Your cart is currently empty!
Category: International
-
Comment la migration est devenue un problème déterminant en Allemagne
Le « Wir schaffen das » de Merkel appartient clairement au passé. Dans un contexte marqué par la montée de l’extrême droite et les problèmes économiques, presque l’ensemble du spectre politique allemand recourt de plus en plus à un discours anti-migrants. La première partie de notre dossier sur l’Allemagne était principalement consacrée à la crise économique que traverse le pays, qui redevient peu à peu « l’homme malade de l’Europe ». Dans cette deuxième partie, nous nous concentrons sur la question de la migration.
Dossier de Christian (Louvain)
Depuis la parution de ce dossier en néerlandais début décembre, certaines tendances mentionnées se sont confirmées. Les élections fédérales de février approchent. La semaine dernière, des milliers de manifestants ont tenté d’entraver l’accès à une conférence du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) qui s’est tenue dans la ville saxonne de Riesa, où les détails de sa plateforme de campagne ont été finalisés. Encouragée par les développements outre-Atlantique, la conférence a publiquement adopté les « rapatriements à grande échelle », également appelés « remigration ». Selon les derniers sondages, l’AfD est crédité de 20 % des intentions de vote, soit près du double par rapport à 2021.
La migration face aux avancées internationales de l’extrême-droite
Peu après sa réélection, Trump a déclaré qu’« aucun prix n’était trop élevé » lorsqu’il s’agit d’expulser massivement les migrants sans papiers. Il entend mettre en œuvre, dès le premier jour de son mandat, « la plus grande campagne d’expulsion de l’histoire des États-Unis ». Son colistier, JD Vance, a estimé qu’un million de personnes pourraient être expulsées chaque année.[1] Le système de réinstallation des réfugiés pourrait être complètement démantelé.[2] Trump affirme vouloir faire appel à l’armée ou à la garde nationale pour réaliser son projet. Il est vrai que, durant son dernier mandat, les mesures anti-migrants de Trump n’ont pas été à la hauteur de sa rhétorique outrancière. Il n’a, par exemple, jamais atteint les quelque 400 000 expulsions annuelles observées au début de l’administration Obama.[3] Toutefois, il est probable que la deuxième administration Trump sera mieux préparée que ne l’était la première. Quelle que soit l’ampleur des objectifs affichés, le trumpisme attise le débat sur l’immigration de l’autre côté de l’Atlantique.
En Europe, l’immigration est sans doute l’une des causes favorites de l’extrême droite. Elle regroupe des enjeux tels que l’insécurité et l’identité nationale, dans un contexte de concurrence féroce pour des ressources prétendument limitées au sein d’un système capitaliste en crise. La question de l’immigration offre ainsi d’innombrables opportunités de capitaliser sur le racisme et le ressentiment. Cependant, depuis plusieurs années, face à la crise de leur système, les partis traditionnels s’aventurent de plus en plus sur ce même terrain rhétorique. De surcroît, ces partis font adopter des lois sur l’immigration qui concrétisent d’importants aspects du programme de l’extrême droite.
Alors qu’en 2016, Orbán était quasiment le seul chef d’État de l’Union européenne à célébrer l’élection de Donald Trump, le tableau est bien différent aujourd’hui. En Italie, où Berlusconi a préfiguré le phénomène Trump, l’absence d’une alternative de gauche a conduit à l’élection du gouvernement Meloni, dont les racines plongent dans le passé fasciste du pays. On peut également mentionner le gouvernement de Geert Wilders aux Pays-Bas, ainsi que l’Autriche, où le Parti de la liberté (FPÖ) d’extrême droite est arrivé en tête lors des élections de septembre. En France, le Rassemblement national (RN) est désormais invariablement présent au second tour des élections présidentielles. Ce qui reste des Républicains (centre-droite) a totalement capitulé devant le RN. Le gouvernement de François Bayrou gouverne grâce au soutien du parti de Marine Le Pen. De nouvelles élections pourraient avoir lieu dès l’été prochain. Un point positif demeure : en France, il existe encore une offre politique de gauche.
Politique migratoire allemande – un cas emblématique
En matière d’immigration, l’Allemagne est depuis longtemps au cœur des polémiques concernant des politiques d’immigration jugées trop permissives. En 2015, 1,1 million de réfugiés, pour la plupart fuyant des conflits, notamment en Syrie et en Afghanistan, ont été accueillis en Allemagne. Entre 2015 et 2017, l’Allemagne a ainsi reçu environ la moitié de toutes les demandes d’asile déposées dans l’UE. Cependant, la politique de porte ouverte, le « Wir schaffen das » (Nous y arriverons) d’Angela Merkel, semble aujourd’hui bien lointaine. À présent, l’élite politique allemande, et en particulier les chrétiens-démocrates CDU/CSU de Merkel, est plus déterminée que jamais à se distancer radicalement de ses prétendues largesses passées. Merkel elle-même, dans une interview récente avec la BBC, affirme que la seule façon de lutter contre l’extrême droite est de mettre un terme à l’immigration illégale.[4]
La posture d’ouverture de 2015 n’avait déjà pas été une évidence. Lorsque Merkel a prononcé ses célèbres mots en août 2015, le mouvement de protestation islamophobe d’extrême droite Pegida (Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes : Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident) était à son apogée.
La législation allemande sur l’asile a été sévèrement restreinte dès 1993 à la suite de l’incident de Rostock-Lichtenhagen. Cet incident, délibérément orchestré par les autorités à des fins politiques, a vu des centaines de personnes, menées par des éléments d’extrême droite, attaquer un abri pour réfugiés à l’aide de pierres et d’engins incendiaires. Il est possible que la chancelière ait accueilli favorablement l’arrivée des réfugiés, car la sympathie populaire largement répandue à l’époque ne lui permettait pas de les repousser violemment à la frontière. De plus, une partie du capital allemand voyait d’un bon œil ce que cet influx pourrait apporter au marché du travail. Une étude récente a montré que les réfugiés en Allemagne s’étaient globalement bien intégrés dans le marché de l’emploi. Cela pourrait indiquer que ce segment du capital a effectivement fait le bon choix.[5]
En revanche, l’ouverture envers les migrants n’a pas duré. Les réfugiés ont rapidement été identifiés comme une source de criminalité et d’insécurité, notamment dans le contexte de plusieurs attentats terroristes, dont certains ont eu lieu en Allemagne. Suite aux critiques concernant la couverture médiatique des incidents survenus lors des fêtes de fin d’année 2015-2016 à Cologne (vols et agressions sexuelles massives de femmes), les directives relatives à la couverture médiatique des délits ont été assouplies. Cela a entraîné une augmentation des mentions de l’origine (notamment étrangère) des suspects. Ce constat intervient alors que les statistiques criminelles n’ont pas révélé d’augmentation notable du nombre de criminels étrangers durant cette période.[6]
Merkel a tenté en vain d’imposer des quotas de migrants aux autres pays de l’UE afin de partager le « fardeau ». Dès lors, les gouvernements allemands successifs se sont concentrés sur la réduction du flux de réfugiés à un niveau minimal, notamment à travers des accords visant à réprimer la « migration irrégulière ». Cela inclut le traité de 2016 entre l’UE et la Turquie, ainsi que divers accords entre Frontex (l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes) et les autorités libyennes. Les politiques de déportation et de refoulement de l’UE vers des pays tiers dangereux, où elle finance la détention dans des conditions inhumaines, sont responsables de plus de 30 000 décès de migrants en Méditerranée.[7]
Fantasmes d’extrême droite et chrétiens-démocrates
Il y a tout juste un an, en novembre 2023, des politiciens du parti AfD ont organisé une rencontre avec d’autres militants d’extrême droite pour discuter d’un « plan directeur » visant à expulser des millions de personnes d’Allemagne. Deux politiciens de la CDU/CSU étaient également présents. Les propositions incluaient même l’expulsion de citoyens allemands naturalisés jugés « encombrants » ou considérés comme « non assimilés ». Ce plan était présidé par Martin Sellner, le chef de file du Mouvement identitaire autrichien, adepte de la théorie du « grand remplacement ». Ce même Sellner avait déjà été invité quelques mois plus tôt par le NSV, l’organisation étudiante du Vlaams Belang, pour s’exprimer à l’Université catholique de Louvain (KUL).
Bien qu’il soit possible d’établir un parallèle avec la situation actuelle aux États-Unis, la réunion susmentionnée a dû se tenir à huis clos. Lorsqu’elle a été révélée par des journalistes en janvier 2024, cela a déclenché des manifestations rassemblant plusieurs centaines de milliers de personnes. Cette situation a contraint l’AfD à faire marche arrière, avec des démentis confirmant sa participation à la réunion tout en niant son adhésion au projet de « remigration » défendu par Sellner.[8] En plus d’une déclaration favorable à la SS émise par un haut responsable de l’AfD, c’est sans doute cette controverse, ainsi que les vastes mobilisations qu’elle a engendrées, qui ont conduit le RN français et les Fratelli d’Italia de Meloni à expulser l’AfD de leur groupe au Parlement européen.
Jusqu’à présent, le cordon sanitaire contre l’AfD reste solide dans les trois Länder de l’Est où se sont déroulées les élections de septembre. En Thuringe, une coalition entre la CDU, le Parti social-démocrate (SPD) et le Bündnis Sahra Wagenknecht (BSW) a été formée, tandis qu’une coalition SPD-BSW a été établie dans le Brandebourg. La Saxe pourrait envisager une coalition minoritaire entre la CDU et le SPD.
Si, en Allemagne, l’AfD ne fera sans doute pas partie du prochain gouvernement fédéral, les chrétiens-démocrates CDU/CSU qui dominent celui-ci s’orientent clairement sur l’AfD. Le 12 juillet dernier les ministres de l’Intérieur des régions appartenant à la CDU/CSU en réunion à Dresde publièrent une déclaration intitulée ‘Créer de la sécurité – pour un changement de cap dans la Politique d’asile.’[9] Les ministres se plaignent du manque de ressources des communes pour intégrer correctement un nombre excessif de réfugiés qui arrivent en Allemagne. Ceci, d’après eux, est en raison du manque d’engagement pour l’accord de Dublin de certains autres États membres de l’UE. Ils dénoncent la croissance de la criminalité violente chez les plus jeunes et réclament des moyens légaux pour permettre une “offensive de rapatriement”. Ils exigent notamment l’expulsion de criminels vers l’Afghanistan, la Syrie et la Libye, la suspension du regroupement familial, l’allongement de la liste des « pays sûrs » et l’externalisation de procédures d’asile vers des États tiers.
Dans les mois suivants, l’opportunité allait se présenter pour pousser un tel changement de cap.
Attaque de Solingen et élections régionales, contrôles aux frontières
Le 24 août, à Solingen en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, une attaque au couteau lors d’un festival fit trois morts et huit blessés. Le crime fut ultérieurement revendiqué par ISIS. L’accusé est un réfugié syrien qui aurait dû déjà être expulsé l’année dernière vers son premier pays d’entrée dans l’UE, la Bulgarie. Cet incident fut fortement instrumentalisé lors des élections régionales de septembre en Thuringe, en Saxe et dans le Brandebourg. Des cris s’élevèrent dans les médias et presque tous les partis politiques réclamant l’application définitive des règles de Dublin, qui, dans la pratique, transfèrent la responsabilité de la majorité des réfugiés aux pays du sud de l’Europe. Le chef de l’opposition allemande Friedrich Merz (CDU) alla jusqu’à suggérer au gouvernement de déclarer l’état d’urgence national si les règles ne pouvaient être appliquées.[10]
À la suite des succès électoraux de l’AfD en Thuringe et en Saxe, le gouvernement fédéral de centre-gauche se pressa à donner écho à la surenchère anti-réfugiée. Il fallait agir pour « lutter contre l’immigration irrégulière et la criminalité transfrontalière ». Ainsi, le 16 septembre, le gouvernement étend les contrôles ponctuels des passeports pour les six prochains mois à toutes les frontières terrestres de l’Allemagne. De tels contrôles avaient déjà été introduits sur la frontière autrichienne durant la “crise migratoire” de 2015. En octobre 2023, ces mesures furent étendues aux frontières polonaises, tchèques et suisses. Désormais, ces contrôles concernent également les frontières françaises, luxembourgeoises, belges, néerlandaises et danoises.
Le système Schengen en danger ?
Bien que d’abord critiquées par de nombreux gouvernements de l’UE, à l’extrême droite, ces mesures sont très appréciées. En Belgique, le Vlaams Belang se félicita que l’introduction de ses mesures, pour lesquelles il affirme avoir longtemps plaidé, démontre que « les esprits en Europe mûrissent ».[11] En Hongrie, Orban, lui, se sent enfin « compris ». Il accueillit ostensiblement les Allemands et leur chancelier dans le club de ceux qui se sont réveillés aux méfaits de l’immigration.[12] Pour Geert Wilders aux Pays-Bas, la conclusion a été : « Si l’Allemagne peut le faire, pourquoi pas nous ? »[13]
Les médias parlent déjà de la fin du système Schengen. Ce qui est certain, c’est que ces contrôles par le plus puissant État de l’UE représentent une accélération de l’effritement du principe fondamental de l’espace Schengen, c’est-à-dire celui d’un espace de libre circulation sans contrôles aux frontières intérieures. Bien que de tels contrôles temporaires aient déjà été présents auparavant, l’initiative allemande a déclenché une nouvelle vague de mesures du même type. Les contrôles aux frontières intérieures sont autorisés par le Code des Frontières Schengen (CFS) comme mesure de dernier recours. Toutefois, de plus en plus, elles sont en train de devenir la règle plutôt que l’exception.
La France a rétabli les contrôles à toutes ses frontières terrestres, aériennes et maritimes avec le Luxembourg, la Belgique, l’Allemagne, la Suisse, l’Espagne et l’Italie pour une durée de six mois à partir du 1ᵉʳ novembre 2024.[14] L’Autriche a également réintroduit des contrôles aux frontières tchèque, hongroise et slovène. Aux Pays-Bas, le gouvernement Wilders a annoncé des contrôles dès la fin de novembre.[15]
La Belgique, où une coalition fédérale nettement plus à droite que la précédente est en cours de négociation, pourrait suivre ses voisins en matière de contrôles aux frontières.[16] C’est notamment le président du MR, Georges-Louis Bouchez, en phase avec sa trajectoire trumpiste, qui prône le renforcement des contrôles aux frontières nationales pour lutter contre l’immigration illégale.
Mesure surtout symbolique
Scholz se félicite déjà de la réduction du flux des réfugiés. Pourtant, au moment de l’introduction des contrôles, les nouvelles arrivées de réfugiés en Allemagne étaient déjà en baisse de 22 % par rapport à la même période en 2023.[17]
En effet, ces contrôles qui se concentrent sur les grandes routes et les autoroutes ne sont pas particulièrement efficaces pour endiguer les flux migratoires. Même des politiciens locaux de la CDU expriment des critiques quant aux inconvénients causés aux citoyens qui traversent la frontière pour travailler ou faire des courses. Dans la Sarre, en moyenne, seul un passage frontalier sur 13 fait l’objet d’un contrôle aléatoire. Certaines critiques de droite suggèrent ainsi qu’au lieu de telles mesures symboliques, il faudrait redoubler les efforts pour sécuriser correctement les frontières extérieures de l’UE. Là, les conséquences mortelles seront moins visibles et ne gêneront pas les électeurs.
Malgré les tendances observées, la fin définitive du système Schengen que représenterait la réintroduction permanente et surtout plus systématique des contrôles aux frontières n’est donc pas assurée. Cela représenterait un coup administratif et économique considérable. De plus, la fin de ce que les citoyens européens considèrent comme l’une des réalisations les plus importantes de l’UE risquerait d’ébranler profondément la confiance dans le projet européen, tant sur le plan politique qu’en termes d’investissements.[18]
Surenchère ; qui saura dissuader les demandeurs d’asile ?
Scholz a déclaré mi-octobre que l’Allemagne devait commencer à expulser « à grande échelle » les migrants qui n’ont pas le droit de rester. Le gouvernement fédéral « feu tricolore » (SPD, Verts et libéraux, FDP) a approuvé le 23 octobre une loi visant à faciliter l’expulsion des demandeurs d’asile déboutés. Elle étend la garde à vue avant expulsion de 10 à 28 jours, autorise les perquisitions résidentielles pour obtenir des documents permettant d’établir l’identité d’une personne et, dans certains cas, supprime l’obligation de notifier à l’avance les expulsions.[19]
Pour les chrétiens-démocrates, ces mesures sont insuffisantes. Ils ont voté contre. Lors de son congrès début octobre, le CSU (chrétiens démocrates de Bavière) s’est déclaré en faveur d’une limite aux requêtes d’asile. Celle-ci devrait être nettement inférieure à 100,000 par an. Les libéraux du FDP, alors encore au gouvernement, voudraient aussi aller plus loin ; de mettre les réfugiés obligés de quitter le pays au régime « Bett, Seife, Brot » (un lit, du savon et du pain).[20] Une coupe de toute aide financière à ceux qui résistent à se faire expulser promet que la misère augmenterait probablement l’insécurité et le recours à la criminalité. Le BSW reproche lui aussi au gouvernement de ne pas être assez conséquent dans sa politique migratoire.
Le SPD et les Verts sont ainsi attaqués depuis la droite. Ils sont accusés de créer de faux espoirs d’une réduction des arrivées de réfugiés et des déportations à grande échelle alors que leurs mesures, surtout symboliques, n’ont aucune chance d’arriver à de tels résultats. D’après le CDU/CSU le contraste entre la rhétorique et la réalité alimente le soutien à l’AfD et au BSW. Les chrétiens démocrates prétendent s’attaquer plus sérieusement au problème, barrant ceci faisant aussi le passage aux extrêmes. Ils prônent ainsi des mesures dites efficaces, par exemple, l’externalisation des procédures d’asile vers des pays tiers sûrs. L’examen de cette mesure avait même déjà été inclus dans le contrat de coalition du gouvernement « feu tricolore ». En trois ans, cet examen n’a toutefois jamais eu lieu. Probablement, cela est-il dû au fait de son impopularité auprès d’une partie de l’électorat « progressiste » ou de gauche.[21]
Externaliser la politique de l’asile
L’Australie a commencé à mettre en place un traitement extraterritorial de l’asile dès 2001. Des demandeurs d’asile furent notamment envoyés à Nauru (2001-2007) puis sur l’île de Manus en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Illégale, selon le droit international, cette approche a causé des conditions de vie terribles pour les réfugiés. Ceci a particulièrement entraîné de nombreux suicides, y compris parmi les enfants. Malgré cela, ou plutôt à cause de cela (à des fins de dissuasion), une majorité de pays de l’UE sont désormais intéressés à suivre la même voie. Peu après le passage du nouveau pacte européen sur les migrations et l’asile de mai 2024, un groupe de 15 États membres dirigé par le Danemark a demandé à la Commission européenne d’examiner une possible sous-traitance de ses demandeurs d’asile.[22] Le futur gouvernement allemand Merz appuiera sans doute une telle démarche.
Le gouvernement de Meloni en Italie a cherché à jouer un rôle de pionnier en fournissant un modèle pour d’autres gouvernements. Le protocole signé entre l’Italie et l’Albanie en 2023 prévoit de confier à l’Albanie le traitement allant jusqu’à 36 000 demandes d’asile par an, soit 3 000 par mois.[23] Les premiers migrants ont été envoyés en Albanie à la mi-octobre, mais le camp de Gjäder reste aujourd’hui vide. Le projet est pour l’instant bloqué par des juges italiens qui ont ordonné à deux reprises le renvoi de demandeurs d’asile en Italie. C’est notamment la très longue liste de pays “sûrs” qui soulève des questions. Les migrants concernés venaient d’Égypte et du Bangladesh. Outre les obstacles juridiques, l’externalisation se heurte à des problèmes de coûts élevés et des difficultés à trouver des pays de « décharge » adaptés. Par ailleurs, l’évolutivité présente un grand problème. Selon les estimations les plus généreuses, le programme Italie-Albanie permettrait de traiter seul un cinquième des migrants traversant actuellement la Méditerranée.[24]
Surtout pas de « largesses » !
Suivant la philosophie « Bett, Seife, Brot », le Bundestag débat aussi présentement de l’introduction d’une carte de paiement destinée aux demandeurs d’asile. 14 des 16 Länder (régions) allemands s’étaient mis d’accord fin 2023 et en avril, le feu vert avait été donné au niveau fédéral. D’abord testée dans quelques petites villes bavaroises, elle a déjà été introduite dans plusieurs régions et communes à travers le pays. Au niveau fédéral, elle devrait arriver avant la fin de l’année. La mesure prévoit que les demandeurs d’asile reçoivent leurs prestations sur une carte à utiliser uniquement dans les magasins locaux et pour payer certains services. L’accès au cash serait limité à 50 euros par mois. Cette politique repose sur la stigmatisation des réfugiés comme recevant des prestations plus que généreuses, ce qui leur permettrait d’envoyer de l’argent à l’étranger. On prétend que cela devrait, entre autres, rendre l’Allemagne moins attractive aux réfugiés.[25]
Une telle approche reflète la trajectoire de la politique migratoire un peu partout sur le continent. En France, notamment, le débat sur la suppression de l’aide médicale d’État (AME), une aide qui assure des soins gratuits aux sans-papiers, ne cesse de refaire surface. Malgré sa valeur non seulement humanitaire, mais aussi de santé publique, la droite traditionnelle soutient largement les efforts du RN pour la supprimer. Quel qu’en soit le prix, réduire les migrants au rang de pestiférés ne peut qu’être utile au discours d’extrême droite.[26]
Maigres alternatives de « gauche » …
Il est inquiétant de constater que la seule force politique qui propose quelque chose qui ressemble quelque peu à une position alternative, Die Linke, a presque disparu de la scène politique. Le BSW, qui s’est séparé de Die Linke et a dépassé celle-ci électoralement et dans le débat public, suit volontiers le glissement général vers la droite sur la question migratoire observé dans l’ensemble du spectre des partis traditionnels.
Depuis sa fondation au début de l’année, le discours migratoire du BSW s’est déplacé encore plus à droite. La devise du BSW « Vernunft und Gerechtigkeit » (raison et justice) sous-entend un appel à ce qui est raisonnable d’après les règles du système. Le raisonnement de Wagenknecht accepte pleinement les prémisses d’un ordre économique où les travailleurs sont obligés de se battre l’un contre l’autre pour les miettes laissées par les patrons, un monde d’États-nations où il faut d’abord s’occuper « des siens ». Wagenknecht exige que la fraude à l’aide sociale soit combattue, près de la moitié des bénéficiaires de l’aide sociale étant des non-citoyens, venus en Allemagne non pas à cause d’un ordre mondial inégal source de conflits impérialistes, mais parce que la politique allemande de migration et d’intégration a échoué. D’après elle, « un État-providence fort ne fonctionne que si tout le monde ne peut pas y immigrer.” L’écrasante majorité des demandeurs d’asile arrivés de “pays tiers sûrs” ne devrait avoir “ni droit à une procédure ni à des prestations”. Les réfugiés reconnus ne devraient avoir droit aux allocations sociales qu’après avoir d’abord cotisé. L’argent économisé devrait être « utilisé pour des retraites plus élevées et de meilleurs soins de santé pour notre propre population ». La politique migratoire du Danemark est notamment pointée comme un exemple à suivre.[27]
Die Linke, désormais beaucoup moins en vue, se positionne plus ou moins correctement dans plusieurs débats autour de la migration. Par rapport à l’extension des contrôles aux frontières, elle décrit particulièrement qu’une « revendication fondamentale de l’extrême droite, vieille de plusieurs décennies, a [ainsi] été satisfaite. Enfin, une reprise des contrôles aux frontières allemandes. Voilà donc le progrès de l’auto-proclamée Coalition du progrès. »[28] Par ailleurs, dans le débat sur les cartes de paiement, Die Linke affirme à juste titre que, loin d’être trop généreuse, l’aide financière que perçoivent les demandeurs d’asile est déjà inférieure au minimum existentiel.
Toutefois, la politique de Die Linke est très loin d’être à la hauteur de ce que devrait être son rôle. Beaucoup de ses positions sont anodines et confuses, en partie le résultat de vastes divergences internes, de quoi décourager les militants engagés dans les luttes. Là où Die Linke a pris part à des gouvernements régionaux, elle a d’ailleurs participé aux expulsions de réfugiés. Sa position sur la cause palestinienne est de loin inférieure à celle du BSW. Dans sa déclaration sur les nouveaux contrôles frontaliers, elle préconise aussi que pour assurer la sécurité, il faut plutôt s’en prendre à l’islamisme. À cette fin, elle prône un mix d’investissements publics et de mesures répressives.
Répression politique ; Israël et son génocide
Même si, en tant que socialistes, nous opposons l’islam politique de droite (par exemple, nous prenons une part active au soutien au mouvement « femmes, vie, liberté « en Iran) et entendons qu’il est nécessaire de combattre ses expressions violentes, nous sommes également extrêmement conscients du danger de donner davantage de pouvoirs répressifs à l’État bourgeois. Les exemples, allant des luttes pour la décolonisation à la « guerre contre le terrorisme », sont légion. Par ailleurs, est-il dangereux de laisser la souveraineté d’interprétation, que cela concerne « l’islamisme » ou d’autres catégories vilipendées, à l’État bourgeois. C’est d’autant plus vrai que cet État est actuellement en prise à une radicalisation dans une direction répressive, raciste et islamophobe.
La position particulièrement répugnante et complicite de l’État allemand à l’égard du génocide à Gaza, même selon les critères de l’impérialisme occidental, est un parfait exemple de ce danger. L’opposition au Sionisme ou tout bonnement aux crimes de l’État d’Israël est assimilée à l’antisémitisme. Tout au plus, l’actuel gouvernement d’extrême droite en Israël peut être critiqué, mais cette critique ne peut jamais s’étendre au système colonial / d’apartheid en tant que tel. Dans le discours officiel, ce « nouvel antisémitisme » se situe surtout auprès de la « gauche radicale » et parmi les musulmans. À ce titre, les militants sont criminalisés et le mouvement de solidarité avec la Palestine se voit privé de son droit de manifester. Ceci donne aussi l’occasion à l’extrême droite, laquelle bien sûr admire l’apartheid et les boucheries coloniales, de se blanchir de sa profonde haine des juifs et de son négationnisme.
Une résolution définissant l’antisémitisme presque exclusivement comme une opposition au sionisme et permettant le refus ou le retrait du financement des chercheurs et des artistes exprimant leur soutien aux droits des Palestiniens a été récemment approuvée par le Bundestag. Seul le BSW a voté contre, tandis que Die Linke s’est honteusement abstenue. Après le vote, l’AfD a félicité les Verts d’avoir enfin compris qu’en Allemagne, les migrants musulmans sont la principale source de l’antisémitisme contemporain.[29]
« Valeurs allemandes »
Selon le récit officiel de l’État allemand, les Juifs en Allemagne, qu’ils aient la citoyenneté israélienne ou non, sont censés exprimer une loyauté inconditionnelle à l’État d’Israël, sous peine d’être réduits au silence. Une récente une du magazine Der Spiegel a notamment identifié l’ambassade d’Israël comme « l’ambassade juive ». Les Juifs ne sont valorisés que dans la mesure où ils font partie du projet sioniste expiatoire, une pierre angulaire de la légitimation de l’État bourgeois allemand.[30] En tant que tels, ils ne peuvent pas véritablement être considérés comme allemands. Ce projet expiatoire est aussi commodément aligné sur l’impérialisme occidental dirigé par les États-Unis. Compte tenu de la réalité géopolitique post-invasion de l’Ukraine, la bourgeoisie allemande s’est vue obligée de redoubler son alignement sur Washington.
Après les attaques du 7 octobre, le ministre allemand de l’Intérieur Faeser et le leader du SPD Klingbeil ont appelé à « l’expulsion des partisans de l’Hamas ». Des propos similaires sont également venus de la CDU, dont le secrétaire général a même appelé à la « révocation » de la citoyenneté allemande. Qui peut faire confiance à ces politiciens pour décider ce qui constitue un soutien de l’Hamas ? De plus, étant donné leur soutien actif au génocide, ils n’ont aucune légitimité pour porter un jugement là où de telles sympathies pourraient exister.
Même si l’expulsion ou la révocation de nationalité pourrait rester exceptionnelle, les refus du séjour permanent ou de la naturalisation pourraient devenir des mesures généralisées.[31] Plus récemment, le ministre de l’Intérieur a déclaré que ceux qui partagent, aiment ou commentent le slogan pro-Palestine « Du fleuve à la mer » sur les réseaux sociaux ne seraient pas éligible d’obtenir la citoyenneté allemande.[32] Ces déclarations ont depuis donné lieu à de nouvelles lois. La nouvelle loi allemande sur la citoyenneté exige que les candidats déclarent leur conviction que l’État d’Israël a le droit d’exister. Un ensemble de lois initialement destinées à simplifier le parcours vers la citoyenneté pour les migrants de première génération a ainsi été reformulé comme une mesure visant à garantir le respect des « valeurs allemandes ».[33] Bien entendu, les cibles implicites de ces lois sont les musulmans.
D’ailleurs, l’Allemagne n’est pas un cas exceptionnel. Aux Pays-Bas, à la suite des émeutes d’Amsterdam en novembre, le gouvernement Wilders cherche à élargir les possibilités du retrait du passeport des Néerlandais ayant la double nationalité. Une telle loi visant des individus accusés de terrorisme, introduite en 2017 et rendue permanente en 2022, pourrait ainsi être étendue à « l’antisémitisme ».[34] Des immigrants de deuxième ou troisième génération pourraient ainsi être menacés d’expulsion du pays.[35]
La politique des partis établis accroît non seulement le racisme systémique, mais alimente également le discours de l’extrême droite, facilitant son ascension et encourageant des groupes violents à passer à l’acte. Une récente enquête par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) a révélé que les musulmans de l’UE ont connu depuis 2016 « une forte augmentation » (voir plus de 39 %) du racisme et de la discrimination dans leur vie quotidienne. Les taux de racisme les plus élevés ont été enregistrés en Allemagne, ainsi qu’en Autriche et en Finlande.[36]
L’Allemagne (et l’Europe) a besoin de migration
Avec l’approfondissement de la crise capitaliste, le système a besoin de l’échappatoire de la haine anti-migrants. C’est ainsi que la surenchère sur ce thème est devenue monnaie courante parmi à peu près tous les partis bourgeois. Pourtant, à ce stade, ceci comporte aussi des risques majeurs. D’une part, en normalisant l’extrême droite, cela peut lui ouvrir une voie vers le pouvoir. De l’autre part, il y a le fait qu’actuellement toutes les économies développées ont un besoin structurel d’immigration pour rester compétitives. Selon les experts, en raison de la baisse de la main-d’œuvre couplée au vieillissement de la population, l’Allemagne a besoin d’une migration annuelle d’environ 400 000 travailleurs qualifiés. Outre les facteurs démographiques, l’immigration contribue également à compenser le manque d’investissement dans des domaines tels que l’éducation. Elle aide aussi à trouver du personnel pour des secteurs dans lesquels la logique du marché et l’austérité ont créé des conditions de travail désastreuses et un niveau de rémunération inacceptable. Des secteurs essentiels, tels celui de la santé et des soins ou encore de l’agriculture, en sont de parfaits exemples. Même en période de récession, le besoin d’immigrants reste donc assez important.[37]
C’est ainsi que les mêmes experts qui prônent l’externalisation des procédures d’asile se soucient aussi de l’impact économique des contrôles aux frontières internes de l’UE et de l’image anti-immigration qui pourrait effrayer de potentiels migrants dont l’économie aurait besoin. La bourgeoisie allemande a déjà fait l’expérience des méfaits d’une rhétorique anti-migrants outrancière. Lors d’une précédente crise structurelle, à savoir au début du mandat du chancelier Gerhard Schröder, le gouvernement visait à recruter 20 000 informaticiens à l’étranger, notamment en Inde. Le slogan de la CDU lors des élections régionales, “Kinder statt Inder” (des enfants plutôt que des Indiens), avait nui à ses efforts.[38] Encore aujourd’hui, l’Allemagne connaît un grand retard dans le secteur de l’IT.
La tension entre les intérêts économiques et la recherche de boucs émissaires est toujours présente. Parallèlement à l’intensification de la rhétorique anti-migrants contre les réfugiés, comme étrangers illégaux, profiteurs et criminels, l’Allemagne simplifie les procédures de citoyenneté. Selon la nouvelle loi introduite en juin, la même qui exige la reconnaissance d’Israël, les étrangers peuvent désormais obtenir la nationalité allemande après cinq ans de résidence dans le pays au lieu de huit ans auparavant. En outre, la nouvelle loi autorise à présent également la multiple citoyenneté, ce qui signifie que les candidats à la naturalisation n’ont plus besoin de renoncer à leur citoyenneté précédente.[39]
Des programmes élaborés visant à discipliner et à expulser les demandeurs d’asile coexistent avec des pratiques de longue date d’un recrutement actif à l’étranger, par exemple aux Balkans pour le travail dans les Ehpad et les maisons de retraite. La bourgeoisie allemande est tout à fait favorable à une approche à l’immigration qu’elle qualifie de « gagnant-gagnant ». Un exemple d’une telle approche furent les accords convenus entre le chancelier allemand et le président kényan William Ruto en septembre. Ces mesures visent à permettre à des Kényans qualifiés de s’installer en Allemagne, tout en facilitant un rapatriement plus rapide des migrants Kényans qui se verraient refuser le droit de séjour.
Jusqu’à présent, l’expérience de gouvernements d’extrême droite encore pragmatiques quant aux besoins du capital pourrait aujourd’hui encore rassurer la bourgeoisie. Tout en cherchant en grande pompe à externaliser les procédures d’asile en Albanie, le gouvernement de Meloni espère, par exemple, faire venir 10 000 infirmières indiennes en Italie en 2025.[40] Cependant, la fenêtre d’Overton s’est déjà déplacée très loin vers la droite et restreint ce que les gouvernements, même sans la participation de l’extrême droite, peuvent faire. Les gouvernements qui vont à contre-courant de la politique de plus en plus dure à l’encontre des migrants sans papiers se font rares. Ainsi, le cas de l’Espagne, qui prévoit d’accorder des permis de séjour et de travail à environ 900 000 sans-papiers au cours des trois prochaines années pour répondre à un besoin croissant de main-d’œuvre, fait désormais figure d’exception.[41] Il n’est pas certain que l’extrême droite au pouvoir dans des États plus puissants comme la France ou l’Allemagne n’agisse pas de manière beaucoup plus décomplexée qu’en Italie, pays plus lourdement endetté et dépendant. De plus, la surenchère anti-migrants pourrait encore devenir incontrôlable face à des crises toujours plus profondes et multiples.
Reconstruire la gauche
L’avenir qui nous est proposé est un avenir dans lequel le prix à payer pour l’exercice de droits démocratiques fondamentaux comme la liberté d’opinion, d’association ou de manifestation sera excessivement élevé pour de larges pans de la population, celle d’origine immigrée, sans parler des demandeurs d’asile. La création de couches de la classe ouvrière qui ne sont tolérées que si elles se conforment à « nos valeurs », c’est-à-dire aux intérêts de la bourgeoisie et de son État, stigmatise également la dissidence parmi les couches qui sont moins à risque. La surenchère droitière sur l’immigration divise, affaiblissant ainsi le potentiel de lutte de la classe ouvrière dans son ensemble.
Cependant, les capitalistes dépendent entièrement de la classe ouvrière, une classe ouvrière de plus en plus diversifiée, de plus en plus issue de l’immigration, pour faire fonctionner leur système. La tendance à la droite n’est inévitable que si le capitalisme reste incontesté, sans qu’aucune alternative systémique réelle et structurée. Une restructuration de la gauche est inévitable, mais c’est une course contre-la-montre.
Face à la crise environnementale existentielle à laquelle l’humanité est confrontée, de nombreux jeunes en Allemagne ont peut-être considéré les Verts comme le moindre mal. Mais face à la fausseté de plus en plus criante de l’écologisme-progressiste moral de ce parti impérialiste libéral, il y a des limites. Une récente scission dans l’organisation de jeunesse des Verts sous le label « Zeit für was Neues » (un temps pour du nouveau) déclare vouloir contribuer à un « parti de gauche fort » avec l’intention de construire une conscience de classe, non pas parmi les « capitalistes verts et les petits-bourgeois », mais parmi la population travailleuse.[42] Quel que soit le résultat de ce réalignement, éventuellement au profit de Die Linke, c’est un signe qui donne espoir que face à une droitisation générale de la politique électoraliste, des changements de conscience sont toujours possibles. Ces changements n’atteindront toutefois l’ampleur nécessaire que s’ils sont l’expression de véritables mouvements de masse en lutte pour un avenir vivable pour tous.
[1] https://www.reuters.com/world/us/inside-trumps-plan-mass-deportations-who-wants-stop-him-2024-11-06/
[2] https://www.democracynow.org/2024/11/12/stephen_miller_second_trump_admin_immigration
[3] https://econofact.org/immigrant-deportations-trends-and-impacts
[4] https://www.bbc.com/news/articles/c3e8y1qly52o
[5] Mais cette même étude a constaté une utilisation sous-optimale des compétences des réfugiés, beaucoup d’entre eux étant surqualifiés pour les emplois qu’ils occupent. https://www.euronews.com/business/2024/05/01/majority-of-germanys-open-door-refugees-have-entered-the-labour-force Pour la cohorte arrivée en 2015, le taux d’emploi en 2022 était de 64 %, contre 77 % pour l’ensemble de la population allemande. Le salaire horaire brut médian des arrivants en 2015 était de 1,20 € au-dessus du seuil de bas salaire (12,50 €). https://www.euronews.com/business/2024/05/01/majority-of-germanys-open-door-refugees-have-entered-the-labour-force
[6] https://www.dw.com/en/german-media-respond-to-new-rules-on-reporting-ethnicity-of-criminals/a-38251869 Le fait que les médias, à peu d’exception près, ne mentionnent la nationalité des personnes suspectés de crimes que si celle-ci est étrangère, a renforcé un lien implicite entre immigration et criminalité
D’après les statistiques de la police allemande (2018-2019) près de 70 % des crimes étaient commis par des ressortissants allemands. Dans les reportages télévisés et les journaux la nationalité des suspects étrangers étaient toutefois mentionnés respectivement 19 et 32 fois plus souvent que leur part statistique.
Une étude sur le cas de la ‘Sächsische Zeitung’ démontre que mentionner systématiquement les origines des criminels augmente la saillance relative de la criminalité des autochtones et réduit ainsi les inquiétudes de ces derniers à l’égard de l’immigration, brisant ainsi le lien implicite entre immigration et criminalité.
https://academic.oup.com/ej/article-abstract/134/657/322/7238467?redirectedFrom=fulltext
[7] https://missingmigrants.iom.int/region/mediterranean https://www.tni.org/en/publication/outsourcing-oppression De plus, sur les quatre dernières années deux fois plus de migrants d’Afrique subsaharienne pourraient avoir trouvé la mort traversant le Sahara que la Méditerranée. https://unric.org/en/migration-twice-as-many-migrants-die-crossing-the-sahara-than-the-mediterranean-sea/
[8] https://www.aljazeera.com/news/2024/1/20/tens-of-thousands-protest-in-germany-against-far-right-party
[9] Dresdner Erklärung der Innenministerinnen und -minister von CDU/CSU in den Ländern vom 12. Juli 2024: Sicherheit schaffen – für einen Kurswechsel in der Asylpolitik
[10] https://www.euractiv.com/section/migration/news/german-cdu-suggests-national-emergency-to-curb-migration/
[11] https://www.vlaamsbelang.org/nieuws/duitsland-voert-grenscontroles-de-geesten-rijpen-europa
[12] https://www.politico.eu/article/viktor-orban-hungary-germany-finally-waking-up-migration-consequences-border-protection-control/
[13] https://www.bbc.com/news/articles/cq5dvzj81g3o
[14] https://www.brusselstimes.com/1276174/france-to-temporarily-reintroduce-controls-at-borders-including-with-belgium-tbtb
[15] https://www.brusselstimes.com/1289020/netherlands-latest-of-belgiums-neighbours-to-introduce-border-controls Actuellement 11 pays de l’UE ont mis en place des contrôles aux frontières ; l’Autriche, l’Italie, la Slovénie, la Norvège, le Danemark, la Pologne, la Finlande, la Suède, l’Allemagne, la France et les Pays-Bas.
[16] https://www.brusselstimes.com/1279596/is-schengen-on-the-way-out-new-border-checks-challenge-open-europe
[17] https://www.bbc.com/news/articles/clyvglq47y9o
[18] https://economy-finance.ec.europa.eu/document/download/40321e7d-fa57-4a6b-8047-f208dca5e1a0_en?filename=box3_en.pdf Plusieurs modèles ont été élaborer pour calculer l’impact de telles mesures à l’échelle de l’UE. L’impact sur les travailleurs et les voyageurs transfrontaliers de l’UE, le transport routier de marchandises et l’administration publique pourrait entraîner une perte cumulée du PIB entre 5 à 18 milliards d’euros par an. Il est aussi question d’une augmentation des prix sur les produits importés de 1 à 3%. Selon encore un autre modèle, l’impact négatif sur le PIB dès 2025 serait d’environ 0,2 à 0,5 % pour la zone euro (soit 20 à 55 milliards d’euros).
[19] https://apnews.com/article/germany-migration-deportation-cabinet-ed036246d7d4c6b7816f430d495dacf9
[20] https://taz.de/Bett-Brot-Seife-Vorstoss/!6040914/
[21] https://www.merkur.de/politik/scholz-erhaelt-harte-kritik-von-migrationsforscher-das-ist-reine-illusion-zr-93387285.html
[22] https://fr.euronews.com/my-europe/2024/05/16/15-pays-de-lue-demandent-lexternalisation-de-la-politique-dimmigration-et-dasile
[23] Des migrants secourus en Méditerranée seraient ainsi envoyés directement en Albanie et ne mettront jamais les pieds en Italie. Les personnes envoyées en Albanie doivent provenir de 22 « pays sûrs » et ne pas présenter de signes de torture, de maladie ou de vulnérabilité, ni faire partie de familles nucléaires voyageant ensemble. Les demandes d’asile seraient examinées par des juges en Italie via un lien en ligne dans un délai de 28 jours et l’expulsion se ferait aux frais de l’Italie. https://edition.cnn.com/2024/10/16/world/italy-first-migrants-albania-intl/index.html https://www.proasyl.de/news/italiens-deal-mit-albanien-kein-modell-fuer-deutschland/
[24] https://www.swp-berlin.org/10.18449/2024A12/
[25] https://www.rbb24.de/politik/beitrag/2024/08/bezahlkarte-fluechtlinge-bund-verzoegerung-suche-anbieter.html
[26] https://www.euractiv.fr/section/droits-et-systemes-de-sante/news/malgre-un-systeme-de-sante-deja-fragile-le-nouveau-gouvernement-questionne-laide-medicale-detat/
[27] https://www.krisis.org/2024/kein-geld-fuer-die-welt-das-buendnis-sahra-wagenknecht-appelliert-an-den-eigennutz-und-bedient-die-ressentiments-ihrer-klientel/
https://bsw-vg.de/deutschland-aber-vernuenftig-und-gerecht
[28] https://www.dielinke-sachsen-anhalt.de/aktuell-1/detail/europaeische-idee-bewahren-rechtsstaatlichkeit-verteidigen-menschenrechte-schuetzen/
[29] https://www.counterfire.org/article/the-german-malaise-deindustrialisation-a-rising-right-and-a-weakened-left/
[30] https://www.theguardian.com/commentisfree/2023/nov/13/germany-jewish-criticise-israel-tv-debate
[31] https://verfassungsblog.de/migrationsrecht-und-antisemitismus/
[32] https://www.middleeastmonitor.com/20240929-germany-to-deny-citizenship-to-those-using-pro-palestinian-slogan-on-social-media/
[33] https://www.middleeastmonitor.com/20240627-germany-imposes-israel-loyalty-test-with-new-citizenship-law/
[34] https://www.volkskrant.nl/politiek/oude-zorgen-over-denaturalisatie-laaien-weer-op-mensen-met-dubbele-nationaliteit-krijgen-andere-status~b66e4aa4/?referrer=https://www.google.be/
[35] https://www.parool.nl/columns-opinie/essay-amsterdam-is-een-door-en-door-joodse-stad-maar-amsterdam-is-ook-een-door-en-door-islamitische-stad~b4a0c329/
[36] https://www.turkiyetoday.com/turkiye/exponential-rise-in-islamophobic-incidents-in-germany-and-austria-report-shows-69616/
[37] Ceci a naturellement aussi de lourdes conséquences pour les pays d’Europe de l’Est qui font face à la dépopulation. Même de nombreux pays néo-coloniaux ont aujourd’hui une natalité fortement en baisse. Il y a un exode de main-d’œuvre qualifié des pays néo-coloniaux. Il y a plus d’infirmières d’origine ghanéenne travaillant pour la santé publique en Grande-Bretagne (NHS) qu’il n’y a d’infirmières au Ghana. Voir: Monde Diplomatique, Manière de voir n°194 : Immigration – Avril Mai 2024.
[38] https://www.ndr.de/fernsehen/sendungen/panorama/archiv/2000/Kinder-statt-Inder-Die-Parolen-eines-gescheiterten-Zukunftsministers,erste7444.html
[39] https://schengen.news/berlin-is-processing-german-citizenship-applications-3-times-faster/
[40] https://www.dw.com/en/eus-immigration-balancing-act-luring-foreign-workers-despite-far-right-pressure/a-70818052#:~:text=The%20government%20recently%20announced%20it,to%20bring%20here%20about%2010%2C000.%22
[41] https://www.nytimes.com/2024/11/21/world/europe/spain-migrants-residency-work-permits.html
Pour ne pas idéaliser la situation, alors que les migrants en provenance des anciennes colonies espagnoles sont favorablement accueillis même à droite de l’échiquier politique, les migrants africains sont confrontés à davantage d’hostilité et d’obstacles. https://www.nzz.ch/english/how-spain-is-focusing-on-openness-in-the-immigration-debate-ld.1858408
[42] https://www.sozialismus.info/2024/09/zeit-fuer-was-neues-rot-statt-gruen/
-
Crise Politique en Allemagne : gouvernement tombe le jour de la réélection de Trump
Début octobre, nous avons publié la première partie d’un dossier sur la situation politique et sociale en Allemagne.Cette deuxième partie se concentre principalement sur la discussion concernant la migration mais, étant donné le temps écoulé depuis le mois d’octobre, nous tenons tout d’abord à faire le point sur l’évolution de la crise politique en Allemagne.
Par Christian (Louvain)
Le 6 novembre, le chancelier allemand Olaf Scholz a limogé son ministre des Finances Christian Lindner du parti (ultra)-libéral FDP. Avec la démission de trois autres ministres libéraux, ceci a entraîné la chute de la coalition ‘feu tricolore’ (Ampel-Koalition) composée du Parti social-démocrates (SPD), du Parti libéral-démocrate (FDP) et de l’Alliance 90 / Les Verts. Ce qui resta fut un gouvernement minoritaire SPD et Vert. Comme prévu, le 16 décembre, le gouvernement a perdu le vote de confiance auquel il avait été contraint de se soumettre au Bundestag. Des élections législatives anticipées auront lieu le 23 février, sept mois plus tôt que la date prévue pour les élections fédérales.
Scholz avait d’abord essayé de repousser le vote de confiance et les élections à une date ultérieure, respectivement le 15 janvier et en mars. Cette proposition avait été rejetée autant par les partis d’opposition, notamment les chrétiens-démocrates, largement donnés comme gagnants lors des prochaines élections, que par l’opinion publique.[i] La coalition minoritaire espérait encore faire passer des projets de loi sur base de majorités parlementaires bricolées, mais ceci était voué à l’échec.
La coalition fédérale était surtout divisée concernant la manière de répondre à la crise économique. Il ne s’agit ici pas d’une crise passagère, mais d’une crise de l’ensemble du modèle allemand des dernières décennies (voir l’article lié ci-dessus).
La coalition fédérale était extrêmement impopulaire. Le FDP risque même de passer sous le seuil électoral de 5 %. N’ayant rien à perdre, il semble que Lindner ait décidé de saborder la coalition tout en ralliant sa base à travers une adhésion absolue à la « Schuldenbremse » (frein à l’endettement, limitation des dépenses). Lindner propose des coupes budgétaires (réduction des prestations sociales), de s’attaquer aux objectifs environnementaux (fin à l’élimination progressive du charbon, fin aux subventions aux énergies renouvelables, l’introduction de la fracturation hydraulique pour obtenir du gaz allemand), tout en prévoyant des cadeaux aux entreprises et aux riches sous forme de réductions d’impôts et d’un gel des « entraves bureaucratiques » (comme la limitation des heures de travail). Cette approche est accueillie avec des applaudissements par les chrétiens-démocrates.[ii]
Le SPD et les Verts, de leurs côtés préfèrent aider le capital allemand à sortir de la crise en gardant une certaine flexibilité budgétaire pour des dépenses ciblées, tel que des tarifs préférentiels pour l’électricité industrielle ou des primes à la casse en faveur des voitures électriques.
Chose assez incroyable, la coalition ‘feu tricolore’ a été la première coalition tripartite en Allemagne depuis la deuxième guerre mondiale. Avant 2021, un ou deux partis suffisaient toujours pour former un gouvernement. Cela montre à quel point l’Allemagne jouissait d’une stabilité relative par rapport à une grande partie du continent.
Avec la crise du modèle allemand, l’Allemagne rattrape rapidement son retard en termes d’instabilité. Alors que les chrétiens-démocrates CDU/CSU sont en tête dans les sondages, le FDP, s’il survit aux élections, sera trop faible pour former un gouvernement de centre-droit avec ceux-ci. Le CDU/CSU devra former une coalition avec le SPD ou l’AfD, actuellement en troisième et en deuxième position respectivement dans les sondages. Avec le SPD, cela pourrait s’avérer difficile en raison des différences de stratégie face à la crise, tandis qu’une coalition avec l’AfD paraît encore peu probable à ce stade, surtout au niveau fédéral, en raison du manque de retenue tactique de l’extrême droite.
La chute du gouvernement et l’élection de Trump, qui promet d’augmenter les tarifs douaniers contre ses alliés européens, ont encore davantage miné la confiance économique. L’économie allemande, dépendante des exportations, est fort vulnérable à une guerre commerciale entre les États-Unis et l’UE. D’ici 2027 et 2028, cela pourrait représenter une contraction de 1,5 %. L’économie allemande devrait se contracter pour la deuxième année consécutive en 2024, et une stagnation ou une contraction est probable pour 2025. Il s’agira alors de la plus longue période sans croissance économique depuis la réunification en 1990.[iii]
C’est dans ce contexte que se dérouleront les prochaines élections et que des débats auront également lieu sur, entre autres, les problèmes économiques et les tentatives de les lier à la migration.
[i] https://www.dw.com/en/political-wrangling-starts-after-german-coalition-collapse/a-70725678 D’après un sondage deux-tiers des Allemands n’étaient pas disposés à attendre mars pour les élections fédérales anticipées.
[ii] https://www.sozialismus.info/2024/11/nach-der-ampel-rechts/
[iii] https://www.reuters.com/markets/europe/germanys-coalition-collapse-brings-more-pain-its-ailing-economy-2024-11-07/ Bien que pour l’Allemagne la crise de 2008/2009 ait été plus profonde que la crise actuelle, celle-ci fut aussi plus brêve.
-
Des célébrations ont lieu en Syrie, mais que se passera-t-il ensuite ?
Article traduit d’une publication de notre projet international revolutionarymarxism.com le 9 décembre 2024
La dictature brutale d’Assad, qui dure depuis plus d’un demi-siècle, est tombée en Syrie. Des milliers et des milliers de prisonnier.e.s politiques ont pu retrouver leur famille, souvent après des années pendant lesquelles on les croyait mort.e.s. Des millions d’autres personnes déplacées à l’intérieur du pays se réjouissent de retrouver leur famille. La perte de l’emprise de la peur sur les gens a été visible dans les rues de Syrie et dans la diaspora.
Alors que l’euphorie retombe, beaucoup s’inquiètent de ce que l’avenir leur réserve, espérant prudemment que la tragédie de l’écrasement de la révolution syrienne est désormais terminée. Bien que beaucoup de choses ne soient pas encore claires, l’histoire montre que cela nécessitera une reconstruction décisive d’organisations de travailleur.euse.s authentiques et politiques en tant que force de masse, armée des leçons de 2011, et capable de présenter une véritable alternative au Hayat Tahrir al-Sham (HTS), à toutes les forces réactionnaires et aux puissances impérialistes : la construction d’une société véritablement libre, démocratique et juste nécessite l’unité des masses ouvrières et pauvres de Syrie pour lutter contre toutes les formes de sectarisme et d’oppression, et porter la révolution au niveau du renversement de la dictature économique du capitalisme et de ses divers représentants impérialistes.
Le régime détesté du dictateur Bachar al-Assad s’est effondré de manière spectaculaire lorsque les forces militaires de la coalition dirigée par le HTS ont balayé les villes d’Alep, de Hama, de Homs avant d’entrer dans Damas, au cours d’une offensive éclair qui n’a duré que onze jours. En chemin, les forces militaires du régime ont semblé se volatiliser. À Damas, les foules ont scandé « Assad est parti, Homs est libre ». Toutefois, malgré le soulagement et la jubilation, certains secteurs de la population syrienne ont des craintes et des inquiétudes quant à la suite des événements. Les zones autonomes du Kurdistan syrien sont déjà frappées par des attaques soutenues par les Turcs, et l’approche des nouveaux dirigeants à l’égard des droits des Kurdes et des femmes sera révélatrice de ce qui les attend.
Dans de nombreux endroits, les forces d’opposition armées semblent avoir été accueillies par des partisan.e.s enthousiastes et n’ont rencontré que peu ou pas de résistance civile ou militaire. Une fois entrées à Damas, elles ont libéré les prisonnier.e.s détenu.e.s dans la tristement célèbre prison militaire de Sednaya, théâtre d’horribles tortures infligées aux partisans de l’opposition par les hommes de main d’Assad. L’ambassade d’Iran, considérée comme un soutien essentiel du régime, a été saccagée, tandis que les combattant.e.s du HTS sont entré.e.s dans le palais présidentiel, se photographiant assis derrière le bureau d’Assad.
Certain.e.s des millions de Syrien.ne.s qui avaient été contraint.e.s de fuir à l’étranger pour échapper au régime brutal seraient déjà de retour. Dans le même temps, les forces de droite et d’extrême droite profitent cyniquement de l’occasion pour faire avancer leur programme raciste. L’Allemagne, l’Autriche, la Grèce et Chypre ont déjà suspendu les demandes d’asile en provenance de Syrie et des menaces d’expulsion de réfugié.e.s se trouvent déjà en Allemagne. Les Syrien.ne.s et tous.tes les réfugié.e.s doivent se voir garantir le droit volontaire de retourner ou de rester dans leur nouveau lieu de résidence avec tous les droits et sans discrimination.
Les ambassades syriennes à Istanbul, Athènes et même Moscou arborent le drapeau de l’opposition. Les pays voisins renforcent leurs frontières. L’armée libanaise a envoyé des unités militaires pour « protéger » ses frontières nord et est, tandis que les forces de « défense » israéliennes ont envoyé des troupes et des chars au-delà de la « zone tampon » du plateau du Golan occupé, marquant la première entrée d’Israël en territoire syrien officiel depuis 1973. Selon le journal israélien « Maariv », les FDI ont tiré sur le village de Barika, dans la zone tampon, afin d’éloigner les militant.e.s de la frontière.
M. Assad a quitté Damas à bord d’un avion russe Iliouchine qui a ensuite été vu en train de voler à très basse altitude avant de disparaître des radars, une manœuvre visant apparemment à dissimuler sa fuite. Des sources du régime russe confirment aujourd’hui qu’Assad et sa famille se trouvent à Moscou et ont obtenu l’asile politique.
Le pouvoir, selon la déclaration du commandant du HTS al-Julani, a été remis temporairement au Premier ministre en exercice al-Jalali, qui supervisera toutes les institutions de l’État jusqu’à la passation officielle des pouvoirs. Dans les premières émissions diffusées à la télévision syrienne, l’opposition a annoncé avec joie que « nous avons gagné le pari et renversé le régime criminel d’Assad ». Pourtant, malgré toute sa rhétorique sur la libération du pays du régime d’Assad, il semble que le HTS soit déjà prêt à collaborer avec un Premier ministre nommé par Assad afin d’assurer une transition « ordonnée » au sommet de l’État. Cela devrait être un avertissement que le HTS préférerait ne pas permettre au peuple syrien de façonner son propre avenir.
Al-Julani s’efforce manifestement de projeter l’image d’un homme d’État civil et acceptable pour l’Occident – en d’autres termes, il signale qu’il peut offrir une paire de mains fiables pour établir un nouvel ordre dans le cadre des tensions inter-impérialistes. Ses prêches de tolérance pour tous les groupes ethniques et religieux et de « non-revanche » représenteraient, s’ils étaient mis en pratique, un répit bienvenu. Mais certaines des contradictions inhérentes aux manœuvres et aux accommodements entre les puissances impérialistes et régionales sont déjà visibles dans les attaques turques contre les zones autonomes du Kurdistan syrien. Et le bilan du HTS au pouvoir dans la province d’Idlib laisse entrevoir le risque d’un régime oppressif, de droite et fondamentaliste, à moins que les travailleur.euse.s et les pauvres ne s’organisent pour s’assurer que cela ne se produise pas.
Qui était Assad ?
Le parti Baas (le parti Baas arabe « socialiste ») est arrivé au pouvoir pour la première fois à la suite de la révolution du 8 mars 1963, qui s’apparentait davantage à un coup d’État militaire, même si elle bénéficiait d’un soutien populaire. À cette époque, les masses de nombreux pays du monde, dont les économies avaient été exploitées par des décennies de domination impérialiste, s’efforçaient de parvenir à une révolution. En l’absence de forces révolutionnaires de masse véritablement à gauche, des couches de l’armée, s’appuyant sur le soutien de l’URSS, se sont emparées du pouvoir. Le régime policier à parti unique qui en a résulté a utilisé les méthodes autoritaires de la bureaucratie soviétique pour garder le contrôle, mais a acquis une certaine autorité grâce à la nationalisation de l’économie et à l’amélioration du niveau de vie.
Le père de Bachar al-Assad, Hafez al-Assad, qui avait participé activement au coup d’État de 1963, a été en 1966 l’un des principaux instigateurs d’un nouveau coup d’État au sein de l’élite dirigeante, puis d’un troisième en 1970, qui l’a laissé à la présidence. Toujours adossé à l’URSS, il s’est montré plus « pragmatique » dans sa relation avec la propriété privée, en sapant les avantages de la planification étatique et en introduisant une division sectaire selon des lignes religieuses dans la structure de l’État. Après sa mort en 2000, son fils Bashar lui a succédé.
L’effondrement de l’URSS en 1991 a vu Hafez ouvrir la Syrie au capitalisme mondial, un processus qui s’est intensifié sous Bashar. La privatisation des biens de l’État, l’austérité, le chômage de masse et les terribles inégalités, combinés à une accumulation rapide de richesses entre les mains de la famille régnante et d’un cercle étroit d’élites liées au régime, ont alimenté un mécontentement de masse qui a contribué à la révolte en Syrie en 2011, dans le cadre de la vague de soulèvements révolutionnaires qui s’est propagée à travers l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient.
Bien que Bashar ne jouisse pas du même degré d’autorité personnelle que son père, en 2011, il a conservé la loyauté des principales institutions du régime, qui ont joué un rôle déterminant dans l’orchestration d’une répression brutale du soulèvement. Cette répression a pris une tournure de plus en plus sectaire, avec l’utilisation de forces dominées par les alaouites contre les zones d’opposition majoritairement sunnites.
La révolution de 2011 n’a pas manqué d’engagement héroïque ni de soutien de masse, même si, en raison de l’exploitation de longue date par le régime des divisions sectaires à travers la peur et les réseaux de patronage, ce soutien n’a pas été uniforme dans les différentes communautés. Mais la conclure victorieusement aurait nécessité le renversement du régime Assad, le démantèlement de toutes ses institutions répressives, l’expulsion de toutes les forces impérialistes de Syrie et le remplacement de l’exploitation capitaliste par une planification socialiste, gérée par des structures démocratiquement élues réunissant la classe ouvrière et les pauvres de tous les groupes ethniques, de tous les sexes et genres, et de toutes les confessions.
Mais aucune force politique, même à petite échelle, n’a articulé un tel programme. Les syndicats, pour leur part, n’ont pas joué un rôle significatif dans l’opposition, car ils ont été soit écrasés, soit absorbés dans l’appareil d’État au fil des décennies. La Fédération générale des syndicats syriens (SGFTU), le principal organe « syndical » du pays, a fonctionné comme un bras armé du régime, étouffant la possibilité pour le mouvement ouvrier de jouer un rôle indépendant dans le soulèvement.
Au lieu de cela, le pouvoir est resté entre les mains de l’élite corrompue d’Assad. Le pays a sombré dans la guerre civile, avec l’intervention de différentes forces impérialistes (turques, américaines, russes, iraniennes et autres) et religieuses qui ont vu le régime recourir à une violence brutale contre les masses, y compris l’utilisation d’armes chimiques. La guerre a fait plus d’un demi-million de morts et a entraîné la plus grande crise de déplacement de l’histoire, avec plus de 13 millions de Syrien.ne.s – plus de la moitié de la population d’avant-guerre – qui ont été déplacé.e.s de force, à l’intérieur du pays ou à l’étranger.
Au départ, l’« Armée syrienne libre » (ASL) a été formée par une section d’officiers de l’armée ayant fait défection et sympathisant avec l’opposition. Dès le départ, elle ne disposait pas d’une structure de commandement unifiée et s’apparentait davantage à un ensemble hétéroclite de divers groupes armés qu’à une armée centralisée. Elle appelait au renversement d’Assad et à la transition vers un régime démocratique pluraliste. Cependant, sa stratégie n’avait rien en commun avec une véritable révolution sociale. Au lieu de cela, il tentait d’utiliser des tactiques de guérilla pour saper le régime, en s’appuyant sur l’aide des puissances occidentales et régionales pour mener ses campagnes. L’Occident avait cependant ses propres intérêts.
L’intervention de l’Iran, qui utilise ses militants pour soutenir le régime, ainsi que le soutien financier et militaire apporté aux groupes armés islamistes par des régimes sunnites tels que l’Arabie saoudite et le Qatar, ainsi que par la Turquie, ont accentué les divisions confessionnelles au sein du pays, tandis que l’Armée syrienne libre voyait sa position s’affaiblir. La guerre civile a de plus en plus dégénéré en un conflit multisectoriel entre différentes milices soutenant les intérêts de puissances impérialistes concurrentes et/ou contrôlées par des fondamentalistes religieux.
L’intervention militaire de la Russie à partir de septembre 2015 visait ostensiblement à aider à combattre l’« État islamique » (Daesh), mais elle était principalement dirigée contre les forces de l’ASF soutenues par l’impérialisme américain et a joué le rôle fondamental de soutien au régime d’Assad. Sans le soutien de la Russie et de l’Iran, le régime baasiste se serait effondré depuis longtemps.
Selon une analyse de la publication « Syria direct », l’économie est en chute libre depuis 2011. La livre syrienne a perdu 99,64 % de sa valeur par rapport au dollar et l’effondrement s’est accentué ces dernières années. L’impression d’un billet de banque coûte désormais plus cher que sa valeur réelle. Jusqu’à 90 % de la population vit dans la pauvreté, dépendant généralement des envois de fonds de leurs proches travaillant à l’étranger pour survivre. Les politiques inhumaines des gouvernements occidentaux à l’égard des réfugiés syriens n’ont rien fait pour aider la population, tandis que les sanctions occidentales n’ont réussi qu’à aider Assad à construire un réseau serré de copains corrompus autour de son cercle intérieur.
Comment expliquer la victoire rapide du HTS ?
La victoire rapide de HTS ne peut s’expliquer par des facteurs purement nationaux. Alors que le monde a les yeux rivés sur Gaza et l’Ukraine, l’effet de ces conflits, qui a conduit à l’affaiblissement spectaculaire de la position d’Assad, est passé presque inaperçu.
Le Hezbollah, agissant en partie dans son propre intérêt, mais aussi au nom du régime iranien, a joué un rôle déterminant dans le soutien apporté au régime d’Assad, en particulier dans son conflit avec les forces de Daesh. Maintenant que le Hezbollah a reçu de sérieux coups militaires de la part des FDI, décapitant ses dirigeants et perdant une grande partie de son équipement, il n’a pas été en mesure d’intervenir pour soutenir Assad comme il l’a fait dans le passé.
Dans le même temps, le Kremlin a retiré ses forces de Syrie et les a détournées vers l’Est de l’Ukraine et Koursk, où il rencontrait des difficultés. Assad s’est donc retrouvé privé du soutien de deux éléments clés de sa puissance militaire, sans lesquels il aurait été déposé il y a quelques années. Les frappes aériennes répétées d’Israël sur les installations iraniennes en Syrie ont contribué à diminuer la capacité de l’Iran à soutenir les forces d’Assad.
Alors que les États-Unis semblent avoir été pris au dépourvu par ce succès rapide, le régime turc a saisi l’occasion offerte par les faiblesses du Hezbollah et de la Russie pour pousser le HTS à poursuivre son avancée. Il l’a fait en partie dans le but d’affaiblir le régime syrien et de faire pression sur lui après l’échec de leurs pourparlers de normalisation, de procéder au rapatriement forcé de millions de réfugié.e.s syrien.ne.s en Syrie et, ce qui est probablement le plus important, de lui permettre de prendre de nouvelles mesures contre les régions autonomes du Kurdistan syrien dans le nord du pays.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, de violents combats entre l’ANS (Armée nationale syrienne, elle-même composée de plusieurs factions différentes dont certaines sont très proches du régime turc et qui ont combattu pour les intérêts militaires turcs également « en dehors de la Syrie, notamment en Azerbaïdjan, en Libye et au Niger ») soutenue par la Turquie et les milices kurdes locales sont signalés à Manbij. Selon le réseau de communication indépendant « Bianet », l’ANS a été soutenue par « un bombardement terrestre intensif des forces armées turques ». La vulnérabilité renouvelée et déchirante des Kurdes, suivie avec anxiété par des millions de personnes qui craignent que Kobané ne soit la prochaine cible, souligne une fois de plus le cadeau empoisonné que représente le fait de compter sur les manœuvres entre des puissances impérialistes concurrentes.
Par ailleurs, le régime d’Assad s’est avéré n’être qu’une coquille vide. De nombreux rapports indiquent que son armée a simplement déposé les armes face à l’avancée du HTS, et lorsqu’il est arrivé à Damas, la hiérarchie de l’armée n’a même pas essayé de résister. L’armée syrienne a simplement abandonné son équipement – les combattants du HTS ont pris des photos assis dans les cockpits des avions de chasse laissés sur place. Ailleurs, des soldats sont montrés marchant sur la route en vêtements civils, leurs uniformes militaires étant simplement laissés en tas sur le sol.
Assad a trouvé si peu de soutien parmi la population, alliés et opposants confondus, qu’il s’est retrouvé isolé ces derniers jours. Il a demandé de l’aide aux Russes, qui ont répondu qu’ils n’avaient pas les moyens de le faire. Malgré les promesses publiques de soutien au régime d’Assad par le régime iranien, ce dernier a commencé dès vendredi à évacuer ses forces militaires sur le terrain, y compris les hauts commandants de la Force Qods, abandonnant de fait Assad à son sort. Il a apparemment demandé indirectement de l’aide à Trump, qui lui a tourné le dos. Il a proposé de négocier avec les HTS, mais ceux-ci n’en ont pas vu l’utilité. Même dans la ville alaouite de Qardaha, ville d’origine de la famille al-Assad, la foule a détruit les statues de son père.
Qui est Hayat Tahrir al-Sham ?
Hayat Tahrir al-Sham – Organisation pour la libération du Levant – est plutôt un regroupement de milices armées. Son chef, Abu Mohammed al-Julani, était un partisan de Daesh après 2011, chargé de mettre sur pied Jabhat al-Nusra pour lutter en faveur de l’instauration d’un État islamique en Syrie. Selon Al-Jazeera, al Julani s’est ensuite séparé de Daesh, a prêté allégeance à Al-Qaïda, puis a rejeté Al-Qaïda en 2017 pour former HTS. Cette décision s’est accompagnée d’un changement d’objectifs, passant de la lutte pour l’établissement d’un califat à la « libération » de la Syrie du régime d’Assad et à la mise en place d’une république islamique nationale.
Le HTS est devenu une force sérieuse, parmi les milices les plus puissantes combattant en Syrie, après la reprise d’Alep en 2016 par les forces d’Assad soutenues par la puissance aérienne russe. De nombreux combattants de l’opposition fuyant Alep se sont retrouvés à Idlib, qui, en 2017, était effectivement sous le contrôle de HTS, qui compterait 30 000 combattants. Ce contrôle a fourni une base économique au HTS, car une grande partie du pétrole du pays traverse la région jusqu’au principal port de Lattaquié et l’un des principaux postes-frontières avec la Turquie est sous le contrôle du HTS.
Il a dirigé le gouvernement (le « gouvernement syrien du salut »), fournissant des services tels que des écoles et des soins de santé, ainsi que la distribution de l’aide, alors que le régime Assad poursuivait son horrible campagne de bombardements. Des centaines de milliers de Syrien.ne.s ont fui vers la région dans une tentative désespérée de rejoindre la Turquie, mais la frontière est restée fermée. Ils vivent dans des camps de réfugié.e.s, la plupart du temps sans électricité, dans des conditions désespérées. Un habitant ironise : « Ici, les gens sont égaux – tout le monde partage la pauvreté, le manque de nourriture et le manque de travail ».
Cependant, le HTS dirige la région comme un État islamique autoritaire. Les journalistes de l’opposition sont arrêtés et la pratique des « personnes disparues » est très répandue. Les femmes doivent porter le hijab, elles ne sont pas autorisées à suivre des cours importants à l’université et les écoles sont séparées en fonction du sexe. Mais la mémoire du soulèvement de 2011 reste forte, ce qui conduit à la résistance ; comme l’a expliqué une femme, « la révolution syrienne a brisé les tabous ». Depuis septembre, les femmes d’Idlib organisent des manifestations contre les politiques de sécurité et la répression du HTS, et demandent la destitution de son chef al-Julani.
Les vautours impérialistes planent
Soudain, bien qu’ils aient été pris au dépourvu par l’avancée rapide de HTS, qui a été décrite comme une « organisation terroriste » par les États-Unis, le Royaume-Uni, l’UE, la Russie, la Turquie et d’autres, les gouvernements réévaluent leur approche de la Syrie – non pas pour aider les masses à améliorer leur situation, mais pour s’emparer de ce qu’ils peuvent. Hypocritement, des gouvernements comme celui de la Grande-Bretagne s’empressent d’annuler l’étiquette « terroriste ».
L’Iran a perdu un partenaire stratégique clé. Une grande partie de son aide au Hezbollah passait par la Syrie, élément clé de l’« axe de la résistance » de l’Iran qui, espérait-il, s’opposerait à l’impérialisme occidental dans la région. La Russie a perdu un allié clé au Moyen-Orient, un gouvernement qu’elle avait essentiellement protégé de l’effondrement au cours des années précédentes. Tardis, dans le nord de la Syrie, est la principale base navale russe à l’étranger, utilisée non seulement pour soutenir les attaques aériennes d’Assad contre son opposition, mais aussi pour contester l’influence de l’OTAN en Méditerranée. Sa base aérienne de Hmeymin a également joué un rôle essentiel en tant que centre de transport pour soutenir les opérations des forces russes (y compris Wagner) au Sahel et ailleurs en Afrique. Depuis plusieurs jours, le Kremlin retire ses navires et ses avions et, même s’il parvient à conclure un accord avec le nouveau gouvernement, il a subi une atteinte considérable à son prestige.
Alors que le monde entier a les yeux rivés sur la prise de Damas, les États-Unis calculent comment exploiter ce que M. Biden a qualifié de « moment de risque » et d’« opportunité historique ». Ils ont profité du week-end pour envoyer une flotte de bombardiers attaquer 75 cibles de Daesh. Mais alors que M. Trump a rapidement tweeté en lettres capitales que « ce n’est pas notre combat. Laissons-le se dérouler. Ne pas s’impliquer », il est clair que les Etats-Unis se trouvent dans l’obligation de réévaluer fortement leur stratégie. Selon l’Atlantic Council, « l’approche américaine de la Syrie au cours de la dernière décennie – tolérer Assad et ses protecteurs iraniens, se concentrer sur l’État islamique, fournir une assistance humanitaire mais cesser l’aide politique et militaire à l’opposition, apporter un soutien illimité au YPG/PKK – s’est effondrée. Washington, et Jérusalem, devront proposer une approche cohérente et constructive à la nouvelle direction de Damas ».
Naturellement, Israël, qui a revendiqué la responsabilité d’aider à la chute d’Assad en détruisant la capacité du Hezbollah, a déjà profité de l’occasion pour étendre sa présence en Syrie. Netanyahou a ordonné à Tsahal d’avancer plus loin dans les hauteurs du Golan occupé et les médias israéliens ont rapporté le bombardement de dépôts d’armes dans le nord de la Syrie et même à Damas, qui, selon le ministre israélien de la Défense, Katz, sera intensifié pour « détruire les armes stratégiques lourdes dans toute la Syrie ».
Que le régime israélien tente de tirer parti de la situation actuelle en Syrie n’est pas une surprise. Mais soutenir, comme le font certains à gauche, que la chute d’Assad, en affaiblissant le soi-disant « axe de la résistance », porte un coup à la lutte de libération des Palestinien.ne.s, c’est ignorer totalement le fait que la dictature d’Assad ne s’est jamais souciée le moins du monde des Palestinien.ne.s. Comme beaucoup d’autres États de la région, elle a au contraire cyniquement instrumentalisé leur cause pour renforcer son propre régime despotique. Tout en se posant en défenseur anti-impérialiste des droits des Palestinien.ne.s, le régime a réprimé les organisations politiques palestiniennes, assiégé et bombardé le camp de réfugiés de Yarmouk pendant la guerre, et est resté inactif face au génocide en cours à Gaza. Sa trêve de facto avec Israël, qui dure depuis des décennies, pour garantir le calme sur le plateau du Golan occupé, a même valu une fois les louanges de Netanyahou lui-même, qui a déclaré en 2018 : « Nous n’avons pas eu de problème avec le régime d’Assad depuis 40 ans ».
Quant à la Turquie, elle a renforcé sa main même en s’opposant aux intérêts des États-Unis et de ses partenaires de l’OTAN. Il est clair que, bien qu’elle ait qualifié le HTS d’organisation terroriste, elle l’a aidé à se procurer des armes et aurait encouragé sa progression. Elle en profite aujourd’hui pour étendre sa présence dans le Nord.
Il s’agit bien là d’un avertissement. Le HTS et les milices qui lui sont désormais alliées ont peut-être vaincu Assad et pris Damas, mais ils n’exercent pas un contrôle inconditionnel sur l’ensemble de la Syrie. À ce stade, il semble que HTS ne cherche pas activement à attaquer les Unités de défense du peuple (YPG) et les Unités de protection de la femme (YPJ), composées principalement de militants kurdes. Il tente de se rendre « respectable » auprès des gouvernements internationaux, y compris occidentaux.
Cependant, l’armée nationale syrienne est plus étroitement alignée sur l’agenda de la Turquie, ce qui pourrait conduire à une « division du travail » entre les deux groupes armés, ou potentiellement déclencher des conflits entre eux sur leurs stratégies respectives. Bien que HTS dise que c’est aujourd’hui une victoire “pour tous.tes les Syrien.ne.s”, l’opposition totale de la Turquie à l’autonomie kurde crée un réel danger, d’une nouvelle phase de guerre avec la Turquie dans le nord-est pour affronter les YPG/YPJ, qui ont été soutenus par les États-Unis comme leur principal atout dans la lutte contre Daesh.
Dans cette situation dangereuse, le seul allié fiable du peuple kurde dans la défense de ses gains durement acquis en matière d’autonomie et de droits démocratiques, féministes et laïques, ce sont les masses ouvrières et pauvres de toute la Syrie et de la région. Un appel à une véritable révolution socialiste pour s’opposer à toutes les élites gouvernant par les armes, en tant que marionnettes ou occupants impérialistes, y compris les agressions racistes et génocidaires de l’État d’Israël, a le potentiel de déclencher des soulèvements de la classe ouvrière.
Y a-t-il une voie à suivre ?
Au-delà des célébrations du renversement du dictateur, la réalité du nouveau régime va commencer à s’imposer. Toute tentative d’instaurer un État islamique autoritaire, comme l’a fait le HTS à Idlib, avec des restrictions importantes sur les droits des femmes et des minorités sexuelles, est susceptible de se heurter à la résistance d’un peuple qui a maintenant soif d’un nouvel avenir après 54 ans de dictature d’Assad.
Parallèlement, le coup dur que représente la chute d’Assad pour les intérêts et le prestige du régime iranien, tout en enhardissant ses adversaires impérialistes dans une certaine mesure, pourrait également raviver la confiance des travailleur.euse.s et des personnes opprimé.e.s à l’intérieur même de l’Iran. La récente recrudescence des manifestations d’enseignant.e.s, d’étudiant.e.s et de retraité.e.s dans tout le pays au cours du week-end pourrait être le signe d’un changement dans cette direction.
En outre, le renversement de la dictature brutale, qui semblait inimaginable pour beaucoup il y a seulement dix jours, pourrait raviver les aspirations révolutionnaires des masses laborieuses et opprimées contre leurs propres dirigeants autoritaires dans d’autres pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord et renforcer encore l’esprit de résistance contre le colonialisme et l’impérialisme exprimé dans le puissant mouvement de solidarité avec la Palestine dans la région.
Comme le souligne Oraib al Rantani, directeur du Centre d’études politiques Al-Quds, basé à Amman, dans un article de Bloomberg: « Le deuxième printemps arabe arrive, sans aucun doute, tous les moteurs sont toujours là : la pauvreté, la corruption, le chômage, le blocage politique et la tyrannie ».
Dans le même temps, la nature militarisée du renversement d’Assad – par le biais d’un groupe armé dépourvu de contrôle démocratique à la base, plutôt que par la lutte massive et active de la classe ouvrière et des personnes opprimées – pourrait également contribuer à un climat de peur et d’intimidation, et signifie que tout mouvement d’en bas pourrait devoir rapidement faire face à la puissance militaire de ce groupe, et à sa volonté de la déployer. Le HTS, qui est lui-même une coalition de différentes forces, devra faire face à de futurs conflits à mesure que des intérêts divergents apparaîtront, que d’autres factions armées réactionnaires se disputeront le contrôle et l’influence, et que le nouveau régime tentera probablement de vaincre d’autres forces telles que les Kurdes. À ce mélange déjà explosif s’ajoute l’intervention avide des forces impérialistes qui poussent toutes leurs propres intérêts contre ceux des Syriens ordinaires.
Une nouvelle approche est nécessaire pour construire une société véritablement démocratique, une approche basée sur l’organisation de la classe ouvrière, la seule force capable d’unir la population au-delà des frontières nationales et ethniques, capable de lutter contre l’autoritarisme, l’oppression, les attaques contre les droits nationaux et les droits des femmes et des personnes LGBTQ+. Une telle force s’attaquerait également à l’horrible situation économique de la Syrie en faisant passer les ressources naturelles du pays en propriété publique. Cela nécessiterait également de chasser toutes les puissances impérialistes du pays et de s’opposer à leur contrôle et à leurs intérêts, tels que le contrôle américain sur une grande partie des champs pétroliers. Les richesses du pays étant détenues et contrôlées démocratiquement par l’État, il serait possible de mettre en place une économie planifiée contrôlée démocratiquement et de tendre vers une fédération socialiste démocratique du Moyen-Orient. Si cela peut sembler lointain, la chute d’Assad, il y a quelques semaines, l’est tout autant. Un premier pas pourrait consister à poursuivre les manifestations de masse dans les rues et sur les places et à les transformer en manifestations permanentes pour la reconstruction d’une Syrie libérée de toute oppression.
-
Interview d’une opposante iranienne
“La façon de faire de la gauche, c’est de créer des liens, c’est de reposer sur une solidarité combative”
La récente arrestation en Iran de l’étudiante Ahou Daryaei a remis sur le devant de la scène la situation des femmes en Iran et de la lutte contre la dictature iranienne. Certains n’ont pas hésité à instrumentaliser l’événement pour venir au secours de la machine de mort israélienne. Nous en avons discuté avec Mina, une opposante de longue date au régime iranien aujourd’hui en exil. Enseignante, elle a milité dans diverses organisations de gauche et dans le mouvement de défense des travailleurs au sens large.
Bonjour Mina et merci de nous accorder cet entretien. Pour commencer, peux-tu revenir justement sur l’écho qu’ont trouvé en toi les souffrances du peuple palestinien ?
Ma solidarité avec les Palestiniennes et Palestiniens est déjà ancienne. Les activistes de gauche en Iran ont toujours eu une relation très forte avec la lutte pour la libération palestinienne, tout particulièrement envers le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). En tant que militante, j’ai très tôt été sensibilisée au problème palestinien. Il faut dire que dans les années ‘60 et ‘70, sous l’influence du combat contre la guerre du Vietnam ou de la révolution cubaine, on cherchait naturellement à élargir la lutte hors des frontières iraniennes.
Aujourd’hui, le FPLP a perdu beaucoup de son influence. Ce n’est pas propre à la gauche palestinienne, cela concerne également la gauche iranienne et ailleurs dans le monde. Nous devons nous attarder sur les questionnements que cela évoque, qui ne sont pas liés à des conjonctures purement nationales, mais mondiales. Il y a eu des mauvaises alliances, des mauvais calculs. Il faut le reconnaître et en tirer des leçons.
Car c’est aussi cela qui explique la montée de forces nationalistes, réactionnaires, religieuses,… Ces forces ont pris la place laissée vacante par l’orientation des partis de gauche. Bien entendu, le soutien financier et politique de la part de divers régimes régionaux envers des forces conservatrices a aussi joué. La gauche n’a jamais bénéficié de tels soutiens. Par exemple, le Hamas a été soutenu de manière à éclipser l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), qui elle-même a tout fait pour amoindrir l’influence de la gauche et du FPLP.
Comment définirais-tu les tâches de la gauche dans la région ?
La façon de faire de la gauche, c’est de créer des liens, c’est de reposer sur une solidarité combative. C’est bien entendu très compliqué aujourd’hui, dans la situation actuelle qui est faite de bombes, mais c’est la seule perspective qui offre une issue.
Il y a un peu plus d’un an, il existait en Israël des mouvements de contestation importants contre Netanyahou et son gouvernement de droite et d’extrême droite. C’était très enthousiasmant. L’attaque du 7 octobre a mis fin à ce mouvement qui avait un réel potentiel progressiste. Pourquoi le Hamas a-t-il attaqué à ce moment-là en s’en prenant aux civils ? Les conséquences de cette attaque du 7 octobre ont mené au renforcement des mouvements réactionnaires au détriment des courants qui aspiraient à des mesures plus démocratiques.
Et maintenant, nous assistons à la guerre des chefs armés jusqu’aux dents sous le regard attentif des grandes puissances impérialistes. Dans ce jeu de menaces et de morts, le sort des peuples iranien, israélien, libanais ou palestinien n’est jamais pris en compte. Proclamer haut et fort l’arrêt de la guerre et dénoncer l’expansion militaire israélienne sont primordiaux pour protéger les populations civiles et favoriser l’émergence d’autres alternatives, démocratiques, dans la région.
Nous devons garder en tête que tout est lié. Partons de la situation des femmes. Lors du soulèvement “Femmes, vie, liberté” en Iran de 2022, suite à l’assassinat de Jina Amini par la police des mœurs, les femmes étaient au premier plan de la lutte, c’est évident. Mais le contexte de colère est bien plus vaste. Il y a eu des luttes des personnes pensionnées, des enseignants,… À côté des Perses, il y a différents peuples opprimés en Iran : les Arabes, les Kurdes, les Baloutches. Ces gens ont participé aux luttes dans leurs secteurs, de façon transversale, par-delà les frontières communautaires.
Jina Amini était kurde, mais les réactions ont fusé dans toutes les villes d’Iran, car la colère contre l’oppression du régime est si grande. Et ce n’est pas impossible qu’une étincelle redonne vigueur à la lutte sociale.
-
[ENTRETIEN] “Gaza symbolise notre avenir”
Lors d’une manifestation à Anvers contre le génocide en Palestine, le 3 octobre dernier, une professeure a pris la parole. La colère de Roschanack Shaery-Yazdi, spécialiste de l’histoire politique de l’Orient arabe, s’est exprimée de façon particulièrement courageuse et tranchante. Nous nous sommes entretenus avec elle à la mi-novembre.
Comment avez-vous vécu l’accélération du génocide en Palestine ces derniers mois ?
C’est une véritable gifle. Je savais qu’Israël en était capable. Mais je ne m’attendais pas à la réaction des milieux universitaires. Ceux-ci témoignent non seulement d’un profond manque de connaissances, mais aussi d’une réticence à faire confiance aux experts. Le manque de connaissances n’explique pas à lui seul le soutien silencieux à ce qui se passe.
L’idée que nous devons quitter l’Europe circule chez de nombreuses connaissances issues de l’immigration. Mais nous ne pouvons pas aller au Moyen-Orient, nous ne voulons pas aller aux États-Unis. Où les gens comme nous peuvent-ils donc aller ? Quel avenir avons-nous ? C’est une période très difficile, non seulement d’un point de vue politique abstrait, mais aussi dans notre quotidien. Ce qui se passe à Gaza et la criminalisation du soutien à la libération de la Palestine sont très menaçants pour des gens comme moi.
Avant ce génocide, j’étais également consciente de la crise climatique, de la violence politique et de l’inégalité entre les genres. Mais aujourd’hui, je réalise à quel point ces questions sont reliées. J’en suis venue à les considérer comme des facettes d’un même problème, à savoir l’appartenance à une culture coloniale suprématiste blanche dominée par les hommes. La politique est dirigée par un petit groupe de riches et leurs entreprises, qui veulent enfermer les femmes à la maison, ne se soucient pas du climat et considèrent les pauvres comme leurs esclaves de facto.
Les partisans du génocide tentent de se présenter comme le visage de la lumière et de la démocratie, et même comme des pro-féministes également en faveur des droits LGBTQIA+. Le mouvement pro-palestinien a toujours recherché la solidarité avec d’autres mouvements de lutte. Le sentiment instinctif est que l’on ne peut lutter contre l’oppression que si l’on combat toutes les formes d’oppression. Qu’en pensez-vous ?
Le féminisme et les droits LGBTQIA+ sont souvent utilisés à tort pour justifier leurs crimes politiques. Nétanyahou et son régime utilisent délibérément ces termes pour construire un narratif qui cadre Israël au sein de la démocratie européenne et de la soi-disant civilisation. Le régime israélien fait tout ce qu’il peut pour alimenter l’islamophobie en Europe, et l’extrême droite constitue un de ses alliés dans cette entreprise.
Les droits des personnes LGBTQIA+ et le féminisme sont progressistes. Mais on ne peut pas être progressiste pour certains groupes et pas pour d’autres. Comment peut-on considérer les pires violations des droits humains comme l’incarnation du féminisme ? Le féminisme ne consiste pas à former les femmes à la masculinité toxique, comme le font les FDI (Forces de défense israéliennes, ou Tsahal) à l’égard des Israéliennes présentes dans l’armée. Je doute sérieusement que les droits des personnes LGBTQIA+ englobent la possibilité pour les soldats des FDI d’exprimer leur identité sexuelle tout en massacrant sans pitié les femmes et les enfants palestinien.ne.s.
Quant à la démocratie, est-il démocratique que la Cour suprême menace d’exiler les opposant.e.s au régime à Gaza ? C’est une politique de goulag qui rappelle les pires régimes autoritaires. Donc non, le régime israélien n’est pas démocratique.
Dans la diaspora, des groupes juifs orthodoxes et des juif.ve.s laïques critiquent vivement le régime. C’est également le cas en Israël. Mais l’Occident se focalise sur le gouvernement israélien, censé représenter les juif.ve.s authentiques. Cette attitude est en soi antisémite. Israël et Tsahal sont le miroir du colonialisme blanc européen. Comment la France s’est-elle comportée en Syrie à l’époque coloniale ? Elle a bombardé les habitant.e.s. Elle a construit des centres de détention que le régime d’Assad utilise encore aujourd’hui. Et les Britanniques en Palestine en 1936 ? La résistance palestinienne locale à l’occupation et au colonialisme avait brutalement été écrasée. Nétanyahou et consorts appartiennent au club des puissances coloniales, au même titre que la France ou la Grande-Bretagne.
Le régime allemand rejette toute critique du gouvernement israélien en la qualifiant d’antisémite et en s’attaquant aux personnes migrantes. Quelle hypocrisie. Le traumatisme allemand de l’antisémitisme n’a rien à voir avec nous, migrant.e.s ! Nous sommes les personnes qui ont le plus souffert des régimes autoritaires au Moyen-Orient, nous voulons une ONU forte, nous voulons le respect de l’État de droit, nous voulons un monde juste. Pour nous, les rapports sur les Droits humains sont une bouée de sauvetage. La plupart d’entre nous ont fui à cause de l’absence de telles lois.
Les Syrien.ne.s et les autres migrant.e.s savent ce que signifie un régime autoritaire et descendent maintenant dans la rue pour demander un cessez-le-feu à Gaza. La répression d’État est dangereuse et l’histoire montre à quel point elle peut rapidement conduire à autre chose, un régime totalitaire. La plupart des migrant.e.s originaires de pays instables savent de premières mains que le quotidien peut disparaître en un instant. C’est peut-être la raison pour laquelle tant de migrant.e.s manifestent.
L’invasion du Liban a contribué à l’escalade régionale. Nétanyahou affirme vouloir changer l’équilibre des forces dans la région. Comment voyez-vous cela ?
Qui croit que le régime israélien n’était pas au courant de l’existence des tunnels ? Israël surveillait tous les mouvements à Gaza. Nous savons que l’Égypte avait informé Israël des projets du Hamas. Nous savons également que Nétanyahou a initialement soutenu le Hamas pour affaiblir le mouvement de résistance palestinien. Nétanyahou était prêt à laisser un groupe d’Israélien.ne.s de gauche alternative et quelques autres être massacré.e.s pour faire avancer son projet d’expansion des territoires israéliens. Ce gouvernement ne se soucie pas vraiment de son propre peuple. Cela se reflète par ailleurs dans le manque d’intérêt pour les otages ou les milliers de personnes déplacées dans les zones frontalières. Le régime israélien a réussi à assassiner le chef du Hezbollah, Nasrallah, à Beyrouth et le chef du Hamas, Haniyeh, en Iran. Cette opération était manifestement préparée depuis un certain temps, comme l’ont montré les explosions de bipers, et n’attendait qu’un prétexte.
C’est ainsi que le Sud-Liban est pris ou rendu inhabitable. Ce faisant, le patrimoine culturel est rasé, l’histoire de la population locale est effacée. On en parle à peine, mais des bombes tombent quotidiennement sur Damas. En Iran, les États-Unis et Israël veulent créer une situation de guerre civile similaire à l’Irak pour affaiblir le pays.
Pour le régime israélien, il ne s’agit pas de protéger la vie des Juif.ve.s, mais d’annexer des territoires à Gaza, en Cisjordanie et au Sud-Liban, tout comme le Golan a été annexé en 1967. Il existe aux États-Unis un puissant lobby pro-israélien, composé de sionistes juif.ve.s et chrétien.ne.s, qui soutient fermement cette politique. Ce lobby (l’AIPAC, American Israel Public Affairs Committee, par exemple) bloque toute tentative d’embargo américain sur les ventes d’armes à Israël, comme en témoigne la mobilisation du lobby contre Bernie Sanders aux États-Unis.
L’objectif est donc de redessiner la région avec l’expansion d’Israël et la recherche d’une prétendue solution finale à la question palestinienne. Israël veut éliminer toute opposition possible à l’occupation et au projet colonial. C’est également ce que souhaite l’impérialisme américain afin d’avoir un accès bon marché aux matières premières et de renforcer la domination régionale de l’Arabie saoudite. Cela implique d’acheter le soutien des dirigeants égyptiens et jordaniens par l’intermédiaire du FMI et de la Banque mondiale. L’invasion de l’Irak à l’époque faisait déjà partie de ce redécoupage de la région.
Lors d’une récente manifestation kurde, on a constaté une réticence à participer à des actions pro-palestiniennes en raison du rôle des tendances réactionnaires telles que le Hamas et le Hezbollah. Comment pouvons-nous faire face à cette situation ?
Bien sûr, les peuples du Moyen-Orient ne sont pas unis. Beaucoup de ceux qui s’opposent au régime iranien considèrent le Hamas et le Hezbollah comme des groupes qui reçoivent de l’argent iranien. Beaucoup pensent que nous ferions mieux de nous occuper d’abord de nos propres problèmes au lieu de construire la solidarité. Le fait que j’aie toujours parlé de la Palestine n’a pas toujours été compris par la communauté iranienne, mais la Palestine concerne aussi l’Iran. Bien sûr, il est plus facile pour moi de protester, en tant que fonctionnaire, que pour, disons, une femme qui vient d’arriver ici, qui porte le voile et suit des cours de langue.
Le Hamas et le Hezbollah sont des mouvements islamistes autoritaires. La plupart de leurs actions ne sont pas démocratiques. La gauche a besoin de faire entendre sa propre voix, une troisième voix qui s’oppose à la fois à l’impérialisme occidental et aux régimes et mouvements autoritaires. Cette voix n’est pas claire aujourd’hui. L’opposition à l’impérialisme est claire, tout comme le soutien à la résistance palestinienne et le besoin de libération. Mais elle s’arrête là. La troisième voix oscille entre la définition de sa propre identité, l’égarement et la défense de la résistance. Cela entraîne des réticences chez certain.ne.s progressistes. Nous sommes face à une nouvelle ère qui a un besoin urgent de renforcer cette troisième voix. C’est l’une des idées les plus importantes que j’ai eues depuis le génocide palestinien : je dois réfléchir attentivement à la manière de faire entendre une voix de résistance qui appelle à la paix. Il est plus facile d’écrire des livres académiques que de formuler ces idées dans la rue.
Le nationalisme est bien sûr très présent dans la région. Les mouvements de libération ont souvent été détournés, laissant les citoyen.ne.s ordinaires peu confiant.e.s dans la capacité des mouvements sociaux à apporter des changements durables et significatifs. Mais nous devons réaliser que Gaza est le symbole de notre avenir, qu’il s’agit aussi de la libération des femmes iraniennes, du débat sur le voile en Europe, de la crise climatique, de la survie de la démocratie en Europe. Toutes ces questions sont reliées.
-
Italie. L’extrême droite est loin de bénéficier du consensus qu’elle revendique
“Le patriarcat n’existe plus… Les violences sexuelles ont augmenté à cause de la migration illégale”, a osé déclarer le ministre italien de l’Éducation, Giuseppe Valditara (Ligue, extrême droite), lors de la présentation de la fondation Giulia Cecchettin, créée en mémoire d’une jeune femme assassinée par son compagnon en novembre 2023. Ces propos misogynes et racistes – survenus peu de temps avant la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes – ont suscité une vague d’indignation.
Par Giulia (Liège)
En réaction, des activistes ont dénoncé ces fausses affirmations : sur les réseaux sociaux, mais aussi dans l’espace public, notamment avec des graffitis apparus sur les bâtiments officiels tels que “104 mortes d’État, ce n’est pas l’immigration, mais votre éducation”. Les chiffres confirment ces dénonciations: selon l’Istat, l’office italien de statistiques, 94% des féminicides en Italie sont perpétrés par des hommes italiens.
Un climat hostile orchestré par le gouvernement Meloni
Sous le gouvernement de Giorgia Meloni (Frères d’Italie, extrême droite), le discours misogyne et xénophobe prospère, justifié par des projets tels que la “reconstruction d’une Italie peuplée de vrais Italiens”. Cette idéologie attaque l’autodétermination des femmes, des personnes LGBTQIA+ et des personnes migrantes, elle s’inscrit dans une vision nationaliste où le corps des femmes devient un outil politique. Depuis le début de son mandat, Giorgia Meloni, qui se fait appeler “Le Président” au masculin, multiplie les attaques contre les femmes, les LGBTQIA+ et les étrangers.
L’une de ses premières mesures a été de dégager du financement en faveur des associations “pro-vie”, c’est-à-dire anti-avortement, et de leur donner accès aux plannings familiaux. Cela s’oppose totalement à la philosophie de ces espaces, créés grâce aux luttes de nos mères et grand-mères, pour offrir un soutien essentiel aux femmes, aux personnes LGBTQIA+ et aux personnes enceintes. Ces structures constituent une base politique concrète pour nous réapproprier nos corps.
Ces attaques prennent place dans un contexte où le service public de santé est en lambeaux après les années Berlusconi et les politiques néolibérales, comme la pandémie l’avait dramatiquement exposé dans l’actualité internationale. La santé privée est devenue la principale option pour de nombreuses personnes, au prix d’énormes sacrifices financiers afin d’y accéder. Il est évident que Meloni ne représente en rien un parti du changement. Elle perpétue des politiques d’austérité meurtrières ainsi que l’application d’une méthode de division de la population pour parvenir à les mettre en pratique.
L’enlèvement rétroactif des droits parentaux aux familles arc-en-ciel ou encore l’inscription dans la loi de la gestation pour autrui (GPA) comme “délit universel” soulignent également très clairement que ce gouvernement cherche à renvoyer les femmes entre les murs de la maison, là où les violences restent cachées et invisibles aux bien-pensants sortant de la messe.
« Sorella facciamoci spazio » (Sœur, faisons-nous de l’espace)
Les féministes ripostent. Et, contrairement à ce que les médias veulent nous faire croire, l’extrême droite est loin de bénéficier du consensus qu’elle revendique fièrement.
La résistance est bien là : nous l’avons vue l’année dernière, le 25 novembre, lorsque 2 millions de personnes sont descendues dans les rues italiennes avec la rage contre le patriarcat qui nous tue chaque jour, et avec l’amour de la sororité face à une énième d’entre nous assassinée par son compagnon.
Le 8 mars 2024, à l’occasion de la grève transféministe, et dans cet élan de force et de solidarité, les féministes de Non Una Di Meno à Padoue ont occupé un planning familial abandonné, fermé depuis 2019.
La création de la Consultoria (Consultorio – planning familial en italien, décliné au féminin) ne se limite pas à offrir un accès à des services – gynécologues, thérapeutes pelviennes et autres intervenantes externes – perdus par les habitants du quartier après la fermeture de l’ancien consultorio. A travers l’acte politique de l’occupation, elle constitue un processus de réappropriation de nos corps et des espaces où nous pouvons discuter, nous auto-former et être écoutées, en rupture avec une simple conception administrative de la prise en charge des femmes en difficulté.
Non Una Di Meno montre concrètement que, dans un système qui fait tout pour nous diviser et nous mettre en compétition, reprendre nos espaces, prendre soin les un.e.s des autres, rester uni.e.s et solidaires est le véritable acte de résistance. Cette occupation féministe fait immanquablement également écho à l’occupation de l’usine GKN par les grévistes, qui sont par ailleurs systématiquement présent.e.s dans les mobilisations féministes. Cette solidarité à la base sera le moteur de la révolution qui est nécessaire.
-
Santé mentale et génocide: patient.e.s palestinien.ne.s en danger !
L’action de solidarité avec le personnel soignant de Gaza et du Liban organisée à l’hôpital Saint-Pierre le 22 novembre nous a permis d’entendre Ondine Dellicour, qui travaille pour le service de Santé mentale Ulysse, situé à Bruxelles, qui est spécialisé dans l’accompagnement psychologique de personnes exilées, plus spécifiquement celles en précarité de séjour et en souffrance. Nous reproduisons ici sa prise de parole.
“La majorité de nos patients sont en cours de demande de protection internationale ou se sont vu refuser cette protection et se retrouvent donc “sans-papiers”. Parmi nos patients, il y a toujours eu des personnes palestiniennes, majoritairement de jeunes hommes qui fuient des persécutions comme l’emprisonnement, les tortures, les crimes militaires, la ségrégation ethnique, l’oppression économique, sociale et politique systématique. Autant de violences qui peuvent laisser des séquelles, tant au niveau somatique que psychologique.
“Fin 2023 et début 2024, le nombre de demandes d’aide psychologique de personnes d’origine palestinienne dans notre service a fortement augmenté. Aussi, nous avons pu voir leur état de santé se dégrader de manière spectaculaire, une situation que nous n’avions jamais vécue auparavant, ce qui nous a poussé à prendre position en tant qu’institution de soin.
“D’abord, nous avons publié une lettre ouverte en novembre 2023 pour alerter les autorités de notre inquiétude quant à la détérioration flagrante de l’état psychologique des patients palestiniens. Nous disions alors que l’effroi et le désespoir engendrés par la situation de violence extrême à Gaza, cumulé à l’absence d’accueil et de protection en Belgique, ont des effets délétères graves sur la santé mentale des patients concernés.
“A l’époque déjà, nous mettions en avant la nécessité que des solutions soient urgemment mises en place aux niveaux de l’hébergement, de l’accompagnement psychosocial et du droit de séjour de ces personnes, condition sine qua non pour que nous puissions accomplir nos missions de soin.
“Quelques mois plus tard, face à l’absence de réaction des autorités compétentes, nous avons décidé de nous porter partie requérante dans une action collective en justice contre l’État belge concernant le délai de traitement des demandes de protection internationale des ressortissants palestiniens. L’argument juridique au centre de cette requête était de faire valoir l’état d’urgence pour justifier un traitement accéléré de ces demandes. La situation à Gaza est clairement connue du monde entier, pourquoi attendre?
“Le besoin de protection est flagrant ! Il faut que ça aille vite et que les Palestiniens qui ne sont pas encore reconnus réfugiés n’aient pas à attendre des mois, voire des années, comme c’est malheureusement le cas pour toute personne qui sollicite cette protection. Nous avons invoqué, avec les autres parties requérantes, à la fois la violence extrême et généralisée à Gaza et la situation de détresse extrême dans laquelle se trouvent les palestinien.nes présent.e.s ici, qui ont tous de la famille là-bas, et qui vivent une violence supplémentaire sans reconnaissance de leur statut de réfugié. Bien que les autorités judiciaires aient reconnu l’urgence de cet état, elles ne reconnaissent pas la nécessité d’une procédure accélérée.
“Nous avons été déçus, scandalisés même, par l’issue de cette action en justice, mais nous sommes convaincus de l’importance des actions collectives ! Même si nous n’avons pas gagné, cette action n’a pas été sans effets. Pour un service comme le nôtre, le fait de pouvoir participer à ce type d’action nous a permis de sortir de la sidération et de nous mobiliser avec d’autres! Ça permet aussi d’exercer une pression sur l’État et les autorités compétentes en leur rappelant qu’on est là, qu’on est plusieurs et qu’on ne les laissera pas faire n’importe quoi ! Enfin, après des mois de gel de traitement des dossiers palestiniens, nous constatons sur le terrain de nombreuses décisions de reconnaissance du statut de réfugié… Cette action collective y a peut-être joué un rôle, parmi un ensemble d’initiatives de solidarité et de pressions.
“Tout ça pour dire que la solidarité avec les soignants de Gaza et du Liban passe aussi par la qualité de l’accueil et des soins que nous pouvons offrir à leurs compatriotes qui se trouvent ici et à la pression que nous pouvons exercer ensemble sur nos pouvoirs publics pour que nous ayons les moyens de le faire !
-
Un fasciste au pouvoir avec l’investiture de Trump?
La victoire de Donald Trump représente-t-elle un moment “Weimar”, en référence au nom de la république qui a précédé l’accession au pouvoir d’Hitler ? Un fasciste arrivera-t-il au pouvoir avec l’investiture de Trump comme 47e président pour les États-Unis ?
Par Stef (Anvers)
Fasco-bingo
En apparence, Trump, son mouvement MAGA (Make America Great Again) et le “Projet 2025” peuvent cocher un grand nombre de cases. Ils crachent sur tout ce qui est progressiste, sont ultranationalistes, s’en prennent aux femmes, aux personnes immigrées et aux droits des personnes LGBTQIA+, prêchent la vengeance contre leurs adversaires politiques et n’hésitent pas à recourir à la logique conspirationniste. Trump bénéficie du soutien d’un large segment de la classe capitaliste américaine. L’administration précédente de Trump a fait de son mieux pour repousser les syndicats. Parallèlement, ils affirment qu’ils ramèneront les jours de gloire, l’emploi et la prospérité.
L’extrême droite applaudit Trump, sa confiance gonflée par cette victoire. Mais les partisans du magnat de l’immobilier sont-ils tous gagnés à l’idée d’un Quatrième Reich en Amérique? Se limiter à conclure que Trump a gagné cette élection grâce à ses opinions conservatrices, cela sert les Démocrates qui tentent d’imputer leur défaite au rejet du “wokisme”. Les électeur.trice.s américain.ne.s cherchent une issue face à l’effondrement de leurs conditions de vie. D’ailleurs, dans un certain nombre d’États où Trump a réussi à s’imposer, des référendums ont au même moment renforcé le droit à l’avortement ou encore augmenté le salaire minimum local.
Des projets d’expulsions racistes
Ces dernières années, Trump et ses semblables sont passés à la vitesse supérieure en matière de racisme. Tous les “illégaux” doivent être expulsés du pays, l’Amérique doit “rester blanche”. On estime à 11 millions le nombre de personnes sans papiers aux États-Unis, dont 7 millions travaillent. Trump envisage même de déchoir de leur citoyenneté des personnes immigrées régularisées. L’interdiction de l’immigration en provenance des pays musulmans menace à nouveau.
Les projets d’expulsion de millions de personnes impliquent inévitablement de séparer (à nouveau) les enfants de leurs parents, de détruire les communautés et de porter un coup énorme à divers secteurs de l’économie. La seule façon d’organiser une telle déportation est de facto d’organiser des camps de concentration. Dans l’UE, quelque 100.000 demandeurs d’asile sont expulsés chaque trimestre et, là aussi, il y a des centres fermés et des frontières avec barbelés… Le racisme est enraciné dans le capitalisme.
Autoritaire, mais pas bagarreur
Trump est une figure autoritaire populiste de droite. Sous sa direction, la droite s’emploie à interdire les livres, à sanctionner les enseignant.e.s, à restreindre les droits des femmes, à interdire les soins d’affirmation de genre et à brider les syndicats. Les attaques contre les médias et les opposants politiques sont légion, bien qu’elles s’en tiennent le plus souvent aux menaces verbales.
Pourtant, Trump prend quelque peu ses distances avec les manifestations les plus visibles de l’extrême droite. Il les laisse faire, mais ne s’entoure pas de milices privées et ne les déploie pas activement comme troupes de choc. Seule exception: la prise d’assaut du Capitole le 6 janvier 2021. Bien que Trump porte sans aucun doute la responsabilité de cet assaut, il ne s’agissait pas d’une tentative bien coordonnée de prise de contrôle de l’État.
La refonte de la bureaucratie de l’État figure en tête de l’agenda du second mandat de Trump. Il souhaite remplacer les fonctionnaires par des loyalistes. Lors de son précédent mandat, il avait déjà pris un décret pour licencier 50.000 fonctionnaires. Au Pentagone aussi, Trump est libre de remplacer les hauts gradés de l’armée par des généraux qui ne se tiendront pas au travers de sa route.
Un gouvernement de riches
Le fascisme classique a mobilisé de larges pans de la population avec une rhétorique faussement anticapitaliste pour ensuite établir une sanglante dictature de fer pour sauvegarder la domination capitaliste. En tant que mouvement principalement composé de la classe moyenne aisée, le fascisme de Mussolini et d’Hitler a été perçu à leur époque comme le parfait sauveur du capitalisme. Ils ont protégé le système en écrasant physiquement les organisations ouvrières et en réprimant violemment la moindre opposition. Aux États-Unis également, à l’époque, certains secteurs du grand capital étaient favorables au fascisme afin d’empêcher la mise en œuvre du New Deal de Roosvelt. Mais après l’expérience du fascisme dans les années 1930 et 1940, les capitalistes réfléchiront à deux fois avant de s’engager dans une voie aussi redoutable.
Trump n’est pas particulièrement synonyme de discrétion, ce qui vaudra aussi pour son soutien au capital. Trump et sa bande ont tenté de faire reculer l’Affordable Care Act (la Loi sur la Protection des Patients et les Soins Abordables) et ont bloqué diverses augmentations du salaire minimum dans les États. Trump veut faire pleuvoir les réductions d’impôts sur la classe capitaliste. Il veut que le kleptocrate Elon Musk réduise de 500 milliards de dollars le fonctionnement des services fédéraux. Les capitalistes américains sont clairement aux commandes. De même, les attaques contre les personnes transgenres ne sont nouvelles que dans le sens où le genre n’était pas sur le radar des Républicains il y a 20 ans. Au niveau des États, ils s’opposent même encore au mariage homosexuel. La puissance culturelle et institutionnelle du MAGA rend inévitable l’intensification des attaques. Nous l’avons déjà constaté dans plusieurs États et avec l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade (l’arrêt de la Cour Suprême des États-Unis qui garantissant l’accès à l’avortement).
Les projets de Trump et du mouvement MAGA comportent des éléments fascistes. Mais à bien des égards, ces plans s’inscrivent parfaitement dans l’ordre actuel des choses dans le pays. Là où Trump rompt avec les traditions de son parti, c’est principalement dans la manière dont les États-Unis mènent leur politique impérialiste. L’expansionnisme a toujours été inhérent à la politique étrangère traditionnelle des États-Unis. Trump, en revanche, prêche la suprématie économique avant tout. Lorsqu’on lui demande s’il défendrait Taïwan contre la Chine, par exemple, sa réponse est beaucoup moins claire que celle de ses prédécesseurs.
Trump : “Aussi américain que la tarte aux pommes”, tout comme la résistance
Présenter Trump comme un fasciste alors que, disons, l’esclavagiste Andrew Jackson ou George Bush ne le sont pas, revient au fond à blanchir l’histoire politique américaine. Le capitalisme américain soutient invariablement des régimes d’extrême droite et a imposé une ségrégation stricte à son propre peuple. Cela dit, un second mandat de Trump est une véritable menace pour les droits démocratiques de la classe travailleuse. Les attaques contre la fonction publique, la société civile et les mouvements sociaux ne manqueront pas.
Organiser des milices pour les déployer dans les rues et assister les plans de déportation, par exemple, générerait sans aucun doute une riposte antiraciste majeure. A fortiori si ces milices privées étaient déployées contre des manifestant.e.s, des syndicalistes, des Prides… Trump n’a pas à avoir peur des Démocrates et de l’establishment, mais bien des explosions massives de colère et des mouvements sociaux. N’oublions pas que Black Lives Matter a atteint son apogée au moment où Trump était président.
Arrêter Trump et ses attaques est possible si la classe travailleuse s’organise dans des syndicats et des comités d’action. La classe travailleuse américaine a derrière elle une riche histoire de résistance. C’est à partir de là que l’opposition politique doit se développer. Trump a remporté l’élection en raison de l’inquiétante incertitude économique et de la colère de larges pans de la population. Il ne dispose d’aucune réponse face à tout ça. Mais mettre un terme au trumpisme exigera bien plus que de recourir une nouvelle fois au “moindre mal” dans quatre ans. Il faudra développer un mouvement révolutionnaire, rien de moins.
-
La sérieuse gueule de bois de la logique du “moindre mal”
Redoutant la victoire de Donald Trump, les partis Verts européens, parmi lesquels ECOLO, ont demandé à l’écologiste radicale américaine Jill Stein de retirer sa candidature pour donner le maximum de chances à Kamala Harris. Ce fut l’une des expressions de l’angoisse réelle de millions de personnes à travers le monde face à l’agenda autoritaire, raciste et misogyne de Trump. Mais regardons la réalité en face: reposer sur les Démocrates pour battre le trumpisme revient à scier la branche sur laquelle on est assis.
De ce côté-ci de l’Atlantique, la situation a régulièrement été caricaturée à l’extrême: un homme blanc raciste opposé à une femme noire. La formule-choc ne permet toutefois pas de comprendre pourquoi la majorité de ses électeurs – 59% – sont des femmes ou des personnes de couleurs. Aussi étrange que cela puisse paraître au premier abord, l’électorat de Trump s’est féminisé et diversifié.
L’héritage de quatre ans de présidence démocrate
Le professeur de sociologie à l’ULB Daniel Zamora soulignait au lendemain des élections que “plus d’un tiers des électeurs ont indiqué que l’économie était leur priorité numéro un, alors que seuls 11% ont indiqué l’immigration. Et parmi ceux inquiets quant à l’état de l’économie, 80% ont préféré Donald Trump à Kamala Harris. Enfin, à peine 20% des États-uniens pensent qu’ils sont mieux lotis qu’en 2020.”(1)
Il poursuit : “La focalisation autour du “danger fasciste” et d’une éventuelle “fin de la démocratie” (…) a malheureusement fait oublier que c’est en focalisant son message sur l’économie que Biden l’avait emporté il y a quatre ans.” Et quatre ans plus tard, que reste-t-il des belles paroles? Joe Biden avait averti du risque d’exclusion de 20 millions de personnes de l’assurance-maladie publique en cas de victoire de Trump. Il y en a eu 25 millions avec Biden. Les expulsions de domiciles ont aujourd’hui dépassé le niveau pré-pandémie et il n’y a jamais eu autant de sans-abris. Mais en Europe, la plupart des commentateurs de la presse dominante ont parlé des “bons chiffres macro-économiques” de Biden en déplorant que le “ressenti de la population” soit différent. On leur souhaite de passer une nuit sur le trottoir pour venir ensuite nous parler de leur “ressenti” économique.
Pas d’augmentation de salaire quand on cajole les milliardaires
L’idée centrale de Kamala Harris et des Démocrates était de partir à la chasse à l’électorat républicain anti-Trump. Le parti démocrate n’est déjà pas un parti de gauche à la base, mais ce fut sa campagne la plus à droite depuis longtemps, alliant une approche de faucon sur la scène internationale à un vide sidéral sur le terrain social.
Kamala Harris s’est ainsi affichée à de nombreuses reprises aux côtés de la Républicaine Liz Cheney. Cette recrue démocrate est notamment la fondatrice de l’association nationaliste Keep America Safe, dont l’objectif était entre autres d’attaquer les avocats des détenus du camp de Guantánamo. Si celle-ci s’est opposée à Trump, c’est essentiellement au nom de la défense de l’héritage politique de son père, Dick Cheney, PDG de la multinationale pétrolière Halliburton et vice-président des États-Unis au moment de l’invasion de l’Irak, sous l’administration George W. Bush. Encore plus dans le contexte du soutien sans faille apporté par Kamala Harris au régime israélien, on peut comprendre pourquoi tant d’arabo-américains et de musulmans étaient furieux.
Pour tenter de contrer l’effet “Elon Musk”, les démocrates ont affiché le soutien du très médiatique milliardaire Mark Cuban, qui a notamment souligné : “Je suis socialement libéral, mais fiscalement conservateur (…). Et je pense que le vice-président Harris correspond parfaitement à notre mission”.
L’augmentation du salaire minimum figure parmi les thèmes majeurs des campagnes syndicales depuis de nombreuses années aux États-Unis. Le salaire minimum fédéral est actuellement de 7,25 dollars de l’heure. Dans le sillage de diverses campagnes locales victorieuses sur cette question, Biden avait promis en 2020 de relever le salaire minimum fédéral à 15 dollars à l’heure et de renforcer, via la législation fédérale, la capacité d’organisation et de négociation collective des travailleur.euse.s. Rien de tout cela n’a été fait. Ce n’est que du bout des lèvres, et à la toute fin de sa campagne, que Kamala Harris a accepté ce chiffre symbolique (désormais largement dépassé en raison de l’inflation). Lors de ses 35 apparitions publiques, elle n’a mentionné que deux fois l’augmentation du salaire minimum, sans jamais donner d’indication précise concernant le montant.
Comme l’explique Daniel Zamora : “Si plus de 81 millions d’Américains ont voté pour Joseph Biden, seuls 68 millions se sont mobilisés pour Kamala Harris. Trump, quant à lui, a mobilisé presque autant qu’en 2020. En un sens, il s’agit plus d’une défaite historique du parti démocrate que d’une victoire de Trump.”
Aspiration au changement et cri de désespoir
Tout cela n’enlève rien au fait que la victoire de Trump est une victoire du racisme et de la misogynie. Celle-ci ancrera encore plus profondément la haine de l’autre dans l’aliénation de larges couches vis-à-vis de la société. L’absence de perspective d’amélioration des conditions d’existence et d’une lutte collective alimente les frustrations. Et lorsqu’on se retrouve aux prises avec un angoissant sentiment d’impuissance, il est plus facile d’imaginer frapper vers le bas, vers les plus faibles, que vers le haut et le monde des puissants. C’est cela qui permet d’expliquer qu’aux États-Unis, une si grande partie des personnes issues de l’immigration y soient aujourd’hui opposées.
Stimuler cette lutte collective pour arracher des victoires est un enjeu crucial dès maintenant : il ne faut pas pleurer, mais s’organiser, comme le disait le syndicaliste révolutionnaire Joe Hill. Il n’y a pas d’autre remède que la construction d’une alternative politique reposant sur l’action collective, fermement accrochée à une approche de classe et qui défend toutes les personnes opprimées avec autant d’acharnement que les Démocrates et les Républicains défendent, chacun à leur manière, la classe capitaliste dominante.
Laissons une dernière fois la parole à Daniel Zamora : “Loin d’être une anomalie, le trumpisme apparait donc comme le symptôme le plus visible d’un libéralisme en décomposition et, dans sa version européenne, d’une gauche encore incapable d’inverser le cours de l’histoire.” Renverser le cours de l’histoire, c’est là toute l’ambition que doit avoir la gauche, vers une transformation révolutionnaire de toute la société. Sans cela, l’avenir nous réservera encore pire que Trump. Gardons en tête qu’il était difficile à l’époque d’imaginer pire que Bush…
“La victoire de Trump, par-delà les fantasmes”, Daniel Zamora, revuepolitique.be, publié le 7 novembre 2024.
-
Stop au criminel de guerre Netanyahou!
La Cour pénale internationale (CPI) de La Haye a émis un mandat d’arrêt à l’encontre de Netanyahou et de l’ancien ministre israélien Galant. Lorsque la demande a été formulée au début de l’année 2024, elle visait également trois dirigeants du Hamas. Au moins deux d’entre eux ont entre-temps été tués par l’armée israélienne, et le troisième, Mohammed Deif, a probablement lui aussi été tué lors d’un bombardement. Le mandat d’arrêt parle de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, y compris l’utilisation de l’arme de la famine.
Netanyahou a déclaré qu’il s’agissait d’une “décision antisémite” basée sur des “accusations fausses et absurdes”. Les États-Unis l’ont immédiatement suivi et n’ont pas reconnu le mandat d’arrêt. Peu de temps avant, les USA s’étaient opposés à une résolution de cessez-le-feu au Conseil de sécurité de l’ONU. Et tout ceci avant même que Trump ne prenne le relais de la présidence de Biden. Le mandat d’arrêt est surtout symbolique, mais il vient en partie mettre à nu les mensonges colportés ici par la droite et l’extrême droite pour présenter le génocide comme une défense de la “démocratie” et des “valeurs occidentales”. Le régime israélien a répondu au mandat d’arrêt en bombardant massivement le Sud-Liban le 22 novembre.
Entre-temps, le génocide se poursuit. A Gaza, 1,9 million d’habitant.e.s ont dû fuir au cours de l’année écoulée. 79% du territoire est sous ordre d’évacuation de l’armée israélienne. Ces chiffres hallucinants proviennent des Nations unies. La revue médicale The Lancet parle d’un nombre possible de 186.000 personnes mortes, soit 8% de la population totale. Ces dernières semaines, 130.000 personnes habitant le nord de Gaza ont dû fuir une fois de plus, les quelque 75.000 personnes restées à Jabalia, Beit Lahia et Beit Hanoun mourant de faim. Sur les 31 missions d’aide que les agences des Nations unies prévoyaient d’envoyer dans le nord de Gaza entre le 1er et le 18 novembre, 27 ont été complètement bloquées par le régime israélien, tandis que les quatre autres ont été sérieusement restreintes. Le régime israélien veut procéder à un nettoyage ethnique complet dans le nord de Gaza.
L’argument des “raisons de sécurité” est absurde, il s’agit purement et simplement d’expansion coloniale. Même en Israël, cet argument est de moins en moins crédible. Un sondage réalisé au début du mois de novembre indique que 55% des personnes interrogées pensent que les opérations à Gaza se poursuivront pour des raisons politiques, contre seulement 36% qui invoquent des raisons de sécurité. Une majorité souhaite des élections anticipées. Le soutien au régime s’effrite, mais sans qu’une alternative claire ne se dessine. Le danger est de capitaliser sur cette situation en passant à la vitesse supérieure. L’arrivée de Trump, allié inconditionnel de l’extrême droite mais en même temps facteur plus imprévisible, peut aussi conduire Netanyahou et sa bande à vouloir gagner encore plus de terrain rapidement avec une nouvelle escalade dans le nord de Gaza, une accélération de l’annexion rampante de la Cisjordanie et l’installation d’une « zone de sécurité » dans le sud-Liban. Le danger d’une confrontation militaire directe entre Israël et l’Iran s’accroît.
Pour arrêter un génocide, nous ne pouvons pas compter sur les politicien.ne.s établi.e.s et leurs institutions. Le principal point positif de ces derniers mois a été la solidarité de centaines de milliers de personnes qui sont descendues dans la rue à travers le monde contre le génocide et contre la machine de mort de l’État israélien. Les jeunes ont été en première ligne avec des occupations de campus pour un boycott académique. Il y a eu, entre autres, des grèves dans l’État espagnol et des actions ciblées contre les livraisons d’armes en Grèce. Ces actions indiquent la voie à suivre. Il ne s’agit pas seulement de faire les gros titres, c’est tout le régime colonial de génocide qui doit disparaître. Et avec lui, l’impérialisme qui arme et soutient ce régime.
Sous le capitalisme, les technologies les plus avancées de l’humanité sont déployées non pas pour améliorer la vie mais pour la détruire à grande échelle, tandis que les appareils les plus sophistiqués permettent la diffusion en direct des actes de violence les plus primitifs et les plus déshumanisants. L’urgence d’une transformation révolutionnaire n’a jamais été aussi évidente. Le renversement de ce système destructeur est essentiel pour prendre le contrôle des immenses richesses et ressources de la société avec la communauté elle-même, y compris celles qui sont actuellement consacrées au massacre et à la destruction de Gaza. Par le biais d’un programme socialiste qui cherche à installer une propriété et un contrôle collectifs et qui défend les droits de toutes les communautés nationales et religieuses sur base de la pleine égalité et de l’autodétermination, nous pourrons jeter les bases d’un avenir dans lequel la paix, la sécurité et la prospérité seront garanties à tous les peuples.