Category: International

  • Incendies à Hawaï : Notre planète brûle de la crise climatique née du capitalisme

    Au 13 août, au moins un millier de personnes sont portées disparues et plus de 93 sont confirmées mortes dans la catastrophe la plus meurtrière de l’histoire d’Hawaï : des incendies de forêt dévastateurs qui ont détruit des milliers de bâtiments et rasé des villes entières.

    Par Mandy Gee, Socialist Alternative (ASI-USA)

    Comment cela s’est-il produit ?

    Une série d’incendies s’est déclarée sur l’île de Maui le mardi 8 août. Si la cause directe des incendies n’est pas encore connue, le combustible ultime des flammes est le changement climatique mortel, qui a contribué à la gravité de cette crise.

    En l’espace de quelques semaines, Maui est passée d’un climat luxuriant à un climat sec (et donc plus propice aux incendies). Tout comme le Nord-Est et le Midwest ont souffert ces derniers mois de sécheresses suivies d’inondations soudaines et intenses, les zones tropicales plus chaudes seront également touchées par des “sécheresses soudaines” à mesure que le changement climatique s’intensifie.

    Les sécheresses soudaines sont si sèches et si chaudes que l’air aspire littéralement l’humidité du sol et des plantes, ce qui les rend plus susceptibles de s’enflammer. Fin mai, aucune partie de Maui n’était anormalement sèche ; une semaine plus tard, plus de la moitié de l’île était “anormalement sèche”. Le 13 juin, les deux tiers de l’île étaient soit anormalement secs, soit en état de sécheresse modérée. Et au cours de cette dernière semaine, environ 83 % de l’île a été soit anormalement sèche, soit en situation de sécheresse modérée ou sévère.

    Le changement climatique provoqué par le capitalisme rend les sécheresses plus rapides et plus furieuses, intensifiant le risque d’incendies de forêt. Le changement climatique accroît également la force des tornades et des ouragans, qui peuvent alors alimenter des “événements éoliens” plus violents, comme celui qui est à l’origine des incendies de Maui.

    L’histoire hawaïenne s’embrase

    Imprégnée d’une histoire hawaïenne vieille de 300 ans et vénérée par les Hawaïens, la ville de Lahaina, autrefois luxuriante et verdoyante, est aujourd’hui réduite à l’état de cendres.

    Plus de dix mille habitants de Maui sont privés d’électricité et le système hospitalier de l’île est submergé de grands brûlés et de personnes souffrant d’inhalation de fumée.

    L’incendie de Lahaina est le plus meurtrier aux États-Unis depuis plus de 100 ans, et les habitants comparent la dévastation à une zone de guerre. “L’étendue de la destruction de Lahaina vous choquera. Il semble qu’une bombe ait explosé”, a déclaré le gouverneur d’Hawaï, Josh Green.

    Alors que les flammes dévoraient la ville, plusieurs personnes ont été contraintes de sauter dans l’océan pour échapper à la scène apocalyptique, flottant pendant des heures avant d’être secourues par les garde-côtes américains. Des milliers d’habitants se retrouvent au chômage, voire sans abri. Des milliards de dollars seront nécessaires pour reconstruire.

    C’est loin d’être la première tragédie d’origine humaine à frapper les Hawaïens. En 1898, les États-Unis ont annexé l’île, donnant le coup d’envoi d’une longue lutte entre les habitants de l’île et l’impérialisme américain.

    Les États-Unis ont d’abord jeté leur dévolu sur Hawaï en raison de l’essor du commerce du sucre dans l’île, mais à mesure que les puissances impérialistes du monde entier se développaient, les îles hawaïennes ont été de plus en plus utilisées par l’armée américaine comme station de ravitaillement en carburant et installation navale stratégiquement précieuse au milieu du Pacifique. En effet, depuis la “découverte” d’Hawaï par les Européens au XVIIIe siècle, les terres hawaïennes ont été accaparées et utilisées à mauvais escient par des non-Hawaïens, souvent au détriment des Hawaïens et de leurs traditions.

    L’industrie très lucrative du tourisme est la dernière d’une série d’industries qui ont jeté leur dévolu sur les îles. Les paysages luxuriants des îles hawaïennes ont été une vache à lait pour les grandes chaînes hôtelières qui ont fabriqué de toutes pièces la dépendance des Hawaïens de souche et de la classe ouvrière à l’égard de cette industrie.

    Qu’adviendra-t-il de la classe ouvrière et des pauvres de Maui ?

    Dans le cadre du système capitaliste et de l’État qui le soutient, la reconstruction en cas de catastrophe naturelle n’est jamais garantie. Par exemple, une étude a révélé que le programme “Road Home” de la Louisiana Recovery Authority, qui aide les propriétaires à reconstruire après les ouragans Katrina et Rita, “a lésé les habitants des quartiers pauvres tout en donnant à ceux des quartiers riches plus de ce dont ils avaient besoin… Les habitants des zones les plus pauvres de la Nouvelle-Orléans – celles dont le revenu médian est inférieur ou égal à 15 000 dollars – ont dû couvrir 30 % de leurs coûts de reconstruction après les subventions de Road Home, l’aide de la Federal Emergency Management Agency et l’assurance. Dans les zones où le revenu médian était supérieur à 75 000 dollars, le déficit était de 20 %”.

    La situation est encore pire pour les habitants de Maui. Les incendies ont décimé un grand nombre de maisons et d’appartements où vivaient les personnes travaillant dans l’industrie touristique de Maui. L’île est depuis longtemps confrontée à une pénurie de logements, les logements abordables étant les moins accessibles pour les personnes qui font fonctionner l’île. Alors que les stations balnéaires et autres attractions touristiques ont consommé une grande partie des terres, les propriétés résidentielles ont également été utilisées abusivement comme propriétés de vacances pendant des années, ce qui a encore étouffé l’offre de logements et forcé les travailleurs à consacrer encore plus de temps et d’argent à déménager ailleurs, simplement pour avoir un toit au-dessus de leur tête.

    Aujourd’hui, avec plus d’un millier de bâtiments détruits, les travailleurs qui ont perdu leur maison seront probablement logés dans des hôtels, mais pour combien de temps ? Quand les entreprises qui les possèdent mettront-elles les personnes déplacées à la porte pour recommencer à faire des bénéfices ?

    Si les compagnies aériennes peuvent encore transporter des touristes pendant la pire catastrophe naturelle de l’histoire d’Hawaï, qui peut dire qu’elles ne continueront pas à donner la priorité à l’industrie du tourisme, comme l’a fait la classe dirigeante de Porto Rico après l’ouragan Maria de 2017 ? Le PRTC, l’organe directeur officiel de l’industrie du tourisme à Porto Rico, a déclaré l’île officiellement ouverte au tourisme en décembre 2017, trois mois seulement après l’ouragan – mais il a fallu onze mois pour que l’électricité soit entièrement rétablie sur l’île. Et en 2022, on estimait que plus de 3 000 personnes vivaient encore sans toit solide, leurs maisons étant recouvertes de bâches.

    Les travailleurs récemment déplacés de Maui n’ont cependant pas à partager ce sort. Dès que la vague de choc et de chagrin sera passée, les habitants pourront se regrouper et organiser la reconstruction de manière à ce que les pertes subies par tous les travailleurs soient indemnisées. Ce sont ces travailleurs qui font de Maui la destination touristique ultra-profitable que l’on connaît ; sans eux, l’île ne peut et ne doit pas fonctionner. Cette tragédie devrait inciter les travailleurs à se battre pour prendre en main l’industrie touristique, afin de garantir non seulement la stabilité des logements, mais aussi la conservation de leur belle île, qui continue d’être érodée par le développement immobilier haut de gamme et l’industrie touristique.

    Affronter les catastrophes climatiques nécessite un monde sans capitalisme

    Cette tragédie est due à 100 % au capitalisme et aux politiciens au pouvoir qui refusent de faire quoi que ce soit pour lutter contre la catastrophe climatique qui s’est déjà produite.

    Il est désormais tout à fait clair pour de nombreux travailleurs que la classe dirigeante a complètement et totalement échoué à prendre des mesures significatives pour lutter contre le changement climatique, qui résulte en premier lieu de son système de recherche du profit. Le capitalisme nous tue. Le sang de centaines de milliers, voire de millions, d’innocents est entre les mains des élites dirigeantes. Puisque les grandes entreprises et les politiciens capitalistes sont incapables de mettre en œuvre les changements nécessaires, car ceux-ci vont à l’encontre des piliers mêmes du capitalisme, nous devons nous battre nous-mêmes pour le changement.

    Les travailleurs, y compris ceux qui sont employés dans les industries polluantes, les familles qui cherchent à protéger leurs enfants et leurs parents âgés, les jeunes qui font face à la menace d’un avenir limité, et les personnes opprimées qui subissent les impacts brutaux du changement climatique combinés à la marginalisation résultant des divisions sociales du capitalisme, doivent s’unir dans une lutte indépendante pour obtenir l’aide dont nous avons le plus urgemment besoin, ainsi que les vraies solutions, une fois pour toutes, à la crise climatique.

    En fin de compte, cela signifie que les travailleurs doivent prendre l’industrie en main, mais cela ne sera possible que si nous pouvons construire un mouvement de masse de la classe ouvrière, avec un programme de revendications pour lier la lutte contre la crise climatique à la lutte contre la crise du coût de la vie, les bas salaires, et d’autres luttes en cours. Un tel programme ouvrirait la possibilité d’une action unie plus forte, rendrait possible des victoires concrètes et jetterait les bases d’un renversement du système capitaliste qui détruit la planète. Participez à la lutte pour un monde meilleur – un monde socialiste – et rejoignez-nous !

  • Coup d’Etat au Niger, et après?

    ASI s’oppose fermement à toute intervention militaire au Niger; nous appelons les masses de Côte d’Ivoire, du Nigeria et de toute la région à engager des actions décisives dans le cas où cette menace, soutenue en sous-main par l’impérialisme français, venait à être exécutée.

    Ory, Militant CI, ASI en Côte d’Ivoire

    Ce qui semblait être une rumeur est finalement devenu une certitude. Le président nigérien Mohamed Bazoum a été évincé du pouvoir par des militaires. Mais comment en sommes-nous arrivés là et quelles leçons tirer de ce énième putsch dans une région du Sahel confrontée aux djihadistes et à la pauvreté ?

    Si officiellement tout semble partir d’une volonté du président Bazoum de destituer son chef de garde rapprochée, les nouveaux hommes forts du pays justifient par contre leur acte par une dégradation de la situation sécuritaire -assortie de lourdes défaites de l’armée nigérienne contre les djihadistes depuis l’arrivée au pouvoir de Bazoum. Aussi l’armée juge-t-elle inutile l’omniprésence des forces onusiennes et françaises dans le pays.

    L’expérience montre pourtant que le djihadisme dans la région ne peut pas être défait sur une seule base militaire, car il a aussi une racine sociale -entre autres la question agraire qui ne trouve pas de solution, dans une situation où le changement climatique et la désertification rendent la pression sur les terres et les ressources plus grande encore.

    Mais le peuple dans tout ça ?

    On se souvient des nombreuses manifestations qu’il y avait eu dans le pays dès l’annonce de l’arrivée des militaires français, chassés du Mali. Et le jour même où des colonnes de l’ex-Barkane et Takuba ralliaient le Niger, des protestations avaient eu lieu. Mais les autorités nigériennes avaient minimisé cette colère, allant même jusqu’à qualifier de salutaire et bénéfique pour le pays cette présence militaire, tout en réprimant et interdisant les mobilisations contre cette dernière.

    On sait tous que les idées reprises par les masses ont une force matérielle. Le fait que l’armée française ait été chassée du Mali et du Burkina n’avait en rien interpellé le président, qui souhaitait profiter là d’une opportunité à saisir pour renforcer sa coopération avec les autorités françaises et ainsi construire une amitié solide avec l’impérialisme occidental et en particulier français dans la région sahélienne, devenue de plus en plus hostile. L’idée de Bazoum de faire du Niger un point d’appui et une base d’opération stable pour l’ancienne puissance coloniale au milieu d’une région en crise a à son tour volé en éclat. Ceci expose également la faillite de la démocratie bourgeoise, dans un pays qui avait été qualifié de “réussite démocratique” récente sur le continent, surmontant supposément un long héritage de coups d’État militaires.

    La faillite de la démocratie bourgeoise

    En effet, le soutien manifeste d’une partie de la population aux militaires et leur hostilité aux institutions légales révèlent la faillite de la démocratie bourgeoise. Ceci est valable au Niger, mais est plus généralement répandu dans toute la région. Il y a moins d’une décennie, la région avait été balayée par des mouvements contre les troisièmes mandats et pour la démocratie tels que « Y’en a Marre » au Sénégal et « Le Balai Citoyen » au Burkina. Cependant, les politiciens bourgeois qui ont détourné ces mouvements oublièrent bien vite les promesses sociales et réduisirent tout à une élection au suffrage universel au scrutin secret. Après quoi les classes dirigeantes, sous le couvert de la légalité, gardent le pouvoir économique et étatique, et de mèche avec l’impérialisme, se permettent tout tandis que les populations doivent attendre de nouvelles élections pour les sanctionner.

    Or, il est désormais question pour les peuples du Sahel d’être associés aux choix politiques, économiques et sociaux que font les dirigeants en leur nom ; de voir un peu plus clair dans la gestion des affaires publiques après les élections. Le mécontentement face à la situation de pauvreté, d’inégalités et de violence grandit, mais l’absence d’organisation indépendante permettant de porter ce combat sur une base de classe offre pour l’instant l’occasion aux militaires de combler le vide.

    On l’a bien constaté avec ce qui vient de se passer au Niger que les masses populaires n’accordent plus aucun crédit aux appels de retour à l’ordre institutionnel, à la légalité constitutionnelle. Finalement, les gens sont devenus sourds aux appels des institutions capitalistes internationales (Cedeao, UA, UE, ONU). La CEDEAO joue sa crédibilité politique après autant de coups d‘État dans la région. Elle a condamné le coup de force et menace maintenant d’intervenir militairement, dansant du même pied que la France laquelle s’est dite prête à réagir si les “intérêts français” étaient touchés. Tout en n’accordant aucun soutien aux nouveaux chefs militaires à Niamey, ASI s’oppose fermement à toute intervention militaire au Niger, qui fait planer la menace de davantage de déstabilisation, de violence et de misère pour les populations de la région ; nous appelons les masses de Côte d’Ivoire, du Nigeria et de toute la région à engager des actions décisives dans le cas où cette menace, soutenue en sous-main par l’impérialisme français, venait à être exécutée.

    Le manque d’alternative

    Malgré tout, nous constatons que les populations sont prises entre le marteau et l’enclume. Elles sont opposées aux autorités civiles « légales », mais l’absence des partis politiques de lutte capables de porter solidement leurs revendications légitimes, les pousse à soutenir des putschistes qui ne doivent leur importance qu’à une absence d’alternative crédible.

    Pourtant, la courte expérience des coups d‘État au Mali et au Burkina Faso démontre déjà que les nouveaux régimes militaires n’ont aucun programme ni même l’intention de résoudre les problèmes profonds engendrés par l’appropriation privée et le pillage des ressources de ces pays par les grandes entreprises, la cause profonde de la pauvreté de masse et de tous les maux sociaux infligés à ces sociétés. Au Mali, le régime militaire a brutalisé des travailleurs grévistes. Les couches supérieures de ces régimes, comme le nouveau chef de la junte nigérienne Abdourahamane Tiani, ont eux-mêmes profité de ce système pendant des années.

    Les conditions actuelles, marquées à la fois par un immense mécontentement face à la détérioration du statu quo et par l’absence d’une organisation politique qui pourrait regrouper la masses des travailleurs, des pauvres et des jeunes autour d’une lutte pour satisfaire leurs propres besoins et intérêts, conduisent beaucoup à penser que la Russie — qui tente d’exploiter à son compte les coups portés à l’impérialisme français et américain en Afrique de l’Ouest et l’explosion de colère contre l’ex-maître colonial — pourrait être un partenaire plus fiable et désintéressé sur lequel s’appuyer.

    Mais il ne faut pas se faire d’illusions sur le fait que la Russie, ni la Chine d’ailleurs, représentent une alternative favorable aux travailleurs et aux peuples. Le désir des masses de transformer leur vie et de se débarrasser de l’emprise impérialiste sur leur pays ne trouvera aucune issue positive par le simple remplacement d’une dépendance impérialiste par une autre, par des puissances tout autant guidées par leur propre agenda, cherchant à étendre leur propre influence géopolitique sur le continent dans le cadre d’une nouvelle “ruée vers l’Afrique”. Tous les impérialismes soutiennent des dictatures et s’emparent des ressources naturelles. Le peuple nigérien doit pouvoir déterminer son propre avenir à l’écart de toute forme d’ingérence étrangère. Avec ses frères et sœurs de classe dans toute la région, il devra mener une lutte selon ses propres termes, afin de reprendre le contrôle souverain sur la manière dont les vastes richesses du pays sont utilisées.

    Dans cette période de turbulence dans le Sahel, ASI encourage la construction d’embryons de lutte dans cette région avec une analyse claire sur les limites du capitalisme, le rôle de l’impérialisme, l’échec des institutions de la bourgeoisie, l’échec des investissements de guerre fait par les régimes militaires du Mali et du Burkina en relation avec leur impact sur les investissements dans les services sociaux de base: santé, éducation, eau potable, électricité etc.

    ASI défend la nationalisation des secteurs-clés (tels que les mines d’uranium) sous contrôle démocratique des travailleurs et de la population afin d’utiliser leur potentiel pour répondre aux besoins: des investissements massifs en vue de développer l’infrastructure et les services publics, la création d’emplois décents pour les jeunes, des aides substantielles à l’adaptation climatique pour les petits paysans etc. Le peuple nigérien doit mener cette bataille au sein des syndicats et dans la rue, et construire des organisations révolutionnaires capables de formuler de telles revendications pour les populations de la région, et prêts à lutter jusqu’au bout pour les matérialiser.

  • Insorgiamo ! La formidable histoire du collectif d’usine GKN à Florence

    De l’occupation d’usine à la reconversion durable

    Le 9 juillet 2021, la multinationale GKN, détenue par le fonds financier Melrose, a envoyé un mail aux plus de 400 travailleurs employés dans son usine de Campi Bisenzio (Florence). Ils étaient licenciés. L’usine, rentable, ne l’était toutefois pas assez. À la suite d’une assemblée générale, le personnel a occupé l’usine. Elle l’est toujours aujourd’hui et les métallos ont eux-mêmes récemment relancé la production pour produire des batteries électriques et des panneaux solaires. Nos camarades italiens de Lotta per il socialismo en ont discuté avec Francesco Iorio, membre du collectif d’usine de l’ex-GKN.

    Votre collectif d’usine existe depuis 2017. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’histoire du collectif ?

    Nous sommes nés de l’usine FIAT de Florence. En 1994, FIAT a décidé de fermer sa succursale puis de vendre une partie de sa production à GKN. Parallèlement, un changement de génération a eu lieu dans la délégation syndicale. Nous nous sommes rendu compte que dans les assemblées, il y avait beaucoup de participation à l’écoute, mais beaucoup moins à l’action. Notre expérience du militantisme social et politique nous a poussés à chercher à créer un instrument qui nous relie au monde qui nous entoure et qui nous permette en même temps de nous organiser au sein de notre usine. C’est ainsi qu’est né le collectif d’usine GKN.

    Les décisions sont prises lors d’assemblées générales, soit dans l’entreprise après la fin du travail ou dans d’autres espaces sociaux en soirée. C’est là que sont discutées les initiatives à prendre ou auxquelles on veut participer, chacun ayant son mot à dire. Un vote simple est ensuite organisé pour décider ce qu’il est préférable de faire ou de ne pas faire. Tout le monde peut proposer ses idées.

    Dès qu’une lutte se développait sur le terrain, syndicale ou autre, le collectif d’usine sortait montrer sa solidarité et voir ce qui se passait, en participant ainsi également aux luttes d’autres entreprises en difficulté par des grèves, des collectes de fonds et une présence constante aux manifestations. Toute cette solidarité nous est revenue quand nous en avons eu besoin.

    Comment avez-vous géré votre plan de reconversion de l’entreprise ?

    Beaucoup de personnes solidaires nous ont fait profiter de leur expertise tout simplement parce que chacun voulait voir une autre façon de faire tourner l’industrie. Pas une industrie basée sur un patron qui ramasse tout et s’en va quand ça lui chante, comme dans notre cas. Nous avons vu l’opportunité de développer une industrie différente, une industrie basée sur des principes de solidarité, d’éthique, de prise en compte du changement climatique, avec les compétences de solidarité de tout un territoire, d’ingénieurs aux juristes.

    De nombreuses propositions nous sont parvenues et nous en avons discuté durant vingt mois. Ensuite, nous nous sommes orientés vers la production de panneaux solaires et de batteries électriques. Nous pensons qu’il faut donner de l’argent public à des entreprises publiques et non de l’argent public à des entreprises privées, comme cela a été fait jusqu’à présent. Surtout, ces entreprises doivent être aux mains des salariés. On nous a donné des indications, mais on a tout fait nous-mêmes. Notre idée est de créer un pôle public qui va dans le sens de la mobilité durable. Très souvent, l’expertise que nous obtenons provient des travailleurs solidaires, mais cela pourrait devenir un partenariat avec l’université publique.

    À côté de cela, nous continuons à soutenir toutes les luttes. Ces vingt mois nous ont aussi fait grandir culturellement. Il y a tellement de questions que nous ne nous posions pas avant et qui, dans cette situation, nous ont fait prendre conscience qu’il y a un autre monde à l’extérieur. Nous avons donc donné un sens à ce que nous appelons la convergence des luttes. Nous venions de vingt ans de retard du mouvement syndical dans tant de luttes qui étaient moins visibles : des travailleurs précaires aux femmes, au mouvement LGBTQI+, au mouvement écologique. Nous avons compris que seul, personne n’est sauvé. Notre exemple est de dire : « Il n’y a plus d’emploi sûr, on peut être licencié à tout moment. Alors, pourquoi ne pas se mettre tous ensemble pour faire valoir les droits de chacun ? » Et ensemble, nous avons aussi montré qu’il peut y avoir un autre avenir que celui que l’on veut nous faire croire.

    Les communiqués de presse du collectif, avec des détails sur leur militantisme et leurs campagnes de crowdfunding, sont disponibles via leur newsletter : https://actionnetwork.org/forms/newsletter-collettivo-di-fabbrica-gkn.

  • Élections dans l’État espagnol : impasse et polarisation

    La droite ne parvient pas à obtenir de majorité, une nouvelle crise gouvernementale s’ouvre dans l’État espagnol

    Dans le monde entier, on se demandera, étant donné les conditions sociales dans l’État espagnol (avec 2,8 millions de personnes dans la pauvreté absolue, la montée en flèche des prix de l’énergie et des denrées alimentaires et de nombreux travailleurs et communautés en lutte, sans parler des traditions de combat de la classe ouvrière), comment il se fait que le Parti populaire de droite, avec le soutien de l’ultra-droite VOX, soit à portée de main du pouvoir ?

    Par John Hird, Alternativa Socialista (ASI dans l’Etat espagnol)

    Nous voulons offrir une analyse sobre de ce qui se passe, non pas seulement l’instantané que représente une élection, mais le film des événements et des processus à l’œuvre pour tenter d’expliquer comment nous en sommes arrivés là aujourd’hui et quelles en sont les conséquences.

    Après la victoire de la droite aux dernières élections locales et régionales, nous avons déjà signalé les problèmes de l’incapacité de la gauche à mettre en œuvre sa politique dans les différentes mairies et gouvernements autonomes ainsi que du manque d’unité autour d’un programme de gauche clair et combatif. Des millions de travailleurs et de jeunes dans l’État espagnol redoutaient la montée de la droite et un éventuel gouvernement PP -VOX après le 23 juillet, sans pour autant se sentir inspirés par l’alternative de gauche qui leur était proposée.

    Au cours de la campagne électorale, Sánchez (PSOE) a fait de la crainte de voir VOX entrer au gouvernement sa principale arme, ce qui a eu un certain effet dans les derniers jours de la campagne, lorsque les électeurs ont envisagé la possibilité de voir un parti d’extrême droite au pouvoir. VOX a finalement perdu 19 sièges tandis que le PP en a gagné 47.

    Des résultats serrés

    Les résultats sont très serrés : le PP a obtenu 33,1 % des voix contre 31,7 % pour le PSOE, soit une différence de 330.953 voix seulement. VOX se retrouve troisième parti avec 3.033.78 voix (12,4 %) et la nouvelle coalition de gauche SUMAR est quatrième avec 3.013.899 voix (12,3 %).

    La participation aux élections a augmenté de 4,2 % par rapport à 2019, pour atteindre 70,39 %. Depuis les premières élections de la démocratie espagnole en 1977, la participation moyenne aux élections générales a été de 72,28%, atteignant même 82% à des moments cruciaux comme en 1982.

    Dans les quartiers populaires, les gens ont vu de leurs propres yeux l’incapacité de la coalition PSOE-UP (Unidas Podemos) à les soutenir. L’incapacité du PSOE à inspirer les électeurs, conjuguée à la crainte de voir VOX parvenir à entrer au gouvernement, sont les principaux facteurs de l’impasse électorale. 90 % des promesses du programme électoral du PSOE-UP de 2019 n’ont pas été tenues.

    Les travailleurs en lutte

    De nombreuses couches de la classe ouvrière ont été impliquées dans des luttes importantes et sérieuses, mais elles n’ont pas été soutenues par le gouvernement de “gauche”. En 2021, à Cadix, une grève acharnée des métallurgistes a éclaté et le gouvernement de coalition a autorisé l’utilisation de petits véhicules blindés pour attaquer les grévistes dans leurs quartiers. Les travailleurs des secteurs de la santé, de l’éducation et des transports ont tous fait grève, mais la coalition n’a pas respecté son engagement de réformer les lois restrictives sur le travail.

    La “loi sur le bâillon”, utilisée pour emprisonner les jeunes rappeurs et faire taire tous ceux qui critiquent la royauté, les hommes politiques, les riches et les puissants, est toujours en vigueur.

    Les coupes budgétaires dans l’éducation et la santé n’ont pas été annulées et la crise du logement se poursuit à un rythme soutenu, avec des familles jetées à la rue en raison de la pauvreté et l’absence de construction de logements sociaux.

    Les lois progressistes en faveur des femmes et de la communauté LGBTQIA+ ont été partiellement sabotées et les lois racistes restent en place, de même que les attaques meurtrières de la Guardia Civil contre les réfugiés et les migrants à Melilla. Sánchez a même déclaré à l’époque qu’il s’agissait d’un “travail bien fait”.

    Le rôle de la gauche

    La nouvelle coalition de gauche n’a pas non plus réussi à inspirer les jeunes et la classe ouvrière. SUMAR est dirigée par Yolanda Díaz, qui était ministre du travail et de l’économie de Sanchez. Díaz a créé SUMAR pour permettre la poursuite de la carrière parlementaire des députés de Podemos et d’IU (Izquierda UNida) qui, lorsqu’ils étaient en coalition avec le PSOE, ont subi une chute massive de leur soutien en raison de leurs promesses électorales non tenues.

    Alternativa Socialista (ASI dans l’État espagnol) s’est opposée à ce que Podemos et IU entrent dans une coalition à l’époque. Nous avons insisté pour qu’ils soutiennent plutôt la formation d’un gouvernement PSOE minoritaire afin d’avoir la liberté de critiquer le gouvernement depuis la gauche.

    Malheureusement, l’entrée en coalition a presque anéanti le projet de Podemos. Sa figure de proue Pablo Iglesias s’est retirée de la politique et la classe ouvrière est sceptique quant à l’engagement des “camarades parlementaires” en faveur d’un véritable changement.

    Dans les colonnes des journaux et les podcasts des médias qui soutiennent la « gauche » parlementaire, on observe une certaine condescendance à l’égard des jeunes et des électeurs de la classe ouvrière qui ont adopté une position abstentionniste. La « gauche » officielle n’essaie pas d’analyser les raisons du manque d’enthousiasme pour la coalition. Elle cite les statistiques du gouvernement et affirme qu’il s’agit du gouvernement le plus « progressiste » de mémoire d’homme.

    Quelle est la réalité ?

    Les élections régionales et locales, au cours desquelles des personnalités de gauche comme Ada Colau (qui était maire de Barcelone) ont perdu le pouvoir, ont marqué un tournant. Elles ont révélé que la masse de la classe ouvrière ne considère pas la coalition dite “progressiste” comme telle. Elle n’a pas fait une réelle différence dans leur vie.

    Colau et d’autres mouvements de gauche autour de Podemos avaient été portés au pouvoir par de puissants mouvements de rue, tels que “Los Indignados” (né en 2011) et, dans le cas de Colau, un mouvement pour le droit au logement. Une fois au pouvoir, ces élus ont peu à peu abandonné leurs programmes radicaux et se sont fondu dans les institutions. Il s’agit d’un important point à saisir pour comprendre la difficulté qu’a eue la gauche à faire barrage à la droite lors des élections législatives.

    La peur de l’ultra-droite

    Cependant, il ne s’agit pas d’un changement fondamental vers la droite au sein de la classe ouvrière et de la jeunesse de l’État espagnol. Les votes supplémentaires engrangés par le PSOE et le SUMAR au cours des derniers jours de la campagne sont dus à la crainte de voir l’ultra-droite au pouvoir. Ce n’est toutefois pas à considérer comme une approbation du bilan de la coalition.

    Yolanda Díaz est membre du PCE (le parti communiste espagnol) et, fidèle à cette tradition, elle a purgé des listes électorales les derniers députés combattifs et de gauche de Podemos. Même la ministre de l’égalité et dirigeante de Podemos Irene Montero a été écartée. Montero est considérée comme une combattante des droits des femmes et de la communauté LGBTQI+. Elle a subi des attaques horribles et dégoûtantes de la part de la droite et de la presse en raison de sa position en faveur des droits des personnes transgenres. Son exclusion des listes électorales a encore plus démoralisé les militants de gauche.

    La campagne de Sánchez et Díaz s’est appuyée sur des publicités peu convaincantes, utilisant des statistiques pour affirmer que l’économie se porte bien, que l’inflation est sous contrôle et qu’un nombre record de personnes ont un emploi. Ces statistiques ne correspondent pas à la réalité vécue dans les quartiers populaires où les travailleurs pauvres vivent avec des salaires bien inférieurs à la moyenne.

    Les résultats électoraux confirment que l’État espagnol reste extrêmement polarisé. La progression du PP ne signifie pourtant pas qu’il gagne les cœurs et les esprits. Son avance est due à un déplacement des voix vers la droite.

    Le parti de centre-droit Ciudadanos (Parti des citoyens) s’est quant à lui effondré et a presque disparu. Il avait été créé par la classe dirigeante pour semer la confusion et capter les électeurs qui s’étaient orientés vers la gauche au cours de la période précédente. Le PP pourrait avoir obtenu environ 900.000 voix de ce parti et environ 700.000 électeurs de VOX ont transféré leur vote au PP en raison de l’idée du vote “utile”, c’est-à-dire un vote pour un parti qui peut constituer un gouvernement, point sur lequel le PP a mené une campagne acharnée.

    Après les élections locales et régionales, Vox est entré au gouvernement de plusieurs villes et provinces. Dans le village de Náquera, à Valence, ils ont interdit les manifestations de soutien et de commémoration des femmes victimes de féminicides. VOX a également convaincu le PP d’interdire l’utilisation du terme “violencia de genero” (violence de genre) et d’utiliser à la place le terme “violence inter-familiale”, ce qui constitue une tentative de nier l’existence de la violence à l’égard des femmes.

    Ils proposent également d’interdire les drapeaux LGBTQIA+ dans les bâtiments municipaux et ont déclaré qu’une fois obtenu le portefeuille de l’éducation au pouvoir, ils essaieront d’interdire les cours sur l’égalité des femmes et des LGBTQIA+ dans les écoles espagnoles. Ils ont également déclaré vouloir limiter l’autonomie régionale au Pays basque et en Catalogne et restreindre l’enseignement des différentes langues minoritaires dans l’État espagnol.

    Pendant la campagne électorale, le parti d’extrême droite a demandé à faire partie du gouvernement à Madrid. Cette possible réalité cauchemardesque explique pourquoi de nombreux travailleurs ont voté pour le PSOE et le SUMAR en se pinçant le nez. Ce processus a permis au PSOE d’être le principal parti au Pays basque et en Catalogne. En Catalogne, bien que les partis indépendantistes soient décisifs quant à la possibilité pour Sánchez de former un gouvernement, leur vote global a diminué.

    Les questions nationales

    Les questions nationales, historiquement non résolues, fluctuent au sein de l’État espagnol. Une victoire de la droite, en particulier avec la participation de VOX, aurait exacerbé les tensions nationales. En 2020, VOX a déjà proposé une loi qui rendrait illégaux les partis indépendantistes catalans et basques. Lors des récentes élections locales dans la capitale basque, Vitoria-Gasteiz, le parti nationaliste basque de gauche, EHBildu, a remporté la majorité pour la première fois. En 2015, Podemos a remporté le plus grand pourcentage de voix lors des élections au Pays basque, avec 26,02 %. Depuis, l’expérience de Podemos au pouvoir a provoqué un glissement vers EHBildu, en particulier chez les jeunes.

    La crainte de voir VOX entrer dans une coalition avec le PP et insister sur la poursuite de ses politiques provocatrices a durci l’opposition au PP et à VOX au Pays basque, où le soutien au parti de gauche pro-indépendance EHBildu a augmenté.

    Au Pays basque, le PSOE a remporté la plupart des voix et des sièges au parlement espagnol, suivi de près par le parti nationaliste de gauche EHBildu qui a remplacé le parti nationaliste basque bourgeois, le PNV, en tant que principale force indépendantiste.

    En Catalogne, le PSOE est arrivé en tête des sondages avec 34,5 % des voix, suivi de SUMAR avec 14 %. Le PP arrive en 5ème position derrière les partis indépendantistes catalans, ERC et Junts. VOX n’a réussi à obtenir que deux sièges.

    Qui formera le gouvernement ?

    L’arithmétique électorale signifie que ni le PP ni le PSOE ne peuvent former un gouvernement à eux seuls et Sánchez a atteint son objectif d’empêcher VOX de former une coalition avec le PP puisque les partis de droite n’ont pas suffisamment de sièges.

    Feijóo tentera de former un gouvernement, mais il lui sera extrêmement difficile d’atteindre les 176 sièges nécessaires pour former une majorité. L’échec des élections a provoqué une nouvelle crise au sein du PP. Lorsque Feijóo s’est exprimé dimanche soir sur le balcon du siège du PP à Génova, son discours a été interrompu par des cris de “¡Ayuso, Ayuso !”. Isabel Ayuso est la présidente populiste de la région de Madrid qui a joué un rôle décisif en forçant le dernier dirigeant du PP, Pablo Casado, à démissionner sur la question de la collaboration avec Vox.

    Il est possible que Sánchez parvienne à mettre sur pied une coalition impliquant directement SUMAR, avec le soutien de divers partis indépendantistes de Catalogne et du Pays basque. Dans le passé, le PNV a soutenu les gouvernements du PP, mais avec EHBildu à sa gauche, cela semble peu probable aujourd’hui. De plus, cela signifierait approuver une coalition avec VOX, un parti qui a publiquement déclaré qu’il essaierait d’interdire les partis indépendantistes s’il accédait au pouvoir.

    Pendant la campagne électorale, le PP a cyniquement évoqué le fantôme de l’ETA, ce qui n’a guère eu d’effet au Pays basque. Cependant, la presse espagnole rapporte qu’un fantôme vivant pourrait revenir hanter les principaux partis. Carles Puigdemont, l’ex-président de la Catalogne qui a fait une déclaration d’indépendance de courte durée en 2017, pourrait être la clé d’un éventuel gouvernement du PSOE, car Sánchez aurait besoin des voix de son parti, Junts, pour former un gouvernement.

    L’incapacité des principaux partis traditionnels à obtenir une majorité à eux seuls est un signe de la crise des partis de droite et sociaux-démocrates.

    Les nouvelles formations de gauche ont également échoué. La constitution espagnole de 1978 et le système électoral sont truqués pour empêcher un changement réel et fondamental. Depuis la “movida madrileña” des années 1980, en passant par le mouvement des “Indignados” et le magnifique mouvement féministe de ces dernières années, les changements culturels et les droits des femmes et de la communauté LGBTQI+ ont été défendus et gagnés dans les rues par des mouvements de masse, puis seulement approuvés par les politiciens.

    L’idée selon laquelle la participation de VOX au gouvernement signifierait qu’ils seraient en mesure de revenir à l’époque de Franco est ridicule. Cependant, cela introduirait un élément perturbateur supplémentaire dans la situation politique. C’est pourquoi les bourgeois espagnols les plus clairvoyants préféreraient gouverner sans VOX, même si l’arithmétique électorale pourrait les y obliger à l’avenir.

    Pour l’instant, il y aura des mois de marchandage politique qui pourraient aboutir à une coalition du PSOE ou à de nouvelles élections, ce qui signifie que la possibilité d’un gouvernement PP incluant VOX n’est pas à l’ordre du jour.

    La situation réclame un parti basé sur la classe ouvrière et la jeunesse avec un programme de gauche sans équivoque. Un tel parti ne sortira pas des manœuvres parlementaires que nous verrons dans les mois à venir dans l’État espagnol.

    N’oublions pas que Podemos a été porté au pouvoir grâce à un mouvement de masse semi-spontané. Los indignados” et “15 de mayo”. Certaines des formations et coalitions de gauche locales et régionales qui incluaient Podemos étaient au pouvoir depuis 2016.

    Bien sûr, une éventuelle victoire de la droite sera un revers, mais pas une défaite fondamentale pour la classe ouvrière. Il y aura un choc initial, mais les travailleurs et travailleuses finiront par provoquer un tourbillon d’opposition s’ils tentent de mettre leurs menaces à exécution. Une victoire parlementaire de la droite n’empêchera pas non plus des mouvements similaires au niveau, sinon plus élevé, de “Los Indignados” et du mouvement féministe à l’avenir, et les militantes et militants marxistes doivent s’y préparer.

  • Existe-t-il une issue à la guerre entre la Russie et l’Ukraine ?

    Le dossier suivant a été initialement publié en anglais le 20 juin, juste avant mutinerie de Prigojine et de ses mercenaires de Wagner. Nous vous invitons à également prendre connaissance du commentaire que nous avons livré au sujet de ces événements : Fin du premier acte de la pièce de théâtre « L’effondrement du régime de Poutine »

    Par Walter Chambers (ASI)

    La fin de la guerre d’Ukraine parait toujours aussi lointaine, tandis que les coûts humains, sociaux et économiques continuent d’augmenter, pas seulement en Ukraine même, mais aussi dans le monde entier. En Ukraine, six villes ont été effacées de la carte, dont Marioupol et Sievierodonetsk, dont la population combinée est égale à celle de Dublin ou de Düsseldorf.

    Bakhmout, qui avait une population de plus de 100 000 habitants, a été détruit. Si les forces russes n’ont pas réussi à faire la moindre avancée au cours de l’hiver, elles ont attaqué les infrastructures de l’Ukraine, restreignant l’approvisionnement des grandes villes en électricité. Cependant, la destruction du barrage de Kakhovka, qui est le résultat direct de l’invasion russe de l’Ukraine, est une catastrophe majeure sur les plans humain, économique et écologique, dont les répercussions se feront sentir pendant des années.

    De plus en plus de bases militaires et de sites de dépôt de carburant sont ciblés en Russie elle-même. Des drones ont attaqué Moscou et d’autres villes ; il y a eu des incursions de troupes dans des villes voisines de l’Ukraine. Les puissances occidentales ont encore intensifié leurs approvisionnements en armes, tandis que la Chine a cherché à mettre en avant son « plan pour la paix ». À mesure que la nouvelle guerre froide s’approfondit, les grandes puissances impérialistes font étalage de leurs muscles.

    Un désastre pour le Kremlin

    Le régime a annexé quatre régions d’Ukraine en septembre et mobilisé 300 000 soldats. En novembre, il a dû opérer une retraite humiliante de la région de Kherson. Depuis, il n’a fait aucun progrès digne de ce nom. Il lui a fallu plus de dix mois d’âpres combats pour prendre Bakhmout : un cout énorme en vies humaines pour n’obtenir, de l’avis de nombreux stratèges militaires, une position à l’avantage purement tactique. Tandis que l’Ukraine entame sa controffensive, il est possible que le régime russe commence à perdre le contrôle.

    Les forces russes avaient désespérément besoin de prendre Bakhmout pour afficher ne serait-ce qu’une victoire. La bataille a été menée par le célèbre groupe de mercenaires « Wagner », dont le chef, Yevgueniy Prigojine, s’attaque de plus en plus vertement à l’armée et à ses dirigeants. Ses forces ont même fini par se battre contre les soldats de l’armée régulière au moment où elles se retiraient de la ville. Prigojine a publié une vidéo avec ses troupes dans les mines de sel voisines ; il ne fait aucun secret du fait qu’il pille les zones qu’il capture. .

    En Russie, chaque coup porté par les forces ukrainiennes provoque une condamnation virulente de la part des dirigeants de l’armée et, de plus en plus, du Kremlin lui-même, à travers son « parti de la guerre ». Pendant que Poutine délivrait son adresse de Nouvel An accompagné par des acteurs vêtus en tenue de soldat, des dizaines de combattants nouvellement mobilisés qui le suivaient à partir d’une salle dans la banlieue de Donetsk ont été tuées par un missile HIMARS qui visait les signaux émis par leurs téléphones portables. De nombreux officiers s’en sont toutefois sortis indemnes, vu que leur propre fête avait lieu dans un endroit bien plus luxueux.

    La colère, bien que confuse, croît contre l’incompétence du commandement militaire, mêlée à des demandes de vengeance qui se sont exprimées lors des funérailles de ces jeunes soldats. Dans le même temps, d’autres personnes se demandent pourquoi attaquer l’Ukraine, alors que « la Russie a déjà ses propres problèmes ». Ailleurs, des parents ont protesté devant une école contre la pose d’une plaque commémorative à un meurtrier condamné, tué alors qu’il combattait pour Wagner, alors qu’il n’y a pas d’argent pour réparer les toilettes de l’école.

    L’économie russe

    Le PIB russe a chuté de 2,1 % en 2022. On voit toutes sortes de prévisions contradictoires concernant son avenir en 2023 : l’OCDE entrevoit une chute de -5,6 %, la Banque centrale russe parle d’une croissance de +1 %. Ces divergences sont l’expression de changements de grande ampleur et chaotiques au sein de l’économie russe, qui compliquent le suivi de la situation réelle. Mais même les récentes prévisions, plus optimistes, masquent le fait que, pour les travailleurs, la guerre et ses conséquences sont bel et bien en train de causer des dégâts très réels.

    Le taux d’inflation était officiellement de 12 % en 2022. Mais la hausse des prix a été beaucoup plus élevée pour les biens essentiels. Certaines denrées alimentaires de base ont même vu leur prix monter de 30 à 50 %. Pendant ce temps, même en temps de guerre, la richesse des Russes les plus riches augmente de façon spectaculaire. Le revenu nominal des entreprises et des entrepreneurs ont crû de 26 %, tandis que le revenu des personnes qui dépendent des salaires et des retraites n’ont connu que 12 % d’augmentation. Pour cette dernière catégorie, le revenu réel disponible a chuté de 6 %, prolongeant une tendance à la baisse qui dure depuis 2008. Pour le magazine Forbes, « la Russie et l’Asie centrale » est la région du monde dans laquelle la part de richesse nationale qui appartient aux 1 % les plus riches est la plus élevée (45,9 %).

    Ce serait déjà assez mauvais en temps normal, mais nous ne vivons pas une époque normale. C’est en 2008, après dix années de croissance économique, à une époque où il existait encore une relative coopération au niveau mondial, qu’a éclaté la guerre entre la Russie et la Géorgie. La Russie a contribué plus de 200 milliards de dollars aux plans de stimulus économique qui ont suivi la grande récession de 2008-2009. C’est après cette crise qu’on a vu s’interrompre la tendance à la mondialisation. À partir de 2014, la Russie annexait la Crimée et faisait face à des sanctions, certes modérées. Les investissements directs étrangers en Russie ont atteint leur sommet en 2008 (75 milliards $). Ils ont connu un nouveau pic en 2013 (69 milliards $). Depuis, ils ne valent plus en moyenne que 22 milliards $ par an.

    En 2022, le flux d’investissements directs étrangers a été négatif, en raison du retrait des entreprises occidentales, principalement des marques connues employant une main-d’œuvre importante et dont la rentabilité était faible. En fait, seules 18 % des filiales d’entreprises états-uniennes, 15 % des filiales japonaises et 8 % des filiales d’entreprises européennes se sont complètement retirées de Russie. Cependant, ce désinvestissement touche surtout certains secteurs industriels stratégiques. C’est ainsi que les ventes de voitures neuves ont chuté de 80 % en 2022. Le vide laissé par le départ de Toyota, Ford et Volkswagen est comblé par des modèles russes ou iraniens, plus basiques. Les anciennes usines BMW et Nissan négocient des contrats avec des fabricants chinois.

    En fait, la production industrielle a connu une légère hausse en 2022, car la production a été intensifiée afin de remplacer les produits occidentaux et, surtout, produire des armes. Les usines d’armement ont reçu pour instruction de travailler nuit et jour pour produire des chars, de l’artillerie, des drones et autres armes mortelles. En dépit de la corruption et de l’inefficacité notoires, au moment où les cent premiers chars occidentaux arriveront en Ukraine, la Russie aura assemblé deux fois plus de nouveaux chars, et en aura réparé ou modernisé 300 autres.

    Du fait de l’état antérieur de la technologie, les modules de contrôle des voitures et des systèmes d’armement russes dépendent de puces produites par l’Occident ou la Chine. Lorsque la production de la nouvelle voiture « Moskvitch » a débuté dans l’ancienne usine Renault, il manquait les puces nécessaires aux airbags et aux systèmes de freinage modernes. Pour contourner les sanctions, le pays recourt à un système complexe d’« importations parallèles », qui consiste à acheter des pièces par le truchement de pays tiers, tels que la Turquie ou Hong Kong. L’État a à présent dégagé 40 milliards de dollars pour moderniser l’industrie russe des puces, afin de produire ses propres puces de 28 nm d’ici 2030. Il s’agit du niveau de technologie atteint par Taïwan en 2011. D’ici 2030, Taïwan produira des puces de 2 nm. [Le sigle « nm » signifie « nanomètre », une unité de grandeur. En gros, il se rapporte à la taille des transistors sur la puce : plus la taille est petite, plus la puce est puissante.]

    Le pétrole russe se vend toujours

    Jusqu’ici, les sanctions appliquées par l’Occident contre les exportations russes de pétrole et de gaz connaissent un échec retentissant. Les restrictions imposées par l’UE sur les importations de pétrole russe ont été compensées par la hausse des ventes à d’autres pays, bien qu’à un prix fortement réduit. L’Inde, qui cherche à maintenir un équilibre entre les deux grandes puissances, a augmenté la part de pétrole qu’elle importe de Russie. Alors que le pétrole russe représentant 2 % de ses importations totales avant la guerre, il est de près de 50 % aujourd’hui. Comme l’a dit un analyste : « Les vendeurs de pétrole aiment dire que le pétrole trouve toujours un acheteur ».

    La baisse de 20 % des exportations de gaz naturel liquéfié en provenance de Russie a été compensée par le doublement du prix moyen. De ce fait, les recettes budgétaires russes provenant des exportations d’hydrocarbures ont augmenté de 28 % en 2022. Entre 2008 et 2020, le revenu mensuel que la Russie tirait de la vente d’hydrocarbures était en moyenne de 18 milliards de dollars. Depuis le début de la guerre, il a dépassé les 25 milliards de dollars par mois. Sa balance commerciale a augmenté de 58 milliards de dollars en 2022 (une hausse de 25 %). Les statistiques pour la première moitié de l’année 2023 montrent jusqu’à présent une augmentation de 20 % par rapport aux mêmes mois de l’année 2021, avant la guerre.

    Néanmoins, l’économie russe va devoir faire face à plusieurs années difficiles, particulièrement pour la classe ouvrière, qui manque d’organisation et se trouve dans une situation où il lui est difficile de s’opposer au régime. Par conséquent, presque toutes les actions de protestation dans le pays ont un degré élevé de spontanéité. Au cours de la pandémie, les restrictions visant à contrôler la maladie ont aussi servi à restreindre encore plus le droit à manifester. Avec la guerre, la répression fait à présent partie de la vie quotidienne.

    Même si plus de 20 000 personnes ont été arrêtées en 2022, des mouvements se sont poursuivis sur un certain nombre de questions. On a signalé 400 conflits en entreprise, dont 72 ont mené à des grèves ou à des sit-ins. Même si ces actions sont moins nombreuses qu’en 2020 (lorsque de nombreuses entreprises ont cessé de payer leurs travailleurs sous prétexte de pandémie), les enjeux sont maintenant passés à un niveau supérieur. Des dirigeants de mouvements de grève ont passé plus d’un an en prison ; c’est notamment le cas de Kirill Oukraïntsev, du syndicat des coursiers. Ailleurs, les travailleurs qui avertissent d’un arrêt de travail sont menacés de mobilisation dans l’armée.

    Les manifestations antiguerre ont pris une nouvelle forme après la mobilisation générale, moment où la guerre a commencé à toucher une couche beaucoup plus large de la population, surtout aujourd’hui, avec la hausse du mot de code « Cargaison 200 » (qui, dans le jargon militaire, désigne les soldats morts). Par ailleurs, sur les plus de 25 000 décès identifiés par des chercheurs indépendants (ce nombre lui-même étant considéré comme sous-évalué), la proportion des régions ethniquement non russes, telles que la Bouryatie et le Daghestan, ou des villes de l’est et du sud du pays (de population ethniquement asiatique ou caucasienne), est plus de dix fois plus élevée que celle de Moscou et de Saint-Pétersbourg. Cela alimente le mécontentement et accentue la question nationale. Cependant, sans une direction claire, la conscience peut évoluer de façon confuse, voire contradictoire.

    Il faut aussi noter que la contestation est de plus en plus féminine. En janvier 2021, les femmes ne constituaient que 25 % des personnes participant à des mouvements. Lors des premières marches antiguerre, 44 % des manifestants étaient des femmes. Après la mobilisation, cette proportion est même passée à 71 % ! Étant donné que de nombreux hommes ont été mobilisés ou ont fui le pays, les femmes vont de plus en plus s’affirmer dans les revendications sur les lieux de travail.

    Une crise au Kremlin ?

    Depuis le début de cette année, l’offensive russe n’a plus connu le moindre progrès. On a vu les partisans de la « ligne dure » le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov, le fondateur de Wagner Yevgueni Prigojine, et le général Sourovikine dit « Armaguédon » se faire mettre sur la touche, tandis que le contrôle global de l’invasion a été ramené sous la hiérarchie militaire officielle, dirigée par le Ministre de la défense, Sergueï Choïgou et le général Guérassimov.

    Mais les attaques massives de missiles contre les infrastructures ukrainiennes, débutées à l’initiative des partisans de la ligne dure, se sont poursuivies. Cette tactique cruelle a « réussi » à causer de graves perturbations et difficultés à la classe ouvrière ukrainienne et aux Ukrainiens pauvres, mais sans parvenir à renverser la tendance de manière décisive. Une grande partie des missiles lancés ont été détruits par les défenses aériennes de l’Ukraine, qui utilisent des missiles S300, des armes antiaériennes et des drones conçus par les Soviétiques, ainsi que des systèmes occidentaux qui ont commencé à arriver en fin d’année. Malgré cela, un grand nombre de frappes ont atteint leur objectif ; c’est ainsi qu’une sous-station alimentant Kyïv en électricité a été touchée à neuf reprises. Les réparateurs travaillent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, ignorant le système de gestion bureaucratique auparavant en place pour assurer des réparations rapides, arrivant souvent sur les sites endommagés avant même que les incendies n’aient été éteints. Les habitants de Kyïv décrivent les travailleurs du « front énergétique » comme des « héros pour nous tous ». Chaque fois que le régime russe ressent la moindre faiblesse, il intensifie ses attaques de missiles sur des zones civiles.

    On a vu les tensions entre les partisans de la ligne dure et les dirigeants militaires officiels atteindre un niveau dramatique. Prigojine et Kadyrov accusent de plus en plus la bureaucratie militaire d’incompétence et de corruption. Prigojine se plaint de l’incapacité de l’armée à lui fournir des munitions, qu’il décrit comme un acte de « trahison ». Le Kremlin, qui semblait de plus en plus fatigué des critiques de Prigojine, et peut-être aussi par crainte du danger qu’il pose, a d’abord essayé de l’écarter, puis de le mettre sous contrôle. Alors que les troupes de Wagner avançaient sur Bakhmout, les médias russes ont reçu pour instruction de ne pas faire de reportage à leur sujet. Aujourd’hui, de nouvelles armées mercenaires sont en train d’être formées en opposition à Wagner, dont certaines sont gérées par de grandes sociétés comme Gasprom. Récemment, des conflits ont éclaté entre Wagner et d’autres radicaux comme Kadyrov et Guirkine, un mercenaire d’extrême droite, ancien agent du KGB, qui semblent ressentir la domination de Prigojine.

    Cela peut-il éventuellement conduire à une crise politique, voire révolutionnaire, en Russie ? Lénine expliquait qu’une situation révolutionnaire peut se développer lorsque la classe dirigeante est divisée et incapable de gouverner comme auparavant, lorsque la classe ouvrière ne tolère plus les anciennes conditions, et lorsque les couches moyennes sont en fermentation. Il a également ajouté que pour triompher, la révolution devait être guidée par un parti révolutionnaire de masse et faisant autorité, capable d’armer le mouvement en le dotant d’une stratégie et d’une tactique correctes.

    Il est évident qu’il y a une importante volonté de lutte de la part de la classe ouvrière russe, y compris parmi ceux qui ont été « mobilisés ». Beaucoup des personnes qui ont participé aux deux remarquables vagues de contestation en 2022 étaient des jeunes et des parents des mobilisés, issus de la classe ouvrière, mais sans que les couches plus larges de la classe ouvrière ne se mêlent au mouvement de manière organisée, ni à une échelle de masse.

    Mais les couches de la classe moyenne sont certainement en fermentation. Parmi les centaines de milliers de personnes qui ont fui la Russie, on retrouve de nombreuses personnalités de la télévision, des musiciens, des artistes et des personnalités libérales telles qu’Anatoli Tchoubaïs, l’architecte de la privatisation de masse qui a suivi la chute de l’Union soviétique. La principale chaine de télévision d’État a vu une grande partie de ses « stars » l’abandonner, ce qui la contraint aujourd’hui à recourir à des podcasts pour diffuser ses émissions aux heures de grande écoute.

    La restauration capitaliste en Russie n’a pas permis de créer une classe bourgeoise forte et consolidée, capable de maintenir la stabilité. C’est pourquoi le capitalisme y repose sur des mesures autoritaires et sur un État de type « bonapartiste », dans lequel le pouvoir se retrouve concentré entre les mains d’un seul individu. Les quelques oligarques qui se sont opposés au régime ont été emprisonnés ou contraints à l’exil. À mesure que croît l’appétit réactionnaire, impérialiste et expansionniste du capitalisme russe , la plupart des oligarques et leurs adeptes se sont largement félicités de l’invasion de l’Ukraine. Les quelques-uns qui se sont déclarés non satisfaits ne faisaient que défendre leurs propres biens.

    Les sondages privés réalisés par le Kremlin révèlent que la couche de partisans de la ligne dure est en fait assez mince. La majorité des Russes veulent une fin rapide de la guerre, si nécessaire par le biais de négociations. Pourtant, aujourd’hui, c’est le discours jusqu’au-boutiste qui domine les médias d’État comme les réseaux sociaux.

    Mais il faut tenir compte de la grande lâcheté de l’élite dirigeante russe. On suppose qu’il se trouve au sein de cette couche des gens qui préfèreraient entamer des pourparlers, mais qui sont comme paralysées par la crainte de tomber victimes de la répression. Pour ces personnes, il n’y a pas de voie de sortie facile. Plusieurs rapports indiquent qu’elles estiment que la Russie est promise à une défaite humiliante. Même si le Donbass et une partie du sud de l’Ukraine devaient demeurer sous occupation russe, ce que le régime dépeindra comme une victoire, une grande partie de la population pourrait ne pas considérer comme justifié l’énorme cout humain et économique. Au départ, l’élite dirigeante se disait que le Kremlin devait certainement avoir un plan. Mais aujourd’hui, elle craint une défaite, car elle comprend très bien que cela pourrait engendrer une explosion sociale que personne parmi cette élite ne souhaite voir. Il y a eu beaucoup de cas de suicides ou de décès inexpliqués au sein du régime, le dernier en date (20 mai 2023) étant celui du vice-ministre Piotr Koutcherenko, qui avait proclamé que l’invasion de l’Ukraine par la Russie constituait un acte « fachiste ».

    Guérassimov, Poutine et Choïgou

    Cette situation s’est mise en place après la retraite de Kherson. Mais aucune section de l’élite ne suggère actuellement de mettre fin à la guerre (en se repliant éventuellement jusqu’aux frontières de février), par crainte de la répression par le régime bonapartiste et de provoquer des manifestations sociales. Tout ce que ces personnes peuvent espérer, c’est davantage de retards dans la guerre, pour permettre à l’armée de se rééquiper, à l’économie de se redresser, et mobiliser de nouvelles forces, en évitant toute actions qui risquerait de mener à un conflit plus ouvert avec les forces de l’OTAN. Paradoxalement, certains partisans de la ligne dure adoptent également cette position, comprenant bien que toute nouvelle escalade conduirait à une catastrophe.

    D’autres va-t’en-guerre, comme le Parti « communiste » (éminemment réactionnaire), continuent d’affirmer que la seule issue est d’intensifier l’offensive, peut-être même en déclarant ouvertement la guerre, pour orchestrer une mobilisation à grande échelle et procéder au bombardement généralisé de l’Ukraine. Comme le dit Guennadi Ziouganov, le dirigeant de ce parti : « Dès le premier jour de l’“opération spéciale”, nous avons exigé des mesures d’urgence… pour permettre une mobilisation maximale de l’ensemble de la société dans la lutte contre le nazisme et le fascisme… ».

    Soit la guerre tirera en longueur, ce qui engendrera un coût terrible, menant à une hausse de l’opposition au sein de la Russie, soit les tentatives malavisées d’intensifier les hostilités pourraient conduire à de nouvelles défaites brusques et à une opposition plus explosive.

    Une perspective encore plus inquiétante pour l’élite dirigeante russe est de voir une défaite, ou tout incident inattendu ou imprévisible, déclencher une explosion spontanée à la base de la société, tout comme cela s’est récemment produit au Bélarus, au Kazakhstan (l’année passée), ou en Géorgie (en mars 2023), où on a connu des manifestations et des émeutes. Cela pourrait convaincre une partie de l’élite dirigeante de rompre avec le Kremlin pour tenter de détourner un tel mouvement. Ces « nouveaux opposants » pourraient être aidés par une section de l’opposition libérale. En effet, on aperçoit des signes de division au sein de l’organisation de Navalny, où une section semble tentée de s’associer avec certains puissants oligarques.

    Le problème central est l’absence d’une force ouvrière indépendante capable de fournir une direction aux mouvements potentiellement explosifs qui pourraient survenir en opposition au Kremlin et au système capitaliste à l’origine du régime dictatorial en Russie. Le fait qu’il n’existe pas aujourd’hui de mouvement ouvrier indépendant ne signifie pas qu’on ne verra pas se mettre en place un tel mouvement (ou l’embryon d’un tel mouvement) au cours des évènements sans nul doute tumultueux qui se dérouleront dans la région dans les mois et les années à venir. Jeter les fondations claires d’un tel mouvement, l’armer d’un programme socialiste clair, voilà quelles sont les tâches principales pour les socialistes en Russie aujourd’hui.

    Un coût énorme pour l’Ukraine

    Des dégâts incalculables ont été infligés à l’Ukraine. Le Ministère ukrainien de la défense ne communique pas sur le nombre de décès, mais il est certain que ce chiffre est extrêmement élevé, en particulier autour du « hachoir » qu’est Bakhmout. En septembre 2022, le Premier ministre Denys Chmyhal a estimé le coût des dommages à plus de 349 milliards de dollars. Depuis lors, les infrastructures ont subi au moins 120 milliards de dégâts supplémentaires. En octobre 2022, Volodymyr Zelensky a déclaré que l’Ukraine avait besoin d’au moins 1 000 milliards pour « se reconstruire aux normes européennes ». L’aide totale engagée jusqu’à présent n’approche nullement cette valeur.

    Cette guerre ne peut pas être envisagée isolément de la situation internationale, qui est dominée et caractérisée par la nouvelle guerre froide en cours, qui contraint les pays à se réaligner selon différents blocs et alliances impérialistes de part et d’autre de la ligne Chine / États-Unis. Cette évolution a été considérablement accélérée par la guerre en Ukraine.

    Le célèbre stratège prussien (allemand) Carl von Clausewitz (1780-1831), souvent cité à tort et à travers, soulignait l’interaction dialectique entre divers facteurs : pour lui, « La guerre n’est que le prolongement de la politique par d’autres moyens ». Le résultat de la guerre ne dépend pas seulement de décisions militaires, mais aussi de phénomènes sociopolitiques, et de la relation entre l’armée régulière, les groupes de partisans et la population en général. La présente guerre ne fait pas exception.

    Même si elle s’inscrit dans le cadre de la nouvelle guerre froide, le régime russe ment lorsqu’il prétend affronter l’OTAN et l’impérialisme états-unien. Ses opposants sont condamnés comme agents du monde « anglo-saxon ». Mais si la majorité de la population russe était convaincue que c’est effectivement le cas, et que la Russie était menacée d’une invasion imminente, alors les forces russes seraient bien plus motivées pour se battre qu’elles ne le sont aujourd’hui. Mais au lieu de cela, l’impérialisme russe, qui dispose sur le papier de vastes forces armées et d’armes extrêmement puissantes, a fini par démoraliser ses troupes, dont l’action est sapée par la corruption et le manque de planification, sans parler des conflits constants entre les différentes ailes que sont l’armée régulière, la garde nationale, le FSB et les mercenaires de Wagner, tout en induites en erreur par la direction du Kremlin, autoritaire et coupée de la réalité.

    De son côté, l’impérialisme occidental, qui avait au départ sous-estimé la capacité de résistance des Ukrainiens, a ensuite fait tout son possible pour freiner les initiatives émanant de la base. Il a saisi cette occasion pour augmenter massivement ses dépenses militaires, afin d’amener ses partenaires potentiels à former un bloc plus consolidé en opposition à la Chine et à la Russie, en guise d’avertissement pour la Chine concernant d’éventuels plans d’invasion de Taïwan. Malgré sa réticence à laisser l’Ukraine adhérer de façon formelle à l’UE et à l’OTAN, l’impérialisme occidental se sert de l’aide et des livraisons d’armes pour réaliser ses propres objectifs et imposer ses propres conditions à l’Ukraine.

    La population ukrainienne a des motivations totalement différentes de celles de l’OTAN et du gouvernement de droite de Zelensky. D’après Clausewitz, une armée qui se défend contre une agression est intrinsèquement supérieure à l’armée assaillante. On voit en Ukraine de nombreux cas de résistance héroïque, à l’heure où le pays, les familles, les moyens d’existence et les libertés sont menacés par l’occupation russe. Ces actions vont souvent à l’encontre de l’ordre du jour établi par les médias russes et occidentaux, qui cherchent à dépeindre ce conflit comme un simple affrontement entre deux forces militaires et leurs armements.

    Dans la nuit du 24 février 2022, tandis que des milliers de soldais russes avançaient sur Kyïv, les habitants sont sortis de chez eux pour ériger des barricades avec tout ce qui leur tombait sous la main. Alors que Zelensky annonçait une mobilisation de masse, les volontaires ont afflué pour former des « unités de défense territoriale » qui se sont armées de tout ce qu’elles pouvaient trouver, établissant des points de contrôle, préparant la résistance. À chaque étape de leur marche, les colonnes de chars qui approchaient de Kyïv ont été embusquées par des groupes de volontaires comme par des détachements de l’armée régulière. Les volontaires grimpaient aux poteaux télégraphiques pour suivre les communications de la force d’invasion. Dès les tout débuts de la guerre, de nombreux simples citoyens et citoyennes ont appris à manipuler des drones (souvent achetés en ligne pour quelques centaines de dollars) afin d’observer ou faire tomber des grenades sur les chars qui avançaient. Les travailleurs de première ligne, qui avaient déjà tant sacrifié pendant la pandémie, ont intensifié leurs efforts : ce sont tous les travailleurs médicaux, les équipes de chemin de fer qui ont transporté les équipements et les réfugiés, les chauffeurs de camions qui ont livré des bornes en béton et aidé à ravitailler les combattants.

    Au cours des premiers jours de l’invasion, l’armée, la police et les autorités locales avaient abandonné Soumy, la plus grande ville qui se trouve entre Kyïv et Kharkiv. D’après un reportage, c’est le personnel municipal qui a mobilisé une équipe de défense territoriale de plusieurs centaines de civils et civiles. Sans protections, armée uniquement de fusils provenant d’une armurerie locale et de cocktails Molotov, utilisant des téléphones portables et des coursiers, cette force de défense a retenu les envahisseurs pendant plus de six semaines avant que les forces russes ne se voient contraintes de fuir de la région.

    Et il existe de très nombreux autres exemples de telles initiatives prises par les simples travailleurs et travailleuses pour défendre leurs foyers et leurs moyens d’existence. Le personnel médical d’un hôpital de Kherson a empêché une prise de contrôle russe en recourant à plusieurs ruses, dont la déclaration d’une quarantaine due à une prétendue pandémie. Le personnel des usines et des petits ateliers adaptent des drones pour la collecte de renseignements et le ciblage. D’autres réparent des chars et des équipements russes capturés. C’est ainsi que l’Ukraine a acquis un grand nombre de chars d’assaut.

    Ces initiatives populaires auraient pu changer le cours de la guerre, en particulier si elles avaient été dirigées par une classe ouvrière organisée et politiquement consciente. Mais à mesure que le rôle de l’armée et des armes fournies par l’Occident a pris de l’ampleur, ces actions ont été de plus en plus marginalisées. La guerre a commencé à tirer en longueur, des armes de plus en plus destructrices ont commencé à être employées, et les batailles sont devenues de plus en plus brutales. Analysant les guerres des années 1930, Léon Trotsky expliquait que pour triompher d’une occupation impérialiste, une nation faible, confrontée à une force militaire supérieure, ne peut se fier aux seuls moyens militaires. L’histoire l’a démontré à de nombreuses reprises. La masse de la population mobilisée se révèle toujours beaucoup plus inventive que le corps professionnel de l’armée. Et les forces bourgeoises, même si elles prétendent représenter la « nation entière », en sont incapables. Au contraire, la bourgeoisie fera tout son possible pour empêcher une telle mobilisation, car elle entraine une hausse de la conscience de la classe ouvrière et engendre une remise en question directe de sa domination. C’est particulièrement le cas lorsque cette bourgeoisie dépend du soutien de puissances impérialistes.

    Au lieu d’une action de masse indépendante sous direction ouvrière, le régime ukrainienn repose sur l’action militaire brutale, recourant à des armes de plus en plus puissantes. À présent, les pays de l’OTAN promettent des chars. Le 24 avril, le Ministère de la défense des États-Unis a annoncé que les 31 chars d’assaut Abrams promis atteindront le front d’ici la fin de l’année. Forbes rapporte que les chars Leopard 1 promis par l’Allemagne et le Danemark arriveront probablement à temps pour aider à « nettoyer » après la controffensive attendue de l’Ukraine. Mais même les promesses de l’OTAN provoquent la réaction de la Russie : on la voit maintenant envoyer son tout dernier modèle de char, le T14, afin de renforcer le moral de ses troupes. Ni cette course à l’armement, ni l’emploi d’un nombre croissant d’avions de chasse par les deux parties, n’accélèrera le cours de la guerre. Au contraire, cela ne fera qu’augmenter le taux de mortalité d’un camp comme de l’autre. Cette impasse ne pourra être résolue militairement sans de nouvelles pertes massives de vies humaines.

    ASI est absolument opposée à l’invasion brutale de l’Ukraine par la Russie, et exige que toutes les forces russes soient retirées de l’Ukraine afin que les Ukrainiens et les Ukrainiennes puissent décider eux-mêmes et elles-mêmes de leur propre avenir, sans occupation militaire. Nous nous opposons également au transfert d’armes par les impérialistes occidentaux, qui ne cherchent certainement pas à défendre la population ukrainienne, mais uniquement leurs propres intérêts impérialistes.

    La seule force capable de donner la motivation politique du retrait des troupes russes d’Ukraine, et de garantir non seulement son autodétermination, mais aussi les droits des minorités nationales et autres groupes minoritaires au sein de l’Ukraine, est la classe ouvrière organisée, agissant en toute indépendance de toute force impérialiste et capitaliste. ASI appelle à la construction d’une telle force, liée à une lutte pour transformer la vie des travailleurs de toute l’Ukraine, faire tomber le gouvernement Zelensky, exproprier les oligarques ukrainiens et russes, et établir un gouvernement ouvrier pour mettre en œuvre des politiques socialistes.

    L’offensive contre les travailleurs d’Ukraine

    Par ses actions, le gouvernement Zelensky s’en prend à toute tentative d’organiser la classe ouvrière. Le droit de grève a été supprimé ; un grand nombre d’entreprises publiques sont destinées à être privatisées. Le nouveau budget 2023 réduit de 23 % la masse salariale des personnes travaillant dans le secteur public, provoquant un chômage énorme. Le même chômage qui atteignait déjà 30 %, alors que le taux d’inflation est de 20 %.

    Les pays occidentaux se vantent de l’aide qu’ils accordent à l’Ukraine, mais tout en se taisant sur ce que l’Ukraine leur devra en retour. Sur les 60 milliards d’euros d’aide financière promis jusqu’à présent, la moitié se présente sous forme de prêts à rembourser au cours des 35 prochaines années. Le reste est constitué de subventions associées à des conditions strictes, dont la « restructuration », l’« augmentation de la productivité du travail » et la vente d’énergie au prix du marché.

    La récente purge de hautes personnalités publiques avait pour but d’endiguer le mécontentement croissant parmi la population à l’égard des profits et de la corruption. La nourriture achetée pour les troupes coûte trois fois plus cher que celle que l’on trouve dans les supermarchés. Des véhicules fournis en tant que « aide humanitaire » sont utilisés par des fonctionnaires. Un ministre aurait détourné 400 000 dollars destinés à la reconstruction des infrastructures. Les dernières arrestations de dirigeants régionaux, dont le maire d’Odessa, accusé d’avoir mis en place une bande criminelle et de s’adonner au blanchiment d’argent, semblent également avoir pour but de mettre un terme aux tentatives des chefs régionaux de renforcer l’opposition politique à l’État central. Il est possible que les élections législatives soient reportées cette année ; cela comporte le risque de voir se renforcer les tendances au bonapartisme.

    Y a-t-il une fin possible à cette guerre ?

    À l’automne dernier, au cours d’une vague de discussions concernant d’éventuelles négociations, il était clair que Zelensky et l’Ukraine n’accepteraient aucun accord négocié autorisant les forces russes à occuper une partie du pays. Le Kremlin a parlé d’éventuelles négociations, sans être lui-même prêt à faire la moindre concessions. En réalité, il voulait profiter d’une pause pour reconstruire ses forces.

    Après les attaques contre les infrastructures électriques ukrainiennes, qui n’ont pas réussi à mettre le pays à genoux, et vu que l’offensive brutale des forces russes dans le Donbass ne leur a pas permis de réaliser de gains notables, on est en droit de se demander dans quelle direction évoluera cette guerre. L’offensive des forces ukrainiennes aura probablement pour objectif de rétablir le « pont terrestre » entre Marioupol et Kherson, occupé depuis le 24 février. Reprendre la partie du Donbass contrôlée par les forces pro-russes depuis 2014 exigerait de nombreuses pertes humaines et consommerait une grande quantité d’équipements.

    Lors du sommet du G7 à Hiroshima (auquel Zelensky était invité), il a une fois de plus été démontré à quel point l’impérialisme états-unien est parvenu à renforcer le bloc occidental, avec pour résultat des promesses d’aide continue à l’Ukraine et une condamnation unifiée de la « coercition économique » chinoise. Bien que l’unité politique sur ces questions soit évidente, il existe encore des différences quant à la manière de traiter ces questions. Selon l’Agence japonaise de presse « Kyodo News », le président français Emmanuel Macron s’est fermement opposé à l’ouverture d’un bureau de l’OTAN au Japon, car il estimait qu’un tel acte aurait été perçu par la Chine comme une provocation ; Macron aurait donc « compliqué des mois de discussions au sein de l’OTAN au sujet de l’ouverture de cet avant-poste à Tokyo ».

    Paradoxalement, c’est au sein de l’armée des États-Unis que se trouvent les personnalités les plus « modérées », contrastant avec les voix plus « radicales » émanant des personnalités politiques. Cela confirme que le soutien offert par les États-Unis à l’Ukraine est motivé par leurs propres objectifs, dont la nécessité de renforcer leur position dans les conflits interimpérialistes émergents. Ainsi, Mark Milley, chef d’état-major des États-Unis, a déclaré à plusieurs reprises que la guerre se terminera par des négociations.

    Dans les diverses déclarations qui ont été faites à l’occasion de la visite de Joe Biden à Kyïv fin février, les hauts responsables des États-Unis ont fait preuve d’« ambiguïté stratégique » concernant la Crimée. Tout en promettant son soutien inconditionnel à l’Ukraine, Biden s’est gardé d’approuver en public l’objectif de récupération de la Crimée. La sous-secrétaire d’État Victoria Nuland a déclaré que « la Russie a transformé la Crimée en une installation militaire de grande envergure… Ce sont des cibles légitimes, l’Ukraine les frappe, et nous approuvons ». Pour le secrétaire d’État Antony Blinken, cependant, toute tentative de reprendre la Crimée représenterait le franchissement de l’une des « lignes rouges » définies par la Russie, ce qui « pourrait conduire les Russes à élargir la guerre ». Pendant ce temps, le « Washington Post » rapportait que « les responsables des États-Unis ont averti Kiïv que le niveau actuel de l’aide offerte à l’Ukraine ne peut être garantis, et que l’Ukraine pourrait devoir revoir ses ambitions à la baisse ».

    Il est typique du cynisme des impérialistes des deux camps que le destin de la Crimée et de sa population ne se fonde que sur son importance militaire, et de ce qui pourra être négocié autour d’une table. Tout comme l’Ukraine elle-même et toutes les régions et communautés qui se trouvent à l’intérieur de ses frontières, la Crimée a le droit à l’autodétermination, lequel ne peut s’exercer que dans des conditions d’absence d’occupation militaire de la part de l’un ou l’autre camp. Pour cela, il est nécessaire que la classe ouvrière de la Crimée s’organise afin de pouvoir superviser un référendum véritablement démocratique, tout en assurant la protection des droits des minorités ukrainiennes et tatares et en arrachant les ressources aux oligarques russes et ukrainiens afin de les utiliser dans l’intérêt des travailleurs et des pauvres.

    Il est clair qu’il existe un point de tension entre l’objectif des États-Unis de voir la Russie forcée de reculer (ce qui l’affaiblirait en tant que partenaire de la Chine) et l’objectif ouvertement déclaré du régime de Kyïv, qui vise à reprendre l’ensemble du territoire perdu depuis 2014, et que cette tension pourrait se renforcer à l’avenir. On en a vu un exemple en janvier, avec la pression mise sur Zelensky par Biden pour qu’il se retire de Bakhmout. À ce stade, les États-Unis appuient une nouvelle offensive de la part de l’Ukraine pour reprendre le pont terrestre en tant que prochaine étape. Mais cela ne satisfera probablement pas le gouvernement ukrainien à long terme.

    Le sondage d’opinion publié le 24/02/2023 dans les régions non occupées de l’Ukraine montre que l’humeur de la population ukrainienne s’est durcie au cours de l’hiver. Si par le passé, très peu de personnes étaient favorables à l’idée d’attaquer la Russie elle-même, aujourd’hui, 38 % de la population ukrainienne estime qu’il faudrait viser des cibles militaires sur le territoire russe, tandis que 39 % souhaitent également que l’on bombarde des infrastructures russes. Enfin, 13 % de la population trouvent que tout objectif en Russie mérite aujourd’hui d’être attaqué. Cela inclut une majorité absolue des personnes du Sud et de l’Est du pays qui se considèrent comme ethniquement russes, ou qui ont des parents en Russie.

    Un autre facteur qui met en évidence une contradiction potentielle entre objectifs états-uniens et objectifs ukrainiens est la peur, dans les cercles de l’OTAN, du prix à payer et des conséquences qui pourraient découler d’un soutien à long terme à une guerre qui tire en longueur. Ce facteur transparait également dans les discussions sur la question au sein des élites dirigeantes américaines et européennes, et aux États-Unis, au sein du Parti républicain. Le dernier rapport fiable sur l’aide apportée à l’Ukraine a été celui de l’Institut Kiel pour l’économie mondiale, paru en février 2023, qui faisait état d’un total de 143 milliards d’euros. Cet institut réclamait bien entendu davantage d’aide à l’Ukraine, puisqu’il affirmait que seule 48 % de l’aide financière promise avait été décaissée, et à peine 25 % de l’aide militaire promise.

    Nombre de chars d’assaut occidentaux promis et livrés. Ce graphique ne tient pas compte des centaines de chars soviétiques envoyés en Ukraine par la Pologne et d’autres pays au cours des premiers mois de la guerre.

    L’Institut Kiel insiste sur « la vue d’ensemble ». Toute guerre qui tire en longueur consomme d’énormes ressources, en particulier si les troupes sur le terrain ont besoin de financement. Les dépenses militaires que les États-Unis ont consacrées aux guerres du Vietnam et de Corée (lors desquelles les États-Unis ont envoyé leurs propres soldats se battre) étaient respectivement 5 et 13 fois plus élevées, en pourcentage du PIB, que les énormes montants déjà engagés en Ukraine. Si l’UE a promis à l’Ukraine 55 milliards d’euros, elle a mobilisé dix fois plus de ressources pour ses propres plans d’aide dans le cadre de la hausse des prix de l’énergie. Dans certains cercles dirigeants, on discute déjà de la « fatigue de guerre », qui est alimentée par le risque de voir l’inflation encore plus augmenter, à un moment où tant d’autres facteurs pèsent sur l’économie mondiale, sans parler de la pression de plus en plus forte exercée aux États-Unis par les Républicains de droite.

    La Chine s’est avancée avec son propre « plan pour la paix » en 12 points, publié en février, dont la reconnaissance de la souveraineté nationale des deux pays, la fin des actions militaires, le retour à des pourparlers de paix, la fin des sanctions unilatérales et la reconstruction post-conflit. D’autres personnalités commencent aussi à pousser à des négociations. Une délégation de dirigeants africains dirigée par Cyril Ramaphosa est en route pour Moscou et Kyïv.

    Pour Biden, l’idée que la Chine puisse diriger les négociations est « tout simplement pas rationnelle ». Non seulement une telle initiative serait contraire à la détermination des États-Unis de renforcer leurs alliances et leur potentiel militaire dans le cadre de leurs préparatifs pour affronter la Chine, mais ce pays s’inquiète également de ce que la Chine cherche à conforter son soutien de la part des pays qui ne font pas directement partie du bloc occidental. Pour le « Japan Times » : « Peu de gens s’attendent à ce que la diplomatie du président chinois Xi Jinping [Shí Tjìn-píng] permette d’obtenir la moindre percée dans la guerre d’Ukraine. Mais à Washington, il y a des craintes que Pékin puisse réussir ailleurs, en gagnant en crédibilité sur la scène mondiale ».

    Les limites de l’accord « sans limite » avec la Chine

    Il est clair que lorsque Poutine a lancé son invasion, il estimait que la Chine, qui venait tout juste d’accepter son accord de coopération « sans limite », était prête à le soutenir jusqu’au bout. En cas de victoire, la Chine aurait considéré la Russie comme un partenaire fort et efficace. Mais on voit à présent qu’avec le manque de succès de Poutine, alors qu’en face, le bloc américano-occidental s’est considérablement renforcé en conséquence, la Russie a perdu une grande partie de son potentiel en tant que partenaire. Pour cette raison, Xi Jinping cherche un moyen de réduire les conséquences négatives. Ainsi, son plan de paix, contrairement à ce qu’affirme les dirigeants occidentaux, n’est pas destiné à soutenir la Russie envers et contre tout, mais bien à protéger les intérêts du régime chinois.

    C’est ce plan de paix qui a dominé les discussions lors de la visite de Xi Jinping à Moscou, au mois de mars. Au départ (du moins dans les discours diplomatiques), il a reçu l’approbation du Kremlin, bien qu’il soit clair dans la presse russe que Xi mettait la pression sur Poutine en coulisses.

    Des accords économiques ont été signés dans le cadre de la stratégie adoptée pour la première fois en 2019, visant à intensifier le commerce bilatéral jusqu’à 200 milliards de dollars par an d’ici 2024. Cet objectif pourrait d’ailleurs être dépassé cette année, en grande partie parce que le gazoduc « Siberia 1 » a atteint sa pleine capacité, combinée l’augmentation des prix de l’énergie. Agathe Demarais de l’Economist Intelligence Unit suggère cependant qu’« il est probable qu’après la croissance observée l’an dernier, les exportations d’énergie de la Russie vers la Chine aient atteint un plateau. Pékin fait en effet attention à ne pas trop dépendre d’un seul fournisseur d’énergie ». Lors de sa visite à Moscou, Xi a refusé de signer le projet de gazoduc « Power of Siberia 2 » qui aurait permis à la Chine d’acheter davantage de gaz de la Russie, expliquant ne pas vouloir « accroitre sa dépendance vis-à-vis des fournisseurs russes ». À la place, la Chine envisage plutôt un nouvel oléoduc à partir du Turkménistan.

    Selon le journal d’affaires russe « Vedemosti », la visite de suivi du Premier ministre russe Michoustine à Pékin a été remarquable pour la manière dont les Chinois n’ont montré aucun intérêt à fournir la moindre aide économique concrète. À la suite de cette visite, la Banque de Chine a informé plusieurs banques russes qu’elle ne traitera plus les transactions internationales en provenance de la Russie.

    Il est évident que le Kremlin ressent la pression. Xi a suivi sa visite à Moscou par un appel téléphonique à Zelensky à la fin du mois d’avril. Après quoi, la Chine, l’Inde et le Brésil ont tous trois modifié leur attitude à l’ONU pour soutenir une nouvelle résolution dans laquelle était mentionnée « l’agression menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine ». La télévision publique russe a donc commencé à se plaindre de trahison : « Camarade Xi Jinping, pourquoi donc êtes-vous venu à Moscou ? Pourquoi avoir passé trois jours ici, interrompant le travail de M. Poutine ? »

    Zelensky a décrit l’appel téléphonique qu’il a eu avec Xi Jinping comme « un fort stimulus pour le développement des relations entre nos deux États ». Il s’est déclaré ouvert à certaines parties du plan de la Chine, à condition qu’elles soient interprétées comme signifiant que la Russie se retire de tous les territoires occupés. D’après Xi, l’Ukraine est un « partenaire stratégique » de la Chine, la Chine étant d’ailleurs le plus important partenaire commercial de l’Ukraine. Zelensky a accepté d’envoyer un ambassadeur en Chine, et la Chine a envoyé des diplomates à Kyïv pour y travailler sur le plan de paix.

    De leur côté, les États-Unis expriment leur colère face à la volonté apparente de certains dirigeants européens (suivant l’exemple de Macron), d’encourager les démarches entreprises par la Chine. Le chancelier allemand Olaf Sholtz, le président du gouvernement espagnol Pedro Sanchez et d’autres personnalités européennes ont visité Pékin ; la Première ministre italienne Giorgia Meloni en Italie prévoit elle aussi de s’y rendre. La Chine veut briser l’alliance entre l’Union européenne et les États-Unis. De son côté, Macron se dit préoccupé que l’UE ne devienne trop subordonnée à la Maison-Blanche. Il a dit vouloir travailler avec la Chine pour élaborer une proposition.

    La manière dont la Chine exerce sa pression sur le Kremlin, ainsi que les actions menées par différents pays européens, démontrent que bien qu’il existe une dynamique claire vers la polarisation du monde en deux blocs impérialistes (tendance accélérée par la guerre, et qui va se poursuivre), il existe des tensions importantes au sein de ces blocs, qui grandissent au fur et à mesure que les dirigeants des différents pays s’inquiètent de ce que leurs propres intérêts économiques et géopolitiques pourraient être lésés.

    Les discussions autour du plan chinois suggèrent qu’une certaine forme de « garantie de sécurité » pour l’Ukraine, fournie par la France, l’Allemagne et la Chine, pourrait être considérée comme le début d’un éventuel accord à l’avenir.

    Il est toutefois beaucoup trop tôt pour envisager un règlement négocié à ce stade. Si l’offensive ukrainienne visant à prendre le pont terrestre permet d’aboutir rapidement à une déroute des forces russes, le Kremlin pourrait se retrouver pris de panique et contraint à mener des pourparlers. Mais la population ukrainienne pourrait ne toujours pas tolérer l’annexion du Donbass et de la Crimée. Si l’offensive devait en revanche durer plusieurs mois, la lassitude face à la guerre pourrait croître tant en Ukraine que parmi les soutiens occidentaux de Zelensky. L’humeur pourrait alors se faire plus propice à des négociations.

    Mais l’expérience des années 2014 à 2022 en Ukraine, tout comme dans de nombreux autres pays, montre que les accords négociés sous la tutelle des puissances impérialistes ne peuvent mener à la moindre solution à long terme. Dès le tout premier jour, ASI s’est opposée à la guerre et a défendu le droit des Ukrainiens et des Ukrainiennes de décider de leur propre avenir et de le défendre. Nous exigeons le retrait immédiat des troupes russes d’Ukraine, des troupes impérialistes occidentales d’Europe de l’Est, et la dissolution de tous les blocs militaires tels que l’OTAN. Cependant, même si l’Ukraine réussissait à atteindre ses objectifs militaires et à chasser toutes les troupes russes hors de son territire, il est évident que sur la base du système capitaliste actuel, et tandis que la nouvelle guerre froide s’intensifie, l’indépendance de l’Ukraine ne pourra être garantie de façon durable, stable et pacifique.

    Comme ASI l’écrivait dans sa déclaration du 24/02/2022 : « Nous ne pouvons pas compter sur les institutions impérialistes ou les machines de guerre pour amener la paix, et encore moins la prospérité… Nous ne devons pas faire confiance à ces organes impérialistes. Toute solution « diplomatique » convenue entre eux, même si elle sera initialement saluée par les peuples du monde entier, se fera au détriment des populations ordinaires et ne fera que préparer le terrain pour de nouvelles tensions et confrontations.

    De ce fait, il est d’autant plus important que les socialistes et la classe ouvrière d’Ukraine, de Russie et du monde entier mettent sur pied des campagnes de masse pour édifier des alternatives fortes aux gouvernements impérialistes et capitalistes partout où ils existent, s’appuyant sur une forte solidarité ouvrière internationale pour renverser le système capitaliste, le système qui provoque la guerre, la pauvreté, les changements climatiques et l’oppression nationale, afin de le remplacer par une fédération mondiale d’États socialistes véritablement démocratiques.

  • Marine Le Pen, grande gagnante du mouvement contre la réforme des retraites ?

    Combattre l’extrême droite par la lutte sociale, dès septembre!

    Mi-juin, l’intersyndicale a acté la fin du mouvement contre la réforme des retraites. Un puissant mouvement social, qui n’a pas obtenu le retrait de la réforme, mais qui a pesé et va peser lourdement sur l’atmosphère sociale et politique durant les 4 années de mandat qu’il reste à Macron.

    Depuis avril, on assiste à un certain retour des thèmes de la droite et de l’extrême droite. Situation renforcée début juin par l’attaque au couteau par un réfugié syrien à Annecy, qui a blessé 6 personnes, dont 4 enfants. Le fait que l’assaillant ait crié « Au nom de Jésus-Christ ! » n’a pas freiné la droite et l’extrême droite dans sa tentative d’ajouter de l’huile raciste sur le feu.

    Marine Le Pen, un colosse aux pieds d’argile

    Selon les sondages, Le Pen l’emporterait aujourd’hui contre Macron. Ce n’est pas surprenant. Qu’elle soit considérée comme l’opposante par excellence, plutôt que la France Insoumise, c’est le but de Macron et de ses ministres. C’est la raison pour laquelle les macronistes distillent le plus consciemment le racisme et la division, avec notamment la loi JO 2024, la future loi immigration et l’opération militaire raciste anti-migrants comoriens à Mayotte (“l’Opération Wuambushu”).

    La popularité de Le Pen repose en fait essentiellement sur la détestation généralisée de Macron, sur son image prétendument « anti-système », sur ses éléments de programme (faussement) sociaux et, bien sûr, sur la faiblesse d’une véritable alternative de gauche.

    Une couche non négligeable de travailleurs et travailleuses a tendance à estimer – à tort – que le Rassemblement National s’est adouci en matière de racisme et que son vernis social n’est pas qu’un attrape-voix. Mais soyons clairs : son projet politique reste clairement d’extrême droite. Il repose sur l’admiration des régimes autoritaires et vise à appliquer une politique sévèrement raciste, antisociale, anti-femmes et anti-LGBTQIA+.

    L’extrême droite se nourrit du désespoir et du manque de perspectives sans y apporter la moindre solution. Mais parallèlement, le puissant mouvement social de cette année 2023 a poussé Marine Le Pen dans un coin du ring. Elle s’est vue forcée de se déclarer opposée à la réforme sans pouvoir apporter un soutien réel à la lutte car ses intentions sont à l’exact opposé des intérêts de la classe travailleuse.

    Elle a tout à gagner de l’essoufflement du mouvement social. Les solutions institutionnelles régulièrement défendues par les directions syndicales et la gauche parlementaire sont à son avantage. Les institutions sont façonnées pour déraciner la colère de la rue et des piquets de grève afin de la laisser s’éteindre dans les couloirs de l’Assemblée nationale. Leur raison d’être est d’affaiblir le potentiel de l’action collective de la classe ouvrière. L’extrême droite se nourrit des frustrations qui en découlent.

    L’antidote de la lutte sociale

    En dépit de tous les efforts de l’establishment, la situation diffère totalement d’il y a deux ans, lors de la « hype » Zemmour. Les thèmes sociaux, sur les salaires d’abord et puis sur les retraites, ont unifié dans la lutte les différentes couches du mouvement ouvrier.

    Même si Le Pen était élue aujourd’hui, le rapport de forces actuel davantage favorable au mouvement des travailleur.euse.s ne lui laisserait pas beaucoup d’espace pour appliquer son programme. Mais il est certain qu’elle ferait tout pour nourrir les orientations sexistes, LGBTQIA+phobes et racistes dans nos rangs et que cela encouragerait les intimidations et actes de violence néofascistes.

    Le rapport de forces créé par la lutte contre la réforme des retraites rend difficile aux directions syndicales de prendre les combats suivants trop à la légère. Le potentiel de lutte va rester explosif, avec une avant-garde renforcée numériquement et qualitativement au côté de couches larges de travailleurs et travailleuses enrichies par ce combat historique et qui ont repris confiance dans la force de la lutte collective.

    C’est dès septembre que le combat doit recommencer, et c’est cet été que la bataille doit être préparée, en tirant collectivement les leçons politiques et syndicales des mois de lutte qui viennent de se dérouler.

    https://fr.socialisme.be/96038/france-cetait-un-meurtre-un-de-plus-violences-sociales-racistes-et-policieres-cest-tout-le-systeme-qui-est-coupable
  • France. C’était un meurtre, un de plus. Violences sociales, racistes et policières : c’est tout le système qui est coupable !

    Transformons la colère en un mouvement de masse des quartiers et lieux de travail ! 

    L’horrible assassinat raciste du jeune Nahel par un policier à Nanterre le 27 juin a soulevé une vague d’indignation et de révolte contre le racisme systémique et les violences policières incessantes, particulièrement à l’encontre des jeunes aux origines d’Afrique du Nord ou subsaharienne. Le puissant mouvement social contre la réforme des retraites et la révolte de la jeunesse dans les quartiers populaires doivent être combinés et approfondis afin d’organiser et de construire une lutte de masse contre la violence policière raciste et contre l’ensemble du système capitaliste.

    Déclaration d’Alternative Socialiste Internationale – France

    Les événements sont connus. Lors d’un contrôle policier, Nahel Merzouk, un adolescent de 17 ans, a reçu un tir mortel d’un policier. Il l’avait menacé de son arme quelques secondes auparavant en lui disant de couper son moteur sinon “je te tire dans la tête”. Pris de peur et de panique, Nahel a démarré son véhicule. Il s’est directement pris une balle qui lui a traversé l’épaule et le thorax, ne lui laissant aucune chance de survie. L’histoire aurait pu s’arrêter là, comme tant et tant de fois par le passé. La police aurait invoqué la légitime défense face à un véhicule “fonçant” sur un policier. Mais une vidéo a immortalisé la scène et a de suite révélé le mensonge policier. 

    Nahel s’ajoute à la longue liste de jeunes hommes aux origines d’Afrique du Nord ou subsaharienne tués lors d’une intervention policière. 15 jours avant Nahel, un autre jeune, Alhoussein, 19 ans, a été tué par la police à Angoulême alors qu’il partait travailler. 

    Pour cette jeunesse, l’injustice n’est pas qu’un sentiment. Les affaires sont souvent classées sans suite et les policiers meurtriers rarement condamnés. La peur d’être confronté à un contrôle de police n’a d’égal que la haine envers les institutions d’un système qui n’est là que pour opprimer et humilier ces couches de jeunes des quartiers populaires.

    Cette révolte, c’est la voix de ceux qui ne sont pas entendus. Les faire entendre, eux et toutes les autres victimes de violences policières, et obtenir justice, cela exige de construire un mouvement de lutte de masse. La gauche syndicale et politique doit s’engager dans une solidarité active. 

    Macron accumule les crises

    L’assassinat de Nahel constitue une nouvelle crise pour la macronie, obligée d’admettre qu’il y a un problème. “Inexplicable” et “inexcusable”, a été obligé de déclarer Macron suite au meurtre filmé du jeune homme. Voilà qui n’a clairement pas plu aux syndicats réactionnaires dans la police, comme Alliance qui s’est senti lâché par le président. Une crise de plus que Macron doit gérer.

    Le meurtre de Nahel a mis aussi l’extrême droite en difficulté. Dans le programme du Rassemblement national de Marine Le Pen, on trouve par exemple permettre aux policiers et gendarmes d’utiliser la force en bénéficiant d’une présomption de légitime défense. Une telle présomption existe en fait déjà dans beaucoup de cas, mais le RN veut rendre cela indiscutable dans tous les cas, ainsi que par exemple l’impossibilité de porter plainte contre les policiers. Autant dire que lorsque les journalistes lui ont tendu le micro après la mort de Nahel, Le Pen ne faisait pas la fière et répondait qu’elle allait s’exprimer plus tard, parce qu’elle n’avait soi-disant “pas encore vu la vidéo”… 

    Mais pour la droite et l’extrême droite, dans chaque crise réside souvent une opportunité. Et cette opportunité pour eux n’a pas tardé à arriver, avec l’instrumentalisation des révoltes qui ont commencé dans les quartiers suite à ce nouveau meurtre policier.

    “Une émeute est le langage de ceux qu’on n’entend pas.” – Martin Luther King

    Dès la première nuit après l’assassinat de Nahel, des milliers de jeunes principalement d’origine immigrée sont entrés en révolte dans les quartiers populaires des grandes villes. Nombreuses sont les références aux révoltes de 2005 suite à la mort des jeunes Zyed Benna et Bouna Traoré lors d’une intervention policière à Clichy-sous-Bois.

    Mais les comparaisons qui sont faites oublient souvent un élément d’importance : beaucoup de choses ont changé depuis 2005, et pas seulement l’omniprésence des réseaux sociaux. 

    Ces derniers 20 ans ont surtout vu le manque d’investissements dans les services publics empirer, et de manière exponentielle, d’année en année. Les politiques d’austérité et de diminution des budgets qui ont sillonné la période du néolibéralisme depuis le début des années ‘80 ont causé un mal incommensurable. C’est tout particulièrement vrai pour les personnes économiquement les plus fragiles. C’est à tel point que dans certains quartiers, des personnes retraitées habitant dans des HLM avec trop peu de revenus pour payer leur loyer sont aidées financièrement par de plus jeunes pour leur permettre de continuer à vivre dans la cité. 

    On trouvait déjà en 2005 cette absence de perspectives d’avenir positives pour de larges couches de la jeunesse vivant dans ces quartiers, particulièrement celle aux origines immigrées. Mais de quelles perspectives parle-t-on aujourd’hui ? Tout a empiré. Les frustrations et les colères sont plus grandes et répandues que jamais. Réduire l’actuelle explosion de colère aux réseaux sociaux ou aux “jeux vidéos” (selon le commentaire ridicule de Macron), cela vise avant tout à minimiser ses causes sociales. Et si cette colère s’est étendue si rapidement à toute la France, et pas seulement aux plus grandes villes d’ailleurs, c’est parce que ces causes sociales sont systémiques et se retrouvent partout.

    Dans les révoltes que vivent les quartiers aujourd’hui, la police se trouve devant des jeunes discriminés et humiliés depuis leur plus jeune âge, processus accentué durant la pandémie de covid-19. Ces jeunes hommes ont certainement subi un contrôle au faciès encore tout récemment. 

    Mais la réponse des autorités se résume à “encore un peu plus de la même chose”. À nouveau plus de “sécuritaire”, avec des mobilisations records de policiers, l’envoi de tanks défiler avec arrogance dans les rues des quartiers, et même l’envoi d’unités réservées à la gestion de prise d’otage ou à l’antiterrorisme (BRI, GIGN, RAID). Avec aussi des couvre-feux et la fermeture des transports en commun le soir. Parallèlement, le Garde des Sceaux (ministre de la Justice) Éric Dupond-Moretti a envoyé une circulaire aux parquets pour demander “une réponse pénale rapide, ferme et systématique” contre les jeunes interpellés lors des manifestations de révolte.

    Il n’y a pas de meilleure méthode pour attiser les flammes, alors que la mort du jeune Nahel est à peine passée d’une poignée de jours. Comme si davantage de sécuritaire allait permettre de résoudre un cocktail explosif composé de discriminations et d’humiliations racistes créées par les institutions et la perte de repères et d’avenir. 

    Avec les violences policières, les autorités visent très consciemment à stimuler davantage de violences de la part des jeunes en révolte pour dévier l’attention et tenter de semer la discorde dans notre classe sociale. 

    Cette réponse autoritaire du gouvernement donne des ailes aux organisations d’extrême droite. Les syndicats réactionnaires Alliance et Unsa Police ont ainsi davantage encore ajouté de l’huile sur le feu, avec un communiqué raciste le 30 juin qui appelle à durcir la répression : “Face à ces hordes sauvages, demander le calme ne suffit plus, il faut l’imposer !” ; “L’heure n’est pas à l’action syndicale mais au combat contre ces ‘nuisibles’” ; “Aujourd’hui les Policiers sont au combat car nous sommes en guerre. Demain nous serons en résistance et le Gouvernement devra en prendre conscience.” (à noter que UNSA Éducation et le secrétaire général de l’UNSA ont condamné le communiqué). C’est un reflet d’une polarisation qui existe bel et bien et est stimulée : une cagnotte de soutien au policier auteur du tir mortel a récolté 900.000€ (en date du 3 juillet, par 25.000 donateurs) ; elle a été lancée par le politicien d’extrême droite Jean Messiha, ex-membre du RN puis ex-soutien d’Éric Zemmour.

    Violences raciste et sociale ; violence policière ; et violence du mouvement

    Les révoltes dans les quartiers comprennent des épisodes de casses, d’incendies et de pillages. Il est important de clarifier avant toute chose : la première violence, elle est raciste et socio-économique, c’est celle qui vient des politiques menées par le système et aujourd’hui par Macron. Ce sont elles qui stimulent la colère et son expression de différentes manières, et donc qui stimulent aussi des violences de la part d’une partie des révoltés. 

    En second lieu, les violences viennent des forces de l’ordre, ce sont les violences policières racistes. C’est tout ceci qui stimule aussi de la violence issue des quartiers.

    Le gouvernement et l’extrême droite en profitent aujourd’hui, mais il est trop facile de cacher les problèmes du système derrière ces débordements. Ils sont aussi la conséquence de la politique menée ces dernières décennies et accentuée par Macron, et donc de la haine qui existe envers les institutions. Les cibles principales sont les bâtiments les plus représentatifs des institutions du système, comme les mairies et commissariats, ainsi que les bâtiments de grandes chaînes commerciales, à côté d’autres choses cassées ou incendiées.

    Que de la violence vienne d’une partie de la jeunesse révoltée, c’est largement compréhensible ; c’est l’expression de la rage aveugle contre le système, mais ce n’est bien sûr pas la solution. Pour ces quartiers, qui subissent relégation sociale et pauvreté, déjà désertés par les services publics, c’est la double peine : ce sont souvent les biens de la collectivité qui sont touchés, comme des bus, des maisons de quartier, des écoles, des pharmacies, mais aussi des voitures, appartenant aux habitants des mêmes quartiers. C’est hélas notre classe, nos quartiers, qui subit les conséquences des attaques contre des biens qui peuvent profiter à toute la communauté, insérant ainsi des divisions dans nos rangs.

    De tels éléments de casses, d’incendies et de pillages permettent aussi d’être saisis par le camp d’en face, pour nous diviser et pour durcir son approche liberticide et l’appareil répressif de l’État. La classe dominante peut alors utiliser justement ces faiblesses de ces révoltes, mobiliser tout son arsenal et particulièrement les médias dominants pour les orienter contre la révolte, vers la division et même l’oubli de ce pour quoi ces révoltes existent. 

    En fin de compte, ces casses, incendies et pillages affaiblissent la contestation. C’est par la force du nombre et l’unité dans la lutte de l’ensemble de la classe travailleuse et de la jeunesse que nous pourrons arracher de réelles solutions. 

    Lorsque l’État s’occupe de cette jeunesse, c’est pour l’humilier

    Depuis son arrivée à la présidence en 2017, Macron a de suite attaqué frontalement les travailleurs et travailleuses ainsi que la jeunesse avec des politiques d’austérité et de restriction des droits syndicaux. Mais il a aussi accompagné cette guerre de classe par un accroissement de l’autoritarisme de l’État et ses forces de l’ordre, tout en encourageant le racisme systémique inhérent au système capitaliste. Quand tu t’attaques à la majorité de la population, mieux vaut la diviser pour mieux régner.

    La brutalité politique de Macron à l’encontre des travailleurs et des jeunes a été un véritable marchepied pour la croissance du RN. Le racisme d’État et les stigmatisations permanentes se sont accrus : de la loi sécurité́ globale à la loi sur le séparatisme en passant par la chasse à “l’islamo-gauchisme”… Macron et ses gouvernements n’ont eu de cesse d’alimenter la division et d’accumuler les gages à destination de l’extrême droite. 

    Ce n’est donc pas étonnant si Marine Le Pen est en tête dans les sondages, et ce malgré le puissant mouvement social contre la réforme des retraites. Que le RN soit vu comme le “véritable” opposant, c’est le but de Macron et ses ministres. C’est d’ailleurs pourquoi ce sont surtout eux qui aujourd’hui, bien plus que le RN, distillent consciemment le racisme et la division, avec notamment la loi JO 2024, la future loi immigration et l’opération militaire raciste anti-migrants comoriens à Mayotte (“l’Opération Wuambushu”), et bien sûr aujourd’hui encore avec la réponse autoritaire et raciste de Darmanin et sa police face aux révoltes dans les quartiers populaires.

    La politique néolibérale menée particulièrement depuis “le tournant de la rigueur” de Mitterrand en 1983 puis dans les décennies qui ont suivi a vidé les services publics de leur contenu, avec des conséquences concrètes vécues partout, mais surtout dans les quartiers populaires où s’accumule la pauvreté. Logements insalubres, perspectives d’emplois difficiles, manque d’accès aux soins et aux services publics de base : là-bas plus que partout ailleurs, le désinvestissement dans tous les pans de la vie se fait cruellement sentir. L’absence de perspectives d’avenir est le dénominateur commun à de larges couches de la jeunesse habitant ces quartiers. Et pour tenter de masquer cette pauvreté et ce manque de perspectives, le système a d’autant plus encore besoin de l’arme de la division, notamment raciste.

    L’attitude agressive de la police dans les quartiers pauvres où les personnes d’origine immigrée sont surreprésentées est destinée à maintenir les gens enfermés dans des logements et des écoles inférieurs aux normes et à les maintenir dans une forme de ségrégation. Et les politiciens racistes cherchent à présenter ces populations comme une menace pour les couches “blanches” parmi la classe travailleuse et la classe moyenne afin de disposer d’un plus large soutien pour leurs politiques répressives.

    “Il n’y a pas de capitalisme sans racisme” – Malcolm X

    Dans cette société, le racisme est systémique. À l’instar des autres oppressions qui sévissent dans la société (particulièrement le sexisme et la LGBTQIA+phobie), le racisme est une arme consciemment utilisée par la classe dominante et ses instruments politiques pour imposer plus facilement sa politique en évitant de devoir faire face à une classe travailleuse unifiée.

    Dans cet exercice, l’État français a toujours excellé. De l’introduction de l’esclavage sur base du commerce triangulaire avec les Antilles jusqu’à l’assassinat de Nahel, les autorités françaises ont toujours appliqué des politiques enfermant les personnes “de couleur” dans un statut d’infériorité, longtemps  ouvertement, aujourd’hui non plus dans les mots mais toujours dans la pratique.

    Le contrôle au faciès n’est pas un mythe : en France, une personne noire ou d’origine nord-africaine a 6 à 7 fois plus de risque de se faire contrôler qu’une personne blanche. Si on y ajoute le fait que les jeunes de 18-25 ans sont 7 fois plus contrôlés que la moyenne de la population, les statistiques montrent qu’un jeune homme noir ou d’origine nord-africaine a une probabilité 20 fois plus élevée d’être contrôlé. Et ce n’est qu’une étude, probablement en dessous de la réalité. 

    Le racisme est systémique, et pas seulement dans les contrôles policiers : discriminations à l’embauche et à l’accès au logement, sous-représentation dans les études et formations menant à des emplois aux conditions de travail et de salaire supérieurs, surreprésentation dans les emplois non qualifiés moins rémunérateurs, …

    Violences racistes et policières – la promesse d’injustice

    C’est un fait que l’utilisation des armes par la police ainsi que les meurtres ont augmenté sous Macron, même si l’adoption de la loi sur l’usage des armes par la police a été introduite en février 2017 sous Hollande, par le Premier ministre Bernard Cazeneuve, juste avant que Macron arrive au pouvoir. De 2017 à 2021, l’usage des armes par les policiers a augmenté de 26 % par rapport à 2012-2016. L’augmentation est même de 39 % sur l’usage des armes contre un véhicule.

    Mais le changement dans la loi n’est pas le seul accélérateur des violences policières. L’arrivée de Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur a fait passer un cap aux violences meurtrières : comme le magazine en ligne Basta! l’indique, depuis 2020, le nombre de personnes tuées par un tir des forces de l’ordre a doublé ; et trois fois plus de personnes sont décédées suite à une arrestation. 

    Les condamnations de policiers meurtriers sont extrêmement rares. On peut imaginer que l’assassin de Nahel, vu l’existence de cette vidéo et vu la pression, devrait probablement être condamné. D’autant qu’il est lâché par une partie de sa hiérarchie et par les autorités politiques, qui jouent la stratégie du “policier violent isolé”, pour tenter d’éviter que toute l’institution soit montrée du doigt. Mais la jeunesse des quartiers populaires est très consciente  qu’il ne s’agit pas d’un problème d’individus au sein des forces de l’ordre, mais bien de violences racistes généralisées, stimulées par les autorités politiques et au sein de même de la police.

    Le gouvernement a beau se cacher derrière l’invariable “laissez la justice faire son travail”, nous sommes nombreux à savoir que dans ce genre de cas, comme dans bien d’autres, la justice ne fait pas ce qu’on attend d’elle. Dans une société composée de différentes classes sociales aux intérêts antagonistes, les différentes institutions jouent le rôle, en dernière instance, de défendre la classe qui dirige. Dans notre société, il s’agit de la classe capitaliste. Et c’est bien à une justice de classe que nous avons à faire.

    Le rôle de l’État ; le rôle des forces de l’ordre

    Comme l’expliquait Friedrich Engels il y a plus de cent ans, l’émergence de l’appareil répressif de l’État, comprenant armée, police, prisons, etc. reflète historiquement la division de la société en classes sociales ayant des intérêts antagonistes impossibles à concilier. L’État est constitué, selon les termes d’Engels, de “détachements spéciaux d’hommes armés”, qui maintient le conflit de classes “dans les limites de l’ordre” mais défend en fin de compte les intérêts de la classe dominante (pour approfondir : lire L’État et la Révolution, Lénine). La répression et la menace du recours à la violence font partie intégrante de la protection des richesses et de la domination de la classe dominante dans une société aussi inégalitaire que la nôtre.

    C’est pourquoi la répression de la part du bras armé de l’État capitaliste est vive contre chaque mouvement social qui menace les intérêts de la classe dominante. Le déchainement policier contre le mouvement des Gilets Jaunes fin 2018 et en 2019 a blessé 25.000 manifestants, dont 353 à la tête, 30 éborgnés et 6 mains arrachés ; ainsi que la mort de Zineb Redouane, une octogénaire algérienne qui vivait à Marseille. 

    Le puissant mouvement social contre la réforme des retraites a lui aussi reçu une répression policière impressionnante, avec notamment l’éborgnement par le tir d’une grenade de désencerclement d’un cheminot syndicaliste SUD Rail à Paris, ou encore l’arrachage par une grenade d’un pouce d’une travailleuse dans l’accompagnement des élèves en situation de handicap (AESH) à Rouen. Dans les secteurs et entreprises où le personnel a été en grève reconductible (raffineries, collecte et traitement des déchets, …), la violence de l’État capitaliste s’est aussi illustrée, par sa justice et sa police, avec le forçage de piquets de grève et la réquisition de personnel pour relancer le travail.

    Durant la pandémie, le personnel soignant était officiellement applaudi par les autorités, mais lorsqu’il manifestait pour davantage de moyens et de personnel, la réponse était invariablement les matraques et les gaz lacrymogènes.

    La jeunesse aussi, particulièrement ces dernières années, est une cible privilégiée de la répression policière. La classe dominante connaît le risque d’une jeunesse qui se lève et qui peut entraîner derrière elle des couches entières de la classe travailleuse. Lorsqu’elle se mobilise contre les politiques anti-écologiques, ou contre l’arrogance antidémocratique de Macron à l’occasion du mouvement contre la réforme des retraites, elle est directement sous attaque. Gaz lacrymogènes, matraquages, tirs de LBD, grenades de désencerclement, charges policières contre les cortèges, nasses et gardes à vue arbitraires… 

    En mars, un enregistrement audio a démontré que de jeunes manifestants arrêtés ont reçu des gifles, des intimidations, des insultes (y compris racistes) et des menaces physiques par des policiers de la BRAV-M (Brigade de répression de l’action violente – motorisée). D’autres témoignages faisaient part d’attouchements sexuels dont été victimes des jeunes femmes emmenées dans un commissariat. Le but de tout ceci est de faire peur, et de faire taire les mouvements sociaux.

    La police ne peut pas être “abolie” dans le cadre d’une société capitaliste. Tant que les capitalistes seront au pouvoir, ils devront trouver un moyen de protéger leurs intérêts et leurs biens. Il n’est pas non plus possible de créer une police “non raciste” tant que le racisme et la ségrégation institutionnels restent intacts dans la société. Des petites améliorations peuvent être parfois gagnées, sur base de luttes, mais la solution est de se débarrasser du capitalisme lui-même.

    Pour un mouvement de masse de la classe travailleuse et de la jeunesse contre les violences du système !

    Le mouvement ouvrier doit jouer un rôle en s’impliquant activement dans l’organisation, la canalisation de toute cette colère et cette énergie mises dans les casses et pillages. Cette colère doit s’orienter non vers les bâtiments publics et de grandes enseignes commerciales, mais vers ce qu’il y a derrière : le système lui-même, qui crée les conditions pour que les violences existent, et qui s’en nourrit.

    Mi-juin, l’intersyndicale a acté la fin du mouvement contre la réforme des retraites. Un puissant mouvement social, qui n’a pas obtenu le retrait de la réforme, mais qui a pesé et va peser lourdement sur l’atmosphère sociale et politique durant les 4 années de mandat qu’il reste à Macron. En réalité la bataille des retraites n’est pas terminée, et septembre pourrait sonner le renouveau du combat syndical, sur les retraites ou d’autres questions. Le potentiel de lutte va rester explosif, avec une avant-garde renforcée numériquement et qualitativement au côté de couches larges de travailleurs et travailleuses enrichies par ce combat historique et qui ont repris confiance dans la force de la lutte collective. Tout ce potentiel doit être engagé dans une lutte de masse contre les humiliations et violences racistes et policières.

    Fin mai 2020, le meurtre raciste de George Floyd par la police aux USA avait relancé le mouvement #BlackLivesMatter (“les vies des noirs comptent”). En écho et pour s’opposer au racisme systémique et aux violences policières en France, des dizaines de milliers de personnes s’étaient mobilisées, particulièrement à l’appel du comité “La vérité pour Adama”. Un an plus tard, ce sont encore 150.000 personnes qui se sont mobilisées dans les rues partout en France. Le caractère structurel du racisme et des violences policières est de plus en plus visible et largement reconnu. Le mouvement Black Lives Matter a permis de mettre à mal la propagande officielle. C’est une base sur laquelle construire pour aller plus loin.

    Les milliers de personnes présentes à la Marche blanche organisée à Nanterre le 29 juin en hommage à Nahel reflètent la volonté de se mobiliser pour la vérité et la justice, et pour que les choses changent. De telles mobilisations peuvent servir d’exemple. Le mouvement ouvrier organisé doit se tourner vers ces couches parmi la jeunesse, souvent non organisées syndicalement, pour élargir la lutte à toutes les couches de la classe travailleuse, fournir les méthodes de lutte et montrer des perspectives pour faire reculer les autorités et l’extrême droite, et aller vers des victoires.

    Pour construire un bon rapport de force, il faut chercher à rassembler et organiser toutes celles et ceux qui veulent lutter contre le racisme, car c’est par l’action collective et la mobilisation de masse que des victoires peuvent être obtenues. Et ce qui nous unit, c’est que nous sommes victimes, à des degrés divers, des pénuries sociales (manque de logements sociaux, manque d’emplois décents, manque de moyens dans les services publics,…) et de l’exploitation qui découle du système de profit capitaliste.

    Un programme qui ne laisse personne de côté

    Les organisations syndicales ont encore trop souvent l’attitude de se concentrer sur leurs “bastions”, mais si ceux-ci peuvent et doivent jouer le rôle moteur, il est absolument crucial de chercher à entraîner dans leur sillage les secteurs et les couches moins mobilisées, et tout particulièrement la jeunesse , notamment des quartiers. C’est une des faiblesses de la résistance contre la réforme des retraites et c’est aussi tout l’enjeu d’une lutte antiraciste ambitieuse. 

    Durant le mouvement contre la réforme des retraites, nous avions d’ailleurs proposé la mise sur pied de comités de lutte et de grève anti-Macron partout, sur les lieux de travail, dans les écoles et facs, mais aussi dans les quartiers populaires. Des comités larges, ouverts à tous et toutes, qui permettent de construire la lutte à la base, démocratiquement, en impliquant tout le monde activement dans sa préparation et son organisation. Si de tels comités avaient été mis en place, ils pourraient aujourd’hui servir de tremplin pour faire passer la révolte contre le racisme d’État à un autre niveau. 

    Dans les syndicats, beaucoup de militants et de militantes se sont aujourd’hui investis dans la solidarité avec les victimes de violences policières racistes. Mais c’est beaucoup moins le cas des organisations syndicales elles-mêmes. Les organisations syndicales et leurs activistes ont un rôle majeur à jouer dans la mise sur pied d’un mouvement de masse, qui implique activement toutes les couches de la classe travailleuse, la jeunesse et les populations opprimées.

    Nous devons réagir à chaque attaque raciste par la mobilisation : une mobilisation de masse de l’ensemble qui doit s’opposer en fait à toutes les politiques racistes journalières dont sont victimes principalement les quartiers populaires ainsi que les populations dans la “France d’Outre-Mer”, dont la gestion par l’État français est un vestige direct de son empire colonial. “Une émeute est le langage de ceux qu’on n’entend pas” disait Martin Luther King. Donnons une voix à ceux et celles qu’on entend pas par la solidarité active et la construction d’un mouvement de masse contre les politiques racistes structurelles. Il est impossible de résoudre le problème en s’en remettant aux institutions de l’État qui entretiennent le racisme systémique.

    La colère doit être rassemblée autour du mouvement ouvrier en défendant un programme qui combat l’austérité et le racisme par la solidarité : une lutte massive unitaire de la classe travailleuse, la jeunesse et des populations opprimées, armée d’un programme de revendications offensives pour imposer ce que le camp d’en face refuse de mettre en place : la vérité et la justice pour toutes les victimes des violences policières racistes ; la démilitarisation de la police, le démantèlement des unités les plus réactionnaires comme les Brigades anticriminalité (BAC) et la BRAV-M, et la mise sous contrôle démocratique de la police par les communautés ouvrières et quartiers défavorisés, les secteurs de travail clés et syndicats pour en finir avec les brutalités policières.

    Une revendication cruciale est celle d’investissements publics massifs dans les quartiers défavorisés : dans les services publics, le logement et l’accès à un emploi bien rémunéré pour tous et toutes ; dans l’éducation, l’accès à la santé à la culture et au sport ; dans les associations et les centres sociaux. La France Insoumise a raison de porter une telle revendication, reprise dans son plan d’urgence “Justice partout” (voir ici)

    Les conditions de travail et de salaire doivent changer. Un minimum est de défendre une augmentation immédiate de tous les salaires de 10% et le retour de l’échelle mobile des salaires supprimée par Mitterrand en 1983 pour affronter l’inflation. Garantir l’accès à l’enseignement pour toutes et tous implique aussi l’instauration d’un salaire étudiant à hauteur du SMIC. Quant aux secteurs à bas salaires, plaçons-les sous contrôle public afin d’assurer un véritable statut au personnel, avec un bon salaire et de bonnes conditions de travail. Il nous faut un emploi garanti et du temps pour vivre, et donc une réduction collective du temps de travail, sans diminution des salaires, avec embauches compensatoires et diminution des cadences. 

    Les militant.e.s de la FI et les syndicalistes ont un rôle à jouer dans la construction d’un mouvement de lutte unifié. Mélenchon avait d’ailleurs remporté des scores exceptionnels dans les quartiers populaires lors de l’élection présidentielle 2022, même si l’alliance de la NUPES qui a suivi a mis à mal une partie du soutien, un accord qui n’était pas partagé par tous et toutes dans les quartiers populaires surtout, puisqu’il contient des éléments qui se sont illustrés dans la gestion du système, qui ont mené des politiques locales contre les intérêts des habitants de ces quartiers.

    Pour une lutte socialiste révolutionnaire

    Vivre dans une société où personne n’aura à craindre la répression de l’État et le racisme, ça implique de se débarrasser du capitalisme. La seule manière de répondre aux besoins sociaux de l’ensemble sans discrimination nécessitera de remettre le pouvoir à la majorité sociale.

    Finissons-en avec l’exploitation capitaliste des deux sources de toutes richesses, les travailleurs et travailleuses et la nature, en nationalisant sous contrôle et gestion démocratiques les secteurs clés de l’économie. De cette manière, il serait possible d’avancer vers une économie démocratiquement planifiée qui poserait les bases de l’anéantissement de toute oppression, exploitation, violence, inégalité et injustice. C’est le projet du socialisme révolutionnaire : renverser le capitalisme et balancer le racisme, le sexisme, la LGBTQI+phobie et les autres discriminations et oppressions dans les poubelles de l’histoire.

  • Fin du premier acte de la pièce de théâtre “L’effondrement du régime de Poutine”

    La mutinerie de Prigojine et de ses mercenaires de Wagner s’est brusquement terminée. Le texte qui suit est un commentaire préliminaire sur les événements, une analyse plus complète arrivera bientôt article.

    Par Социалистическая Aльтернатива (CA, ASI- Alternative socialiste)

    Après 24 heures de tensions dramatiques, la télévision russe a annoncé que les négociations entre le dictateur bélarusse Aleksander Loukachenko et le chef des mercenaires de Wagner, Evgueni Prigojine, avaient abouti. Prigojine mettrait fin à sa marche sur Moscou et ses troupes se verraient offrir une retraite sécurisée en Belarus. Peu de temps après, Prigojine a annoncé que ses troupes faisaient demi-tour vers un camp de campagne, comme convenu.

    Les rapports de l’heure précédente indiquaient qu’une partie des forces de Wagner avait atteint la région de Moscou et se trouvait probablement à environ 100-150 km de la frontière sud de la capitale. Elles avaient parcouru près de mille kilomètres depuis Rostov, ne rencontrant pratiquement aucune résistance. À un moment donné, près de Lipetsk, elles ont été attaquées par l’aviation russe, qui a réussi à détruire ce qui semble être un camion. Wagner affirme qu’ils ont abattu trois hélicoptères d’attaque russes. Plus loin sur la route, ils ont rencontré un barrage routier créé par un groupe de conducteurs de tracteurs-excavateurs locaux qui ont creusé la route.

    À l’approche de la capitale, la tension a monté. Des barrages routiers ont été mis en place sur toutes les routes d’accès, et les Moscovites ont été avertis que la police pourrait pénétrer dans leur domicile sans l’aval d’un tribunal. Il était clair que la surveillance des téléphones était accrue. Des caves ont été fouillées. Les activités publiques ont été annulées, ce qui est particulièrement pénible pour ceux qui quittent l’école cette année, car ce soir est traditionnellement utilisé pour les célébrations. Les billets d’avion pour quitter la ville ont été vendus à des prix spéculatifs, et l’on pense que Poutine lui-même, Medvedev et sa famille, ainsi que la fille de Choïgou, ont tous fui la ville.

    On ne peut que spéculer sur ce qui se serait passé si Prigojine avait atteint les limites de la ville. Il comptait manifestement sur le mécontentement généralisé de la police et de la garde nationale, qui n’auraient eu aucune envie de s’opposer à lui. Mais à mesure qu’il approchait de Moscou, il s’est rendu compte que ce ne serait pas le cas. De plus, Moscou, avec sa population traditionnellement tournée vers l’opposition, aurait pu très facilement s’organiser contre lui. Son seul espoir était d’entrer en contact avec une partie de l’élite dirigeante désireuse de s’opposer à Poutine, mais rien ne le laissait présager. En effet, de nombreux gouverneurs régionaux et le maire de Moscou, ainsi que le leader tchétchène Kadyrov se sont prononcés contre Prigojine. Il va sans dire que le dirigeant “communiste” Ziouganov a publié une déclaration flatteuse en faveur de Poutine.

    Pour expliquer ce qui s’est passé, une version qui semble avoir une certaine crédibilité est que Prigojine pensait initialement que sa prise initiale de Rostov persuaderait Poutine, qu’il croyait être encore un ami proche, d’agir contre Choïgou et Guerassimov. Mais son plan a été contrarié par le fait que Choïgou, qui se trouvait à Rostov, a réussi à fuir la ville et à rendre compte directement à Poutine, ce qui a mis à mal la thèse de Prigojine. Après cela, Poutine a changé radicalement de langage, accusant son ami de trahison à la télévision d’État. Cela a poussé Prigojine à lancer sa “Marche pour la justice”. Le changement d’avis soudain de Poutine, qui a autorisé Prigojine à s’exiler au Belarus, et la retraite de Prigojine semblent avoir suivi l’intervention du gouverneur de la région de Tver, ancien chef de la garde du Kremlin et autre ami proche de Poutine, qui pourrait avoir soutenu certaines des critiques de Prigojine à l’égard des chefs de l’armée. Poutine a assuré à Prigojine, dont il avait ordonné l’arrestation pour trahison, que les charges seraient abandonnées et qu’il s’occuperait de la situation au sein de la direction de l’armée.

    Il convient toutefois de souligner que cette version fait partie d’un certain nombre de “théories du complot”. Elle est largement spéculative et pourrait donc s’avérer inexacte au fur et à mesure de l’apparition d’informations supplémentaires.

    Quoi qu’il en soit, même si le Kremlin a réussi à éviter une crise existentielle pour l’instant, cette dernière journée a porté un coup sérieux à la crédibilité du Kremlin. Elle a porté atteinte à l’image d’invincibilité de Poutine. Jusqu’à présent, il était considéré comme le garant de la stabilité au sein de l’élite dirigeante, s’appuyant et manœuvrant entre différentes sections pour garder le contrôle. Aujourd’hui, l’un de ses enfants préférés – Prigojine – a sérieusement secoué le bateau. On ne sait toujours pas ce que contient le petit texte de l’accord avec Prigojine, mais il est désormais probable que Poutine devra contrôler les actions de Shoigu et de Guerassimov, s’il veut éviter de nouvelles révoltes.

    La mutinerie a également nui aux actions de l’armée en Ukraine. Outre le fait qu’elle a remonté le moral des forces ukrainiennes, alors que l’armée russe commençait à retirer ses forces de l’est de l’Ukraine, prêtes à s’opposer à Prigojine, l’armée ukrainienne a annoncé de nouveaux gains, encore modestes, dans son offensive. Elle a continué à encercler Bakhmut et s’est emparée de la ville de Krasnohorivka, une banlieue de Donetsk qui était contrôlée par les forces russes depuis 2014.

    Si Prigojine avait réussi à atteindre Moscou et qu’une fusillade s’était déclenchée, cela laissait entrevoir l’éclatement du pays en factions belligérantes, dans une guerre civile aux multiples facettes. Le chef tchétchène Kadyrov avait déjà envoyé son armée, déclarant qu’il reprendrait Rostov à Prigojine. Cette déclaration aura suscité l’inquiétude dans les capitales du monde entier.

    L’impérialisme occidental souhaite voir l’impérialisme russe repoussé à l’intérieur de ses frontières, mais craint une répétition des années 1990 lorsque, après la restauration du capitalisme, la région est devenue un foyer de seigneurs de la guerre et de conflits ethniques. Le régime chinois semble lui aussi s’abstenir de tout commentaire, sans doute préoccupé par le danger d’une telle instabilité chez son plus grand voisin. Il n’appréciera pas que le dirigeant de son principal partenaire stratégique soit perçu comme de plus en plus affaibli sur la scène mondiale. Aujourd’hui, les puissances impérialistes s’interrogent sur les conséquences du recul de Wagner pour d’autres pays, notamment sur le continent africain où les mercenaires de Wagner sont particulièrement actifs.

    L’affaiblissement de l’autorité de Poutine se traduira à un moment donné par une augmentation de la politisation des Russes. Il est essentiel que cela serve à argumenter et à construire une alternative internationaliste et socialiste aux bellicistes capitalistes corrompus actuels et à leur régime.

  • État espagnol. Revers électoral majeur pour la coalition gouvernementale aux élections locales

    Le gouvernement de coalition PSOE – Unidos Podemos est en état de choc, après des élections régionales et locales désastreuses. La tactique du chef du gouvernement Pedro Sánchez de convoquer rapidement des élections générales (le 23 juillet) repose sur la peur à la perspective d’un gouvernement PP-VOX.

    Par John Hird, ASI, Pays Basque, article initialement publié le 30 mai

    La gauche a perdu les gouvernements régionaux “autonomes” d’Aragon, de Cantabrie, des Canaries, des îles Baléares, de Valence, d’Estrémadure et de La Rioja, tout en conservant Castille-La Manche, les Asturies et la Navarre. Le Partido Popular (droite) continuera à gouverner la région de Murcie et la Communauté de Madrid, avec une majorité absolue pour le populiste de droite Ayuso à Madrid.

    L’arithmétique électorale est très claire. Il y a quatre ans, lors des élections municipales, 22 964 058 personnes ont voté, avec un taux de participation de 65,2 %. Parmi eux, 6 657 119 électeurs (29,26 %) ont voté pour le PSOE et 5 058 542 (22,23 %) pour le PP. Aujourd’hui, le PP a plus de 31,5% des voix et le PSOE moins de 28%. Cette année, 22 452 378 personnes ont voté pour leurs conseils locaux, soit 63,92% de l’électorat. Le fait que 37 % de la population n’ait pas voté reflète la désillusion de la classe ouvrière et des jeunes face au bilan des différents partis qui se réclament de la gauche mais qui, au pouvoir – aux niveaux national, régional et local – n’ont pas réussi à apporter de réelles améliorations à la vie des travailleurs au cours des années de crise.

    Le PP de droite, dirigé par Alberto Feijóo, gouvernera avec le parti d’ultra-droite VOX, dirigé par Santiago Abascal, en Aragon, en Estrémadure, à Valence, dans les îles Baléares et en Cantabrie. Le parti d’Abascal consolide sa position en tant que force de gouvernement, au niveau régional et local. Dans la région de Murcie également, le PP pourrait partager le gouvernement avec VOX.

    La polarisation de la situation politique a presque rayé de la carte le parti populiste de droite plus modéré Ciudadanos (Parti des citoyens), qui était à l’origine un projet de la classe dirigeante visant à semer la confusion et à bloquer les mouvements vers la gauche après la croissance initiale de Podemos.

    Le fantôme de l’ETA

    Les élections ont été marquées par des slogans démagogiques et vides de sens de la part de la droite. À Madrid, Ayuso a affirmé que Sánchez n’était au pouvoir que grâce aux “votes de l’ETA” (les paramilitaires nationalistes basques dissous), tandis que la coalition PSOE – UNIDOS Podemos s’appuie sur les votes du parti nationaliste de gauche Baque BILDU. L’ETA a abandonné la lutte armée il y a plus de dix ans et BILDU – qui comprend de nombreux anciens membres de Batasuna, le parti qui soutenait l’ETA – poursuit une voie électorale. D’anciens prisonniers figurent sur leurs listes électorales. Il est significatif que le discours stérile de la droite s’appuie sur l’évocation des fantômes du passé pour tromper l’électorat.

    Cette tactique n’a pas fonctionné au Pays Basque. La gauche a conservé la Navarre et, dans la capitale basque Vitoria-Gasteiz, BILDU a obtenu pour la première fois le plus grand nombre de voix dans la ville. VOX n’a pas atteint le seuil de voix nécessaire pour obtenir un siège au conseil municipal. Dans l’ensemble du Pays basque, BILDU a obtenu les meilleurs résultats de son histoire et a porté son nombre de conseillers à un niveau record. Auparavant, le parti nationaliste basque néolibéral PNV dominait les institutions basques. La montée en puissance de BILDU s’inscrit dans le contexte d’une classe ouvrière de plus en plus combative au Pays basque.

    La lutte des classes se poursuit au Pays basque

    Une grève générale des travailleurs de la santé a eu lieu les 18 et 19 mai contre le démantèlement du service public de santé basque Osakidetza, mené par le parti nationaliste bourgeois au pouvoir, le PNV. Le BILDU et les syndicats indépendantistes ELA et LAB sont considérés comme de fervents défenseurs des services de santé et ont électoralement bénéficié de cette position. La lutte acharnée pour la défense des services de santé se poursuit.

    De même, en Navarre, 10 000 enseignants étaient en grève pour réclamer la réduction des contrats d’emploi temporaire à moins de 8 %, la réduction de la surcharge de travail avec plus de ressources et la récupération du pouvoir d’achat après avoir perdu 20 % depuis 2010, ce qui nécessite des améliorations salariales.

    Des vagues de travailleuses, comme les femmes de ménage, déclarées “essentielles” pendant la pandémie, se mobilisent pour lutter contre la paupérisation des conditions de vie. Deux jours avant les élections, la capitale basque a été paralysée par une grève des tramways qui a bénéficié d’un soutien massif.

    Au Pays basque, BILDU a réussi à attirer d’anciens électeurs de Podemos et a ainsi obtenu des résultats au-delà de toutes les attentes. Le facteur clé est que Podemos, bien que né du mouvement des Indignés en 2011 et de la vague de mouvements de masse qui a suivi, s’est résolument tourné vers la politique purement électorale et les alliances de circonstance, ce qui leur a fait perdre leur base au Pays basque, où une alternative plus combative est offerte par Bildu, en particulier aux jeunes.

    Lehendakari (président) du PNV au Pays Basque, Iñigo Urkullu, a déclaré que le Pays Basque est le “leader en matière de grèves et de manifestations” – et a ajouté que 50% de toutes les grèves en Espagne se concentrent dans cette région – alors qu’il s’agit d’une communauté “leader” en termes de revenus, de faible pauvreté et de cohésion sociale. Ce commentaire révèle que même le dirigeant d’un parti nationaliste bourgeois comprend que la lutte des classes a affecté le soutien à son parti et laisse entendre que les travailleurs devraient être reconnaissants de ce qu’ils ont et accepter les réductions de moyens. Cependant, les travailleurs du Pays Basque comprennent que la classe ouvrière basque s’est battue pour obtenir un niveau de vie relativement plus élevé et de meilleurs services publics et qu’ils ne vont pas y renoncer sans se battre.

    Il est également significatif qu’au Pays Basque, un mouvement de jeunesse important, combatif et socialiste soit en train de se développer. Gazte Koordinadora Sozialista. GKS critique les positions plus réformistes adoptées par BILDU et sa politique consistant à essayer de construire un “consensus national” avec le parti nationaliste bourgeois au pouvoir, PNV. Ils critiquent également le manque d’orientation forte du BILDU vers la classe ouvrière avec des solutions socialistes claires. La récente percée électorale de BILDU dans le contexte des luttes industrielles signifie qu’un débat important et significatif sur la voie à suivre pour la gauche aura lieu au moins au Pays Basque.

    Ada Colau perd le pouvoir à Barcelone

    En Catalogne, Ada Colau ne restera pas maire de Barcelone, où le parti de centre-droit Junts, le parti indépendantiste le plus associé à la lutte pour l’indépendance, a remporté le plus grand nombre de conseillers ; la coalition d’Ada Colau, En Comú (qui comprend l’affilié catalan de Podemos) est arrivée en troisième position avec neuf conseillers. Il s’agit d’un autre exemple de l’incapacité des forces de gauche à profiter du pouvoir lorsqu’elles ont été soulevées par le mouvement dans les rues. Ada Colau était l’un des membres fondateurs et porte-parole de la Plataforma de Afectados por la Hipoteca (PAH) (Plateforme des personnes affectées par les prêts hypothécaires), créée à Barcelone en 2009 en réponse à l’augmentation des expulsions causées par des prêts hypothécaires impayés et à l’effondrement du marché immobilier espagnol dans le sillage de la crise financière de 2008. Ce mouvement avait créé l’espace nécessaire à l’élection d’Ada Colau. Malheureusement, l’édulcoration progressive de son programme de gauche s’est traduite par une déception et une défaite.

    Cette défaite de la gauche en Catalogne s’est également produite dans le cadre de batailles et de mouvements industriels en cours. Six petits syndicats ont appelé à une grève générale à l’occasion de la Journée internationale de lutte pour les droits des femme de cette année. Bien que l’UGT et les CCOO n’y aient pas participé, il s’agit d’une indication de la conscience des travailleurs et d’un rapprochement des luttes industrielles et des femmes qui se battent contre leur double exploitation. Cependant, Ada Colau et En Comú sont largement déconnectés de ces développements.

    Un processus similaire a eu lieu dans la ville de Valence, avec de mauvais résultats pour la gauche. Le nouveau maire appartient au PP, qui a obtenu la majorité absolue en concluant un pacte avec Vox. Unides Podem (qui comprend Podemos à Valence) a perdu tous ses sièges à Valence, tant au niveau local que régional.

    Pourquoi ?

    Comment se fait-il que la droite ait pu faire des gains compte tenu de la situation de l’État espagnol, avec 2,8 millions de personnes en situation de pauvreté absolue et des prix de l’énergie et des denrées alimentaires qui montent en flèche ?

    Il ne faut pas croire que les travailleurs espagnols sont passifs ou qu’ils ne se battent pas. Il n’y a pas qu’au Pays basque que des conflits sociaux éclatent.

    Selon les statistiques du gouvernement espagnol, dans toutes les tranches d’âge, il y a eu beaucoup plus de femmes en grève que d’hommes, 62 % contre 38 %. La plupart des grèves (94,9 %) ont eu lieu dans le secteur des services, y compris les services de santé.

    Alors que les travailleurs de la santé et des services sociaux ont mené des grèves massives et acharnées contre les différents gouvernements provinciaux espagnols qui gèrent les services de santé, des luttes ont été menées dans d’autres secteurs, notamment l’éducation et l’industrie manufacturière.

    L’ampleur des grèves dans l’État espagnol est considérable. Le 17 avril, 45 000 fonctionnaires du ministère de la justice se sont mis en grève illimitée. Le service de santé de Madrid est de son côté en proie à une lutte acharnée. En raison des réductions budgétaires et des privatisations opérées par les administrations précédentes, les travailleurs des services de santé effectuent le même travail, mais 20% des emplois ne sont pas couverts. Le président populiste de la région de Madrid, M. Ayuso, qualifie les travailleurs de la santé d’”agitateurs de gauche”. Les travailleurs sont soutenus par l’ensemble de la classe ouvrière. Le dimanche 12 février, près d’un million de personnes sont descendues dans les rues de Madrid pour défendre les services de santé. L’appel principal de la manifestation était : “Ayuso dehors !”

    Pourtant, Ayuso a remporté une victoire écrasante à Madrid lors des dernières élections. Sa rhétorique portant sur l’ETA a évidemment eu un effet, mais ces résultats reflètent surtout la déception de la classe ouvrière face à la coalition PSOE-UNIDOS Podemos et à ses équivalents locaux et régionaux, qui ne s’attaquent pas aux problèmes fondamentaux auxquels la population est confrontée.

    De nouvelles élections générales

    Pedro Sánchez a réagi à cette défaite électorale en convoquant des élections générales anticipées. Cette tactique a pour but de profiter de la peur suscitée par la perspective d’un gouvernement PP-VOX sans pour autant avoir à offrir d’alternative claire. Malheureusement, Podemos ne semble pas avoir tiré les leçons de son lent déclin. L’ancien leader Pablo Iglesias propose un front de gauche dirigé par Sánchez avec une autre scission de Podemos, Sumar, dirigé par la ministre de la coalition Yolanda Díaz et Mas País, une autre scission dirigée par Iñigo Errejón.

    Malheureusement, cette unité ne reposerait pas sur un programme de gauche combatif et offensif. Des millions de travailleurs et de jeunes dans l’État espagnol s’opposent à la montée en puissance de la droite et à un éventuel gouvernement PP -VOX après le 23 juillet, mais ils ne sont pas inspirés par l’alternative de gauche qui leur est proposée.

    En fin de compte, l’extrême droite et les idées franquistes ne seront vaincues que par l’unité de la classe ouvrière autour d’un programme de transformation de toute la société. Un appel à maintenir le statu quo capitaliste n’inspire pas et ne fera qu’enhardir la réaction.

    La situation est complexe et contradictoire. Nombreux sont ceux qui désespèrent devant ce qui semble être l’inévitabilité d’un gouvernement d’extrême droite en Espagne. Cependant, la croissance de la droite et les revers continus d’Unidos Podemos ne doivent pas être considérés comme la preuve que les idées de gauche sont impopulaires. VOX progresse précisément parce que la gauche n’offre PAS d’alternative claire à destination de la classe ouvrière.

    Podemos a été entaché par sa participation à la coalition du PSOE. Ils auraient dû critiquer le PSOE depuis la gauche au parlement et surtout dans la rue.

    Quelle que soit l’issue de ces élections et des prochaines élections générales, la polarisation sociale et politique se poursuit dans l’État espagnol. Une victoire de l’extrême droite provoquera des fissures régionales et nationales. De nombreuses sections de la classe ouvrière et de la jeunesse n’accepteront pas les politiques réactionnaires du PP-VOX. Les attaques contre le droit à l’avortement et la rhétorique misogyne et raciste de VOX ne resteront pas sans réponse.

  • Soudan : la contre-révolution conduit à la guerre civile

    En décembre 2018, un processus révolutionnaire avait éclaté au Soudan et, pour tenter de sauvegarder le régime militaire, l’armée avait décidé de lâcher le dictateur Omar El Béchir au pouvoir depuis 30 ans. Aujourd’hui, depuis la mi-avril, l’armée, dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhane, et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR), menés par le général Mohamed Hamdane Daglo, s’affrontent pour le pouvoir.

    Par Nicolas Croes, article tiré de l’édition de juin de Lutte Socialiste

    Après près d’un mois, les combats ont fait plus de 750 morts, 5.000 blessés et plus de 900.000 déplacés et réfugiés. Selon le Programme alimentaire mondial des Nations unies, 19 millions de personnes, soit 41 % de la population, pourraient bientôt être menacées par la faim sous l’effet conjugué de la guerre civile, de la hausse des prix et de l’impact des inondations qui ont touché le pays l’an dernier.

    L’impasse de la conciliation avec les militaires

    À l’époque, le limogeage d’El Béchir n’avait pas calmé les masses en révolte et, en juin 2019, les généraux avaient tenté de tuer la révolution dans l’œuf avec un carnage contre un sit-in face au commandement de l’armée dans la capitale. Une grève générale de trois jours a suivi en exigeant la chute du Conseil militaire, suivie par une « Marche des millions » à la fin du même mois.

    La détermination et la volonté de sacrifice n’a pas manqué parmi les travailleurs et les opprimés du pays. Mais comme l’a dit un jour l’une des principales figures de la révolution russe de 1917, Léon Trotsky, la victoire dans la révolution exige « la volonté de porter le coup décisif ». Les dirigeants civils du mouvement (y compris le Parti communiste soudanais) ont hélas manœuvré pour chercher la conciliation avec les forces armées, ce qui a court-circuité l’énergie révolutionnaire des masses.

    Un compromis pourri reposant sur un accord de partage du pouvoir a laissé les généraux meurtriers aux commandes avec tout le temps de se réorganiser. En octobre 2021, Burhane et Daglo se sont alliés pour mener un putsch et évincer les civils du pouvoir. Mais dès les premières heures du coup d’État, des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues et ont érigé une multitude de barricades et de points de contrôle révolutionnaires à travers les villes et villages tandis qu’une grande vague de grèves ouvrières a balayé un secteur après l’autre. Toutefois, là encore, il a manqué une direction révolutionnaire capable de porter la colère jusqu’au renversement de la junte et l’expropriation des possessions économiques des seigneurs de guerre (un vaste réseau d’entreprises, de propriétés et de terres agricoles).

    L’union sacrée entre ces deux généraux a explosé et les horreurs de la guerre dominent actuellement, mais aucun des deux camps n’a de solution pour s’en prendre aux bases matérielles de la colère populaire. La seule issue pour les masses est de reprendre le chemin de la lutte sans plus jamais s’arrêter à mi-chemin. On ne transige pas avec ceux dont les mains sont maculées du sang de générations.

0
    0
    Your Cart
    Your cart is emptyReturn to Shop