Category: Dossier

  • L’Iran entre guerre et soulèvement

    Ce mois de janvier, les États-Unis et l’Iran apparaissaient résolument engagés sur la voie d’une guerre totale faisant suite à des années de tensions croissantes. Cette possibilité semble repoussée pour l’instant. En Iran, les tensions internes au pays constituent un élément clé derrière ce revirement. Une lettre ouverte des étudiants de l’université Amirkabir (polytechnique) de Téhéran, qui manifestent d’ailleurs depuis des mois contre la politique du gouvernement iranien, illustre que le régime ne peut pas considérer le soutien de la population comme acquis et qu’une sérieuse politisation a pris place au cours de ces dernières années. Ils expliquent : ‘‘Les évènements des deux derniers mois démontrent l’incompétence du régime en Iran, un régime dont la seule réponse à la crise est d’utiliser la force. Il est de notre devoir de diriger tous nos efforts tant contre un gouvernement oppresseur qu’envers un pouvoir impérialiste.’’

    Par Julien (Bruxelles)

    L’Iran face à la colère sociale

    La république islamique d’Iran a été frappée d’une série d’embargos quasiment dès sa fondation en 1979. Les premières sanctions imposées par les USA datent de 1984 et de nombreuses autres ont suivi, y compris de la part de l’Union européenne, tout particulièrement quand l’Iran a annoncé la reprise de ses recherches sur le nucléaire en 2005. En 2016, à la suite de l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien, une bonne partie des sanctions ont été levées. Les exportations de pétrole avaient directement doublé et les investisseurs étrangers (Renault, Peugeot, Total,…) ont profité de l’aubaine.

    Le régime espérait redorer son image vis-à-vis d’une population où couvait le mécontentement. En 2009, un soulèvement de masse avait dénoncé la fraude électorale de l’élection présidentielle et, depuis lors, les conditions de vie n’avaient fait que se dégrader. Entre la levée des sanctions et 2017, la croissance économique du pays fut de 11,5 % mais, en retirant les ventes de pétroles, cette croissance n’était que de 3,3 % et la rente pétrolière est accaparée par l’élite iranienne. Selon les données officielles, 30% des jeunes sont sans emploi. Tout comme une couche grandissante de leurs aînés, ils rejettent le régime autoritaire et corrompu des mollahs.

    Quand le président Hassan Rohnani a présenté un budget d’austérité en décembre 2017, la colère latente des masses a explosé : un large mouvement de manifestations et de grèves contre la vie chère a balayé le pays. Chose inédite jusque-là, les slogans n’attaquaient plus seulement le gouvernement, mais aussi le ‘‘Guide suprême’’ l’ayatollah Ali Khamenei (dont le poste est plus élevé que celui de président de la république islamique). La réaction du régime fut une sanglante répression.

    En 2018, Trump a annoncé avec fracas le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien et la restauration des sanctions états-uniennes. En Iran, la situation économique s’est soudainement détériorée. En 2019, l’économie a chuté de 8,5 à 9,5 % selon les estimations. Lorsque le régime a annoncé une augmentation du prix du carburant en novembre 2019, une nouvelle explosion eut lieu, alors que de vastes mobilisations sociales avaient lieu dans les pays voisins que sont l’Irak et le Liban.

    Ce soulèvement était marqué par de nombreuses grèves dans les usines, parmi les enseignants ou encore parmi les chauffeurs routiers et a impliqué des jeunes ainsi que des travailleurs de différentes communautés (perses, arabes, kurdes,…). A nouveau, les slogans ne ciblaient plus seulement la présidence et le gouvernement, mais aussi le ‘‘Guide suprême’’. Les manifestants dénonçaient également d’autre part le coût du soutien de l’Iran à diverses milices et forces politiques chiites en Irak, en Syrie et ailleurs dans la région.

    Le déclin de l’impérialisme US

    Il est vrai que l’Iran a pris plus de poids dans la région, en profitant notamment de l’affaiblissement de l’impérialisme américain. Aujourd’hui, l’Iran exerce une influence majeure, sinon dominante, dans un grand nombre de pays voisins, tels que l’Irak, le Liban, la Syrie, le Yémen et la bande de Gaza palestinienne. C’est l’influence croissante de l’Iran qui a poussé l’administration Trump à une offensive mal calculée en se retirant en mai 2018 de l’accord nucléaire iranien ainsi qu’en imposant des sanctions, en dépit de l’opposition de ses alliés européens.

    Quand, en septembre dernier, les raffineries Aramco ont été bombardées en Arabie Saoudite (ce qui a mis hors service plus de 5% de la production mondiale de pétrole), les USA et l’Arabie Saoudite ont montré du doigt le mouvement Houthi au Yemen et, derrière lui, l’Iran qui le finance. Cette dynamique a finalement conduit à l’assassinat du général iranien Qassem Soleimani à Bagdad par une attaque américaine le 3 janvier dernier. Peu après, Trump a menacé de détruire ‘‘rapidement et durement’’ 52 sites en Iran, dont des sites culturels et de frapper les Iraniens ‘‘plus fort qu’ils ne l’ont jamais été’’.

    Ces dernières années, dans la région, les conflits se caractérisaient par un aspect de ‘‘guerre par procuration’’ dans lesquels les puissances impérialistes ne rentraient pas directement en conflit les unes avec les autres. Trump n’a peut-être pas initié de guerre officielle avec l’Iran mais en ordonnant l’assassinat de Soleilmani, il ouvre la voie à des conflits plus conséquents à l’avenir.

    Les autorités iraniennes espéraient mettre à profit le risque d’une guerre avec les États-Unis pour ressouder la population autour d’elle. Cette dynamique a rapidement été enrayée par les mensonges du régime au sujet du crash du vol 752 Ukraine International Airlines, abattu par erreur par les Gardiens de la révolution ; ce qui a entraîné la mort de 176 passagers et membres d’équipage, majoritairement iraniens ou d’origine iranienne. Une nouvelle vague de manifestations a alors eu lieu, à partir de 4 universités de la capitale. Le lendemain, une veillée en mémoire des victimes du crash s’est transformée en manifestation anti-gouvernementale. Le régime iranien est bien conscient qu’avec une guerre, son règne ne sera pas seulement menacé de l’extérieur du pays.

    Quelle issue ?

    Aujourd’hui, 73% de la population iranienne habite en ville et la classe ouvrière iranienne bénéficie d’un impressionnant héritage de luttes. En 1979, elle fut l’artisan du renversement de la monarchie iranienne. Pendant un temps, il était possible que les travailleurs prennent le pouvoir. Ils contrôlaient les usines et les entreprises au moyen de comités de base démocratiques et désarmaient les forces contre-révolutionnaires. Hélas, ce mouvement ne disposait pas d’une stratégie audacieuse pour prendre le pouvoir. Face aux hésitations et en l’absence d’initiatives décisives de la part des travailleurs, l’ayatollah Khomeini, revenu d’exil, a tiré profit de son profil d’exilé politique pour mobiliser les masses et endiguer le processus révolutionnaire en cours. Dans les faits, il a volé la révolution aux travailleurs. Même s’il a dû accorder d’importantes concessions sociales (gratuité des médicaments et des transports, annulation des factures d’eau et électricité,…), l’Islam politique de droite imposé par Khomeini a par la suite fait assassiner ou emprisonner des milliers de syndicalistes et de dirigeants de gauche pour consolider sa position.

    La classe ouvrière iranienne reste objectivement la clé de toute révolution réussie en Iran aujourd’hui. La tâche immédiate du mouvement est de s’élargir et de s’organiser au niveau local, régional et national autour d’un programme pour renverser le régime capitaliste religieux des Mollahs et prendre le contrôle de l’économie. Au cours des luttes de ces dernières années, des structures syndicales et des comités étudiants se sont développés. La dictature est consciente du danger et n’a pas hésité à couper internet lors des mobilisations de novembre pour empêcher l’organisation du mouvement. A terme, la seule issue pour les masses en Iran sera de convoquer une assemblée constituante révolutionnaire pour un Iran démocratique et socialiste qui garantirait les libertés individuelles et l’égalité des droits de toutes les minorités opprimées.

    Un appel à la solidarité internationale lancé par les jeunes et les travailleurs en Iran est une tâche fondamentale pour en finir avec la misère capitaliste et les menaces de guerre. A destination des peuples en lutte dans la région qui connaissent une même haine de l’impérialisme et de la corruption des élites bien entendu, mais aussi envers les jeunes et les travailleurs aux États-Unis. Ce que craignent le plus les gouvernements au Moyen-Orient et ailleurs, c’est que la résistance se renforce et se développe par-delà les frontières.

    Partout dans le monde, nous devons nous atteler aux premiers pas de la construction d’un large mouvement anti-guerre international, tout particulièrement aux USA. Là-bas, la campagne de Bernie Sanders bénéfice d’un écho et d’un soutien grandissant. Son opposition aux aventures militaires américaines a notamment suscité un grand enthousiasme parmi ses partisans et au-delà.

    • Non à l’intervention impérialiste au Moyen-Orient, pour le retrait des troupes américaines, françaises, britanniques, russes et de tous les autres pays étrangers de la région et pour la non-intervention des gouvernements nationaux dans les affaires des voisins ;
    • Soutien total aux mouvements de protestation en Irak, en Iran, au Liban et ailleurs dans leurs luttes contre la pauvreté, la corruption et la division communautaire ;
    • Pour la construction d’un mouvement anti-guerre de masse aux USA et internationalement ;
    • Pour l’unité des travailleurs et des jeunes de toute la région afin de faire tomber les gouvernements pro-capitalistes, qui reposent sur la division et le conflit ethniques et les encouragent, et leur rempla-cement par des gouvernements des travailleurs véritablement démocratiques avec un programme socialiste pour mettre fin à la pauvreté, à la corruption et au régime autoritaire – pour une Fédération socialiste démocratique du Moyen-Orient.

  • Corbyn était-il «trop à gauche»? : Leçons des élections britanniques pour la gauche américaine

    Pour ceux qui veulent vaincre la droite et son programme, la victoire du réactionnaire Boris Johnson et de son parti conservateur aux élections générales de Grande-Bretagne est évidemment un sérieux revers.

    Tom Crean, Socialist Alternative (CIO – USA)

    Les médias dominants et la direction du Parti démocrate affirment que la défaite du Labour aux élections générales britanniques est due dans une large mesure au programme « socialiste d’extrême gauche » de Jeremy Corbyn. C’est ainsi que l’ancien vice-président des États-Unis et actuel candidat aux primaires présidentielles démocrates de 2020, Joe Biden, a déclaré : « Regardez ce qui arrive quand le parti travailliste va si loin à gauche. » Le message, pas si subtil, est le suivant : si les démocrates choisissent Bernie Sanders comme candidat à la présidence, Trump remportera un deuxième mandat.

    La peur du rouge

    Les véritables leçons que la gauche doit tirer aux États-Unis, surtout concernant la campagne pro-travailleurs de Sanders que Socialist Alternative soutient, sont très différentes. Tout d’abord, alors que cela ne ressort pas clairement de la couverture médiatique aux Etats-Unis, les médias dominants britanniques, que cela soit la « respectable » BBC ou les tabloïds, ont mené une intense campagne d’intimidation contre Corbyn. Ils l’ont accusé d’être un antisémite, un partisan de l’armée républicaine irlandaise (IRA) et un « danger pour la sécurité nationale ». Ils ont jeté autant de boue qu’ils ont pu dans l’espoir qu’une partie de la boue collerait.

    L’allégation sans cesse répétée d’antisémitisme au sein du Parti travailliste repose sur très peu de choses : la confusion et l’amalgame entre la critique de la politique israélienne et l’antisémitisme. Donald Trump, dont la présidence a enhardi les nationalistes blancs et les néo-nazis purs et durs, dénonce également toute critique de son allié réactionnaire Benjamin Netanyahu comme étant « antisémite ». Au cours des élections britanniques, le véritable raciste était Boris Johnson, celui qui a un jour qualifié les Noirs du terme raciste de « pickanninies » dans un article qu’il a écrit en tant que journaliste.

    Mais si les respectables médias dominants aiment se présenter comme antiracistes, leur véritable priorité est de protéger les profits et les intérêts des grandes entreprises. Ils n’hésiteront pas à vendre au détail les mensonges les plus vils et à couvrir les racistes les plus infâmes dans le but de repousser la gauche.

    L’élection britannique est une indication de la sauvagerie avec laquelle les médias et l’establishment démocrate s’en prendront à Bernie Sanders s’il s’approche de l’investiture démocrate. En 2016, lors des primaires de New York qui étaient un must absolu pour Hillary Clinton, le tabloïd libéral new-yorkais Daily News a lié Sanders à la tuerie de l’école primaire de Sandy Hook en 2012.

    Les causes plus profondes

    Mais si l’offensive de la classe dirigeante contre Corbyn a joué un rôle réel, il n’était pas inévitable qu’elles suffisent à vaincre le Parti travailliste. Le vrai problème de Corbyn, c’est sa perte de crédibilité après quatre années passées à la tête du Parti travailliste. Au cours de celles-ci, il n’a pas réussi à s’attaquer à la droite néo-libérale du Parti travailliste ni à chercher à construire sérieusement un mouvement de masse pour imposer le changement en dehors du Parlement.

    Alors que Tony Blair était le chef du Parti travailliste, le Labour a supprimé la fameuse clause 4 qui engageait nominalement le parti à faire en sorte que les secteurs clés de l’économie deviennent des propriétés publiques démocratiques. Lui et ses successeurs ont purgé le parti de la gauche, ont réduit l’influence des syndicats, ont instauré des mesures de réduction budgétaires massives dans les services sociaux tant au niveau local qu’au niveau national et ont participé avec enthousiasme à l’invasion et à l’occupation de l’Irak par George Bush. Margaret Thatcher, qui fut première ministre conservatrice pendant 11 ans et qui a mené une campagne acharnée contre les intérêts de la classe ouvrière, a un jour déclaré que sa plus grande réalisation était « le New Labour et Tony Blair ».

    Ironiquement, Corbyn a remporté la direction du parti parce que les blairistes, la droite du parti, dans un geste d’orgueil pur, voulait faciliter l’adhésion individuelle au parti et l’élection du dirigeant du parti afin de réduire l’influence des syndicats. Mais à partir du moment où Corbyn a été démocratiquement élu par les adhérents, la majorité de droite des députés travaillistes a cherché à saper son travail et à l’éliminer avec la complicité totale des médias.

    En fait, il existait « deux partis en un » : celui de Corbyn reposant sur un politique favorable aux travailleurs et l’autre fermement attaché à la logique d’austérité et au programme néolibéral. Les blairistes se sont explicitement inspirés des Démocrates aux Etats-Unis. Les socialistes anticapitalistes aujourd’hui regroupés dans Socialist Alternative en Grande Bretagne ont toujours défendu que Corbyn devait mener la lutte contre l’aile droite du parti. Par exemple, la direction du parti aurait pu réintroduire le principe de « re-sélection obligatoire » grâce auquel les membres du parti d’une circonscription donnée choisissent eux-mêmes le candidat qui les représente pour la prochaine élection. Cela aurait permis aux membres qui soutenaient largement Corbyn de commencer à éliminer les représentants de la droite du parti et repousser cette dernière.

    La direction du parti aurait également pu clairement faire valoir qu’il n’était plus acceptable d’être un élu local du Parti travailliste et de voter en faveur des réductions budgétaires des services publics. Ceux qui refusaient cette revendication de base n’auraient plus pu être candidats travaillistes.

    Une telle approche aurait dû être liée à une campagne de mobilisation des membres pour des manifestations de masse, au côté des syndicats, contre les attaques visant la classe des travailleurs, en défense du service national de soins de santé NHS notamment. Malheureusement, Corbyn et ses alliés au sein du parti, comme John McDonnell et le groupe Momentum, ont cherché à maintes reprises à faire des compromis avec la droite du parti. Il y eut une exception, en 2017, quand Corbyn a défendu un programme audacieux et organisé des rassemblements de masse dans tout le pays pour mobiliser son soutien. Cela avait particulièrement électrisé la jeunesse. Mais cela n’a pas été suivi d’une mobilisation suivie au cours des deux dernières années.

    Un message confus

    Le Brexit a constitué un exemple clair de la façon dont Corbyn n’a pas réussi à établir une distinction entre la droite et lui. La question du Brexit a dominé les élections générales britanniques. Johnson avait un message simple : « appliquer le Brexit ». Cela a évidemment plu à de nombreuses personnes qui en ont absolument marre du débat de plus en plus toxique qui a consumé la société britannique depuis le vote de départ de l’Union européenne en 2016, et qui sont profondément frustrées par les tentatives de l’establishment de nier le résultat plutôt que de le mettre en œuvre.

    Dans les médias libéraux et parmi une grande partie de la gauche, le Brexit est présenté comme un vote raciste et anti-immigrant. Les partisans du Brexit parmi la classe ouvrière, en particulier dans les anciennes villes industrielles du nord de l’Angleterre, sont considérés comme faisant partie de la même couche prétendument irrécupérable et arriérée qui a soutenu Trump. Mais il arrive parfois que les médias disent la vérité sur quelque chose d’important et, dans un article sur le commerce mondial, le New York Times a fait le commentaire suivant « En Grande-Bretagne, les communautés en difficulté ont utilisé le référendum de juin 2016 (…) comme un vote de protestation contre les banquiers de Londres qui avaient provoqué une crise financière catastrophique, et qui ont ensuite forcé les gens ordinaires à absorber le choc au travers d’une austérité fiscale déchirante. »

    La position historique de Corbyn, qui remonte aux années 1970, était de s’opposer à l’entrée de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne, non pas pour des raisons nationalistes, mais parce que c’était un « club de patrons ». Cette caractérisation, à notre avis, était et reste correcte. L’UE est un ensemble de structures hautement antidémocratiques qui, à chaque étape, a cherché à s’opposer aux intérêts des travailleurs. Dans le sillage de l’effondrement économique de 2008, la Commission européenne, de concert avec la Banque centrale européenne et le FMI (la « troïka »), a imposé une austérité sauvage au peuple grec et à d’autres en les obligeant à rembourser des prêts aux banques françaises et allemandes.

    Malheureusement, lors du référendum sur le Brexit et depuis lors, Corbyn n’a pas défendu de position claire face à l’UE. Il aurait pu appeler à une véritable unité des travailleurs à travers l’Europe, basée sur la solidarité de classe, en faveur d’une fédération socialiste démocratique. Bien que le vote sur le Brexit ne puisse pas être réduit au racisme ou à un sentiment anti-immigrant, l’échec du Parti travailliste à prendre la tête de la lutte pour un « Brexit socialiste » et internationaliste a ouvert la porte à la droite qui lié cette question au nationalisme.

    En vérité, sur base du capitalisme, ni la sortie ni le maintien dans l’UE ne résoudra aucun des problèmes fondamentaux auxquels sont confrontés les travailleurs en Angleterre, au Pays de Galles, en Écosse ou en Irlande du Nord. Mais comme le débat sur le Brexit s’est concentré sur des paramètres très étroits, il est devenu de plus en plus démoralisant pour de larges sections de la société.

    Nous reconnaissons pleinement que beaucoup de personnes en Grande-Bretagne ont voté pour contre le Brexit en 2016 pour des raisons très compréhensibles, notamment le désir de maintenir la libre circulation des personnes à travers l’Europe. Il est également vrai que la base travailliste était divisée entre des districts ouvriers plus pro-Brexit dans le nord du pays et une base plus pro-Remain dans les villes. Mais alors que Corbyn a lentement dérivé vers une position plus pro-Remain, il n’a fini par satisfaire personne. Comme l’ont expliqué nos camarades Socialist Alternative en Angleterre et au Pays de Galles dans leur récente déclaration : « Pour remporter cette élection, Corbyn devait unir les électeurs favorables ou non au Brexit sur base d’une approche d’indépendance de classe sur cette question – ainsi que sur toutes les autres. L’échec de cette démarche a ouvert la porte au populisme de droite pour combler le vide ».

    Détourner le débat

    Corbyn a cherché à éloigner le débat des élections générales du Brexit et pour le concentrer sur les attaques massives qui ont été portées sur les travailleurs au cours de ces vingt dernières années. Il a souligné l’offensive continue des conservateurs contre les soins de santé et a révélé les discussions de Johnson avec l’administration Trump au sujet de l’ouverture du système national de soins de santé NHS à une privatisation plus poussée dans le cadre d’un futur accord commercial post-Brexit. Corbyn a revendiqué que les services publics et les chemins de fer redeviennent propriétés de l’État.

    Rien ne prouve que sa plate-forme était « trop radicale » pour la plupart des travailleurs ou des jeunes. En fait, il gagnait même du soutien dans les derniers jours de la campagne. En 2017, Corbyn a adopté essentiellement la même approche et a remporté 40 % du vote populaire, la plus grande augmentation jamais enregistrée par les travaillistes. Et même dans cette élection, alors que la part du vote des travaillistes est tombée à 32 %, c’était encore mieux que ses prédécesseurs néo-libéraux Ed Miliband en 2015 ou Gordon Brown en 2010.

    Encore une fois, le vrai problème n’était pas la plate-forme de Corbyn, mais l’incapacité à se battre pour elle de façon constante au cours des quatre dernières années, ce qui aurait signifié la création d’un mouvement de masse entre les élections et l’adoption d’une ligne beaucoup plus ferme contre la droite travailliste, y compris les conseillers municipaux qui votaient pour des réductions budgétaires et les députés qui cherchaient de la façon la plus scandaleuse à miner Corbyn.

    Prendre les mesures nécessaires contre les saboteurs de droite du parti aurait peut-être pu affaiblir temporairement le Parti travailliste en termes parlementaires si les blairistes avaient démissionné en masse, mais cela aurait donné au parti une base politique beaucoup plus solide en montrant qu’il était prêt à se battre jusqu’au bout pour les intérêts des travailleurs.

    Construire une gauche forte aux États-Unis

    Les principales leçons que nous devons tirer de la défaite de Corbyn concernent la manière dont nous construisons une force politique pour faire échouer le programme de la droite et obtenir un changement décisif pour les travailleurs. La tendance dominante de la gauche américaine ces dernières années a été de s’engager avec le Parti démocrate pour le pousser vers la gauche ou, comme le dit Sanders, le transformer en un « parti de travailleurs ». Il est compréhensible que beaucoup de gens aient considéré que c’était la voie la plus simple pour construire la gauche plutôt que de créer un nouveau parti. Cette opinion a d’ailleurs été renforcée par des victoires comme celles d’Alexandria Ocasio Cortez.

    Mais il est également très clair qu’à chaque tournant, la nouvelle gauche rencontre une résistance féroce de la part de l’establishment capitaliste du Parti démocrate. Il suffit de voir les attaques portées contre la « Squad », les quatre femmes de couleur progressistes élues à la Chambre des représentants au début de l’année dernière. La direction du Parti démocrate, faisant écho à Trump, s’en est prise à Ilhan Omar en particulier pour son prétendu « antisémitisme ». A leur crédit, Omar, AOC, Rashida Tlaib et Ayanna Pressley ont repoussé les attaques de Trump et Pelosi. Omar, AOC et Tlaib ont ensuite soutenu Sanders, ce qui n’est certainement pas bon pour leur CV au sein du caucus démocrate à la Chambre des représentants.

    Pour prendre un exemple différent, il ne fait aucun doute que la participation aux primaires démocrates a donné à Bernie Sanders une très large audience en 2016, mais cela signifie aussi qu’il a accepté le résultat d’un processus truqué et hautement antidémocratique. Il a ensuite accepté la défaite et a soutenu Hillary Clinton au lieu de continuer à se présenter jusqu’en novembre comme candidat indépendant. Si Sanders était resté dans la course, il aurait pu utiliser la campagne pour jeter les bases d’une nouvelle force politique qui aurait pu se battre aux côtés des travailleurs, des immigrés et des jeunes au cours des trois dernières années contre Trump et l’agenda de la droite. Des candidats encore plus progressistes et socialistes auraient pu être élus au niveau local et national, et sur une base politique plus claire.

    Que faudrait-il vraiment pour que les démocrates deviennent le parti dont nous avons besoin ? Comme nous l’avons toujours soutenu, il faudrait qu’ils cessent de prendre l’argent des entreprises, qu’ils adoptent un programme favorable à la classe ouvrière et qu’ils exigent que leurs représentants l’appuient, et qu’ils créent de véritables structures démocratiques permettant à la base du parti de contrôler sa direction.

    Pelosi, Schumer et tous leurs homologues au niveau de l’État et au niveau local quitteront le parti plutôt que d’accepter cela, tout comme les blairistes menacent de le faire en Grande-Bretagne. La différence est que si Corbyn et la gauche au sein du Parti travailliste disposent de mécanismes qui pourraient être utilisés pour faire avancer les questions jusqu’à leur conclusion, de tels moyens sont largement absents au sein du Parti démocrate.

    Battre la droite en 2020

    Nous sommes maintenant confrontés au défi crucial de la course de 2020. Comment surmonter les attaques acharnées si Sanders s’approche de remporter l’investiture ?

    Nous devons mobiliser les forces les plus larges possibles pour aller jusqu’à la victoire. Sanders a demandé un million de volontaires, ce qui est tout à fait possible d’obtenir. Mais nous devons aller plus loin et transformer sa campagne en une organisation de masse avec des structures démocratiques de base, ce qui permettrait d’électrifier sa base et de lui donner confiance que cette campagne est vraiment le début d’une « révolution politique ». Cela pourrait commencer par des réunions d’organisation de masse à travers le pays pour discuter de la façon de gagner l’assurance-maladie pour tous, un New Deal vert et le contrôle universel des loyers.

    Que se passera-t-il si Sanders surmonte tous les obstacles antidémocratiques et remporte l’investiture ? Que se passe-t-il si Sanders devient président ? Les attaques féroces contre Corbyn seraient bien pâles en comparaison de la résistance que la classe dirigeante de ce pays et les politiciens capitalistes des deux partis opposeraient à Sanders s’il tentait de mettre en œuvre son programme. Sanders a déclaré qu’en tant que président, il sera « l’organisateur en chef » de la résistance sociale, qu’il mobilisera les travailleurs dans tous les domaines où les politiciens récalcitrants refusent de faire ce qui est dans l’intérêt de leurs électeurs. C’est tout à fait exact, mais bâtir cette force qui peut maintenir les politiciens sous pression signifie aussi avoir une menace crédible pour les remplacer, c’est-à-dire un nouveau parti.

    Certains partisans de Sanders ont cherché à minimiser la comparaison entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne en réponse au récit de l’establishment capitaliste sur la défaite de Corbyn. Sans aucun doute, il n’y a pas d’équivalent direct avec le Brexit comme enjeu. Cependant, le résultat des élections britanniques nous aide à comprendre les obstacles qui se dressent devant nous afin de ne pas les sous-estimer ou les surestimer.

    Nous ne devons pas non plus conclure que tout est perdu pour la gauche britannique. Boris Johnson a mené une campagne populiste, mais avec une base peu solide. Il a promis de mettre fin à l’austérité. C’est un mensonge. Une résistance de masse peut se développer rapidement comme ici en 2017. Corbyn ne devrait pas se retirer mais continuer à lutter contre la droite dans son propre parti, se lier aux travailleurs, comme les infirmières en Irlande du Nord qui ont fait grève pour défendre le NHS et les jeunes qui luttent contre le changement climatique. Avec une approche audacieuse et déterminée, ce régime réactionnaire peut être rapidement mis sur la défensive. Cela peut contribuer à inspirer le type de lutte dont nous avons besoin ici aux États-Unis.

  • Assassinat de Soleimani – Trump rapproche la région de la guerre

    Soleimani, Photo: Wikipedia

    Le journal libanais pro-Hezbollah “Al-Akhbar” titrait ce vendredi : “Le martyre de Soleimani : c’est la guerre !” Ce n’est qu’une des premières réactions de colère suite à l’attaque de nuit par des drones américains sur le convoi quittant l’aéroport international de Bagdad qui a tué le général iranien Qassem Soleimani et au moins six autres personnes, dont plusieurs commandants de milice qui avaient participé à la bataille contre Daesh. L’onde de choc s’est rapidement propagée dans le monde entier – le prix du pétrole a bondi de 4 % et le marché boursier américain a subi des pressions, les spéculateurs cherchant des “refuges” pour leur argent. Les termes “troisième guerre mondiale” et “Franz Ferdinand” ont fait leur apparition sur Twitter.

    Par Rob Jones

    Nous ne sommes pas, bien sûr, au bord d’une troisième guerre mondiale à la suite de cette action brutale et sans doute illégale de Donald Trump. Mais sa décision d’autoriser cet assassinat a sans aucun doute rendu la situation dans la région beaucoup plus dangereuse. Elle pourrait rapidement dégénérer en un conflit beaucoup plus grave. C’est ce qu’indique l’avertissement envoyé par le gouvernement américain aux citoyens américains en Irak de quitter le pays immédiatement, sans tenter de s’approcher de l’ambassade américaine. L’Iran et ses alliés, comme le Hezbollah au Liban, chercheront à attaquer des cibles américaines et alliées des Etats-Unis, y compris peut-être Israël ou l’Arabie saoudite. L’Iran a également démontré plus tôt cette année qu’il est capable de bloquer le trafic pétrolier dans le détroit d’Ormuz et de paralyser la production de pétrole saoudien. Le déclenchement d’un conflit plus grave dans la région pourrait avoir des conséquences majeures pour l’économie mondiale déjà confrontée à un ralentissement important. Pour les Américains ordinaires et d’autres innocents dans le monde entier, la conséquence à long terme est, bien entendu, la menace de nouvelles attaques terroristes.

    L’assassinat de Soleimani est la dernière étape d’une offensive des Etats-Unis contre l’Iran qui a commencé par le retrait de Trump de l’accord nucléaire négocié sous Obama et qui a été suivi de sanctions dévastatrices. Les sanctions en elles-mêmes constituent un acte de guerre et le régime iranien a cherché à riposter, notamment en abattant un drone militaire américain et en utilisant les forces qu’il contrôle en Irak pour attaquer des bases avec les forces américaines. Cela reflète également la nécessité pour l’impérialisme américain de faire preuve de “fermeté” à la suite de son retrait bâclé du nord-est de la Syrie et des diverses attaques du régime iranien et de ses alliés.

    La manière dont Trump a pris la décision de lancer l’attaque illustre le caractère “voyou” de son règne. Non seulement il a ignoré le Congrès, qui est censé sanctionner de telles actions, mais les rapports laissent entendre qu’il a à peine consulté ses propres conseillers. En effet, plutôt que de faire l’annonce lui-même, il a laissé cet honneur au Pentagone et s’est contenté de tweeter une image du drapeau américain. Si les Démocrates américains soulignent à juste titre que M. Trump tente peut-être de passer outre le processus de destitution, ils feraient bien de se rappeler qu’en 1998, le président Clinton a lancé une frappe aérienne d’urgence contre l’Irak au moment même où sa propre procédure de destitution était en cours.

    Nous nous opposons au “droit” autoproclamé de l’impérialisme américain d’assassiner ses opposants. Aucun socialiste ne versera de larmes pour Qassem Soleimani. Il dirigeait la fameuse et brutale “force Quds” – les unités militaires du régime iranien utilisées pour les interventions à l’étranger – “atouts indéniables” qui auraient joué un grand rôle dans les conflits en Irak, en Syrie, au Yémen, à Gaza, au Liban et en Afghanistan. On lui attribue le mérite d’avoir joué un rôle clé dans la galvanisation des forces contre Daesh. Il n’a pas fait figure d’ami de la population ordinaire, il a plutôt joué un grand rôle en soutenant des régimes réactionnaires de la région. Lorsque des étudiants ont participé à des manifestations de masse à Téhéran en 1999, Soleimani a envoyé une lettre au président Khatami pour l’avertir que s’il ne sévissait pas contre les étudiants, Soleimani le ferait lui-même et organiserait en même temps un coup d’État militaire pour renverser Khatami. Les participants aux récentes manifestations en Irak pensent généralement que Soleimani n’a pas seulement poussé le gouvernement de Bagdad à adopter une ligne dure, mais qu’il a également poussé des milices à attaquer les manifestants. Des centaines de personnes ont été tuées et beaucoup d’autres blessées.

    Mais cela ne justifie absolument pas l’assassinat du général et de son entourage. Nous ne devons pas non plus tomber dans le piège de répéter ce que certains porte-parole de Trump ont dit, à savoir que Soleimani est responsable de tous les problèmes de la région. Toute la région est victime d’une lutte brutale entre les différentes puissances impérialistes, y compris les puissances impérialistes régionales, pour le pouvoir et le contrôle des ressources naturelles. Il n’y a aucun principe en jeu, si ce n’est la tentative d’exploiter les richesses de la région aux dépens de la population ordinaire. Les alliances opportunes à un moment ou dans un pays, par exemple dans la lutte contre Daesh, ne valent pas dans les pays voisins. La première ville irakienne à résister à Daesh en 2014, Amerli, a été défendue par ce que le Los Angeles Times a décrit comme “un partenariat inhabituel de soldats irakiens et kurdes, de milices chiites soutenues par l’Iran et d’avions de guerre américains”. Les Etats-Unis étaient alors très heureux de travailler avec Soleimani.

    La justification de Trump pour l’attaque est maintenant que Soleimani “représentait une menace imminente pour la vie des Américains” et qu’il “complotait pour tuer des citoyens américains”. Ceci fait suite à la déclaration qu’il a faite au début de la semaine après que des membres de la milice chiite, largement considérés comme défendus par Soleimani, aient envahi et occupé le complexe de l’ambassade américaine à Bagdad, sans perte de vie. Trump a averti que “l’Iran sera tenu pleinement responsable des vies perdues ou des dommages subis dans l’une de nos installations. Ils paieront un très GRAND PRIX ! Ce n’est pas un avertissement, c’est une menace. Bonne année !”

    L’occupation de l’ambassade constitue un avertissement clair des dangers et des conséquences de l’intervention des différentes forces impérialistes dans la région. Depuis début octobre, l’Irak est sous l’emprise de protestations héroïques contre le manque d’emplois et de services publics, contre la corruption et contre le sectarisme religieux inscrit dans le système gouvernemental resté en place depuis la fin officielle de l’occupation américaine.

    Les manifestants ont tourné le dos aux forces américaines et ont montré au grand jour leur haine des milices soutenues par l’Iran, qui ont été impliquées dans l’attaque des manifestants pour soutenir le gouvernement actuel dirigé par l’Iran. Ni les États-Unis ni l’Iran ne veulent la chute du gouvernement irakien, car cela ouvrira la voie à une réelle influence des gens ordinaires sur la façon dont ils sont gouvernés. Ces derniers événements vont mettre en colère les milices chiites réactionnaires, qui vont sans aucun doute intensifier leurs campagnes violentes dans toute la région.

    L’Iran a lui aussi connu récemment la croissance d’une opposition de masse, déclenchée par l’augmentation des prix du carburant dans le contexte d’une économie souffrant d’une corruption massive et de sanctions imposées par les États-Unis. Comme en Irak, le régime a agi avec brutalité, en accusant l’opposition d’être “contre-révolutionnaire et dirigée par des forces ennemie étrangère à l’Iran ” et en attisant les sentiments anti-américains.

    L’assassinat de Soleimani, s’il constitue un coup dur pour le régime iranien, agira également en faveur de son renforcement alors qu’il est confronté à une opposition de masse qui représente son plus grand défi interne depuis la Révolution de 1979. Il a été rapidement remplacé par le général de brigade des gardiens de la révolution islamique Esamil Ghaani, qui non seulement poursuivra mais intensifiera sans aucun doute le travail sanglant de Soleimani dans tout le Moyen-Orient. L’assassinat est utilisé par le régime de Téhéran pour intensifier sa propagande anti-américaine. Cela rend plus difficile la poursuite du mouvement de protestation dans cette région. L’Iran a déjà vu une vague de protestations scandant “Mort à l’Amérique” et portant des portraits de Soleimani – selon l’agence de presse iranienne – qui touche déjà Téhéran, Arak, Bojnourd, Hamedan, Hormozgan, Sanandaj, Semnan, Shiraz et Yazd.

    La réaction des autres puissances impérialistes fut une réaction d’inquiétude et de prudence. La Chine a appelé les États-Unis à respecter la souveraineté irakienne. Le président français Macron a immédiatement téléphoné au président russe Poutine, les deux pays exprimant la nécessité de faire preuve de prudence et d’éviter une escalade du conflit en Iran. Israël, bien sûr, soutient l’action américaine, mais a dû renforcer ses mesures de sécurité en réponse. L’inquiétude des autres puissances est alimentée non pas par les droits humains ou politiques de ceux qui vivent dans la région, mais par la crainte que cette action ne fasse basculer la région dans une escalade dramatique de conflit ainsi qu’en raison des implications potentielles que cela aurait sur l’économie mondiale. Les puissances européennes craignent qu’en conséquence, le gouvernement irakien, qui a condamné l’attaque, applique sa décision d’expulser les 5.000 soldats américains encore présents dans le pays. Elles craignent que cela n’affaiblisse la lutte contre Daesh. Comprenant clairement les dangers, le Pentagone a envoyé 3500 soldats supplémentaires, déjà en route vers le Koweït, pour être déployés en Irak, en Syrie ou ailleurs.

    Un commentateur a décrit cette attaque comme une dérogation à la nature habituelle de “guerre par procuration” des conflits dans cette partie du monde, en ce sens qu’il s’agissait d’un coup direct d’une grande puissance impérialiste sur une autre, bien que régionale. Malgré les tentatives du Congrès et même de certaines sections de l’armée américaine de tenir Trump en échec, ainsi que la réticence d’autres puissances à soutenir ses actions agressives, il est certain qu’il y aura une intensification des conflits entre les différentes parties engagées, bien qu’à ce stade, une guerre ouverte entre puissances ne soit pas probable. Néanmoins, ces conflits se transformeront en une confrontation ouverte entre troupes des différentes puissances – et pas seulement entre les États-Unis et l’Iran. La Russie a maintenant ouvert une base militaire en Syrie, à proximité d’une zone censée être sous protection américaine, tandis que la Turquie envoie des forces en Libye pour contrecarrer les actions des mercenaires russes.

    Il y a deux façons de procéder. Soit les différentes puissances et les seigneurs de guerre gardent le contrôle et la situation dégénère encore plus, laissant la région dans une pauvreté croissante et un conflit inter-communautaire et inter-impérialiste continu tandis que le monde entier sera soumis à des actions terroristes encore plus nombreuses.

    Ou bien l’autre force qui a fait fléchir ses muscles dans la région ces derniers mois – la classe ouvrière – peut intervenir pour empêcher que cela ne se produise. Les récents événements en Irak, en Iran, au Liban et ailleurs ont démontré le potentiel que la classe ouvrière a si elle est unie et agit de manière décisive, en refusant de s’appuyer sur l’une des puissances impérialistes – que ce soit les Etats-Unis ou l’Iran – pour mettre en avant sa propre position, indépendante et internationaliste.

    • Non à l’intervention impérialiste au Moyen-Orient, pour le retrait des troupes américaines, françaises, britanniques, russes et de tous les autres pays étrangers de la région et pour la non-intervention des gouvernements nationaux dans les affaires des voisins ;
    • Soutien total aux mouvements de protestation en Irak, en Iran, au Liban et ailleurs dans leurs luttes contre la pauvreté, la corruption et la division communautaire ;
    • Pour la construction d’un mouvement anti-guerre de masse aux USA et internationalement ;
    • Pour l’unité des travailleurs et des jeunes de toute la région afin de faire tomber les gouvernements pro-capitalistes, qui reposent sur la division et le conflit ethniques et les encouragent, et leur remplacement par des gouvernements des travailleurs véritablement démocratiques avec un programme socialiste pour mettre fin à la pauvreté, à la corruption et au régime autoritaire – pour une Fédération socialiste démocratique du Moyen-Orient.
  • Changer le monde. Le rôle du parti révolutionnaire

    Action spontanée et parti révolutionnaire

    Il y a plus de 150 ans, Karl Marx et Frederick Engels ont expliqué la nécessité de renverser le capitalisme et de construire une nouvelle société, le socialisme.

    Mais comment le capitalisme doit-il être renversé et comment la transformation vers la socialisme peut-elle être faite ? Le débat autour de ces questions a suscité des réponses en tous genres au cours de ces 150 ans. Parmi toutes celles-ci, Lénine et ses camarades en Russie ont fourni la meilleure réponse au début du 20e siècle. Le parti bolchevik qu’ils ont construit a conduit les travailleurs russes au renversement de l’Etat tsariste et à la construction d’un Etat ouvrier basé sur une économie planifiée.

    Cependant, depuis lors – bien que le capitalisme a provoqué un niveau croissant de souffrance, de pauvreté et de dégradation écologique sur la planète et malgré des luttes gigantesques dans beaucoup de pays – un renversement du capitalisme conduisant à un Etat ouvrier démocratique ne s’est plus reproduit nulle part.

    Léon Trotsky, un des dirigeants de la révolution russe de 1917, en a synthétisé la raison en 1938 lorsqu’il écrivit dans le Programme de Transition, écrit pour le congrès de fondation de la Quatrième Internationale : « La crise historique de l’humanité se réduit à la crise de la direction révolutionnaire ». Ces mots restent aussi vrais aujourd’hui qu’ils l’étaient alors. La discussion sur la nécessité d’un parti révolutionnaire et sur ses formes d’organisation est très importante aujourd’hui, tout particulièrement parce que beaucoup de jeunes se considèrent eux-mêmes comme « anticapitalistes » et se montrent intéressés par les idées socialistes mais sont très méfiants envers les partis politiques. Cela n’a rien de surprenant, étant donné les méthodes bureaucratiques et antidémocratiques utilisées par les principaux partis politiques capitalistes et les attaques qu’ils mènent contre les conditions de vie de la population quand ils sont au pouvoir. Les jeunes peuvent aussi être méfiants face à l’idée même d’une organisation avec des organes de direction, que ce soit à cause de leur connaissance de l’existence passée des régimes staliniens bureaucratiques et oppressifs ou pour d’autres raisons comme de mauvaises expériences avec des dirigeants syndicats distants et enfermés dans leurs bureaux. En fonction de tout cela, les jeunes peuvent être poussées vers d’autres conceptions, comme les actions spontanées et « inorganisées » et les réseaux informels.

    Cependant, bien qu’il y ait des moments où l’action spontanée peut amener une accélération dans les événements, il y a de grandes limites à ce genre d’action. Elle n’offre pas un lieu adéquat où débattre démocratiquement de ce qui doit être fait et de comment les choses peuvent évoluer par la suite. Elle peut laisser les gens impliqués dans l’action à la merci de la répression d’Etat par manque d’encadrement et de planification. Et surtout elle ne constitue pas une forme d’action efficace. Il est vraisemblable que l’impact sera bien plus grand si un grand nombre de gens protestent d’une manière organisée et unie que lors d’actions menée de manière disparate dans laquelle chaque individu agit individuellement ou au sein de petits groupes.

    Cette brochure traite du rôle et de la construction d’un parti révolutionnaire basé sur la forme organisationnelle développée par le Parti Bolchevik, à savoir le centralisme démocratique. Cela ne signifie pas que les méthodes d’organisation et le rôle d’un tel parti sont appropriés pour des partis ou des organisations plus larges du mouvement ouvrier.

    La création d’un nouveau parti de masse des travailleurs en Belgique serait aujourd’hui un grand pas en avant. Il pourrait aider à développer les luttes des travailleurs et accélérer la réhabilitation des idées socialistes. Dans un tel parti, une forme d’organisation démocratique et fédérale – qui permettrait à un grand nombre de groupes de travailleurs, d’organisations de gauche et d’individus de s’impliquer – serait initialement la mieux appropriée.

    Cependant, le besoin urgent d’un nouveau parti de masse des travailleurs n’est pas contradictoire avec le besoin de développer en même temps les forces du marxisme révolutionnaire en Belgique et internationalement. En fait, les partis révolutionnaires ont souvent travaillé par le passé en tant que tendances au sein de partis plus larges pendant des périodes plus ou moins longues et il est probable que ce sera à nouveau le cas lorsque de nouveaux partis de masse des travailleurs se formeront à l’avenir.

    Le rôle d’un parti révolutionnaire

    Qu’existe ou non un parti révolutionnaire, quand les conditions de vie deviennent intolérables pour les travailleurs et les pauvres, des luttes, et à un certain stade des mouvements révolutionnaires, se développent. Le résultat final, en l’absence d’un parti révolutionnaire, est clair, comme le montrent les exemples donnés plus loin : la révolution échouera ou ne posera pas les bases du socialisme. Un parti révolutionnaire est donc essentiel. Mais quel rôle doit jouer ce parti ? Un parti révolutionnaire ne crée pas les conditions qui conduisent les travailleurs à entrer en lutte. Mais, quand ces conditions existent, la parti peut jouer un rôle clé en accélérant le développement de la conscience des travailleurs et en fixant des objectifs pour leurs luttes. Ainsi que l’écrivit Trotsky dans son livre Histoire de la révolution russe : « Sans une organisation pour la guider, l ‘énergie des masses se dissiperait comme de la vapeur qui n’est pas emprisonnée dans une boîte à piston. Mais néanmoins, ce qui fait bouger les choses, ce n’est ni le piston ni la boîte mais la vapeur ».

    Tout d’abord, un parti révolutionnaire doit se baser sur une analyse marxiste des luttes de travailleurs du passé et des leçons à en tirer. En particulier, les écrits de Marx lui-même, d’Engels, de Lénine et de Trotsky apportent une aide vitale dans l’étude des événements du passé et pour l’utilisation de l’outil qu’est l’approche marxiste. Dans la société capitaliste, on nous enseigne à l’école l’histoire vue du point de vue et selon les intérêts de la classe dirigeante, la bourgeoisie. Les historiens universitaires qui écrivent les textes des manuels scolaires prétendent être objectifs et s’en tenir aux faits alors que, dans la plupart des cas, ils interprètent les événements historiques et les luttes du point de vue du capitalisme. Un parti révolutionnaire doit donc mener à bien un type de formation entièrement différent : la vision des événements historiques du point de vue de la classe des travailleurs et du marxisme.

    Deuxièmement, les membres d’un parti révolutionnaire doivent prendre part eux-mêmes aux activités quotidiennes et aux luttes des travailleurs et des jeunes autour d’eux, de manière à pouvoir apprendre d’expériences de première main, gagner le respect de ceux qui sont impliqués à leurs côtés dans l’action et évaluer la conscience générale à chaque moment. Le parti est alors en position pour déterminer quelles tâches sont nécessaires pour faire avancer la lutte.

    La classe des travailleurs (comme d’ailleurs les classes moyennes) ne forme une couche uniforme dans aucun pays. Il y a toujours des différences dans les circonstances matérielles, la compréhension politique et les perspectives. Les gens ne tirent pas toujours les mêmes conclusions au même moment. Un parti révolutionnaire peut évaluer les niveaux de la conscience des diverses couches et mettre en avant un programme qui joue un rôle unificateur – en liant les luttes entre elles autant que possible, en élargissant le soutien envers elles et en élevant la conscience quant aux pas suivants à faire. Par ailleurs, le parti doit analyser la nature de la classe capitaliste, qui n’est pas non plus une couche uniforme, qui est marquée elle aussi par ses contradictions et ses faiblesses en tant que classe et qui peut être divisée et battue.

    Dans ce processus, le parti utilise sa connaissance collective qu’il a acquise tant des leçons du passé que des tâches qui seraient nécessaires à accomplir. Mais il doit soigneusement mettre en application cette connaissance en tenant compte du niveau et des stades de développement de la conscience des travailleurs ainsi que de leurs traditions.

    Pourquoi un parti est-il tellement important ?

    Il suffit de tirer les leçons des révolutions qui ont échoué pour comprendre pourquoi un parti révolutionnaire est vital.

    Allemagne

    Après la révolution russe, les travailleurs allemands essayèrent de renverser le capitalisme en Allemagne en 1918. Cependant, les dirigeants du Parti Social-Démocrate (SPD)défendaient une perspective réformiste – ils pensaient que le capitalisme ne pouvait être changé que graduellement – et cela conduisit à la défaite de la révolution et à l’assassinat des grands dirigeants révolutionnaires Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht.

    En 1923, l’effondrement économique du pays et l’occupation de la Ruhr par la France créa une crise majeure et offrit aux travailleurs une occasion d’en finir avec le capitalisme. Cette fois, le Parti Communiste, créé en 1918, avait un important soutien parmi les travailleurs mais les dirigeants du PC échouèrent à préparer ceux-ci adéquatement à la tâche de changer la société et à leur donner une direction claire au moment où la situation était la plus propice.

    Moins d’une décennie après, dans le contexte de la récession mondiale entre 1929 et 1933, la situation devint à nouveau critique. La classe moyenne avait été ruinée par la récession et le niveau de vie des travailleurs avait chuté. Craignant une nouvelle révolution, la classe dirigeante remplit les caisses du Parti Nazi. Quand les nazis reçurent six millions de votes à l’élection de 1930, Trotsky et ses partisans, récemment exclus de l’Internationale Communiste, appelèrent les travailleurs organisés dans le PC allemand à entrer dans un « front unique » avec ceux du Parti Social-Démocrate pour défaire les fascistes. Mais la dégénérescence de l’Internationale Communiste était telle que leurs dirigeants décrivirent les sociaux-démocrates comme des « sociaux-fascistes » et refusèrent tout front unique. L’Internationale Communiste soutint même que le PC devait s’unir avec les nazis contre les sociaux-démocrates !

    Les dirigeants du PC allemand adoptèrent la position fatale selon laquelle Hitler ne serait pas pire que les gouvernements précédents et que, de toute façon, l’arrivée de Hitler au pouvoir ne ferait qu’inciter les travailleurs à balayer les fascistes.

    Les dirigeants sociaux-démocrates n’offrirent pas non plus une direction claire. Tandis que les travailleurs commençaient instinctivement à former des groupes de défense dans les entreprises et parmi les sans-emploi, les dirigeants sociaux-démocrates refusèrent de reconnaître que les fascistes étaient un véritable danger. Par exemple, l’un d’eux, Sohiffrin affirma à un moment : « Le fascisme est définitivement mort ; il ne se relèvera plus jamais ». Les dirigeants du SPD appelèrent au calme et à la retenue.

    Les terribles échecs des dirigeants ouvriers menèrent à la victoire de Hitler en 1933 et à l’écrasement d’un puissant mouvement ouvrier avec une tradition marxiste remontant à 75 ans.

    Espagne

    En Espagne, entre 1931 et 1937, les ouvriers et les paysans essayèrent à plusieurs reprises de renverser le capitalisme et le féodalisme, réussissant à un moment à prendre le contrôle des deux-tiers du pays. Ils étaient organisés en quatre blocs : les anarchistes, le Parti Socialiste, le Parti Communiste et un parti d’extrême-gauche plus petit, le POUM.

    Cependant, malgré les aspirations révolutionnaires de leurs membres, les dirigeants de ces partis échouèrent à prendre les mesures pour consolider les gains réalisés par les travailleurs et les paysans. Ils n’expliquèrent pas qu’il était nécessaire d’en finir avec le vieil appareil d’Etat et quelles seraient les différentes mesures à prendre pour avancer vers le socialisme. Au contraire, ils finirent tous par s’aligner sur les dirigeants communistes staliniens qui défendaient l’idée d’une stratégie en deux étapes. Celle-ci affirmait qu’il fallait d’abord passer par une période de développement d’une démocratie capitaliste en Espagne, nécessaire avant de pouvoir mettre en avant la perspective d’une lutte pour le socialisme. Pour les staliniens, la tâche n’était donc pas d’amener la classe des travailleurs à prendre le pouvoir, mais au contraire de rendre le pouvoir aux capitalistes.

    Cette politique, désorientant les travailleurs et décourageant leur enthousiasme révolutionnaire – ouvrit tragiquement la voie au général fasciste Franco, dont la victoire au terme de la guerre civile se traduisit par la mort de dizaines de milliers de syndicalistes et de militants ouvriers et par l’instauration d’une dictature fasciste brutale qui dura quarante ans.

    Chili

    La coalition de l’Unité Populaire qui arriva au pouvoir au Chili en 1970 était soutenue par un mouvement ouvrier puissant et reposait sur une alliance entre le Parti Socialiste et le Parti Communiste. Soumis à de fortes pressions venant de la population qui voulait des améliorations de ses conditions de vie, le gouvernement dût aller au-delà de ce que ses dirigeants avaient prévu. Des industries-clé comme les mines de cuivre furent nationalisées, un gel des prix et des loyers introduit, une réforme agraire partielle mise en œuvre et du lait distribué gratuitement aux enfants dans les écoles. Face à ces mesures et au danger d’explosion révolutionnaire, la classe capitaliste devint enragée et une partie se mit à préparer un coup d’Etat pour écraser le gouvernement d’Unité Populaire.

    La situation devint très favorable au renversement du capitalisme. La bourgeoisie était démoralisée et divisée quant au chemin à suivre, des parties de la classe moyenne soutenait le gouvernement d’Unité Populaire et le mouvement ouvrier se renforçait. Un parti révolutionnaire aurait soutenu la revendication des travailleurs qui réclamaient des armes pour défaire les forces contre-révolutionnaires qui se préparaient. Il aurait aussi soutenu l’organisation de Conseils de travailleurs, de paysans, de soldats, de petits indépendants,… destinés à devenir les réels centres de pouvoir.

    Au contraire, les dirigeants des partis socialistes et communistes de l’Unité Populaires retinrent les masses. Ces « dirigeants » insistèrent sur la nécessité de rester dans le cadre de la légalité capitaliste et de laisser les leviers de pouvoir aux mains de la bourgeoisie. Ils laissèrent intacts l’armée, les juges, la police, la presse,… Le résultat final fut la victoire d’un dictateur brutal et l’assassinat de milliers de militants ouvriers, syndicaux, socialistes et communistes.

    Etats ouvriers déformés

    Malheureusement, on peut donner beaucoup d’autres exemples de révolutions qui ont échoué avec des conséquences tragiques : la révolution hongroise en 1919, les occupations d’usines par les travailleurs italiens en 1920, la révolution chinoise en 1925-27, le Portugal en 1974-75 et encore bien d’autres.

    Au cours de la révolution portugaise, 70% de l’industrie, des banques et du secteur financier se trouvèrent dans les mains de l’Etat. Le grand quotidien conservateur britannique The Times annonça qu’au Portugal le capitalisme était mort. Mais les dirigeants socialistes et communistes jouèrent ici aussi un rôle contre-révolutionnaire par leur refus de mener la révolution à son terme, permettant à la bourgeoisie de restaurer son pouvoir et de restait intact.

    Il y a eu aussi des révolutions issues de guerres paysannes ou luttes de guérilla qui ont réussi à renverser le capitalisme et qui ont fini par introduire des économies planifiées, comme en Chine à partir de 1949 et à Cuba à partir de 1959. Mais les partis révolutionnaires qui ont dirigé ces mouvements ne se fixaient pas le but de construire le socialisme et, comme ils se basaient davantage sur la paysannerie que sur la classe des travailleurs, ils furent incapables de faire naître des sociétés socialistes démocratiques (voir plus bas Le rôle de la classe des travailleurs) Les marxistes décrivent les régimes qui en résultent comme des « Etats ouvriers déformés » parce que, bien qu’ils aient été capables d’augmenter spectaculairement le niveau de vie de la masse du peuple pendant une période sur base d’une économie planifiée, ce sont des régimes fortement répressifs qui ne reposent pas sur un pouvoir exercé démocratiquement par les travailleurs.

    Le parti Bolchevik

    Le contraste entre les événements de Russie en 1917 et les exemples ci-dessus est frappant. Quinze ans auparavant, Lénine était arrivé à la conclusion que, pour que les travailleurs russes puisse renverser l’Etat dictatorial tsariste, une force disciplinée et organisée serait nécessaire. Dès lors, il fut le fer de lance de la construction du parti bolchevik1, un nouveau type de parti de parti qui donnait à ses membres une formation solide basée sur l’étude des expériences et des luttes antérieures, qui prenait ses décisions au terme de discussions démocratiques et de débats à tous les niveaux du parti et qui agissait de manière unie quand il menait des campagnes et des actions.

    Après avoir réussi à gagner le soutien de la couche la plus avancée de la classe ouvrière, les Bolcheviks furent ensuite capables de conduire les travailleurs au cours de la révolution d’Octobre. L’appareil d’Etat tsariste fut complètement démantelé et remplacé par un Etat ouvrier démocratique basé sur une économie planifiée. Cet Etat dégénéra politiquement sous la direction de Staline à cause de l’isolation du pays (suite à l’échec des révolutions en Allemagne, en Autriche et en Hongrie), à la misère accentuée par la guerre civile et aux problèmes dus au sous-développement économique du pays. Cependant, cette dégénérescence ne peut nier ni le fait que les Bolcheviks ont mené une révolution victorieuse, un événement titanesque dans l’Histoire humaine qui a transformé les vies de centaines de millions de gens, ni les leçons que nous pouvons tirer de leur expérience.

    (1) Bolchevik, qui signifie « majoritaire » en russe, est le nom que prit la fraction de Lénine au sein du Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie à l’issue du congrès de 1902 et qu’elle conserva après qu’elle soit devenue dans les faits un parti indépendant dès 1912. Le Parti Bolchevik devint le Parti Communiste en 1918.


    Trotsky écrivit dans sa brochure Classe, parti et direction : « Le parti bolchevik en mars 1917 était suivi par une minorité insignifiante de la classe ouvrière et, de plus, la discorde régnait dans le parti… En l’espace de quelques mois, en se basant sur le développement de la révolution, le parti a été capable de convaincre la majorité des travailleurs de la justesse de ses slogans. Cette majorité organisée en Soviets fut capable à son tour d’attirer les soldats et les paysans. »

     


    Le rôle de la classe des travailleurs

    L’analyse des luttes du passé et des révolutions montre que seule la classe des travailleurs peut jouer un rôle dirigeant parmi les masses opprimées dans une révolution qui peut à la fois renverser le capitalisme et ouvrir la voie au socialisme.

    Ceci est dû au rôle des travailleurs dans la production capitaliste : ne possédant aucun des biens indispensables à la possibilité moderne sur grande échelle (machines ou usines), ils sont obligés de vendre leur force de travail pour survivre et subissent une exploitation (voir brochure n°3 sur l’économie capitaliste), ce qui leur crée des problèmes mais aussi et des intérêts similaires. Les travailleurs, dans les divers services ou industries, font souvent face à des conditions de travail et des niveaux de salaire similaires et à la même insécurité de l’emploi.

    La classe moyenne – la « petite-bourgeoisie » – est constituée des couches intermédiaires de la société qui ne sont pas des salariés (les commerçants, les artisans, les petits agriculteurs, les professions libérales comme les médecins, les avocats,…) ainsi que par certaines couches privilégiées de salariés qui participent à l’organisation de l’exploitation des autres travailleurs (comme la majorité des cadres).

    Quand les contradictions et les crises économiques du capitalisme s’approfondissent, de plus en plus de membres des couches moyennes de la société se voient imposer des conditions de travail et de vie de plus en plus proches de celles des travailleurs et sont amenés à partager leurs problèmes et leurs aspirations. Cependant les couches moyennes – vu leur diversité et, dans les zones rurales, vu leurs conditions de vie éclatées et isolées – n’ont jamais été capables de jouer un rôle indépendant en tant que classe. Une partie est amenée à soutenir la bourgeoisie et le maintien du capitalisme mais la majorité peut être gagnée à soutenir un mouvement révolutionnaire dirigé par la classe des travailleurs et elle peut même y jouer un rôle très important si le mouvement des travailleurs adopte un programme qui fait appel à elle.

    Ainsi un parti révolutionnaire doit se baser essentiellement sur la classe des travailleurs – le « prolétariat » – à cause du rôle dirigeant que celle-ci peut jouer. Et, à son tour, pour jouer ce rôle indispensable, la classe des travailleurs a besoin d’un parti révolutionnaire.

    Bien que cette classe soit moins hétérogène que la classe moyenne, elle se répartit néanmoins en diverses couches : jeunes et plus âgés, hommes et femmes, qualifiés et non qualifiés, actifs et chômeurs, secteur privé et secteur public, grandes entreprises à forte tradition syndicale et petites boîtes sans syndicat,… et parfois d’autres encore en fonction de l’origine ethnique ou de l’appartenance religieuse. La classe dirigeante essaie d’exploiter ces divisions, par exemple en encourageant les divisions raciales ou en jouant sur différenciant au maximum et les calculs et les niveaux en matière de salaire.

    Les travailleurs ont besoin de s’unir de manière organisée, de manière à surmonter ces divisions autant que cela est possible dans le cadre du système actuel et à s’unir dans les luttes qui leur permettent de développer leurs intérêts de classe. Un premier niveau d’organisation des travailleurs est bien sûr le syndicat mais son horizon est limité par son objectif même (défendre les intérêts des travailleurs dans le cadre du capitalisme) et surtout par la domination d’une bureaucratie réformiste. C’est à l’intérieur d’un parti révolutionnaire que le niveau d’unité maximum peut être atteint, autour d’un programme défendant le plus scientifiquement possible les intérêts des travailleurs et des opprimés. Comme le disait Trotsky dans son article « What Next ? » : « Le prolétariat n’acquiert un rôle indépendant qu’au moment où, de classe sociale en soi, il devient une classe politique pour soi. Cela ne peut se faire autrement qu’au moyen d’un parti. Le parti est cet organe historique par lequel la classe devient consciente d’elle-même ».

    Le programme du parti

    « Les intérêts de la classe ne peuvent être formulés autrement que sous la forme d’un programme ; le programme ne peut être défendu autrement qu’en créant le parti » (Trotsky, What Next ?)

    Pour être pleinement préparé pour faire face aux événements à venir, un parti révolutionnaire a besoin d’avoir le programme du marxisme révolutionnaire, qui est un ensemble d’idées basé sur les quatre premiers congrès de l’Internationale Communiste, les documents de fondation de la Quatrième Internationale et l’expérience accumulée du mouvement trotskiste depuis lors (et particulièrement celle de notre Comité pour une Internationale Ouvrière).

    Tout en étant basé sur des idées et des perspectives, le programme doit aussi inclure des revendications. Celles-ci sont développées à chaque étape de la lutte des classes. Elles ne doivent pas simplement faire écho à l’humeur des travailleurs et à leurs revendications à un moment donné mais, tout en prenant celles-ci en compte, elles doivent inclure des revendications qui vont un pas plus loin, de manière à augmenter la conscience tant des tâches immédiates indispensables que de la nécessité du socialisme. Les divers aspects du programme doivent être régulièrement révisés et remis à jour, afin de rester en phase avec le développement des événements, et testés dans la pratique. James Cannon, un des fondateurs du mouvement trotskiste américain aux USA dans les années ’30, écrivit ainsi dans son article « Le Parti Révolutionnaire » que le programme devait être soumis continuellement aux travailleurs pour « prise en considération, adoption, action et vérification ».

    Certains partis croient qu’il suffit de se proclamer en faveur de la révolution pour être un parti révolutionnaire. La majorité de ces partis ont historiquement été des partis « centristes », c’est-à-dire des partis dans lesquels les dirigeants font souvent des discours aux accents révolutionnaires mais en reviennent à une position réformiste, lorsqu’ils sont confrontés à des moments et des choix décisifs dans la lutte, sans réussir à faire avancer celle-ci. Ces partis oscillent entre réformisme et révolution, notamment parce qu’ils ne se basent pas sur un programme pleinement marxiste révolutionnaire.

    Comment construire un tel parti ?

    La construction d’un parti révolutionnaire n’a rien d’automatique : ce parti doit être consciemment et consciencieusement construit par ses membres. Cette construction commence généralement par de petits groupes. Or, une petite force ne peut pas gagner facilement une influence large : l’essentiel du travail doit donc être orienté vers la propagande socialiste et la discussion des idées avec des personnes rencontrées pendant les activités politiques aussi bien que dans la vie quotidienne. Le travail d’un parti plus grand sera différent, parce qu’il est vraisemblable que celui-ci jouera un rôle clé dans certains événements et donc qu’il aura des responsabilités de direction autant que d’agitation et de propagande.

    Comment un petit parti peut-il grandir pour devenir un grand parti ? Cela dépend à la fois de l’adoption par le parti d’une approche et d’une orientation marxistes correctes et de l’ampleur des événements et des soubresauts dans la société. Comme l’écrivit Trotsky, « Pendant une révolution, c’est-à-dire quand les événements se produisent rapidement, un parti encore faible peut se transformer rapidement en un parti puissant pour autant qu’il comprenne lucidement le cours de la révolution et qu’il possède des cadres loyaux qui ne se laissent pas intoxiqués par des grandes phrases et qui ne soient pas terrorisés par les persécutions. Mais un tel parti doit être disponible avant la révolution vu que le processus de formation de cadres requiert une période de temps considérable et que la révolution n’accorde pas ce temps » (Classe, parti et direction).

    Tout en grandissant à travers le recrutement direct d’individus et de groupes, les partis révolutionnaires peuvent à certains moments se construire au travers de fusions avec d’autres organisations. Cependant la réussite dune fusion dépend avant tout de la possibilité d’atteindre un accord principiel préalable sur les questions-clés actuelles des perspectives, du programme, de l’orientation et de la stratégie.

    Quelle que soit la taille du parti, un travail soutenu et un investissement sérieux de ses membres est indispensable. Comme le disait une fois de plus Trotsky « Vous pouvez avoir à la fois des révolutionnaires sages ou ignorants, intelligents ou médiocres. Mais vous ne pouvez pas avoir des révolutionnaires qui manquent de la volonté de bousculer les obstacles, qui manquent de dévouement et d’esprit de sacrifice » (Comment se forment les révolutionnaires, 1929).

    Quel type de parti ?

    En Russie, les Bolcheviks, sous l’impulsion de Lénine, ont choisi le centralisme démocratique comme forme d’organisation.

    Ce terme a pris aujourd’hui une connotation très négative parce que, sous Staline, le centralisme démocratique dans le Parti Communiste d’Union Soviétique a été vidé de son contenu pour mieux satisfaire les intérêts de la couche grandissante de bureaucrates. Les partis communistes staliniens sont devenus des appareils antidémocratiques, bureaucratiques, autoritaires et répressifs.

    Pourtant, le centralisme démocratique est la forme d’organisation la plus démocratique qui ait jamais existé. Elle permet au parti de se développer sainement au rythme des discussions et des débats mais aussi, quand arrive le temps de l’action, d’agir d’une manière unifiée et organisée. De ce fait, cette méthode de fonctionnement est aussi la plus efficace.

    Le centralisme démocratique implique d’abord que toutes les questions concernant le parti soient discutées aussi profondément que les membres le jugent nécessaire, et ce à tous les niveaux du parti. Cela ne signifie pas que le parti devient une boutique à parlottes avec des débats sans fin. Les discussions doivent être menées en ayant en tête les objectifs du parti, particulièrement en matière de formation politique et avec la nécessité d’arriver à des décisions claires sur le programme et les tâches du parti.

    Chaque membre doit avoir le droit d’exprimer ses vues dans les réunions de sa section locale. Il est important que les membres essaient continuellement de développer leur formation et leurs capacités propres, de manière à pouvoir arriver à prendre collectivement les bonnes décisions. Les décisions concernant les idées et les perspectives essentielles du parti, ainsi que toutes les questions-clés en matière d’organisation, doivent être prises lors de congrès (le plus souvent annuels) de délégués élus dans les sections par les membres du parti.

    Le centralisme – qui constitue le deuxième aspect de la formule – signifie essentiellement qu’une fois que les membres du parti ont pris une décision à la majorité, à quelque niveau que ce soit, ils doivent agir ensemble pour appliquer cette décision. S’il y a cinq, vingt ou beaucoup plus de membres d’un parti révolutionnaire dans une ville, est-il plus efficace qu’ils interviennent dans les événements locaux comme autant d’individus ou comme une équipe soudée ? Cette dernière réponse est clairement la meilleure. Et, à l’échelle nationale, où les travailleurs sont confrontés à un Etat capitaliste centralisé disposant d’une longue expérience de confrontation aux défis venus d’en bas, leur unité dans l’action à travers la participation à un parti révolutionnaire est vitale.

    Chaque membre doit avoir le droit de s’opposer à une idée ou à la manière de mener une action, mais une fois qu’une décision a été prise par une vote majoritaire, chaque membre doit agir à l’extérieur du parti en se conformant à cette décision. Ceci ne supprime leur droit de continuer à défendre leur point de vue dans les réunions du parti et de chercher à changer une décision, en organisant une tendance ou une fraction s’ils le jugent nécessaires.

    A certaines étapes, un parti devra placer plus l’accent sur la nécessité de discussion et de débat, tandis qu’à d’autres moments, la priorité ira davantage à l’action, en fonction de la situation concrète. Le centralisme démocratique n’est pas une formule rigide. De la même manière qu’elle doit être appliquée avec flexibilité en fonction des étapes de développement du parti, elle trouvera aussi inévitablement une expression différente dans des pays différents, en fonction de facteurs comme la taille, l’expérience et le travail mené à ce moment par le parti, l’autorité de ses dirigeants, la situation politique et les traditions des travailleurs.

    Des questions et des discussions surgissent parfois sur la manière dont les membres doivent se comporter entre eux. Quelles doivent être les normes de comportement des membres (par exemple, face au racisme, au sexisme,…) ? Comment les ressources du parti peuvent-elles être accrues (montant des cotisations, actions destinées à faire rentrer de l’argent dans les caisses,…) et doivent-elles être réparties pour favoriser la participer de membres ayant des revenus limités ou des besoins spéciaux ? Sur ces questions, il faut reconnaître que le parti, qui travaille avec toutes les limitations imposées à ses membres par le système capitaliste, ne peut être un modèle pour la future société socialiste. C’est aux membres de décider de la répartition des ressources et des limites à poser face à des comportements critiquables, tout en comprenant qu’il n’est pas possible de construire un parti avec des membres qui ne soient affectés en rien par les problèmes de la société actuelle.

    La direction du parti

    Dans son article « Classe, parti et direction », Trotsky expliqua la relation nécessaire entre les trois niveaux évoqués dans le titre de l’article : la classe des travailleurs dirige le mouvement populaire, tout en étant dirigée par le parti, qui est à son tour dirigé par sa direction. Il ajouta que les membres et la direction du parti devaient être testés et sélectionnés tout au long du développement des débats et des événements, de manière à perfectionner le meilleur outil possible afin de permettre à la classe des travailleurs de transformer la société.

    Un parti révolutionnaire a besoin, à chaque niveau de sa structure, de dirigeants capables de donner une impulsion et une direction politique et organisationnelle au travail du parti. Les membres de base qui sont immergés dans le travail politique dans leur secteur ou leur ville n’ont pas nécessairement l’information suffisante ou le temps pour acquérir une vue d’ensemble et se faire un avis personnel sur la situation régionale, nationale et internationale. Ils élisent ceux qu’ils voient comme les plus capables de donner une direction correcte en fonction d’une analyse plus complète et d’une expérience plus grande que celle dont ils disposent eux-mêmes. Les membres de base doivent toujours évaluer la qualité de la direction fournie par ceux qu’ils ont élus, de manière à ce que des changements puissent être faits si nécessaire. Tous les dirigeants élus doivent répondre de leur travail et de leurs décisions et sont révocables à tout moment.

    La qualité de la direction d’un parti révolutionnaire dépend de l’existence d’une base politiquement formée et dotée d’un esprit critique car celle-ci est la mieux à même de choisir les meilleurs candidats pour les positions de direction et de les remplacer si nécessaire. Même les plus grands dirigeants ont besoin du contrôle de ceux qui sont à la base de leur parti. Sans ce contrôle, les comités ou les individus exerçant les tâches de direction peuvent en fin de compte succomber à des pressions réformistes ou ultra-gauche et entraîner tout le parti dans une mauvaise voie.

    Cependant, si les membres doivent être critiques, Trotsky souleva un point important : « La maturité de chaque membre du parti s’exprime particulièrement dans le fait qu’il n’exige pas du régime interne du parti plus que ce que celui-ci peut donner… Il est bien sûr nécessaire de lutter contre chaque erreur individuelle de la direction, contre chaque injustice, etc. Mais il est nécessaire d’évaluer ces « injustices » et ces « erreurs » non en elles-mêmes mais en relation avec le développement général du parti à la fois au niveau national et international. Un jugement correct et un sens des proportions est une chose extrêmement importante en politique. »

    Les dirigeants ne doivent avoir aucun privilège financier au-delà des dépenses qui leur sont nécessaires. Les dirigeants, tout comme les représentants publics du parti, ne doivent pas recevoir plus que le salaire moyen d’un travailleur qualifié. Les dirigeants du parti doivent donner l’exemple à tous les membres à travers leur volonté personnelle de faire des sacrifices en temps et en argent et par le fait qu’ils ne demandent pas aux membres de faire des sacrifices plus grands que ceux qu’ils sont préparés à faire eux-mêmes.

    Entre les réunions des organes du parti à chaque niveau, des organes de direction doivent prendre les décisions nécessaires à la progression du parti. Cela signifie que les membres doivent avoir confiance dans la capacité de leurs dirigeants d’aboutir à des décisions correctes. Cette confiance ne peut s’établir qu’à travers la mise à l’épreuve des dirigeants au cours des événements et des débats. Il est aussi important d’avoir un certain renouvellement dans la composition des organes de direction de manière à ce qu’ils ne perdent pas leur entrain et ne s’enfoncent pas dans des habitudes routinières.

    Quelques-unes des normes établies pour préserver la démocratie dans un parti révolutionnaire sont aussi applicables aux dirigeants élus dans une société socialiste après une révolution victorieuse. Avant la Révolution russe, Lénine a indiqué quelques conditions qui peuvent aider à prévenir le développement de la bureaucratie après la révolution : des élections libres et démocratiques, l’obligation pour tous les dirigeants de rendre des comptes à ceux qui les ont élus, la possibilité de révoquer les dirigeants à tout moment, l’interdiction pour les dirigeants de toucher plus que le salaire moyen d’un travailleur ordinaire et la rotation régulière des personnes chargées des tâches administratives.

    L’internationalisme avant et après la révolution

    Bien que le capitalisme soit basé sur des Etats-nations, les économies capitalistes sont interconnectées à travers le monde entier. Aucun Etat socialiste ne pourrait survivre pendant une longue période ni commencer à résoudre les problèmes de la planète s’il restait isolé. C’est pourquoi le socialisme ne peut être réalisé qu’à l’échelle internationale. C’est pourquoi aussi un parti révolutionnaire est nécessaire à cette même échelle internationale. Il est important, et même vital, pour des partis révolutionnaires qui agissent dans divers pays du monde de participer ensemble à une internationale révolutionnaire. Cette participation leur permet de réaliser une analyse plus complète des événements mondiaux à travers la discussion avec les autres partis et de partager les leçons des expériences de construction du parti, ce qui peut permettre à chaque parti d’éviter des erreurs potentiellement fatales.

    Le rôle d’une internationale révolutionnaire sera aussi très important après une révolution victorieuse, tant pour appeler les travailleurs partout dans le monde à soutenir la révolution et à refuser d’être utilisés contre elle dans des aventures militaires lancées par leur propre classe capitaliste, que pour aider la révolution à s’étendre le plus vite possible à d’autres pays. De même, le rôle d’un parti révolutionnaire ne se termine pas avec la victoire de la révolution dans son pays. Le parti sera indispensable pour armer tous les travailleurs de son expérience et de ses connaissances afin de leur permettre de défaire toutes les tentatives contre-révolutionnaires de la petite minorité de la société qui constituait auparavant la classe dominante.

    Le parti contribuera aussi à aider la nouvelle société socialiste à se développer sur une base saine, avec un pouvoir pleinement démocratique des travailleurs et une organisation de la production et des services basée sur une économie planifiée démocratiquement. De la même manière qu’une sage-femme garde un œil sur la santé du bébé nouveau-né une fois qu’elle a assuré l’accouchement, un parti révolutionnaire aidera à construire et à diriger la nouvelle société venue au monde suite à une révolution victorieuse. Bien que les problèmes créés par des siècles de capitalisme ne seront pas effacés en une nuit, il sera possible de créer rapidement une société dans laquelle les conditions de vie de chaque personne pourront être élevées jusqu’à un niveau décent et même au-delà, dans laquelle l’environnement pourra être sauvegardé et les dégâts antérieurs réparés et dans laquelle les talents de chaque personne pourront être utilisés pour porter le développement de la société jusqu’à un niveau encore jamais atteint.


    Liste de lecture

    • Classe, parti et direction – Léon Trotsky
    • Le parti révolutionnaire – James Cannon
    • La lutte pour un parti prolétarien – James Cannon
    • L’histoire de la révolution russe – Léon Trotsky
    • Le léninisme sous Lénine – Marcel Liebman
    • La révolution espagnole, 1931-1939 – Léon Trotsky
    • La lutte contre le fascisme en Allemagne – Léon Trosky
    • Le programme de transition pour la révolution socialiste – Léon Trosky
  • Médicaments & vaccins : quand le marché nous rend malades

    Ces dernières semaines, plusieurs problématiques ont illustré quelques contradictions du secteur pharmaceutique. L’affaire de la petite Pia a illustré le coût exorbitant des traitements.(1) Le secteur des pharmacies d’officines a aussi crié son désarroi face aux pénuries de médicaments en faisant référence aux ‘‘pénuries de temps de guerre’’ (2). Dans un contexte général de dé-financement des soins de santé et de lutte du secteur, le coût des machines et des traitements a aussi été mis en cause. Les remboursements de médicaments en 2018 ont coûté 4,5 milliards d’euros à la collectivité.(3) Si on ajoute à cela certains scandales comme celui des opiacés qui a dévasté la vie de centaines de milliers d’Américains en 20 ans(4), un constat s’impose : sauvegarder le secteur pharma d’une production basée sur les profits.

    Par un délégué FGTB du secteur pharmaceutique

    Les pénuries de médicaments en Belgique

    La problématique des pénuries de médicaments est un phénomène mondial. L’OMS (Organisation mondiale de la santé) a d’ailleurs fait une feuille de route pour tenter d’enrayer le problème lors d’une de ses sessions de janvier 2018, sans jusqu’ici parvenir à réellement trouver une solution. (5) Pour ce qui est de la situation en Belgique, en considérant seulement le mois de novembre, on compte 602 notifications d’indisponibilités de conditionnement de médicaments. La liste n’étant pas figée, l’AFMPS (Agence fédérale des médicaments et des produits de santé) estime que sur tous les médicaments conditionnés en Belgique, 5% connaissent en moyenne la pénurie.(6) Les conséquences peuvent être dramatiques pour les patients qui attendent leur traitement. L’exemple récent de pénurie de l’antibiotique Clamoxil a entraîné une sortie dans la presse des professionnels de la santé pour dénoncer le phénomène. (7)

    Selon l’AFMPS, il y a trois causes principales à ces indisponibilités :

    • L’indisponibilité réelle, due à un incident de production, à un problème lors du transport,…
    • Un arrêt de commercialisation, la firme ne distribuant plus le produit en Belgique ou ayant stoppé la commercialisation du produit.
    • Un problème de distribution où le produit est disponible en Belgique mais pas dans toutes les pharmacies ou en raison du fait que les firmes ne respectent pas le contingent prévu par le pays.

    Pour nous en prendre à ces causes mises en avant par les autorités, nous devons remettre en question l’organisation capitaliste de la production.

    Une production de plus en plus sociale, mais dont l’appropriation est privée

    Quand une entreprise privée produit des médicaments elle ne le fait pas pour l’usage que la collectivité va en faire c’est à dire soigner des malades. Elle le fait pour engendrer des bénéfices. Les produits de santé sont donc devenus une marchandise comme les autres sous le règne capitaliste. Cette marchandisation de la société a pour conséquence que l’ensemble du secteur des soins de santé est de plus en plus considéré comme une source de profits.

    Cela implique d’organiser la production pour maximiser les profits en question, pour produire au moindre coût et vendre au prix fort. Cela entraîne des délocalisations de la production ou plus exactement le découpage de la chaine de production pour optimiser à chaque étape la valorisation de la marchandise : effectuer la recherche et le développement dans un pays où existe une déduction fiscale pour le brevet (comme c’est le cas en Belgique), effectuer les tests cliniques là où la législation sera la plus adéquate, extraire les matières premières dans des pays spécialisés dans ce secteur, organiser la production sur différent pays pour mettre les travailleurs en concurrence les uns avec les autres. Tout cela pour vendre au plus offrant.

    Dans tout ce processus de production, on applique l’organisation scientifique du travail la plus moderne qui soit pour éviter le stockage et les coûts que cela représente. Si les Etats veulent disposer de stocks stratégiques, c’est à la collectivité d’en payer le prix. Derrière les causes de l’indisponibilité, on trouve donc la soif de profits.

    Quant à l’arrêt de commercialisation, le terme exprime très bien que ces dirigeants de firmes n’ont que faire des besoins qui existent dans la santé. Ils veulent enrichir leurs actionnaires. Comme manière de réguler la pénurie, des industriels préconisent d’ailleurs l’augmentation des prix. En effet, si l’offre est inférieure à la demande, les prix du marché devraient augmenter. Mais en suivant cette loi, on diminue la demande qui est en capacité d’accéder au soin de santé.

    Les solutions dans le cadre du marché et leurs contradictions

    Faces à ces différents problèmes, certains tentent d’ébaucher des solutions dans le cadre du système et de répondre aux besoins des patients mais ces dernières se heurtent à la propriété privée des moyens de production.

    En général, comme une bonne partie des médicaments est remboursée par la collectivité via la sécurité sociale, le prix des médicaments est négocié entre la firme productrice et l’Etat. Une discussion qui s’effectue derrière des portes closes. Le pouvoir de négociation des différents Etats dépend donc de l’importance de leur marché potentiel. Certains évoquent l’idée d’une négociation européenne pour un prix unique. Mais les différences socio-économique, et donc de pouvoir de négociation, sont fort différentes. De plus, il faudrait une unification européenne au niveau des remboursements et donc un financement de la sécurité sociale harmonisé ou à tout le moins coordonné au niveau européen, ce qui n’est pas à l’ordre du jour.

    Une autre idée défend de protéger l’industrie pharmaceutique européenne afin de disposer d’une indépendance dans l’approvisionnement en produits de santé. Cette idée de ‘‘protectionnisme social’’ est tentante mais, comme on le voit actuellement, les tendances à la démondialisation entraînent un ralentissement de l’économie mondiale. Dans le secteur pharma comme pour d’autres secteurs, le marché américain et asiatique (Chine et Japon) sont primordiaux pour toutes les entreprises. Risquer de se fermer ces marchés par une guerre commerciale risque d’amener encore plus de problèmes non seulement dans ce secteur mais dans l’ensemble de l’économie européenne et mondiale.

    Voyant les solutions bloquées au niveau européen, différents modèles sont évoqués pour faire baisser la facture finale pour le patient et la collectivité, comme le ‘‘modèle Kiwi’’. Il s’agit d’un modèle ou l’Etat fait un appel d’offre pour disposer du médicament le moins cher. Le bureau du plan a calculé que cela pourrait représenter une économie de 500 millions d’euros pour l’assurance maladie invalidité.(8) Ce serait évidemment de l’argent bienvenu à réinjecter dans les soins de santé. Mais cela risque d’aggraver le risque de pénurie. En effet, pour peu que la firme ait un accident de production, il n’y aurait pas de produit de remplacement. De plus, le secteur pharma s’est organisé depuis longtemps pour vendre le maximum de sa production là où c’est le plus intéressant. Les grossistes-répartiteurs vendent leurs stocks là où ils ont les meilleurs prix, entraînant des difficultés d’approvisionnement et des pénuries dans les autres pays. Cette solution ne répond également pas à l’absence de traitement qui est présente pour certains produits du fait de la faiblesse de la demande. C’est le cas des maladies qu’on appelle ‘‘orpheline’’, car elle ne touche pas une masse critique de gens suffisamment grande que pour investir dans la production de traitement.

    Les capitalistes contre la santé publique

    Le scandale des antidouleurs aux USA a révélé que, chez les capitalistes, la soif de profit était plus forte que la volonté de répondre aux nécessités humaines. Alors que les USA ont mené une guerre à la drogue et aux cartels avec comme motifs la santé publique, ces derniers mois, on s’est rendu compte qu’une crise sanitaire terrible avait frappé le pays. Plus de 300.000 personnes sont décédés en 20 ans suite à l’addiction aux opioïdes acquise avec la prise de traitements antidouleurs. L’oxycontin est particulièrement mis en avant. Ce médicament produit par la firme Purdue depuis 1996, qui continue d’être vendu, avait été lancé à grand renfort de marketing et en donnant des avantages à certains médecins pour qu’ils le prescrivent. Cela illustre que pour les capitalistes le profit reste la priorité.(9)

    Une autre voie d’inquiétude pour la santé publique, c’est la qualité générale des produits mis sur le marché. Afin d’augmenter la rentabilité de la recherche et du développement, les sociétés veulent diminuer le temps nécessaire à l’étape de mise sur le marché. Il existe une procédure de mise sur le marché rapide qui est appelé fast-track ou voie rapide qui est mise en route pour des maladies orphelines ou lorsqu’un traitement n’est pas disponible. Mais, de plus en plus, les sociétés veulent étendre cette méthode aux traitements qui ne correspondent pas aux critères actuels afin d’en diminuer le coût de recherche et de développement. Cette volonté de diminuer le temps met sous pression les équipes de recherches et cela peut à terme diminuer la qualité des produits mis sur le marché.

    Les capitalistes sabotent les solutions

    En octobre, un scandale est sorti dans la presse qui révèle que les sociétés Roche et Novartis se sont entendues pour maintenir le prix d’un médicament contre la dégénérescence maculaire à un niveau élevé, volant ainsi plusieurs millions d’euros à la collectivité. La ministre de Block a minimisé le phénomène mais le PTB a très justement dénoncé les choses.(10) Dans cet article, Sophie Merckx fait cette déclaration : ‘‘Nous devons d’urgence mener un débat de fond sur le pouvoir qu’exerce aujourd’hui l’industrie pharmaceutique sur notre société. La bourse ou la vie, cela ressemble à une phrase tirée d’un vieux western, et pourtant c’est de plus en plus une réalité. Cela doit cesser. Pour nous, c’est clair : la recherche et le développement des médicaments doivent être entre les mains du public, de façon à ce que les besoins des patients soient la priorité, et non l’avidité des actionnaires des entreprises pharmaceutiques.’’

    Produire en fonction des besoins sociaux ? Nationaliser l’industrie pharmaceutique !

    L’industrie pharmaceutique est un secteur qui génère énormément de profits. Les ‘‘pharma papers’’ ont révélé l’ampleur de ces montagnes de fric. Entre 1999 et 2017, 11 des plus gros laboratoires pharmaceutiques ont réalisé 1019 milliards d’euros de bénéfices ! De toute cette richesse créée par le travail social, pas moins de 925 milliards ont été versés aux actionnaires, c’est à dire 90,8%.(11) Tout cet argent n’a pas été réinvesti dans la recherche et le développement de traitements innovants efficaces et accessibles à toutes et tous. Dans le cadre d’une industrie nationalisée et sous le contrôle et la gestion des travailleurs et des patients, on pourrait faire baisser le coût des médicaments et investir dans la recherche et le développement, de même que dans une infrastructure industrielle intégrée avec de bonnes conditions de travail pour répondre aux besoins sociaux.

    Nous sommes d’accord avec Sophie : nous devons mener un débat de fond sur le pouvoir de l’industrie pharmaceutique sur notre société. Au lieu de seulement prendre en compte l’avis et les intérêts des dirigeants et des actionnaires de ce secteur, nous pensons que nous devons mener ce débat avec les militantes et militants qui travaillent dans ce secteur ainsi que les militantes et militants du secteur des soins de santé, des mutuelles, de l’assurance maladie invalidité, les malades bref tout ceux qui sont concernés. C’est en nous organisant ensemble et par la lutte que l’on pourra établir le rapport de force pour sortir ce secteur des griffes des 1% et que l’on pourra discuter de la meilleure manière de répondre aux besoins sociaux.

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    L’industrie Pharma en Belgique

    Le secteur pharmaceutique est un secteur économique de poids. Au niveau mondial la production mondiale équivalait à 997 milliards de dollars en 2014 et une valeur ajouté de 442,6 milliards de dollars. Au niveau de la Belgique, le secteur compte 980 entreprises et plus de 50.000 équivalents temps-pleins par année. Le secteur a généré une valeur ajouté de 14,7 milliards d’euros en 2016 soit plus de 290 000 euros par ETP en moyenne. La Belgique représente 9,5 % de la valeur de production au niveau européen pour 2016. (12)

    Grâce à son poids dans l’économie belge. Le secteur sait organiser son influence auprès des différents politiciens des partis traditionnels qui votent des lois sur-mesure pour ce secteur. Le mécanisme fiscal de déduction pour brevet en est un exemple, mais la manière dont a été négocié le contrat de stock contre la grippe H1N1 par la ministre de la santé Laurette Onckelinkx à l’époque en est un autre (13). De manière plus générale, le secteur profite de la loi de 1996 et de ces différentes modifications qui, sous couvert de protection de la compétitivité, bloque l’augmentation des salaires en Belgique. Cela assure que les travailleuses et travailleurs de ce secteur ainsi que la collectivité ne savent pas prendre leur juste part de la richesse généré collectivement ces dernières années.

    Il est important de réfléchir avec les militantes et les militants de ce secteur afin d’orienter la production et la richesse crée dans la réponse aux besoins sociaux et à l’amélioration des conditions d’emplois.

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    Un système malade de lui-même

    Lors de la chute du mur de Berlin et de l’effondrement de l’URSS, certains commentateurs superficiels ont attribué l’échec du modèle soviétique à l’attrait des jeunes de l’Est pour le rock et les jeans. Mais ce sont des causes beaucoup plus profondes qui ont entraîné une si vaste contestation du système bureaucratique. Celle-ci a hélas abouti à une contre-révolution capitaliste au lieu d’une révolution politique qui aurait pu ouvrir la voie au socialisme démocratique. Une de ces contradictions de l’URSS résidait dans le fait que la poigne de fer bureaucratique sur l’économie planifiée empêchait cette dernière d’atteindre son plein potentiel pour répondre ainsi adéquatement aux besoins sociaux.

    Ceci nous rappelle que lorsqu’un système de production n’est pas capable de répondre aux besoins sociaux et de faire progresser la société, cela pose les germes de sa remise en cause. Le système de production capitaliste n’a jamais prétendu répondre aux besoins sociaux. La société capitaliste croule sous les marchandises mais seuls ceux qui sont en capacité d’acheter sont intéressants pour les capitalistes. Pour les autres, ceux qui sont trop pauvres pour avoir accès aux soins de santé ou à des traitements par exemple, le système produit tout un arsenal idéologique pour justifier de les laisser mourir alors que l’humanité possède les solutions pour éviter cela.

    La pénurie qui sévit dans le secteur pharmaceutique est une des illustrations de la crise du système. Même ceux qui ont la capacité d’acheter des marchandises, ne sont pas en mesure de le faire, du fait des contradictions liées à la manière dont les propriétaires de capitaux organisent la recherche, la production et la distribution.

    NOTES

    1) https://plus.lesoir.be/248632/article/2019-09-20/mobilisation-pour-sauver-la-petite-pia-un-medicament-19-million-cest-du-hold et https://fr.socialisme.be/53688/vaincre-la-cupidite-de-big-pharma-par-la-nationalisation-du-secteur de l’édition précédente.
    2) https://www.rtbf.be/info/societe/detail_penurie-de-medicaments-j-ai-l-impression-d-etre-en-temps-de-guerre-dit-un-pharmacien?id=10330859
    3) https://www.rtbf.be/info/societe/detail_la-mutualite-chretienne-liste-les-dix-medicaments-qui-coutent-le-plus-cher-a-la-securite-sociale?id=10349741
    4) https://www.lemonde.fr/culture/article/2019/02/21/antidouleurs-l-amerique-devastee-un-scandale-sanitaire-hors-du-commun_5426103_3246.html
    5) https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/273813/B142%283%29-fr.pdf?sequence=1&isAllowed=y
    6) https://www.afmps.be/fr/items-HOME/indisponibilites_de_medicaments
    7) https://plus.lesoir.be/236531/article/2019-07-15/la-penurie-de-medicaments-atteint-des-sommets
    8) https://www.lecho.be/entreprises/pharma-biotechnologie/le-modele-kiwi-au-secours-du-budget-des-soins-de-sante/10120160.html
    9) https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/10/15/l-inquietant-succes-de-l-oxycontin-puissant-antalgique-opiace_5369758_1650684.html
    10) https://www.ptb.be/nouveau_scandale_pharmaceutique_le_ptb_exige_une_audition_de_la_ministre_de_block_et_qu_on_r_clame_les_millions_vol_s
    11) https://www.bastamag.net/webdocs/pharmapapers/le-megabusiness-des-labos/1000-milliards-d-euros-de-profits-en-vingt-ans-comment-les-labos-sont-devenus-des-monstres-financiers/
    12) chiffres : courrier hebdomadaire du crisp numéro 2366-2367
    13) https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_grippe-h1n1-l-etat-belge-lie-a-gsk-le-contrat-revele?id=4989613

  • Le projet NewB peut-il moraliser la finance en Belgique ?

    Le 26 novembre à minuit, il était annoncé que l’opération de souscription de 30 millions d’euros pour la nouvelle banque NewB était une réussite : plus de 30 millions ont été récoltés dont 27 déjà encaissés. C’est une pierre de plus posée pour l’édification de ce projet de banque à propriété coopérative. La naissance d’une banque dans le paysage économique belge, qui comporte 88 institutions financière, est toujours à relever. Mais cela nécessite une attention plus soutenue lorsque cette banque se veut coopérative et dit reposer sur un projet éthique et durable visant à transformer la finance de demain.

    Par Alain (Namur)

    Un produit de la grande récession

    La crise des subprimes a déclenché un krach boursier et une récession économique dont nous ne sommes à ce jour jamais vraiment sorti. La crise fut une catastrophe pour la majorité sociale qui y a perdu en condition de vie et de travail, en protection sociale et en services publics. La crise a aussi eu comme effet de miné l’autorité du système capitaliste.

    Toute l’idée selon laquelle la « main invisible du marché » permettrait de diluer le risque des crédits NINJA (1) a été pulvérisée par la pratique. Le risque s’était éparpillé partout. Le modèle et la théorie économiques dominants ont été remis en cause. Pour sauver le système de lui même, les gouvernements ont dû procéder à des nationalisations de banques pour épurer les Junk bonds (ou «obligations pourries»). C’est la collectivité qui a payé les frais de la fête des capitalistes.

    Différentes couches de la population ont donc commencé à chercher des alternatives et des solutions. Le projet d’une banque coopérative, à l’image de NewB, fait partie des idées qui ont émergé à la faveur de la crise, au côté des appels au retour des banques publiques. C’est ainsi qu’est née la Caisse d’Investissement de Wallonie (CIW) lancée en grande pompe par le gouvernement wallon en 2009 à travers une levée de fonds de 80 millions d’euros auprès de 12.500 investisseurs privés tandis que la Région wallonne en apportait 20 millions. L’aventure s’est terminée en 2019 avec une perte de 8,5 millions d’euros.

    Le projet de coopérative bancaire NewB a été lancé en 2011. Pour pouvoir se lancer avec l’accord des autorités de supervision financières, NewB devait collecter 30 millions d’euros et, en date du 26 novembre 2019, plus de 65.000 personnes avaient adhérer au projet. Cela revient donc à environ 450 euros par personne. Mais cette moyenne cache une distribution bien plus complexe. Il y a 3 types de coopérateurs : les coopérateurs ordinaires (part à 20 euros), les coopérateurs sociétaires (part à 2000 euros) et les coopérateurs investisseurs (part à 200.000 euros). Il est fort à parier que les objectifs ne sont pas identiques auprès de ces trois types de coopérateurs. Cela pourra à moyen terme entraîner des polémiques à l’assemblée générale. De plus, le projet commercial de la banque doit être affiné dans les années à venir car la banque ne devrait pas s’impliquer dans le crédit hypothécaire, cela étant considéré comme à risque.

    Les contraintes de rentabilité ne seront pas absentes du projet puisque la banque prévoit d’être en position de rentabilité dans les 4 à 5 ans. Il faudra voir au final si les ambitions communiquées au cours de la campagne de communication sauront être tenues. La part de type B (à 20 euros) a déjà été dégradée à un peu moins de 5 euros de valeur car il y a une mise de départ d’environ 11 millions à épurer.

    Le journal Le Soir dans un article très éclairant en disait : « En juin 2020, la coopérative, si elle devient banque, prévoit de commercialiser comptes à vue, carnets d’épargne et crédits à court terme (à visée durable uniquement) pour les particuliers. Mais attention à la confusion : si NewB se veut inclusive, elle n’a pas pour objectif d’être une banque bon marché, son objet social est de fournir « un service bancaire coopératif, simple, sûr et durable » à ses membres. Ce qui a un coût ». (2)

    Les tarifs des comptes pour les clients ne sont pas encore déterminés, mais au vu de l’absence de distributeurs de billet NewB, un retrait en cash coûtera 0,75€ pour payer les autres banques. La banque ne disposera que de compte d’épargne non réglementé avec un taux de 0% alors que la rémunération de l’épargne est généralement de 0,11 % (intérêts et prime de fidélité) dans la majorité des banques pour des comptes réglementés (avec absence d’imposition sur les premiers 980€ d’intérêts annuels).

    Un projet qui suscite un certain engouement

    Plus de 65.000 personnes (individus, associations, mouvements de jeunesse, syndicats, universités, pouvoirs publics, mais essentiellement du côté francophone), avec un pic d’âge à 29 ans, qui investissent plus de 30 millions dans une baque coopérative à vocation éthique et citoyenne, c’est un fait social. Cela illustre que, suite à la grande récession, une couche de la population a tiré la conclusion que l’économie ‘casino’ et le contrôle des boursicoteurs sur la politique économique menace la planète et l’humanité.

    A certains égards, cette conscience a des aspects anticapitalistes. Mais ceux-ci sont essentiellement dirigés contre le monde de la finance. La manière dont la crise s’est déclenchée après la chute de Lehman Brother et la recapitalisation par l’Etat américain de Freddie Mac et Fanny Mae, la contagion de la crise financière sur l’économie dite ‘réelle’ et l’explication superficielle qui en a été donnée par les commentateurs traditionnels ont forgé cette conscience.

    Malgré tout, nous estimons au PSL que cette conscience retarde par rapport aux développements auxquels nous faisons face actuellement. Nous sommes à un moment charnière dans la situation mondiale. L’économie est à l’orée d’une nouvelle récession, dont le déclencheur immédiat le plus probable est la guerre commerciale entre les deux plus grandes puissantes mondiales, les USA et la Chine. Si l’instabilité et la volatilité caractérisent les relations entre les différentes puissances, c’est également le cas au sein même des divers pays. La politique néolibérale est largement contestée par la majorité sociale, mais celle-ci ne dispose pas encore des outils politiques qui lui sont nécessaires pour défier les possédants. Quant à ces derniers, ils n’ont pas encore trouvé de politique économique qui leur permette de retrouver une certaine stabilité soutenue par des profits juteux. (Lire par ailleurs à ce sujet : 2019 : Un tournant décisif dans un processus de révolution et de contre-révolution)

    La finance dans le système capitaliste

    La majorité des personnes qui voient en NewB une solution face au pouvoir de la finance n’ont pas encore tiré la conclusion que c’est l’ensemble du système qui est à rejeter. Elles n’ont pas encore analysé le lien entre la finance et l’économie dite ‘réelle’. La manière dont la finance a pu prendre un tel poids par rapport à la production, la circulation et l’échange de marchandises est une question qui mérite d’être examinée en profondeur. Beaucoup de choses ont été écrites à ce sujet par les marxistes. Par Marx tout d’abord, mais aussi par Rudolf Hilferding, Rosa Luxembourg et Lénine lors du débat sur l’impérialisme au début du 20e siècle. Ces échanges nous livrent des éléments d’explications sur les conséquences pratiques de l’impérialisme pour la situation mondiale.

    Dans l’ouvrage de Lénine « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme », on peut notamment lire : « La fonction essentielle et initiale des banques est de servir d’intermédiaire dans les paiements. Ce faisant, elles transforment le capital-argent inactif en capital actif, c’est-à-dire générateur de profit, et réunissant les divers revenus en espèces, elles les mettent à la disposition de la classe des capitalistes. Au fur et à mesure que les banques se développent et se concentrent dans un petit nombre d’établissements, elles cessent d’être de modestes intermédiaires pour devenir de tout-puissants monopoles disposant de la presque totalité du capital-argent de l’ensemble des capitalistes et des petits patrons, ainsi que de la plupart des moyens de production et de sources de matières premières d’un pays donné, ou de toute une série de pays. Cette transformation d’une masse d’intermédiaires modestes en une poignée de monopolistes constitue un des processus essentiels de la transformation du capitalisme en impérialisme capitaliste. »

    En envisageant la finance isolément du reste du système capitaliste, on oublie que c’est l’ensemble du système qui est à rejeter et donc en premier lieu ce qui en est le fondement. Et le fondement du rapport social capitaliste se situe dans le salariat. Si l’on écarte cet élément de l’équation, on évacue aussi les méthodes de lutte qui y sont liées : les luttes à caractère collectif qui ont pour but de faire une incursion dans la propriété capitaliste des moyens de productions. Il reste alors différentes méthodes de luttes qui ne se basent pas sur le monde salarié, mais sur l’action individuelle et la tentative de moraliser le système ou de s’écarter de ses lois via des coopératives de production et de coopération.

    Les méthodes de lutte à utiliser pour parvenir à un monde meilleur constituent un débat déjà ancien dans le mouvement ouvrier. Depuis les socialistes ricardiens (3), les utopistes et les anarchistes, entre autres, une une myriade d’expériences ont été collectée par le mouvement, résumée par la théorie socialiste. Tout en étant convaincus de l’intérêt de la théorie pour nous orienter dans l’action, nous savons que l’on ne convainc pas la majorité des gens avec des développements théoriques

    La vérité est toujours concrète

    Le mouvement ouvrier a toujours testé dans la pratique les différentes théories qui se sont présentées à lui. En ce sens, le mouvement coopératif n’est pas un nouveau débat. Les équitables pionniers de Rochdale, des tisserands anglais, ont lancé en 1848 la première société coopérative. L’ensemble du mouvement ouvrier s’est emparé de cette idée et a donné naissance au mouvement coopératif. Celui-ci tient une place importante dans l’histoire sociale de Belgique. Mais il a toujours été limité dans son potentiel par les lois du capitalisme.

    Rosa Luxembourg en disait justement ceci dans son ouvrage « Réforme sociale ou révolution »: « Les coopératives, et d’abord les coopératives de production sont des institutions de nature hybride au sein de l’économie capitaliste : elles constituent une production socialisée en miniature, qui s’accompagne d’un échange capitaliste. Mais dans l’économie capitaliste l’échange domine la production ; à cause de la concurrence il exige, pour que puisse vivre l’entreprise, une exploitation impitoyable de la force de travail, c’est-à-dire la domination complète du processus de production par les intérêts capitalistes. Pratiquement, cela se traduit par la nécessité d’intensifier le travail, d’en raccourcir ou d’en prolonger la durée selon la conjoncture, d’embaucher ou de licencier la force de travail selon les besoins du marché, en un mot de pratiquer toutes méthodes bien connues qui permettent à une entreprise capitaliste de soutenir la concurrence des autres entreprises. D’où, pour la coopérative de production, la nécessité, contradictoire pour les ouvriers, de se gouverner eux-mêmes avec toute l’autorité absolue nécessaire et de jouer vis-à-vis d’eux-mêmes le rôle d’entrepreneurs capitalistes. De cette contradiction la coopérative de production meurt, en ce sens qu’elle redevient une entreprise capitaliste ou bien, au cas où les intérêts des ouvriers sont les plus forts, qu’elle se dissout »

    La Belgique compte actuellement 88 banques dont : 56 de droit étranger, 18 de droit belge mais majoritairement contrôlé par l’étranger et 14 de droit belge à majorité belge. Il y a 272,6 milliards d’euros sur les comptes épargnes belges et 332,4 milliards en fond de placement (4). Cela signifie que NewB ne sera qu’une portion infime (0,000826% si on compte 50 millions) du capital présent dans notre pays. Ce sera trop juste pour influencer la manière dont fonctionne la finance en Belgique.

    Mais la présence de NewB ne pourrait-elle pas servir d’exemple ? Pourrait-il s’agir d’une sorte « d’échantillon de perfection éthique » qui pourrait aiguiller le reste du marché ? Nous ne le pensons pas, mais il s’agit d’une question qui sera avant tout tranchée par la pratique. L’exemple de la Caisse Wallonne d’Investissement est toutefois assez édifiant.

    Cette caisse lancé en 2009 en pleine crise par le gouvernement wallon pour répondre à la volonté grandissante de réglementation du secteur financier et à l’aspiration au retour d’une CGER a donc été lancée avec 20 millions de fond public et 80 millions récoltés via des obligations. Elle a dû attendre 2018 pour commencer à dégager du bénéfice. Elle a commencé son histoire en perdant 5 millions sur les obligations grecques. Ensuite, certaines entreprises ont fait faillites et ont augmenté la sinistralité dans les prêts à hauteur de 3 millions. On en arrive à une perte de 8,5 millions sur 10 ans. Malgré cela, les initiateurs s’estiment heureux car, en comparaison, le modèle Archimède en Flandre à perdu 54 millions sur une levée de fonds de 110 millions.(5)

    Coopérative, banque publique ou nationalisation du secteur ?

    Dans un débat télévisé, Bernard Bayot, le président de NewB, a fait référence aux années ’80 pour défendre un retour à un secteur bancaire plus diversifié. (6) Il y expliquait qu’alors, les banques commerciales «  fonctionnent pour les dividendes aux actionnaires » au côtés de banques publiques « pour l’intérêt général » et de banques coopératives « pour servir leurs clients-actionnaires ».

    En formulant les choses ainsi, il a le mérite de reconnaître ainsi les limites de l’initiative de coopérative qui ne peut remplacer un secteur public qui permettrait à l’État de mobiliser l’épargne comme source de financement pour l’intérêt général. Par certains aspects, le PTB suit la même logique. Ainsi, Raoul Hedebouw écarte la nationalisation de l’ensemble du secteur bancaire dans une interview au journal Le Soir en répondant : « On remet sur pied une banque publique, comme on avait la CGER et le Crédit communal, ce qui suppose une mise de départ de 1 à 2 milliards, puis elle rapporterait. Donc une banque fédérale qui pourra récolter l’épargne des gens, garantir un rendement, investir dans l’économie réelle. Les banques privées restent par ailleurs, mais ce serait une banque plus sûre. » (7)

    Mais une banque publique ou une banque coopérative qui refuse les investissements spéculatifs peut-elle résister à la concurrence de banques privées qui, dans des périodes de hauts rendements spéculatifs, sont plus attractives ? C’est pour cela que la CGER (l’ex Caisse Générale d’Épargne et de Retraite) ou des coopératives (comme Arco, dépendant du mouvement ouvrier chrétien) ont été absorbées par le marché bancaire privé. Nous avons assez renfloué le secteur privé avec l’argent de la collectivité ! Réclamons notre dû et plaçons l’ensemble du secteur financier dans les mains de la collectivité ! C’est ainsi que nous pourrons en finir avec la spéculation tout en garantissant tout à la fois la sécurité de l’épargne ainsi que de très bas taux d’intérêts pour les petits commerçants et les particuliers. C’est aussi ainsi que nous serions en mesure de mobiliser l’épargne de la population pour des investissements sociaux et environnementaux qui répondent aux besoins de la population en termes infrastructure, d’énergie renouvelable, de crèches et d’écoles, de transports publics, d’institutions de soin de santé et de logements sociaux.

    Pour répondre à la crise du capitalisme, il est vain de vouloir domestiquer les marchés. Le mouvement des travailleurs doit s’appuyer sur un programme de lutte bien élaboré et sur un système de mesures socialistes telles que la nationalisation des banques et des secteurs clés de l’économie et le non-paiement de la dette publique afin d’assurer la transition du capitalisme au socialisme démocratique. Avec un outil politique qui permet d’organiser notre force collective, nous pouvons en finir avec ce régime d’exploitation. Construire cet outil c’est ce à quoi nous nous attelons.

    Note :

    1) Prêt NINJA : un prêt accordé à des ménages n’ayant ni revenus, ni travail, ni actifs (de l’anglais « No Income, No Jobs and No Assets »). Typiques de l’industrie des prêts hypothécaires aux Etats-Unis et apparus dans les années 2000, les Prêts NINJA ont attiré l’attention du public à partir de l’été 2007, lorsque la crise des subprimes a éclaté.
    2) https://plus.lesoir.be/263826/article/2019-11-29/voici-quoi-ressemblera-la-banque-newb
    3) Le socialisme ricardien est une branche de la pensée économique classique basée sur le travail de l’économiste David Ricardo (1772-1823). Le terme est utilisé pour décrire les économistes des années 1820 et 1830 qui ont développé une théorie de l’exploitation capitaliste à partir de la théorie développée par Ricardo selon laquelle le travail est la source de toutes les richesses et de la valeur d’échange.
    4) https://www.febelfin.be/sites/default/files/2019-06/facts_figures_2018_-_version_fr.pdf
    5) https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/wallonie/la-caisse-wallonne-d-investissement-beneficiaire-en-2018/10124306.html
    6) https://www.rtbf.be/info/societe/detail_cqfd-newb-un-investissement-a-risque?id=10371375
    7) https://plus.lesoir.be/245799/article/2019-09-05/la-rentree-de-raoul-hedebouw-ptb-elio-di-rupo-mene-une-politique-de-droite

  • France. Après le succès du 5 décembre, construire partout la grève générale reconductible

    Photo : Wikipedia

    Ce jeudi 5 décembre, la première journée de grève et de manifestation contre le projet de réforme des retraites a rencontré un succès éclatant et historique. Selon les syndicats, pas moins de 1,5 million de personnes ont participé aux près de 250 cortèges dans tout le pays. A titre de comparaison, la première journée de grève et de manifestation contre le projet de loi travail en 2016 avait réuni 500.000 personnes selon les estimations des mêmes syndicats ! Une nouvelle journée de lutte a été annoncée pour ce 10 décembre tandis que la grève a été reconduite dès ce vendredi dans plusieurs secteurs et que le 12 devrait également être une nouvelle date de mobilisation générale.

    Par Nicolas Croes 

    Avant même que la journée du 5 ne commence, il était évident que ce mouvement allait connaître une affluence de masse. La veille, un sondage Harris Interactive pour RTL et AEF Info indiquait encore que 69% des Français soutenaient le mouvement de grève contre la réforme des retraites. L’affluence aux manifestations n’a pas démenti ces chiffres, même si de nombreux manifestants se sont rendus aux points de rendez-vous la peur au ventre après une année marquée par la violence policière et les milliers de blessés du mouvement des Gilets jaunes.

    Les manifestations ont réuni des cheminots, des agents de la RATP (le service de transports en commun parisien), des travailleurs du secteur de la santé, des enseignants, des retraités, des travailleurs d’entreprises privées, des Gilets jaunes,… Les syndicats affirment que 70 % des enseignants étaient en grève, une partie d’entre eux l’ont à nouveau été le vendredi. La CGT estime à 45 % le taux de grévistes dans la seule fonction publique d’Etat. A EDF (Électricité de France), la CGT fait état de 50 % à 60 % des salariés en grève. A la SNCF, 61,4 % des cheminots étaient en grève selon la CGT, qui y a appelé à une grève illimitée aux côtés de l’UNSA-Ferroviaire et de SUD-Rail. A la RATP, dix lignes de métro sont restées fermées, plus que lors de la précédente grève, qui avait quasiment paralysé la capitale le 13 septembre. Même dans des entreprises aux traditions syndicales moins fortes, comme à Orange, les syndicats ont estimé la proportion de grévistes à 15 %, soit l’un des taux les plus élevés depuis les années 2000.

    Les ports et les docks étaient également à l’arrêt tandis que des chauffeurs routiers ont organisé des opérations de blocage. Sept des huit raffineries françaises étaient en grève, du «jamais vu » selon le syndicaliste CGT Emmanuel Lépine, en comparaison des précédents mouvements dans les raffineries (2018 sur les salaires, 2016 contre la loi El Khomri, 2010 contre la réforme Sarkozy des retraites). Quatre d’entre elles étaient encore en grève le vendredi. Même la police a été touchée par la grève, alors que le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner avait tenté de rassurer les policiers en affirmant que leur régime particulier de retraite sera « maintenu ».

    Elargir la lutte

    Personne ne pensait qu’une seule mobilisation, aussi impressionnante soit-elle, parviendrait à faire reculer le gouvernement. Dans plusieurs endroits, les grèves ont été reconduites (SNCF, RATP, certains enseignants,…) avant même d’attendre la réunion de l’intersyndicale CGT-FO-Solidaires-FSU et des quatre organisations de jeunesse qui se sont réunies le vendredi 6 au matin. De cette rencontre est sortie une nouvelle journée de grèves et de manifestations : ce mardi 10 décembre.

    Des assemblées générales ont déjà eu lieu à différents lieux de travail, le tout est maintenant de les développer et d’ancrer le mouvement le plus fortement possible auprès des collègues, en les impliquant démocratiquement dans l’organisation de la lutte, notamment dans la reconduction de la grève.

    Sur la chaine LCI, le secrétaire général de la CGT Philippe Martinez expliquait : « Il faut généraliser les grèves dans toutes les entreprises (…) Il faut reconduire (la grève) jusqu’à avoir satisfaction sur le principe que cette réforme va générer de la misère et qu’il faut donc s’appuyer sur notre socle social qui est un des meilleurs au monde et l’améliorer pour les jeunes, les femmes, les précaires ».

    Le spectre qui plane sur l’administration Macron est celui du mouvement de grève contre la réforme des retraites en 1995, qui avait paralysé les transports publics pendant trois semaines et qui avait bénéficié d’un soutien populaire massif, forçant le gouvernement à revenir en arrière. Il s’agissait des plus importantes grèves depuis celles de Mai 68. C’est de ce type de potentiel dont nous parlons aujourd’hui.

    La puissance du mouvement actuel est telle que le parti le plus anti-grève qui soit, le Rassemblement national de Marine Lepen (ex-Front National), s’est senti obligé de soutenir le mouvement du bout des lèvres. Selon le sondage Harris Interactive dont il est question plus haut, pas moins de 75% des électeurs de Marine Le Pen soutiennent le mouvement. Cette lutte peut donc également jouer un grand rôle pour combattre l’extrême droite en soulignant ce qui unit les travailleurs quelle que soit leur religion ou la couleur de leur peau. La rhétorique de division de l’extrême droite ne tient pas face à une mobilisation sociale conséquente. Mais si le mouvement abouti à un échec ou s’il est trahis par les directions syndicales, le cynisme et la désillusion ouvriront un boulevard à l’extrême droite.

    La France Insoumise et les Gilets jaunes

    En France, le potentiel d’une lutte réunissant les différents mouvements sociaux contre Macron et le monde de l’argent qu’il représente n’a pas manqué d’illustrations. Déjà durant la campagne électorale, la campagne de la France Insoumise (FI) et son programme, notamment autour de la « planification écologique », avait élevé le débat sur le type de riposte nécessaire contre l’austérité et la destruction de notre environnement.

    Au début de la présidence de Macron, la FI a pris de très bonnes initiatives pour appuyer la lutte syndicale et tenter d’aider à surpasser l’indécision qui régnait aux sommets syndicaux. Les directions syndicales, avec des nuances, ont hélas bloqué toute tentative allant vers un mouvement de lutte national appuyé par la grève générale. La FI a poursuivi ses initiatives, mais peut-être avec davantage d’accent sur le combat parlementaire. Avec la fin des initiatives dans la rue, et confrontés aussi à une structuration du mouvement qui ne permettait pas la meilleure implication de la base, beaucoup de partisans ont pu se demander ce qu’il leur restait à faire au-delà d’applaudir le travail des élus. C’est certain, la campagne médiatique qui s’est déchaînée contre la FI n’a pas aidé. Ces mêmes médias n’ont d’ailleurs pas manqué par la suite de s’en prendre brutalement au mouvement des Gilets Jaunes, comme c’est également chaque fois le cas quand les travailleurs relèvent la tête.

    Quand le mouvement des Gilets jaunes a surgi il y a un an, il fut le plus fort là où une convergence a pu être trouvée avec le mouvement des travailleurs, en dépit des réticences de certaines directions syndicales, comme à Toulouse où le blocage a été massif à plusieurs reprises, aussi grâce au renfort des syndicats de routiers.

    Aujourd’hui, alors que le mouvement des travailleurs utilise son outil de travail comme outil de combat grâce à la grève, une puissante convergence des luttes est possible autour de lui. Comme à chaque mouvement social d’ampleur, les références à Mai 68 ne manquent pas dans la presse ou sur les réseaux sociaux. Au plus fort de ce véritable mois de révolution, la combinaison de la jeunesse en lutte et d’une grève générale forte de 10 millions de travailleurs a failli renverser le système. La colère sociale atteint actuellement un point d’ébullition similaire à celui de l’époque. Avec un tel type de lutte, une véritable grève générale reconductible reposant sur des assemblées des travailleurs et de la jeunesse en lutte, nous pourrions arracher nos revendications.

    C’est tout le système qui doit dégager !

    La productivité au travail a grandement augmenté ces dernières décennies : nous produisons plus, avec moins de travailleurs. Il est faux de dire que les retraites sont impayables : il n’y a jamais eu autant de richesses qu’aujourd’hui. Il y a non seulement moyen de payer nos retraites, mais aussi de répondre aux nombreuses pénuries qui font craquer la société de partout.

    Les assemblées locales de travailleurs et de jeunes (sur les lieux de travail, dans les quartiers,…) peuvent non seulement permettre de démocratiquement décider de la reconduction de la grève et des mesures qui s’imposent pour la renforcer, mais aussi débattre collectivement de l’élaboration d’un cahier de revendications plus large tel que celui-ci :

    • La baisse immédiate et le blocage des prix de l’essence et de l’énergie ;
    • Des revenus pour vivre, pas pour survivre : augmentation des salaires et des allocations sociales et leur indexation sur les prix, y compris du carburant ;
    • Une sécurité d’emploi avec de vrais contrats de travail à durée indéterminée ;
    • C’est au chômage qu’il faut s’en prendre, pas aux chômeurs : réduction du temps de travail à 32 heures par semaine sans perte de salaire et avec embauche compensatoire ;
    • Mettre les besoins au centre de la politique : transports publics gratuits et non polluants, services publics (notamment de proximité : crèches, écoles, maternités, bureaux de poste, logements publics sociaux, …) ;
    • La (re)mise en place de l’impôt sur la fortune, la lutte contre l’évasion fiscale par les ultra-riches et les multinationales, y compris par la réquisition sous contrôle démocratique des entreprises, la fin des taxes indirectes (TVA, etc.) remplacées par une imposition forte des riches et des grandes entreprises ;
    • Un grand service public environnemental pour créer des centaines de milliers d’emplois nécessaires à la transition énergétique et écologique (agriculture écologique, alimentation en circuits courts, énergies renouvelables,…) ;

    Réaliser un tel programme nécessite des mesures réellement socialistes telles que la nationalisation et l’unification de tous le secteur financier dans un service national d’investissement et de financement sous contrôle démocratique de la collectivité, de même que la nationalisation des secteurs-clés de l’économie afin que les grandes entreprises ne puissent continuer à saboter la transition écologique et que la planification démocratique et écologique, basée sur les besoins y compris écologiques, devienne possible.

    Si la France se soulève aujourd’hui, elle est loin d’être la seule. Depuis les premiers pas de la révolte des Gilets jaunes, le développement des luttes de masse et des grèves générales aux caractéristiques révolutionnaires fut puissant à travers le monde. Et la liste des pays aux prises avec un soulèvement de masse n’est pas encore terminée. Engageons-nous avec confiance dans cette nouvelle ère de lutte avec l’ambition de conduire les travailleurs et les masses à renverser le système d’exploitation capitaliste pour que l’humanité toute entière puisse accéder à une véritable émancipation au travers de la construction d’une société socialiste démocratique.

  • 2019 : Un tournant décisif dans un processus de révolution et de contre-révolution

    Manifestation de masse au Chili. Photo : Wikimedia Commons

    2019 marque un tournant politique certain à l’échelle mondiale. Ces derniers mois, nous avons assisté au développement de luttes de masse et de grèves générales aux caractéristiques révolutionnaires dans le monde entier. Cette explosion massive provient de la colère accumulée à l’égard des dirigeants, de leur néolibéralisme et de l’absence de démocratie. Ces manifestations ont également mis en évidence certains éléments fondamentaux d’une lutte socialiste, notamment la force de la classe ouvrière et la nécessité de l’internationalisme.

    Par Per-Ake Westerlund

    Parallèlement, les gouvernements, les dictateurs et les généraux ont prouvé que la classe dirigeante ne se retirera pas volontairement du pouvoir. Dans plusieurs pays, les manifestants pacifiques et les jeunes militants ont été confrontés à la contre-révolution armée et à la répression brutale.

    A travers le monde, la plupart des gouvernements restent silencieux quant à cette violence de la contre-révolution, ou appellent simplement au “calme”. Les médias parlent d’”affrontements violents” entre les forces de l’Etat et les manifestants. Le fait est que cette “violence” provient partout des attaques lancées par les forces étatiques contre-révolutionnaires lourdement armées, alors que les manifestants ne cherchent qu’à se défendre. En Bolivie, plus de 30 personnes ont été tuées par les forces de l’État au cours des deux dernières semaines, dont huit lors d’un massacre à El Alto le 19 novembre.

    Pour l’impérialisme et les gouvernements, ces événements représentent une vive mise en garde contre les faiblesses de leur système mondial, le capitalisme. Cette vague de protestations de masse prend place dans un contexte de forte croissance des conflits inter-impérialistes et de ralentissement probable de l’économie mondiale, tandis que la crise climatique s’aggrave.

    Les mobilisations de masse continuent de se répandre, l’Iran et la Colombie étant les lieux les plus récents où elles ont éclaté, la semaine dernière. En Iran, à la suite d’une nouvelle hausse drastique des prix du carburant, des manifestations ont eu lieu dans plus d’une centaine de villes. Le fardeau économique que supportent les travailleurs et les pauvres a immédiatement été lié à la dictature théocratique. Le chef suprême, Khamenei, est apparu à la télévision pour condamner les manifestations et défendre que les revenus supplémentaires provenant du carburant étaient destinés aux plus pauvres. La manœuvre n’a fait qu’augmenter la colère et nous avons pu voir des photos de Khamenei être brûlées par les manifestants. En Colombie, la grève générale du 21 novembre, avec 250.000 manifestants, a été suivie par d’autres manifestations dans les jours qui ont suivi pour s’opposer aux privatisations et aux coupes budgétaires dans les pensions. L’État a répondu par un couvre-feu à Bogota et une forte présence policière.

    Les comparaisons avec 2011

    Divers commentateurs ont fait des comparaisons historiques avec les années 1848 et 1968, des années de luttes révolutionnaires et pré-révolutionnaires qui se sont étendues à de nombreux pays. Des comparaisons ont également été faites avec l’année 2011, lorsque le processus de révolution et de contre révolution en Afrique du Nord et au Moyen Orient a renversé Moubarak en Egypte et Ben Ali en Tunisie. Aujourd’hui, près de neuf 9 ans plus tard, la vague de protestations de masse a un caractère beaucoup plus mondial et comporte des revendications sociales plus explicites concernant l’emploi, l’eau, l’électricité, etc.

    Sur le plan politique, les masses ont également tiré la conclusion qu’un changement de régime ne suffit pas à lui seul. Au Soudan, les leçons de l’Egypte, où une nouvelle dictature a été instaurée avec Al-Sisi à sa tête, ont conduit les masses à poursuivre leurs mobilisations après qu’Al-Bashir ait été renversé.

    Par rapport à l’année 2011 et aux autres manifestations de ces dernières années, les luttes de 2019 durent beaucoup plus longtemps. Les manifestations en Haïti ont commencé en février et à Hong Kong en juin. La “révolution d’octobre” au Liban a forcé le Premier ministre Hariri à démissionner après deux semaines, mais elle se poursuit toujours. A la mi-novembre, les employés des banques étaient en grève pour une durée indéterminée, des routes étaient bloquées dans tout le pays et les bâtiments de l’Etat étaient assiégés par des manifestations. L’Algérie a connu des manifestations de masse tous les vendredis, même après que Bouteflika ait été contraint de démissionner, avec notamment pour slogan “Nouvelle Révolution”.

    Les jeunes et les femmes ont joué un rôle de premier plan dans de nombreux cas, sans aucun doute sous l’inspiration des grèves pour le climat de la jeunesse et du mouvement mondial pour l’émancipation des femmes. 7,6 millions de personnes ont participé aux grèves pour le climat en septembre dernier. La prise de conscience sur ce thème est croissante, de même qu’au sujet de la nécessité de construire un mouvement pour obtenir un changement radical de société. Les grèves et les mouvements féministes ont également un caractère international et recourent à l’arme de la grève.

    Là où la classe ouvrière est entrée en action de manière décisive avec des grèves générales et des vagues de grèves, le rapport de force a été très clair : la petite élite s’est retrouvée isolée face à la majorité des travailleurs et des pauvres. Cela a également souligné le rôle économique et collectif de la classe ouvrière, la seule force capable de réaliser une transformation socialiste de la société.

    De nombreuses questions s’entrecroisent dans ces mouvements ; les difficultés économiques et le manque de démocratie, l’oppression sexiste ou encore l’environnement. C’est ce qu’a très bien illustré le mouvement en Indonésie à la fin du mois de septembre. Des protestations étudiantes dans plus de 300 lieux d’études supérieures ont été déclenchées par une loi interdisant les rapports sexuels hors mariage, une loi dirigée contre les personnes LGBTQ+. Mais, immédiatement, les thèmes de la corruption et de la destruction des forêts tropicales ont été intégrés dans les mobilisations.

    “Amusantes et excitantes”

    Les “experts” bourgeois ont de grandes difficultés à expliquer ces mouvements. L’agence de presse Bloomberg souligne qu’il ne s’agit pas de protestations de la classe ouvrière, mais plutôt de “consommateurs” réagissant contre une hausse du coût du carburant, des taxes ou des frais de déplacement. Cela sous-estime totalement les fortes revendications politiques des mouvements. Il est toutefois à noter que, dans la plupart des pays, un mouvement des travailleurs fort, organisé et unifié reste encore à construire.

    La revue The Economist rejette l’idée que ces mobilisations puissent être liées au néolibéralisme et aux politiques appliquées par les gouvernements. Il défend qu’il est “inutile de rechercher un thème commun”, affirme que ces mobilisations sociales peuvent être “plus excitantes et encore plus amusantes que la vie quotidienne épuisante” et avertit que “la solidarité devient une mode”. Cela n’explique rien bien entendu. Pourquoi donc ces protestations de masse prennent-elles place précisément aujourd’hui ? Pourquoi ce genre de “plaisir” n’a-t-il pas toujours été si apprécié ?

    En tant que marxistes, nous devons considérer et analyser à la fois les dénominateurs communs, les forces et les faiblesses de ces mouvements ainsi que les différentes forces de la contre-révolution. Des particularités nationales sont bien entendu à l’oeuvre, mais il existe également de nombreuses caractéristiques communes.

    Que trouve-t-on derrière cette explosion de colère ?

    Il s’agit d’un tournant mondial créé par les profondes crises politiques et économiques que subit le capitalisme, par les impasses et le déclin auxquels ce système est confronté. Le Comité pour une Internationale Ouvrière (majoritaire) a déjà la question dans de nombreux débats et documents. La classe dirigeante s’appuie politiquement sur le populisme et le nationalisme de droite, dans un système économique de plus en plus parasitaire. La classe capitaliste ne dispose d’aucune issue.

    Contre qui ces manifestations de masse sont-elles dirigées ? Qu’est-ce qui se cache derrière la colère explosive ?

    1) On constate une haine extrême des gouvernements et des partis. Au Liban, le slogan dominant est “tout doit partir”. Contrairement au grand mouvement de 2005, cette revendication s’adresse désormais aussi au Hezbollah et à son leader, Nasrallah. En Irak, le mouvement veut interdire à tous les partis existants de se présenter aux prochaines élections, y compris le mouvement de Muqtada al-Sadr qui a su instrumentaliser les précédentes mobilisations sociales. Les étudiants de Bagdad ont arboré une banderole intitulée “Pas de politique, pas de partis, ceci est un réveil étudiant”. Au Chili, les gens crient dans la rue “Que tous les voleurs s’en aillent”. L’opposition aux gouvernements s’est également manifestée en République tchèque le week-end dernier, 300.000 personnes manifestant contre le président milliardaire.

    2) Cette haine repose sur des décennies de néolibéralisme et de baisse des conditions de vie ainsi que sur l’absence de perspectives d’avenir. Le Fonds monétaire international (FMI) conseille de continuer à appliquer les recettes néolibérales en réduisant les subventions publiques, ce qui fut précisément à l’origine des révoltes au Soudan et en Équateur. Au Liban, 50 % des dépenses de l’État sont consacrées au remboursement de la dette. De nouvelles mesures d’austérité ont également constitué l’élément déclencheur en Haïti, au Chili, en Iran, en Ouganda et dans d’autres pays. Ce n’est qu’une question de temps avant que cela n’atteigne d’autres pays, le Nigeria par exemple. Tout cela est lié à l’extrême augmentation des inégalités, Hong Kong et le Chili en étant des exemples clés.

    Les grèves et les manifestations

    Les luttes présentent de nombreuses caractéristiques communes et importantes.

    1) Dans de nombreux pays, tout a commencé avec d’énormes manifestations pacifiques. Deux millions de personnes ont manifesté à Hong Kong en juin (sur une population totale de 7,3 millions d’habitants), de même que plus d’un million au Chili et au Liban ou encore plusieurs centaines de milliers sur la place Tahrir à Bagdad. Dans la plupart des cas, ces protestations ne se sont pas limitées aux capitales ou aux grandes villes, mais se sont étendues à des pays entiers.

    2) Les grèves générales ont été décisives pour renverser des régimes ou les faire vaciller. L’année 2019 a débuté avec une grande grève générale en Inde (150 millions) et s’est poursuivie en Tunisie, au Brésil et en Argentine. Cet automne, des grèves générales ont eu lieu en Équateur, au Chili (par deux fois), au Liban, en Catalogne et en Colombie. Des grèves à l’échelle d’une ville ont également eu lieu à Rome et à Milan. L’Irak a connu de grandes grèves des enseignants, des dockers, des médecins, etc. Les bâtiments du gouvernement ont été occupés (à l’instar de la banque centrale du Liban à Beyrouth) ou incendiés dans de nombreuses villes irakiennes. Des routes ont été bloquées en Irak et au Liban, comme au Pérou, où les populations autochtones luttent pour stopper les projets miniers qui menacent l’environnement. La méthode des barrages routiers a également été utilisée par les Gilets Jaunes en France.

    3) De nouvelles méthodes sont nées de la lutte tandis que les traits d’une nouvelle société étaient esquissés. A Bagdad, la place Tahrir a repris la tradition née de l’occupation de la place du même nom en Egypte en 2011. Une grande tente y sert d’hôpital, des transports gratuits sont organisés autour de l’occupation et un journal est même édité quotidiennement. Des assemblées populaires ont vu le jour en Équateur et des assemblées locales ont également émergé au Chili. Au Liban, les étudiants ont quitté les universités pour aller enseigner dans les villes. A Hong Kong, les jeunes ont inventé un certain nombre de méthodes à utiliser dans les affrontements de rue, pour faire face aux gaz lacrymogènes et à la répression.

    4) La division sectaire a été surmontée par la lutte menée en commun, une caractéristique typique des luttes révolutionnaires. Au Liban, les musulmans chiites et sunnites luttent aux côtés des chrétiens. En Irak, les chiites et les sunnites se battent également ensemble, même si les mobilisations concernent encore surtout les régions chiites du pays. En Amérique latine, les organisations indigènes jouent un rôle de premier plan en Équateur, au Pérou et au Chili de même que dans la résistance au coup d’État en Bolivie.

    5) L’internationalisme est présent de manière évidente dans ces mouvements. Des déclarations de solidarité ont été envoyées d’Irak vers les manifestations en Iran. En Argentine, une grande manifestation a eu lieu à Buenos Aires contre le coup d’Etat en Bolivie.

    De premières victoires

    Les mouvements ont remporté des victoires conséquentes et obtenus des concessions sérieuses. Des dictateurs de longue date ont été renversés au Soudan et en Algérie, le gouvernement équatorien a fui la capitale, des ministres ont démissionné au Liban, au Chili et en Irak. Au Chili, le président Pinera a d’abord affirmé que le pays était “en guerre” contre les protestations, puis a dû “s’excuser” et retirer toutes les mesures qui ont déclenché le mouvement. De même, en France, Macron a été contraint de revenir sur le prix du carburant et d’augmenter le salaire minimum en réponse aux protestations des Gilets jaunes. Dans la plupart des cas, ces reculs de la part des autorités n’ont pas empêché les protestations de se poursuivre.

    Hong Kong 

    La lutte à Hong Kong se distingue des autres à bien des égards. Nous disposons de camarades sur le terrain qui peuvent nous livrer des analyses et des informations de première main. Cette lutte a été marquée par l’incroyable détermination et le courage de la jeunesse. Le fait que Hong Kong soit gouverné depuis Pékin signifie que les reculs et concessions que les gouvernements d’autres pays ont effectués ne sont pas à l’ordre du jour à Pékin.

    En août, les camarades du CIO (majoritaire) ont averti de l’instauration d’un “état d’urgence rampant”. À la mi-novembre, cela a changé lorsque Xi Jinping a donné de nouvelles directives : les protestations devaient cesser. Le régime espérait épuiser le mouvement et recourir ensuite à la répression (comme cela avait été le cas avec le mouvement des Parapluies en 2014). Mais, au lieu de cela, le mouvement de protestation a créé une nouvelle crise majeure pour le pouvoir de Xi.

    La répression a atteint un nouveau niveau, avec des scènes de guerre les lundi 18 et mardi 19 novembre lorsque les policiers menaçaient de tirer à balles réelles et que les étudiants retranchés dans les campus universitaires tentaient de se défendre avec des cocktails Molotov et des arcs à flèches. Mardi matin, une offensive de la police a utilisé plus de 1.500 bombes lacrymogènes. Les étudiants de l’université PolyTech ont été contraints de se rendre à la police. Plus d’un millier de jeunes ont été arrêtés. Ils risquent dix ans de prison.

    Le soutien populaire impressionnant qui existe pour la lutte de la jeunesse a pris la forme de manifestations de solidarité mais il a également été illustré par la cuisante défaite subie par les partis pro-gouvernementaux lors des élections locales des districts de Hong Kong le dimanche 24 novembre.

    La lutte impressionnante menée à Hong Kong doit se poursuivre. Les tâches auxquelles le mouvement fait face sont l’organisation démocratique du mouvement, l’organisation d’une véritable grève générale et, chose décisive, l’extension du combat à la Chine continentale. La tactique des étudiants ” Sois comme l’eau” – sans forme et sans dirigeants – a donné quelques avantages dans les luttes de rue et a permis aux jeunes de contrecarrer le rôle de blocage des libéraux pan-démocrates. Mais cette approche s’est révélée incapable de porter la lutte au nouveau stade aujourd’hui nécessaire. La faiblesse des syndicats et l’absence de grève sur une longue période représentent des éléments compliquant. Politiquement, cela peut donner lieu à des illusions dans la “communauté internationale” et en particulier dans l’impérialisme américain et Trump. Cela permet également de continuer à croire en une “solution propre à Hong Kong” distincte du reste de la Chine.

    Les complications de cette période

    Au cours des débats et de la scission qui ont eu lieu au sein du Comité pour une Internationale Ouvrière cette année, la discussion sur la conscience des masses a joué un rôle important. La direction de notre ancienne section espagnole, qui a quitté notre internationale en avril, a sous-estimé les problèmes du faible niveau de conscience socialiste tandis que le groupe qui est parti en juillet a surestimé ce problème. Ce dernier groupe a donc préféré se réfugier dans l’attente d’un mouvement “authentique” au lieu de vouloir intervenir dans les mouvements actuels. Comprendre le rôle décisif que joue la classe ouvrière organisée ne signifie pas d’ignorer d’autres mouvements sociaux importants.

    La conscience peut progresser par bonds à partir de l’expérience acquise dans les luttes. C’est un processus qui a déjà commencé. Mais, dans l’ensemble, il manque aux luttes de masse d’aujourd’hui l’organisation et la direction nécessaires pour élaborer une stratégie de transformation socialiste de la société. Aucun parti des travailleurs ou de gauche capable de remplir cette tâche ne s’est développé jusqu’à présent. Les nouvelles formations de gauche ont été volatiles et politiquement faibles, comme l’illustre encore le récent exemple de Podemos qui a rejoint le gouvernement dirigé par le PSOE (social-démocrate) dans l’Etat espagnol.

    Comparer la situation actuelle avec l’année 1968 souligne à quel point le mouvement des travailleurs – partis ouvriers et syndicats – a reculé en termes de base militante active. Cela signifie cependant également que les partis communistes staliniens et la social-démocratie disposent de moins de possibilités de bloquer et de dévier les luttes qu’à l’époque.

    La contre-révolution

    Il a également été démontré cet automne que la classe capitaliste n’hésite pas à recourir à la répression contre-révolutionnaire la plus brutale pour se maintenir au pouvoir. Elle préfère opérer via d’autres moyens, plus pacifiques, mais elle est prête à recourir à la violence si nécessaire.

    • En Bolivie, un coup d’État militaire a eu lieu avec le soutien de l’impérialisme américain et du gouvernement brésilien dirigé par Bolsonaro. La nouvelle “présidente” Anez a été “élue” par moins d’un tiers du Parlement. Les gouvernements européens ont exprimé leur “compréhension” vis-à-vis de ce coup d’Etat.
    • Plus de 300 personnes ont été tuées et 15.000 blessées en Irak au cours du mois dernier.
    • 285 personnes ont reçu une balle dans les yeux au Chili. En France, au printemps, 40 personnes ont été éborgnées de la sorte.
    • En Guinée, en Afrique de l’Ouest, 5 personnes ont été tuées et 38 autres blessées lors de manifestations contre le président Alpha Conde qui se présente pour un troisième mandat. Les mobilisations se poursuivent.

    Le risque d’une répression majeure par une intervention de l’armée chinoise à Hong Kong demeure, même si le danger d’un massacre similaire à celui de la place Tiananmen en 1989 ne s’est pas encore concrétisé. Par ailleurs, le risque d’un retour du sectarisme communautaire au Liban ou en Irak constitue un réel danger.

    La classe dirigeante veut aussi désarmer les mobilisations et les faire dérailler en abusant des élections ou des négociations. En Argentine, ce fut clairement le cas récemment. Les candidats péronistes, Fernandez et Fernandez-Kirchner, ont remporté les élections. L’objectif principal des masses était d’évincer Macri, l’ancien grand espoir du capitalisme en Amérique latine dont la présidence a été marquée par l’arrivée d’une nouvelle crise financière profonde. Le nouveau gouvernement péroniste ne bénéficiera cependant pas de répit puisqu’il continuera à mettre en œuvre les politiques du FMI.

    Au Soudan, les dirigeants officiels des mobilisations ont signé un accord sur le partage du pouvoir avec l’armée en passant par dessus la tête des masses. Le pouvoir réel a été laissé au général Hemeti. Aujourd’hui, les mobilisations se développent contre cet accord et contre le pouvoir des généraux.

    Au Chili, l’une des principales revendications du mouvement était l’adoption d’une nouvelle constitution, puisque l’actuelle date de 1980 et de la dictature de Pinochet. Mais la revendication d’une assemblée constituante révolutionnaire de représentants démocratiquement élus sur les lieux de travail et dans les quartiers ouvriers est tout le contraire d’une assemblée comprenant le président Pinera et les partis de droite.

    La classe dirigeante dispose de mille et une manières de bloquer le développement d’une révolution. En 2011, le CIO avait mis en garde contre les illusions selon lesquelles un simple “changement de régime” pouvait mettre fin aux luttes. L’Etat, les capitalistes et l’impérialisme ont été sauvegardés et ont ouvert la voie à la contre-révolution.

    Cependant, les défaites ne durent pas aussi longtemps que dans les années 1930 ou 1970. Les manifestations de masse en Iran ont été écrasées en 2009 et de nouveau en 2017, mais elles sont à nouveau de retour. La même chose s’est produite en Irak, au Zimbabwe et au Soudan. De récentes nouvelles protestations sociales démontrent également que la situation n’est pas stable en Egypte.

    Défier le pouvoir

    Les grèves générales indéfinies et les mouvements de masse à caractère révolutionnaire soulèvent la question du pouvoir. Quelle classe sociale devrait diriger la société ?

    Pendant longtemps, dans de nombreux pays, nous appelions à une grève de 24 ou 48 heures au lieu d’une grève générale. L’idée était de préparer la classe ouvrière de cette manière, de lui permettre de sentir sa force et sa supériorité, de commencer à s’organiser et à prendre conscience de ses ennemis, de choisir des dirigeants adéquats.

    La plupart des luttes actuelles sont des luttes globales qui défient immédiatement le pouvoir de la classe capitaliste. La contre-révolution se prépare elle-même pour de telles luttes. Mais, jusqu’à présent, recourir à ses méthodes habituelles ne s’est pas fait sans problèmes.

    Comparer la situation actuelle avec la première révolution russe en 1905 est également important. La classe ouvrière avait alors démontré quelle était sa force force tandis que le pouvoir de l’Etat tsariste était suspendu dans les airs. Une confrontation finale était inévitable.

    Les libéraux et les menchéviks ont accusé les soviets (conseils, en russe) et en particulier les bolchéviks de trop parler d’insurrection armée. Lénine répondit : “La guerre civile est imposée à la population par le gouvernement lui-même”. Trotsky, dans sa défense devant le tribunal qui l’a inculpé après la révolution de 1905, a déclaré quant à lui : “préparer l’inévitable insurrection (…) signifiait pour nous d’abord et avant tout, d’éclairer le peuple, de lui expliquer que le conflit ouvert était inévitable, que tout ce qui lui avait été donné lui serait repris, que seule la force pouvait défendre ses droits, que des organisations puissantes de la classe ouvrière étaient nécessaires, que l’ennemi devait être combattu, qu’il fallait continuer jusqu’au bout, que la lutte ne pouvait se faire autrement”.

    En 1905, la contre-révolution a pu prendre le dessus en raison du manque d’organisation et d’expérience des masses en dépit de la constitution de conseils ouvriers, les soviets, ainsi qu’à cause de la faiblesse de la lutte dans les campagnes. En décembre, après une grève générale de 150.000 personnes à Moscou, la contre-révolution l’a emporté.

    L’expérience acquise durant les événements de 1905 ont toutefois posé les bases de la victoire de la révolution en 1917. La situation actuelle ne laisse pas de place à de longues périodes de réaction sans lutte. La Bolivie d’aujourd’hui ne connaîtra pas le genre de période de contre-révolution qui a suivi la défaite de 1905. L’avenir y est toujours en jeu et, dans le passé, la contre-révolution a déjà été vaincue en Bolivie.

    Nous verrons sans aucun doute d’autres pays et régions s’intégrer dans cette tendance aux mouvements de masse. Son impact sur la conscience globale des masses sera une meilleure compréhension que la lutte est la seule manière d’obtenir des changements. La recherche d’une alternative au capitalisme et à la répression sera le terreau du développement des idées anticapitalistes et socialistes. La faiblesse de la gauche et de l’organisation des travailleurs signifie toutefois que ce processus sera long, avec des bonds en avant et des reculs.

    La leçon générale, cependant, est la même qu’en 1905 ou en 1968 : il s’agit toujours de la nécessité pour la classe ouvrière de prendre le pouvoir afin de soutenir les concessions qu’un mouvement de masse peut arracher et pour parvenir à un changement fondamental de société.

  • A Hong Kong, le régime de Xi Jinping prépare un nouveau Tiananmen

    Les travailleurs doivent s’organiser d’urgence pour résister à la répression. Construisons une véritable grève générale !

    Le gouvernement de Carrie Lam à Hong Kong a fait exploser le niveau de violence policière contre le mouvement de protestation pro-démocratique. Cette escalade, évidente depuis le début du mois de novembre, a été clairement ordonnée par la dictature chinoise. C’est l’un des résultats de la Quatrième session plénière du Comité central du Parti “communiste” (PCC) qui s’est tenue fin octobre. Xi Jinping a tenu une rare réunion avec Carrie Lam à Shanghai peu après pour signifier au monde le soutien du régime à des mesures plus brutales contre les manifestations de masse qui font rage depuis presque six mois.

    Par Dikang, Socialist Action (Hong Kong)

    Le PCC craint les conséquences économiques, politiques et géopolitiques du lancement d’une opération de répression à Hong Kong par l’Armée populaire de libération (APL). Il ne voit là qu’une “solution finale” à éviter dans la mesure du possible et préfère donc utiliser les outils “internes” de Hong Kong, en élevant à des niveaux extrêmes la violence policière dirigée contre les manifestants, qu’il s’agisse des “radicaux” qui ont riposté aux attaques de la police avec des briques et des bombes à pétrole, ou encore des dizaines de milliers de manifestants pacifiques. Ces dernières ont à nouveau été mobilisées ces derniers jours par le biais d’appels urgents en ligne pour descendre dans la rue.

    Les occupations d’université

    Au cours de la semaine dernière, la lutte s’est concentrée sur les universités, dont six ont été occupées à un moment donné. Ces occupations étaient des actions défensives des étudiants visant à empêcher la police d’entrer sur les campus pour y procéder à des arrestations massives. La mort d’un étudiant de 22 ans, Chow Tsz-lok, le 8 novembre, a été le déclencheur de ce qui est devenu l’un des affrontements les plus graves de la lutte à ce jour. Chow est décédé des suites de blessures subies lors d’une opération de police dans un garage. Les circonstances de l’incident sont suspectes.

    Alors que la colère des jeunes explosait, des appels ont été lancés en ligne sur les plateformes de messagerie – le principal centre d’organisation de la lutte – pour une “grève générale”. En réalité, il ne s’agissait pas d’une grève des travailleurs, mais d’une série d’actions directes de jeunes manifestants visant à saboter et à fermer des artères de circulation centrales, comme les tunnels et les ponts. Une grande partie de Hong Kong a été paralysée la semaine dernière, ce qui a causé la plus grave perturbation économique de la lutte jusqu’à présent. La bourse de Hong Kong a chuté de 5 % au cours de la semaine. Les écoles et les universités ont été fermées et elles le sont toujours.

    De nombreuses universités sont situées à proximité des grands axes routiers ou ferroviaires et l’objectif des manifestants était de sécuriser les universités tout en perturbant au maximum les voies de transport à proximité. La réponse de la police a été de lancer des attaques inédites et lourdement armées avec des canons à eau, des véhicules blindés et “plus de tout”, c’est-à-dire plus de gaz lacrymogènes, plus de balles en caoutchouc, etc. sur les universités occupées afin d’éliminer les “sources” de la lutte.

    L’action du gouvernement n’est pas de “rétablir l’État de droit” comme il le prétend, mais d’utiliser la terreur d’État pour réprimer les étudiants et les jeunes qui ont été l’épine dorsale de la lutte. Les autorités suivent le manuel de Tiananmen, avec une méthode moins mortelle jusqu’à présent, mais avec exactement le même objectif. Comme en juin 1989, l’objectif est de rétablir l’autorité de la dictature avec une démonstration écrasante de violence d’Etat pour dissuader ceux qui voudraient défier son pouvoir.

    En une seule journée, dimanche dernier (17 novembre), alors que la police assiégeait l’Université polytechnique (Poly U), mille grenades lacrymogènes ont été tirées sur le campus. La police a également utilisé des grenades assourdissantes et certains officiers portaient pour la première fois des fusils d’assaut. Une déclaration de la police a averti que les munitions réelles pouvaient être utilisées à moins que les occupants ne se rendent. Les jeunes occupants ont affiché leurs dernières volontés sur les médias sociaux, car beaucoup s’attendent à un massacre, ce qui est toujours une terrible possibilité.

    Les arrestations de masse

    Le siège et l’occupation de la Poly U se poursuivent au moment de la rédaction du présent rapport, bien qu’il y ait encore beaucoup moins de manifestants à l’intérieur. Plus de 1.100 étudiants et leurs partisans ont été arrêtés sur une période de 24 heures. Des centaines de mineurs d’âge ont été libérés après avoir été enregistrés mais ils risquent de faire l’objet de graves accusations par la suite. Tous les jeunes de plus de 18 ans qui ont été arrêtés sont maintenant détenus dans le cadre de la plus grande arrestation massive du mouvement à ce jour. Plusieurs centaines de ces jeunes font face à des accusations d’émeutes.

    Des images vidéo montrent des policiers en train de battre des étudiants arrêtés. De nombreux occupants ont subi des blessures graves, notamment une hyperthermie et des fractures osseuses, et 280 d’entre eux ont été hospitalisés. Pourtant, la police a refusé aux volontaires médicaux l’accès aux étudiants blessés, les menaçant de les traiter de la même manière que les “émeutiers”. Ce n’est que sous la pression croissante de l’opinion publique que la police a été forcée d’autoriser une équipe de la Croix-Rouge à entrer sur le campus de l’Université polytechnique.

    Un noyau dur d’une centaine de jeunes refuse d’abandonner. La police a clairement indiqué que tous ceux qui sont arrêtés seront poursuivis pour émeute, ce qui entraîne une peine de 10 ans de prison. D’autres sont parvenus à s’échapper au cours d’évasions audacieuses et désespérées, en utilisant parfois des cordes pour descendre en rappel des ponts jusqu’à l’endroit où des “parents” (citoyens volontaires) les ont emmenés en voiture et en moto pour échapper à la police. Des dizaines de personnes se sont échappées par d’étroits tuyaux de drainage souterrains, à peine assez larges pour s’y faufiler, avant que la police ne découvre la pratique et bloque cette voie d’évacuation.

    Des groupes de défense des droits humains et même des gouvernements étrangers (qui restent normalement silencieux) ont condamné la violence policière. Beaucoup de gens ont été stupéfaits et émus par ces scènes. Parents, politiciens et travailleurs sociaux, souvent en larmes, sont venus plaider et faire pression sur la police pour qu’elle lève le siège et permette aux jeunes de sortir indemnes.

    Les tactiques de la jeunesse

    ‘‘Avant, je me demandais si les manifestants, ou ceux qui semblaient être des protestataires, avaient franchi une ligne rouge d’une quelconque manière. Mais maintenant, je comprends mieux pourquoi ils ont dû utiliser ces tactiques’’, a déclaré un père qui essayait de sauver sa fille de 17 ans de l’université Poly U. “Les cocktails Molotov qu’ils lancent visent principalement à créer une distance entre eux et la police”, a-t-il déclaré au New York Times.

    “Je ne comprends pas pourquoi la police doit réprimer les étudiants de cette façon”, a déclaré à un journaliste du South China Morning Post une mère en larmes dont les deux filles sont coincées dans le campus. “Ça ne me dérange pas de mourir. Pourquoi devrions-nous rester à Hong Kong alors que nos enfants n’ont pas peur de la mort ?”

    Le gouvernement estime – à tort selon nous – que les manifestants de première ligne ont perdu le soutien massif dont ils disposaient, ce qui leur donne l’occasion d’intensifier la répression et d’écraser le mouvement de protestation dès que possible. La stratégie du régime du PCC a consisté à créer délibérément le chaos par des mesures policières brutales – en interdisant les manifestations pacifiques, en provoquant une réaction violente chez les jeunes, en infiltrant les manifestations – pour tenter d’épuiser et de désintégrer le mouvement.

    Mais la violence débridée de l’État a eu un grand retentissement dans l’opinion publique. A l’heure du déjeuner tous les jours pendant plus d’une semaine, des milliers de personnes ont participé à des barrages routiers et des manifestations dans le quartier central des affaires, pour la plupart des cols blancs et des employés du secteur financier. Beaucoup d’entre eux portaient des masques, ce qui était illégal jusqu’à hier en vertu d’une loi d’urgence qui a maintenant été rejetée par la Haute Cour.

    Il y a une semaine, l’Université chinoise de Hong Kong a été le théâtre des affrontements les plus violents avec la police. Une bataille pour le contrôle d’un pont sur une grande autoroute a fait rage sans interruption pendant 30 heures. À ce moment-là, des milliers de personnes sont venues sur les lieux pour soutenir les manifestants. Lorsque, quelques jours plus tard, Poly U a été encerclée, des dizaines de milliers de personnes ont répondu aux appels en ligne pour “sauver les étudiants”, se précipitant vers les lignes de police près du campus et dans la zone voisine de Yau Tsim Mong pour essayer de distraire la police. Ces manifestations de solidarité se sont heurtées exactement à la même violence frénétique de la part de la police, qui a notamment lancé des bus à grande vitesse vers les manifestants. Ce sont des méthodes terroristes employées contre la population.

    Depuis trois jours, des unités spéciales de police d’élite, connues sous le nom de “Raptors”, encerclent la Poly U, en permettant aux manifestants de ne sortir que par une issue pour se rendre, toutes les autres sorties étant soumises à de lourds bombardements de gaz lacrymogènes et de grenades assourdissantes. Dans l’Université chinoise et l’Université polytechnique, une fois les occupations commencées, les manifestants ont commencé à organiser des cantines autogérées surnommées “Café Resistance”, des barricades de sécurité, la production en série de bombes à essence et de projectiles.

    Le soutien aux manifestants parmi les couches importantes de la société et l’atmosphère pour “défendre” les étudiants repose sur la peur généralisée que le gouvernement et la police se préparent à une répression sanglante : une “version de Hong Kong du 4 juin” (date du massacre de 1989 à Pékin). Les rapports de première ligne de l’Université chinoise la semaine dernière, et maintenant de Poly U, confirment ces craintes. Un policier à l’extérieur de Poly U a dit à la mère en pleurs d’une jeune fille de 16 ans enfermée à l’intérieur : “Il n’y a aucune chance que cela se termine pacifiquement”.

    Face à une force armée aussi extrême et écrasante, les étudiants ont utilisé des armes simples comme des bombes à essence, des catapultes et même des arcs pour tenter d’empêcher la police d’avancer, de prendre d’assaut les campus et de procéder à une arrestation massive.

    L’auto-défense du mouvement

    Alors que la police et certains médias font beaucoup de bruit au sujet de la violence des manifestants, le fait est qu’il s’agit de luttes défensives avec la police qui, dans tous les cas, est à l’origine de la violence. Il s’agit d’une lutte incroyablement unilatérale et, en tant que telle, malgré un niveau inspirant d’héroïsme et de sacrifice, ce n’est pas le fondement sur lequel une lutte réussie peut finalement être construite. La lutte a le droit de se défendre contre la brutalité policière. Mais pour qu’elle soit couronnée de succès, cette autodéfense doit être sous contrôle démocratique. Malheureusement, la lutte de masse jusqu’à présent n’a pas produit d’organisations de masse capables d’exercer un tel contrôle démocratique. Plutôt que d’être au centre de la lutte, toutes les questions de tactique “militaire” devraient être subordonnées à la question principale de la mobilisation et de la construction d’un mouvement organisé.

    La police et certains médias accusent les jeunes d’être à l’origine de la violence. Ce n’est pas vrai. Les premières semaines du mouvement – avec des millions de manifestants en juin et en août – ont été largement pacifiques. Même le vandalisme de la chambre du Conseil législatif (Legco) en juillet n’a pas causé de blessures graves. C’était en grande partie le cas jusqu’à ces dernières semaines. Les bombes à pétrole n’ont été lancées qu’en août, lorsque le régime avait déjà commencé à interdire toutes les manifestations appelées par l’”aile pacifique” du mouvement : les politiciens pan-démocratiques et leurs alliés des ONG.

    C’est l’État – la police de Hong Kong sous les ordres du PCC – qui, à chaque étape, a élevé le niveau de violence pour terroriser les masses et ainsi les soumettre. C’est la stratégie que l’Etat a choisie comme politique calculée pour provoquer d’abord une destruction massive et ensuite l’utiliser pour discréditer et isoler les jeunes.

    La seule façon de déplacer l’accent de la lutte hors des affrontements physiques et du vandalisme – qui ne s’avéreront en fin de compte pas des méthodes efficaces contre une force de police militarisée bien entraînée – c’est une stratégie de mobilisation des masses et, surtout, de la classe ouvrière de Hong Kong afin qu’elle construise ses propres organisations. Ce sera le “ciment” politique qui permettra d’assurer le succès d’une lutte de masse.

    La classe ouvrière est la clé

    Les socialistes ne sont pas les seuls à comprendre que la classe ouvrière est la force décisive dans les grandes luttes politiques contre les régimes autoritaires. C’est la conclusion sans équivoque d’une étude récente d’universitaires norvégiens publiée dans le Washington Post (24 octobre 2019), qui portait sur les mouvements démocratiques de masse au cours des cent dernières années : “Dans une nouvelle étude, nous examinons systématiquement comment les citoyens ont cherché à promouvoir la démocratie dans environ 150 pays. Voilà ce que nous avons trouvé : Les travailleurs de l’industrie ont été des agents clés de la démocratisation et sont même plus importants que les classes moyennes urbaines. Quand les travailleurs de l’industrie mobilisent une opposition de masse contre une dictature, la démocratisation a de grandes chances de suivre.”

    C’est la leçon que le mouvement de Hong Kong doit tirer s’il veut gagner.

    La situation après les occupations universitaires est compliquée. Beaucoup d’étudiants ont l’impression d’avoir été vendus et abandonnés, ce qui cause de graves divisions parmi les jeunes militants. Cela souligne le fait que plus la lutte arrive à un moment critique – comme aujourd’hui – plus elle a besoin d’une organisation démocratique.

    L’opposition de nombreux jeunes à un mouvement plus organisé et traditionnel découle du rôle passé de politiciens pan-démocratiques qui ont utilisé leur contrôle de la “scène politique” pour monopoliser la direction des manifestations. Les dirigeants pan-démocratiques ne voulaient pas que ces luttes se développent et se radicalisent, c’est pourquoi, dans la plupart des cas, ils ont stoppé les luttes avant qu’elles n’obtiennent des gains concrets. Mais rejeter les structures formelles et organisées au profit d’une lutte totalement décentralisée et informe ne protège pas contre le “hi-jacking” de quelques dirigeants autoproclamés, bien que cela ait aussi produit de nombreuses méthodes de protestation innovantes et ingénieuses.

    Il faut une organisation de masse

    La stratégie pour vaincre une dictature puissante et cruelle doit être formulée consciemment, par les représentants élus des masses et à travers le débat et la discussion sur les objectifs politiques. Les tactiques devraient toujours découler d’une ligne politique claire. Pour cette raison, le mouvement de Hong Kong a un besoin urgent de construire des structures démocratiques et une organisation réelle de masse. C’est pourquoi des comités démocratiques devraient être mis en place dans les écoles, les lieux de travail et les communautés locales.

    Le PCC et le gouvernement de Carrie Lam préparent des attaques encore plus graves contre les droits démocratiques. L’Assemblée populaire nationale de Chine a déclaré la guerre à la Haute Cour de Hong Kong après sa décision cette semaine d’annuler la loi anti-masque de Carrie Lam. Si l’APN fait respecter sa position, elle émasculera complètement le système judiciaire indépendant de Hong Kong, qui est l’un des derniers éléments du principe “un pays, deux systèmes” qui existe encore. La loi anti-masque a été imposée en octobre parce que le gouvernement voulait tester le terrain pour une utilisation plus large de l’Emergency Regulations Ordnance de l’époque britannique. Il s’agit d’une “arme nucléaire” juridique ancienne et draconienne, utilisée pour la première fois en 1922 contre la grève historique des marins de Hong Kong, qui paralysa le territoire pendant plus d’un an et joua un rôle important dans l’émergence des organisations ouvrières en Chine dans les années 1920.

    La dernière attaque de l’APN vise à davantage entraver le pouvoir judiciaire à Hong Kong. Les élections des conseils de district prévues pour dimanche (24 novembre) peuvent encore être annulées, sous prétexte des derniers affrontements. Ces élections à des conseils locaux plutôt insignifiants et impuissants sont considérées comme un référendum sur la lutte antigouvernementale et pourraient entraîner des pertes historiques pour les partis pro-Pékin.

    En outre, sept législateurs pan-démocratiques risquent à présent d’être arrêtés à la suite d’une manifestation qui a eu lieu au siège du conseil législatif Legco il y a six mois. Cela ressemble au début d’une nouvelle tentative de transformer le Legco semi-élu en une forteresse du camp pro-PCC.

    Il n’y a pas de retour en arrière possible pour la lutte initiée en juin. Mais pour aller de l’avant, il faut une nouvelle stratégie et surtout un appel organisé aux masses chinoises. Un appel aux masses chinoises exige une approche différente, amicale et politique. Nous voulons une lutte unie contre le règne brutal de Xi Jinping. Si la moitié de l’énergie investie par certaines sections du mouvement de protestation pour faire appel au Congrès américain (qui, nous le prédisons, n’apportera pas grand-chose) est investie dans des manifestations et des actions coordonnées pour appeler les travailleurs et les jeunes du continent à rejoindre notre lutte, cela pourrait représenter une renaissance explosive du mouvement de masse dans une direction qui terrifiera le PCC.

    Des divisions dans la classe dirigeante

    La cohésion interne de l’establishment capitaliste pro-Pékin a été sérieusement ébranlée. Récemment, l’ancien président du Conseil législatif Jasper Tsang Tsang Yok-sing a accordé une interview remarquablement franche à un sinologue français. Tsang a déclaré que le principal parti pro-gouvernemental, la DAB (Democratic Alliance for the Betterment and Progress of Hong Kong) avait déjà demandé à Carrie Lam d’accepter une commission indépendante pour enquêter sur la police – une des cinq demandes du mouvement. Bien que cela ait été favorablement accueilli par la majorité des dirigeants de l’establishment pro-Pékin, Carrie Lam a rejeté la proposition en invoquant le moral “fragile” des forces de police. La véritable raison est l’intransigeance du PCC et sa Quatrième réunion plénière pour intensifier la répression et préparer une répression brutale.

    Les politiciens de l’establishment comme Tsang portent l’entière responsabilité de la crise actuelle. Ils ont appuyé la loi sur l’extradition et les purges, les arrestations et la répression contre le mouvement démocratique qui ont eu lieu au cours des trois dernières années. Mais maintenant, le camp de l’establishment est profondément divisé, beaucoup exhortant le gouvernement à faire des concessions pour désamorcer la colère générale. Ils craignent une instabilité permanente à Hong Kong, qui pourrait paralyser son statut de centre financier mondial autrefois très rentable.

    Le PCC ordonne à Carrie Lam d’ignorer toutes ces idées de concessions. Son point de départ n’est pas ce qui se passe à Hong Kong, mais leur crainte que toute faiblesse à l’égard de Hong Kong ne provoque une instabilité encore plus grande en Chine continentale.

    Construisons une véritable grève générale !

    Il est plus important que jamais de se tourner vers la grève comme meilleur moyen d’organiser la résistance. Pour une véritable grève, nous devons nous baser sur les travailleurs, leur organisation et la construction de syndicats plus forts. Les manifestants de Hong Kong ont depuis longtemps en tête l’idée d’une grève, mais parce que la classe ouvrière ne dispose pas de syndicats de masse, elle n’a jusqu’à présent pas effectivement lancé une grève collective. Une grève doit être organisée, elle ne peut pas simplement “se produire”. Elle doit être enracinée dans les lieux de travail, dans les écoles et dans les quartiers et pas seulement sur internet. Les applications de messagerie et les forums peuvent être un outil puissant, mais ils ne sont qu’un outil. L’organisation des travailleurs doit devenir une réalité physique en incitant tous les travailleurs à adhérer à un syndicat ou à en créer un.

    Les congés de maladie et les jours de vacance ne remplacent pas l’action collective lancée par un syndicat contre la terreur blanche des patrons. Malheureusement, au cours des derniers mois, les dirigeants syndicaux officiels sont restés largement silencieux.

    Pour organiser et diriger un tel mouvement, il faut créer des structures adéquates : des comités démocratiques où toutes les questions peuvent être débattues et votées. Il est beaucoup plus difficile pour la police et les agents du gouvernement d’infiltrer des réunions publiques et des comités démocratiquement élus que de s’insérer dans des forums en ligne et des foules anonymes afin de semer le chaos. Des structures organisées et ouvertes signifient que toutes les idées peuvent être remises en question et contrées par d’autres propositions et chacun déclare qui il est et quel groupe il représente.

    Le Front civique des droits humains (le réseau pan-démocratique qui a lancé l’appel pour les manifestations historiques des 9 et 16 juin) a été mis de côté à la suite de l’interdiction des manifestations par la police. Il doit cependant montrer la voie dans cette situation et devrait annoncer une assemblée de masse d’une journée ouverte aux représentants des lieux de travail, des écoles et des groupes locaux pour discuter de la voie à suivre pour la lutte de masse et de la manière de résister aux projets des autorités pour une répression “du 4 juin” à Hong Kong.

    Après plus de cinq mois de lutte de masse, de plus en plus de manifestants reconnaissent l’importance des organisations ouvrières. Dans de nombreuses industries, il est possible de commencer à organiser des syndicats, qui devraient ensuite se coordonner et assumer le rôle principal dans la lutte de masse.

    – Organisons les syndicats et les comités de grève ! Préparons une véritable grève générale !
    – Changeons le mode de lutte et faisons de la lutte ouvrière l’épine dorsale du mouvement !
    – Cinq revendications et pas une de moins, mais ces revendications doivent aussi être élargies pour intégrer les besoins urgents de la classe ouvrière !
    – Exportons la révolution en Chine pour une lutte de masse unie des travailleurs du continent et de Hong Kong pour vaincre la dictature du PCC !
    – Démantelons le régime capitaliste antidémocratique de Hong Kong ! Remplaçons le Legco antidémocratique par une véritable Assemblée du peuple, basée sur le suffrage universel à l’âge de 16 ans, pour mettre en œuvre immédiatement des politiques en faveur de la classe ouvrière et briser le pouvoir économique des capitalistes !

  • Chemins de fer : la modernisation ou le grand bond en arrière?

    Assiste-on à une prise de conscience tardive ou un changement de stratégie ? En octobre 2017, la patronne de la SNCB expliquait aux parlementaires qu’elle ne réclamait « pas de moyens supplémentaires ». Deux ans plus tard, elle dénonce un « gap de 1,3 milliards d’euros » à venir, tandis que le CEO d’Infrabel prévient : « le citron de la productivité a été entièrement pressé ». Dans le même temps, de nouvelles attaques sur les conditions de travail des cheminots se précisent. Après 40 ans de gestion néolibérale, la politique de la mobilité marche sur la tête.

    Réaction d’un cheminot

    Les besoins ont augmenté, les moyens ont baissé

    Dans les années 1930, le réseau belge comprenait 5 125 km de lignes ferroviaires, près de 1 500 gares réparties sur le territoire, et employait 100 000 cheminots. Après la deuxième guerre mondiale, l’expansion du transport ferroviaire souffre d’abord de la concurrence du secteur automobile puis de l’aviation, en pleine expansion. Son développement continue, mais principalement en matière de qualité, et à un rythme ralenti. Au milieu des années 1980, les plans IC/IR (1984) puis Star 21 (1989) ont ajusté l’offre à la demande. L’organisation du rail est sans doute plus « efficace », mais la logique de rentabilité a commencé à percer. Le train est devenu plus confortable et plus rapide, mais 1 500 km de ligne et près d’un millier de gares ont disparu au fil des ans. Les plans d’économies entraînent une hausse généralisée des prix, une série de mouvements sociaux historiques, et une baisse du nombre de voyageurs de près de 8%.

    Pourtant, dès le milieu des années 1990, la courbe s’inverse. Les routes sont saturées, l’automobile montre ses limites, et les besoins en mobilité augmentent encore. Le nombre de voyageurs que transporte la SNCB va suivre une croissance constante. Il augmente de moitié entre le milieu des années ’90 et le début des années 2010. La prise de conscience écologique est aussi passée par là, et la croissance de la fréquentation ne démord pas : chaque année, nos trains continuent à transporter 3 à 4% de voyageurs supplémentaires. La qualité du service ne s’est pourtant pas fondamentalement améliorée, mais les besoins sociaux en mobilité sont tels que cette évolution est irrésistible.

    La nécessité d’augmenter à nouveau l’offre, la capacité et l’entretien du réseau est progressivement devenue flagrante. Mais alors que les voyageurs sont revenus en masse, le financement public, lui, est resté désespérément en-deçà des nécessités (à l’exception de l’un ou l’autre projet de prestige, comme celui du tunnel vers l’aéroport). Les gouvernements enchaînent coupes budgétaires et mesures d’austérité, malgré les signaux d’alarme tirés par les syndicats. En 2005 puis en 2014, la scission entre Infrabel et la SNCB crée du gaspillage, accroît la confusion et « saucissonne » les responsabilités. Le gouvernement Michel impose 2,1 milliards d’euros d’économies supplémentaires.

    Moderniser ou désinvestir, il faut choisir

    Ce contexte d’augmentation du nombre de voyageurs couplé à un sous-investissement structurel a créé un énorme fossé qui devient difficile à combler. Le 20 novembre dernier à la Chambre, le patron d’Infrabel expliquait : « 22% des aiguillages, 12% des rails, 23% des revêtements des passages à niveau, 20% des caténaires et 3.000 km de câbles de fibre optique arrivent en fin de vie économique ». Avant d’expliquer que sans investissements supplémentaires, il ne sera plus possible de maintenir en vie les « petites lignes ». Des travaux énormes doivent être entrepris sur de nombreuses lignes, entraînant des coupures dans le service de trains et des retards. Le public paie ainsi le retard structurel d’investissement accumulé sur la dernière période. Même le journal pro-patronat l’Echo précise : « […] il semble que le gouvernement va devoir payer la facture de plusieurs années d’économies sur le rail belge » (l’Echo, 21/11/2019).

    La productivité du personnel a augmenté de 20% sur les 5 dernières années. Pas suffisant, selon la direction des chemins de fer qui réclame de nouvelles mesures d’augmentation de productivité. Insupportable ? « C’est ce que veulent les politiques », répond-elle. Les négociations autour de la prochaine convention collective tournent mal : augmentation du temps de travail, flexibilité accrue, statut sur la sellette. Les services de réserve permettant de remplacer un agent malade en dernière minute sont menacés. Ici aussi, l’argent manque pour donner aux cheminots les moyens d’offrir un service de qualité.

    Après des années d’efforts, le personnel en a ras-le-bol. Ce 21 novembre, le front commun syndical CGSP-CSC avertit : « Nous donnons encore une semaine à la direction pour répondre à nos revendications ». Après l’accident de Buizingen, qui avait fait 19 morts et 162 blessés en 2010, la commission d’enquête parlementaire recommandait que les journées de travail ne puissent pas dépasser les 8h pour des raisons de sécurité. Les patrons du chemin de fer proposent aujourd’hui des « shifts » de 12h dans les cabines de signalisation. Les syndicats, eux, réclament qu’on arrête de presser le personnel et qu’on engage des effectifs en suffisance.

    Stop à la libéralisation, luttons pour un service public de qualité !

    Alors qu’il n’est même pas formé, le prochain gouvernement est déjà sous pression. Jamais la nécessité d’un service public ferroviaire fort et de qualité n’a été aussi grande. Des investissements massifs dans le chemin de fer sont plus que jamais nécessaires, tant pour le maintenir que pour le développer, tant pour les usagers que pour les cheminots.

    Le projet européen de libéralisation du rail est avant tout une occasion pour la classe dominante de faire du commerce. Les libéralisations et privatisations se sont succédées dans l’Union Européenne néolibérale. Les capitalistes veulent ouvrir au marché des secteurs qui étaient traditionnellement gérés par les pouvoirs publics pour gagner de nouvelles occasions de faire plus de profits. De riches actionnaires pourraient ainsi faire de l’argent en exploitant uniquement une ligne commerciale rentable, tout en délaissant les coûts de l’infrastructure et des lignes non rentables à l’état. Comme l’a montré une étude de chercheurs de l’ULB en ce début d’année, cela entraînerait une dégradation des conditions de travail, une grille tarifaire incompréhensible pour les usagers, et ne coûterait pas moins cher au contribuable. L’état belge dispose de nombreux outils pour refuser la libéralisation du service public, mais les décisions les plus importantes n’ont toujours pas été prises : nos dirigeants ont beau jeu de brandir la menace de la libéralisation pour justifier leur politique de coupe budgétaire.

    Nous n’avons rien à gagner avec la libéralisation : nous avons besoin de moyens pour l’infrastructure, le matériel, le service et le personnel à la hauteur des enjeux sociétaux. Nous avons besoin d’une convention collective correctement financée pour permettre au personnel d’assurer un service de qualité dans des conditions dignes.

    Mais un plan d’action mené uniquement par le personnel risque de souffrir de l’isolement. Nous avons besoin que les grands syndicats élargissent le front commun – aux petits syndicats, mais aussi aux associations de voyageurs. Par exemple en allant vers les usagers avec une campagne d’information et de mobilisation pour des revendications qui lient les problèmes des navetteurs et du personnel. Malgré les désaccords, nous pourrions organiser des meetings communs pour faire vivre ce débat. Un plan large et ambitieux est nécessaire. Un nouveau rapport de force avec la direction des chemins de fer et le (futur) gouvernement pourrait ainsi être créé pour la défense du chemin de fer public.

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