Category: Dossier

  • [TÉMOIGNAGE] La quarantaine de Wuhan levée après 76 jours

    La contestation dans la province de Hubei révèle la sombre réalité derrière la lutte contre la pandémie

    Par Zhou Yi et les reporters de chinaworker.info

    Le 8 avril, la quarantaine de 76 jours imposée à la métropole de Wuhan (11 millions d’habitants) a pris fin. Dans le reste de la province du Hubei, dont Wuhan est la capitale, les mesures similaires de quarantaine dues au COVID-19 dont pris fin deux semaines plus tôt. Au plus fort de l’épidémie de coronavirus en Chine, 760 millions de personnes – soit environ la moitié de la population – étaient sous une forme ou une autre de confinement.

    Les médias d’État et la machine de propagande ont loué l’héroïsme des habitants de Wuhan et surtout du personnel médical de première ligne, à des fins nationalistes, pour présenter un effort “uni” de “tout le peuple chinois” contre le virus.

    Cette propagande est destinée à renforcer l’autorité de la dictature de Xi Jinping et du régime du PCC, et à faire oublier les nombreuses erreurs commises en janvier, en ignorant et en supprimant activement les rapports des médecins, et en censurant toute discussion sur la nouvelle maladie “de type SRAS” qui se répandait à Wuhan. Pour étouffer l’affaire, l’État a notamment autorisé la tenue d’un banquet sur un thème nationaliste pro-PCC, auquel ont assisté 40.000 familles, dans le district de Baibuting à Wuhan, le 18 janvier. C’était seulement deux jours avant que Pékin ne déclare l’urgence nationale et cinq jours avant que la province de Hubei ne soit mise en quarantaine. Le district de Baibuting sera par la suite surnommé “bâtiment de la fièvre”, avec l’un des taux d’infection les plus élevés de la ville.

    La véritable histoire de Wuhan et du Hubei ne transparaît pas dans la propagande triomphaliste du PCC. C’est l’histoire d’immenses souffrances humaines, d’une pénurie aiguë de fournitures médicales essentielles, de statistiques manipulées qui sous-estiment l’ampleur réelle des infections et des décès, et du profit tiré de la nourriture et du matériel médical par des entreprises privées et les agences locales de l’État-PCC. Officiellement, 2.535 personnes sont mortes du COVID-19 à Wuhan, mais des experts indépendants à Hong Kong et à l’étranger estiment que le chiffre réel pourrait être dix fois plus élevé.

    “Le traumatisme subi par les habitants de Wuhan est énorme, c’est certain. De nombreuses personnes qui ont cherché à se faire soigner ont connu l’horreur de crier à l’aide mais de ne pas en recevoir, ce qui, à mon avis, les a profondément désespérées. Ceux qui sont morts sont partis, mais leurs proches sont toujours là, et ils ont tous vécu des moments de grand désespoir”, écrit Fang Fang, une blogueuse connue qui a passé 76 jours enfermée à Wuhan.

    La version officielle de l’efficacité brutale et clinique du confinement est également fausse. Seuls les déplacements à l’intérieur et à l’extérieur de la ville ont été affectés par le décret initial du 23 janvier. Une énorme confusion régnait et il n’y avait pas d’informations claires de la part des autorités. Le gouvernement de Wuhan n’a imposé aucune restriction aux personnes se déplaçant à l’intérieur de la ville, y compris les patients suspects, jusqu’à ce que des règles de confinement plus centralisées soient annoncées le 2 février. Ces règles ont été renforcées le 8 février. Lors de la quarantaine extrêmement stricte qui a suivi, les méthodes employées ont été parfois brutales. Les portes et les portails des immeubles résidentiels ont été barricadés, et même dans certains cas soudés. Des tranchées ont été creusées à travers certaines routes pour les rendre impraticables.

    Caixin, un site web financier qui bénéficie d’une plus grande marge de manœuvre de la part des censeurs du PCC parce qu’il n’est pas lu par les masses, a qualifié la quarantaine de Wuhan de “sélection naturelle brutale”. Les reporters de Caixin à Wuhan ont interviewé le personnel des cliniques de soins de santé communautaires, dont la tâche était de filtrer et de trier les patients qui devaient être hospitalisés ou renvoyés chez eux. Le 27 janvier, lors d’un entretien avec une de ces cliniques du district de Baofeng, ils ont découvert “que la clinique de 60 personnes ne disposait que d’une seule combinaison de protection et d’un stock limité de masques à usage unique”. Yang Qinghong, un médecin de la clinique, a déclaré qu’il avait examiné 100 patients ce jour-là, dont plus de 30 avaient de la fièvre et deux présentaient des symptômes graves.

    Plus de 3 000 membres du personnel hospitalier infectés

    Des milliers de professionnels de la santé du reste de la Chine se sont mobilisés à Wuhan. Une fois de plus, cette entreprise héroïque a été exploitée au maximum par la machine de propagande d’État pour vanter les “avantages” d’un régime autoritaire. Parmi cette vague humaine de bénévoles du secteur de la santé, deux infirmières de la province de Guangdong ont publié le 24 février un appel dans le magazine britannique Lancet. “Les conditions et l’environnement ici à Wuhan sont plus difficiles et extrêmes que nous n’aurions jamais pu l’imaginer”, écrivaient-elles. Sous la pression du gouvernement, les auteures se sont rétractées quelques jours plus tard.

    Les conditions décrites dans les hôpitaux de Wuhan et de Hubei, pénurie aiguë, longues heures, épuisement, et plus de 3 000 travailleurs de la santé infectés par le COVID-19 dans la seule ville de Wuhan, ont depuis été reproduites en Italie, en Espagne, en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Avec l’avantage d’une période d’avertissement beaucoup plus longue, il est criminel que ces gouvernements aient été si peu préparés. Mais les censeurs du régime chinois ont fait des heures supplémentaires pour effacer toutes ses insuffisances et présenter sa “victoire” contre la pandémie comme un modèle à suivre.

    Des médecins, dont Li Wenliang qui est mort du COVID-19 le 7 février, ont tenté de tirer la sonnette d’alarme fin décembre 2019, mais ont été arrêtés et réduits au silence. Ai Fen, médecin en chef des urgences à l’hôpital central de Wuhan, a disparu le 1er avril. On pense que sa “disparition” est due à la sécurité d’État après avoir donné une interview aux médias australiens. Ai a été l’une des premières à tenter de mettre en garde ses collègues contre le nouveau coronavirus en décembre. Si ces avertissements avaient été pris en compte, Wuhan, la Chine et le monde entier auraient pu éviter la propagation catastrophique de la pandémie actuelle.

    “Faux ! Faux ! Tout est faux !”

    Ces dernières semaines, alors que les conditions de confinement devenaient de plus en plus insupportables, plusieurs actes de protestations ont éclaté, comme le rapporte Zhou Yi.

    En mars, plusieurs manifestations ont eu lieu dans la province du Hubei, l’épicentre de la pandémie de COVID-19, ce qui montre qu’il existe un énorme fossé entre la réalité et la propagande “d’énergie positive” du Parti communiste chinois. La colère est dirigée en particulier contre les profits réalisés par les fonctionnaires et les entreprises locales qui ont exploité la catastrophe. Dans les conditions de confinement, où les achats normaux sont suspendus car les résidents sont interdits de sortir, la distribution de nourriture a été centralisée entre les mains de comités de quartier locaux, qui sont les comités de gestion des complexes résidentiels composés de représentants des sociétés immobilières et du PCC.

    Le 5 mars, dans le manoir de Kaiyuan à Wuhan, lors d’une visite de Sun Chunlan, vice-premier ministre chinois, les résidents isolés dans leurs maisons pendant plus de quarante jours ont scandé “Faux ! Faux ! Tout est faux !”. Les habitants criaient parce que l’image de “prix stables et d’offre suffisante” diffusée à la télévision était une invention.

    En réalité, le prix de la viande achetée par la communauté résidentielle était de 100 yuans le kilogramme, soit cinq fois le prix indiqué à la télévision. On a découvert que d’autres comités de quartier avaient transporté de la nourriture dans des camions poubelles, des ambulances et des véhicules sanitaires. Malgré les affirmations selon lesquelles les véhicules étaient désinfectés, la majorité des net-citoyens critiquaient encore cette pratique.

    Le 10 mars, Xi Jinping a visité Wuhan pour la première fois depuis la quarantaine du 23 janvier. Le régime, et même Xi personnellement, ont été massivement critiqués pour leur mauvaise gestion de la crise, surtout au début. La visite de Xi avait deux objectifs : montrer au monde entier, mais surtout à la population chinoise, que le PCC a “vaincu” le virus à son épicentre, mais aussi renforcer l’image de Xi, qui a été gravement ternie.

    L’énorme culte de la personnalité qui entoure Xi le dépeint comme le “leader du peuple”, un titre que seul Mao Zedong détenait auparavant. Mais à Wuhan, Xi évitait généralement de rencontrer le peuple. Lors d’une visite dans un complexe résidentiel, les habitants ont été invités à rester à l’intérieur – de peur que des protestations n’éclatent, comme ce fut le cas lors de la visite de Sun. La plupart des autres événements de l’agenda de Xi se sont déroulés par vidéoconférence, par exemple avec des groupes de travailleurs de la santé de première ligne à l’hôpital de Huoshenshan. “Finalement, il s’est rendu à Wuhan pour passer des appels vidéo”, résumait un commentaire – bientôt supprimé – sur les médias sociaux.

    Spéculation sur les prix des denrées alimentaires

    Le 12 mars, à Xiaogan, à environ 100 kilomètres de Wuhan, un habitant nommé Cheng a contacté un fournisseur de légumes frais aux prix plus bas, mais il a été dénoncé à la police. Plus tard, la police a arrêté Cheng, ce qui a déclenché la colère des habitants. Plus de 100 résidents se sont rassemblés sur le terrain de basket pour protester. Ils ont encerclé les voitures de police et ont exigé sa libération. Ils ont également exigé que Lyu Deshan, le secrétaire du comité PCC de la communauté et directeur du comité des propriétaires, qui ne vivait pas sur place, démissionne.

    La réaction officielle du gouvernement de Xiaogan à cet incident a minimisé la question des légumes hors de prix et n’a pas précisé si le résident arrêté a été libéré ou non. Selon les commentaires en ligne, la nourriture était toujours hors de prix et de mauvaise qualité pendant le confinement. Les fonctionnaires locaux pouvaient gagner plus de 1 000 yuans par personne et par jour de façon injuste grâce à leur monopole de l’approvisionnement. L’arrestation d’un “fauteur de troubles” visait clairement à faire taire la menace à cet accord commercial lucratif entre le supermarché et les autorités locales.

    Pendant la période de confinement, qui a débuté le 23 janvier et qui a été levée le 8 avril, les prix des denrées alimentaires sont montés en flèche et la qualité n’a pas pu être garantie, ce qui a démontré qu’en monopolisant les approvisionnements et en augmentant les prix des produits de première nécessité, les agences locales du régime PCC ont exploité la catastrophe et fait passer le profit des fonctionnaires et des hommes d’affaires avant les besoins de la population. Une véritable société socialiste ne permettrait jamais que cela se produise, car la classe ouvrière serait aux commandes, par l’intermédiaire de comités démocratiques dans chaque zone résidentielle, école et lieu de travail, au lieu d’être gouvernée par une machine de parti qui sert des bureaucrates non élus et des profiteurs capitalistes.

    “Zéro nouveau cas”

    En réponse aux données officielles, indiquant “zéro nouveau cas” dans la province de Hubei, la quarantaine des villes de Hubei (à l’exception de Wuhan) a été levé le 25 mars. Cependant, les résidents de Hubei ayant un code QR vert (le code vert signifie “en bonne santé”) se heurtaient toujours à des obstacles pour entrer dans d’autres provinces. Le 27 mars, la police de la circulation de Jiujiang (une ville-préfecture dans le Jiangxi) a mis en place un barrage sur le pont entre les province de Hubei et de Jiangxi pour empêcher les véhicules du Hubei de traverser.

    Au début, la police de Jiujiang s’est heurtée à la police de Huangmei (un comté de Huanggang, Hubei), et a envoyé la police anti-émeute en renfort du côté du Jiangxi. Avec l’arrivée continue de personnes de Hubei, l’affrontement s’est transformé en une émeute de grande envergure. Mécontents de la discrimination toujours présente, les habitants de Hubei ont affronté la police du Jiangxi avec acharnement sur le pont du fleuve Yangtze, ont renversé des véhicules de police, ont forcé le blocus, se sont rendus à pied au poste de police du pont de Jiujiang et ont exigé des excuses de la part de la police du Jiangxi. La vidéo de ce tumulte a été rapidement effacée sur Sina Weibo.

    Afin d’obtenir une prime de 100 000 yuans par personne et de répondre à l’appel du gouvernement central pour la reprise du travail et de la production, les fonctionnaires de chaque province ont dissimulé l’ampleur de la pandémie, alors que les gouvernements locaux connaissent la situation réelle et craignent une épidémie massive qui pourrait devenir impossible à cacher dans leur région.

    Discrimination à l’encontre des habitants du Hubei

    Par conséquent, même si le niveau de risque de la province du Hubei a été abaissé, les gouvernements des autres provinces continuent à “prendre des précautions contre les résidents du Hubei et à leur imposer des restrictions”, comme le commente le Quotidien du peuple. Cela est également illustré par le renforcement des contrôles à Pékin (la capitale de la Chine) et par l’interdiction faite aux personnes en voyage d’affaires ou en visite familiale dans le Hubei de retourner à Pékin.

    De toute évidence, ce type de “régionalisme” va à l’encontre de la propagande du gouvernement central et des médias publics sur la “guerre populaire” unie contre la pandémie, et de plus en plus de gens deviennent sceptiques à l’égard des rapports officiels.

    Exiger le contrôle des prix des produits de première nécessité ou la transparence de l’information remettra inévitablement en question le système capitaliste d’État chinois, où le pouvoir est de plus en plus centralisé entre les mains d’une seule personne. Les travailleurs chinois doivent surmonter le “régionalisme” en créant des organisations communes, notamment des syndicats indépendants et pleinement démocratiques, afin d’unir et de renverser la dictature du PCC et, à sa place, construire une société socialiste démocratique où les moyens de production sont détenus en commun et où l’économie est placée sous le contrôle démocratique des travailleurs.

  • Le capitalisme et la grippe espagnole de 1918-1919

    L’hôpital du Camp Funston au Texas. Photo : Wikipédia.

    La “grippe espagnole” de 1918-1919 a tué entre 50 et 100 millions de personnes, soit plus que le nombre de morts de la Première et de la Deuxième Guerre mondiale réunies. Selon l’experte Laura Spinney, la grippe espagnole “a re-sculpté les populations humaines de manière plus radicale que tout ce qui avait été fait depuis la peste noire”.

    Par Keishia Taylor, Socialist Party (Alternative Socialiste Internationale – Irlande)

    Le fléau de la guerre

    L’épidémie de grippe a débuté au printemps 1918 et s’est rapidement propagée à travers l’Europe en raison des mouvements des troupes de la Première Guerre mondiale. Jusqu’à la moitié des soldats britanniques et les trois quarts des soldats français ont été infectés, car elle sévissait parmi les soldats mal nourris, entassés dans des tranchées et des camps militaires aux conditions sanitaires déplorables.

    Avec la mutation du virus, de nouveaux symptômes se sont développés, notamment le bleuissement des personnes par manque d’oxygène et des saignements abondants, le taux de mortalité a grimpé en flèche, en particulier chez les jeunes adultes dans la force de l’âge, comme les soldats. On pense maintenant que cela a été causé par une surstimulation du système immunitaire, une tempête de cytokines, ainsi qu’une infection secondaire comme la pneumonie. Mais les médecins de l’époque étaient déconcertés. Si l’origine du virus est toujours contestée, il est certain que cette pandémie ne se serait pas produite sans le transport des troupes, le détournement des ressources et les dommages causés à la santé des soldats et des civils par la Première Guerre mondiale.

    “Restez calme et continuez”

    Malgré la pandémie la plus dévastatrice de l’histoire qui se déroulait sous leurs yeux, les machines de propagande des pays impérialistes étaient surmenées pour réprimer, nier et minimiser la crise afin de maintenir le moral et l’appétit patriotique pour la guerre et ne rien donner à leurs ennemis. Seule la presse de l’Espagne neutre a rendu compte de l’épidémie, donnant ainsi son nom à la grippe.

    Réprimer la vérité concernant l’ampleur de la pandémie a également été tenté ces dernières semaines, notamment par Trump aux États-Unis et les Tories en Grande-Bretagne, bien qu’avec beaucoup moins de succès en raison de l’accès à l’information et à la communication à l’ère moderne.

    En 1918, à Philadelphie, les responsables de la santé ont approuvé une parade de la liberté à laquelle ont assisté 200.000 personnes, ce qui a entraîné 759 décès une semaine plus tard. Alors que des fosses communes étaient creusées, des écoles fermées et des rassemblements publics interdits, un journal annonçait : “Ce n’est pas une mesure de santé publique. Il n’y a pas lieu de s’alarmer”. Le président américain Woodrow Wilson n’a jamais fait de déclaration publique sur la maladie.

    Arthur Newsholme, le médecin-chef britannique, a décidé que “les besoins incessants de la guerre justifiaient le risque de propagation de l’infection” et a exhorté les gens à “continuer” calmement, un slogan popularisé plus tard par la propagande de la Seconde Guerre mondiale. Pour les gouvernements capitalistes des deux camps, il était primordial de gagner la guerre impérialiste, quel qu’en soit le coût humain. Il n’était pas question de réorienter les ressources vers les soins de santé de la population.

    L’impact de la pandémie

    Lorsque les troupes ont commencé à mourir en grand nombre, de la grippe plutôt que de la guerre, les gouvernements ont commencé à s’en rendre compte, mais les premières mesures de distanciation sociale résultaient principalement de la nécessité. Lorsque les gens tombaient malades, il n’y avait pas assez d’enseignants et d’ouvriers en bonne santé pour maintenir les écoles et les usines ouvertes. Les ouvriers se méfiaient de la propagande de l’État et, en l’absence d’informations, s’isolaient intuitivement pour éviter d’attraper la maladie.

    La guerre a apporté des difficultés et des tragédies à la classe ouvrière, sur le front et au pays, mais la révolution russe d’octobre 1917 a inspiré les travailleurs du monde entier à lutter pour un avenir meilleur. Des soulèvements ont eu lieu dans le monde entier au cours de cette période, dont le plus célèbre est la révolution allemande de 1918-1919. En Irlande (où 15.000 personnes sont mortes de la grippe), nous avons assisté à la grève générale contre la conscription en 1918, à la grève des ingénieurs de Belfast en 1919 et à la « grève soviétique » de Limerick en 1919.

    La guerre et l’inadéquation de la réponse à la pandémie ont démontré que les gouvernements et le système tout entier œuvraient à l’encontre des intérêts de la classe ouvrière. L’exploitation du peuple et des terres en Inde, par exemple, de même que l’incapacité des colons britanniques à fournir un système de santé ont entraîné 17 millions de décès, soit 5 % de la population indienne totale, ce qui a encore alimenté la lutte anticoloniale dans le pays.

    La santé publique

    La dévastation mondiale causée par la grippe espagnole a eu un impact profond sur la conscience des travailleurs à travers le monde. Elle a montré que la santé de la société était une question collective, et non individuelle. Elle a remis en question l’idéologie dominante selon laquelle “les sales qui ne se lavent pas” (comme les ouvriers et les pauvres étaient désignés de façon dégoûtante et péjorative par la classe dirigeante), n’avaient qu’à s’en prendre à eux-mêmes s’ils étaient tombés malades, puisque l’ampleur de la crise a également touché les riches et les officiers.

    Dans les années qui ont suivi, l’idée d’une médecine socialisée, gratuite et accessible à tous, a commencé à faire son chemin. La Russie soviétique a été la première à développer des soins de santé publics centralisés, suivie par d’autres pays européens, ce qui a conduit à la création d’un système de santé universel complet, le NHS, établi plus tard en Grande-Bretagne après la Seconde Guerre mondiale. En 1924, le gouvernement soviétique a développé une approche qui considérait les conditions de vie et de travail ainsi que les conditions sociales comme des facteurs clés de la santé, devançant une fois de plus les pays capitalistes. Les soins de santé universels constituaient un énorme bond en avant pour les travailleurs et les gens ordinaires, qui n’avaient plus à payer de médecins indépendants, à s’en remettre à des ordres religieux ou à se priver de soins. Mais là où ces gains ont été obtenus, ils ont été largement sapés au cours des dernières décennies par les réductions budgétaires néolibérales et la privatisation, nous laissant sans préparation pour la pandémie actuelle.

    Toutes les avancées médicales des cent dernières années ne peuvent pas surmonter le sous-financement chronique et le manque de personnel du système de santé publique. L’idéologie capitaliste, et les principaux partis capitalistes de chaque pays, sont fondamentalement opposés à l’idée de la gratuité des soins de santé pour tous, et ils ne la fourniront jamais. Seul un véritable système de santé socialisé, appartenant à l’État et planifié et contrôlé démocratiquement par les travailleurs médicaux et les patients, sera en mesure de fournir le type de soins de santé nécessaires pour résister à ce type de crise.

  • Le capitalisme s’écroule sous l’impact de la pandémie de COVID-19… Changeons de système maintenant !

    Le capitalisme est un obstacle pour sauver des vies. Réorganisons la société sur une base socialiste !

    Même les cadavres n’arrêtent pas la course aux profits capitaliste. C’est ce qu’a amplement démontré la crise du Coronavirus. Des travailleurs ont dû continuer à côtoyer leurs collègues sans la moindre protection, au risque de les infecter ou d’être infecté soi-même, tout ça pour préserver l’activité d’entreprises, y compris non-essentielles ! Même le personnel soignant doit s’en remettre à la chance plutôt qu’à l’action des gouvernements. Les politiciens de l’establishment osent parler des travailleuses et travailleurs de la santé en héros alors que ce sont leurs partis qui ont affamé nos services publics !

    Le confinement de la population est-il la seule réponse à apporter face à une épidémie ? Cette approche moyenâgeuse est en fait la solution du désespoir. Celle qui s’impose après avoir nié les recommandations des professionnels de la santé même alors que l’épidémie se propageait. Le prix que la société aura à payer pour le confinement n’est pas seulement économique. Le confinement favorise les tensions familiales, les violences domestiques, l’aggravation ou l’apparition de problèmes psychologique,…

    Les recommandations de l’Organisation Mondiale de la Santé sont très claires. Dépistage systématique de tous les malades suspects de Covid 19 et, en cas de positivité, de tous leurs contacts des deux dernières semaines. Isolement des cas positifs dans des structures de soins ou au domicile, sous contrôle de l’Etat. Construction d’infrastructures, que ce soit des structures de soins ou de tests provisoires ou d’usines visant à manufacturer le matériel nécessaire. Réquisition, formation ou engagement rapide tant du personnel qualifié que non qualifié pour diverses tâches. Ce n’est qu’après cela que les mesures de fermetures d’établissements ou de confinements sont préconisées.

    Pour appliquer ces recommandations, il aurait fallu un gouvernement capable de mobiliser toutes les richesses et les forces nécessaires de la société, y compris par des réquisitions. Nos gouvernements ont d’abord ignoré le danger, puis préféré s’en remettre au confinement et à un système de soins depuis longtemps malade de sous-financement. Les partis de l’establishment ont largement démontré que l’on ne pouvait leur faire aucune confiance !

    A cette crise sanitaire s’ajoute encore la grave crise écologique et une nouvelle crise économique mondiale, plus profonde qu’en 2008 et qui ne peut être comparée qu’à la Grande dépression de 1929. Ces trois crises sont liées, ce sont des symptômes du capitalisme. Et elles pointent toutes les trois en direction d’une approche planifiée. Aujourd’hui plus que jamais a été démontré que ce ne sont pas les actionnaires qui font tourner la société, ce sont les travailleuses et les travailleurs. Il n’est que logique qu’elles et ils prennent cette société en main pour la faire tourner sur base de décisions démocratiques et non sur base de la dictature des marchés. Nous avons besoin d’un autre système, qui place l’être humain au cœur de ses préoccupations.

    1) Un plan public de dépistage systématique et la sécurisation de l’approvisionnement des hôpitaux

    La meilleure manière de mettre fin à la panique et de permettre à chaque personne de se déplacer en toute sécurité est d’assurer le dépistage systématique de la population. L’efficacité de cette approche a déjà été démontrée dans divers pays, mais pour que ce potentiel soit pleinement saisi, il faut en planifier l’application à une échelle globale. Alors que la période où l’on contamine le plus autour de soi est celle qui précède l’apparition des symptômes, même le personnel soignant n’est toujours pas dépisté ! La communauté scientifique a sonné l’alarme pendant deux mois, mais rien n’a été fait pour anticiper des tests massifs en Belgique. Cette négligence est criminelle.

    L’élaboration d’un plan public de dépistage systématique et à plusieurs reprises s’impose, avec l’isolement des personnes positives et la mise en quarantaine des personnes avec lesquelles elles ont été en contact. Ce plan de dépistage public doit commencer par le personnel toujours en activité : personnel soignant, des maisons de repos, de l’alimentation, travailleurs sociaux en contact avec les sans-abris et les sans-papiers,… Aucun lieu de travail ne doit être remis en activité sans qu’un dépistage soit assuré pour tout le personnel. Dans les écoles, ce dépistage doit être également assuré pour tous les élèves. C’est la seule façon d’éviter la discorde entre ceux qui veulent rouvrir ces écoles dans l’intérêt des enfants (ou parce que la prise en charge à domicile est trop lourde) et ceux qui ne veulent pas le faire par inquiétude légitime.

    Cela exige évidemment de disposer de suffisamment de tests. Pour parvenir à cet objectif, le libre marché et la propriété privée des moyens de production sont un obstacle majeur. Des entreprises refusent de divulguer la recette de composants pour des tests, à l’image de la société Roche Diagnostics, afin de préserver leurs profits, même en temps de grave crise sanitaire. Il en va de même pour le gel hydro-alcoolique, les masques, les vêtements de protection, les appareils respirateurs,…

    Des stocks existent pourtant dans différentes entreprises privées du pays, très certainement dans le secteur chimique. D’autre part, la réorientation de l’activité de multiples entreprises est possible pour faire face à la pénurie. Des entreprises comme Safran Aeroboosters (ex-Techspace aéro), la Sonaca et la FN Herstal se sont par exemple mises à la fabrication, limitée, de respirateurs et de pièces de rechange.

    Tout le matériel qui peut servir les efforts du personnel soignant doit être réquisitionné sans délai. De la même manière, les usines dont la production peut être réorientée pour sécuriser l’approvisionnement des hôpitaux doivent réquisitionnées dans un plan de confection massif de matériel. Nous ne pouvons pas laisser les décisions à ce sujet à la discrétion des patrons. Personne ne sait mieux que les travailleurs quelles sont les ressources disponibles et comment la production peut être adaptée aux besoins d’aujourd’hui. Les représentants du mouvement des travailleurs, les délégations syndicales, doivent être mandatés pour révéler les stocks cachés dans les entreprises et garantir leur réquisition immédiate ! Ceux qui refuseraient de s’y plier devraient être démis de leurs fonctions et poursuivis en justice.

    Sur ce plan, la faillite des autorités est à deux niveaux. Tout d’abord, la politique d’austérité a laissé le pays dans une situation d’impréparation totale et meurtrière. Pensons à ces 6 millions de masques FFP2 détruits en 2019 et dont le stock n’a pas été renouvelé ! Ensuite, les autorités se sont révélées incapables d’assurer la réorganisation de la production pour faire face à l’épidémie. Il ne faut pas y voir de l’incompétence, mais simplement le respect de la logique du marché libre capitaliste.

    Nous exigeons :

    • L’élaboration d’urgence d’un plan public qui assure le dépistage systématique et à plusieurs reprises de toute la population, y compris les sans-abris et les sans-papiers, en commençant par les travailleurs des lieux de travail essentiels encore en activité.
    • La saisie immédiate des réserves de matériels qui font défaut dans la lutte contre le coronavirus, sans achat ni indemnisation à l’exception des cas où l’entreprise démontre, en présentant sa comptabilité, qu’une indemnisation est nécessaire pour éviter la faillite et après approbation des représentants des travailleurs de l’entreprise en question.
    • Les meilleurs outils dont nous disposons pour faire l’état des lieux de ce qui est caché dans les réserves des entreprises, ce sont les ce sont les travailleurs et leurs représentants, les délégations syndicales. Une campagne à cette fin doit être lancée par les organisations syndicales.
    • L’ouverture de la comptabilité des entreprises, en premier lieu à leurs travailleurs ainsi qu’aux experts externes de ces derniers, afin de juger de la pertinence on non d’une indemnisation.
    • La réquisition des usines dont les lignes de production peuvent être réorientées pour fabriquer massivement : masque, gel hydroalcoolique, bouteilles d’oxygènes, masques et cordons respiratoires, etc.
    • L’expropriation et la nationalisation sous contrôle et gestion des travailleurs et de la collectivité des entreprises qui spéculent sur le matériel médical ou qui profitent de la crise pour augmenter leurs prix.

    2) Refinancement massif d’urgence des soins de santé

    L’importance des soins de santé n’a jamais été aussi évidente aux yeux de larges couches de la population. Ce soutien doit être saisi pour exiger des investissements massifs pour un service de santé efficace qui ne peut pas gérés comme une entreprise dans un but de profit.

    Depuis plus de trente ans, les gouvernements ont limité les budgets des soins de santé, empêché des étudiants en médecine ayant réussi leurs études d’exercer via le numérus clausus, limité le nombre de lits des services hospitaliers, sous payé l’ensemble du personnel tant médical que para-médical ou technique,… Avec l’argument d’équilibrer les budgets. La situation budgétaire des soins de santé est telle que l’hôpital Saint-Pierre à Bruxelles a lancé un appel aux dons pour être en mesure de disposer d’une dizaine de respirateurs supplémentaires ! La politique néolibérale a donc contraint nos hôpitaux à faire la manche au tout début de cette crise sanitaire.

    Les conditions de travail ont été rendues telles qu’une grande partie des infirmières et infirmiers ne pratiquent réellement ce métier que durant une période de 5 à 10 ans. Tout juste avant le début de la crise du coronavirus, le Centre fédéral d’Expertise des Soins de santé (KCE) et la KU Leuven ont rendu publique une étude qui constatait qu’une infirmière ou infirmier sur quatre n’est pas satisfait de son travail, que 36% sont menacés d’épuisement professionnel et que 10% envisagent de quitter la profession. Selon cette même étude, la pénurie de personnel qui en découle assure qu’une infirmière ou un infirmier d’un hôpital belge s’occupe en moyenne de 9,4 patients, alors que l’on admet généralement, à l’échelon international, que la sécurité du patient n’est plus assurée au-delà de 8 patients par infirmier.

    Ensuite, la marchandisation du secteur a poussé les directions hospitalières à externaliser et précariser des services essentiels au bon fonctionnement de la structure hospitalière alors qu’aujourd’hui, plus que jamais, un personnel logistique, administratif et hôtelier en nombre, formé, motivé est nécessaire.

    Nous avons besoin d’un système public de soins de santé qui dispose de suffisamment de moyens pour coordonner les différents niveaux des soins de santé, jusqu’aux maisons médicales de quartier, et qui intègre également les soins à domicile. Ce système doit également intégrer les soins de santé mentaux pour faire face non seulement à l’explosion récente des burnouts et épuisements professionnels, mais également aux multiples problèmes psychologiques qui vont découler du confinement et du travail intensif réalisé dans les entreprises en activité.

    Nous exigeons :

    • L’arrêt immédiat de toutes mesures d’économies dans le secteur de la santé.
    • Un refinancement massif du secteur pour faire face à cette crise et dans l’objectif de permettre à chacune et chacun de bénéficier d’un accès à des soins de santé gratuits et de qualité, en commençant par les victimes actuelles du coronavirus.
    • Que les emplois dans le secteur des soins de santé soient plus attractifs : pas de prime unique, mais une augmentation de salaire pour le personnel et l’augmentation des salaires les plus bas jusqu’à au moins 14 euros de l’heure.
    • L’instauration générale de la semaine des 30 heures et la réduction collective du temps de travail, sans perte de salaire et avec embauches compensatoires, y compris pour le personnel en télétravail.
    • Une embauche massive de personnel supplémentaire et la réintégration des services externalisés au sein de l’ensemble du secteur de la santé, avec de bons contrats de travail et de bonnes conditions de salaire.
    • Le développement d’un service public national de soins de santé sous contrôle et gestion des travailleurs du secteur et de la collectivité.

    3) Une recherche scientifique libérée de la soif de profits

    C’est au biologiste américain Jonas Edward Salk que l’on doit l’invention du premier vaccin contre la poliomyélite. Salk n’a jamais breveté son vaccin afin d’en permettre une plus large diffusion. Lorsqu’il lui a été demandé en interview qui détenait le brevet, il a répondu : ‘‘Eh bien, au peuple je dirais. Il n’y a pas de brevet. Pourrait-on breveter le soleil ?’’

    Ces considérations sont aux antipodes de l’approche des multinationales pharmaceutiques que se sont lancées dans la course au médicament du coronavirus dans le but de s’approprier la poule aux œufs d’or avant la concurrence. Entre 2000 et 2018, 35 géants pharmaceutiques ont réalisé ensemble un bénéfice net de 1.900 milliards de dollars dans le monde ! Le groupe pharmaceutique américain Gilead Sciences a ainsi vu ses actions augmenter de 22% (l’équivalent de 12 milliards de dollars) dans les premiers temps de la crise mondiale du coronavirus puisqu’il semblerait qu’un de ses produits initialement développé contre l’Ebola, le remdesivir, pourrait traiter des symptômes du Covid-19. Les motivations du groupe pharmaceutique ne sont pas un mystère : il n’hésite pas à faire payer jusqu’à 2.000 dollars un mois de traitement contre le VIH aux Etats-Unis. Même en temps de pandémie, les entreprises ne renoncent pas à la recherche de profit.

    Aujourd’hui, la recherche scientifique dans le domaine pharmaceutique est à la croisée des chemins. Morcelée entre public et privé, elle est prise en étau par la logique d’austérité et de profit. Les conséquences du sous-financement dans le public et l’obligation de résultat exploitable dans le privé entravent fortement le potentiel existant, de même que la logique de concurrence à tous les niveaux. Si l’on veut connaître des bonds dans la connaissance fondamentale et appliquée pharmaceutique, nous n’avons pas d’autre choix que de libérer la recherche scientifique. Le séquençage de l’entièreté du génome humain au début des années 2000 n’a pas tenu les promesses affichées en termes de molécules innovantes. Aujourd’hui, seule la coopération et la mise en commun des différents travaux des équipes de recherches peut faire avancer la science.

    En Belgique, il est totalement scandaleux que l’une des plus grandes entreprises pharmaceutiques du pays, GSK, ait annoncé au début de l’année une restructuration qui pourrait coûter plus d’un millier d’emplois ! Cela illustre à quel point il est problématique de laisser ce secteur vital être la proie de l’avidité des grands actionnaires. Notre santé compte moins que leurs dividendes.

    L’ensemble du secteur doit être aux mains du public afin que les travailleurs et la population dans son ensemble puissent décider démocratiquement de de ce qui est produit et de quelle manière. Cela permettra de réduire les prix, d’éliminer les pénuries de médicaments et de rassembler les efforts pour développer de nouveaux vaccins. Il s’agit d’une nécessité car le COVID-19 ne sera pas la dernière pandémie dans ce contexte de destruction des écosystèmes favorable à leur développement.

    Nous exigeons :

    • Un financement public massif de la recherche scientifique.
    • L’abrogation des brevets.
    • Un soutien clair aux initiatives de partage d’informations et d’organisation de la coopération scientifique.
    • Que la recherche et le développement ne soient pas détachés de la production et de la distribution des outils de santé tels que le matériel médical, les médicaments et les vaccins.
    • La nationalisation sous contrôle et gestion des travailleurs et de la collectivité du secteur pharmaceutique et bio-médical.

    4) Protection maximale des travailleurs, qu’ils soient au travail, à la maison ou au chômage temporaire

    Travailleuses et travailleurs confinés

    En conséquence de la gravité de l’épidémie et de l’impact désastreux de la politique néolibérale sur les soins de santé, le respect des mesures de confinement s’impose. Cela nécessite de nombreux sacrifices, tout particulièrement de la part des familles les plus pauvres. Mais ces précautions sont mises en péril parce que les patrons et les gouvernements veulent que les affaires continuent, alors que le personnel de santé supplie que nous respections un confinement strict. C’est une décision scandaleuse.

    Les activités non-essentielles sont toujours autorisées, tant qu’une distanciation sociale est assurée sur le lieu de travail. En de nombreux endroits, il a fallu l’entrée en action des travailleurs pour imposer le respect de cette mesure pourtant largement insuffisante. Une liste de secteurs essentiels a été établie par le gouvernement fédéral, en respectant les volontés du patronat pour qui cette liste devait être la plus large possible, jusqu’à inclure l’activité de la multinationale brassicole InBev ! D’autre part, sous le prétexte de l’activité effectivement indispensable de certaines entreprises d’un secteur (une entreprise qui produit des blouses médicales par exemple), c’est la totalité de celui-ci qui est déclaré crucial. Non seulement les activités non-essentielles représentent un risque de contagion mais, de plus, certaines entreprises non-essentielles utilisent du matériel qui fait défaut à l’effort hospitalier, dans la chimie par exemple.

    Le mouvement des travailleurs et les représentants élus des travailleurs dans les Comités pour la prévention et la protection au travail (CPPT) doivent prendre l’initiative et constituer le noyau de comités anti-crise pour évaluer la pertinence ou non de maintenir l’activité de leur entreprise. Des CPPT doivent être instaurés dans toutes les entreprises à partir à partir de 20 travailleurs, faute de quoi l’entreprise devrait être saisie par les autorités et placée sous contrôle et gestion démocratique des travailleurs.

    Ces comités doivent notamment avoir à charge d’établir un plan visant à déterminer quels sont les lieux de travail, entreprises ou secteurs essentiels, quels travailleurs peuvent être déployés à cette fin, et comment fermer dans les plus brefs délais les entreprises non-essentielles encore en activité. Ces comités devraient également permettre d’assurer que tout le matériel de prévention (masques, désinfectants,…) aille en priorité vers le secteur des soins et les autres secteurs essentiels (nettoyage, transport, chaîne alimentaire, ramassage des déchets, etc.). Les personnes qui travaillent dans une entreprise non essentielle devraient également pouvoir temporairement aider le secteur des soins et les entreprises essentielles.

    Toute personne contrainte à ne pas travailler doit être protégée des soucis financiers. Les loyers, les hypothèques ou le coût de la vie ne vont pas diminuer. Et même si le paiement de certaines choses va être différé (les loyers par exemple), ce n’est qu’une solution à court terme. Il faut garantir le maintien du revenu durant toute la durée de la crise et au-delà. L’augmentation de l’allocation de chômage temporaire de 65 % à 70 % du salaire est un premier pas, mais c’est insuffisant. Le salaire doit être garanti à 100%, avec assistance des autorités publiques uniquement sur base de besoins prouvés, y compris dans le cas de faux-statuts d’indépendants.

    Le travail intérimaire et les flexi-jobs se sont largement développés ces dernières années. Il faut mettre fin au travail précaire et assurer à chacune et chacun des contrats de travail décents, avec CDI et salaire horaire d’au moins 14 euros de l’heure. Lorsque cela n’est pas possible, une allocation de chômage inconditionnelle doit être assurée, avec un montant qui dépasse le seuil de pauvreté, en tant que première étape vers une allocation qui permet de réellement vivre dignement.

    Travailleuses et travailleurs en activité

    Celles et ceux qui travaillent devraient avoir librement accès aux mesures de protection telles que les masques de protection. Dans de nombreux secteurs qui s’avèrent aujourd’hui essentiels, les salaires sont très bas. Y augmenter les salaires est donc une priorité. Les promesses de primes uniques, souvent sans versement de cotisations à la sécurité sociale, ne devraient pas remplacer ces augmentations. Mais l’augmentation de la charge de travail dans les supermarchés, par exemple, devrait s’accompagner d’une prime de risque. Afin d’éviter que les travailleurs malades ne continuent à travailler pour des raisons financières, cette prime doit être entièrement convertie en une indemnité de maladie. La réduction du temps de travail sans perte de salaire et avec embauches compensatoires doit permettre d’éviter l’épuisement rapide d’un personnel indispensable face à une crise de longue durée, mais aussi permettre une meilleure organisation de la garde d’enfants suite à la suspension des cours, par exemple. Sur ces lieux de travail, des comités de crise organisés démocratiquement doivent être mis en place en reposant sur les CPPT.

    Le personnel des secteurs essentiels devrait bénéficier d’une protection suffisante offerte gratuitement. Le contrôle de cette situation ne doit pas être laissé aux politiciens, aux patrons ou aux conseils d’administration. Ce sont les travailleurs eux-mêmes qui savent le mieux ce qu’il faut faire.

    Nous exigeons :

    • L’arrêt de toutes les activités économiques non-essentielles (hors des soins de santé, du nettoyage, des transports, de la chaîne alimentaire, du ramassage des déchets, etc.).
    • A travail essentiel, salaire essentiel et conditions de travail décentes. Stop aux statuts précaires : un emploi = un contrat à temps plein. Introduction d’un salaire minimum de 14 euros/heure.
    • Le personnel des secteurs clés doit être correctement rémunéré. Une prime de risque pour le personnel des supermarchés, entre autres, peut être envisagée, à condition qu’elle ne remplace pas des augmentations de salaire qui ne soient pas limités à cette crise.
    • L’indemnisation des pertes subies par les travailleurs en raison de l’annulation de vacances, de concerts, ou d’autres activités, sauf sur base de besoins prouvés.
    • Le versement de la totalité du salaire aux travailleurs par les entreprises sans aide de l’Etat, sauf sur base de besoins prouvés.
    • L’indemnisation sur base de besoins prouvés des petites entreprises et des indépendants qui se retrouvent en difficulté à cause de la crise.
    • En attendant le maintien des salaires et la nationalisation du secteur de l’énergie, l’annulation temporaire des factures d’énergie, des loyers et des hypothèques pour les personnes en difficulté.
    • Le contrôle des prix par des comités de crise dans le secteur de la distribution et par la communauté en général afin de lutter contre la spéculation.
    • La suppression des statuts précaires : un emploi = 1 CDI à plein temps!
    • Le relèvement des allocations sociales au-delà du seuil de pauvreté (estimé à 1 198,6 euros pour une personne isolée en 2018), comme première étape vers des allocations qui permettent de réellement vivre dignement.
    • L’arrêt de la chasse aux chômeurs et la suppression du stage d’attente !
    • L’instauration du salaire minimum de 14 euros/h.
    • L’instauration d’une pension minimum de 1500€ net.
    • La réduction collective du temps de travail avec embauches compensatoires et sans perte de salaire vers les 30h/semaine.
    • L’instauration de comités de crise organisés et gérés démocratiquement composés d’experts sanitaires, de représentants de collectivité locale et des travailleurs pour déterminer quelles sont les activités essentielles et en superviser le fonctionnement.
    • L’expropriation et la nationalisation sous contrôle et gestion des travailleurs et de la collectivité des entreprises qui tentent de se déroger à leurs obligations envers leur personnel, par exemple en poussant ce dernier à prendre ses congés durant la crise ou en mettant en place leur propre comité anti-crise.
    • L’expropriation et la nationalisation sous contrôle et gestion des travailleurs et de la collectivité des entreprises qui procèdent à des licenciements collectifs.

    5) Assurer la sécurité sociale la plus forte possible

    Au travers de la sécurité sociale, la collectivité garantit un revenu à ceux qui se retrouvent en incapacité de travailler pour quelque raison que ce soit. Les allocations sociales doivent nous permettre de continuer à bénéficier d’un certain niveau de vie à certaines périodes d’inactivité non désirées (pour cause de maladie, de pension ou de chômage). Pour le néolibéralisme, le filet de sécurité que représente la sécurité sociale doit être réduite au minimum. L’approche a été adoptée par tous les partis classiques et, après plus de 30 ans, c’est à peine si notre sécurité sociale tient encore debout.

    L’allocation de chômage ne représente que 64 % du salaire net au départ. Après six mois, les allocations de chômage sont inférieures au seuil de pauvreté pour tous les types de ménage. Le fait qu’en cette période de crise, l’allocation de chômage technique ait été portée de 65 % à 70 % a été accueilli avec un peu de soulagement par les nombreuses personnes concernées, mais nos factures seront-elles réduites à 70% ?

    C’est tout le système du chômage technique qui doit être remis en question. Ce système repose sur la logique de socialisation des pertes et de privatisation des profits : quand tout va bien, les grandes entreprises empochent profits et dividendes mais, en temps de crise, c’est la collectivité qui paye.

    Tous les ménages les familles doivent disposer d’une garantie de revenu. Les entreprises qui ont réalisé de superbes bénéfices peuvent parfaitement assure la continuité des salaires. Quant aux petites entreprises, si elles peuvent démontrer qu’elles ne sont pas en mesure de le faire, elles doivent pouvoir bénéficier de l’assistance des autorités.

    Notre sécurité sociale serait parfaitement capable de supporter cette crise si elle n’avait pas été littéralement pillées. Le tax-shift du gouvernement Michel comprenait la diminution progressive des cotisations patronales de 32,4 % à 25 %. Pour les patrons, cela signifie une réduction du coût de la main-d’œuvre de 5,8 milliards d’euros par an. La multitude de stratagèmes pro-patronaux de cette sorte ont fait passer la sécurité sociale de 20 % du PIB en 1983 à 15,3 % aujourd’hui. Si les règles de financement de la sécu de 1983 étaient restaurées, cela signifierait 22 milliards d’euros supplémentaires par an. De quoi largement dépasser le déficit de 6 milliards d’euros prévu d’ici 2024. Dans la sécurité sociale comme dans les services publics, la réduction de moyen est organisée par les autorités pour ensuite justifier encore plus de mesures d’austérité.

    D’autre part, les prestations en nature sont très populaires auprès des patrons, car cela leur évite de verser des cotisations de sécurité sociale. En 2019, cela représentait pas moins de 6,8 milliards d’euros de masse salariale, soit 2,6 milliards d’euros de revenus en moins pour les caisses de sécurité sociale. Mais puisque certains avantages extra-légaux n’ont pas été inclus dans cette étude, la perte réelle pourrait être de l’ordre de 4 milliards d’euros. Il faut revenir sur ces avantages, en assurant que cela n’implique aucune perte pour les travailleuses et travailleurs. Ils doivent donc être reversés sous forme de salaire.

    Tout démantèlement de la sécurité sociale signifie de revenir vers l’individualisation des risques sociaux. Il y a eu une prolifération de pensions complémentaires et de fonds de pension, d’hospitalisation et d’assurances complémentaires. Ces systèmes ne sont pas neutres. Ils constituent l’interprétation néolibérale de la couverture individuelle des risques sociaux et sapent notre sécurité sociale collective.

    C’est grâce au combat acharné de la classe des travailleurs que la sécurité sociale a été instaurée pour faire face à des crises comme celles d’aujourd’hui. Pour arracher le remboursement de ce qui a été pillé et imposer des contributions sociales qui nous permettent de faire face aux besoins, il faudra un même type de lutte.

    Nous exigeons :

    • Le rétablissement de la sécurité sociale et l’abolition de tous les cadeaux au patronat.
    • Déconstruction des prestations en nature pour qu’elles soient remplacées par des salaires, sans perte de revenus pour les travailleurs.
    • La garantie d’un revenu en cas de maladie et de chômage temporaire équivalente à 100 % du salaire net.
    • L’imposition de plus fortes contributions sociales au patronat.

    6) Lutter contre l’injustice sociale par des services sociaux de base pour toutes et tous

    En ces temps de crise, les inégalités sociales sont plus apparentes et s’accentuent. Beaucoup de gens constatent aujourd’hui à quel point le secteur social est crucial dans la société.

    En moyenne, les personnes vivant dans la pauvreté ou l’insécurité ont une santé moins bonne que celles qui disposent d’un revenu décent, comme le démontre l’Annuaire sur la pauvreté et l’exclusion sociale 2019. Un Belge sur cinq vit dans la pauvreté et/ou l’exclusion sociale, malgré l’existence (menacée) de la sécurité sociale. Ce groupe de la population est plus exposé au risque de décès. Encore une fois : le capitalisme tue !

    De nombreux usagers des services sociaux sont confrontés à l’exclusion par la propagation du virus. Les sans-abris ont actuellement le choix entre un abri où l’hygiène est limitée et vivre dans la rue où ils peuvent être infectés et infecter d’autres. De nombreuses personnes qui arrivent à peine à joindre les deux bouts chaque mois sont menacées de ne pas pouvoir payer leur loyer en raison de la perte de leur salaire et/ou de leur emploi. La moitié des Belges ne parvient déjà pas à économiser, et la précarité est énorme, ce qui conduit une part importante de la population à habiter un logement précaire ou en inadéquation avec les besoins familiaux. En période de confinement, cela se traduit par une augmentation des tensions familiales et de voisinage ainsi que de la violence domestiques.

    De nombreux travailleurs sociaux prennent aujourd’hui d’énormes risques : des travailleurs de rue arpentent les quartiers avec des moyens limités, plusieurs refuges travaillent sans le moindre équipement de protection ni les infrastructures permettant de respecter les mesures de sécurité contre la contagion du covid 19. Face au manque de moyens, les travailleurs sociaux prennent pourtant de nouvelles initiatives de solidarité audacieuses pour sauver les plus grandes victimes du système, parfois au mépris de leur propre santé…

    La commercialisation du travail social et les économies budgétaires réalisées ont encore réduit les salaires de ces travailleurs et les conditions de travail se sont détériorées : les travailleurs sociaux sont toujours envoyés en mission sans moyens, leurs contrats reposent souvent sur des subventions dont la reconduction n’est pas garantie : ils ne peuvent travailler dans la continuité. Le manque est tellement énorme que des directions opérationnelles comptent aujourd’hui sur le non-remplacement du personnel malade pour équilibrer les budgets des structures, au détriment des conditions de travail du personnel restant et de la prise en charge des usagers. Ce sous-investissement a aujourd’hui des conséquences dramatiques pour le travail social et ceux qui en ont besoin. Il suffit de penser à la récente annulation de l’aide psychologique et budgétaire aux CAW (centres sociaux en Flandre), alors que la demande augmente considérablement dans ce domaine.

    La situation actuelle dévoile aussi le manque de personnel nécessaire à un accompagnement de qualité des personnes fragiles ou porteuses d’un handicap dans l’adoption des comportements nécessaires à contenir l’épidémie que ce soit dans les services d’aide à la jeunesse, de santé mentale ou d’aide à la grande précarité.

    La crise révèle également l’inanité des politiques de contrôle et de répression qui ont infiltré les dispositifs d’aide sociale ces dernières décennies : que faire avec les personnes en séjour illégal qui n’osent pas faire appel aux organismes officiels ou toute la population qui préfère aujourd’hui renoncer à toute allocation plutôt que de subir le contrôle permanent des CPAS, quand ces publics devraient être l’objet d’un accompagnement renforcé afin de ne pas devenir des foyers d’infection ?

    La seule solution structurelle pour éviter que les gens ne s’attirent des ennuis et deviennent un danger pour eux-mêmes et les autres est de retirer la richesse de la société des mains du secteur privé marchand afin d’organiser les services publics de base. Une véritable prévention des inégalités sociales, de la pauvreté et de l’exclusion sociale peut être réalisée lorsque ces services publics de base unissent démocratiquement les utilisateurs et le personnel pour répondre aux besoins fondamentaux de chacun.

    Nous exigeons :

    • L’arrêt des économies budgétaires dans le secteur social.
    • Que le personnel bénéficie de tous le matériel de protection dont il a besoin pour lui et pour les usagers ainsi que des infrastructures de prise en charge adéquates au besoin par réquisition des infrastructures privées.
    • Une prime de risque pour l’ensemble du personnel de ce secteur. En cas de maladie, cette prime de risque doit continuer à être intégralement versée sous forme de prime de maladie.
    • L’arrêt de la commercialisation du travail social.
    • Des investissements publics massifs dans le secteur permettant les engagements massifs nécessaires à une prise en charge de qualité des usagers, des contrats pérennes pour les professionnels du secteur dans le public comme dans le privé et des revalorisations salariales qui reflète l’utilité sociale des travailleurs sociaux.
    • La fin des procédures de contrôle et de contrainte des allocataires qui vont à l’encontre des missions premières des travailleurs sociaux.
    • La régularisation de tous les sans-papiers pour protéger toute la population en lui donnant accès aux soins de santé.
    • La réquisition de chambres d’hôtels ou de centres de loisir, avec indemnisation sur base de besoins prouvés, en prévoyant des espaces séparés pour de potentiels malades mis en quarantaine, afin d’y loger les sans-abris et les sans-papiers dans de bonnes conditions, dans la perspective d’un plan massif de construction de logements sociaux, y compris par la saisie de bâtiments inoccupés à des fins spéculatives, une fois la période de confinement passée.

    7) Lutter pour l’émancipation des femmes, y compris en période de confinement

    En Chine et en Italie, une augmentation de la violence domestique a été constatée avec le confinement. En Belgique ou en France, des campagnes de sensibilisation ont été lancées pour populariser le numéro d’appel d’urgence, tant pour les violences conjugales que vis-à-vis des enfants. Mais faire appel à ce service est encore plus difficile qu’habituellement en raison du confinement. Les victimes de violences domestiques sont isolées de la société mais pas de leur agresseur !

    Il devient, de plus, non pas difficile, mais carrément impossible de partir, car les refuges trop peu nombreux ne peuvent pas accueillir plus de monde au vu des règles de distanciations sociales. Dans l’immédiat, il faut permettre l’ouverture de suffisamment places de refuges supplémentaires pour femmes et leurs enfants ou personnes LGBTQI+ grâce à la réquisition de chambres d’hôtels ou de centres de loisir avec indemnisation sur base de besoins prouvés, en prévoyant des espaces séparés pour de potentiels malades mis en quarantaine. Une fois la période de confinement passée, il faut un plan massif de construction de logements sociaux et de véritables refuges, y compris par la saisie de bâtiments inoccupés à des fins spéculatives.

    Le confinement représente également un défi pour les familles monoparentales, soit près d’un quart des familles en Belgique, parmi lesquelles 80% de cheffes de ménages féminins. C’est d’autant plus vrai lorsqu’elles vivent en-dessous du seuil de pauvreté à l’instar de la moitié d’entre-elles. Celles-ci se retrouvent souvent enfermées dans un petit logement à devoir jongler entre les enfants et télétravail. Il est nécessaire de soutenir ces familles contre les violences domestiques, mais également contre les risques psychologiques accrus par l’isolement (“burnout parental”). Mais cela nécessite des moyens financiers.

    Nous exigeons :

    • L’obligation de l’égalité salariale, même en temps de crise !
    • La suppression du statut de cohabitant, l’individualisation des droits sociaux et l’augmentation des allocations familiales afin qu’elles recouvrent réellement le coût de l’éducation d’un enfant.
    • L’ouverture de suffisamment places de refuges supplémentaires pour femmes ou personnes LGBTQI+ par la réquisition de chambres d’hôtels ou de centres de loisir, avec indemnisation sur base de besoins prouvés, en prévoyant des espaces séparés pour de potentiels malades mis en quarantaine, dans la perspective d’un plan massif de construction de logements sociaux et de véritables refuges, y compris par la saisie de bâtiments inoccupés à des fins spéculatives, une fois la période de confinement passée.
    • Des propositions d’activités pédagogiques pour les enfants accessibles à toutes les familles, pas uniquement celles disposant d’une connexion internet haut débit (par plage horaire spéciale à la télévision publique, etc).

    8) Faire face à la crise écologique

    Nombre de chercheurs estiment que la destruction de la biodiversité et des écosystèmes crée les conditions d’apparition de nouveaux virus et de nouvelles maladies. C’est particulièrement le cas dans les zones tropicales détruites pour faire place à des monocultures intensives industrielles ou à de l’élevage industriel intensif. La fonte du Permafrost pose également la question de la réactivation possible de très anciens virus et bactéries actuellement prisonniers dans le sous-sol gelé.

    Tout porte donc à croire que la fréquence de l’émergence de nouveaux agents infectieux va augmenter, avec le risque de pandémies récurrentes. D’autre part, la pollution atmosphérique est un facteur aggravant pour les pathologies respiratoires. La propagation du Covid-19 aurait ainsi été grandement favorisée par la pollution de l’air et plus précisément par certaines particules fines très présentes dans les zones polluées de Wuhan, mais également au nord de l’Italie.

    Le mode de production capitaliste est également responsable du changement climatique, qui rend de plus en plus de parties du monde inhabitables pour les êtres humains, les animaux et les plantes.

    L’arrêt des activités non-essentielles doit être utilisé pour faire une évaluation de la production économique afin de permettre une transition écologique rapide, reposant sur une planification économique rationnelle, en assurant la reconversion des travailleurs des activités polluantes dans des emplois socialement utiles et respectueux de l’environnement.

    Nous exigeons :

    • La nationalisation sous contrôle et gestion démocratiques des grandes entreprises du secteur agro-alimentaire sans rachat ni indemnité sauf sur base de besoins prouvés afin d’assurer une transition écologique du secteur.
    • Un plan de relance capable de relever le défi du changement climatique et de s’opposer à la destruction de la biodiversité grâce à la planification démocratique de la production économique.

    9) Prendre l’argent là où il est

    Sur fond de crise boursière, liée à une récession de l’économie réelle, les capitalistes et leur personnel politique crieront que l’argent manque. Ils défendront que la collectivité continue de soutenir les grandes entreprises pour qu’elles puissent investir, car de cette richesse dépend celle de la population. C’est totalement faux. Nous l’avons constaté après la crise de 2008. Une fois encore les pertes ont été socialisées et les profits privatisés. Les dividendes versés aux actionnaires ont atteint des records tandis que la majorité de la population a été obligée de se serrer la ceinture. En Belgique, nous avons subi un saut d’index qui a réduit nos salaires réels, une augmentation de l’âge de la pension, des économies sur la sécurité sociale, etc. Pendant ce temps, de vastes richesses s’envolaient vers les paradis fiscaux. Résultat : pas moins de 172 milliards d’euros sont ainsi partis de Belgique pour les paradis fiscaux en 2019. Le budget des soins de santé représentait quant à lui 26 milliards d’euros la même année.

    Dès le début de la crise du coronavirus, les autorités ont assuré que les banques seraient soutenues. Les entreprises ont notamment obtenu un report du paiement de leurs cotisations à la sécurité sociale. C’est à peine s’il est question de fonds supplémentaires pour nos salaires et nos soins de santé. Si cela ne dépendait que des patrons et de leurs pantins politiques, le coût de la crise serait répercuté sur les travailleurs et leur famille.

    Les études d’Oxfam ont clairement illustré qu’un petit groupe richissi me dispose d’une fortune sans précédent : 2153 milliardaires détiennent plus d’argent que 60% de l’humanité ! Des milliards d’euros sont planqués dans les paradis fiscaux et des capitaux sont investis massivement dans des productions socialement inutiles, comme les dépenses militaires, tandis que la spéculation va bon train pour profiter de la crise, tout comme ce fut le cas avec la spéculation contre les Etats après la crise de 2008.

    Nous devons nous protéger en retirant des mains de cette élite richissime tous les leviers économique, au premier rang desquels le secteur financier. Cela permettrait d’assurer la fin de la spéculation et que ces sommes monumentales puissent servir à faire face aux crises sanitaires, écologiques et économique tout en améliorant le sort des travailleurs et de leurs familles.

    Nous exigeons :

    • Le non-paiement de la dette publique, sauf sur base de besoin prouvé.
    • L’expropriation et la nationalisation sous contrôle et gestion démocratiques de la collectivité des secteurs clés de l’économie (dont la finance), afin de disposer de tous les leviers pour répondre aux crises multiples du capitalisme.
    • La planification démocratique de de l’économie pour satisfaire les besoins de la population dans le respect de la planète.

    10) Le mouvement des travailleurs doit faire entendre sa voix !

    Cette crise a démontré une fois de plus que sans le travail et les efforts du personnel soignant, de la distribution, des transports, de la collecte de déchets,… rien ne fonctionne. Personne ne dispose d’une meilleure vue sur la manière dont les choses sont produites que les travailleuses et travailleurs eux-mêmes. C’est également à l’initiative des travailleurs que les premières mesures de protection ont été introduites dans de nombreux endroits ou que la production a été arrêtée.

    Nous ne pouvons accepter que cette crise serve de prétexte pour prendre des mesures de prévention et de protection sans que les travailleurs eux-mêmes ne soient impliqués. C’est précisément à cela que servent les Comités pour la prévention et la protection au travail (CPPT), avec des représentants élus du personnel. Qui oserait dire que cette crise ne concerne pas la prévention et la protection au travail ?

    Les mesures antidémocratiques telles que l’annulation des réunions des CPPT (qui peuvent cependant se dérouler parfaitement de manière numérique) doivent être repoussées de la manière la plus ferme. Le mouvement des travailleurs doit organiser ses comités de crise sur chaque lieu de travail, basés sur les CPPT, pour discuter des mesures de protection qui s’imposent ou tout simplement stopper la production non essentielle. Ces comités devraient également jouer un rôle central dans la planification du déconfinement, le suivi de la relance de la production et tout ce qui concerne la protection des travailleurs.

    Dans le même temps, les syndicats doivent continuer à présenter des revendications pour la défense de la sécurité sociale, des conditions de travail et des salaires. Dans le cas contraire, les conséquences de cette crise pourraient être reportées sur les travailleurs et leurs familles.

    Il aura fallu toute cette crise pour qu’un gouvernement fédéral de plein exercice soit mis sur pied en Belgique, provisoire et sans majorité parlementaire, mais disposant des pouvoirs spéciaux. L’histoire de l’utilisation des pouvoirs spéciaux en Belgique est sans équivoque : la méthode permit de faire adopter au pas de charge toute une série de mesures antisociales durant les années ’80 (sauts d’index, limitation des dépenses publiques, baisses des cotisations patronales, réduction de la sécurité sociale,…).

    Pour l’instant, il est difficile pour les partis traditionnels de parler ouvertement d’économies sur la sécurité sociale, comme l’avait fait la N-VA avant cette crise avec sa proposition d’y économiser 5 milliards d’euros. La Première Ministre MR n’avait pas hésité, alors qu’elle était ministre du budget du gouvernement Michel, à justifier les 900 millions d’euros d’économies dans les soins de santé et à parler de ‘‘surcapacité’’ dans les hôpitaux. Les services publics si essentiels pour faire face à cette crise ont été traités ces dernières années comme de la vulgaire crasse où l’on pouvait encore diminuer le rôle de l’Etat. Nous ne pouvons pas faire confiance à ces politiciens austéritaire pour prendre en main la crise des soins de santé et à ses conséquences économiques ! Tant dans le domaine syndical que politique, le mouvement des travailleurs doit prendre position et entrer en action pour la défense des intérêts des travailleurs et de leurs familles.

    Nous exigeons :

    • Le développement de médias et d’outils de communication reposant sur les travailleurs et qui laissent un large espace aux scientifiques et à leurs recommandations. Les organisations syndicales doivent prendre des initiatives en ce sens.
    • Le rejet de toute mesure antidémocratique prise sous couvert de la crise sanitaire. Les travailleurs savent mieux que quiconque ce qui doit être fait sur leur lieu de travail, c’est à eux que doit revenir l’organisation de comités de crise sur chaque lieu de travail afin de discuter des mesures de protection et les imposer, y compris l’arrêt de la production non essentielle.
    • Le rejet des pouvoirs spéciaux pour faire payer la crise aux travailleurs et à leurs familles. Il y a assez d’argent parmi les riches et les puissants. Pas d’économies sur la sécurité sociale, les soins de santé, les services publics ou les salaires des travailleurs !
    • L’élaboration d’une campagne combative avec des revendications et des propositions claires pour faire payer la crise aux super-riches, et non aux travailleurs. Cette campagne peut être popularisée par une sensibilisation sur les lieux de travail et par des campagnes et réunions en ligne.

    11) Un autre monde est possible, une société socialiste est nécessaire !

    Le capitalisme est un système malade, il nous faut une autre société. Le principe du just-in-time ou flux tendu devenue la norme sous le capitalisme afin d’économiser sur les frais de stockage a fragilisé la chaîne d’approvisionnement de matériel sanitaire et de protection. Avec les intérêts commerciaux et économiques, la santé est reléguée au dernier plan. Nous ne pouvons pas laisser cette avidité organiser l’économie !

    Afin de permettre un contrôle et une gestion démocratiques de la production et de la distribution, nous devons assurer que les leviers économiques, les secteurs clés de l’économie, deviennent propriétés publiques, sous contrôle et gestion des travailleurs et de la collectivité. Les travailleurs qui produisent les richesses pourraient ainsi démocratiquement décider de la manière dont leurs connaissances pourraient être utilisées.

    Les possibles nationalisations évoquées en France ou en Italie sont des interventions de l’Etat visant à socialiser les pertes – en indemnisant totalement ou partiellement les patrons et à ensuite faire payer l’assainissement de l’activité par les travailleurs et la collectivité – pour ensuite les privatiser à nouveau. Il n’en a pas été autrement avec le sauvetage des banques après la crise de 2008.

    Nous avons besoin d’un autre type de nationalisation : des nationalisations qui protègent les travailleurs et leurs familles des conséquences de la recherche de profit, sans rachat ni indemnité sauf sur base de besoins prouvés.

    Grâce à cela, il serait possible d’élaborer une planification rationnelle de l’économie, reposant sur l’examen minutieux des ressources disponibles et de toutes les possibilités techniques actuelles, afin d’adapter l’économie aux besoins et exigences de la population dans le respect de la planète. Une telle approche permettrait d’éviter le gaspillage, les productions inutiles et l’obsolescence programmée tout en permettant une transition verte harmonieuse. Cela poserait les bases d’une autre société, une société socialiste démocratique, qui rendrait possible une véritable coopération internationale.

    Toutes les grandes institutions que sont l’Organisation mondiale du commerce, le Fonds monétaire international ou encore l’ONU n’ont cessé de démontrer au fil des ans qu’il s’agissait de constructions capitalistes dont le seul et unique but est de préserver la dictature des marchés. Il n’en va pas autrement de l’Union européenne, un projet capitaliste déjà vacillant et qui n’a offert aucun début de solution face à la propagation du virus ou pour l’assistance aux pays les plus touchés.

    Les populations des pays capitalistes développés et des pays du monde néocolonial sont laissées à leur sort, dans des conditions encore plus dramatiques dans ces derniers, car même le confinement s’y révèle impossible.

    Mais le propre des grandes crises est que les opinions y connaissent des évolutions fulgurantes. Alors que nous n’en sommes encore qu’au début, cette pandémie nous enseigne déjà quelle est l’extrême fragilité du capitalisme, quelle est l’importance du secteur public et quelle est l’importance d’une approche internationale. N’oublions pas non plus que nous venons de clôturer une année 2019 marquée par des soulèvements de masse aux quatre coins du monde. La colère sociale à la base de ces révoltes n’a pas disparu, elle sera même alimentée par la gestion meurtrière ce cette crise par les divers gouvernements capitalistes.

    La colère ne suffit toutefois pas à elle seule. Pour aboutir au changement dont nous avons absolument besoin, celle-ci doit être organisée et canalisée autour d’un programme et d’une stratégie orientée vers la prise du pouvoir par la classe des travailleurs, la seule force sociale capable de paralyser toute l’économie grâce à l’arme de la grève et qui est également en mesure de relancer celle-ci sur une autre base. Il serait ainsi possible de se débarrasser une bonne fois pour toute des parasites capitalistes qui se nourrissent de notre exploitation.

    Cela exige bien entendu de mener le combat de façon internationale. C’est pourquoi le PSL/LSP est affilié à Alternative Socialiste Internationale, un parti mondial organisé dans une trentaine de pays qui s’engage sur tous les continents dans la lutte pour reléguer dans les poubelles de l’histoire ce système capitaliste où l’élite compte son argent pendant que nous comptons nos morts. Si vous êtes d’accord avec ce document, nous vous invitons à nous rejoindre et à participer à ce combat titanesque qui est la seule issue hors de cette crise systémique.

     

  • [DOSSIER] La Récession Coronavirus a commencé

    Plongée dans une crise profonde…

    La pandémie de coronavirus a déjà infecté des centaines de milliers de personnes et couté la vie à des milliers d’autres. La plupart des experts scientifiques et médicaux préviennent : la situation va forcément s’aggraver. Partout dans le monde, ce sont des millions de personnes qui risquent de perdre leur vie. Cette crise a démontré la complète incapacité du système capitaliste à gérer une crise sanitaire de cette ampleur. Elle a également mis en valeur les efforts héroïques consentis par les travailleurs de la santé, les scientifiques, les enseignants, les pompiers et bien d’autres, souvent bénévoles, qui risquent leur vie en travaillant de longues heures pour contenir et combattre le virus.

    Déclaration de l’Exécutif international d’Alternative Socialiste Internationale (ASI)

    Tous ces gens doivent travailler dans une situation de détresse permanente, aggravée par un manque d’équipements sanitaires, de lits d’hôpitaux et de personnel. Toutes ces pénuries résultent dans une large mesure de l’offensive néolibérale menée contre la santé publique et les autres services publics au cours de ces dernières décennies. Cette offensive a entrainé l’instauration graduelle de principes de gestion néolibérale dans les anciens services publics et systèmes de santé nationaux, dont la « production allégée » (méthode qui consiste à tout réduire au strict minimum), ainsi que leur privatisation pure et simple.

    L’Italie comptait 10,6 lits d’hôpital pour 1000 personnes en 1975, contre 2,6 aujourd’hui. On y comptait également 6,9 infirmières et sages-femmes pour 1000 personnes en 2011, contre 5,8 en 2017. En France, le nombre de lits d’hôpitaux pour 1000 personnes est passé de 11,1 en 1981 à 6,5 en 2013.

    Certains commentateurs et politiciens occidentaux tentent de se consoler avec l’espoir que l’arrivée de l’été tempèrera l’épidémie, mais ils oublient souvent que leur été correspond à l’hiver dans l’hémisphère sud ! Dans le monde néocolonial, les énormes inégalités, l’infrastructure sanitaire et les soins de santé défaillants ainsi que la forte densité de population pourraient entrainer un nouveau cycle de souffrance humaine à une échelle encore plus grande si le virus s’y implantait.

    Après une période de déni pendant laquelle ils ont tenté d’étouffer l’affaire, les gouvernements, les institutions internationales et les hommes politiques se sont finalement « joints » à la lutte. Dans de nombreux pays touchés par le virus, les écoles, les bars et les restaurants ont été fermés. Les activités sportives et culturelles sont interdites. Les rassemblements de masse sont interdits.

    La France a déclaré un confinement partiel. Les bars et restaurants ont été fermés. Une manifestation de centaines de Gilets jaunes portant des masques de protection a été dispersée par la police à Paris le 14 mars; une marche que les autorités jugeait « irresponsable » dans le contexte de l’épidémie. Pourtant, Macron insistait au même moment sur le fait que les élections municipales devaient se tenir coute que coute le lendemain.

    L’Italie est en état de confinement total. Toutefois, comme dans presque tous les autres pays, la plupart des entreprises continuent à fonctionner en toute impunité, ce qui rend les autres mesures adoptées futiles, tout en illustrant la servilité des gouvernements envers les patrons. C’est dans ce contexte qu’une nouvelle vague de grèves et de débrayages spontanés a éclaté au niveau international contre l’imprudence de la classe capitaliste, qui cherche tant bien que mal à préserver son profit au mépris total des vies humaines et de la santé des travailleurs. On a vu partir en grève les ouvriers des usines en Italie, les postiers en Grande-Bretagne, les chauffeurs de bus en France et en Belgique, les ouvriers de l’automobile au Canada, etc. Pendant ce temps, alors que la Commission européenne est dépassée par les évènements, la soi-disant liberté de circulation tant vantée au sein de l’Union européenne part en lambeaux, tout comme le marché unique.

    Épidémies et pandémies : de plus en plus symptomatiques du capitalisme mondial

    Les épidémies et les pandémies ne sont pas des phénomènes neufs. L’histoire humaine est jonchée de telles catastrophes. Ainsi, on estime que la population européenne a été réduite de moitié par la peste de Justinien (entre les années 550 et 700). Cependant, si les épidémies ne font pas partie de notre culture, elles peuvent être provoquées par elle. La peste noire qui s’est répandue en Europe au milieu du 14e siècle et qui a décimé un tiers de la population européenne avait été apportée par l’extension du commerce le long de la route de la Soie. Les personnes infectées devaient rester chez elles pendant quarante jours ; un fagot de paille était accroché sur la façade de leur maison, afin que les gens puissent savoir que les résidents étaient infectés. Les navires qui arrivaient à Venise en provenance de ports infectés devaient rester à l’ancre pendant 40 jours avant de débarquer. De 1918 à 1920, la « grippe espagnole » qui a infecté 500 millions de personnes dans le monde a causé entre 50 et 100 millions de décès. Selon l’étude de la Banque mondiale publiée l’année dernière, une épidémie similaire aujourd’hui provoquerait un effondrement du PIB mondial d’environ –5 %, une récession beaucoup plus profonde que celle de 2009 (qui avait été de –2 %).

    Depuis ces évènements historiques, l’intensification des voyages et du commerce mondial, la construction de nouvelles routes, la déforestation, le défrichement et le développement agricole sans précédent ont rendu l’humanité plus sensible que jamais à des agents pathogènes tels que le coronavirus. Des études ont montré que le taux d’apparition de telles maladies dites « émergentes » a quadruplé au cours des 50 dernières années, en grande partie en raison de la perturbation de l’écosystème par l’activité humaine. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a recensé pas moins de 1483 épidémies dans 172 pays entre 2011 et 2018. On se souvient que très récemment, le VIH (le virus du sida) et l’épidémie d’Ébola ont fait la une des journaux pour avoir tué des centaines de milliers de personnes, principalement en Afrique subsaharienne.

    En raison de sa ressemblance avec la Covid-19, on fait beaucoup référence à l’épidémie de SRAS (« syndrome respiratoire aigu sévère ») qui s’est également déclarée dans le sud de la Chine entre novembre 2002 et juillet 2003, infectant 8098 personnes et en tuant 774 dans 17 pays. Cette épidémie, tout comme le VIH et le virus Ébola, n’a cependant eu qu’un impact très limité sur l’économie mondiale (–0,1 %).

    Cette fois-ci, ce sera différent

    Pendant l’épidémie de SRAS, la Chine ne représentait encore que 4 % de l’économie mondiale ; elle était encore loin d’avoir le poids économique qu’elle a aujourd’hui (17 % du PIB mondial). Depuis la crise économique de 2008, la Chine est devenue la principale locomotive de l’économie mondiale ainsi qu’un important fournisseur et acheteur pour tous les continents.

    Ce pays absorbe 14 % des exportations de l’UE (soit 6 % de moins qu’il y a 20 ans), et fournit 20 % des importations de l’UE (soit le double d’il y a 20 ans). C’est ainsi que l’industrie automobile allemande est fortement dépendante du marché chinois : une voiture BMW sur quatre y est vendue, tandis qu’un tiers des bénéfices annuels de Volkswagen y sont réalisés. Les voisins asiatiques de la Chine sont fortement dépendants du rythme de production de ce pays, à l’instar de nombreux producteurs mondiaux de matières premières (comme le Brésil). En outre, ce sont près de 8 millions de touristes chinois qui se rendent en Europe chaque année, tandis qu’un nombre bien plus important encore visite d’importantes destinations touristiques en Asie, notamment le Japon.

    Bien que la mondialisation et la croissance du commerce mondial se soient partiellement inversées depuis 2008, la nature hautement intégrée de l’économie mondiale et des chaines d’approvisionnement, au vu de la fragmentation de la production de biens et de leurs composants dans de nombreux pays et continents, a pour conséquence que l’arrêt de la production dans un pays se traduit facilement par un ralentissement ou une paralysie de la production dans d’autres pays. Apple, qui possède une usine à Wuhan, a déjà annoncé qu’elle cherchait d’autres fournisseurs.

    L’industrie pharmaceutique mondiale est elle aussi fortement dépendante de l’industrie chimique chinoise pour produire une part importante des médicaments génériques et des substances actives. Dès le 27 février, l’Agence des États-Unis pour les denrées alimentaires et les médicaments (FDA) signalait la première pénurie de médicaments liée à l’épidémie et à la perturbation de la chaine d’approvisionnement en médicaments ; d’autres pénuries de même type sont possibles dans le futur proche. La Chine est également un important acteur de nombreux autres secteurs. Cette interdépendance a pour effet de répercuter au monde entier le moindre hoquet dans la production.

    La récession mondiale qui s’amorce portera probablement à jamais le nom du Covid-19. Il faut néanmoins souligner que si le virus a été l’élément déclencheur de la récession, il n’en est pas sa cause fondamentale ! Le coronavirus est apparu à un moment où l’économie mondiale reposait déjà sur un équilibre plus que précaire. En 2019, la croissance mondiale n’a été que de 2,9 %, contre 3,4 % en 2018 et 3,6 % en 2017, soit un taux constamment inférieur à celui qui était en vigueur avant la Grande Récession de 2008. De nombreux analystes se préoccupent de la non-croissance de la productivité. La stagnation (voire le déclin) de la productivité au cours de la dernière décennie a pour conséquence que la modeste croissance de la productivité de la main-d’œuvre est principalement due à l’accumulation de capital physique (machines, bâtiments, fournitures de bureau ou d’entrepôt, véhicules, ordinateurs, etc. que possède une entreprise), plutôt qu’à une hausse de l’efficacité ou de l’innovation.

    L’économie mondiale n’a jamais vraiment surmonté les faiblesses fondamentales qui ont conduit à la Grande Récession de 2008-2009. Le taux de productivité n’a cessé de baisser, les bulles spéculatives qui avaient éclaté ont été remplacées par d’autres bulles encore plus grosses, et même si les taux d’intérêt ont diminué et si des tonnes d’argent ont été imprimées, les investissements productifs dans l’économie réelle n’ont jamais décollé. Les salaires ont continué à diminuer, tandis que les loyers, les frais de scolarité, de santé, etc. ont continué à augmenter. Le peu de bénéfices tirés de la « reprise » ont en grande partie été accaparés par l’élite capitaliste, ce qui a aggravé les inégalités. Les énormes sommes d’argent injectées dans le secteur financier des principaux pays capitalistes, au moyen de mesures telles que l’assouplissement quantitatif, sont en grande majorité retournées à la spéculation plutôt qu’à l’investissement productif. En substance, la politique des principaux pays capitalistes tout au long de la dernière décennie n’a consisté qu’à tenter de contenir l’incendie en continuant à l’arroser de plus en plus d’argent.

    Le piège de la dette

    Au moment de la crise de 2008-2009, les capitalistes se sont fortement appuyés sur les pays « émergents » des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), dont l’économie était alors relativement dynamique contrairement à aujourd’hui. C’était particulièrement le cas de la Chine, qui a investi dans de vastes projets d’infrastructure et importé d’immenses quantités de matières premières. Mais aujourd’hui, la Chine n’est plus en mesure de jouer ce rôle ; et ce, pour plusieurs raisons. Au-delà de l’impact qu’a eu le coronavirus sur son économie (voir ci-dessous), l’intensification des tensions entre puissances impérialistes et le blocage partiel de son programme des « Nouvelles routes de la soie », la Chine continue de subir les contrecoups de la gigantesque politique de relance alimentée par le crédit qu’elle a appliquée en réponse à la crise de 2008 et maintenue depuis lors.

    Sa dette totale est estimée à plus de 300 % de son PIB, ce qui pourrait représenter environ 40.000 milliards de dollars, soit environ la moitié du PIB mondial ! De plus, la Banque centrale chinoise ne contrôle sans doute pas entièrement ce que des géants de la technologie comme Tencent ou Alibaba font avec leur argent. Si la croissance devait ralentir et si les entreprises publiques, les autorités provinciales ou locales ne parvenaient pas à assurer le service de leurs dettes, cela pourrait entrainer une multiplication des faillites qui contaminerait le secteur bancaire. Vu la structure très particulière du « capitalisme d’État » chinois, cela pourrait rapidement engendrer une grande crise systémique.

    La dette est protégée par des mesures administratives qui contrôlent les flux des capitaux à l’entrée et à la sortie du pays. Ce qui a un impact massif sur les investissements chinois et sur la politique menée par la Chine à l’étranger. Pour alimenter cette dette et faire avancer l’économie, la Chine a besoin de l’épargne de sa population et des recettes de ses exportations. Sans croissance, les gens risqueraient de déposer moins d’argent dans les banques, et de développer une méfiance encore plus profonde envers le gouvernement. Pour ses exportations, les plans d’investissement de la Chine à l’étranger peuvent garantir un accès exclusif à un marché étranger local.

    En outre, Hong Kong joue également un rôle crucial. Cette ville sert de point d’accès pour les transactions financières, une sorte d’interface entre l’économie chinoise, encore en grande partie fermée, et l’économie mondiale ouverte. Hong Kong facilite grandement les échanges avec le monde financier ouvert à l’extérieur. Sans elle, et alors que des parties importantes de l’économie chinoise sont toujours soumises à des contrôles administratifs stricts, tout serait plus difficile. Cela lui confère une nécessité stratégique pour la situation économique et politique actuelle en Chine. Pour éviter l’isolement, Pékin doit garder Hong Kong sous son emprise tout en la maintenant relativement libre et ouverte sur le plan économique.

    La Chine est loin d’être seule à être aux prises avec une crise de la dette. Tout au long de ces dix ans de taux d’intérêt historiquement bas, voire négatifs, on a vu s’accumuler une dette mondiale record, atteignant plus de 322 % du PIB mondial ! Cela signifie que la moindre fragilité dans le système financier est susceptible de déclencher une nouvelle crise de la dette.

    Au cours de la dernière décennie, les entreprises ont eu recours à des emprunts à taux réduits. L’augmentation considérable de l’endettement des sociétés non financières états-uniennes est particulièrement frappante. Cela a permis aux géants de la technologie mondiale de racheter leurs propres actions et d’émettre d’énormes dividendes aux actionnaires tout en accumulant des liquidités à l’étranger pour éviter les impôts… Cet endettement a également permis à de petites et moyennes entreprises aux États-Unis, en Europe et au Japon de survivre à l’état de « zombies » même sans faire de véritable profit.

    Fin décembre 2019, la valeur totale mondiale des obligations des sociétés non financières a atteint un niveau record de 13.500 milliards de dollars, soit le double de celui de décembre 2008, en particulier aux États-Unis, où la dette des entreprises a presque doublé depuis la crise financière. La majeure partie de cette dette est notée « BBB », ce qui signifie qu’elle serait déclassée à un niveau de pacotille si l’économie vacillait. Dans le dernier rapport du FMI relatif à la stabilité financière mondiale, on trouve une simulation qui montre qu’une récession deux fois moins grave qu’en 2009 aurait pour conséquence que d’innombrables entreprises endettées se retrouveraient incapables d’assurer le remboursement de cette dette. Si les ventes s’effondrent, si les chaines d’approvisionnement sont perturbées et si la rentabilité chute encore, ces entreprises fortement endettées pourraient s’effondrer. L’impact se propagerait aux marchés du crédit et aux banques, et pourrait déclencher un effondrement de la finance mondiale.

    Le commerce mondial, une source de préoccupation dans un contexte de démondialisation accélérée

    L’une des caractéristiques les plus prononcées de la récession à venir sera l’accélération du renversement de la mondialisation et la montée du nationalisme économique et politique. Cette tendance se manifeste par des phénomènes politiques dans le monde entier, tandis que les gouvernements des principales puissances mondiales se voient pris d’assaut par une vague de populisme de droite. La Grande Récession de 2008-2009 avait pu être contenue grâce une très importante coopération internationale, quand bien même elle était restée plutôt limitée. Mais si l’économie mondiale s’achemine vers la catastrophe aujourd’hui, c’est justement en raison de l’absence de coopération entre pays, sur fond de montée des antagonismes entre les puissances impérialistes mondiales. L’évolution du commerce mondial en est un indicateur.

    Si l’on considère que le volume du commerce mondial en 2000 était de 100, il est passé à 117 en 2007, mais est retombé à 105 en 2017. En avril 2019, l’OMC avait pronostiqué une croissance de 2,6 % pour le commerce mondial, mais a finalement annoncé que le chiffre réellement obtenu, 1,2 %, n’avait pas même atteint la moitié de cette prévision. En comparaison, de 1990 à 2007, le commerce mondial avait augmenté en moyenne de 6,9 % par an, stimulant la croissance économique globale.

    Pour couronner le tout, Trump a entamé sa guerre commerciale en 2018. Alors que, jusque-là, l’interdépendance croissante des économies chinoise et états-unienne avait joué le rôle de relation économique centrale du capitalisme mondial, nous connaissons depuis une relation de plus en plus conflictuelle. Même après l’accord de « phase 1 » signé par les États-Unis et la Chine le 15 janvier, les droits de douane entre les deux pays sont maintenant en moyenne de 19,3 %, contre 3 % avant le début de la guerre commerciale. Cet accord de « phase 1 » ne représente pas une désescalade significative de ce conflit. Il s’agit d’un simple accord passé entre les représentants d’un système capitaliste en crise et en déclin. Aucune des deux parties n’est susceptible d’en tirer le moindre avantage durable, pas plus que les travailleurs et les pauvres.

    Cet accord a été conclu à un stade où les deux parties cherchaient de plus en plus désespérément un moyen d’apaiser temporairement le conflit, les États-Unis se trouvant en année électorale, tandis que le régime chinois était confronté à de multiples problèmes internes. Mais la question est seulement de savoir quand, et sur quelles questions, la lutte entre ces deux puissance va reprendre.

    Alors même que les États-Unis et la Chine signaient leur accord à la Maison Blanche, les ministères états-uniens préparaient de nouvelles mesures à l’encontre du géant chinois des télécommunications, Huawei, attaqué par l’élite dirigeante des États-Unis en raison de son rôle dominant dans l’essor de la technologie 5G, la prochaine génération de réseaux sans fil. Les États-Unis intensifient également la pression sur les gouvernements britannique et allemand pour qu’ils interdisent à Huawei d’utiliser leurs infrastructures 5G. De nouveaux problèmes se profilent dans les relations entre les États-Unis et la Chine concernant Taïwan, Hong Kong et l’Ouïghouristan ; il y a aussi l’intensification des activités militaires des deux côtés de la mer de Chine méridionale et la tendance croissante au protectionnisme financier.

    Une pause dans la guerre douanière que se mènent la Chine et les États-Unis pourrait également ouvrir la voie à de nouveaux conflits commerciaux opposant l’administration Trump à l’Europe, au Japon et à d’autres pays. Trump a relevé par deux fois les droits de douane sur les importations de produits européens, en 2018 et encore en 2019. Cela concerne notamment l’aluminium et l’acier en provenance de l’Union européenne, ainsi d’autres produits pour une valeur de 7,5 milliards de dollars, suite d’une décision de l’OMC en faveur des États-Unis concernant les subventions européennes au constructeur aéronautique Airbus. Trump menace également d’imposer des droits de douane à l’Italie et au Royaume-Uni après que ces pays ont annoncé vouloir taxer les entreprises numériques telles que Google et Facebook. Le gouvernement français a cédé aux menaces de M. Trump concernant une proposition fiscale similaire.

    Même si elles sont soulagées de voir les États-Unis et la Chine chercher à éviter une nouvelle intensification du conflit, l’UE et d’autres puissances commerciales se plaignent de ce que l’accord de la « phase 1 » introduit des régulations qui violent les principes du « libre-échange ». C’est un autre clou dans le cercueil de l’OMC, une institution qui a déjà été paralysée par la décision de Trump, l’année dernière, de bloquer la nomination des juges du système de règlement des différends de l’OMC. Ce système d’arbitrage, dont on a dit qu’il permettait d’éviter l’émergence de nouveaux conflits commerciaux, est aujourd’hui en panne. Sous Trump, le gouvernement états-unien a résolument abandonné le multilatéralisme pour privilégier une stratégie bilatérale consistant à conclure des accords commerciaux d’État à État. En tant que première économie mondiale, cela confère un avantage aux États-Unis… jusqu’à ce que de nouvelles crises et de nouveaux chocs modifient le rapport de force. Au final, tout cela ne fait qu’accentuer la fragmentation et l’instabilité de l’économie mondiale.

    Le coronavirus déclenche une contraction économique en Chine

    Lorsque le coronavirus est apparu à Wuhan début décembre de l’année dernière, puis lorsque la nouvelle souche Covid-19 a été identifiée le 7 janvier, la première réaction des autorités chinoises a été une négligence criminelle. Bien que Pékin ait reçu des rapports sur la situation, et ait même informé l’OMS le 31 décembre de l’émergence d’un nouveau type de coronavirus, le gouvernement central a accepté d’aider le gouvernement régional à étouffer les informations, et n’a pas sonné l’alarme publique avant le 20 janvier. À peine trois jours plus tard, le régime central imposait un confinement drastique à la ville de Wuhan, puis à toute la province du Hubeï (60 millions d’habitants), alors qu’il avait passé six semaines à fermer les yeux sur le problème. Le régime chinois connaissait déjà des difficultés avant cela. Depuis que M. Xi Jinping a pris le pouvoir, il y a six ans, son taux de croissance officiel est tombé à 7 %, après 30 ans de croissance moyenne de 10 % ; d’ailleurs, tout le monde sait que ce chiffre est fictif, la situation réelle est bien pire.

    Les observateurs, en Chine comme dans le monde, reconnaissent maintenant ce que les camarades chinois d’ASI ont compris depuis bien longtemps, à savoir que le pouvoir de M. Xi est beaucoup plus limité que ce qu’il cherche à faire croire. Les multiples crises dans les relations entre les États-Unis et la Chine, la mauvaise santé de l’économie, ainsi que l’insurrection populaire à Hong Kong, ont considérablement accru la pression sur M. Xi et ravivé la lutte pour le pouvoir au sein de l’élite dirigeante. En conséquence, les cadres régionaux, qui craignent de poser le moindre pas susceptible de nuire ou d’embarrasser la dictature de M. Xi, ont été totalement paralysés face à la crise du coronavirus, n’osant pas prendre la moindre initiative et préférant attendre les directives de Pékin. La nouvelle de l’épidémie a été étouffée. Les informations en ligne ont été bloquées. La première priorité était le maintien de la « stabilité ». On a laissé passer le moment crucial pour contenir le virus, et lorsqu’il est devenu incontrôlable, les hauts dirigeants du régime ont été contraints de prendre le contrôle direct de la crise.

    C’est ainsi que la grande ville de Wuhan (11 millions d’habitants) a été verrouillée, avec interdiction de tout voyage vers l’extérieur. Dans les trois jours qui ont suivi, cette quarantaine et cette interdiction de voyager ont été étendues à 20 autres villes, touchant quelque 60 millions de personnes. Les trains, les avions, les bateaux et les bus ont été mis à l’arrêt. Les gares et les péages routiers ont été bloqués par des policiers armés. Dans les villes en quarantaine, on se serait cru en temps de guerre ; la population était confrontée à de graves difficultés, à des pénuries aigües de fournitures médicales et à de longues files d’attente pour voir un médecin, vu la surcharge du système hospitalier, sous-financé de longue date.

    Des dizaines de millions de travailleurs sont restés sans salaire avec la fermeture de leurs usines et de leurs bureaux. Le congé du Nouvel An a été prolongé de dix jours dans la plupart du pays, voire plus dans certaines régions. On a donné l’ordre de fermer les écoles jusqu’à nouvel ordre, et les enseignants n’ont pas été payés. Des millions de travailleurs migrants provenant des provinces de l’intérieur se sont retrouvés à la merci des nouvelles règles de quarantaine et des restrictions de voyage qui se sont étendues à tout le pays. La majeure partie de la Chine s’est arrêtée.

    Pékin est alors entré dans une phase de limitation des dégâts, en essayant de protéger le personnage de « l’empereur » Xi toute en rejetant l’entière responsabilité sur le gouvernement et sur la police de Wuhan. Le régime chinois a déployé tout son arsenal de mesures de « maintien de la stabilité » par une propagande et des campagnes de communication massives, proclamant une « guerre du peuple » contre l’épidémie. La construction de deux nouveaux hôpitaux à Wuhan à une vitesse record, ajoutant 13.000 lits supplémentaires, visait à renforcer l’autorité du régime. En réalité toutefois, cela restait bien moins que les besoins, estimés à 190.000 personnes infectées à Wuhan. Surtout, ces hôpitaux ont été construits par des travailleurs migrants sans contrat de travail, sans assurance maladie ni accès aux traitements médicaux et œuvrant dans des conditions de travail terriblement dangereuses.

    D’après M. Jamil Anderlini, du Financial Times : « Si le virus ne peut être contenu rapidement, cette crise pourrait avoir pour le régime chinois le même impact que celle de Tchernobyl pour l’URSS en son temps, où les mensonges et les absurdités de l’autocratie sont mis à nu et visibles aux yeux de tous ».

    En ce qui concerne les mesures économiques, Pékin a annoncé un financement d’urgence de 12 milliards de dollars pour lutter contre l’épidémie. Mais la même semaine, le régime a injecté 174 milliards de dollars dans le secteur bancaire et la bourse pour éviter un effondrement des marchés. Cela montre bien que le régime chinois, tout comme les puissances capitalistes occidentales, est tout à fait inféodé aux grandes entreprises, faisant passer le profit avant la vie humaine.

    On entend dire aujourd’hui un peu partout que la crise est finie en Chine. Mais en réalité, la situation est loin d’être revenue à la normale. Début mars, le « taux de reprise du travail » officiellement signalé en Chine était d’environ 60 % pour les petites et moyennes entreprises, et nettement plus élevé pour les grandes entreprises. Toutefois, la réouverture d’une entreprise ne signifie pas qu’elle fonctionne au même rythme qu’à l’ordinaire. De plus, il est tout à fait possible qu’en reprenant le travail trop tôt, la Chine connaisse un retour subit de l’épidémie, tandis que le régime, avide de profit, se précipite pour remettre l’économie en marche.

    M. Dan Wang, de l’Economist Intelligence Unit, prévoit que 9 millions de Chinois perdront leur emploi cette année en conséquence de l’épidémie. Et selon le Bureau national des statistiques chinois, la production industrielle du pays a chuté de 13,5 % au cours des deux premiers mois de l’année, tandis que les services ont diminué de 13 %. On peut en déduire que le PIB chinois s’est contracté de 13 %, et que le premier trimestre de cette année sera le premier trimestre de croissance négative depuis 1976. Ces chiffres sont bien en deçà des attentes des analystes ; de nombreux experts chinois s’étonnent même que les responsables gouvernementaux soient prêts à faire état de chiffres aussi dévastateurs.

    Cependant, le choc réel pourrait être encore plus grand, car le confinement n’a en grande partie commencé que le 23 janvier. D’autres chiffres semblent le confirmer. Lors de l’apparition du virus en janvier et février, environ 5 millions de personnes en Chine auraient perdu leur emploi. Le taux de chômage urbain a grimpé à 6,2 % en février. Ces chiffres officiels ne sont qu’un indicateur approximatif, car ils ne prennent en compte que l’emploi dans les villes. La plupart des ouvriers industriels de Chine font partie des 300 millions de « migrants » provenant de zones rurales de l’intérieur du pays, qui travaillent sans contrat et sont souvent victimes de discriminations. On estime que 30 à 40 % d’entre eux sont toujours sans emploi, et que leur situation ne devrait pas se rétablir avant longtemps.

    Les ventes au détail ont chuté de 20,5 % annuel en janvier et février par rapport à l’année précédente, et les investissements dans l’immobilier ont chuté de 24,5 %, contre une croissance de 5,4 % lors de la dernière publication des données. Ces données publiées le 16 mars montrent à quel point le virus a frappé la deuxième plus grande économie du monde.

    La lutte pour le pouvoir au sein du Parti « communiste » chinois et de l’élite dirigeante va certainement s’intensifier, alimentée par les divisions croissantes sur la gestion du président Xi, mais reflétant aussi, en fin de compte, la nouvelle colère et la radicalisation qui s’agitent dans la base de la société. La pandémie a mis en évidence les failles du régime et a infligé de graves dommages économiques. Cela pourrait faire passer la crise à un autre niveau, avec des implications potentiellement révolutionnaires. La tâche des marxistes, et en particulier des partisans d’ASI en Chine, est d’aider les couches les plus conscientes de la classe ouvrière et de la jeunesse à s’y préparer politiquement. La crise humanitaire, économique et politique de la Chine appelle à la construction d’une alternative prolétarienne socialiste et véritablement démocratique face au capitalisme autoritaire du PCC.

    Les marchés boursiers passent de l’optimisme à la panique

    Jusqu’à la fin février, le « monde économique » était resté étonnamment optimiste. À cette époque, l’épidémie était essentiellement cantonnée à la seule province du Hubeï, qui représente tout de même 4,5 % du PIB chinois. Surestimant la force de la dictature de Xi Jinping, sa capacité à mobiliser des ressources apparemment illimitées et son contrôle sur la population, les capitalistes ont sans doute pensé que le régime serait en mesure d’y faire face. Même après le confinement du Hubeï et d’autres mesures, ou peut-être même à cause de celles-ci, ils pensaient que la situation était sous contrôle, sans se douter que la Covid-19 était sur le point de faire dérailler l’économie mondiale.

    Pas plus tard que le 2 mars, dans son rapport « Coronavirus : l’économie mondiale en danger », l’OCDE écrivait ceci : « Dans l’hypothèse où l’épidémie culminerait en Chine au premier trimestre de 2020 et où les contagions dans d’autres pays s’avèreraient modérées et contenues, la croissance mondiale pourrait être réduite d’environ 0,5 % cette année par rapport à celle prévue dans nos perspectives économiques de novembre 2019 », avant d’ajouter « Les perspectives pour la Chine ont été révisées de manière significative : la croissance passerait sous les 5 % cette année avant de remonter à plus de 6 % en 2020 ».

    Au moment où elle écrivait ces lignes, l’épicentre de ce qui a été reconnu tardivement comme une pandémie s’était déjà déplacé vers l’Europe. C’est ainsi qu’au cours de la dernière semaine de février, les marchés boursiers européens ont perdu en moyenne entre 12 et 15 % ; plusieurs marchés boursiers états-uniens ont également alors enregistré leurs plus fortes baisses depuis 2008. Le 28 février, ce sont les marchés boursiers du monde entier qui ont connu leur plus forte baisse en une semaine depuis la crise financière de 2008. Cette chute a conduit les ministres des Finances et les dirigeants des banques centrales des pays du G7 à publier une déclaration commune afin de calmer les marchés, s’engageant à utiliser tous les outils appropriés pour faire face à l’impact socioéconomique de l’épidémie.

    Dans les jours qui ont suivi, un certain nombre de banques centrales (en Malaisie, en Australie, en Indonésie, au Mexique, etc.), ont soit baissé leurs taux, soit pris d’autres mesures de relance. Mais la principale surprise est venue de la FED, la banque centrale des États-Unis, qui a baissé son taux de 50 points. Cette décision a entrainé une chute des marchés états-uniens (contrairement aux marchés européens et d’Asie-Pacifique qui avaient pour la plupart connu une brève hausse), tandis que le rendement des titres du Trésor américain à 10 et 30 ans est tombé à un niveau historiquement bas.

    La crise du prix du pétrole entre en jeu

    On dit qu’un malheur ne vient jamais seul. L’interruption des voyages internationaux et la baisse de la demande de pétrole en Chine suite au blocage imposé par le coronavirus ont provoqué une chute du cours du pétrole. Ce qui a conduit le cartel des producteurs de pétrole, l’OPEP, à discuter d’une éventuelle réduction de la production pour y faire face. Il était prévu de réduire la production de pétrole de 1,5 million de barils par jour, pour atteindre le niveau de production le plus bas depuis la guerre d’Irak. Cependant, lors d’une réunion à Vienne le 5 mars 2020, l’OPEP et la Russie ne sont pas parvenues à un accord.

    Engagées dans une guerre économique féroce dans un contexte de réduction de leurs débouchés, l’Arabie saoudite et la Russie ont annoncé, le 7 mars, vouloir chacune augmenter sa production de pétrole, ce qui a de nouveau fait chuter les cours de 25 % supplémentaires. Le 8 mars, l’Arabie saoudite a annoncé de manière inattendue qu’elle allait encore augmenter sa production de pétrole brut et le vendre à prix réduit (de 6 à 8 dollars le baril !) à des clients en Asie, aux États-Unis et en Europe. L’extraction du pétrole brut en Arabie saoudite est beaucoup moins chère (18 $ le baril) qu’en Russie (42 $), sans parler de la production que les États-Unis tirent de l’exploitation des schistes bitumineux. Si l’Arabie saoudite continue à inonder le marché, elle pourrait pousser à la faillite de nombreux extracteurs de pétrole russes, états-uniens et autres.

    Cette guerre du cours du pétrole entre la Russie et l’Arabie saoudite, combinée à la panique grandissante face au coronavirus, est à l’origine du « lundi noir » du 20 février. L’indice Dow Jones a ainsi connu la plus forte baisse jamais enregistrée en une seule journée, pendant que de nombreux autres marchés boursiers battaient de leur côté également toutes sortes de records de baisse dans le monde entier. Ce lundi noir a été suivi par une nouvelle avalanche d’annonces d’interventions de la part de la FED et du gouvernement des États-Unis.

    C’est là que M. Trump a proposé un stimulant fiscal sous la forme d’une taxe de 0 % sur les salaires. Puis, le 11 mars, il a annoncé une interdiction temporaire de voyager de 30 jours à l’encontre des 26 membres de l’espace Schengen en Europe. Le lendemain, on a connu le « jeudi noir », une chute encore plus importante des marchés boursiers états-uniens, provoquant une autre journée de crise sur les marchés internationaux. En 124 ans d’existence, le Dow Jones a enregistré la baisse la plus rapide de son histoire. Entre le 17 février et le 13 mars, l’indice Standard & Poor 500 de Wall Street a perdu 27 % de sa valeur, le FTSE 100 de Londres, 30 %, et le Dax de Francfort, 33 %.

    Vers une récession profonde

    Les marchés boursiers sont loin de refléter correctement l’état exact de l’économie. Ils offrent cependant une image déformée de la direction que prend l’économie. À partir de la fin février, les économistes et les commentateurs ont commencé à évoquer ouvertement la possibilité d’une récession. Mais leur principale question était de savoir quelle forme elle prendrait, et quelle serait son ampleur. S’agira-t-il d’une récession en forme de « V », c’est-à-dire une chute brutale résultant des restrictions introduites pendant le pic du virus, pour connaitre un redressement renforcé après avoir brièvement touché le fond ?

    Connaitrons-nous une récession en « W », dans laquelle les premiers signes de reprise seront prématurés et conduiront à un deuxième creux ? Habituellement, lorsqu’ils soulèvent cette question, les économistes demandent aux autorités d’apporter une aide, en particulier aux petites et moyennes entreprises, sous la forme de remboursements d’impôts, d’emprunts bon marché ou d’une aide financière au personnel retiré du travail. Dans le cas contraire, ces entreprises pourraient faire faillite ou commencer à licencier des travailleurs, ce qui compromettrait la possibilité de reprise, conduisant à une récession en « U », plus longue que celle en « V », voire à une récession en « L », sans possibilité de reprise à court ou moyen terme.

    Les possibilités d’éviter un tel scénario diminuent de jour en jour. Le 13 mars, la grande banque JP Morgan a annoncé que son point de vue sur l’épidémie de coronavirus avait « énormément évolué au cours des dernières semaines ». L’arrêt soudain de l’activité économique dû aux quarantaines, à l’annulation de toutes les manifestations culturelles et sportives et à la distanciation sociale, ainsi que les semaines de chaos sur les marchés financiers, a poussé les dirigeants de cette banque à conclure que les économies états-unienne et européenne seront frappées par une profonde récession d’ici juillet.

    La banque estime que le PIB des États-Unis va se contracter de 2 % au premier trimestre et de 3 % au second, tandis que la zone euro se contracterait de 1,8 % et de 3,3 % pour ces mêmes périodes. Ce serait désastreux. Pendant la Grande Récession de 2008-2009, la baisse de la production aux États-Unis a été d’environ 4,5 %. On estime aujourd’hui que cette baisse est d’environ 6,5 % pour la Chine et l’Italie, et pourrait atteindre 10 %. Au plus fort de la Grande Récession, l’économie des États-Unis supprimait 800.000 emplois par mois, et le taux de chômage y a atteint un pic de 10 %. Cette fois-ci, ce sera bien pire. Déjà en Chine, le nombre de personnes mises au chômage se chiffre en millions, et bien d’autres suivront dans le monde entier. Les classes dirigeantes sont terrifiées par la colère que cette crise pourrait provoquer, qui pourrait raviver et étendre les révoltes et les luttes de classes observées dans la dernière partie de 2019 et qui ont touché tous les continents.

    Bon nombre d’autres économistes et institutions, dont la banque Goldman Sachs, revoient également leurs estimations. Personne ne semble beaucoup plus optimiste. Selon le Pr Kenneth Rogoff, de l’université de Harvard, « Une récession mondiale semble pour l’instant assurée, avec une probabilité de plus de 90 % » Pour le Pr Olivier Blanchard, de l’Institut Peterson, « Il n’y a aucun doute dans mon esprit que la croissance économique mondiale sera négative » pour les six premiers mois de 2020 ; toujours d’après ce professeur, la croissance de la deuxième moitié de l’année dépendra du moment où le pic d’infection sera atteint, ajoutant que selon son propre jugement, cette période sera probablement elle aussi négative.

    D’après la définition qui en est donnée par le FMI, une récession mondiale est le moment où la croissance (qui devrait être de 3,5 à 4 % par an) tombe en dessous de 2,5 %. Tous les anciens du FMI ne pensent pas que cette définition soit raisonnable dans les circonstances actuelles, mais tous ont déclaré que, quelle que soit la définition employée, les conditions d’une récession mondiale sont réunies. En 2009, le PIB mondial a diminué de –0,1 %. Actuellement, le scénario de l’OCDE en cas de propagation de la pandémie en dehors de la Chine est une croissance de 1,5 %, mais ce chiffre devra bientôt être révisé à la baisse, peut-être bien en dessous du niveau de 2009.

    La Pr Gita Gopinath, économiste en chef du FMI, a déclaré de son côté que, bien qu’il soit difficile à le prévoir, cela ne ressemble pas à une récession normale. Elle se fonde sur le fait que les données de la Chine montrent une baisse des services beaucoup plus importante que ce qu’un ralentissement normal aurait pu prévoir. Elle a également dit : « Ce choc ne devrait être que transitoire, à condition que soit mise en œuvre une réponse politique agressive permettant d’empêcher la transformation de cette crise en une crise financière majeure ». À bien des égards, on peut dire que cette politique agressive est effectivement en train d’être déployée.

    Le 3 mars, la FED a appliqué une baisse de –0,5 % du taux d’intérêt en raison de « l’évolution des risques pour l’activité économique » posés par le coronavirus. Puis, le 12 mars, elle a annoncé des plans visant à étendre l’assouplissement quantitatif de 1500 milliards de dollars pour injecter de l’argent dans le système bancaire. Le 15 mars, la FED a de nouveau réduit son taux d’intérêt d’un point de pourcentage complet, pour atteindre une fourchette cible de 0 à 0,25 %, accompagné d’un nouvel assouplissement quantitatif de 700 milliards de dollars. Cela n’a toutefois pas empêché les marchés boursier de plonger à nouveau le 16 mars : le Dow Jones a perdu près de 3 000 points, soit plus de 12 % de sa valeur, ce qui représente la plus grande perte de points de son histoire au cours d’une journée. Les mesures d’urgence prises par la FED avaient pour but d’amortir le krach financier anticipé, mais du point de vue du réconfort des marchés, il a eu l’effet inverse et a aggravé la crise.

    Ce qui aurait dû être fait, mais dans une bien plus large mesure que ce que les capitalistes sont prêts à faire, est abordé par M. Chris Zaccarelli, directeur des investissements de l’Independent Advisor Alliance : « Si des politiques fiscales et de santé publique crédibles et spécifiques sont mises en place pour contenir les risques économiques et sanitaires, c’est à ce moment-là que vous commencerez à voir le marché boursier se rétablir ». Ce point de vue a été confirmé lorsque l’administration Trump, très critiquée, a finalement annoncé un certain nombre de mesures limitées pour améliorer l’accès aux tests. Et à nouveau, lorsque Trump a déclaré la pandémie de coronavirus en tant qu’urgence nationale de santé publique, débloquant un budget de 50 milliards de dollars pour les contremesures de lutte contre la pandémie. Et lorsque Nancy Pelosi a déclaré que la Chambre des représentants s’apprêtait à adopter un projet de loi portant sur l’extension des congés de maladie, Trump est revenu sur son opposition initiale et l’a approuvé. Ces actions ont été à l’origine de brefs moments où les marchés boursiers ont interrompu leur spirale descendante.

    Ce n’est pas parce que les marchés ou l’élite dirigeante ressentent soudainement de la compassion pour les familles de travailleurs. Certains des plus cyniques voient même de nouvelles occasions de s’enrichir dans cette pandémie, comme les spéculateurs sur les « ventes à découvert » qui ont tiré des bénéficies en pariant sur la chute des cours des actions en bourse. D’autres calculent que, lorsque beaucoup de personnes âgées et improductives meurent, cela augmente la productivité car les jeunes et les productifs survivent en plus grand nombre.

    Si les capitalistes sont pressés de trouver un remède à la crise, c’est en partie parce que le virus menace également leur propre santé et leur richesse, mais surtout parce qu’ils sont terrifiés par les convulsions sociales qui surviendraient au cas où ils se montreraient trop insensibles ou trop cupides.

    Même l’OCDE plaide maintenant pour un soutien fiscal supplémentaire pour les services de santé, y compris des ressources suffisantes pour assurer une dotation en personnel et des installations de test adéquates. Elle propose également une assistance temporaire pour les travailleurs placés en congé sans solde, comme des transferts de fonds ou une assurance chômage, tout en garantissant une couverture universelle des frais de santé liés au virus, avec effet rétroactif si nécessaire. Pour les mêmes raisons, certaines banques autorisent les gens à différer leurs prêts hypothécaires, et même des gouvernements de droite prennent des mesures spéciales comme l’octroi de congés de maladie spéciaux ou l’autorisation du « chômage technique » avec compensation partielle des pertes de salaire.

    Les représentants des classes dirigeantes affirment que nous sommes « virtuellement en état de guerre » et que cela nécessite des mesures exceptionnelles ; ce faisant, ils en profitent pour restreindre encore un peu plus nos libertés. Ils introduisent aujourd’hui le type de mesures économiques qu’ils auraient rapidement rejetées il y a quelques semaines à peine, et envisagent même l’instrument de la nationalisation, comme l’a annoncé le Premier ministre français de droite, qui est devenu depuis un thème récurrent. S’il a fait cette proposition, c’est non seulement pour éviter la faillite des entreprises, mais aussi en guise de menace pour celles qui ne respectent pas les règles sanitaires.

    Bien sûr, les classes dirigeantes combinent toutes ces mesures avec un appel à l’unité nationale que, malheureusement, de nombreux dirigeants et responsables syndicaux, y compris ceux de gauche, ont avalé trop facilement. Même si l’idée qu’il s’agit d’un ennemi extérieur, une « invasion » hostile à laquelle nous devons tous mettre fin par l’unité nationale, aura un impact sur de larges couches de la société, un nombre croissant de travailleurs et de jeunes comprennent déjà qu’il s’agit d’une hypocrisie. Cela a été particulièrement le cas des ouvriers industriels qui acceptent volontiers l’autoconfinement comme nécessaire et responsable, mais qui se demandent à présent pourquoi ils doivent continuer à travailler, sans protection adéquate qui plus est.

    Cet « état de guerre » constituera un point tournant. Les classes dirigeantes feront tout pour utiliser cette crise dans le but de miner les droits démocratiques. D’autre part, les travailleurs et les pauvres auront appris, grâce à certaines des mesures mises en œuvre, que les concepts économiques néolibéraux peuvent être contournés.

    Même si, en tant qu’anticapitalistes socialistes, nous accueillons favorablement toutes les mesures qui limitent le pouvoir des profiteurs et renforcent les services publics et le niveau de vie, nous expliquons que sur la base d’un système capitaliste axé sur le profit, de telles mesures seront insuffisantes pour répondre à la gravité de la situation.

    Ce n’est qu’en remplaçant le système de profit par une planification socialiste démocratique et la propriété publique des moyens de production que nous pourrons transformer l’économie afin que les ressources du monde soient efficacement mobilisées pour répondre aux besoins de l’humanité. Pendant que les gouvernements capitalistes appliquent, dans les faits, un « socialisme pour les riches », une politique destinée à piller le secteur public pour protéger les profits d’une minorité, ils sont incapables de réaliser les investissements publics, la coordination et la planification considérables que la situation exige.

    L’Europe au centre de la tempête

    La Commission européenne ne cesse de réviser ses chiffres de croissance : alors qu’elle avait prévu une croissance de 1,4 % pour 2020 en février, elle parlait de –1 % début mars, puis de –2 à –2,5 % à la mi-mars. L’économie italienne est en panne depuis des semaines et son cœur industriel depuis encore plus longtemps. Cette crise suit des années de croissance très faible, l’Italie étant encore bien loin de son niveau d’avant 2008. L’Italie avait déjà la troisième plus grande dette souveraine du monde en termes relatifs (135 % du PIB), en lien avec son système bancaire hautement toxique. La valeur de ses actions bancaires a été réduite de moitié depuis la mi-février. Un resserrement du crédit semble presque certain, tandis que pointe le spectre d’une « spirale fatale ». C’est le dilemme auquel les régulateurs sont confrontés lorsqu’ils autorisent la liquidation de banques nationales alors que ces banques sont également les plus gros acheteurs de la dette de leur pays. Comme il n’y a plus d’institutions pour racheter la dette du pays, le souverain se retrouve en défaut de paiement avec ses banques.

    L’économie italienne est suffisamment importante pour déclencher une crise mondiale en cas de maladresse. Selon le Pr Ashoka Mody, ancien vice-directeur du FMI en Europe, un pare-feu urgent, d’un montant compris entre 500 et 700 milliards d’euros, est nécessaire pour éviter le risque d’une réaction en chaine financière à travers le système international. Bien que la BCE, la Commission européenne et les États membres de l’UE semblent se rendre compte de la profondeur de la crise à venir, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant qu’ils ne soient prêts et n’acceptent de financer ce type d’intervention. Le FMI, en revanche, ne dispose tout simplement pas des ressources nécessaires pour financer une opération aussi massive.

    Dans le contexte de la tendance mondiale au nationalisme politique et économique, qui a également envahi l’Europe ces dernières années, il ne faut pas sous-estimer les obstacles politiques à la mise en place de « plans de sauvetage » comme ceux qui avaient été appliqués en 2010 pour les États membres périphériques en difficulté.

    Les pays européens, notamment dans la zone euro, connaissent une faible croissance depuis quelques années, qui s’est fortement détériorée depuis l’année dernière. Sa locomotive, l’économie allemande, n’a connu qu’à peine 0,6 % de croissance l’année dernière. Son secteur manufacturier est en récession depuis le second semestre 2018. Elle est fortement exposée au ralentissement du commerce mondial. En 2019, l’industrie allemande a reculé de –5,3 %, et la construction automobile de –25 %. Même si l’Allemagne fait partie des pays de la zone euro qui connaissent la croissance la plus faible, la croissance de l’ensemble de la zone pour 2019 n’était que de 1,2 %, et devait déjà descendre à 0,8 % avant l’arrivée de la pandémie.

    Ce sera maintenant bien pire. En outre, on pourrait encore assister à un Brexit sans accord d’ici la fin de l’année. Bien que cela soit loin d’être la principale préoccupation pour le moment, cela aurait un impact négatif considérable sur la croissance et entrainerait encore plus d’instabilité. Mais pour l’instant, c’est la pandémie de coronavirus qui est au centre de l’attention. Chaque État membre prend ses propres initiatives sans consulter les autres, les frontières sont ressuscitées, la liberté de circulation est restreinte et le marché unique est mis sous forte pression. Les pays déclarent chacun à leur tour leur propre version du confinement et des fermetures.

    La Banque centrale européenne ne peut que reconnaitre son impuissance. Face aux effets économiques du Covid-19, elle admet que ce sont les États nations et les autorités budgétaires européennes qui détiennent les clés de la situation. Le taux d’intérêt de la BCE est déjà à zéro depuis quatre ans. Le taux auquel les banques commerciales peuvent déposer de l’argent à la BCE est déjà négatif (–0,5 %). Le réduire davantage n’aurait qu’un impact marginal. La BCE et les banques centrales nationales ne peuvent qu’inonder les banques commerciales de liquidités suffisantes afin d’éviter une réduction du crédit aux entreprises et aux ménages. Pour ce faire, la BCE augmentera ses prêts à long terme aux banques commerciales, à un taux négatif de –0,75 %. En d’autres termes, on subventionne les banques commerciales. La BCE va également étendre l’assouplissement quantitatif de 120 milliards d’euros.

    Cela ne suffira pas à rassurer les investisseurs, et les banques commerciales ne seront pas plus prêtes à prêter de l’argent aux entreprises affaiblies par l’effondrement de leurs ventes, même en étant subventionnées par des taux d’intérêt négatifs. La BCE appelle donc les États nations à offrir des garanties publiques aux entreprises privées lorsqu’elles empruntent. Elle appelle les États nations à une action budgétaire ambitieuse et coordonnée. Les chercheurs de l’institut Bruegel ont défini les principales mesures qui devraient être employées : d’importants moyens supplémentaires pour les systèmes de santé nationaux ; diverses mesures de soutien aux ménages, aux professions libérales, aux entreprises et aux collectivités locales ; des mesures macroéconomiques à hauteur de 2,5 % du PIB, à financer par l’augmentation des déficits budgétaires. Comme l’expliquait M. Pierre Wunsch, gouverneur de la Banque nationale belge : « Nous sommes aujourd’hui confrontés à un choc majeur, qui devrait être temporaire, nous devons utiliser toutes les marges possibles par des mesures sélectives et temporaires afin de limiter autant que possible les entreprises qui font faillite et les pertes d’emplois. Nous devrions le faire franchement et sans hésitation ».

    Le commissaire européen à l’économie, M. Gentiloni, a souligné que le plan de relance de la Commission offre aux États membres la possibilité d’utiliser des centaines de milliards d’euros pour lutter contre le coronavirus. Ce sera plus que nécessaire. Les règles budgétaires européennes seront assouplies, y compris les sacro-saintes normes de Maastricht, et toutes les exceptions au pacte de stabilité seront pleinement appliquées. Selon M. Gentiloni, cela est nécessaire pour donner au marché financier l’assurance que, cette fois, les pays de l’UE feront tout pour éviter une profonde récession. Le ministre allemand des Finances, M. Scholz, a quant à lui promis un soutien illimité aux entreprises allemandes, qui pourrait apparemment atteindre 500 milliards d’euros. La France, la Suède, l’Espagne, le Danemark et d’autres pays européens ont également annoncé des mesures de stimulus considérables.

    L’Italie a affecté un budget supplémentaire de 25 milliards d’euros pour suspendre le paiement des dettes des entreprises et les aider à payer les travailleurs temporairement licenciés en raison du confinement. La Commission européenne a également débloqué 37 milliards d’euros supplémentaires sur son budget pour aider les entreprises, et a donné 1 milliard d’euros pour aider la Banque européenne d’investissement. Les règles relatives aux aides publiques aux entreprises sont assouplies, de même que la possibilité d’abaisser temporairement la TVA et de reporter la perception des impôts. Le gouvernement espagnol a même décidé de réquisitionner des installations auprès de prestataires de soins de santé privés pour lutter contre la pandémie. Comme dans toute crise majeure, après avoir glorifié les soi-disant mérites du marché libre, le capitalisme doit être sauvé par l’État pour panser ses blessures et éviter un nouvel effondrement.

    Pour beaucoup, il sera clair que ces concessions limitées « d’état de guerre » de la BCE et de la Commission européenne ne les rendent pas moins anti-travailleurs ou anti-pauvres. En fait, l’hostilité populaire à leur égard ne cesse de croitre. La population italienne a été scandalisée par le refus initial des autorités françaises et allemandes de laisser passer l’aide sanitaire et médicale cruciale pour l’Italie au-delà de leurs frontières. Cette situation a été exploitée par le régime chinois qui a promis une aide supplémentaire et des conseillers médicaux à l’Italie (qui était déjà utilisée par la Chine comme point d’ancrage dans la zone euro grâce à sa participation à l’initiative « Nouvelle route de la soie »).

    L’Union européenne, un projet néolibéral et anti-travailleurs présenté sous un vernis « progressiste » de libre circulation et d’européanisme, a été éprouvée à maintes reprises. Cependant, la profonde récession qui se développe et qui provoquera une avalanche de faillites d’entreprises, qui plongera des millions de personnes dans le chômage et les difficultés économiques, qui sapera le niveau de vie, supprimera la demande et rendra la reprise plus difficile, constituera son épreuve ultime. L’UE n’a jamais prouvé qu’elle était capable de surmonter de manière décisive les contradictions nationales du continent. Le contexte économique et géopolitique mondial renforce les tendances centrifuges déjà fortes en son sein. Il est très peu probable que l’UE survive à cette épreuve dans sa forme actuelle.

    Le décor est planté pour de grands conflits sociaux

    Une profonde récession, voire une dépression, pourrait pendant un certain temps avoir un effet paralysant sur la lutte des classes, car les travailleurs et leurs familles adopteront une position « défensive », saisis par la peur de perdre le peu qu’ils ont. De plus, il n’est pas inévitable que la masse de la population comprenne immédiatement le lien entre les crimes du capitalisme et la propagation du coronavirus. La classe dirigeante présentera la catastrophe à venir comme un « acte de Dieu », une catastrophe naturelle que personne n’aurait pu éviter ou prédire et que nous devons tous avaler, en faisant les « sacrifices » nécessaires.

    Ils alimenteront également les flammes de la réaction nationaliste et xénophobe, en attribuant les problèmes à un virus « étranger » et en projetant cette image sur les migrants, les réfugiés, etc. Ce discours pourrait trouver un écho auprès d’une partie de la population, pendant un certain temps.

    Mais en fin de compte, ce ne sera pas la réponse dominante des travailleurs, des femmes, des jeunes et des opprimés du monde entier. Même à court terme, le chômage de masse et les attaques sur le niveau de vie alimenteront la colère des masses. Combiné à la mauvaise gestion criminelle du coronavirus par la classe dirigeante, et à sa recherche du profit au détriment de la santé et du bien-être des travailleurs, cela produira des explosions sociales à l’ère du Covid-19.

    La génération actuelle est différente. Bien qu’il lui manque les organisations de masse ainsi que l’expérience et les perspectives politiques des générations précédentes, c’est une génération révoltée par les conditions de vie et de travail extrêmes, sans aucune sécurité. Depuis un certain temps déjà, elle déteste l’élite dirigeante et l’inégalité du système.

    Cette génération, ou du moins une partie de celle-ci, a vécu l’expérience de la Grande Récession, et a connu une perpétuelle politique de libéralisation, de réductions budgétaires et de privatisations, dont l’échec a été on ne peut plus mis en évidence.

    C’est aussi une génération qui a fait l’expérience de la lutte, avec l’expérience récente de la magnifique révolte contre le changement climatique qui se poursuit au niveau mondial, caractérisée par un début de compréhension de l’incompatibilité de ce système avec les besoins de la planète, et par une ouverture généralisée aux idées révolutionnaires. Une nouvelle crise économique mondiale fournira un nouvel enseignement de la faillite du système capitaliste et sèmera les graines de conclusions socialistes révolutionnaires, qui seront tirées par des millions de personnes.

    L’expérience de cette crise ne sera pas non plus perdue pour la classe des travailleurs. Il est par exemple très peu probable que les travailleurs de la santé acceptent de revenir simplement à la normale une fois que la courbe de la pandémie se sera inversée. De plus, lorsqu’ils se lancent dans la lutte, ces travailleurs, tous comme les autres travailleurs essentiels à la société, bénéficient d’un énorme soutien populaire.

    Si l’isolement social a été accepté par beaucoup comme une attitude responsable pendant la pandémie, il a également créé un indéniable sentiment de solidarité, en particulier avec ceux qui sont tombés malades et qui ont connu des difficultés, ou avec les personnes qui sont les plus menacées. Cette solidarité peut devenir une arme de résistance pour la classe des travailleurs dans la période à venir, qui se caractérisera également par une puissante bataille pour savoir qui paiera la facture de cette crise : encore une fois la classe des travailleurs ?

    À bien des égards, cette crise marque un point tournant. Nous passerons par différentes étapes à mesure de l’évolution de la crise, mais la situation sera en général très ouverte. Des revendications auparavant considérées comme difficiles seront acceptées comme réalistes et réalisables ; c’est le cas pour l’idée de réduction générale du temps de travail sans perte de salaire, pour l’organisation sur le lieu de travail et pour la démocratie communautaire. Un programme socialiste reposant sur la nationalisation et la planification démocratique des secteurs stratégiques de l’économie trouvera un écho beaucoup plus important que par le passé. La crise du coronavirus, tout comme la crise climatique, montre de façon éclatante la nécessité impérieuse d’une planification socialiste internationale, fondée sur un nouveau régime de collaboration et de coopération mondiale, ce qui est impossible dans le système capitaliste dont le seul moteur est la cupidité.

    Cependant, comme dans toute autre crise de l’histoire du capitalisme, le système trouvera des moyens de se préserver en se nourrissant des cadavres des travailleurs et des pauvres si aucune alternative n’est trouvée. Si la classe des travailleurs veut éviter d’avoir une fois de plus à payer la facture de la crise, il lui faudra coute que coute construire une force socialiste révolutionnaire internationale qui se développera dans le cadre des luttes à venir, en intervenant énergiquement en appelant à une lutte unie pour la transformation socialiste de la société à l’échelle internationale.

  • Le COVID-19 et la production alimentaire capitaliste

    Malgré les avancées conséquentes de la médecine, de l’immunologie, de la virologie et des technologies, la nouvelle souche de coronavirus (SARS-CoV-2, à l’origine de la maladie COVID-19) provoque des ravages humains dans le monde entier. Ce nouveau virus de la grippe est originaire des chauves-souris, mais comment un virus transmis par des chauves-souris chinoises rurale a-t-il pu provoquer une pandémie mortelle, et qu’est-ce que le capitalisme a à voir avec cela ?

    Par Keishia Taylor, Socialist party (ASI-Irlande)

    Bien que l’épidémie de COVID-19 ait été initialement attribuée à des pangolins dans un marché de Wuhan, diverses évidences suggèrent plutôt que le virus pourrait s’être répandu silencieusement depuis octobre ou novembre avant d’être reconnu comme une nouvelle épidémie de virus en décembre. Le SRAS-CoV-2 est un virus zoonotique. Cela signifie qu’il a été transmis à l’homme par une autre espèce, soit directement par les chauves-souris, soit par l’intermédiaire d’un hôte intermédiaire, comme les animaux amenés sur les marchés. Étant donné que les civettes (chat musqués) proposées aux marchés de Guangduong ont propagé le virus du SRAS en 2002, les marchés constituent toujours un danger.

    Marchés et commerce d’espèces sauvages

    Les marchés asiatiques font le commerce d’une variété d’animaux vivants, domestiques et sauvages, gardés dans des cages densément remplies et empilées les unes sur les autres, et souvent abattus sur place avec une réfrigération limitée. Le système immunitaire des animaux est affaibli par les conditions stressantes dans lesquelles ils sont détenus, et la convergence d’une combinaison unique d’espèces et d’agents pathogènes signifie que les virus en mutation se propagent facilement d’une espèce à l’autre.

    Les animaux présents sur ces marchés proviennent d’entreprises de plus en plus industrialisées, ainsi que de petites exploitations agricoles et de la chasse sauvage, en particulier depuis les réformes juridiques des années 1980 visant à promouvoir l’élevage industriel et le commerce d’animaux sauvages à plus grande échelle. Cette industrie lucrative, d’une valeur de 76 milliards d’euros, est soutenue par le pouvoir d’État et justifiée par les emplois dans les régions pauvres (14 millions dans toute la Chine).

    Les espèces sauvages telles que les pangolins, les serpents et les civettes ne sont consommées que par les riches comme symbole de luxe, de tonicité et de statut, et non par les travailleurs ordinaires. La plateforme de médias sociaux Weibo a fait preuve d’une grande efficacité dans la lutte contre le commerce des espèces sauvages en utilisant le hashtag #RejectGameMeat, qui combat également les superstitions concernant les prétendues propriétés médicales des animaux. L’épidémie de COVID-19 et la pression de l’opinion publique ont conduit à un renforcement des réglementations concernant le commerce des animaux sauvages mais, comme l’interdiction temporaire après l’épidémie de SRAS de 2002, ces restrictions sont limitées et pourraient ne pas durer longtemps.

    La production alimentaire mondiale et destruction de l’habitat

    Ces fermes à grande échelle pour la faune sauvage sont généralement situées aux frontières de la société humaine, empiétant sur les forêts et les zones sauvages. L’émergence de nouveaux agents pathogènes tend à se produire là où les humains, sous la forme de grandes entreprises et de gouvernements capitalistes, modifient radicalement le paysage, détruisent les forêts, intensifient l’agriculture ainsi que l’exploitation minière et construisent des routes et des colonies, principalement pour l’industrie agroalimentaire. Par exemple, la destruction mondiale de la forêt tropicale par les industries alimentaires (l’industrie du bœuf est responsable de 65 % de la destruction de forêts tropicales) amène de nouveaux travailleurs dans ces habitats et repousse les petits agriculteurs plus profondément dans les forêts.

    Ce type d’activité humaine perturbe les écosystèmes et endommage la biodiversité, en ébranlant les virus, qui ont alors besoin d’un nouvel hôte. Les chauves-souris et les rats, en particulier, s’adaptent et survivent aux changements des écosystèmes, devenant des réservoirs pour les anciens et les nouveaux virus. Des dizaines de virus de type SRAS ont été identifiés dans des grottes du Yunnan, en Chine, par le virologue Zheng-Li Shi, et ces virus pourraient infecter l’homme. L’invasion des forêts vierges par l’homme met ces espèces sauvages et les agents pathogènes qu’elles véhiculent en contact avec les animaux d’élevage, les travailleurs agricoles et d’autres personnes.

    Ce nouveau coronavirus est la sixième grande épidémie de ces 26 dernières années qui trouve son origine chez les chauves-souris, par le biais de toute une série d’animaux d’élevage, domestiques ou chassés, tels que les chevaux (virus Hendra en Australie en 1994), les chameaux (syndrome respiratoire du Moyen-Orient en 2012), les chimpanzés chassés pour leur viande (Ebola en 2014), les porcs (virus Nipah en Malaisie en 1998) et les civettes (SRAS sur les marchés chinois en 2002). Ces cas auraient dû servir d’avertissement pour agir de toute urgence.

    La nourriture pour le profit

    Mais au lieu de cela, les entreprises agroalimentaires sont prêtes à mener une déforestation massive qui détruit la planète, à exploiter les travailleurs pour des salaires de misère et à les exposer aux toxines et aux maladies, et à ouvrir la voie à la propagation des virus aux populations humaines, tout cela au nom du profit. Dans le système capitaliste, ces entreprises agroalimentaires sont autorisées à externaliser les coûts (financiers et autres) aux écosystèmes, aux animaux, aux consommateurs, aux travailleurs agricoles et aux gouvernements, et ne seraient pas en mesure de survivre si elles devaient payer elles-mêmes la facture. L’industrie agro-alimentaire, qui pèse 5.000 milliards de dollars, est dans une “alliance stratégique avec la grippe”, affirme le biologiste évolutionniste Rob Wallace, car elle utilise son immense richesse et son pouvoir pour poursuivre ces pratiques dangereuses et contraires à l’éthique qui sont à l’origine de la maladie.

    La recherche de profits réside dans l’ADN même du capitalisme. De là découle l’obligation de conquérir ou d’inventer de nouveaux marchés, de s’étendre continuellement en territoire inconnu et de transformer toutes les ressources en marchandises et en revenus. Cela conduit à l’exploitation et à la destruction des gens, des écosystèmes et des terres dans les pays néocoloniaux, principalement grâce à l’énorme capital des pays capitalistes avancés, et donc à une profonde inégalité mondiale. Des centaines de millions de pauvres en Afrique et en Asie qui n’ont pas accès à la réfrigération dépendent des marchés traditionnels.

    De quoi avons-nous besoin ?

    Si nous voulons éviter de futures pandémies, nous devons réorganiser radicalement la production alimentaire. Nous devons sauvegarder les habitats naturels et nous engager dans le réaménagement pour permettre aux agents pathogènes dangereux de rester dans la nature et pour mettre fin aux pratiques dangereuses et insalubres de production et de distribution des aliments. Il faut éliminer l’agriculture industrielle, ce qui contribuerait également à lutter contre le changement climatique et la résistance aux antibiotiques, tout en réduisant considérablement les risques de nouvelles pandémies virales. Nous avons besoin d’une transition juste vers une production alimentaire sûre et une distribution juste des richesses dans la population mondiale, y compris en garantissant des emplois sûrs et décents. Nous devons mettre un terme au traitement dégoûtant et barbare des animaux dans la production alimentaire.

    Avec le capitalisme mondial à la barre, les industries et les gouvernements ne mettront pas en œuvre des mesures qui réduisent leurs profits et ne mettront certainement pas en œuvre les changements fondamentaux nécessaires pour empêcher la production alimentaire de déclencher d’autres pandémies mortelles. Les entreprises agroalimentaires doivent devenir propriétés publiques sous le contrôle démocratique des travailleurs, afin qu’elles puissent être transformées et utilisées pour servir les intérêts des agriculteurs, des consommateurs, des travailleurs et de l’environnement, avec une coopération locale et mondiale.

    La production de quelque chose d’aussi fondamentalement nécessaire que la nourriture, qui peut avoir des conséquences mondiales si dévastatrices entre de mauvaises mains, doit être planifiée démocratiquement pour répondre aux besoins de la majorité, et non laissée à l’anarchie du “marché libre”. Une telle aspiration est tout à fait raisonnable et nécessaire, mais elle ne peut être réalisée sous le règne du profit, uniquement dans une société socialiste dirigée par et pour les masses.

    Références :
    https://www.theguardian.com/environment/2020/mar/18/tip-of-the-iceberg-is-our-destruction-of-nature-responsible-for-covid-19-aoe
    https://socialistreview.org.uk/455/what-makes-disease-go-viral
    http://resolutereader.blogspot.com/2016/07/rob-wallace-big-farms-make-big-flu.html
    http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article52461

  • La crise du coronavirus a donné naissance à une (sorte de) gouvernement fédéral

    Au lendemain des élections, nous avions expliqué qu’il allait falloir une immense pression extérieure pour constituer un gouvernement fédéral : un Brexit sans accord, un début de crise économique alimenté par la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine,… En fin de compte, il aura fallu que la santé publique soit sérieusement menacée pour qu’un gouvernement soit formé. Mais même dans ce cas, les choses n’ont pas été plus loin qu’une procuration accordée au gouvernement minoritaire en affaires courantes déjà existant, avec le soutien d’une large majorité parlementaire, mais toujours sans majorité parmi les sièges flamands.

    Par Anja Deschoemacker

    Alors que les rues sont quasiment vides, même dans les endroits les plus habituellement fréquentés de la capitale, le gouvernement Wilmès va demander la confiance de l’Assemblée cet après-midi. Il est prévu que tous les partis lui accordent cette confiance à l’exception du Vlaams Belang, de la N-VA et du PTB/PVDA. La N-VA ne devrait soutenir que les pouvoirs spéciaux.

    Cette situation est le fruit du dernier épisode, pour l’instant, de ce théâtre politique purement belge. Le président de la N-VA, Bart De Wever déclarait encore le 8 mars dernier qu’aucune mesure drastique ne devait être prise car les conséquences économiques seraient pires que le coronavirus lui-même. En tant que bourgmestre d’Anvers, il a refusé d’appliquer les premières recommandations (trop) limitées du gouvernement fédéral. Mais il s’est soudainement présenté comme candidat au poste de Premier ministre pour un gouvernement d’urgence avant le week-end.

    La riposte à sa manoeuvre fut un regroupement des forces autour du PS et du MR avec le soutien de l’Open-VLD et des partis verts. Le ‘‘gouvernement d’urgence’’ se réduit au gouvernement minoritaire existant – seulement 38 des 150 sièges – avec le soutien de l’opposition. Afin de donner à ce véhicule un certain poids, ce gouvernement minoritaire se voit attribuer des pouvoirs spéciaux face à la crise du coronavirus, mais aussi face à ses conséquences économiques. Le gouvernement wallon et le gouvernement de la Communauté française (la fédération Wallonie/Bruxelles) se sont déjà octroyé des pouvoirs spéciaux ; il est prévu que les gouvernements de Bruxelles, de Flandre et de Communauté germanophone suivent dans les semaines à venir.

    Une unité nationale de façade

    Esprit de décision, unité nationale,… ce ne sont pas des termes qui viennent spontanément à l’esprit quand on pense aux gouvernements belges. Quant à la solidarité et à l’intérêt général, ces termes suscitent la méfiance lorsqu’ils sont prononcés par des hommes et femmes politiques de partis qui n’ont pas ménagé leurs efforts ces dernières décennies pour affaiblir tous les mécanismes de solidarité imposés par les luttes passées du mouvement ouvrier. Ces partis sont responsables du fait que la sécurité sociale doive faire face à cette crise avec un écart budgétaire déjà historiquement important et avec un secteur de la santé qui craque de partout faute de moyens, notamment en termes de personnel.

    En dépit des ravages du virus en Chine et plus tard en Italie, la préparation fut minimale : il n’y a pas assez de matériel de test, de masques buccaux,… Et même pas assez de ressources pour acquérir rapidement du nouveau matériel. Aujourd’hui, des hôpitaux font appel aux dons de la population pour acheter plus d’équipements respiratoires. Leurs budgets ne permettent pas de le faire ! Dentistes, kinésithérapeutes, pompiers, ambulanciers, médecins généralistes, infirmières à domicile,… luttent tous pour avoir suffisamment de matériel pour se protéger et protéger leur personnel.

    Combien de temps N-VA & Cie pourront-ils encore jouer la carte du communautaire ? Les grands partis des deux côtés de la frontière linguistique ont tous soutenu les mêmes politiques néo-libérales qui ont plumé les services publics et la politique sociale afin de transférer systématiquement plus de moyens aux actionnaires des grandes entreprises. Les ‘‘partis de gauche’’, comme les appelle constamment la NVA (la social-démocratie et les Verts), sont également responsables, même s’ils avaient adopté une rhétorique différente et qu’ils désiraient garder ce fait caché.

    Cette mascarade à laquelle nous mettons en garde ne concerne pas tant les affaires communautaires que les différences de classe. En dehors du PvdA/PTB, il n’y a pas un seul parti au Parlement qui ne serait pas prêt à laisser la crise sanitaire être payée par la grande majorité de la population au lieu des plus riches et des grandes entreprises qui assèchent l’économie pour faire croître leur capital.

    Les entreprises soutenues, les plus pauvres laissés pour compte

    L’impact économique de la crise du coronavirus sera énorme. Le pays est de plus en plus au point mort, plus de 400.000 travailleurs se retrouvent déjà au chômage temporaire et ce n’est encore qu’un début. Après le secteur Horeca (Hôtels, restaurants, cafés), où une grande partie des 158.000 travailleurs n’ont pas de contrat permanent et se retrouvent donc simplement au chômage, tous les commerces extérieurs au secteur alimentaire doivent fermer leurs portes. Toute une série d’usines sont contraintes d’arrêter la production en raison d’une combinaison de pénuries de matériaux à produire et de la pression des travailleurs pour une protection qui ne peut être assurée dans les méthodes de production actuelles.

    En fait, il n’est pas question de décision de la part des autorités politiques : elles sont constamment à la traîne par rapport à ce que font les gens eux-mêmes. La fermeture des entreprises qui ne peuvent pas assurer la protection de leur personnel est initiée par les syndicats, au mieux en consultation avec les conseils d’administration. Decathlon, JBC,… ont décidé de fermer leurs portes elles-mêmes, tout comme Bombardier, sans attendre les décisions des autorités. Dans les supermarchés, les syndicats ont exigé des mesures de protection pour le personnel avant que le franc ne tombe dans les milieux gouvernementaux. ‘‘Les citoyens semblent prendre la chose plus au sérieux que les politiques’’, tel est le titre de l’édition du mardi 17 mars de De Standaard. L’euphémisme n’est pas des moindres !

    Mais si la vigueur politique est très limitée en Belgique, voire largement inexistante, pour empêcher la propagation du virus, elle sera bien plus grande lorsqu’il s’agira de nous en faire payer les conséquences économiques. Un secteur après l’autre exige déjà des aides d’État ; dans plusieurs pays européens, des nationalisations d’entreprises menacées de faillite sont à l’ordre du jour. Même les économistes néo-libéraux les plus endurcis affirment aujourd’hui que les préoccupations budgétaires devraient être écartées. Les grandes entreprises qui ont systématiquement réduit leurs contributions aux salaires, à la sécurité sociale et aux impôts au cours des dernières décennies pour donner des dividendes record à leurs actionnaires sont les premières à faire appel à leur État dépouillé afin qu’il les soutienne.

    La réponse de l’État sur ces questions contraste fortement avec celle qu’il réserve aux groupes les plus vulnérables de la société. La pénurie de refuges pour sans-abri est désormais très visible : les refuges délabrés ne peuvent pas assurer de protection et plusieurs centres ferment leurs portes. Les réfugiés ne peuvent plus demander l’asile et se retrouvent tout simplement à la rue. Les sans-papiers et autres groupes, qui ont pour seule option de devenir sans abris ou se livrer aux marchands de sommeil dans ce marché du logement dominé par le secteur privé, doivent se débrouiller seuls. Le fait que ces groupes vulnérables n’aient nulle part où aller est une tragédie, non seulement pour eux-mêmes, mais également concernant la propagation du virus. Comment l’arrêter par le confinement sans disposer de logement ou si ce logement est occupé par trop de personnes ?

    Préparons-nous à l’arrivée de la facture !

    L’impact économique est déjà tel qu’il est plus important que la crise de 2008. Et nous sommes toujours aujourd’hui en train de la payer par le biais de multiples mesures d’austérité sur le dos des travailleurs et des gens ordinaires alors que les profits continuent de croître et que les entreprises et les plus riches placent leur argent dans des paradis fiscaux.

    La facture nous sera présentée, plutôt tôt que tard. Elle le sera par un gouvernement qui dispose de pouvoirs spéciaux. Pour rappel, les pouvoirs spéciaux ont toujours été utilisés en Belgique pour présenter la facture de toutes sortes de crises à ‘‘la population’’, en épargnant les plus riches et les grandes entreprises. Nous ne pouvons pas nous permettre d’entretenir d’illusions à ce sujet.

    Mais ces illusions existent-elles ? De nombreux commentateurs soulignent que les choses sont ‘‘différentes’’ aujourd’hui de ce qu’elles étaient lors de la crise de 2008, lorsque le système financier s’est effondré en raison des risques irresponsables pris par les banques et autres institutions financières. Après tout, cette crise serait une fatalité. Personne n’en serait responsable. Ils supposent, ou espèrent nous faire croire, que le “sauvetage de l’économie” par l’appauvrissement de la grande majorité de la population pour maintenir l’économie capitaliste à flot suscitera moins de résistances. Mais des milliers de conversations démontrent qu’une grande partie de la population est très consciente que la facture finira chez eux et non chez les plus riches et les grandes entreprises.

    Aujourd’hui, toute l’attention des gens ordinaires se concentre à juste titre sur le risque sanitaire immédiat et sur la manière de s’organiser pour le contenir. Leurs actions ont forcé les gouvernements à prendre des mesures de plus grande envergure. Si le nombre de morts en Belgique restera limité, ce sera grâce à leurs actions et au sacrifice du personnel dans des secteurs tels que les soins de santé – un sacrifice qui existe dans cette crise malgré le fait que ce secteur se bat depuis des années pour obtenir plus de personnel, de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail et davantage de ressources pour faire son travail correctement. Nos applaudissements sont réservés aux héros de ce secteur, pas aux gouvernements de ce pays.

    Il n’y a pas d’unité nationale. Les différents gouvernements se préparent à nous, travailleurs ordinaires, chômeurs et retraités, faire payer la crise économique qui en résultera. Si la N-VA est tenue à l’écart du gouvernement fédéral, ce n’est pas parce que ce gouvernement ne veut pas faire le sale boulot des capitalistes, mais parce qu’il veut le faire sans un troublions qui lui permettra difficilement de mettre un masque social tout en nous prenant l’argent de nos poches. C’était déjà la raison pour laquelle le PS – non pas un parti de gauche comme la N-VA veut nous le faire croire, mais un parti qui a fidèlement mis en œuvre la politique bourgeoise depuis la deuxième moitié des années 1980 en lui donnant le plus de visage humain possible – a absolument refusé d’entrer au gouvernement avec la N-VA. Comment calmer la résistance des syndicats face à l’assainissement des budgets publics et de la sécurité sociale si vous devez gouvernement avec des personnages comme Francken, Jambon et De Wever ? Des gens qui sont fiers de s’attaquer de front à la grande majorité des travailleurs, organisés par millions dans les syndicats?

    N’entretenons pas d’illusions ! Le gouvernement fédéral mis en place aujourd’hui ne s’arrêtera probablement pas une fois que le pire de la première vague de contagion sera passé. Ses conséquences économiques seront utilisées comme une opportunité de continuer avec ce gouvernement – dans une urgence que personne ne niera. Par un détour, un processus vers une coalition Vivaldi a en réalité été lancé, une coalition “d’unité nationale” qui est là pour lancer une nouvelle grande vague d’austérité, notamment en matière de sécurité sociale.

    Le mouvement des travailleurs, les organisations sociales, les mutuelles, etc. doivent maintenant saisir toutes les possibilités techniques à leurs disposition pour discuter de ces questions cruciales, en plus de la lutte pour prévenir le risque de contagion et empêcher que les intérêts des entreprises priment sur les mesures de protection.

    Nous devons nous préparer à l’arrivée de la facture de la crise et assurer que cette crise sanitaire ne soit pas utilisée pour appauvrir davantage la majorité de la population, pour réduire encore les services publics, la sécurité sociale et les soins de santé. Après tout, si la crise du coronavirus nous montre quelque chose, c’est que nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre de laisser la société être asséchée par la classe capitaliste !

  • L’humanité et ses contradictions de classes face aux microbes

    Gouvernement-corona, coronakrach, récession-corona, politique monétaire expansive due au coronavirus, grève anti ‘‘corona’’, fermeture des frontières, surcharges dans les services de soins, spéculation sur les masques et les gels hydro-alcooliques, problèmes de gardes d’enfants, etc. L’actualité regorge d’exemples en tous genres pour illustrer la profondeur de la crise. Mais les médias traditionnels placeront sous silence que la pandémie de COVID-19 en cours fait actuellement remonter à la surface toutes les contradictions du système capitaliste. Cependant, ce n’est pas la première fois que les microbes révèlent les contradictions d’une société.

    Par Alain (Namur)

    Les conséquences de la révolution néolithique

    Dans les foyers agricoles où elle a eu lieu, la révolution néolithique a permis une sédentarisation permanente de populations qui vivaient de manière nomade ou semi-nomade. Le proto-élevage et la proto-culture ont permis, par la production et la constitution de stocks, l’accroissement de la population. Cette croissance entraina l’apparition des premières épidémies dues à la concentration, au même endroit, d’un nombre plus considérable de personnes, ainsi qu’à la multiplication des contacts prolongés avec des animaux (zoonoses).

    La lutte de l’humanité contre les aléas de la nature s’est transformée suite à sa sédentarisation. Avec le développement des techniques et de la culture, les premières civilisations ont augmenté leur maîtrise sur la nature. Toutefois, comme Engels le disait, «ne nous flattons pas trop de nos victoires sur la nature. Elle se venge sur nous de chacune d’elles. Chaque victoire a certes en premier lieu les conséquences que nous avons escomptées mais, en second et en troisième lieu, elle a des effets tout différents, imprévus, qui ne détruisent que trop souvent ces premières conséquences… Et ainsi les faits nous rappellent à chaque pas que nous ne régnons nullement sur la nature comme un conquérant règne sur un peuple étranger, comme quelqu’un qui serait en dehors de la nature, mais que nous lui appartenons avec notre chair, notre sang, notre cerveau, que nous sommes dans son sein, et que toute notre domination sur elle réside dans l’avantage que nous avons sur l’ensemble des autres créatures, de connaître ses lois et de pouvoir nous en servir judicieusement. » (Friedrich Engels, Le rôle du travail dans la transformation du singe en homme, 1883-1884)

    L’émergence du COVID-19 dans une société en route vers la récession

    La pandémie de COVID-19 génère des sentiments ambivalents. Pourtant, au-delà des sentiments, il faut reconnaître que l’émergence de cette crise sanitaire nous a pris au dépourvu. Cette incapacité à y faire face n’est pas uniquement due au fait que le virus mute rapidement de par sa nature (virus composé d’une longue chaîne d’ARN). Elle provient surtout de la manière dont la classe capitaliste, qui dirige la société, se moque des problèmes qui ne menacent pas directement ses profits. Après l’émergence du SRAS au début des années 2000, on aurait pu prévoir des mesures de stockage de produits nécessaires et des mesures d’investissements dans les réponses de premières lignes.

    On aurait aussi pu, de manière prospective, investir dans la recherche fondamentale et appliquée pour comprendre la manière dont cette famille virale évolue et fonctionne. D’autant plus que l’humanité a perdu beaucoup de temps dans sa compréhension des microbes. Il faut rappeler que la structure de l’ADN a été décrite au début des années 1950. Le premier magazine de virologie a été édité en 1955 et le premier congrès scientifique de virologie s’est tenu à Helsinki en 1968. Ce retard dans les découvertes en virologie n’est donc pas un hasard, mais est en partie dû aux contradictions de la société de classes.

    De la théorie des miasmes aux microbes

    Les microbes (nom général qui regroupe différentes formes biologiques : bactéries, virus, prions) existent depuis que la vie a émergé sur terre. Ils sont présents dans tous les milieux et sont impliqués dans différents cycles naturels (cycle de l’azote) et vivent en relations diverses (du mutualisme au parasitisme) avec d’autres règnes du vivant. Le corps humain, par exemple, compte 10 fois plus de cellules bactériennes que de cellules humaines. Elles proviennent de 300 à 500 espèces différentes.

    Malgré cette omniprésence et l’importance des microbes dans le monde vivant, il a fallu du temps à l’humanité avant de percevoir l’importance de l’étude de ces organismes. En fait, dès l’antiquité grecque, le philosophe Hésiode, né dans une ville en contact culturel avec le miracle Ionien, mettait en avant le caractère contagieux de certaines maladies. Face à lui, Hippocrate de Cos défendait l’hypothèse que les épidémies ne pouvaient venir que d’un air corrompu. Dans le cadre d’une lutte d’idées qui reflétait la société de classes, c’est l’hypothèse d’Hippocrate qui s’est imposée. La société féodale et ses trois ordres (ceux qui prient, oratores ; ceux qui combattent, bellatores ; ceux qui travaillent, laboratores) a repris les idées des philosophes post-socratiques pour justifier son maintien. C’est ainsi que se sont imposées les idées d’Hippocrate dans la médecine médiévale. Les théories des humeurs, des miasmes et de la génération spontanée ont été les pierres angulaires de l’approche médicale concernant les microbes. Remettre en question ces théories, c’était remettre en question le pouvoir dans la société. C’est ainsi que toute les théories concurrentes à la théorie officielle ont été combattues par l’Eglise et le pouvoir.

    Il a fallu attendre l’émergence des zones affranchies que furent les villes et le développement marchand pour commencer à contester cet ordre des choses en médecine. Au Pays-Bas, Antonie Van Leeuwenhoek, issu d’une famille de drapier, fabriquait des lentilles afin d’examiner la qualité des tissus. En perfectionnant la technique d’assemblage et de polissage, il réussit à obtenir des optiques bien plus performantes et finit par entrevoir les micro-organismes qu’il nomma des animalcules. Il envoya la description de ces découvertes à la Royal Society de Londres. Malheureusement, en raison du secret de fabrication de ses lentilles, aucun scientifique ne put répliquer ses observations et la théorie de la génération spontanée continua à être majoritaire dans la communauté scientifique. Ce n’est vraiment qu’au XIXe siècle, avec le progrès technique lié au développement de l’industrie, que des scientifiques purent tailler en pièce cette théorie, avec des figures comme Pasteur en France et Koch en Allemagne. Il faut d’ailleurs noter que la guerre franco-prussienne de 1870 a entraîné une vague patriotique qui a empêché la progression des connaissances scientifiques dans ce domaine.

    Le capitalisme à bout de souffle

    Malgré ces contradictions internes, le capitalisme a pu développer les forces productives durant toute une période. Ces forces productives nous ont permis d’accroître les connaissances scientifiques et de nous armer contre les conséquences délétères des aléas naturels. Cette période est désormais révolue.

    Ce changement ne signifie pas qu’il n’y aura plus de percée scientifique majeure ou de découverte technologique, mais ces avancées ne seront plus à même de faire progresser les forces productives de l’humanité. Les contradictions sont telles que, bien que nous disposions d’un niveau de connaissance scientifique jamais atteint dans l’histoire de l’humanité, nous sommes aujourd’hui incapables de faire face aux conséquences du changement climatique ou de réagir collectivement au niveau mondial à la pandémie de COVID-19.

    Quand les capitalistes veulent parvenir à un objectif scientifique, ils planifient rationnellement leurs efforts pour l’atteindre et se donnent les moyens nécessaires sur le long terme. C’est de cette façon que nous avons pu marcher sur la lune ou mettre en place le LHC (le Grand collisionneur de hadrons, un accélérateur de particules) en Suisse et confirmer les propriétés quantiques de la matière.

    Pour le bien de la santé publique, il ne peut en être autrement. Si nous voulons parvenir à lutter contre cette pandémie et ses conséquences, ou vers tout autre objectif dans le domaine des sciences, il est impératif de refuser la logique néolibérale. Cette lutte implique de faire progresser la recherche et le développement par la coopération sur base de recherches publiques, ouvertes et décemment financées, menées des chercheuses et des chercheurs pourvus d’un statut stable et qui ne doivent plus être poussés à publier au détriment de leurs collègues et de la qualité.

     

  • Une réponse socialiste à la pandémie du Covid-19

    La protection et la santé au travail et dans la société en général sont des questions qui préoccupent le mouvement ouvrier en premier lieu. C’est au prix de durs combats que nous avons arraché la sécurité sociale, dont l’assurance maladie. Les travailleurs ont également défendu la prévention et la protection au travail et dans leur milieu de vie. Ces derniers mois, les jeunes et les travailleurs ont milité en faveur du climat, c’est-à-dire pour la protection de la santé des personnes et de la planète. Ci-dessous, cinq propositions pour faire face à la crise.

    Article de Geert Cool tiré de l’édition spéciale de Lutte Socialiste qui sera envoyé demain à nos abonnés.

    1/ Un plan d’investissements publics drastique dans les soins de santé

    Le taux de mortalité en raison du virus est de 2,6% en Italie, mais il atteint 3,9% dans les zones où les hôpitaux sont saturés. Un espace suffisant dans les hôpitaux est essentiel pour combattre le virus.

    Ces dernières années, le nombre de lits d’hôpitaux a fortement diminué en Belgique. Le progrès médical a permis de réduire le nombre de lits et de faire des économies. Alors qu’en 1990, il y avait encore 46.472 lits d’hôpitaux pour les admissions en soins intensifs, ce chiffre est tombé à 34.962 lits en 2019. Si les progrès de la médecine se traduisent en diminution des infrastructures, ils risquent de se transformer en pandémie.

    Après des années d’austérité, la pénurie de personnel se généralise dans le secteur des soins de santé. Un emploi dans ce secteur est peu attractif : bas salaires, pression au travail insoutenable, horaires décalés. La contestation récente dans plusieurs hôpitaux en réaction aux mauvaises conditions de travail n’est donc pas étonnante. Les patients souffrent de la politique de réduction des coûts imposée par Maggie De Block: les temps d’attente augmentent, le nombre de jours d’hospitalisation diminue, les soins et les médicaments sont de plus en plus chers.

    Les économies rendent la médecine préventive moins efficace. ‘‘Mieux vaut prévenir que guérir’’, dit le dicton, mais cela n’est possible qu’avec un système de soins de santé développé. Les économies réalisées sur la sécurité sociale doivent cesser, mais il faut aller au-delà et investir davantage.

    2/ Des travailleurs protégés à leur domicile avec un salaire complet et une prime de risque pour ceux qui doivent travailler

    Celles et ceux qui travaillent devraient avoir librement accès aux mesures de protection telles que les masques de protection. Si les entreprises qui produisent des masques prétendent qu’il n’y a plus de stock afin de faire grimper les prix, elles doivent être placées sous le contrôle des représentants élus de la population et du personnel de l’entreprise.

    Des mesures de protection sont indispensables en cas de danger sur le lieu de travail, mais il faut aussi prévoir des indemnisations. Par exemple une prime de risque pour le personnel de santé ou le personnel des transports publics, lorsqu’il y a contact avec le public et donc avec des personnes potentiellement infectées. Pour faire face à la fermeture des écoles, il faut réduire les heures de travail sans perte de salaire afin d’organiser la garde des enfants. Des recrutements supplémentaires doivent permettre d’y parvenir.

    Toute personne contrainte à ne pas travailler, en quarantaine ou malade, doit être protégée des soucis financiers. La maladie elle-même est déjà assez grave ! Ceux qui ne peuvent pas travailler en raison de la crise du coronavirus doivent être entièrement indemnisés. L’augmentation de l’allocation de chômage temporaire de 65 % à 70 % du salaire est une bonne chose, mais c’est insuffisant. Le salaire complet doit être versé ou remplacé par une allocation qui correspond à 100 % du salaire. Après tout, les loyers, les hypothèques ou le coût de la vie ne diminuent pas.

    Lorsque les écoles ferment, les parents doivent avoir la possibilité de s’occuper de leurs enfants à la maison, à moins qu’ils ne travaillent dans des secteurs essentiels tels que les soins ou la distribution de nourriture. Cela devrait être possible tout en conservant la totalité du salaire. Un plan doit être établi pour déterminer quels sont les secteurs essentiels et quels travailleurs peuvent être déployés à cette fin. Cela doit être fait par des comités d’experts en soins, organisés et gérés démocratiquement, par la collectivité locale et par les travailleurs du secteur concerné. Un soutien immédiat dans le secteur des soins avec un vaste programme de recrutement est nécessaire. Les personnes qui travaillent dans un secteur non essentiel et qui restent à la maison devraient également pouvoir temporairement aider le secteur des soins.

    Le personnel des secteurs essentiels devrait bénéficier d’une protection suffisante offerte gratuitement. Le contrôle de cette situation ne doit pas être laissé aux politiciens, aux patrons ou aux conseils d’administration. Ce sont les travailleurs eux-mêmes qui savent le mieux ce qu’il faut faire.

    Les petites entreprises ou les indépendants qui se retrouvent en difficulté à cause de cette crise doivent être indemnisés sur la base de besoins prouvés. Les travailleurs qui subissent des pertes en raison de l’annulation de vacances, de concerts ou d’autres activités doivent être indemnisés. Ce n’est pas aux travailleurs de payer pour cette crise.

    3/ Le secteur pharmaceutique et d’autres secteurs clés doivent devenir propriété publique

    Les entreprises pharmaceutiques cherchent chacune séparément un vaccin contre le coronavirus. Le développement d’un tel vaccin est important pour l’avenir, même s’il est peu probable qu’il y ait encore un vaccin utilisable cette année. Les différentes entreprises travaillent séparément car elles entendent transformer la percée en chiffre d’affaires pour elles-mêmes. C’est ainsi que fonctionne le secteur pharmaceutique, l’un des plus rentables au monde. Entre 2000 et 2018, 35 géants pharmaceutiques ont réalisé ensemble un bénéfice net de 1.900 milliards de dollars dans le monde ! Les marges bénéficiaires des entreprises pharmaceutiques sont bien supérieures à la moyenne, voire plus élevées que celles du secteur technologique. Des laboratoires privés proposent des tests de coronavirus à des prix exorbitants dans l’espoir de bénéficier de la crise.

    Il est scandaleux que l’une des plus grandes entreprises pharmaceutiques du pays, GSK, ait annoncé au début de l’année une restructuration qui pourrait coûter des centaines d’emplois. À un moment où le développement d’un vaccin est crucial, il est tout aussi important d’utiliser au maximum les connaissances disponibles. Cela montre également qu’il est problématique de laisser ce secteur vital à la soif de profits des grands actionnaires. Notre santé compte moins que leurs dividendes.

    L’ensemble du secteur doit être aux mains du public afin que les travailleurs et la population dans son ensemble puissent décider démocratiquement de de ce qui est produit et de quelle manière. Cela permettra de réduire les prix, d’éliminer les pénuries de médicaments et de rassembler les efforts pour développer de nouveaux vaccins.

    4/ Transparence démocratique et planification rationnelle

    Le manque de clarté, la méfiance justifiée envers les institutions établies et le sensationnalisme des médias dominants créent une certaine panique au sein de la population. Et la méfiance conduit à faire des réserves démesurées. Il est important que chacun ait accès à des informations fiables et scientifiquement fondées. Tout le contraire du fonctionnement actuel des médias. De plus, l’information ne sera considérée comme fiable que s’il y a une transparence démocratique.

    Les décisions sur les mesures nécessaires doivent être prises par des structures démocratiques de travailleurs, avec des représentants du mouvement ouvrier et de la population locale en consultation avec des experts médicaux. Dans les entreprises, les Comités pour la prévention et la protection au travail (CPPT) ont un rôle à jouer : la lutte contre la propagation du coronavirus fait partie de leur domaine.

    Mais il faut plus : l’ampleur de la crise rend nécessaire une approche planifiée. Dans le mouvement pour le climat, nous avons préconisé une planification rationnelle afin de permettre une réorientation de la production. Cela est nécessaire pour éviter le gaspillage, mais aussi pour réaliser une transition vers les énergies renouvelables. Il en va de même pour l’organisation de la production et de la distribution de produits vitaux tels que l’alimentation, les médicaments, les équipements de protection,… en temps de crise.

    Le principe du juste-in-time utilisé sous le capitalisme pour économiser sur les stocks rend la chaîne d’approvisionnement vulnérable. Les intérêts commerciaux et économiques placent la santé au second plan. Pieter Timmermans, de l’organisation patronale FEB, a commenté dans La Libre (13 mars) : “A mon avis, l’essentiel a été sauvegardé : la préservation de l’appareil de production et surtout de ceux qui travaillent dans les entreprises”. Lire : les bénéfices des actionnaires. Nous ne pouvons pas laisser l’organisation de l’économie à cette cupidité !

    Afin de permettre un contrôle et une gestion démocratiques de la production et de la distribution, nous devons assurer que les leviers économiques deviennent propriétés publiques. La nationalisation de secteurs clés de l’économie sous le contrôle démocratique de la collectivité doit poser les bases d’une planification rationnelle où les ressources disponibles seront adaptées aux besoins et aux exigences de la population.

    5/ Prendre l’argent là où il est

    C’est LA question qui se posera au lendemain de la crise du coronavirus : qui en paiera les conséquences ? Sur fond de crise boursière, liée à une récession de l’économie réelle, les capitalistes et leur personnel politique diront que l’argent manque. Ils diront que la collectivité doit continuer à soutenir les grandes entreprises pour qu’elles puissent investir, après quoi cela se répercutera sur la population. C’est faux. Nous l’avons constaté après la crise de 2008. Les cadeaux aux capitalistes ont été augmentés, tandis que la majorité de la population a été obligée de se serrer la ceinture. En Belgique, nous avons subi un saut d’index qui a réduit nos salaires réels, une augmentation de l’âge de la pension, des économies sur la sécurité sociale, etc.

    Immédiatement au début de la crise du coronavirus, les autorités ont annoncé qu’il y avait de l’argent pour les banques. Les entreprises ont obtenu, entre autres, un report du paiement de leurs cotisations à la sécurité sociale. Mais il n’est pas question de fonds supplémentaires pour nos salaires et nos soins de santé.

    Si cela ne dépendait que des patrons et de leurs pantins politiques, le coût de la crise serait répercuté sur les travailleurs et leur famille. Ils nous diront qu’augmenter les salaires est impossible et qu’il faudra nous serrer la ceinture, notamment en sabrant dans la sécurité sociale. Ils vont essayer de faire passer cela pour de la solidarité. La vérité est que le tax-shift à lui seul a créé un trou de 5,8 milliards d’euros dans la sécurité sociale. Toutes sortes de systèmes de prestations extra-légales, encouragés par le gouvernement par le biais, entre autres, d’un plafond obligatoire de normes salariales, ont également créé un trou de plusieurs milliards dans la sécurité sociale. Au lieu d’investir dans une meilleure protection sociale, qui ne s’avère pas être un luxe superflu dans cette crise, des milliards ont été donnés en cadeau aux grandes entreprises. Toutes les réductions de cotisations patronales à la sécurité sociale doivent cesser immédiatement. Nous exigeons le remboursement de ce qui a été pillé et l’imposition de contributions sociales pour faire face aux besoins. C’est grâce au combat acharné de la classe ouvrière que la sécurité sociale a été instaurée pour faire face à des crises comme celles d’aujourd’hui.

    Aller chercher l’argent là où il est exigera le même type de combat ! Les études d’Oxfam ont clairement illustré qu’un petit groupe richissime dispose d’une fortune sans précédent. Des milliards d’euros sont planqués dans les paradis fiscaux et des capitaux sont investis massivement dans des productions socialement inutiles, comme les dépenses militaires. Allons y chercher ce dont nous avons besoin ! Et pas en le demandant gentiment ! Nous devrons nous battre pour retirer les secteurs clés des mains des grands actionnaires et les placer sous propriété publique.

    En fin de compte, pour orienter les richesses et les moyens disponibles sur la satisfaction des besoins de la majorité de la population, il faut un changement de système. Le capitalisme est un système malade, nous avons besoin d’une société différente. Nous défendons un système de contrôle et de propriété publique démocratique des moyens de production afin qu’ils puissent être utilisés dans l’intérêt de la majorité de la population, une société socialiste démocratique.

  • Quelle réponse socialiste face à la pandémie de Covid-19 ?

    Comment le virus est-il utilisé par la classe dirigeante et les grandes entreprises dans leur intérêt, et que devrions-nous exiger ?

    Déclaration de l’exécutif international de l’Alternative Socialiste Internationale (ASI)

    Le coronavirus Covid-19 s’est maintenant répandu à travers le globe. Au moment où nous écrivons ces lignes, on ne sait pas encore combien de temps durera la crise, combien de personnes seront touchées et combien mourront. L’effet qu’elle a sur l’économie mondiale devient déjà évident avec la chute des marchés boursiers et les vagues de licenciements dans de nombreuses entreprises. Un sentiment de panique se répand, qui oblige les gouvernements à agir.

    Une menace réelle

    Le Covid-19 représente une menace réelle. Il s’agit d’un virus particulièrement agressif avec, un taux de mortalité plus élevé que celui de la « simple grippe », qui touche surtout les patients âgés et déjà affaiblis. Les systèmes de santé des pays capitalistes avancés ne sont pas suffisamment préparés à cette menace, mais dans les pays soumis au néocolonialisme, une épidémie pourrait se transformer en véritable cauchemar.

    Si les gens meurent principalement à cause du virus, un nombre important de personnes meurent également en raison des faiblesses du système de santé. Même dans les pays capitalistes avancés, après des décennies de coupes budgétaires néolibérales, on se trouve dans une situation où il y a trop peu de lits d’hôpitaux, un personnel surchargé, des installations de test inadéquates et un manque de soutien technique et médical pour les personnes infectées. Les pays sous-développés n’ont quant à eux jamais connu de soins de santé adéquats.

    Le Covid-19 est, de facto, une pandémie, même si, vu les progrès qu’a connu la médecine depuis lors, il est peu probable qu’elle soit aussi grave que la « grippe espagnole » qui a tué 50 millions de personnes il y a près de 100 ans. Mais si l’épidémie se propage davantage, si des millions de personnes sont infectées, si les gouvernements continuent à ne pas réagir de manière appropriée, elle pourrait avoir de graves conséquences. Après avoir connu une certaine phase d’équilibre dans l’économie mondiale, le Covid-19 pourrait également être le déclencheur qui poussera le monde vers la prochaine récession.

    Il pourrait également avoir de graves conséquences politiques. Le système capitaliste et, avec lui, la démocratie bourgeoise, sont en crise de plus en plus profonde depuis que la classe dirigeante s’est montrée incapable de résoudre la crise économique après 2007. Depuis lors, la situation politique dans toutes les régions du monde se caractérise par l’instabilité, avec des changements rapides de gouvernement et l’apparition de « nouveaux » politiciens proposant des mesures populistes pour surmonter la profonde méfiance, alors qu’ils tentent en réalité de rétablir la stabilité.

    2019 a été une année où les classes dirigeantes du monde entier ont été secouées par des soulèvements, des protestations de masse, des révoltes et des mouvements révolutionnaires, autant d’explosions de mécontentement contre le système politique et économique. Une pandémie pourrait ébranler ces mouvements, mais pourrait aussi entrainer de nouvelles vagues de protestations, car l’élite dirigeante démontre, une fois de plus, qu’elle est incapable de résoudre les problèmes. Cela pourrait se produire très rapidement, comme en Iran.

    Mais vu la nature de cette crise – un virus qui se transmet d’une personne à l’autre – il y a le danger que la colère et la peur puissent encourager l’isolement, le racisme et le séparatisme, avant l’émergence de la contestation collective. Il est donc d’autant plus important pour les socialistes d’expliquer les racines de la crise et d’avancer des propositions et des revendications concrètes sur la manière de gérer la situation.

    Absence d’intervention précoce et justification des blocages

    Malgré ce que répètent de nombreux porte-paroles de l’élite dirigeante, la gestion de la première épidémie à Wuhan par les autorités chinoises a été un échec catastrophique. C’est au début de décembre 2019 que se sont produites les premières infections ; la nouvelle souche du coronavirus Covid-19 a été identifiée dès le 7 janvier 2020. L’analyse génétique a montré qu’elle était remarquablement similaire au coronavirus du SRAS, lequel présentait un taux de mortalité stupéfiant, d’environ 10 %, lors de l’épidémie de 2003. Au lieu de prendre cela comme un avertissement et de commencer à contenir l’épidémie alors qu’elle était encore localisée, les autorités ont décidé de l’ignorer et de faire taire les scientifiques et les journalistes critiques, qui essayaient de mettre en garde le public ; le sort de feu le docteur Li Wenliang étant l’exemple le plus notoire de cette politique.

    À ce stade, au début de l’épidémie, il aurait probablement été possible de l’endiguer en retraçant la chaine d’infection et en isolant les personnes à risque, tout en informant le public, en distribuant des masques faciaux et en installant des désinfectants antiviraux dans les lieux publics. Mais il a fallu plus de deux semaines pour que le gouvernement chinois réalise qu’il ne pouvait plus taire le problème. Le 23 janvier, il a donc imposé le blocage complet de la province du Hubeï (dont Wuhan est la capitale), restreignant les droits fondamentaux de 60 millions de personnes dans cette région.

    Bien que nous ne soyons pas fondamentalement opposés à la restriction du droit de voyager lors d’une épidémie dangereuse, nous critiquons le régime chinois pour n’avoir pris aucune mesure avant cette restriction drastique, ainsi que la façon dont elle a été décidée et mise en œuvre. Il faut également souligner que, selon les informations qui ont été divulguées, les conditions de ce blocage ont été horribles pour les personnes touchées : de nombreux travailleurs se sont retrouvés en congé sans solde, les centres de quarantaine consistent en des centaines de lits côte à côte avec des installations sanitaires limitées, les besoins de base comme la nourriture et l’eau ne sont pas correctement pris en charge, et le personnel y travaille dans des conditions insupportables.

    Dans les pays capitalistes avancés, nous voyons les politiciens minimiser les dangers de l’épidémie tout en insistant sur le fait qu’ils y sont bien préparés, ce qui, dans la plupart des cas, est faux. Compte tenu de la méfiance déjà existante à l’égard de l’élite dirigeante, beaucoup de gens ont le sentiment que cette approche n’est pas bonne, ce qui encourage des réactions de panique (par exemple, les gens qui empilent des tonnes de vivres ou de médicaments chez eux à domicile en prévision d’un blocage). En l’absence de réaction précoce appropriée, il y a le risque de devoir plus tard introduire des mesures plus extrêmes pour faire face à l’épidémie, comme on le voit déjà en Italie avec les blocages locaux et les restrictions au droit de grève.

    Information et démocratie

    Si auparavant, les cyniques magnats médiatiques affirmaient que « le sexe vend des journaux », tout indique maintenant qu’ils ont adopté le principe de « la panique vend ». Actuellement, il y a deux problèmes contradictoires : en même temps que les régimes n’informent pas correctement la population, les médias s’emparent des moindres détails pour contribuer à susciter la panique. En Chine, il est désormais clair que feu le médecin Li Wenliang, qui travaillait à Wuhan et qui avait prévenu du problème du Coronavirus avant qu’il ne commence à se répandre, a été ignoré et harcelé par le régime. Recourant à ses méthodes habituelles de censure et de répression, le régime a tenté d’isoler le problème, mais cette tentative s’est soldée par un échec ; ce qui l’a contraint à faire volte-face par après en mettant des millions de personnes en quarantaine.

    Ces mesures draconiennes prises par le régime chinois ont été saluées par les gouvernements du monde entier. On a même l’impression que « dans une telle situation, il faut au moins des éléments de dictature pour gérer la situation ». C’est une tendance dangereuse, qui s’inscrit à la suite de l’introduction d’un « l’état d’urgence» et des « lois antiterroristes » utilisées pour justifier la limitation des droits démocratiques. S’il est vrai que dans une situation de pandémie, des mesures rapides et parfois restrictives doivent être prises, cela ne signifie pas que cela doit se faire de manière antidémocratique et dictatoriale.

    Ces mesures sont prises pour s’assurer que la classe dirigeante conserve son pouvoir, et rien ne garantit que ces mesures « ad hoc » ne subsisteront pas longtemps après la fin de la crise. Les dirigeants justifient ces éléments de dictature en affirmant que les gens ordinaires de la classe prolétaire ne comprennent pas ce qui se passe et sont incapables de trouver des solutions par eux-mêmes. Ces deux arguments sont loin d’être vrais.

    En Irak, face à l’effondrement du système de santé, les manifestants ont distribué des tracts et donné des conférences sur la prévention des coronavirus ; les cliniques de fortune érigées il y a des mois pour soigner les manifestants blessés par la répression policière distribuent maintenant gratuitement des masques médicaux, des gants et des désinfectants. Des volontaires en combinaison de sécurité biologique prennent la température des manifestants alignés dans des files d’attente organisées. Cela montre un tout petit aperçu de ce qui serait possible à plus grande échelle si la réponse au virus était démocratiquement organisée à la base, en comptant sur la solidarité des travailleurs, plutôt que dans le but de sauvegarder le profit, le prestige et le pouvoir des élites capitalistes.

    Nous disons :

    Dans un premier temps, nous avons besoin d’une large diffusion d’informations scientifiques par tous les canaux médiatiques. De véritables experts médicaux et scientifiques, indépendants des entreprises et des élites politiques, doivent donner des conseils sur la manière de contenir les risques d’infection et de propagation. Ces informations doivent être diffusées gratuitement, y compris par les médias privés, sans paiement d’espace d’impression ou de temps d’antenne, et dans toutes les langues nécessaires pour atteindre toutes les couches de la société. Tout média qui diffuse des informations erronées, des calomnies racistes, des théories conspirationnistes ou qui exige un paiement devrait être immédiatement réquisitionné par le public et par le personnel. Cela montre la nécessité d’avoir des médias de la classe ouvrière, indépendants des intérêts capitalistes!

    L’information doit être largement diffusée sur les lieux de travail, dans les universités et les écoles, pendant les heures de travail rémunérées ou pendant les cours.

    Les décisions concernant les mesures nécessaires à mettre en œuvre et leur gestion doivent être prises par des structures démocratiques à la base, par des représentants du mouvement ouvrier et de la population locale, guidées par l’avis d’experts médicaux.

    Prévention

    Les mesures gouvernementales comme les mesures de la température corporelle dans les aéroports, plus ou moins inutiles étant donné qu’on peut être porteur du virus sans présenter de fièvre ni d’autres symptômes, sont prises pour tenter de montrer que « quelque chose est fait » et pour dissimuler l’incapacité des dirigeants à faire les investissements nécessaires pour accroitre le personnel et les ressources médicales. La plupart du temps, ils n’ont même pas réussi à mettre en place un programme de dépistage précoce afin de suivre les chaines d’infection et de mettre en œuvre des moyens efficaces pour les bloquer. Ils utilisent également la menace pour servir leurs propres intérêts politiques, comme en Italie, où des grèves ont été interdites en se servant du Covid-19 comme argument pour cette mesure antidémocratique.

    Au même moment, les gens subissent des pressions pour aller travailler même s’ils se sentent malades, par crainte de perdre leur salaire, voire leur poste. Récemment, un ouvrier de l’usine allemande Volkswagen à Wolfsburg est allé travailler bien qu’il se sentait malade, et est décédé. La direction a obligé ses collègues à continuer à travailler à côté de son cadavre pour éviter d’avoir à arrêter la chaine de production. Certaines entreprises, telles que les compagnies aériennes, tentent d’utiliser le virus pour résoudre des problèmes économiques antérieurs en faisant payer la crise à leur personnel, en licenciant des gens, en réduisant leurs heures de travail, en les envoyant en congé sans solde et en diminuant leurs salaires.

    Dans leurs tentatives pour limiter la propagation du virus, les gouvernements utilisent des mesures qui touchent le public, mais en en faisant pas les conséquences aux individus, qui ne peuvent souvent pas se le permettre même s’ils le doivent. Nous exigeons une approche différente : la santé de tous est une responsabilité publique et doit donc être organisée et financée par l’ensemble de la société.

    Nous disons

    Il faut fournir des installations pour le lavage des mains, la désinfection et tout ce qui est nécessaire et utile, et ce matériel doit être distribué gratuitement. La crise actuelle démontre la perversion absolue du système capitaliste, dans lequel les entreprises cherchent à profiter du besoin qu’ont les gens de protéger leur santé : ces entreprises doivent être réquisitionnées et gérées dans le but de satisfaire les besoins de la société. Cela permettrait aux entreprises fabriquant des produits similaires de modifier leur production ou de l’augmenter. Les travailleurs eux-mêmes savent comment la production est organisée, quels produits sont utiles et nécessaires, quels produits peuvent être facilement remplacés et comment la production peut être modifiée pour fournir d’urgence les fournitures nécessaires. Pour cela, la production doit être gérée et contrôlée par des organes démocratiquement élus par les travailleurs eux-mêmes.

    Les masques et autres articles nécessaires à la protection, notamment du personnel médical, doivent être fournis gratuitement et en quantité suffisante. Certaines entreprises affirment déjà que les stocks sont trop bas, juste pour justifier la hausse des prix. Cela montre bien pourquoi l’industrie devrait être contrôlée par des représentants élus du public, des travailleurs de l’entreprise elle-même et par le mouvement ouvrier au sens large.

    La schizophrénie des gouvernements bourgeois se révèle lorsqu’ils ferment de grands évènements tels que le carnaval de Venise et les manifestations sportives. Selon les experts médicaux, cela signifie seulement que les gens passent plus de temps dans des espaces clos, comme les bars, où la transmission est encore plus facile, alors qu’au même moment, les gens sont toujours censés se rendre chaque jour à leur travail, souvent en utilisant les transports en commun, pour continuer à faire tourner l’économie et à extraire les bénéfices. S’il est nécessaire de réduire le risque de propagation, la première mesure devrait être de réduire la nécessité de travailler aux emplois réellement nécessaires et, si possible, de permettre le travail à domicile. Ces mesures devraient être mises en œuvre de manière à ce que tous les simples citoyens, qu’ils travaillent ou non, perçoivent un salaire complet. Des mesures spéciales visant à apporter une aide supplémentaire aux bas salaires sont nécessaires, qui n’ont pas les ressources disponibles pour des dépenses supplémentaires.

    Si les écoles et les jardins d’enfants doivent être fermés, les parents doivent être libérés de leur travail avec leur plein salaire – ce qui est important, non seulement pour protéger les droits des travailleurs, mais aussi pour empêcher la formation de groupes informels de surveillance des enfants organisés par les parents qui ne peuvent rester à la maison. Il est pratiquement impossible d’observer les mesures d’hygiène nécessaires au sein des groupes de jeunes enfants. Si les entreprises affirment qu’elles n’ont pas les moyens de payer, il faut exiger l’ouverture de leur comptabilité au public pour vérifier que c’est bien le cas ; celles qui ne peuvent pas payer devraient être réquisitionnées par le public et gérées sous le contrôle et la direction des travailleurs eux-mêmes.

    Lorsque des restrictions de voyage sont mises en œuvre, elles ne doivent pas se faire aux dépens des travailleurs : si des personnes doivent annuler ou modifier un voyage pour lequel elles ont déjà réservé leur billet, elles doivent en être entièrement indemnisées pour les pertes ou les frais supplémentaires éventuels. Les discussions et les décisions concernant les quarantaines nécessaires, la poursuite de la production et les mesures à prendre pour réduire la propagation du virus doivent être prises par des comités d’experts sanitaires, des représentants de la communauté locale et des travailleurs sur le terrain, organisés et gérés démocratiquement. Elles ne doivent pas être laissées entre les mains du gouvernement bourgeois qui représente les besoins de la classe capitaliste.

    Dans les régions où la quarantaine est nécessaire, la distribution de nourriture et des autres articles nécessaires doit être organisée publiquement par des comités démocratiquement élus pour éviter une situation où ceux qui ont plus d’argent sont mieux « servis » que les autres.

    Soins

    La mortalité du Covid-19 est fortement liée à la qualité du secteur de la santé. Dans les pays dont le secteur de la santé est déficient ou qui n’ont pas de service de santé publique, le nombre de décès sera plus élevé. En Iran, le pays qui compte le plus grand nombre de décès en dehors de la Chine, la réponse à l’épidémie a été entravée par l’inaction du régime, par les mensonges et par la corruption, mais aussi par les sanctions économiques imposées par les États-Unis qui ont réduit l’accès aux fournitures médicales de base et restreint l’importation de kits de diagnostic du coronavirus.

    Mais dans les pays capitalistes avancés aussi, le manque de ressources entrainera d’énormes problèmes. En Autriche, on n’a détecté l’infection d’un patient âgé par le Covid-19 qu’après qu’il a passé 10 jours à l’hôpital pour cause de « grippe ». En Italie, la situation démontre à quel point le processus de démantèlement de la santé publique mené ces dernières années par les principales forces politiques du pays est sérieux, dangereux et absurde. Aidé par les attaques néolibérales et par le régionalisme fédéraliste, les vingt dernières années ont vu le démantèlement de la santé publique, qui a été privée de ressources, mise en pièces, démolie et divisée en de nombreux services de santé régionaux autonomes, qui sont loin de disposer des pouvoirs et de la puissance d’un Service national de santé unifié tel que devrait en avoir un État moderne.

    L’amélioration de la science et de la technologie médicales a réduit la nécessité de longs traitements dans les hôpitaux. Mais partout, cet argument a été utilisé pour aller trop loin dans cette direction afin de réduire les dépenses de santé. Les soi-disant experts ont exigé la réduction des lits et du personnel des hôpitaux pour les rendre plus « efficaces » ou, comme dans de nombreux cas, la privatisation de parties essentielles du secteur de la santé dans un but lucratif. Cela a conduit à des conditions de travail épuisantes dans les hôpitaux et à un manque de ressources pour obtenir un traitement décent, même en temps « normal ». Aujourd’hui, la pandémie menace de créer des conditions extrêmes, et l’ensemble du système de santé est étiré au point de rupture.

    Nous disons :

    Dans un premier temps, tout le personnel du secteur de la santé devrait être libéré des tâches qui ne sont pas directement liées aux soins, comme l’administration et la documentation inutile. Cela permettrait de libérer immédiatement 20 à 30 % de ressources supplémentaires.

    Il faudrait employer davantage de personnel de santé avec des mesures de sécurité maximales et une rémunération appropriée, et il faudrait que davantage de personnel reste en poste après l’épidémie, afin de réduire définitivement le nombre d’heures de travail prestées dans le secteur de la santé. S’il est indispensable d’augmenter le personnel médical, nous rejetons le travail forcé et nous défendons le droit de refuser de travailler. L’histoire n’a-t-elle pas déjà démontré à de nombreuses reprises que des personnes désintéressées sont prêtes à mettre leur propre vie en danger, même en temps de guerre, de catastrophe ou de maladie ?

    En temps de maladie (et, en fait, à tout moment), la concurrence dans le secteur de la santé est une aberration. Les différents hôpitaux et cliniques doivent coopérer dans l’intérêt de la société. Toutes les cliniques et établissements de santé privés doivent fournir un traitement contre le virus Covid-19 gratuitement à tous ceux qui en font la demande.

    Il ne devrait y avoir aucune limite à l’accès aux traitements médicaux, où que ce soit. Des milliards de personnes sur toute la planète ne peuvent pas se permettre d’avoir une assurance maladie. Même dans le pays le plus riche de la planète, les États-Unis, il n’existe pas de service de santé universel. Tous les médicaments et traitements nécessaires pour traiter le Covid-19 doivent être fournis et payés par l’État.

    Toutes les sanctions économiques contre l’Iran et d’autres pays doivent être immédiatement levées, ainsi que toutes les mesures qui restreignent la circulation des équipements médicaux dans les zones touchées. Dans une situation de pandémie, il est non seulement évident que de telles sanctions sont inhumaines, mais qu’elles constituent en outre une menace pour l’ensemble de la société vu que toutes ces personnes infectées et non traitées ne feront que propager davantage le virus.

    La santé est un droit de l’homme, qui n’aurait jamais dû être confiée à un marché axé sur le profit. Les établissements de santé privatisés et privés doivent être immédiatement nationalisés ou renationalisés. Dans un système de santé public et organisé démocratiquement, toutes les informations sont partagées, le matériel est réparti de façon efficace et les patients sont traités de manière équitable et correcte.

    Recherche et industrie pharmaceutiques

    Comme tout le reste sous le capitalisme, la santé et la recherche sont des marchandises. Mais ce ne sont pas seulement quelques entreprises douteuses qui font des profits supplémentaires en spéculant sur les masques et autres fournitures médicales, c’est toute l’industrie pharmaceutique ! En 2019, les dix plus grandes entreprises pharmaceutiques ont augmenté leurs profits de 7 % pour atteindre un total de 138 milliards de dollars. La société qui produira la première un vaccin ou même un médicament pour le Covid-19 fera fortune. C’est ainsi qu’alors que des équipes de scientifiques travaillent sur des médicaments, leurs entreprises ne partagent pas la moindre information et les résultats de leurs recherches sont gardés secrets. Il en va de même pour d’autres maladies graves ! Le profit de quelques personnes est plus important que la vie du plus grand nombre.

    L’épidémie de Covid-19 montre aussi clairement les problèmes de la centralisation de la production de médicaments destinée à augmenter les profits. Comme la plupart des médicaments sont fabriqués en Chine et en Inde, la pénurie de médicaments importants se fait plus urgente dans un certain nombre de pays. Et avec l’intensification de la pénurie, la santé des personnes non infectées est mise en danger.

    Nous disons :

    L’industrie pharmaceutique doit devenir une propriété publique et être gérée dans l’intérêt de tous.
    Les brevets doivent être abolis car ils monopolisent l’information : toutes les informations disponibles doivent être partagées et rendues publiques. Il faut investir davantage dans la recherche pour obtenir des résultats plus rapidement ; les profits des entreprises pharmaceutiques peuvent facilement le payer. Toutes les grandes décisions doivent être prises par des comités de représentants élus des experts, des travailleurs, des patients et des travailleurs médicaux, également chargés d’évaluer les résultats et de décider des changements nécessaires.

    Le retour à des structures de fabrication de médicaments décentralisées afin d’éviter les pénuries en cas d’épidémies, de catastrophes naturelles, etc.

    Pas de thésaurisation des médicaments pour le profit : pour une gestion démocratique de la distribution des médicaments !

    Migration

    Le système capitaliste, qui engendre la guerre, l’exploitation et la destruction de la nature, force des millions de personnes sur la planète à fuir leurs foyers. L’extrême-droite, tout comme les gouvernements bourgeois « ordinaires », tente de faire porter aux migrants et aux réfugiés la responsabilité des effets de leurs politiques : perte d’emplois, manque de logements, etc. La propagande raciste qui empoisonne la société depuis des décennies a déjà conduit à des attaques racistes contre des Chinois ou d’autres personnes d’apparence « asiatique » en Allemagne, aux États-Unis, en Italie, au Royaume-Uni, en Russie et dans d’autres pays.

    Vu l’augmentation des infections en Afrique et au Moyen-Orient, qui menacent de provoquer des épidémies dans les énormes camps de réfugiés où les gens sont entassés dans des conditions horribles, sans hygiène ni aide médicale, et avec l’« ouverture » de la frontière avec l’Union européenne par le président turc Erdo?an, les socialistes et le mouvement ouvrier ont besoin d’un programme pour les réfugiés.

    L’extrême-droite attaque déjà les migrants et les réfugiés en utilisant le Covid-19 comme excuse. Bientôt, sans aucun doute, ils seront suivis par divers partis bourgeois, y compris des partis sociaux-démocrates et verts soi-disant « progressistes ». Ils tenteront de mettre en œuvre des règles de migration encore plus racistes, de construire des murs et de renforcer la « forteresse européenne », en faisant valoir que cela est nécessaire pour se « protéger » contre le virus. À Chypre (une ile partagée en deux États rivaux, un à majorité grecque, un à majorité turque), quatre des neuf points de passage le long de la zone tampon entre le Nord et le Sud ont été fermés, une mesure que le gouvernement sudiste présente comme un moyen de lutter contre la propagation du coronavirus, malgré l’absence de cas confirmés de part et d’autre de la ligne de démarcation.

    Si aucune autre mesure efficace n’est prise, cela peut conduire à une situation où même les militants de gauche et du mouvement ouvrier auront le sentiment que, tout en n’aimant pas de telles actions, ils n’ont pas d’autre choix que de les accepter.

    Mais le virus lui-même est démocratique et antiraciste : il ne demande pas quel est votre sexe, votre religion ou votre nationalité ! Toute mesure fondée sur de telles caractéristiques est donc au mieux inutile. Mais ceux qui utilisent le virus pour créer la division nous empêchent de collaborer pour arrêter la propagation et résoudre la crise.

    Aucun contrôle aux frontières ne peut empêcher les réfugiés d’entrer, et encore moins un virus d’entrer. « On ne peut pas empêcher un virus de sortir », explique Larry Gostin, professeur en droit de la santé mondiale à l’université de Georgetown à Washington. Nous ajoutons : « On ne peut pas empêcher un virus d’entrer ». La raison pour laquelle les gens craignent les migrants et les réfugiés est le fruit de la désinformation répandue au sujet du Covid-19, mais aussi de l’expérience de nombre de simples citoyens à qui les classes dirigeantes ont fait payer l’accueil des réfugiés pauvres qui fuyaient la guerre de Syrie en 2015 ou qui chaque jour, quittent l’Afrique pour l’Europe. Mais ni les réfugiés, ni la classe ouvrière des pays capitalistes avancés ne sont responsables de la guerre, du changement climatique et de la misère, qui sont les principales raisons qui forcent les gens à fuir leur patrie.

    Nous disons :

    Dans un premier temps, l’argent qui sert à subventionner les grandes entreprises telles que les compagnies aériennes devrait être utilisé immédiatement pour améliorer les conditions de vie dans les grands camps de réfugiés afin d’y éviter une épidémie de Covid-19. Les déportations doivent cesser et le droit d’asile des réfugiés doit être défendu.

    Il faut faire payer le cout de l’exode des populations à leurs responsables, qui sont l’industrie de l’armement, les grandes entreprises, les compagnies pétrolières et minières et les entrepreneurs militaires (c’est-à-dire tous les mercenaires qui profitent de la surexploitation de l’humanité et des ressources naturelles du monde néocolonial). L’expropriation de ces entreprises et l’utilisation de leurs ressources pour apporter une aide immédiate permettrait de réduire le nombre de gens contraints de fuir leurs foyers.

    Conclusion

    Au moment où nous écrivons ces lignes, les effets à long terme du Covid-19 sont encore difficiles à évaluer. Mais le virus démontre clairement la faiblesse de l’économie mondiale et l’incapacité de l’élite dirigeante et du système capitaliste dans son ensemble à faire face à de telles menaces.

    Une pandémie peut être un choc. Elle peut freiner la vague de contestation et de luttes qui a éclaté en 2019. Mais l’incapacité de la classe dirigeante à la résoudre ou même à y faire face de manière appropriée suscitera une colère. Si les organisations de la classe ouvrière montrent la voie à suivre, présentent des solutions pour faire face à la crise et la surmonter, cela contribuera à éviter le désespoir, la montée du racisme et de la xénophobie et à indiquer une voie à suivre, fondée sur une solution socialiste pour mettre fin à ce système capitaliste malade.

    L’heure n’est donc pas à la panique, mais à la riposte !

  • La sécurité sociale en ligne de mire – organisons notre lutte

    Notre sécurité sociale est en danger. Cela fait un bon moment que les patrons ont gardé pour eux une partie des cotisations à la sécurité sociale avec les baisses des prétendues ‘‘charges patronales’’. C’est donc une part de notre salaire indirect – canalisée vers les collègues qui ont besoin d’un soutien (maladie, pension, chômage) grâce la sécurité sociale – qui a été rabotée. L’opération ne se sentant pas directement au portefeuille, cela a pu se produire sans grandes protestations. Il n’empêche que le déficit de la sécurité sociale s’accroît. A partir de 2021, une partie du financement menace de disparaître puisque la ‘‘dotation d’équilibre’’ du fédéral ne sera plus garantie. Des attaques plus conséquentes sur la sécu sont donc inévitables. Il est temps d’organiser la résistance pour défendre et même étendre le champ de notre sécurité sociale !

    Par Geert Cool

    Qu’est-ce que la sécurité sociale ?

    La sécurité sociale est un système qui protège les travailleurs lorsqu’ils se révèlent en incapacité de travailler.

    Le mécanisme est né pour aider des travailleurs victimes du chômage (temporaire ou non), malades, invalides ou pour leur donner une pension à un certain âge. Les allocations familiales ont également été ajoutées afin de couvrir plus collectivement les coûts liés à l’éducation des enfants.
    Tous les travailleurs contribuent à la sécurité sociale et une part importante de nos salaires y est consacrée. Mais les avantages sont nombreux. Sans cette protection, la pauvreté serait largement plus répandue.

    Comment ce mécanisme a-t-il vu le jour ?

    Le 75e anniversaire de la sécu a été commémoré fin décembre, en souvenir de ce mois de décembre 1944 qui a vu la naissance de l’Office national de sécurité sociale / Rijksdienst voor Sociale Zekerheid. On en attribue souvent la paternité à Achille Van Acker (PSB), surtout dans les milieux sociaux-démocrates évidemment. Il ne s’agit pourtant que d’une partie seulement de l’histoire : chaque pas en avant vers la sécurité sociale est le fruit des luttes du mouvement ouvrier, dont certaines ont menacé l’existence même du capitalisme.

    Le système moderne de sécurité sociale a été mis en place par les travailleurs après plus de cent ans de grèves et de batailles contre le capital et l’appareil d’État. C’est par des grèves comme la grève générale de 1886 ou celles qui ont suivi la Première Guerre mondiale que le droit des travailleurs de s’organiser a été accepté, ainsi que le suffrage universel masculin et les premiers éléments de protection sociale. Au départ, ce sont les travailleurs eux-mêmes qui ont organisé leurs fonds de solidarité mutuelle. Les luttes ont forcé les patrons à payer des cotisations pour les pensions des ouvriers (1924) et des employés (1925), pour les maladies professionnelles et les allocations familiales (1927) ainsi que pour les congés annuels (1936). La grève générale de 1936, qui s’est développée spontanément à partir de la base, a arraché les congés payés.

    Après la Seconde Guerre mondiale, la bourgeoisie était inquiète de la situation sociale. La résistance armée, dans laquelle les syndicalistes et les communistes ont joué un rôle important, bénéficiait d’un large soutien. Les travailleurs qui avaient combattu le nazisme n’entendaient pas tout simplement retourner à leur situation de misère. Ils exigeaient qu’on les respecte. Par peur des mouvements – peur justifiée au vu de la grève générale autour de la question royale en 1950 ou de la grève générale révolutionnaire et insurrectionnelle de l’hiver 1960-61 – des concessions ont été arrachées. Ce n’est pas le militantisme d’Achille Van Acker qui a fait céder la bourgeoisie, mais plutôt la peur de la révolution. Le fait que la sécurité sociale ait été inscrite dans une loi a néanmoins représenté un énorme progrès pour les travailleurs et leurs familles.

    Le mouvement ouvrier a fait valoir que les risques sociaux (vieillesse, maladie, chômage,…) ne devaient pas être supportés par la famille et dépendre de la charité. Les questions sociales doivent être supportées collectivement. Tout démantèlement de la sécurité sociale représente un pas en arrière vers l’individualisation des risques sociaux. Nous en voyons les effets dans les soins de santé, la crise du secteur pousse davantage de personnes âgées à être prises en charge par leur famille (essentiellement par les femmes).

    La sécu victime d’années d’économies

    Les principaux postes de dépenses de la sécurité sociale sont les pensions, les soins de santé et les allocations de chômage (y compris la retraite anticipée). L’année dernière, le déficit était de 3,1 milliards et, en 2024, il atteindra 6,4 milliards d’euros à politique inchangée. Selon les patrons, cela s’explique par l’augmentation des dépenses. Pourtant, de sérieuses économies ont été appliquées partout : pensions, secteur des soins, malades de longue durée, prépensionnés, chômeurs, etc. Personne n’a été épargné.

    L’âge de la pension a été porté à 67 ans par le gouvernement Michel, de sorte que les travailleurs ont perdu deux ans de droit à une pension. De plus, les conditions pour obtenir une pension complète ont été durcies et la retraite anticipée est devenue pratiquement impossible à obtenir. Techniquement, elle est aujourd’hui considérée comme une allocation de chômage. L’objectif de toutes les attaques contre la retraite anticipée (par les gouvernements Di Rupo et Michel) est de nous faire travailler plus longtemps.

    Dans le domaine des soins de santé, une ‘‘norme de croissance’’ a été imposée : les dépenses ne peuvent augmenter que de 1,5% par an. La norme avait été ramenée de 4,5% à 3% par le gouvernement Di Rupo et elle fut encore réduite de moitié par le gouvernement Michel. Alors que la population vieillit en général et que la charge de travail croissante entraîne davantage de problèmes de santé, les soins de santé ont été mis au régime sec. Les conséquences ne se sont pas fait attendre, la crise des soins est générale. Aujourd’hui, 14% des familles retardent leurs soins pour raisons financières. Parmi les 25% de familles les plus pauvres, ce chiffre s’élève à 27%.

    Sous le gouvernement Michel, le nombre de malades de longue durée a fortement augmenté : en 2018, il y en avait 415.000, soit 71.000 de plus qu’en 2014. Sans vouloir s’attaquer au problème de la charge de travail insoutenable et du stress psychologique, le gouvernement a réagi en poussant les malades à long terme hors du système. La ministre Maggie De Block a décidé que les malades devaient être plus rapidement de retour au travail : des sanctions sont apparues pour ceux qui ne suivent pas un projet de réinsertion. Les syndicats ont calculé qu’en 2018, pas moins de 68% des malades de longue durée qui ont participé à un projet de réinsertion ont finalement vu leur allocation leur être retirée. Le mécanisme est une machine à exclure.

    Ce qui nous amène aux allocations de chômage. Outre la suppression progressive de la retraite anticipée, le système de chômage avec allocation d’entreprise (RCC), les contrôles sur les chômeurs ont été renforcés et le nombre de sanctions a augmenté. Le nombre de personnes émargeant au CPAS a explosé : en 2018, 143.866 personnes dépendaient d’un revenu d’intégration, contre un peu moins de 100.000 en 2014. Le nombre de ‘‘chômeurs inscrits à titre obligatoire sans droit aux allocations de chômage’’ (tels que les personnes ayant un revenu d’intégration) a augmenté de 17,5% en 2019 par rapport à 2018. Derrière la baisse officielle du taux de chômage, on trouve une augmentation du nombre de personnes dépendante des CPAS.

    Nos droits et notre protection sociale ont souffert des économies réalisées dans tous les domaines. Il est donc bien compréhensible que les travailleurs ressentent qu’ils en ont moins pour leur argent. Nous devons toutefois bien prendre garde à ne pas nous tromper de coupable. Notre sécurité sociale ne s’est pas dégradée en raison des demandeurs d’asile ou des chômeurs : une bonne partie des fonds ont été donnés en cadeau aux patrons ! La sécurité sociale n’est pas impayable, mais il y a effectivement un problème si ses moyens diminuent sans cesse.

    La question fondamentale du financement

    Les moyens alloués à la sécurité sociale ont été réduits alors que les besoins augmentaient. Selon le gouvernement, c’était nécessaire pour maîtriser le déficit. Ce déficit résulte des cadeaux aux employeurs. Si les chômeurs sont soumis à un contrôle strict, cela ne s’applique pas aux grandes entreprises qui ont reçu des milliards en cadeau pour ‘‘préserver l’emploi’’ et qui font pourtant comme bon leur chante sans être inquiétées.

    Une mesure particulièrement coûteuse a été la réduction des prétendues ‘‘cotisations sociales patronales’’ de 32,4 à 25%. ‘‘Prétendues’’ car il s’agit en réalité de nos salaires indirects qui sont directement payés par les patrons à la sécurité sociale. Notre salaire indirect a donc été considérablement réduit. Selon le Bureau du plan, il s’agit de 5,8 milliards d’euros !
    Des mesures telles que le tax shift ou le saut d’index ont été présentées comme autant de nécessités pour renforcer la position concurrentielle des entreprises. Entretemps, les économistes s’accordent à dire que le ‘‘handicap salarial’’ par rapport aux pays voisins a été éliminé. Des mesures telles que le tax shift ne conduisent en outre pas à une augmentation des investissements dans la production. Ce cadeau a servi à augmenter les marges bénéficiaires, comme l’a constaté la Banque nationale en décembre. Depuis 2016, date à laquelle les ‘‘cotisations patronales à la sécurité sociale’’ sont tombées à 25%, les marges de profit en Belgique sont nettement supérieures à la moyenne de la zone euro.

    En outre, les possibilités pour les patrons de se soustraire aux cotisations de sécurité sociale sont de plus en plus nombreuses. Il suffit de penser aux flexi-jobs, qui représentent aujourd’hui environ 55.000 emplois. Ce système a été présenté comme un moyen de lutter contre le travail au noir, mais il est surtout utilisé pour convertir des emplois existants en emplois précaires. Même la Cour des comptes a dû admettre que 35% des flexi-jobs ne sont pas des emplois nouvellement créés. En plus, le gouvernement Michel a étendu la mesure des flexi-jobs à d’autres secteurs que celui de l’hôtellerie et de la restauration.

    Nous avons également assisté à une forte augmentation des avantages extra-légaux : voitures de société, chèques-repas,… qui permettent de verser une partie du salaire sous forme d’avantages en nature en évitant de payer des cotisations à la sécurité sociale. Cela semble intéressant pour les travailleurs ayant un salaire plus élevé : au-delà d’un plafond de 57.602,62 euros brut par an (un salaire net d’environ 2.500 euros par mois), les droits à la pension n’augmentent pas. Il semble alors plus intéressant d’opter pour des avantages supplémentaires en nature. La seule façon d’y répondre est d’exiger que ce plafond soit relevé.

    A la demande des syndicats, le gouvernement a fait étudier les effets de 11 prestations extra-légales : elles représenteraient une masse salariale de 6,8 milliards d’euros. Cela signifie un manque à gagner pour la sécurité sociale de 2,6 milliards d’euros. Certains avantages communs (comme l’assurance hospitalisation et les fonds de pension) n’ont pas été inclus dans l’étude, ce qui signifie que le montant total perdu par le système de sécurité sociale dépasse sans aucun doute les 4 milliards d’euros.

    Les cotisations de sécurité sociale représentent 72,9% de ses revenus. Si des milliards en disparaissent, cela aura bien entendu des conséquences. Les revenus des cotisations de sécurité sociale sont en retard par rapport à l’augmentation de la masse salariale. Si le montant de tous les salaires payés augmente, le revenu de la sécurité sociale devrait suivre la même trajectoire de croissance. Mais ce n’est pas le cas. Selon les prévisions pour 2020, la différence augmenterait par rapport à 2015 : la masse salariale augmenterait de 17%, les cotisations sociales de 9,5%.
    Les cadeaux aux patrons font que la communauté, c’est-à-dire nous, contribue pour une plus grande part pour combler le vide. Une partie de ce financement provient d’un ‘‘financement alternatif’’ avec une part des revenus de la TVA et du précompte mobilier, une autre partie est payée directement par le Trésor public. Cela inclut la ‘‘dotation d’équilibre’’, qui représente aujourd’hui 3% du financement de la sécurité sociale. Toutefois, cette dotation, qui vise à maintenir l’équilibre entre les dépenses et les recettes de la sécurité sociale, expire en 2020 en raison d’une décision du gouvernement Michel datant de 2017. Si la dotation d’équilibre n’est pas renouvelée, plusieurs milliards d’économies viendront à nouveau frapper la sécurité sociale alors qu’elle est déjà bien mal en point.

    Il est temps de se battre

    Si le mouvement ouvrier ne réagit pas, la sécurité sociale menace de fondre comme neige au soleil. De nombreux travailleurs ont le sentiment qu’ils obtiennent moins en retour de ce qu’ils paient, notamment puisqu’une partie importante de nos revenus est consacrée à la protection contre les risques sociaux. Avec les attaques contre les fins de carrière, cela se comprend. Aujourd’hui, il est parfois difficile de convaincre les collègues de se battre pour défendre la sécurité sociale à cause du déclin de la protection sociale et de la proportion de plus en plus grande versée par les travailleurs dans le total des cotisations à la sécu.

    Nous ne pouvons répondre à cela que par des revendications offensives : davantage de protection sociale et d’argent pour la sécurité sociale et pour les besoins de la communauté en général. Allons chercher l’argent là où il est : chez les patrons et les ultra-riches.
    Les manières de renforcer la sécurité sociale ne manquent pas : en augmentant les salaires, par un salaire minimum de 14 euros de l’heure par exemple, et en considérant tous les avantages comme des salaires (ce qui se traduit par une recette plus élevée pour la sécurité sociale et donc une meilleure protection) ; en rendant le travail plus humain (avec une réduction du temps de travail sans perte de salaire, avec embauche compensatoire et réduction de la charge de travail ; en augmentant les moyens par la suppression des cadeaux aux patrons et en permettant ainsi aux nantis de contribuer à la collectivité.

    A ce titre, défendre un impôt sur la fortune est important, ne fut-ce que pour remettre en question la logique de ces dernières années où les riches payent de moins en moins. Même la nouvelle dirigeante du FMI, Kristalina Georgieva, a fait remarquer : ‘‘A l’extrémité supérieure de la distribution des revenus, les impôts peuvent être augmentés sans affecter la croissance économique.’’ Un impôt sur la fortune ne viserait naturellement pas les travailleurs qui ont un salaire normal, mais la poignée d’ultra-riches. Il y a maintenant 29 milliardaires dans notre pays. À l’échelle mondiale, les 500 personnes les plus riches ont vu leur richesse augmenter de 1.200 milliards de dollars l’an dernier, soit une hausse de 25% en un an ! Si notre protection sociale est mise à rude épreuve, nous savons immédiatement pourquoi : un gigantesque transfert de ressources est à l’œuvre vers les ultras-riches. Cela ne conduit pas à des investissements productifs mais à des dividendes records et au capitalisme de casino.

    La concentration de la richesse dans une petite couche supérieure n’est pas un défaut du système, c’est dans l’ADN du capitalisme. Pour faire une réalité de nos revendications tout à fait légitimes et offrir une vie décente et toutes et à tous, nous devons affronter le capitalisme. Les patrons ne lâcheront rien sur base de nos bons arguments : il faut construire une relation de force. C’est ainsi que la sécurité sociale est née : la peur de la révolution ouvrière a fait céder la bourgeoisie. La défense et l’expansion de la sécurité sociale ne se feront pas autrement. Mais toute conquête sociale sous le capitalisme n’est que temporaire : les patrons saisissent chaque espace pour revenir sur ce qu’ils ont dû céder. En fin de compte, il faut renverser ce système et construire une société socialiste où, les travailleurs et leurs familles décideront ensemble démocratiquement de la manière d’utiliser les ressources disponibles dans l’intérêt de la collectivité.

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