Six mois de guerre en Ukraine : Que peut faire le mouvement ouvrier ?

Au moins 9.000 soldats ukrainiens et 15.000 soldats russes ont été tués. Des dizaines de milliers de civils ont été tués et blessés. Quatorze millions d’Ukrainiens sont en fuite et d’innombrables familles ont été brisées. Les villes et les villages ont été réduits à l’état de décombres. Au niveau international, l’approvisionnement en énergie et en nourriture est menacé. Malgré les inondations, les sécheresses et les feux de forêt, les combustibles fossiles et l’énergie nucléaire sont à nouveau utilisés à plein régime. La stagflation (cocktail d’inflation élevée et de croissance molle) semble désormais inévitable et l’armement et le militarisme pointent vers plus de conflits. Pour le PSL/LSP, seul le mouvement ouvrier peut offrir une issue à la catastrophe. Voici pourquoi et comment.

Par Eric Byl

La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. L’Ukraine est devenue un champ de bataille où les grandes puissances impérialistes laissent leur lutte pour l’hégémonie se développer. Aucune solution ne peut être attendue d’eux, ni de leurs alliés. Même s’ils parviennent à un compromis pourri, la guerre reprendra dès que les forces armées se seront rétablies, si la situation ne s’aggrave pas déjà maintenant.

L’invasion avait pour but de modifier brutalement en faveur de l’oligarchie russe l’équilibre des forces tel qu’il s’était développé au cours des dernières décennies. Depuis la restauration du capitalisme, sa sphère d’influence a été constamment empiétée par des concurrents, principalement l’impérialisme occidental. Tout ce que la Russie a entrepris n’a fait que renforcer cette tendance, culminant dans une série de « révolutions de couleur » en Serbie (2000), en Géorgie (2003), en Ukraine (2004) et au Kirghizstan (2005).

Une ère de tensions géopolitiques

Après la grande récession de 2008/2009, la zone euro est entrée dans une crise existentielle. L’UE a été déchirée par des divisions internes dont le Brexit est le point culminant provisoire. Tous les États européens connaissent une polarisation, la résurgence des divisions nationales et l’affaiblissement de leurs institutions et partis traditionnels à la suite de décennies d’attaques néolibérales contre le niveau de vie.

Les États-Unis sont également divisés et affaiblis. Le parti républicain est désormais contrôlé par le populiste imprévisible Trump. Le parti démocrate n’est plus en mesure de s’imposer de manière crédible comme le leader de la nation. Sur le plan international, l’affaiblissement de l’impérialisme américain s’est manifesté par la retraite déshonorante de l’Afghanistan, après laquelle les talibans ont pris le pouvoir à la vitesse de l’éclair.

Parallèlement, la Chine est devenue le principal challenger de l’hégémonie de l’impérialisme américain. La division internationale du travail et la mondialisation ont stimulé le processus de développement combiné par l’échange et l’imitation. Sous le capitalisme, cependant, cela ne se passe pas de manière harmonieuse mais de manière chaotique et déséquilibrée, ce qui conduit inévitablement à des tensions et explique pourquoi le capitalisme est finalement synonyme de guerre.

Les États-Unis et la Chine sont engagés dans une course à la technologie, aux armements, aux sphères d’influence, aux relations diplomatiques, etc. Une confrontation militaire directe est hors de question pour l’instant. La Chine ne peut pas encore gérer une telle chose et la dissuasion nucléaire existe toujours bien entendu. Mais en attendant, la guerre froide entre ces deux puissances capitalistes est si dominante qu’elle est un facteur déterminant dans tous les événements mondiaux. Les sanctions contre le régime de Poutine et les livraisons d’armes à l’Ukraine constituent également un avertissement à la Chine concernant Taïwan. Si la rhétorique de guerre froide ne commence par à développer sa propre dynamique, une confrontation militaire directe n’est pour le moment toutefois pas à l’ordre du jour.

Pour le régime de Poutine, ces circonstances et l’accord « sans limites » avec Xi Jinping ont créé une opportunité exceptionnelle. S’il voulait un jour tracer une ligne rouge et encore jouer à l’avenir un rôle de superpuissance, le moment devait être saisi. Cela a probablement été renforcé par le fait que le régime de Poutine a réussi à réussi à maintenir en selle Assad, Lukashenko et Tokayev en Syrie, au Belarus et au Kazakhstan.

La guerre éclair de Poutine, cependant, s’est depuis enlisée dans une guerre de tranchées. Au lieu de diviser l’Occident, l’invasion a revitalisé l’OTAN avec une forte augmentation des dépenses militaires, une multiplication des troupes en Europe et l’intégration de la Suède et de la Finlande. Dans la région du Donbas, les troupes russes se retranchent pour l’hiver et dans le sud, la contre-offensive annoncée de l’armée ukrainienne est bloquée depuis plus d’un mois. Une fin n’est nulle part en vue.

Guerre froide et annexion impérialiste

Malgré la puissance de leur force de frappe, les troupes russes ont rencontré une résistance acharnée. Les livraisons d’armes et d’informations occidentales ont joué un rôle, mais cette guerre ne fait pas seulement partie de la nouvelle guerre froide, c’est aussi une guerre d’annexion impérialiste et c’est ainsi qu’elle est principalement perçue par la classe ouvrière ukrainienne.

Cette estimation explique pourquoi de nombreuses familles occidentales ont initialement accueilli des réfugiés ukrainiens en signe de solidarité. Pour les mêmes raisons, un véritable mouvement anti-guerre n’a pas encore vu le jour. Pour beaucoup de gens, la principale préoccupation est désormais de stopper Poutine, et bien qu’ils soient à juste titre sceptiques quant aux intentions de l’Occident, un sentiment plus fort dans les pays du monde néocolonial, cette inquiétude s’exprime notamment, malgré tout, par l’acceptation des sanctions, des livraisons d’armes, de l’augmentation des dépenses militaires et de l’expansion de l’OTAN.

Avec la lueur d’une opposition significative à la guerre en Russie, l’appel à un mouvement anti-guerre international massif a suscité une certaine sympathie, sans toutefois se traduire par une mobilisation active. Depuis lors, le mouvement anti-guerre en Russie a été jeté dans la clandestinité. Les participants ont fini en prison, se sont enfuis à l’étranger ou ont gardé le silence. Ce point lumineux a donc disparu. En Russie, le mouvement anti-guerre devra se restructurer et se concentrer sur la classe ouvrière qui souffre le plus de l’inflation et des pertes d’emploi et où le soutien à la guerre est moins prononcé que dans les couches plus aisées de la population.

Une stratégie et un programme pour le mouvement ouvrier en temps de guerre

Zelensky a été élu président de l’Ukraine en 2019 après une campagne anti-establishment et anti-corruption. Sous son gouvernement, cependant, des grandes entreprises d’Etat ont été privatisées, une loi pro-patronale a été votée, le salaire minimum a été gelé et l’enseignement et les soins de santé ont été commercialisés. Avant la guerre, sa popularité avait chuté à 30 %, mais elle s’est redressée, principalement car il a rejeté l’offre américaine de quitter le pays après l’invasion russe. Pour l’instant, la nation ukrainienne est unie derrière Zelensky dans la lutte pour chasser l’occupant.

Mais tandis que les soldats ukrainiens se battent pour protéger leurs terres, leurs maisons et leurs communautés de l’occupation russe, le gouvernement et l’armée protègent principalement le droit d’exploitation des oligarques qui estiment que leurs intérêts sont mieux servis par une politique pro-occidentale contre les tentatives du régime russe de remettre en cause ce droit dans ses propres intérêts. Ce choix se manifeste à tous les niveaux.

Évidemment, en frappant à la porte de l’impérialisme occidental. Celui-ci veut épuiser la Russie dans l’espoir de dissuader d’autres aventures similaires et d’affaiblir en même temps un allié de la Chine, mais il ne veut pas pousser le régime de Poutine dans ses derniers retranchements et au recours aux armes nucléaires. La campagne de guerre de Zelensky ne vise pas non plus à influencer les troupes russes démoralisées. Au contraire, tout comme Poutine interdit les symboles et la musique ukrainiens en Russie, la culture russe est également réprimée en Ukraine et tous les partis d’opposition ont été interdits.

Ce n’est pas Zelensky et le commandement de l’armée, mais la motivation du peuple et des soldats ukrainiens qui constituent le facteur décisif de la résistance à l’occupation. Si le mouvement des travailleuses et travailleurs peut organiser et contrôler cette motivation, beaucoup de choses sont possibles. Nous soutenons donc toute mesure, aussi petite soit-elle, qui remet en cause le contrôle de l’armée en Ukraine, qu’il s’agisse de la distribution d’un journal ouvrier-soldat, de l’élection libre de représentants des soldats pour superviser les conditions de vie dans les tranchées, de l’élection démocratique des officiers, ou de la formation de comités locaux de soldats et d’habitants locaux pour superviser les opérations militaires et la distribution de l’aide.

L’arsenal du mouvement ouvrier comprend également les réunions, les grèves et la désobéissance civile. La protestation des pompiers d’Enerhodar et le débrayage des travailleurs du site nucléaire de Zaporijia en illustrent le potentiel. Si cela était organisé à grande échelle et de manière systématique, cela aurait un effet colossal sur les forces russes démoralisées.

Les oligarques et leurs représentants politiques appellent à l’unité nationale, mais ils mènent une guerre de classe unilatérale pour réaliser leurs rêves les plus fous. UkrOboronProm, un consortium d’État regroupant 20 entreprises de défense ukrainiennes qui réalise de faramineux bénéfices, a été transformé en société d’actionnaires en vue de sa privatisation. La privatisation de 200 entreprises, principalement alimentaires, est annoncée pour septembre. En juillet, une nouvelle loi sur le travail a été adoptée à la hâte par le Parlement, la rada, restreignant les droits de 70 % des travailleurs, et la réforme des pensions, conçue avant la guerre, est maintenant appliquée de façon accélérée. Le chômage atteint 35 % et un prêt de 20 milliards de dollars est en cours de négociation avec le Fonds Monétaire International (FMI).

La production d’armes, de nourriture et de médicaments ne doit pas servir les superprofits des oligarques et certainement pas en temps de guerre. La communauté devrait les revendiquer et les placer sous le contrôle des travailleuses et travailleurs pour un plan de production et de distribution dans l’intérêt du peuple. Avec l’aide de la classe ouvrière internationale, les sorties de capitaux d’Ukraine doivent être tracées et saisis. L’inflation, la spéculation et la corruption peuvent être combattues par des comités de travailleurs et de quartier chargés de réguler les prix, d’expulser les spéculateurs et de superviser tous les contrats gouvernementaux pour éviter les pots-de-vin.

La nouvelle loi sur le travail devrait être abolie. Pour lutter contre le chômage, une réduction générale du temps de travail sans perte de salaire devrait être mise en œuvre. Les travailleurs enrôlés dans l’armée ou qui perdent leur emploi à cause de la guerre doivent recevoir leur salaire complet de la part de l’entreprise. Si les entreprises prouvent après avoir ouvert leur comptabilité qu’elles ne peuvent pas payer, un fonds d’État financé par un impôt de guerre spécial sur les riches devrait intervenir. Toute tentative d’utiliser la guerre pour affaiblir les pensions, les revenus, les conditions de travail et de vie doit être rejetée.

Toutes les capacités de production et les ressources financières doivent être mobilisées pour défendre les communautés, les maisons et les lieux de travail aussi efficacement que possible et pour commencer la reconstruction dès que possible sur les mêmes principes. Les patrons qui refusent la reprise par la communauté pour un tel plan national doivent être expropriés. Ce programme n’est qu’une indication du type de programme de guerre dont le mouvement ouvrier a besoin pour relever les défis. Rien qui approche ceci ne peut être attendu d’un gouvernement autre qu’un gouvernement ouvrier.

Un tel programme sera initialement accueilli avec suspicion, voire hostilité. Une victoire du régime de Poutine ou de Zelensky et de l’impérialisme occidental conduirait à davantage d’agressions sur le territoire national et à l’étranger. Nous ne pouvons soutenir ni l’un ni l’autre. Cependant, il est beaucoup plus probable qu’il s’agisse d’une guerre de longue haleine, sans vainqueur, dans laquelle les distinctions de classe deviennent de plus en plus claires. La guerre est une forme très concentrée de politique, ce n’est pas pour rien qu’elle a été qualifiée « d’accoucheuse de la révolution », et une règle d’or de la guerre est que l’on ne peut jamais attaquer une révolution avec une chance de succès. Si le mouvement ouvrier en Ukraine adopte le programme ci-dessus, il aura non seulement un effet énorme sur les soldats et les travailleurs russes, mais il déclenchera également le mouvement anti-guerre nécessaire dans le monde entier. Le mouvement ouvrier international se mobiliserait sans doute pour l’annulation des dettes contractées pendant la guerre.

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