Category: International

  • Qu’est-ce qui maintient Erdogan au pouvoir ?

    L’opposition ne devrait pas remporter les élections au second tour

    Dimanche 14 mai, premier tour des élections présidentielles turques. Ces dernières opposaient le président sortant, Recep Tayyip Erdogan, l’ultranationaliste dictatorial à son opposant sociodémocrate en faveur d’un retour à un système parlementaire, Kemal Kılıçdaroglu. Les Turcs devront finalement retourner aux urnes le 28 mai pour un second tour. Le président sortant devançant son adversaire d’une courte tête (49,51 % pour Erdogan et 44,88 % pour Kiliçdaroglu) tandis qu’aux élections législatives, l’alliance dirigée par son parti, l’AKP, a raflé la majorité des sièges.

    Par Maxime (Liège)

    Pourquoi donc Erdogan reste-t-il si fort ? L’un des facteurs est le contrôle total exercé par l’autocratie sur les médias, l’appareil d’État et l’ensemble de la vie publique. Erdogan a été omniprésent durant toute la campagne. D’autre part, la guerre au Kurdistan et les opérations militaires turques en Irak et en Syrie ont créé un sentiment de tension constante, renforcé le nationalisme agressif et approfondi les divisions entre les populations turques et kurdes.

    Dans la guerre en Syrie, le régime s’est allié à des groupes terroristes islamistes et a parfois entretenu des liens avec le soi-disant État islamique (EI). Parallèlement, l’islamisation s’est intensifiée à l’intérieur du pays. Le poison du nationalisme et de l’islam politique de droite s’est infiltré profondément dans la petite bourgeoisie, la fonction publique et les sections inorganisées de la classe ouvrière.

    Être anti-AKP ne suffit pas

    Une autre raison de la relativement bonne performance d’Erdogan et son alliance est la faiblesse de l’opposition en termes de contenu. Le candidat du CHP Kılıçdaroglu s’est présenté comme opposant au despote, mais cela n’a pas suffi. La liste d’opposition autour de lui avait un programme très limité et regroupait jusqu’à un parti ultranationaliste. Kılıçdaroglu lui-même n’a pas hésité à dire le 1er mai : « Le pays s’occupe de 3,6 millions de Syriens alors que les jeunes restent au chômage. Nous renverrons tous les Syriens dans leur pays d’ici deux ans au plus tard. » Propos effrayants qui ne se distinguent guère de ceux de Sinon Ogan, candidat d’extrême droite arrivé 3e aux élections présidentielles : « C’est à cause des Syriens que nous n’avons pas la tranquillité. À cause d’eux que les jeunes n’arrivent pas à trouver du travail, car les Syriens travaillent à des salaires plus bas, sans la sécurité sociale. C’est à cause d’eux aussi que les loyers augmentent ».

    La crise du capitalisme turc

    Pendant ce temps, la crise continue de s’aggraver en Turquie due à la dépendance de son économie à l’égard de plus grandes puissances impérialistes. Les déséquilibres économiques et les contractions, qui ont explosé à travers le monde depuis la pandémie et l’intensification de la nouvelle guerre froide entre les États-Unis et la Chine, ont également conduit à une grande détérioration de la structure de l’économie turque, qui fonctionne essentiellement comme un sous-traitant pour de plus puissantes économies.

    Mais, simultanément, une autre raison de l’aggravation de la crise est la soi-disant « nouvelle théorie économique » d’Erdogan, qui se présente comme un économiste. C’est pourquoi, dans un contexte avec lequel l’inflation atteignait 70 %, le président de la banque centrale, obéissant aux ordres d’Erdogan, a abaissé les taux d’intérêt à 8,5 %, ce qui a entraîné une augmentation rapide des prix des devises étrangères et une accélération de la hausse des prix. Un président qui joue au petit chimiste économique aux conséquences lourdes pour les travailleurs.

    De plus, alors que l’utilisation des capacités de l’industrie manufacturière est tombée à 74 %, le taux de chômage a atteint 10,3 %, et le taux de chômage global, y compris les personnes non inscrites à l’agence pour l’emploi, a atteint 21 % (8,3 millions de chômeurs). Dans un pays où le revenu par habitant est de 10,6 milliers de dollars, 40 % de la population ne reçoit que 16,5 % du revenu. Les 20 % les plus riches reçoivent 47,5 % des revenus et le revenu annuel moyen des 10 % les plus riches de la population est 23 fois plus élevé que celui des 50 % les plus pauvres. La Turquie vient juste après le Costa Rica, le Chili et le Mexique en matière d’inégalité des revenus.

    Le régime perd de l’influence avec la crise du capitalisme turc. Mais compte tenu de son énorme pouvoir répressif et médiatique, de l’enracinement profond des idées nationalistes islamistes réactionnaires et de la faiblesse de l’opposition, ce processus n’a pas encore progressé au point de pouvoir facilement imposer le régime par des élections, même polarisées comme celle-ci. Cela ne signifie pas qu’il faille encore de nombreuses années pour que le régime tombe. Cette chute peut être considérablement accélérée par le développement économique et social.

    Ces derniers mois ont été marqués par une recrudescence des luttes de classes et du mouvement des femmes. Ces luttes ne se sont pas encore étendues à l’ensemble de la société, mais ce pénitentiel existe. Le HDP (parti démocratique des peuples, essentiellement kurde, présent aux élections législatives à la tête d’une alliance vert gauche et qui a obtenu 8 %) de même que le TİP (Parti des travailleurs de Turquie) peuvent jouer un rôle pour organiser ces luttes et les élargir tout en posant les bases d’un futur parti socialiste de masse et de combat de la classe ouvrière.

  • Plafond de la dette aux Etats-Unis : nous n’avons pas à payer pour l’échec du système capitaliste

    La presse économique a tiré la sonnette d’alarme au sujet du « plafond de la dette » et du défaut de paiement aux Etats-Unis. Un récent article du Financial Times évoquait la possibilité d’un “Armageddon financier” avec pour illustration une photo de champignon atomique. Parallèle révélateur de l’inquiétude générale.

    Par Stephen Thompson, Socialist Alternative (section d’ASI aux Etats-Unis)

    Depuis trois mois, la presse économique tire la sonnette d’alarme à propos du “plafond de la dette”, qui fixe la limite légale du montant que le gouvernement américain peut emprunter. Le plafond de la dette a été créé il y a plus d’un siècle et, depuis lors, le Congrès l’a relevé à plusieurs reprises pour faire face aux nouveaux emprunts de l’État. Par exemple, il a été relevé plus d’une douzaine de fois sous la présidence de Ronald Reagan et, plus récemment, il a été porté à 22.000 milliards de dollars en 2019 et à 31.400 milliards de dollars en 2021. En règle générale, ces augmentations n’étaient que des événements de routine.

    Mais cet hiver, faisant écho à un incident similaire survenu en 2011, les républicains du Congrès ont menacé de bloquer tout nouveau relèvement du plafond de la dette. La secrétaire d’État au Trésor, Janet Yellen, a averti que cela pourrait conduire à un “effondrement économique et financier”. Que se passe-t-il ?

    Un système en déclin

    L’agitation de la politique américaine est le reflet de problèmes plus profonds. Depuis les années 1970, l’économie américaine a connu une stagnation de la croissance de la productivité, ce qui a rendu plus difficile la réalisation des profits toujours croissants sur lesquels repose le capitalisme.

    Pour consolider leur système et rétablir la rentabilité, les capitalistes et leurs hommes politiques – tant démocrates que républicains – se sont efforcés de supprimer les salaires et de réduire les taux d’imposition des sociétés. Paul Volcker, choisi par l’administration Carter pour diriger la Réserve fédérale, a résumé l’état d’esprit de l’époque en déclarant que “le niveau de vie de l’Américain moyen doit baisser”. Les attaques contre le mouvement ouvrier se sont multipliées et les entreprises ont délocalisé des emplois dans des pays où les salaires étaient nettement inférieurs. Au lieu de rallier l’opinion publique à la lutte et de lancer des mouvements pour défendre le niveau de vie des travailleurs, les dirigeants de la plupart des syndicats ont largement accepté la défaite.

    En conséquence, de 1980 à 2014, le revenu des 0,01 % d’Américains les plus riches a augmenté de 423 %, alors que le revenu réel moyen de la moitié inférieure des adultes est resté bloqué à environ 16 000 dollars par an. Face à l’affaiblissement de la croissance économique, la classe dirigeante a réussi à devenir de plus en plus riche en redistribuant les revenus vers le haut, tout en imposant la stagnation et l’austérité au reste d’entre nous. La stratégie consistant à réduire les taux d’imposition des entreprises, à délocaliser la production à l’étranger et à monter les travailleurs les uns contre les autres dans un jeu international de “diviser pour régner” s’est avérée efficace pour relancer les bénéfices des entreprises après la crise des années 1970.

    Des bénéfices en hausse et un endettement croissant

    Bien que réussie en soi, cette tentative de soutenir le capitalisme a créé toute une série de nouveaux problèmes. En particulier, en raison des réductions d’impôts accordées aux entreprises et aux riches, il est devenu de plus en plus nécessaire pour le gouvernement fédéral d’emprunter pour financer ses opérations.

    Les économistes Emmanuel Saez et Gabriel Zucman ont documenté ce changement en termes particulièrement frappants. Dans un livre récent, ils montrent que le taux d’imposition moyen sur les revenus des bénéfices aux États-Unis est passé d’environ la moitié à un quart, et que les milliardaires paient désormais un taux d’imposition inférieur à celui du travailleur moyen. Entre-temps, alors que les impôts sur les sociétés et les riches ont été réduits, les dépenses militaires ont augmenté. Rien qu’entre 2001 et 2021, le Pentagone a dépensé la somme colossale de 14.000 milliards de dollars pour la guerre. L’effet combiné de tout cela a été une augmentation massive de la dette du gouvernement fédéral.

    Les événements récents ont renforcé cette tendance. La pandémie COVID a particulièrement mis à mal les bilans des gouvernements et, malgré les déclarations des démocrates, ceux-ci n’ont fait aucun effort sérieux pour taxer les riches lorsqu’ils contrôlaient la Maison Blanche et le Congrès en 2021 et 2022. Pendant ce temps, les dépenses militaires ont continué d’augmenter – le budget de la “défense” de cette année s’élève à près de mille milliards de dollars, et l’escalade de la guerre en Ukraine, dont le financement a été voté par les démocrates et les républicains, a déjà coûté des dizaines de milliards.

    Un Armageddon financier ?

    En conséquence, le gouvernement fédéral ne perçoit que suffisamment de recettes fiscales pour financer environ 80 % de ses dépenses, ce qui signifie que le montant restant doit être emprunté. C’est ainsi qu’en janvier, la dette fédérale a atteint la limite légale actuelle de 31.400 milliards de dollars.

    En réponse, les républicains ont d’abord déclaré qu’ils ne relèveraient pas le plafond de la dette à moins que Biden n’accepte de réduire les dépenses de plusieurs milliards de dollars. Une proposition spécifique avancée par les républicains consisterait à relever à 70 ans l’âge de la retraite pour Medicare et la sécurité sociale, tandis que d’autres ont suggéré des coupes sombres dans Medicaid et d’autres programmes sociaux. Plus récemment, les républicains de la Chambre des représentants ont adopté un projet de loi qui augmenterait la limite de la dette à court terme, mais le projet de loi comprend des pilules empoisonnées comme la réduction du financement de l’IRS, la réduction des subventions pour l’énergie verte, des exigences plus strictes pour l’éligibilité à Medicaid, et la fin du programme actuel de remise de la dette étudiante. Il est peu probable que le projet de loi soit adopté par le Sénat, et Joe Biden a promis d’y opposer son veto s’il arrivait sur son bureau.

    En attendant, pour payer les factures du gouvernement sans dépasser le plafond de la dette, les fonctionnaires du Trésor ont dû recourir à des “mesures extraordinaires”, comme la suspension des investissements de l’État dans les plans de retraite. Ces manœuvres permettent de gagner du temps, mais si le plafond de la dette n’est pas relevé, dans quelques mois, le gouvernement n’aura tout simplement pas assez d’argent pour payer les intérêts, les prestations de retraite et les autres obligations légales. Cela signifierait un défaut de paiement sans précédent de la part du gouvernement américain.

    Les conséquences pourraient être désastreuses. Historiquement, la dette fédérale américaine a été largement considérée par les investisseurs et les banques centrales comme un moyen “sûr” de stocker des richesses (par exemple en achetant des obligations du Trésor), en raison de l’hypothèse selon laquelle elle produira des paiements d’intérêts garantis et conservera une valeur relativement stable. Un défaut de paiement montrerait que cette hypothèse ne tient plus. Les fondements du système financier mondial s’en trouveraient ébranlés, ce qui pourrait être extrêmement déstabilisant.

    L’objectif du plafond de la dette

    Bien sûr, il existe un moyen simple d’éviter tout cela : se débarrasser du plafond de la dette. Pourquoi cela ne s’est-il pas produit ? La raison en est que, du moins pour certaines parties de la classe dirigeante, le plafond de la dette sert un objectif important.

    Les enquêtes d’opinion ont montré que, si la plupart des gens normaux n’attachent pas une grande importance à la dette publique, les personnes fortunées considèrent la réduction de la dette fédérale comme une priorité absolue. Ils constatent l’accumulation massive de la dette par rapport au PIB et s’inquiètent à juste titre de ce que cela signifie pour la viabilité à long terme de leur système. Ils veulent donc réduire cette dette en diminuant les dépenses des programmes sociaux qui profitent au reste d’entre nous.

    Bien que de telles réductions de dépenses susciteraient probablement une opposition publique massive, une crise de la dette peut permettre de les imposer malgré tout : il suffit de demander aux habitants de l’Équateur, de la Grèce, de la Jordanie ou de l’Irlande. Bien qu’une véritable crise de la dette aux États-Unis ne soit pas dans l’intérêt de la classe dirigeante, la menace d’une telle crise – précisément ce pour quoi a été créé ce plafond de la dette – peut servir le même objectif. En fait, en réponse à la précédente impasse sur le plafond de la dette en 2011, le président de l’époque, Obama, a proposé des coupes budgétaires dans la sécurité sociale qui auraient autrement été impensables. C’est pourquoi une partie des donateurs républicains ultra-riches, et les politiciens qu’ils ont contribué à mettre au pouvoir, sont prêts à pousser le gouvernement fédéral au bord du défaut de paiement.

    D’autres membres de la classe dirigeante ont exprimé leur opposition à cette tactique, tout en soutenant l’objectif de réduction des dépenses sociales. Par exemple, dans une déclaration faite au début de l’année, la Chambre de commerce des États-Unis a exhorté les républicains de la Chambre à ne pas “jouer à la poule mouillée avec le crédit des États-Unis”, tout en reconnaissant qu’ils souhaitaient réduire la dette fédérale au moyen de “révisions” des programmes sociaux. De même, Joe Biden a exigé des républicains qu’ils relèvent le plafond de la dette, mais a longtemps prôné des coupes budgétaires dans la sécurité sociale. Toute cette bataille sur le plafond de la dette reflète finalement des désaccords essentiellement tactiques au sein de la classe dirigeante concernant la manière de mettre en œuvre un objectif commun : faire en sorte que les gens ordinaires vivent avec moins, tandis que les riches continuent de s’enrichir.

    Nous ne paierons pas pour les échecs de leur système !

    Le capitalisme est un système dysfonctionnel en plein déclin. Pour le maintenir en vie, la classe dirigeante doit plier le reste de la société à sa logique tordue. Fondamentalement, leurs objectifs politiques reflètent cet objectif commun, même s’ils ne sont pas d’accord entre eux sur les tactiques. Mais pour le reste d’entre nous – l’écrasante majorité de la société – il n’y a aucune raison de continuer à soutenir un système qui a échoué. Nous avons au contraire besoin d’une économie socialiste reposant sur la propriété publique et la planification démocratique, gérée dans l’intérêt de tous et non pour l’enrichissement d’une poignée de personnes.

    Tant que le capitalisme existera, la classe dirigeante cherchera à faire payer au reste d’entre nous les problèmes qu’elle crée. C’est pourquoi, afin d’économiser des liquidités et d’éviter un défaut de paiement de l’État, l’administration Biden a déjà commencé à réduire les investissements de l’État dans les plans de retraite des travailleurs fédéraux. Alors que le drame du plafond de la dette s’éternise, nous pouvons nous attendre à d’autres manœuvres de ce type. Nous devons nous organiser et riposter, en étant prêts à défendre des programmes clés comme la sécurité sociale par des actions de masse sur nos lieux de travail et dans la rue si nécessaire.

  • Economie chinoise : Qu’est-il advenu du rebond ?

    Le signal de détresse de la province de Guizhou ouvre un nouveau front dans la crise de la dette du pays

    L’économie chinoise a connu une année 2022 désastreuse. Xi Jinping, quelques mois après le début de son troisième mandat sans précédent en tant que dirigeant absolu, cherche donc désespérément un rebond économique pour dissiper la morosité qui s’empare des capitalistes chinois ainsi qu’à travers le monde et restaurer la “confiance”. Au début de l’année, le capitalisme mondial avait largement adhéré à l’idée du “retour de la Chine”, espérant une forte croissance de la deuxième économie mondiale pour contrebalancer les risques de récession dans les économies capitalistes occidentales. Mais le rebond post-pandémique de Xi s’essouffle déjà.

    Éditorial du numéro 70 du magazine Socialist (magazine d’ASI en Chine)

    Nous avons toujours été sceptiques quant aux prévisions d’une forte reprise économique cette année. Lorsque le Congrès national du peuple a officialisé en mars l’objectif de PIB pour cette année, à savoir “environ 5 %”, nous avons été frappés par la faiblesse de ce chiffre (il s’agit de l’objectif de PIB le plus bas pour la Chine depuis 1991). De nombreux économistes dans le monde tablent sur des prévisions plus élevées, de l’ordre de six pour cent ou plus. Que sait donc le régime de Xi que les autres ignorent ?

    Au cours de nos discussions, nous avons identifié deux façons dont l’économie chinoise pourrait atteindre l’objectif de 5 % : en augmentant encore de manière significative la dette déjà insoutenable du pays ou en trafiquant les comptes. Il est probable que les deux méthodes seront utilisées. Le malaise économique chinois de ces dernières années n’était pas simplement le résultat, comme le pensent certains commentateurs, de la doctrine ultra-répressive “zéro COVID” de Xi, bien que cela ait certainement aggravé les choses.

    Les causes profondes de la dramatique crise actuelle sont à rechercher dans l’épuisement du modèle de croissance capitaliste d’État de la Chine reposant sur l’endettement. Il est arrivé en bout de course. Ce modèle de croissance reposait sur des investissements massifs dans les infrastructures – dont des milliers de milliards de dollars gaspillés en éléphants blancs (mégaprojets, souvent d’infrastructure, avec plus de coûts que de bénéfices à la collectivité) – et sur des prix de l’immobilier largement gonflés, à l’image de l’ancienne économie de bulles spéculatives du Japon, mais en pire.

    Cette formule a constitué le moteur de l’économie chinoise au cours des deux dernières décennies, en particulier depuis la crise mondiale de 2008-9, lorsqu’un plan de relance chinois historique, qui ne sera jamais répété, a secoué le monde (« lorsque la Chine a sauvé le capitalisme mondial », comme le dit le dicton). Ces mesures ont été à l’origine de l’explosion de la dette, qui elle-même est à l’origine de la situation que nous connaissons aujourd’hui. Nous l’avions prédit, mais certains soi-disant marxistes l’ont nié, car, qu’ils aient été ou non aveuglés par la propagande du PCC, ils ont affirmé que « l’État chinois a des capacités uniques ».

    Le contrôle par la dictature chinoise du système bancaire, des médias, de l’internet, du pouvoir judiciaire, d’autres leviers importants de contrôle financier et politique, sans oublier une censure étendue avec la possibilité de faire disparaître quiconque lance une alerte ou pose des questions embarrassantes, lui confère un degré de contrôle que les régimes capitalistes “normaux” n’ont pas. Mais cela n’annule pas la loi de la gravité ou, plus pertinemment, la loi de la valeur.

    Pendant plus d’une décennie, la croissance de la Chine a dépendu de l’augmentation rapide de la dette. Lorsque le gouvernement s’est concentré sur le “désendettement”, en freinant la spirale des niveaux d’endettement, l’économie a plongé. Nous l’avons vu clairement lors de la répression de l’endettement dans le secteur de l’immobilier, qui a déclenché l’effondrement de l’immobilier au cours de ces deux dernières années. La soi-disant reprise de 2023 ne fait que poursuivre sur la même voie, le ratio dette/PIB de la Chine ayant augmenté de 7,7 points de pourcentage au cours du premier trimestre 2023 pour atteindre le niveau record de 290 %, selon les données de la Banque populaire de Chine.

    Le PCC repousse une crise de la dette depuis plusieurs années en déplaçant des bombes à retardement potentielles d’une partie du système financier à l’autre, dans un vaste exercice de cache-cache. Mais les turbulences financières actuelles dans les gouvernements locaux – les salles des machines de son modèle capitaliste d’État de dette contre infrastructure – pourraient devenir le défi de trop pour le régime de Xi. L’émergence de la crise de la dette dans le Guizhou, suivie d’une série d’autres provinces très endettées, pourrait ne pas être si facile à faire disparaître par Beijing au moyen d’un nouvel artifice financier.

    Les gouvernements locaux à la peine

    Le chiffre officiel du PIB pour le premier trimestre a connu une croissance rassurante de 4,5 % par rapport au même trimestre en 2022. Est-ce bien le cas ? Comme toujours, on ne peut se fier à l’exactitude des données officielles chinoises. Il s’agit d’une reprise fragile, fortement tributaire d’un “soutien vital” sous la forme de projets d’infrastructure dictés par l’État et financés par la dette.

    Dix-huit provinces ont annoncé un total de près de 10.000 milliards de yuans (1.400 milliards de dollars) pour la construction de nouvelles infrastructures en 2023, selon un rapport du Global Times (28 février 2023). Les 13 provinces restantes n’ont pas divulgué leurs chiffres d’investissement.

    Mais les gouvernements provinciaux et locaux sont à court d’argent. Sur 31 provinces, 22 ont vu leurs revenus diminuer en 2022, selon les données officielles. Des billions de yuans de frais de service de la dette ont creusé un trou béant dans les budgets des gouvernements locaux. Cela représente plus d’un tiers de l’ensemble des dépenses de certaines municipalités. Les ventes de terrains, qui représentaient traditionnellement un quart des recettes des collectivités locales, se sont effondrées de 23,3 % l’année dernière en raison de la crise immobilière. Cela s’est traduit par une perte combinée d’environ 2 000 milliards de yuans (288 milliards de dollars) pour les gouvernements locaux.

    Il en résulte un tsunami de suppressions d’emplois, de coupes dans les salaires et de suppressions de services dans tout le pays. Les services d’autobus ont été fermés ou temporairement suspendus dans plus de 20 villes, les compagnies d’autobus n’étant pas en mesure d’acheter du carburant ou de payer les salaires du personnel. Dans la province de Hebei, les subsides pour le chauffage hivernal ont été abolis. Les écoles, les hôpitaux, les bâtiments officiels et d’autres infrastructures des collectivités locales ont été vendus à des acteurs privés afin d’obtenir des liquidités. « Les salaires de beaucoup de mes collègues ont été retardés, et c’était difficile parce que nous avons des familles à nourrir », a déclaré à Al Jazeera un employé du gouvernement dans la province de Jiangxi. « C’était inimaginable auparavant. »

    La stratégie économique du PCC consiste à redoubler d’efforts en matière d’infrastructures dans l’espoir de relancer la croissance économique et de stimuler les dépenses de consommation pour qu’elles deviennent la force motrice de l’économie. Mais la tendance de ces dernières années montre que ce n’est pas le cas, bien au contraire.

    La reprise de cette année est entravée par une consommation des ménages atone et une préférence pour l’épargne plutôt que pour la dépense. Cela ne devrait surprendre personne. Les travailleurs chinois et la classe moyenne sont extrêmement inquiets quant à leur sécurité économique : emplois, salaires, pensions et pertes liées à la baisse de l’immobilier (l’effet de richesse négatif). En avril, le taux de chômage des jeunes a atteint le chiffre record de 20,4 %, ce qui signifie que plus de 20 millions de jeunes de moins de 25 ans sont sans emploi. Le secteur dit informel, qui regroupe les emplois déréglementés et précaires, représente aujourd’hui 56 % de l’ensemble de la population active (contre 33 % en 2004).

    Les capitalistes ne sont pas non plus rassurés. Les entreprises privées hésitent à s’engager dans de nouveaux investissements, car la confiance dans la reprise et dans les capacités de gestion économique de la dictature de Xi est au plus bas. L’”année de l’enfer” que fut 2022 n’a toujours pas été digérée.

    Cet état d’esprit se reflète dans les données du premier trimestre, où les investissements du secteur public ont augmenté de 10 %, alors que le secteur privé n’a progressé que de 0,6 %. Le secteur privé représente 60 % du PIB de la Chine, 80 % de l’emploi urbain et 90 % des nouveaux emplois. Cela contribue à expliquer le taux obstinément élevé de chômage des jeunes, qui est resté supérieur à 16 % pendant un an.

    Des “dépenses de vengeance” ?

    Les économistes avaient prédit une vague de dépenses « de vengeance » (revenge spending, dépenses excessives en sortie du confinement) lorsque Xi a abandonné de manière chaotique le régime “zéro COVID” en décembre dernier, permettant enfin à la population de retrouver une certaine forme de “normalité”. Mais la vague de consommation attendue brille par son absence. Même le Politburo du PCC l’a reconnu lors de sa réunion du 28 avril, en admettant les problèmes d’une demande insuffisante et d’une faible “dynamique interne”.

    Au contraire, ce sont les dépôts bancaires qui atteignent des niveaux record. Même les investisseurs étrangers les plus enthousiastes l’ont remarqué. Estée Lauder, Starbucks et Qualcomm, qui considèrent tous la Chine comme l’un de leurs principaux marchés, ont mis en garde contre la baisse de leurs ventes.

    Ting Lu, économiste en chef de Nomura pour la Chine, a déclaré à Reuters : « La hausse de 8 000 milliards de yuans des nouveaux dépôts des ménages en 2022 a suscité des opinions haussières sur le marché, qui pensait que cela (…) conduirait à une libération massive de la demande refoulée post-pandémique (…) Cependant, les nouveaux dépôts des ménages ont encore augmenté [au premier trimestre 2023]. »

    Selon la Banque populaire de Chine, les dépôts détenus par les ménages ont augmenté de 9 900 milliards de yuans (1 400 milliards de dollars) au premier trimestre, soit une hausse de 27 % par rapport à l’année précédente.

    Par conséquent, les économistes sont particulièrement sceptiques quant aux chiffres des ventes au détail en Chine, qui ont fait état d’une croissance de 5,8 % au cours du premier trimestre. L’atonie de la consommation des ménages, à l’exception des services (voyages et sorties au restaurant pour fêter la fin de trois années de politique de zéro covid), est également confirmée par le taux d’inflation le plus bas du monde.

    L’indice des prix à la consommation (IPC) de la Chine est tombé à seulement 0,1 % en avril. Cette “reprise sans inflation”, comme l’appelle le magazine The Economist, suggère que les entreprises subissent des pressions pour ne pas augmenter leurs prix en raison de la faiblesse de la demande.

    Les prix à la sortie de l’usine, tels qu’ils ressortent de l’indice des prix à la production (IPP), se situent en territoire déflationniste. L’IPP d’avril est tombé à son niveau le plus bas en trois ans, moins 3,5 %. La déflation, ou baisse des prix, peut être tout aussi déstabilisante que l’inflation. C’est particulièrement vrai dans les économies très endettées, comme la Chine. Alors que l’inflation ronge la dette en privant l’argent de sa valeur, la déflation a l’effet inverse et rend le coût du remboursement de la dette plus élevé en termes relatifs.

    Le Japon est aux prises avec la déflation depuis plus de 30 ans, une période connue sous le nom de “décennies perdues”. Pendant cette période, son économie a stagné, passant de 17,7 % du PIB mondial en 1995 à 6 % aujourd’hui. L’accumulation de la dette en Chine, qui dépasse largement celle du Japon, suivie de l’implosion de la bulle immobilière chinoise en 2021, et maintenant la crise de la dette encore plus grave qui éclate dans les gouvernements locaux, qui représentent 90 % de toutes les dépenses publiques, font pointer la menace d’un scénario économique japonais en Chine.

    Le marché immobilier continue de se contracter malgré les mesures de soutien adoptées par le gouvernement à la fin de l’année dernière. Alors que le taux de déclin des ventes immobilières semble s’être stabilisé, après avoir implosé l’année dernière, l’investissement dans le secteur a chuté de 6,2 % en janvier-avril, après une chute de 10 % en 2022. Les nouvelles mises en chantier mesurées par la surface de plancher ont chuté de 19,2 % au premier trimestre par rapport à la base déjà faible de l’année précédente.

    Le S.O.S. de Guizhou

    La crise de la dette des gouvernements locaux signalée par les événements de Guizhou, où une forme de sauvetage déguisé du gouvernement central semble être en cours, marque l’ouverture d’un nouveau front effrayant dans la bataille que mène la Chine pour éviter un effondrement financier. Les villes et les préfectures du Guizhou, une province de 38 millions d’habitants, ont accumulé des “dettes cachées” – celles qui passent par des entités hors bilan – d’un montant de 1,31 trillion de yuans (190 milliards de dollars américains). Ces dettes sont principalement dues à des programmes d’infrastructure répétés.

    En avril, le gouvernement provincial de Guizhou a envoyé un “S.O.S” à Pékin. Un communiqué publié sur son site officiel indiquait que « la dette est devenue un problème majeur et urgent pour les gouvernements locaux [de la province] » et admettait qu’il est « impossible de résoudre efficacement [le problème de la dette] en s’appuyant sur les capacités propres [du gouvernement local] ». La déclaration a été supprimée quelques heures plus tard.

    Le Guizhou est à la crise de la dette des collectivités locales ce qu’Evergrande était à la crise immobilière : juste la partie émergée de l’iceberg. Cela dit, il sera beaucoup plus difficile de désamorcer la crise de la dette des collectivités locales que de faire face à l’effondrement de l’immobilier. Selon le FMI, la dette officielle des collectivités locales a presque doublé au cours des cinq dernières années pour atteindre 35,3 billions de yuans (5,14 billions de dollars). Cela représente plus de 120 % de l’ensemble des recettes des collectivités locales.

    Mais il y a aussi les dettes accumulées par les véhicules financiers des gouvernements locaux (LGFV), des entités hors bilan qui sont les principaux vecteurs des dépenses de construction et d’infrastructure. Des milliers de ces entreprises mal réglementées mais détenues par l’État sont un héritage du gigantesque plan de relance de 2008-2009, qui a consolidé leur rôle au cœur de l’économie du capitalisme d’État chinois. Selon le FMI, la dette des LGFV atteindra 57 000 milliards de yuans (8 300 milliards de dollars) en 2022, soit 48 % du PIB de la Chine.

    La crise de la dette intérieure de la Chine présente de nombreuses caractéristiques similaires à la crise de la dette extérieure que les politiques du PCC ont contribué à créer, Pékin ayant été contraint d’accorder de multiples renflouements à sa “famille” de pays de l’initiative « Belt and road » (BRI, ou « Nouvelles routes de la soie ») en Afrique, en Asie et en Amérique latine. Les projets conçus pour stimuler la croissance et accroître le pouvoir économique du capitalisme chinois et de sa dictature sont au contraire devenus une ponction sur les ressources dont il est difficile de se défaire.

    Le régime de Xi est soumis à la pression massive de la nouvelle guerre froide impérialiste qui oppose les Etats-Unis et la Chine, la bataille géopolitique mondiale entre deux superpuissances défaillantes, toutes deux en proie à des crises économiques et politiques. Ce conflit est à l’origine du processus de démondialisation qui, à son tour, aggrave les difficultés économiques du capitalisme mondial et accroît les menaces militaires. Dans ce climat international, le PCC se rabat sur sa recette traditionnelle pour stimuler la croissance du PIB : pousser les gouvernements locaux à court d’argent à s’endetter davantage.

    Parallèlement, il impose une plus grande austérité à la population, en réduisant les salaires des fonctionnaires et en s’attaquant aux retraites. Plutôt que les « dépenses de vengeance » espérées par le capitalisme, la sortie du cauchemar pandémique de la Chine pourrait voir les travailleurs et les jeunes déclencher une vengeance d’un autre genre.

  • La lutte contre l’occupation, l’oppression et la pauvreté en Israël / Palestine

    À côté de l’escalade des raids militaires et de la répression étatique contre les Palestiniens, à laquelle répondent de courageuses manifestations, se développe parallèlement un mouvement de masse contre les projets judiciaires du gouvernement d’extrême droite israélien. Le capitalisme israélien a été étreint par une crise politique historique. Nous en avons discuté avec Nof, précédemment active au sein de la section d’Alternative Socialiste Internationale en Israël-Palestine (Le Mouvement de lutte socialiste) avant de s’installer en Europe.

    Les vidéos d’un raid policier brutal sur la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem au début du mois d’avril sont devenues virales. Dans quel contexte cela survient-il ?

    Des policiers ont brutalement frappé des fidèles pendant le ramadan. 200 personnes ont été blessées et 400 arrêtées. Cela a déclenché des manifestations dans toute la région, notamment en Turquie et en Jordanie, suivies de nouvelles attaques de la police. En réponse, des roquettes ont été tirées du Liban et de Gaza et l’armée israélienne a répondu par des bombardements intensifs. Il n’est pas encore question de guerre, mais la situation reste instable. Depuis le début de l’année, 95 Palestiniens ont été tués suite aux raids de l’armée israélienne en Cisjordanie.

    Le gouvernement et l’armée multiplient les attaques militaires et la répression en guise de mesure préventive contre la mobilisation populaire des Palestiniens. Parallèlement, deux semaines après la formation du gouvernement le plus réactionnaire de l’histoire d’Israël, celui-ci a déclenché le plus grand mouvement de protestation de la société israélienne depuis 2011, avec 250 à 300.000 manifestants sur une population de 9 millions. Une semaine avant l’escalade militaire et les bombardements à Gaza et au Liban, le pays était en proie à une grève générale historique contre le gouvernement d’extrême droite de Netanyahou. Ce mouvement de protestation présente des caractéristiques contradictoires, l’arme de la division nationale ne l’a pas encore traversé. Le capitalisme israélien est dans l’impasse politique.

    De quel type de mouvement s’agit-il ?

    Le gouvernement veut soumettre le pouvoir judiciaire au gouvernement : les juges de la Cour suprême seraient nommés par le gouvernement lui-même et une « clause dérogatoire » permettrait au gouvernement d’annuler les lois de type constitutionnel et tout autre arrêt de la Cour suprême.

    Les raisons de la colère concernent plus globalement les libertés individuelles et les droits démocratiques. Un ministre a déclaré travailler à l’interdiction de la Pride à Jérusalem. Les réactions vives l’ont contraint à démissionner. Une loi est prévue pour légaliser la discrimination sur base de la « foi religieuse ». Un médecin pourrait refuser de soigner un patient en raison de sa foi. Le gouvernement s’efforce aussi d’étendre l’autorité des tribunaux religieux, qui ont déjà toute autorité sur le mariage et empêchent le droit des femmes à divorcer. Le coût de la vie est un autre facteur.

    Depuis 1996, Netanyahou n’a cessé d’être au pouvoir et a souvent été très contesté. Comment est-il revenu au pouvoir et quelle est la nature du gouvernement actuel ?

    En novembre 2022 ont eu lieu les cinquièmes élections générales en moins de quatre ans. L’une des raisons est l’incapacité du parti au pouvoir, le Likoud, à constituer un gouvernement de coalition stable. Le gouvernement précédent était une coalition de 8 partis allant de l’extrême droite au « centre gauche » et comprenant également un parti arabe islamiste. Ils s’appelaient eux-mêmes le « bloc du changement », mais il s’agissait en fait d’un gouvernement de droite brutal, qui n’était pas « moins mauvais » que Netanyahou. Il a présidé au même type de raids sur la mosquée Al Aqsa que ceux que nous avons vus récemment, et à l’implantation d’encore plus de colonies israéliennes en Cisjordanie que les précédents gouvernements de Netanyahou. Sur le plan économique, il a réduit la réglementation des prix des produits de base et a augmenté l’âge de la retraite pour les femmes.

    Leurs politiques désastreuses et l’escalade des tensions nationalistes ont ouvert la voie au retour de Netanyahou. S’appuyant sur l’exacerbation des tensions nationales et sur la tactique « diviser pour régner », sur la démagogie sécuritaire et sur la rhétorique populiste contre l’élite, il a également promis un gel d’un an des prix de la taxe d’habitation, du carburant, de l’eau et de l’électricité. Il a également promis la gratuité des services de garde d’enfants de 0 à 3 ans. Néanmoins, il n’a pas augmenté ses voix de manière spectaculaire, mais les partis d’extrême droite rivaux l’ont fait. Netanyahou avait poussé les partis d’extrême droite à se présenter sur une liste commune, leur promettant des postes ministériels clés au sein de son gouvernement s’ils le faisaient. Avant cela, les partis d’extrême droite n’avaient pas obtenu suffisamment de voix pour franchir le seuil depuis plus d’une décennie.

    Netanyahou a remporté une courte majorité avec moins de 50 % des voix et a pu former une coalition avec l’extrême droite, ce qui a entraîné une intensification de la répression et des mesures autoritaires. Mais le mouvement social actuel et l’affaiblissement du gouvernement montrent que la crise politique ne fait que s’aggraver. Aucun des partis capitalistes n’a de solution aux crises du coût de la vie et du logement ainsi qu’à l’escalade du conflit national nourri par les colonies, l’occupation, le siège de Gaza et la pauvreté.

    Peux-tu nous en dire plus sur le caractère du mouvement ?

    Les manifestants forment un mélange très hétérogène. Dans des villes comme Haïfa, Jérusalem, Be’er Sheva, il y a eu les plus grandes manifestations de leur histoire. Il y a eu des grèves étudiantes et des rassemblements organisés par le personnel de la santé. Le plus important, c’est que les travailleurs ont réussi à pousser Histadrout, la plus grande fédération syndicale, à entamer une grève générale, bien que les grèves politiques soient illégales en Israël.

    Il est toutefois significatif qu’une aile de la classe dirigeante se soit jointe à l’appel à la grève. D’anciens généraux, des politiciens pro-capitalistes de la prétendue « opposition » et des PDG d’entreprises ont pris part au mouvement et essayent de le dévier. C’est une illustration des divisions au sein de l’État israélien, mais leur principale préoccupation est la stabilité car les mesures du gouvernement compliquent leurs liens avec l’impérialisme américain. 

    Le gouvernement est affaibli, mais le mouvement a lui aussi fait preuve de faiblesse en ne rejetant pas ces personnalités. La direction du mouvement tente de faire taire toute contestation de l’occupation des territoires palestiniens, mais l’assaut de centaines de colons d’extrême droite sur le village de Huwara a provoqué une réaction parmi les citoyens israéliens. Alors que des policiers arrêtaient des manifestants, ceux-ci ont crié : Où étiez-vous à Huwara ?

    Nos camarades en Israël-Palestine interviennent avec un programme qui unit les diverses communautés de la classe ouvrière en faveur de l’expansion de la lutte pour la démocratie et avec des slogans comme « Pas de compromis avec les attaques contre les droits des femmes et des LGBTQ+ !, Pas de compromis avec le piétinement de nos droits !, Pas de compromis avec la domination du capital et l’occupation ! »

    Quel a été l’impact de la grève ?

    Plus d’un million de personnes ont participé à la grève. Après une journée, Netanyahou a annoncé le report de son projet judiciaire à l’été. La grève a alors pris fin. Mais les projets de formation d’une nouvelle « garde nationale » sous le contrôle du ministre ultra-nationaliste Ben Gvir (une milice privée d’extrême droite) n’ont pas été annulés.

    Il est clair que cette grève politique illégale sans précédent devrait être suivie de la préparation d’une autre, et de nombreux manifestants sont déterminés à poursuivre la lutte jusqu’à ce que la législation soit annulée. Malgré son caractère interclassiste, cette grève a eu un impact énorme sur la conscience des travailleurs et des jeunes, démontrant la force de la classe ouvrière organisée.

  • États-Unis. La droite à l’offensive pour interdire les pilules abortives

    Après l’abolition du droit fédéral à l’avortement aux États-Unis, avec l’abrogation de l’arrêt Roe v Wade, la droite poursuit son offensive contre les droits des femmes, au niveau judi­ciaire notamment. Un juge nommé par Trump a interdit la mifépristone, un médicament qui, associé au misoprostol, est le moyen le plus sûr et le plus efficace de mettre fin à une grossesse. Cette combinaison est utilisée dans la moitié des avortements pratiqués aux États-Unis.

    Version raccourcie d’un article de Socialist Alternative (ASI-USA)

    La décision, prise par le juge conservateur Kacsmaryk, équivaut à une interdiction des pilules abor­tives. La Cour suprême est immédiatement intervenue pour suspendre temporairement certaines par­ties de l’arrêt dans l’attente d’une décision sur le fond. Cependant, il est clair que la Cour suprême n’est pas un allié fiable pour la défense des droits des femmes. C’est elle qui a décidé d’abroger l’arrêt Roe v Wade, ouvrant ainsi la voie à l’interdiction de l’avortement dans les États américains. De plus, le verdict n’a été que partiellement suspendu: l’interdiction d’envoyer les pilules par la poste, par exemple, est maintenue. Il est possible que l’accès général aux pilules abortives soit bientôt considéra­blement restreint. Dans l’ensemble, il est évident que la droite mène une campagne déterminée pour reti­rer les pilules abortives du marché.

    La recherche scientifique indique que la mifépristone est extrêmement sûre. Le médicament présente un meilleur bilan de sécurité que, par exemple, le Viagra. Pourtant, le juge Kacsmaryk a invoqué l’inno­cuité présumée de la mifépristone pour justifier l’interdiction. Il s’agit d’une attaque idéologique qui n’a rien à voir avec la sécurité du médicament, mais tout à voir avec le droit des personnes susceptibles de tomber enceintes de décider pour elles-mêmes.

    Si l’arrêt de la Cour suprême est incertain, c’est principalement en raison des intérêts des grandes so­ciétés pharmaceutiques qui produisent les pilules abortives. Plus de 600 entreprises pharmaceutiques et biotechnologiques ont signé une lettre de protestation contre l’arrêt interdisant la mifépristone. Il est possible que les profits des grandes entreprises pharmaceutiques soient une pilule trop lourde à avaler pour les juges de droite. Mais ce n’est pas certain: la Cour suprême actuelle est très réactionnaire et déterminée. De plus, si cette attaque contre les pilules abortives échoue, il est certain que d’autres sui­vront.

    Une interdiction judiciaire des pilules abortives créerait un vide juridique dans lequel l’administration fédérale de Biden pourrait décider de ne pas appliquer l’interdiction, autorisant ainsi la distribution et la vente de mifépristone. Toutefois, cela entraînerait une grande incertitude quant à ce qui est autori­sé ou pas. Cela ouvrirait la porte à une distribution très difficile des pilules abortives, au moins dans certains États.

    Pour garantir la protection juridique des pilules abortives, il faudra exercer une pression sous la forme d’un mouvement. Les protestations se multiplient et les actions de jeunes se multiplient pour défendre les droits des personnes transgenres contre le déluge d’attaques. Après l’abrogation de l’arrêt Roe v Wade, de grandes manifestations ont eu lieu et une majorité large et croissante de la population s’est prononcée en faveur du droit à l’avortement. Il existe donc un potentiel de lutte pour revendiquer le droit à l’autonomie corporelle.

    Les victoires ne seront pas obtenues dans les tribunaux, mais dans la rue. Les jeunes femmes, les jeunes et les travailleur.euse.s doivent s’organiser et mener la lutte. Nous devons construire le type de mouve­ment qui rendra impossible l’application d’une interdiction des pilules abortives. Les politiciens et les personnalités de droite doivent craindre des manifestations de masse s’ils osent imposer des sanctions aux personnes qui souhaitent avorter.

    Il n’existe pas encore de véritable mouvement actif pour défendre le droit à l’avortement, mais il pour­rait se développer dans le contexte de la guerre générale menée par la droite contre l’autonomie cor­porelle des femmes et des personnes LGBTQIA+. Des Pride combatives peuvent y contribuer en exi­geant clairement des soins gratuits, sûrs, légaux et largement accessibles pour l’avortement.

    L’objectif devrait être de rassembler des dizaines de milliers de personnes au sein d’un mouvement dy­namique et visible. Un tel mouvement de masse peut organiser ou permettre la distribution illégale de pilules abortives dans le cadre de la lutte. Cela pourrait contribuer à créer un rapport de force pour stopper les attaques de la droite et imposer des soins publics de qualité pour tous.

  • Grève à Hollywood. Les scénaristes en résistance contre l’exploitation

    « Les scénaristes jouent un rôle essentiel dans la création de contenus appréciés par notre public, sur toutes les plateformes », a déclaré Bob Bakish, PDG de Paramount, aux investisseurs, tout en se vantant des 60 millions d’abonnés à son service de streaming. Au même moment, les scénaristes qui avaient contribué à générer des millions de recettes d’abonnement manifestaient à l’extérieur du bâtiment pour revendiquer leur droit à un salaire décent et à un emploi sûr.

    Par David Rhoades, Socialist Alternative (ASI-USA)

    Le 2 mai, la Writers’ Guild of America – un syndicat qui regroupe environ 11.500 scénaristes de cinéma et de télévision – s’est mise en grève pour la première fois depuis 2007. Leur adversaire est l’Alliance of Motion Picture & Television Producers (Alliance des producteurs de cinéma et de télévision), une association commerciale d’environ 350 entreprises dirigée par une poignée de grands studios, dont Disney, Netflix, Amazon et Warner Bros.

    Le point central de la grève, ce sont les services streaming et les milliards de dollars réalisés grâce au travail créatif de l’industrie cinématographique et télévisuelle au cours de la dernière décennie. Les principaux studios ont généré 28 à 30 milliards de dollars de bénéfices par an entre 2017 et 2021. En 2000, ces mêmes studios avaient généré 5 milliards de dollars de bénéfices ; en 2022, Netflix a généré à lui seul 5,6 milliards de dollars de bénéfices. Une grande partie de ces bénéfices résultent de l’exploitation des failles des contrats syndicaux, en payant les scénaristes moins chers pour plus de production dans des conditions d’emploi de plus en plus précaires.

    « Le comportement des entreprises a créé une économie à la tâche (ou économie des petits boulots, NDT) à l’intérieur d’une main-d’œuvre syndiquée », a déclaré le comité de négociation de la WGA dans une lettre adressée à ses membres.

    Comment le streaming a transformé le travail protégé par les syndicats en travail à la chaîne

    La grève de 2023 de la WGA a été provoquée par une décennie de changements rapides dans la manière dont les films et les programme de télévision sont produits. La popularité et la reconnaissance critique de séries comme Game of Thrones et Mad Men ont conduit à des investissements plus importants dans la « télévision de prestige ».

    Les plateformes de streaming comme Netflix et Amazon ont commencé à produire leurs propres films et émissions en interne, tandis que des studios établis comme HBO et Disney ont créé leurs propres services de streaming. Leur plan consistait à attirer des abonnés en achetant ou en produisant rapidement le plus grand nombre possible de projets cinématographiques et télévisuels, en capitalisant sur les quelques initiatives qui devenaient des succès. Au début, cela a semblé créer une pléthore d’emplois d’écrivains, mais pas pour longtemps.

    Avant l’essor du streaming, les émissions de télévision étaient généralement produites par des salles de rédaction : une équipe de 6 à 12 scénaristes payés pour 20 à 26 semaines par saison sur base d’un contrat de trois ans. Les sociétés de streaming ayant besoin de générer rapidement de nouveaux contenus, elles ont engagé des petites équipes composées de 1 à 3 scénaristes qui présentaient des idées pour une saison entière en quelques jours, puis rédigeaient rapidement les épisodes d’une saison en 5 à 10 semaines. Bon nombre de ces saisons télévisées pré-écrites n’ont pas été produites ou ont été annulées avant le début du tournage ; les rares qui sont entrées en production l’ont fait un ou deux ans après l’écriture des épisodes.

    En substance, les sociétés de streaming ont reçu une saison entière de scénarios et d’idées pour une fraction du coût d’une salle de rédaction dotée d’un personnel complet, ce qui a permis de supprimer des emplois tout en laissant les auteurs se contenter d’une rémunération moindre et d’un emploi à plus court terme.

    Ces petites équipes sont devenues la norme dans l’industrie, car les émissions en streaming sont devenues la seule option pour de nombreux scénaristes. Les perspectives d’écriture de longs métrages se sont également assombries : étant donné que de nombreux films sont désormais produits pour être diffusés directement en streaming, les studios s’en tirent en payant les scénaristes au tarif du « film de la semaine » plutôt qu’à celui, beaucoup plus élevé, des films destinés aux salles de cinéma, bien que nombre de ces films aient un budget comparable à celui d’une salle de cinéma. « Ce qui était autrefois un travail difficile à obtenir mais bien rémunéré est devenu un travail impossible à obtenir et très peu rémunéré », a déclaré Kit Brogden, un partisan de la grève qui représente des scénaristes individuels dans les négociations d’emploi et qui s’est adressé à Socialist Alternative.

    La WGA exige la fin du système d’exploitation en mini-équipes

    La principale revendication de la WGA est simple : la fin de ces mini-équipes.

    Pour les séries en préproduction, les studios doivent engager au moins 6 scénaristes pour 10 semaines minimum. La plupart des émissions en streaming en cours de production doivent engager une équipe de 6 à 12 scénaristes pour 24 à 52 semaines par saison, en fonction du nombre d’épisodes. Les films en streaming dont le budget est supérieur à 12 millions de dollars doivent rémunérer les scénaristes à leur juste valeur. La WGA a également exigé des limitations strictes sur l’utilisation de programmes d’IA comme Chat GPT pour l’écriture, une menace de plus en plus réelle pour les scénaristes de divertissement aujourd’hui.

    Bien qu’il ne soit pas possible pour les studios d’utiliser des programmes d’IA pour générer tout leur contenu dans l’immédiat, c’est une menace qu’ils font planer sur les travailleurs de la WGA : acceptez ce que nous sommes prêts à vous donner, ou vous risquez d’être remplacés. Bien que les programmes d’IA ne soient pas actuellement capables d’écrire seuls des histoires longues et cohérentes, la WGA a raison d’anticiper ce problème : toute introduction de l’IA dans le processus d’écriture s’apparenterait à l’embauche à deux vitesses à laquelle est confronté le syndicat de la logistique ; une énorme concession aux patrons.

    L’AMPTP (Alliance of Motion Picture and Television Producers) a catégoriquement rejeté la plupart de ces revendications sans même prendre la peine de faire une contre-proposition. Si elle accepte maintenant de conclure à accord sérieux avec la WGA, l’AMPTP sait pertinemment bien qu’elle sera plus faible lors de ses prochaines négociations avec le syndicat des réalisateurs (DGA) et le syndicat des artistes-interprètes (SAG-AFTRA). En bref, les studios ne refusent pas de meilleures rémunérations par manque de moyens, mais parce qu’ils savent qu’une concession inciterait d’autres travailleurs à se battre pour obtenir davantage.

    « C’est toujours la même histoire », a déclaré Melody Cooper, scénariste et productrice en grève, à Socialist Alternative. « Les studios nous disent « Vous allez ruiner l’industrie, nous ne pouvons pas vous payer plus. » Ils ont dit cela en 1960, en 1988 et en 2007 ». Pendant ce temps, huit PDG d’Hollywood ont à eux seuls gagné collectivement 800 millions de dollars l’année dernière. Melody souligne que les studios s’appuient sur le désespoir des scénaristes depuis des années : « Ils savent que les scénaristes qui sont moins bien payés sont moins susceptibles de se défendre. »

    Mais le contexte de cette grève est celui d’une période du capitalisme remarquablement différente des précédentes grèves de la WGA. Corrigés de l’inflation, les salaires des scénaristes ont chuté de 23 % au cours des dix dernières années, tandis que la rémunération des PDG a grimpé en flèche. Le coût du logement augmente rapidement, en particulier à Los Angeles où vivent de nombreux scénaristes. Malgré des bénéfices considérables, la logique du capitalisme exige des plateformes de diffusion en continu qu’elles parviennent à une croissance du nombre d’abonnés quasi impossible à atteindre pour répondre aux attentes des actionnaires, en particulier avec une crise économique mondiale à l’horizon.

    En d’autres termes, malgré leurs énormes profits, ces entreprises sont potentiellement moins susceptibles d’accorder des concessions que lors des grèves précédentes. Pour obtenir gain de cause, la WGA devra peut-être perturber la production à une échelle plus large que jamais.

    Ce qu’il faut pour forcer l’AMPTP à s’asseoir à la table des négociations

    Même après la finalisation des scénarios, les scénaristes sont essentiels à la production. L’apport des scénaristes sur le plateau est essentiel pour produire une histoire cohérente grâce au travail collectif de centaines d’artistes, d’artisans et de techniciens. Cela n’empêche pas les studios d’aller de l’avant. Si certaines productions, comme Stranger Things, se sont arrêtées pour respecter les piquets de grève de la WGA, d’autres ont continué sans la présence de scénaristes sur le plateau.

    Cela met en évidence un obstacle pour la WGA : la grève doit perturber la production, mais les projets en cours de tournage pourront se poursuivre malgré la grève – même s’ils produisent un produit de bien moindre qualité, comme cela a été le cas pour de nombreux projets en 2007. Cela ne signifie pas que la grève des scénaristes n’aura pas d’impact majeur – le poids économique de la grève de la WGA en 2007 était d’environ 2,1 milliards de dollars – mais l’impact sur les résultats des studios pourrait être retardé.

    Quoi qu’il en soit, la principale faiblesse des studios demeure : sans main-d’œuvre, il n’y a pas de profits. Les camions conduits par des chauffeurs des syndicats IATSE et Teamsters ont refusé de franchir le piquet de grève sur plusieurs sites ; des actions de ce type doivent être étendues à chaque production.

    Lors d’un récent rassemblement de grève à l’auditorium du Shrine, les travailleurs de la WGA ont accueilli des membres et des représentants des principaux syndicats du spectacle, dont l’IATSE, la DGA, la SAG-AFTRA, les Teamsters et la LIUNA. Le pouvoir collectif représenté au Shrine ce soir-là est ce que les studios craignent le plus.

    La situation est remarquablement différente de celle de 2007 ; bien que les membres de base de chaque syndicat aient exprimé leur soutien à la WGA à l’époque, les dirigeants syndicaux ont négocié indépendamment avec l’AMPTP. Aujourd’hui, les membres des autres syndicats du spectacle soutiennent bien davantage la grève de la WGA. Ces mêmes membres pourraient appeler à voter en faveur d’une grève aux côtés de la WGA. Même si la grève s’étend à la DGA et à la SAG-AFTRA, qui ont toutes deux des négociations en cours avec l’AMPTP, elle entraînerait immédiatement l’arrêt de toute production.

    L’AMPTP sait qu’une grève collective des principaux syndicats les obligerait à faire de sérieuses concessions. La grève conjointe UTLA/SEIU de trois jours en mars a démontré l’énorme potentiel des syndicats qui font grève ensemble. Sans le travail de millions de travailleurs du spectacle, les studios n’ont aucun moyen de pression.

    Socialist Alternative est solidaire de la WGA et demande :

    • La fin des mini-équipes : Les studios doivent embaucher une équipe complète de scénaristes pour chaque production, comme déterminé par la WGA.
    • Des salaires décents tout au long de l’année : Fini le travail saisonnier ! Les contrats doivent inclure des allocations hors saison afin que les travailleurs puissent se permettre de vivre toute l’année.
    • Arrêt complet de la production : Les membres de la SAG-AFTRA et de la DGA doivent demander à leurs syndicats d’autoriser un vote de grève pour rejoindre la WGA.
    • Pas d’accord sans convention collective : La WGA, la DGA et la SAG-AFTRA devraient décider publiquement de ne pas accepter d’accord tant que les membres de chaque syndicat n’auront pas approuvé leurs accords de principe.
  • Grande-Bretagne. Privilège et prestige : quel est le rôle de la monarchie ?

    Alors que la crise du coût de la vie s’aggrave et que l’inflation reste au plus haut depuis 40 ans, le couronnement du roi Charles a eu lieu au palais de Westminster. Bien qu’il ait prétendument voulu réduire l’événement par rapport au couronnement de sa mère en 1953, on estime qu’il aura coûté plus de 100 millions de livres sterling.

    Par Matt Kilsby, Socialist Alternative (ASI en Angleterre, au Pays de Galles et en Écosse)

    Face à la crainte de ne pas pouvoir payer leur hypothèque, leur loyer, leurs factures d’énergie et leur caddie au supermarché, des millions de personnes s’interrogent à juste titre sur le coût exorbitant de l’apparat royal. Mais nous devons également nous pencher sur le rôle que joue la monarchie au sein de l’État britannique.

    On nous enseigne que la monarchie n’est qu’une décoration symbolique et cérémonielle de l’État. Le fait que le monarque dissolve le parlement, nomme et révoque les premiers ministres, signe des lois, déclare des guerres et nomme des juges est tout à fait naturel et, en fin de compte, sans signification, nous dit-on. En effet, le site web de la famille royale tient à nous informer que : « La monarchie est la plus ancienne forme de gouvernement au Royaume-Uni. Dans une monarchie, un roi ou une reine est le chef de l’État. La monarchie britannique est une monarchie constitutionnelle. Cela signifie que, bien que le souverain soit le chef de l’État, la capacité d’élaborer et d’adopter des lois appartient à un Parlement élu. En tant que chef d’État, le monarque assume des fonctions constitutionnelles et de représentation qui se sont développées au cours de mille ans d’histoire ».

    La réalité est cependant bien différente. La monarchie incarne les valeurs conservatrices et le maintien du statu quo. Elle est fondamentalement opposée au changement et est l’incarnation vivante de la société de classes, renforçant l’idée que les gens doivent connaître leur place et l’accepter.

    L’État britannique

    Contrairement à l’idée selon laquelle notre monarchie constitutionnelle a évolué tranquillement pendant des milliers d’années, le développement de l’État britannique moderne et de la monarchie actuelle sont intrinsèquement liés. Le point de départ de l’un et de l’autre est la révolution anglaise du XVIIe siècle, qui a vu le renversement et l’exécution du roi Charles Ier.

    En janvier 1649, le parlement a aboli la Chambre des lords et confisqué les terres de la couronne, de l’Église et des royalistes. Ils ont créé un nouvel État, en lieu et place de l’ancien État féodal, destiné à servir les intérêts de la classe capitaliste.

    Comme toutes les révolutions, la révolution anglaise n’a pas été menée par un petit nombre de personnes seulement, mais avec le soutien d’un mouvement de masse composé d’antimonarchistes et de premiers socialistes égalitaires, tels que les Bêcheux (Diggers) et les Niveleurs (Levellers). Toutefois, craignant que les masses n’aillent plus loin et ne visent plus haut en s’intéressant à la nouvelle classe dirigeante, la bourgeoisie britannique émergente a conclu un accord avec l’aristocratie et accepté le retour de la monarchie sous Charles II, à condition qu’il fasse ce qu’on lui disait de faire.

    Depuis lors, la monarchie a joué un rôle central dans l’État britannique et dans la défense des intérêts impérialistes du capitalisme britannique, bien qu’elle ait connu de nombreux bouleversements et scandales, et des périodes où elle était loin d’être populaire. Ce n’est que vers le début du XXe siècle, à la fin du règne de la reine Victoria (monarque de 1837 à 1901), que la classe dirigeante a pris des mesures actives pour renforcer la monarchie, en consacrant d’énormes sommes d’argent à l’apparat que nous connaissons aujourd’hui. Par exemple, l’ouverture du parlement a été réinventée par Édouard VII (monarque de 1901 à 1910), qui a introduit la théâtralité du bâton noir frappant aux portes, etc.

    Le rôle intrinsèque de la monarchie dans l’impérialisme britannique a été révélé récemment lorsque le journal Guardian a publié des preuves de l’implication centrale de la monarchie dans l’expansion du commerce des esclaves et de l’importance du financement royal des navires négriers à destination de l’Afrique. Bien qu’il ait été roi au moment de l’abolition de l’esclavage, Guillaume IV (monarque de 1830 à 1937) s’est toujours opposé à l’abolition et s’est vanté de ses amitiés avec les propriétaires de plantations dans les Caraïbes. Il a également consacré des discours à la Chambre des Lords à la défense de l’esclavage, arguant qu’il était vital pour la prospérité, et il a soutenu que les personnes asservies étaient « comparativement dans un état de bonheur humble ». Clarence House, la somptueuse demeure du roi Charles et de Camilla, a été construite pour Guillaume IV et a probablement été financée par le commerce des esclaves.

    Le rôle de l’État

    En tant que marxistes, nous comprenons que, tout comme la monarchie actuelle, l’État n’a pas toujours existé. Pendant des milliers d’années, les gens ont vécu dans des sociétés égalitaires où chacun comptait sur les autres et où la coopération était le principe directeur. Marx et Engels ont appelé cela le « communisme primitif ». Mais avec l’augmentation de la productivité du travail, la société a commencé à produire un surplus au-delà de ses besoins immédiats, créant ainsi les conditions d’une société de classes.

    Une minorité a commencé à administrer ce surplus, puis à le posséder. Mais pour maintenir leur pouvoir et leur contrôle, à la fois sur le surplus et sur le reste de la société, ils ont dû créer un État pour se protéger et s’assurer que leur volonté était respectée.

    Dans son brillant livre « L’État et la révolution », Lénine explique comment l’État est né de la division de la société en différentes classes aux intérêts opposés, et comment le pouvoir de l’État est utilisé par la classe dominante : « (…) l’État est un organe de domination de classe, un organe d’oppression d’une classe par une autre ; c’est la création de « l’ordre », qui légalise et perpétue cette oppression en modérant le conflit entre les classes ».

    La monarchie aujourd’hui

    Bien que le gouvernement britannique soit, dans la pratique, élu, il s’agit du « gouvernement de Sa Majesté ». L’opposition, quant à elle, est « l’opposition loyale de Sa Majesté ». Tous les officiers de l’armée, les ministres du gouvernement, les hauts fonctionnaires et les juges prêtent serment d’allégeance à la couronne, et non au parlement ou au peuple. On nous dit que le rôle de la monarchie est purement cérémoniel et qu’après tout, c’est elle qui fait venir les touristes.

    Au contraire, la monarchie est maintenue en place comme une arme de réserve de la classe dirigeante. Chaque fois que la monarchie est débattue dans la presse capitaliste, son pouvoir de renverser des gouvernements élus, par exemple, est souvent rejeté comme n’existant qu’en « théorie ». La monarchie britannique moderne n’agirait jamais de la sorte, nous dit-on.

    Mais il n’est pas nécessaire de chercher bien loin pour constater que cette image n’est qu’un mythe. Lors des élections générales australiennes de 1972, le parti travailliste, dirigé par Gough Whitlam, est arrivé au pouvoir. Le gouvernement travailliste a entrepris de retirer les troupes australiennes du Viêt Nam, de mettre fin à la souscription militaire, de mettre en place un système de soins de santé universel et un enseignement universitaire gratuit, et d’accorder pour la première fois aux Aborigènes australiens des droits civiques limités.

    Cependant, à la suite de grèves massives et craignant que le gouvernement Whitlam n’aille beaucoup plus loin, le représentant de la monarchie, le gouverneur général Sir John Kerr, a utilisé les pouvoirs de l’institution en tant que chef du Commonwealth pour intervenir. Kerr a chassé Whitlam et a installé le chef de l’opposition du parti libéral au poste de Premier ministre. Les pouvoirs utilisés en Australie par la reine de l’époque pourraient encore être utilisés aujourd’hui dans les pays du « Commonwealth », mais aussi en Grande-Bretagne.

    En 2015, peu après l’élection de Jeremy Corbyn à la tête du parti travailliste, un général de l’armée a ouvertement évoqué la possibilité d’un coup d’État militaire au cas où Corbyn remporterait ensuite les élections législatives : « L’armée ne le supporterait pas. L’état-major ne permettrait pas à un premier ministre de mettre en péril la sécurité de ce pays et je pense que les gens utiliseraient tous les moyens possibles, justes ou injustes, pour l’en empêcher. On ne peut pas confier la sécurité d’un pays à un franc-tireur. Il y aurait des démissions en masse à tous les niveaux et vous seriez confrontés à la perspective très réelle d’un événement qui serait en fait une mutinerie ».

    Cela montre à quel point la classe dirigeante est prête à tout pour empêcher l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement Corbyn, même modéré et réformiste. Et dans le cas d’un coup d’État militaire effectif, les « pouvoirs de réserve » de la monarchie constitueraient un outil important pour la classe dirigeante afin de consolider et de légitimer ses manœuvres antidémocratiques. Ils n’utiliseront peut-être pas souvent ces pouvoirs, mais ils n’hésiteront pas à recourir à toutes les méthodes disponibles en période de crise pour eux et leur système.

    Pour une république socialiste !

    Aujourd’hui, le capitalisme est en crise partout dans le monde, et nulle part ailleurs plus qu’en Grande-Bretagne où l’impact sur les niveaux de vie et les salaires est choquant. Ensemble, les années 2022 et 2023 risquent d’être les deux pires années pour le niveau de vie depuis les années 1930. Cette situation a un impact disproportionné sur les jeunes, qui n’ont jamais vu le capitalisme fonctionner à leur avantage, sous la forme d’augmentations de salaires ou d’un meilleur niveau de vie.

    Le plus inquiétant pour la classe capitaliste, c’est que ces mêmes jeunes ont perdu beaucoup de leurs illusions envers la monarchie. En mai de l’année dernière, avant le « coup de pouce » donné à leur cote dans les sondages par la mort de la reine, seuls 33 % des 18-24 ans déclaraient que la Grande-Bretagne devrait continuer à disposer d’une monarchie. Parallèlement, seuls 20 % des jeunes avaient une opinion positive du prince Charles de l’époque.

    Cela n’empêchera pas la classe dirigeante d’utiliser le couronnement de Charles pour renforcer le soutien à la monarchie et semer des illusions « d’unité nationale » dans le but de défendre son système axé sur le profit, qui fonctionne au bénéfice de l’infime majorité de notre société. Alors que les conservateurs affirment qu’il n’y a pas assez d’argent pour les augmentations de salaires des médecins, des infirmières, des cheminots et des enseignants, beaucoup d’argent a été promis pour le faste et la cérémonie du couronnement. C’est ce qu’a récemment déclaré Oliver Dowden, ministre du Cabinet Officer : « Ce sont des moments qui marquent la vie de notre nation. Ils apportent de la joie à des millions de personnes. Ils nous distinguent également en tant que nation dans le monde entier. C’est un moment merveilleux de notre histoire et les gens ne voudraient pas d’une cérémonie morose. Ils veulent une cérémonie appropriée. C’est ce que nous ferons. »

    Mais à mesure que la crise capitaliste s’aggrave, de plus en plus de travailleurs en viendront à la conclusion que la monarchie est un instrument du système patronal et qu’elle devrait être abolie. Mais la monarchie est profondément liée au reste de l’État britannique et à sa classe dirigeante. La monarchie ne peut être abolie sans s’attaquer au système capitaliste dans son ensemble. Comme le souligne Lénine dans L’État et la Révolution : « La révolution ne consiste pas pour la nouvelle classe à commander, à gouverner avec l’aide de l’ancienne machine d’État, mais pour cette classe à briser cette machine et à commander, à gouverner avec l’aide d’une nouvelle machine. »

    Bien entendu, la classe dirigeante n’abandonnera pas le pouvoir sans se battre et, en tant que socialistes révolutionnaires, nous ne croyons pas qu’il existe une « voie parlementaire vers le socialisme ». Au contraire, l’abolition de la monarchie et du capitalisme, ainsi que la mise en place d’une économie socialiste planifiée et véritablement démocratique, nécessiteraient un mouvement de masse des travailleurs, des jeunes et des personnes opprimées.

    Les dépenses exorbitantes et le faste effroyable du couronnement contrastent fortement avec les millions de personnes qui subissent de plein fouet la crise. La vague de grèves qui se poursuit en Grande-Bretagne et le réveil de la classe ouvrière nous donnent un aperçu du pouvoir dont nous disposons lorsque nous passons à l’action.

    La richesse obscène de la monarchie devrait être utilisée pour répondre aux besoins de la classe ouvrière. Nous demandons la suppression de la subvention souveraine et de toutes les exonérations fiscales accordées à la monarchie. Même une mesure limitée telle qu’un prélèvement de 50 % sur l’ensemble de la richesse royale pourrait contribuer à financer une augmentation de salaire pour les travailleurs du secteur public en grève.

    C’est pourquoi Socialist Alternative appelle non seulement à abolir la monarchie, mais aussi à la remplacer par une république socialiste, en commençant par l’expropriation des richesses qu’elle détient. Nous appelons à la nationalisation des terres et des propriétés commerciales appartenant à la famille royale, ainsi que celles appartenant aux autres grands propriétaires terriens, une étape absolument nécessaire pour s’attaquer à la crise environnementale en particulier. Des institutions antidémocratiques telles que la Chambre des Lords devraient être immédiatement abolies et une enquête indépendante devrait être lancée sur les crimes présumés des membres de la famille royale.

    Nous affirmons que ces revendications démocratiques ne peuvent être séparées de la lutte pour un véritable changement de société. Seul le socialisme – fondé sur la propriété publique des grands monopoles et sur un plan de production véritablement démocratique – peut apporter une véritable liberté à la classe ouvrière et à toutes les personnes opprimées.

  • Portugal. Les travailleurs de l’enseignement se soulèvent contre la précarité

    Cent-cinquante mille travailleurs de l’éducation sont descendus dans les rues de Lisbonne pour manifester contre la précarité qui touche leur profession. L’apparition de nouveaux syndicats et de nouvelles méthodes de lutte vient troubler les eaux devenues stagnantes des syndicats traditionnels.

    Par Cristina, ASI-Portugal

    Le déclin de l’enseignement public et les défis auxquels les travailleurs sont confrontés chaque jour

    Au cours des cinq dernières décennies, le Portugal a connu une forte diminution de ses taux d’échec et d’abandon de scolarité : actuellement, la moitié des étudiants obtient un diplôme de l’enseignement supérieur. Il s’agit là d’un résultat louable, surtout si l’on songe aux taux d’analphabétisme ahurissants des années précédant la révolution de 1974-1975. Malheureusement, la part du budget allouée aux écoles publiques a également diminué au cours des trois dernières décennies, passant sous la barre des 5% du PIB en 2016, taux qui n’avait pas été aussi faible depuis 1995.

    Pas plus tard que l’année passée, les subventions de l’Etat à l’enseignement spécialisé ont été réduites sans réflexion, sans qu’un effort ne soit fait pour donner la priorité aux enfants en ayant le plus besoin. Avec un financement moindre et moins de soutien, il n’est pas étonnant que la plupart des écoles se plaignent du manque de ressources pour entretenir les bâtiments (de plus en plus froids et anciens) ou pour obtenir du matériel pédagogique et engager le personnel adéquat.

    Mais il n’y a pas que les moyens qui manquent : les écoles publiques sont clairement en sous-effectif ces dernières années. Il y a vingt ans, 6 000 jeunes motivés obtenaient chaque année leur diplôme d’enseignant. Aujourd’hui il ne sont plus que 1 500. Le vieillissement du corps enseignant est donc inéluctable : dans les écoles publiques, la moitié des enseignants ont plus de 50 ans. Une étude publiée par le Ministère de l’Education portant sur l’offre et la demande d’enseignants dans les écoles publiques à l’horizon 2030/2031 estime qu’il serait nécessaire d’embaucher 34 500 professionnels, particulièrement au sein des collèges (élèves de 10 à 15 ans) et ses lycées (élèves de 15 à 18 ans). Dans les circonstances actuelles, ces besoins ne risquent pas d’être satisfaits rapidement, ce qui signifie que des pénuries du personnel enseignant plus importantes sont à prévoir dans les prochaines années. À titre d’exemple, en 2021, seules trois personnes diplômées en physique et en chimie ont suivi une formation d’enseignants, alors que les besoins s’élèvent à 104 personnes. Des milliers d’élèves débutent donc chaque année scolaire sans enseignants, et donc sans cours. Pour faire face à cette situation chronique, le gouvernement du PS (Partido Socialista) a ouvert l’enseignement dans les écoles aux étudiants en éducation et à aux diplômés d’autres disciplines, ce qui induit directement une baisse de la qualité de l’enseignement public.

    Mais pourquoi si peu de gens veulent-ils devenir enseignants ? Durant les 16 premières années de sa carrière (en moyenne), un jeune enseignant ne dispose d’aucune stabilité ou sécurité professionnelle. D’une année à l’autre, il se verra affecté à différentes écoles, dans différentes régions (parfois à 300 km de distance), sans jamais savoir s’il sera au chômage à la rentrée suivante ou s’il bénéficiera d’une charge horaire suffisante pour gagner sa vie. Ce n’est qu’au terme de cette longue période qu’il pourra monter l’échelle d’une carrière stable dans l’enseignement public. Au sommet de cette échelle, l’âge moyen est de 60,7 ans, avec 38,6 années de service, tandis qu’au premier échelon, les enseignants ont un âge moyen de 45,4 ans et 15,7 années de service. Si, dans les écoles primaires (élèves de 6 à 10 ans), plus de 85 % des enseignants sont nommés, il n’en va pas de même dans les collèges et les lycées, où les enseignants ayant un contrat d’un an (ou moins) représentent près d’un quart du personnel. Et lorsqu’ils sont enfin nommés dans une école et obtiennent la stabilité dont ils rêvent, un goulot d’étranglement sous forme de quotas rigides bloque leur progression. Et il en va malheureusement de même pour tous les autres travailleurs de l’éducation, puisque la plupart des travailleurs de l’administration publique auraient besoin de 120 ans de service pour atteindre le sommet de leur carrière !

    Le peu d’engouement pour devenir enseignant pourrait également être dû aux classes surchargées et à l’extrême bureaucratie. Lorsque les cours sont terminés pour la journée, les enseignants sont contraints d’accomplir quotidiennement un flot ininterrompu de tâches bureaucratiques, à savoir remplir des formulaires et des documents, identifiés par des acronymes incompréhensibles enfilés les uns à la suite des autres, auxquels s’ajoutent entre autres des piles de plans, de listes, de dossiers, de justifications, de plans de redressement et de rapports. Sans parler des réunions des parents, des réunions de groupe et des réunions de département. Il est tout simplement impossible qu’un enseignant ne travaille que 35 heures par semaine, comme le prouve une enquête de la FENPROF, un syndicat enseignant, sur le temps de travail des enseignants de collège et de lycée, qui montre qu’ils travaillent en moyenne plus de 46 heures par semaine.

    Le collège et le lycée sont les niveaux les plus touchés par l’état de plus en plus dégradé de l’enseignement public et, incidemment, ceux où les taux d’échec scolaire et d’abandon tendent à être les plus élevés. Compte tenu des défaillances successives des écoles publiques, il n’est pas surprenant que certaines familles dont les revenus le permettent  préfèrent payer et inscrire leurs enfants dans des écoles privées, dont la fréquentation est en hausse : un cinquième des élèves les fréquentent, voire un quart au lycée. L’éducation différenciée en fonction des revenus et des biens est synonyme d’un accroissement des inégalités sociales.

    Il est urgent d’investir fortement dans les écoles publiques et de revoir le système de progression de carrière des  travailleurs de l’école ! La formation d’enseignant, et l’enseignement supérieur dans son ensemble, doivent être gratuits et subventionnés afin d’attirer de nouveaux enseignants et de les former selon les meilleures normes de qualité. L’État doit offrir des avantages attrayants et des contrats stables pour embaucher efficacement les enseignants en début de carrière, tout en réduisant le nombre d’élèves par classe et en améliorant l’éducation pour tous. Pour garantir cela, les travailleurs doivent prendre le contrôle de leurs écoles par le biais de commissions scolaires démocratiques, avec la participation des élèves, des familles et des communautés.

    La lutte des travailleurs de l’école s’emballe

    Au cours des derniers mois, le Portugal a assisté à l’une des plus grandes mobilisations de la dernière décennie, menée par les travailleurs de l’éducation, y compris les enseignants, les travailleurs sociaux, les techniciens spécialisés et d’autres membres du personnel scolaire. Elle a commencé en septembre dernier (2022), lorsque le Ministère de l’Éducation a proposé de modifier le modèle de recrutement des enseignants lors d’une phase de négociations avec les syndicats, en plaidant en faveur d’une gestion municipale et de contrats gérés directement par les directions d’école. La proposition a été mal accueillie et immédiatement contestée en septembre, puis en novembre, lors d’une seconde phase de négociations. La FENPROF (l’une des plus grandes fédérations syndicales d’enseignants, membre de la confédération syndicale CGTP dirigée par le parti communiste) a ainsi déclaré : “Nous défendons la primauté de l’affectation des enseignants par le biais du concours national de recrutement et de leur diplôme professionnel (calculé sur la base de l’ancienneté)”. Selon eux,  la municipalisation des écoles conduirait à une éducation à deux vitesses dans le pays. Rendre chaque municipalité responsable des budgets alloués aux établissements et de leur éventuelle privatisation ouvrirait la voie à un système éducatif plus inégalitaire, et à une précarisation des conditions de travail de tous les professionnels de l’éducation.

    La réforme proposée a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, déjà bien rempli par des années de conditions de travail misérables. Alors que grandissait la colère des travailleurs, leurs réclamations s’affirmaient :  suppression des quotas et de progression de carrière, régularisation des horaires de travail à 35 heures par semaine, réduction de la distance entre le domicile des travailleurs et l’école où ils sont placés, augmentation des salaires en fonction de l’inflation et  départ à la retraite anticipé. Sur la base de cette colère et de ces revendications, il devenait possible de mobiliser les travailleurs dans les rues, et ainsi montrer au gouvernement l’indignation du corps enseignant tout entier  face à l’exploitation et au manque de respect dont il est victime. Et cela aurait également renforcé la position des syndicats d’enseignants à la table des négociations, car le gouvernement, lui, ne cédait pas.

    Le mouvement

    Le 5 décembre, huit syndicats enseignants traditionnels, menés par la FENPROF, ont finalement appelé à une manifestation pour le 4 mars, un samedi. La grève n’était pas à l’ordre du jour pour ces syndicats puisque les négociations étaient toujours en cours, la direction de la FENPROF arguant que “le moment n’est pas propice”, une attitude conforme à la posture de “négociateur” qu’adopte habituellement la direction de la CGTP. Cette stratégie est une erreur, car ce qui est obtenu à la table des négociations est directement lié à l’équilibre des forces dans les rues et sur les lieux de travail. Les travailleurs doivent compter sur leur propre force et leur organisation, sans se contenter d’attendre des accords avec l’État capitaliste.

    Pendant ce temps, un ensemble de travailleurs de l’éducation cherchait un moyen plus combatif de lutter pour les intérêts de l’éducation publique. Un syndicat indépendant de travailleurs de l’éducation moins connu (ne faisant pas partie des confédérations syndicales, ni de la CGTP ni de l’UGT), “STOP” (Sindicato de Todos Os Profissionais da educação, syndicat de tous les travailleurs de l’éducation), a pris cette initiative en charge.

    STOP a vu le jour en 2018, sous la direction d’André Pestana, actif dans les luttes pour l’éducation depuis 2013 et critique à l’égard des dirigeants du FENPROF. Deux cent enseignants ont rédigé et signé un manifeste réclamant la création d’un un nouveau syndicat qui aurait “une manière différente de faire du syndicalisme et chez lequel le processus de prise de décision serait complètement démocratique et non partisan”.

    Bien qu’il soit relativement petit (représentant environ 1 300 travailleurs), STOP a appelé à des “actions de grève illimitées” à partir du 9 décembre, une nouvelle forme de lutte dans le paysage syndical portugais. En novembre, environ 2 000 enseignants ont déclaré soutenir ce modèle dans un sondage réalisé sur un blog consacré à l’éducation. Les travailleurs de l’éducation ont rejoint cette grève lors d’un mouvement massif et inattendu, entraînant la création de comités de grève démocratiques, la fermeture d’écoles et  l’organisation de manifestations devant les écoles pendant plusieurs jours d’affilée. Ces mouvements ont touché l’entièreté du pays, mais plus particulièrement les régions métropolitaines de Porto et de Lisbonne, ainsi que l’ Algarve. Concrétisant la solidarité par la lutte commune, STOP a lancé un appel à tous les travailleurs de l’école, et pas seulement aux enseignants.

    Cette grande mobilisation des travailleurs scolaires, ainsi que le peu d’ouverture du ministère à de nouveaux processus de négociation sur d’autres questions (liées notamment à la carrière des enseignants) ont mis sous pression les huit syndicats enseignants traditionnels. Ils ont eux aussi fini par appeler à une grève de 18 jours, c’est-à-dire un jour par région (distrito) du pays, à partir du 16 janvier, ainsi qu’à une manifestation en février. Le 17 décembre, une manifestation convoquée par STOP a rassemblé 20 000 travailleurs de l’éducation dans les rues. “Les enseignants qui se battent enseignent toujours” a été l’un des slogans les plus entendus tout au long de la manifestation qui les a menés jusqu’au parlement portugais. Si 20 000 personnes ont un temps semblé beaucoup, ce n’est rien comparé à la deuxième manifestation organisée par STOP le 14 janvier,  qui a rassemblé 100 000 personnes Des dizaines de milliers de travailleurs non syndiqués l’ont rejointe, inspirés par la manifestation précédente. Le désespoir du gouvernement était tel qu’il a eu recours à la police pour tenter d’empêcher les bus destinés à la manifestation d’atteindre Lisbonne en les arrêtant pour les fouiller, dans une tentative évidente de saboter la manifestation.

    Le gouvernement PS utilise la carotte des concessions et le bâton des services minimums

    En février, face à la force écrasante du mouvement des travailleurs, le Premier Ministre (PS) Antònio Costa a finalement été contraint de céder et de faire quelques concessions.

    Ont par exemple été obtenus : 1. le maintien du diplôme professionnel comme critère principal lors du concours national de recrutement qui fait office de processus de désignation dans les écoles (faisant ainsi reculer le gouvernement sur sa proposition d’embauche directe) ; 2. l’organisation plus fréquente (annuelle) du concours national de recrutement, tant pour le personnel nommé que temporaire, ce qui permettra de combler immédiatement les lacunes dues au départ à la retraite des enseignants plus âgés ; 3. la réduction de la distance entre le domicile de l’enseignant et l’école à laquelle ce dernier peut postuler ; 4. L’assouplissement des quotas qui restreignent l’évolution de carrière. Il est toutefois à noter qu’en dépit de ces concessions, le gouvernement n’a rien proposé  quant aux problèmes à long terme de l’enseignement public, et n’a pas non plus accédé aux principales demandes du mouvement.

    Le gouvernement a également demandé à la Cour d’imposer aux enseignants grévistes un “service minimum” à partir du 1er février, et ainsi forcer les travailleurs en grève à prester un certain nombre d’heures pendant l’action de grève. Mais en pratique, seules les actions de grève illimitées menées par STOP ont été visées, ce qui constitue une attaque directe à l’encontre d’un syndicat. Dans une déclaration, le Ministre de l’Éducation s’est justifié en invoquant “la durée et l’imprévisibilité des grèves menées par STOP ainsi que l’ensemble des conséquences pour les élèves, concernant leur protection, leur alimentation et leur soutien dans des contextes de vulnérabilité”. Dans une tentative évidente de monter les parents contre le mouvement enseignant, le monde médiatique dans son ensemble s’est exprimé dans les même termes, évoquant à chaque fois des « parents risquant de perdre leur emploi » et de « dommages irréparables pour les élèves ».

     Le service minimum dans les écoles, censé garantir les repas des élèves et la prise en charge des enfants ayant des besoins éducatifs spéciaux, A en réalité enchaîné tout le personnel scolaire à des horaires obligatoires, empêchant les écoles de fermer à nouveau et niant ainsi le droit de grève des travailleurs.

    Le gouvernement a également mis en doute la “légalité” des fonds de grève et a demandé au bureau du procureur général d’émettre un avis sur la question et à l’inspection générale de l’éducation et de la science d’enquêter sur le sujet  . Ces méthodes avaient été utilisées pour arrêter la grève des infirmières de 2018 et 2019, qui avaient été déclarées “illégales” pour avoir collecté des fonds par le biais du crowdfunding. La solidarité entre travailleurs de différents secteurs fait donc manifestement trembler l’ordre établi. Cette fois encore, le bureau du procureur général a qualifié d’illégale la grève de STOP.

    Le besoin d’unité

    En réponse à cette attaque contre le droit de grève, STOP a appelé à une nouvelle manifestation le 28 janvier, qui a elle aussi atteint près de 100.000 manifestants. La FENPROF et les autres syndicats traditionnels ont appelé à une manifestation le 11 février, rassemblant environ 150 000 personnes, ce qui montre la volonté de leurs membres de se battre et leur capacité de mobilisation. STOP n’a pas participé à l’organisation de cette manifestation, mais a appelé à la participation de ses membres. Le 25 février, STOP a organisé une autre très grande manifestation pour l’éducation publique. Enfin, le 4 mars, FENPROF a organisé une autre manifestation, divisée en deux villes, rassemblant 40 000 personnes à Lisbonne et 40 000 autres à Porto.

    Malgré les appels de STOP à s’unir en front commun, la lutte a continué d’avancer avec d’un côté une coalition de huit syndicats dirigée par la FENPROF et de l’autre côté STOP, en concurrence. Le fossé entre les deux syndicats est devenu particulièrement visible lors de la manifestation du 11 février, lorsque le dirigeant de STOP, André Pestana, a organisé un rassemblement parallèle qui, pendant le discours de Mário Nogueira, pointait du doigt le dirigeant du FENPROF, l’accusant d’avoir empêché STOP de monter sur scène pour prendre la parole.

    Un front uni de tous les syndicats appelant à des grèves aux mêmes dates  pourrait avoir un impact plus fort que l’approche disjointe actuelle. L’expansion des comités de grève démocratiques promues par STOP mènerait à la coordination des travailleurs de l’éducation et le front commun permettrait une implication démocratique maximale.

    Prochaines étapes

    Malgré la volonté toujours inébranlable de lutte des travailleurs de l’éducation, le mouvement est aujourd’hui plus dispersé qu’il ne l’était à son apogée. L’appel continu de STOP à des “actions de grève illimitées”, bien que motivant au départ, est devenu fatigant et dispersant, les travailleurs menant des actions de grève à des dates différentes dans des écoles différentes, le plus souvent de manière non coordonnée.

    Alors que la réaction du gouvernement commence à peser sur la lutte, les syndicats envisagent de nouvelles stratégies et approches. FENPROF a appelé à une nouvelle grève le 20 mars, visant particulièrement les heures supplémentaires, la charge de travail, la composante non enseignante et le dernier cours de la journée, mais aucune donnée ne permet de savoir combien d’enseignants ont rejoint le mouvement jusqu’à présent. De nouvelles grèves par région (distrito) sont également prévues entre le 17 avril et le 12 mai, ainsi qu’une grève nationale le 6 juin et une grève pour les examens finaux de l’année scolaire.

    Le 18 mars, une réunion nationale des commissions syndicales et de grève de STOP s’est tenue et a pris la décision de limiter la grève indéfinie dès le 16 avril et d’appeler dès lors à des action ponctuelles, locales et nationales, en fonction des besoins particuliers de chaque école, des régions et de l’ensemble des travailleurs de l’enseignement. Les problèmes les plus fréquemment rencontrés sont liés aux conditions de travail, à la violence et l’indiscipline rencontrées par le corps enseignant, à l’encadrement de l’enseignement spécialisé, à la pénurie de personnel, aux infrastructures amiantées et malsaines. Parmi les actions envisagées, STOP mentionne vouloir tester des actions locales d’une journée ou d’une matinée.  En outre le syndicat a encouragé, parmi d’autres propositions, à poursuivre les formes locales de lutte, telles que les camps, les veillées, les manifestations devant les écoles ou sur les ponts. Il a également suggéré d’accueillir les touristes avec des  affiches gênantes pour le Portugal rédigées en plusieurs langues.

    STOP appelle à une grève d’une semaine, du 24 au 28 avril, ainsi qu’à une manifestation le 25 avril (anniversaire de la Révolution des Oeillets de 1974 [qui a mené à la fin de la dictature de Salazar, NDTR]). Le slogan de cette action sera :  “Ils trouvent toujours de l’argent, sauf pour les travailleurs”. (“Só não há dinheiro para quem trabalha !”)., et son but est d’unir ceux qui ressentent la dégradation des services publics et la perte du pouvoir d’achat. L’appel à une grève nationale de l’éducation concentrée sur une semaine entière est prometteur, mais l’économie capitaliste ne pourra être réellement ébranlée sans unité, une grande mobilisation et une coordination importante. La collaboration au sein des écoles et entre les écoles donnerait aux  fermetures d’écoles un impact plus important et mettrait en évidence le pouvoir et la puissance de la classe ouvrière.

    Les luttes scolaires sont une source d’inspiration. Construisons une lutte commune vers la grève générale

    La révolte des travailleurs de l’éducation contre la précarité est commune à la majeure partie de la classe ouvrière, en particulier dans le contexte actuel de crise du coût de la vie et du logement.  La lutte commune de l’ensemble de la classe ouvrière est et reste le moyen le plus efficace de battre le gouvernement et la classe capitaliste et de récupérer les services publics. Les luttes des travailleurs de l’éducation devraient servir de pilier à un mouvement plus large qui doit viser à unir les différentes luttes en cours pour des salaires et des conditions de vie dignes en menant des actions de grève coordonnées par tous les syndicats et en conduisant à une grève générale efficace. Inspirons-nous des comités de grève démocratiques et des fonds de grève solidaires constitués dans le cadre des luttes scolaires pour promouvoir davantage l’engagement de tous les travailleurs en lutte, syndiqués ou non, pour organiser et coordonner démocratiquement les grèves et pour que le mouvement gagne en force et résiste à l’usure naturelle qu’une longue lutte peut engendrer.

  • 1er mai 2023 : La classe travailleuse est de retour! – Déclaration d’Alternative Socialiste Internationale (ASI)

    Pour une alternative socialiste internationale à la permacrise capitaliste

    La classe travailleuse est de retour. Depuis le 1er mai 2022, l’activité du mouvement ouvrier dans toute sa diversité de couleurs de peau, de genres et de générations a connu un important regain. Des luttes ont eu lieu dans le monde entier et ont ébranlé des régimes tyranniques et défendu les sections les plus opprimées de la classe tout en s’attaquant aux tentatives patronales de faire peser la crise de la cherté de la vie sur les épaules des travailleur.euse.s. Bien que chaque lutte connaisse des hauts et des bas et qu’elle ne se déroule pas au même rythme partout et en même temps, ce processus n’est pas un accident de parcours, mais le début d’un tournant crucial et durable.

    Des vagues de grèves, des grèves de masse et même des grèves générales ont marqué la situation dans de nombreux pays. Et là où ce n’est pas encore le cas, les travailleur.euse.s et les jeunes les regardent avec solidarité et s’en inspirent. Le Royaume-Uni est toujours au cœur d’une vague de grèves qui dure depuis près d’un an, avec 2,7 millions de jours perdus pour cause de grève entre juin 2022 et janvier 2023, le mois de décembre ayant enregistré le plus grand nombre de jours perdus pour cause de grève depuis 1989.

    En novembre de l’année dernière, les travailleur.euse.s belges, fortement syndiqué.e.s, ont connu une grève générale. La fin du mois de mars a été marquée par la « méga-grève » en Allemagne, où les syndicats ver.di (secteur des services) et EVG (chemins de fer et transports) ont appelé à une action de grève commune pour la première fois dans l’histoire. Le mouvement de “grève générale reconductible” contre la réforme des retraites de Macron et son imposition dictatoriale ont fait basculer la société française dans une révolte ouverte, qui est devenue un point de référence à travers le monde.

    En Suède, un pays où le mouvement ouvrier a été paralysé par les accords pourris de « partenariat social » conclus par la bureaucratie avec l’État et les patrons, une petite mais importante grève sauvage de trois jours des conducteur.trices.s de trains de banlieue a eu lieu. C’est la « musique de l’avenir ». Les enseignant.e.s palestinien.ne.s, qui représentent le deuxième groupe d’employé.e.s du secteur public de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza assiégée, sont en grève depuis le 5 février. Ils et elles luttent pour des salaires plus élevés, de meilleures conditions de travail, l’indépendance de l’enseignement et la démocratie syndicale. L’Afrique du Sud a perdu 1,6 million de jours de grève au cours des seuls six premiers mois de 2022, soit trente fois plus qu’au cours de la même période en 2021.

    Une popularité croissante

    Cette recrudescence s’est accompagnée d’un changement d’opinion positif à l’égard des syndicats dans de nombreux pays, en raison de leur passage à l’action. Cela illustre qu’une initiative audacieuse peut mobiliser une plus grande partie de la classe travailleuse. Le renouveau du mouvement syndical aux États-Unis n’a pas seulement été marqué par des phénomènes tels que “Striketober” (le mois d’octobre marqué par les grèves), mais aussi par une augmentation des nouveaux efforts de syndicalisation, comme ceux d’Amazon et de Starbucks, et par un taux record de 71 % d’approbation des syndicats au sein de la population en général.

    En Angleterre et au Pays de Galles, le National Education Union a fait état d’une augmentation de dizaines de milliers de nouveaux membres au cours de ses deux derniers conflits majeurs, y compris des centaines de membres qui se sont inscrits pour devenir des représentants sur le lieu de travail et sont devenus délégués syndicaux pour la première fois. Le syndicat allemand ver.di a recruté 65.000 nouveaux membres rien qu’en janvier et février ! Dans de nombreux cas, cette évolution est due à un afflux de femmes et de jeunes travailleur.euse.s. L’impact d’une nouvelle génération de travailleur.euse.s entrant en lutte et devenant des dirigeants de base de la lutte des classes aura un impact important sur le caractère des batailles à venir et sur la situation interne des syndicats eux-mêmes.

    Il ne s’agit là que de quelques exemples dont les déclencheurs immédiats sont différents, mais qui soulignent tous certaines vérités du moment. Il n’y a pas de « muraille de Chine » entre les nombreuses formes de souffrance, de misère et d’oppression qui affectent la classe travailleuse dans cette nouvelle « ère du désordre ». Les travailleur.euse.s s’engagent dans une lutte collective non seulement sur des questions économiques, mais aussi sur de nombreuses revendications politiques et sociales. Ces questions vont des droits démocratiques à la lutte contre l’oppression reposant sur le genre. En outre, bien que le principal déclencheur puisse être une question spécifique, le chevauchement et l’interconnexion des différentes crises du capitalisme poussent les luttes à devenir beaucoup plus larges dans leur portée et leurs objectifs. Et, ce qui est peut-être le plus important, ces actions ont été menées sous la pression de la base, souvent contre les souhaits de la direction officielle des organisations de travailleur.euse.s.

    Un mouvement revitalisé pour les années 2020

    Néanmoins, ces pousses vertes surviennent après des décennies de néolibéralisme, ce qui a eu un impact corrosif sur le mouvement ouvrier et a affecté la conscience et l’organisation de la classe travailleuse. Nous sommes encore confrontés à de nombreux obstacles. Des forces telles que la bureaucratie syndicale – les dirigeants conservateurs de la majeure partie du mouvement ouvrier mondial – représentent une véritable barrière à la lutte, bien que certaines figures soient plus ouvertes à la pression de la base que d’autres.

    Comme l’écrivait Marx en 1852 : « La tradition de toutes les générations mortes pèse comme un cauchemar sur le cerveau des vivants » et c’est ce que représentent les bureaucrates. Nombre d’entre eux se tournent vers un passé souvent fictif où une stratégie de collaboration de classe et même de partenariat avec les patrons pouvait garantir leur position (et leurs salaires élevés) tout en maintenant la paix sociale.

    Si le fait que des dirigeants syndicaux comme Mick Lynch, secrétaire général du RMT au Royaume-Uni, ont acquis une certaine célébrité pour avoir critiqué les patrons et leurs porte-parole dans les médias est un signe positif des temps, la rhétorique militante ne peut se substituer à une stratégie ancrée dans la source fondamentale de pouvoir du mouvement : la mobilisation de la classe ouvrière dans l’action. Ce manque de confiance dans la capacité de notre classe à changer le monde mine le mouvement. Mais la faiblesse de ces dirigeants (même bien intentionnés) est aussi fondamentalement politique : sans la perspective d’une transformation révolutionnaire de la société vers le socialisme, ils chercheront toujours, au moment critique, des moyens de démobiliser la lutte en faveur d’un retour à une version du statu quo.

    Cela signifie que la base doit s’organiser. Nous avons besoin d’un programme de lutte pour faire avancer le mouvement ouvrier, pour le rendre réellement combatif et démocratiquement responsable devant la classe ouvrière. Cela n’a rien à voir avec le maintien d’une bureaucratie privilégiée. Dans les syndicats et autres organisations de travailleur.euse.s, cela signifie que tous les responsables ne devraient toucher que le salaire moyen d’un.e travailleur.euse et que leurs postes devraient être élus démocratiquement et soumis à la révocation immédiate si nécessaire. Les grèves et les conflits doivent être contrôlés par les assemblées les plus larges possibles et par des comités démocratiques des travailleur.euse.s concerné.e.s. L’approche consistant à se concentrer uniquement sur les conditions d’une petite partie des membres des syndicats doit être rejetée : notre mouvement doit être solidaire de l’ensemble de la classe ouvrière. Une attaque contre l’un d’entre nous est une attaque contre nous tou.te.s.

    La répression s’intensifie

    Cet adage prend une importance renouvelée alors que nous sommes confrontés à des gouvernements de plus en plus répressifs, prêts à tout pour défendre la domination affaiblie du capital. En Grande-Bretagne, le Premier ministre Rishi Sunak a contré la vague de militantisme industriel en adoptant une série de lois antisyndicales. Malgré une résistance de masse, Macron a invoqué le détesté article 49.3 de la Constitution, s’arrogeant des pouvoirs dictatoriaux pour imposer sa réforme des retraites.

    Les syndicats sud-coréens sont confrontés à une vague de lois antisyndicales à la suite d’une action sans précédent du gouvernement pour réprimer la grève des 250.000 camionneurs à la fin de l’année dernière. Sous la pression de la base, la fédération syndicale CGTP du Pérou a appelé à une grève générale pour exiger la fin de la répression brutale de l’État et la démission de la présidente illégitime issue du coup d’État, Dina Boluarte. Le président élu du Nigeria, Bola Tinbu, ancien gouverneur de l’État de Lagos, pourrait chercher à reproduire au niveau national ce qu’il a fait à Lagos, c’est-à-dire faire de l’ensemble du Nigeria son fief personnel et continuer à exploiter les masses laborieuses qui sont confrontées à une incroyable crise du coût de la vie. Le puissant mouvement syndical nigérian doit donc se préparer à une campagne d’action sérieuse.

    La classe ouvrière marque les événements de son empreinte

    Le Pérou est l’un des nombreux exemples où la classe travailleuse a fait peser son énorme pouvoir sur des mouvements politiques plus larges. En Israël/Palestine, c’est le pouvoir des travailleur.euse.s organisé.e.s – exprimé par une grève générale politique « illégale » à la fin du mois de mars – qui a contraint Netanyahu à retirer temporairement ses plans de coup d’État judiciaire. Bien que la majorité de la classe dirigeante ait soutenu la grève générale, elle l’a fait en dernier recours, pour empêcher Netanyahou de déstabiliser davantage le capitalisme israélien dans le contexte d’une crise politique historique liée à la crise de plus en plus profonde du régime d’occupation.

    Néanmoins, les grévistes, qu’ils soient israéliens ou arabo-palestiniens, ont pris conscience de leur pouvoir. Bien que les manifestations et les grèves israéliennes aient été, dans une large mesure, détournées politiquement par les forces de l’establishment dont l’agenda n’est pas fondamentalement différent de celui du gouvernement d’occupation capitaliste actuel, elles révèlent de profondes contradictions dans la société israélienne et expriment un sentiment d’impasse et de dégoût face à l’extrême-droite israélienne et aux crises du capitalisme israélien, du coût de la vie à l’insécurité personnelle. À long terme, elles peuvent révéler les contradictions irréconciliables au cœur de l’État israélien et de sa machine de guerre barbare. Lorsque les travailleur.euse.s palestinien.ne.s ont mené la « grève de la dignité » de 2021, ils et elles ont également démontré leur force, donnant un aperçu du type de mouvement nécessaire à la libération de la Palestine : un mouvement capable de mettre fin à l’occupation et de balayer le capitalisme et l’impérialisme dans la région. 

    Le Hartal (la grève totale) de l’année dernière au Sri Lanka a porté un coup critique dont la dynastie pourrie des Rajapaksa ne s’est jamais remise. En Iran, des secteurs clés des travailleur.euse.s ont rejoint le mouvement révolutionnaire contre le régime théocratique, déclenché par le meurtre de Jina Mahsa Amini. Bien que l’organisation et le leadership nécessaires pour raser la dictature aient fait défaut, la révolte a laissé un impact durable sur les consciences.

    Comme l’ont exprimé les travailleurs de la sucrerie de Haft Tappeh dans une déclaration de solidarité avec les femmes en première ligne de la rébellion : « Ce grand et louable soulèvement devrait être lié à la grève des travailleurs partout dans ce pays. Pour se débarrasser de la discrimination et de l’oppression, pour se débarrasser de la pauvreté et de la misère, pour avoir du pain et de la liberté, ne laissons pas les filles du soleil et de la révolution seules. Filles du soleil et de la révolution ; le jour de la victoire, le monde entier enlèvera son chapeau devant vous – vous avez donné à tout le monde une leçon de résistance. »

    Lutter contre l’oppression

    Ces paroles reflètent en effet une tendance globale des travailleur.euse.s à gagner en confiance et en clarté quant à leur potentiel de transformation de la société. Nous faisons tourner le monde ; notre position dans la production nous confère le pouvoir latent de l’arrêter. La grève est donc notre arme la plus puissante, celle qu’il faut brandir contre toutes les horreurs du système. Les femmes de la classe ouvrière qui sont au cœur de la révolte féministe mondiale ont tiré cette conclusion. Les grèves féministes appellent les travailleur.euse.s de tous les genres à stopper leur travail, en mobilisant le poids social de notre classe contre l’inégalité et le sexisme.

    Ce faisant, nous forgeons l’unité et la cohésion nécessaires pour résister à l’assaut intensifié de la classe dirigeante, qui consiste à diviser pour régner. Les membres d’ASI ont été les premiers à se battre pour que le mouvement ouvrier mobilise ses forces dans la lutte contre toutes les formes d’oppression. Alors que les conservateurs intensifient leurs attaques contre les droits des personnes transgenres, fomentant le type de violence qui a conduit au meurtre de Brianna Ghey, les camarades de Socialist Alternative dans plusieurs syndicats ont adopté une motion appelant à « soutenir les manifestations et les luttes pour défendre et étendre la réforme GRA (Gender Recognition Act), et pour éradiquer toute violence transphobe », parmi d’autres revendications importantes.

    L’internationalisme – antidote au bellicisme impérialiste

    L’envenimation de la réaction est l’un des nombreux symptômes morbides d’un système en décomposition, qui nous précipite vers la catastrophe. La dégradation du climat s’accélère et la guerre en Ukraine s’intensifie. Poutine justifie l’effusion de sang, les attaques contre la population civile et les infrastructures, ainsi que l’occupation et l’annexion de régions entières par un chauvinisme belliqueux. Il n’est pas le seul. Des États-Unis à la Chine, toutes les puissances impérialistes ont intensifié leur nationalisme empoisonné. En réponse, notre mouvement doit redécouvrir et réaffirmer les principes de l’internationalisme.

    Les travailleur.euse.s russes ont bien plus en commun avec leurs frères de classe ukrainiens qu’avec les bellicistes du Kremlin. L’impérialisme occidental et Zelensky poursuivent leurs propres intérêts géopolitiques en contradiction avec les aspirations nationales et sociales des masses ukrainiennes qui défendent leurs foyers, leurs droits, y compris le droit à l’autodétermination. Pour garantir ces droits, la lutte doit être organisée d’en bas, sur une base intercommunautaire et de classe, et se fondre dans un mouvement anti-guerre international, totalement indépendant de tous les bouchers impérialistes, tirant sa force de la capacité singulière de notre classe à stopper la machine de guerre.

    Une toute autre société

    Dans le contexte d’un système en décomposition et en crise, il n’a jamais été aussi clair que les travailleur.euse.s du monde entier sont les mieux placés pour diriger la société. La pandémie nous a montré qui était vraiment essentiel. Et à chaque mouvement, nous goûtons à notre potentiel pour « refonder la société », comme le disait Marx. Avec leurs actions « Robin des Bois », les grévistes de l’énergie en France ont fourni de l’électricité gratuite aux pauvres et coupé l’alimentation électrique aux riches. Cela nous donne un petit aperçu d’un monde où notre classe sera au pouvoir, planifiant la production et l’allocation des ressources sur la base des besoins, et non du profit.

    Néanmoins, les travailleurs restent mal équipés pour affronter l’élite capitaliste parasitaire. Malgré la volonté croissante d’intensifier la lutte, l’absence de notre propre force politique nous laisse nous battre avec un bras dans le dos. À l’ère de la permacrise capitaliste, même les victoires significatives seront éphémères. Ce qui est donné d’une main est repris de l’autre : la hausse des prix des denrées alimentaires engloutit immédiatement les augmentations de salaire, les primes finissent dans la poche du propriétaire.

    Si nous voulons aller au-delà de la lutte pour la simple survie, le mouvement ouvrier doit se réarmer et se doter des outils nécessaires pour renforcer et élargir notre combat. Pour cela, nous devons nous organiser politiquement, créer de nouvelles organisations capables d’unir et de combiner tous les mouvements qui émergent en réponse à la misère sans fin que le capitalisme continuera d’engendrer.

    Ces dernières années, les luttes de masse à travers le monde ont fait émerger des formes embryonnaires d’auto-organisation : les comités de résistance au Soudan, les cabildos au Chili, les assemblées de quartier en Colombie et les conseils révolutionnaires de la jeunesse en Iran. Ces formes montrent ce qu’il est possible de faire. Mais elles doivent être cimentées dans des partis de masse des travailleur.euse.s, véritablement démocratiques, qui luttent pour la défense de nos propres intérêts en toute indépendance des partis et des politiciens capitalistes ; des organisations politiques qui rassemblent l’expérience de notre classe, nous permettant de discuter de la stratégie et de la tactique, du programme et des revendications du mouvement.

    ASI envoie ses salutations fraternelles du 1er mai aux travailleur.euse.s du monde entier et étend sa solidarité à toutes celles et ceux qui sont en lutte. La classe travailleuse peut transformer la société ! Sinon, c’est la barbarie et la catastrophe qui nous attendent. Pourtant, en retirant les principaux leviers de l’économie des mains des pollueurs, des seigneurs de la guerre et des profiteurs, les travailleur.euse.s peuvent tracer une voie alternative. Un plan de production socialiste démocratique pourrait poser les bases d’une société qui garantirait non seulement notre survie, mais aussi notre épanouissement – qui nous donnerait du pain, mais aussi des roses – et qui libérerait tout le potentiel créatif de l’humanité.

  • France. Des comités de grève anti-Macron partout pour entraîner la population derrière les bastions syndicaux

    Face à la guerre de classe lancée par Macron et Borne : Il nous faut un plan d’action pour mobiliser tout le monde ! Construisons la grève générale reconductible !

    On peut gagner ! Nous avons encore des réservoirs de mobilisation dans lesquels aller puiser ! Il y a peu, 62% des Français.e.s estimaient que le mouvement devait se durcir. Tous les sondages font état d’un raz-de-marée de détermination et de rejet de Macron et son gouvernement. On a eu 3,5 millions de manifestant.e.s à deux reprises, les plus grandes mobilisations depuis des décennies. Beaucoup plus est possible !

    Tract de Premier mai d’ASI-France

    Le piège des solutions institutionnelles

    Le mouvement a eu plusieurs vitesses. D’une part les bastions ouvriers en grève reconductible de manière continue ou intermittente depuis le 7 mars jusqu’à la deuxième moitié du mois d’avril, d’autre part des secteurs uniquement mobilisés lors des journées d’action de l’intersyndicale. Enfin, il y a les lieux de travail et les couches de la société qui soutiennent le mouvement, mais sont encore extérieures à la mobilisation. Elles doutent de l’entrée en action ou cela leur semble impossible face à l’absence de présence syndicale autour d’eux, etc.

    On ne peut activer ce potentiel en déviant la lutte vers les institutions, avec le Référendum d’initiative partagée (RIP) par exemple. Emprunter cette voie servirait de prétexte pour faire atterrir la mobilisation dans la rue et par la grève. Cela laisserait Macron et les médias dominants distiller pleinement le racisme et d’autres éléments de division dans la situation, comme l’illustrent la loi JO 2024, la loi immigration et l’opération militaire Wuambushu à Mayotte. À la France Insoumise, une volonté sincère de stimuler les luttes coexiste toutefois avec cette approche institutionnelle. Jean-Luc Mélenchon a souligné que «la lutte, c’est ce qui compte». Il avait également appelé l’intersyndicale à lancer une grève générale le 6 avril, comme en mai 68, par crainte «d’un étiolement de la lutte». «Ça serait unifiant et manifesterait la force», disait-il à juste titre.

    Reste que la meilleure manière de structurer une grève générale est de s’adresser à la base et non aux directions syndicales dont la réticence à s’engager sur cette voie est le principal problème rencontré par le mouvement. D’autre part, le succès d’une grève générale repose sur l’implication maximale dans la lutte. On a besoin de tout le monde. Les graves erreurs de gestion de l’affaire Quatennens par la France Insoumise dans une affaire de violences conjugales constituent de véritables entraves au rassemblement de toute la classe, femmes comprises.

    Construire la grève générale reconductible

    Si l’intersyndicale est restée soudée aussi longtemps – y compris avec la CFDT et même après la promulgation de la loi, ce qui est inédit – c’est qu’elle a été mise sous pression par les masses à chaque étape. Seule la mobilisation de la base en a assuré la solidité. La grève reconductible a été saisie dans certains secteurs durant cette lutte (énergie, chimie-pétrole, collecte et traitement des déchets). La plupart sont maintenant derrière nous, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elles ne peuvent pas renaître après avoir repris un peu de souffle, à l’image des éboueurs. Mais le constat est là : c’est impossible de tenir à long terme sans extension et élargissement.

    Les bastions du mouvement ouvrier doivent jouer le rôle moteur, ils restent l’instrument clé pour un mouvement victorieux, mais avec davantage d’attention pour entraîner dans leur sillage les secteurs et les couches moins mobilisées, et tout particulièrement la jeunesse qui s’est mobilisée de manière plus massive depuis le début du mois de mars.

    Des assemblées générales existent déjà dans une multitude de lieux de travail et d’étude et elles sont cruciales pour sortir de cette idée selon laquelle la discussion sur notre lutte se limite à la communication externe. Il doit s’agir avant tout du débat sur le programme, la stratégie et les tactiques de notre combat, axé sur les tâches de la construction de la grève générale reconductible.

    Des comités de grève anti-Macron doivent émerger de ces assemblées pour réunir sur tous les collègues sur les lieux de travail, syndiqués ou non, et faire de même dans les lycées, les universités mais aussi les quartiers et les immeubles. Cela deviendrait autant de quartiers généraux pour construire la grève générale reconductible et relier entre elles les différentes initiatives de lutte.

    De grandes soirées de rencontre pourraient être organisées à l’initiative de ces comités en invitant une délégation de grévistes des bastions les plus avancés dans la lutte aujourd’hui pour débattre de la meilleure manière d’approfondir et d’étendre la grève. Cela aiderait grandement à gagner les hésitants à la grève. À Paris, une caisse de solidarité queer a récolté plus de 50.000 euros à partir d’initiatives de la communauté LGBTQIA+ ! Des caisses de grèves ont également été créées par des boulangers du Nord et d’autres indépendants, illustrant que lorsque la classe travailleuse entre en action, elle peut tirer derrière elles d’autres couches de la société et se présenter comme la véritable dirigeante de la nation.

    Davantage d’attention doit également être accordée vers la jeunesse. Retrouver l’élan des mobilisations de la jeunesse de 2006 dans la lutte contre le Contrat Première Embauche (CPE) doit être l’objectif. Mais cette année déjà, au-delà de la mobilisation dans les cortèges et des occupations de lycées et universités, des délégations de jeunes sont par exemple venues assister des blocages d’incinérateurs, ce qui a permis de donner un peu de souffle à certains grévistes sans que le site ne puisse être relancé.

    Une prochaine étape de la lutte devrait d’ailleurs comprendre des initiatives vers l’occupation des lieux de travail. Où trouver de meilleurs quartiers généraux pour réunir les différentes initiatives locales et les coordonner qu’au cœur des lieux de travail ?

    L’objectif de ces comités de grève démocratiques anti-Macron à l’échelle locale, et plus largement ensuite, pourrait permettre d’impliquer dans l’action et la réflexion toute le soutien dont dispose le mouvement et de regrouper les multiples initiatives. C’est la structuration à la base qui est cruciale pour surmonter les réticences d’appareils syndicaux qui ont peur de ce qu’il pourrait advenir ensuite.

    Car la construction de la grève reconductible est une étape centrale, mais elle n’est qu’une étape dans la confrontation avec le régime capitaliste. Lui donner la perspective d’une “marche des millions” sur l’Elysée à partir des régions, assistée par la multiplication des “actions Robin des bois”, renforcerait son implantation. L’enjeu du combat dépasse très largement les retraites : c’est de la chute de Macron-Borne et de TOUTE la politique d’austérité dont il est question.

    Pour une société gérée par et pour la majorité

    La 5ème République ne fonctionne que pour les riches. La majorité, c’est nous ! En organisant la grève reconductible à la base, nous pourrions constituer ensuite une véritable assemblée constituante révolutionnaire démocratique reposant sur les délégués élus des comités de lutte locaux comme étape nécessaire vers un gouvernement des travailleuses et travailleurs et de toutes les personnes opprimées. Ce n’est qu’alors que nous pourrons disposer d’une société qui veillerait à l’épanouissement de chacun.e sur base des richesses que NOUS produisons et qui nous sont volées !

    TotalEnergies a annoncé un bénéfice net de 19 milliards d’euros en 2022, le plus gros de son histoire. Les entreprises du CAC 40 ont rendu à leurs actionnaires 80,1 milliards d’euros en 2022 ! Ces criminels climatiques et sociaux doivent être expropriés et nationalisés sous contrôle et gestion des travailleurs.euses. De telle manière, et avec la nationalisation des secteurs clés de l’économie (finance, grandes entreprises,…), il serait possible d’assurer un avenir décent à toutes et tous dans le respect de la planète grâce à une planification rationnelle et démocratique de l’économie.

    On peut balayer Macron et son gouvernement. C’est tout à fait possible. Nous n’aurons pas nécessairement de suite un gouvernement des travailleur.euse.s. Mais quel que soit le gouvernement qui suivra, il aura bien difficile à appliquer n’importe quel programme antisocial, car il sera d’emblée confronté à un mouvement ouvrier à la confiance enhardie, avec une avant-garde renforcée numériquement et qualitativement, mais encore de larges couches de travailleur.euse.s fraichement enrichies d’enseignements concernant la lutte pour une politique visant à renverser l’exploitation et l’oppression.

    1. Retour de la retraite à 60 ans.
    2. Pour une pension minimale alignée sur un salaire minimum augmenté à 2000€ net.
    3. Pour l’augmentation immédiate de tous les salaires de 10% et le retour de l’échelle mobile des salaires. Plaçons les secteurs à bas salaires sous contrôle public pour assurer un véritable statut au personnel, avec un bon salaire et de bonnes conditions de travail.
    4. Un emploi garanti et du temps pour vivre : pour une réduction collective du temps de travail, sans diminution des salaires, avec embauches compensatoires et diminution des cadences. Pour l’indépendance économique des femmes et la fin des emplois précaires.
    5. Pour un plan d’investissements publics massifs dans les secteurs du soin et du lien, dans l’éducation, les logements sociaux, les transports publics durables, ainsi que dans les mesures de protection du climat. Les services publics doivent répondre aux besoins ; ils doivent être de qualité, accessibles à tou.te.s, à moins de 30 minutes de son lieu d’habitation.
    6. Expropriation et saisie des richesses des milliardaires et réintroduction de l’ISF.
    7. Nationalisation des secteurs de l’énergie et des banques sous le contrôle et la gestion démocratiques de la classe ouvrière.
    8. La 5ème République s’est avérée être une république qui ne fonctionne que pour les riches, pour la constitution d’une véritable assemblée constituante révolutionnaire démocratique basée sur les délégués élus des comités de lutte dans les quartiers, les lieux de travail, les universités et les écoles comme étape nécessaire vers un gouvernement ouvrier véritablement démocratique fonctionnant selon les besoins de toutes et tous, et non pour les profits de quelques-uns.
    9. Nous avons besoin d’une économie sous propriété démocratique publique et écologiquement planifiée avec un réel contrôle démocratique exercé par les travailleur.euse.s des entreprises et la société dans son ensemble pour créer des millions d’emplois durables et bien rémunérés et construire une nouvelle économie verte.
    10. Vers une société socialiste démocratique reposant sur les besoins de la classe ouvrière, des jeunes, des opprimé.e.s et de la planète.

    Rejoignez Alternative Socialiste Internationale (ASI/ISA) !

    La bataille pour renverser le capitalisme et instaurer une alternative sociétale est internationale. Nous sommes organisés dans plus de 30 pays sur tous les continents (en Europe, mais aussi au Brésil, au Chili, au Mexique, aux USA, au Québec, au Nigeria, en Afrique du Sud, en Tunisie, en Israël/Palestine ou encore en Chine, où nous luttons contre la dictature meurtrière et capitaliste du PCC).

    Notre parti mondial n’est pas une addition d’organisations nationales qui entretiennent des relations lointaines, nos sections nationales se voient régulièrement, discutent et dressent ensemble des analyses et conclusions stratégiques pour construire l’outil révolutionnaire qui s’impose dans les conditions d’aujourd’hui.

    ASI/ISA France – alternative.soc.internationale@gmail.com – 00 33 7 68 79 63 05 (Isaure)

    [leform id=’2′ name=’Lid worden’]
0
    0
    Your Cart
    Your cart is emptyReturn to Shop