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  • [DOSSIER] COVID et Politique migratoire 

    Action du 7 mai à la Tour des finances. Photo : Collectif Krasnyi

    Le capitalisme ne peut pas répondre aux besoins des travailleurs migrants et leurs familles

    Depuis 30 années de politiques néolibérales, les inégalités ont explosé au cœur du système capitaliste. Si la pandémie est révélatrice des inégalités engendrées par un système qui écrase la majorité de la population, elle les approfondit encore plus. Cela nous montre l’incapacité et le manque de volonté politique de la classe capitaliste pour répondre aux besoins des plus démunis, les travailleurs migrants et leurs familles.

    Par Pietro (Bruxelles)

    Le mercredi 7 mai 2020, à Malte, en pleine pandémie, une cinquantaine de migrants naufragés ont été repoussés alors que leur embarcation avait déjà pénétré la zone de secours relevant de cet État membre de l’UE (1). D’après une enquête détaillée du New York Times (2), le gouvernement maltais aurait affrété trois navires privés pour intercepter des migrants en Méditerranée et les renvoyer vers la Libye, malgré la crise sanitaire mondiale. L’opération a eu lieu dès le début du mois d’avril.

    Le gouvernement maltais avait prévenu qu’il ne pouvait plus garantir de porter secours aux naufragés ou de leur permettre de débarquer sur l’île, toutes ses ressources étant occupées par la lutte contre le Covid-19. C’est donc à cela que ressemble la politique migratoire européenne en temps de crise du coronavirus.

    La politique mortifère de l’Union Européenne

    Les États-membres de l’Union européenne ont décidé, mercredi 27 mars, de retirer leurs navires militaires engagés en Méditerranée dans le cadre de l’opération militaire dite « Sophia », au moins temporairement. Depuis 2015, ces bateaux ont pourtant permis de sauver la vie d’environ 45.000 migrants.

    Avec l’augmentation des infections en Afrique et au Moyen-Orient, les migrants vont continuer à quitter leur pays, avec le risque de provoquer des épidémies dans les énormes camps de réfugiés. Ces camp sont des lieux où s’entassent les gens dans d’horribles conditions, sans hygiène de base ni aide médicale. Un chiffre pour illustrer cette réalité : le camps grecs accueillent actuellement plus de 40.000 migrants alors qu’ils n’ont officiellement de place que pour 7.000. Près d’un tiers des personnes qui s’y sont retrouvées sont mineurs d’âge, selon le Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies (UNHCR).

    Si les dirigeants européens refusent d’investir afin de sécuriser la vie de la population migrante et de la régulariser, ils ne manquent pas de stratagèmes concrets pour empêcher les migrants d’atteindre l’Union européenne. Leur idée est d’élargir les pratiques de refoulement (ou « push back ») des demandeurs d’asile y compris par le recours à des entreprises privées.

    Au lieu d’exiger la protection des migrants dans les circonstances de la crise sanitaire, les mesures de confinement imposées par la pandémie du Covid 19 représentent un nouveau prétexte non seulement pour fermer les frontières de l’UE, mais aussi pour enfermer des dizaines de milliers de migrants en Europe, dans des camps aussi insalubres que favorables au développement de l’épidémie.

    Les autorités appliquent l’enfermement des réfugiés dans les camps de Grèce en particulier dans le « hotspot » surpeuplé de Moria sur l’île de Lesbos tandis que les ports italiens et maltais sont fermés et qu’il ne subsiste qu’un seul bateau de sauvetage encore actif en Méditerranée centrale. Les naufrages d’embarcations emmenant migrantes et migrants vers l’Europe se multiplient.

    Le système capitaliste – avec ses guerres, son exploitation et sa destruction de la nature qui a notamment comme effet de provoquer des pandémies globale telle que celle du COVID-19 – force des millions de personnes sur la planète à fuir leurs pays.

    Le racisme comme arme contre le COVID

    Au début de la crise sanitaire, la propagande raciste qui empoisonne la société depuis des décennies a déjà conduit à des attaques racistes contre des Chinois ou d’autres personnes d’apparence “asiatique” en France, en Allemagne, en Italie, en Grande-Bretagne, en Russie, aux États-Unis et dans d’autres pays.

    L’extrême droite s’en prend déjà aux migrants et aux réfugiés en utilisant le Covid-19 comme excuse, notamment en Grèce. Bientôt, sans aucun doute, elle sera suivie par divers partis traditionnels, y compris des partis sociaux-démocrates et verts apparemment “progressistes”. Ces partis tenteront de mettre en œuvre des règles de migration encore plus racistes, de construire des murs et de renforcer le principe de l’Europe-Forteresse, en faisant valoir que cela est nécessaire pour « se protéger » contre le virus. Sans réaction de la part du mouvement ouvrier sur cette question, même des gens de gauche et des travailleuses et travailleurs pourraient avoir le sentiment que, même s’ils n’aiment pas les mesures adoptées, ils n’ont d’autre choix que de les accepter.

    Mais le Covid-19 est “antiraciste” : il se moque du genre, de la religion ou de la nationalité. Toute mesure fondée sur de telles caractéristiques est donc, au mieux, inutile. Mais ceux qui utilisent le virus pour créer la division nous empêchent de collaborer ensemble pour stopper la propagation du virus et résoudre la crise. Les classes dirigeantes et la gestion de la société via la concurrence du libre marché ont démontrée toute l’étendue de leur incapacité à gérer cette pandémie mondiale.

    Aucun contrôle aux frontières ne peut empêcher tous les réfugiés d’entrer sur le territoire, et encore moins n’importe quel virus. « On ne peut pas murer un virus », a expliqué Larry Gostin, professeur de droit de la santé mondiale à l’université de Georgetown. La raison pour laquelle les gens craignent les migrants et les réfugiés est l’incapacité de la classe dominante de répondre avec des mesures sérieuses contre le Covid-19. Les énormes inégalités créées par ce système notamment via les politiques migratoires inhumaines et le manque total d’investissements publics dans les soins de santé illustre que les classes dirigeantes vont faire payer la crise aux travailleuses et aux travailleurs, dont les réfugiés et encore plus les travailleuses et travailleurs sans-papiers

    Mais ni les réfugiés ni les travailleurs ne sont responsables de la guerre, du changement climatique et de la pauvreté et la mauvaise gestion de la pandémie – les raisons habituelles pour lesquelles les gens doivent fuir leur foyer.

    L’hypocrisie des gouvernements européens, le Portugal et L’Italie

    L’idée d’une possible « régularisation » pour permettre aux États de faire face aux retombées de la crise sanitaire fait petit à petit son chemin en Europe.

    La Ministre italienne de l’Agriculture a plaidé ce mardi 14 avril pour la régularisation de 600.000 clandestins afin de faire repartir l’économie durement touchée par l’épidémie de coronavirus. Le Mouvement 5 Etoiles s’est tout de suite opposé à cela en disant que ce n’était pas le moment pour un « appel d’air ». Les fédérations patronales elles-mêmes, surtout dans le secteur de la grande agro-industrie, reconnaissent que la migration est une réponse nécessaire aux besoins économiques des régions.

    En France, 104 parlementaires issus de 10 partis ont adressé il y a quelques jours une lettre au Premier ministre Edouard Philippe pour réclamer la régularisation des sans-papiers face à l’épidémie de Covid-19.

    Les pouvoirs publics portugais ont aussi annoncé, samedi 28 mars, la régularisation temporaire des immigrés en attente de titre de séjour. Il s’agirait de se montrer solidaire avec les plus démunis dans une situation d’urgence, c’est en tout cas comme cela que le gouvernement a justifié la mesure exceptionnelle de régularisation. Même si, en termes de santé publique, la mesure est à féliciter, elle n’est pas du tout suffisante. La réalité, c’est que ce type de mesures dévoile le véritable objectif de la classe dominante : utiliser la main d’oeuvre migrante à bon marché pendant la crise pour répondre aux besoins dû manque de main d’ouvre dans les secteurs en pénurie. C’est notamment le cas des Brésiliens qui, en attendant leur carte de séjour, travaillent souvent dans le secteur du tourisme, totalement à l’arrêt, ou encore les travailleurs agricoles asiatiques du sud du pays. Il est clair que l’attitude de la classe dominante est de mettre toujours les profits avant des intérêts de la majorité de la population.

    Et en Belgique….

    En Belgique sévit une crise sanitaire et sociale sans précédent. La population a quasiment été mise sous couvre-feu afin d’empêcher la propagation du coronavirus. Les mesures de confinement ne sont pas capables de préserver les publics fragiles dont l’exposition au virus peut se révéler dramatique, dont les personnes âgées, les malades, les plus vulnérables,… Parmi les plus vulnérables actuellement abandonnés par la classe dominante se trouvent les travailleurs migrants qui souffrent tout particulièrement de ce confinement. Les laisser hors état de droit est un crime contre l’humanité. Un crime que nous devons combattre pour le bien-être de tous !

    Dix années ont passé depuis les derniers grands mouvements sociaux de sans-papiers en Belgique. Dix années durant lesquelles les gouvernements successifs ont mis en places des politiques inhumaine en laissant de centaines de milliers de personnes illégales sur notre territoire. Un simple coup d’œil sur le passé révèle l’échec cuisant du modèle actuel, en termes d’humanité et d’efficacité ! La leçon qui s’impose est que ce n’est que via l’organisation d’un rapport de force conséquent et d’une alliance entre les différents collectifs de sans-papiers, les syndicats et toutes la population opprimée que l’on pourra gagner la régularisation de tous les sans-papiers.

    La classe dominante avait par contre la claire volonté politique de laisser sans papiers autant autant de travailleurs afin de renforcer le dumping social et d’attaquer les conditions de travail de l’ensemble des travailleurs. Le but était de créer de la main d’oeuvre à bon marché pour les secteurs non délocalisables (comme l’horeca, la logistique, le nettoyage, la construction, etc.).

    La crise globale du capitalisme à l’ère de la pandémie frappe également de manière très importante de nombreuses femmes sans-papiers dans les soins aux autres. La grande majorité des femmes sans papiers en Belgique remplit le vide crée par des décennies de coupes budgétaire dans les services publics et dans le soin aux autres. De plus, avec cette crise, la majorité des sans-papiers ne peuvent plus travailler, et toutes les sommes d’argent envoyées toutes les semaines à leurs familles au pays a été stoppée. Cela aura un énorme impact dans les pays du monde néo-colonial, où la majorité des emplois sont dans l’économie informelle tandis qu’une partie importante de la population survit tout simplement avec l’argent envoyé de l’étranger.

    Tout cela représente l’horrible tableau de l’impact de la crise du coronavirus en Belgique. Et quand le chômage va exploser dans la prochaine période, il y aura une énorme concurrence sur le marché du travail au noir, ce qui va instaurer une pression à la baisse sur les salaires en mettant en compétition de plus en plus de Belges avec les travailleurs sans-papiers. C’est une véritable bombe sociale à retardement.

    Déjà en plein confinement, le 20 avril 2020, une action a été lancée par un groupe des militants sans papiers (relayée par le réseau Migrant libre) qui a mis l’attention de l’opinion public sur la régularisation. Suite à cela, ce lundi 4 mai, les organisation syndicales FGTB-CSC et les associations de soutien des migrants du côté francophone mais aussi néerlandophone (qui se regroupent dans une plateforme plus large IK BEN SOLIDAIR) ont lancé une campagne sur les réseaux sociaux : Contre le Virus, la régularisation c’est maintenant !

    C’est un bon pas en avant vers la construction d’un soutien large à la cause des travailleurs migrants, mais il nous faudra aller plus loin dans la construction d’une relation de force et d’actions de solidarité avec la population.

    Jusqu’à présent, ces arguments n’ont pas convaincu les autorités en charge du dossier. En commission de la Chambre, la ministre de l’asile et de la migration Maggie De Block (Open-VLD) ne s’est pas montrée fort emballée par la proposition. « Les personnes en séjour illégal étaient censées avoir quitté le pays souvent depuis bien longtemps. La crise sanitaire actuelle n’est pas une raison qui, à elle seule, permet de régulariser leur séjour, même temporairement ». Et d’ajouter : « Actuellement, les demandes de séjour sont toujours traitées au cas par cas, donc sur une base individuelle. Aucune initiative n’est prévue pour une régularisation de type collectif à destination des personnes en séjour illégal en Belgique »(3).

    Selon Le Soir, c’est la coalition fédérale MR-VLD-CD&V dans son ensemble qui ne verrait pas d’un bon œil une régularisation temporaire inconditionnelle, surtout avec une N-VA en embuscade, prête à dégainer au quart de tour sur les questions d’asile et de migration. Les partis traditionnels et le gouvernement en pouvoir spéciaux s’entêtent à nier l’impact positif qu’aurait la régularisation de la situation administrative des sans-papiers dans la gestion e la crise sanitaire et sur le financement de la sécurité sociale. Cela représenterait 58 millions d’euros par semaines via les cotisations sociales des travailleurs sans papiers pour financer nos caisses collectives. À l’heure des restrictions budgétaires, ce choix est incompréhensible ! Non seulement le gouvernement ne veut pas aller chercher l’argent où il est, chez les actionnaires et les riches, mais il ne nous permet pas de financer les caisses communes du mouvement ouvrier, tout cela pour assurer le maintien des bas salaires.

    Si on se base sur les estimations du Centre fédéral d’expertise des soins de santé (KCE), il y avait en 2015 entre 85.000 et 160.000 sans papiers en Belgique. C’est donc potentiellement des dizaines de milliers de personnes qui passeraient sous les radars du dépistage, ce qui pourrait diminuer l’efficacité du déconfinement.

    Notre programme

    Dans ce contexte, les marxistes et le mouvement ouvrier doivent défendre un programme pour les travailleurs migrants et les réfugiés. Dans un premier temps, l’argent qui sert à subventionner les grandes entreprises telles que les compagnies aériennes et le secteur militaire devrait être utilisé immédiatement pour protéger les migrants.

    Nous voulons lutter contre les causes qui poussent les gens à fuir. Les guerres, les interventions impérialistes, la surexploitation des gens et de la nature : voilà? ce qui pousse tant de personnes a? fuir la violence, la misère et les catastrophes.

    Des emplois décents, des investissements publics massifs dans le logement social, l’éducation et les soins, etc. sont nécessaires. Mais cela nécessite de rompre avec la logique de profit du capitalisme, ou? la concentration des richesses chez une infime élite signifie misère et risque sanitaire grandissante pour le reste de la population. Encore l’année dernière, l’OTAN a appelé ses Etats-membres à dégager 2% de leur budget pour la défense. Pour se rapprocher de ce chiffre, notre gouvernement a dégagé 3 milliards d’euros pour de nouveaux avions de guerre. Ils sèment la misère et pointent des doigts les victimes.

    Dans le contexte actuel de crise du capitalisme, pour arracher chaque réforme, il nous faut une lutte révolutionnaire. La régularisation nécessitera une lutte de masse de la majorité des travailleurs sans-papiers alliée aux organisations du mouvement des travailleurs et aux couches larges de la population. Il faudra aussi mettre en avant l’égalité salariale pour les travailleurs migrants selon barèmes de chaque secteur et assurer assurer la protection des travailleurs sans papiers qui portent plainte contre leurs employeurs en exigeant que l’inspections sociale ne s’effectue pas avec la police pour arrêter les travailleur sans-papiers.

    Ces revendications doivent être couplées à une lutte incessante pour l’unité du mouvement de tous les travailleurs contre les politiques d’austérité et le racisme, pour une société libérée de toutes les inégalités. Il faut nous opposer à ce système qui engendre misère et exploitation et qui repose sur la guerre et le pillage néocolonial poussant tant de personnes à fuir leur région au péril de leur vie.

    Dire que les moyens manquent pour offrir un bon avenir et de bonnes conditions de vie à la population – quelle que soit son origine – est un mensonge. Ce qui se produit dans les faits, c’est que les gros actionnaires et grands patrons pillent les caisses de la collectivité, la richesse créée à la sueur de notre front, pour ne laisser que des miettes tout en proclamant les poches et la bouche pleines ‘‘attention, les immigrés veulent vous voler ce qui reste !’’ Comme le dit le slogan : ‘‘le problème, c’est le banquier, pas l’immigré’’ !

    La seule issue de sortie réaliste de la crise des réfugiés est une lutte unitaire de tous les travailleurs, indépendamment de leur origine, de leur genre ou encore de leur orientation sexuelle, pour arracher les leviers de l’économie des mains de l’élite capitaliste. Il sera ainsi possible de disposer des moyens nécessaires pour mettre fin aux guerres, à la misère, à la destruction de l’environnement. Seule l’instauration d’une nouvelle société, une société socialiste démocratique, sera de nature à voir naître un monde où la liberté de circulation sera réelle et débarrassée de la logique d’exploitation.

    • Régularisation immédiate de tous les sans-papiers.
    • Création d’un mouvement pour défendre les migrants contre la violence et l’intimidation de l’extrême droite.
    • Mettons fin à toutes les attaques meurtrières contre les réfugiés qui s’approchent des frontières européennes sur le continent et en mer.
    • Annulation de la suspension de l’enregistrement des réfugiés et de toutes les demandes d’asile et d’introduire de procès accélérés en vue de la régularisation.
    • Fournir sans délai de la nourriture, des vêtements, des abris et des médecins/services médicaux, dépistage massifs à tous les réfugiés bloqués aux frontières.
    • Créer davantage de bureaux d’asile afin que toutes les demandes d’asile puissent être rapidement examinées, ce qui permettrait d’accorder le statut de réfugié ou d’autres statuts juridiques et de permettre aux réfugiés de se rendre sans entrave dans le pays de leur choix.
    • Démanteler l’accord raciste et inhumain entre la Turquie et l’UE, ainsi que l’accord Dublin III, afin que les réfugiés puissent demander l’asile dans tous les États membres de l’UE.
    • Appliquer une répartition proportionnelle des réfugiés dans l’UE.
    • L’UE est suffisamment riche pour financer une telle politique, et elle peut lever plus d’argent en taxant les riches et les multinationales, ce qui n’existe pas, c’est la volonté politique des patrons de l’UE.
    • Pour un plan massif d’investissements publics : logements sociaux, enseignement de qualité et gratuit, des vrais emplois décents avec un salaire de minimum 14 euros de l’heure et dépistage pour tous.
    • Abolition des politiques inhumaines de détention et d’expulsion massive, tous les migrants doivent bénéficier de tous les droits légaux.
    • Luttons contre les causes qui poussent à se fuir : la guerre, le terrorisme, l’exploitation et la destruction de l’environnement. Dans ce cadre, le non-paiement de la dette est une revendication cruciale.
    • Défendons une alternative au capitalisme : une société socialiste ou? seraient prioritaires les besoins de de la majorité de la population et non les profits d’une poignée grâce à la nationalisation sous contrôle et gestion démocratique des secteurs clés de l’économie.

    Notes :

    1) https://www.mediapart.fr/journal/france/070520/malte-enrole-des-chalutiers-prives-pour-repousser-des-migrants?utm_source=20200507&utm_medium=email&utm_campaign=QUOTIDIENNE&utm_content=&utm_term=&xtor=EREC-83-[QUOTIDIENNE]-20200507&M_BT=1740178511094

    2) https://www.nytimes.com/2020/04/30/world/europe/migrants-malta.html

    3) https://plus.lesoir.be/297882/article/2020-04-29/le-front-commun-syndical-appelle-regulariser-temporairement-les-sans-papiers

  • Fin de la Seconde Guerre mondiale : quand le drapeau soviétique flottait sur le Reichstag

    Ce 8 mai marquait le 75e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe. L’establishment fait aujourd’hui appel à l’idée selon laquelle nous serions tous dans le même bateau contre un ennemi commun en cette période de crise du Covid-19. C’est aussi vide de sens sont aussi vides maintenant qu’ils l’étaient au beau milieu des horreurs du fascisme et de la guerre.

    Par Paddy Meehan, Socialist party, section d’Alternative Socialiste Internationale en Irlande du Nord

    Plus de 70 millions de personnes ont perdu la vie pendant la Seconde Guerre mondiale, dont 6 millions de Juifs, 4,7 millions de Polonais et 4 millions de socialistes, d’homosexuels, de Tsiganes et d’autres “indésirables” qui ont trouvé la mort dans les camps de la mort nazis.

    Des noms comme Auschwitz-Birkenau, Belsen et le ghetto de Varsovie sont gravés dans la conscience populaire comme autant d’horreurs nées du fascisme et qui ne doivent plus jamais se reproduire. Mais nombreux sont ceux qui se demandent pourquoi un tel conflit a pu se reproduire une génération à peine après le massacre de la Première Guerre mondiale.

    La première guerre mondiale s’est terminée par une vague révolutionnaire

    La Première Guerre mondiale a marqué le premier conflit militaire à l’échelle industrielle, avec des massacres sanglants sur les fronts occidental et oriental. Ce fut également le premier grand conflit entre les puissances impérialistes et capitalistes pour le contrôle des marchés mondiaux. Le conflit avait été mené jusqu’à une impasse lorsque les ouvriers, les soldats et les marins se sont soulevés, d’abord lors des révolutions russes, ensuite en Allemagne. Ces révolutions ont mis fin à la guerre mais, à l’exception de la Russie, le capitalisme est resté en place.

    Le capitalisme allemand vaincu s’est retrouvé à devoir payer d’importantes réparations de guerre tout en ayant perdu des pans de son territoire. Si la Grande-Bretagne et la France ont pu sortir de la guerre avec leurs empires intacts, ils étaient lourdement endettés envers la puissance émergent : les États-Unis, pays qui n’avait pas encore atteint son futur statut de puissance capitaliste dominante. Avec le précédent établi par la révolution d’Octobre et la création du premier État ouvrier du monde en Russie, le soi-disant armistice n’a dans les faits signifié qu’un déplacement du conflit de l’Europe occidentale vers la guerre civile russe, la répression brutale des mouvements révolutionnaires dans les divers pays et le maintien par la force des colonies.

    Toutes les questions soulevées par le conflit impérialiste – la lutte pour le contrôle et l’accès aux marchés et aux colonies au profit des classes capitalistes nationales – reviendraient à n’en pas douter sur le devant de la scène. Une menace supplémentaire s’était ajoutée au niveau mondial : celle de l’opposition croissante au système capitaliste, avec des grèves et des soulèvements importants de Minneapolis à Glasgow, de Berlin à Shanghai. Le capitalisme devait faire face à la concurrence acharnée entre ses propres élites nationales tandis que la classe ouvrière devenait de plus en plus organisée et radicalisée.

    Toute capacité du capitalisme à faire progresser la société a été totalement détruite au seuil des années 1930, lorsque l’économie mondiale plongea dans la dépression suite au krach de 1929. La lutte des capitalistes pour maintenir leurs profits et leur contrôle sur les ressources et les usines les a conduits à accroître la pauvreté et la misère des travailleurs. Le dernier coup de dés pour le système serait de recourir à la dictature fasciste en Allemagne et en Italie, avec l’écrasement de la résistance organisée de la classe ouvrière.

    La montée du fascisme et la réaction du capitalisme

    Les commémorations en Grande-Bretagne et ailleurs présentent généralement l’effort de guerre comme une campagne nationale impliquant toutes les classes dans le but de vaincre Hitler et le fascisme. Cependant, la réaction de la classe dirigeante britannique face au fascisme a été, au mieux, une opposition limitée reposant sur la défense des possessions impériales et, au pire, une sympathie active pour les objectifs du fascisme visant à briser l’opposition sociale pour ouvrir la voie à un capitalisme sans entrave. Le roi Édouard VIII, qui avait abdiqué, entretenait une relation si étroite avec les nazis après l’occupation de la France en 1940 qu’il a pu demander aux forces d’occupation de poster des gardes dans ses possessions françaises !

    La réaction de la classe dirigeante britannique au fascisme dans les années 20 et 30 a faite d’apaisement, sous l’impulsion de Chamberlain, homme politique aujourd’hui très décrié. Les capitalistes britanniques avaient considéré d’un bon œil l’arrivée de Mussolini au pouvoir en Italie. Lors d’une visite dans le pays en 1927, Churchill a déclaré : “Si j’étais Italien, je suis sûr que j’aurais été de tout cœur avec vous du début à la fin dans votre lutte triomphale contre les appétits et les passions bestiales du léninisme”.

    Ce même sentiment explique pourquoi ils sont restés inactifs pendant la guerre civile espagnole. Et alors que la guerre touchait à sa fin, Churchill avait ordonné d’élaborer des plans visant à décapiter le régime nazi tout en le maintenant largement intact afin de lancer une nouvelle offensive contre l’Union soviétique. Son opposition au système économique et social soviétique, bien qu’ayant grossièrement dégénéré depuis la révolution, était bien plus authentique que son opposition au fascisme. Ces projet se sont toutefois révélés irréalisables, à la fois pour des raisons militaires et en raison de la résistance qu’ils auraient rencontrée de la part des travailleurs du monde entier.

    La logique de l’apaisement

    La logique de l’apaisement considérait que le principal danger pour les intérêts capitalistes britanniques n’était pas le fascisme mais bien la menace révolutionnaire et le rôle potentiel que l’Union soviétique pourrait jouer en représentant une alternative au capitalisme, même si la république soviétique avait subi un processus de dégénérescence bureaucratique. En raison du déclin de l’empire britannique, un conflit en Europe aurait pour conséquence d’affaiblir sa capacité à contrôler les dominions et renforcerait la position du capitalisme américain au niveau international. Lorsqu’est arrivé un homme fort antisocialiste et antisoviétique avec l’ambition d’étendre l’influence allemande en Europe centrale et dans les Balkans, les capitalistes britanniques ont sauté sur l’occasion pour agir en médiateurs concernant le réarmement et les annexions de l’Allemagne. L’occupation nazie de l’Autriche et de la Tchécoslovaquie fut autorisée en échange de l’engagement de ne pas perturber les intérêts impérialistes britanniques.

    Les capitalistes allemands avaient déjà compris qu’ils avaient besoin d’un dictateur. Les années 20 en Allemagne n’ont pas connu un mais plusieurs bouleversements révolutionnaires et, dans les années 30, le puissant mouvement ouvrier restait puissant en dépit de la capitulation des dirigeants du parti social=démocrate réformiste, le SPD. En raison de la croissance importante du parti communiste allemand, en dépit des zigzags opportunistes de la bureaucratie soviétique, le capitalisme allemand a cherché du soutien auprès des classes moyennes ruinées, progressivement de plus en plus consolidées autour du parti nazi et de Hitler lui-même. Une minorité de la classe capitaliste allemande – comme Thyssen, Bosch et Thiele – a activement et financièrement soutenu les nazis dès le début. Avec la crise provoquée par le krach capitaliste et le militantisme croissant des travailleurs allemands, ces partisans de la première heure ont commencé à présenter Hitler et la direction nazie comme une alternative potentielle à de plus larges couches du capitalisme allemand et de l’État.

    Les travailleurs allemands auraient pu stopper Hitler

    C’est à ce stade que l’on aurait pu arrêter Hitler et les nazis. La classe ouvrière allemande avait conservé d’énormes organisations et un grand pouvoir, malgré la faiblesse politique de ses dirigeants. Une approche de front unique entre organisations ouvrières qui reconnaissait les dangers réels que représentait le fascisme, comme le soutenait Trotsky, aurait pu faire tomber le système et empêcher que le capitalisme allemand, menacé, ne se tourne vers le fascisme pour vaincre ces organisations.

    En fin de compte, la politique de la direction du SPD consistant à soutenir l’État allemand et la ligne sectaire, inspirée de Staline, du Parti communiste allemand (qui considérait les sociaux-démocrates et les fascistes comme des « frères jumeaux ») n’ont pas permis de reconnaître le danger du fascisme. En raison de cet échec à la direction des deux grands partis ouvriers, la seule force capable d’arrêter l’horreur à venir – la classe ouvrière organisée et active – a été brutalement écrasée par les nazis.

    La guerre civile espagnole

    Au lieu de cela, la poussée vers un nouveau conflit mondial s’est accélérée dans les années 1930. Dans la guerre civile espagnole, précurseur de la guerre mondiale, l’Allemagne et l’Italie réarmées ont testé leur approche meurtrière en intervenant pour soutenir Franco. Les États britannique, français et américain – qui craignaient le développement des forces révolutionnaires en Europe occidentale – ne sont pas officiellement intervenus afin d’arrêter le fascisme. Dans les faits, ils l’ont accepté passivement. Parallèlement, l’intervention de Staline et de l’URSS visait délibérément à ne pas contrarier le Grande-Bretagne et les États-Unis, auxquels ils voulaient s’allier mais qui faisaient montre de grandes réticences. C’est dans ce but que Staline a sacrifié la révolution espagnole et la classe ouvrière ainsi que la paysannerie du pays.

    Ces événements montreraient également une autre facette de la guerre mondiale à venir. Des dizaines de milliers d’hommes et de femmes du monde entier ont quitté leur foyer pour défendre la République espagnole. Leurs actions trouveront un écho dans les mouvements de résistance qui se sont développés en France, en Italie, en Pologne, en Grèce, dans les Balkans, au Vietnam et en Chine occupés. Les travailleurs et les jeunes socialistes et communistes y ont joué un rôle de premier plan. Des millions de travailleurs à travers le monde voulaient vaincre le fascisme en combattant et en contribuant à l’effort de guerre, malgré les sacrifices dévastateurs que cela impliquait.

    Ce sacrifice était très différent de celui des élites dirigeantes. En Grande-Bretagne, Churchill visait à défendre l’Empire britannique. Longtemps partisan du report de l’invasion alliée en Europe occidentale, il avait favorisé une campagne désastreuse de bombardements de plus en plus aveugles. Avant le déclenchement de la guerre, alors que Staline voulait entrer en alliance avec les puissances occidentales contre Hitler, celles-ci ont repoussé la proposition. Staline a donc changé de tactique pour s’aligner avec Hitler dans le cadre du pacte Molotov-Ribbentrop. Ce pacte n’a pas servi à gagner du temps pour préparer l’inévitable invasion. Staline croyait aux propos rassurants d’Hitler et a participa au dépeçage de la Pologne. D’autre part, les purges et le manque de préparation ont affaibli la riposte de l’Armée Rouge et des travailleurs.

    L’avancée d’Hitler et la résistance de l’URSS

    Hitler et les puissances de l’Axe se sont lancées dans une guerre éclair qui, en quelques années, leur permis d’occuper la Mandchourie, la Belgique, les Pays-Bas, la France, d’importantes parties des Balkans,… Hitler se tourna alors vers l’Union soviétique et, en juin 1941, lancera la plus grande invasion de l’histoire de l’humanité. La brutalité de l’invasion nazie en Europe de l’Est et en Union soviétique allait faire comprendre à toute la population soviétique qu’il s’agissait d’une guerre d’anéantissement.

    La bureaucratie stalinienne, choquée et non préparée, fut obligée de relâcher son contrôle sur la société pour être en mesure de sauver sa peau. Certains aspects des purges furent assouplis et, en particulier dans l’Armée rouge, plus de liberté fut accordée pour préparer la défense de l’Union soviétique. Ceci s’est accompagné d’une tentative de dépolitisation du conflit qui le considérait comme une “Grande Guerre Patriotique”, sans qu’un appel à la révolte ne soit lancé à destination des travailleurs et soldats conscrits allemands, tandis que les grades militaires de haut rang étaient réintroduits. Après de premières défaites écrasantes du début de l’invasion, le sacrifice héroïque (plus de 27 millions de soldats et de civils soviétiques ont été tués) et l’effort de guerre inégalé (le char T-34 fut le char le plus produit de la guerre) allaient permettre de repousser les nazis juqu’à Berlin et entraîner l’occupation par l’Armée soviétique de territoires dans toute l’Europe de l’Est et en Allemagne.

    Tous dans le même bateau ?

    Un mythe sciemment véhiculé est que tout le monde était “ensemble” dans l’effort de guerre. Comme aujourd’hui, la réalité était bien différente. Dans l’East End de Londres, les communautés ouvrières ont dû se battre pour obtenir des abris souterrains. Les travailleurs sont entrés en action pour défendre leurs intérêts, en s’opposant aux souhaits des dirigeants syndicaux et même du parti communiste stalinisé.

    En 1944, à Belfast, les ouvriers de l’ingénierie sont entrés en grève pour des augmentations de salaire. Au fur et à mesure de la sortie des usines, cela s’est transformé en une grève générale de l’industrie mécanique. Fin mars, plus de 20 000 ouvriers étaient en grève. De même, en 1942, une grève s’est développée à Shorts contre les tentatives de licenciement de deux syndicalistes. Dans les deux cas, l’initiative est venue des rangs des syndicalistes, l’organisation et la coordination de l’action étant assurées par les puissantes organisations de délégués syndicaux.

    L’après-guerre

    Les conférences de Yalta et de Potsdam ont réuni les grandes puissances impérialistes – Etats-Unis, Grande-Bretagne – aux côtés de l’URSS stalinienne afin de découper le monde en « sphères d’influence ». Ce fut important pour couper l’herbe sous le pied de la résistance antinazie, qui posait la question de la prise du pouvoir par les travailleurs, tout particulièrement en Grèce, en France et en Italie. Ces conférences ont consolidé la position dominante des Etats-Unis en tant que grande puissance du monde capitaliste au détriment des anciennes puissances – la Grande-Bretagne en particulier. Les capitalistes n’ont pu maintenir leur système que sur base de concessions massives aux travailleurs, y compris en Grande-Bretagne, où les travailleurs ont obtenu la création du système national de soins de santé NHS et la nationalisation de secteurs de l’économie.

    Les leçons pour aujourd’hui

    La période est pleine de leçons pour aujourd’hui. La leçon la plus évidente est que le mouvement ouvrier doit absolument affronter les fascistes qui tentent de s’organiser. Durant la période d’après-guerre, les travailleurs ont pu arracher de grandes conquêtes sociales que nous devons défendre aujourd’hui contre ceux qui cherchent à les détruire. Ce n’est pas Churchill ou Staline qui ont joué un rôle clé dans la défaite du fascisme, mais les efforts héroïques de la classe ouvrière. Ni hier ni aujourd’hui, nous ne sommes “tous ensemble”. Il y avait de fortes différences entre les intérêts et les attitudes de l’élite capitaliste et ceux des travailleurs. La défaite du fascisme a été construite par l’esprit de sacrifice et de solidarité de la classe ouvrière. Les travailleurs ont sauvé l’humanité contre certaines des dictatures les plus brutales jamais vues. Ils ont changé le cours de l’histoire, et ils peuvent le faire à nouveau.

  • Une réponse socialiste à la nouvelle “Grande Dépression” – Le capitalisme menace notre santé et nos conditions de vie

    “Le cliché le plus trompeur sur le coronavirus est qu’il nous affecte tous de la même manière. Ce n’est pas le cas, ni médicalement, ni économiquement, ni socialement, ni psychologiquement. Le Covid-19 renforce partout les inégalités préexistantes. Cela provoquera bientôt des troubles sociaux, allant jusqu’à des soulèvements et des révolutions”.

    Non, cette citation ne provient pas de la rédaction de Lutte Socialiste et de socialisme.be. Elle provient d’un article rédigé par un rédacteur du site d’information financière Bloomberg. Son auteur, Andreas Kluth, affirme que l’effet immédiat de la crise sanitaire est que la plupart des formes de troubles sociaux disparaissent sous la surface, mais que la colère demeure bel et bien et qu’elle va éclater, prévient-il à destination des capitalistes.

    La crise sanitaire s’accompagne d’un effondrement économique. La Banque nationale et le Bureau du Plan estiment que le PIB belge diminuera de 8% en 2020. La banque KBC avait précédemment prédit une baisse de 9,8 % et dans un scénario plus pessimiste, où le virus n’est pas sous contrôle, il était même question d’une baisse de 13,2 %. En comparaison, la récession mondiale de 2008 n’avait entraîné qu’une baisse de 2 % du PIB en 2009.

    Un recul de 8% ne peut être comparé qu’à la Grande Dépression. En Belgique, l’activité économique a chuté de 9,5 % entre 1931 et 1934. Les conséquences ont été immenses : chômage, faim, mais aussi révolte des travailleurs, notamment des mineurs, pour ne pas subir les conséquences de la crise. Si les conséquences sociales ne sont pas pour l’instant pires en Belgique, c’est uniquement grâce à la sécurité sociale. Le mouvement ouvrier s’est battu avec acharnement pour l’obtenir, notamment suite à l’expérience de la Grande Dépression. De là sont nées les allocations de chômage, l’assurance maladie et les mesures de sécurité sur le lieu de travail.

    Avec une protection sociale plus limitée, les conséquences sont carrément dramatiques. Au cours des trois premières semaines de la crise, 17 millions de personnes supplémentaires se sont retrouvées au chômage aux États-Unis. Ce nombre pourrait atteindre 50 millions. Aux États-Unis, perdre son emploi signifie aussi de perdre son assurance maladie. L’inaccessibilité des soins et les problèmes financiers menacent de provoquer non seulement une catastrophe médicale, mais aussi une catastrophe sociale. Dans le monde néocolonial, la situation est encore pire. La “distanciation sociale” est généralement le privilège des plus riches. Les masses ne sont pas seulement à la merci du virus, mais se retrouvent aussi dans une misère encore plus profonde. A travers le monde, 2,7 milliards de travailleurs ont été touchés par les mesures de confinement.

    Les économistes osent parler d’une nouvelle croissance rapide après une forte récession. La Banque nationale et le Bureau du plan espèrent une croissance de 8,6% en 2021. Les économistes avertissent toutefois qu’il s’agit d’un scénario optimiste et que le problème de la dette publique va s’aggraver. De plus, la banque JP Morgan part du principe que même avec une reprise de la croissance, les chiffres du chômage à la fin de 2021 seront beaucoup plus élevés qu’avant le début de la récession. L’Organisation internationale du travail a averti que jusqu’à 195 millions d’emplois pourraient disparaître dans le monde et que le revenu de 1,25 milliard de personnes pourrait chuter de manière dramatique en raison de cette crise.

    Le capitalisme mène non seulement à la crise sanitaire, mais aussi à une crise économique douloureuse. Et les patrons voudront nous en faire payer le prix. Nous n’aurons pas d’autre choix que de nous organiser et de lutter pour une alternative socialiste au capitalisme.

    ‘‘La crise du coronavirus renforce toutes les contradictions et les faiblesses du capitalisme.’’

    Le 12 avril, Alternative Socialiste Internationale (ASI) a organisé une réunion en ligne intitulée : ‘‘Une nouvelle grande dépression ? A cette occasion, Eric Byl, Per-Ake Westerlund et Claire Laker-Mansfield ont répondu à diverses questions sur la crise. Voici un résumé de ce débat.

    Le ralentissement économique est lié au fait que de nombreuses personnes ne peuvent pas travailler en raison du confinement, mais leur emploi est maintenu. Cela signifie-t-il qu’une fois le virus sous contrôle, l’économie se redressera ?

    Eric : ‘‘Le lourd tribut de cette crise sur de nombreuses vies signifie que la question de la reprise économique n’est malheureusement plus pertinente pour beaucoup. La crise du coronavirus est causée par le capitalisme, qui est incapable d’organiser la société d’une manière socialement et écologiquement harmonieuse. Sous le capitalisme, les préoccupations relatives aux exigences sociales, à l’environnement ou à la protection au travail sont balayées au bénéfice de la cupidité. Les conséquences de la crise du coronavirus n’auraient pas été aussi dévastatrices si le budget du secteur des soins n’avait pas été réduit, si des stocks avaient été prévus et si les avertissements n’avaient pas été ignorés.

    ‘‘Le rapide ralentissement économique que nous connaissons aujourd’hui portera à jamais le nom du Covid-19. Pour la classe dirigeante, le virus sera le méchant : l’imprévisible catastrophe naturelle. En réalité, tous les éléments d’une nouvelle récession étaient en place depuis la précédente récession de 2008. Le tournant décisif avait alors été la faillite de Lehman Brothers, provoquée par les subprimes. Le coronavirus d’aujourd’hui représente ce qu’était Lehman Brothers pour la précédente récession.

    ‘‘Après 2008, la croissance a été systématiquement plus faible qu’auparavant. La croissance de la productivité a continué de diminuer. Des bulles spéculatives ont remplacé les bulles qui avaient éclaté. Malgré les faibles taux d’intérêt et l’injection massive de capitaux ans l’économie, il n’y a pas eu de véritable croissance des investissements productifs. Les salaires sont restés bas, les prix des logements élevés et ce que payent les travailleurs pour l’enseignement ou la santé a continué d’augmenter. Les bénéfices de la reprise limitée sont massivement allés dans les poches de l’élite capitaliste. L’injection massive de capitaux dans l’économie est allée en grande partie vers la spéculation plutôt que vers l’investissement productif.

    ‘‘En fait, la politique des pays capitalistes développés a été de retarder la crise en injectant de plus en plus d’argent dans l’économie. Cela a conduit à un niveau record de dette publique. Cela aurait pu en soi déclencher une nouvelle récession, plus importante. La lutte pour les profits a accru les tensions au sein des blocs commerciaux et entre ceux-ci. Cela a entraîné des mesures protectionnistes, un nationalisme politique croissant et un renversement partiel de la mondialisation. Tout cela constitue la base de la crise actuelle. Le coronavirus et le confinement ont joué un rôle important en tant que déclencheur, mais même sans cette pandémie, d’autres causes auraient conduit à la crise.’’

    Claire : ‘‘Le coronavirus a exposé et renforcé toutes les contradictions et les faiblesses existantes du capitalisme. C’est important de garder en tête dans le débat sur la nature de la récession. Certains économistes espèrent qu’après un effondrement brutal et rapide, il y aura une croissance solide une fois levées les mesures de confinement. Cependant, la plupart des économistes capitalistes sérieux commencent à remettre en question ce scénario optimiste d’une crise en forme de ‘‘V’’. Ils se rendent compte qu’il s’agit de la crise bien la plus grave de leur système. Des processus économiques déjà à l’œuvre, comme la démondialisation, sont accélérés par cette crise.

    ‘‘Peu à peu, les optimistes parmi les économistes se dirigent vers un modèle en ‘‘U’’ : une crise qui exigera un certain temps pour que les effets de la récession soient conjurés. L’économiste Nouriel Roubini, en revanche, qui avait prédit la récession de 2008, parle d’une crise en forme de ‘‘I’’ : un déclin sans fin, une ligne verticale qui représente l’effondrement abyssal des marchés financiers et de l’économie réelle. De plus en plus, la seule comparaison historique possible est celle de la Grande Dépression au début des années 1930.’’

    Per-Ake : ‘‘Bien entendu, nous ne savons pas combien de temps durera le confinement. Les tentatives désespérées pour relancer l’économie portent le risque d’une nouvelle vague rapide d’infections. Même avec une relance rapide de l’activité, tout commencera à un niveau inférieur. Les exportations chinoises ont chuté de 20 % en janvier et février et elles continuent à baisser. La diminution des importations est encore plus importante. Il n’est pas surprenant que le magazine The Economist écrive que la sortie du confinement sera très difficile avec des consommateurs incertains, de nouvelles réglementations sanitaires et peut-être une vague de fusions et d’acquisitions après les faillites.

    ‘‘Même avant la pandémie, le nationalisme connaissait un essor. Trump, Bolsonaro, Orban,… Cette tendance s’est maintenant intensifiée : en Europe, presque tous les États membres disent que leur pays passe en premier et qu’il n’est pas question de solidarité entre eux. Des frontières ouvertes depuis des décennies se ferment. Une des grandes contradictions du capitalisme est que les capitalistes eux-mêmes sont attachés à leurs pays, alors que la production est devenue de plus en plus internationale. Cependant, les mesures protectionnistes et nationalistes n’offriront pas d’issue : lors de la grande dépression des années 1930, elles n’ont fait qu’aggraver la crise.

    ‘‘Les tensions géopolitiques mondiales, en particulier entre la Chine et les États-Unis, représentent un facteur de complication pour l’économie mondiale et rendent le cours de la crise imprévisible. Une nouvelle croissance rapide est très peu probable en raison de tous ces éléments.’’

    Cette crise peut-elle être comparée à celle de 2008 ? La crise est-elle due à une demande insuffisante?

    Claire : ‘‘Il y a autant des problèmes d’offre, en raison de la fermeture d’usines et d’ateliers, que des problèmes de demande, en raison du confinement et des conséquences directes de l’augmentation du chômage ou des réductions de salaires. Toutefois, les facteurs sous-jacents sont les mêmes qu’en 2008. Les contradictions qui ont conduit à la récession de 2008 n’ont jamais été résolues et n’en ressortent aujourd’hui que plus fortes. La reprise économique après 2008 reposait sur des taux d’intérêt historiquement bas et l’accès à l’argent bon marché. Cependant, les investissements productifs ne se sont pas matérialisés et la croissance de la productivité a continué à stagner. Cela a conduit à de nouvelles bulles spéculatives, y compris sur la dette. La nouvelle récession frappe une économie déjà affaiblie. En outre, une réponse plus globalement coordonnée, comme ce fut le cas après 2008, est beaucoup plus difficile.

    ‘‘Aujourd’hui, les familles des travailleurs subissent déjà la crise avec des salaires plus bas, des pertes d’emplois et une vie confinée dans cette crise sanitaire. Après 2008, nous avons connu une vague d’austérité. Mais les capitalistes vont maintenant réfléchir à deux fois avant de faire la même chose. En 2019, une vague de soulèvements de masse a déjà eu lieu. De nouvelles économies, en particulier sur les soins et la protection sociale, pourraient conduire à des troubles sociaux et même à une insurrection.’’

    Per-Ake : ‘‘Une des causes de la crise capitaliste est la surproduction : les capitalistes ne peuvent pas vendre tout ce qui est produit. Les travailleurs et les pauvres n’ont souvent pas les moyens de s’offrir les biens les plus élémentaires, même dans les pays capitalistes développés. Dans sa brochure de 1939 intitulée ‘‘Le marxisme et notre époque’’, Trotsky fait référence à Marx: ‘‘Accumulation de la richesse à un pôle, signifie donc en même temps accumulation de misère, de souffrance, d’esclavage, d’ignorance, de brutalité, de dégradation mentale au pôle opposé, c’est-à-dire du côté de la classe dont le produit prend la forme de capital.’’ Pour les capitalistes, peu importe ce qu’ils produisent : ils veulent de la valeur ajoutée, ils veulent du profit.

    ‘‘Les salaires n’ont pas vraiment augmenté ces dernières années, ils ont plutôt stagné. La part des salaires dans l’économie a diminué. Cette situation a été compensée par le crédit et la dette. La consommation joue un rôle important dans le PIB. Aux États-Unis, elle représente 68 % du PIB. Actuellement, 1,25 milliard de travailleurs dans le monde perdent leur salaire ou une partie importante de celui-ci, et nous ne savons pas pour combien de temps cela va durer. Ils auront un accès plus difficile au crédit. Même si les gouvernements adoptent l’argent dit ‘‘hélicoptère’’ (de l’argent donné directement aux consommateurs), cela ne compensera pas les pertes. La demande va diminuer et, par conséquent, les investissements aussi. The Economist prédit qu’il y aura jusqu’à 50 % de demande en moins dans certains secteurs, le seul moteur pour stimuler la demande dans les deux prochaines années étant le gouvernement.

    ‘‘En ce qui concerne l’approvisionnement, il y a aussi un problème. Par exemple, la production de voitures est en grande partie paralysée. De nombreuses entreprises voient des problèmes dans la chaîne d’approvisionnement et n’ont pas de plan B. Les prix des denrées alimentaires peuvent augmenter fortement. Le cynisme du capitalisme est que des entreprises qui fabriquent des armes et des produits de luxe qui ne sont pas fermées alors qu’en même temps il y a une grande pénurie de matériel médical. Le capitalisme montre ainsi sa véritable nature et cela aura un effet sur la conscience des masses.

    ‘‘Les socialistes y répondent par leur programme pour axer l’économie sur les besoins de la majorité de la population, y compris le respect de l’environnement. Au lieu de simplement rouvrir des usines polluantes, il faut un contrôle démocratique pour réorganiser la production de façon planifiée au niveau national et international.’’

    Éric : ‘‘Les marxistes ne se sont jamais fait d’illusions sur un ‘‘capitalisme malin’’ qui trouve un moyen de surmonter les crises récurrentes. Après tout, le capitalisme comporte des contradictions : la production est socialisée, mais l’appropriation des profits reste individuelle. Les travailleurs font partie d’une chaîne de production collective avec une division du travail, mais sans avoir leur mot à dire sur ce qui est produit et comment on le produit, et encore moins sur ce qu’il advient des bénéfices. De plus, la division du travail est internationale, alors que les capitalistes sont dépendants des États nationaux. Cela crée des tensions non seulement avec la classe ouvrière, mais aussi avec les classes capitalistes des pays concurrents.

    ‘‘Les capitalistes tirent profit du travail non rémunéré des travailleurs. Cela conduit à une lutte des classes pour les salaires contre les profits et crée une tendance à la surproduction. Le plus grand problème du capitalisme aujourd’hui est le développement de la science et de la technologie. Une concurrence féroce exige que la recherche et le développement donnent des résultats de plus en plus rapides. Cela nuit à la productivité et limite l’accès aux connaissances sous forme de brevets. Aujourd’hui, les entreprises versent en moyenne 70% de leurs bénéfices en dividendes au lieu de les investir dans la production. Heureusement, les progrès scientifiques et technologiques existent, mais ils ne contribuent guère à l’augmentation de la productivité, car ils sont entravés par la propriété privée des moyens de production. Marx a déclaré un jour que tout système de production peut continuer à exister tant qu’il est capable de développer les forces productives, mais que sinon le moteur de l’histoire, en particulier la lutte des classes, fera son travail.’’

    Divers gouvernements interviennent dans cette crise avec des mesures qui étaient auparavant impensables. Par exemple, on envisage d’augmenter les allocations de maladie, d’augmenter les allocations de chômage et même de nationaliser un certain nombre d’entreprises. Cette crise signifie-t-elle la fin du néolibéralisme, qui signifie la course aux privatisations et à l’abolition des mesures de protection collective ?

    Claire : ‘‘Bien que pendant des années, on nous a dit que seul la libre concurrence fonctionnait et que les services publics devaient répondre la logique du marché pour être efficaces, même les grands partisans de la loi du marché doivent maintenant reconnaître que le secteur privé n’est pas capable de répondre aux besoins de la population. Partout, on se tourne vers les gouvernements pour qu’ils interviennent activement. L’objectif est d’éviter un effondrement économique et des troubles sociaux plus graves. Ces mesures ne sont pas prises dans l’intérêt des travailleurs et de leur famille, mais pour sauver les meubles capitalistes. Si la priorité devait vraiment être les besoins de la population, les entreprises pharmaceutiques, par exemple, seraient nationalisées. Cela permettrait une coopération dans le développement et la production de vaccins. Toutefois, ces entreprises ne seront pas nationalisées, car elles réalisent d’importants bénéfices avec cette crise.’’

    Per-Ake : ‘‘Un certain nombre de mesures ou de discussions rappellent la façon dont Roosevelt a réagi à la Grande Dépression aux États-Unis avec son New Deal d’investissements dans les infrastructures et l’emploi. Ce programme a été rejeté comme ‘‘socialiste’’ à l’époque, mais Roosevelt lui-même a fait remarquer qu’il proposait ces mesures pour sauver le capitalisme. Le New Deal a provoqué une forte augmentation de la dette publique américaine et n’a pas mis fin aux contradictions qui avaient conduit à la Grande Dépression.

    ‘‘Avec cette crise, les citoyens doivent passer à des mesures qui étaient auparavant impossibles ou impensables : payer plus cher les personnes malades ou au chômage, augmenter le budget des soins de santé, nationaliser les entreprises. Lors de la crise de 2008-2009, des mesures similaires avaient déjà été adoptées, entre autres pour sauver les banques. De nouvelles privatisations et une sévère politique d’austérité ont suivi. Si certaines parties du néolibéralisme sont abandonnées, nous devons bien sûr en prendre note. Elle montre clairement que le changement est possible. Les luttes de masse menées à partir de la base peuvent faire hésiter la classe capitaliste à imposer de nouvelles mesures d’austérité.

    ‘‘Dans ce contexte, des revendications telles que la nationalisation ou l’augmentation des allocations sociales ne sont pas suffisantes. Nous ne voulons pas que les entreprises déficitaires soient nationalisées et pour ensuite en rendre les parties rentables au secteur privé. Le mouvement ouvrier et les jeunes doivent se mobiliser et se battre pour le contrôle démocratique, la planification démocratique et l’abolition de tout le système capitaliste.’’

    Éric : ‘‘Les mesures d’incitation sont proposées pour aider les familles et les petites entreprises. Mais seuls 11 % de l’énorme plan de relance américain vont directement aux familles. Dans le même temps, une bombe à retardement fiscale fait tic-tac aux États-Unis : les collectivités locales vont chercher des économies ailleurs en raison de la perte de recettes fiscales et de dépenses résultant du plan de relance, et éventuellement procéder à des licenciements. Il y a encore des bombes à retardement dans la situation actuelle : on estime que le marché du logement aux États-Unis va chuter de 35 % cette année. Il y a un risque d’une série de faillites et d’un effondrement financier.’’

    ‘‘Les néo-keynésiens prônent aujourd’hui la ‘‘théorie monétaire moderne’’ : encore plus d’argent créé par les banques centrales. Ils pensent qu’ils sont en train de gagner la bataille. L’offre mondiale dépasse actuellement la demande, ce qui maintiendra l’inflation et les taux d’intérêt à un faible niveau pendant un certain temps. Mais le manque de productivité fait que les capitalistes n’investissent pas. Même si cette politique est maintenue pendant un certain temps, l’inflation des capitaux menace de se propager à l’économie réelle avec un risque d’hyperinflation. Les illusions peuvent ouvrir la voie à des régimes plus réactionnaires qui font appel au nationalisme et à la xénophobie. Le réformisme et le néo-keynésianisme ne répondent pas aux défis auxquels est confronté le mouvement syndical.

    ‘‘Il faut un programme socialiste audacieux en commençant par la nationalisation de secteurs clés de l’économie sous contrôle et appropriation démocratiques, afin que la planification devienne possible.’’

  • L’UE et le Covid-19 : Un accord pour 540 milliards d’euros qui ne résout rien

    À ce stade, la principale dynamique va dans le sens d’une plus grande désintégration de l’UE et d’une concurrence accrue au sein de celle-ci.

    La semaine dernière a été marquée par un affrontement majeur entre les ministres des finances de la zone euro. Une réunion de 16 ministres s’est terminée par une impasse avant qu’une autre réunion, qui a permis de sauver la face, n’adopte des mesures d’une valeur maximale de 540 milliards d’euros. Cette décision a été annoncée en fanfare comme une avancée et un “changement de cap” concernant la réponse de l’UE à cette crise et aux problèmes structurels de l’euro. Cependant, en examinant en détail ce qui a été convenu, il devient assez vite évident que le fonds de 540 milliards d’euros n’est pas le “changeur de jeu” que les gros titres suggéraient.

    Analyse de Finghin Kelly, Socialist Party (Irlande) et ancien collaborateur parlementaire au Parlement européen 

    Qu’est-ce qui a été convenu exactement ?

    Ce paquet de mesures est un mélange de fonds existants reconditionnés, comme le programme de garantie de l’emploi de 100 milliards d’euros de la Commission. Des garanties supplémentaires sont également prévues pour la Banque européenne d’investissement (BEI) afin de lui permettre de prêter 200 milliards d’euros supplémentaires aux États membres.

    La plus grande partie de cette enveloppe est destinée à financer le mécanisme européen de stabilité (MES) à hauteur de 240 milliards d’euros. Le MES est un fonds existant qui a été créé à la suite de la dernière récession et de la crise de l’euro. Il est assorti de conditions strictes qui imposent des mesures d’austérité rigoureuses à tout État qui fait appel au fonds. Ces fonds ne représentent pas une rupture avec les politiques favorables aux entreprises. Ils visent principalement à fournir des aides aux entreprises privées.

    Une autre difficulté réside dans le fait que les fonds doivent être “préparés” pour atteindre les 540 milliards d’euros et qu’ils dépendent fortement des prêts des marchés financiers. Par exemple, les 100 milliards d’euros de la Commission pour une garantie de l’emploi ont été obtenus par des emprunts sur les marchés monétaires privés.

    Tout gouvernement ayant accès à ces fonds devra contracter une dette publique plus importante. Les fonds publics devront donc la rembourser à long terme, ce qui constituera un poids mort pour l’économie et les dépenses publiques dans les années à venir.

    Il reste à voir si cette enveloppe de 540 milliards d’euros sera effectivement utilisée dans son intégralité. En raison des conditions imposées et du fait que de nombreux États peuvent obtenir des fonds à moindre coût ailleurs, de nombreux gouvernements ont déjà indiqué qu’ils n’y auraient pas accès. Le ministre des finances irlandais, Paschal Donohoe, aurait déclaré que l’Irlande n’aurait probablement pas accès à la partie du fonds consacrée au mécanisme de garantie de marché : “Étant donné que nous sommes actuellement en mesure d’emprunter à un quart de point de pourcentage, il est très probable que l’Irlande pourra trouver des conditions intéressantes (pour financer ses propres programmes)”.

    Les “Coronabonds”

    La question la plus controversée lors de la réunion des ministres des finances a été celle des “coronabonds”. Les coronabonds ont été proposés par le gouvernement italien et soutenus par les gouvernements français, espagnol et six autres gouvernements. Ces obligations sont essentiellement un réaménagement de la proposition d’”euro-obligation” qui avait été présentée lors de la dernière récession. L’idée est que la zone euro vendrait des obligations et lèverait des fonds à des taux plus avantageux que ceux que de nombreux États membres pourraient obtenir individuellement.

    Cela signifierait que des États comme l’Italie, l’Espagne et la Grèce, qui ont des difficultés à accéder à des crédits bon marché en raison de leur niveau d’endettement élevé et de l’affaiblissement de leur économie, pourraient obtenir des financements à de meilleures conditions grâce aux meilleures notations de crédit de pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas et la Finlande. Le capitalisme néerlandais ou allemand pourrait ainsi se porter garant de la dette utilisée pour financer les dépenses publiques dans d’autres États.

    Avec le capitalisme allemand à leurs têtes, ces États ont insisté sur des conditions strictes à toute émission de dette commune et ont essentiellement bloqué la proposition. Cette aile des capitalistes de l’UE a gagné la manche la semaine dernière, bien qu’elle ait fait une concession sur l’assouplissement des conditions pour les dépenses de santé liées au Covid-19, et une maigre concession pour accepter de discuter des coronabonds à l’avenir.

    Les tensions au sein de l’UE

    Cela a montré que les tensions au cœur de l’euro et de l’UE elle-même n’ont pas disparu. La contradiction fondamentale d’une monnaie commune sans mécanismes internes pour corriger les déséquilibres entre les États existe toujours. Cette contradiction met en évidence l’incapacité des différentes classes capitalistes en Europe, qui sont en concurrence les unes avec les autres, à s’intégrer économiquement.

    L’UE aime à se présenter comme un organisme qui promeut la coopération et la solidarité internationales. Cependant, l’arrivée du Covid-19 sur le continent a rapidement fait apparaître cela comme de simples phrases creuses. Nous l’avons vu avec l’échec de la proposition de “coronabonds”, mais cela a été évident dans de nombreux domaines.

    Les frontières entre les États ont été rapidement fermées sans pratiquement aucune planification, laissant de nombreuses personnes bloquées. Les États baltes ont même dû affréter des ferries pour rapatrier leurs citoyens après la fermeture de la frontière polonaise.

    Le plus choquant est que de nombreux gouvernements ont également agi rapidement pour empêcher le partage de biens médicaux vitaux, notamment le gouvernement allemand qui bloque l’exportation de produits médicaux vitaux vers l’Italie et le gouvernement français qui bloque les masques à destination de l’Espagne et de l’Italie. Le fait que ces mesures aient été prises alors que les taux d’infection et de mortalité en Italie et en Espagne étaient en hausse et que les services de santé étaient débordés ne sera pas oublié par les travailleurs de ces pays et a porté atteinte au projet européen.

    540 milliards d’euros seront-ils suffisants ?

    La zone euro se dirige vers la récession la plus sévère de son histoire. La Banque centrale européenne (BCE) le reconnaît. Son vice-président a déclaré que l’Europe risque d’être confrontée à une récession plus grave que le reste du monde.

    L’économie française s’est contractée de 6 % au cours du dernier trimestre et on estime qu’elle se contracte de 1,5 % tous les quinze jours tant que les restrictions resteront d’application. L’économie allemande devrait également se contracter fortement, de 10 % selon les estimations, au cours du deuxième trimestre de cette année, tandis que l’Italie devrait se contracter de 9,6 % et l’Espagne de 8,9 %.

    La zone euro devrait voir son économie se contracter de 13 % cette année. Pour replacer cela dans son contexte, le pire déclin de la dernière récession a été de 4,5 %.

    Avant la crise du Covid-19, il était clair que la crise de la dette de l’Europe n’avait pas disparu. La dette publique de la zone euro, en pourcentage du PIB, s’élève à 84 %, soit près de 20 % de plus qu’en 2008. Elle devrait atteindre 112 % en 2022, et même 167 % pour l’Italie. Les banques italiennes ont également un nombre colossal de créances douteuses et étaient déjà en difficulté. L’Italie est le nouveau maillon faible de la zone euro, qui sera mis en évidence lorsque les restrictions seront levées.

    Ashoka Mody, qui était auparavant directeur adjoint du FMI en Europe, a déclaré que l’État italien à lui seul aura besoin de 500 à 700 milliards d’euros pour empêcher une réaction en chaîne financière due à une crise bancaire et de la dette souveraine. Mody souligne que l’on ne peut pas compter sur l’UE pour fournir un tel “pare-feu” et a appelé le capitalisme mondial à intervenir.

    La dernière récession a déclenché une profonde crise de l’euro. Cependant, cette fois-ci, l’économie italienne représente un bien plus gros morceau que la Grèce, l’Irlande, Chypre ou le Portugal. L’Italie est la troisième plus grande économie de l’UE, elle a une dette publique d’environ 2 400 milliards d’euros et ses banques ont des actifs d’environ 5 000 milliards d’euros. La situation en Italie sera un test majeur de l’euro et de l’UE, un test qui pourrait menacer l’existence de l’euro tel que nous le connaissons.

    Vers la division?

    Outre la nature précaire de l’économie et du système bancaire italiens, plusieurs autres facteurs constituent des difficultés pour la zone euro. L’UE entre dans cette crise dans le contexte d’une récession mondiale et n’est donc pas en mesure d’utiliser la croissance fondée sur les exportations pour atténuer la crise comme elle l’a fait lors de la dernière crise. La BCE est déjà intervenue pour injecter de l’argent dans le système, mais avec des taux d’intérêt historiquement bas et un assouplissement quantitatif (QE) déjà déployé en nombre record, la BCE a moins de marge de manœuvre pour avoir un impact.

    L’UE fait face à cette récession avec une capacité politique moindre à mettre en œuvre des politiques d’austérité après que les partis traditionnels du capitalisme soient tombés comme des dominos après avoir appliqué des politiques d’austérité. Un autre cycle d’austérité imposé par l’UE se heurtera à une forte opposition anti-UE et à la croissance de forces qui favorisent le départ de l’UE. Déjà en Italie, le sentiment anti-européen s’est accru suite au blocage d’équipements médicaux essentiels dans l’UE. Une imposition de mesures d’austérité en Italie par l’UE pourrait représenter un point de basculement.

    Le départ d’un autre État de l’UE aurait lieu alors que l’UE est encore en train de gérer le départ du Royaume-Uni, ce qui représente un coup dur pour le prestige et la position de l’UE et pose des questions existentielles concernant le projet européen, et ce à un moment où s’intensifie la concurrence d’autres blocs capitalistes tels que les États-Unis, la Chine et la Russie.

    Compte tenu de l’ampleur de la crise à laquelle le capitalisme est confronté dans l’UE, l’existence même de l’UE et de l’euro peut être posée de manière brutale. Un effondrement incontrôlé de l’euro serait un désastre pour toutes les puissances capitalistes de l’UE. Dans un tel climat, il ne peut être exclu que la pression soit telle que les États capitalistes du “Nord” soient contraints de s’orienter vers une intégration accrue, et même vers un certain degré d’endettement commun comme des programmes limités de “coronabonds”, ou éventuellement vers un élargissement et une modification du fonds MES.

    Toutefois, dans l’ensemble, la principale dynamique à ce stade va dans le sens d’une plus grande désintégration et d’une concurrence accrue au sein de l’UE.

    Pour une Europe socialiste contre l’UE des patrons

    Cela démontre que malgré l’effet d’entraînement de l’UE, les barrières de l’État-nation n’ont pas été fondamentalement surmontées. L’UE est en fin de compte un rassemblement de classes capitalistes nationales pour concurrencer d’autres blocs économiques au niveau mondial, mais en même temps, ces classes capitalistes se font concurrence les unes avec les autres pour les profits et l’influence mondiale. Toute intégration vise uniquement à défendre leurs propres intérêts et se fait au détriment des droits des travailleurs et de leurs conditions de vie. Ces classes capitalistes sont incapables d’une véritable intégration et d’une réponse internationale pour faire face à la crise du Covid-19 ou à tout autre défi auquel nous sommes confrontés, comme le changement climatique et l’inégalité.

    La seule force qui peut amener une véritable coopération internationale est la classe ouvrière. La classe ouvrière n’a aucun intérêt à mettre en balance les profits et la sécurité des gens, ni à imposer des politiques néolibérales ou à nier les droits des travailleurs dans d’autres pays.

    Une Europe socialiste ne peut pas être construite pas à travers le club capitaliste qu’est l’UE. Elle se construirait au contraire sur la base d’une véritable solidarité entre travailleurs. Elle verrait l’utilisation démocratiquement planifiée des vastes ressources du continent de sorte qu’au lieu que les travailleurs soient dressés les uns contre les autres par l’establishment capitaliste et l’extrême droite, ces richesses pourraient être partagées et utilisées pour garantir l’accès de tous aux services publics, aux emplois et à un avenir décent tout en mettant fin aux inégalités et aux discriminations, en protégeant l’environnement et en mettant fin à l’exploitation impérialiste des anciennes colonies du capitalisme européen.

  • 150e anniversaire de la naissance de Lénine

    Vladimir Ilyich Oulianov – mieux connu sous son pseudonyme révolutionnaire, Vladimir Lénine – est né dans la ville de Simbirsk, aujourd’hui connue sous le nom d’Oulianovsk, à environ 900 km de Moscou sur la Volga, il y a un siècle et demi. À l’âge de 30 ans, il avait acquis la réputation d’être l’un des plus grands marxistes au monde et, dix-sept ans plus tard, avec Léon Trotsky, il a dirigé la première révolution socialiste au monde.

    Par Rob Jones, Sotsialisticheskaya Alternativa, section russe d’Alternative Socialiste Internationale

    Si un gouvernement déchirait aujourd’hui tous les accords internationaux qui restreignent les droits des gens, s’il prenait en main le sommet de l’économie, s’il introduisait un système de contrôle de l’industrie par les travailleurs et appelait les travailleurs et les paysans du monde entier à coopérer pour le bénéfice de tous, il obtiendrait le soutien enthousiaste des travailleurs et des peuples opprimés. Et c’est précisément ce que le premier gouvernement soviétique de novembre 1917, dirigé par les bolcheviks, a mis en place. Et ce n’en est encore qu’une partie. Le nouveau gouvernement soviétique a quasiment tous les aspects de la vie des travailleurs de Russie.

    Il s’est immédiatement de la Première Guerre mondiale impérialiste. Il a accordé le droit à l’autodétermination aux nations qui voulaient quitter l’ancien empire russe. Il a exproprié les grandes propriétés foncières et a donné à chaque paysan le droit d’utiliser la terre. Il a refusé à l’Église orthodoxe russe et aux autres religions le droit de se mêler des affaires de l’État.

    Alors que, dans les démocraties bourgeoises telles que la Grande-Bretagne, le droit de vote était limité aux hommes de plus de 21 ans possédant des biens, la nouvelle Russie soviétique a accordé le droit de vote à tous les citoyens, hommes et femmes de plus de 18 ans, sauf s’ils étaient impliqués dans l’exploitation d’autrui. Un système de soviets (conseils, en russe) composé de représentants élus des travailleurs, des soldats et des paysans dirigeait la société.

    Le gouvernement bolchevique a déclaré que les femmes devaient disposer de droits égaux, a introduit un vaste programme pour réduire l’analphabétisme féminin, a créé des cuisines sociales, des blanchisseries et des jardins d’enfants pour soulager la pression exercée sur les femmes. Les lois sur le mariage et le divorce ont été modifiées pour permettre à une femme de divorcer à tout moment si elle le souhaite, le droit à l’avortement a été introduit. Alexandra Kollontai est devenue la première femme ministre (Commisaire du Peuple) d’un gouvernement au monde.

    L’homosexualité a été dépénalisée et, de fait, un certain nombre de partisans culturels et politiques de premier plan étaient homosexuels, dont Georgy Chicherin, Commissaire du Peuple aux affaires étrangères.

    L’éducation, y compris l’enseignement supérieur, a été rendue gratuite pour tous. Une campagne d’alphabétisation de masse a été lancée. Neuf ans d’enseignement scolaire étaient prévus et toute personne ayant obtenu un certificat scolaire à 16 ans avait le droit d’étudier à l’université. En 1921, plus de 200 nouvelles universités avaient été créées, un nombre triplé en trois ans. Des centaines d’écoles spéciales ont été créées pour enseigner les langues des minorités du pays.

    Les soins de santé ont également été rendus gratuits pour tous, et tous les établissements médicaux ont été intégrés au système d’État. L’idéologie médicale a été radicalement modifiée : plutôt que de viser à traiter les personnes les plus aisées souffrant de maladies et de blessures chroniques, l’approche soviétique visait à éliminer les maladies infectieuses qui, à cette époque, tuaient des centaines de milliers, voire des millions de pauvres. L’espérance de vie, qui était inférieure à 30 ans en 1913, est passée à 44 ans en 1926, et à 60 ans à la fin de la seconde guerre mondiale.

    Malgré tout cela, et la guerre civile lancée par les puissances impérialistes après la révolution, le parti bolchevique de Lénine a réussi à moderniser l’alphabet russe, à introduire le langage écrit dans plusieurs régions, à aligner le calendrier julien réactionnaire sur le reste de l’Europe. Certains conservateurs, se complaisant dans le passé, s’embrouillent encore et utilisent encore aujourd’hui les dates juliennes. Les passeports internes sans lesquels il n’était pas permis de voyager ont été supprimés.

    Bien entendu, Lénine a également contribué à la création de la Troisième Internationale, le Comintern, qui s’était donné pour mission de développer des mouvements révolutionnaires à travers le monde.

    Sa petite enfance

    Beaucoup d’idées que Lénine a défendues par la suite ont été formées au cours des premières années de sa vie dans la province de Simbirsk. Vivant dans une maison confortable mais modeste, construite en bois, son père était inspecteur scolaire local, un poste qu’il occupait dans le cadre de la réforme de l’éducation. Les trois garçons Oulianov ont bénéficié d’une atmosphère où la lecture était encouragée. Alexandr, l’aîné, était imprégné de l’esprit révolutionnaire et a rejoint la “volonté du peuple”, qui estimait que le terrorisme individuel conduirait à la révolution. Il fut exécuté en 1887 pour le rôle qu’il avait joué dans un complot pour assassiner le tsar. Vladimir fut donc inébranlablement convaincu que de telles méthodes étaient néfastes, et que seule la classe ouvrière organisée et politiquement consciente pouvait mener à bien la révolution.

    Expulsé de l’université de Kazan après avoir aidé à organiser une manifestation étudiante, Vladimir s’est installé à Saint-Pétersbourg où il s’est joint au Parti ouvrier social-démocrate de Russie (POSDR) créé en 1898 pour promouvoir les idées de Marx et Engels au sein du mouvement révolutionnaire et ouvrier russe. Il fut arrêté, envoyé en exil et, après sa libération, s’est rendu en Europe où il a joué un rôle majeur dans les cercles marxistes. Il a fondé un journal, Iskra (l’Etincelle), qui était passé clandestinement en Russie.

    Le mouvement social-démocrate en Europe, qui reposant initialement sur les idées de Marx et Engels, s’était développé de façon spectaculaire. En Allemagne, il bénéficiait d’un soutien massif des syndicats et disposait de nombreux députés. Au début, Lénine avait énormément de respect pour les géants de la social-démocratie européenne tels que Karl Kautsky et Wilhelm Liebknecht, ainsi que pour Georgi Plekhanov, le fondateur de la social-démocratie russe. Mais l’ancienne social-démocratie était peu à peu devenue dominée par des gens qui s’intéressaient davantage aux carrières parlementaires qu’au marxisme révolutionnaire.

    Que faire ?

    Le tournant de l’évolution politique de Lénine a eu lieu avec la publication de son texte “Que faire ?” en 1902 et les débats du deuxième Congrès du POSDR en 1903. Ce qui ne semblait être qu’une dispute sur des questions d’organisation, en réalité, était en réalité une division du mouvement socialiste russe en deux ailes, l’une réformiste, l’autre révolutionnaire.

    Lénine a soutenu que le POSDR devait être un parti de révolutionnaires professionnels, discipliné, uni et agissant en accord avec le programme du parti. Ses opposants, menés par Julius Martov, soutenaient que le parti devrait être plus large. Il suffisait, selon lui, qu’un membre soit d’accord avec l’approche générale du parti, sans nécessairement participer à ses activités. Lénine a obtenu une majorité de voix, sa fraction est donc devenue celle des “bolcheviks” (majoritaires) contre les “mencheviks” (minoritaires) de Martov.

    1905

    Deux ans plus tard, au début de l’année 1905, éclata la première révolution russe. Le pope Gapone, un prêtre orthodoxe qui travaillait probablement pour la police, avait essayé de détourner la colère des masses en menant une manifestation ouvrière massive au Palais d’Hiver du Tsar à Saint-Pétersbourg pour y délivrer une simple pétition appelant à des réformes. Mais la police tsariste ouvrit le feu, provoquant une vague de grève massive dans tout l’empire russe, qui comprenait alors la Pologne et la Finlande. C’est à cette occasion que les travailleurs ont constitué des soviets pour la première fois. À la fin de l’année, Trotsky était élu président du Soviet de Saint-Pétersbourg.

    De nombreux bolcheviks avaient échoué à ce test de la pratique, mais ce ne fut pas le cas de Lénine lui-même. L’un des principaux bolcheviks de Saint-Pétersbourg, Alexandr Bogdanov, représentait ceux qui avaient travaillé à la création du parti clandestin, mais il s’est avéré incapable de passer au travail de masse. Il parlait du Soviet, qui représentait des centaines de milliers de travailleurs, comme d’une manœuvre de Trotsky et proposa que les bolcheviks lui posent un ultimatum : adopter le programme bolchevique ou se retirer. Mais Lénine avait compris la signification du soviet. Il a défendu que le parti devait être ouvert à une masse de jeunes travailleurs pour surmonter l’influence conservatrice des “hommes du comité”.

    Lénine avait tiré la conclusion très claire qu’il ne fallait pas faire confiance à la bourgeoisie libérale, qui tentait de trouver un compromis avec le tsarisme pour aboutir à une assemblée constituante. Les mencheviks, par contre, les ont aidés. Lénine soutenait que la classe ouvrière devait travailler avec la paysannerie pauvre au sein d’un bloc révolutionnaire afin de renverser le Tsarisme et d’établir une véritable démocratie révolutionnaire. Même si cette dernière était bourgeoise, cela permettrait à la classe ouvrière de mener le peuple tout entier, et en particulier la paysannerie, à “la liberté complète, pour une révolution démocratique conséquente, pour une république ! A la tête de tous les travailleurs et des exploités – pour le socialisme !” Trotsky est allé plus loin en soutenant que, comme la bourgeoisie libérale en Russie, tout comme celle d’autres pays arriérés, était trop faible et incapable de mener sa propre révolution à l’image de ce qu’avaient fait les bourgeoisies française et anglaise. La classe ouvrière devait donc la faire à leur place, et aller plus loin pour mettre en œuvre une révolution socialiste.

    Durant les années de réaction qui ont suivi 1905, Lénine a lutté pour maintenir un parti, contre les tendances d’ultra-gauche, dont Bogdanov, qui soutenaient que les révolutionnaires ne devaient pas prendre part aux travaux parlementaires. Mais de grands défis attendaient.

    La trahison social-démocrate

    La Deuxième Internationale a toujours défendu que la classe ouvrière de chaque pays ait des intérêts communs. Ce fut donc un choc énorme lorsqu’en 1914, les sociaux-démocrates allemands, à l’exception honorable de Karl Liebknecht et d’Otto Rühle, votèrent au Bundestag les crédits de guerre destinés à financer la machine de guerre de l’impérialisme allemand. Lorsque Lénine entendit la nouvelle pour la première fois, il pensa tout d’abord qu’il s’agissait d’un mensonge. Il semblait donc que le menchevisme n’était pas seulement réformiste, mais que la trahison de l’internationalisme était inhérente à sa politique. Cela a laissé à 38 délégués de 11 pays seulement le soin de voyager dans quatre diligences pour se rendre à la conférence de Zimmerwald en 1915 afin de défendre la bannière du socialisme international.

    En Russie même, l’organisation révolutionnaire était rendue difficile en raison de la guerre et des activités de la police tsariste. Au cours des premiers mois de la guerre, le parti bolchevique avait été réduit à une poignée de membres. La totalité des membres féminins avait été arrêtée. Peu à peu, de nouvelles forces ont été constituées, mais elles étaient à peine prêtes pour le déclenchement de la nouvelle révolution. Lorsqu’une délégation de femmes travailleuses est venue demander l’aide des bolcheviks pour préparer une grève pour la Journée internationale des femmes de 1917, on leur a dit d’attendre une décision du Comité central. Les bolcheviks ne disposaient pas d’imprimerie pour produire un tract pour la grève. C’est le petit groupe Mezhraiontsii, un groupe de social-démocrates révolutionnaires anti-guerre, qui plus tard, sous l’influence de Trotsky, a fusionné avec les bolcheviks, qui a fourni des tracts contre “la guerre, les prix élevés et le manque de droits des femmes travailleuses”.

    De nombreux dirigeants bolcheviques en Russie faisaient preuve de mépris pour les luttes idéologiques qui avaient lieu principalement parmi les sociaux-démocrates en exil en Europe. Ils n’avaient donc pas compris la signification des différences entre les bolcheviques et les mencheviks. Même en avril 1917, dans 54 des 68 régions russes, les Bolcheviks et les Mensheviks fonctionnaient encore comme deux ailes d’un seul parti.

    Réarmer le parti

    Néanmoins, une révolution se préparait. Au début de l’année 1917, le parti bolchevique se développait, et comptait jusqu’à 2000 membres à Petrograd (l’ancienne Saint-Pétersbourg). Après la révolution de février, lorsque le gouvernement provisoire bourgeois est arrivé au pouvoir, les dirigeants locaux, dont Kamenev et Staline, ont apporté leur soutien au gouvernement provisoire. Lorsque Lénine est revenu d’exil, en avril, il a été confronté à la tâche, comme l’a qualifié Trotsky, de “réarmer le parti”.

    Nikolai Sukhanov était un menchevik qui se trouvait à la gare de Finlande lorsque Lénine est revenu en Russie en avril. Témoin hostile, mais honnête, il a décrit ce qui s’est passé : “Quand ils écrivent sur la rencontre enthousiaste avec Lénine à la gare de Finlande, il n’y a pas d’exagération. Les soldats et les masses prolétariennes qui sont venus à la gare appelée par les bolcheviks étaient pleins de joie (…) L’arrivée du leader bolchevique a été marquée par sa déclaration qui a fait tourner la tête, selon laquelle “les flammes de la révolution socialiste mondiale brûlent déjà’’ (…) L’inquiétude des socialistes, y compris des bolcheviks, concernant le discours de Lénine n’était pas difficile à comprendre. Ils avaient tous étudié Marx et Engels, les socialistes occidentaux, et ils comprenaient tous de la même façon la séquence des étapes à suivre… Tout d’abord, la révolution démocratique-bourgeoise et ensuite seulement, en utilisant les libertés démocratiques et à mesure que le capitalisme se développe et qu’une classe ouvrière émerge, une lutte pour le socialisme (…) les socialistes russes ne se préparaient pas une lutte armée pour le pouvoir, mais pour de futurs débats parlementaires au sein de l’assemblée constituante. Lénine, comme une tornade, s’est déchaîné sur la Russie, a fait échouer leurs plans, décidant de commencer à préparer la révolution socialiste au cours de laquelle le pouvoir devrait être transféré aux mains du prolétariat et de la paysannerie pauvre, aux Soviets.’’

    Lénine a ensuite écrit ses célèbres “Thèses d’avril”. La Pravda, le journal des bolcheviks, ne les a publiées qu’après y avoir ajouté une série de commentaires indiquant qu’il s’agissait de l’opinion personnelle de l’auteur. Lorsqu’il s’est exprimé au Comité central bolchevique deux jours plus tard, il a perdu le vote. Zinoviev, Chliapnikov et Kamenev se sont tous opposés à lui, ce dernier déclarant que “la Russie n’est pas prête pour la révolution socialiste”. Dzerjinski a attaqué Lénine, en exigeant de parler au nom “des camarades qui ont vécu la révolution dans la pratique”. Lénine a cependant tenu bon – à la fin du mois d’avril, il avait obtenu le soutien du parti. Ce fut le moment, dit Soukhanov, où “le calendrier politique russe s’est accéléré et est passé de février à octobre”.

    Lénine était convaincu que la classe ouvrière et surtout les jeunes le soutiendraient. Le parti bolchevique se développa de façon spectaculaire en 1917, alors que la condition de la victoire de la révolution de novembre se précisait, atteignant près de 350.000 membres à la fin de l’année, car il devenait évident que les libéraux et les socialistes modérés ne parvenaient pas à mettre fin à la guerre, à permettre la libération nationale, à convoquer l’assemblée constituante ou à prendre des mesures pour améliorer le sort des masses. Un membre du parti sur cinq avait moins de 26 ans, la moitié moins de 35 ans.

    Lorsque Trotsky est rentré en Russie quelques semaines après Lénine, les deux hommes sont devenus inséparables, dirigeant conjointement la révolution. Leurs divergences antérieures, qui avaient été dramatiquement exagérées par leurs ennemis, sur la nécessité d’un parti révolutionnaire soudé et sur la nature permanente de la révolution, avaient été résolues par la pratique. Trotsky était convaincu que Lénine avait raison sur le premier point, Lénine pensait que Trotsky avait raison sur le second. Tous deux comprenaient parfaitement qu’une révolution en Russie ne pouvait réussir que si elle s’inscrivait dans une révolution mondiale plus large.

    Lénine aimait à citer Goethe (dans Faust) : ” toute théorie est grise, mais vert et florissant est l’arbre de la vie.” Il a utilisé la citation lorsqu’il a expliqué pourquoi il avait changé sa position antérieure qui consistait à appeler à une “dictature démocratique révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie”, en expliquant que ceux qui avaient appris la phrase par cœur étaient maintenant en retard sur leur temps et étaient ‘‘passés à la petite bourgeoisie contre la lutte de classe prolétarienne (…) et devraient être consignés dans les archives des antiquités “bolcheviques” pré-révolutionnaires (on peut les appeler les archives des “vieux bolcheviques”)”.

    En fait, ce sont des questions comme celle-ci qui démontrent le vrai caractère de Lénine, et non pas celui qui est diabolisé par ses adversaires ou déifié par ceux qui préfèrent le présenter comme invincible. Lénine a fait des erreurs et pouvait se tromper dans ses évaluations. Mais lorsqu’il le faisait, il était capable de changer d’avis, généralement après de vigoureuses discussions avec ses camarades.

    C’est cette approche, combinée à son alliance étroite avec Trotsky, qui a permis au parti bolchevique de gagner le soutien des masses ouvrières et des soldats représentés dans les soviets et de mener la révolution de novembre à la victoire. Le nouveau gouvernement soviétique a entrepris de transformer la Russie sur des bases socialistes.

    Mais les impérialistes ont à juste titre considéré la Russie socialiste comme un phare pour les travailleurs d’ailleurs. Ils ont lancé une guerre civile brutale : au moins 14 armées impérialistes, dont les Britanniques, les Allemands, les Américains, les Japonais et les Français ont soutenu les anciens groupes tsaristes et les Gardes blancs pour tenter de vaincre la révolution. Les sacrifices héroïques consentis par la classe ouvrière pendant la guerre l’ont laissée épuisée et exténuée. Le retard de la révolution mondiale, en particulier après la trahison de la révolution allemande par les sociaux-démocrates, a isolé une économie en retard. Cela a entraîné une réaction, une dégénérescence de la révolution.

    Le dernier combat de Lénine

    Deux tentatives d’assassinat de Lénine ont eu lieu. La seconde, plus réussie, fut celle de Fanny Kaplan, du parti des Socialiste-révolutionnaire de gauche, en 1918, qui lui laissa une balle logée dans le cou, ce qui contribua aux attaques qu’il subit plus tard avant de mourir en 1924. À cette époque, cependant, il se rendit compte que les forces de la réaction se renforçaient au sein du nouvel État soviétique autour du triumvirat Zinoviev-Kamenev-Staline.

    Lénine décrivait la situation comme étant “aspirée dans un marécage bureaucratique infâme”. Pour y remédier, il a proposé un pacte avec Trotsky pour lutter contre la bureaucratie en développement, mais malheureusement la situation objective était contre eux. Au cours de la décennie suivante, une contre-révolution politique bureaucratique s’est développée, culminant dans l’horrible dictature stalinienne qui, tout en maintenant la propriété de l’État sur les moyens de production, a annulé de nombreux acquis sociaux et démocratiques de la révolution.

    L’héritage de Lénine

    En plus d’être, avec Trotsky, le dirigeant de la révolution russe, Lénine nous a laissé un énorme héritage théorique et pratique. Il a démontré pourquoi il est nécessaire de construire une organisation révolutionnaire forte avec un programme clair, capable d’unir la classe ouvrière dans la lutte pour le socialisme. Un tel parti, a-t-il averti, ne sera pas construit de la même manière dans tous les pays. Les révolutionnaires, a-t-il soutenu, devraient être prêts à intervenir dans tous “les domaines et aspects de la vie publique, et à travailler dans tous ces domaines d’une manière nouvelle, d’une manière communiste”.

    Son analyse de l’État en tant qu’instrument de répression dans la société de classe est d’une immense pertinence aujourd’hui, alors que les gouvernements capitalistes essaient de nous convaincre, pendant la crise du coronavirus, que nous sommes tous dans le même bateau, afin que la classe ouvrière supporte le coût de l’effondrement économique.

    L’approche de Lénine de la question nationale, reposant sur la reconnaissance du droit des nations à l’autodétermination, est révolutionnaire même aujourd’hui, alors que de nombreux gouvernements capitalistes refusent ce droit que ce soit au Kurdistan, en Catalogne, au Tibet ou en Afrique du Nord.

    Et bien sûr, il y a l’expérience de l’approche de front unique des bolcheviks, qui leur a permis, à travers les soviets, de construire un mouvement puissant et uni capable de renverser le capitalisme.

    Mais le plus important est peut-être l’approche de Lénine à l’égard du marxisme révolutionnaire, qu’il n’a jamais traitée comme un dogme mais qu’il a développée en fonction de l’expérience vécue, comme il l’a commenté : ” Quiconque attend une révolution sociale “pure” ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution.”.

  • Coronavirus. Le capitalisme pousse l’Afrique dans l’abîme

    Le capitalisme et l’impérialisme au banc des accusés

    La pandémie de COVID-19 a mis en évidence les profondes inégalités sociales qui prévalent dans le capitalisme moderne. Nulle part ailleurs qu’en Afrique.

    Par Serge Jordan, Alternative Socialiste Internationale

    L’indice de sécurité sanitaire mondiale (Global Health Security) est une évaluation de la capacité de 195 pays à faire face à des épidémies de maladies infectieuses. La majorité des pays classés comme “les moins préparés” sont situés en Afrique, la Somalie et la Guinée équatoriale se trouvant tout en bas de la liste. Seule l’Afrique du Sud, déjà en proie à une crise sanitaire et économique de grande ampleur, occupe un rang relativement élevé. Cela permet d’ailleurs de souligner à quel point la situation est catastrophique dans le reste du continent.

    Il est impossible de disposer d’une évaluation réaliste de l’ampleur actuelle de la pandémie de COVID-19 en Afrique en raison du manque d’équipements de test dans la plupart des pays. Si l’Afrique du Sud compte actuellement le plus grand nombre de cas confirmés en Afrique subsaharienne, c’est qu’il s’agit du pays où le plus grand nombre de tests a été effectué. Certains pays, comme la Somalie, ne disposent d’aucun kit de dépistage. Cela signifie que le virus a déjà fait son chemin, hors des radars, de part et d’autre du continent.

    Le mot “inadéquation” pour décrire l’état des infrastructures de santé en Afrique serait un euphémisme grotesque. Une récente étude du magazine scientifique britannique Lancet concernant le COVID-19 en Afrique de l’Ouest a constaté que les pays de la région ont “des systèmes de santé mal dotés en moyens, ce qui les rend incapables d’intensifier rapidement une réponse à l’épidémie”, et qu’”une accélération rapide du nombre de cas pourrait rapidement submerger” lesdits systèmes. Le Malawi, par exemple, dispose de 25 lits en soins intensifs pour une population de 17 millions de personnes ; en Somalie, 15 lits en soins intensifs sont disponibles pour 15 millions de personnes. Le Zimbabwe dispose de 7 respirateurs pour une population de 16 millions de personnes, tandis que la République centrafricaine dispose d’un total de trois respirateurs pour 5 millions de personnes. Le Sierra Leone et ses 7,5 millions d’habitants, un seul.

    Les conditions de vie de la classe ouvrière et des communautés pauvres rend inaccessible l’adoption de précautions de base pour prévenir la propagation de la pandémie. La moitié des citadins africains vivent dans des maisons de fortune surpeuplées, des bidonvilles et des townships où l’approvisionnement en eau et l’infrastructure sanitaires sont insuffisants.

    Les millions de réfugiés, de demandeurs d’asile et de personnes déplacées à l’intérieur de leur pays qui vivent dans des camps, des campements informels et des centres de détention – victimes de guerres, de persécutions et de catastrophes environnementales – dans la région du Sahel, la Corne de l’Afrique, la RDC et d’autres endroits sont particulièrement vulnérables au risque d’infection. Le Sud-Soudan a récemment signalé ses premiers cas de COVID-19. Dans ce pays, plus de la moitié de la population est confrontée à une grave insécurité alimentaire, des années de guerre civile ont forcé des millions de personnes à quitter leur foyer. Seuls 22 % des établissements de santé y sont fonctionnels. La Libye et le Burkina Faso ont tous deux été ravagés par des guerres qui ont déplacé respectivement 200.000 et 700.000 personnes au cours de l’année dernière uniquement. L’infrastructure sanitaire des deux pays a subi des dégâts considérables ; 135 hôpitaux ont fermé en raison de la violence au Burkina Faso.

    La malnutrition et les maladies infectieuses sont déjà courantes dans de grandes parties du continent. L’Afrique connaît des taux d’infection parmi les plus élevés concernant le VIH, la tuberculose et la paludisme. Compte tenu du manque de ressources allouées à la santé dans la plupart des pays africains, les moyens limités déployés pour lutter contre le COVID-19 auront un effet paralysant sur la lutte contre d’autres épidémies mortelles. C’est déjà ce qui ressort de différentes études concernant les maladies infectieuses et les campagnes de vaccination dans de nombreuses régions.

    Le capitalisme et l’impérialisme sont responsables

    Les horreurs que le développement de la pandémie réserve aux masses africaines ne sont en aucun cas la manifestation d’une catastrophe naturelle inévitable. Elles proviennent de décennies de pillage et d’exploitation extrêmes du continent par les puissances impérialistes coloniales puis néocoloniales, avec l’implication directe et la complicité d’élites dirigeantes locales impuissantes et corrompues. Cela s’est traduit, entre autres, par un délabrement généralisé des systèmes de santé et par des niveaux endémiques de pauvreté.

    En réalité, les moyens ne manquent pas pour faire face à cette crise, mais ils ont simplement été pillés par les multinationales et les banques, les bourgeois africains et les dirigeants despotiques. L’an dernier, pour souligner cette réalité, Oxfam a écrit que “les pays de la CEDEAO [les États d’Afrique de l’Ouest] perdent environ 9,6 milliards de dollars en raison des incitations fiscales accordées aux multinationales. Cela suffirait pour construire chaque année une centaine d’hôpitaux modernes et bien équipés dans la région”.

    Alors que les pays africains ont un besoin urgent d’investissements colossaux pour s’attaquer de front à cette pandémie, une fuite de capitaux colossale hors du continent est en cours, dépassant déjà de loin celle qui a eu lieu lors de la crise mondiale de 2008 – tant en vitesse qu’en volume. Les sorties de capitaux des économies dites émergentes ont totalisé plus de 83 milliards de dollars en mars, selon l’Institut international de la finance. Il ne s’agit pas d’une erreur anecdotique, mais d’un exemple du fonctionnement de l’ensemble du système capitaliste, qui illustre l’incapacité du “marché libre” à mettre en œuvre la riposte nécessaire à l’urgence humanitaire actuelle. Seules la planification économique et la coordination des ressources à l’échelle mondiale pourraient rendre une telle réponse possible.

    Mettre un terme au pillage du continent, et exproprier les immenses richesses siphonnées par les super riches, est une question de vie ou de mort pour des millions de gens. Cela permettrait de réorienter les ressources vers le financement de services de santé d’urgence, d’installations de dépistage, de centres de quarantaine et d’isolement, d’équipements médicaux et de personnel qualifié à l’échelle que la situation actuelle exige.

    Cela pourrait certainement commencer par l’imposition de contrôles étatiques sur les flux de capitaux, et par l’annulation de l’énorme fardeau de la dette sous lequel s’effondrent de nombreux États africains. Le Nigeria, par exemple, consacre près des deux tiers de ses revenus au remboursement de la dette. Dans 17 pays africains, les frais d’intérêt sur la dette représentent à eux seuls 10 % ou plus des recettes publiques. Un certain nombre d’États africains, comme la Zambie et l’Angola, ne sont qu’à un pas du défaut de paiement, et d’autres suivront probablement.

    Sous la pression, les gouvernements occidentaux ont injecté des billions de dollars pour amortir partiellement les effets économiques de la crise dans leurs propres pays et éviter l’effondrement de leur système. Les gouvernements africains n’ont pas la marge de manœuvre budgétaire nécessaire pour déployer des programmes de sauvetage similaires. Ils ont volontairement contribué à l’immense racket de la dette orchestré par les nations impérialistes les plus puissantes. D’énormes portions de revenus des États africains ont été transférées dans les coffres des créanciers financiers internationaux au lieu d’être investies dans les soins de santé, l’enseignement, le logement, les transports publics, les infrastructures et le bien-être des populations en général.

    Craignant la révolte des masses, ces mêmes dirigeants africains appellent maintenant à l’aide et à la suspension du paiement de la dette, de moratoires, etc. David Malpass, le directeur de la Banque mondiale, a déclaré qu’il était favorable à une “suspension” de tous les paiements de la dette pour les pays les plus pauvres – mais a ajouté que ces pays devraient en échange appliquer des politiques favorables au libre marché comme l’annulation de certaines réglementations et subventions publiques. Le FMI, pour sa part, a accordé des prêts d’urgence à un certain nombre de gouvernements africains. Ces prêts s’accompagnent d’une mise en garde : une fois la crise sanitaire passée, “l’ajustement fiscal”, la limitation de la masse salariale publique, la réduction supplémentaire des subventions publiques et d’autres mesures d’austérité devront être à l’ordre du jour.

    Cette tentative de continuer à rançonner des populations entières au beau milieu d’une pandémie mortelle met à nu ces institutions rapaces et les révèlent pour ce qu’elles ont toujours été. N’oublions pas que l’une des conséquences directes des “plans d’ajustement structurel” imposés par le FMI et la Banque mondiale à la suite de la crise de la dette des années 1980 a été la mise à sac des services de santé existants dans un pays africain après l’autre. La situation actuelle souligne également combien le sort des masses de toute la région est lié à une lutte résolue contre la domination de l’impérialisme mondial et de ses agents locaux sur le continent. Cette lutte devrait exiger rien de moins que l’annulation immédiate et inconditionnelle de tous les remboursements de la dette, ainsi que la nationalisation, sous contrôle et gestion démocratiques des travailleurs, des multinationales et des banques. Ces dernières ont extrait une quantité stupéfiante de richesses des classes ouvrières africaines tout en laissant derrière elles la ruine humaine et écologique.

    Ces politiques s’avéreront d’autant plus nécessaires, et trouveront un écho accru, qu’un scénario de dévastation économique se dessine pour l’ensemble du continent. La récession économique mondiale qui s’accélère rapidement devrait en effet avoir des conséquences particulièrement dévastatrices pour les masses africaines. La Banque mondiale a récemment prédit que l’Afrique subsaharienne serait confrontée à sa première récession en 25 ans. Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) a lancé un avertissement selon lequel près de la moitié des emplois en Afrique pourraient être anéantis dans ce contexte. La contraction de l’économie chinoise et l’effondrement des prix du pétrole et des matières premières risquent de précipiter l’effondrement économique d’une série de pays, avec les plus grandes économies exportatrices de pétrole comme le Nigeria et l’Angola dans le champ de tir immédiat.

    La chute soudaine du tourisme résultant des mesures d’endiguement, des interdictions de voyage et des fermetures de frontières vient s’ajouter à un mélange déjà explosif. Environ 24 millions d’emplois dépendent des activités touristiques en Afrique, qui, ces dernières années, a été l’une des régions du monde où la croissance du tourisme a été la plus rapide. Ce processus est aujourd’hui brutalement inversé. L’Organisation mondiale du tourisme prévoit une chute du tourisme international de 20 à 30 % (lors de la crise de 2008, la chute du secteur était d’environ 4 %). Pour de nombreux pays africains, cela se traduira par un tsunami de pertes d’emplois.

    Le confinement

    Dans la plupart des pays africains, des réglementations de confinement ont été imposées pour lutter contre la propagation du virus. En l’absence d’un plan clair pour traiter tous les problèmes sociaux, économiques et sanitaires hérités d’années de mauvaise gestion capitaliste et de politiques anti-pauvres, ces mesures de confinement ne sont que des pansements sur des plaies ouvertes. C’est une façon pour les gouvernements de paraître forts, tout en blâmant les gens ordinaires pour la propagation de l’infection.

    En raison du grand nombre de travailleurs qui dépendent entièrement du travail informel pour leur survie quotidienne (plus de 80 % des adultes africains travaillent dans le secteur informel), et de l’absence de mesures d’aide bien planifiées pour les personnes dans le besoin, les fermetures ont privé des millions de personnes de leur source de revenus pendant la nuit. À Kinshasa, la capitale de la RDC, un dicton populaire résume le dilemme auquel sont confrontés de nombreux travailleurs et pauvres en Afrique : “si vous ne sortez pas, vous ne mangez pas”. Des centaines de manifestants tunisiens dont la colère a éclaté dans les rues des quartiers pauvres d’Ettadhamen et de Mnilha après une semaine de confinement à la fin du mois de mars, n’ont rien exprimé de différent : “Laissez-moi apporter du pain à mes enfants, peu importe si je meurs” ont été les mots rapportés par un travailleur du bâtiment occasionnel parmi eux. Cela laisse présager les explosions sociales que cette crise entraînera sur son chemin.

    L’ordre d’”auto-isolement” empêche pratiquement les vendeurs de rue, les chauffeurs de transport informels, les travailleurs domestiques et bien d’autres de gagner leur pain quotidien, et les contraint à mourir de faim chez eux. Il empêche souvent les gens de se rendre sur les marchés pour s’approvisionner en produits vitaux et, dans certains cas, même d’accéder aux points d’eau.

    Pour éviter d’être pris au piège de cette situation cruelle, de nombreux travailleurs migrants désespérés ont tenté de quitter les grandes villes pour retourner dans les zones rurales d’où ils proviennent, en espérant y avoir une vie moins chère et bénéficier de leurs liens familiaux dans leur village ou leur ville natale. L’agence de presse Reuters a rapporté le 26 mars que “les voyageurs des villes africaines – de Nairobi à Kampala, Johannesburg et Rabat – se dirigent vers la campagne, inquiétant les fonctionnaires qui disent que cela a contribué à la propagation de maladies comme le virus Ebola dans d’autres foyers”. Cet exode a sans aucun doute propagé l’infection dans des endroits où l’offre de soins est encore pire que dans les centres urbains – si tant est qu’elle existe. Mais la responsabilité de cette situation devrait être imputée aux classes dominantes et à leur mépris impitoyable pour la vie et la santé des gens ordinaires.

    Rien n’illustre mieux cette situation que la brutalité avec laquelle les forces de l’État ont imposé le confinement et le couvre-feu. Au fil des jours, le nombre de morts dans les assassinats liés au confinement et les exemples d’abus et de traitements humiliants de la part de la police et de l’armée s’accumulent.

    Bloomberg a rapporté que deux jeunes hommes ont été abattus par la police rwandaise pour avoir violé l’ordre de rester chez soi pendant 14 jours donné par le président Paul Kagame. En Afrique du Sud, huit personnes ont été tuées à la suite d’actions policières au cours de la première semaine de confinement national ; lorsqu’il a été rapporté, ce chiffre était supérieur au nombre de décès liés au COVID-19. Au Kenya, un garçon de 13 ans jouant sur son balcon a été tué par la police dans la capitale Nairobi, et au moins trois autres personnes ont été tuées dans des incidents distincts. Un Nigérian a été abattu par un soldat dans la ville de Warri, dans le sud du pays, pour avoir refusé de rester chez lui et avoir voulu acheter des médicaments à sa partenaire enceinte. Au Zimbabwe, près de 2 000 personnes ont été arrêtées au cours de la première semaine de confinement. Et la liste continue.

    Dans ce contexte, la violence de genre exercée par les forces de l’État a également augmenté, avec des cas de viols signalés concernant des soldats rwandais et des dizaines de personnes LGBTQ+ rassemblées par la police en Ouganda sous le couvert de la prévention du coronavirus.

    Les gouvernements de toute l’Afrique ont réaffirmé les frontières arbitraires post-coloniales de leurs États en fermant rapidement les ports d’entrée dans une nouvelle poussée de nationalisme réactionnaire. L’Afrique du Sud a alloué 2,1 millions de dollars à l’érection d’une clôture de 40 km le long de sa frontière avec le Zimbabwe, avant même que des cas de COVID-19 n’y soient signalés, pour empêcher les “personnes sans papiers ou infectées” de passer la frontière sans être dépistées pour le coronavirus. Des sentiments xénophobes ont également fait surface au sein de la police, qui a harcelé les propriétaires immigrés de boutiques après qu’un ministre ait faussement annoncé que seules les boutiques appartenant à des Sud-Africains seraient autorisées à rester ouvertes. En outre, seules les petites entreprises détenues à 100 % par des Sud-Africains peuvent bénéficier de l’aide financière mise en place par l’État, et les travailleurs sans papiers ne peuvent pas prétendre à l’assurance chômage pour perte de revenus.

    Dans de nombreux autres pays africains, des cas de racisme à l’encontre des Asiatiques ont été signalés. Une vidéo largement partagée a montré un couple de Chinois au Kenya être harcelés par une foule. Cette vidéo a reçu le soutien d’un député pour qui la lapidation de tout visiteur chinois est envisageable si le gouvernement ne fait pas assez pour lutter contre le COVID-19. En République centrafricaine, les menaces et la violence à l’encontre des étrangers et de la minorité musulmane du pays auraient augmenté ces dernières semaines, alimentées par les tabloïdes réactionnaires locaux qui les accusent d’être responsables de l’infection.

    Comme partout ailleurs, les classes dirigeantes d’Afrique exploitent sans vergogne la propagation du coronavirus pour renforcer leurs machines étatiques et pour rapidement éroder les droits démocratiques. Au Burkina Faso, une fois que le coronavirus a été officiellement déclaré dans le pays, la première cible des mesures gouvernementales a été les manifestations syndicales, qui ont culminé par une grève générale de 120 heures à la mi-mars. Pendant ce temps, les ministres et hauts fonctionnaires infectés ont continué à organiser de grands rassemblements dans le cadre de leur campagne pour les élections présidentielles prévues en novembre ! En Algérie, la clique au pouvoir a exploité à la hâte une période où les gens ne peuvent pas facilement remplir les rues afin de régler ses comptes avec le mouvement révolutionnaire. Malgré la pandémie, les tribunaux travaillent 24 heures sur 24 pour condamner les militants politiques et les journalistes qui critiquent le régime.

    Un plan d’action socialiste pour résister à la crise

    La classe ouvrière et le mouvement syndical à travers l’Afrique doivent s’organiser sans délai contre ce harcèlement, cette répression et ces abus de l’État, et résister à toute tentative d’utiliser le confinement pour miner les droits démocratiques et syndicaux, la liberté d’expression, etc. Il faut s’opposer aux arrestations arbitraires et aux licenciements de travailleurs pour des motifs politiques, et libérer tous les militants détenus.

    Mais en dernier lieu, la violence croissante de l’État est une protubérance des divisions de classe qui s’accentuent. Si les passages à tabac et les assassinats sont un moyen de “persuasion”, c’est parce que le système capitaliste auquel s’accrochent les élites dirigeantes africaines et leurs régimes corrompus a lamentablement échoué pour l’écrasante majorité de la société. Les intérêts de cette majorité doivent être placés au centre de la réponse à la catastrophe qui menace le continent.

    Les paroles du milliardaire égyptien Naguib Sawiris, qui a exhorté les autorités à ordonner le retour au travail des gens “quelles qu’en soient les conséquences”, nous donnent un aperçu de l’avenir si on le laisse aux mains de la classe capitaliste. En Afrique, comme ailleurs, cette oligarchie parasitaire est prête à envisager la mort de centaines de milliers de personnes à condition que leurs profits priment. “Même si les gens tombent malades, ils se rétabliront”, a-t-il déclaré. “Elle ne tue qu’un pour cent des patients, qui sont pour la plupart des personnes âgées”.

    Au-delà de la misère économique qu’ils infligent aux pauvres, les mesures de confinement et d’auto-isolement n’ont aucun sens si, dans des secteurs non essentiels pour le contrôle de la pandémie, les travailleurs sont obligés (ou contraints) de travailler dur sans qu’aucune mesure sérieuse de sécurité ou d’éloignement social ne soit en place, comme c’est le cas dans les mines d’or du Mali, alors que le nombre d’infections augmente de manière exponentielle sur tout le continent. Le droit des travailleurs d’arrêter la production dans tous les secteurs non essentiels, avec un revenu garanti, devrait donc être proclamé, ainsi que leur droit de décider démocratiquement quand et dans quelles conditions la production devrait reprendre. Toute perte d’emploi ou réduction de salaire due à l’épidémie de COVID-19 devrait être combattue, et toutes les entreprises qui réduisent leurs effectifs, ne paient pas leurs travailleurs ou menacent de fermer devraient être nationalisées.

    Dans les secteurs de première ligne essentiels à la lutte contre la pandémie, les travailleurs devraient exiger des équipements et des procédures sanitaires optimaux, une couverture d’assurance vie et une rémunération spéciale pour tous ceux qui continuent à travailler. Des milliers d’infirmières, de médecins et d’autres travailleurs de la santé ont déjà montré la voie en faisant grève pour exiger la fourniture d’équipements médicaux et de protection individuelle indispensables dans plusieurs pays africains, notamment au Zimbabwe et au Kenya, où les grèves pour obtenir du personnel et des équipements adéquats dans ce secteur ont été nombreuses au cours des dernières années.

    En outre, des aides au revenu viables devraient être accordées aux travailleurs précaires et informels, aux chômeurs et à toutes les personnes contraintes de rester chez elles et dans le besoin, ainsi que la fourniture gratuite de nourriture, de médicaments et d’autres produits essentiels pour ceux qui sont confrontés à la faim et à la misère. Le paiement des loyers, des factures d’eau, d’électricité et de téléphone devrait être suspendu et toutes les expulsions de logements devraient être arrêtées. Les hausses de prix sur le dos des plus pauvres ne devraient pas non plus être autorisées. Dans la capitale soudanaise Khartoum, par exemple, on rapporte que le prix des masques faciaux a été multiplié par dix. Pour contrer les profits tirés de la pandémie de COVID-19, des contrôles de prix devraient être imposés sur tous les produits de première nécessité. La distribution gratuite de masques faciaux, de désinfectants pour les mains et de savon devrait être exigée dans tous les espaces publics, les lieux de travail et les communautés.

    Les hôpitaux privés et autres établissements de soins de santé, ainsi que ceux qui appartiennent aux hauts responsables de l’armée et de l’État, devraient être placés sous la propriété publique et le contrôle démocratique des représentants élus des travailleurs, et la gratuité des soins de santé devrait être garantie pour tous – y compris pour les réfugiés, les demandeurs d’asile, les personnes déplacées et les sans-abri. Des plans ambitieux d’investissement public dans les infrastructures médicales, y compris la construction de cliniques locales et de centres de dépistage dans toutes les régions qui en ont besoin, devraient être immédiatement lancés. Les unités d’usines concernées devraient être réquisitionnées et leurs outils convertis pour produire des kits de test, des équipements médicaux et des équipements de protection. Les compagnies privées d’eau et d’électricité devraient être nationalisées et l’eau propre devrait être fournie gratuitement à tous les ménages. Des programmes de logement à grande échelle devraient être mis en place pour répondre aux besoins de logement énormes et désastreux, et pour éliminer le surpeuplement – un facteur important pour augmenter la probabilité d’infection.

    L’auto-organisation démocratique

    En réalité, la lutte contre la catastrophe imminente de COVID-19 exige un plan d’action d’urgence coordonné au niveau international que les élites capitalistes africaines et leurs homologues occidentaux sont totalement incapables et peu disposés à mettre en œuvre. Malheureusement, dans de nombreux cas, les dirigeants des syndicats sont loin de ce que les travailleurs sont en droit d’attendre dans une crise d’une telle ampleur historique. Tout en faisant pression pour que les syndicats, les organisations d’étudiants, les organisations sociales et communautaires fassent campagne pour une lutte commune contre la crise, il sera souvent laissé aux travailleurs et aux jeunes d’engager la lutte pour obtenir ce dont ils ont besoin. À cet effet, des comités démocratiques pourraient être mis en place au niveau des quartiers et du lieu de travail pour s’organiser et lutter pour le type de revendications décrites ci-dessus – car elles ne tomberont tout simplement pas du ciel.

    En Algérie et au Soudan, pays qui ont été secoués par des luttes révolutionnaires de masse depuis l’année dernière, des mesures ont été prises dans ce sens : certains comités populaires et de résistance ont recalibré leur intervention pour lutter contre la pandémie COVID-19, la crise économique et ses conséquences. Au Soudan, les comités de résistance locaux, qui sont apparus l’année dernière comme les principaux moteurs du mouvement révolutionnaire, interviennent pour tenter de combler le vide laissé par les inepties de l’État capitaliste : campagnes de sensibilisation du public au virus, assainissement des marchés, des boulangeries, des mosquées, des cafés… Des exemples similaires ont été observés en Algérie, où des comités ont été formés dans certains quartiers ouvriers pour organiser l’approvisionnement alimentaire des pauvres, centraliser et distribuer des masques de protection, etc. S’ils sont coordonnés et si leurs prérogatives sont étendues, ces comités peuvent devenir un pilier central d’une future résistance de masse contre les dirigeants capitalistes corrompus, les patrons et les propriétaires, qui feront inévitablement payer à la majorité de la population le maintien de leur système pourri et en crise.

    En travaillant main dans la main avec les travailleurs de la santé et les professionnels de la santé, ces comités peuvent également mener des campagnes pour éduquer les gens sur le COVID-19, et repousser la désinformation généralisée, les mythes et les théories du complot sur la pandémie, comme cette idée qui ne repose sur rien selon laquelle les personnes à la peau foncée ne meurent pas du virus, que le virus ne survit pas par temps chaud, que les kits de test propagent l’infection, et autres “fake news”. La colère qui couve contre l’impérialisme occidental et les dirigeants locaux à travers l’Afrique a ouvert la voie à ces théories, se nourrissant de la méfiance établie de longue date à l’égard des autorités au pouvoir et du récit “officiel”. En Côte d’Ivoire, un centre de dépistage de COVID-19 récemment construit dans la capitale Abidjan a même été saccagé le 6 avril par les habitants locaux, paniqués à l’idée que la maladie puisse être introduite dans leurs communautés.

    Dans certains cas, les gouvernements africains eux-mêmes ont encouragé pénalement des mensonges similaires, notamment en utilisant l’obscurantisme religieux pour compenser leurs propres échecs politiques. Une déclaration du gouvernement du Burundi a déclaré que le pays “est une exception car c’est un pays qui a fait passer Dieu en premier”. Le président de la Tanzanie, John Magufuli, a encouragé les gens à s’entasser dans les églises, car “le coronavirus ne peut pas survivre dans une église”. Selon le ministre de la défense du Zimbabwe, son pays avait été exempt du virus car la maladie était une punition divine contre l’Occident pour avoir imposé des sanctions à son gouvernement…

    Ces idées régressives sont propagées par des couches des classes dominantes africaines pour manipuler les craintes des populations désespérées par la misère et la barbarie déclenchées par la société capitaliste. Cependant, la pandémie COVID-19 livre un nouveau réquisitoire contre cette société.

    Elle pose de manière plus aiguë que jamais aux masses de tout le continent l’urgence de lutter pour “mettre le capitalisme en quarantaine”, comme le dit le Workers and Socialist Party (section d’Alternative Socialiste Internationale en Afrique du Sud) et pour une refonte radicale de la manière dont la société humaine est gérée. Alors que cette maladie va précipiter des pays entiers dans des niveaux de misère, de maladie, de violence et de mort indicibles, elle réaffirmera également aux yeux de millions de personnes la nécessité critique de s’organiser et de lutter pour une société socialiste : une société où les ressources naturelles, humaines et technologiques du monde seraient détenues par l’État et planifiées démocratiquement pour satisfaire les besoins de la grande majorité des habitants de la planète.

  • #Woman’s Live Matter. Lutter contre les violences intrafamiliales est plus urgent que jamais !

    Si quitter un partenaire violent est difficile pour de nombreuses raisons en temps normal, la quarantaine et le manque de matériel de protection rendent la chose encore plus compliquée. La coexistence continue avec son agresseur provoque des situations de plus en plus insoutenables pour la ou les victimes.

    Article de la Campagne ROSA

    Les 24 et 25 novembre 2019, à l’occasion de la Journée Internationale contre les violences faites aux femmes (25/11), des centaines de milliers de personnes descendaient dans les rues à travers le monde pour dénoncer ces violences et exiger des pouvoirs publics des politiques pro-actives et des financements pour lutter contre ce fléau. Selon l’OMS, les violences envers les femmes sont “un problème mondial de santé publique d’ampleur épidémique” . Selon l’ONU, c’est “une femme sur trois qui subit des violences physiques et/ou sexuelles à un moment donné de sa vie” . Et nous le savons bien, une bonne partie de ces violences ont lieu au sein du cercle familial. Le confinement appliqué dans de nombreux pays à cause de la pandémie de Covid-19 est donc vécu comme un enfer par les nombreuses victimes de violences intra-familiales.

    En Belgique aussi, les violences domestiques sont une réalité bien connue. Chaque année, ce sont plus de 45.000 plaintes qui sont enregistrées par les parquets . Et nous savons que cela ne représente qu’une partie des faits commis. Si quitter un partenaire violent est difficile pour de nombreuses raisons en temps normal, la quarantaine et le manque de matériel de protection rendent la chose encore plus compliquée. La coexistence continue avec son agresseur provoque des situations de plus en plus insoutenables pour la ou les victime(s). L’angoisse de la maladie, la perte de revenu, l’enfermement dans des lieux de vie trop exigus , la combinaison difficile entre télétravailler et s’occuper à plein temps des enfants, … sont autant de sources de conflits qui peuvent rapidement dégénérer en violences psychologiques et physiques. L’isolement physique et social empêche certaines victimes de pouvoir demander de l’aide et complique le travail des services d’accompagnement des victimes.

    Aujourd’hui, la pandémie et les mesures de confinement font que de nombreuses femmes sont prises au piège dans leur maison avec leur agresseur sans échappatoire. Les appels à « rester chez soi », suivis à la lettre par de nombreuses personnes, poussent de nombreuses victimes à ne pas oser appeler à l’aide tant que leur agresseur séjourne avec elles. Certaines supposent que l’aide n’est pas disponible durant cette période de crise. Il est vrai que la disponibilité des services d’aide s’avère insuffisante en raison d’un manque de ressources et d’un sous-financement déjà constaté bien avant cette période spéciale.

    Pourtant, les lignes d’assistance téléphonique en cas de violence domestique, comme la ligne 1217 en Flandre, ont enregistré une augmentation de 70 % des appels depuis le début de la crise. Et du côté francophone, le 0800/30.030 (Écoute violences conjugales) a vu le nombre d’appels reçus doublé. Ce ne sont pas encore des données absolues, mais elles montrent la gravité de la situation.

    A cela s’ajoute des difficultés supplémentaires pour trouver des lieux afin de pouvoir s’échapper de ces situations de violences. Certaines victimes pensent même qu’elles n’ont pas le droit de partir au vu des règles de confinement. Les lieux d’accueil pour les victimes sont eux aussi soumis aux règles du confinement. Le manque de places – qui étaient déjà très présent avant le confinement – se fait encore plus sentir. De plus, le manque de matériel de protection ajoute un stress et une difficulté complémentaire à cette prise en charge.

    Face à cette situation, une conférence interministérielle “Droits des femmes” avec 12 ministres a eu lieu (Région bruxelloise : Nawal Ben Hamou – Fédéral : Sophie Wilmès, Koen Geens, Maggie De Block et Nathalie Muylle – Wallonie : Christie Morreale – Fédération Wallonie-Bruxelles : Pierre-Yves Jeholet et Bénédicte Linard – Communauté germanophone : Antonios Antoniadis – Flandre : Bart Somers, Zuhal Demir et Wouter Beke) (5). Mais qu’attendre de politiciens qui ont pendant des années mené des politiques d’austérité ayant renforcé la position de “citoyens de seconde zone” des femmes et détricoté les services publics – aujourd’hui essentiels dans la gestion de cette crise ?

    Aujourd’hui, la recherche urgente de lieux d’accueil montre surtout les manques criants déjà signalés auparavant. La mise à disposition de chambres d’hôtel pour les victimes était nécessaire mais insuffisante. L’initiative du service d’assistance aux victimes de la police de Bruxelles-Nord (Schaerbeek, Evere et Sait-Josse-ten_Noode) de prendre contact au début du confinement avec les personnes qui ont déposé plainte au commissariat ces trois derniers mois pour des violences intrafamiliales est, elle, à saluer. Mais force est de constater que les manques structurels – effectifs insuffisants, manque de formation des acteurs de la justice et de la police, … – ne permettent pas d’élargir ce type d’initiatives et de maintenir l’attention nécessaire sur la protection des victimes de violences.

    Ce sont évidemment des mesures tout à fait nécessaires mais pas suffisantes au vu des drames qui ont lieu. Trouver un nombre suffisant de refuges est une tâche compliquée pour de nombreux services sociaux. Il est certain que trouver en urgence autant de places s’avère compliqué surtout quand les gouvernements successifs n’ont cessé, pendant des années, de couper dans les subsides et financements de nombreux services du secteur social. Des décennies de néolibéralisme et des années d’austérité ont décimé des services publics vitaux et aujourd’hui ce sont les personnes les plus fragilisées dans la société qui en paient l’addition.

    Les gouvernements actuels essaient de nous faire croire qu’il y a 2 réalités différentes : celle de la gestion de la crise actuelle et celle de décennies d’austérité qu’ils ont menée. Quelle hypocrisie! Les autorités ont réduit les budgets de la police locale, de la justice, des services de prévention, des centres d’accueil, du secteur social, … Résultats : manque de personnel formé à la gestion des agressions sexistes, de centres d’accueil, … Leurs priorités n’ont jamais été celles d’assurer une vie décente pour toutes et tous et encore moins la sécurité des nombreuses victimes des violences intrafamiliales. Et en ce qui concerne la lutte contre le sexisme, l’émancipation des femmes n’est pas possible sur base d’un cimetière social !

    Certaines mesures urgentes sont effectivement nécessaires

    Elles demandent des investissements immédiats ainsi qu’une écoute et une prise en compte des revendications du personnel des institutions du secteur social.

    • Les services d’accompagnement des victimes doivent pouvoir être renforcés en matériel de protection et en personnel. Pour cela, des budgets publics immédiats doivent y être alloués. Nous ne pouvons pas uniquement nous baser sur le bénévolat et les appels aux dons. Celles et ceux qui travaillent devraient avoir librement accès aux mesures de protection telles que les masques de protection.
    • Une présence par un contact et/ou une visite régulière pour les personnes, victimes connues de violences domestiques permet d’augmenter la pression sociale sur l’agresseur. Mais cela demande des effectifs ainsi que du matériel de protection en suffisance pour la police de proximité et les services sociaux spécialisés.
    • Les lieux d’accueil pour les victimes sont saturés alors que de nombreux lieux d’habitation sont vides. Il faut réquisitionner les locaux nécessaires qui permettraient aux victimes de quitter leur domicile et de vivre dans des conditions de sécurité.
    • La crise du COVID19 a démontré que les médias – panneaux d’affichage, radio, télé, … – peuvent être utilisés pour propager des informations utiles et positives (campagne publicitaire : “Stay safe”, “Solidarités”, …) à la place des publicités souvent sexistes qui envahissent habituellement nos rues. Utilisons une partie de ces espaces publics pour diffuser des campagnes de prévention et d’information afin de sensibiliser la population aux dangers des violences intra familiales – également durant le confinement et de diffuser les numéros des centres d’aide [0800/30.030 (francophone), 1712 (néerlandophone)]. Des codes tels que “masque 19” en France permettrait au victimes d’obtenir de l’aide via les quelques contacts sociaux qui sont maintenus (pharmacies, magasins, police, …).

    Mais également, assurer une indépendance financière de chacun/chacune.

    • Toute personne contrainte à ne pas travailler, en quarantaine ou malade, doit être protégée financièrement. La maladie elle-même est déjà assez grave ! Ceux qui ne peuvent pas travailler en raison de la crise du coronavirus doivent être entièrement indemnisés.
    • L’augmentation de l’allocation de chômage temporaire de 65 % à 70 % du salaire est une bonne chose, mais c’est insuffisant. Le salaire complet doit être versé ou remplacé par une allocation qui correspond à 100 % du salaire.
    • Lorsque les écoles ferment, les parents doivent avoir la possibilité de s’occuper de leurs enfants à la maison, à moins qu’ils ne travaillent dans des secteurs essentiels. Cela devrait être possible tout en conservant la totalité du salaire.

    Mais il faut également prendre en charge à plus long terme la lutte contre ces violences

    Ne pas laisser tomber les victimes dès la fin de la crise sanitaire. Pour lutter contre ce sexisme et ces violences omniprésentes, il faut stopper l’austérité mais pas seulement … il faut également réinvestir dans des services publics de qualité avec suffisamment de personnel. Wouter Beke a annoncé des subventions supplémentaires à la ligne d’écoute 1712 au vu de l’augmentation impressionnante du nombre d’appels, mais cela ne suffit pas. Des investissements structurels publics sont nécessaires. Nous devons également stopper la logique de marchandisation de certains services sociaux qui a été privilégiée les dernières années. Soutenir et financer des services tels que le CAW (Centrum voor Algemeen Welzijnswerk) en Flandre, des services sociaux actifs en rue, les PMS (centre psycho-médico-sociaux) dans les écoles, … plutôt que les démanteler. Soutenir la mise en place et le financement public d’initiatives visant à sortir les victimes de leur isolement social, tels que des centres communautaires qui offrent également des services de garde d’enfants, préparent des repas et fournissent si nécessaire un soutien physique, psychologique, matériel et juridique à la population. Ces initiatives doivent être rendues suffisamment visibles dans le voisinage.

    Luttons pour des investissements publics dans la prise en charge des victimes !

    • Pour un refinancement public du secteur social afin d’offrir un accompagnement correct aux victimes de violences et de discriminations mais également pour faire un réel travail de prévention et de conscientisation.
    • Pour des investissements publics permettant la création de refuges pour les personnes qui en ont besoin, comme les femmes et leurs familles ou encore les personnes LGBTQI+ (victimes de violences).
    • Pour la formation des travailleurs de terrain (police locale, éducateurs, accompagnateurs de bus et trains, personnel médical, …) à la prévention et à la gestion des agressions et du sexisme quotidien.

    Luttons pour une réelle politique publique de prévention !

    • Pour un refinancement public de l’enseignement, afin notamment d’assurer que l’éducation sexuelle et affective des jeunes ne se fasse pas principalement par internet et le porno.
    • Stop à l’utilisation de nos corps comme des objets pour augmenter les profits des entreprises.
    • Stop à la banalisation des violences faites aux femmes dans les médias (pubs, porno, séries, …).
    • Pour l’utilisation des espaces publicitaires à des fins sociales (prévention, culture, …) et non commerciales.
    • Pour plus de transports en commun avec plus de personnel d’accompagnement.

    Lutte contre les violences sexistes = lutte pour l’indépendance économique des femmes

    Aujourd’hui, politiciens et patronat acclament les héros que sont les travailleurs et travailleuses de premières ligne. Les femmes y sont en très grand nombre. Les secteurs de la santé, du nettoyage, de la distribution, de l’accueil, de l’accompagnement des personnes fragilisées sont des secteurs avec un personnel majoritairement féminin, souvent peu valorisé dans la société et certainement pas suffisamment rémunéré. Pourtant, ce sont les mêmes classes dirigeantes qui ont pendant des années démantelé les services publics, méprisé le personnel soignant qui tirait la sonnette d’alarme, refusé les augmentations salariales dans de nombreux secteurs “féminins”, … Ils portent une responsabilité importante dans le maintien des oppressions que vivent la majorité des femmes.

    Dans de nombreuses situations de violences intrafamiliales, des femmes n’ont financièrement pas la possibilité de quitter leur conjoint. Et les politiques menées par les partis traditionnels – au profit d’une petite minorité dans la société – n’ont fait qu’aggraver ce phénomène. En s’attaquant à nos pensions, nos salaires, nos services de soins, … les politiciens ont poussé de nombreuses femmes dans des situations précaires les rendant plus vulnérables face aux violences. Il faut lutter contre les “violences” économiques qui facilitent les autres formes de violences !

    • Pour des emplois stables correctement rémunérés. Pour un salaire minimum de 14 €/h (2300€/mois).
    • Pour une individualisation des droits et une revalorisation des allocations sociales au-dessus du seuil de pauvreté.
    • Pour une pension minimum de 1500€/mois net.
    • Pour un salaire étudiant qui couvre l’ensemble des coûts des études. Pour un enseignement gratuit et de qualité afin notamment de stopper le développement de la prostitution pour payer ses études.
    • Pour la semaine de travail de 30h sans perte de salaire et avec embauches compensatoires pour pouvoir combiner travail, vie de famille et loisirs.
    • Pour un plan urgent de construction de logements sociaux et de crèches publiques.
    • Solidarité avec les femmes sans-papiers. Pour une régularisation de toutes et tous.

    Il n’y a pas de capitalisme sans sexisme et sans violence

    Les violences envers les femmes – et le sexisme plus globalement – ne peuvent être présentées comme une réalité uniquement liée à la quarantaine et à la crise du COVID-19. C’est un élément structurel lié au fonctionnement du système. La position de « citoyen de seconde zone » des femmes, l’inégalité salariale, l’objectification systématique du corps des femmes, l’omniprésence de la pornographie violente, le manque d’éducation sexuelle à l’école, le démantèlement des services publics, la précarité et la pauvreté, … maintiennent et développent un sexisme ambiant et un contexte favorable à ces violences qui sont la réalité quotidienne de nombreuses femmes. Il ne s’agit pas de trouver des excuses pour les auteurs de ces violences, il s’agit de déterminer ce qui maintient – et à qui profite – cette violence généralisée afin de combattre non pas seulement les conséquences de ce sexisme structurel mais aussi ses causes.

    L’hypersexualisation et l’objectification du corps des femmes – pour les profits de quelques-uns – participent grandement à diffuser une image dégradante des femmes comme des objets. Le sexisme permet aux classes dirigeantes d’augmenter leurs profits avec une main-d’œuvre “bon marché” (le salaire des femmes étant en Belgique, en moyenne annuelle 25% plus bas que celui des hommes), en utilisant massivement le corps de la femme dans la publicité, à travers le secteur de la pornographie, la prostitution, … et enfin en laissant entre les mains des femmes de nombreuses tâches (éducation des enfants, soins aux personnes âgées,…), ces dernières fournissant dès lors travail gratuit. La violence qui en découle n’est qu’un « petit prix à payer » de leur point de vue.

    D’une part, le capitalisme produit ouvertement de la violence à travers ses nombreux canaux de diffusion : la culture du viol présente dans tous les médias, l’objectification et la marchandisation du corps des femmes visibles partout et la prononciation quasi quotidienne de discours politiques sexistes. D’autre part, ce système maintient les femmes dans une position inférieure par la précarisation de l’emploi, l’écart salarial, le harcèlement au travail, la dévalorisation des secteurs dits ‘‘féminins’’, la difficulté de combiner travail et vie de famille, la destruction des services publics et la surcharge de travail domestique que cela occasionne… Ce scénario d’inégalité et de misère sociale permet à ce système de s’enrichir. La classe dirigeante n’a donc aucun intérêt à ce que les individus soient égaux. Surtout que cela lui permet également d’utiliser la technique du « diviser pour mieux régner » en opposant des groupes dans la majorité de la population – tels que les hommes face aux femmes, les différentes religions, origines, orientations sexuelles, … – afin d’affaiblir leur capacité à s’unir dans les luttes.

    L’émancipation réelle des 99% de la population – femmes et hommes – et la lutte contre les violences sexistes sont étroitement liées à celle contre ce système qui n’offre que des pénuries grandissantes et qui permet aux 1% les plus riches d’accaparer presque toutes les richesses. La lutte contre le sexisme n’est pas la lutte des hommes contre les femmes, c’est celle contre une société qui maintient les bases sociales pour l’oppression et les discriminations. Une lutte de tous les opprimés contre une classe dirigeante minoritaire qui opprime et exploite pour son seul intérêt. La Campagne ROSA défend la nécessité de lier la lutte contre le sexisme à celle contre les politiques d’austérité, et plus généralement à la lutte contre le capitalisme. Les femmes, la jeunesse et toute la classe ouvrière ont intérêt à mener ensemble la lutte contre le système capitaliste.

    Un contrôle démocratique des secteurs clés de l’économie ne nécessiterait plus d’utiliser le corps des femmes comme objets, puisque le but ne serait plus de maximiser les profits, mais de répondre aux besoins de la population. Une indépendance financière et des services publics accessibles et de qualité, de réels choix de vie pour les femmes deviendraient ainsi possibles. C’est uniquement sur base des besoins de la majorité que nous pouvons construire une société fondée sur l’égalité et la solidarité, au sein de laquelle aucun être humain ne puisse en opprimer et en exploiter un autre : une société socialiste.

    Appel aux dons – Assurons-nous que ROSA puisse jouer un rôle moteur pour l’action !

    La campagne ROSA ne reçoit pas de subsides et n’a pas de riches bailleurs de fonds. Nous ne dépendons pas des pouvoirs publics dont nous dénonçons les politiques antisociales. Nous tenons à dépendre financièrement de celles et ceux qui soutiennent notre combat contre le sexisme et l’austérité.

    Aide-nous à construire la campagne ROSA et à assurer que nous puissions poursuivre nos activités de la manière la plus efficace qui soit ! Fais un don, petit ou grand, et pourquoi pas aussi sur base mensuelle avec un ordre permanent bancaire. Si vous nous connaissez, vous savez que notre travail repose beaucoup sur nos activités en rue, en action et manifestations, ce qui n’est bien sûr pas faisable actuellement. Un don nous assurerait une base financière sur laquelle nous pourrons compter pour organiser les futures activités de la campagne ROSA.

  • [INTERVIEW] SNCB “L’épidémie de Coronavirus est surtout révélatrice de l’importance du combat syndical”

    Nous avons discuté avec un cheminot de la manière dont la crise du Coronavirus a été gérée à la SNCB, de la pression des travailleurs qu’il a fallu instaurer pour les premières mesures de sécurité sanitaire et des perspectives immédiates pour le rail.

    Comment s’est développée la réaction à l’épidémie de Coronavirus au sein des Chemins de fer ?

    Comme dans beaucoup d’entreprises nous avons été confrontés à un manque de préparation flagrant, ce qui a entraîné énormément de retard dans la mise en place des mesures de précaution nécessaires. Les cheminots paient bien sûr le manque de prévention des gouvernements – comme la pénurie de masques –, les conséquences de la confusion dans les recommandations sanitaires et leur annonce tardive.

    Bien que ces derniers jours l’atmosphère soit plutôt à la stabilisation, il a fallu plusieurs semaines et une énorme pression « venant d’en bas » pour assurer des conditions de travail un tant soit peu sécurisées. Tout n’est pas encore réglé, loin de là. Parallèlement à ça, des différends ou des contradictions qui existaient déjà se retrouvent sous le feu des projecteurs, alors que d’autres sont apparus.

    Nous avons connaissance de cas de contamination au Covid-19 par des cheminots. Ceux-ci reçoivent évidemment beaucoup de marques de soutien. Malheureusement au moins l’un d’entre eux y a laissé la vie, et beaucoup d’autres ne sont pas tirés d’affaire. C’est pourquoi notre tâche prioritaire reste de veiller à ce que les normes sanitaires les plus strictes soient d’application, partout.

    Les trains continuent de rouler, comment est organisé le travail ?

    Le personnel administratif a été invité à utiliser massivement le télétravail. Il n’y avait pas d’autres solutions dans la crise mais cela pose de nombreux problèmes pratiques. Il est par exemple très difficile d’organiser ses tâches professionnelles tout en s’occupant de ses enfants. Ces travailleurs n’ont pas tout le matériel et l’infrastructure habituelle pour effectuer leur travail dans de bonnes conditions. Des questions se posent aussi concernant la méthode de comptabilisation de leur temps de travail et les jours de récupération.

    Une grande partie du personnel – dit « opérationnel » – continue de travailler sur le terrain pour assurer un service de train adapté (plan STIN). Il s’agit notamment des ateliers, des cabines de signalisation, des techniciens, du personnel roulant, d’une partie des guichetiers, des services de nettoyage, etc. Les conditions de travail ont été adaptées pour permettre la distanciation sociale et une meilleure hygiène. Ces adaptations ont parfois été faites par la concertation, parfois dans le conflit. L’organisation traditionnelle du travail n’était évidemment pas du tout adaptée à une situation de crise épidémique. Mais certains facteurs ont aggravé les tensions, comme la volonté de la direction de la SNCB de vouloir maintenir un maximum d’agents sur leurs lieux de travail quitte à mettre leur santé en péril.

    Les travailleurs et les bases syndicales ont dû mettre une énorme pression pour réclamer les mesures nécessaires. Il y a eu quelques arrêts de travail, notamment à l’atelier de traction de Schaerbeek à la mi-mars. Les collègues devaient intervenir sur des rames sans avoir la moindre garantie qu’elles étaient nettoyées et sans matériel de protection. La température était bouillante sur ces lieux de travail qui ont souvent été par le passé des points de départ de mouvements spontanés massifs, comme en 2016. La direction a eu peur, à très juste titre, que survienne un mouvement généralisé. Mais le plus gros de la contestation s’est finalement orienté vers des méthodes individuelles : le taux de maladie a dans un premier temps explosé, car les agents refusaient de travailler en risquant leur vie ou n’avaient par exemple aucune solution pour la garde de leurs enfants.

    La question du personnel faisant partie des « catégories à risque » n’est pas du tout réglée. Il n’y a pas eu de mesure généralisée pour protéger les agents les plus susceptibles d’avoir des complications en cas de contamination. Ces collègues sont renvoyés vers les médecins traitants mais leurs décisions ne sont pas toujours cohérentes. La médecine du travail se contente de suivre mollement les recommandations de Sciensano [ndlr : l’institut scientifique de santé publique] qui sont lacunaires. Cette problématique est réglée de manière individuelle et non collective, avec tous les problèmes que cela entraîne. Certains travailleurs viennent donc au boulot la peur au ventre.

    N’est-ce pas un moindre mal puisque personne n’avait prévu une telle crise ?

    L’épidémie de Coronavirus est surtout révélatrice de l’importance du combat syndical. Bien qu’elle ait surpris tout le monde de par son ampleur, le danger d’une extension de l’épidémie de l’Asie vers l’Europe avait été mis à l’ordre du jour par des délégués syndicaux dans des CPPT déjà au mois de février [ndlr : il existe 77 CPPT au sein des chemins de fer belges]. Ceux-ci ont surtout l’impression de ne pas avoir été pris assez au sérieux… Par après le travail de nombreux délégués de terrain a permis beaucoup d’adaptations nécessaires pour limiter les risques. La santé au travail est un des combats historiques des syndicats et il est de nouveau à l’avant-plan, sans doute pour longtemps.

    Comment ont réagi les syndicats, justement ?

    Lors du déclenchement de la crise, les trois « grands » syndicats ont accepté la proposition de la direction de cantonner toutes les négociations sur les mesures de crise au sein du « Comité de pilotage », un organe paritaire déjà existant mais extrêmement restreint. Cette résolution a été justifiée par l’importance de gérer les décisions de manière très centralisée, vu l’urgence dans les mesures à prendre. Cela peut aussi se justifier par la structure complexe de la concertation sociale au sein des chemins de fer belges en temps normal, avec près d’une centaine d’organes paritaires officiels. Enfin, la difficulté à organiser des réunions par visioconférence a été invoquée, bien qu’il s’agisse d’un argument bancal.

    Cette méthode a eu pour conséquence de tordre le bras à la logique de démocratie syndicale. Alors que le Comité de pilotage ne comprend que quelques dirigeants syndicaux, les délégués qui siègent dans les commissions paritaires régionales et les comités pour la prévention et la protection au travail ont tous été élus lors des élections sociales de décembre 2018. Les résultats des élections sociales ont donc été en quelque sorte suspendus. Le fait que la plupart des réunions internes aux syndicats aient été annulées n’a fait qu’aggraver les choses. L’organisation du travail syndical s’en retrouve donc aussi perturbée et dépend du bon vouloir des responsables syndicaux locaux et nationaux. Du côté des « petits » syndicats, certaines bonnes initiatives ont été prises comme la demande d’écartement du personnel à risque, mais sans succès.

    Malgré ces difficultés et grâce à une pression intense, nous avons pu obtenir des victoires pour faire respecter les mesures de précaution. Quelques exemples : des vitres ont été installées aux guichets (comme dans les supermarchés), du matériel de désinfection distribué à une grande partie du personnel, un nettoyage sérieux des locaux et des trains, une série de concessions dans l’organisation du travail, la suspension de mesures de répression des malades,… Une écrasante majorité de ces mesures n’auraient pas été instaurées sans la pression des travailleurs et de leurs syndicats.

    D’autres dossiers ne sont toujours pas conclus ou ont donné un résultat mitigé. La direction a par exemple instauré des mesures d’hyper-flexibilité dans à peu près tous les services en argumentant que c’était nécessaire pour pouvoir gérer les variations importantes des taux d’absentéisme. Et elle profite de la baisse de la charge de travail dans certains services pour apurer de force les jours de récupération qu’elle doit au personnel, une dette historique créée par un sous-effectif structurel. Sans réponse de notre part, elle va utiliser cyniquement cette situation. Nous devrions peut-être exiger une baisse collective du temps de travail avec maintien des salaires, organisée par le personnel lui-même. La direction n’a pas hésité à avancer son propre programme pour défendre ses intérêts, en mettant ainsi des vies en danger. Mais cela a permis aussi de sensibiliser les collègues sur la nécessité de construire le nôtre.

    « Never waste a good crisis », comme disait Churchill ?

    Exactement. Une série de mesures exceptionnelles qui s’imposent aujourd’hui pour raison sanitaire ont historiquement été combattues par les syndicats. Le télétravail par exemple, n’a jamais été vu d’un bon œil. Le maintien des guichets dans les petites gares est une revendication principale des organisations syndicales. Mais avec les risques de contamination, nous avons dû nous adapter. Le personnel et ses représentants syndicaux ont demandé la fermeture des guichets, avec plus ou moins de succès. La SNCB a fait afficher partout des messages incitants les voyageurs à utiliser uniquement les automates ou le site web. Une diminution de la fréquentation dans les guichets « physiques » pourrait servir d’argument à la direction pour diminuer les effectifs plus tard.

    Ce sont des débats qui compliquent la situation. La direction pourrait aussi « jouer la montre » pour faire perdurer autant que possible certaines mesures de flexibilité lorsqu’elles deviendront obsolètes. C’est pourquoi il est crucial de construire un rapport de force en faveur du personnel, pour pouvoir peser dans la suite de la crise et dans l’après. Surtout que de nouvelles négociations sur un protocole d’accord social doivent reprendre d’ici septembre.

    Mais si nous sommes conscients de ces dangers, nous sommes déjà plus forts. D’autant que l’importance des services publics n’avait plus été mise en avant de telle manière depuis longtemps. Quels que soient les risques, on nous demande de continuer à travailler… Beaucoup de cheminots sont d’accord de travailler pour autant qu’ils soient correctement protégés et que cela soit pour assurer les trajets essentiels ! Il y a aussi beaucoup de débats autour de ces trajets. Il faut souligner que nous vivons un « confinement hypocrite », des entreprises qui ne produisent rien d’essentiel continuent pourtant à tourner pour faire du profit. Et les dégâts du virus capitaliste rendent difficile l’application du confinement : allez expliquer à un SDF de rester chez lui et de ne pas se déplacer…

    Quelles sont les perspectives pour les prochaines semaines ?

    Nous avons obtenu des victoires syndicales, mais elles sont fort variables en fonction des lieux de travail car elles dépendent pour beaucoup du rapport de force local. Peut-être qu’il aurait été plus judicieux d’utiliser le haut niveau de combativité qui existait sur certains lieux de travail pour obtenir un maximum de concessions pour l’ensemble des cheminots, plutôt que de laisser s’installer des inégalités. Nous allons donc devoir, petit à petit, faire un bilan pour que toutes ces expériences soient assimilées et mises à profit pour être plus forts lors des prochaines situations de ce genre.

    On se dirige vers un « déconfinement progressif » en Belgique. Il est donc probable qu’à moyen terme une série d’activités reprennent progressivement mais que les rassemblements restent interdits. Nous avons besoin d’un plan pour répondre aux questions que cette nouvelle phase va poser. Cela concerne des questions très pratico-pratiques, comme la problématique du port du masque pour le personnel en première ligne. Mais aussi des sujets plus conflictuels : nous ne pouvons plus accepter, par exemple, que les CPPT et les organes paritaires soient suspendus.

    Nous devons aussi travailler sur les dossiers toujours en cours : exiger une solution pour le personnel à risque, ne pas baisser la garde concernant les mesures de précaution, le respect de la réglementation sur les jours de récupération, etc.

    Ces événements illustrent aussi l’importance de la défense du statut cheminot. Ce statut nous a servi de bouclier pendant la crise ; nous voyons les ravages qu’elle fait chez les travailleurs du secteur privé. La part de contractuels aux chemins de fer a sensiblement augmenté ces dernières années mais le rapport de force a été à priori suffisant pour les protéger. Défendre ce bouclier, exiger la statutarisation du personnel contractuel, revendiquer la réintégration des services qui ont été externalisés, tous ces sujets devront être mis à l’agenda. Une partie des tâches de nettoyage des trains est sous-traitée depuis des années par exemple, c’est l’un des facteurs qui a été à l’origine du chaos que nous avons connu fin mars, car une société privée a lâché la SNCB au pire moment.

    Enfin, nous réclamerons un véritable plan d’action contre la libéralisation du chemin de fer. C’est assez ironique, des politiciens et des dirigeants d’entreprises qui hier encore vantaient la loi du marché privé abondent aujourd’hui en faveur de l’importance du service public. Nous n’avons aucune illusion envers ces gens, ce sont les mêmes qui défendent le projet de libéralisation du rail. Au Royaume-Uni, la crise a entraîné la quasi-faillite de sociétés ferroviaires privées qui doivent aujourd’hui être reprises en main par l’Etat. En Belgique, le gouvernement a sollicité la SNCB pour mettre en place un service des trains considéré comme « d’utilité publique » mais qui est financièrement « à perte » ; cela n’aurait pas été possible en suivant la logique du profit. Ce ne sont pas des choses que nous oublierons lorsque la crise sera passée.

    Les dégâts des politiques néolibérales sont catastrophiques, elles détruisent les infrastructures essentielles dont la population a besoin. Cela n’a jamais été autant visible qu’aujourd’hui dans le secteur de la santé. Les syndicats devraient organiser en front commun une grande campagne pour la défense du service public. En ce qui concerne le rail nous avons besoin d’un transport public accessible, efficace et lui aussi refinancé. Il est encore temps de bloquer ce projet de libéralisation !

  • Leçons des années ’30 pour les luttes des travailleurs


    “Le choc du COVID-19 sur l’économie mondiale a été à la fois plus rapide et plus grave que… même la Grande Dépression” Ce commentaire de l’économiste Nouriel Roubini du 24 mars indique la possibilité croissante que les événements mondiaux nous fassent entrer dans une période entièrement nouvelle. L’une des manières de s’y préparer est d’étudier les années ’30 pour en tirer les leçons.

    Par Per-Åke Westerlund, Rättvisepartiet Socialisterna (section suédoise d’Alternative Socialiste Internationale)

    Les années 1930 constituent une décennie où le sort du système capitaliste était en jeu. Avec une internationale socialiste révolutionnaire forte et des partis de masse, la colère et la volonté de lutter auraient pu mettre fin à ce système. L’un des meilleurs romans de cette décennie, Les raisins de la colère de John Steinbeck, illustre les difficultés d’une famille pendant la Dépression, en route vers une société meilleure.

    Les années 1920 et les bulles spéculatives

    La période précédant la Grande Dépression présente de nombreuses similitudes avec celle ayant précédé la crise de 2008-09, des caractéristiques qui se sont répétées à une échelle encore plus grande dans la décennie suivante. Les années 1920 ont posé les bases de la dépression déclenchée par le crash de Wall Street en octobre-novembre 1929. Cependant, en étudiant ces processus, il est important de comprendre que la raison fondamentale de ces crises est le système capitaliste lui-même.

    L’une des principales contradictions du système est la recherche de marchés et la production mondiale, alors que la classe capitaliste, la bourgeoisie, est nationaliste. La classe capitaliste dépend de l’État national et de ses forces pour être compétitive au niveau international et pour régner sur les travailleurs et les opprimés dans son propre pays.

    La fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle ont été marqués par un processus simultané de mondialisation et de renforcement des États nationaux. De même, la mondialisation rapide des années 1990 et du début des années 2000 s’est accompagnée d’une augmentation continue des dépenses militaires, bien que celle-ci ait été un peu plus lente immédiatement après l’effondrement du stalinisme.

    La mondialisation capitaliste n’est pas un processus harmonieux, elle donne naissance à de nouvelles contradictions plus aiguës. La mondialisation d’il y a un siècle s’est terminée par la première guerre mondiale, le conflit le plus sanglant que le monde ait connu à l’époque. Les révolutions russe et allemande ont mis fin à la guerre, mais il restait de vifs conflits inter-impérialistes. L’Internationale communiste fondée en 1919 prédisait qu’une nouvelle guerre impérialiste aurait lieu si la classe ouvrière ne prenait pas le pouvoir.

    L’impérialisme américain est sorti de la guerre économiquement renforcé, contrairement à toutes les autres puissances impérialistes. Au cours des années 1920, 60 % des flux de capitaux mondiaux provenaient des États-Unis. Leur économie était considérée comme un modèle, Wall Street étant le centre financier mondial et les grands monopoles y étaient dominants. La propagande capitaliste disait que chaque ménage aurait bientôt une voiture. Herbert Hoover a remporté une victoire écrasante aux élections présidentielles de 1928 en prédisant la “victoire finale sur la pauvreté”.

    En Europe, les classes capitalistes craignent les révolutions qui ont secoué la plupart des pays après la guerre. Puis a suivi un fort ralentissement économique, qui a alourdi le fardeau de la dette déjà élevé à cause de la guerre. La façon de mettre en œuvre l’austérité que les capitalistes souhaitaient était de passer par des accords internationaux, prédécesseurs de l’Union européenne. Une conférence monétaire internationale tenue à Gênes en 1922 a préconisé la convertibilité de l’or, la discipline budgétaire et l’indépendance des banques centrales. En outre, à commencer par la Grande-Bretagne, de nombreux pays sont revenus à l’étalon-or comme moyen d’imposer l’austérité, les dévaluations et les stimuli financiers étant devenus impossibles.

    La propagande disait que les marchés feraient la paix. Les marchés financiers volatils étaient censés être contrôlés par la Banque des règlements internationaux, créée en 1928.

    Comme au cours des dernières décennies, les inégalités ont fortement augmenté dans les années 1920. Aux États-Unis, les salaires ont augmenté de 1,4 % par an tandis que les revenus des actionnaires augmentaient de 16,4 % par an. Un moyen de maintenir la consommation était d’introduire le paiement à tempérament, ce qui augmentait l’endettement des ménages. Les 200 plus grandes entreprises possédaient 69 % de la richesse et 56 % des bénéfices

    1929 : la bulle éclate

    Le crédit et les prêts étrangers ont explosé dans les années ayant précédé 1929. De nouveaux instruments financiers ont été inventés. Des banques d’investissement furent fondées pour la première fois. Les entreprises manufacturières devenaient des spéculateurs financiers. Les grandes banques américaines se sont impliquées dans les affaires financières mondiales.

    Les politiciens et les capitalistes s’inquiétaient des bulles spéculatives, sans oser agir de peur de déclencher une crise. Encore une fois, comme l’ont fait les gouvernements à travers le monde dans les années 2000. Les sociétés défendaient la valeur élevée de leurs actions en faisant référence à la connaissance et à la bonne volonté. Une société détenue par Goldman Sachs, GS Trading, a plus que doublé sa valeur boursière entre ses débuts en décembre 1928 et février 1929. Au cours de l’été 1929, la valeur des actions aux États-Unis a augmenté de 25 %.

    Quelle était la taille du “marché” ? Aujourd’hui, les médias capitalistes considèrent le marché comme une sorte de phénomène naturel, qui doit être bien traité. En 1929, 600.000 des 120 millions d’habitants des États-Unis possédaient des actions. C’était moins d’un pour cent, bien que les négociants vraiment importants étaient bien sûr beaucoup moins nombreux.

    La crise est survenue plus tôt en Europe, et déjà en 1927 en Allemagne. Les puissances auxquelles l’Allemagne payait ses dettes de guerre – les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne – ont refusé de revoir leurs exigences à la baisse, ce qui a aggravé la crise.

    Le crash ne fut pas un événement isolé, mais un processus qui a fait suite au Jeudi noir du 24 octobre 1929. La Réserve fédérale, les grandes banques de Wall Street et le gouvernement ont fait tout ce qu’ils ont pu, en utilisant toutes les mesures possibles à leur disposition. À plusieurs reprises, la crise a été déclarée terminée, par exemple par le président Hoover le 1er mai 1930. Cependant, un nouvel effondrement majeur de Wall Street a eu lieu en novembre 1930 et a déclenché une spirale descendante de trois ans.

    La crise s’éparpille

    La Grande Dépression fut une réaction en chaîne. Le crash boursier a déclenché une spirale déflationniste, qui s’est étendue à la production, aux matières premières et au commerce mondial. Les importations américaines ont diminué de 20 % entre septembre et décembre 1929.

    La déflation signifie un fardeau accru pour tous ceux qui sont endettés, avec un gel plus ou moins important des nouveaux prêts. La production industrielle a connu une baisse record. Ford a licencié les trois quarts de ses effectifs, passant de 128.000 à 37.000 personnes, sur une période de 18 mois. Cela a eu des effets dévastateurs, mais dans la crise actuelle du coronavirus, le rythme des pertes d’emplois est beaucoup plus élevé.

    Le PIB américain a été divisé par deux entre 1929 et 1931, passant de 81 milliards de dollars à 40 milliards. Les coûts salariaux sont passés de 51 milliards en 1929 à 31 milliards en 1931. Les investissements sont tombés à un niveau proche de zéro. Même si les chiffres indiquent que les salaires ont augmenté en proportion du PIB, les conséquences sociales furent catastrophiques. Il y avait de la nourriture, mais pas d’argent pour l’acheter.

    Dans le monde entier, des États ont fait défaut, à commencer par l’Amérique latine en 1931 avec la Bolivie, suivie du Pérou, du Chili, du Brésil et de la Colombie. En Europe, la Hongrie fut la première à faire défaut, également en 1931, suivie par la Yougoslavie, la Grèce en 1932, l’Autriche et l’Allemagne après l’arrivée au pouvoir des nazis en 1933. Ces défauts de paiement souverains représentaient un soulagement pour les capitalistes nationaux puisque cela ouvrait la porte à la dévaluation et la réduction de la dette, mais pour les travailleurs et les pauvres, cela signifiait une austérité dramatique.

    Nationalisme et protectionnisme

    Dans toute crise majeure, la bourgeoisie devient de plus en plus nationaliste, ce qui aggrave encore la crise. Dans un processus parallèle, les partis bourgeois d’opposition, la social-démocratie et même certains partis de “gauche” ont tendance à soutenir “leurs” gouvernements.

    Pendant la Grande Dépression, le nationalisme et le protectionnisme ont aggravé la crise. Comme pour Trump aujourd’hui, les plus grandes économies ont ouvert la voie, puisqu’elles avaient une marge de manœuvre bien plus grande pour suivre leur propre chemin, tout en restant dépendantes du marché mondial. En 1933, le nouveau président américain Franklin D. Roosevelt, est arrivé à une conférence internationale à Londres pour déclarer que chaque pays devait se débrouiller avec sa propre économie – monnaie, dettes et déficits. Le gouvernement britannique a accepté, en déclarant que l’exposition aux marchés étrangers était leur talon d’Achille. Pour reprendre les mots de Charles Kindleberger dans son histoire de la Grande Dépression, cela signifiait que personne n’était responsable dans la pire crise mondiale.

    La désormais célèbre loi Smoot-Hawley aux États-Unis comportait 21.000 mesures douanières. Le nationalisme et le protectionnisme se sont alors rapidement répandus. “Le Canada d’abord” (canada first) était le slogan gagnant des élections du pays. La Grande-Bretagne et la France ont renforcé leurs échanges commerciaux avec leurs empires coloniaux. L’Allemagne a formé un bloc autour du Reichsmark avec la Hongrie et les pays des Balkans. Le commerce mondial est passé de 2.998 millions de dollars en janvier 1931 à 944 millions de dollars deux ans plus tard. Le chômage a augmenté pour atteindre 24 % aux États-Unis et plus de 30 % en Allemagne.

    Roosevelt

    La présidence de Roosevelt s’est vue attribuer à tort le mérite d’avoir résolu la crise. En fait, Roosevelt a adopté certaines mesures que les capitalistes n’apprécient pas pour en atténuer les effets. Il a également vivement critiqué la spéculation et les dettes de la période précédente. Cependant, il n’a jamais cherché à changer le système, mais à “sauver le système de profit privé”, comme il l’a dit à ceux qui le critiquaient.

    Cependant, il existe de nombreuses similitudes avec la situation actuelle. Les partisans de la privatisation, de la réduction du secteur public et de l’allègement des dettes ont supplié l’État de les sauver en 2008. Les entreprises ont applaudi l’intervention et le soutien de l’État, les décisions prises en faveur de la construction de ponts et de routes, etc.

    L’intérêt du capitalisme privé est devenu une priorité pour l’État dans chaque pays. Des mesures “fortes et décisives” ont été prises pour prévenir toute action des travailleurs. Roosevelt était d’ailleurs lui-même particulièrement intéressé par l’arrêt de la vague de grèves de 1934 aux Etats-Unis. Avec le New Deal de Roosevelt, le nombre de chômeurs est passé de 15 à 9 millions, la plupart des nouveaux emplois étant au salaire minimum. Aucun filet de sécurité sociale n’existait, sauf bien entendu pour les grandes entreprises.

    Au milieu de l’année 1937, la production aux États-Unis est revenue au niveau de 1929. Les luttes des travailleurs avaient fait augmenter les salaires et donc la consommation. Mais un nouveau ralentissement brutal s’est produit, le mardi noir du 19 octobre 1937. Une crise s’ensuivit, avec une chute brutale de la production et des prix des matières premières. Par exemple, le prix du coton a chuté de 35 % et celui du caoutchouc de 40 %, frappant durement les pays qui dépendaient entièrement des matières premières.

    La crise de 1937-38 a prouvé que le New Deal était loin de résoudre la crise. Les faiblesses sous-jacentes du système ont continué à déclencher de nouvelles crises. Et pourtant, seule une économie de la taille des États-Unis avait les moyens de tenter une politique telle que celle-ci. Dans la plupart des pays, la bourgeoisie a remis le pouvoir d’État aux dictatures et même au fascisme, afin d’empêcher la révolution.

    Ce qui semblait être un gain dans un seul pays était toujours une perte pour le système mondial. Il n’y avait pas de “puissance mondiale” ou de coopération, pas de “prêteur de dernier recours”, comme l’expliquent Kindleberger et d’autres. Ce n’est qu’avec l’armement et la Seconde Guerre mondiale que la production a repris.

    La lutte des classes et la revolution

    Les années 20 et 30 furent une période de révolution et de contre-révolution, une ère de rebondissements extrêmes. Personne n’a analysé cette période de manière plus pointue que Léon Trotsky, un révolutionnaire russe qui a dirigé la révolution russe et avait été déporté par la dictature stalinienne. Trotsky a émis toute une série de conseils concrets au mouvement ouvrier et à ses partis.

    Dans la lignée de Marx, Trotsky a expliqué que la cause fondamentale de la crise était l’incapacité du système à développer les forces productives, et la collision entre les forces productives et l’État-nation. De plus, la seule façon d’avancer était de résoudre la lutte de classe entre la classe capitaliste et la majorité sociale, la classe ouvrière, pour aboutir au socialisme international.

    Malgré la dégénérescence stalinienne de l’URSS, le souvenir de la victoire sur le tsar et le capitalisme était encore frais. Les partis établis ont été minés par la crise, aux côtés des banques et des autres institutions du capitalisme. La société était aux prises avec une radicalisation de masse et une explosion de luttes.

    Aux États-Unis, la lutte des classes s’est rapidement intensifiée en 1934, après une première période où la crise avait frappé les travailleurs de léthargie. Un million et demi d’ouvriers étaient en grève en 1934, le Los Angeles Times qualifiant une grève à San Francisco de “révolte communiste”. La grève et le soulèvement des Teamsters à Minneapolis, menés par les trotskystes, ont représenté un modèle d’organisation des travailleurs. Les comités contre les expulsions et les chômeurs se multipliaient. La répression policière contre les travailleurs était massive et brutale. Des grèves avec occupation d’entreprise ont commencé en 1936 et se sont multipliées pour atteindre 477 l’année suivante. La nouvelle fédération syndicale industrielle, la CIO, a été créée en 1935 et a atteint cinq millions de membres en 1936.

    Sur le plan international, il y a eu des révolutions et des luttes de masse dans de nombreux pays, avec la France et l’Espagne au premier plan en 1935-36. La “direction” donnée par les partis communistes staliniens et les partis sociaux-démocrates de l’époque a conduit à des défaites dévastatrices, tout comme leur incapacité à bloquer l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933, malgré l’existence de partis de masse et d’une classe ouvrière organisée, voire armée. Ceci souligne la tâche sérieuse et décisive de construire des organisations et des partis de travailleurs qui peuvent obtenir la victoire et abolir le capitalisme.

    Après la Grande Dépression et aujourd’hui

    Suite à l’expérience de la Grande Dépression – l’échec économique, l’expérience du fascisme et de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que le renforcement du stalinisme après la guerre – les capitalistes ont dû revêtir un visage démocratique. Ils ont été contraints de faire des concessions, par exemple le National Health Service en Grande-Bretagne, les systèmes de protection sociale dans certains pays européens, et même de renoncer à des colonies (tout en conservant leur mainmise économique). Un certain nombre d’institutions sont restées plus discrètes, comme les marchés boursiers, les banques, les entreprises financières. À l’époque de l’après-guerre, c’était un prix qu’elles étaient prêtes à payer.

    Cependant, la radicalisation politique des années 60 et 70, la lutte des classes et les révolutions coloniales, la crise économique du milieu des années 70 et la mollesse des partis politiques bourgeois ont conduit les capitalistes à se tourner vers le néolibéralisme et les attaques contre les travailleurs et le bien-être partout. Ils ont apparemment réussi, surtout après la chute du stalinisme et la bourgeoisification de la social-démocratie.

    Aujourd’hui, cette période est terminée. Nous allons voir une combinaison de concessions et d’attaques, de politique de stimulation économique et d’austérité, de la part des capitalistes. Avec la nouvelle crise, ces derniers se sont encore plus tournés vers le nationalisme dans la lignée de la tendance initiée en 2018-19. Cette crise va faire comprendre aux masses populaires que le système est fondamentalement mauvais, même à partir d’un faible niveau de lutte et de conscience dans de nombreux pays. La classe ouvrière est loin d’être vaincue, mais elle n’est pas par contre pas organisée.

    Les années 1930 nous montrent que le capitalisme survivra à tout prix s’il n’y a pas de mouvement conscient de la classe ouvrière pour l’abolir. La tâche dans cette nouvelle crise est de construire de tels partis et mouvements ainsi qu’une internationale.

  • Retour sur la Grande Dépression et les soulèvements ouvriers en Belgique

    La Grande Dépression qui a suivi le crash boursier de 1929 a également frappé notre pays avec des répercussions désastreuses pour les travailleurs et leurs familles. Ces derniers ont été amenés à riposter. Démunis face à la crise et sans solution dans cette situation, les dirigeants syndicaux et du parti socialiste (le POB) ont freiné les grèves et la contestation. Cela a conduit à des débordements d’autant plus intenses.

    Par Geert Cool

    La Grande Dépression en Belgique

    Après la Première Guerre mondiale, la demande croissante de charbon et le pillage du Congo avaient permis la reprise de l’économie, au côté de l’effet des mesures sociales imposées par le mouvement ouvrier qui était sorti renforcé de la guerre. Le plein emploi fut atteint en 1924 et, en 1925, l’économie était revenue à son niveau de 1914.

    Tous les éléments qui ont conduit à la Grande Dépression (l’instabilité sous-jacente du capitalisme due à la baisse du taux de profit, les pertes et dettes résultant de la guerre, la perturbation du commerce mondial, les tensions inter-impérialistes, la spéculation, etc.) jouaient également en Belgique, pays exportateur par excellence. La chute du commerce mondial mit directement l’économie belge sous une intense pression. La production a stagné en 1929 mais, à partir du milieu des années 1930, on assista à une contraction de l’économie et la récession est arrivée. Elle fut d’autant plus dure que les mesures adoptées dans les pays voisins pour soutenir leurs propres économies avaient négativement impacté l’économie belge.

    Les conséquences sociales furent désastreuses. En 1932, environ un Belge sur trois était totalement ou partiellement au chômage. En 1932, jusqu’à 40 % des mineurs connaissaient le chômage au moins un ou deux jours par semaine. Parallèlement, les loyers ont très rapidement augmenté. Le budget des ménages était en outre impacté par des mesures telles que les taxes supplémentaires instaurées sur l’importation de farine, par exemple, ce qui a fait exploser le prix du pain.

    Le parti social-démocrate POB (Parti ouvrier belge) considérait la récession comme un déséquilibre temporaire entre la production et la consommation et estimait que le mouvement ouvrier devait serrer les dents et simplement endurer la situation. Ainsi, en août 1930, le député liégeois du POB Dejardin écrivit : “La classe ouvrière doit se préparer à une période très difficile, au cours de laquelle elle devra subir des baisses de salaire. Le mot d’ordre des travailleurs doit être : prudence, réflexion et renforcement de l’organisation syndicale. Surtout, n’oubliez pas qu’en temps de crise, les grèves, et certainement les mouvements spontanés, sont plus dangereux pour la classe ouvrière que pour la classe capitaliste”.

    Le POB a préféré éviter que le gouvernement tombe. Le parti craignait par-dessus tout de devoir lui-même participer à un gouvernement impopulaire. Les dirigeants syndicaux faisaient également appel à la prudence. Eux aussi étaient dépourvus face à la crise. La direction du POB et celle des syndicats avaient été complètement aspirés dans la logique du capitalisme. Les choses étaient si graves que la Banque du Travail, dont Edouard Anseele fut l’un des fondateurs, a été jusqu’à acheter une plantation de coton au Congo ! C’était une manière d’assurer que cette coopérative soit concurrentielle face aux autres banques. Cela n’a pas empêché la Banque du travail de faire faillite en 1934.

    Face à la crise, la réponse de la bourgeoisie était une politique de réduction des coûts pour les patrons par le biais, entre autres, de réductions de salaires. Au même moment, les impôts indirects étaient augmentés afin d’absorber la hausse des dépenses publiques (dont les allocations de chômage). Le POB et les syndicats ont limité leur riposte au rejet des attaques contre les éléments de protection sociale précédemment gagnés par le mouvement ouvrier. Une véritable campagne conservatrice était à l’œuvre et l’on a ainsi pu lire le 7 juillet 1932 dans La Libre Belgique: “Les allocations familiales ruinent le pays”. La bourgeoisie défendait que le pays ne pouvait pas faire face à de pareils frais. Les allocations de chômage et les pensions étaient également en ligne de mire.

    La résistance du POB et des syndicats face à ces attaques a conduit, entre autres, à de grandes mobilisations de chômeurs. Mais la social-démocratie n’a pas livré de réponse plus globale à la crise du capitalisme, et encore moins popularisé l’idée d’une transformation socialiste de la société comme un objectif concret à atteindre.

    Les grèves des mineurs de 1932

    Alarmé, le député démocrate-chrétien Bodart a averti que les travailleurs ne continueraient pas à se résigner : « Il viendra un jour où ils en auront assez et où ils diront avec les manifestants du Borinage : “Mieux vaut être mort que de voir nos enfants mourir de faim”. Tout sera possible ce jour-là, même le pire. » À un certain point, le réflexe de défense individuelle cède la place à la lutte collective. De là sont nées les manifestations spontanées au début de l’année 1932 ou la grande participation aux manifestations de chômeurs durant l’été 1932. Mais c’est surtout lors de la grève des mineurs de 1932 que la colère a éclaté.

    Derrière les vagues de grèves spontanées – tant en mai dans le Borinage qu’à partir de la fin juin dans un mouvement de grève plus soutenu au niveau national – se trouvaient plusieurs réductions salariales à un moment où le prix du pain augmentait. Lorsqu’une réduction des salaires a été introduite le 19 juin, des grèves spontanées ont éclaté. Une semaine plus tard, elles semblaient terminées. Le patronat a tenté de profiter de la situation pour licencier des centaines de mineurs. Cependant, cela a déclenché encore plus de grèves : le 6 juillet, le mouvement de grève était général.

    La direction du syndicat a été dépassée tandis que les parlementaires du POB se contentaient de présenter un nouveau projet de loi sur la nationalisation des mines, en sachant très bien qu’aucune majorité parlementaire ne pourrait être trouvée pour ce projet. Avec ces propositions législatives, le sommet du POB voulait surtout détourner le mouvement vers le terrain parlementaire au lieu de le renforcer sur le terrain afin d’imposer la nationalisation par une pression d’en bas.

    Là où les révolutionnaires, en particulier les trotskystes de l’Opposition de Gauche Communiste (OGC), ont joué un rôle pionnier, la grève a été organisée avec le plus d’implication possible. Au lieu d’assemblées générales (AG) par syndicat avec contrôle à l’entrée, des AG ont été organisées en étant ouvertes à tous et avec participation de la salle. Ce fut le cas à Gilly et Châtelineau, près de Charleroi. Ces AG étaient le lieu où la plate-forme de revendications et les actions ultérieures étaient discutées. Les revendications centrales portaient sur le retrait des réductions de salaires, la répartition du temps de travail disponible, le contrôle du commerce, la réduction de l’âge de la retraite et enfin la nationalisation des mines et des grandes entreprises.

    Tout au long du mouvement de grève, l’unité s’est construite de bas en haut. Les femmes et les migrants ont joué un rôle actif, même si les dirigeants du POB étaient au départ très négatifs à l’égard des migrants. Le député Pierard, par exemple, a écrit : “Les travailleurs étrangers ne sont pas aussi durs que les Borains. Nous comprenons certainement le besoin d’avoir de la pitié pour les étrangers qui viennent ici. Nous ne demandons pas que les malheureux Italiens qui sont ici en tant que réfugiés politiques soient renvoyés à la frontière. Mais pour ce qui est des autres ! Aussi internationalistes que nous soyons, nous demandons que nous pensions d’abord aux nôtres, sans travail et sans pain”. Quant à la CSC, elle a notamment exigé la suppression progressive du travail des femmes mariées afin de libérer de l’espace pour les hommes au chômage. Mais dès que la classe ouvrière s’est mobilisée, il est apparu clairement que les divisions entre hommes et femmes ou entre travailleurs belges et migrants affaiblissaient le mouvement. Lorsque, début juillet, la Fédération des mineurs a défendu un accord dans lequel il était proposé de renoncer aux étrangers non mariés, celui-ci a été rejeté de manière imposante par les assemblées générales de mineurs.

    Le manque de perspective de la grève, aggravé par l’absence de réponse politique à la crise due au POB et la relative faiblesse du Parti communiste et de l’opposition de gauche trotskyste (qui s’est toutefois fortement développée en raison de son rôle actif dans la grève des mineurs), a rendu difficile la poursuite de la grève. Finalement, un accord a été imposé par le sommet, malgré la forte opposition de la base, laquelle a continué à faire grève en de nombreux endroits pendant des semaines. L’accord a obtenu l’arrêt des réductions salariales en plus de la majoration de 1 %, mais d’autres éléments sont restés très vagues ou ont rapidement disparu de la table une fois le travail repris.

    Conséquences

    Cela n’a pas mis fin à la crise économique en Belgique. Il n’y a pas eu de reprise. En 1933, le gouvernement a essayé de faire face à la crise par de nouvelles augmentations des impôts indirects, ce qui a entraîné une hausse des prix. Le gouvernement a agi avec les pouvoirs spéciaux: un instrument toujours utilisé pour imposer des mesures “impopulaires” sans même tenir un débat parlementaire. Dès 1933, de nouvelles grèves spontanées à petite échelle ont eu lieu.

    La vague de grève spontanée de 1932 a eu des conséquences bien après cette année. Une pression de gauche a été exercée au sein du POB, en partie due à la grève de 1932 et au mécontentement qui s’en est suivi concernant la politique antisociale. À la fin de 1933, le POB a adopté un programme d’investissements et de travaux d’infrastructure en réponse à la crise. Il s’agit du “Plan De Man”, qui a suscité l’enthousiasme d’une grande partie de la population.

    En 1936, après l’assassinat de deux syndicalistes socialistes, Pot et Grijp, une grève générale nationale fut déclenchée. La direction syndicale fut à nouveau dépassée et les travailleurs ont réclamé une semaine de 40 heures, une augmentation générale des salaires, un salaire minimum de 32 francs par jour et six jours de congés payés. Le gouvernement et le patronat ont été forcés de faire des concessions. Ils craignaient une nouvelle expansion du mouvement de grève et avaient l’expérience de 1932 encore fraîche dans leur esprit. Avec le couteau de la grève sur la gorge, une augmentation de salaire de plus de 7% a été accordée, en plus de l’introduction d’un salaire minimum légal, de la semaine de 40 heures dans les mines et de six jours de congé payé pour tous les travailleurs.

    Une période de crise économique et de dépression peut initialement avoir un effet paralysant sur la lutte des travailleurs. Elle a un effet encore plus grand sur les dirigeants politiques et syndicaux pour qui le changement social n’est pas lié à la lutte quotidienne pour préserver et étendre les conquêtes sociales. La colère et le réflexe de défense individuelle se transforment inévitablement en luttes collectives de la part de travailleurs qui ne veulent pas, et souvent ne peuvent pas, payer la crise. Imposer des concessions exige un rapport de force que les patrons redoutent. “La bourgeoisie doit être terrifiée pour être rendue docile”, a fait remarquer Trotsky.

    Pour construire une gauche cohérente, il faut s’engager dans la lutte, défendre une issue et la rendre concrète, tant en ce qui concerne l’organisation de la lutte que le programme de transformation socialiste de la société. Un mouvement socialiste révolutionnaire fortement organisé et implanté est nécessaire pour mettre fin au capitalisme, un système qui condamne sans cesse les travailleurs à de nouvelles crises.

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