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Category: Europe
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Vers une victoire de l’extrême droite mais… le mouvement ouvrier n’a pas dit son dernier mot en Italie

Le gouvernement d’unité nationale dirigé par l’ancien président de la Banque centrale européenne Mario Draghi s’est effondré le 21 juillet dernier, en dépit du soutien indéfectible du patronat italien et de la large majorité parlementaire dont il disposait. Les élections anticipées du 25 septembre vont se dérouler sur fond de profonde crise sociale, économique et politique.
Par Pietro (Bruxelles)
Le gouvernement Draghi réunissait une équipe hétéroclite, mais unie par son désir de servir les intérêts de la classe dirigeante : le Mouvement 5 étoiles (M5S, populiste), la Ligue (Lega, extrême droite), le Parti démocrate (PD, social-démocrate), Forza Italia (FI, le parti de Berlusconi) et Italia Viva (autour de l’ancien président du PD Matteo Renzi,). On retiendra notamment ce gouvernement pour les milliards d’euros donnés aux grandes entreprises, les coupes budgétaires dans les soins de santé et la vente de l’enseignement aux entreprises. C’est un gouvernement ennemi des travailleurs qui est tombé.
Une crise sociale qui n’en finit pas
25,2 % de la population italienne est aujourd’hui menacée d’exclusion sociale, soit 14,83 millions de personnes. Le nombre d’individus en situation de pauvreté absolue a presque triplé de 2005 à 2021, passant de 1,9 à 5,6 millions (9,4 %), tandis que celui des ménages a doublé, passant de 800.000 à 1,96 million (7,5 %), selon l’institut italien de statistiques. Si des millions de familles peinent aujourd’hui à joindre les deux bouts, les banques et les grandes entreprises réalisent quant à elles des bénéfices records. Voici quelques titres des pages économiques du Corriere della Sera : « Fineco, profits en hausse de 30 % » ; « Pirelli, bénéfices en hausse de 160 %. Des objectifs revus à la hausse » ; « Mediobanca, bénéfices à 716 millions (+19%) ». Et la liste est encore longue.
Un récent sondage a révélé que 65,3% des Italiens n’ont peu ou pas confiance dans la classe politique. Seuls 6,3% ont déclaré en avoir « beaucoup ». Cette méfiance à l’égard des institutions est bien méritée et est désormais ancrée dans la conscience de masse. Au milieu de ce champ de mines, la classe dirigeante a perdu son homme le plus fiable avec la chute de Mario Draghi.
D’instabilité politique en instabilité politique
À y regarder de plus près, le gouvernement Draghi était précisément un produit de l’instabilité politique. Le parlement élu en 2018 au nom du rejet des partis de l’establishment donné lieu aux alliances politiques les plus improbables (M5E et Ligue puis M5E et PD) avant de parvenir à l’impasse politique. La bourgeoisie a alors imposé par surprise son propre homme, Mario Draghi, présenté comme « au-dessus de la mêlée » et qui se considérait lui-même comme le sauveur de la patrie.
Mais la politique impopulaire du gouvernement a eu ses conséquences sur les partis de la coalition. La Ligue de Salvini a connu une véritable hémorragie au bénéfice de Fratelli d’Italia (Frères d’Italie) de Giorgia Meloni, une militante d’extrême droite de longue date et ancienne ministre de Berlusconi. La Ligue, Forza Italia et le M5E ont cherché à se distinguer de l’équipe au pouvoir par tous les moyens possibles, jusqu’à retirer la prise du gouvernement comme l’a finalement fait le M5E.
La victoire de la droite comme seul horizon ?
À six semaines des élections anticipées, un sondage donnait une avance écrasante à la coalition des droites qui réunit Fratelli d’Italia, Forza Italia et la Ligue avec 45 % des intentions de vote. Après des années de destruction des conditions de vie et de chaos économique qui n’ont laissé que le stress pour la survie comme seule perspective pour des couches grandissantes de la population, l’aliénation a été instrumentalisée par la droite pour être tournée en haine de l’autre.
Le danger représenté par les Fratelli d’Italia est illustré par la région des Marches, où le parti est au pouvoir depuis 2020, et où il a par exemple refusé d’appliquer une directive du ministère de la Santé sur la disponibilité de pilules abortives dans toutes les institutions hospitalières. Il estime également que les militants antiavortement devraient avoir le droit de venir intimider les femmes jusque dans les hôpitaux afin de contrer le déclin de natalité du pays.
Une liste de gauche sera présente sous le nom d’Union populaire, à l’initiative du Parti de la refondation communiste et de Potere al Popolo (Pouvoir au Peuple, formation de gauche issue des élections de 2018). L’initiative défend des revendications intéressantes (nationalisation du secteur de l’énergie, salaire minimum de 10 euros de l’heure, réduction collective du temps de travail à 32h/semaine, refinancement public à la hauteur des besoins dans les soins de santé et le système scolaire, etc.), mais semble, à l’image des tentatives d’unité de gauche de ces 15 dernières années, uniquement se concentrer sur une entrée au Parlement, sans chercher à jouer un rôle dans la coordination des divers mouvements de lutte sur le terrain, d’où germent les éléments de riposte de masse de l’avenir.
La classe dirigeante italienne ne doute pas que la coalition des droites puisse défendre ses intérêts, mais elle redoute qu’elle le fasse en provoquant directement le mouvement ouvrier et la jeunesse. Sous la surface de la société, une tension sociale extrême s’est en effet développée et peut exploser au moindre incident.
En octobre de l’an dernier, des syndicats de base (USB, Cobas et autres) avaient organisé avec succès une grève générale qui a impliqué un million de personnes avec des manifestations qui ont regroupé 100.000 personnes dans tout le pays contre la conclusion d’un pacte entre les plus grandes organisations syndicales et le gouvernement. La mobilisation avait également adopté un caractère antifasciste au surlendemain de l’attaque du siège de la fédération syndicale CGIL par des militants d’extrême droite.
Depuis l’été 2021, la lutte des travailleurs de Driveline GKN et l’occupation de cette usine de composants automobiles de la banlieue de Florence s’est imposée sur la scène nationale grâce notamment à l’implication de toute la communauté locale et des efforts des travailleurs pour lier leur combat à d’autres luttes sociales (féministes, LGBTQIA+, etc.). Cette approche est cruciale, car les luttes ne manquent pas sur la question du climat, contre l’alternance école-travail (une réforme responsable de la mort de plusieurs élèves en entreprise au début de cette année), contre les féminicides ou encore contre le racisme qui continue à tuer en Italie.
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Six mois de guerre en Ukraine : Que peut faire le mouvement ouvrier ?

Au moins 9.000 soldats ukrainiens et 15.000 soldats russes ont été tués. Des dizaines de milliers de civils ont été tués et blessés. Quatorze millions d’Ukrainiens sont en fuite et d’innombrables familles ont été brisées. Les villes et les villages ont été réduits à l’état de décombres. Au niveau international, l’approvisionnement en énergie et en nourriture est menacé. Malgré les inondations, les sécheresses et les feux de forêt, les combustibles fossiles et l’énergie nucléaire sont à nouveau utilisés à plein régime. La stagflation (cocktail d’inflation élevée et de croissance molle) semble désormais inévitable et l’armement et le militarisme pointent vers plus de conflits. Pour le PSL/LSP, seul le mouvement ouvrier peut offrir une issue à la catastrophe. Voici pourquoi et comment.
Par Eric Byl
La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. L’Ukraine est devenue un champ de bataille où les grandes puissances impérialistes laissent leur lutte pour l’hégémonie se développer. Aucune solution ne peut être attendue d’eux, ni de leurs alliés. Même s’ils parviennent à un compromis pourri, la guerre reprendra dès que les forces armées se seront rétablies, si la situation ne s’aggrave pas déjà maintenant.
L’invasion avait pour but de modifier brutalement en faveur de l’oligarchie russe l’équilibre des forces tel qu’il s’était développé au cours des dernières décennies. Depuis la restauration du capitalisme, sa sphère d’influence a été constamment empiétée par des concurrents, principalement l’impérialisme occidental. Tout ce que la Russie a entrepris n’a fait que renforcer cette tendance, culminant dans une série de « révolutions de couleur » en Serbie (2000), en Géorgie (2003), en Ukraine (2004) et au Kirghizstan (2005).
Une ère de tensions géopolitiques
Après la grande récession de 2008/2009, la zone euro est entrée dans une crise existentielle. L’UE a été déchirée par des divisions internes dont le Brexit est le point culminant provisoire. Tous les États européens connaissent une polarisation, la résurgence des divisions nationales et l’affaiblissement de leurs institutions et partis traditionnels à la suite de décennies d’attaques néolibérales contre le niveau de vie.
Les États-Unis sont également divisés et affaiblis. Le parti républicain est désormais contrôlé par le populiste imprévisible Trump. Le parti démocrate n’est plus en mesure de s’imposer de manière crédible comme le leader de la nation. Sur le plan international, l’affaiblissement de l’impérialisme américain s’est manifesté par la retraite déshonorante de l’Afghanistan, après laquelle les talibans ont pris le pouvoir à la vitesse de l’éclair.
Parallèlement, la Chine est devenue le principal challenger de l’hégémonie de l’impérialisme américain. La division internationale du travail et la mondialisation ont stimulé le processus de développement combiné par l’échange et l’imitation. Sous le capitalisme, cependant, cela ne se passe pas de manière harmonieuse mais de manière chaotique et déséquilibrée, ce qui conduit inévitablement à des tensions et explique pourquoi le capitalisme est finalement synonyme de guerre.
Les États-Unis et la Chine sont engagés dans une course à la technologie, aux armements, aux sphères d’influence, aux relations diplomatiques, etc. Une confrontation militaire directe est hors de question pour l’instant. La Chine ne peut pas encore gérer une telle chose et la dissuasion nucléaire existe toujours bien entendu. Mais en attendant, la guerre froide entre ces deux puissances capitalistes est si dominante qu’elle est un facteur déterminant dans tous les événements mondiaux. Les sanctions contre le régime de Poutine et les livraisons d’armes à l’Ukraine constituent également un avertissement à la Chine concernant Taïwan. Si la rhétorique de guerre froide ne commence par à développer sa propre dynamique, une confrontation militaire directe n’est pour le moment toutefois pas à l’ordre du jour.
Pour le régime de Poutine, ces circonstances et l’accord « sans limites » avec Xi Jinping ont créé une opportunité exceptionnelle. S’il voulait un jour tracer une ligne rouge et encore jouer à l’avenir un rôle de superpuissance, le moment devait être saisi. Cela a probablement été renforcé par le fait que le régime de Poutine a réussi à réussi à maintenir en selle Assad, Lukashenko et Tokayev en Syrie, au Belarus et au Kazakhstan.
La guerre éclair de Poutine, cependant, s’est depuis enlisée dans une guerre de tranchées. Au lieu de diviser l’Occident, l’invasion a revitalisé l’OTAN avec une forte augmentation des dépenses militaires, une multiplication des troupes en Europe et l’intégration de la Suède et de la Finlande. Dans la région du Donbas, les troupes russes se retranchent pour l’hiver et dans le sud, la contre-offensive annoncée de l’armée ukrainienne est bloquée depuis plus d’un mois. Une fin n’est nulle part en vue.
Guerre froide et annexion impérialiste
Malgré la puissance de leur force de frappe, les troupes russes ont rencontré une résistance acharnée. Les livraisons d’armes et d’informations occidentales ont joué un rôle, mais cette guerre ne fait pas seulement partie de la nouvelle guerre froide, c’est aussi une guerre d’annexion impérialiste et c’est ainsi qu’elle est principalement perçue par la classe ouvrière ukrainienne.
Cette estimation explique pourquoi de nombreuses familles occidentales ont initialement accueilli des réfugiés ukrainiens en signe de solidarité. Pour les mêmes raisons, un véritable mouvement anti-guerre n’a pas encore vu le jour. Pour beaucoup de gens, la principale préoccupation est désormais de stopper Poutine, et bien qu’ils soient à juste titre sceptiques quant aux intentions de l’Occident, un sentiment plus fort dans les pays du monde néocolonial, cette inquiétude s’exprime notamment, malgré tout, par l’acceptation des sanctions, des livraisons d’armes, de l’augmentation des dépenses militaires et de l’expansion de l’OTAN.
Avec la lueur d’une opposition significative à la guerre en Russie, l’appel à un mouvement anti-guerre international massif a suscité une certaine sympathie, sans toutefois se traduire par une mobilisation active. Depuis lors, le mouvement anti-guerre en Russie a été jeté dans la clandestinité. Les participants ont fini en prison, se sont enfuis à l’étranger ou ont gardé le silence. Ce point lumineux a donc disparu. En Russie, le mouvement anti-guerre devra se restructurer et se concentrer sur la classe ouvrière qui souffre le plus de l’inflation et des pertes d’emploi et où le soutien à la guerre est moins prononcé que dans les couches plus aisées de la population.
Une stratégie et un programme pour le mouvement ouvrier en temps de guerre
Zelensky a été élu président de l’Ukraine en 2019 après une campagne anti-establishment et anti-corruption. Sous son gouvernement, cependant, des grandes entreprises d’Etat ont été privatisées, une loi pro-patronale a été votée, le salaire minimum a été gelé et l’enseignement et les soins de santé ont été commercialisés. Avant la guerre, sa popularité avait chuté à 30 %, mais elle s’est redressée, principalement car il a rejeté l’offre américaine de quitter le pays après l’invasion russe. Pour l’instant, la nation ukrainienne est unie derrière Zelensky dans la lutte pour chasser l’occupant.
Mais tandis que les soldats ukrainiens se battent pour protéger leurs terres, leurs maisons et leurs communautés de l’occupation russe, le gouvernement et l’armée protègent principalement le droit d’exploitation des oligarques qui estiment que leurs intérêts sont mieux servis par une politique pro-occidentale contre les tentatives du régime russe de remettre en cause ce droit dans ses propres intérêts. Ce choix se manifeste à tous les niveaux.
Évidemment, en frappant à la porte de l’impérialisme occidental. Celui-ci veut épuiser la Russie dans l’espoir de dissuader d’autres aventures similaires et d’affaiblir en même temps un allié de la Chine, mais il ne veut pas pousser le régime de Poutine dans ses derniers retranchements et au recours aux armes nucléaires. La campagne de guerre de Zelensky ne vise pas non plus à influencer les troupes russes démoralisées. Au contraire, tout comme Poutine interdit les symboles et la musique ukrainiens en Russie, la culture russe est également réprimée en Ukraine et tous les partis d’opposition ont été interdits.
Ce n’est pas Zelensky et le commandement de l’armée, mais la motivation du peuple et des soldats ukrainiens qui constituent le facteur décisif de la résistance à l’occupation. Si le mouvement des travailleuses et travailleurs peut organiser et contrôler cette motivation, beaucoup de choses sont possibles. Nous soutenons donc toute mesure, aussi petite soit-elle, qui remet en cause le contrôle de l’armée en Ukraine, qu’il s’agisse de la distribution d’un journal ouvrier-soldat, de l’élection libre de représentants des soldats pour superviser les conditions de vie dans les tranchées, de l’élection démocratique des officiers, ou de la formation de comités locaux de soldats et d’habitants locaux pour superviser les opérations militaires et la distribution de l’aide.
L’arsenal du mouvement ouvrier comprend également les réunions, les grèves et la désobéissance civile. La protestation des pompiers d’Enerhodar et le débrayage des travailleurs du site nucléaire de Zaporijia en illustrent le potentiel. Si cela était organisé à grande échelle et de manière systématique, cela aurait un effet colossal sur les forces russes démoralisées.
Les oligarques et leurs représentants politiques appellent à l’unité nationale, mais ils mènent une guerre de classe unilatérale pour réaliser leurs rêves les plus fous. UkrOboronProm, un consortium d’État regroupant 20 entreprises de défense ukrainiennes qui réalise de faramineux bénéfices, a été transformé en société d’actionnaires en vue de sa privatisation. La privatisation de 200 entreprises, principalement alimentaires, est annoncée pour septembre. En juillet, une nouvelle loi sur le travail a été adoptée à la hâte par le Parlement, la rada, restreignant les droits de 70 % des travailleurs, et la réforme des pensions, conçue avant la guerre, est maintenant appliquée de façon accélérée. Le chômage atteint 35 % et un prêt de 20 milliards de dollars est en cours de négociation avec le Fonds Monétaire International (FMI).
La production d’armes, de nourriture et de médicaments ne doit pas servir les superprofits des oligarques et certainement pas en temps de guerre. La communauté devrait les revendiquer et les placer sous le contrôle des travailleuses et travailleurs pour un plan de production et de distribution dans l’intérêt du peuple. Avec l’aide de la classe ouvrière internationale, les sorties de capitaux d’Ukraine doivent être tracées et saisis. L’inflation, la spéculation et la corruption peuvent être combattues par des comités de travailleurs et de quartier chargés de réguler les prix, d’expulser les spéculateurs et de superviser tous les contrats gouvernementaux pour éviter les pots-de-vin.
La nouvelle loi sur le travail devrait être abolie. Pour lutter contre le chômage, une réduction générale du temps de travail sans perte de salaire devrait être mise en œuvre. Les travailleurs enrôlés dans l’armée ou qui perdent leur emploi à cause de la guerre doivent recevoir leur salaire complet de la part de l’entreprise. Si les entreprises prouvent après avoir ouvert leur comptabilité qu’elles ne peuvent pas payer, un fonds d’État financé par un impôt de guerre spécial sur les riches devrait intervenir. Toute tentative d’utiliser la guerre pour affaiblir les pensions, les revenus, les conditions de travail et de vie doit être rejetée.
Toutes les capacités de production et les ressources financières doivent être mobilisées pour défendre les communautés, les maisons et les lieux de travail aussi efficacement que possible et pour commencer la reconstruction dès que possible sur les mêmes principes. Les patrons qui refusent la reprise par la communauté pour un tel plan national doivent être expropriés. Ce programme n’est qu’une indication du type de programme de guerre dont le mouvement ouvrier a besoin pour relever les défis. Rien qui approche ceci ne peut être attendu d’un gouvernement autre qu’un gouvernement ouvrier.
Un tel programme sera initialement accueilli avec suspicion, voire hostilité. Une victoire du régime de Poutine ou de Zelensky et de l’impérialisme occidental conduirait à davantage d’agressions sur le territoire national et à l’étranger. Nous ne pouvons soutenir ni l’un ni l’autre. Cependant, il est beaucoup plus probable qu’il s’agisse d’une guerre de longue haleine, sans vainqueur, dans laquelle les distinctions de classe deviennent de plus en plus claires. La guerre est une forme très concentrée de politique, ce n’est pas pour rien qu’elle a été qualifiée « d’accoucheuse de la révolution », et une règle d’or de la guerre est que l’on ne peut jamais attaquer une révolution avec une chance de succès. Si le mouvement ouvrier en Ukraine adopte le programme ci-dessus, il aura non seulement un effet énorme sur les soldats et les travailleurs russes, mais il déclenchera également le mouvement anti-guerre nécessaire dans le monde entier. Le mouvement ouvrier international se mobiliserait sans doute pour l’annulation des dettes contractées pendant la guerre.
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Mikhaïl Gorbatchev : le dernier secrétaire général est mort

On vient d’annoncer le décès de Mikhaïl Gorbatchev, dernier secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique et architecte de la perestroïka et de la glasnost, tentatives de réformes par en-haut pour empêcher la révolution par en-bas.
Par Walter Chambers, Alternative Socialiste Internationale
Ses politiques ont finalement échoué, conduisant à la restauration du capitalisme dans l’ancienne Union soviétique, à partir de laquelle s’est développé le capitalisme de gangsters des années 1990, avant de se transformer en l’actuel régime agressivement impérialiste et autoritaire de Vladimir Poutine. Nous reproduisons ici un article de 2009 expliquant les processus qui se sont développés pendant le règne de Gorbatchev. Une notice nécrologique sera publiée ultérieurement.
De la Perestroïka à la restauration capitaliste
En 1985, Gorbatchev a entrepris de « restructurer » l’État et l’économie staliniens chancelants, dans le but d’éviter une crise terminale et de contrer les mouvements sociaux. En six ans, l’Union soviétique s’est effondrée et l’économie planifiée a été balayée par les mesures de privatisation de grande envergure d’Eltsine. Des luttes ouvrières de masse ont éclaté, mais les gagnants furent une nouvelle classe sociale de capitalistes gangsters.
Entre 1982 et 1985, trois secrétaires généraux du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS), Leonid Brejnev, Yuri Andropov et Konstantin Chernenko, sont décédé coup sur coup. Mikhaïl Gorbatchev a été élu pour leur succéder. Six ans plus tard, l’Union soviétique s’est effondrée, laissant derrière elle 15 républiques “indépendantes”, chacune ravagée par une catastrophe économique qui a fait chuter le PIB de plus de 50 %. La Russie, la Moldavie et la Géorgie ont connu de graves conflits avec leurs minorités nationales. L’Azerbaïdjan et l’Arménie sont entrés en guerre l’un contre l’autre. Le Tadjikistan a passé la majeure partie des années 1990 en état de guerre civile ouverte. Seuls les trois petits États baltes sont parvenus à établir une forme de démocratie stable, mais ils subissent aujourd’hui le pire de la crise économique mondiale. La Russie et le Belarus sont loin d’être démocratiques. Les États d’Asie centrale, en particulier le Turkménistan et l’Ouzbékistan, sont des fiefs féodaux autoritaires.
La sélection de Gorbatchev a marqué la victoire, au sein de la bureaucratie soviétique dirigeante, d’une couche de réformateurs qui avait compris que des changements devaient être apportés si l’élite voulait conserver le pouvoir. Andropov appartenait à cette aile réformatrice, bien qu’il ait été un homme de main de l’élite dirigeante. En tant qu’ambassadeur en Hongrie en 1956, il a vu comment les travailleurs en colère ont pendu la police secrète détestée aux lampadaires et a réalisé que le pouvoir soviétique était tout aussi fragile. De retour à Moscou en tant que chef du KGB, il a férocement plaidé en faveur de mesures militaires contre les réformateurs tchécoslovaques du Printemps de Prague en 1968. Il a réprimé les dissidents et a soutenu avec ferveur l’invasion de l’Afghanistan en 1979. Mais, une fois au pouvoir, il a pris les premières mesures provisoires pour mettre un frein aux pires excès de la corruption et de l’incompétence, mesures qui allaient ensuite être étendues par Gorbatchev. Les agents du KGB implantés sur chaque lieu de travail et dans chaque quartier signalaient dans leurs rapports l’énorme mécontentement qui s’accumulait dans la société face à la mauvaise gestion de la bureaucratie.
Après la révolution d’octobre 1917, de premières mesures visant à établir une société socialiste ont été prises. Les principales industries ont été nationalisées et intégrées dans une économie planifiée avec, du moins dans les premières années, de larges éléments de contrôle et de gestion par les travailleurs. Cela a posé les bases d’un développement économique remarquable du pays. Malgré le fait que la Russie prérévolutionnaire était l’un des pays les plus arriérés d’Europe sur le plan économique, et malgré la destruction économique causée par la première guerre mondiale (1914-18), la guerre civile (1918-20) et la deuxième guerre mondiale (1939-45), l’Union soviétique est devenue, dans les années 1960 et 1970, une puissance industrielle dont l’économie n’était pas soumise aux booms et aux effondrements chaotiques du capitalisme.
Au milieu des années 1920, cependant, une élite bureaucratique a commencé à se cristalliser, s’appuyant sur l’arriération de la société russe, la fatigue de la classe ouvrière et l’échec de la révolution dans d’autres pays plus développés comme l’Allemagne. La classe ouvrière a été écartée du pouvoir politique tandis que la bureaucratie, dirigée par Staline, a étendu ses tendances dictatoriales à tous les aspects de la vie. Cette élite bureaucratique, forte de 20 millions de personnes en 1970, était comme un énorme parasite qui suçait le sang de l’économie planifiée, la vidant de son énergie. La mauvaise gestion bureaucratique a créé un énorme gaspillage. Cela a conduit à la période que les Russes appellent « la stagnation ». Tout le monde avait un emploi, un endroit où vivre et un salaire modeste, mais la vie était terne, la qualité des produits et des services très faible, et d’énormes ressources étaient gaspillées ou dépensées en armes ou autres articles inutiles. De plus en plus, la mauvaise gestion de l’économie entraînait d’énormes pénuries, souvent de produits essentiels.
Parfois, la nature arbitraire et répressive de la bureaucratie débordait sur des conflits ouverts. En 1962, par exemple, une instruction a été envoyée de Moscou pour augmenter le prix de la viande et d’autres denrées alimentaires stables. Cela a coïncidé avec la décision de réduire les salaires dans une usine métallurgique de la ville de Novocherkassk. Les travailleurs se sont alors mis en grève. Ils ont été accueillis par des troupes armées et des chars. Des centaines d’entre eux ont été tués par balle, tant le régime craignait que des travailleurs d’autres régions ne viennent les soutenir.
Léon Trotsky avait analysé la situation en Union soviétique après la prise du pouvoir par la bureaucratie. Il affirmait que la classe ouvrière devait organiser une révolution supplémentaire et balayer la bureaucratie, permettant ainsi la mise en place d’un véritable État ouvrier démocratique. Si, toutefois, les travailleurs ne devaient pas le faire, alors il arriverait un moment où l’élite bureaucratique tenterait de légaliser ses privilèges et le pillage des biens de l’État. À long terme, écrivait Trotsky, dans « La révolution trahie » (1936), cela pourrait « conduire à une liquidation complète des conquêtes sociales de la révolution prolétarienne ». Sous Staline, la bureaucratie a défendu l’économie planifiée comme la base de son pouvoir et de ses privilèges, mais elle l’a fait « de manière à préparer une explosion de tout le système qui pourrait balayer complètement les résultats de la révolution. »
Des réformes expérimentales
Des événements tels que ceux de Novocherkassk, de Hongrie, de Tchécoslovaquie et de Pologne ont effrayé la bureaucratie. Alors que, du moins au début, la majorité de celle-ci estimait que la répression était le moyen le plus efficace de maintenir le contrôle sur la société, une partie des bureaucrates a commencé à penser qu’il fallait chercher de nouveaux mécanismes pour réduire la mauvaise gestion et la corruption. Au milieu des années 1960, un groupe d’économistes a commencé à se former sous la direction d’Abel Aganbegyan à l’Académie de Novossibirsk. Ils ont commencé à analyser des questions telles que le fossé entre la production agricole et les demandes de la population. Leurs travaux, rédigés dans le style rabougri du « marxisme » soviétique, allaient essentiellement dans le sens de la réintroduction des mécanismes du marché, du moins dans l’agriculture. Leurs idées ont été discutées par une couche importante de l’élite dirigeante. Aganbegyan est devenu plus tard le principal conseiller économique de Gorbatchev.
Cependant, l’élite dirigeante n’était pas encore prête à s’engager dans cette voie. La source de leur style de vie privilégié était, après tout, l’économie planifiée et, malgré leur incompétence parasitaire, elle était toujours en avance par rapport aux grandes économies capitalistes. En 1973, la crise pétrolière a frappé le monde. Elle a contribué à plonger l’Occident dans la récession, mais a en fait aidé l’Union soviétique en raison des revenus supplémentaires provenant des exportations de pétrole. Mais cela n’a fait que retarder le processus.
Le mécontentement croissant en Europe de l’Est a poussé les gouvernements, comme celui de la Pologne, à commencer à contracter des prêts importants auprès du monde capitaliste. Ces crédits ont alimenté l’inflation et rendu le système bureaucratique de planification encore plus ingérable. Les coûts de la course aux armements de la guerre froide et de l’Afghanistan n’ont fait qu’exacerber les problèmes. Ainsi, lorsque Brejnev est mort en 1982, une partie du politburo au pouvoir semblait prête à commencer à expérimenter. Andropov, considéré comme un réformateur, a été élu au pouvoir, mais il est mort 15 mois plus tard. Il avait exprimé le souhait d’être remplacé par Gorbatchev, mais les partisans de la ligne dure n’étaient pas encore prêts pour cela. Tchernenko, bien que déjà gravement malade, fut élu comme candidat provisoire, le politburo comprenant clairement que dans quelques mois, ils allaient à nouveau être amenés à voter. Cette fois, Gorbatchev l’a emporté.
Il n’avait pas l’intention de réintroduire le capitalisme. Il désirait des réformes au sommet pour empêcher une explosion de la révolution par en bas. Mais il a déclenché un processus qui est devenu impossible à arrêter, principalement parce qu’en levant la répression et en encourageant dans une certaine mesure les gens ordinaires à jouer un rôle plus actif, bien que limité, dans leurs propres affaires, il a ouvert les vannes pour permettre au mécontentement qui s’était accumulé pendant des décennies de se manifester au grand jour.
Les dissidents et l’opposition
Bien sûr, les choses auraient pu se passer différemment. Dans son chef-d’œuvre, « La révolution trahie », Trotsky affirmait que « si la bureaucratie soviétique est renversée par un parti révolutionnaire ayant tous les attributs du vieux bolchevisme, enrichi en outre par l’expérience mondiale de la période récente, un tel parti commencerait par restaurer la démocratie dans les syndicats et les soviets. Il pourrait, et devrait, restaurer la liberté des soviets. Avec les masses, et à leur tête, il procéderait à une purge impitoyable de l’appareil d’État. Il supprimerait les grades et les décorations, toutes sortes de privilèges, et limiterait l’inégalité dans la rémunération du travail aux nécessités vitales de l’économie et de l’appareil d’État. Il donnerait à la jeunesse la possibilité de penser de manière indépendante, d’apprendre, de critiquer et de se développer. »
« Il introduirait de profonds changements dans la répartition du revenu national en fonction des intérêts et de la volonté des masses ouvrières et paysannes. Mais en ce qui concerne les relations de propriété, le nouveau pouvoir n’aurait pas à recourir à des mesures révolutionnaires. Il conserverait et développerait l’expérience de l’économie planifiée. Après la révolution politique – c’est-à-dire la chute de la bureaucratie – le prolétariat aurait à introduire dans l’économie une série de réformes très importantes, mais pas une autre révolution sociale. »
Ces propos ont été écrits en 1936, lorsque la masse des travailleurs avait encore un souvenir clair de ce que la révolution bolchevique, menée par Vladimir Lénine et Trotsky, était réellement censée accomplir. C’est la crainte que les travailleurs organisent une nouvelle révolution qui a conduit Staline à mener sa vicieuse campagne de terreur contre les bolcheviks restants. Cette campagne de terreur était si impitoyable que, malgré la résistance héroïque des trotskystes dans les camps de prisonniers, le fil du bolchevisme a fini par être rompu. Jusqu’en 1990, il était pratiquement impossible de lire les œuvres de Trotsky en Union soviétique.
Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y avait pas d’opposition à la bureaucratie au pouvoir. Les médias occidentaux ont mis en avant les dissidents, principalement des intellectuels inspirés à un degré ou à un autre par la démocratie libérale occidentale, comme Andrei Sakharov, un physicien nucléaire qui a travaillé sur la bombe atomique soviétique. Certaines personnalités du parti et de l’armée, des gens comme les frères Medvedev, Roy et Zhores, et Pyotr Grigoryenko se sont ouvertement exprimés en tant qu’anti-staliniens de gauche. En 1963, ces derniers ont même formé l’Union de lutte pour la restauration du léninisme. Cependant, malgré tout leur courage, il s’agissait essentiellement de bureaucrates dissidents. Beaucoup plus nombreux sont les jeunes opposants de la classe ouvrière qui ont formé des groupes d’étude, des cercles léninistes et même des partis, avec des noms tels que le Parti néo-communiste, le Parti des nouveaux communistes ou, plus tard, même le Parti de la dictature du prolétariat. Malheureusement, la combinaison de la répression et de l’absence d’une compréhension claire de ce qu’il fallait faire a laissé ces groupes incapables de se développer lorsque les conditions ont mûri.
Les limites de la perestroïka
En fin de compte, ce sont les mouvements initiés par la bureaucratie elle-même qui ont conduit à la disparition de l’Union soviétique. Gorbatchev a lancé ses politiques de glasnost et de perestroïka (ouverture et restructuration). D’une part, le système politique a été ouvert pour permettre une certaine critique. Naturellement, les réformateurs voulaient que cette critique soit dirigée contre leurs adversaires les plus durs sans toutefois aller trop loin. Les élections à plusieurs candidats ont été autorisées, mais tous les candidats devaient toujours être membres du parti communiste.
Gorbatchev fut initialement plus prudent avec l’économie, parlant d’uskoreniye (accélération) et de la modification de la planification centrale. La plus grande réforme consista à rendre les usines et les entreprises “autofinancées”. Cela signifiait que, bien qu’elles devaient respecter leurs engagements de production pour le plan, les directeurs pouvaient vendre tout excédent produit et, naturellement, utiliser les bénéfices comme ils le souhaitaient. Les travailleurs ont eu le droit d’élire et de révoquer les directeurs d’usine, ce qu’ils ont fait dans certains cas. En 1987, une loi a été adoptée permettant aux étrangers d’investir en Union soviétique en formant des entreprises communes, généralement avec des ministères ou des entreprises d’État. En 1988, la propriété privée sous forme de coopératives a été autorisée dans les secteurs de la fabrication, des services et du commerce extérieur.
Aucune de ces réformes n’a eu l’effet escompté. Alors que la censure était relâchée et que les représentants de la bureaucratie commençaient à débattre plus ouvertement, les gens ont été inspirés par cette nouvelle “ouverture”. Lorsque les débats du Soviet suprême ont été diffusés en direct à la télévision, les gens ont arrêté de travailler pour se presser autour du poste le plus proche, les foules dans les rues regardaient à travers les vitrines des magasins. Mais ils voulaient plus de choix qu’entre les candidats d’un même parti. Lors des élections au Soviet suprême de mai 1989, les électeurs de tout le pays ont rayé tous les noms sur leur bulletin de vote pour protester contre l’absence d’alternative. Très vite, les députés réformateurs les plus radicaux, autour de Boris Eltsine, ont soulevé la nécessité d’abolir l’article six de la constitution, qui stipulait que le PCUS a le droit de contrôler toutes les institutions du pays.
La Perestroïka s’est avérée désastreuse, du moins du point de vue des travailleurs. Les réformes n’étaient, comme on dit en russe, ni chair ni volaille. En assouplissant les règles du plan, les directeurs d’entreprise ont commencé à détourner les ressources de la production de base. Les organisations ont commencé à éprouver des difficultés à obtenir des fournitures de base. Et si les directeurs étaient désormais autorisés à vendre la production supérieure au plan à qui voulait bien l’acheter, il n’y avait toujours pas de marché libre pour le faire. Cela a créé de réelles difficultés. Par exemple, le coût de la production de charbon était nettement supérieur au prix payé par l’État, laissant de nombreuses mines sans argent pour couvrir les salaires.
En raison de l’incompétence de l’élite dirigeante, l’économie soviétique a longtemps souffert de pénuries. Mais, en 1989, la situation était devenue catastrophique. Les mineurs ne pouvaient même pas obtenir de savon pour leurs douches. À Moscou, toujours privilégiée concernant l’approvisionnement en nourriture, le rationnement des denrées alimentaires de base a été introduit.
La perte de contrôle
La politique de perestroïka s’effondra dans la crise. Elle n’a pas fait grand-chose pour réduire le rôle étouffant de la bureaucratie, mais a soulevé le couvercle de l’énorme mécontentement qui bouillonnait sous la surface. Les événements ont commencé à échapper à tout contrôle.
Au début de 1986, la centrale nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine, a explosé. Alors que les autorités tentaient de dissimuler l’ampleur de la catastrophe, des volontaires ont afflué par milliers pour éteindre l’incendie, avec pour seule défense une bouteille de vodka qui, selon les médecins, les protégerait des radiations. Une fois de plus, il apparaissait que la société soviétique reposait sur d’énormes sacrifices de la part du peuple, tandis que la bureaucratie continuait à faire des erreurs et à commettre des vols. En 1988, un tremblement de terre a secoué certaines parties de l’Arménie, tuant 25.000 personnes lorsque des bâtiments insalubres se sont effondrés, laissant la ville de Leninakan dévastée. Cela a alimenté la question nationale dans le Caucase.
À la fin de 1986, les premiers signes de la libération de nouvelles forces sociales ont commencé à apparaître. La ville d’Alma-Ata a été secouée par une émeute étudiante de deux jours avec pour cause immédiate le limogeage de Dinmukhamed Konayev, chef du parti communiste du Kazakhstan (un Kazakh de nationalité). Le parti était en proie à une lutte entre Konaïev et son adjoint (également kazakh), qui l’accusait de freiner les réformes. Gorbatchev a décidé de ne soutenir aucun des deux camps et a nommé à la place un outsider, un Russe. Mécontent de cette décision, l’adjoint de Konaïev a incité les étudiants, principalement des Kazakhs, à protester. Lorsqu’ils ont été accueillis par les troupes anti-émeute, ils se sont déchaîné. L’adjoint de Konaïev a fini par prendre la tête du parti en 1989 et, deux ans plus tard, lors de la tentative de coup d’État de 1991, il a interdi le parti communiste, avant de devenir président du Kazakhstan. Son nom : Nursultan Nazarbaev, qui est encore aujourd’hui le président autoritaire du Kazakhstan (il a démissionné de la présidence en 2019, ndt).
L’escalade de la crise économique, les scissions au sein de l’élite dirigeante et les catastrophes naturelles et technologiques ont alimenté le mécontentement. Les tensions nationales se sont intensifiées en quelques mois. La région du Nagorny-Karabakh (cédée arbitrairement à l’Azerbaïdjan par Staline en 1921) est devenue le prochain point chaud. Les manifestations de masse de la population majoritairement arménienne, qui exigeait le retour en Arménie, ont été réprimées sauvagement par le régime azéri. Une guerre ouverte a éclaté entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan en 1991.
Dans les trois États baltes – la Lettonie, la Lituanie et l’Estonie – il y avait un énorme ressentiment à l’égard de leur inclusion dans l’Union soviétique, à la suite du pacte Hitler/Staline. (Lénine et Trotsky avaient toujours soutenu le droit des États baltes à l’autodétermination). Ce ressentiment, combiné à la crise économique et sociale croissante, a alimenté des mouvements de masse réclamant l’accélération des réformes et l’indépendance. Au début de 1990, les trois pays avaient déclaré leur indépendance officielle.
Si un parti ouvrier de masse de gauche avait existé à l’époque, il aurait pu unifier ces protestations contre la bureaucratie soviétique et présenter une véritable option pour garantir l’établissement d’un véritable État socialiste en Union soviétique. Un mouvement ouvrier de masse s’est développé. Malheureusement, il n’était pas armé d’un programme clair qui aurait pu résoudre ces crises.
Les oligarques s’installent au pouvoir
Les mouvements de masse qui se sont répandus en Europe de l’Est, les mouvements d’indépendance en pleine expansion ainsi que les politiques ratées de la perestroïka n’ont fait qu’aggraver la situation économique. Les recettes fiscales se sont effondrées, le nombre d’usines nécessitant des subventions a augmenté. L’inflation s’installa. Pendant ce temps, une partie de l’élite dirigeante a quitté le navire. Une nouvelle loi autorisant la formation de coopératives a été présentée comme donnant le droit de créer des cafés et de petites productions de services. Cependant, la bureaucratie a utilisé cette loi pour créer des coopératives liées aux ministères et aux usines afin d’exproprier ouvertement les biens de l’État.
L’un des oligarques les plus notoires de Russie, Boris Berezovskii, fournit un exemple du fonctionnement de ce processus. En 1989, il a conclu un accord avec la direction de l’usine automobile russe Lada. Au lieu de vendre toute sa production par l’intermédiaire de détaillants d’État, elle lui vendrait ses voitures à un prix réduit. Il les revendrait ensuite, à un prix plus élevé bien sûr. En trois ans, Berezovskii a réalisé un chiffre d’affaires de 250 millions de dollars dans cette seule activité. Les travailleurs ont vite appris à détester ces “entrepreneurs”.
En mars 1989, les premiers signes d’une vague de grève imminente sont apparues dans le bassin houiller polaire de Vorkuta. La 9e brigade de la fosse Severnaya a fait grève, réclamant des salaires payés à un taux décent et des normes de production plus basses. Faisant écho aux réformateurs de Moscou, ils ont exigé la réduction de 40% du personnel d’encadrement et la réélection du directeur technique. Des concessions ont rapidement été faites, mais cette petite grève a ouvert les vannes. En juillet, un demi-million de mineurs se sont mis en grève dans tout le pays.
À Vorkuta, Novokuznetsk, Prokopievsk et Mezhdurechensk, des comités de grève ont effectivement pris en charge la gestion des villes. La vente de spiritueux a été interdite et des organisations ont été mises en place pour maintenir l’ordre public. Les mineurs étaient principalement préoccupés par leurs conditions de travail et leurs conditions sociales, notamment les mauvaises conditions de transport et de logement, les bas salaires, la mauvaise alimentation et l’absence de savon dans les douches des puits. Dès le début, les réunions de masse et les comités de grève ont insisté sur le fait que les grèves étaient apolitiques. Mais, comme les mineurs n’avaient pas de programme politique propre, il était inévitable que d’autres forces utilisent leur mouvement. À Mezhdurechensk, les directeurs de mines ont “soutenu” la grève, se plaignant seulement que certaines des revendications étaient irréalisables tant que les mines étaient sous contrôle central. La demande d’une indépendance économique totale des mines, avec le droit de vendre du charbon sur le marché libre, a bientôt été ajoutée à la liste des revendications des mineurs.
Les mineurs ont créé des organisations à la hâte, mais se sont avérés être politiquement non préparés. La seule façon dont ils auraient pu résoudre les problèmes de la fin de la période soviétique aurait été de s’organiser pour renverser la bureaucratie et l’élite dirigeante, tout en maintenant la propriété de l’État et l’économie planifiée sur la base d’un contrôle et d’une gestion démocratiques des travailleurs. Mais il n’y avait aucune organisation politique offrant une telle alternative dans les bassins houillers. Au lieu de cela, la bureaucratie même qui était à l’origine de la crise s’est attaquée aux organisations créées par les mineurs pour promouvoir son propre programme politique. Les membres des comités de grève ont été pris pour de longues négociations, les revendications quotidiennes ont été liées à des demandes plus explicites dans l’intérêt des administrations des mines et même du ministère du charbon. Dans de nombreux cas, les chefs de grève étaient encouragés à créer des entreprises (en utilisant la nouvelle loi) qui, naturellement, étaient étroitement contrôlées par les structures de l’État.
500 jours pour le capitalisme
Au cours de l’été 1989, le premier bloc d’opposition au Congrès soviétique, le groupe interrégional, a été formé, avec à sa tête Eltsine. Alors que les événements se succédaient à un rythme dramatique, les grèves des mineurs donnaient aux travailleurs la certitude qu’ils pouvaient se battre. Pendant ce temps, les États baltes ont déclaré leur indépendance. Un autre conflit interethnique virulent a éclaté entre la Géorgie et l’Ossétie du Sud. En novembre 1989, le mur de Berlin a été abattu. En décembre, le dictateur brutal Nikolaï Ceausescu et sa femme, Elena, ont été exécutés publiquement lors du soulèvement en Roumanie. Ces événements ont effrayé l’élite dirigeante mais, comme on dit en russe, le train avait quitté la gare et il n’était plus possible de l’arrêter.
Le groupe interrégional s’opposait ouvertement à Gorbatchev, qui se retrouvait coincé entre les partisans d’Eltsine et les conservateurs purs et durs. Parmi ces derniers, on trouve des personnalités telles que les fameux “colonels noirs” qui plaidaient pour une solution “à la Pinochet”.
Le groupe interrégional possédait une petite aile gauche mais se composait principalement de réformateurs, dont l’agenda comportait des réformes du marché et une démocratie de type occidental, même si cela n’était pas encore clairement formulé dans leur programme. Il est révélateur de la résistance au capitalisme que, même à ce stade tardif, les réformateurs n’appelaient que rarement ouvertement à sa restauration. Parmi les mineurs et les autres travailleurs, cet appel aurait rencontré une certaine résistance, même si certaines de leurs revendications étaient devenues intrinsèquement “pro-marché”. L’état d’esprit des mineurs était qu’ils n’avaient vraiment aucune envie de vivre dans une société capitaliste. Néanmoins, ils avaient perdu la foi dans le fait que le socialisme était un système viable.
Le groupe interrégional s’est concentré sur la suppression du monopole du pouvoir du PCUS. Des manifestations massives ont été organisées à Moscou et dans d’autres villes pour exiger l’abrogation de l’article 6, qui a finalement été aboli au printemps 1990. Lors des élections dans les différentes républiques, les candidats nationalistes et pro-libéraux ont remporté la majorité des voix. En mai, Eltsine a été élu président du Soviet suprême et, en juin, dans une tentative de forcer la main à Gorbatchev, le Congrès russe des députés du peuple a déclaré la souveraineté de la Russie. La “guerre des lois” a commencé, les républiques luttant pour la suprématie contre le gouvernement de l’Union soviétique.
En août 1990, le gouvernement russe a adopté le « programme des 500 jours ». Ce programme prévoyait la création des « bases d’une économie de marché moderne en 500 jours », basée sur « une privatisation massive, des prix déterminés par le marché, l’intégration dans le système économique mondial, un large transfert de pouvoir du gouvernement de l’Union aux républiques ». Comme le disait l’éditorial de la première édition du journal russe du Comité pour une Internationale Ouvrière (devenu depuis lors Alternative Socialiste Internationale) de l’époque : « Nous mourrons de faim après 500 jours ! » En juin 1991, Eltsine se présenta à l’élection du président russe et remporta 57% des voix. Il critiquait la « dictature du centre », sans rien dire sur l’introduction du capitalisme. Il a même promis de mettre sa tête sur une voie ferrée si les prix augmentaient. Bien sûr, il ne l’a jamais fait, même si, en 1992, les prix avaient augmenté de 2 500 %.
Un coup d’État en demi-teinte
L’opposition conservatrice ne défendait pas le socialisme, du moins pas tel que nous le connaissons. Elle défendait un État fort et centralisé. Ils étaient surtout furieux que les républiques soient en train de se séparer de l’Union soviétique et que, du fait de cette nouvelle “ouverture”, les gens critiquaient leur gouvernement. À l’occasion des vacances du nouvel an 1990-91, des rumeurs de coup d’État militaire couraient à Moscou. Les partisans de la ligne dure se retenaient, même si l’Union soviétique s’effondrait autour d’eux.
En mars 1991, un référendum a été organisé dans lequel la question suivante était posée : « Considérez-vous nécessaire la préservation de l’Union des républiques socialistes soviétiques en tant que fédération renouvelée de républiques également souveraines dans laquelle les droits et la liberté d’un individu de toute nationalité seront pleinement garantis ? » Le référendum a été boycotté par les États baltes, ainsi que par la Géorgie, l’Arménie et la Moldavie. Mais 70% des électeurs des neuf autres républiques ont voté oui. Il s’est toutefois avéré difficile de trouver un accord sur la forme exacte. Un nouveau traité d’union a été élaboré. Huit républiques en ont accepté les conditions, tandis que l’Ukraine s’y est opposée. La Russie, le Kazakhstan et la Biélorussie l’ont signé en août 1991.
Le 19 août 1991, les Moscovites se sont réveillés au son des chars dans la rue. Les partisans de la ligne dure avaient lancé leur coup d’État tant attendu. On dit que Gorbatchev, qui était en fait en vacances, était « trop fatigué et malade pour continuer ». La « bande des huit » a déclaré qu’elle instaurait la loi martiale et un couvre-feu dans le but de « lutter contre l’économie souterraine, la corruption, le vol, la spéculation et l’incompétence économique » afin de « créer des conditions favorables à l’amélioration de la contribution réelle de tous les types d’activités entrepreneuriales menées dans le respect de la loi ». Ils ont terminé par un appel à « toutes les organisations politiques et sociales, les collectifs de travail et les citoyens » pour qu’ils démontrent leur « disposition patriotique à participer à la grande amitié dans la famille unifiée des peuples fraternels et à la renaissance de la patrie. »
Victor Hugo disait que « toutes les forces du monde ne sont pas aussi puissantes qu’une idée dont le temps est venu ». Ce putsch a prouvé que l’inverse est également vrai : la plus grande machine militaire ne pouvait pas sauver un régime dont le temps était révolu ! Même les tankistes et les parachutistes des divisions d’élite soviétiques envoyés à Moscou n’avaient pas le cœur à se battre. Les chars s’arrêtaient aux feux rouges. Un chauffeur de trolleybus a arrêté son véhicule à l’entrée de la Place Rouge et les chars n’ont pas bougé plus loin ! Quelques minutes plus tard, les manifestants ont appris qu’Eltsine lançait un appel à la grève générale (qu’il a rapidement annulé) et a demandé aux gens de se rassembler devant le siège du gouvernement russe. En quelques heures, des centaines de milliers de personnes se sont rassemblées. Le pays tout entier a commencé à se soulever contre le coup d’État. Les putschistes ont fait demi-tour. L’un d’entre eux s’est tiré une balle. Un autre a quitté la politique pour devenir un riche banquier. Gorbatchev est retourné à Moscou pour découvrir que le pays qu’il avait dirigé n’existait plus.
Officiellement, l’Union soviétique fut dissoute en décembre 1991. Mais il ne s’agissait que d’une reconnaissance de la réalité. Après le coup d’État, les 15 républiques avaient annoncé leur indépendance. La vitesse du processus de restauration du capitalisme différait dans chaque république, mais la direction fut la même. Les obstacles à la restauration du capitalisme qui existaient auparavant ont été supprimés. Dans le cas de la Russie, le régime d’Eltsine a banni le PCUS, a entrepris de briser l’ancienne structure étatique, allant même jusqu’à promettre aux républiques intérieures de la Russie, telles que la Tchétchénie et le Tatarstan, « autant de souveraineté qu’elles pouvaient en supporter ». Une thérapie de choc économique a été introduite avec la libéralisation des prix, les privatisations massives, l’augmentation des impôts, la réduction des subventions à l’industrie et la diminution des dépenses sociales.
Les conseillers occidentaux ont ouvertement averti le gouvernement Eltsine qu’il devait gagner le soutien des anciens bénéficiaires du régime soviétique, c’est-à-dire les anciens chefs de parti, directeurs d’usine et agents du KGB, en leur transférant la propriété de la nouvelle société capitaliste afin qu’ils ne résistent pas. Même la période d’hyperinflation, qui a apporté une misère indicible aux masses, a été utilisée par l’élite dirigeante pour concentrer la richesse entre ses mains. C’est à partir de cette période que les oligarques ont acquis leur richesse obscène. Dans les médias russes, on appelait ouvertement cela le « processus d’accumulation primitive du capital ».
Le peuple soviétique a été escroqué. On leur a dit qu’en introduisant des réformes du marché, ils pourraient avoir des conditions de vie similaires à celles d’Europe occidentale. Plutôt que de dire à la population que l’intention était d’introduire le capitalisme, on lui a dit qu’il s’agissait d’une lutte pour la « démocratie ». Près de 20 ans plus tard, le niveau de vie de la grande majorité de la population est nettement inférieur à celui de la fin de la période soviétique. La démocratie est pratiquement inexistante et l’ancienne élite dirigeante, qui a ruiné l’économie planifiée, vit maintenant dans le luxe grâce aux bénéfices de l’exploitation capitaliste. Cela contribue à expliquer pourquoi, dans toute l’ancienne Union soviétique, les travailleurs commencent à se tourner à nouveau vers les idées de gauche. Ce n’est que la prochaine fois qu’ils auront l’expérience nécessaire pour établir une véritable société socialiste, avec une économie planifiée, le contrôle et la gestion des travailleurs, et l’autodétermination dans une fédération volontaire d’États socialistes et l’internationalisme.
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[DOSSIER] Ukraine : La guerre et ses conséquences

Photo : Wikicommons La guerre en Ukraine est entrée dans son sixième mois. Des villes entières telles que Marioupol et Severodonetsk ont été anéanties. Des milliers de civils et des dizaines de milliers de soldats des deux côtés ont été tués, tandis que probablement dix fois plus ont été blessés. Bien que certains soient maintenant rentrés, plus de huit millions de réfugiés, essentiellement des femmes et des enfants, ont fui à l’étranger. Autant de personnes ont été déplacées à l’intérieur de l’Ukraine.
Editorial du numéro 8 du magazine Socialist World, d’Alternative Socialiste Internationale
Les espoirs du Kremlin d’occuper tout le pays ont été rapidement anéantis car il a rencontré une résistance farouche. L’armée russe a été contrainte de se retirer des environs de Kiev, Tchernigov et Kharkiv, pour concentrer ses forces sur le Donbass. Il s’agit de la zone d’environ 400 km sur 200 km qui couvre les régions industrielles de Donetsk et Lougansk dans l’est de l’Ukraine. En 2014, une partie du Donbass a été reprise par les soi-disant « républiques populaires » de Donetsk et Lougansk (DNR/LNR) et depuis lors, les combats se poursuivent. Aujourd’hui, les forces russes et ukrainiennes se battent sur chaque kilomètre de terrain dans une guerre d’usure qui devrait durer plusieurs mois, voire davantage.
La guerre est le produit d’une nouvelle période de tensions croissantes entre les puissances impérialistes résultant de la crise économique, du recul de la mondialisation et du néolibéralisme et des tentatives consécutives de repartage des sphères d’intérêt mondiales, en d’autres termes, des zones d’exploitation. Alors que la nouvelle guerre froide entre les deux grandes puissances impérialistes – les États-Unis et la Chine – s’approfondit, les blocs militaires et diplomatiques sont réalignés et les équilibres régionaux bouleversés. Le camp dirigé par les États-Unis voit clairement la guerre comme l’occasion d’affaiblir la Russie et aussi comme un avertissement et une répétition générale d’un conflit militaire avec la Chine à un stade ultérieur.
L’impérialisme russe a son propre agenda agressif dans lequel l’Ukraine n’a pas le droit d’exister en tant qu’État indépendant. La réalité aussi est que les États-Unis et les gouvernements impérialistes occidentaux, malgré toutes leurs promesses au peuple ukrainien, considèrent l’Ukraine comme un pion dans leur conflit mondial.
Biden change de ton
Au début de la guerre, se sentant enhardi par les revers russes et la réponse unie de l’OTAN, le président américain Biden a appelé au renversement de Poutine. Lui et d’autres dirigeants américains ont soutenu l’idée que la Russie serait chassée de l’ensemble du territoire ukrainien et vaincue de manière décisive. Alors que Poutine a mal calculé en ordonnant l’invasion, il semble que Biden ait également très mal évalué la situation. Notamment, s’agissant des coûts engendrés par la guerre.
Mais il faut aussi être réaliste sur le rapport de force militaire. Malgré la propagande occidentale au début de la guerre et les prévisions d’effondrement imminent de l’armée russe, la réalité a évolué différemment. Sans le soutien occidental, c’est l’armée ukrainienne qui se serait effondrée rapidement après l’invasion. Par exemple, les États-Unis ont envoyé 7 000 missiles antichars Javelin. Cependant, la Russie aurait trouvé impossible d’occuper de façon permanente l’ensemble de l’Ukraine ou même la majeure partie de celle-ci contre la résistance déterminée de sa population.
La nouvelle phase de la guerre dans le Donbass a favorisé l’approche russe consistant à utiliser l’artillerie à longue portée pour soumettre les villes ukrainiennes. Alors que les forces russes subissent encore de lourdes pertes, les pertes ukrainiennes sont de plus en plus insoutenables. L’Occident a promis plus de systèmes militaires de haute technologie à l’Ukraine. La vérité est que la seule façon de vaincre militairement l’armée russe et de la chasser d’Ukraine à ce stade serait que l’OTAN envoie ses propres forces, conduisant le monde au bord d’une guerre totale entre la Russie et l’OTAN. Les impérialistes occidentaux ont clairement fait savoir qu’ils n’étaient pas prêts à le faire et qu’ils voulaient plutôt confiner la guerre au territoire ukrainien afin de maintenir un plus grand contrôle.
Ainsi, l’Occident est maintenant occupé à réduire les attentes et à anéantir les illusions des Ukrainiens ordinaires. Cela pourrait empirer lorsque les impérialistes occidentaux finiront par forcer Zelensky à signer un accord acceptant la partition du pays et l’annexion effective d’une grande partie ou de la totalité du Donbass à la Russie.
Pendant ce temps, les puissances occidentales affichent des tensions et des divisions sur leurs prochains mouvements compte tenu des conséquences potentielles. La guerre a déjà considérablement aggravé les crises alimentaires et énergétiques mondiales, aggravé l’inflation et la crise de la dette auxquelles sont confrontés de nombreux pays pauvres. Cela indique un bouleversement massif comme nous le voyons déjà au Sri Lanka.
Mais les conséquences économiques et sociales ne se limiteront pas aux pays pauvres. Parmi les grandes puissances, l’Allemagne est particulièrement exposée car son modèle économique repose sur une énergie russe bon marché et des exportations vers la Chine. Il y a maintenant une grande inquiétude dans les médias occidentaux quant à savoir si la Russie est sur le point de fermer le gazoduc Nord Stream. L’Allemagne dépend de la Russie pour 35% de ses approvisionnements en gaz en provenance de Russie, ce qui couvre le chauffage de la moitié des ménages du pays, tandis que la France obtient 19% de son gaz en provenance de Russie. Au fur et à mesure que la guerre s’éternise, les divisions dans le camp occidental pourraient s’aiguiser, une aile cherchant à mettre fin au conflit plus rapidement, par une forme d’accommodement avec la Russie, l’autre étant disposée à le laisser s’éterniser.
Comment le conflit en Ukraine a évolué
Depuis l’effondrement de l’Union soviétique, les intérêts économiques occidentaux ont exploité la main-d’œuvre bon marché de l’Europe de l’Est pour ses chaînes d’approvisionnement et se sont appuyés sur l’énergie, les minéraux et les produits alimentaires de la région. Militairement, l’OTAN s’est étendue à toute la région. Jusqu’à la crise mondiale de 2008, l’Occident et la Russie considéraient leur relation comme un « partenariat » en développement. Poutine a même suggéré que la Russie pourrait éventuellement rejoindre l’OTAN. Mais à mesure que la mondialisation commençait à ralentir et que la Russie bénéficiait de revenus pétroliers accrus, les conflits augmentaient de plus en plus.
La « révolution orange » en Ukraine en 2004 et la crise de l’Euromaidan en 2013-2014 ont été le résultat du conflit entre les intérêts pro-russes et pro-UE au sein de l’élite dirigeante oligarchique ukrainienne. Dans les deux cas, les forces pro-UE reposant sur des protestations de masse ont été victorieuses. La réponse du Kremlin a été d’annexer la Crimée et d’apporter un soutien militaire et politique aux gouvernements séparatistes des « républiques populaires » de Donetsk et Lougansk (DNR/LNR) à l’est. La guerre qui en a résulté dans le Donbass de 2014 à 2021 a fait plus de 15 000 morts. Alors que les intérêts impérialistes américains et européens se sont renforcés dans toute la région, l’élite du Kremlin est devenue de plus en plus agressive pour s’y opposer.
En lançant cette guerre brutale, Poutine a affirmé que son objectif était de « dénazifier » et de « démilitariser » l’Ukraine. Il le justifie, car il a mené la campagne référendaire en Crimée en 2014, avec un déluge d’allégations horribles sur la façon dont le gouvernement de Kiev avait été pris en charge par les fascistes. Il est certainement vrai que l’extrême droite ukrainienne a joué un rôle clé dans la crise de l’Euromaïdan et dans les combats contre les forces pro-russes en 2014-2016, même si, depuis l’Euromaïdan, le vote d’extrême droite est passé de 7 % à 2,2 %. Cependant, une partie des oligarques, pendant la période présidentielle de Viktor Porochenko (2014-2019), considérait l’extrême droite comme un complément utile à l’appareil d’État répressif habituel, et de nombreux militants d’extrême droite, y compris dans le tristement célèbre Régiment Azov, y ont été intégrés à différents niveaux.
Nous ne sommes pas d’accord avec la façon dont le régime de Zelensky est caractérisé soit par des voix pro-russes, qui disent qu’il est d’extrême droite/fasciste, soit par ses partisans qui blanchissent la vraie nature du régime de Zelensky, le présentant comme un défenseur de la « démocratie » contre « l’autoritarisme ». Il a été élu en 2019 en tant qu’outsider, gagnant le soutien de tous ceux dégoûtés par les précédents régimes oligarques de Porochenko et Ianoukovitch. Il a promis la fin de la guerre dans l’est de l’Ukraine et une bataille contre la corruption. Il a rapidement rencontré l’opposition de l’extrême droite opposée à ses tentatives de négocier la paix. Dans le même temps, il a continué à mettre en œuvre des politiques économiques néolibérales favorables aux entreprises, parfois avec une légère couverture de populisme, par exemple en proposant des mesures contre les oligarques.
Bien que sa popularité ait chuté avant la guerre, les sondages ont grimpé en flèche en sa faveur en raison de son refus de quitter l’Ukraine et de la façon dont il est perçu comme étant ferme contre la Russie. Pourtant, son gouvernement poursuit ses politiques anti-ouvrières avec l’interdiction des grèves et de nouvelles lois facilitant le licenciement des travailleurs tandis qu’il prévoit des réformes antisociales concernant les retraites. La guerre elle-même a renforcé les tendances à la militarisation et a permis à Zelensky de traiter plus sévèrement ses adversaires politiques, y compris en interdisant les partis pro-russes. Quelle que soit l’issue de la guerre, en l’absence d’alternative de gauche, il est clair que les actions russes conduiront à une augmentation spectaculaire des opinions nationalistes et nationalistes de droite. Pour se préparer à cela, il est essentiel que la classe ouvrière, pendant la guerre, développe sa propre alternative politique organisée aux politiques pro-capitalistes et pro-impérialistes de Zelensky.
Si le Kremlin voulait vraiment “combattre le fascisme”, il devrait commencer par son propre camp. Parmi ceux qui ont établi les premiers gouvernements DNR/LNR, il y avait de nombreux membres de l’”Unité nationale russe” néofasciste, bien qu’ils aient été largement remplacés par des personnalités plus sûres pour le Kremlin. Aujourd’hui, parmi les troupes russes, il y a des groupes tels que “Rusich”, recrutés principalement parmi les groupes néonazis de Saint-Pétersbourg et le célèbre groupe Wagner (des mercenaires utilisés par le Kremlin), dont beaucoup portent des symboles nazis et fascistes.
La nature de la guerre
Certains à gauche soutiennent le régime de Poutine à un degré ou à un autre au motif qu’il s’agit de la puissance impérialiste la plus faible et font écho à l’idée que le régime ukrainien est profasciste.
Cependant, en Occident, il existe une fausse position encore plus répandue à gauche, allant de Podemos en Espagne à Alexandria Ocasio-Cortez aux États-Unis, qui donne du crédit à l’affirmation de Joe Biden selon laquelle l’OTAN se bat pour la “démocratie contre la dictature”. Cela conduit à soutenir les dépenses militaires massives des puissances impérialistes occidentales au nom de l’opposition à l’agression russe. Cela est également repris par certains à l’extrême gauche, y compris des soi-disant « trotskystes » qui combinent le soutien à l’accumulation d’armements occidentaux avec une rhétorique anti-impérialiste générale. Mais en réalité, l’accumulation d’armements est inséparable de l’agenda impérialiste occidental plus large. En soutenant l’un, vous soutenez l’autre.
Alternative Socialiste Internationale (ASI) est totalement opposée à toutes les puissances impérialistes. L’Ukraine est aujourd’hui confrontée à une longue guerre d’usure. L’approche de Zelensky est d’exiger de plus en plus d’armes de l’ouest, espérant militairement chasser la Russie du Donbass. Si cela devait réussir, ce ne serait qu’au prix d’un nombre massif de victimes et d’une vaste destruction de maisons, d’écoles, d’hôpitaux et de lieux de travail. Cela nécessiterait probablement une intervention beaucoup plus directe de l’OTAN, précipitant un conflit beaucoup plus large. Cela laisserait l’Ukraine complètement dépendante de l’impérialisme occidental, qui lui-même pourrait à tout moment changer d’approche pour exiger des concessions inacceptables de l’Ukraine. La réalité est que le peuple ukrainien dans cette situation est confronté à un choix, soit devenir vassal de la Russie, soit de l’impérialisme occidental. À moins, bien sûr, que la classe ouvrière, en se défendant contre l’occupation russe, ne puisse développer de nouvelles méthodes de lutte reposant sur la solidarité de la classe ouvrière.
ASI soutient pleinement le droit de la classe ouvrière en Ukraine à se défendre contre l’agression russe, y compris, bien sûr, militairement. Dans les zones occupées par les Russes, comme Kherson, se développe déjà un mouvement partisan naissant. Mais au début de la guerre, il y eut des exemples de mobilisation plus large contre l’occupation. À la centrale nucléaire de Zaporozhskaya, les travailleurs et les résidents locaux sont sortis en masse pour bloquer l’avancée des troupes russes, tandis qu’à Energodar, à proximité, les pompiers ont organisé une manifestation dans leurs véhicules après le remplacement de leur chef des pompiers par les Russes.
Les méthodes révolutionnaires que Trotsky a généralisées à partir de la Révolution de 1917 signifieraient, dans l’Ukraine d’aujourd’hui, de les étendre à travers la mobilisation massive de la population ukrainienne. Mais dans une telle mobilisation, la classe ouvrière doit maintenir son indépendance politique vis-à-vis de toutes les forces pro-capitalistes.
Au moment de la rédaction de cet article, Zelensky a annoncé qu’une armée “d’un million d’hommes” est en cours de constitution pour reprendre les territoires occupés du sud autour de Kherson. Si cela se produisait, et ne restait pas seulement une fanfaronnade, il est difficile de voir comment l’armée russe pourrait garder le contrôle du Sud.
Néanmoins, cette mobilisation du haut vers le bas, et selon toute vraisemblance ponctuelle, n’est pas la même chose qu’une mobilisation basée sur la classe ouvrière et organisée par elle. En la liant, comme le fait Zelensky, à la fourniture d’armes par les impérialistes occidentaux, cela signifie qu’en fait, les impérialistes contrôleraient l’efficacité d’une telle mobilisation. Une fois réoccupée, la région serait rendue aux mêmes propriétaires, responsables de l’exploitation des travailleurs et des ouvriers agricoles ukrainiens avant la guerre, laissant la voie libre au retour ultérieur d’une armée russe mieux préparée.
Le résultat serait différent si la mobilisation était complétée par la classe ouvrière organisée dans les lieux de travail et les quartiers, par des grèves, des boycotts et des soulèvements dans les zones occupées, combinés à un appel de classe direct aux soldats russes, ce qui empêcherait l’occupation de se poursuivre. Cela permettrait à la classe ouvrière capable de défendre et de lutter pour ses propres intérêts – expulsant les oligarques des usines, en lui permettant de créer son propre parti politique pour lutter pour le pouvoir politique. Si cela devait se produire, il y aurait un élan massif dans la solidarité de la classe ouvrière à travers le monde, et en Russie aussi, ce qui rendrait beaucoup plus difficile pour le régime de continuer la guerre.
Mais le régime de Zelensky, se basant sur le nationalisme bourgeois et l’idéologie néolibérale, est complètement opposé à cette voie, s’appuyant plutôt entièrement sur l’impérialisme occidental.
La répression en Russie
Maintenant, l’accent de la propagande du Kremlin est en train de changer. Les affirmations selon lesquelles il «dénazifie» et «démilitarise» l’Ukraine n’ont pas gagné du terrain dans l’opinion publique. Le ministère des Affaires étrangères affirme maintenant que l’Ukraine mène une “guerre par procuration dans l’intérêt des États-Unis” contre la Russie.
Les sondages d’opinion contrôlés par l’État, comme les élections russes, sont truqués. C’est même maintenant une infraction pénale d’appeler «l’opération militaire» une «guerre». Même ainsi, il est clair que le soutien de la population russe pour la guerre est faible. La majorité des personnes interrogées ne veulent pas qu’elles-mêmes ou leurs familles soient impliquées. Alors que le soutien à la guerre est le plus élevé parmi les couches les plus riches et les plus âgées de la population, la majorité des jeunes et des travailleurs sont contre.
Les manifestations anti-guerre en Russie se sont pour l’instant calmées après avoir fait face à une répression généralisée. Cependant, jusqu’à présent, il n’y a eu qu’un seul jour depuis le début de la guerre au cours duquel personne n’a été arrêté pour avoir parlé. De nombreux soldats ont refusé de se rendre en Ukraine, d’autres ont désobéi aux ordres, et certains qui ont déjà combattu en Ukraine ont refusé d’y retourner. Des centres de recrutement ont été incendiés. L’opposition à la guerre, cependant, est spontanée et sporadique, ne prenant pas encore une forme organisée.
Cela est dû en partie à l’absence de partis ou d’organisations d’opposition capables de traduire le mécontentement latent en opposition active. Les soi-disant «partis systémiques», ceux qui opèrent en accord avec le Kremlin pour constituer une opposition de façade, font partie du «parti de la guerre» – le Parti soi-disant communiste étant le plus belliciste d’entre eux. Ils ont agi pour soulager la pression sur le Kremlin. Au début, de nombreuses rumeurs d’opposition au sein de l’élite dirigeante, de l’armée et des services de sécurité ont circulé. Des généraux de premier plan, y compris du FSB, auraient été licenciés et même, dans quelques cas, arrêtés. Mais comme le conflit est entré dans une nouvelle phase de longue haleine et que l’opposition reste pour l’instant sous la surface, la pression sur les personnalités proches de Poutine pour qu’elles prennent des mesures contre lui a été réduite.
Alors qu’à court terme Poutine a renforcé sa domination dictatoriale sur la société russe, c’est au prix de saper la base du régime oligarchique à plus long terme. Même s’il parvient à obtenir ce que Macron appelle un accord « pour sauver la face » avec l’Ukraine, basé sur le fait que la Russie conserve au moins une partie, sinon la totalité, du Donbass, cela aura coûté très cher. L’économie russe a été largement isolée de l’économie mondiale. Il se retrouve désormais malmené par d’anciens alliés. Même le dictateur biélorusse Loukachenko n’a pas été en mesure de soutenir ouvertement les attaques contre l’Ukraine. Aucune des républiques d’Asie centrale n’a reconnu les républiques séparatistes d’Ukraine, et le président du Kazakhstan, Kassym-Jomart Tokaïev, a même osé le déclarer publiquement à Poutine lors du récent Forum économique de Saint-Pétersbourg.
Malgré l’accord de coopération « sans limites » entre la Chine et la Russie annoncé en janvier, la Chine s’est elle aussi abstenue de soutenir trop ouvertement le Kremlin à ce stade. Malgré sa prétendue opposition à toute atteinte à l’intégrité territoriale d’une nation, ayant clairement un œil sur Taiwan, qu’elle considère comme faisant partie de la Chine, elle n’a pas proféré un mot de critique de l’invasion. Il blâme les États-Unis et leurs alliés pour la durée de la guerre et s’oppose au régime de sanctions qui a été imposé. Mais il évite tout ce qui peut être interprété comme une aide directe à la Russie, soit militairement, soit pour éviter les sanctions, car, à l’approche du Congrès du PCC de cette année, Xi Jinping a besoin de la stabilité mondiale.
Les banques chinoises et les entreprises de haute technologie telles que Huawei se retirent même du marché russe. Un projet conjoint sino-russe de conception et de construction d’un gros porteur pour concurrencer Airbus et Boeing semble également s’effondrer. Il est vrai que la Chine et l’Inde profitent des approvisionnements excédentaires de pétrole de la Russie en les achetant avec des remises importantes, mais même un haut responsable de l’administration Biden (de manière anonyme) a récemment déclaré à Reuters : « Nous n’avons pas vu la RPC (République populaire de Chine) s’engager dans une évasion systématique ou fournir du matériel militaire à la Russie. »
La guerre et l’économie mondiale
La guerre en Ukraine a accéléré une série de processus à l’échelle mondiale. D’abord et avant tout, il y a les effets de la guerre sur l’économie mondiale, notamment parce qu’elle a déclenché une crise énergétique et alimentaire massive. Des centaines de millions de personnes dans les pays pauvres sont confrontées à l’insécurité alimentaire et à la famine, en partie parce que les céréales d’Ukraine et de Russie ainsi que les principaux approvisionnements en engrais de la région n’arrivent pas sur le marché mondial. La hausse des coûts de l’énergie exacerbe également la crise de l’agriculture.
Les crises énergétique et alimentaire alimentent à leur tour l’inflation qui a atteint son plus haut niveau en 40 ans aux États-Unis et au Royaume-Uni. Dans de nombreux autres pays, l’inflation est encore plus élevée. Il est important de souligner que l’inflation n’a pas un impact égal sur toutes les populations. La hausse des prix des denrées alimentaires affecte le plus les familles pauvres car la nourriture représente une part beaucoup plus importante du budget de leur ménage. Cela est vrai même dans les pays capitalistes avancés comme les États-Unis où des millions de personnes se tournent vers les banques alimentaires, mais la situation est bien plus désespérée dans de grandes parties de l’Asie du Sud, du continent africain et de l’Amérique latine.
Dans la tentative de maîtriser l’inflation, les banques centrales des pays capitalistes avancés se tournent maintenant, comme nous l’avions dit, vers une forte augmentation des taux d’intérêt. L’explication polie est qu’en augmentant les taux d’intérêt, le coût d’emprunt pour les entreprises et les gens ordinaires augmentera, ce qui réduira les dépenses. Mais cela dissimule la vérité brutale selon laquelle le véritable objectif est de maintenir les salaires bas et, si nécessaire, d’augmenter le chômage, même si cela signifie risquer une récession. La Banque des règlements internationaux a récemment déclaré que pour empêcher l’inflation de s’enraciner, les banques centrales “ne devraient pas hésiter à infliger des souffrances à court terme et même des récessions”. L’ancien secrétaire américain au Trésor, Larry Summers, a récemment déclaré encore plus crûment : « Nous avons besoin de cinq ans de chômage supérieur à 5 % pour contenir l’inflation. En d’autres termes, nous avons besoin de deux ans de chômage à 7,5 % ou de cinq ans de chômage à 6 % ou un an de 10% de chômage. »
De cette manière, les capitalistes cherchent, comme toujours, à faire payer aux travailleurs la crise de leur système. Mais l’effet de la hausse des taux d’intérêt de la Réserve fédérale et de la BCE ne sera pas ressenti uniquement par les travailleurs aux États-Unis et en Europe occidentale. Les dettes dues par les pays pauvres à des institutions comme le FMI ou à des prêteurs privés sont en grande partie libellées en dollars. La hausse des taux d’intérêt rendra immédiatement le service de ces dettes plus difficile. La conséquence de dépenser une plus grande partie du revenu national pour le service de la dette envers les banques et institutions financières étrangères signifie que les gouvernements capitalistes locaux imposeront des coupes dans l’éducation et les soins de santé pour les travailleurs, ce qui rendra la crise encore plus grave.
La combinaison de l’inflation, des dettes impayées et de la corruption des élites capitalistes locales a déjà amené le Sri Lanka au bord de l’effondrement. D’autres pays suivront cette sombre voie. Avec de larges pans de la population dans un pays après l’autre poussés dans la misère et avec la menace d’une famine massive, les bouleversements sociaux sont inévitables.
Le FMI prévoit désormais des ralentissements économiques pour 143 pays, représentant les quatre cinquièmes de l’économie mondiale. Nous sommes au bord d’un ralentissement mondial pour la deuxième fois en deux ans, un an seulement après que les médias capitalistes nous aient fait miroiter l’espoir d’une relance alimentée par les aides gouvernementales.
Bien sûr, tout le monde sait que l’inflation n’a pas commencé avec la guerre. La hausse de l’inflation mondiale a commencé avec le chaos de la chaîne d’approvisionnement déclenché par la pandémie. Mais à un niveau plus profond, c’est aussi le résultat des politiques « d’argent facile » menées par les principales banques centrales depuis la profonde récession de 2008-2009. Cela impliquait que les banques centrales versent des milliers de milliards sur les marchés financiers pour éviter un effondrement complet. L’un des sous-produits inévitables a été de regonfler diverses bulles d’actifs, notamment dans l’immobilier et la crypto-monnaie, car les capitalistes ont investi l’argent dans le casino financier plutôt que dans l’expansion de la production, la reconstruction des infrastructures, etc.
Bizarrement, cela signifiait également que l’effet inflationniste inhérent à cette expansion de la liquidité était resté à l’écart de «l’économie réelle» pendant toute une période, poursuivant l’environnement de faible inflation et de taux d’intérêt bas qui était un élément clé du néolibéralisme. Mais la pandémie a changé cela car la crise n’était pas principalement provoquée par les marchés financiers mais par un effondrement de la demande. Les plans de relance de 2020-21 comprenaient des sommes plus astronomiques versées sur les marchés financiers, mais aussi des sommes énormes accordées directement aux entreprises et, dans une bien moindre mesure, aux gens ordinaires. Cela a inévitablement contribué à jeter les bases d’une poussée inflationniste.
Au fond, la classe capitaliste vacille désormais d’une crise à l’autre, les mesures prises pour remédier à une situation contribuant directement à la phase suivante.
L’effet sur la guerre froide au sens large
Certains ont peut-être pensé que la guerre en Ukraine et la réponse des États-Unis signifiaient que ces derniers se concentraient à nouveau sur l’Europe et se détournaient de l’Indo-Pacifique. C’est clairement faux. En réalité, nous assistons à une escalade significative du nouveau conflit mondial de la guerre froide. La guerre en Ukraine a accéléré ce processus et en fait également partie.
Fin mai, Biden s’est rendu au Japon et en Corée du Sud. Au cours de ce voyage, il a déclaré que les États-Unis viendraient militairement à la défense de Taiwan s’il était envahi par la Chine. Bien que cela ait été en partie repoussé par les responsables américains et que les médias aient parlé d’une autre “gaffe” de Biden, cela fait partie d’un schéma où Biden “laisse le chat sortir du sac”.
Au cours du voyage, Biden a rencontré les dirigeants de l’alliance de sécurité “Quad”, comprenant l’Inde, le Japon, l’Australie ainsi que les États-Unis. Il a également lancé le cadre économique indo-pacifique avec 12 pays riverains du Pacifique. Ceci est en partie destiné à remplacer le Partenariat transpacifique, lancé par Barack Obama, qui était censé isoler la Chine mais que Trump a abandonné. Cependant, il ne s’agit pas d’un accord de libre-échange traditionnel et se concentre sur la coopération volontaire dans des domaines tels que les normes technologiques.
Puis, fin juin, le sommet de l’OTAN à Madrid a réuni pour la première fois les premiers ministres de plusieurs nations clés de l’Indo-Pacifique, dont le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Comme le titrait le Financial Times, cette réunion représentait un « retour à la ‘mission de la guerre froide’ ». Ils poursuivent en résumant ses conclusions : « un objectif de multiplication par sept des forces de l’OTAN en alerte maximale ; première base américaine permanente sur le flanc oriental de l’alliance [en Pologne], une invitation à la Finlande et à la Suède à se joindre, et une nouvelle stratégie directrice de 10 ans qui abandonne toute illusion de partenariat avec Moscou. Le nouvel énoncé de mission de l’OTAN a également déclaré que la Chine était un «défi» systémique.
C’est la première fois que l’OTAN en tant qu’organe fait directement référence à la Chine. Parallèlement à la présence de représentants des principaux pays de l’Indo-Pacifique, cela montre comment l’impérialisme occidental tire de nouvelles conclusions sur un conflit à long terme avec un bloc dirigé par la Chine. Il y a maintenant des spéculations ouvertes sur une « OTAN asiatique ». Ce n’est peut-être pas encore prévu mais le développement du Quad et le sommet de Madrid vont clairement dans cette direction.
Dans un mouvement complémentaire, la récente réunion du G7 s’est engagée à lever 600 milliards de dollars pour accroître les investissements mondiaux dans les infrastructures dans les «pays en développement». Il ne s’agit pas d’un acte de bienveillance, mais clairement d’une tentative tardive de repousser l’énorme initiative chinoise “la Ceinture et la Route” (BRI) qui a été utilisée par la Chine pour établir des liens étroits avec des régimes en Asie, en Afrique et même en Amérique latine. S’il ne s’agit pas d’une somme particulièrement importante, étant donné qu’elle doit être levée sur cinq ans, il s’agit plutôt d’une reconnaissance du fait que pour repousser la croissance de l’influence de l’impérialisme chinois dans le monde néocolonial, il faudra s’engager dans la construction de « soft power » pas seulement en augmentant les budgets militaires.
Bien sûr, le régime chinois ne reste pas les bras croisés. Xi Jinping a promu sa propre “Initiative de sécurité mondiale” lors de la récente réunion des BRICS qui comprend le Brésil, la Russie, l’Inde et l’Afrique du Sud, ainsi que la Chine. Le régime du PCC continue également de pousser agressivement pour développer des accords de sécurité avec les nations insulaires du Pacifique. Un excellent exemple est le récent accord avec les Îles Salomon qui permet au régime local de faire appel aux « forces de sécurité » chinoises pour l’aider à apaiser les troubles locaux en échange de l’octroi à la Chine, selon les termes du New York Times, « d’une base d’opérations ». entre les États-Unis et l’Australie qui pourraient être utilisés pour bloquer le trafic maritime à travers le Pacifique Sud.
La tendance à la démondialisation s’est accentuée. L’expression la plus claire en est le découplage radical entre l’Occident et la Russie, la 11e économie mondiale. Le découplage des États-Unis et de la Chine se poursuit également, bien qu’à un rythme beaucoup plus lent. Nous avons vu un certain déplacement de la production hors de Chine et des signes de « relocalisation » et de « proximité » de la production, qui rapprochent les secteurs critiques des principaux pays impérialistes où ils sont plus « sûrs ».
On a beaucoup parlé du gouvernement américain investissant des sommes importantes dans les technologies de pointe, en particulier la production de microprocesseurs, mais très peu de choses se sont concrétisées. Mais alors que les résultats ont été maigres, le virage vers une « politique industrielle » nationaliste, une forme de capitalisme d’État, est inhérent à la situation.
Au lieu de cela, nous avons vu de plus en plus de restrictions imposées par le gouvernement américain sur les investissements en Chine, alors même qu’il était question d’assouplir les tarifs. Tant en Europe qu’aux États-Unis, la crise énergétique a obligé les gouvernements à abandonner toute prétention restante à une transition loin des combustibles fossiles en faveur du développement des ressources en pétrole, en gaz naturel et même en charbon à un rythme effréné. Cela montre comment la guerre froide aggrave toutes les autres crises.
Guerre et politique
Au début de la guerre, il y eut un élan de sympathie pour le peuple ukrainien dans les pays occidentaux. Cela a été manipulé par les gouvernements occidentaux pour soutenir un programme militariste comprenant l’augmentation des dépenses militaires et, dans le cas de la Suède et de la Finlande, l’adhésion à l’OTAN.
Cependant, dans de nombreuses autres régions du monde, y compris le Moyen-Orient, l’Afrique subsaharienne et une grande partie de l’Amérique latine, il y avait beaucoup moins de soutien pour l’agenda de l’OTAN, étant donné les soupçons tout à fait justifiés des affirmations de Biden selon lesquelles il s’agissait d’un combat entre «la démocratie et autocratie.”
Beaucoup ont perçu l’hypocrisie totale de Biden dénonçant Poutine comme un dictateur tout en se rapprochant de la monarchie saoudienne afin de les amener à augmenter l’approvisionnement en pétrole. Biden se rend en Arabie saoudite en juillet et a abandonné toute critique du rôle brutal qu’ils ont joué au Yémen, une catastrophe humanitaire encore pire que l’Ukraine. Parler du “leadership” américain dans la lutte pour la démocratie sonne également assez creux à la suite de l’annulation par la majorité réactionnaire de la Cour suprême des États-Unis de la décision Roe contre Wade, vieille de 50 ans, qui garantissait le droit à l’avortement. Cela montre que la société américaine recule en termes de droits humains fondamentaux.Nous avons souligné qu’au fur et à mesure que les conséquences de la guerre, en particulier les effets sur l’économie, devenaient plus graves, le soutien populaire à l’escalade militaire, même au cœur de l’impérialisme, aurait tendance à décliner. À la mi-mai, même le New York Times, fidèle à Biden, semblait inquiet, avertissant dans un éditorial officiel du danger d’une «guerre totale avec la Russie». « Le soutien à la guerre n’est pas garanti » et « l’inflation est un problème beaucoup plus important pour les électeurs américains que pour l’Ukraine », titrait le New York Times. Les chiffres des sondages en baisse de Biden confirment pleinement ces points. Incroyablement, il est moins populaire que Trump à ce stade de sa présidence.
Le premier tour de l’élection présidentielle française en juin a également été un signal d’alarme pour l’OTAN. Une majorité d’électeurs a soutenu soit des candidats d’extrême droite, soit des candidats à gauche de la social-démocratie. Tandis que Macron passait son temps à se présenter comme un « homme d’État européen » essayant de trouver une solution à la guerre dans le cadre de l’impérialisme occidental, les électeurs français se sont concentrés sur le coût de la vie et ont adressé une réprimande cinglante au « centre » bourgeois.
La guerre approfondit tous les aspects de la crise du capitalisme. Alors que le peuple ukrainien souffre, les deux camps impérialistes sont confrontés à de sérieux problèmes. En surface, Poutine semble avoir écrasé toute opposition, mais seulement au prix d’une érosion supplémentaire des fondements du régime. La Chine, alliée de la Russie, est confrontée à une énorme crise économique et sociale. Et tandis que la réponse agressive et initialement unie des États-Unis et de l’OTAN a montré une force apparente, au fil des mois, les complications de leur position se sont accumulées.
Il est inévitable que le conflit inter-impérialiste qui découle des contradictions profondes du capitalisme agisse pour exacerber les crises intérieures au sein des États impérialistes eux-mêmes. Mais les principales victimes seront les masses du monde néocolonial, confrontées à une augmentation drastique de l’insécurité alimentaire et à une austérité sauvage alors que les régimes cherchent à rembourser leur dette. Alors que les gens sont littéralement confrontés à la famine, les impérialistes chercheront à se rejeter mutuellement la responsabilité de la catastrophe. Mais la vérité est que c’est tout le système du capitalisme impérialiste qui est à blâmer et qui doit être renversé pour empêcher de nouvelles catastrophes encore pires.
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Pour une enquête indépendante sur le massacre de Melilla

Image tirée d’une vidéo de l’organisation de défense des droits de l’homme AMDH Le 24 juin, au moins 37 migrants ont été tués alors qu’ils tentaient de franchir la frontière entre le Maroc et l’Espagne. Des centaines de personnes ont été blessées. Beaucoup ont été écrasées entre des barrières de trois mètres de haut lorsque les gardes-frontières marocains ont utilisé des matraques et des gaz lacrymogènes contre. Des protestations ont éclaté dans tout l’État espagnol.
Par John Hird (Alternativa Socialista, ASI dans l’État espagnol)
Melilla est l’enclave espagnole au Maroc, et l’une des deux seules frontières terrestres entre l’Afrique et l’Europe. Les actions des forces de police, qui ont conduit à un massacre, ont été mises en lumière par les images qui ont circulé sur les réseaux sociaux et dans les médias. Ces décès sont dus à la politique de l’Union européenne, mise en pratique par les États espagnol et marocain.
Nous soutenons les appels des organisations de défense des droits de l’homme en faveur d’une enquête judiciaire indépendante immédiate, tant au Maroc et en Espagne qu’au niveau international, afin de faire toute la lumière sur cette tragédie. Une enquête indépendante devrait impliquer des représentants des migrants, des syndicats et des ONG.
Le Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, et le ministre des Affaires étrangères, José Manuel Albares, ont honteusement loué la “coopération” de la gendarmerie marocaine et de la Guardia Civil pour mettre fin aux nombreuses tentatives des migrants de franchir la clôture de Melilla. La première réaction de M. Sánchez a été de décrire l’événement comme une opération “bien résolue”. Ce sang-froid n’est pas seulement une honte, il ignore aussi complètement la brutalité des forces espagnoles et marocaines.
La responsabilité de ces événements n’incombe pas aux migrants qui tentent de fuir des guerres ou de terribles famines, mais à la politique européenne de fermeture des frontières, qui ne laisse d’autre choix aux migrants que de franchir les barrières, au péril de leur vie. Une partie de l’histoire officielle consiste à justifier les événements par la prétendue violence des migrants, ce qui ne correspond pas à la réalité, que ce soit dans ce cas ou à d’autres occasions.
Les gouvernements de l’UE sont totalement hypocrites, car ils sous-traitent le contrôle des frontières à des gouvernements tels que celui du Maroc par le biais d’accords scandaleux. Il est également hypocrite de traiter les Africains si différemment de ceux qui ont dû quitter l’Ukraine. Il s’agit d’une politique de deux poids deux mesures raciste et les migrants survivants du côté espagnol de la frontière protestent contre cette situation.
Le gouvernement marocain a agi rapidement pour dissimuler le massacre. Dans une action macabre, le week-end dernier, ils ont ordonné aux travailleurs de creuser des puits pour enterrer les victimes. L’Association marocaine des droits de l’homme (ADHM) a déclaré qu’aucune autopsie n’avait été pratiquée et que l’identité des personnes tuées lors de la tentative de saut de la clôture n’avait pas été établie.
Du côté espagnol, 106 personnes ont été légèrement blessées, 49 agents de la Guardia Civil et 57 migrants, dont trois ont dû être transportés à l’hôpital régional. Un millier de migrants ont été arrêtés au cours de l’opération.
Selon les informations disponibles, les victimes ont été écrasées et étouffées par la foule après avoir été piégées dans une ouverture devant la clôture, du côté marocain, où une grande masse humaine s’est formée avec les personnes qui arrivaient encore et celles qui sont tombées de la clôture.
L’ADHM a publié une vidéo montrant des dizaines de personnes allongées sur le sol, entassées, certaines blessées, près de la clôture et gardées et battues par des policiers marocains.
Cette tentative a été marquée par une brutalité policière généralisée, notamment du côté marocain, où des combats avaient eu lieu dans les montagnes près de Melilla les jours précédents et également près de la barrière frontalière vendredi matin.
Les événements horribles de Melilla et l’attitude insensible de Sánchez provoquent de nouvelles tensions au sein de la coalition PSOE-UP. L’UP demande des éclaircissements et une enquête sur ce qui s’est réellement passé. Un ministre de l’UP a été empêché de s’exprimer lors d’une conférence de presse du gouvernement lorsqu’on lui a posé des questions directes sur ce qui s’est passé à Melilla.
De nombreuses actions ont été menées dans l’État espagnol. Les gens brandissaient des banderoles avec des slogans tels que “Des papiers pour tous”, “Punir les meurtriers, pas les migrants”, “Les vies noires comptent”, “Personne n’est illégal”, “Maroc et Espagne : gendarmes meurtriers de la forteresse Europe” et “Régularisation maintenant”.
Les organisateurs des manifestations organisées dans toute l’Espagne dénoncent à juste titre la politique migratoire actuelle, qu’ils jugent mortifère. C’est pourquoi ils ont lancé de nouvelles manifestations contre le massacre de Melilla, avec le slogan “Plus de morts aux frontières”.
Nous rejetons la politique raciste et xénophobe de l’UE, mise en œuvre par l’État espagnol. Il s’agit d’une politique qui punit les populations subsahariennes pour le “crime” d’être pauvres et noires. Justice pour les victimes de Melilla ! Au lieu de ces conditions inhumaines, de la violence et de l’injustice, nous appelons à l’internationalisme et au socialisme dans tous les pays.
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Législatives en France, une nouvelle claque historique pour la classe dominante

Bloquons par la lutte les politiques de droite et la croissance de l’extrême droite
Deux mois après les présidentielles et la claque historique qu’ont reçu les instruments politiques de la classe capitaliste, le résultat des élections législatives est à nouveau une déflagration.
Par Stéphane Delcros
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Dossier France
- 20/05/2022 – France. Macron, inflation, récession … Pas d’autre choix : construire un rapport de force pour changer de société !
- 28/04/2022 – France : Pour un 3e tour de lutte sociale et écologique
- 15/04/2022 – France : Aucune voix pour Le Pen, mais Macron n’est pas la solution
- 05/04/2022 – La France des années ’30 – L’explosion révolutionnaire qui aurait pu éviter la Seconde Guerre mondiale
- 24/02/2022 – France. Utiliser la candidature de Mélenchon comme levier pour stimuler la lutte pour un changement de société
- 22/08/2019 – Retour sur l’échec du gouvernement de gauche PS-PCF sous la présidence de François Mitterrand
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Plus de la moitié des potentiels électeurs a tout simplement décidé de ne pas prendre part au vote, sanctionnant de fait la politique telle qu’elle est menée et révélant ne voir aucun espoir dans l’offre de candidats proposée dans les 1ers et/ou 2èmes tours. Et ceux et celles qui ont exprimé un vote ont surtout décidé de ne pas donner une majorité absolue au président Macron et d’élire un nombre historique de députés ‘anti-système’ ou vu comme tels. Parmi eux, l’extrême droite de Le Pen fait une percée fracassante à l’Assemblée.
Face aux taux d’intérêts qui augmentent et aux déficits budgétaires, le second mandat de Macron ne sera certainement pas plus à gauche, surtout si on regarde qui seront ses alliés pour mener ses politiques. C’est une promesse pour davantage d’austérité, alors que notre pouvoir d’achat est déjà au plus bas. Pour y faire face, la seule issue est de construire les luttes – dans la rue, les lieux de travail, les quartiers, les fac’ et les écoles – afin de renverser le rapport de forces entre travail et capital.
Le mouvement ouvrier organisé et la gauche « de rupture » – c’est-à-dire une gauche visant à casser la politique unilatéralement en faveur des riches et des patrons – doivent prendre l’initiative de la lutte contre les promesses antisociales macronistes, pour faire reculer la fausse alternative Le Pen et pour montrer la voie vers un nécessaire changement sociétal.
La classe dominante fait face à une crise politique majeure
Les années Macron continuent à marquer l’Histoire. Après un mandat marqué par l’augmentation historique des inégalités, la brutalité sociale et policière et l’exacerbation des oppressions et discriminations, Macron devient le premier président nouvellement élu à ne pas gagner une majorité absolue de députés (50%+1). Il lui manque plus de 40 députés, ce qui signifie que son gouvernement ne pourra être que fragile, et devra mener sa politique soit par une alliance avec une autre force parlementaire, soit par des alliances sporadiques avec un nombre suffisant de députés extérieurs, pour des majorités de circonstances, sur des textes spécifiques.
Ce résultat électoral est une grosse nouvelle confirmation du fait que les instruments politiques de la bourgeoisie sont minés, et pas seulement en France, après des décennies de politiques d’austérité. C’est aussi la confirmation du fait que Macron avait été extrêmement mal élu en avril : avec un score en augmentation de 4%, certes, mais le camp des partis de gouvernement acquis à la gestion du capitalisme s’était largement rétréci, récoltant même pour la 1ère fois moins de 50% des voix au 1er tour. Tout comme à ces élections d’ailleurs. A nouveau, les 2 partis piliers de la 5ème République réalisent un score historiquement bas : Les Républicains (LR) et PS ne pèsent ensemble que 88 députés – c’est-à-dire moins que le Rassemblement National (RN) de Marine Le Pen.
La droite traditionnelle Les Républicains (LR) perd la moitié de sa représentation et devient seulement la 4ème force à l’Assemblée… Leur relatif ancrage local leur a tout de même permis de sauvegarder 64 députés, sur base de 85% de victoire aux 2èmes tours. LR se retrouve d’ailleurs dans une sorte de position d’arbitres à l’Assemblée, étant le seul parti gouvernemental (outre PS et Les Verts) ayant la possibilité d’apporter une réelle majorité à Macron, via une coalition ou via des soutiens spécifiques. Vu la crise budgétaire et dans une situation de crise économique, LR n’aura probablement pas d’autre choix que de prendre une attitude responsable pour la classe capitaliste, en faveur de politiques d’austérité.
La claque pour Macron et la classe dominante est aussi illustrée par des éliminations de figures du système. Dès le 1er tour : l’ancien Premier Ministre sous Hollande Manuel Valls et l’impopulaire ex-ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer. Au 2ème tour : Christophe Castaner, « l’éborgneur en chef » (le ministre de l’intérieur pendant le mouvement des Gilets Jaunes) et Richard Ferrand, président de l’Assemblée Nationale et président de l’alliance macroniste ‘Ensemble’. De même, 3 ministres du gouvernement d’Elisabeth Borne ont été battus et ont ainsi été contraints de démissionner.
Le 2ème tour a aussi vu l’élimination de l’ex-ministre des sports macroniste Roxana Maracineanu par la candidate France Insoumise (FI) Rachel Keke, femme de ménage et militante CGT, dirigeante de la grève de 22 mois à l’hôtel Ibis de Batignolles, une lutte qui a obtenu une énorme victoire en mai 2021.
Sur base d’une dynamique de campagne, la NUPES fait un très grand score, même si en dessous des attentes
Rachel Keke fait ainsi partie des plus de 70 députés FI, qui n’en comptait que 17 il y a 5 ans. Ils et elles composent environ la moitié de la nouvelle équipe de parlementaires de la NUPES (142 élus), cette coalition initiée par Mélenchon pour éviter que des candidatures de la gauche se marchent sur les pieds, et éventuellement de tenter de mettre sur pieds un futur gouvernement, regroupant le PCF, le PS et Les Verts (EELV) autour de la FI.
Une dynamique de campagne s’est mise en place, motivée par la possibilité d’empêcher Macron d’appliquer sa politique pour 5 années supplémentaires, et notamment l’augmentation de l’âge du départ à la retraite vers 65 ans et 20h de travail forcé pour les bénéficiaires d’allocations. Cette dynamique n’a pas réussi cet objectif d’obtenir une majorité à l’Assemblée, qui était peu réaliste, mais elle a permis de contribuer à empêcher une majorité absolue pour Macron, en faisant jeu égal en nombre de voix avec la coalition macroniste au 1er tour, et en faisant élire bien plus de députés qu’en 2017 pour ces formations, en faisant plus que doubler son nombre de députés.
Une certaine déception est toute de même présente, puisque la plupart des sondages montraient la possibilité de faire élire davantage de députés encore, jusqu’à possiblement 200, soit une grosse cinquantaine de plus.
Mais même si le résultat peut sembler décevant, rappelons-nous la situation en France il y a encore 1 an et même 6 mois d’ici : toute la situation politique ne tournait qu’autour de Macron ou l’extrême droite, et d’une surenchère entre eux concernant la sécurité et l’immigration. Un changement majeur s’est imposé depuis fin février, avec l’arrivée du pouvoir d’achat et des revendications sociales à l’avant-plan, poussés par l’inflation, parallèlement à une vraie dynamique de campagne électorale autour de Mélenchon depuis la présidentielle, et un certain enthousiasme qui s’est créé. On assiste depuis quelques mois à un relatif rééquilibrage du rapport de force dans la société, mais sans lutte généralisée et sans initiative non plus pour stimuler et regrouper les luttes qui éclatent de manière isolée, sur les questions salariales entre autres – donc un rapport de force extrêmement fragile et qui ne permet pas de saisir tout le potentiel pour les idées et revendications de gauche.
C’est la politique de Macron qui a permis l’envoi de 89 députés d’extrême droite à l’Assemblée
La brutalité politique de Macron à l’encontre des travailleurs et des jeunes a été un véritable marchepied pour la croissance du RN. Le pays évolue depuis des années dans un climat pesant de divisions et de violences policières brutales à l’égard des mouvements syndicaux et sociaux en général ainsi qu’à l’égard de la jeunesse, tout particulièrement d’origine immigrée. Le racisme d’État et les stigmatisations permanentes se sont accrus : de la loi sécurité́ globale à la loi sur le séparatisme en passant par la chasse à « l’islamo-gauchisme »… Macron et ses gouvernements n’ont eu de cesse d’alimenter la division et d’accumuler les gages à destination de l’extrême droite.
Si l’entrée fracassante de ce bloc RN à l’Assemblée est une surprise, elle ne l’est que par son ampleur : de 8 députés en 2017, elle passe à 89, avec de grosses victoires dans les circonscriptions plus rurales et les anciens bastions ouvriers du Nord. C’est l’immense champ de désespoir social construit par les politiques néolibérales menées tant par la droite traditionnelle que par la « gauche » gouvernementale depuis les années 80 qui alimente la croissance de Le Pen. Face au pire annoncé par Macron, le RN met en avant un programme faussement social et n’a aucune intention de l’appliquer dans les faits s’il arrive au pouvoir. Dans chaque municipalité dirigée par des élus du RN ou associés, c’est la division, le repli sur soi et la répression qui règnent. Pour combattre l’extrême droite et le racisme, l’unique solution est de lutter contre les racines de la division par une politique offensive de gauche qui rompt avec le système capitaliste.
Le « front républicain », cette idée de « faire barrage à l’extrême droite », semble être révolu. Face aux 2èmes tours, les macronistes ont choisi la diabolisation « de tous les extrêmes ». Il s’agissait bien sûr d’une stratégie consciente, dans le but d’essayer de briser la dynamique et une partie du potentiel de la NUPES.
D’ailleurs, Macron n’exclut pas du tout d’aller chercher des soutiens spécifiques parmi le groupe RN, comme l’exprimait notamment le ministre de la justice Eric Dupond-Moretti au soir du 2e tour, en parlant de possibilités d’accords avec le RN sur des réformes concernant la police et la justice. Marine Le Pen ne semble d’ailleurs pas y être contraire : « j’ai dit au président Macron que le groupe de 89 députés RN est dans l’opposition mais ne veut pas être dans l’obstruction systématique ».
La NUPES : des points forts, mais aussi des faiblesses dangereuses
Beaucoup de militants FI et NUPES tirent aujourd’hui la conclusion que le résultat des législatives est dû au fait que les dirigeants macronistes n’ont pas fait d’appel clair à voter contre le RN. Il est vrai que la très grande majorité de ces électeurs se sont abstenus au 2ème tour en cas de duel NUPES-RN. Mais il s’agit d’une analyse erronée. Bien sûr, il est clair que les macronistes font preuve d’une énorme hypocrisie, eux qui reprochaient à Mélenchon de ne dire que « aucune voix pour Le Pen » sans faire un appel de vote pour Macron… Mais la gauche n’a pas à devoir compter sur un report de voix d’électeurs macronistes pour remporter des victoires. D’autres potentiels électeurs doivent être convaincus, et c’est le cas d’une série d’abstentionnistes qui se sont déplacés au 2ème tour mais pas nécessairement au 1er.
Tant aux présidentielles qu’aux législatives, les campagnes de Mélenchon ont réussi à créer une dynamique permettant d’impliquer des jeunes et des personnes de quartiers plus pauvres, qui ont massivement voté FI et NUPES – en tout cas pour ceux et celles qui ne se sont pas abstenus. Car l’abstention était majoritaire parmi eux et elles, surtout aux législatives. Contrairement à l’élection présidentielle, de larges couches dans les quartiers populaires ne se sont pas senties concernées.
Malgré la dynamique positive, certaines faiblesses de la FI ces dernières années ont été renforcées après les présidentielles. L’une d’entre-elles est clairement la formation de coalitions au niveau municipal qui comprennent également le PS et EELV, sans mener une réelle politique de rupture avec la politique traditionnelle. Cette tendance a évidemment été renforcé dans cette campagne législative, puisque maintenant ces partis sont directement alliés à la FI dans la NUPES.
Ces partis ont mené la politique néolibérale dans le gouvernement Jospin entre 1997 et 2002, avec le PCF, et sous Hollande entre 2012 et 2017. Ils sont partie prenante dans les succès électoraux des Le Pen en 2002 et 2017. On va difficilement battre Macron et le Pen en s’alliant avec ceux qui ont appliqué la politique qui leur a ouvert la voie
Beaucoup se sont détournés de la proposition de voter pour ces partis qui font davantage partie du problème que de la solution : le PS, même purgé de ses éléments les plus à droite, EELV, et même dans une certaine mesure le PCF. Et, dans cette optique, on peut comprendre que certains qui ont douté d’un vote pour un candidat FI, puisque celle-ci s’allie à ces partis qui font davantage partie du problème. Dans le même temps, certains militants des quartiers populaires qui étaient sensées porter la candidature FI ont été écartés, pour laisser la place à des candidatures NUPES d’autres partis.
PS et EELV ont été éduqués à la cogestion du système et en sont profondément infectés. Il serait extrêmement surprenant que ces derniers, dans une situation de crise, soient préparés à prendre les mesures qui s’imposent en choisissant sans la moindre équivoque le camp des travailleuses et travailleurs sur celui des patrons et du marché. Les partisans du capitalisme sauront à qui parler. La NUPES a été formée par des appareils, il faut la pousser plus loin en mobilisant l’enthousiasme qui, heureusement, ne manque pas parmi d’importants segments de la population.
Pour un réel programme de rupture avec le système
Au niveau programmatique, la NUPES portait des revendications en général similaires à celles contenues dans le programme « L’Avenir en commun » de la FI, bien que parfois légèrement remaniées à la baisse. Mais la signature de l’accord NUPES a aussi signifié certains changements en termes d’attitude/rhétorique : les références à la « gauche plurielle » sous Jospin se sont faites plus conciliantes de la part de la FI, sans critiques et même avec des louanges pour la réforme des 35 heures, qui n’avait pourtant pas été appliquée entièrement, et pas complètement dans l’intérêt de la classe travailleuse. De plus, la mesure avait surtout été introduite en échange d’une flexibilisation accrue du marché du travail.
Le programme de la FI et de la NUPES comportent de très bonnes revendications, comme la retraite à 60 ans, l’allocation de 1063 euros par mois pour les étudiants, l’augmentation du SMIC à 1500 euros, le blocage des prix des produits de 1ère nécessité, la planification écologique, l’abrogation de la loi Travail (« El Khomri ») mise en place sous Hollande, le rétablissement de l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune), 1 milliard d’euros contre les violences faites aux femmes, … Un programme de gauche « de rupture », mais hélas sans l’ambition d’en finir avec le capitalisme. Pour réellement répondre aux besoins de la classe travailleuse et la jeunesse et en même temps défier les intérêts de la classe capitaliste, il est nécessaire de porter des revendications de nationalisation de secteurs-clés de l’économie sous la gestion et le contrôle de la collectivité, à commencer par les secteurs financier et énergétique, pour être capable d’avoir un réel contrôle sur les prix et en même temps financer la planification écologique.
Pas d’autre choix : construire un rapport de force pour changer de société !
Contrairement aux premiers mois du mandat des députés insoumis il y a 5 ans, il y a de la part de la plupart des dirigeants de la FI depuis lors une absence d’appels à organiser une lutte généralisée et de stimulation du mouvement ouvrier organisé à entrer massivement en action pour bloquer les politiques macronistes. Le potentiel est là, chaque semaine, de nombreux conflits sociaux éclatent en faveur d’augmentations de salaire, mais entreprise par entreprise et de façon isolée.
Cette faiblesse a hélas marqué aussi les campagnes électorales en 2022. Contrairement à ce qui était avancé, le vote pour la gauche n’est pas une alternative à la lutte ; vote de gauche et stimulation de la lutte auraient au contraire pu être complémentaires. Cela aurait d’ailleurs pu augmenter le potentiel électoral pour Mélenchon, en mobilisant suffisamment de potentiels abstentionnistes. Cela assurerait de pouvoir utiliser la plateforme parlementaire et la visibilité médiatique comme force d’appui pour les luttes de notre camp, pour riposter contre chaque attaque qu’un gouvernement aux ordres de Macron cherchera à faire passer et pour créer ce rapport de force favorable, sur lequel les travailleuses et travailleurs ainsi que la jeunesse pourront s’appuyer dans chacune de leur lutte. Cela permettrait aussi une vigilance permanente par en bas contre les trahisons inévitables des éléments les moins orientés vers une rupture au sein de la NUPES
Il y a un énorme espace pour la FI pour être le relais et l’initiateur de luttes, après les innombrables luttes (mais non coordonnées) ces dernières années. Il y a d’ailleurs aussi un espace pour que les directions syndicales s’engagent dans la lutte, en lien avec la FI et la NUPES, mais aucune initiative réelle n’est venue depuis le puissant mouvement contre la réforme des retraites fin 2019 – et donc rien ou presque durant la pandémie de covid 19, malgré l’urgence sociale.
Aujourd’hui, l’énorme faiblesse des instruments politiques de la classe capitaliste peut donner confiance aux travailleurs et travailleuses pour entrer en lutte. Cela peut ouvrir des opportunités, notamment concernant les retraites, dont les tentatives de réformes ont toujours entrainé des mouvements de masse à leur encontre. Cela implique la préparation et l’organisation d’une lutte de masses qui portent des revendications sociales et écologiques ambitieuses. Il est urgent que la gauche et le mouvement ouvrier organisé prennent des initiatives en ce sens !
Chili, Colombie, … Quel programme et quelles perspectives pour les gouvernements de gauche
La campagne de Mélenchon vers les présidentielles et l’accord de la NUPES vers les législatives ont remis en avant la discussion sur la possibilité pour la gauche d’arriver au pouvoir. Mais cette discussion n’est pas limitée à la France : ailleurs dans le monde, des victoires électorales récentes ont même permis d’amener des regroupements de forces de gauche au pouvoir. C’est particulièrement le cas en Amérique latine, récemment au Chili et en Colombie, où les manifestations massives de ces dernières années ont permis à de telles coalitions de porter la gauche à la présidence.
Au Chili, Gabriel Boric, de la coalition Approbation Dignité, a été élu en décembre 2021. En Colombie, les élections présidentielles de mai-juin 2022 ont vu la victoire de Gustavo Petro de la coalition Pacte Historique. Ces succès ont soulevé des espoirs pour enfin voir s’appliquer une politique qui rompe avec l’austérité budgétaire, en faveur de la classe travailleuse et de la jeunesse, et dans l’intérêt des droits des femmes et des personnes LGBTQIA+, ainsi que de la lutte contre le dérèglement climatique. Mais il nécessaire de discuter des difficultés auxquels fait et fera face cette gauche au pouvoir au sein du système capitaliste. Au Chili, Boric fait d’ailleurs face à des déceptions et premières critiques concernant sa politique.
La gauche doit s’armer d’un programme offensif capable d’appliquer réellement une politique pro-classe travailleuse. Elle doit aussi préparer les travailleurs et travailleuses à la riposte inévitable qui viendra de la classe dominante dont les intérêts sont mis en danger.
On ne part pas d’une page blanche : l’expérience du passé est très instructive, il faut en tirer les leçons.
- En 1970, Salvadore Allende était élu président chilien sur base d’un mouvement social massif qui a poussé le gouvernement à prendre des mesures, incluant des nationalisations, qui allaient plus loin que ce que les dirigeants réformistes avaient l’intention de faire. Le capitalisme chilien et l’impérialisme américain y ont répondu avec des ripostes économiques, ainsi qu’avec un coup d’État militaire en 1973 qui a ouvert la voie à la dictature de Pinochet et à des politiques néolibérales brutales.
- En 1981, François Mitterrand, était élu président français sur base d’un programme de gauche et d’une vague de soutien populaire. Les premières mesures notamment de nationalisations de banques et d’entreprises-clés ont immédiatement été suivies d’une riposte des patrons, notamment sous la forme d’une fuite des capitaux. Sans plan pour y faire face, Mitterrand a ensuite plié et a fait un « tournant de la rigueur » en appliquant des mesures néolibérales.
- En 2015, Alexis Tsipras devenait Premier ministre d’un gouvernement de gauche en Grèce, après des mois et des mois lors desquels se sont succédé des grèves générales et une montée en puissance du parti de gauche SYRIZA. Une fois au pouvoir, Tsipras a sous-estimé la résistance patronale et des institutions financières internationales à laquelle il serait confronté. Après 6 mois de gouvernement et un référendum refusant davantage d’austérité, Tsipras a capitulé. L’exemple du gouvernement SYRIZA a illustré à quel point le camp du capital est capable de choisir le risque d’un désastre économique plutôt que d’assister à l’essor d’une alternative politique de gauche et à l’application de sa politique.
La gauche ne peut pas juste se dire qu’elle va arriver au pouvoir avec un programme ambitieux et qu’elle arrivera à brider le système capitalistes « car c’est la volonté des urnes ». « Un tigre ne devient jamais végétarien ». Le camp d’en face, basé sur l’infrastructure économique de la société capitaliste, réagira en force avec notamment ses armes économiques de fuite des capitaux, lockout patronaux et menaces de délocalisation. Tenter de ne pas affronter le système et le remplacer par un autre sur base d’un mouvement révolutionnaire, cela mène à des catastrophes. C’est d’ailleurs un élément essentiel de ce qu’il s’est passé au Venezuela.
Un gouvernement de gauche devra inévitablement procéder à la nationalisation du secteur bancaire et financier dans sa totalité et la création d’un organisme public unique de crédit : c’est la seule solution pour assurer un contrôle des capitaux et empêcher les capitalistes de contrôler les investissements. Il faudra aussi nationaliser les autres secteurs-clés de l’économie (énergie, télécoms, sidérurgie, pétrochimie,…) dans leur entièreté, également sans rachat ni indemnité sauf sur base de besoins prouvés, et placés sous le contrôle et la gestion démocratique de la classe travailleuse et de la collectivité. C’est la seule réponse efficace aux contre-attaques et menaces qui viendront de la part de nombreux grands patrons. Il devra sur cette base planifier l’économie et la transition écologique, et aussi imposer des contrôles de capitaux, refuser le remboursement de la dette et imposer un monopole d’État sur le commerce extérieur.
Il faut combiner une telle politique à une lutte d’ampleur pour exiger les moyens. Les richesses existent largement. Mais pouvoir les arracher exige de construire un rapport de force dans la société : mobiliser un contre-pouvoir sociétal par la lutte, avec aussi un appel aux travailleurs et travailleuses des autres pays. C’est ainsi que des mesures socialistes pourront être appliquées et permettront de profiler un nouveau système, une société socialiste démocratique débarrassée de l’avidité capitaliste
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Motion de solidarité de la CGSP-ALR avec les militants anti-guerre en Russie victimes de la répression

Nous publions ci-dessous une importante motion de solidarité qui se situe dans la fidèle tradition de la solidarité internationale entre travailleurs. Elle concerne notre camarade Dzhavid Mamedov, victime de la répression du régime de Poutine en Russie. Nous vous invitons à faire de même avec votre délégation syndicale, association,… et à envoyer cette déclaration à info@socialisme.be.
Depuis maintenant deux mois et demi, le régime de Poutine est en guerre contre l’Ukraine. Dès le début, des dizaines de milliers de Russes ont résisté et se sont courageusement exprimés contre la guerre et le régime, en courant un risque sérieux de persécution politique et d’arrestation. Au cours de cette période, plus de 15 000 personnes ont été arrêtées, et beaucoup ont été confrontés à la violence policière, à la torture et à de longues peines d’emprisonnement.
Dzhavid Mamadov est un socialiste, un militant anti-guerre, un défenseur des droits des femmes et des LGBTQIA+, un organisateur syndical étudiant et un participant à la résistance au régime de Lukashenko en Biélorussie et au régime de Poutine en Russie. Aujourd’hui, il est en prison après avoir été arrêté une troisième fois pour sa position anti-guerre. Le régime a essayé de l’isoler des manifestations et de l’intimider, en l’enfermant derrière les barreaux et en plaçant des espions de la police avec lui dans sa cellule. Afin d’arrêter Dzhavid, la police l’a enlevé sur son lieu de travail et l’a traqué devant son domicile à deux reprises, ne lui permettant même pas de “faire une pause” après sa précédente incarcération. Aujourd’hui, ils tentent de monter un dossier criminel contre Dzhavid, et sa prochaine arrestation pourrait lui valoir une longue peine de prison, entre 5 et 10 ans. Il doit être protégé !
Dzhavid n’est bien sûr pas seul. Kirill Ukraintsev, leader de la récente grève du Courrier, et les rédacteurs du journal étudiant DOXA, qui ont adopté une position de principe contre la guerre, ont également été arrêtés, parmi beaucoup d’autres. L’Union indépendante des journalistes www.profjur.org [profjur.org], qui a défendu les personnes arrêtées et réprimées, fait maintenant l’objet d’une enquête pour “activités extrémistes”.
Tous les manifestants anti-guerre doivent être libérés immédiatement !
C’est pourquoi la CGSP ALR Bruxelles exige :
La libération immédiate de Dzhavid Mamedov et de tous les manifestants anti-guerre ;
La fin immédiate de la guerre en Ukraine ;
La réduction spectaculaire des dépenses en armement et l’utilisation des ressources pour la santé, l’éducation et la reconstruction ;
Bruxelles, 23/05/2022,
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France. Macron, inflation, récession … Pas d’autre choix : construire un rapport de force pour changer de société !

5 mai 2018, manifestation « Stop Macron ». Photo : Olivier Ortelpa, Wikimedia Commons La classe travailleuse et la jeunesse sont placées devant des énormes défis. L’inflation explose, les taux d’intérêt vont augmenter, le déficit budgétaire va gonfler et, pour Macron, tout cela signifie l’austérité, alors que notre pouvoir d’achat s’effondre déjà. Pour y faire face, la seule issue est de construire les luttes – dans la rue, les lieux de travail, les quartiers, les fac’ et les écoles – afin de renverser le rapport de forces entre travail et capital. C’est d’ailleurs également la meilleure manière non seulement d’élire à l’Assemblée Nationale une gauche dite « de rupture » qui représente la résistance de terrain, mais aussi d’établir une vigilance permanente vis-à-vis des forces composant la nouvelle union de la gauche (NUPES).
Par Stéphane Delcros
Après avoir créé la surprise du 1er tour des présidentielles en arrivant 3e, aux portes du second tour, avec un score de 22% des votants, Jean-Luc Mélenchon et la France Insoumise (FI) ont à nouveau surpris. Tout d’abord en boostant la campagne électorale pour tenter de gagner les législatives et faire élire Mélenchon Premier ministre, ensuite en unifiant les principales forces politiques à gauche de Macron au sein de la « Nouvelle union populaire écologique et sociale » (NUPES). Les attaques incessantes de la droite, de l’extrême droite et des médias dominants témoignent de la peur que la dynamique et l’espoir à gauche inspire à la classe dominante. Des points forts mais aussi de dangereuses faiblesses existent concernant cette « gauche de rupture », c’est-à-dire une gauche visant à casser la politique unilatéralement en faveur des riches et des patrons, mais hélas sans l’ambition d’en finir avec le capitalisme.
[box]Dossier France
- 28/04/2022 – France : Pour un 3e tour de lutte sociale et écologique
- 15/04/2022 – France : Aucune voix pour Le Pen, mais Macron n’est pas la solution
- 05/04/2022 – La France des années ’30 – L’explosion révolutionnaire qui aurait pu éviter la Seconde Guerre mondiale
- 24/02/2022 – France. Utiliser la candidature de Mélenchon comme levier pour stimuler la lutte pour un changement de société
- 22/08/2019 – Retour sur l’échec du gouvernement de gauche PS-PCF sous la présidence de François Mitterrand
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Les thèmes de gauche dominent les débats
Dans un contexte d’envolée des prix de l’énergie et des produits de première nécessité et de crise du pouvoir d’achat, la présence de la gauche – comportant de forts éléments de rupture avec le système – dans l’attention médiatique permet la présence des thèmes sociaux et écologiques à l’avant-plan des discussions. Et ce, en dépit des tentatives de Macron et Le Pen de détourner l’attention vers les questions ‘identitaires’, pour tenter de briser la dynamique autour de Mélenchon.
Après des mois et des mois durant lesquels l’immigration et le sécuritaire ont dominé l’essentiel de l’actualité médiatique afin d’insérer la division et d’influencer l’issue des élections présidentielles, les thématiques sociales s’étaient finalement imposées à l’agenda à partir de fin février, contre la volonté des médias et partis dominants et sur base de l’augmentation fulgurante des prix. En s’appuyant sur les éléments de gauche de rupture de son programme, Mélenchon avait su convaincre une couche d’abstentionnistes. De son côté, Le Pen avait construit sa campagne en instrumentalisant les inquiétudes sociales pour paraître en rupture avec la politique de Macron.
Macron prétend maintenant avoir compris que son deuxième mandat doit être plus social et écologique. La nomination d’Élisabeth Borne au poste de Première ministre à la mi-mai vise à tenter de s’acheter un semblant d’image féministe, écologique et plus progressiste. Mais personne n’est dupe. Sans en avoir été membre, Borne a accompagné le PS depuis le début des années ‘90, en devenant même conseillère chargée des transports auprès du Premier Ministre Lionel Jospin entre 1997 et 2002 et directrice du cabinet de Ségolène Royal au ministère de l’Écologie en 2014. Elle fait partie de cette vague de membres et proches du PS qui a rejoint le parti de Macron en 2017 et est devenue Ministre des Transports puis Ministre « de la Transition écologique et solidaire ». À travers toutes ses fonctions, Borne a joué un grand rôle dans l’ouverture du rail à la concurrence et dans le gaspillage de temps face à la crise climatique. Elle a refusé de concrétiser une politique ambitieuse de lutte écologique notamment via la gratuité et l’extension des chemins de fer. Nommée Ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Insertion en 2020, elle a fait passer une réforme de l’assurance chômage synonyme de baisse des allocations pour plus d’1 million de chômeurs et chômeuses. Face à la présence des thèmes sociaux dans l’actualité et la dynamique derrière la gauche, il est possible qu’un nouveau gouvernement pro-Macron indexe les bas salaires et les retraites par exemple. Mais, fondamentalement, sa politique continuera à favoriser les riches. Une nouvelle profonde récession lui servira très tôt d’excuse pour balayer de telles mesures limitées.
« Le Pen n’a pas été élue au pouvoir, et maintenant faisons en sorte que Macron n’y reste pas »
C’est avec ce mot d’ordre que la France Insoumise a lancé sa campagne pour imposer un gouvernement de « gauche de rupture » au président Macron en faisant élire une majorité alternative à l’Assemblée Nationale et imposer à Macron un gouvernement Mélenchon. L’idée de ce « troisième tour » électoral a eu le mérite de donner la perspective de la bataille suivante directement après la présidentielle – les législatives – tout en tentant de ne pas se limiter à un travail d’opposition et au contraire de chercher à appliquer des éléments de programme qu’un gouvernement pourrait se permettre de mettre en œuvre.
Cette approche a permis de poursuivre la mobilisation entre deux élections en reposant sur la dynamique de campagne et le résultat des présidentielles. La stratégie est d’essayer d’obtenir une majorité à l’Assemblée Nationale pour le programme défendu par la France Insoumise durant la campagne présidentielle lors des législatives des 12 et 19 juin. La possibilité existerait ainsi d’imposer une cohabitation au président Macron, qui se verrait obligé, contre sa volonté, de laisser ce gouvernement mener une politique de gauche.
Sur base de son score au 1er tour, la France Insoumise a scellé en 13 jours un accord pour une union de la gauche : la NUPES
Parallèlement à cet appel à l’élire Premier ministre, Mélenchon et la FI ont scellé un accord avec les 3 plus grandes formations situées à la droite de la FI et à la gauche de Macron : le Parti communiste français (PCF), Europe Écologie Les Verts (EELV) et le Parti socialiste (PS). L’enjeu principal était d’éviter qu’il y ait une concurrence entre les candidats de ces différentes formations, au 1er comme au second tour. Cela aurait potentiellement pu empêcher beaucoup de candidats FI et alliés d’atteindre le seuil de 12,5% des inscrits nécessaire dans chaque circonscription pour parvenir au 2e tour. Cette union vise à envoyer un maximum de députés à l’Assemblée Nationale, avec la possibilité que l’ensemble de ces députés soient majoritaires et puissent soutenir un gouvernement de gauche qui appliquerait un autre type de politique.
Dans les négociations qui ont mené à cet accord, la FI avait directement mis en avant les revendications programmatiques « non négociables », issues de son programme « l’Avenir En Commun », notamment : la retraite à 60 ans ; l’allocation de 1063 euros par mois pour les jeunes ; l’augmentation du SMIC de 15% (initialement 1400 euros net, maintenant monté à 1500 euros) ; le blocage des prix des produits de 1ère nécessité ; la planification écologique (et la règle verte) ; l’abrogation de la loi Travail (« El Khomri ») mise en place sous Hollande ; le rétablissement de l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune) ; 1 milliard d’euros contre les violences faites aux femmes ; la 6ème République et le référendum d’initiative citoyenne ; le développement des services publics, refus de leur privatisation et de leur ouverture à la concurrence ; et le rejet des règles européennes incompatibles avec ces propositions.
Il s’agit d’éléments programmatiques de gauche en rupture avec la politique actuelle, mais cependant hélas allégés d’une série de revendications importantes marquant une rupture plus importante, comme la sortie du nucléaire et certains points concrets nécessaires concernant les soins de santé, l’enseignement et les transports notamment. Plusieurs revendications ont aussi été rendues moins claires dans l’accord adopté par l’union de la gauche. Par exemple, le programme de la FI défend « d’assurer la gratuité » des cantines scolaires, tandis que l’accord de la NUPES ne parle que « d’aller vers la gratuité » de celles-ci.
Autre élément adouci par le temps et les négociations avec les autres partis : l’approche concernant l’Union européenne. Mélenchon a heureusement toujours été au-delà de ‘‘l’européanisme de gauche’’ aux ambitions limitées à vouloir petit à petit changer l’UE de l’intérieur. Il est illusoire de vouloir changer cette institution qu’est l’Union Européenne. L’UE est, depuis le début, un instrument non-démocratique aux mains de la classe dominante capitaliste pour défendre ses intérêts. Elle interdit par exemple de baisser la TVA à moins de 5% sur les produits de première nécessité ou encore de constituer des monopoles publics d’Etat sur certains biens ou services. La défense de la propriété privée des moyens de production et de la dictature des marchés est dans son ADN.
En 2017, Mélenchon défendait un « Plan A » (une rupture concertée avec les traités européens qui empêchent de mener une politique sociale et climatique) et un « Plan B » (la sortie de l’UE). Aujourd’hui, le « Plan B » est simplement de ne pas tenir compte des règles européennes incompatibles avec le programme. Pour défendre cette position de désobéissance aux traités, Mélenchon a évoqué les « 2903 cas d’autres pays dans lequel il y a des infractions » et pour lesquelles « personne n’a rien dit », ou encore la « règle d’or » selon laquelle le déficit budgétaire public annuel ne doit pas excéder 3 % du produit intérieur brut (PIB), qui aurait été violée 171 fois, dont 7 fois par l’Allemagne. Mélenchon a lui-même qualifié sa nouvelle approche de « moins agressive ».
Mais si la « désobéissance » à certaines règles européennes (en particulier économiques et budgétaires comme le pacte de stabilité et de croissance, le droit de la concurrence, les orientations néolibérales de la Politique Agricole Commune, etc.) était clairement affirmée dans le communiqué conjoint entre EELV et la FI, les choses sont beaucoup plus floues dans le communiqué commun entre la FI et le PS.
Il faut être clairs : il faut non seulement rompre avec cette Europe du Capital, mais aussi directement défendre la construction d’une autre Europe, une Europe des travailleurs et des opprimés, à l’aide d’un programme socialiste basé sur la mobilisation par en bas pour s’attaquer au pouvoir de la classe dominante. Il est important de s’y préparer en expliquant dès maintenant cette nécessité, même si elle peut temporairement recevoir un écho plus limité.
La FI avait aussi émis une autre condition pour un accord avec les autres partis : qu’un accord devrait (plus ou moins) respecter l’état des forces des différentes formations au 1er tour des présidentielles. L’enjeu étant la répartition des 577 circonscriptions, chaque formation allant recevoir un « monopole » sur chacune d’entre elles pour éviter une concurrence.
La FI a ainsi signé un accord avec EELV (4,6% au 1er tour), le PCF (2,3%) et le PS, celui-ci n’étant pourtant pas invité aux premières négociations mais son énorme débâcle (1,7%) ne lui a pas laissé d’autre choix que s’y inviter. Selon ses propres dires, le NPA (Nouveau Parti anticapitaliste, 0,8%) a quitté les négociations en raison de la présence du PS mais aussi d’un désaccord sur la répartition des circonscriptions. LO (Lutte Ouvrière), de son côté, analyse à tort la période actuelle comme faite « de recul politique et de droitisation de toute la vie politique » et a choisi de rester à l’écart de cette « opération de rafistolage du réformisme ». L’attitude du NPA et de LO, sur laquelle nous reviendrons plus bas, laisse un boulevard aux carriéristes, aux opportunistes et aux éléments droitiers qui vont renforcer toutes les faiblesses de la NUPES.
Tant sur le programme que sur le nombre de circonscriptions, le rapport de force est très favorable à la FI, et les formations sont finalement arrivées à ce partage du « monopole » sur les circonscriptions : 326 pour la FI, 100 pour EELV et alliés, 70 pour le PS et 50 pour le PCF (31 circonscriptions, en Corse et en outre-mer étant hors accord, ou faisant l’objet d’accords ultérieurs). Chaque composante de la NUPES aura la possibilité de former son propre groupe à l’Assemblée Nationale.
Tout cela en reste hélas encore pour l’instant à des négociations conclues au sommet, entre appareils qui, dans le cas du PS et d’EELV, ont été éduqués à la cogestion du système et en sont profondément infectés. Il serait extrêmement surprenant que ces derniers, dans une situation de crise, soient préparés à prendre les mesures qui s’imposent en choisissant sans la moindre équivoque le camp des travailleuses et travailleurs sur celui des patrons et du marché. Les partisans du capitalisme sauront à qui parler. La NUPES a été formée par des appareils, il faut la pousser plus loin en mobilisant l’enthousiasme qui, heureusement, ne manque pas parmi d’importants segments de la population.
La dynamique soulève une vague d’espoir pour l’application d’une politique de rupture avec Macron
Cet accord, signifiant une possibilité (même faible) de gouvernement de « gauche de rupture », a soulevé une vague d’espoir dans le pays, parmi les personnes de gauche, bien sûr, où existe une tendance spontanée à l’unité, mais aussi parmi des couches plus larges de la classe travailleuse et de la jeunesse qui ont été mobilisées dans la dynamique de la campagne de Mélenchon : dans les villes, surtout, y compris dans les quartiers pauvres à forte population d’origine immigrée, ainsi que dans les départements d’Outre-Mer.
Cette vague d’enthousiasme s’appuie sur la possibilité d’empêcher que le programme de Macron s’applique pour 5 années supplémentaires ; d’empêcher la retraite à 65 ans et les 20 heures par semaine de travail forcé pour celles et ceux qui reçoivent des allocations, comme le prévoit Macron. Mélenchon parle d’un « réflexe de rassemblement face à un épisode annoncé de maltraitance sociale aggravée ».
Début mai, 37% des personnes considéraient Mélenchon comme le premier opposant à Macron, contre 33% pour Le Pen. Au 1er tour des présidentielles, il avait de loin rassemblé le plus de suffrages parmi les jeunes de 18-24 ans et 25-34 ans (derrière l’abstention), et cet élan a même tendance à se renforcer vers les législatives : d’après un sondage réalisé début mai, 59% des 18-24 ans (hors abstentions) voteraient pour la NUPES (+9%), contre 13% tant pour Macron et alliés (-6%) que pour le Rassemblement National.
Pour se faire une idée du potentiel qu’a cette union (et en sachant que bien sûr ce ne sera pas une répétition mécanique), dans une projection basée sur les résultats des présidentielles, la NUPES serait 1ère dans 261 circonscriptions et qualifiée au second tour dans 471 ; Macron et ses alliés seraient 1ers dans 155 circonscriptions et qualifiés dans 448 ; et le Rassemblement National serait 1er dans 161 circonscriptions et qualifié dans 296.
Dans les sondages (mi-mai), la NUPES est créditée de 28 à 34% des voix, contre 24 à 27% pour Macron et ses alliés, 19 à 24% pour le Rassemblement National et 9 à 12% pour Les Républicains et alliés. Mais on ne peut en déduire réellement quelque chose en termes de circonscriptions gagnées, puisqu’il s’agit d’un scrutin à 2 tours.
Malgré ces sondages, ainsi qu’un sondage début mai qui montrait que 68% des personnes interrogées sont favorables à une cohabitation, le scénario d’une majorité NUPES n’est pas le plus probable, même si elle n’est pas à exclure, surtout si une dynamique de luttes sur les lieux de travail, dans la rue et dans les quartiers accompagne le processus vers les législatives. C’est plus probablement Macron et ses alliés qui arriveront à gagner le plus de circonscriptions, à la faveur des 2e tours, même s’ils devront peut-être se coaliser avec par exemple des députés Les Républicains (droite traditionnelle) pour obtenir une majorité absolue, ce qui risque d’ailleurs d’approfondir encore davantage la crise interne dans ceux-ci.
L’accord entraine de profondes divisions internes aux autres partis composants la NUPES
Ce rapport de force très favorable à la FI dans la NUPES ainsi que la base programmatique de « gauche de rupture » n’ont pas manqué de susciter des tensions à l’intérieur des autres formations. Dans le PCF, notamment avec ceux et celles qui, selon l’accord, ne peuvent être candidats dans leur circonscription. Dans EELV, tiraillé entre ses différents courants, reflétés par le résultat de la primaire de septembre gagnée par le représentant de l’aile libérale Yannick Jadot avec seulement 51% face à Sandrine Rousseau, qui portait un programme davantage social et écologique.
Mais c’est bien sûr dans le PS que les tensions sont les plus explosives, entre la direction autour du Premier secrétaire Olivier Faure et les éléments les plus à droite et les plus carriéristes (du moins parmi ceux qui n’avaient pas encore quitté le PS ces dernières années), particulièrement dans l’entourage de François Hollande, le président prédécesseur de Macron. Au sein de la direction du PS, l’accord a été approuvé à 57% contre 35% (sur 292 votants). La majorité se veut critique à l’encontre de la politique menée sous Hollande, comme l’exprime Stéphane Troussel, l’un des Secrétaires nationaux : « un quinquennat marqué par le CICE et le pacte de stabilité sans aucune contrepartie en termes d’emplois, de salaires, de conditions de travail, c’est une de nos difficultés. Le débat nauséabond sur la déchéance de la nationalité, c’est une de nos difficultés. La Loi Travail, c’est une de nos difficultés. » La nouvelle période dans laquelle nous sommes entrés sur le plan mondial, qui rompt avec l’ère du néolibéralisme – « l’âge du désordre », où les multiples crises du capitalisme entraînent un processus de polarisation sociale et politique de plus en plus profond – pousse une majorité au PS à devoir être critique sur ses politiques passées.
Sous le mandat de Hollande, ceux qui à l’intérieur du PS s’opposaient à sa politique étaient appelés les « frondeurs » ; aujourd’hui les frondeurs sont devenus les « éléphants » du PS dans l’entourage de Hollande. L’ancien Premier secrétaire Jean-Christophe Cambadélis, qui appelle à l’autodissolution du parti dans un Congrès de refondation à l’automne, a averti qu’avec une victoire de Mélenchon, « on se retrouvera dans la situation de la Corée du Nord ». Jean-Marc Ayrault et Bernard Cazeneuve, deux anciens Premier ministres sous Hollande s’y sont fortement opposés, le 2e quittant même le parti à la suite de l’accord. Le premier fédéral PS de Bourgogne-Franche-Comté a déclaré : « Ce que veut Mélenchon, c’est que le PS soit le sucre dans le café et qu’il se dissolve ».
Des candidatures dissidentes ont directement été annoncées de la part de frustrés de l’accord, particulièrement du PS. La présidente de la région Occitanie (Sud-Ouest) et ex- secrétaire d’Etat Carole Delga et l’ancien ministre Stéphane Le Foll veulent rassembler toutes les candidatures « frondeuses » du parti, d’ailleurs menacées d’exclusion. Rappelons qu’il y a à peine 10 ans, le PS venait de gagner les élections à tous les échelons, des municipales aux présidentielles…
En réponse au lancement de la NUPES, Macron a créé sa propre union de partis : « Ensemble », qui rassemble son parti Renaissance (ex-LREM) et ses alliés Horizon et MoDem. Il a aussi lancé une campagne pour tenter d’attirer les éléments du PS et des Verts qui rejettent l’accord. L’un des dirigeants de Renaissance, Stanislas Guerini, a ainsi invité les “sociaux-démocrates” déçus par le PS “qui a renié ses convictions pour quelques circonscriptions”.
Certains dissidents vont en effet quitter le parti, d’autres seront exclus, mais beaucoup d’autres vont tout simplement se taire, et attendre d’abord d’avoir une position élue après les législatives, puis un moment plus propice pour essayer de renverser le rapport de force interne.
Car certains candidats dans l’accord de la NUPES ne portent clairement pas cette rupture avec la politique menée ces dernières décennies. C’est notamment le cas de Cécile Untermaier, députée PS sortante de la circonscription de la Bresse, qui avait prévu de rejoindre les rangs de Macron. Ce n’est pas qu’au PS qu’il existe des candidatures de ce type. Parmi les alliés d’EELV, on trouve Les Nouveaux Démocrates (LND), un parti formé par des parlementaires élus dans le camp de Macron en 2017, qui investira notamment le député sortant Aurélien Taché, sous les couleurs de la NUPES. Il n’est pas étonnant qu’il y ait, à juste titre, des candidatures dissidentes issues du mouvement social. C’est notamment le cas de Raphaël Arnault, du mouvement antifasciste Jeune Garde, dans la 2e circonscription de Lyon (probablement la grande ville française où l’extrême droite est la plus active sous toutes ses formes), face à un candidat NUPES issu de Génération Ecologie qui a été député macroniste entre 2017 et 2020.
Un accord et une campagne qui comportent des points forts, mais aussi des faiblesses dangereuses
D’ailleurs, si l’enthousiasme lié à l’espoir est palpable parmi des couches larges en ce moment, il n’est pas partagé par tous et toutes à gauche et dans les quartiers populaires notamment.
Dans la Contre-Matinale du Média TV du 11 mai, la militante Zouina parlait de l’appel « On s’en mêle » qui, dans les quartiers populaires, avait décidé de mener campagne pour Mélenchon. A l’approche des législatives, elle y disait : « On a du mal à digérer les alliances avec le PCF, avec le PS, avec les Verts, avec tous ceux qui ont participé à faire qu’on est là aujourd’hui, à une grande trahison, à un dérapage vers le racisme. C’est difficile à accepter ces alliances, mais elles se font sur base d’un programme et elles se font pour que l’assemblée nationale demain soit investie majoritairement par des députés de gauche ». Elle pointait également le fait que plusieurs militants et militantes des quartiers populaires qui auraient pu être candidats à ces législatives n’ont pas été retenus, notamment parce qu’il a fallu laisser de l’espace aux nouveaux alliés de la FI.
Il est vrai qu’avec cette union, cette campagne s’adresse davantage à des logiques d’appareils de partis et moins à certaines couches qui ont pourtant fait la réussite de la campagne vers les présidentielles. Beaucoup de jeunes et de travailleurs et travailleuses, particulièrement parmi les plus précarisés et opprimés, considèrent à juste titre que le PS, même « purgé » de ses éléments les plus à droite, et de grandes parties d’EELV, voire même au sein du PCF, font partie du problème et donc pas de la solution. Au niveau municipal, les majorités au pouvoir qui comprennent PS, EELV et PCF ne mènent pas une réelle politique de rupture. Et surtout, ils ont mené la politique néolibérale dans les gouvernements Jospin entre 1997 et 2002 et sous Hollande entre 2012 et 2017. Ils sont partie prenante dans les succès électoraux des Le Pen en 2002 et 2017. On va difficilement battre Macron et le Pen en s’alliant avec ceux qui ont appliqué la politique qui leur a ouvert la voie…
Cette campagne comporte pourtant un grand intérêt et réveille un espoir. Elle est basée sur un programme de rupture, même amoindri, et un rapport de force interne à la NUPES très favorable à la « gauche de rupture », avec une (même faible) possibilité d’un gouvernement qui n’ira certes pas assez loin, mais dans la bonne direction. Elle investit en tant que candidats des figures très importante de la lutte, comme Rachel Keke, porte-parole des grévistes de l’hôtel Ibis Batignolles qui a permis l’an passé, après plus d’un an de lutte, d’obtenir une revalorisation des qualifications et des salaires, la prise en compte des heures supplémentaires et une prime de repas. Mais si des points forts sont clairement présents, la campagne et cette union comportent des faiblesses. Il y a une atténuation du programme de rupture et de ce qu’il représente, et la vigilance face aux dangers internes et externes doit être fortement accentuée, particulièrement par l’organisation de la lutte par en bas contre Macron et son monde.
Quelle attitude de la part de la gauche dite révolutionnaire ?
LO et le NPA auraient pu jouer un rôle à cet égard, mais ces formations (tout particulièrement LO) ont choisi de rester à la marge, comme si les situations idéales tombaient du ciel et que le travail dans la lutte de classe ne démarre pas de la situation telle qu’elle se présente, en repérant les difficultés qui existent, mais sans se cacher derrière et en décelant également comment saisir et pousser le potentiel de l’avant.
Comme dit précédemment, le NPA a finalement claqué la porte des négociations de la NUPES : « au fur et à mesure des discussions avec les autres forces politiques, l’équilibre politique de la coalition s’est modifié progressivement, atténuant le caractère de rupture avec les politiques libérales qui faisait sa force ». Le NPA dénonce l’accord « problématique » avec le PS et de nombreux éléments d’EELV « qui ne représentent pas une rupture avec le libéralisme », et il n’a de fait pas tout à fait tort, même si nous estimons quant à nous que le centre de gravité de la NUPES reste à l’heure actuelle largement favorable à la « gauche de rupture ».
Le NPA indique s’être également retiré des négociations à cause du trop petit nombre de circonscriptions qui lui étaient accordées (5), et le fait que ne leur étaient pas laissée une circonscription de Gironde pour tenter d’y faire élire Philippe Poutou à l’Assemblée Nationale. Un tel renfort aurait été le bienvenu pour la NUPES, c’est vrai. Mais si on peut comprendre la frustration du NPA, il faut de suite ajouter que l’attitude du parti de Besancenot et Poutou cette dernière décennie n’a en rien préparé le terrain pour une entente.
Le PSL/LSP a bien sûr davantage de proximité programmatique avec le candidat Poutou qu’avec le candidat Mélenchon. Mais tout comme en 2012 et 2017, il ne s’agissait pas d’aborder les élections présidentielles sous l’angle d’une candidature ‘pour exister’. Une candidature ne servant qu’à promouvoir un programme et des idées peut avoir un intérêt à certains moments. Mais la question était ici de savoir comment renforcer la lutte des classes et permettre de profiler au mieux la nécessité d’un changement de société.
La candidature de Mélenchon portait un programme de rupture, augmentant la conscience de classe, s’adressant à des couches très larges et tentant de les mobiliser, et qui était en plus capable d’atteindre le second tour de l’élection. Ce programme de rupture à gauche et cette campagne étaient un pas en avant, sur lequel une formation anticapitaliste pouvait s’appuyer pour faire des propositions constructives, participer à la construction du rapport de force sociétal et mettre en avant une alternative socialiste au système capitaliste.
Le NPA, ainsi que LO et le PCF, se sont laissés prendre au piège du pessimisme et ont préféré présenter et maintenir une candidature « pour exister » plutôt que de renforcer la dynamique de la campagne de Mélenchon. Ils portent une très lourde responsabilité dans le faux choix du 2ème tour Macron vs Le Pen laissé aux électeurs. Un appel de vote et un désistement dans la dernière ligne droite de la campagne aurait mobilisé non seulement une partie de leurs électeurs mais aussi davantage d’abstentionnistes. Une nouvelle occasion a été ratée – pourtant l’expérience de 2017 était là – et l’enjeu était maintenant de ne pas rater la suite.
Il était possible d’entrer dans la dynamique de la NUPES, pas seulement pour y apporter un soutien critique, mais aussi pour y stimuler la nécessité de la lutte et la vigilance par en bas. Cela aurait placé le NPA dans une bien meilleure position pour appeler à la création de comités de vigilance de base contre toute possibilité de trahison sur le programme, en faisant appel et en lançant des propositions d’action aux groupes locaux de l’Union Populaire qui avaient mené la campagne de Mélenchon pour la présidentielle par exemple et en cherchant à impliquer des syndicalistes de la base, des activistes du logement, des militants sans-papiers et toutes celles et ceux qui cherchent à en finir avec la politique pour les riches. Une telle dynamique, orientée vers les travailleurs et travailleuses et les jeunes en lutte a le potentiel d’imprimer la pression nécessaire pour maintenir un programme de rupture et pousser vers la sortie les éléments les plus droitiers et carriéristes. Et dans le cas d’une trahison des intérêts des travailleurs et des opprimés, si le NPA avait rejoint la NUPES, il aurait encore été temps de sortir de cet accord et de prendre une autre initiative ambitieuse avec d’autres déçus d’un virage droitier de la NUPES.
La classe dominante est à l’offensive contre Mélenchon et la NUPES – mais ce n’est rien comparé à ce qui arriverait en cas de victoire
Ce n’est pas seulement de l’entourage de Hollande que les attaques contre la NUPES arrivent. Elles sont aussi brutales de la part de la droite et de l’extrême droite, aidés par les médias dominants, et témoignent de la peur de voir gagner une gauche dirigée par la France Insoumise, et potentiellement même former un gouvernement.
Mais les attaques patronales actuelles ne sont rien à côté de ce qui arrivera de sa part en cas de victoire de la NUPES et d’un gouvernement Mélenchon. La politique que voudrait appliquer un tel gouvernement recevra immédiatement en réponse une « grève du capital », un sabotage tout azimut de chaque tentative de mener une politique de « gauche de rupture ». On entendra la droite crier que « Mélenchon veut endetter la France » – et sans la construction d’un rapport de force sociétal pour contrer ses arguments, elle pourrait gagner, notamment en faisant reculer la NUPES. C’est ce qui est arrivé à SYRIZA en 2015 – dans un pays comme la Grèce qui n’est pas du tout du même niveau économique que la France. 6 mois après avoir formé son gouvernement, SYRIZA a dû abdiquer et a été réduite à devoir appliquer une politique favorable aux intérêts de la classe dominante grecque et européenne.
Sans ce rapport de forces, la réponse patronale rendra très difficile l’application concrète du programme de « gauche de rupture » (même limité) de la NUPES si les moyens ne sont pas saisis. Le rétablissement de l’ISF, la mise sur pieds de pôles publics dans certains secteurs-clés de l’économie (à côté d’entreprises privées), ou encore l’attente de retombées favorables suite à une politique de stimulation de la demande : non seulement ces mesures seront difficiles à appliquer, mais en plus elles seront largement insuffisantes pour mener une politique qui réponde réellement aux besoins.
L’exemple de la Grèce et du gouvernement SYRIZA a on ne peut plus clairement illustré que le camp du capital est capable de choisir le risque d’un désastre économique plutôt que d’assister à l’essor d’une alternative politique de gauche. Face à tout cela s’imposent l’arme de la nationalisation sous contrôle des travailleurs des entreprises qui menacent de licenciements collectifs ou de délocalisation de même que celles du contrôle des flux de capitaux et du monopole d’Etat sur le commerce extérieur.
Ce ne seront que de premières étapes vers la nationalisation des secteurs-clés de l’économie, particulièrement le secteur financier et bancaire, mais aussi de l’énergie – ce qui permettra de réellement pouvoir bloquer les prix, mais aussi de financer et concrétiser la nécessaire planification écologique. Et, pour répondre aux attaques de la classe dominante, un contre-pouvoir doit être mobilisé : un appel à la classe travailleuse et la jeunesse ailleurs en Europe : « suivez-nous ! », pour créer un rapport de force sociétal permettant d’appliquer les mesures nécessaires.
Construisons un véritable rapport de force sociétal par la lutte
S’il est bien sûr aussi électoral, le 3e tour doit avant tout être social : créer un rapport de force sociétal conséquent en faveur de la classe travailleuse et la jeunesse. Un tel rapport de forces se crée via la lutte, sur les lieux de travail, dans la rue et dans les quartiers. Il faut plus offensivement se tourner vers le mouvement ouvrier organisé, dont la force n’est plus à démontrer – rappelons-nous des mouvements syndicaux massifs contre la Loi El Khomri en 2016 et contre la réforme des retraites en 2019. Et en même temps, cette union de la gauche ne laisse aujourd’hui plus d’excuse aux directions syndicales pour entrer dans la bataille !
Une lutte de grande ampleur pour accompagner cette campagne vers les législatives, c’est ce qui permettrait de mobiliser suffisamment de potentiels abstentionnistes ; d’assurer la plus grosse victoire possible aux élections. Cela permettrait aussi d’appliquer un programme de « gauche de rupture », si une majorité de députés est là – face à la réaction de la classe dominante ; et, sinon, de pouvoir utiliser la plateforme parlementaire et la visibilité médiatique comme force d’appui pour les luttes de notre camp, pour riposter contre chaque attaque qu’un gouvernement aux ordres de Macron cherchera à faire passer et pour créer ce rapport de force favorable, sur lequel les travailleuses et travailleurs ainsi que la jeunesse pourront s’appuyer dans chacune de leur lutte. Et c’est ça qui est le plus important.
Cela permettrait aussi de créer une vigilance permanente par en bas contre les trahisons inévitables des éléments les moins orientés vers une rupture au sein de la NUPES. Et cela permettrait d’apercevoir le potentiel qu’il y a pour un réel changement de système : l’établissement d’une société socialiste démocratique, qui permette l’application d’un programme social et écologique ambitieux, où les moyens de production sont collectivement planifiés et orientés vers nos besoins et ceux de notre planète.
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France : Pour un 3e tour de lutte sociale et écologique

5 mai 2018, manifestation “Stop Macron”. Photo : Olivier Ortelpa, Wikimedia Commons Le 2e tour des élections présidentielles françaises s’est clôturé par 58,5% pour Macron et 41,5% pour Le Pen. Mais il y a très peu d’enthousiasme derrière la réélection du président. L’abstention a atteint son deuxième score le plus élevé de l’histoire de la 5e République (28% ce à quoi s’ajoutent les votes blancs (4,6%) et nuls (1,6%)) pour un second tour d’élection présidentielle. En en tenant compte, Macron n’a été élu qu’avec 37,9% des inscrits. C’est donc le président le plus mal élu de la Ve République depuis 1969, juste après Pompidou, un an après Mai 68. Quasiment 2 personnes sur 3 n’ont pas voté pour lui. La légitimité du président est même pire encore : 42% des électeurs de Macron ont dit l’avoir fait pour faire barrage à Le Pen ; cela réduit le vote « pro-Macron » à 15,9% de la population…
Par Stéphane Delcros et Nicolas Croes
- France : Aucune voix pour Le Pen, mais Macron n’est pas la solution (réaction à la suite du premier tour)
- France. Utiliser la candidature de Mélenchon comme levier pour stimuler la lutte pour un changement de société (déclaration d’appel de vote du PSL/LSP)
Le premier quinquennat de Macron avait été fait d’attaques antisociales, de brutalité policière et de précarisation de larges couches de la société tandis que la recherche de boucs émissaires et la logique de diviser-pour-mieux-régner a été utilisée à plein. Les idées de l’extrême droite ont été banalisées au point que celle-ci a pu prétendre s’être adoucie. Cela a ouvert la voie à une nouvelle croissance des idées d’extrême droite. Le constat est clair : Macron n’a nullement constitué un « rempart » contre l’extrême droite, bien au contraire, et son ambition est de poursuivre sur la même lancée. Il prétend maintenant avoir compris que son deuxième mandat doit être plus social et écologique. il va sûrement essayer de s’acheter un semblant d’image progressiste en nommant un(e) premier(ère) ministre disposant d’une très relative crédibilité sociale, féministe et écolo. Il est possible qu’il indexe les bas salaires et les retraites mais, fondamentalement, sa politique continuera à favoriser les riches.
Dès son élection en 2017, Macron avait continué à détruire le code du travail qui avait déjà subi l’offensive de la loi El Khomri (loi Travail) sous Hollande et le PS. Il avait introduit l’individualisation de la négociation collective, avec la volonté affichée d’affaiblir le rôle des syndicats. Dans son programme pour 2022, Macron a affirmé vouloir « poursuivre la modernisation du code du travail engagée avec les ordonnances de 2017 ». Il n’a pas non plus fait mystère durant sa campagne de son projet de faire reculer l’âge de départ à la retraite à 65 ans.
Entre les deux tours, on a pu lire sur le site Mediapart le témoignage de N’Diaye, éboueur, 23 ans, noir et musulman pratiquant, qui déclarait ne pas s’imaginer travailler jusqu’à 65 ans au vu de la pénibilité de son métier. Avec 1600 euros par mois, il disait beaucoup plus craindre l’augmentation des prix que le racisme de Le Pen et estimait qu’elle ferait plus pour le pouvoir d’achat. Ce témoignage résume beaucoup de chose : le profond rejet que suscite la politique antisociale et autoritaire de Macron, mais aussi le danger de l’extrême droite et du Rassemblement national, qui a su instrumentaliser les inquiétudes populaires en menant campagne sur le pouvoir d’achat avec un programme faussement social et en laissant à Zemmour et Pécresse le soin de répandre ouvertement le racisme et la haine de l’autre durant la campagne. Macron n’est pas le meilleur rempart contre l’extrême droite, il est la meilleure garantie pour que l’extrême droite se renforce.
Le résultat de Mélenchon doit servir de tremplin pour son programme vers les législatives
Au 1er tour, le score du candidat de « l’Union populaire » et de la France Insoumise Jean-Luc Mélenchon a largement dépassé les attentes. Cette campagne, basée sur un programme de gauche de rupture et une campagne ambitieuse, a réussi à mobiliser non seulement des électeurs de gauche déçus par le collaborationnisme d’autres partis (Parti Socialiste -PS-, surtout, mais aussi Europe Écologie Les Verts -EELV- et le Parti communiste -PCF-) dans des gouvernements qui ont appliqué un programme de droite, mais aussi des couches de gens qui ne comptaient à la base pas aller voter, particulièrement parmi les jeunes et dans les banlieues pauvres autour des grandes villes.
Avec 22% au 1er tour, il s’en est fallu d’un cheveu pour que le duel final oppose un candidat de la gauche de rupture à celui de la droite autoritaire. Les partis de gauche (PCF, NPA, LO) qui ont préféré présenter et maintenir une candidature « pour exister » plutôt que de renforcer la dynamique de la campagne de Mélenchon portent une très lourde responsabilité dans le faux choix du 2ème tour Macron vs Le Pen laissé aux électeurs.
Beaucoup avancent l’analyse du « vote utile » venu de gauche qui serait venu renforcer le score de Mélenchon en fin de campagne. Mais début mars, plus d’un mois avant le 1er tour, Mélenchon plafonnait à 12% dans les sondages, pendant que les autres candidats de gauche ou dits de gauche ont vu leur score attendu se confirmer dans les urnes ou au maximum très légèrement baisser. En réalité, le score de Mélenchon a bien plus à voir avec le rejet des politiques portées par la plupart des autres et par la volonté de mettre sur pieds un programme social et écologique qui rompt avec la politique en faveur d’une minorité d’ultra-riches. C’est ainsi que, au-delà d’électeurs traditionnels de gauche, des personnes prévoyant de s’abstenir ont été mobilisées par cette candidature, la faisant grimper de 5 points entre les derniers sondages l’avant-veille et le scrutin lui-même. Les électeurs de Mélenchon qui ont le plus subi de plein fouet la politique de Macron – dans les départements et régions d’outre-mer, parmi les ouvriers, parmi les plus pauvres – ont proportionnellement plus voté en faveur de Le Pen au second tour pour faire barrage à Macron, alors que dans les grands villes et parmi la jeunesse, les électeurs de Mélenchon au premier tour ont proportionnellement plus fait barrage à Le Pen.
Cette candidature a puissamment contredit tous ceux qui espéraient que la percée de Mélenchon en 2017 n’était qu’un accident de parcours de même que ceux qui sont entrés dans cette campagne électorale avec désespoir et en étant saisi par le défaitisme. Au soir du premier tour, trois blocs politiques ont émergés : le premier -en très nette diminution-, autour de la droite néolibérale et autoritaire ; le deuxième -en augmentation-, avec l’extrême droite, dont la composante Le Pen a su parler à des couches plus populaires délaissées par le système (particulièrement dans les milieux plus ruraux et les anciens bastions du PCF) ; le troisième -en augmentation et avec une forte marge potentielle de progression-, autour d’une gauche de rupture.
Dès que les résultats du 1er tour ont été connus, Mélenchon a appelé à « ne pas donner une seule voix à Le Pen » tout en soulignant de rester mobilisés dans la perspective des élections législatives des 12 et 19 juin : « compte tenu des positions prises par les deux protagonistes, le second tour empêche les ruptures indispensables, vitales, pour répondre à la triple crise écologique, sociale et démocratique. Aucune des tensions politiques du pays ne sera résolue. Tout au contraire, elles seront probablement aggravées. » Dès que la victoire de Macron a été connue, il a déclaré : « Vous pouvez battre Monsieur Macron et choisir un autre chemin. Le 12 et 19 juin, un autre monde est encore possible si vous élisez une majorité de députés de la nouvelle union populaire qui doit s’élargir. »
La France Insoumise entend unir la gauche pour emporter le « troisième tour » électoral et imposer ainsi une cohabitation à Macron en construisant une majorité alternative de députés aux législatives du 12 juin pour appliquer un autre type de politique. Cette « Union populaire » vise à regrouper organisations politiques, personnalités politiques, syndicales, associatives, culturelles,… autour d’un programme reposant sur des sujets défendus par le programme de Mélenchon, « L’Avenir en Commun ». Parmi ces points de programme non négociables, on trouve : la retraite à 60 ans, l’abrogation de la loi El Khomri et des contre-réformes du code du travail et de l’assurance chômage, l’augmentation du SMIC à 1400 euros net, l’allocation d’autonomie jeunesse et la garantie dignité à hauteur de 1063 euros par mois, le blocage des prix des produits de 1ère nécessité, la planification écologique et la règle verte, la fin de la monarchie présidentielle avec la 6ème République et le référendum d’initiative citoyenne, le développement des services publics, le refus de leur privatisation ou la fin de leur ouverture à la concurrence, l’engagement à consacrer 1 milliard d’euros contre les violences faites aux femmes, une fiscalité plus juste avec notamment le rétablissement de l’ISF et l’abrogation de la flat tax, l’abrogation des lois séparatisme, sécurité globale et du pass sanitaire et la désobéissance avec les règles européennes incompatibles avec ces propositions. « C’est le socle minimal de tout, pas un désaccord n’est possible ».
Des négociations ont directement été ouvertes avec EELV (4,6% au 1er tour), le PCF (2,3%) et le NPA (0,8%). Les discussions semblent bien engagées avec le PCF, bien que celui-ci semble revendiquer davantage de circonscriptions. Du côté d’EELV, les tensions sont vives entre ses différentes composantes, reflétées par la primaire de septembre gagnée par le représentant de l’aile libérale Yannick Jadot avec seulement 51% face à Sandrine Rousseau, qui portait un programme davantage social et écologique.
Le PS n’a pas été invité aux négociations mais son énorme débâcle (1,7%) ne lui a pas laissé d’autre choix qu’au minimum se montrer ouvert et des premières discussions ont commencé. Mais son premier secrétaire Olivier Faure a directement déclaré : « La réforme des retraites que souhaitent les insoumis coûte 72 milliards. Ce que je dis, c’est que cet argent peut aussi être utilisé pour l’éducation ou la transition écologique, je pense qu’on n’a pas besoin de ramener tout le monde à 40 annuités. » Une pirouette qui ne trompe personne et qui illustre les profondes réticences du PS pour une politique sociale. Son prédécesseur, Jean-Christophe Cambadélis, s’est montré encore moins ouvert à la négociation et appelle à l’autodissolution du PS dans un Congrès de refondation à l’automne. L’ancien président François Hollande a quant à lui carrément averti que le PS risquait de « disparaître » en cas d’accord électoral avec La France insoumise. Il défend que le Parti socialiste puisse envisager une autre union avec EELV et le PCF, c’est à dire le “retour” de la “gauche plurielle” qui avait appliqué une politique antisociale sous le gouvernement Jospin et avait subi une humiliante défaite en 2002. En menant à plusieurs reprises des gouvernements qui n’ont pas défendu les intérêts de la classe travailleuse, le PS (tout comme EELV) fait davantage partie du problème que de la solution.
Pour un 3e tour social – créons un rapport de force tant à l’Assemblée Nationale que sur les lieux de travail et dans la rue
Le programme proposé par la France Insoumise ne manque pas de points forts, avec des propositions sociales ambitieuses et une planification écologique pour sortir des énergies carbonées et nucléaires. Mais cela reste un programme réformiste, sans demande de nationalisation sous contrôle et gestion démocratiques des secteurs-clés de l’économie, en se limitant à la création de pôles publics qui devraient être en concurrence avec le marché et soumis à ses diktats. L’aspiration à une 6e République synthétise cette recherche illusoire d’une république sociale en respectant les étroites limites du système capitaliste. C’est là le talon d’Achille des propositions de Mélenchon : en période de crises multiples du capitalisme se renforçant les unes les autres, les défis à affronter exige que le mouvement ouvrier mobilise toutes les forces productives qui existent dans la société pour y faire face. Mieux vaudrait que cela soit ouvertement clarifié afin de commencer dès maintenant à construire les relations de forces dont nous avons besoin, certainement dans les élections législatives, mais aussi et surtout sur les lieux de travail, dans les écoles et les universités ainsi que dans nos quartiers. C’est surtout dans la rue que l’on peut obtenir des victoires, tout en utilisant en tant que force d’appui les plateformes parlementaires et la visibilité médiatique que cela offre.
« Le Pen n’a pas été élue au pouvoir, et maintenant faisons en sorte que Macron n’y reste pas » C’est avec ce mot d’ordre que la France Insoumise a lancé sa campagne pour imposer un gouvernement de gauche de rupture au président Macron en faisant élire Mélenchon 1er ministre. Cette campagne a le mérite de, dès l’entre-deux-tours, donner la perspective de la bataille suivante vers les législatives, ainsi que de tenter de ne pas se limiter à un travail d’opposition et au contraire de tenter d’appliquer les points de programmes qu’un gouvernement pourrait se permettre de mettre en œuvre.
Mais sans véritable rapport de force sociétal en faveur de la classe travailleuse, il sera difficile non seulement de mobiliser suffisamment de potentiels abstentionnistes, mais aussi d’appliquer un tel programme, une fois élus. À l’aide des syndicats, organisations de gauche et associations, il faut construire un rapport de force conséquent dans la rue et sur les lieux de travail pour parvenir à imposer même ces revendications limitées et faire face à la réaction de la classe dominante, qui fera tout pour empêcher une véritable politique de rupture à gauche.
C’est ainsi que le 3e tour social pourra être construit : par la lutte dans la rue, les entreprises et les quartiers contre la politique de Macron qui encourage l’extrême droite en augmentant les inégalités et la précarisation ; qui brutalise les mouvements de protestations, les populations d’origine africaines, d’Outre-Mer et musulmanes et les jeunes ; et qui approfondit le dérèglement climatique.
Une telle lutte de grande ampleur est la meilleure manière pour imposer une présence fracassante de députés de gauche de rupture à l’Assemblée Nationale et pour la politique sociale et écologique que pourra mener l’Union populaire si une majorité alternative peut être atteinte ; ou, du moins, pour riposter contre chaque attaque qu’un gouvernement aux ordres de Macron cherchera à faire passer et pour créer une rapport de force favorable à la classe travailleuse, sur lequel les travailleuses et travailleurs ainsi que la jeunesse pourront s’appuyer dans chacune de leur lutte ces prochains mois
Avec sa position hégémonique à gauche, de grands défis font face à La France Insoumise. Un grand danger est constitué par celles et ceux qui vont maintenant ouvertement lorgner avec opportunisme vers Mélenchon, à l’exemple de Ségolène Royal. En Grèce aussi, quand Syriza avait supplanté le Pasok, nombre de carriéristes sociaux-démocrates avaient frappé aux portes de la formation de gauche et avaient accéléré le processus de transformation de ce Syriza en parti soumis aux marchés. La meilleure manière de repousser ces opportunistes, c’est d’accentuer l’implication de la France Insoumise dans les luttes de la rue et de renforcer considérablement l’organisation démocratique de la FI autour de ses groupes de base. A terme, cela pourrait poser la base de la création d’un véritable outil politique des travailleuses et des travailleurs de même que des opprimés, un parti large de combat, avec une participation démocratique à la base qui détermine l’orientation de cet outil pour réellement réaliser ce qui est objectivement requis pour toute la classe travailleuse : la construction d’une tout autre société, une société socialiste démocratique.
