Category: Social

  • Ils sont d’abord venus pour les migrant.es…

    La déshumanisation dans le cadre d’une surenchère internationale pour « la politique d’asile la plus stricte possible ». C’est ce que représente l’Arizona. À la faveur du vent trumpiste, les droits des personnes migrantes sont quasiment réduits à néant, à tel point que les experts se demandent si cela respecte la Constitution. Le gouvernement s’attaque durement aux plus vulnérables. Et ce n’est qu’un début. Nous pensons immédiatement à la célèbre citation du pasteur Martin Niemöller « Quand ils sont venus chercher… » (*)

    par Geert Cool

    L’extrême droite ne fait officiellement pas partie de ce gouvernement, il n’en reste pas moins que la politique d’asile ne peut être qualifiée que d’extrême droite. Reste-t-il quelque chose de l’ancien programme anti-immigration en 70 points du Vlaams Blok qui n’ait pas été transformé en politique concrète depuis lors ?

    Inouï et inacceptable

    L’accueil des migrant.es se limite à « un lit, un bain, du pain et un accompagnement », et même cela n’est pas garanti. Après d’innombrables condamnations parce que le gouvernement belge fournit insuffisamment de places d’accueil, l’Arizona veut encore réduire la capacité existante et modifier la loi afin de pouvoir invoquer la « force majeure ». La protection sociale est progressivement supprimée, par exemple le droit à un revenu d’intégration ne peut être accordé qu’après cinq ans.

    Les arrestations de personnes sans papiers dans les maisons, sans mandat de perquisition et sans consentement, deviendront possibles. Cela ouvre la porte à des raids qui ne se limiteront pas aux espaces publics.

    Le regroupement familial deviendra encore plus difficile. Aujourd’hui, il n’est déjà pas évident pour les personnes migrantes de faire venir leur partenaire et/ou leurs enfants. Désormais, une période d’attente de deux ans est prévue pour les réfugié.es de guerre. Toute personne fuyant le génocide à Gaza devra donc attendre deux ans avant que le reste de la famille ne soit autorisé à venir en Belgique. Ceux qui inventent ce genre de chose feraient mieux d’essayer de survivre ne serait-ce qu’une semaine ou un mois à Gaza. Dans la pratique, cette période d’attente s’appliquera à la plupart des réfugié.es. En 2024, 39 615 demandes d’asile ont été introduites en Belgique, dont 14 % en provenance de Palestine, 11 % de Syrie et 10 % d’Afghanistan. Ce n’est pas la protection de plus en plus inexistante des réfugié.es qui crée un « effet d’aspiration », c’est la politique de guerre soutenue par le gouvernement belge qui crée un « effet de départ ».

    Dans la procédure, même le semblant de « justice » est jeté par-dessus bord. Le Conseil du Contentieux des Étrangers (CCE) est en train d’être « réformé » pour permettre des procédures plus courtes et entièrement écrites, avec des décisions moins motivées et des possibilités d’appel limitées. L’aide juridictionnelle sera « évaluée », les procédures devant le CCE deviendront plus coûteuses, et il sera même possible de pénaliser les avocats pour les « recours manifestement illicites ». Certains professeurs de droit constitutionnel, de droits humains et de droit des migrations qualifient les mesures proposées de « sans précédent et aussi d’inédites, parce qu’elles violent la séparation des pouvoirs, l’indépendance du pouvoir judiciaire et/ou les droits fondamentaux ».

    Les personnes qui souhaitent obtenir la nationalité belge et qui passent un « examen de nationalité » devront payer 1 000 euros au lieu des 150 euros actuels. Et pour cette somme-là, pas question d’en remettre en cause l’indexation, même à partir de 2027, contrairement à nos salaires et allocations… Là aussi, Conner Rousseau (Vooruit) peut s’en tirer à bon compte…

    Solidarité et lutte

    La vive polémique entre Musk et les partisans du MAGA autour de la migration a été l’expression des contradictions de la droite. D’un côté, ils surfent sur le racisme qu’ils alimentent autant que possible ; de l’autre, en tant que patrons, ils ne sont que trop heureux de faire appel à une main-d’œuvre bon marché qui peut être exploitée à outrance.

    En Belgique aussi, des dizaines de milliers de sans-papiers travaillent chaque jour pour des salaires de misère et sans aucune protection. Par le biais de systèmes de sous-traitance, ils travaillent à la rénovation de stations de métro ou encore au nettoyage de palais de justice et d’autres bâtiments publics. La surexploitation exerce une pression à la baisse sur l’ensemble des salaires et des conditions de travail.

    Les sans-papiers s’opposent à l’Arizona. Une délégation était présente à la manifestation du 13 février. La solidarité est nécessaire. Si le gouvernement s’en tire en déshumanisant une couche de travailleur.euses vulnérables, il continuera à le faire pour d’autres couches. En fin de compte, c’est l’ensemble des salarié.es qui seront visés ; c’est inhérent à la machine à profit du capitalisme. Au lieu de laisser les patrons et leurs politiciens nous briser doigt par doigt, faisons tout de suite un poing combatif ensemble.

    (*) La citation du pasteur Martin Niemöller :

    Quand les nazis sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste.

    Quand ils ont enfermé les sociaux-démocrates, je n’ai rien dit, je n’étais pas social-démocrate.

    Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste.

    Quand ils sont venus me chercher, il ne restait plus personne pour protester.

  • ‘Transgender Warriors’. Une arme contre la transphobie et l’oppression

    Dans un monde où la diversité des genres est de plus en plus la cible de réactions négatives, l’ouvrage de Leslie Feinberg intitulé « Transgender Warriors : Making History from Joan of Arc to Dennis Rodman » (L’histoire en marche de Jeanne d’Arc à Dennis Rodman) offre une réponse puissante et indispensable.

    par Nick (Anvers)

    Cet ouvrage fondamental combine des réflexions personnelles, une analyse historique et un appel à la solidarité pour non seulement célébrer l’existence des personnes non conformes au genre, mais aussi pour démanteler les structures sociales qui les oppriment. Le message de Feinberg est clair: la diversité des genres n’est pas un phénomène moderne, mais fait partie intégrante de l’histoire de l’humanité, et la lutte pour les droits des transgenres est inextricablement liée à des mouvements plus larges en faveur de la justice sociale.

    La diversité des genres : un phénomène qui n’est pas nouveau

    L’un des thèmes les plus forts de «Transgender Warriors» est la réfutation par Feinberg du mythe selon lequel les identités transgenres et non binaires sont un phénomène récent. En présentant un large éventail d’exemples historiques, Feinberg montre que la diversité des genres a existé dans d’innombrables sociétés au cours des siècles. Des traditions bispirituelles des cultures indigènes d’Amérique du Nord aux pratiques de transcendance du genre de Jeanne d’Arc, Feinberg montre que les personnes de genre différent ont souvent joué un rôle respecté dans leurs communautés.

    Dans les cultures indigènes, telles que celles des tribus nord-américaines, les personnes non conformes au genre étaient souvent considérées comme des guides spirituels et des leaders. Cependant, cette reconnaissance a été détruite par les forces coloniales et religieuses. Le colonialisme a apporté non seulement l’exploitation économique, mais aussi l’imposition de rôles binaires stricts en matière de genre comme moyen de déstabiliser et d’assujettir les communautés. Le travail de Feinberg nous rappelle que ces dichotomies de genre ne sont pas universelles, mais le produit de processus historiques spécifiques.

    Le lien entre l’oppression de genre et d’autres luttes

    Feinberg démontre de manière convaincante que l’oppression fondée sur le sexe n’est pas isolée, mais qu’elle est étroitement liée à des systèmes de pouvoir et d’exploitation plus vastes. De l’esclavage au capitalisme et au colonialisme, l’oppression fondée sur le sexe a souvent été utilisée pour renforcer les hiérarchies sociales. Le patriarcat, affirme Feinberg, fonctionne comme un outil essentiel dans ces systèmes, utilisant les normes de genre pour centraliser le pouvoir et légitimer l’exploitation économique.

    La persécution historique des personnes de sexe différent n’est pas un accident, mais une stratégie consciente des classes dirigeantes pour briser la solidarité entre les groupes marginalisés. Cette leçon reste d’actualité. À l’heure où les personnes transgenres sont de nouveau la cible d’attaques organisées, l’analyse de Feinberg apporte un éclairage important: la protection des droits des transgenres n’est pas seulement une question morale, mais aussi une étape stratégique dans la lutte contre des formes plus larges d’oppression.

    Le combat personnel de Feinberg : de la marginalisation à l’activisme militant

    L’histoire personnelle de Feinberg est au cœur de «Transgender Warriors» et illustre les luttes quotidiennes auxquelles sont confrontées les personnes non conformes au genre. Ayant grandi en tant que femme masculine dans la société hostile des années 1950, Feinberg a connu un monde où l’expression du genre était strictement contrôlée et la déviance punie. C’est ce qui l’a amenée à rejoindre des mouvements sociaux et à devenir l’une des principales voix de la lutte pour les droits des transgenres.

    Le livre montre comment Feinberg a trouvé son inspiration dans les mouvements révolutionnaires des années 1960 et 1970, du Black Panther Party à la lutte pour les droits des femmes et au mouvement de libération LGBTQAI+. Il souligne également que les personnes issues de la diversité de genre ont des modèles historiques souvent négligés, de la rébellion de Jeanne d’Arc aux soulèvements de Stonewall. Ces exemples montrent que les personnes issues de la diversité de genre ne sont pas seulement des victimes de l’oppression, mais aussi des leaders de la résistance.

    Un appel à la solidarité et à l’action

    L’un des aspects les plus frappants de «Transgender Warriors» est l’appel de Feinberg à la solidarité entre les communautés touchées par différentes formes d’oppression. Le livre préconise une approche intersectionnelle, dans laquelle la lutte pour l’émancipation des genres va de pair avec les mouvements contre le racisme, le sexisme et l’inégalité économique. Feinberg insiste sur le fait que les droits des transgenres ne sont pas distincts des questions sociales plus générales, mais qu’ils constituent un élément essentiel de la lutte pour un monde juste.

    Cet appel est particulièrement puissant à la lumière de la réaction contemporaine contre les droits des transgenres. Les forces réactionnaires cherchent à marginaliser les personnes transgenres en les présentant comme une menace pour les valeurs traditionnelles ou comme une mode. Le travail de Feinberg s’oppose à ces mensonges en montrant que la diversité des genres a toujours existé et qu’elle était souvent honorée dans les sociétés avant que les systèmes coloniaux et capitalistes ne la suppriment.

    Une arme contre les réactions négatives

    À l’heure où les droits des transgenres sont remis en question dans le monde entier, «Transgender Warriors» est plus que jamais d’actualité. Ce livre constitue une arme puissante contre les réactions négatives organisées visant à délégitimer les personnes transgenres et à restreindre leurs droits. L’analyse historique approfondie et le message militant de Feinberg prouvent que la lutte pour les droits des transgenres n’est pas seulement un phénomène moderne, mais un combat fondamental pour la liberté et l’égalité qui remonte à plusieurs siècles.

    Ce livre incite non seulement les personnes transgenres, mais aussi les alliés et les militants à s’élever contre l’injustice. Le message de Feinberg est clair: la libération des personnes transgenres est inextricablement liée à la libération de tous les groupes marginalisés. Grâce à la solidarité et à l’action collective, nous pouvons créer un monde où la diversité des genres n’est pas seulement tolérée, mais célébrée comme un élément fondamental de l’expérience humaine.

    «Transgender Warriors» n’est pas seulement un livre d’histoire; c’est un manifeste, un chant de lutte et un guide d’action. Le travail de Feinberg nous rappelle que la lutte pour l’émancipation des femmes ne concerne pas seulement les identités individuelles, mais aussi la lutte plus large pour un monde plus juste et plus humain. À une époque où les forces réactionnaires tentent de revenir en arrière, ce livre est un appel non seulement à comprendre l’histoire, mais aussi à la façonner activement dans le présent et l’avenir.

  • Quand le capitalisme transforme la liberté d’expression en privilège

    Dans un message vidéo publié le 7 janvier 2025 (1), Mark Zuckerberg a annoncé des mesures visant à éliminer progressivement les programmes de fact-checking et à modifier les critères de modération sur les réseaux sociaux du groupe Meta (Facebook, Instagram, Threads et WhatsApp). Inspirés par le «point de bascule» constitué par l’élection de Donald Trump, ces changements viseraient notamment à garantir la «libre expression» d’opinions et d’expériences sur des sujets tels que l’immigration ou l’identité de genre. Cependant, de quoi parle le patron de Meta lorsqu’il invoque la liberté d’expression?

    Par Nicola (Bruxelles)

    Comme le rapportent Wired (2) et la CNN (3), les critères de modération nouvellement reformulés laisseront une latitude considérable aux usagers des plateformes Meta qui voudront s’en prendre à des groupes d’individus sur la base de leurs caractéristiques protégées (race, identité de genre, orientation sexuelle, etc.). Entre autres, il sera désormais possible de poster des contenus accusant les Chinois de propager le Covid ou traitant les femmes d’«objets domestiques» sans tomber sous le coup de la modération. Des propos de cette teneur auront des effets négatifs bien concrets. Comme en témoigne une lettre adressée par la Société Américaine de Psychologie à Facebook en 2020 (4), l’exposition persistante à la haine en ligne affecte négativement la manière dont des groupes minorisés se perçoivent eux-mêmes et sont perçus par autrui. Lorsqu’ils se débrident sur les réseaux sociaux, les propos haineux finissent par ôter toute liberté de parole à leurs cibles, en créant un environnement où ces dernières ne peuvent pas s’exprimer en sécurité.

    Dans un article consacré à la liberté de la presse dans l’état de Prusse, publié par la Rheinische Zeitung en 1842, Karl Marx observait: « Nul homme ne combat la liberté ; il combat, tout au plus, la liberté d’autrui. Toute forme de liberté a donc toujours existé, mais tantôt comme privilège particulier, tantôt comme droit universel » (5). Ce constat s’applique également au message de Zuckerberg: la liberté d’expression qu’il invoque n’est rien d’autre qu’une liberté accordée à certaines formes d’expression au détriment d’autres. Cela est d’autant plus vrai que la visibilité des propos émis sur Facebook n’est pas le simple reflet d’interactions entre les usagers, mais découle du fonctionnement de l’algorithme qui sélectionne les publications proposées à chaque compte dans un but précis: maximiser l’attention prêtée aux contenus proposés afin de maximiser l’impact des publicités qui s’y nichent. Comme l’explique le mathématicien David Chavalarias dans son essai «Toxic Data» (Flammarion, 2022), cet algorithme se sert de la tendance des êtres humains à établir des relations sur la base d’affinités culturelles et sociales, ainsi qu’à modifier leurs croyances et leur comportement sous l’influence de ces mêmes relations («influence sociale») afin d’optimiser les revenus publicitaires de la plateforme.

    Sous le prétexte d’aider les usagers à se rencontrer, Facebook exproprie les liens sociaux tissés par ces derniers afin d’en extraire des données et les convertir en profits. Pour ce faire, la plateforme met en avant une fraction infinitésimale des contenus échangés, souvent produite par un petit nombre de comptes et souvent de nature haineuse. La liberté d’expression qu’offre le capitalisme numérique incarné par Meta est, par conséquent, un privilège garanti à une minorité d’usagers qui appuie un privilège encore plus restreint: le privilège des profits. Attaquons-nous donc à la racine de la haine: exproprions les expropriateurs pour bâtir des réseaux vraiment sociaux, où la liberté d’expression serait un droit universel !

    Notes

    1. https://about.fb.com/news/2025/01/meta-more-speech-fewer-mistakes/

    2. https://www.wired.com/story/meta-immigration-gender-policies-change/

    3. https://edition.cnn.com/2025/01/07/tech/meta-hateful-conduct-policy-update-fact-check?cid=ios_app

    4; https://www.apa.org/news/press/releases/2020/08/facebook-hate-speech

    5.http://www.zeno.org/Philosophie/M/Marx,+Karl/Die+Verhandlungen+des+6.+rheinischen+Landtags/Erster+Artikel.+Debatten+%C3%BCber+Pre%C3%9Ffreiheit+und+Publikation+der+Landst%C3%A4ndischen+Verhandlungen

  • Inondations à Valence. Entre crises climatique et capitaliste

    Dans la nuit du 28 au 29 octobre, une quantité de pluie dépassant les 600 litres/M³ s’est déversée dans les rues de Valence, déclenchant l’un des drames climatiques les plus meurtriers que l’Espagne du 21e siècle ait connu. Alors que le bilan humain s’élève à plus de 200 morts, le peuple espagnol s’est réuni pour protester dans les rues, dénonçant l’inaction du gouvernement face à la catastrophe climatique.

    Par Odilon (Liège)

    Pas de coupes budgétaires sans conséquences

    Tenu pour responsable du drame, c’est sous les huées des manifestants que Carlos Mazon, Président de la région de Valence , a pris la parole ce 15 novembre dernier pour s’excuser auprès des habitants. Des excuses en demi-teinte, diluant sa responsabilité sous une couche de mauvaise foi et de sous-entendus malhonnêtes qui n’ont pas su apaiser la colère des victimes. En effet, les réactions insuffisantes des autorités face aux inondations n’ont fait qu’aggraver la situation, les messages d’alerte n’ayant été envoyés à la population que plusieurs heures après le début de la catastrophe et le gouvernement ayant refusé l’aide des pompiers des villes voisines. Mais derrière ces décisions désastreuses et meurtrières se cache un problème bien plus profond.

    Entre coupe budgétaires dans le secteur de la santé ou encore de l’enseignement et la réduction de l’impôt pour les plus riches, c’est bien les exactions d’un gouvernement néo-libéral et conservateur qui ont poussé à la catastrophe d’octobre. Il n’est pas nouveau que les gouvernements capitalistes s’enfoncent dans un négationnisme climatique crasseux, et l’Espagne n’y a pas échappé. En effet, le phénomène de la “goutte froide” qui a frappé Valence, aggravé par l’urbanisation extrême et l’imperméabilisation des sols, n’est pas une chose nouvelle, mais est devenue bien plus courante avec l’avancée du réchauffement climatique. Ce constat évident est continuellement nié par les capitalistes, plaçant à leur habitude le profit comme leur priorité absolue. On a pu ici observer la preuve d’un manque d’intérêt pour les conséquences du bouleversement climatique par le gouvernement espagnol, n’étant visiblement absolument pas préparé à faire face à ces catastrophes.

    L’impact des inondations atténué par la solidarité

    Les évènements récents en Espagne ont également démontré la solidarité impressionnante dont peut faire preuve la population face à la crise. Ne pouvant pas accorder leur confiance à leur propre gouvernement pour les aider efficacement, c’est sur leurs pairs que les victimes des inondations ont pu compter.

    Des milliers de personnes à travers le monde ont apporté leur aide aux sinistré.e.s, à distance et même sur place. Les images du roi impuissant fustigé par la foule montrent aussi que la colère a été un moteur de solidarité pour le peuple indigné.

    Et en Belgique?

    En observant le cas de l’Espagne, il ne faut pas rester dupe au sujet du parallèle à faire avec la situation de la Belgique face à la crise climatique. Si l’on se souvient bien des inondations meurtrières de juillet 2021, il est moins évident de penser au nombre de morts causé chaque année par la canicule. En 2022, il s’agissait de 1.200 décès dénombrés suite aux fortes chaleurs, et à la gestion désastreuse de ces dernières par les autorités. Malgré l’alerte que ce chiffre représente, le gouvernement belge fait la sourde oreille et ne se contente que de quelques propositions largement insuffisantes par rapport à l’étendue des dégâts climatiques.

    Il est évident que ce sont les mêmes raisons capitalistes qui poussent notre gouvernement à négliger cette question et que dans le cas d’un évènement de l’ampleur des inondations de Valence, la population risquerait de se trouver dans la même situation.

    Si des leçons doivent être retenues de ces récents évènements, c’est évidemment par commencer que notre confiance ne peut pas être placée dans des partis néo-libéraux traditionnels, mais également que la solidarité peut naître dans une ère de crise capitaliste extrême.

    La crise climatique est là, nous devons nous y adapter dès maintenant et totalement repenser le territoire, de l’urbanisme – en intégrant la nouvelle norme des événements climatiques extrêmes – à la gestion des rivières. Cela implique une extension des services publics et de la protection civile, avec des moyens à hauteur des risques et des besoins, mais aussi un plan public d’isolation des bâtiments quartier par quartier sur la totalité du territoire de manière à limiter les émissions de gaz à effet de serre liées au chauffage.

    Cela exigera également des mesures comme l’expropriation des bâtiments inoccupés pour raison spéculative pour y loger les personnes sinistrées, ou encore des grandes entreprises du secteur des assurances et de la construction pour que ces secteurs soient placés sous contrôle et gestion démocratiques de la collectivité. De cette manière, nous pourrons réduire nos émissions tout en protégeant la population et ses conditions de vie. Les organisations de gauche et les syndicats doivent impérativement axer leurs propositions et leur action sur ce qui est nécessaire pour faire face au péril climatique, pas sur ce qui est acceptable en restant dans le carcan du système capitaliste !

  • Climat. Pour échapper à la catastrophe, sortons du marché !

    Sans surprise, fin novembre, la Conférence de Bakou sur les changements climatiques, ou COP 29, fut un nouveau forum pour les contrats et la diplomatie des énergies fossiles. Le pays organisateur, l’Azerbaïdjan, est l’un des dix premiers États pétro-gaziers au monde, tandis que la présidence de la conférence avait été confiée à Moukhtar Babaïev, un cadre de la State Oil Company of Azerbaijan Republic. Il y a de quoi s’arracher les cheveux.

    Par Constantin (Liège)

    Comprendre l’échec 

    Pourquoi une telle impuissance à sortir des énergies fossiles ? Une des raisons fondamentales, c’est que “les marchés” sont loin d’être des exemples d’efficience, contrairement à ce que nous assène l’idéologie capitaliste dominante. La logique du marché crée sans cesse de nouvelles situations absurdes, où se mêlent gaspillage des ressources naturelles et destruction massive de marchandises.

    Friedrich Engels, le camarade et ami de Karl Marx, avait déjà souligné cette inefficacité à la fin du XIXe siècle. Le système capitaliste repose sur la production marchande, c’est-à-dire sur la production de biens et de services destinés à être vendus sur un marché dans l’objectif d’en dégager un profit. Ce type de production – qui fonctionne sur base de la concurrence de chacun contre tous et toutes – favorise le chaos. “Toute société reposant sur la production marchande a ceci de particulier que les producteurs y ont perdu la domination sur leurs propres relations sociales. Chacun produit pour soi, avec ses moyens de production dus au hasard et pour son besoin individuel d’échange. Nul ne sait quelle quantité de son article parviendra sur le marché ni même quelle quantité il en faudra; nul ne sait si son produit individuel trouvera à son arrivée un besoin réel, s’il retire ses frais ou même s’il pourra vendre. C’est le règne de l’anarchie de la production sociale.” (Engels, Anti-Dühring – Monsieur Eugen Dühring bouleverse la science, 1877)

    Le marché de l’électricité : un cas d’école

    Prenons le marché de l’électricité et la question du renouvelable. Pour respecter les ambitions fixées par l’accord de Paris en 2025 – limiter le réchauffement de la planète à 1,5° Celsius par rapport aux températures préindustrielles – il faudrait un rythme de pose de panneaux solaires équivalent à 450 gigawatts tous les ans (ce qui représente 70 km2) jusqu’en 2028, selon l’Agence Internationale de l’Énergie. De la même manière, il faudrait implanter assez de dispositifs éoliens afin d’atteindre un niveau de production de 135 gigawatts par an sur la même période. Pour ce faire, il faudrait investir 1.000 milliards par an dans le renouvelable jusqu’en 2030. Or, les investissements réels n’atteignent même pas les 500 milliards. 

    Pourtant, le renouvelable coûterait même moins cher que le fossile, selon l’Agence Internationale des Énergies Renouvelables (IRENA). Les coûts liés à la production d’électricité en charbon ou en gaz seraient compris entre 60 et 250 dollars par Mégawattheure, contre entre 24 $/MWh et 96 $/MWh pour le photovoltaïque en 2023. 

    Le prix de l’électricité est déterminé par ce qu’on appelle le “merit order”. Pour faire simple, il s’agit d’une manière de déterminer l’ordre de priorité attribué aux différentes sources d’énergie en fonction de leurs coûts variables. Concrètement, cela consiste à trier les centrales en fonction de celle qui coûte le moins cher à celle qui coûte le plus cher. Ce processus est très simple lorsqu’une seule entreprise possède toutes les centrales, comme lorsque c’était le cas avant les directives votées en 1996, 2003 et 2009 qui ont privatisé le secteur de l’énergie. 

    Mais si l’on substitue le monopole public par l’anarchie de la libre concurrence, alors le “merit order” se détermine par le biais d’un marché. Et pour obtenir un “merit order” avec un marché, la seule solution c’est de fixer le prix de l’électricité au niveau de la centrale la plus chère dont on a besoin pour répondre à la demande. Ce prix n’a cependant rien à voir avec le coût réel de la production d’électricité, qui correspond à la moyenne des coûts de production des différentes centrales.

    C’est pour cette raison que les prix de l’électricité ont explosé en 2022, lorsque le prix du gaz a augmenté. Malgré le fait que le coût moyen de la production d’électricité n’avait pas du tout changé, le fait que les prix du gaz aient monté en flèche a poussé tous les prix à la hausse, ce qui a permis aux multinationales de l’énergie de se goinfrer sur le dos de l’ensemble de la population. 

    Cette méthode de calcul rend le marché de l’électricité particulièrement volatile, surtout concernant le renouvelable, puisqu’il subit l’effet de l’intermittence, contrairement aux centrales à gaz ou à charbon. De fait, les éoliennes ne peuvent pas fonctionner sans vent. Alors que le renouvelable coûte moins cher que les énergies fossiles, il reste moins rentable : le taux de rentabilité du fossile atteint les 15% contre 6%. 

    L’alternative : la planification écologique et socialiste 

    Ce type d’aberration exemplifie parfaitement l’échec du marché. L’absurdité de la situation est d’autant plus dramatique qu’elle nous mène droit à notre perte. Sortir de l’irrationalité paralysante du marché est une absolue nécessité. A bien des égards, la solution semble évidente : si le problème est la propriété privée des moyens de production, la solution est la collectivisation de ceux-ci. Si le problème, c’est l’anarchie du marché, alors la solution réside dans une économie rationnellement et démocratiquement planifiée. 

    D’autant plus que, bien que le marché soit totalement irrationnel et désorganisé, la production marchande a ceci de particulier qu’elle doit être extrêmement organisée au sein de l’entreprise, et ce, pour maximiser la productivité. Par conséquent, les éléments de planification dont nous avons besoin existent déjà, dans une certaine mesure. 

    Par exemple, pour les produits qui peuvent se détériorer, les supermarchés appliquent déjà une planification “en temps réel”: les données de vente sont directement transmises le long des chaînes d’approvisionnement ; la production est retardée ou accélérée à l’instant même. Mais si l’économie doit être planifiée, il faut aussi qu’elle soit démocratique. Une économie planifiée a besoin de démocratie autant qu’un corps a besoin d’oxygène, comme le soulignait Trotsky face à la monstruosité bureaucratique stalinienne. Nous défendons donc l’expropriation, sans rachat ni indemnité, et la nationalisation du secteur de l’énergie, comme de tous les secteurs principaux de l’économie (finance, pharmacie, transport collectif…), sous contrôle et gestion démocratiques des producteur.trices, c’est-à-dire de la classe travailleuse. 

    Les moyens technologiques dont nous disposons sont largement suffisants pour assurer une production au service des besoins et non des profits. Mais pour que cela advienne, il faudra nécessairement se débarrasser du capitalisme, de l’avidité du profit ainsi que de l’irrationalité et des diktats du marché. Celles et ceux qui détruisent la planète sont les mêmes qui nous écrasent sur l’enclume du profit avec le marteau du blocage des salaires et de l’inflation. L’angoisse de la fin du monde et celle de la fin du mois ne sont pas des luttes étrangères. Au contraire, il s’agit d’un seul et même combat, contre un même système, celui qui exploite la nature et les êtres humains : le capitalisme.

  • Si la planète était une banque, ils l’auraient déjà sauvée – 4e Édition des actions Code Rouge: participez à nos côtés!

    Après des actions précédentes à TotalEnergies, Engie et dans le secteur de l’aviation, la 4e édition de Code Rouge se tiendra du 24 au 28 octobre. Comme Code Rouge le souligne “Catastrophes climatiques, factures d’énergies qui explosent, violations des droits humains et néocolonialisme, guerres et conflits … Le moins que l’on puisse dire c’est que notre dépendance aux énergies fossiles se paie au prix fort. Malgré cela, les grands pollueurs de cette industrie font toujours ce qu’ils veulent. Et des politiques climatiques et sociales équitables se font encore et toujours attendre pour les citoyen·nes et les travailleur·euses.”

    Par Constantin (Liège)

    Des records de température ont été battus aux quatre coins du monde cet été. L’Espagne, l’Australie, le Japon et certaines provinces de Chine ont connu en 2024 le mois d’août le plus chaud de leur histoire. Des vagues de chaleur exceptionnellement sévères ont frappé de nombreuses régions d’Afrique. Tout le monde ne vit pas les choses de la même façon. Philip Alston (ONU) avertissait en 2019: “Une dépendance excessive au secteur privé pourrait conduire à un scénario d’apartheid climatique dans lequel les riches paient pour échapper au réchauffement, à la faim, aux conflits, tandis que le reste du monde souffrirait.”

    Les études ne manquent pas pour pointer la responsabilité des plus riches. Oxfam soulignait en 2023 que les 1% les plus riches émettent autant de CO2 que deux tiers de l’humanité. Ces émissions démesurées vont causer 1,3 million de décès supplémentaires liés à la chaleur durant la décennie actuelle, soit l’équivalent de la population de Dublin. “Les ultra-riches pillent et polluent la planète au point de la détruire, et laissent l’humanité en proie aux chaleurs extrêmes, aux inondations et aux sécheresses”, résumait il y a un an Amitabh Behar, directeur général d’Oxfam International, “Depuis des années, nous luttons pour mettre fin à l’ère des combustibles fossiles et sauver des millions de vie, ainsi que notre planète. Il est plus que jamais clair que cet objectif n’est possible que si nous mettons également fin à l’ère de l’extrême richesse.” Ce système d’inégalités extrêmes porte un nom: le capitalisme.

    Des grèves pour le climat à Code Rouge

    Code Rouge est un mouvement de désobéissance civile soutenu par une dizaine d’organisations, groupes d’actions et associations. L’objectif des actions est d’occuper une infrastructure précise, comme une centrale de gaz en construction appartenant à Engie.

    Code Rouge est certainement l’initiative la plus intéressante en Belgique depuis le mouvement des grèves pour le climat de 2019. Après les manifestations massives et les grèves lycéennes, le mouvement s’était estompé, faute de perspective. Il avait contribué à la politisation de larges couches de la population, particulièrement dans la jeunesse, mais il nourrissait aussi beaucoup d’illusions à l’égard de l’État capitaliste et de ses institutions.

    Mais une couche de militant.e.s a cherché à privilégier des stratégies plus radicales. La stratégie des blocages de masses découle d’une compréhension que le responsable de la catastrophe climatique, c’est bel et bien le capitalisme, et particulièrement le capital fossile. L’année dernière, les activistes avaient réussi à faire en sorte qu’aucun jet privé ne sorte de l’aéroport d’Anvers, tandis qu’à Liège, les pertes du géant de la distribution Alibaba étaient estimées à 5 millions d’euros.

    Affronter la répression

    Alors que les actions contre TOTAL et Engie s’étaient plus ou moins bien déroulées, les actions contre le secteur de l’aviation ont révélé à tous les participant.e.s la véritable nature de l’État capitaliste. À Anvers, 750 activistes furent arrêtés, dont 50 judiciairement. À Liège, il y a eu 70 arrestations judiciaires. Partout, la répression policière était violente: doigts fracturés, bras cassés, et coups de matraque furent distribués à toutes celles et ceux qui avaient osé participer à l’action.

    La meilleure manière de mettre en échec la répression policière, c’est la massification du mouvement, notamment par sa liaison avec les autres mouvements sociaux, et tout particulièrement le mouvement des travailleur.euse.s qui, par la grève, a le pouvoir potentiel de bloquer toute l’économie. Code Rouge pourrait d’ailleurs lancer des structures locales plus permanentes afin de donner un espace structuré au débat sur la stratégie et les méthodes d’action à défendre ensemble, dans le respect des spécificités de chacun.e.

  • Ils ont volé notre histoire! La queerphobie nazie et la destruction de l’Institut de Sexologie de Magnus Hirschfeld en 1933

    Non, le mouvement et l’activisme LGBTQIA+ ne sont pas nés le 28 juin 1969 à Greenwich Village lors du soulèvement de Stonewall. Le mouvement LGBTQIA+ moderne est en réalité né en Allemagne dans la seconde moitié du 19e siècle. Lors de notre week-end antifasciste début juillet, notre camarade Sam est revenu.e sur ces racines que le fascisme avait tenté d’arracher et dont l’héritage fut crucial pour le mouvement de libération LGBTQIA+ des années ‘60 et ‘70.

    Karl Heinrich Ulrichs, un pionnier

    Du début des années 1860, Karl Ulrichs fut le premier à reconnaître publiquement les personnes LGBTQIA+ en tant que minorité opprimée devant se battre pour son émancipation. Pionnier de la sexologie autant que précurseur du militantisme LGBTQIA+, il a souligné la nécessité d’adopter des termes clairs plutôt que des descriptions vagues et a également écrit sur ce qu’il décrivait comme le « troisième genre », que nous appelons aujourd’hui non-binaire ou genre queer. Il fut encore le premier à reconnaître véritablement l’existence de l’homosexualité féminine, chose très controversé à l’époque. 

    Karl Ulrichs voyageait à travers l’Europe pour organiser des réunions clandestines afin de parler de la LGBTQIA+phobie et de la manière de lutter contre l’oppression, dans le but de mobiliser les individu·e·x·s pour qu’elles/iels/ils agissent eux-mêmes, car son objectif principal restait l’activisme. Il a d’ailleurs organisé une ou plusieurs réunions de ce type en Belgique (probablement à Bruxelles). Il n’est cependant pas parvenu à construire un véritable mouvement.

    Hirschfeld et l’Institut de sexologie

    Après l’unification de l’Allemagne sous la forme d’un État-nation en 1871, les paragraphes 175 et 175b ont été inscrits dans le Code pénal allemand (Strafgesetzbuch). Ils ont criminalisé l’homosexualité de 1871 à 1994, mais interdisaient aussi très clairement aux individu·e·x·s d’être transgenres ou non conformes au genre. Bien que l’homosexualité entre femmes cisgenres n’était pas strictement interdite, l’« article 175 » a également été utilisé pour persécuter et emprisonner des lesbiennes. À partir de 1880, il y a même eu à Berlin une unité de police dédiée uniquement à l’arrestation des personnes LGBTQIA+.

    C’est dans ce contexte que s’est déployée l’activité de Magnus Hirschfeld, lui-même homosexuel, à partir de son expérience de médecin et de psychologue, au début des années 1890. En 1897, il a fondé le Comité humanitaire scientifique (Wissenschaftlich-humanitäres Komitee) pour la réforme juridique de l’article 175, dont la devise était « par la science vers la justice » et qui reposait sur la combinaison de l’action politique, de la recherche scientifique et de l’éducation publique.

    Bien que ses premiers écrits n’aient porté que sur les personnes gays et lesbiennes, il a rapidement commencé à accorder plus d’attention aux personnes transgenres et à celles qui ne se conforment pas au genre. Dans son livre phare « Die Transvestiten », il a nuancé l’idée d’Ulrichs sur l’existence d’un soi-disant « troisième genre discret ». Il était plutôt convaincu que le genre constituait un spectre et qu’il existait de multiples (ou nombreuses) identités de genre. Il a également établi une distinction entre le sexe biologique et le genre, de même qu’entre orientation sexuelle et identité de genre.

    En 1919, il a fondé avec d’autres psychologues, médecin·e·x·s et activistes l’Institut für Sexualwissenschaft (Institut pour la science sexuelle) à Berlin, qui fournissait des conseils médicaux et psychologiques sur une série de questions sexuelles, principalement pour les personnes LGBTQIA+, mais pas seulement. Un autre objectif important de l’institut était la recherche scientifique claire et détaillée. L’Institut comprenait par ailleurs des archives, une bibliothèque et un musée visité par plus de 3.500 personnes chaque année. Des conférences y étaient organisées, comme le congrès international sur l’homosexualité. La même année, l’Institut a sorti le premier film de l’histoire sur l’homosexualité : « Anders als die Anderen ».

    Très vite, les activités de l’institut ont été visées par des groupes d’extrême droite et conservateurs, comme les Freikorps et plus tard les SA. L’Institut était également un refuge pour personnes transgenres et non binaires.

    Hirschfeld n’a certainement pas été le seul à effectuer de telles recherches, mais il fut une source d’inspiration directe pour presque tout le monde. Un ou plusieurs activistes agissant de manière indépendante ne constituent pas pour autant des mouvements sociaux. Voilà quelle était la grande différence avec Hirschfeld et son institut.

    Il s’agissait du tout premier véritable mouvement LGBTQIA+ alliant recherche scientifique, activisme dans les rues et un travail d’éducation par le biais de magazines, de journaux et de tout un mouvement littéraire, avec le soutien des mouvements socialistes, anarchistes et féministes, y compris par-delà les frontières, notamment en tissant des liens avec les bolcheviks et l’Union soviétique, du moins jusqu’à ce que le totalitarisme bureaucratique stalinien n’en décide autrement.

    Magnus Hirschfeld était particulièrement en relation avec les militantes féministes socialistes Clara Zetkin (à qui l’on doit la Journée internationale de lutte des droits des femmes) et Alexandra Kollontaï, ainsi que d’August Bebel, dirigeant du parti social-démocrate allemand, par ailleurs auteur du livre « La femme et le socialisme » (1891). Sans jamais avoir adhéré officiellement à un parti, la pensée de Hirschfeld était fortement influencée par les idéaux socialistes. Il défendait la plus forte solidarité possible entre le mouvement LGBTQIA+ et le combat féministe.

    La persécution nazie

    Les nazis ont qualifié Hirschfeld « l’Allemand le plus dangereux ». À l’époque, l’homosexualité était également appelée de manière moqueuse « l’amour allemand » ou « la maladie allemande », conséquence directe des travaux de Magnus Hirschfeld et de son institut.

    Peu après leur arrivée au pouvoir en 1933, les nazis ont commencé à interdire les livres qu’ils considéraient comme « non allemands », y compris l’ensemble de l’œuvre de Magnus Hirschfeld. Ses livres ont été parmi les premiers à être interdits.

    Le 6 mai 1933, les nazis ont détruit l’ensemble de l’institut, au cours d’un spectacle macabre, avec une fanfare et une foule d’environ 200 personnes invitées à regarder la démolition avec boissons et snacks à leur disposition. La persécution des personnes LGBTQIA+ par les nazis plongea alors dans l’horreur, de nombreuses personnes étant arrêtées, torturées et/ou déporté·e·x·s dans des camps de concentration.

    La destruction de l’institut et l’inculpation du personnel n’étaient pas des surprises, mais cela s’est produit beaucoup plus rapidement que ce à quoi tout le monde s’attendait. Toute la bibliothèque et les archives de l’institut ont été perdues, le travail de toute une vie de Hirschfeld et de beaucoup d’autres. Hirschfeld est mort en exil en France quelques mois plus tard. En mai 1933, il était en tournée mondiale hors d’Allemagne pour avertir des dangers du fascisme.

    Jusqu’en 1934, les poursuites à l’encontre des personnes LGBTQIA+ étaient du ressort de la police. À partir de cette date, la Gestapo a créé une nouvelle unité, le « Bureau spécial II S », qui se consacrait uniquement à la poursuite des personnes LGBTQIA+ et des personnes ayant eu recours à l’avortement. La loi a été modifiée de manière que les preuves ne soient plus nécessaires.

    Plus de 160.000 homosexuels et transsexuels ont connu les camps de concentration et les prisons nazis. Les personnes survivantes ont ensuite continué à être persécutées par le gouvernement allemand. Il n’existe malheureusement pas de chiffres fiables concernant le nombre de lesbiennes envoyées dans les camps de concentration.

    Le sort des personnes LGBTQIA+ sous le nazisme a toujours été tenu à l’écart de l’histoire. Il a fallu attendre environ 70 ans pour qu’elles/iels/ils soient officiellement reconnues comme victimes. Nous pouvons entretenir leur mémoire en poursuivant leur combat, par la liaison de la lutte pour l’émancipation LGBTQIA+ et de la lutte antifasciste. Ce n’est qu’en s’organisant et en luttant que l’on peut réaliser de réels progrès.

  • The Lesbians and Gays Support the Miners (LGSM). Quand une solidarité inattendue nourrit l’espoir et la lutte

    “Lorsque vous vous battez contre un ennemi bien plus grand et bien plus fort que vous, découvrir que vous avez un ami dont vous n’aviez jamais soupçonné l’existence, c’est le meilleur sentiment du monde. Voyez-vous ce que nous avons fait ici, en nous réunissant tous ensemble? Nous sommes entrés dans l’histoire!” Laphrase est de Dai Donovan dans le film Pride, qui relate l’histoire bien réelle d’un groupe queer qui s’est jeté corps et âme dans le soutien à la grande grève des mineurs britanniques de 1984-85. Une histoire exemplaire qui, 40 ans après, continue de montrer la direction à prendre dans les luttes sociales: celle de la solidarité. 

    Ce film, par ailleurs magnifique, comporte cependant l’une ou l’autre faiblesse, dont la présentation relativement hostile de l’accueil réservé aux activistes des LGSM par les mineurs gallois. Mike Jackson, l’un des membres fondateurs des LGSM, souligne que de nombreux mineurs gallois s’étaient portés volontaires pour aller combattre le fascisme en Espagne durant la guerre civile :“Ces communautés avaient une vision globale du monde. Et je pense qu’un groupe de Queers venant de Londres, dans ce contexte, ne leur a pas semblé étranger.” Il développe : “Durant les années 1930, les patrons miniers ont essayé de baisser les salaires des Gallois en important de la main-d’œuvre espagnole. C’était une erreur: ce qu’ils ont importé, ça a été tous ces anarcho-syndicalistes espagnols qui ont commencé à organiser les mineurs locaux pour obtenir de meilleurs salaires!”(1) Le sud du pays de Galles fut la région la plus solide du pays pendant la grève: près de 93 % des mineurs sont restés en grève toute l’année.

    L’offensive néolibérale

    En 1984, le gouvernement de Margaret Thatcher décida de lancer une offensive d’ampleur contre le secteur du charbon, devenu propriété d’État après la Deuxième Guerre mondiale. L’objectif était double: fermer des mines déficitaires pour faire des économies et briser la résistance du plus puissant syndicat britannique, celui des mineurs, qui avait fait chuter le gouvernement conservateur en 1974. Le calcul était qu’une fois cette épine dorsale de la résistance ouvrière brisée, le rouleau compresseur néolibéral pourrait passer sur l’ensemble des conquêtes sociales de la classe ouvrière. 40 ans plus tard, Mike Jackson remarque, ironique : “Il est amusant de constater que tout ce mouvement contre la régulation et pour la réduction de l’État ne concerne jamais les syndicats, qui sont au contraire soumis à de nombreuses réglementations restrictives.” 

    Dans un autre entretien, il explique “Nous avons fait le choix de mener une mission très ciblée [soutenir les mineurs], et c’était absolument la bonne chose à faire. Mais bien sûr, ce qui sous-tend tout cela, c’est la lutte pour la solidarité de classe, pour le socialisme. C’est tout un monde pour lequel nous nous battions dans ce scénario, tout comme les mineurs eux-mêmes.”(2)

    Expliquant quel cheminement personnel a conduit à cet engagement, Mike revient à son coming-out: “je suis sorti de l’adolescence totalement déprimé pour me transformer en une sorte de feu d’artifice mêlé de joie et de colère – un mélange exaltant. Ce coming-out a été une forme de libération individuelle qui m’a beaucoup appris sur l’émancipation d’autres groupes. Les luttes des Noirs ou des femmes me sont devenues plus claires parce que j’ai pu voir ce qu’il y a de commun à propos de l’oppression dans notre culture. J’ai été plutôt choqué, ensuite, de m’affirmer comme homosexuel et de constater qu’il y avait une misogynie et un racisme latents dans le milieu gay. Ça n’avait tout simplement pas de sens. Et, bien sûr, la classe dirigeante adore ce genre de tension et se plaît à semer un peu de division. Le mouvement anti-trans en est aujourd’hui l’exemple parfait. On tente de diviser notre communauté.”

    Une lutte plus que jamais d’actualité

    Les Lesbians and Gays Support the Miners ont compté jusqu’à onze groupes au travers du Royaume-Uni. À lui seul, le groupe londonien récolta l’équivalent de plus de 100.000 euros actuels en soutien de la grève. À ses côtés existait aussi un groupe distinct de lesbiennes qui s’en était détaché, Lesbians Against Pit Closures.

    Les mineurs n’ont hélas pas reçu le même type de solidarité de la part des directions syndicales nationales. Celles-ci ont refusé d’organiser l’extension de la lutte à d’autres secteurs vers une grève générale nationale. Elles étaient tétanisées par une possible perte de contrôle de la lutte et par l’auto-organisation potentielle des grévistes. Cruel calcul qui a conduit à une série de défaites majeures pour l’ensemble de la classe travailleuse.

    Cette solidarité devenue aujourd’hui légendaire, notamment grâce au film Pride, n’est toutefois pas restée à sens unique. Quand la fin de la grève fut déclarée, lors d’une réunion, un des mineurs s’est levé et a dit: “C’est fini pour nous, mais ce que nous devrions faire maintenant, c’est nous tourner vers ceux qui nous ont soutenus, en particulier les lesbiennes et les gays qui sont avec nous aujourd’hui, et leur apporter le soutien dont nous savons qu’ils ont besoin.” Ce sont les mineurs du sud du Pays de Galles qui ont fait pression sur le NUM (National Union of Mineworkers, syndicat national des travailleurs des mines) pour qu’il utilise son vote en bloc et pour que d’autres syndicats utilisent également leur vote en bloc, ce qui a permis d’inscrire les droits des lesbiennes et des gays dans le manifeste du parti travailliste.

    1. Le cofondateur de Lesbians and Gays Support the Miners raconte, traduction d’un entretien de Tribune pour le site Ballast.fr, 21 juillet 2022
    2. ‘There Was a Whole World We Were Fighting For’: LGSM Turns 40, Francesca Newton, tribunemag.co.uk, 29 avril 2024
  • Pride is a protest : Pas de libération pour certain.e.s sans libération pour tous.tes !

    Sous les paillettes, la rage ! La 4e édition de “Pride is a protest”, une Pride radicale et résolument antifasciste, était organisée à Gand dimanche dernier autour de la Campagne ROSA ! Une fois de plus, le cortège était combatif, dynamique et coloré.

    Les ateliers précédant la manifestation ont permis d’aborder plus en profondeur l’histoire des luttes queers. Après un concert et des premières prises de parole, nous sommes parti.e.s dans les rues de Gand accompagné.e.s d’un groupe de samba. Ensuite, des orateur.trice.s se sont succédés et la journée s’est terminée sur un dragshow.

    Une mobilisation réussie et importante, tout particulièrement alors que la menace de l’extrême-droite est si élevée ! Organisons-nous pour lutter ensemble contre toutes les oppressions et le système qu’elles entretiennent : le capitalisme ! L’unité dans la lutte, c’est non seulement la meilleure façon de défendre nos conquêtes sociales et d’en arracher d’autres, mais c’est aussi l’antidote par excellence au poison de la haine.

    Quand nous sommes côte à côte pour défendre notre avenir, il n’y a plus de places pour les préjugés. Merci à toustes pour votre participation et votre belle énergie !

    Reportage photos de Liesbeth

    Reportage photos de Pol

  • Les pronoms neutres: une bataille politique

    Les pronoms font de plus en plus partie du débat social. Les pronoms qui s’écartent des pronoms binaires traditionnels (il et elle) sont souvent présentés comme quelque chose de neuf. Au même moment, les droits des personnes LGBTQIA+ sont de plus en plus remis en question et attaqués. Le Vlaams Belang et la N-VA sont convaincus que l’existence de personnes transgenres et non binaires est une attaque directe contre les valeurs familiales dites traditionnelles. Georges-Louis Bouchez, du MR, a quant à lui déclaré que le respect des pronoms d’une personne ne ferait qu’entraîner une confusion inutile et constituerait une démonstration politiquement correcte excessive qui limiterait la liberté d’expression.

    Par Sam (iel)

    Le capitalisme prétend que le système binaire rigide des genres a toujours existé et que l’existence d’identités de genre en dehors de cette binarité est une invention récente. Mais c’est précisément le système binaire de genre qui a émergé à la suite du développement de la société divisée en classes sociales. Dans ce système de classes, et plus tard au sein du capitalisme, des rôles et des attentes rigides en matière de genre sont apparus. Le capitalisme repose sur la stabilité de la famille nucléaire et sur les rôles binaires hommes / femmes.

    Les origines de l’oppression des personnes non binaires et transgenres remontent à celles de la société patriarcale. L’élite dirigeante a utilisé la LGBTQIA+phobie comme outil pour assurer sa propre position.

    Les personnes non binaires, transgenres et non conformes au genre ont toujours existé. Ces identités de genre n’ont rien de neuf, mais elles ont été réprimées et persécutées par le système de classe tout au long de l’histoire.

    En Amérique du Nord, par exemple, de nombreuses identités de genre différentes étaient reconnues, ce qui se reflétait également dans leur langue, l’une des plus célèbres étant la “bispiritualité” (two-spirit en anglais). Ces personnes occupaient souvent des postes importants dans leur tribu. Mais ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres.

    Si le terme “non-binaire” est relativement récent (il a été utilisé pour la première fois à la fin des années 1980), l’utilisation de pronoms neutres est très ancienne. La première utilisation de “they” en tant que pronom neutre dans la langue anglaise remonte à 1375. Chaucer, Shakespeare et Jane Austen ont également utilisé “they” comme pronom neutre dans leurs ouvrages. On retrouve par ailleurs également des pronoms neutres dans de nombreux textes médicaux du XVIe siècle.

    Au cours des 19e et 20e siècles, de nombreux pronoms neutres différents ont été utilisés, mais aujourd’hui “they/them” sont les pronoms neutres les plus courants en anglais. L’utilisation des pronoms neutres “die/hun” en néerlandais et “iel” en français est beaucoup plus récente. Le “iel” français est utilisé depuis 2010 et a bénéficié d’une reconnaissance officielle en 2021 en rentrant dans le Petit Robert.

    Le respect des pronoms est également une question politique. On constate que ce sont surtout les personnes qui transgressent visiblement les schémas de genre stricts qui sont victimes de violences queerphobes. Pour lutter contre la rigidité imposée du système de genre binaire, nous devons également lutter contre sa cause, qui est le capitalisme lui-même. Le capitalisme et la classe dirigeante essaieront toujours de maintenir une stricte binarité de genre pour assurer leur survie.

    Pour combattre ce système, nous devons construire un mouvement qui lutte contre toutes les formes d’oppression et de division.

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