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  • Engels : Un penseur rĂ©volutionnaire pour un monde en crise

    Engels a vĂ©cu une vie bien remplie dans une pĂ©riode de l’histoire marquĂ©e par des rĂ©voltes explosives et de violentes contre-rĂ©volutions, oĂč l’on comprenait bien l’actualitĂ© de la rĂ©volution et oĂč une classe ouvriĂšre nouvellement formĂ©e commençait Ă  s’organiser Ă  une Ă©chelle internationale inĂ©dite.

    Par Katia Hancke, Socialist Party (section irlandaise d’ASI)

    Friedrich Engels est nĂ© il y a 200 ans, mais en tant que penseur, il Ă©tait profondĂ©ment radical et remarquablement moderne. Sa collaboration de toute une vie avec Karl Marx a donnĂ© lieu Ă  de nombreux ouvrages co-Ă©crits, ainsi qu’Ă  une correspondance approfondie entre les deux, dans laquelle ils ont dĂ©veloppĂ© leurs idĂ©es conjointement, Engels a Ă©galement Ă©crit ses propres brillantes contributions aux dĂ©bats contemporains du mouvement socialiste et ouvrier, et a Ă©tĂ© un militant de premier plan dans la premiĂšre et la deuxiĂšme internationale.

    Engels a vĂ©cu une vie bien remplie dans une pĂ©riode de l’histoire marquĂ©e par des rĂ©voltes explosives et une contre-rĂ©volution violente, oĂč l’on comprenait largement l’actualitĂ© de la rĂ©volution et oĂč une classe prolĂ©taire nouvellement formĂ©e commençait Ă  s’organiser Ă  une Ă©chelle internationale sans prĂ©cĂ©dent. Le mouvement socialiste a Ă©voluĂ© dĂšs ses dĂ©buts vers un mouvement de masse dans lequel les polĂ©miques et les dĂ©bats Ă©taient nĂ©cessaires pour clarifier les questions de thĂ©orie, de programme, de stratĂ©gie et de tactique. Beaucoup de ces dĂ©bats perdurent encore aujourd’hui. De cette maniĂšre, et de bien d’autres, les contributions d’Engels au marxisme rĂ©volutionnaire au XIXe siĂšcle continuent de nous aider dans notre quĂȘte actuelle de cohĂ©rence de la pensĂ©e et de clartĂ© du programme et de l’orientation.

    Cet article se concentrera sur trois des Ɠuvres d’Engels rĂ©parties tout au long de sa vie politique – de 1845 Ă  1884 – et donnera un aperçu du dĂ©veloppement de sa pensĂ©e en tant que matĂ©rialiste dialectique. Le premier livre est “La Situation de la classe ouvriĂšre en Angleterre en 1844”, qui pour la premiĂšre fois met en avant la classe ouvriĂšre en tant que force motrice de sa propre Ă©mancipation et de la transformation socialiste de la sociĂ©tĂ©. Le second est “Anti-Duhring”, une polĂ©mique de la fin des annĂ©es 1860 et des annĂ©es 70, sur l’histoire et la philosophie, qui prĂ©sente le matĂ©rialisme dialectique comme une mĂ©thode cohĂ©rente et systĂ©mique pour comprendre le monde. La troisiĂšme est la contribution distincte d’Engels Ă  la comprĂ©hension de l’oppression des femmes, “Les origines de la famille, de la propriĂ©tĂ© privĂ©e et de l’État” qui, Ă  ce jour, est fondamentale pour une analyse fĂ©ministe socialiste de la façon dont l’oppression fait partie intĂ©grante du systĂšme capitaliste.

    Les débuts du capitalisme industriel

    “L’Ă©mancipation des classes ouvriĂšres doit ĂȘtre conquise par les classes ouvriĂšres elles-mĂȘmes”. Ainsi commence le RĂšglement gĂ©nĂ©ral de l’Association internationale des travailleurs – la fondation de la premiĂšre Internationale en 1864. Pour les marxistes, le rĂŽle central de la classe ouvriĂšre dans tout mouvement visant Ă  remettre en cause le capitalisme en tant que systĂšme est fondamental. Ce principe clĂ© du marxisme a Ă©tĂ© exprimĂ© pour la premiĂšre fois par Engels dans “La Situation de la classe ouvriĂšre en Angleterre”, publiĂ© en 1845.

    Engels avait quittĂ© l’Allemagne pour Manchester en 1842 afin de travailler dans l’une des usines de son pĂšre. Une fois Ă  Manchester, il rompt avec son Ă©ducation bourgeoise et par son lien intime avec Mary Burns (ouvriĂšre dans une usine locale) est introduit dans les quartiers populaires de Salford et de Manchester. Cela lui ouvre un nouveau monde et a un impact sur ses idĂ©es tout au long de sa vie.

    Le livre qu’il Ă©crit en 1845 reflĂšte ce changement. Bien que le livre fasse l’objet de recherches approfondies et se base sur des Ă©tudes gouvernementales antĂ©rieures, il est clairement Ă©crit par quelqu’un qui a Ă©tĂ© tĂ©moin de ce qu’il dĂ©crit dans le livre. Le rĂ©sultat est un exposĂ© vivant, indignĂ© et furieux des conditions dans lesquelles les ouvriers devaient vivre Ă  l’Ă©poque. Il dĂ©crit les usines – les longues heures de travail, le travail pĂ©nible et les mauvais environnements de travail – qui entraĂźnaient des dĂ©cĂšs prĂ©maturĂ©s, des maladies et des difformitĂ©s Ă  vie. Il dĂ©crit la misĂšre des quartiers ouvriers – les logements de mauvaise qualitĂ©, la surpopulation, le manque d’hygiĂšne. Il est intĂ©ressant de noter que, prĂšs de 200 ans plus tard, la prolifĂ©ration mondiale des bidonvilles dĂ©crits par des gĂ©ographes urbains comme Mike Davis ressemble Ă©trangement Ă  ce dont Engels a Ă©tĂ© tĂ©moin.

    En plus d’exposer les problĂšmes Ă©conomiques et sociaux auxquels est confrontĂ© le prolĂ©tariat de Manchester, Engels souligne les consĂ©quences plus larges de la montĂ©e du capitalisme dans les villes d’Angleterre – la destruction de l’environnement, les effets du travail des enfants, la dĂ©sintĂ©gration de la vie familiale, les effets psychologiques, l’aliĂ©nation brutale

    À titre d’exemple, cette description de la vie dans les rues de Londres en 1844 semble remarquablement familiĂšre :

    “L’indiffĂ©rence brutale, l’isolement insensible de chacun dans son intĂ©rĂȘt privĂ© deviennent d’autant plus repoussants et offensants que ces individus sont entassĂ©s les uns sur les autres, dans un espace limitĂ©. Et, aussi conscient que l’on puisse ĂȘtre que cet isolement de l’individu, cette recherche Ă©troite de soi-mĂȘme est partout le principe fondamental de notre sociĂ©tĂ©, il n’est nulle part aussi effrontĂ©ment dĂ©nudĂ©, aussi gĂȘnant qu’ici, dans la foule de cette grande ville. La dissolution de l’humanitĂ© en monades, dont chacune a un principe et un but distincts, le monde des atomes, est ici menĂ©e Ă  son extrĂȘme limite”[i].

    Le livre est un puissant “J’accuse” sur l’exploitation horrible Ă  laquelle est soumise une nouvelle classe ouvriĂšre en pleine expansion Ă  l’Ăšre de la croissance capitaliste. Mais le texte n’est pas seulement un rapport journalistique, il utilise les faits sur le terrain pour dĂ©velopper une analyse qui transcende les spĂ©cificitĂ©s de l’Angleterre des annĂ©es 1840 et qui est aussi pertinente aujourd’hui qu’elle l’Ă©tait en 1845. Deux points en particulier mĂ©ritent d’ĂȘtre soulignĂ©s ici.

    Une nouvelle classe exploitée

    La premiĂšre est la façon dont Engels analyse avec perspicacitĂ© les causes profondes des conditions qu’il dĂ©crit. Il identifie clairement le capitalisme comme le coupable – un systĂšme qui, par nature, Ă  l’exploitation cousue dans son tissu. Il explore la maniĂšre dont la rĂ©volution industrielle a Ă©tĂ© fondĂ©e avant tout sur une expansion explosive de la capacitĂ© des forces productives. L’introduction de nouvelles machines, de nouvelles technologies et la production en usine sont identifiĂ©es comme les forces motrices d’une transformation radicale de tous les aspects de la sociĂ©tĂ©. S’il met en Ă©vidence l’interaction dialectique entre ces diffĂ©rents Ă©lĂ©ments, l’expansion des forces productives – les dĂ©veloppements Ă©conomiques – est la clĂ© pour comprendre la montĂ©e du capitalisme.

    Il oppose cette analyse Ă  d’autres thĂ©ories, comme celle de l’Ă©conomiste anglais Thomas Robert Malthus, qui met l’accent sur la croissance dĂ©mographique comme cause de l’essor de la rĂ©volution industrielle en Europe, et sur la notion selon laquelle les crises ont Ă©tĂ© provoquĂ©es par le fait qu’il y avait trop de gens. Ces idĂ©es n’Ă©taient pas seulement populaires Ă  l’Ă©poque – certaines d’entre elles sont encore reprises aujourd’hui, par exemple par ceux qui imputent Ă  tort la destruction de l’environnement Ă  la croissance de la population mondiale et qui promeuvent la solution inhumaine correspondante du contrĂŽle de la population.

    Le fait qu’Engels ait mis en Ă©vidence les raisons du dĂ©veloppement du capitalisme et soulignĂ© la centralitĂ© du dĂ©veloppement Ă©conomique pour influencer les phĂ©nomĂšnes sociaux, politiques et culturels est un exemple clair d’une mĂ©thode matĂ©rialiste historique. Engels lui-mĂȘme l’a exprimĂ© de cette maniĂšre : “C’est Ă  Manchester que j’ai Ă©tĂ© frappĂ© au visage par les rĂ©alitĂ©s Ă©conomiques qui, jusqu’Ă  prĂ©sent, n’ont jouĂ© aucun rĂŽle dans le rĂ©cit historique ou ont Ă©tĂ© Ă©cartĂ©es. Mais au moins dans le monde moderne, elles constituent une force historique dĂ©cisive et la base des contradictions de classe actuelles…”[ii]

    Engels commence ici aussi le dĂ©veloppement d’une thĂ©orie des salaires, expliquant qu’avec la montĂ©e du capitalisme “les employeurs ont acquis le monopole de tous les moyens d’existence” – les patrons possĂšdent tous les leviers clĂ©s de l’Ă©conomie. Les travailleurs doivent vendre leur travail Ă  la classe capitaliste pour gagner leur vie. Il retrace la croissance de la population, qui est en corrĂ©lation avec des pĂ©riodes d’expansion oĂč plus de travail est créé. Mais ces mĂȘmes travailleurs qui sont si essentiels pour rendre cela possible Ă  un moment donnĂ©, sont sans aucun Ă©gard jetĂ©s Ă  la casse Ă  un autre moment – pour garantir des profits en temps de crise. Et cette “armĂ©e de rĂ©serve du travail” est ensuite utilisĂ©e pour retenir les salaires de ceux qui sont encore employĂ©s.

    Toutes ces idĂ©es sont dĂ©veloppĂ©es beaucoup plus avant par Marx et Engels dans les dĂ©cennies suivantes, et culminent dans les trois volumes du Capital. Mais les graines d’une analyse marxiste du capitalisme sont dĂ©jĂ  lĂ  dans “La Situation de la classe ouvriĂšre en Angleterre”.

    Une force révolutionnaire puissante

    Le deuxiĂšme aspect du livre, qui a une pertinence durable, est la centralitĂ© de la lutte des classes – de la classe ouvriĂšre dans la lutte pour sa propre libĂ©ration. Alors que les idĂ©es socialistes gagnaient en popularitĂ© en Angleterre et dans le reste de l’Europe, ces idĂ©es Ă©taient basĂ©es sur une indignation morale contre les horreurs du capitalisme et sur un plan dĂ©taillĂ© de ce Ă  quoi ressemblerait une sociĂ©tĂ© socialiste alternative, sans considĂ©rer comment les choses peuvent ĂȘtre changĂ©es – quelle force matĂ©rielle, quelle classe dans la sociĂ©tĂ© est capable de poser un dĂ©fi fondamental au capitalisme. Des gens comme Robert Owen en Grande-Bretagne et Saint Simon en France ont essayĂ© de crĂ©er des “colonies socialistes”, de petites bulles de “paradis” qui se coupent du reste du monde alors que le systĂšme capitaliste dans son ensemble est laissĂ© intact.

    L’idĂ©alisme du socialisme utopique reflĂšte le fait qu’il s’agit essentiellement d’un petit groupe d’intellectuels qui ont imaginĂ© ces idĂ©es sans faire rĂ©ellement rĂ©fĂ©rence au peuple qu’ils Ă©taient si dĂ©sireux de libĂ©rer – la classe ouvriĂšre – ou sans s’impliquer avec lui. Engels lui-mĂȘme le rĂ©sume plus tard comme suit :

    “Le mode de pensĂ©e des utopistes a longtemps dominĂ© les idĂ©es socialistes du XIXe siĂšcle. La solution des problĂšmes sociaux… les utopistes ont tentĂ© d’Ă©voluer hors du cerveau humain. La sociĂ©tĂ© ne prĂ©sentait que des torts ; les Ă©liminer Ă©tait la tĂąche de la raison. Il fallait donc dĂ©couvrir un nouveau systĂšme d’ordre social plus parfait et l’imposer Ă  la sociĂ©tĂ© de l’extĂ©rieur par la propagande et, dans la mesure du possible, par l’exemple d’expĂ©riences modĂšles. Ces nouveaux systĂšmes sociaux Ă©taient vouĂ©s Ă  l’utopie ; plus ils Ă©taient Ă©laborĂ©s en dĂ©tail, plus ils ne pouvaient Ă©viter de glisser vers de pures fantasmes”[iii].

    Si les particularitĂ©s de certains de ces rĂ©gimes peuvent sembler bizarres dans le monde d’aujourd’hui, des variantes d’idĂ©es socialistes utopiques se sont infiltrĂ©es Ă  plusieurs reprises dans le mouvement des travailleurs. Le fait que pour mettre fin Ă  l’exploitation et Ă  l’oppression, il faille changer le systĂšme dans son ensemble est, aprĂšs tout, intimidant. Si l’on n’identifie pas la force matĂ©rielle qui peut apporter ce changement, cela peut sembler impossible, et les gens se limitent Ă  des “solutions” rĂ©formistes ou mĂȘme personnelles hors du systĂšme – en utilisant des coopĂ©ratives, en insistant sur des espaces sĂ»rs, etc.

    C’est pourquoi l’insistance d’Engels sur la puissance potentielle de la classe ouvriĂšre, exposĂ©e pour la premiĂšre fois en 1845, est si importante. Il s’oppose Ă  l’idĂ©e utopique populaire selon laquelle la classe ouvriĂšre, du fait de son exploitation, est incapable d’organiser sa propre libĂ©ration et doit s’appuyer sur des intellectuels de l’extĂ©rieur qui la “sauveront”. Engels, en revanche, a fait l’expĂ©rience de la façon dont les conditions dans lesquelles se trouvent les travailleurs de Manchester ont Ă©galement conduit Ă  la naissance du prolĂ©tariat moderne en tant que classe. Cette conscience de classe croissante a Ă©tĂ© mise Ă  profit par le mouvement chartiste qui s’est dĂ©veloppĂ© au dĂ©but des annĂ©es 1840 et qui a conduit Ă  la grĂšve gĂ©nĂ©rale de 1842, particuliĂšrement forte Ă  Manchester.

    Engels en a tirĂ© des conclusions gĂ©nĂ©rales durables : bien que les humains soient le produit de leur environnement, nous sommes Ă©galement capables d’interagir avec notre entourage et de l’influencer – nous sommes une partie active de notre propre histoire. Cette interaction dialectique sera dĂ©veloppĂ©e dans les Ă©crits d’Engels pour le reste de sa vie.

    La reconnaissance du fait que l’auto-Ă©mancipation des exploitĂ©s et des opprimĂ©s n’est pas seulement possible, elle est impĂ©rative pour changer le systĂšme, a transformĂ© la pensĂ©e et la pratique socialistes. Il a fait passer le dĂ©bat d’une querelle acadĂ©mique Ă  une vĂ©ritable discussion sur la nĂ©cessitĂ© pour les travailleurs de s’organiser et de s’unir – autour de toutes les questions d’exploitation et d’oppression. Trois ans plus tard, Marx et Engels l’ont exprimĂ© comme dernier mot d’ordre du Manifeste Communiste: “Travailleurs du monde entier, unissez-vous !”

    Promouvoir une philosophie matérialiste

    Dans les dĂ©cennies suivantes, la coopĂ©ration proche entre Marx et Engels a conduit Ă  l’Ă©laboration d’une vision du monde cohĂ©rente et d’une mĂ©thode philosophique appelĂ©e matĂ©rialisme dialectique. Si cette mĂ©thode se retrouve dans pratiquement tous leurs Ă©crits sur la sociĂ©tĂ© et l’histoire, le traitement le plus explicite qu’Engels lui a rĂ©servĂ© se trouve dans la polĂ©mique Anti-Duhring (1876-78). Dans cette sĂ©rie d’articles, rĂ©unis plus tard sous forme de livre, Engels dĂ©monte Ă  contrecƓur mais avec force le fatras d’idĂ©es proposĂ© par un influent professeur d’universitĂ© appelĂ© EugĂšne Duhring et le met en regard d’une comprĂ©hension matĂ©rialiste dialectique de la sociĂ©tĂ© et de la nature.

    A l’Ă©poque, Duhring avait obtenu un soutien considĂ©rable au sein du parti social-dĂ©mocrate allemand (SPD), entre autres en raison du niveau de persĂ©cution qu’il avait subi aux mains des autoritĂ©s rĂ©pressives de l’Etat prussien. Le SPD Ă©tait Ă  l’Ă©poque une “Ă©glise socialiste large” – un parti qui mettait en avant l’unitĂ© Ă  tout prix plutĂŽt que la clartĂ© des objectifs. Cela est illustrĂ© par les discussions autour du programme adoptĂ© lors du congrĂšs de Gotha en 1875 et par la volontĂ© de compromis sur les questions de programme et de tactique. L’Anti Duhring d’Engels s’est donc concentrĂ© sur le lancement d’une discussion sur le besoin de cohĂ©rence intellectuelle et de clartĂ© de pensĂ©e. Le changement se produit tout le temps, partout – rien ne reste toujours le mĂȘme. C’est pourquoi nous avons besoin d’une philosophie qui nous permette de comprendre comment le changement se produit – les processus qui le sous-tendent.

    Il introduit les diffĂ©rents Ă©lĂ©ments de la pensĂ©e dialectique – l’idĂ©e que les processus peuvent logiquement se transformer en leur contraire (nĂ©gation de la nĂ©gation) ; que la quantitĂ© se transforme en qualitĂ©, entraĂźnant inĂ©vitablement une interruption de toute continuitĂ© ; l’unitĂ© et le conflit des opposĂ©s – l’idĂ©e que les contradictions sont inĂ©vitables et un moteur de changement.

    Il utilise ensuite ces concepts pour expliquer comment des contradictions inĂ©vitables s’accumulent au sein du capitalisme – comment, en essayant de s’accrocher Ă  l’ancien (la propriĂ©tĂ© privĂ©e), il crĂ©e simultanĂ©ment les germes d’une nouvelle forme socialisĂ©e de systĂšme social. Le capitalisme est son propre fossoyeur. La croissance du capitalisme est basĂ©e sur la socialisation du travail mais sur la privatisation des moyens de production entre les mains d’un groupe (toujours plus petit) de capitalistes. Alors que dans les pĂ©riodes prĂ©cĂ©dentes, les travailleurs auraient produit des biens Ă  la maison ou dans de petits ateliers avec leurs propres moyens de production, la rĂ©volution industrielle force de grands groupes de travailleurs Ă  travailler ensemble dans des usines appartenant aux capitalistes. La privatisation des moyens de production donne aux capitalistes des possibilitĂ©s illimitĂ©es d’exploiter les travailleurs et de les sous-payer pour le travail qu’ils font, laissant aux capitalistes d’Ă©normes profits. Mais cette mĂȘme socialisation de la production pose Ă©galement les bases de la naissance du prolĂ©tariat en tant que classe. De grands groupes de travailleurs collĂ©s ensemble dans des conditions de travail collectives conduisent logiquement les travailleurs Ă  s’organiser ensemble et Ă  comprendre leurs intĂ©rĂȘts communs en tant que classe – dĂ©veloppant ainsi la conscience de classe.

    En mĂȘme temps, la rĂ©volution industrielle entraĂźne une expansion Ă©norme et sans prĂ©cĂ©dent de la production. Pour la premiĂšre fois dans l’histoire, il est possible d’Ă©radiquer la faim et la pauvretĂ© Ă  l’Ă©chelle mondiale. Mais en raison de la propriĂ©tĂ© privĂ©e de la classe capitaliste, cette Ă©norme augmentation de la production de richesses est au contraire transformĂ©e en profits pour le 1%, alors que l’inĂ©galitĂ© augmente quotidiennement. Ces intĂ©rĂȘts de classe opposĂ©s sont Ă  la base de toute lutte de classe.

    En bref, alors que dans le passĂ©, le travail et les moyens de production Ă©taient privĂ©s, le capitalisme prouve que la socialisation amĂ©liore considĂ©rablement la capacitĂ© de l’humanitĂ© Ă  satisfaire les besoins de tous. Cependant, tant que les moyens de production restent privĂ©s, entre les mains de quelques super riches, ce potentiel est bloquĂ©. Pour que la richesse produite soit utilisĂ©e pour le bien commun, il faut socialiser Ă  la fois le travail et les moyens de production.

    Engels utilise donc le capitalisme comme exemple pour expliquer que les changements dans les relations Ă©conomiques sont la force motrice de l’histoire.

    Une approche aux sciences naturelles

    Au moment de la polĂ©mique autour de la publication de l’Anti-Duhring[iv], Engels s’intĂ©ressait dĂ©jĂ  Ă  la maniĂšre dont le matĂ©rialisme dialectique s’applique dans d’autres domaines. Son application Ă  l’Ă©conomie, Ă  l’histoire et Ă  la sociĂ©tĂ© a jusqu’Ă  aujourd’hui un impact durable sur notre comprĂ©hension de ces sciences. Mais les recherches d’Engels sur la dialectique et la nature sont plus controversĂ©es.

    Cela s’explique en grande partie par le fait que dans les annĂ©es qui ont suivi, sous les rĂ©gimes staliniens de l’ex-URSS, les scientifiques Ă©taient censĂ©s travailler dans un cadre qui a fait de la mĂ©thode d’enquĂȘte d’Engels un dogme. Cependant, un examen attentif des Ă©crits d’Engels sur la science – tant dans l’Anti-Duhring que dans la collection de notes publiĂ©es Ă  titre posthume sous le titre “Dialectique de la Nature” – montre clairement que sa pensĂ©e Ă©tait beaucoup plus curieuse (sous forme de questions ouvertes) que dogmatique. Par exemple, dans Anti-Duhring, il dĂ©clare explicitement qu’un marxiste “ne construit pas de lois dialectiques dans la nature mais les dĂ©couvre en elle”[v].

    De nombreux dĂ©tails des Ă©crits d’Engels sur la science sont devenus obsolĂštes au fur et Ă  mesure que la recherche scientifique avançait. Mais il est intĂ©ressant de noter que beaucoup des conclusions gĂ©nĂ©rales qu’il tire de ses recherches restent valables Ă  ce jour. Un bon exemple est l’un de ses premiers essais dans la collection, “Le rĂŽle jouĂ© par le travail dans la transition du singe Ă  l’homme”. Cent ans aprĂšs sa rĂ©daction, le palĂ©ontologue amĂ©ricain Stephen Jay Gould a dĂ©clarĂ© qu’Engels avait dĂ©couvert une thĂ©orie radicalement diffĂ©rente de l’Ă©volution des premiers ĂȘtres humains, car il n’Ă©tait pas convaincu par l’idĂ©e rĂ©pandue selon laquelle notre cerveau est le moteur du dĂ©veloppement humain. Il a plutĂŽt reconnu que toute recherche scientifique repose sur une rĂ©flexion thĂ©orique – les questions que vous posez influencent la recherche. Et les questions que vous posez sont influencĂ©es par votre rĂ©flexion, votre prĂ©jugĂ© idĂ©ologique.

    Comme l’a dit Gould : “Un prĂ©jugĂ© doit ĂȘtre reconnu avant qu’il ne soit contestĂ©. La primautĂ© cĂ©rĂ©brale semblait si Ă©vidente et naturelle qu’elle Ă©tait acceptĂ©e comme donnĂ©e, plutĂŽt que reconnue comme un prĂ©jugĂ© social profondĂ©ment enracinĂ© liĂ© Ă  la position de classe des penseurs professionnels et de leurs mĂ©cĂšnes. Engels Ă©crit : “Tout mĂ©rite pour le progrĂšs rapide de la civilisation a Ă©tĂ© attribuĂ© Ă  l’esprit, au dĂ©veloppement et Ă  l’activitĂ© du cerveau. Les hommes se sont habituĂ©s Ă  expliquer leurs actions Ă  partir de leurs pensĂ©es, plutĂŽt qu’Ă  partir de leurs besoins…. Et c’est ainsi qu’est apparue au fil du temps cette vision idĂ©aliste du monde qui, surtout depuis la chute du monde antique, a dominĂ© l’esprit des hommes. Elle les domine encore Ă  un tel point que mĂȘme les scientifiques les plus matĂ©rialistes de l’Ă©cole darwinienne ne parviennent toujours pas Ă  se faire une idĂ©e claire de l’origine de l’homme, car sous cette influence idĂ©ologique, ils ne reconnaissent pas le rĂŽle que joue le travail dans ce domaine”. L’importance de l’essai d’Engels ne rĂ©side pas dans l’heureux rĂ©sultat qu’Australopithecus a obtenu en confirmant une thĂ©orie spĂ©cifique qu’il a posĂ©e – via Haeckel – mais plutĂŽt dans son analyse perspicace du rĂŽle politique de la science et des prĂ©jugĂ©s sociaux qui doivent affecter toute pensĂ©e”[vi].

    Cette clartĂ© selon laquelle la recherche scientifique, comme toute pensĂ©e humaine, est conditionnĂ©e par les rĂ©alitĂ©s sociales dans lesquelles elle est créée, nous est utile en cette pĂ©riode oĂč des “faits scientifiques” contradictoires sont utilisĂ©s pour soutenir des fake news et des thĂ©ories de conspiration.

    Les origines de l’oppression des femmes

    Engels applique cette mĂȘme mĂ©thode de rĂ©flexion pour comprendre les origines de l’oppression des femmes dans son livre, “Les origines de la famille, de la propriĂ©tĂ© privĂ©e et de l’État”, publiĂ© pour la premiĂšre fois en 1884. Dans cet ouvrage, il souligne une fois de plus que ce sont les changements dans la mĂ©thode de production qui ont conduit Ă  des changements dans les relations de production, au changement social. Le livre explique comment la montĂ©e de la sociĂ©tĂ© de classes, basĂ©e sur la crĂ©ation de la propriĂ©tĂ© privĂ©e, a conduit au dĂ©veloppement de l’État, en tant qu’instrument reprĂ©sentant les intĂ©rĂȘts de la classe dominante dans la sphĂšre publique. Et comment simultanĂ©ment la famille a Ă©tĂ© utilisĂ©e comme une institution pour sauvegarder la propriĂ©tĂ© privĂ©e et la transmettre.

    Il s’appuie sur des recherches approfondies d’une science nouvelle et en plein essor, l’anthropologie, en particulier sur les travaux rĂ©volutionnaires (Ă  l’Ă©poque controversĂ©s) de Lewis Henry Morgan dans son livre “Ancient Society”. Mais les conclusions d’Engels transcendent les spĂ©cificitĂ©s de la recherche anthropologique pour formuler des points beaucoup plus gĂ©nĂ©raux qui, Ă  ce jour, fournissent un aperçu unique des origines de l’oppression des femmes.

    Il prouve que le patriarcat est antĂ©rieur au capitalisme et peut ĂȘtre retracĂ© jusqu’au dĂ©veloppement des premiĂšres sociĂ©tĂ©s agraires. Ce passage du chasseur-cueilleur Ă  la sĂ©dentarisation voit pour la premiĂšre fois la montĂ©e en puissance de la propriĂ©tĂ© privĂ©e et donc de l’hĂ©ritage. Le principal moyen de production (le bĂ©tail domestique) tend Ă  ĂȘtre entre les mains des hommes, ce qui augmente considĂ©rablement leur statut et leur position. Les relations d’autoritĂ©, de pouvoir et de propriĂ©tĂ© entre hommes et femmes sont dĂ©terminĂ©es dans ce contexte.

    Engels retrace les diffĂ©rentes formes et fonctions que l’institution de la famille a prises et comment elle a Ă©normĂ©ment variĂ© selon le contexte historique, le contexte gĂ©ographique et la classe sociale. L’ensemble du livre remet en question l’idĂ©e que le rĂŽle de la femme dans la famille, en tant que principale dispensatrice de soins et partenaire subordonnĂ©e, est gravĂ© dans la pierre. L’institution de la famille est dĂ©crite comme un produit culturel et historique en constante Ă©volution plutĂŽt que comme une façon “naturelle” d’organiser la sociĂ©tĂ©.

    Il souligne Ă©galement qu’historiquement, la famille a Ă©tĂ© utilisĂ©e pour pousser les femmes au foyer et les Ă©loigner de la participation Ă  la production sociale. Ce dĂ©savantage Ă©conomique s’exprime Ă©galement sur le plan social et sexuel (il expose avec force l’hypocrisie de la monogamie comme quelque chose qui, dans la pratique, n’est imposĂ© qu’aux femmes, un double standard qui survit) – le patriarcat n’est pas seulement basĂ© sur la dĂ©pendance Ă©conomique, il s’est imbriquĂ© dans tous les aspects de la vie.

    La soif implacable du capitalisme pour une main-d’Ɠuvre plus nombreuse a inversĂ© cette tendance Ă  exclure les femmes de la production sociale. Engels souligne que l’intĂ©gration des femmes dans la population active est un Ă©lĂ©ment positif : elle donne aux femmes un moyen de revenu indĂ©pendant et permet aux femmes actives de sortir de l’isolement du foyer et de s’organiser dans le cadre du mouvement prolĂ©tarien. Cette remarque d’Engels est importante dans le contexte d’un mouvement socialiste qui, Ă  l’Ă©poque, Ă©tait divisĂ© sur la question de l’organisation des femmes. Alors que l’aile rĂ©formiste du mouvement plaidait pour que les femmes soient renvoyĂ©es au foyer, Engels a fourni aux marxistes rĂ©volutionnaires tels que Clara Zetkin une base thĂ©orique pour organiser les travailleuses et les faire entrer dans le mouvement socialiste.

    Engels est pleinement conscient de la double oppression que subissent les travailleuses, tant au travail qu’Ă  la maison. Il souligne que l’Ă©radication de cette double oppression est une condition nĂ©cessaire Ă  la libĂ©ration : “L’Ă©mancipation de la femme ne sera possible que lorsque celle-ci pourra participer Ă  la production Ă  une grande Ă©chelle sociale et que le travail domestique ne demandera plus qu’une part insignifiante de son temps”. Mais il est optimiste que ce double fardeau ne peut pas continuer et conduira Ă  l’Ă©clatement de la famille en tant qu’institution. ConsidĂ©rant que rien qu’en 2018, les femmes ont globalement rĂ©alisĂ© 10 000 milliards de dollars de travail domestique non rĂ©munĂ©rĂ© selon Oxfam, on peut affirmer qu’Engels a Ă©tĂ© prĂ©maturĂ© en Ă©cartant la capacitĂ© du capitalisme Ă  poursuivre l’oppression des femmes Ă  l’intĂ©rieur et Ă  l’extĂ©rieur du foyer.

    La contribution d’Engels influence le dĂ©bat sur la libĂ©ration des femmes jusqu’Ă  ce jour. Il nous a donnĂ© un cadre pour une analyse historique de la question, prouvant que l’oppression est enracinĂ©e dans le systĂšme Ă©conomique dans lequel nous vivons. Il Ă©tablit un lien direct entre toutes les luttes contre l’oppression et la nĂ©cessitĂ© de renverser le capitalisme – ce n’est qu’en modifiant les rapports de production que nous pourrons transformer l’oppression privĂ©e en responsabilitĂ© sociale collective. Sous le capitalisme, les soins aux jeunes, aux malades et aux personnes ĂągĂ©es sont dĂ©chargĂ©s comme un fardeau sur les familles individuelles – une offensive idĂ©ologique a accompagnĂ© et rendu possible des coupes dans l’Ă©ducation, les soins de santĂ© et l’aide sociale ainsi qu’une dĂ©valorisation et une sous-rĂ©munĂ©ration des emplois dans ces secteurs. Engels oppose Ă  cela ce qui est possible si nous possĂ©dons collectivement la richesse que nous crĂ©ons :

    “Avec le passage des moyens de production en propriĂ©tĂ© commune, la famille unique cesse d’ĂȘtre l’unitĂ© Ă©conomique de la sociĂ©tĂ©. Le mĂ©nage domestique se transforme en une industrie sociale. Les soins et l’Ă©ducation des enfants deviennent une affaire publique ; la sociĂ©tĂ© s’occupe de tous les enfants de la mĂȘme façon…”

    Leçons pour aujourd’hui

    Le capitalisme du 21e siĂšcle est, sous de nombreux aspects, diffĂ©rent de ce que Engels dĂ©crit au 19e siĂšcle – il y a 200 ans, le jeune capitalisme Ă©tait encore un systĂšme en pleine ascension, alors que nous vivons dans un systĂšme en crise profonde, Ă©conomiquement, politiquement, socialement, Ă©cologiquement et de bien d’autres façons. Cette crise mondiale coĂŻncide avec un regain d’intĂ©rĂȘt pour les idĂ©es socialistes – une recherche de moyens pour construire une alternative Ă  un systĂšme pourri qui maintient une classe ouvriĂšre mondiale toujours plus nombreuse dans des conditions d’exploitation et d’oppression.

    Les Ă©crits d’Engels transcendent les spĂ©cificitĂ©s de l’Ă©poque victorienne en ce sens qu’ils nous aident Ă  dĂ©velopper une mĂ©thode pour comprendre ce qui se passe dans le monde et servir de guide d’action pour tous les travailleurs. Ils nous offrent Ă©galement une vision inspirante des possibilitĂ©s qui s’ouvrent une fois que le capitalisme sera remplacĂ© par un systĂšme basĂ© sur la propriĂ©tĂ© et le contrĂŽle publics des secteurs clĂ©s de l’Ă©conomie, dans lequel la richesse gĂ©nĂ©rĂ©e dans la sociĂ©tĂ© peut ĂȘtre utilisĂ©e pour le bien commun. Le rappel de Marx et Engels dans le Manifeste Communiste – que nous n’avons rien Ă  perdre que nos chaĂźnes, mais que nous avons un monde Ă  gagner – est aujourd’hui plus pertinent que jamais.

    [i] Paragraphe d’ouverture de The Great Towns, chapitre de The Condition of the Working Class in England. L Proyect dans “Engels on the English Working Class”, http://www.columbia.edu/~lnp3/mydocs/modernism/engels_english.htm

    [ii] p80, Engels a revolutionary life, par John Green, 2009, Artery publications

    [iii] Socialism, Utopian and Scientific comme cité dans None so fit to break the chains, Dan Swain, 2020 Haymarket

    [iv] Pour une explication complĂšte de cette controverse, voir Politique, polĂ©mique et marxisme : l’anti-Duhring d’Engels par David Riazanov

    [v] “Engels’ Intentions in Dialectics of Nature”, Kaan Kangal, Science & Society vol 83, 2019 dĂ©veloppe ce point de l’exploration de la science par Engels.

    [vi] Posture Maketh the Man, en Ever Since Darwin, Stephen Jay Gould, 1977

  • 25N – Contre la violence capitaliste, le fĂ©minisme socialiste !


    Le 25 novembre est la JournĂ©e internationale pour l’Ă©limination de la violence Ă  l’Ă©gard des femmes, fondĂ©e en 1981 aprĂšs le meurtre des sƓurs Mirabal par la dictature militaire de Trujillo en RĂ©publique dominicaine. Pour nous fĂ©ministes socialistes, le combat pour mettre fin Ă  la violence contre les femmes doit ĂȘtre un combat anticapitaliste. La violence n’est possible que parce qu’elle se nourrit d’un modĂšle de sociĂ©tĂ© qui lĂ©gitime une image de la femme comme Ă©tant infĂ©rieure, plus fragile et finalement moins humaine. Cela ne nous surprend pas, car le capitalisme a besoin de maintenir la famille et les modĂšles «traditionnels» pour exploiter le travail rĂ©munĂ©rĂ© et surtout non rĂ©munĂ©rĂ© des femmes; et puisque le capitalisme a besoin de crĂ©er des divisions et de classer les humains entre eux, en les identifiant comme plus vulnĂ©rables, pour justifier toute forme de violence au nom du maintien de ce systĂšme.

    DĂ©claration du Bureau femmes international d’Alternative Socialiste Internationale (dont le PSL/LSP est la section belge)

    À la veille du 25 novembre, une lutte collective contre les attaques envers les femmes se dĂ©roulent Inde, en Turquie, en Pologne, en Irlande et dans d’autres pays. Des manifestations ont eu lieu Ă  travers l’Inde suite au viol collectif et au meurtre d’une jeune femme de la communautĂ© dĂ©favorisĂ©e des dalits, dans l’Uttar Pradesh. En Pologne, le 24 octobre, aprĂšs une sĂ©rie de manifestations, les femmes ont organisĂ© une grĂšve contre la restriction du droit Ă  l’avortement, qui dans la pratique empĂȘcherait 98% des avortements lĂ©gaux, alors que le droit des femmes Ă  dĂ©cider de leur corps est dĂ©jĂ  trĂšs limitĂ© dans le pays. Ce mouvement a connu les plus grandes manifestations de Pologne depuis des dĂ©cennies, sous la direction de jeunes femmes, et Ă  mobilisĂ© et inspirĂ© la classe ouvriĂšre de tous les genres.

    En Irlande, le scandale des mĂšres cĂ©libataires qui se sont fait enlever leurs enfants par l’Eglise a rĂ©cemment Ă©tĂ© dĂ©couvert. Il y a seulement 30 ans (dans les annĂ©es 1980), des centaines de bĂ©bĂ©s ont Ă©tĂ© retirĂ©s Ă  leurs mĂšres de cette maniĂšre. Le rapport prouvant ce crime a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© en octobre.

    Tout cela montre Ă  quel point il est urgent de s’organiser pour mettre fin aux violences faites aux femmes Ă  travers le monde!

    Le capitalisme est un systĂšme de crise

    C’est plus Ă©vident que jamais cette annĂ©e, alors que le capitalisme s’est effondrĂ© face Ă  la pandĂ©mie, en laissant les travailleuses et les travailleurs ainsi que les pauvres payer le prix fort et en essayant de repousser les droits des femmes conquis sur de nombreuses annĂ©es. Cette menace d’une Ă©norme rĂ©gression des droits des femmes est mĂȘme reconnue par les mĂȘmes institutions pro-capitalistes qui nous disent depuis si longtemps que les femmes pourraient rĂ©aliser un changement progressiste en se frayant un chemin Ă  travers le systĂšme. Cela, Ă  lui seul, constitue une condamnation accablante du capitalisme.

    Au deuxiĂšme trimestre de 2020, l’Ă©conomie mondiale a chutĂ© de 10% et le commerce mondial de 27%. Le nombre d’heures de travail rĂ©munĂ©rĂ©es perdues correspond globalement Ă  500 millions d’emplois Ă  temps plein. Dans le mĂȘme temps, le nombre d’heures non rĂ©munĂ©rĂ©es travaillĂ©es principalement par des femmes a augmentĂ© avec l’enseignement Ă  domicile et le systĂšme de santĂ© surchargĂ©. Les emplois des femmes ont Ă©tĂ© particuliĂšrement vulnĂ©rables, car les secteurs les plus durement touchĂ©s par la crise sanitaire comptent une forte proportion de travailleuses (commerce de dĂ©tail, hĂŽtellerie, etc.). Dans le monde nĂ©ocolonial, la situation est encore plus dĂ©sastreuse, car une majoritĂ© de femmes travaillent dans l’Ă©conomie informelle, sans la moindre protection sociale ou sanitaire lĂ©gale, et la combinaison de la crise Ă©conomique et de la pandĂ©mie a rendu leur situation beaucoup plus prĂ©caire Ă  tous les niveaux, notamment en les exposant Ă  un surcroĂźt de violences et d’abus.

    En raison de la maniĂšre dont les politiciens traitent la crise du coronavirus, le nombre de personnes affamĂ©es dans le monde a doublĂ© cette annĂ©e. Il y a dĂ©jĂ  plusieurs annĂ©es, le nombre de personnes souffrant de la faim dans le monde a recommencĂ© Ă  augmenter ; il atteindra bientĂŽt le milliard de personnes. Le nombre de rĂ©fugiĂ©s augmente Ă©galement et est dĂ©sormais plus Ă©levĂ© que jamais. Encore une fois, ce seront les femmes les plus touchĂ©es car elles sont responsables de trouver de la nourriture – et de l’eau – dans le monde nĂ©ocolonial, et sont les rĂ©fugiĂ©s les plus vulnĂ©rables, victimes de la traite des ĂȘtres humains.

    Seule la lutte pour une sociĂ©tĂ© socialiste peut nous donner les conditions pour dĂ©passer cette logique perverse et construire de nouvelles relations sociales, capables d’Ă©liminer les violences faites aux femmes. Battons-nous pour cela ensemble!

    Pandémie et violence

    La pandĂ©mie renforce le fait que les femmes sont Ă  l’avant-garde de la rĂ©sistance. Les donnĂ©es officielles montrent que les femmes reprĂ©sentent plus des deux tiers du personnel de santĂ© Ă  travers le monde. Dans de nombreux pays, les soins infirmiers et hospitaliers sont assurĂ©s par une majoritĂ© de femmes noires et d’autres femmes vulnĂ©rables, comme les migrants et les autochtones, souvent les soutiens de la famille.

    La violence domestique augmente pendant les crises, la chose est bien documentĂ©e. En pĂ©riode de confinement, les femmes et les autres victimes de maltraitance sont contraintes Ă  des contacts plus Ă©troits avec des agresseurs qui peuvent plus facilement surveiller leur comportement et empĂȘcher les tentatives d’obtenir du soutien. Le manque de logements abordables et le manque de moyen pour le travail social qui existaient dĂ©jĂ  avant la pandĂ©mie ont maintenant des effets encore plus meurtriers. Les femmes ressentent l’effet de la pandĂ©mie et ses consĂ©quences, au travail comme Ă  la maison, de maniĂšre violente.

    Il est intĂ©ressant, sinon tragique, que la Banque mondiale, en octobre 2020, ait alertĂ© le monde sur la violence Ă  l’Ă©gard des femmes. Paradoxalement, ils font partie de ceux qui produisent le plus d’austĂ©ritĂ©, de coupes budgĂ©taires dans la santĂ© et l’Ă©ducation, et ceux qui sont responsables du manque mondial de contrĂŽle d’une pandĂ©mie, prĂ©cisĂ©ment en raison de la place centrale qu’occupent le marchĂ© et les intĂ©rĂȘts commerciaux.

    N’ayons aucune illusion : l’oppression des femmes ne peut ĂȘtre rĂ©solue par la main de ceux qui permettent et perpĂ©tuent la violence contre les femmes au quotidien. La pandĂ©mie a mis le capitalisme Ă  nu. L’augmentation des cas de violence, d’agression et la croissance des cas de maladie mentale chez les femmes – en particulier celles qui travaillent – est la preuve que ce systĂšme social ne peut assurer une vie sĂ»re et sĂ©curisĂ©e Ă  la majoritĂ©. Nous savons que le fĂ©minisme libĂ©ral et pro-capitaliste aborde Ă©galement la question de la violence contre les femmes. Si nous nous fĂ©licitons que la question soit plus largement reconnue, nous savons que ces mĂȘmes forces libĂ©rales et pro-capitalistes sont responsables des politiques qui crĂ©ent et augmentent cette violence. Elles ne sont donc pas nos alliĂ©s dans la lutte contre ce problĂšme, mais font partie du problĂšme.

    Des chiffres effrayants

    Les donnĂ©es des Nations Unies (ONU) montrent que 17,8% des femmes dans le monde ont subi des violences physiques ou sexuelles en 2019: 1 femme sur 5 a Ă©tĂ© victime de violences de la part d’un partenaire, d’un ancien partenaire ou d’un membre de sa famille au cours de l’annĂ©e derniĂšre uniquement. La violence est comprise comme toutes sortes d’agressions, qu’elles soient physiques, psychologiques, sexuelles, Ă©motionnelles.

    Avec l’isolement, ajoutĂ© au manque d’emplois, d’infrastructure et de services publics, les cas de violence ont explosĂ©. Le confinement a forcĂ© de nombreuses femmes Ă  vivre quotidiennement avec leurs agresseurs. Au BrĂ©sil, plus de 76% des auteurs sont des personnes connues de leurs victimes, telles que des membres de leurs familles. L’augmentation de la violence pendant le confinement n’est pas seulement un problĂšme au BrĂ©sil. Le nombre d’appels aux lignes d’assistance pour la violence domestique a explosĂ© dans le monde entier pendant les confinements : 161% en Italie; 30% en Argentine; 40% au BrĂ©sil; 65% au Royaume-Uni; 500% en Tunisie.

    Ce n’est pas seulement une augmentation des appels mais de la violence rĂ©elle. Au Maroc, le Centre d’Ă©coute d’Ennakhil a signalĂ© que la violence Ă©conomique avait augmentĂ© de 60% et la violence psychologique de 55%. L’Organisation pour la libertĂ© des femmes en Iraq (OWFI) fait Ă©tat d’un doublement des demandes d’admission depuis le confinement, en particulier des jeunes femmes. Dans les territoires palestiniens occupĂ©s, le Centre pour l’assistance et le conseil juridique des femmes fait Ă©tat d’une augmentation de 75% des consultations sociales et juridiques, dans les zones urbaines, rurales et les camps de rĂ©fugiĂ©s. La violence Ă©motionnelle, psychologique et Ă©conomique, consĂ©quence directe des pĂ©nuries alimentaires et du chĂŽmage, augmente. Au Honduras, il y a eu une augmentation des fĂ©minicides et la militarisation de la vie quotidienne s’est traduite par une rĂ©pression accrue de la part des autoritĂ©s policiĂšres, en particulier des femmes et des filles qui quittent la maison pour aller chercher du bois et de l’eau pour leurs familles.

    La violence en hausse dans tous les pays

    Lors du premier confinement en Irlande, d’avril Ă  mai 2020, les signalements de violence domestique ont augmentĂ© de 30%. Cela a Ă©tĂ© mis en Ă©vidence par un certain nombre de meurtres extrĂȘmement violents et horribles. En particulier, les femmes dans la trentaine et la quarantaine, ainsi que les plus ĂągĂ©es, ont Ă©tĂ© touchĂ©es. Les services traitant de la violence de genre ont toujours Ă©tĂ© ignorĂ©s et sous-financĂ©s – dans le budget 2020, le financement des courses de lĂ©vriers Ă©tait aussi important que le financement de tous les services de lutte contre les violences domestiques combinĂ©s! Cela a créé une Ă©norme crise pour les femmes – il n’y a tout simplement aucune capacitĂ© d’aide aux femmes cherchant Ă  Ă©chapper Ă  une relation abusive. Comme il y a maintenant un deuxiĂšme confinement, cette situation devrait encore se dĂ©tĂ©riorer.

    Aux États-Unis, les rapports de violence domestique ont explosĂ© et le droit Ă  l’avortement est en train de reculer, tandis que les femmes sont plus susceptibles d’ĂȘtre Ă  la fois des travailleuses des activitĂ©s essentielles et de faire face aux licenciements. Cela s’ajoute au fait que les femmes assument l’essentiel du travail domestique et de la garde d’enfants, car les enfants restent Ă  la maison aprĂšs l’Ă©cole.

    En SuĂšde, en avril, le nombre de demandes de jeunes femmes pour des refuges d’urgence a augmentĂ© de 20 Ă  40%. Au printemps, il n’y a pas eu plus de violence conjugale signalĂ©e Ă  la police que l’annĂ©e prĂ©cĂ©dente, mais il semble qu’il y ait une augmentation plus rapide de la criminalitĂ© de maltraitance des femmes cet automne.

    Au BrĂ©sil, la situation de la violence contre les femmes a augmentĂ© de façon exponentielle. Durant l’annĂ©e qui s’est Ă©coulĂ©e avant le mois de mai, les violences auraient augmentĂ©s de 450 %. Le nombre de fĂ©minicides a augmentĂ© de 22% rien qu’au dĂ©but de la pandĂ©mie en avril.

    Au Royaume-Uni, en «temps normal», deux femmes sont assassinĂ©es chaque semaine par leur partenaire ou ex-partenaire. Au cours des sept premiĂšres semaines du confinement national, 26 femmes et filles ont Ă©tĂ© tuĂ©es par un membre de leur famille. Le Groupe national de surveillance du gouvernement sur la violence domestique ne s’est pas rĂ©uni une seule fois depuis le dĂ©but de la pandĂ©mie, ce qui montre que l’augmentation massive des violences domestiques n’est pas prise au sĂ©rieux. Au lieu de cela, ils ont demandĂ© aux postiers et aux chauffeurs-livreurs de « vĂ©rifier les signes » d’abus alors que les travailleurs dont c’est le rĂŽle ont Ă©tĂ© jugĂ©s comme Ă©tant « non-essentiels ».

    Dans de nombreux pays oĂč le systĂšme de santĂ© est surchargĂ©, l’avortement n’était pas considĂ©rĂ© comme «essentiel», obligeant ainsi les femmes Ă  « choisir » entre d’un cĂŽtĂ© un avortement dangereux, cher et sans infrastructure et, de l’autre, un enfant non-dĂ©sirĂ©. En plus de l’attaque contre l’accĂšs Ă  l’avortement, il y a eu une augmentation des attaques de l’État contre les femmes.

    Capitalisme néocolonial et abus des institutions impérialistes: plus de violence contre les plus vulnérables

    Le 29 septembre, un rapport a Ă©tĂ© publiĂ© dĂ©taillant les abus sexuels commis par les membres de l’OMS (Organisation Mondiale de la SantĂ©) durant son intervention en RĂ©publique DĂ©mocratique du Congo contre la crise Ebola de 2018. Aux cĂŽtĂ©s de l’OMS, d’autres agences et ONG telles qu’ALIMA, l’UNICEF, IMC, World Vision, OXFAM, MĂ©decins sans frontiĂšres sont accusĂ©s. Sur place, de nombreuses femmes ont Ă©tĂ© forcĂ©es d’avoir des relations sexuelles en Ă©change d’un travail et de nourriture.

    La vulnĂ©rabilitĂ© des femmes, aggravĂ©e par les pandĂ©mies, est finalement utilisĂ©e comme un argument de nĂ©gociation pour ceux qui sont au pouvoir : hommes, institutions ou pays, qui finissent par sĂ©curiser leur autoritĂ© en exploitant des situations d’abus et de violence.

    Ce scandale montre que ces types d’agences, en relation avec des intĂ©rĂȘts impĂ©rialistes en pays nĂ©o-coloniaux, rĂ©vĂšle la farce de la soi-disant aide sociale aux victimes, en montrant leur rĂŽle de renfort des relations de colonialisme, de contrĂŽle et de pouvoir. Nous devons rejeter les fausses solutions prĂ©sentĂ©es par des organisations de ce type. Elles sont incapables de garantir la sĂ©curitĂ© et une meilleure vie aux femmes de la classe ouvriĂšre. Il faut lutter pour l’annulation des dettes de ces pays et pour la fin de l’exploitation impĂ©rialiste et nĂ©o-impĂ©rialiste.

    Nationalisme et attaques réactionnaires: le nouveau visage de la violence contre les femmes

    Partout dans le monde, le nationalisme est en hausse, en raison de la situation mondiale et de la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine. Des dirigeants populistes de droite et des politiciens haineux comme Trump, Bolsonaro, Erdogan, Poutine, Xi Jingping et d’autres font la promotion de points de vue sexistes. En plus de graves restrictions ou menaces contre le droit Ă  l’avortement (États-Unis, Pologne, Slovaquie, etc.), le dĂ©bat va mĂȘme plus loin en dĂ©clarant que ce n’est pas aux femmes de dĂ©cider pour leur corps. Les femmes sont dĂ©signĂ©es comme ayant moins de valeur. Ce type d’idĂ©es entraĂźne Ă©galement une augmentation des violence contre les femmes, car leur position dans la sociĂ©tĂ© est affaiblie et les hommes violents n’ont plus rien pour les freiner.

    Ces gouvernements d’extrĂȘme droite ont organisĂ© une guerre contre nos droits. Actuellement, 32 pays attaquent contre le droit Ă  l’avortement. Parmi eux les USA, le BrĂ©sil, l’Égypte, l’IndonĂ©sie, le Pakistan, la Pologne et la Hongrie. Il s’agit d’une rĂ©ponse claire au mouvement pour l’Ă©mancipation des femmes qui Ă©branle le monde et cela prouve que la violence de l’État capitaliste reste une stratĂ©gie de domination et de contrĂŽle de ce systĂšme. Nous devons suivre l’exemple des travailleuses polonaises et rĂ©agir en luttant plus encore.

    Lutter collectivement et s’organiser pour en finir avec les violences

    La pandĂ©mie n’est pas encore terminĂ©e ! Et le nombre de personnes infectĂ©es, ainsi que la violence contre les femmes, continue Ă  se dĂ©velopper dans une partie des pays nĂ©ocoloniaux, en particulier dans les d’AmĂ©rique latine et l’Inde.

    Entre 2016 et 2020, nous avons Ă©tĂ© tĂ©moins de luttes massives dans les rues menĂ©es par des femmes, surtout jeunes, contre le sexisme qui nous affecte de diverses maniĂšres. Cette Ă©nergie de lutte et cette rĂ©sistance n’ont pas disparu. La pandĂ©mie a aggravĂ© une situation concrĂšte qui Ă©tait dĂ©jĂ  trĂšs difficile, et a dĂ©jĂ  conduit des milliers de femmes dans les rues. Cette rĂ©sistance devra encore augmenter pour amĂ©liorer la vie de milliers de femmes, en particulier les travailleuses, qui sont touchĂ©es par cette vague de barbarie et de violence.

    Le 23 aoĂ»t, une grĂšve fĂ©ministe a eu lieu en IsraĂ«l suite au viol collectif brutal d’une adolescente de 16 ans et des milliers de personnes ont participĂ© Ă  la grĂšve. Des manifestations ont eu lieu du 20 au 23 aoĂ»t ; elles duraient jusqu’Ă  tard dans la nuit. Plusieurs routes ont Ă©tĂ© bloquĂ©es car les manifestants participaient Ă  une marche spontanĂ©e Ă  Tel-Aviv, ainsi qu’Ă  HaĂŻfa. Les jeunes et les femmes ont Ă©tĂ© les plus actifs dans ces initiatives : pour beaucoup de ces derniĂšres, c’Ă©tait la premiĂšre fois qu’elles entraient en lutte.

    Lorsque #metoo s’est rĂ©pandu dans le monde entier, cela a eu un impact majeur sur la discussion concernant les abus sexuels dans de nombreux pays, mĂȘme s’il n’y a pas eu de mouvements contre le sexisme. Au Danemark, par exemple, le dĂ©bat Ă©tait fort rĂ©duit jusqu’au moment oĂč le producteur de films amĂ©ricain Harvey Weinstein a Ă©tĂ© condamnĂ© Ă  la prison, ce qui a dĂ©clenchĂ© tout un dĂ©bat choc sur le consentement, les abus et les droits des femmes. Depuis le dĂ©but du mois d’octobre, un mouvement #metoo a commencĂ© Ă  se rĂ©pandre dans tout le pays. Tant dans l’industrie cinĂ©matographique, que dans la sphĂšre politique et dans plusieurs autres domaines, les femmes se manifestent et racontent les abus qu’elles ont subis. Des milliers de Danois ont signĂ© un certain nombre de pĂ©titions diffĂ©rentes, attirant l’attention sur le sexisme sur les lieux de travail dans tout une sĂ©rie de secteurs et d’industries diffĂ©rents.

    Nous avons Ă©galement assistĂ© Ă  l’Ă©clatement de grĂšves des travailleurs de la santĂ©, en particulier des femmes, qui luttent pour des conditions de travail sĂ»res et des augmentations de salaire dans de nombreuses rĂ©gions du monde. Au Nigeria, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue pour lutter contre les brutalitĂ©s policiĂšres. Dans toutes ces actions, les femmes ont Ă©tĂ© en premiĂšre ligne des manifestations.

    Un programme socialiste pour mettre fin Ă  la violence

    La campagne officielle des Nations Unies sur le thĂšme mondial du 25 novembre est « Orange the World: Fund, Respond, Prevent, Collect! » Ils demandent aux gens de porter de l’orange et de mettre des affiches oranges Ă  leurs fenĂȘtres. Ils demandent que le financement des services aux femmes soit inclus dans les plans publics de relance, pour rĂ©ponse Ă  la montĂ©e de la violence et au maintien des services essentiels, et qu’une campagne de prĂ©vention soit organisĂ©e Ă  cĂŽtĂ© de la collecte de donnĂ©es pour estimer la gravitĂ© de la situation ! Dire que cela ne va pas assez loin serait un euphĂ©misme.

    Nous ne pouvons pas nous fier aux gouvernements capitalistes ou mĂȘme aux ONG et aux groupes de campagne libĂ©raux. Pour obtenir le type de services et de soutien nĂ©cessaires pour sauver la vie des femmes dans cette crise, il faudra un mouvement de masse de la classe ouvriĂšre et des pauvres de tous les genres.

    Alternative Socialiste Internationale (ASI) dĂ©fend le fĂ©minisme socialiste et appelle toutes les femmes Ă  organiser un rĂ©seau de luttes et d’actions internationales autour de revendications et d’actions immĂ©diates qui assurent la dĂ©fense de nos vies. Nous ne luttons toutefois pas seulement pour un retour Ă  la «vie d’avant», car elle Ă©tait dĂ©jĂ  insupportable. Nous devons aller au-delĂ  des revendications qui se concentrent uniquement sur la situation immĂ©diate et lutter pour un nouvel avenir pour les masses.

    L’organisation de ces luttes doit se faire de maniĂšre conjointe, collective et internationale. MalgrĂ© les diffĂ©rences de niveaux d’organisation et de rĂ©ponse du capitalisme dans chaque pays, il est indĂ©niable que c’est le mĂȘme systĂšme qui nous viole. Les travailleuses, les travailleur et la jeunesse Ă  travers le monde doivent construire une lutte anticapitaliste puissante, seule possibilitĂ© de mettre fin Ă  l’oppression. Nous considĂ©rons comme notre rĂŽle de proposer Ă  toutes les femmes actives contre la violence un programme qui va au-delĂ  des appels aux dirigeants: nous proposons un programme qui va directement au cƓur du problĂšme : le systĂšme capitaliste. Les expĂ©riences historiques du passĂ© ont pu nous prouver qu’aucun pays capitaliste n’a conquis des avancĂ©es telles que celles qui ont Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es par la RĂ©volution Russe de 1917, en ce qui concerne les revendications des femmes travailleuses.

    Dans les moments de crise intense, comme celui-ci, les socialistes comprennent qu’il faut combiner des mesures immĂ©diates avec des luttes et des revendications qui nous permettront de construire un mouvement pour renverser ce systĂšme oppressif et exploiteur incapable de fournir une vie dĂ©cente et dĂ©fendre un autre systĂšme !

    C’est pourquoi, en ce 25 novembre, nous appelons Ă  la construction d’un mouvement fĂ©ministe socialiste et Ă  la lutte pour une alternative socialiste internationale, comme moyen de mettre un terme Ă  la violence contre les femmes!

    ● Ni Una Menos – Pas une de moins – plus une seule vie ne doit ĂȘtre perdue Ă  cause de la violence sexiste; pour l’arrĂȘt des violences physiques et psychologiques. Nous luttons pour mettre fin Ă  la violence, aux abus et au harcĂšlement sexiste, sous toutes leurs formes et partout ou cela se produit: sur le lieu de travail, Ă  la maison, dans les Ă©coles et universitĂ©s, dans les institutions publiques, dans la rue ou en ligne.

    ● Les politiciens sauvent les banques et les entreprises, mais la vie des femmes est sacrifiĂ©e. Cette pandĂ©mie de violence nĂ©cessite des mesures d’urgence. Nous avons besoin d’une augmentation immĂ©diate des dĂ©penses publiques et de l’Ă©laboration de politiques gouvernementales pour lutter contre la violence Ă  l’Ă©gard des femmes. Cela devrait inclure la construction de refuges et de rĂ©seaux pour les femmes et les enfants en situation de violence et des services spĂ©cialisĂ©s en matiĂšre de violence domestique et/ou sexuelles. Les services de santĂ© mentale devraient inclure l’accĂšs de proximitĂ© aux conseils et Ă  la thĂ©rapie dont les victimes ont besoin, ainsi que des Ă©valuations psychologiques spĂ©cialisĂ©es et des traitements pour les auteurs de violence. Il devrait y avoir un salaire dĂ©cent et un emploi garanti pour tous pour rendre possible une vie indĂ©pendante.

    ● Le coronavirus a mis en Ă©vidence la nĂ©cessitĂ© fondamentale de faire du bien-ĂȘtre de tous la premiĂšre prioritĂ©. Nous devons saisir la richesse de l’Ă©lite capitaliste pour financer des investissements massifs dans les services publics, et garantir la gratuitĂ© des soins de santĂ© et de la garde des enfants. Le chĂŽmage de masse n’a aucun sens dans une sociĂ©tĂ© dans laquelle il y a tant de besoins. Nous dĂ©fendons la rĂ©duction collective de la journĂ©e de travail sans perte de salaire, en vue d’amĂ©liorer le bien ĂȘtre et la crĂ©ation d’emplois verts et socialement utiles. Le chĂŽmage peut ĂȘtre rĂ©duit Ă  zĂ©ro.

    ● Personne ne devrait avoir faim. Il nous faut un plan d’urgence pour lutter contre l’augmentation de la faim – sous le contrĂŽle des organisations de travailleurs, des pauvres et des petits agriculteurs – comme premier pas vers une replanification de l’agriculture. Finissons-en avec les mĂ©thodes capitalistes qui nuisent Ă  la nature.

    ● Les travailleurs doivent disposer de lieux de travail sĂ»rs contre la propagation du virus, du harcĂšlement sexuel et du stress. Cela nĂ©cessite une sĂ©curitĂ© de l’emploi, un contrĂŽle des travailleuses et travailleurs sur le bien-ĂȘtre et la sĂ©curitĂ© et une augmentation du personnel pour rĂ©duire le stress au travail.

    ● De vĂ©ritables contrĂŽles des loyers et la construction massive de logements sociaux : chacun a droit Ă  un logement sĂ»r, abordable et paisible. Expropriation et propriĂ©tĂ© publique de logements vides en raison de la spĂ©culation.

    ● Pour un enseignement gratuit, de qualitĂ©, public et sĂ©culaire avec un point de vue progressiste reflĂ©tant les diffĂ©rentes orientations sexuelles et de genre, axĂ©es sur le consentement.

    ● AccĂšs gratuit et facile Ă  la contraception et Ă  l’avortement.

    ● Les syndicats et les dĂ©lĂ©guĂ©s syndicaux doivent mener une vĂ©ritable lutte pour syndiquer leurs collĂšgues, lutter pour mettre fin au travail prĂ©caire, pour un salaire dĂ©cent pour tous les travailleurs et contre le harcĂšlement sexuel sur le lieu de travail – un tel mouvement pourrait prendre la tĂȘte de la lutte contre toute forme de sexisme, de misogynie, de racisme, d’homophobie et de transphobie pour construire un front de lutte uni de la classe ouvriĂšre.

    ● Mettre fin aux tribunaux reproduisant le sexisme, la discrimination et le blĂąme des victimes. Toutes les parties de l’État et des services sociaux qui sont en contact avec les victimes et les auteurs devraient ĂȘtre Ă©duquĂ©es sur la question de la violence sexiste et formĂ©es pour garantir que les plaignants et les victimes sont traitĂ©s avec respect.

    ● Nous luttons pour un État dĂ©mocratiquement gouvernĂ© par la classe ouvriĂšre par en bas, en supprimant les prĂ©jugĂ©s actuels en faveur des classes dirigeantes et en Ă©liminant les discriminations racistes et sexistes dans les services publics et la justice.

    ● Pour une rĂ©ponse immĂ©diate et massive de l’ensemble de la classe ouvriĂšre aux tentatives Ă©tatiques et religieuses de priver les femmes et les personnes LGBTQI de leur droit Ă  disposer de leur corps, comme les attaques contre le droit Ă  l’avortement dans de nombreux pays.

    ● Pour une lutte contre l’objectivation du corps des femmes et la fin des publicitĂ©s sexistes – les mĂ©dias doivent ĂȘtre placĂ©s sous contrĂŽle dĂ©mocratique.

    ● Non Ă  la guerre et lutte pour la justice climatique – mettre fin aux politiques d’immigration racistes – pour le droit d’asile.

    ● PropriĂ©tĂ© publique dĂ©mocratique et contrĂŽle par la classe ouvriĂšre des principaux leviers de l’Ă©conomie, des principales richesses et ressources, dans le cadre d’une planification socialiste dĂ©mocratique de l’Ă©conomie pour subvenir aux besoins des personnes et de la planĂšte et non rĂ©pondre Ă  la soif de profits.

    ● Pour une sociĂ©tĂ© socialiste oĂč le sexisme et la violence contre les femmes appartiennent vĂ©ritablement au passĂ© – pour un monde socialiste exempt de division de classe, d’oppression, de guerre et de violence dans lequel chaque personne a le droit Ă  un niveau de vie de bonne qualitĂ©, et a la libertĂ© de profiter de la vie!

  • « La violence et le sexisme omniprĂ©sents reprĂ©sentent un danger tout aussi rĂ©el que le coronavirus »

    “From #Metoo to #Fightback” – DĂ©lĂ©gation de la Campagne ROSA Ă  la manifestation du 24 novembre 2019.

    Ce dimanche, de premiĂšres actions ont eu lieu Ă  dans le cadre de la JournĂ©e internationale contre la violence Ă  l’égard des femmes (voir notre rapport), qui sera ce mercredi 25 novembre. Ce jour-lĂ , la Campagne ROSA (RĂ©sistance contre l’Oppression, le Sexisme et l’AustĂ©ritĂ©) organise encore toute une sĂ©rie d’actions dans pas moins de 12 villes diffĂ©rentes ! A Bruxelles, un rassemblement autorisĂ© aura lieu Ă  partir de 15h Ă  la Gare centrale.

    «  La crise sanitaire n’a pas mis un terme aux violences faites aux femmes, au contraire : on assiste aujourd’hui Ă  une dangereuse augmentation de cette violence. La violence et le sexisme omniprĂ©sents reprĂ©sentent un danger tout aussi rĂ©el que le coronavirus », explique Emily Burns, coordinatrice nationale de la Campagne ROSA.

    Elle poursuit : « C’est un fait connu et dĂ©montrĂ©, la violence domestique augmente pendant les crises. Durant le (semi-)confinement, la tension augmente dans tous les foyers. Lorsqu’il y a dĂ©jĂ  violence, c’est l’enfer qui s’instaure de maniĂšre permanente. Les personnes victimes de violence sont contraintes Ă  des contacts plus Ă©troits et sans plus aucun moments de rĂ©pit avec leurs agresseurs. Ces derniers peuvent, de plus, davantage surveiller leurs comportements et les empĂȘcher de rechercher du soutien ou de l’aide. MalgrĂ© ça, les appels Ă  l’aide pour violences domestiques ont triplĂ© en Belgique durant le confinement ! »

    Si elle a pris une forme encore plus aiguĂ« dans les foyers, la crise sanitaire dĂ©grade la situation partout et les violences sexistes touchent toutes les sphĂšres et tous les espaces. « Par exemple, lorsqu’il y a un confinement ou un couvre-feu, le harcĂšlement dans l’espace public est moins « attĂ©nuĂ© » par un certain contrĂŽle social. »

    La crise sanitaire a mis en avant les personnes travaillant dans les secteurs essentiels (soins, distribution, aide familiale,
) oĂč les femmes sont majoritaires. Ces personnes habituellement invisibles ou mĂ©prisĂ©es ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©es comme des hĂ©roĂŻnes. « Cependant, leurs conditions de travail sont particuliĂšrement dĂ©plorables », explique encore la responsable de la campagne fĂ©ministe socialiste, « temps partiels involontaires dans la distribution, heures supplĂ©mentaires dans les soins, risque sanitaire accru sans fourniture de matĂ©riel de protection pour les aides Ă  domicile,
 Le salaire horaire est, de plus, rĂ©guliĂšrement infĂ©rieur Ă  14€ brut ! Enfin, les contrats prĂ©caires (intĂ©rim, CDD) sont courant et limitent la possibilitĂ© de revendiquer des conditions de travail dĂ©centes, de peur de perdre son emploi. Aussi essentielles soient ses travailleuses, elles ne sont pas traitĂ©es comme des hĂ©roĂŻnes ! »

    Quelles solutions ?

    Pour remĂ©dier aux violences sexistes, les mesures symboliques sont insuffisantes. Il est nĂ©cessaire de combiner des revendications pour un enseignement de qualitĂ© et un meilleur accompagnement des victimes Ă  celles contre l’objectification des corps pour faire des profits. Il faut aussi amorcer les luttes nĂ©cessaires pour permettre l’indĂ©pendance Ă©conomique des femmes afin qu’elles puissent quitter des situations de violence et opĂ©rer un rĂ©el choix sur leur vie. Seul un vaste programme de satisfaction des besoins sociaux par des services publics de qualitĂ© et suffisant ainsi que des conditions de travail et de salaire dignes peut mettre fin aux discriminations.

    « La marchandisation de nos corps et les bas salaires ne profitent qu’à un seul groupe de la population : les trĂšs riches qui ont d’ailleurs augmentĂ© leur fortune de 28% durant la crise sanitaire. Sexisme, racisme, LGBTQI+phobie, ils ont besoin de nous diviser pour mieux rĂ©gner », conclut Emily, « C’est cela le fĂ©minisme socialiste que dĂ©fend la Campagne ROSA. Le problĂšme est structurel, il faudra une sociĂ©tĂ© dĂ©barrassĂ©e de l’exploitation pour parvenir Ă  en finir avec le sexisme. C’est un travail de longue haleine, un marathon et non un sprint. Mais un combat que l’on peut gagner si on unit toutes les personnes opprimĂ©es et exploitĂ©es. »

  • [DOSSIER] Le capitalisme en crise : le cauchemar de l’idĂ©ologie nĂ©olibĂ©rale

    Les «Chicago Boys» complotent, avec le soutien des États-Unis, la politique Ă©conomique du gĂ©nĂ©ral Pinochet.

    Le dĂ©bat se poursuit sur la maniĂšre dont le capitalisme entend tenter de s’extraire de la crise actuelle. Le nĂ©olibĂ©ralisme a causĂ© des dommages incalculables Ă  l’Ă©conomie mondiale.

    Par Bill Hopwood, Socialist Alternative (ISA – Canada)

    La classe dirigeante de la sociĂ©tĂ© capitaliste entend garder le contrĂŽle de la situation grĂące Ă  un mĂ©lange de rĂ©pression, d’idĂ©ologie et d’approvisionnement matĂ©riel de la population qu’elle dirige. La rĂ©pression est Ă  elle seule coĂ»teuse et inefficace Ă  long terme pour garder le pouvoir. Les dirigeants doivent gĂ©nĂ©ralement assurer une certaine protection matĂ©rielle et un certain approvisionnement de la sociĂ©tĂ©, qu’il s’agisse de maintenir les habitants d’une ville ou d’un pays relativement Ă  l’abri de la faim ou d’une mort prĂ©maturĂ©e. Par le passĂ©, l’idĂ©ologie, souvent mĂȘlĂ©e Ă  la religion, fut un facteur crucial pour justifier la domination des dirigeants.

    Le capitalisme a utilisĂ© l’augmentation du niveau de vie – ou du moins l’espoir d’une amĂ©lioration future – comme pierre angulaire de sa domination. L’idĂ©e de « progrĂšs », tant en matiĂšre de niveau de vie que de droits humains, fut la clĂ© de l’ascension de la classe capitaliste. Elle a perdurĂ© pendant une bonne partie du XXe siĂšcle.

    En raison de la baisse des profits et des vagues de luttes sociales dans les annĂ©es 1960 et 1970, la classe capitaliste s’est Ă©loignĂ©e des politiques d’aprĂšs-guerre, dĂ©crites comme keynĂ©siennes, et est passĂ©e au nĂ©olibĂ©ralisme. L’objectif Ă©tait d’affaiblir le pouvoir de la classe ouvriĂšre et d’augmenter les profits. Cela a nĂ©cessitĂ© des attaques contre les syndicats et des modifications de lĂ©gislation. Pour rĂ©ussir le passage au nĂ©olibĂ©ralisme, il fallait Ă©galement saper les idĂ©es nĂ©es de la croissance Ă©conomique de l’aprĂšs-guerre. L’État ne devait plus fournir de filet de sĂ©curitĂ© sociale ni agir pour protĂ©ger la sociĂ©tĂ©, les personnes vulnĂ©rables ou l’emploi. L’Etat n’avait jamais rĂ©ellement fait tout cela durant l’aprĂšs-guerre, mais cette idĂ©e Ă©tait largement rĂ©pandue. Avec le nĂ©olibĂ©ralisme, c’Ă©tait au « marchĂ© » de fournir ce dont la sociĂ©tĂ© avait besoin, mais Ă  la condition qu’il soit « libĂ©rĂ© » de l’ingĂ©rence de l’État.

    La promesse du paradis néolibéral

    « La bureaucratie Ă©touffe la croissance Ă©conomique et la crĂ©ation d’emplois ». « Les rĂ©ductions d’impĂŽts crĂ©ent des emplois. » « On peut augmenter la capacitĂ© des soins de santĂ© avec des entreprises privĂ©es. » « Le secteur privĂ© doit fournir Ă  ses clients des biens et des services de qualitĂ©. » « La privatisation augmente l’offre et le choix. » « Le libre-Ă©change aide tout le monde. » « L’innovation est un mot Ă©tranger au secteur public. » « Les employĂ©s du secteur public ne veulent pas du changement. » « Le secteur privĂ© est la seule source de crĂ©ation de richesse dans notre sociĂ©tĂ©. » « Un petit gouvernement stimule l’Ă©conomie. » « La propriĂ©tĂ© privĂ©e est le protecteur le plus efficace de l’environnement. » « Nous ne voyons pas de problĂšme au fait que les gens s’enrichissent sans limite. » « La sociĂ©tĂ© n’existe pas, il n’y a que des individus et des familles. »

    Ce ne sont lĂ  que quelques-unes des nombreuses dĂ©clarations utilisĂ©es pour soutenir l’attaque du nĂ©olibĂ©ralisme contre les conquĂȘtes passĂ©es de la classe ouvriĂšre. Le nĂ©olibĂ©ralisme a lancĂ© une offensive idĂ©ologique pour remplacer les idĂ©es qui avaient bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un large soutien dans la sociĂ©tĂ© pendant le boom de l’aprĂšs-guerre, du moins dans les principaux pays capitalistes.

    Gagner le soutien de l’opinion publique en faveur du nĂ©olibĂ©ralisme

    Il a fallu bien du temps et des Ă©vĂ©nements pour saper les idĂ©es de l’aprĂšs-guerre sur le plein emploi, l’État providence et l’importance des services publics. La premiĂšre expĂ©rience du nĂ©olibĂ©ralisme a Ă©tĂ© imposĂ©e par une dictature militaire brutale, sans aucune tentative de gagner un soutien idĂ©ologique, aprĂšs le coup d’État au Chili en 1973 qui a renversĂ© le gouvernement de gauche d’Allende.

    À ses dĂ©buts, le nĂ©olibĂ©ralisme n’avait mĂȘme pas de nom convenu, ce terme Ă©tait utilisĂ© au mĂȘme titre que le monĂ©tarisme, le nĂ©o-conservatisme ou les programmes d’ajustement structurel. Avec les Ă©lections de Thatcher en Grande-Bretagne en 1978 et de Reagan aux États-Unis en 1980, le nĂ©olibĂ©ralisme a acquis une base importante et a intensifiĂ© ses revendications et ses actions idĂ©ologiques.

    Les nĂ©olibĂ©raux ont exploitĂ© les failles des services publics, souvent minĂ©s par des coupes budgĂ©taires dĂ©libĂ©rĂ©es, et leur gestion bureaucratique dĂ©pourvue de contrĂŽle dĂ©mocratique imposĂ©e par les capitalistes. Le soutien du public a Ă©galement Ă©tĂ© gagnĂ© par des gains modestes immĂ©diats annonciateurs d’une grande douleur Ă  long terme.

    Ainsi, d’Ă©normes rĂ©ductions d’impĂŽts pour les riches et les grandes entreprises ont Ă©tĂ© combinĂ©es Ă  de petites rĂ©ductions d’impĂŽts pour les travailleuses et les travailleurs. Ces derniers bĂ©nĂ©ficiaient de cette enveloppe de quelques dollars quelques annĂ©es durant, pour la payer plusieurs fois lorsque leurs enfants entraient Ă  l’universitĂ© par exemple, puisque les frais d’Ă©ducation avaient grimpĂ© en flĂšche.

    ParallĂšlement aux rĂ©ductions d’impĂŽts, les services publics ont Ă©tĂ© rĂ©duits, de sorte que les travailleuses et travailleurs se sont retrouvĂ©s plus tard confrontĂ©s Ă  des services de qualitĂ© infĂ©rieure ou Ă  une augmentation des tarifs. L’offre de logements sociaux a Ă©tĂ© rĂ©duite, ce qui a entraĂźnĂ© une augmentation des loyers et des prix de l’immobilier. Thatcher a vendu les maisons communales Ă  moitiĂ© prix aux locataires. C’Ă©tait une aubaine pour les locataires existants, mais en consĂ©quence, la pĂ©nurie de loyers abordables est incroyable et les listes d’attente s’allongent sans cesse. Parfois, lors de la privatisation des biens publics, les travailleuses et travailleurs ont reçu quelques actions, mais les suppressions d’emplois ont suivi.

    Cette victoire du nĂ©olibĂ©ralisme n’Ă©tait toutefois pas une fatalitĂ©. La classe ouvriĂšre a souvent rĂ©sistĂ© et repoussĂ© des attaques. Ce n’est qu’aprĂšs l’effondrement de l’Union soviĂ©tique et du stalinisme, Ă  la fin de l’annĂ©e 1991, que le nĂ©olibĂ©ralisme a connu son envol. Bien que l’Union soviĂ©tique ait Ă©tĂ© une dictature bureaucratique, elle a dĂ©montrĂ© qu’il est possible de faire fonctionner une Ă©conomie en dehors du cadre du capitalisme. Elle offrait une alternative Ă  l’exploitation impĂ©rialiste brutale dans le monde nĂ©ocolonial. C’est aprĂšs l’effondrement de l’URSS que l’ANC en Afrique du Sud (le parti de Mandela) a acceptĂ© la domination capitaliste.

    La classe capitaliste a affirmĂ© que l’Union soviĂ©tique Ă©tait socialiste et qu’elle avait Ă©tĂ© vaincue. Une idĂ©e, l’espoir d’une alternative, qui avait brĂ»lĂ© pendant plus de 150 ans, Ă©tait terminĂ©e. Les capitalistes Ă©taient triomphants, ils avaient gagnĂ© et proclamaient la « fin de l’histoire ». Il n’y avait pas d’alternative au capitalisme. La plupart des dirigeants du mouvement ouvrier au sein des syndicats et des partis ouvriers Ă©tait dĂ©jĂ  en recul face Ă  l’assaut idĂ©ologique. Ils ont alors abandonnĂ© toute rĂ©sistance et acceptĂ© le capitalisme comme seul systĂšme Ă©conomique possible.

    L’effondrement de l’Union soviĂ©tique et l’ouverture de la Chine Ă  l’Ă©conomie mondiale ont Ă©galement donnĂ© au capitalisme une impulsion Ă©conomique temporaire en lui offrant de nouveaux marchĂ©s et une source idĂ©ale de main-d’Ɠuvre : peu rĂ©munĂ©rĂ©e, qualifiĂ©e et disciplinĂ©e. Aujourd’hui, 30 ans plus tard, cela a pris fin, la Chine Ă©tant devenue un rival majeur des anciens pays capitalistes Ă©tablis.

    Des dĂ©cennies d’expĂ©rience

    Au cours des trente derniĂšres annĂ©es, le nĂ©olibĂ©ralisme a rĂ©gnĂ© en maĂźtre, imprĂ©gnant toutes les couches de la sociĂ©tĂ©. MĂȘme dans le secteur public, la culture a changĂ© : les patients sont maintenant des clients et les Ă©lĂšves et parents des consommateurs d’un « produit Ă©ducatif » plutĂŽt que des citoyens ayant des droits. L’une des idĂ©es-phares Ă©tait que la privatisation amĂ©liorerait les services et Ă©largirait le choix. Cela a peut-ĂȘtre Ă©largi le choix pour celles et ceux qui ont de l’argent, mais pas pour toutes et tous.

    En Grande-Bretagne, les transports publics ont Ă©tĂ© privatisĂ©s, ce qui a entraĂźnĂ© une dĂ©tĂ©rioration et une augmentation du coĂ»t des services, qui dĂ©pendent d’importantes subventions publiques. Au dĂ©part, mĂȘme les voies ferrĂ©es ont Ă©tĂ© privatisĂ©es. Cependant, cela a entraĂźnĂ© un manque d’entretien et plusieurs accidents, de sorte que l’infrastructure a Ă©tĂ© reprise par le secteur public. Des sociĂ©tĂ©s concurrentes exploitent les chemins de fer et appliquent des tarifs diffĂ©rents, mĂȘme sur les mĂȘmes lignes, et sans que les billets ne soient valables sur toutes les lignes. Dans les villes, le transport en commun intĂ©grĂ© s’est dĂ©sintĂ©grĂ©. Les bus et les tramways sont en concurrence, opĂ©rant parfois sur les mĂȘmes lignes et sans billets standard.

    Le « choix » dans les Ă©coles aux États-Unis et en Grande-Bretagne a conduit Ă  dĂ©connecter les Ă©coles de la communautĂ© locale, Ă  augmenter les dĂ©placements en voiture Ă  travers la ville et Ă  accroĂźtre les inĂ©galitĂ©s car l’argent va aux « meilleures » Ă©coles. Partout, les systĂšmes de santĂ© publique ont Ă©tĂ© Ă©rodĂ©s par la privatisation de plus en plus frĂ©quente du service, avec tous les rĂ©sultats dĂ©sastreux rĂ©vĂ©lĂ©s par la crise sanitaire actuelle.

    AprĂšs la privatisation, les anciens services publics – eau, Ă©lectricitĂ©, gaz, tĂ©lĂ©phone, etc. – ont gĂ©nĂ©rĂ© d’importants profits pour les actionnaires, mais le service Ă  la collectivitĂ© a Ă©tĂ© rĂ©duit. Les appels au service clientĂšle sont presque toujours mis en attente, car les entreprises « connaissent toujours un volume d’appels Ă©levé ».

    L’une des idĂ©es les plus insidieuses du nĂ©olibĂ©ralisme est celle de la responsabilitĂ© individuelle. Vous ne trouvez pas de travail ? C’est de votre faute. Votre enfant a de mauvaises notes ? C’est de votre faute. Vous tombez malade ? C’est de votre faute. C’Ă©tait la conclusion logique de l’adage de Thatcher : « La sociĂ©tĂ© n’existe pas ». Cette logique ignorent clairement le racisme systĂ©mique, la pauvretĂ© et la discrimination, ainsi que l’inĂ©galitĂ© d’accĂšs Ă  l’emploi, Ă  l’Ă©ducation et aux soins de santĂ©.

    ParallĂšlement Ă  cette idĂ©e, on affirme que les gens rĂ©ussissent grĂące Ă  leur propre travail et Ă  leurs propres efforts. On prĂ©tend ainsi qu’il n’y a pas de discrimination, car de nombreux pays sont aujourd’hui des sociĂ©tĂ©s multiculturelles, afin que les meilleurs et les plus brillants de tous les milieux puissent rĂ©ussir. Ainsi, les femmes peuvent briser le plafond de verre, un noir peut devenir prĂ©sident des États-Unis. La rĂ©ussite d’un individu ne change toutefois pas la rĂ©alitĂ© de la majoritĂ© des femmes ou des noirs aux États-Unis. En fait, ce point de vue condamnait celles et ceux qui ne rĂ©ussissent pas.

    Il est vrai que pendant l’Ăšre nĂ©olibĂ©rale, les personnes LGBTQIA+ ont bĂ©nĂ©ficiĂ© d’avantages juridiques. Cependant, mĂȘme ces gains rĂ©sultent de luttes importantes et ces avancĂ©es sont lĂ©gales et individuelles, et non Ă©conomiques ou collectives. La plupart des avancĂ©es juridiques et Ă©conomiques pour les femmes et les personnes de couleur ont Ă©tĂ© obtenues plus tĂŽt, lors des luttes des annĂ©es 1960 et 1970.

    Un autre mythe du nĂ©olibĂ©ralisme est que la mondialisation et les accords commerciaux devaient rassembler les gens, surmonter l’État-nation et sortir les gens de la pauvretĂ©. L’Union europĂ©enne a propagĂ© cette idĂ©e, et c’est l’une des raisons pour lesquelles les jeunes Britanniques ont dĂ©cidĂ© de rester dans l’UE. Cependant, la libre circulation des personnes au sein de l’UE est liĂ©e Ă  l’Europe-Forteresse meurtriĂšre (notamment en MĂ©diterranĂ©e).

    Dans l’ensemble, l’expĂ©rience de l’inĂ©galitĂ© croissante, de la baisse de la qualitĂ© et du coĂ»t des services et toutes les autres rĂ©alitĂ©s du nĂ©olibĂ©ralisme ont sapĂ© l’adhĂ©sion idĂ©ologique des travailleuses et des travailleurs. La Grande RĂ©cession de 2008-2009 a fait voler en Ă©clats toutes ces illusions et a montrĂ© que la classe capitaliste avait effectivement besoin de l’État et d’ĂȘtre massivement renflouĂ©e par celui-ci. L’assistance sociale aux entreprises et aux riches en somme.

    Bien que la Grande RĂ©cession ait sapĂ© l’idĂ©ologie du nĂ©olibĂ©ralisme, avec le mouvement Occupy qui a capturĂ© l’atmosphĂšre de millions de personnes en parlant du 1% contre le 99%, celle-ci n’a pas pris fin. Mais la rĂ©sistance au nĂ©olibĂ©ralisme a Ă©tĂ© gĂ©nĂ©ralisĂ©e, avec des grĂšves, des occupations, des protestations, des mouvements de masse et des luttes rĂ©volutionnaires.

    Cependant, la classe dirigeante a pu revenir Ă  l’austĂ©ritĂ© et au nĂ©olibĂ©ralisme grĂące aux faiblesses des dirigeants des organisations ouvriĂšres. La plupart des directions syndicales n’ont pas chercher Ă  construire la lutte de masse, mais ont plutĂŽt organisĂ© des actions pour se dĂ©fouler et ensuite revenir Ă  la normale. En 2009, les anciens partis de la classe ouvriĂšre Ă©taient dĂ©jĂ  mariĂ©s au capitalisme. Dans certains pays, de nouveaux partis sont apparus avec une rhĂ©torique radicale mais, une fois au gouvernement, ils n’avaient pas d’alternative viable Ă  la domination capitaliste. Le cas le plus frappant est celui de Syriza en GrĂšce, qui a refusĂ© de donner suite au rĂ©sultat massif du rĂ©fĂ©rendum sur le « Non » Ă  la politique d’austĂ©ritĂ©. Syriza a capitulĂ© devant la brutale austĂ©ritĂ© de l’Union europĂ©enne. Au fond, ces partis et dirigeants – comme Sanders et Corbyn – bien qu’opposĂ©s Ă  l’austĂ©ritĂ©, n’ont pas de stratĂ©gie pour se battre et arracher la victoire.

    La perception du public est que les promesses nĂ©olibĂ©rales sont en grande partie un tissu de mensonges. Les politiques nĂ©olibĂ©rales ont enrichi l’Ă©lite capitaliste mais, pour la plupart des travailleurs et travailleuses, le niveau de vie a stagnĂ©. Les nouveaux emplois apparus sont la plupart du temps mal payĂ©s et prĂ©caires, et les services publics ont Ă©tĂ© sapĂ©s. Les services publics privatisĂ©s sont souvent pires que les anciens services publics. Les accords commerciaux n’ont pas conduit Ă  une profusion d’emplois. Le marchĂ© ne protĂšge pas l’environnement et n’agit pas sur le changement climatique. La dĂ©rĂ©glementation, ou l’autorĂ©glementation des entreprises, a abaissĂ© les normes de santĂ© et de sĂ©curitĂ© et la protection des travailleuses et travailleurs, entraĂźnant parfois des dĂ©cĂšs, comme dans le cas des crashs de deux Boeing 737 Max qui ont tuĂ© 346 personnes.

    Puis est venu le coronavirus

    Bien que le Covid-19 soit causĂ© par un virus, les Ă©normes taux de contamination, le nombre de dĂ©cĂšs, le confinement des Ă©conomies et des pays ont soulevĂ© de profondes questions sur la sociĂ©tĂ© et ses prioritĂ©s. L’approche du nĂ©olibĂ©ralisme ne permet pas d’excĂ©dent capable de servir de tampon pour absorber les chocs, il n’y a pas de capacitĂ© de rĂ©serve pour faire face Ă  une crise. Le Covid a rĂ©vĂ©lĂ© l’idiotie de cette mĂ©thode Ă  court terme.

    Des dĂ©cennies de nĂ©olibĂ©ralisme ont laissĂ© les systĂšmes de santĂ© sous-financĂ©s, avec une pĂ©nurie de lits d’hĂŽpitaux, en particulier les unitĂ©s de soins intensifs. Le prĂ©sident de la SociĂ©tĂ© europĂ©enne d’anesthĂ©siologie, le professeur Zacharowski, a dĂ©clarĂ© : « Au cours de la derniĂšre dĂ©cennie, dans toute l’Europe, nous avons rĂ©duit le nombre de lits d’hĂŽpitaux, y compris les lits de soins intensifs ». Le Canada, un pays riche, a rĂ©duit les lits de soins intensifs de 4,99 lits pour 1000 personnes en 1976 Ă  seulement 1,96 en 2018. Les maisons de repos et de soins sont devenues des piĂšges mortels en raison d’annĂ©es d’exploitation qui les ont laissĂ©es en sous-effectif.

    Les gouvernements du monde entier, en raison des coupes budgĂ©taires dans le financement et des rĂ©ductions fiscales pour les riches, n’ont pas pu constituer de stocks suffisants d’Ă©quipements de protection individuelle (EPI). La pĂ©nurie rĂšgne encore mĂȘme des mois plus tard. De nombreux pays ont externalisĂ© leur production et continuent de faire des efforts pour en produire suffisamment, alors que les pays sont en concurrence pour s’approvisionner. Étonnamment, les gouvernements semblent incapables de fabriquer des kits de test qui fonctionnent. PrĂšs d’un an aprĂšs que l’OMS ait exhortĂ© les gouvernements Ă  se prĂ©parer pour le Covid, le Canada connaĂźt toujours une pĂ©nurie de tests avec des retards, de longues files d’attente ou des restrictions d’accĂšs. Le gouvernement britannique a confiĂ© les tests et la recherche Ă  des sociĂ©tĂ©s privĂ©es avec en rĂ©sultat l’inĂ©vitable « dĂ©sordre total » qui met des vies en danger.

    Le Covid a rĂ©vĂ©lĂ© qui sont les travailleurs et travailleuses essentiels : le personnel d’entretien, celui de la distribution, celui de la santĂ©,… Mais ceux qui sont bien payĂ©s, ce sont les personnes non-essentielles telles que les PDG, les avocats d’entreprise ou les banquiers. Au cours de la crise sanitaire, les super-riches, tout en restant en sĂ©curitĂ©, sont devenus encore plus riches. Les milliardaires amĂ©ricains ont gagnĂ© 637 milliards de dollars pendant cette crise (Business Insider, aoĂ»t 2020).

    Pendant des annĂ©es, tous les propriĂ©taires d’entreprises et leurs dĂ©fenseurs ont fait valoir que les dĂ©penses de l’État devaient ĂȘtre rĂ©duites et que moins l’État dĂ©pense, mieux c’est pour la sociĂ©tĂ© et l’Ă©conomie. Dans une dĂ©marche tout Ă  fait renversante, ces mĂȘmes personnes rĂ©clament aujourd’hui des milliards de dollars aux gouvernements, et la plupart des gouvernements ont rĂ©pondu en ouvrant largement leurs portefeuilles.

    Les gens ont massivement acceptĂ© la premiĂšre sĂ©rie de restrictions visant Ă  mettre fin au Covid, en faisant d’Ă©normes sacrifices. Au dĂ©but de la PremiĂšre Guerre mondiale, les dirigeants ont affirmĂ© que tout serait terminĂ© pour NoĂ«l. Au final, il y eut quatre annĂ©es de massacres sanglants et de misĂšre de masse. Il en ira probablement de mĂȘme pour le Covid et la dĂ©pression Ă©conomique mondiale.

    Quelques mois aprĂšs le dĂ©but de la crise du coronavirus, dans les pays qui avaient finalement apprivoisĂ© la premiĂšre vague, celle-ci a refait surface. MĂȘme avec des mois de prĂ©paration, les gouvernements et les entreprises ne peuvent toujours pas assurer la sĂ©curitĂ© des gens.

    Dans certains pays, en particulier aux États-Unis, en Inde et au BrĂ©sil (qui comptent environ la moitiĂ© du nombre total de cas dans le monde), les gouvernements de droite n’ont jamais sĂ©rieusement tentĂ© de s’attaquer au problĂšme.

    Il est tout Ă  fait Ă©vident que la sociĂ©tĂ© et l’Ă©conomie ont besoin de services publics et qu’un bon systĂšme de santĂ© est vital. Il est Ă©vident que la sociĂ©tĂ© a besoin d’un gouvernement actif et qu’il y a beaucoup d’argent si les gouvernements le dĂ©cident. Bien sĂ»r, jusqu’Ă  prĂ©sent, l’argent a surtout servi Ă  renflouer les grandes entreprises.

    L’impact du coronavirus

    Des millions de personnes connaissent quelqu’un qui est dĂ©cĂ©dĂ© du Covid et plusieurs centaines de millions de personnes connaissent quelqu’un qui a Ă©tĂ© contaminĂ©. Il est probable qu’une majoritĂ© de la population mondiale se soit demandĂ©e si elle ou quelqu’un qu’elle connaissait allait contracter le virus et mourir. Cela provoque un profond questionnement sur ce qui compte dans la vie.

    TrĂšs peu de gens sont favorables Ă  plus de milliardaires ou moins de santĂ© publique. Tous les Ă©lĂ©ments montrent que les gens veulent un bon systĂšme de santĂ©, un emploi bien rĂ©munĂ©rĂ© et la sĂ©curitĂ© d’emploi et de vie. Fondamentalement, ce qui compte, c’est la vie, les autres personnes et la sociĂ©tĂ©. Ces opinions sont totalement contraires Ă  ce que prĂ©tendent les nĂ©olibĂ©raux.

    Le nĂ©olibĂ©ralisme a effilochĂ© la trame de la sociĂ©tĂ© et un facteur clĂ© dans le traitement du Covid a Ă©tĂ© le degrĂ© de confiance et de cohĂ©sion sociale. Thatcher a rĂ©sumĂ© le nĂ©olibĂ©ralisme par la phrase « La sociĂ©tĂ© n’existe pas. Il y a des hommes et des femmes individuelles et il y a des familles ». C’est le contraire de la vĂ©ritĂ© et le Covid l’a cruellement prouvĂ©. Nous avons besoin de la sociĂ©tĂ© pour survivre et, espĂ©rons-le, pour prospĂ©rer.

    Remplacer le néolibéralisme

    MĂȘme avant la crise sanitaire, le nĂ©olibĂ©ralisme Ă©tait confrontĂ© Ă  des attaques en hausse et Ă  une opposition croissante de la part des travailleurs et travailleuses, et mĂȘme des universitaires. Le Covid a portĂ© un coup sĂ©rieux Ă  l’idĂ©ologie, probablement un coup mortel. Ses mythes fondamentaux, selon lesquels les services publics et les actions du gouvernement sont mauvais, qu’il n’y a pas de moyens pour les services publics, que le monde a besoin de plus de milliardaires et qu’il n’y a pas de sociĂ©tĂ©, sont tous en lambeaux.

    Le capitalisme n’offre pas de perspectives d’avenir. Il se dirige vers des annĂ©es de dĂ©pression Ă©conomique et un dĂ©sastre Ă©cologique croissant. Incapable d’assurer la protection matĂ©rielle et l’approvisionnement de la sociĂ©tĂ©, il devra s’appuyer sur l’idĂ©ologie, et pourtant son idĂ©ologie est en lambeaux. La rĂ©pression seule ne fonctionnera pas. Il a besoin d’une nouvelle idĂ©ologie pour lĂ©gitimer son pouvoir.

    Bien sĂ»r, mĂȘme avec une idĂ©ologie en lambeaux, le nĂ©olibĂ©ralisme ne disparaĂźtra pas. Ses disciples sont partout – dans les conseils d’administration des entreprises, dans l’enseignement universitaire, dans la gestion des services publics et dans l’Ă©dition des mĂ©dias. Ils et elles s’accrocheront aux idĂ©es et Ă  la pratique du nĂ©olibĂ©ralisme. Tout comme un personnage de bande dessinĂ©e peut continuer Ă  courir aprĂšs ĂȘtre passĂ© au bord d’une falaise. Cependant, dans les dessins animĂ©s et dans la vie, la rĂ©alitĂ© finit par rattraper le temps perdu.

    Plus profonde que l’idĂ©ologie est la pratique qui la sous-tend. L’idĂ©ologie et la pratique doivent avoir une certaine correspondance. Aujourd’hui, l’idĂ©ologie est totalement dĂ©tachĂ©e de la rĂ©alitĂ© et des besoins de la plupart des gens. Le nĂ©olibĂ©ralisme a Ă©tĂ© l’idĂ©ologie et la pratique dominantes pendant des dĂ©cennies. Il a bien servi la classe dirigeante, mais pas les masses. Aujourd’hui, il ne peut plus suffire, mĂȘme pour la classe dirigeante.

    La future idéologie dominante sera un produit de la lutte des classes. Il a fallu plusieurs décennies de luttes et de bouleversements pour établir le néolibéralisme comme idéologie dominante.

    Il existe plusieurs types de remplacement possibles. Il est clair qu’il y a la croissance du nationalisme populiste de droite et d’autres politiques identitaires – le chauvinisme hindou en Inde, la rhĂ©torique raciste aux États-Unis et dans certaines parties de l’Europe, etc. Il est probable que d’autres variantes seront soulevĂ©es et essayĂ©es au cours des dĂ©cennies de plus en plus dĂ©sespĂ©rĂ©es qui s’annoncent – des annĂ©es de catastrophe climatique croissante, de pauvretĂ© et de discrimination persistantes, de conflits inter-impĂ©rialistes et de tensions sociales croissantes. À moins que la classe ouvriĂšre n’agisse de maniĂšre dĂ©cisive, mĂȘme si le nĂ©olibĂ©ralisme aura disparu, le capitalisme continuera Ă  trouver des moyens d’opprimer et d’exploiter la classe ouvriĂšre.

    Par contraste aux nombreuses idĂ©es rĂ©actionnaires, le sentiment internationaliste est croissant et mĂȘme l’anticapitalisme, surtout chez les jeunes. Depuis plus d’une dĂ©cennie, une soif d’alternative au nĂ©olibĂ©ralisme se dĂ©veloppe. Notre idĂ©ologie met l’accent sur la sociĂ©tĂ©, la coopĂ©ration, l’internationalisme, la solidaritĂ© et l’Ă©cologie. Alternative Socialiste Internationale s’efforcera de faire en sorte que l’idĂ©ologie future soit l’alternative socialiste.

  • Notre systĂšme de soins de santĂ© maltraite ses malade mentaux

    De nos jours, de nombreux Ă©lĂ©ments manquent Ă  des soins de santĂ© pour qu’ils soient efficaces en santĂ© mentale. Entre autre manque de moyens pour la rĂ©insertion des patients et manque de soutien psychologique dans les unitĂ©s de soin psychiatrique.

    Par Benjamin (LiĂšge), contribution d’un sympathisant

    Le circuit qui est mis en place pour soigner les malades mentaux qui n’ont pas un filet de sĂ©curitĂ© (un entourage familial ou bien un revenu de remplacement) est dĂ©fectueux. Lorsque quelqu’un va dans un hĂŽpital psychiatrique, on traite son cas en urgence et puis gĂ©nĂ©ralement, si le traitement de la personne en ambulatoire est impossible (c’est-Ă -dire chez elle et en rendez-vous rĂ©guliers chez un professionnel), les professionnels de la santĂ© mentale ont mis en place un circuit de rĂ©insertion sociale qui passe par des institutions de soin comme des habitations protĂ©gĂ©es ; c’est-Ă -dire des structures oĂč des gens se retrouvent dans une vie en communautĂ© dans une maison gĂ©rĂ©e en partie par une Ă©quipe de soignants qui va traiter les cas Ă  l’individuel.

    Depuis les coupes budgĂ©taires dans les soins de santĂ© du dĂ©but du gouvernement Michel, les soignants ne peuvent plus faire face Ă  la demande. Le rĂ©sultat, c’est qu’il existe un systĂšme tordu oĂč l’on propose Ă  des malades mentaux un circuit de rĂ©insertion mais ce circuit ne prend pas en charge tout le monde. Le systĂšme de soin de santĂ© Ă  Ă©voluĂ© grĂące aux mĂ©thodes thĂ©rapeutiques et s’est dotĂ© d’un circuit de soin qui a pour but d’aider les patients Ă  aller vers l’autonomie. Il permet par exemple Ă  un patient d’avoir un suivi aprĂšs son hospitalisation et d’intĂ©grer des structures plus lĂ©gĂšres.

    Les coupes dans les soins de santĂ© et le manque de structures existantes engendre des difficultĂ©s. Vous allez trouver dans la rue des gens que l’Etat n’est pas capable de soigner par manque de moyens. Des gens sont donc en dehors de ce fameux circuit de soins qui permet de les accompagner aprĂšs leur passage Ă  l’hĂŽpital. Rien n’est prĂ©vu pour les aider. De nos jours, il y a tout simplement trop peu de structures pour faire face Ă  la demande. Le constat est clair et sans Ă©quivoque, il y a des gens dans une situation prĂ©caire et qui ont besoin d’une mĂ©dication et d’un encadrement psychiatrique.

    Pour continuer dans le systĂšme « dĂ©brouillez-vous », Ă  prĂ©sent, la tendance est Ă  prescrire Ă  outrance des mĂ©dicaments aux patients. Si les thĂ©rapies mĂ©dicamenteuses sont absolument nĂ©cessaires dans certains cas, le problĂšme survient quand elle ne sont pas couplĂ©es avec un suivi psychologique, infirmier ou simplement des Ă©changes humains avec le personnel soignant. Pourtant les soins de santĂ© en psychiatrie passent aussi par la psychothĂ©rapie et la communication. Il ne sert Ă  rien de bourrer les gens de mĂ©dicaments sans analyser ce qu’il y a comme problĂšmes chez eux. Au-delĂ  des problĂšmes liĂ©s Ă  certaines mĂ©thodes et limites thĂ©rapeutiques, il n’existe presque plus de traitement par la parole dans la plupart des hĂŽpitaux psychiatriques. La science a Ă©tabli qu’il est nĂ©cessaire que la personne suive un traitement mĂ©dicamenteux mais aussi qu’elle soit suivie par une thĂ©rapie par la parole ou bien des activitĂ©s. Ce type de thĂ©rapie existe mais est sous-financĂ©e et sous-encadrĂ©e. Il existe donc des problĂšmes de suivi thĂ©rapeutique qui peuvent mener une personne en difficultĂ© psychologique Ă  ne plus faire confiance aux professionnels qui ne font que la bourrer de cachets. C’est le deuxiĂšme symptĂŽme de ce circuit qui est cassĂ©. Au lieu de prĂ©voir l’évolution de l’état mental d’un patient dans un avenir proche ou plus ou moins lointain, on bourre les patients de cachets avec pour horizon un retour « à la normale » sans savoir s’ils ont besoin d’ĂȘtre soutenus Ă  moyen ou long terme.

    Tout cela est bien sĂ»r occultĂ© par le point de vue dominant que la Belgique a un systĂšme de soins de santĂ© ultra performant. En rĂ©alitĂ©, comme dit plus haut, le secteur des soins de santĂ© mentale est cruellement sous-financĂ© et ce sous-financement est lĂ©gitimĂ© par les gouvernements en mettant en avant que les usagers touchent des allocations. Mais Ă  quoi sert une allocation si elle ne permet pas d’avoir des soins de premiĂšre nĂ©cessitĂ© ou bien d’un accompagnement Ă  long terme ? Parce que les soins en santĂ© mentale ne sont pas seulement un problĂšme d’allocations ou bien de mĂ©dicaments. En vrai, les politiciens ne connaissent que l’argent que cela coĂ»te Ă  la sociĂ©tĂ© et considĂšrent souvent les personnes qui sont handicapĂ©es par des troubles psychiques comme des « parasites ». Nos dirigeants ont facile en pointant du doigt les « profiteurs » et leur « paresse ».

    Nous sommes dans une sociĂ©tĂ© qui n’accueille plus les personnes handicapĂ©es mais qui les exclut : on les rejette parce que ce sont des personnes que l’on ne peut plus encadrer dignement. Le systĂšme de soins de santĂ© n’est plus capable de prendre en charge les personnes qui souffrent d’une maladie mentale par manque de moyens. C’est un problĂšme qui prĂ©occupe des centaines de spĂ©cialistes et d’associations de patients depuis de longues annĂ©es : le secteur associatif fait le travail des assistants sociaux des hĂŽpitaux. Il tente de combler les carence des hĂŽpitaux de premiĂšre ligne (d’urgence) tout en faisant face lui aussi Ă  un manque de moyens. Cet Ă©tat de fait a des consĂ©quences importantes sur la vie des personnes atteintes de troubles mentaux. Le tendance Ă  la sur-mĂ©dication a un impact sur l’intĂ©gration des personnes en situation de handicap qui sont des malades mentaux lourds (les schizophrĂšnes etc.).

    Pour rĂ©sumer : l’une des possibles solutions au tournant libĂ©ral des derniĂšres dĂ©cennies est de refinancer le secteur pour pouvoir vraiment avoir un circuit pour la rĂ©insertion des personnes qui souffrent de problĂšmes de santĂ© mentale. Il faut engager du personnel qui permette un suivi des personnes qui ont un parcours psychiatrique et un suivi mĂ©dicamenteux et psychologique digne.

    Le suivi peut par exemple ĂȘtre basĂ© sur le circuit institutionnel. Un tel circuit de soin repose sur une sĂ©rie d’institutions qui vont aider le patient Ă  prendre pied dans sociĂ©tĂ© et Ă  l’encadrer afin de veiller Ă  son bien ĂȘtre et celui de la communautĂ©. La rĂ©insertion de patients Ă©tant le but d’un tel circuit. Cette derniĂšre n’est pas juste une rĂ©insertion par le travail mais parfois juste une porte de sortie pour pouvoir surmonter un handicap. Une rĂ©insersion peut parfois passer par l’épanouissement personnel ou bien par un parcours de vie qui donne de la valeur dans la vie du malade, mĂȘme si ce dernier n’est pas capable de travailler.

    Il nous faut dĂ©fendre une sociĂ©tĂ© inclusive, qui accueille et soigne indĂ©pendamment du milieu oĂč de la difficultĂ© psychologique. Cette derniĂšre doit palier Ă  ce carcan dans lequel se retrouvent certaines personnes en situation de maladie mental. C’est en effet un raccourci bien trop facile : enfermer pour exclure, pour ne plus avoir Ă  affronter. En rĂ©alitĂ©, les personnes qui souffrent d’une maladie mentale sont bien moins dangereuses que la moyenne de la sociĂ©tĂ© et souffrent bien plus des stĂ©rĂ©otypes sociaux du « psychopathe » : le malade mental tueur en sĂ©rie. Des stĂ©rĂ©otypes, il y en a un tas sur les malades mentaux et cela va parfois dĂ©finir notre projet de sociĂ©tĂ©. Est-il prĂ©fĂ©rable d’accueillir et de s’occuper des personnes qui ont des problĂšmes ou bien on enferme et on construit des lieux d’exclusion oĂč l’on donne des mĂ©dicaments Ă  tour de bras et qui est aliĂ©nante ?

    Pour conclure, il faut financer le secteur, ĂȘtre penser Ă  permettre Ă  de plus petits services de santĂ© mentale voir le jour. Par exemple, Ă  LiĂšge, il n’existe que 2 services de santĂ© mentale. Il s’agit de services de proximitĂ© qui, Ă  l’instar des maisons mĂ©dicales, accueillent les malades mentaux. Il serait intĂ©ressant de voir fleurir plus d’initiatives de ce type. Ainsi, au lieu de laisser des malades mentaux vagabonder en ville ou bien enfermĂ©s en institutions, ils auraient un lieu oĂč se rĂ©unir et se sentir en sĂ©curitĂ©. De plus, un suivi dans ce genre de services permet un meilleur encadrement de la personne souffrante.

    À nouveau, la question Ă  se poser est de savoir que faire des malades que la sociĂ©tĂ© produit ?! Faut-il les exclure dans des structures oĂč on les bourre de mĂ©dicaments et puis les renvoyer chez eux avec des allocations sans aucune porte de sortie ? Les laisser comme sans aucun espoir de pouvoir chercher des relations amicales ou de travail ? La solution est multimodale : il faut non seulement permettre un suivi en hĂŽpital plus humain mais aussi prĂ©voir des circuits de rĂ©insertion. Comme je l’ai expliquĂ© plus haut, le parcours des personnes malades mentales n’a pas forcĂ©ment pour but de travailler, une personne handicapĂ©e peut par exemple avoir une vie sociale Ă©panouie grĂące Ă  un meilleur maillage d’institutions de terrain : j’en ai fait une expĂ©rience personnelle et cela m’a beaucoup aidĂ©. Certainement bien mieux que d’ĂȘtre simplement bourrĂ© de cachets et renvoyĂ© bĂȘtement chez moi. Il faudrait un meilleur maillage du territoire par des services qui vont visiter les patient et qui permettent un accueil et une prise en charge qui inclus la personne dans un groupe de gens qui tout comme elles sont en voie de rĂ©tablissement afin de finalement se rĂ©insĂ©rer.

    La solution, c’est une sociĂ©tĂ© oĂč l’on permet une vision inclusive de la maladie mentale : une sociĂ©tĂ© oĂč l’on donne les moyens aux hĂŽpitaux, structures et associations d’avoir la possibilitĂ© de donner une vie digne aux malades mentaux. Une vĂ©ritable sociĂ©tĂ© socialiste ne peut pas exister sans prendre en compte ceux que le capitalisme laisse de cĂŽtĂ© par soucis d’économie.

  • [DOSSIER] Le confinement et la crise sanitaire font grimper en flĂšche la violence Ă  l’Ă©gard des femmes

    Entrons toutes en tous en action contre les violences sexistes & LGBTQI+phobes

    La journĂ©e internationale pour l’Ă©limination de la violence Ă  l’Ă©gard des femmes est cĂ©lĂ©brĂ©e le 25 novembre. Elle fait rĂ©fĂ©rence Ă  l’assassinat politique commanditĂ© par le dictateur dominicain Rafael Trujillo des sƓurs Mirabal le 25 novembre 1960. Ces derniĂšres annĂ©es, cette journĂ©e a adoptĂ© un caractĂšre plus combatif et militant dans le sillage du dĂ©veloppement du nouveau mouvement international de lutte en faveur de l’Ă©mancipation des femmes. Qu’en sera-t-il cette annĂ©e en Belgique ? Nous en avons discutĂ© avec Emily Burns, coordinatrice nationale de la Campagne ROSA (RĂ©sistance contre l’Oppression, le Sexisme et l’AustĂ©ritĂ©).

    Bonjour Emily, le 25 novembre c’est la journĂ©e internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, la Campagne ROSA prĂ©voit-elle de mobiliser Ă  cette occasion ?

    Absolument ! La crise sanitaire n’a pas mis un terme aux violences faites aux femmes, au contraire : on assiste aujourd’hui Ă  une dangereuse augmentation de cette violence. La violence et le sexisme omniprĂ©sents reprĂ©sentent un danger tout aussi rĂ©el que le coronavirus. Nous estimons crucial de mener des actions dans la rue contre les violences faites aux femmes et envers les personnes LGBTQI+. Toutefois, la sĂ©curitĂ© des militantes et militants est cruciale, c’est pourquoi la forme exacte des actions dĂ©pendra de la situation sanitaire.

    Quel est l’ampleur de ce flĂ©au ? Depuis quelques annĂ©es, avec #Metoo, le harcĂšlement sexiste est davantage dĂ©noncĂ©. Durant le confinement, les mĂ©dias ont parlĂ© de ce qui se passe derriĂšre les portes closes des foyers et des violences qui peuvent s’y dĂ©rouler


    Les violences sexistes et les fĂ©minicides, c’est l’autre pandĂ©mie, cachĂ©e celle-ci, toujours Ă  l’Ɠuvre. Selon les donnĂ©es des Nations Unies (ONU), 17,8% des femmes dans le monde ont subi des violences physiques ou sexuelles durant l’annĂ©e 2019 et une femme sur cinq a Ă©tĂ© victime de violence de la part d’un proche. C’est sans compter les violences psychologiques, le harcĂšlement, etc. En Belgique, plus de la moitiĂ© des personnes LGBTQI+ ont dĂ©jĂ  subi ce type de violence dans leur vie. Le sexisme, c’est aussi des discriminations, des comportements et remarques inappropriĂ©s, mais aussi de la violence Ă©conomique avec une surreprĂ©sentation des femmes et personnes LGBTQI+ prĂ©caires.

    Avec la crise sanitaire et le confinement, on a enfin entendu parler de ce qui se passe dans les foyers. C’est un fait connu et dĂ©montrĂ©, la violence domestique augmente pendant les crises. Durant le (semi-)confinement, la tension augmente dans tous les foyers. Lorsqu’il y a dĂ©jĂ  violence, c’est l’enfer qui s’instaure de maniĂšre permanente. Les personnes victimes de violence sont contraintes Ă  des contacts plus Ă©troits et sans plus aucun moments de rĂ©pit avec leurs agresseurs. Ces derniers peuvent, de plus, davantage surveiller leurs comportements et les empĂȘcher de rechercher du soutien ou de l’aide. MalgrĂ© ça, les appels Ă  l’aide pour violences domestiques ont triplĂ© en Belgique durant le confinement !

    MĂȘme la Banque mondiale, dans son rapport d’octobre 2020, alerte face Ă  l’explosion de la violence contre les femmes dans le monde. Cela ne l’empĂȘche pas pour autant de continuer Ă  prĂ©coniser des politiques d’austĂ©ritĂ© telles que les coupes budgĂ©taires dans la santĂ©, l’Ă©ducation qui impact encore plus durement les femmes


    Cette violence se concentre-elle au foyer ou est-elle aussi prĂ©sente dans le reste de l’espace public ?

    Si elle a pris une forme encore plus aiguĂ« dans les foyers, la crise sanitaire dĂ©grade la situation partout et les violences sexistes touchent toutes les sphĂšres et tous les espaces. Par exemple, lorsqu’il y a un confinement ou un couvre-feu, le harcĂšlement dans l’espace public est moins « attĂ©nuĂ© » par un certain contrĂŽle social.

    Depuis mars, les rĂ©seaux sociaux sont devenus encore plus centraux dans la vie de beaucoup. Ils mettent une forte pression sur l’image que l’on donne de soi, et on tend Ă  oublier que les photos, avec leurs filtres et leurs mises en scĂšne, ne reprĂ©sentent pas la rĂ©alitĂ©. Les critiques et le harcĂšlement y sont monnaie courante et peuvent se poursuivre 24h/24 et 7j/7. Heureusement, la crise sanitaire n’a pas stoppĂ© le processus de radicalisation Ă  gauche de jeunes qui ne sont plus prĂȘtes (et prĂȘts) Ă  accepter cette situation. Et les rĂ©seaux sont parfois aussi utilisĂ©s pour dĂ©noncer cette situation et organiser la rĂ©sistance.

    Ainsi, Ă  la suite d’un viol collectif d’une jeune de 16 ans en IsraĂ«l, des jeunes sont descendus dans les rues durant trois jours, du 20 au 23 aoĂ»t, pour manifester (souvent pour la premiĂšre fois) jusque tard dans la nuit. Cette protestation s’est clĂŽturĂ©e par une grĂšve fĂ©ministe Ă  laquelle des milliers de personnes ont participĂ©.

    A la rentrĂ©e scolaire, un mouvement s’est dĂ©veloppĂ© revendiquant de ne pas ĂȘtre jugĂ© ni mise Ă  l’écart Ă  cause d’habits. Dans les Ă©coles, les codes vestimentaires sont appliquĂ©s de maniĂšre rĂ©trogrades et stigmatisent d’autant plus les femmes. Pour les mecs, porter un short est parfois considĂ©rĂ© comme inconvenant. Mais pour les filles, jupe courte, crop top et dĂ©colletĂ© sont considĂ©rĂ©s comme provocant. Selon cette logique, si une fille se fait harceler, voire violer, ce serait de sa faute, car elle aurait provoquĂ© sa propre agression par son choix vestimentaire… Une jupe longue peut, selon qui la porte, ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un signe de prosĂ©lytisme religieux et donc aussi prĂ©texte de refus d’accĂšs aux cours.

    Au travers du hastag parti de France « #14septembre », des jeunes sont venues ce jour-lĂ  habillĂ©es avec la tenue qu’elles aiment, faisant fi des rĂšglements discriminatoires. Des camarades de classe masculin ont Ă©galement participĂ© Ă  cette action revĂȘtant parfois une jupe pour l’occasion. Pour ces jeunes, le message rĂ©trograde qui dit que la tenue prime sur l’accĂšs Ă  l’instruction doit faire partie du passĂ©. Elles (et ils) dĂ©noncent l’objectivisation des corps ; les excuses du style « cela pourrait perturber leurs camarades de classes et leurs prof masculins » sont tout bonnement inacceptable. Le problĂšme est dans le regard de celui qui porte ce jugement et non de l’habit qui est portĂ©. DerriĂšre cela, c’est aussi la marchandisation des corps et les injonctions paradoxales permanentes qui sont remises en question.

    Ce phĂ©nomĂšne a trouvĂ© un Ă©cho en Belgique. Dans de nombreuses Ă©coles, tout le monde, garçons et filles, a portĂ© des jupes en signe de protestation. Il y a Ă©galement eu beaucoup de rĂ©actions contre un rĂšglement d’une Ă©cole de Bruges oĂč les boucles d’oreilles n’Ă©taient autorisĂ©es que pour les filles.

    On a touchĂ© un mot de la situation Ă  la maison, dans l’espace public et Ă  l’école, quelle est-elle au travail ? La crise sanitaire a mis en avant les personnes travaillant dans les secteurs essentiels (soins, distribution, aide familiale,…) oĂč les femmes sont majoritaires. C’est plutĂŽt positif, non ?

    Oui en effet, ces personnes habituellement invisibles ou mĂ©prisĂ©es ont Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©es comme des hĂ©roĂŻnes. Cependant, leurs conditions de travail sont particuliĂšrement dĂ©plorables : temps partiels involontaires dans la distribution, heures supplĂ©mentaires dans les soins, risque sanitaire accru sans fourniture de matĂ©riel de protection pour les aides Ă  domicile,… Le salaire horaire est, de plus, rĂ©guliĂšrement infĂ©rieur Ă  14€ brut ! Enfin, les contrats prĂ©caires (intĂ©rim, CDD) sont courant et limitent la possibilitĂ© de revendiquer des conditions de travail dĂ©centes, de peur de perdre son emploi. Aussi essentielles soient ses travailleuses, elles ne sont pas traitĂ©es comme des hĂ©roĂŻnes !

    Dans beaucoup d’autres secteurs, le tĂ©lĂ©travail s’est mis en place tant bien que mal. Et quand les Ă©coles et crĂšches sont fermĂ©es, il faut aussi s’occuper des enfants toute la journĂ©e, essayer tant bien que mal de suivre leur scolaritĂ© et de trouver des activitĂ©s, tout en faisant toutes les autres tĂąches domestiques et tĂ©lĂ©travaillant. La double journĂ©e de travail des femmes est dĂ©cidĂ©ment trĂšs lourde Ă  supporter.

    Travailler ainsi n’étant souvent pas possible, beaucoup ont dĂ» prendre un congĂ© parental corona durant le confinement ou un congĂ© corona de quarantaine en vigueur actuellement. Mais cela signifie perdre prĂšs de 30% de son salaire. Mais pas le choix, on ne peut pas abandonner les enfants Ă  eux-mĂȘmes et les grands-parents ne peuvent pas aider vu le risque liĂ© Ă  l’ñge ou parce qu’ils travaillent encore, et puis il faut limiter les contacts… En toute logique, le parent avec le plus petit revenu (gĂ©nĂ©ralement la femme) prend ce « congé », perdant par la mĂȘme aussi son indĂ©pendance financiĂšre


    En effet, la situation n’est pas bonne et doit ĂȘtre dĂ©noncĂ©e et combattue. Mais quel est le lien avec la journĂ©e de lutte contre les violences faites aux femmes ?

    La prĂ©caritĂ© nous rend plus vulnĂ©rables aux autres formes de violences. Comment dĂ©noncer le harcĂšlement au travail lorsqu’on a peur de perdre son emploi et qu’on a pas d’alternative (chĂŽmage, autre emploi) ? Comment quitter une situation familiale violente si notre revenu ne nous permet pas de vivre seule ? Et selon une Ă©tude du Taub Center (une agence d’Ă©tudes israĂ©lienne qui mĂšne des recherches sur la politique sociale), la pandĂ©mie pourrait retarder de 10 ans les progrĂšs concernant la position des femmes sur leur lieu de travail.

    Nous sommes au milieu de la crise sanitaire, mais nous ne sommes qu’au dĂ©but de la crise Ă©conomique qui va suivre ; et si je te suis bien, ça sera encore plus catastrophique pour les femmes


    En effet ! La dĂ©pression Ă©conomique entraĂźnera une nouvelle augmentation de la violence, car elle restreindra encore plus durement l’indĂ©pendance financiĂšre des femmes. Le chĂŽmage augmente plus rapidement chez les femmes – ainsi que chez les jeunes et les personnes immigrĂ©es – car elles travaillent plus souvent sous des contrats prĂ©caires et sont plus exposĂ©es aux licenciements. C’est ce qu’illustre une Ă©tude de McKinsey Global qui dĂ©montre qu’aux États-Unis, les femmes reprĂ©sentent 43% de la population active, mais supportent 56% des pertes d’emplois liĂ©es Ă  la Covid19.

    Mais ne soyons pas dĂ©faitistes ! Dans les secteurs essentiels – oĂč les femmes sont majoritaires – il y a des opportunitĂ©s pour lutter pour un salaire horaire minimum de 14 euros brut et contre les contrats prĂ©caires. Une bataille spĂ©cifique pourrait aussi se dĂ©velopper autour des conditions du tĂ©lĂ©travail lorsque les enfants doivent rester Ă  la maison.

    Nous avons aussi un gouvernement qui, pour la premiĂšre fois, est composĂ© Ă  50% de femmes ; la Chambre et du SĂ©nat sont prĂ©sidĂ©s par des femmes. C’est un bon signe, non ?

    Dans la sphĂšre politique – comme dans le monde des entreprises – l’élite a intĂ©grĂ© qu’il est important d’avoir une certaine diversitĂ©. La paritĂ© tant Ă  devenir la norme, un progrĂšs symbolique, mais qui s’arrĂȘte souvent lĂ , au symbole. La diversitĂ© organisĂ©e au sein de la classe dominante ne signifie malheureusement pas une rĂ©duction des discriminations ni une amĂ©lioration des conditions de vie pour l’immense majoritĂ© des personnes discriminĂ©es.

    Le mot « fĂ©minicide » pourrait bien entrer dans le code pĂ©nal. L’accord de gouvernement plaide Ă©galement en faveur d’une meilleure formation de la police et des acteurs de premiĂšres lignes aux violences intrafamiliales. C’est en effet important, car souvent les femmes ne sont pas prises au sĂ©rieux. Il s’agit maintenant de mettre cela rĂ©ellement en Ɠuvre en dĂ©gageant des moyens, car cette bonne intention n’est pas budgĂ©tisĂ©e.

    Les violences contre les femmes et les personnes LGBTQI+ est une pandĂ©mie qui tue et force plus de la moitiĂ© de la population Ă  adapter ses comportements. A ce titre, le gouvernement n’est malheureusement pas crĂ©dible lorsqu’il dit faire de « la violence de genre » une « prioritĂ© ». Il est heureux que la secrĂ©taire d’État Ă  l’ÉgalitĂ© des chances Sarah Schlitz (Ecolo) ait prĂ©cisĂ© que fuir une situation de violence la nuit est autorisĂ© malgrĂ© le couvre-feu, mais encore faut-il avoir un endroit oĂč aller
 Les politiques annoncĂ©es par la Vivaldi ne vont pas permettre aux femmes – et aux autres personnes victimes de violence – de quitter une situation de violence. L’accord ne prĂ©voit pas de politique assurant l’indĂ©pendance financiĂšre des femmes au travers d’allocations au-dessus du seuil de pauvretĂ© (allocation de chĂŽmage, allocation d’insertion
) ou d’un salaire dĂ©cent (min 14€min/h), l’arrĂȘt des flexi-jobs et la lutte contre les temps partiels involontaires. Le dĂ©bat a Ă©tĂ© vif sur la pension minimum entre partis de la majoritĂ©, mais tous discutaient dans le cadre d’une carriĂšre complĂšte, soit une carriĂšre de 45 ans alors que la carriĂšre moyenne (y compris avec pĂ©riode assimilĂ©es) pour une femme actuellement est de 34,2 ans. Le fĂ©dĂ©ral ne veut pas non plus arrĂȘter de renvoyer les demandeuses d’asile dans les rĂ©gions contrĂŽlĂ©es par les forces rĂ©actionnaires telles que les talibans. Aux autres niveaux de pouvoir, il n’y a pas de politique pour encourager la crĂ©ation en masse de logements sociaux et de refuges en suffisance, etc.

    Que faudrait-il pour réellement lutter contre les violences sexistes ?

    Pour remĂ©dier aux violences sexistes, les mesures symboliques sont insuffisantes. Il est nĂ©cessaire de combiner des revendications pour un enseignement de qualitĂ© et un meilleur accompagnement des victimes Ă  celles contre l’objectification des corps pour faire des profits. Il faut aussi amorcer les luttes nĂ©cessaires pour permettre l’indĂ©pendance Ă©conomique des femmes afin qu’elles puissent quitter des situations de violence et opĂ©rer un rĂ©el choix sur leur vie. Seul un vaste programme de satisfaction des besoins sociaux par des services publics de qualitĂ© et suffisant ainsi que des conditions de travail et de salaire dignes peut mettre fin aux discriminations.

    La marchandisation de nos corps et les bas salaires ne profitent qu’Ă  un seul groupe de la population : les trĂšs riches qui ont d’ailleurs augmentĂ© leur fortune de 28% durant la crise sanitaire. Sexisme, racisme, LGBTQI+phobie, ils ont besoin de nous diviser pour mieux rĂ©gner.

    C’est cela le fĂ©minisme socialiste que dĂ©fend la Campagne ROSA. Le problĂšme est structurel, il faudra une sociĂ©tĂ© dĂ©barrassĂ©e de l’exploitation pour parvenir Ă  en finir avec le sexisme. C’est un travail de longue haleine, un marathon et non un sprint. Mais un combat que l’on peut gagner si on unit toutes les personnes opprimĂ©es et exploitĂ©es. Et on l’a constatĂ© ses derniĂšres annĂ©es, de plus en plus de personnes, en particulier les jeunes, sont prĂȘtes Ă  rentrer en rĂ©sistance contre l’oppression, l’injustice et les inĂ©galitĂ©s.

    N’hĂ©sitez pas Ă  prendre contact avec nous pour participer Ă  la journĂ©e internationale contre les violences faites aux femmes et en faire une journĂ©e de lutte. Rejoignez-nous lors des meetings en ligne de prĂ©paration. Si vous le pouvez, soutenez-nous financiĂšrement, nous ne disposons que des ressources rĂ©coltĂ©es auprĂšs de celles et ceux qui soutiennent notre combat. Et bien entendu, rejoignez-nous !

  • [DOSSIER] « DerriĂšre nos Ă©crans de fumĂ©e » : MĂ©dias sociaux, addiction et capitalisme

    Comme des millions d’autres personnes, j’ai regardĂ© le docudrame de Netflix, The Social Dilemma (« DerriĂšre nos Ă©crans de fumĂ©e » en français). Comme des millions d’autres personnes, j’ai trouvĂ© qu’il s’agissait au dĂ©part d’une critique virulente et effrayante des mĂ©dias sociaux et de leur rĂŽle dĂ©stabilisant dans notre sociĂ©tĂ©. Comme des millions d’autres personnes, j’ai vĂ©rifiĂ© mon tĂ©lĂ©phone pour voir s’il y avait des notifications au moins toutes les minutes pendant que je le regardais.

    Par Dan K, Socialist Alternative (Alternative Socialiste Internationale – Angleterre, Pays de Galles et Ecosse)

    Le fait que mon attention Ă©tait constamment tournĂ©e vers ces “coups de dopamine” virtuels, mĂȘme en Ă©coutant une explication de ce processus exact, pourrait ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une preuve de l’une des affirmations centrales du documentaire, Ă  savoir que les mĂ©dias sociaux crĂ©ent une Ă©norme dĂ©pendance. Il serait difficile de contester cette affirmation, tout comme l’affirmation selon laquelle la nature addictive de ces applications est une conception dĂ©libĂ©rĂ©e de Big Tech (les entreprises les plus grandes et les plus dominantes de l’industrie des technologies de l’information aux États-Unis, Ă  savoir Amazon, Apple, Google, Facebook et Microsoft).

    « DerriĂšre nos Ă©crans de fumĂ©e » dĂ©crit comment les mĂ©dias sociaux exploitent le besoin psychologique primaire d’acceptation sociale et le relie Ă  une reprĂ©sentation visuelle, oĂč les “j’aime” sont une forme de monnaie Ă  chasser. Le capital social est un concept compris par les sociologues, les spĂ©cialistes du marketing et les politiciens, et il est antĂ©rieur de plusieurs dĂ©cennies Ă  l’avĂšnement des mĂ©dias sociaux. Le documentaire affirme que les mĂ©dias sociaux exploitent ce concept pour crĂ©er une dĂ©pendance et, en fin de compte, un profit. Encore une fois, c’est une conclusion raisonnable et crĂ©dible.

    La dépendance

    « DerriĂšre nos Ă©crans de fumĂ©e » compare la dĂ©pendance aux mĂ©dias sociaux Ă  la dĂ©pendance Ă  la drogue, mais tombe dans le mĂȘme piĂšge que la prohibition des drogues : blĂąmer les substances (ou dans ce cas, les applications pour smartphones) uniquement pour les problĂšmes qu’elles causent tout en ignorant les problĂšmes sociaux, psychologiques et Ă©motionnels que la substance ou le logiciel permettent de rĂ©soudre.

    Depuis le dĂ©but de la pandĂ©mie, nous avons constatĂ© une augmentation des diverses dĂ©pendances, de l’alcool aux mĂ©dias sociaux. Ces choses elles-mĂȘmes sont-elles devenues d’une maniĂšre ou d’une autre plus addictives au cours des derniers mois ou est-il plus probable que nous nous tournons simplement de plus en plus vers le soulagement Ă  court terme parce que le monde brĂ»le, l’Ă©conomie s’effondre et que nous sommes tous socialement isolĂ©s ?

    Les documentaires et les articles d’opinion similaires nous encouragent Ă  cesser d’utiliser les mĂ©dias sociaux pour apaiser nos angoisses et Ă  nous tourner vers le monde rĂ©el et “beau”. “Regardez, c’est gĂ©nial lĂ -bas”, dit l’informaticien Jaron Lanier Ă  la fin du film. Pas nĂ©cessairement pour tout le monde, Jaron !

    L’idĂ©e selon laquelle des facteurs sociaux et politiques puissent eux-mĂȘmes pousser les gens Ă  se tourner vers les mĂ©dias sociaux, ou tout autre comportement de dĂ©pendance, est Ă  peine Ă©voquĂ©e dans ce documentaire et dans beaucoup de discours sur la technologie et la dĂ©pendance. Chaque gĂ©nĂ©ration a ses paniques morales – tĂ©lĂ©vision, jeux vidĂ©o, musique rap, etc. S’il serait en effet dangereux d’ignorer certains des vĂ©ritables inconvĂ©nients de l’utilisation des mĂ©dias sociaux, le plus important est d’aller directement Ă  la source et de dĂ©chiffrer les causes directes de la dĂ©pendance des gens.

    Par exemple, alors que « DerriĂšre nos Ă©crans de fumĂ©e » mentionne des “normes de beautĂ© irrĂ©alistes” poussĂ©es par les mĂ©dias sociaux au dĂ©triment de la santĂ© mentale des jeunes, il nĂ©glige d’explorer l’origine de ces normes. Les sociĂ©tĂ©s de mĂ©dias sociaux utilisent certainement ces normes Ă  leur avantage, mais elles ne les ont pas inventĂ©es !

    Les causes profondes

    Il semble Ă©vident que la cause profonde de nombre de ces problĂšmes est la sociĂ©tĂ© dont les mĂ©dias sociaux ne sont qu’un aspect. Le capitalisme – et le sexisme profondĂ©ment ancrĂ© en son sein – a fortement promu les normes de beautĂ© (en particulier au XXe siĂšcle, mais pas seulement) afin qu’elles profitent Ă  diverses industries (cosmĂ©tiques, mode, loisirs,…). Les programmes “perdez une taille” n’avaient aucun problĂšme Ă  circuler largement Ă  l’Ăšre des DVD d’exercices physiques et des magazines fĂ©minins, bien avant l’avĂšnement d’Instagram ou de TikTok.

    Les sociĂ©tĂ©s de mĂ©dias sociaux utilisent nos peurs et nos insĂ©curitĂ©s pour favoriser l’addiction Ă  leurs profits, comme le souligne avec justesse « DerriĂšre nos Ă©crans de fumĂ©e ». Ce que le documentaire n’explore par contre pas, c’est la façon dont le capitalisme utilisait dĂ©jĂ  ces mĂȘmes tactiques des siĂšcles auparavant. Bien que le documentaire mentionne le “capitalisme de surveillance”, il l’utilise simplement comme un mot Ă  la mode, sans explorer suffisamment le rĂŽle et le fonctionnement du systĂšme capitaliste.

    Non seulement la recherche du profit capitaliste pousse Ă  la crĂ©ation d’applications visant Ă  dĂ©velopper une dĂ©pendance, mais cela contribue Ă©galement de maniĂšre incommensurable Ă  l’augmentation du taux de suicide et des problĂšmes de santĂ© mentale dont les mĂ©dias sociaux sont souvent les seuls responsables. Si les sociĂ©tĂ©s de mĂ©dias sociaux doivent ĂȘtre tenues pour responsables de la diffusion de contenus prĂ©judiciables et du harcĂšlement (les diffĂ©rents scandales liĂ©s Ă  TikTok ont montrĂ© Ă  la fois la complexitĂ© et la gravitĂ© de ces problĂšmes), des solutions externes sont Ă©galement nĂ©cessaires.

    Les mĂ©dias sociaux jouent clairement un rĂŽle important dans la santĂ© publique. Mais dire que l’augmentation des problĂšmes tels que l’anxiĂ©tĂ© et la dĂ©pression – en particulier chez les jeunes – ces derniĂšres annĂ©es est uniquement due Ă  l’utilisation des mĂ©dias sociaux est franchement assez insultante. Cela n’aurait rien Ă  voir avec le changement climatique, l’austĂ©ritĂ©, la pauvretĂ© croissante, l’inĂ©galitĂ© des richesses, les frais de scolaritĂ©, l’endettement, la hausse des loyers et la stagnation des salaires ?

    Un enseignement modernisĂ© et disposant de suffisamment de moyens pourrait enseigner aux jeunes l’impact des mĂ©dias sociaux sur la santĂ© mentale et comment minimiser ces risques. Des services d’aide Ă  la jeunesse correctement financĂ©s pourraient offrir aux jeunes une plus grande variĂ©tĂ© d’activitĂ©s, de loisirs et des possibilitĂ©s de crĂ©er des liens sociaux hors ligne.

    L’austĂ©ritĂ© et l’aliĂ©nation ont transfĂ©rĂ© le contrĂŽle d’une grande partie du dĂ©veloppement social et Ă©motionnel des jeunes Ă  un secteur privĂ© amoral qui exploite Ă  des fins lucratives les insĂ©curitĂ©s existantes des adolescents.

    La polarisation politique

    La maniĂšre dont « DerriĂšre nos Ă©crans de fumĂ©e » explique comment les mĂ©dias sociaux affectent nos positions politiques est une autre position qui comporte Ă  la fois un certain niveau de vĂ©ritĂ© et quelques omissions flagrantes. Sa thĂšse centrale est que les mĂ©dias sociaux ont accru la “polarisation” – en particulier politique. Bien que cela soit trĂšs probablement vrai et qu’il en rĂ©sulte toute une sĂ©rie de consĂ©quences nĂ©fastes, il ne fait aucun doute que les mĂ©dias sociaux permettent Ă©galement d’exposer des points de vue non traditionnels, notamment les idĂ©es de gauche et les idĂ©es socialistes.

    Si de nombreux points de vue non traditionnels sont nĂ©fastes, de nombreuses croyances autrefois considĂ©rĂ©es comme radicales ont aujourd’hui Ă©tĂ© dĂ©montrĂ©es par l’histoire. Pour chaque Pizzagate, QAnon ou nĂ©gation de l’Holocauste, il y a un #MeToo, une Greta Thunberg. L’argument selon lequel la polarisation est toujours mauvaise est souvent utilisĂ© par des gens qui restent favorable au statu quo et sont rĂ©fractaires au changement. En rĂ©alitĂ©, la polarisation provient de gens ordinaires qui cherchent une alternative Ă  la l’Ă©tat des choses tel qu’il est sous le systĂšme capitaliste.

    « DerriĂšre nos Ă©crans de fumĂ©e » touche au fait que la polarisation n’a pas Ă©tĂ© inventĂ©e ou dĂ©terrĂ©e par les mĂ©dias sociaux. Justin Rosenstein, ancien employĂ© de Google et de Facebook, dĂ©clare ainsi que les problĂšmes de polarisation “existent Ă  profusion Ă  la tĂ©lĂ©vision cĂąblĂ©e”. Les mĂ©dias ont exactement le mĂȘme problĂšme… Internet n’est qu’un nouveau moyen, encore plus efficace, de le faire”.

    Il est quelque peu ironique que le film utilise ensuite directement des images tirĂ©es des reportages des mĂ©dias cĂąblĂ©s amĂ©ricains sur les dangers de la polarisation. Un prĂ©sentateur dĂ©crit comment “la coalition centriste traditionnelle de l’Europe a perdu sa majoritĂ© alors que les partis populistes d’extrĂȘme droite et d’extrĂȘme gauche ont gagnĂ© du terrain”. Le film rejette la responsabilitĂ© de la croissance du populisme sur les mĂ©dias sociaux, sans mentionner d’autres facteurs tels que le changement climatique ou la rĂ©cession Ă©conomique, et oublie que la popularitĂ© du centre politique diminue constamment en pĂ©riode de difficultĂ©s financiĂšres.

    Le film utilise ensuite des images du meurtre de la manifestante antifasciste Heather Heyer en 2017 Ă  Charlottesville, en Virginie, pour Ă©tayer son point de vue selon lequel “la polarisation est mauvaise”, ce qui semble impliquer que la suprĂ©matie blanche et la protestation contre la suprĂ©matie blanche sont deux “extrĂȘmes” et les deux faces d’une mĂȘme mĂ©daille.

    Diagnostic et solution

    La fin du documentaire s’approche de façon allĂ©chante du diagnostic du capitalisme comme Ă©tant la racine des maux des mĂ©dias sociaux, mais ne parvient pas Ă  s’engager dans une position ferme et dĂ©finie.

    Alex Roetter, ingĂ©nieur sur Twitter, admet que les entreprises technologiques et les actionnaires ne rĂ©duiront pas volontairement le fonctionnement de ces applications car “au bout du compte, vous devez augmenter les revenus et l’utilisation, trimestre aprĂšs trimestre”. Tristan Harris, ancien responsable du design chez Google, affirme que “l’incitation Ă©conomique et la pression des actionnaires” rendent “impossible de faire autre chose”.

    Diverses autres personnes interrogĂ©es s’accordent Ă  dire que l’incitation financiĂšre Ă  une croissance sans fin est Ă  blĂąmer, et Justin Rosenstein va mĂȘme jusqu’Ă  s’attaquer Ă  la “religion du profit Ă  tout prix”. Tristan Harris affirme que “nous pouvons exiger de ne pas ĂȘtre traitĂ©s comme une ressource extractible”, mais il ne dit pas comment cela peut se traduire concrĂštement. Peut-ĂȘtre que si le film n’avait pas dĂ©jĂ  rejetĂ© les mouvements de gauche comme le revers toxique de leurs homologues de droite, les solutions Ă  ce problĂšme pourraient ĂȘtre explorĂ©es de maniĂšre adĂ©quate…

    Rosenstein affirme mĂȘme que “notre attention peut ĂȘtre minĂ©e” car son exploitation a plus de valeur financiĂšre pour la classe capitaliste que nous ne le sommes en tant qu’ĂȘtres vivants : nous serions tels des arbres abattus valant plus une fois morts que vivants. Tout cela est vrai, bien sĂ»r, mais remplacez le mot “attention” par le mot “travail” et vous verrez que cela remonte Ă  des siĂšcles avant l’avĂšnement des mĂ©dias sociaux ! La rĂ©colte de donnĂ©es des mĂ©dias sociaux n’est que la derniĂšre mutation de l’extraction capitaliste du profit.

    Les seules solutions que chacun peut trouver Ă  l’Ă©cran dans « DerriĂšre nos Ă©crans de fumĂ©e » sont la rĂ©glementation, la fiscalitĂ©, les lois sur la protection de l’identitĂ© numĂ©rique et la retenue des consommateurs (Ă©teindre son tĂ©lĂ©phone une heure avant de se coucher est prĂ©sentĂ© comme une solution possible Ă  cette exploitation systĂ©matique Ă  grande Ă©chelle !) Il est reconnu que les entreprises ont besoin “d’une raison fiscale pour ne pas acquĂ©rir toutes les donnĂ©es de la planĂšte”.

    Jaron Lanier dĂ©clare : “Je ne veux pas faire de mal Ă  Google ou Ă  Facebook. Je veux juste les rĂ©former pour qu’ils ne dĂ©truisent pas le monde”. Mais nous ne pouvons pas “rĂ©former” ce qui ne nous appartient pas. Les entreprises privĂ©es prendront toujours des dĂ©cisions reposant sur leurs profits au dĂ©triment des besoins de l’humanitĂ©.

    Les mĂ©dias sociaux : un outil d’oppression ou de libĂ©ration ?

    Les problĂšmes qui conduisent Ă  l’aliĂ©nation et Ă  l’anxiĂ©tĂ© de la sociĂ©tĂ© et, par consĂ©quent, Ă  l’addiction, ne sont pas neufs. Les mĂ©dias sociaux ne sont que le dernier remĂšde que nous vend la classe capitaliste pour “guĂ©rir” les maux qu’elle a elle-mĂȘme engendrĂ©s, tout en poursuivant ses propres objectifs.

    On peut Ă©tablir un parallĂšle entre les mĂ©dias sociaux et toute autre avancĂ©e technologique, de l’automatisation Ă  l’intelligence artificielle. La question n’est pas la technologie en elle-mĂȘme, mais plutĂŽt de savoir Ă  qui elle appartient et comment elle est utilisĂ©e dans ce cadre. Être “remplacĂ© par des robots” conduit Ă  la pauvretĂ© sous le capitalisme (le fait que votre travail ne soit plus nĂ©cessaire n’est un problĂšme que lorsque vous dĂ©pendez de votre travail pour survivre !), mais cela pourrait ĂȘtre utilisĂ© au profit des masses populaires dans une sociĂ©tĂ© socialiste. Il en va de mĂȘme pour les mĂ©dias sociaux. S’ils Ă©taient conçus et utilisĂ©s pour servir les intĂ©rĂȘts de l’humanitĂ© dans son ensemble plutĂŽt que ceux d’une petite classe de chercheurs de profit, nombre de leurs inconvĂ©nients disparaĂźtraient trĂšs probablement. Cependant, cela ne serait possible qu’avec le contrĂŽle et la gestion dĂ©mocratiques par les travailleurs de l’infrastructure des grandes plateformes de mĂ©dias sociaux et de leurs algorithmes.

    Les mĂ©dias sociaux prĂ©sentent de nombreux dangers, mais il serait Ă©galement fallacieux d’ignorer leurs avantages. De nombreuses personnes isolĂ©es ont rĂ©ussi Ă  trouver des groupes de personnes partageant les mĂȘmes idĂ©es, ce qui n’aurait probablement jamais Ă©tĂ© possible auparavant. Les limites gĂ©ographiques peuvent ĂȘtre considĂ©rablement rĂ©duites par les mĂ©dias sociaux, ce qui est particuliĂšrement important alors que de nombreuses personnes vulnĂ©rables s’isolent d’elles-mĂȘmes en raison de la pandĂ©mie, sans possibilitĂ© d’interaction en face Ă  face.

    Si les mĂ©dias sociaux ont Ă©tĂ© créés – ou du moins dĂ©tournĂ©s – par la classe capitaliste, il n’y a aucune raison que ce soit la seule façon pour eux de fonctionner. Bien qu’il y ait certaines limites, le potentiel d’utilisation des mĂ©dias sociaux pour diffuser des idĂ©es anticapitalistes est vaste. La rĂ©surgence, ces derniĂšres annĂ©es, des opinions de gauche chez les jeunes a souvent Ă©tĂ© amplifiĂ©e par l’utilisation de diverses formes de mĂ©dias sociaux.

    Karl Marx a dĂ©clarĂ© que le capitalisme “produit ses propres fossoyeurs”. L’utilisation des mĂ©dias sociaux pour l’organisation anticapitaliste, la lutte pour le socialisme et la solidaritĂ© entre les membres d’une classe ouvriĂšre divisĂ©e et atomisĂ©e est un excellent exemple de l’utilisation des machines de nos oppresseurs. L’arrivĂ©e de gĂ©ants des mĂ©dias sociaux comme Facebook et Twitter dans le giron de la dĂ©mocratie a Ă©galement le potentiel de nous permettre de conserver ces liens sociaux tout en nous dĂ©barrassant des aspects les plus manipulateurs de la technologie.

    L’abolition du capitalisme et l’introduction d’un systĂšme socialiste dĂ©mocratiseront vĂ©ritablement toutes les formes de sociĂ©tĂ©, y compris les mĂ©dias sociaux, au profit de toutes et tous, et pas seulement de quelques personnes avides de profits.

  • USA. Trump ? Plus jamais ! Il nous faut un parti de la classe ouvriĂšre

    Aux États-Unis, les travailleuses et travailleurs sont confrontĂ©s Ă  une crise de grande ampleur. Des dĂ©cennies d’attaques nĂ©olibĂ©rales contre les syndicats et les conquĂȘtes sociales ont engendrĂ© le plus haut niveau d’inĂ©galitĂ© en un siĂšcle ainsi qu’une prĂ©caritĂ© massive. Les coupes budgĂ©taires drastiques opĂ©rĂ©es dans les hĂŽpitaux publics ces derniĂšres annĂ©es, auxquelles s’ajoute le fait que des millions de personnes sont privĂ©es d’assurance maladie, ont laissĂ© le pays dans un dangereux Ă©tat d’imprĂ©paration face Ă  cette pandĂ©mie, tout particuliĂšrement pour les pauvres.

    Par Tom Crean, Socialist Alternative (partisans d’Alternative Socialiste Internationale aux USA)

    Dans l’immĂ©diat, il n’existe aucun plan national pour faire face Ă  la pandĂ©mie. Le nombre de nouveaux cas de contamination atteint des records et les hĂŽpitaux de nombreuses rĂ©gions du Midwest se dirigeant vers l’effondrement total. Le fait que les RĂ©publicains et les DĂ©mocrates n’aient pas acceptĂ© de prolonger l’allocation exceptionnelle de chĂŽmage de 600 dollars signifie que des millions de personnes vivent sur leur carte de crĂ©dit et ne peuvent rester chez elles qu’en raison du moratoire fĂ©dĂ©ral sur les expulsions. Sans assistance supplĂ©mentaire, des centaines de milliers de petites entreprises vont faire faillite.

    Entre-temps, l’Ă©pidĂ©mie de brutalitĂ© policiĂšre a dĂ©clenchĂ© une rĂ©bellion antiraciste de masse qui transcende la couleur de peau. A cela s’ajoute le plus grand dĂ©fi auquel nous sommes confrontĂ©s : celui du dĂ©sastre climatique, illustrĂ© aux Etats-Unis par la saison des feux de forĂȘt dĂ©vastateurs dans les États de l’Ouest.

    Toutes ces catastrophes sont des sous-produits du capitalisme en dĂ©clin de cette pĂ©riode. Donald Trump est Ă©galement un sous-produit du capitalisme en dĂ©clin et, pendant ses quatre annĂ©es de mandat, il s’est efforcĂ© d’aggraver presque tous les problĂšmes auxquels les travailleuses et travailleurs sont confrontĂ©s. Mais il n’a certainement pas créé ces problĂšmes. Si des dizaines de millions de personnes ici et dans le monde entier se rĂ©jouissent, Ă  juste titre, de la fin de son rĂšgne, il nous faut aller plus loin que son Ă©viction pour rĂ©soudre ces problĂšmes. Pour cela, il faut analysĂ© la maniĂšre dont le systĂšme politique pro-entreprises Ă  deux partis – et en particulier le Parti dĂ©mocratique – a travaillĂ© sans relĂąche afin de maintenir la domination de l’Ă©lite milliardaire.

    Les Démocrates, le parti du capitalisme néolibéral

    Les DĂ©mocrates, l’un des deux principaux partis capitalistes aux États-Unis depuis le XIXe siĂšcle, ont derriĂšre eux une histoire longue et complexe. Le parti de l’aprĂšs-Seconde Guerre mondiale reposait sur une alliance entre les sĂ©grĂ©gationnistes du Sud (les “Dixiecrat” ) et une coalition de travailleurs, d’immigrĂ©s blancs et de noirs du Nord. Dans le sillage du mouvement des droits civiques, les blancs conservateurs du Sud ont commencĂ© Ă  se rapprocher des RĂ©publicains.

    Cela a Ă©tĂ© suivi par le changement d’orientation de la classe dirigeante vers ce que l’on appelle aujourd’hui le nĂ©olibĂ©ralisme, Ă  la fin des annĂ©es ’70. Les DĂ©mocrates ont adoptĂ© le programme nĂ©olibĂ©ral de dĂ©rĂ©glementation, de rĂ©duction du rĂŽle des autoritĂ©s, de promotion du libre-Ă©change et de recul des syndicats (tout en acceptant des dizaines de millions de dollars de contributions des syndicats Ă  leurs campagnes Ă©lectorales). Cela reprĂ©sentait l’abandon de la prĂ©tention de reprĂ©senter les intĂ©rĂȘts des travailleuses et des travailleurs, une prĂ©tention qui remonte au New Deal. Au lieu de cela, le parti a prĂ©tendu se soucier des discriminations racistes et sexistes afin de se distinguer des RĂ©publicains qui, de leur cĂŽtĂ©, ont de plus en plus utilisĂ© des sujets tels que les armes Ă  feu, l’avortement et la discrimination positive pour mobiliser leur base.

    Au cours des huit annĂ©es de mandat de Bill Clinton, de 1992 Ă  2000, les DĂ©mocrates se sont appuyĂ©s sur ce que les rĂ©gimes rĂ©actionnaires de Ronald Reagan et George Bush « pĂšre » avaient accompli au cours des douze annĂ©es prĂ©cĂ©dentes. Ils ont entrepris de « mettre fin Ă  l’assistance sociale telle que nous la connaissons », en vidant de leur substance les programmes de lutte contre la pauvretĂ© qui avaient Ă©tĂ© adoptĂ©s sous pression de la lutte de masse dans les annĂ©es ’60 et ’70. Ils ont adoptĂ© la Crime Bill de 1994, une lĂ©gislation qui a accĂ©lĂ©rĂ© l’incarcĂ©ration de masse visant la population noire. Ils ont adoptĂ© le plus grand accord commercial nĂ©o-libĂ©ral, l’ALENA (Accord de Libre Échange Nord Atlantique), qui a entraĂźnĂ© la perte de centaines de milliers d’emplois industriels. A la demande de Wall Street, ils ont mĂȘme abrogĂ© la loi Glass Steagall des annĂ©es 1930 qui avait imposĂ© une rĂ©glementation de base aux banques. Cela a contribuĂ© Ă  alimenter le casino financier qui a dĂ©clenchĂ© la crise Ă©conomique de 2008-2009.

    AprĂšs l’arrivĂ©e au pouvoir de George W. Bush en 2000 au cours d’une Ă©lection volĂ©e, les DĂ©mocrates ont capitulĂ©, une question aprĂšs l’autre. AprĂšs le 11 septembre 2001, ils ont votĂ© pour le Patriot Act qui a massivement augmentĂ© les pouvoirs de surveillance du gouvernement. La plupart des DĂ©mocrates ont soutenu avec enthousiasme la dĂ©sastreuse invasion de l’Irak deux ans plus tard. Un grand nombre d’entre eux ont Ă©galement soutenu les rĂ©ductions d’impĂŽts pour les riches et la rĂ©duction de l’impĂŽt sur les sociĂ©tĂ©s de Bush, ce qui a contribuĂ© Ă  accroĂźtre encore les inĂ©galitĂ©s.

    Les DĂ©mocrates sont revenus Ă  la Maison Blanche en 2008 avec la victoire d’Obama, alors que l’Ă©conomie Ă©tait au milieu de sa crise la plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale. L’Ă©lection du premier prĂ©sident noir avait suscitĂ© un immense espoir, mais la rhĂ©torique d’Obama ne contenait aucun engagement Ă  changer de cap par rapport au nĂ©olibĂ©ralisme de Bill Clinton. Une fois au pouvoir, la solution de son administration Ă  l’effondrement Ă©conomique a Ă©tĂ© de renflouer les banques Ă  hauteur de milliers de milliards de dollars tout en restant sourds aux millions de personnes qui perdaient leur maison.

    Entre 2008 et 2010, les DĂ©mocrates contrĂŽlaient les deux chambres du CongrĂšs. Pendant cette pĂ©riode, ils ont prolongĂ© les rĂ©ductions d’impĂŽts de Bush et ont reniĂ© leurs engagements pour faciliter l’organisation des syndicats. Ils ont rejoint les RĂ©publicains dans une campagne acharnĂ©e pour privatiser et dĂ©truire l’enseignement public. Pour couronner le tout, la rĂ©ponse d’Obama Ă  l’immigration Ă  travers la frontiĂšre sud a Ă©tĂ© d’expulser plus de personnes que tout autre prĂ©sident prĂ©cĂ©dent.

    Les dirigeants des syndicats et d’autres organisations progressistes ont refusĂ© de rĂ©sister Ă  ces attaques en raison de leur totale soumission Ă  l’establishment dĂ©mocrate. L’aile populiste du Parti rĂ©publicain a saisi ce vide pour exploiter le mĂ©contentement Ă©conomique, ce qui a conduit Ă  la naissance du Tea Party en 2009, qui Ă  son tour a prĂ©parĂ© le terrain pour Donald Trump. De mĂȘme, sous une prĂ©sidence Biden, la menace de l’extrĂȘme droite pourrait bien s’accroĂźtre, les DĂ©mocrates supervisant une crise massive sans indiquer aucune issue.

    VoilĂ  le bilan dĂ©sastreux du Parti dĂ©mocrate au cours des quarante derniĂšres annĂ©es. Ils dĂ©fendent des politiques rejetĂ©es par leur base au niveau local et national, comme le fait de donner Ă  la police et Ă  l’armĂ©e toujours plus de moyens. En mĂȘme temps, ils refusent de soutenir des politiques comme l’assurance maladie pour tous et la taxation des riches, mesures soutenues par des majoritĂ©s importantes de toute la population, tout simplement parce que cela s’oppose aux grandes entreprises qui sont les bailleurs de fonds des DĂ©mocrates.

    Au cours des dix derniĂšres annĂ©es, d’Ă©normes luttes ont contribuĂ© Ă  reconstruire la gauche aux États-Unis, du mouvement Occupy Ă  la rĂ©volte des enseignants de 2018 en passant par le mouvement Black Lives Matter. En 2016 et de nouveau en 2020, les campagnes prĂ©sidentielles de Bernie Sanders ont dĂ©montrĂ© le potentiel dont dispose une alternative de gauche de masse construite autour d’un programme de lutte pro-travailleurs. Sanders Ă©tait le dĂ©fenseur de l’assurance maladie pour tous, d’un New Deal vert, de la fin des incarcĂ©rations de masse, d’un salaire minimum fĂ©dĂ©ral de 15 dollars et d’un enseignement gratuit.

    Mais malgrĂ© la radicalisation massive de ces derniĂšres annĂ©es, en particulier parmi la jeunesse, le changement que les gens veulent rĂ©ellement n’Ă©tait pas au programme lors des Ă©lections de novembre. De façon incroyable, nous avons eu Joe Biden, le pire reprĂ©sentant du nĂ©olibĂ©ralisme dĂ©mocrate Ă  l’exception peut-ĂȘtre d’Hillary Clinton. Joe Biden, qui a Ă©tĂ© au SĂ©nat ou Ă  la Maison Blanche (comme vice-prĂ©sident) pendant 44 annĂ©es consĂ©cutives, a Ă©tĂ© l’architecte du projet de loi sur la criminalitĂ© de 1994 et un ardent partisan de l’ALENA et de la guerre en Irak. Cette situation s’explique par le fait que le Parti dĂ©mocrate est fermement dĂ©tenu par les grandes entreprises amĂ©ricaines. Et tant que Sanders, AOC, les syndicats et les forces progressistes accepteront le cadre des DĂ©mocrates, ce genre de rĂ©sultat se produira encore. Il est aujourd’hui bien tragique de voir Sanders briguer un poste dans le cabinet de Biden.

    Faut-il s’attendre Ă  une diffĂ©rence ?

    A quoi ressembleront les DĂ©mocrates au pouvoir cette fois-ci ? Ils ont promis de “dĂ©penser de l’argent”. Cela peut sembler ĂȘtre un mouvement vers la gauche par rapport Ă  leur soutien passĂ© aux coupes budgĂ©taires dans les services sociaux. Cependant, ce n’est pas du tout radical dans le contexte de la crise Ă©conomique mondiale actuelle. Toutes les principales institutions financiĂšres capitalistes du monde, y compris le FMI, la Banque mondiale et la RĂ©serve fĂ©dĂ©rale amĂ©ricaine, prĂ©conisent des mesures de relance budgĂ©taire massives en plus de ce qui a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© dĂ©pensĂ© (bien plus que les annĂ©es 2008-09). Elles craignent Ă  juste titre que l’Ă©conomie ne soit au bord d’un profond marasme si elles ne continuent pas Ă  injecter de l’argent.

    Mais il y a une grande diffĂ©rence entre “dĂ©penser de l’argent” pour une extension temporaire des allocations de chĂŽmage et de l’aide aux petites entreprises – ce qui est tout Ă  fait nĂ©cessaire – et s’engager rĂ©ellement dans des programmes Ă  plus long terme. Biden et Harris ont clairement indiquĂ© qu’ils s’opposeraient activement Ă  l’assurance maladie pour tous malgrĂ© sa grande popularitĂ©. Au cours de la campagne, ils ont renouvelĂ© leur opposition Ă  l’interdiction de la fracturation hydraulique et, tout en affirmant qu’il faudrait s’Ă©loigner des combustibles fossiles, ils se sont catĂ©goriquement opposĂ©s Ă  un Green New Deal, qui crĂ©erait pourtant des millions d’emplois dĂ©cents. Ils ont mĂȘme dĂ©clarĂ© qu’ils seraient favorables Ă  un financement accru de la police !

    Dans les jours qui ont suivi l’Ă©lection, la dĂ©putĂ©e Abigail Spanberger s’est exclamĂ©e avec insistance que la raison pour laquelle le parti a perdu des siĂšges Ă  la Chambre est qu’il s’est associĂ© Ă  la politique progressiste. La conclusion de Spanberger Ă  l’intention du parti est la suivante : “Ne dites plus jamais ‘socialisme’.”

    Les DĂ©mocrates chercheront Ă  la premiĂšre occasion Ă  mettre en Ɠuvre des coupes d’austĂ©ritĂ© sauvages pour faire payer Ă  la classe ouvriĂšre le coĂ»t de la crise. Ils rĂ©sisteront Ă  toute proposition sĂ©rieuse de taxation des riches et des grandes entreprises et ils chercheront Ă  maintenir autant que possible le programme nĂ©olibĂ©ral. Mais ils seront confrontĂ©s Ă  d’Ă©normes problĂšmes parce que la masse de la population rejettera l’austĂ©ritĂ© et la poursuite des politiques des derniĂšres dĂ©cennies.

    Construire un nouveau parti

    Si les DĂ©mocrates ne sont pas le vĂ©hicule qui nous permettra d’arracher le changement dont nous avons besoin, comment gagner l’assurance maladie pour tous, le Green New Deal, et placer la police sous un vĂ©ritable contrĂŽle dĂ©mocratique ? L’histoire de ce pays montre que les gains rĂ©els pour les travailleuses et les travailleurs ne sont obtenus que par des mouvements de masse et la lutte sociale. Citons par exemple la campagne de syndicalisation de masse et la vague de grĂšves des annĂ©es 30 ou encore le mouvement des droits civiques des annĂ©es 50 et 60.

    Face Ă  une classe de milliardaires qui a amassĂ© prĂšs d’un trillion de dollars supplĂ©mentaires au cours de cette pandĂ©mie, il est clair que nous devons de toute urgence reconstruire un mouvement ouvrier combatif. Les enseignants, les travailleurs de l’hĂŽtellerie et de l’automobile ont montrĂ© la voie en 2018-19.

    Mais pour prendre en charge les intĂ©rĂȘts bien ancrĂ©s de la classe des milliardaires, nous avons Ă©galement besoin d’un parti politique qui reprĂ©sente nos intĂ©rĂȘts. Les deux campagnes prĂ©sidentielles de Bernie Sanders ont montrĂ© non seulement le niveau de soutien potentiel pour une alternative politique de gauche, mais aussi concrĂštement comment des centaines de millions de dollars pourraient ĂȘtre rĂ©coltĂ©s auprĂšs des gens ordinaires sans accepter un centime de l’argent des entreprises. Depuis des dĂ©cennies, on nous dit qu’il est impossible de mener des campagnes sĂ©rieuses sans l’argent des entreprises. Si les campagnes de Sanders n’ont rien fait d’autre que de dĂ©truire ce mythe, elles ont fait une chose trĂšs prĂ©cieuse.

    À quoi devrait ressembler un nouveau parti de gauche basĂ© sur les intĂ©rĂȘts des travailleuses et des travailleurs ? Avant tout, ce devrait ĂȘtre un parti de lutte, et non pas simplement une machine Ă©lectorale. Comme Socialist Alternative l’a dĂ©montrĂ© en organisant des campagnes victorieuses Ă  Seattle qui ont permis d’Ă©lire Kshama Sawant au conseil de ville Ă  trois reprises, la clĂ© est de construire des mouvements dans la rue et d’imposer ces mouvements dans les couloirs du pouvoir. C’est ainsi que nous avons gagnĂ© pour la premiĂšre fois les 15 dollars de l’heure de salaire minimum dans une grande ville et que nous avons gagnĂ© la Taxe Amazon, qui permettra de rĂ©colter des centaines de millions de dollars auprĂšs des grandes entreprises pour construire des logements abordables et rĂ©pondre Ă  d’autres besoins essentiels Ă  Seattle.

    Un parti national de travailleuses et de travailleurs devrait reprĂ©senter toutes les luttes de la classe ouvriĂšre, de plus en plus multiraciale et multigenre, y compris la lutte pour mettre fin aux politiques d’expulsion massive et pour les droits de citoyennetĂ© des travailleurs immigrĂ©s ; pour dĂ©fendre le droit Ă  l’avortement et les droits des personnes LGBTQI contre les attaques de la droite rĂ©actionnaire enhardie ; pour mettre fin Ă  toutes les politiques de “gerrymandering” (dĂ©coupage Ă©lectorale des quartiers pour noyer le vote progressiste) et de suppression des Ă©lecteurs.

    Nous avons besoin d’un parti oĂč nos reprĂ©sentants Ă©lus sont responsables devant les membres et oĂč ils sont tenus de voter pour les revendications figurant dans le programme du parti. La responsabilitĂ© signifie Ă©galement que les reprĂ©sentants publics du parti ne gagnent pas plus que le salaire moyen des travailleurs, Ă  l’instar de Kshama Sawant.

    Dans un tel parti, les marxistes se battraient pour une plate-forme anticapitaliste claire qui prĂ©conise de faire entrer dans le giron de l’État des secteurs clĂ©s de l’Ă©conomie, notamment les banques, les soins de santĂ©, les grandes entreprises ainsi que les secteurs de l’Ă©nergie, de la logistique et des transports. C’est la seule façon de commencer Ă  orienter les ressources de la sociĂ©tĂ© vers l’Ă©limination des inĂ©galitĂ©s massives et du racisme structurel, ainsi que vers une transition rapide des combustibles fossiles vers les Ă©nergies renouvelables.

    Une question qui est souvent posĂ©e est de savoir d’oĂč viendront les forces de ce nouveau parti. Notre rĂ©ponse est qu’il existe un Ă©norme potentiel de soutien de la part de ceux qui ont soutenu les campagnes de Sanders, de syndicalistes progressistes et de jeunes gens actifs dans la lutte contre le racisme, le sexisme et les catastrophes climatiques. Mais il est absolument vrai qu’il faudra d’importantes organisations importants pour lancer ce parti.

    La gauche amĂ©ricaine compte des personnalitĂ©s de premier plan comme Sanders, AOC et la nouvelle Ă©lue Cori Bush, membre du CongrĂšs du Missouri. Nous avons besoin qu’ils entendent leurs partisans qui ont tirĂ© la conclusion que le Parti dĂ©mocrate ne peut pas ĂȘtre rĂ©formĂ©. Nous applaudissons des personnalitĂ©s comme Cornel West, Nina Turner (prĂ©sidente de Our Revolution) et Roseann De Moro (ancienne prĂ©sidente de National Nurses United), qui vont dĂ©jĂ  dans cette direction. Nous avons besoin que les dĂ©mocrates-socialistes d’AmĂ©rique (DSA), qui ont atteint les 70.000 membres ces derniĂšres annĂ©es et se sont formellement engagĂ©s Ă  soutenir la formation d’un parti ouvrier, fassent rĂ©ellement de cet effort une prioritĂ©. Une mesure immĂ©diate pourrait consister Ă  commencer Ă  prĂ©senter des candidats socialistes pour les postes locaux sur une base indĂ©pendante du Parti dĂ©mocrate, avec une plate-forme commune et un objectif de construction du mouvement.

    Plus jamais de Trump

    Nous devons ĂȘtre trĂšs clairs sur le fait que, si nous ne commençons pas Ă  prendre des mesures plus sĂ©rieuses pour construire une nouvelle force politique basĂ©e sur la classe ouvriĂšre multiraciale et multigenre, nous serons confrontĂ©s Ă  de sĂ©rieux dangers dans les annĂ©es Ă  venir. Donald Trump et la droite populiste ont construit une base politique massive, qui comprend une aile d’extrĂȘme droite croissante.

    Si la situation de 2008-10 se rĂ©pĂšte, avec des travailleurs et des sections de la classe moyenne qui souffrent du fait que les banques et les entreprises sont dirigĂ©es par une administration dĂ©mocrate, l’extrĂȘme droite aura la possibilitĂ© de se dĂ©velopper davantage.

    Aux États-Unis, il aurait Ă©tĂ© possible de crĂ©er un parti des travailleurs dans les annĂ©es 1930, 1970 et 1990. Pour diverses raisons, ces possibilitĂ©s ont Ă©tĂ© dilapidĂ©es. Aujourd’hui, il est plus clair que jamais pour des millions de personnes, en particulier les jeunes, que le capitalisme est un systĂšme en faillite. Le temps est venu de construire un puissant mouvement, organisĂ© sur les lieux de travail, dans les quartiers et les universitĂ©s et reflĂ©tĂ© dans les urnes, qui peut remettre en cause de maniĂšre dĂ©cisive le rĂšgne des milliardaires. Ce mouvement ne doit s’arrĂȘter Ă  rien pour mettre fin Ă  la domination destructrice et parasitaire du capital en AmĂ©rique et s’unir aux travailleuses et travailleurs du monde entier pour construire un avenir socialiste pacifique, prospĂšre et Ă©galitaire.

  • RÉVOLUTION DE 1830 La colĂšre rĂ©volutionnaire dĂ©viĂ©e vers la crĂ©ation de l’État belge

    Peinture de Gustave Wappers de 1834 sur les journées de septembre 1830. (Photo : Wikimedia Commons)

    La Belgique n’a pas Ă©tĂ© créée par un soulĂšvement spontanĂ© de citoyens fortunĂ©s aprĂšs une reprĂ©sentation d’opĂ©ra. La rĂ©volution belge a Ă©tĂ© un mouvement de masse du peuple, de la classe ouvriĂšre qui commençait Ă  se dĂ©velopper et de la population pauvre des cam­pagnes. L’absence d’organisations propres et de direction des masses a permis Ă  la bour­geoisie de dĂ©tourner la rĂ©volution. Cela a conduit Ă  la crĂ©ation de la Belgique. (1)

    Par Alain Mandiki et StĂ©phane Delcros. Il s’agit de la version courte d’un texte plus long disponible sur marxisme.be.

    Un état artificiel

    À part un petit Ă©pisode de quelques mois en 1790, et qui ne concerne pas l’entiĂšretĂ© du futur État belge, jamais avant 1830 son futur territoire n’a Ă©tĂ© « indĂ©pendant » des autres puissances. Souvent, mĂȘme, ces territoires faisaient partie de puissances et autoritĂ©s fĂ©odales diffĂ©rentes, en fonction du rapport de forces. Le territoire du futur État belge a pendant longtemps Ă©tĂ© le siĂšge de conflits entre diffĂ©rents Empires. C’était dĂ» Ă  sa position gĂ©ographique favorable, un carrefour entre les diffĂ©rentes puissances europĂ©ennes, et entre les diffĂ©rentes villes commerciales.

    La proximitĂ© gĂ©ographique et linguistique, comme partout, entraĂźnait bien sĂ»r l’existence d’élĂ©ments communs, culturellement par exemple. Mais Ă  aucun moment il ne s’agissait d’un sentiment « national » commun, hĂ©ritĂ© d’une histoire commune entraĂźnant une volontĂ© « nationale » patriotique de se crĂ©er un avenir commun et libre.

    Comme l’explique Anja Deschoemacker dans son analyse marxiste sur La question nationale en Belgique (2) : « La construction d’un État-nation est une tĂąche historique de la bourgeoisie. Dans ce sens, tous les États sont ‘artificiels’ (
). Mais lĂ  oĂč la bourgeoisie, Ă  l’époque de la crĂ©ation des nations, joue un rĂŽle historiquement progressiste et est reconnue comme dirigeante de la nation (parce qu’elle la construit et l’a fait progresser), Ă  mesure que sa formation est tardive, la bourgeoisie a plus de difficultĂ©s Ă  s’imposer de cette maniĂšre. Au plus la classe ouvriĂšre a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© prĂ©cĂ©demment dĂ©veloppĂ©e, au plus la bourgeoisie a tendance Ă  se lier Ă  l’aristocratie au lieu de la renverser pour contrĂŽler la classe ouvriĂšre. C’est ainsi que les choses se sont dĂ©roulĂ©es en Belgique. »

    Les Pays-Bas unis mĂšnent une politique dans l’intĂ©rĂȘt de la bourgeoisie

    Durant la RĂ©publique puis l’Empire français, la classe bourgeoise Ă©tait en dĂ©veloppement dans les dĂ©partements composants la future Belgique, particuliĂšrement au sud, dans l’actuelle Wallonie. Les Ă©lites Ă©conomiques dans l’industrie de l’armement, de la houille et de la mĂ©tallurgie bĂ©nĂ©ficiaient d’un marchĂ© Ă©largi et d’une protection contre la concurrence surtout britannique. La lĂ©gislation Ă©tait aussi favorable Ă  leurs intĂ©rĂȘts : une grande libertĂ© pour le patronat et les propriĂ©taires fonciers, permettant une exploitation brutale de la force de travail du prolĂ©tariat.

    Le marchĂ© français sera perdu avec la dĂ©faite napolĂ©onienne, mais la lĂ©gislation restera et la bourgeoisie pourra profiter du gain des colonies du Royaume uni des Pays-Bas : les Indes orientales nĂ©erlandaises – l’actuelle rĂ©publique d’IndonĂ©sie –, le Suriname et les Antilles nĂ©erlandaises. Pour la classe bourgeoise du futur État belge, Ă©conomiquement, ce n’était donc pas nĂ©cessairement une mauvaise affaire.

    Pour cette bourgeoise Ă©mergente, des frustrations existaient pourtant. Tout d’abord, mĂȘme si une partie de la bourgeoisie des provinces du Sud Ă©tait anticlĂ©ricale, une autre Ă©tait catholique, contrairement Ă  l’élite dirigeante du royaume, protestante. L’ensemble de cette bourgeoisie Ă©tait par ailleurs francophone, opposĂ©e Ă  la politique orangiste de dĂ©ploiement du nĂ©erlandais. La bourgeoisie Ă©mergente au sud avait un caractĂšre diffĂ©rent de celle prĂ©sente dans le nord du royaume. Celle-ci Ă©tait davantage commerçante, et donc partisane d’une politique libre-Ă©changiste. Au sud, elle Ă©tait davantage industrielle, favorable Ă  une politique protectionniste. Ainsi, elle demandera au roi notamment d’augmenter les taxes d’entrĂ©e sur les produits des industries Ă©trangĂšres concurrentes. Le roi Ă©tait conscient de ces frustrations, et a mis en Ɠuvre des politiques pour tenter de les apaiser.

    Sous le rĂ©gime d’Orange-Nassau, la bourgeoisie des provinces du sud s’est enrichie de maniĂšre exponentielle sur base de l’exploitation de la classe ouvriĂšre naissante, aidĂ©e en cela par le rĂ©gime. On comprend qu’en rĂ©alitĂ©, la volontĂ© de la bourgeoisie n’était pas du tout de s’émanciper d’une soi-disant « occupation hollandaise », comme on peut le lire dans l’historiographie officielle.

    Le prolétariat naissant et la volonté des masses de sortir de leur condition

    Le prolĂ©tariat Ă©tait bien sĂ»r peu nombreux Ă  l’époque, mais tout de mĂȘme plus nombreux que ce que l’on pourrait croire. DĂšs le dĂ©but du 19e siĂšcle, il Ă©tait en croissance rapide.

    C’est l’industrie textile qui Ă  l’époque est la plus dĂ©veloppĂ©e, surtout en Flandre Occidentale et Orientale, mais se dĂ©veloppaient depuis quelques annĂ©es aussi la mĂ©tallurgie et les charbonnages en Hainaut et en province de LiĂšge. En 1802, Gand comptait 220 cotonniers ; en 1810, ils seront 10.000. Rien que pour cette industrie cotonniĂšre, les provinces du sud comptaient 220.000 ouvriers en 1825, dont 150.000 rien qu’en Flandre orientale.

    La situation pour les masses Ă©tait misĂ©rable. La concurrence avec les produits principalement britanniques exerçait une pression sur les conditions de travail, impliquant de longues journĂ©es de travail. Les patrons pouvaient compter sur une Ă©norme rĂ©serve de travailleurs vu que de nombreux paysans Ă©taient poussĂ©s vers les villes par les famines et les bas prix des produits agricoles. Cette concurrence entre travailleurs impliquait des rĂ©munĂ©rations salariales trĂšs faibles, bien en dessous du minimum vital. Le travail des enfants Ă©tait loin d’ĂȘtre rare, car les familles avaient besoin que chacun de leurs membres vendent leur force de travail pour ĂȘtre capables de vivre.

    La situation s’aggravera encore avec de nouveaux impĂŽts levĂ©s sur la mouture et sur l’abattage, qui augmentaient le prix du pain et de la viande. Ils rapportaient 5 millions de florins Ă  l’État, mais rendait encore plus difficile la vie des masses. Ces impĂŽts seront finalement abolis en 1829 mais Ă©videmment trop tard : le mal Ă©tait dĂ©jĂ  trop profondĂ©ment ancrĂ©.

    L’insurrection de 1830

    La rĂ©volution de Juillet en France, connue sous le nom des « Trois Glorieuses », aura une grande influence sur le prolĂ©tariat et les masses un peu partout en Europe, particuliĂšrement dans les provinces du Sud des Pays-Bas. Durant le mois d’aoĂ»t, le gouvernement va prĂ©cipiter les choses, avec notamment l’augmentation du prix du pain et l’organisation de grosses et coĂ»teuses festivitĂ©s Ă  Bruxelles pour le 59e anniversaire de Guillaume Ier. A partir du 22 aoĂ»t, on peut lire sur des affiches placardĂ©es : « RĂ©volution pour le 25 aoĂ»t ! ».

    Le 24 aoĂ»t, des attroupements de masse se font dans les rues ainsi que dans les estaminets et les cabarets. Comme le prĂ©cise Maurice Bologne, jusqu’alors les estaminets Ă©taient frĂ©quentĂ©s par la bourgeoisie, mais durant le processus rĂ©volutionnaire, les masses s’en sont saisis. Dans une sociĂ©tĂ© connaissant de tels Ă©vĂšnements, les masses ont besoin d’endroits de ralliements pour s’organiser.

    La bourgeoisie tente de mater la révolution

    La bourgeoisie dĂ©cidera de s’armer elle-mĂȘme pour prĂ©server ses biens, soit en supplĂ©ant l’armĂ©e du royaume des Pays-Bas, soit pour tenter de directement maintenir l’ordre. C’est ainsi que naĂźt la « garde bourgeoise ». La bourgeoisie essaiera de se servir de la rĂ©volte po­pulaire comme levier pour appuyer des revendications. Guillaume Ier refuse et dĂ©cide d’envoyer plus de troupes sur Bruxelles avec ses fils Ă  leur tĂȘte.
    La conduite maladroite du prince n’a fait qu’augmenter la rĂ©volte. Des bourgeois prirent peur et fuiront la ville de Bruxelles. Dans les rangs bourgeois, diffĂ©rents courants dĂ©fendaient des voies distinctes. Un courant minoritaire Ă©tait en train de se dĂ©velopper : face Ă  la majoritĂ© qui restait pro-rĂ©gime, une minoritĂ© dĂ©fendait l’idĂ©e d’une proclamation d’indĂ©pendance vis-Ă -vis du royaume des Pays-Bas. C’est Louis De Potter, petit-bourgeois issu d’une famille anoblie, mais progressiste, vu comme un dĂ©fenseur des opprimĂ©s et trĂšs populaire auprĂšs du prolĂ©tariat, qui va cristalliser cette division en envoyant une lettre critiquant les conservateurs.

    Le dĂ©but du mois de septembre a d’ailleurs vu de nombreux ouvriers et paysans d’un peu partout en Belgique se rendre dans la future capitale. Ces sont de vĂ©ritables marches sur Bruxelles qui portent les masses pour venir dĂ©fier le pouvoir. L’hĂŽtel de ville sera pris d’assaut et des milliers de prolĂ©taires commenceront Ă  dĂ©sarmer la bourgeoisie. Un vide du pouvoir s’installe alors, et vu la tournure des Ă©vĂšnements, des bourgeois reviennent et pro­fitent de la dĂ©sorganisation de l’insurrection. Se rendant compte que le maintien du rĂ©gime sera difficile, un gouvernement provisoire est installĂ© le 26 septembre. Le 4 octobre, le gou­vernement provisoire proclame l’indĂ©pendance des provinces du sud.

    La classe dominante fera tout pour Ă©carter les intĂ©rĂȘts des masses. Le CongrĂšs national dé­cide de mettre sur pied une monarchie : la bourgeoisie ne voulait pas d’une rĂ©publique, bien trop proche du modĂšle prĂŽnĂ© par les rĂ©volutionnaires français et qui pourrait fĂącher ses futurs potentiels alliĂ©s. LĂ©opold de Saxe-Cobourg, d’origine germanique et rĂ©sidant en Angleterre, sera nommĂ© roi ; notamment pour contenter l’alliĂ© britannique. Il Ă©pousera par ailleurs plus tard la princesse Louise d’OrlĂ©ans, pour Ă©galement sceller une alliance avec la monarchie française. Sur une population de 4 millions d’habitants, 46.000 seront Ă©lecteurs
 Dans sa lutte contre les travailleurs et les paysans, la bourgeoisie industrielle s’est mĂȘme unie avec la classe qu’elle aurait logiquement dĂ» renverser : l’aristocratie fĂ©odale, accompagnĂ©e par l’église.

    Absence d’instruments de lutte

    Lors du processus rĂ©volutionnaire de 1830, on a pu voir des embryons de traditions de luttes qui seront saisies et dĂ©veloppĂ©es dans l’histoire de la future Belgique. C’est notamment le cas de la « Marche sur Bruxelles », une idĂ©e que l’on retrouvera Ă  d’autres moments-clĂ©s de l’histoire de la lutte des classes. Ce sera par exemple le cas en 1950, durant « la question royale », ou encore lors de la GrĂšve du siĂšcle Ă  l’hiver 1960-1961.

    Mais Ă  l’époque, le prolĂ©tariat Ă©tait jeune, dĂ©pourvu d’expĂ©rience collective en tant que classe et inorganisĂ©. Il n’a pas pu compter sur un outil politique pour dĂ©fendre ses propres intĂ©rĂȘts. Ce sera quelques annĂ©es plus tard qu’apparaĂźtront les embryons d’organisations de la classe des travailleurs.

    Mais pour mener un processus rĂ©volutionnaire vers la victoire, la prĂ©sence d’un parti socialiste rĂ©volutionnaire est nĂ©cessaire ; un parti qui concentre les leçons et les expĂ©riences des luttes de l’histoire et trace des perspectives pour mettre Ă  bas le systĂšme capitaliste et construire une sociĂ©tĂ© socialiste dĂ©mocratique.

    Notes et liste de lectures :

    (1) BOLOGNE Maurice, L’Insurrection prolĂ©tarienne de 1830 en Belgique, Ă©ditions Aden, 2005 – 160 pages [PremiĂšre Ă©dition : L’Églantine, 1929 – 72 pages].
    (2) DESCHOEMACKER Anja, La question nationale en Belgique – Une rĂ©ponse des tra­vailleurs est nĂ©cessaire, Ă©ditions Marxisme.be, Avril 2016 – 298 pages.

  • Scandale dans les institutions internationales : du sexe contre un emploi, du pain, une terre

    Le capitalisme néocolonial exacerbe les abus des institutions impérialistes

    L’Organisation mondiale de la santĂ© (OMS) a beaucoup figurĂ© sur nos radars ces derniers temps, souvent prĂ©sentĂ©e sous un jour favorable pour ses conseils d’”expert” sur la maniĂšre de faire face Ă  la pandĂ©mie de COVID-19. Toutefois, le 29 septembre, un rapport a Ă©tĂ© publiĂ©, dĂ©taillant les abus sexuels commis par les employĂ©s de l’OMS lors de sa rĂ©ponse Ă  la crise Ebola de 2018 en RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo (RDC). Aux cĂŽtĂ©s de l’OMS, d’autres agences et ONG telles que ALIMA, UNICEF, IMC, World Vision, OXFAM, MSF (MĂ©decins sans frontiĂšres) sont accusĂ©es.

    Par Rose Lichtenstein, Workers and Socialist Party (ASI – Afrique du Sud)

    Les 51 femmes interrogĂ©es ont toutes dĂ©clarĂ© avoir subi des pressions pour avoir des relations sexuelles avec des employĂ©s de l’OMS et d’autres agences dĂ©ployĂ©es dans le cadre du projet d’aide Ebola.

    PrĂšs de 60 % d’entre elles ont Ă©tĂ© exploitĂ©es sexuellement par des hommes travaillant pour l’OMS. Des rapports indiquent Ă©galement que des contrats de travail ont Ă©tĂ© rĂ©siliĂ©s lorsque des femmes ont refusĂ© d’avoir des relations sexuelles avec leurs supĂ©rieurs masculins. Bien que le ministre de la santĂ© de la RDC affirme qu’aucune plainte officielle n’a Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e, les journalistes ont constatĂ© que les rĂ©cits Ă©taient si nombreux et similaires que la pratique semblait ĂȘtre rĂ©pandue et courante.

    Un chauffeur pour l’une des agences d’aide a dĂ©clarĂ© que “c’Ă©tait si rĂ©gulier que c’Ă©tait comme si on achetait de la nourriture au supermarchĂ©”. Une femme a dĂ©clarĂ© que le sexe Ă©tait devenu “un passeport” pour des emplois qui payaient des salaires beaucoup plus Ă©levĂ©s dans une rĂ©gion oĂč les emplois stables pour les femmes sont rares. “Les femmes ont dĂ©clarĂ© que les hommes refusaient systĂ©matiquement de porter des prĂ©servatifs – Ă  une Ă©poque oĂč l’on dĂ©courageait les contacts physiques pour enrayer la propagation du virus mortel. Beaucoup connaissaient le nom de ces hommes”.

    Les actes “gĂ©nĂ©ralisĂ©s”, une forte tendance au sein de l’ONU

    Malheureusement, ces rapports ne sont pas une surprise. Les agences de l’ONU chargĂ©es du “maintien de la paix”, communĂ©ment appelĂ©es les “casques bleus”, et de l’”aide” dans les rĂ©gions les plus troublĂ©es et les plus dĂ©chirĂ©es par la guerre de notre planĂšte sont mĂȘlĂ©es Ă  des scandales similaires depuis des dĂ©cennies.

    Pendant la guerre de Bosnie (1993-94), 47 soldats canadiens de maintien de la paix ont Ă©tĂ© accusĂ©s d’avoir abusĂ© sexuellement d’infirmiĂšres et d’interprĂštes et d’avoir abusĂ© physiquement de patients souffrant de troubles mentaux. Les abus sexuels commis par les soldats de la paix de pas moins de dix contingents internationaux en RĂ©publique centrafricaine en 2016 Ă©taient si graves, y compris des soldats français utilisant de la nourriture pour attirer jusqu’Ă  des filles seulement ĂągĂ©es de 9 ans pour des rapports sexuels, que le HCR lui-mĂȘme a Ă©tĂ© contraint d’admettre que ces actes Ă©taient “gĂ©nĂ©ralisĂ©s”. Actuellement, le personnel de l’ONU dans la rĂ©gion ougandaise de Karamoja, frappĂ©e par la sĂ©cheresse, est accusĂ© d’Ă©changer de la nourriture contre des rapports sexuels dans une rĂ©gion oĂč plus de 500 000 personnes sont confrontĂ©es Ă  des pĂ©nuries alimentaires.

    La rĂ©alitĂ© est plus sombre encore si l’on considĂšre l’exploitation sexuelle des enfants.

    Dans une Ă©tude des Nations unies de 1996 sur les effets des conflits armĂ©s sur les enfants, Graça Machel a indiquĂ© que “dans 6 des 12 Ă©tudes nationales sur l’exploitation sexuelle des enfants dans les situations de conflit armĂ© […] l’arrivĂ©e des troupes de maintien de la paix a Ă©tĂ© associĂ©e Ă  une augmentation rapide de la prostitution enfantine”.

    En 2017, il a Ă©tĂ© rapportĂ© que sur une pĂ©riode de 10 ans, plus de 100 soldats de maintien de la paix ont Ă©tĂ© impliquĂ©s dans la gestion d’un rĂ©seau de prostitution d’enfants. En 2004, Amnesty International a rapportĂ© que des filles ont Ă©tĂ© kidnappĂ©es, torturĂ©es et forcĂ©es Ă  se prostituer au Kosovo ; la demande d’esclaves sexuels d’enfants Ă©tait alimentĂ©e par le personnel de l’OTAN et de l’ONU. Le viol systĂ©matique d’enfants locaux Ă©tait utilisĂ© comme moyen de coercition.

    Conditions d’exploitation

    Les Nations unies et d’autres agences d’aide Ă  grande Ă©chelle se dĂ©ploient souvent dans des rĂ©gions oĂč les populations locales sont confrontĂ©es Ă  un grave dĂ©sespoir. EngluĂ©s dans des conditions de guerre civile et de pandĂ©mie, les femmes et les enfants sont gĂ©nĂ©ralement confrontĂ©s Ă  une pauvretĂ© extrĂȘme, au manque d’emplois, Ă  des pĂ©nuries de nourriture et d’eau, Ă  un accĂšs insuffisant aux soins de santĂ©, tant physiques que mentaux, et sont dĂ©racinĂ©s de leurs terres. Les forces de maintien de la paix et les organismes d’aide dĂ©ployĂ©s dans le cadre de mesures provisoires et de secours entrent dans ces rĂ©gions dans une position idĂ©ale pour tirer parti de la derniĂšre chose qu’il reste Ă  vendre pour ces femmes et ces enfants : leur corps. Les immenses disparitĂ©s de pouvoir entre les forces “dĂ©ployĂ©es” (d’occupation) et la population locale crĂ©ent les conditions idĂ©ales pour que les abus se multiplient. En outre, les forces de maintien de la paix et les organismes d’aide sont parfaitement placĂ©s pour exploiter l’immense inĂ©galitĂ© entre les sexes et l’oppression, telle que la marchandisation gĂ©nĂ©ralisĂ©e des femmes et du sexe et les niveaux Ă©levĂ©s de violence sexiste, qui existent dĂ©jĂ  dans ces rĂ©gions.

    Cependant, ce sont ces mĂȘmes “forces de maintien de la paix” et agences d’”aide” qui sont Ă  l’origine de l’exploitation. L’ONU reçoit la grande majoritĂ© de ses fonds de nations impĂ©rialistes telles que les États-Unis (22 %) et la Chine (12 %). Ce sont ces mĂȘmes pays dont les gouvernements et les grandes entreprises se battent pour obtenir des ressources, des terres et une main-d’Ɠuvre bon marchĂ© dans le monde nĂ©ocolonial. L’ONU a Ă©tĂ© créée pour sauver le capitalisme aprĂšs la Seconde Guerre mondiale, avec des institutions financiĂšres comme le FMI et la Banque mondiale pour contrĂŽler les anciennes colonies, et oĂč les pays nĂ©ocoloniaux sont privĂ©s de toute reprĂ©sentation dĂ©mocratique rĂ©elle alors que les pays impĂ©rialistes jouissent d’un important droit de veto. En substance, l’ONU existe pour promouvoir les intĂ©rĂȘts des nations impĂ©rialistes et leur poursuite de la domination Ă©conomique.

    La nĂ©cessitĂ© pour le systĂšme capitaliste d’augmenter constamment ses profits et d’Ă©largir ses marchĂ©s est Ă  l’origine de l’instabilitĂ© politique et sociale des rĂ©gions “justifiant” le dĂ©ploiement de l’ONU et de l’aide. La RDC et de nombreux autres pays d’Afrique sont traitĂ©s comme des terrains de jeu pour les industries extractives, oĂč la classe capitaliste mondiale peut faire avancer son idĂ©al selon lequel la main-d’Ɠuvre doit ĂȘtre libre de tout obstacle qui empĂȘche la circulation des capitaux et des potentiels de profits. Cet idĂ©al a non seulement entraĂźnĂ© des conditions proches de l’esclavage en Afrique, mais des cas importants de travail forcĂ©, qui continuent d’ĂȘtre documentĂ©s.

    Une question de pouvoir

    L’impĂ©rialisme est un capitalisme qui s’Ă©tend sur toute la planĂšte dans une compĂ©tition entre ses principaux États-nations et leurs classes dominantes pour les marchĂ©s, les exportations de capitaux, l’influence politique et militaire. L’ONU tente d’unifier, avec un succĂšs toujours plus grand, la classe capitaliste des diffĂ©rents pays et sert de mĂ©diateur entre leurs intĂ©rĂȘts politiques et Ă©conomiques sous le voile de la diplomatie.

    Cela leur permet d’affirmer collectivement leur domination sur la classe ouvriĂšre au niveau international.

    Le viol et les abus sexuels ont toujours Ă©tĂ© une question de pouvoir sur un autre ĂȘtre humain. Cela remonte Ă  l’Ă©poque oĂč les femmes et les enfants Ă©taient considĂ©rĂ©s comme des “butins de guerre”. Avant le milieu du siĂšcle, les femmes et les enfants Ă©taient capturĂ©s et vendus comme esclaves pour le travail et le sexe. MĂȘme dans les sociĂ©tĂ©s qui avaient aboli l’esclavage, il Ă©tait considĂ©rĂ© comme normal que les commandants des armĂ©es d’invasion victorieuses permettent Ă  leurs soldats de “violer et piller” dans le cadre de leur rĂ©munĂ©ration pour les combats. Ces pratiques contribuaient Ă  l’Ă©lĂ©ment dĂ©shumanisant de la guerre et n’Ă©taient pas limitĂ©es Ă  un seul pays, mais constituaient plutĂŽt un phĂ©nomĂšne commun partout oĂč des conflits violents pointaient le bout de leur nez.

    Le viol systĂ©matique des femmes n’est pas seulement une caractĂ©ristique historique, mais un moyen-clĂ© de la guerre moderne aujourd’hui – la RDC, la guerre des Balkans et la Syrie en sont des exemples bien documentĂ©s. La violence sexuelle visant spĂ©cifiquement les femmes et les enfants est une arme consciente qui dĂ©shumanise et objectifie les personnes occupĂ©es. Elle joue un rĂŽle essentiel dans le maintien des divisions fondĂ©es sur la nationalitĂ© dans l’ensemble de la classe ouvriĂšre et la justification d’autres formes de violence.

    Dans le monde nĂ©ocolonial, la misogynie toxique (prĂ©jugĂ©s ancrĂ©s contre les femmes) issue de millĂ©naires d’oppression des femmes se mĂ©lange au racisme inventĂ© uniquement pour justifier l’esclavage et la colonisation Ă  la recherche de profits. L’acte mĂȘme d’occupation par des forces extĂ©rieures pour maintenir la paix et/ou apporter aide et assistance fait le jeu de la fausse idĂ©e que les populations locales sont des “sauvages” incapables de rĂ©soudre ces crises elles-mĂȘmes. Il n’est donc pas surprenant que lĂ  oĂč des occupations de maintien de la paix ont lieu, la tendance gĂ©nĂ©rale soit Ă  l’augmentation significative des actes sexuels violents. L’ONU fournit aux capitalistes le moyen de dĂ©pouiller le monde nĂ©ocolonial de toutes ses richesses, et s’en sert ensuite comme justification pour envoyer des forces d’occupation “aider” les “sans dĂ©fense” et “mal Ă©quipĂ©s”, tout en fermant les yeux sur la violence continue de ses forces.

    Aucune justice pour les victimes

    Le fait que les victimes de ces actes horribles n’aient pratiquement aucune voie vers une quelconque forme de justice n’est pas une coĂŻncidence, mais une caractĂ©ristique du systĂšme capitaliste mondial. Les forces d’occupation de l’ONU sont immunisĂ©es contre les lois locales et il est de la responsabilitĂ© de leur pays d’origine de les “discipliner” et, en gĂ©nĂ©ral, il est difficile de savoir quelle justice, s’il y en a une, a Ă©tĂ© rendue. Dans leur pays d’origine, les victimes sont confrontĂ©es Ă  l’obstacle de l’instabilitĂ© due aux Ă©pidĂ©mies et aux conflits qui bloquent encore davantage l’accĂšs Ă  la justice.

    Cela illustre parfaitement les contradictions du systĂšme juridique international libĂ©ral. Les puissances Ă©conomiques peuvent dominer le monde entier sous les prĂ©textes juridiques d’institutions comme les Nations unies et la Banque mondiale – allant jusqu’Ă  prescrire des modifications du droit local en fonction de l’”aide” fournie – mais l’accĂšs aux droits de l’homme et Ă  la dignitĂ© est “sous-traitĂ©” aux autoritĂ©s locales.

    Les belles paroles, la reconnaissance d’actes grotesques et la promesse de faire mieux de la part des Nations unies et de leurs agences ne changeront pas grand-chose Ă  cette question de la surexploitation des femmes et des enfants. L’ONU a Ă©tĂ© créée autour des annĂ©es 1950 dans le seul but de sauver le capitalisme aprĂšs que des guerres brutales aient poussĂ© les gens ordinaires Ă  envisager une alternative. L’exploitation est Ă  sa racine mĂȘme et, en continuant d’approuver la recherche incessante de profits dans le monde nĂ©ocolonial, elle permettra la poursuite de la super-exploitation et l’intensification de l’oppression sexiste et raciste des personnes les plus vulnĂ©rables.

    Quelle alternative ?

    En tant qu’Alternative Socialiste Internationale, nous sommes opposĂ©s Ă  toute implication impĂ©rialiste dans les conflits, qu’elle soit ou non sanctionnĂ©e par l’ONU. Nous nous efforçons d’exposer les illusions de l’ONU, de ses missions de “maintien de la paix” et de sa “charitĂ©” en tant que sauveurs, et nous tournons plutĂŽt nos espoirs vers la classe ouvriĂšre et les populations pauvres au niveau local, ainsi que vers la solidaritĂ© internationale de la classe ouvriĂšre. À ce stade, il est crucial d’exiger la crĂ©ation de tribunaux indĂ©pendants dirigĂ©s par les travailleurs et les communautĂ©s pour enquĂȘter de maniĂšre approfondie sur les abus de l’OMS et des agences d’aide en RDC, tribunaux qui auraient le pouvoir de demander des comptes aux auteurs de ces abus. En outre, toutes les victimes devraient bĂ©nĂ©ficier immĂ©diatement de services de conseil et d’une indemnisation.

    Nous pensons que la classe ouvriĂšre et les pauvres devraient avoir le contrĂŽle des richesses – telles que les vastes richesses minĂ©rales de la RDC – qui sont produites dans la sociĂ©tĂ©, et nous organisons activement des campagnes de masse dans plus de 30 pays pour la nationalisation des hauts lieux de l’Ă©conomie sous contrĂŽle des travailleurs, comme un pas vers un monde socialiste. Cette richesse peut ĂȘtre utilisĂ©e pour crĂ©er des systĂšmes de santĂ© locaux suffisamment dotĂ©s en ressources, ainsi que des comitĂ©s de maintien de la paix dirigĂ©s par les travailleurs et les communautĂ©s, comme l’exige la population dans ces conditions extrĂȘmes.

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