font tout pour cacher leur implication dans les massacres. Il n’est pas étonnant que l’université soit si réticente à faire preuve de transparence compte tenu de ce que nous avons trouvé. Si l’université ne veut pas nous accorder la transparence, nous l’obtiendrons nous-mêmes, par nos propres recherches. La documentation constitue un terrain de la lutte des classes. 

    À la suite de l’occupation, la rectrice nous a assuré qu’elle mettrait un terme à tout partenariat entre l’université et les acteurs et complices de crimes de guerre. Maintenant que nous avons prouvé ces liens, nous attendons des actes. 

    Comment est structurée l’occupation à Liège ?

    Au départ, nous avions une idée floue de la manière de fonctionner. Les opinions étaient parfois divergentes et le mouvement a mis un certain temps avant de pouvoir former une ligne politique et stratégique claire. L’objectif est maintenant d’isoler le rectorat, c’est pourquoi nous essayons de tisser des liens avec le personnel de l’université, via les délégations syndicales. Les travailleur.euse.s possèdent des leviers de pression que nous n’avons pas, du fait que ce sont elles et eux qui font tourner cette université quotidiennement. La question de la solidarité entre les étudiant.e.s et les travailleur.euse.s est cruciale pour le mouvement.

    Nous nous structurons sur base d’assemblées générales quotidiennes et de groupes de travail. Les votes s’effectuent à la majorité simple, avec prise en compte des positions minoritaires si ces dernières sont significatives. Nous avons aussi élu un groupe de coordination révocable, responsable de la prise de décision entre deux assemblées. 

    Les groupes de travail permettent d’organiser le travail pratique: certain.e.s s’occupent du travail de recherche, d’autres s’occupent du contact avec la presse et de la communication, d’autres encore du travail de coordination avec les autres universités occupées en Belgique.

    L’inclusion est fondamentale dans le travail d’occupation. Nous avons essayé de faire en sorte que chacun.e puisse trouver sa place dans le mouvement, et nous avons intégré une diversité politique assez large. Nous avons réussi, au fur et à mesure du temps, à organiser les étudiant.e.s dans un mouvement structuré. L’unité politique a été possible, d’une part grâce à un travail d’organisation impeccable de la part des occupant.e.s, d’autre part, grâce à la discussion ouverte en assemblée générale, ce qui a permis d’atteindre une clarté et une qualité politique impressionnante. 

    D’après toi, quelles sont les perspectives pour la suite du mouvement ?

    La question n’est pas tant de savoir si nous allons gagner, mais jusqu’à quel point. Le rectorat a déjà annoncé le boycott académique en ce qui concerne les partenariats bilatéraux avec les universités israéliennes. L’occupation est également riche en expérience pour nous tous et toutes. Nous avons réussi à intégrer des étudiant.e.s qui font ici l’expérience de leur premier mouvement social. Nous avons créé du lien entre les militant.e.s, partagé des émotions communes et nous avons formé la base d’un mouvement étudiant qui peut dépasser le cadre de cette occupation. 

    La réalité, c’est que la lutte étudiante dépasse de loin le cadre universitaire. Le problème est systémique. Les entreprises profiteuses de guerre sont non seulement complices et en grande partie responsable du génocide palestinien, mais aussi de l’oppression des peuples dans le monde entier. Cette occupation permet de poser les bases d’une lutte contre les oppresseur.euse.s et les exploiteur.euse.s du monde entier. Celles et ceux qui profitent des massacres en Palestine sont les mêmes qui exploitent les travailleur.euse.s ici, comme le démontre l’annonce de licenciement collectif de Thales Alenia Space, qui compte se séparer de 115 de ses salarié.e.s, et ce malgré l’activité commerciale florissante de ses deux parents : Thalès et Léonardo. Nous avons toujours affirmé que la lutte pour la libération du peuple palestinien est le symbole de la lutte contre le système capitaliste dans son ensemble. 

  • Plus de 70 tonnes d’explosifs et de munitions transitent via Liège Airport !

    Quelle hypocrisie ! A l’occasion de la reconnaissance officielle de l’État palestinien par l’Espagne, l’Irlande et la Norvège, Paul Magnette (PS) s’est montré offensif contre le MR : «Nous dénonçons le double discours du MR et de sa ministre Hadja Lahbib, qui se prononce publiquement pour la reconnaissance de l’État de Palestine, tout en empêchant cette reconnaissance au sein du gouvernement fédéral.  (…) C’est une condition sine qua non pour imposer des sanctions à Israël.»Au même moment, les autorités wallonnes et le ministre-président Di Rupo (PS) ferment les yeux sur le transit de tonnes d’armes utilisées dans le massacre à Gaza. 

    https://fr.socialisme.be/97382/manifestation-reussie-a-namur-bloquons-la-machine-de-guerre-genocidaire-israelienne
    https://fr.socialisme.be/96748/liege-challenge-arme-israel-tas-du-sang-sur-les-ailes

    Nous avons déjà participé à plusieurs actions devant l’entreprise Challenge à l’aéroport de Liège avec le Collectif Liège Palestine Solidarité tandis qu’une manifestation, le 12 mai, soulignait la responsabilité des autorités wallonnes dans l’alimentation de la machine de guerre israélienne. Aujourd’hui, Amnesty International (AI), la Coordination Nationale d’Action pour la Paix et la Démocratie (CNAPD), la Ligue des droits humains (LDH) et Vredesactie confirment, preuves à l’appui, que des dizaines de tonnes d’armes légères, de détonateurs et de pièces d’avions de chasse F-35 et F-16 ont transité par l’aéroport de Liège vers Israël depuis les États-Unis. Les données récoltées concernent une dizaine de vols entre le 7 novembre 2023 et le 4 mars 2024 «Rien n’indiquant du reste que le transit d’armes à destination d’Israël par cet aéroport s’est tari après cette date». Tout cela a été transporté par la compagnie aérienne israélienne Challenge Airlines.

    «Nous sommes choquées par ce qui semble être au mieux de la négligence et au pire de l’hypocrisie. Alors que depuis des mois les responsables politiques de notre pays s’indignent à juste titre de la catastrophe en cours à Gaza et appellent à un cessez-le-feu, des documents auxquels nous avons pu avoir accès nous apprennent que des dizaines de tonnes de matériel militaire à destination d’Israël ont transité – et transitent peut-être encore – par l’aéroport de Liège», s’indignent les organisations.

    Les autorités régionales wallonnes sont compétentes pour la réglementation du transit d’armes sur le territoire de la Région. Et, début février, elles s’étaient réengagées à ne pas exporter ou laisser transiter des armes à destination d’Israël. C’était déjà le cas depuis une quinzaine d’années, mais plusieurs médias (dont Le Soir) avaient dévoilé que des cargaisons militaires à destination d’Israël avaient transité par la Belgique. Mais il existe un angle mort dans la législation, comme l’explique en toute conscience un employé de Challenge dans un des documents dévoilés : « Je ne peux transporter (la marchandise) QUE sur des vols qui continuent avec le même avion. Si nous ne nous y plions pas, nous nous exposons à des sanctions (sic). » La CNAPD, la LDH, Vredesactie et Amnesty International ont donc décidé de lancer prochainement une procédure judiciaire, en citant la Région wallonne en responsabilité devant le tribunal de première instance de Namur.

    En Belgique, une majorité écrasante de la population (près de 75%) s’oppose à l’envoi d’armes vers Israël. Ce potentiel doit être mis en action, en premier lieu sur les lieux de travail: c’est de là que l’on peut contrôler et bloquer le transit. Les syndicats ont donc un rôle de premier plan à jouer pour stimuler et organiser le refus de participer au génocide. Une campagne syndicale doit être lancée de toute urgence pour assurer que concrétiser sur le terrain les appels au cessez-le-feu permanent.

  • Transformons les occupations de campus en quartiers généraux démocratiques de l’opposition au génocide!

    Columbia, à Yale, New York University, Berkeley,… les campements étudiants et les mobilisations contre le génocide à Gaza se sont multipliés aux États-Unis et tiennent bon en dépit d’une répression policière féroce. C’est un nouveau souffle qui est venu en renfort du mouvement international de solidarité avec les masses palestiniennes.

    https://fr.socialisme.be/97373/namur-manifestation-contre-les-livraisons-darmes-a-israel
    https://fr.socialisme.be/97003/palestine-israel-quelques-lecons-de-lhistoire-de-loppression-des-masses-palestiniennes

    France, Liban, Autriche, Tunisie,… les mobilisations lycéennes et étudiantes fleurissent. En Belgique, des occupations ont commencé à l’université de Gand et à l’ULB – et d’autres sont à venir – en exigeant la rupture de la collaboration avec les institutions et entreprises sionistes qui participent à l’oppression systématique du peuple palestinien.

    Cette mobilisation solidaire est d’autant plus urgente que l’État israélien vient de lancer ses troupes sur le dernier refuge de la population gazaouie, à Rafah. Le contrôle de la frontière entre Gaza et l’Egypte a été pris.

    Gaza est considéré comme un laboratoire à ciel ouvert concernant le recours à l’IA dans la définition des cibles de l’armée israélienne et le caractère industriel du massacre. C’est ce qui explique pourquoi la Vrije Universiteit Brussel (VUB) vient d’annoncer qu’elle entend mettre fin à sa collaboration à une étude scientifique relative à l’intelligence artificielle (IA) à laquelle participent également deux partenaires israéliens. L’université veut offrir une totale transparence quant à ses projets collaboratifs financés par l’Union européenne via le programme-cadre Horizon Europe.

    Les occupations ont raison d’exiger la transparence totale de la part de toutes les universités du pays, et cette transparence devrait être de mises pour toutes les autorités du pays ! Au-delà des universités, des entreprises et pouvoirs publics de Belgique participent de manière directe ou indirecte à l’occupation israélienne de la Palestine et au massacre.

    Les étudiant.e.s expriment dans l’action ce qui vit plus largement parmi la population. Une majorité écrasante de la population belge – 74% – demande la fin des transferts d’armes entre Israël et la Belgique (enquête d’opinion de YouGov, janvier 2024). Cela donne toute la dimension de la mobilisation possible !

    Aux États-Unis, le syndicat United Auto Workers (UAW) rejoint la mobilisation. Les délégations et structures syndicales peuvent faire de même ici en Belgique, à commencer par les délégations syndicales du personnel des universités.

    Les actions étudiantes pourraient donner un nouvel élan à la manifestation nationale du 19 mai prochain à Bruxelles. Un bloc étudiant de différentes villes et campus permettrait de renforcer les contacts entre les occupations et de dynamiser le mouvement. rendez-vous dimanche 19 mai à 13h30 à Bruxelles Nord.

  • Représailles iraniennes : du bain de sang à Gaza au bord d’une conflagration régionale

    La réponse militaire sans précédent du régime de Téhéran à l’assassinat provocateur par Israël de généraux iraniens dans le complexe du consulat iranien à Damas fait craindre une réaction en chaîne qui déclencherait une conflagration régionale. Netanyahou et les ministres du “cabinet de guerre”, qui sont responsables d’une crise sanglante historique ainsi que de l’assassinat qui a conduit aux événements, se félicitent de l’interception à grande échelle des projectiles de cette attaque. Les politiciens israéliens ultranationalistes, d’Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich à Miki Zohar et Tali Gottlieb, incitent ouvertement à une guerre régionale.

    Shahar Ben Horin et Yasha Marmer, Lutte socialiste (section d’ASI en Palestine-Israël). Texte initialement publié en hébreu le dimanche 14 avril.

    L’action iranienne a, pour l’instant, détourné l’attention de la catastrophe qui se déroule à Gaza et a reconsolidé le camp de l’impérialisme occidental autour du capitalisme israélien. Joe Biden a une nouvelle fois souligné que le soutien des États-Unis au régime israélien était “inébranlable”. Le forum du G7 s’est joint à lui dans une déclaration de condamnation et une menace d’augmenter les sanctions contre le régime iranien, tout en essayant de faire pression sur le gouvernement israélien pour qu’il évite les représailles – de peur de perdre le contrôle des événements – et a réitéré un appel hypocrite à la promotion d’un cessez-le-feu dans la bande de Gaza.

    À Gaza, cependant, les habitants ont fait état d’une des nuits les plus calmes de ces six derniers mois effroyables, la machine de guerre israélienne s’étant concentrée sur l’attaque iranienne. Cependant, l’assaut génocidaire mené par le régime de droite israélien sur Gaza, tout en exploitant cyniquement les atrocités du 7 octobre, se poursuit, bien qu’avec une intensité réduite, mais sans aucun accord, même sur un cessez-le-feu temporaire. Entre-temps, deux brigades de réservistes ont été mobilisées pour de nouvelles attaques à Gaza et la menace d’une invasion israélienne de Rafah continue de planer dans l’air. Le nombre de morts a dépassé le chiffre inimaginable de 33.000 et une terrible crise de la faim fait rage.

    La délégation iranienne à l’ONU a déclaré que l’incident était clos pour Téhéran, à moins que “le régime israélien ne commette une nouvelle erreur”. Washington a clairement indiqué qu’il ne soutiendrait pas une attaque israélienne sur le territoire iranien, mais le gouvernement Netanyahu-Ganz a menacé à l’avance de répondre militairement par une attaque sur le territoire iranien à toute attaque émanant du territoire iranien, et il a été rapporté que les chefs de l’armée israélienne et du Mossad avaient approuvé d’éventuels plans d’attaque.

    Une série d’actes de sabotage et d’assassinats sur le territoire iranien ont été attribués à l’État d’Israël au cours des dernières années, mais cette fois-ci, le régime des ayatollahs a prévenu à l’avance qu’un tel scénario donnerait lieu à une escalade militaire à plus grande échelle. La réunion hebdomadaire du gouvernement israélien a été annulée et il a été rapporté que le “cabinet de guerre”, plus restreint, se réunissait pour décider d’une “réponse”, mais il semble qu’il y ait eu un désaccord quant à la possibilité d’une riposte militaire immédiate. Le régime israélien est soumis à des pressions pour qu’il prenne le temps de conserver le soutien public renouvelé que lui ont accordé Washington et ses alliés, mais le message du “cabinet de guerre” est qu’une riposte interviendra.

    Environ 350 drones, missiles balistiques et missiles de croisière ont été lancés sur des cibles israéliennes depuis l’Iran, l’Irak, le Yémen et la Syrie pendant des heures entre samedi et dimanche (13 et 14 avril). La majorité d’entre eux ont été interceptés, comme cela avait dû être estimé à l’avance à Téhéran, par un ensemble combiné d’armées, dont celles d’Israël (60 %), des États-Unis, du Royaume-Uni, de la France et de la Jordanie, qui s’appuyaient également sur des renseignements fournis par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, entre autres. L’attaque était mesurée et accompagnée d’un avertissement préalable, mais elle n’en constitue pas moins un signe avant-coureur des dangers d’une escalade militaire aiguë. L’espace aérien des pays d’Israël, d’Égypte, de Jordanie et du Liban est resté fermé pendant des heures, et il a été annoncé que le système éducatif israélien serait fermé pendant une journée.

    Des dégâts mineurs ont été signalés sur les infrastructures de la base de l’armée de l’air israélienne de Nevatim, près d’Arad. Une fillette de 7 ans d’un village bédouin “non reconnu” près d’Al-Fura’a a été mortellement blessée à la tête après que, en l’absence d’un espace abrité, des éclats d’obus ont pénétré dans le toit de sa maison, que les autorités israéliennes cherchaient à détruire dans les jours à venir. Des interceptions de missiles balistiques ont été enregistrées en plusieurs endroits, notamment au-dessus de Jérusalem (y compris au-dessus de la mosquée Al-Aqsa), ainsi que dans la région de Tel-Aviv, sur le plateau du Golan (annexé) et principalement dans le sud, y compris à Dimona (près du réacteur nucléaire). Une centaine de tirs à courte portée ont été effectués par le Hezbollah à la frontière israélo-libanaise. Quelques heures plus tôt, des commandos iraniens avaient pris le contrôle d’un navire près des côtes des Émirats arabes unis, appartenant en partie au magnat israélien Eyal Ofer, apparemment dans le cadre de leur riposte.

    L’avertissement de Joe Biden n’a pas dissuadé Khamenei

    L’avertissement répété de Joe Biden à Khamenei – “ne le faites pas” – n’a pas empêché cette démonstration de force d’avoir lieu après deux semaines de menaces. L’évolution de la volonté du régime des ayatollahs de violer, de manière mesurée, les diktats de l’impérialisme américain repose sur la reconnaissance de l’effet de complication du bain de sang historique à Gaza pour Washington et de son intérêt évident à limiter l’intervention militaire et à freiner l’escalade militaire dans la région. C’est la première fois que le régime iranien agit militairement (à l’exception des cyber-opérations) contre des cibles israéliennes à partir du territoire iranien et pas seulement avec l’aide de mandataires extérieurs. Il s’agit d’une tentative d’établir une nouvelle équation, en faisant payer le prix des attaques israéliennes contre les intérêts du régime iranien.

    Le régime iranien lui-même est en crise profonde, même après la répression de la dernière vague de soulèvements en 2022, et continue d’utiliser une rhétorique hypocrite et creuse “anti-impérialiste” et “pro-palestinienne” pour s’attirer du soutien. On peut raisonnablement supposer que parmi les masses du monde entier horrifiées par les atrocités commises à Gaza, il y en aura aussi qui adopteront un sentiment de sympathie pour tout régime qui défie le régime israélien et Washington. Mais il s’agit bien sûr d’un régime oppressif qui n’intervient pas dans l’intérêt des masses palestiniennes ou iraniennes, mais plutôt pour faire avancer les ambitions de l’élite dirigeante iranienne et de ses alliés. Néanmoins, et bien que certains parmi l’opposition au régime puissent considérer l’attaque comme rien de plus qu’une farce, le régime est certainement capable de resserrer dans une certaine mesure la base de soutien sur laquelle il s’appuie en exploitant le sentiment de solidarité de masse avec la population palestinienne massacrée dans la bande de Gaza. Cela s’explique en raison de la phase actuelle de reflux du mouvement de résistance et du manque de points de référence de gauche pour offrir une alternative aux masses.

    Parmi les couches iraniennes qui s’opposent au régime, il y a eu au fil des ans – et aujourd’hui encore – une variété de voix confuses et de droite qui ont rejeté la propagande des ayatollahs pour se ranger du côté de l’impérialisme américain, du régime israélien et d’un retour à la monarchie du Shah. Cela reflète l’oppression intense qui frappe les voix de gauche qui tentent de défendre une véritable alternative au régime et n’entretiennent aucune illusion envers la classe dirigeante israélienne.

    Risque de conflagration régionale

    Lors de la “guerre du Golfe” de 1991, une coalition dirigée par les États-Unis a attaqué l’Irak. L’impérialisme américain s’efforçait alors, au moment de la chute du stalinisme et de la fin de la guerre froide, de s’imposer en tant que “gendarme du monde” exclusif et de façonner ainsi l’ordre régional. Le régime israélien avait reçu l’instruction explicite de ne pas intervenir militairement, afin de ne pas décourager la participation des pays arabes à l’attaque menée par les États-Unis. L’Etat d’Israël a obéi, alors même que les missiles Scud irakiens frappaient Israël.

    Aujourd’hui, la position de l’impérialisme américain est très affaiblie dans le monde et dans la région. Pour preuve, avant l’attaque iranienne, les monarchies du Golfe ont exigé que les bases américaines sur leur territoire ne soient pas utilisées à ce stade pour une attaque directe contre l’Iran, par crainte d’une guerre régionale. Même l’administration Trump avait été contrainte en son temps de tenir compte des réticences de l’opinion publique américaine de même que de la position économique et géopolitique affaiblie de l’impérialisme américain. Elle avit donc pris ses distances avec l’idée de s’engouffrer dans une nouvelle guerre au Moyen-Orient.

    Le capitalisme israélien se trouve aujourd’hui dans une position moins isolée dans la région, mais il est confronté à une crise de “sécurité” généralisée, sans toutefois disposer de stratégie de sortie claire, et malgré une profonde dépendance stratégique à l’égard de l’impérialisme américain, il peut chercher à garantir ses intérêts de “sécurité” même sans le consentement de Washington. Il s’agit là d’un facteur important qui crée en fait le risque d’un embrasement régional.

    L’assassinat à Damas du 1er avril, dans lequel Mohammad Reza Zahedi (Hassan Mahdawi), commandant de la Force Al-Qods des gardes du régime iranien en Syrie et au Liban, a également été tué, est le plus important que le régime iranien ait subi depuis que l’administration Trump a assassiné le général Soleimani en 2020. L’administration Biden s’est plainte de ne pas avoir été informée à l’avance. Malgré cela, la troïka des délégations américaine, britannique et française au “Conseil de sécurité” de l’ONU a bloqué (le 3 avril) une déclaration officielle de condamnation, proposée par la délégation russe, du bombardement du bâtiment du consulat. Aujourd’hui, en réponse à l’attaque iranienne, le Kremlin a publié une déclaration décrivant l’action comme un exercice du droit à l’autodéfense. Le processus de conflit à l’oeuvre dans la région renforce les relations entre la Russie et l’Iran, tandis que les deux régimes tentent de gagner le soutien des masses en colère contre le massacre, la famine forcée et la destruction à Gaza.

    La décision du gouvernement israélien de droite d’assassiner des généraux iraniens et des militants de l’organisation palestinienne du Jihad islamique a été prise en sachant très bien que cela pouvait conduire à une escalade militaire généralisée dans la région. En arrière-plan, la pression de Washington et de ses alliés en “Occident” et dans la région en faveur d’un cessez-le-feu à Gaza se renforçait. Parallèlement, une dynamique d’escalade continue de la guerre s’est poursuivie à un niveau d’intensité faible à moyen entre l’armée israélienne et le Hezbollah. Des menaces répétées d’une attaque israélienne de grande envergure sur le territoire libanais ont eu lieu. Des dizaines de milliers de résidents des deux côtés de la frontière israélo-libanaise ont été déplacés de leurs maisons depuis six mois. L’administration Biden a symboliquement permis l’approbation d’une résolution du “Conseil de sécurité” de l’ONU le 25 mars appelant à un cessez-le-feu immédiat. Après l’assassinat des travailleurs humanitaires de l’association World Central Kitchen à Gaza, quelques heures après l’assassinat à Damas, elle a augmenté sa pression publique sur Israël, accompagnée d’un ultimatum implicite à Israël pour qu’il se conforme à sa discipline. Cette pression a conduit à l’autorisation d’un plus grand nombre de camions de ravitaillement à Gaza – un soulagement minime dans l’utilisation de l’arme barbare de la famine contre la population – mais pas à un cessez-le-feu.

    Non seulement Netanyahou se montre réticent à faire preuve de souplesse dans les négociations sur un cessez-le-feu à Gaza et sur un accord d’échange d’otages et de prisonniers, mais le gouvernement israélien dans son ensemble continue de s’efforcer d’imposer des conditions qui incluent la préparation d’une invasion israélienne de Rafah et l’autorisation de la présence de forces d’occupation dans la région pour une période de plusieurs mois, voire de plusieurs années. Cette ligne, qui reflète en fin de compte une impasse stratégique, est également basée sur le fait que l’idée d’une “guerre contre le Hamas” bénéficie toujours d’un large soutien au sein de l’opinion publique israélienne, et est également influencée dans une certaine mesure par les manœuvres de Netanyahou lui-même, celui-ci cherchant désespérément à s’accrocher au pouvoir.

    Les dirigeants du Hamas, qui, comme on pouvait s’y attendre, ont salué l’attaque iranienne, ont une nouvelle fois refusé le dernier projet israélien d’accord de cessez-le-feu temporaire, n’ayant jusqu’à présent pas accepté de se plier à leurs diktats. Ils sont certainement conscients de l’essoufflement de l’attaque israélienne, des pressions exercées sur la société israélienne pour qu’elle restitue les personnes enlevées et des tensions accrues entre Washington et le gouvernement israélien. Les dirigeants du Hamas espéraient que l’attaque surprise du 7 octobre déclencherait l’explosion orchestrée d’un “cercle de feu” contre l’État israélien, mais cela s’est avéré une erreur dans une large mesure. Conformément aux souhaits de Téhéran et aux pressions de l’opinion publique libanaise, le Hezbollah a évité d’entrer dans un conflit frontal avec l’armée israélienne. Les Houthis (“Ansar Allah”) ont réussi, grâce au blocus de la mer Rouge, à perturber une route commerciale mondiale et à entraîner une intervention limitée menée par l’armée américaine, mais ils n’ont eu aucun effet sur les actions du régime israélien. Cependant, la crise en cours au niveau régional a suivi une tendance continue à l’expansion, dont l’enrayement dépend de l’arrêt de l’attaque contre Gaza.

    Un exercice d’équilibre pour le gouvernement israélien

    L’assassinat à Damas qui a conduit à l’attaque iranienne a finalement été un acte d’équilibre pour le régime israélien, qui a restauré et remis à l’ordre du jour les intérêts qui le lient à l’impérialisme occidental. Tout au long de la dernière période, les diverses divisions au sein du camp de l’impérialisme occidental ont été reléguées au second plan par rapport aux considérations géopolitiques fondamentales, dans le contexte de la lutte inter-impérialiste mondiale, entre le camp dirigé par Washington et celui dirigé par Pékin. Et ce, malgré les larmes de crocodile et la pression internationale croissante exercée par les gouvernements de l’”Occident” pour freiner l’attaque israélienne à Gaza, essentiellement par crainte de conséquences déstabilisatrices de grande ampleur, en particulier concernant la colère et la menace d’une radicalisation à grande échelle.

    Les livraisons massives d’armes et le soutien économique à la puissance occupante qui massacre les Palestiniens n’étaient certainement pas populaires et ont coûté à Biden un soutien électoral particulier. Cependant, elles visent à faire comprendre que Washington reste le “propriétaire” de la région, déterminé à resserrer une coalition de régimes en conflit avec le régime iranien, ses alliés et ses mandataires, et à repousser toute possibilité de renforcement de l’influence régionale des impérialismes chinois et russe aux dépens de l’”Occident”.

    Les contacts ouverts entre l’Indonésie, le plus grand pays musulman du monde – qui s’efforce de rejoindre le club de l’OCDE – et Israël, sur la possibilité de normaliser les relations, ainsi que la promotion continue de l’idée d’un futur accord entre les États-Unis et l’Arabie saoudite qui inclurait une alliance de défense et une normalisation israélo-saoudienne, illustrent la dynamique de la lutte inter-impérialiste entre les blocs. C’est également dans ce cadre qu’il faut considérer la crise sanglante à Gaza et les différentes décisions prises à Téhéran et à Tel-Aviv. Par conséquent, les contestations timides de l’attaque contre Gaza et de l’occupation sous la forme de mesures juridiques et diplomatiques, sous la pression de l’opinion publique et du mouvement de solidarité internationale, n’ont jusqu’à présent entraîné que des égratignures limitées dans les relations internationales entretenus par le capitalisme israélien.

    La lutte pour arrêter le bain de sang à Gaza et pour empêcher une guerre régionale

    La situation reste extrêmement volatile. Une autre attaque israélienne, tôt ou tard, contre des cibles iraniennes, pourrait également se heurter à une intervention coordonnée avec une puissance de feu importante de la part du Hezbollah, qui est facilement en mesure de pousser à une attaque israélienne catastrophique au Liban. Il pourrait même y avoir un tourbillon d’échanges directs de coups entre Israël et l’Iran, ce qui pourrait attirer une intervention plus profonde de la part de l’impérialisme américain, de Pékin et de Moscou. L’arrêt de l’attaque contre Gaza et des pogroms des forces militaires et des colons d’extrême droite contre les Palestiniens en Cisjordanie, ainsi que du danger d’une guerre régionale, restent une tâche urgente.

    Si les gouvernements “occidentaux” ont eu recours à des pressions croissantes pour obtenir un cessez-le-feu à Gaza, c’est par crainte de perdre le contrôle des événements et de voir se développer une colère et des luttes de masse. Les forces libérales, y compris dans la gauche israélienne, qui appellent l’administration Biden à résoudre la crise sont à côté de la plaque. Washington est le premier à favoriser et à alimenter le bain de sang à Gaza et le processus de confrontation régionale.

    Les manifestations de masse dans toute la région et dans le monde entier, les actions syndicales visant à stopper les livraisons d’armes, les manifestations pro-palestiniennes, ainsi que les manifestations israéliennes en faveur d’un accord pour la libération d’otages et de la tenue de nouvelles élections ont toutes exercé simultanément les pressions les plus importantes sur les gouvernements, y compris le gouvernement israélien, pour qu’ils fassent des concessions. Elles vont dans le sens de l’arrêt des atrocités et de la lutte pour sortir des circonstances qui ont conduit à cette situation.

    Afin d’arrêter cette spirale infernale, il est nécessaire de construire une lutte avec un programme d’opposition à l’attaque israélienne contre l’Iran et à la politique d’assassinats ainsi que pour stopper l’attaque et le bain de sang à Gaza. Il faut renforcer les manifestations, créer des organisations pour promouvoir la lutte et les actions organisées par les travailleurs du monde entier et de la région pour imposer un cessez-le-feu, s’opposer à l’agression militaire du gouvernement israélien de droite et à l’intervention impérialiste dans la région à partir de l’ouest et de l’est.

    Il faut renverser le gouvernement sanguinaire israélien et lutter contre tous les régimes oppressifs de la région. Il faut mettre fin au siège, à l’occupation, aux colonies et à la pauvreté. Il faut promouvoir la construction de partis socialistes reposant sur la lutte des classes dans toute la région. C’est ainsi que l’on pourra fournir toutes les ressources nécessaires à la reconstruction et à la restauration des communautés, sous le contrôle démocratique des communautés, à Gaza, dans le Néguev occidental/Naqab et des deux côtés de la frontière au Liban, par l’expropriation des banques et des ressources clés des mains du capital au niveau local et régional. Oui à une lutte de masse pour la libération nationale et sociale des Palestiniens et pour la paix régionale, basée sur un droit égal à l’existence et à l’autodétermination pour toutes les nations, dans le cadre d’une lutte pour la transformation socialiste de la société !

  • Inde. Modi s’apprête à entamer un nouveau mandat marqué par de nouvelles tensions communautaires et sociales

    L’establishment indien aime présenter le pays comme la plus grande démocratie du monde. Avec 1,4 milliard d’habitants, c’est effectivement le pays le plus peuplé et des élections sont prévues début mai. Le parti au pouvoir, le BJP (Bharatiya Janata Party, “Parti indien du Peuple”), un parti nationaliste hindou d’extrême droite qui compte 180 millions de membres, semble se diriger vers une nouvelle victoire. Non pas par enthousiasme pour ce que le parti du Premier ministre Modi a à offrir à la population, mais en raison de la faillite totale de l’opposition et d’un sectarisme religieux de plus en plus brutal.

    Modi, le nouveau dieu hindou

    Dans sa course au chauvinisme hindou, Modi a récemment ouvert un nouveau temple à Ayodhya, en faisant office de sorte de grand prêtre. Il ne s’agit pas de n’importe quel temple : la mosquée historique d’Ayodhya a été prise d’assaut et détruite en 1992 par des partisans du BJP qui voulaient construire un temple au même endroit pour honorer Ram. L’attaque avait été suivie de violences communautaires dans toute l’Inde. 2.000 personnes y ont trouvé la mort. Pour les nationalistes, Ram est “la personnification de notre concept de nationalisme culturel”, comme l’a déclaré l’ancien dirigeant du BJP Advani. Le nouveau temple, situé sur les ruines de l’ancienne mosquée, a été inauguré par Modi lors d’un spectacle particulièrement coûteux, avant même d’être entièrement achevé. Les députés du BJP ont alors parlé de Modi comme du “Roi des Dieux”. Ram n’est de toute évidence pas le seul à être vénéré dans ce temple…

    Ces événements ont donné un nouvel élan à la violence nationaliste principalement dirigée contre les musulmans. Des mosquées sont attaquées et tandis que nouvelles mesures sont avancées afin de refuser l’accès à la citoyenneté pour toute une partie de la population indienne. Des initiatives similaires avaient été précédemment repoussées par des mobilisations de masse. L’animosité envers le Pakistan voisin est également à nouveau alimentée, en particulier autour de la question du Cachemire, partagé entre l’Inde et le Pakistan.

    Ce nationalisme exacerbé sert à détourner l’attention de la crise sociale. Au cours d’une décennie, la politique du BJP et de Modi n’a délivré aucune amélioration pour la majorité de la population. Seuls les plus riches félicitent l’action gouvernementale, symbolisée par l’essor de Gautam Adani et Mukesh Ambani, deux milliardaires indiens qui figurent parmi les 20 personnes les plus riches au monde. Le pourcent le plus riche du pays détient 40,6% de l’ensemble des richesses. Le revers de la médaille, c’est que l’Inde compte le plus grand nombre de pauvres au monde : 228,9 millions de personnes.

    Tapis rouge pour les richissimes

    Le fossé obscène entre cette masse considérable de gens qui peinent à survivre et la richesse écœurante au sommet a une fois de plus été souligné début mars, à l’occasion de la grande célébration pré-mariage du plus jeune fils de Mukesh Ambani. L’élite capitaliste mondiale s’y était donnée rendez-vous, dont Bill Gates, Ivanka Trump, Rihanna, Mark Zuckerberg et un grand nombre des stars les plus en vue de “Bollywood”, le Hollywood indien. Ambani a choisi d’organiser cette fête à 140 millions d’euros dans l’État du Gujarat, dont Modi avait été nommé chef du gouvernement en 2001.

    Avec l’aide de l’élite économique, dont Ambani, le BJP et Modi dominent aujourd’hui la scène médiatique. Les règles électorales ont été opportunément modifiée afin d’autoriser les donations de millions de dollars aux campagnes électorales, principalement à l’avantage du BJP. Ce n’est aucunement un hasard si Ambani a décrit Modi comme “le premier ministre le plus prospère de l’histoire de l’Inde”, son succès ayant largement profité à son propre portefeuille et sa soif de prestige. L’autre figure de proue du capitalisme indien, Gautam Adani, a été brièvement sous le feu des critiques pour fraude, mais la clémence de la justice indienne a conduit l’enquête dans un cul-de-sac.

    Sans surprise, l’extrême droite indienne déroule le tapis rouge à la voracité de la classe capitaliste tandis que la grande majorité de la population continue de subir la misère. De grandes mobilisations ont toutefois eu lieu à plusieurs reprises, parmi lesquelles les plus grandes grèves générales de l’histoire de l’humanité ou encore les protestations de masse des agriculteurs qui ont partiellement stoppé la libéralisation du secteur agricole. La contestation paysanne se poursuit d’ailleurs toujours, en dépit d’une sévère répression de la part des autorités qui entendent offrir toute l’agriculture à l’agrobusiness. Mais, et c’est bien entendu crucial, la vaste protestation des agriculteurs, soutenue par le mouvement ouvrier, a imposé des concessions significatives à Modi. Une lutte acharnée de par le monde d’en bas, voilà la solution.

    La faillite de l’opposition

    Malheureusement, on ne peut pas compter sur l’opposition officielle. Le plus grand parti d’opposition est le Parti du Congrès, lui-même responsable de l’introduction des mesures néolibérales et qui, depuis 1980, n’est pas étranger à l’entrée du nationalisme hindou dans la politique. Malgré l’alliance des partis d’opposition, il ne semble pas que le BJP puisse être vaincu. La gauche s’est constamment affaiblie ces dernières années, essentiellement en raison des politiques antisociales qu’elle a elle-même appliqué, notamment au Bengale occidental. Résultat : la tradition d’un parti communiste autrefois puissant a largement disparu et le BJP a pu y faire une percée inédite. Aujourd’hui encore, les divers partis communistes du pays continuent de s’aligner sur le Pari du Congrès sur base de calculs électoraux au lieu de s’engager dans l’organisation de la lutte. Au niveau local, les partis d’opposition appliquent eux-mêmes des politiques antisociales et instrumentalisent les discriminations et l’oppression de castes. La faillite de l’opposition a élargi le champ des attaques antidémocratiques du BJP, telles que la suspension de plus de 140 députés en décembre et l’arrestation de dirigeants de partis d’opposition.

    Le maintien du BJP au pouvoir ne fera qu’accroître les tensions sectaires. Parallèlement, la discrimination fondée sur le système de castes s’intensifie. Sur la scène internationale, Modi s’aligne sur les intérêts de l’impérialisme américain et espère que son ami Trump sera réélu. Le régime indien veut faire entrer les investissements qui migrent hors de Chine, même si les infrastructures et les conditions générales offertes par l’Inde posent de nombreux obstacles. Les liens avec l’impérialisme américain sont utilisés dans sa concurrence face à l’impérialisme chinois. En dépit de la coopération officielle dans le cadre des pays BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), les tensions entre l’Inde et la Chine restent vives. La frontière entre la Chine et l’Arunachal Pradesh, au nord-est de l’Inde, fait l’objet de litiges, mais c’est surtout la concurrence régionale qui importe. Dans le même temps, Modi tente de préserver une sorte de semi-indépendance où subsistent de bonnes relations avec la Russie. Son régime n’a pas hésité à assassiner un séparatiste sikh de droite au Canada pour tendre les relations avec ce pays. Néanmoins, tout indique que les liens avec le bloc qui entoure l’impérialisme américain se renforcent et détermineront la position géopolitique de l’Inde.

    La période à venir sera marquée par de nouvelles tensions. En se limitant aux étroites limites du capitalisme, l’opposition indienne ne parviendra pas à enrayer la montée des divisions sociales, de la misère et de la violence communautaire. La riposte contre l’extrême droite passe par une stratégie de rupture de système reposant sur une classe ouvrière jeune et dynamique et une paysannerie pauvre unies dans la lutte contre toutes les formes d’oppression et d’exploitation. Alternative Socialiste – Inde (ASI) veut jouer un rôle à cet égard.

    Construire une alternative socialiste révolutionnaire

    Alternative Socialiste Internationale a commencé à construire une nouvelle section en Inde en 2020, en pleine pandémie. Il n’est pas évident d’entamer une tâche aussi importante que la construction d’une force révolutionnaire sur un sous-continent. Entre-temps, grâce à des réunions hebdomadaires visant à jeter les bases politiques de notre organisation, des progrès notables ont été réalisés. Les premières éditions d’un journal ont été publiées et notre section-soeur a participé à diverses actions, notamment contre le massacre à Gaza.

    Le 8 mars, Journée Internationale de lutte pour les Droits des Femmes, a été célébré avec le lancement de la campagne ROSA en Inde, lors d’une réunion où 18 personnes ont écouté Laura Fitzgerald de ROSA Irlande, Moumita d’ASI-Inde et Meena Kandasamy, écrivaine et activiste indienne bien connue. Le lien entre les différentes formes d’oppression sous le capitalisme a occupé une place prépondérante lors de cette réunion, qui a également mis l’accent sur la nécessité de lutter sans relâche contre l’oppression des castes. ASI en Inde aborde l’histoire et la réalité de la discrimination de caste afin d’affiner son analyse marxiste, une nécessité absolue dans un pays où le système de caste est si important. Le fait qu’un terme comme “paria” ait été adopté en français directement à partir du système de castes indien montre à quel point cette oppression est puissante.

    Il existe également des contacts avec la campagne PAPA (Project Affected People’s Association) qui s’est opposée au projet de construction de la mine à ciel ouvert Deucha Panchami à Birhbum, dans le Bengale occidental, qui serait la deuxième plus grande mine de ce type au monde. Pour cette mine, 21.000 personnes devront être déplacées, dont 9.000 Adivasis (un peuple autochtone) et 4.000 Dalits (les soi-disant “intouchables” qui sont exclus du système des castes). L’ensemble du projet est désastreux pour les populations locales, mais aussi pour l’environnement. Les seuls gagnants sont les propriétaires super-riches de la société minière et leurs marionnettes politiques. En collaboration avec la PAPA, ASI souhaite faire connaître la lutte contre ce projet minier au niveau international.

    Plus d’informations via socialistindia.org

0
    0
    Your Cart
    Your cart is emptyReturn to Shop