Blog

  • MAS/LSP et CAP: les deux sont nécessaires et possibles!

    Si le Comité pour une Autre Politique (CAP) participe aux élections du 10 juin, cette date marquera peut-être le point de départ pour un nouveau parti de gauche combatif traduisant le mécontentement dans la population face à la politique néolibérale.

    Eric Byl

    Le MAS/LSP s’est engagé dans le CAP depuis le début. En général, parmi les membres du CAP, l’appréciation de notre travail est très positive. En revanche, dans les milieux de la gauche radicale et intellectuelle, la méfiance est importante. Si les répercussions en sont limitées, elles peuvent néanmoins générer une méfiance nuisible à la construction du CAP. C’est pourquoi nous tenons à éclaircir les choses dans cet article.

    Au sein du CAP, il est clair que les militants de LSP/MAS accomplissent énormément de travail. S’il faut louer, installer ou ranger une salle, imprimer un tract, tenir un bar, organiser des interventions de rue,… ce sont souvent les militants du MAS/LSP qui s’en chargent. Ils jouent aussi un rôle important dans la récolte des signatures, l’écriture du programme, l’organisation des sections locales,… Et cela ne passe pas inaperçu. En général, l’appréciation est positive, surtout parmi les travailleurs et leurs familles. Nous remarquons une croissance forte de la vente de notre mensuel, un intérêt grandissant pour nos propositions et un recrutement visible de nouveaux membres, dont beaucoup de jeunes, mais aussi de plus en plus de syndicalistes.

    Ce n’est pas le fruit du hasard. Depuis que la social-démocratie et les syndicats ont largement abandonné le militantisme pour des campagnes publicitaires et des actions symboliques, le savoir-faire militant se fait rare à gauche. Or, un nouveau parti ne se construit pas du néant. Soit comme Duchatelet (Vivant) ou Dedecker (fraîchement viré du VLD), on dispose de moyens financiers considérables, soit il faut s’appuyer sur la force conjuguée d’une série de petites contributions. Mais, pour cela, il faut des militants. Une grande partie de l’énergie du MAS/LSP et des indépendants au sein du CAP vise à réunir une couche large de militants au sein du CAP qui seront la chair d’un tel parti.

    Cela signifie-t-il que le MAS/LSP souhaite se dissoudre au sein du CAP comme certains l’affirment ? Ou bien que le MAS/LSP veut faire du CAP un simple MAS/LSP+ comme d’autres le prétendent ? Ni l’un ni l’autre.

    Depuis ‘95 déjà, le MAS/LSP défend l’idée d’un nouveau parti des travailleurs qui regroupe tous les courants qui s’opposent au néolibéralisme. Nous pensons que c’est une condition nécessaire afin de faire participer des couches plus larges aux luttes. Pour une personne qui rejoint directement le MAS/LSP, il y en a 9 qui ne sont pas prêtes à choisir un courant de gauche spécifique mais qui sont ouvertes à rejoindre une formation plus large. C’est avec eux que nous voulons traverser une période d’expérience commune. Certains en tireront des conclusions révolutionnaires, d’autres choisiront des options plus accessibles. Mais, quoi qu’il en soit, on accomplira toujours plus tous ensemble que tous divisés!

    En bref : le MAS/LSP ne se dissoudra pas au sein du CAP ou ne cherchera pas non plus à faire du CAP un parti « semi-révolutionnaire » (un ‘MAS+’). Pour nous, il faut un parti large (CAP) afin de pouvoir mener les luttes de façon plus énergique et, en même temps, un parti révolutionnaire (MAS/LSP) qui défende loyalement son programme et qui – pourquoi pas ? – sur base de la pratique, convainque le CAP ou une partie importante du CAP de son programme révolutionnaire.

    Une telle attitude est la logique même pour la plupart des travailleurs. Au sein de la gauche radicale, une autre logique est en vigueur : celui qui a du succès est automatiquement sectaire et celui qui n’en a pas est un monsieur sympathique. Ceci explique leurs attaques contre le CAP qui ne serait, selon eux, qu’un simple prolongement du MAS/LSP. Nos critiques ne se rendent pas compte qu’ils réduisent ainsi tous les indépendants au sein du CAP à une série de sots qui se laissent manipuler par le MAS/LSP.

    Nous ne revendiquons pas les places principales sur les listes du CAP mais nous sommes prêts à aider loyalement à compléter ces listes si nécéssaire. Nous invitons nos critiques à collaborer de la même manière à la construction du CAP et nous restons ouverts, après les élections, à les accueillir si les résultats les font changer d’avis.

  • Le problème, ce ne sont ni les Flamands, ni les Wallons… Ce sont les patrons!

    Aucun soutien aux propositions communautaires

    Contrairement à l’idée répandue par les partis flamands, les enquêtes de La Libre et du Soir démontrent que la population en a assez du communautaire.

    Anja Deschoemacker

    Il ressort notamment du sondage de La Libre que 48% des Flamands acceptent l’idée d’un premier ministre francophone, que 50% se sentent Belges en premier lieu (34% se sentent avant tout Flamands et 16% avant tout Européens). Seuls 11% des Flamands se prononcent pour l’indépendance de la Flandre (8% selon Le Soir), 15% pour une poursuite de la régionalisation, 23% pour un statu quo et – contrairement à ce que peut laisser croire la domination du nationalisme flamand dans le monde politique traditionnel et les médias – 51% pour un retour à l’Etat unitaire (sans régions et communautés)! (LL, 13/3)

    Alors que les patrons flamands entraînent à leur suite presque tous les partis flamands et les médias dans leur croisade pour une régionalisation accrue sous la bannière de « notre peuple d’abord » (« notre peuple » ne semblant pas inclure les travailleurs flamands et leurs familles mais plutôt les actionnaires et les managers des entreprises), la population flamande est bien moins unanime. A la question « Est-ce que les Wallons freinent la croissance économique de la Flandre », et alors que cette idiotie est répétée tous les jours, seuls 31% répondent « oui » alors que 41% sont contre. (LL, 16/3)

    Les enquêtes montrent que la surenchère des politiciens flamands est non seulement rejetée par les francophones, mais aussi par leur "propre" population. Les politiciens flamands doivent arrêter de parler au nom "des Flamands" quand ils ne parlent qu’en leur nom!

    Mais l’honnêteté et la démocratie ne sont pas des mots qui viennent spontanément à l’esprit quand on pense au nationalisme flamand actuel. En opposition au nationalisme progressif et démocratique d’antan – la lutte contre l’oppression nationale et pour des droits égaux pour chacun – nous assistons aujourd’hui aux éructations d’un nationalisme revanchard et ultra-libéral qui ne résoud aucun des problèmes des travailleurs.

    Historiquement, le mouvement flamand a grandi en réponse aux injustices provoquées par l’élite francophone. Aujourd’hui, l’élite flamande reproduit à longueur de temps toutes les erreurs que celle-ci a commises : la répression linguistique, l’humiliation, l’imposition d’une certaine "culture nationale", les tracasseries persistantes… Les travailleurs flamands et leurs familles ne veulent pas aller plus loin: depuis la régionalisation, de moins en moins d’argent a été investi dans l’enseignement, par exemple. Dans la « Flandre riche », il n’existe pas de moyens suffisants pour assurer un enseignement digne de ce nom à tous les jeunes.

    Il n’est pas pour autant question de suivre la position des partis francophones établis. S’ils ne veulent pas entendre parler de régionalisation, ce n’est pas au nom d’une lutte pour améliorer le sort de la population. Il est toujours question de « front des francophones » derrière des partis qui chaque jour appliquent une politique antisociale au lieu de rechercher la solidarité avec les travailleurs flamands. Derrière leurs discours sur l’unité des francophones (derrière les intérêts des patrons), il y a la même logique de division des travailleurs.

    Le CAP offre actuellement les meilleures chances de devenir un parti qui défende réellement les intérêts, les droits et les acquis des travailleurs en Belgique. Non à la surenchère nationaliste!

  • Socialisme 2007 : journée de discussion et de débat

    Le samedi 31 mars s’est tenu notre journée annuelle de formation et de discussion. Socialisme 2007 a réuni environ 150 travailleurs et jeunes de tout le pays pour deux meetings centraux et une série de discussions dans de plus petits groupes.

    Cette journée a été particulièrement passionante avec beaucoup d’attention accordée au développement ultérieur du Comité pour une Autre Politique (CAP). Les différentes commissions ont abordé les différents thèmes de discussion plus en profondeur.

    La journée a commencé avec un meeting où quelques orateurs ont brièvement abordé des aspects spécifiques de notre fonctionnement. Jan Vlegels a ainsi parlé de nos activités antiracistes avec, entre autres, la récente manifestation anti-NSV à Anvers. Jo Coulier a parlé au sujet de la lutte contre les assainissements dans l’enseignement tandis que Laure Miège a pris la parole au nom de la commission femme du MAS/LSP et que Jeroen Demuynck a développé nos campagnes étudiantes. Enfin, Alex Rouillard, de France, est intervenu sur la nécessité de s’organiser sur le plan international contre le capitalisme.

    Après le meeting, il était possible de participer à l’une des 10 commissions autour de différents thèmes : de la lutte syndicale à la santé publique en passant par l’histoire de la révolution russe et celle du trotskisme en Belgique. Chacun a ainsi pu trouver un thème qui a éveillé son intérêt.

    La journée a été clôturée par un meeting dans lequel les orateurs ont commenté la nécessité d’une alternative politique et le développement futur du CAP. Jef Sleeckx a dû malheureusement s’excuser, il a dû participer à une fête à Mol, mais a précisé qu’il trouvait particulièrement regrettable de ne pas être présent à Socialisme 2007. Bart Vandersteene (LSP), Daniel Lebleu (ex-travailleur à VW-Forest et actif au sein du CAP) et Gustave Dache (ancien syndicaliste à Caterpillar et maintenant actif dans le CAP comme trotskiste indépendant) ont parlé pendant qu’Anja Deschoemacker animait la conversation.

    La conclusion principale a été la grande volonté d’aller de l’avant mettre dans la construction d’une alternative politique. Un gigantesque enthousiasme était présent lors de cette journée, et il était clair que la nécessité de transmettre dans le concrêt cet enthousiasme était compréhensible de tous.

  • Batibouw se recycle. Quelle politique du logement?

    Batibouw 2007 a fermé ses portes le 4 mars. Ce salon de la construction résidentielle a une nouvelle fois battu tous les records d’affluence avec pas moins de 360.000 visiteurs.

    Thierry Pierret

    Il faut dire que le secteur de la construction résidentielle se porte bien en Belgique. Ce boum de la construction est dû pour une large part à la soif de profit des investisseurs qui acquièrent un maximum de petits appartements flambant neufs à des fins purement spéculatives. Ils anticipent l’évolution démographique qui voit s’accroître le nombre d’isolés et de familles monoparentales. Il est également vrai que des taux d’intérêt historiquement bas ont incité bon nombre de ménages à acheter ou à faire construire leur logement.

    Un marché juteux

    Les prix du logement augmentent chaque année en Belgique. En 2006, les prix moyens des maisons et des appartements ont atteint respectivement 190.000 € (+ 7,6%) et 147.000 € (+ 8,3%) d’après le rapport d’ERA, un réseau d’agences immobilières. Cette situation a poussé les banques à proposer des formules de crédit de plus en plus souples pour appâter les candidats-acquéreurs.

    Certaines banques prévoient même la possibilité d’étaler les remboursements sur 40 ans pour avoir une mensualité plus basse. C’est tout bénéfice pour les banques qui augmentent ainsi leur marge bénéficiaire. De plus, cette « facilité » est toujours liée à l’obligation de prendre des assurances ou d’autres produits financiers dans la banque qui fait le prêt.

    La construction verte: luxe ou nécessité?

    Les moyens d’économiser l’énergie domestique suscitent un intérêt croissant. Par exemple, il y a des « maisons passives » qui ne nécessitent presque pas d’apport énergétique extérieur. Mais leur construction coûte 20% plus cher que celle des maisons classiques. Les incitants fiscaux décidés par le dernier Conseil des ministres à Louvain ne profiteront qu’à ceux qui gagnent suffisamment pour pouvoir avancer l’argent. L’enjeu est pourtant de taille: le secteur du logement est responsable de 25% des gaz à effet de serre!

    Ecolo critique à juste titre la timidité des mesures du gouvernement. Les Verts proposent que l’Etat avance l’argent pour les travaux d’isolation des habitations individuelles ; il se rembourserait ensuite sur les économies d’énergie réalisées par les ménages. Ecolo prétend que c’est une mesure financièrement neutre pour l’Etat comme pour les ménages. Mais les Verts veulent la financer en regroupant les fonds énergétiques existants, y compris le fonds de fermeture des centrales nucléaires. Cela signifie qu’il faudrait reconstituer ce fonds avec l’argent des contribuables. Les travailleurs et leurs familles paieraient donc une deuxième fois!

    Pour une politique socialiste du logement

    Le logement est le premier poste de dépense des ménages. C’est même le premier facteur d’inclusion ou d’exclusion dans la société. C’est aussi un enjeu écologique majeur. Autant de raisons de le soustraire aux forces du marché.

    Il ne s’agit évidemment pas de nationaliser le parc des logements privés, mais bien le secteur de la construction. La création d’un service public de la construction résidentielle est un préalable à la mise en œuvre d’un Plan national du logement sur base d’un cadastre complet des besoins. Cela permettrait d’augmenter massivement l’offre de logements publics de qualité à loyer modéré et à basse consommation d’énergie, ainsi que de rénover le parc de logements privés selon les normes écologiques à un coût raisonnable pour leurs propriétaires.

    Ce n’est qu’ainsi que le logement cessera d’être une cause majeure de pauvreté et d’émission de gaz à effet de serre.

  • A ne pas rater… Cet été, de nouveau un camp jeunes !

    A partir du 4 juillet, et jusqu’au 8, Résistance Internationale, Etudiants de Gauche Actifs et Blokbuster organisent leur camp d’été annuel. Lors de ce camp, des jeunes de tout le pays se réuniront pour des discussions politiques ainsi que pour échanger leurs expériences dans la lutte contre le racisme, le capitalisme, la guerre… et pour se détendre un peu après une année active.

    Jeroen Demuynck

    Avec RI, EGA et Blokbuster nous construisons des campagnes combatives par et pour les jeunes. Ces campagnes sont capables d’organiser la lutte contre les problèmes auxquels les jeunes sont confontés.

    Depuis des années, nous saisissons l’occasion des vacances d’été pour discuter du contenu de ces problèmes, échanger nos expériences et organiser la lutte.

    Le camp d’été aura lieu du 4 au 8 juillet à Ruiselede (Flandre Occidentale). Quinze ateliers sont au programme avec des discussions sur des thèmes tels que le racisme, l’impérialisme, l’Amérique Latine, l’environnement, les femmes, les discriminations des minorités sexuelles, le socialisme,… Le samedi soir, des membres du CAP viendront pour un meeting sur la nécessite d’un prolongement politique, également dans le cadre des luttes de la jeunesse.

    La détente ne sera pas en reste avec du sport, un film, un barbecue et une soirée le samedi soir, entre autres activités.

    La lutte contre l’injustice et pour une meilleure société doit être organisée dès aujourd’hui. Construisons EGA, RI, et Blokbuster!

    Infos pratiques:

    – Le camp d’été aura lieu à Ruiselede. Rendez-vous le 4 juillet à la gare d’Aelter.

    – Accueil, inscription et installation des tentes: le 4 juillet à partir de midi (apportez tente, sac de couchage et matelas). La clôture est prévue pour le dimanche 8 juillet à midi. – prix: 25 euros pour les quatre jours entiers : cela comprend le logement, l’infrastructure et les repas. (paiement via bulletin de versement sur 001-2260393-78 avec mention ’camp 2007’)

    -information et inscription: 02/345.61.81 ou 0472/29.91.92

  • La révolution russe.

    (conférence donnée par Léon Trotsky, en 1932 à Copenhague)

    Léon Trotsky

    « Chers auditeurs, permettez-moi dès le début d’exprimer le regret sincère de ne pas avoir la possibilité de parler en langue danoise devant un auditoire de Copenhague. Ne nous demandons pas si les auditeurs ont quelque chose à y perdre. En ce qui concerne le conférencier, l’ignorance de la langue danoise lui dérobe toutefois la possibilité de suivre la vie scandinave et la littérature scandinave directement, de première main et dans l’original. Et cela est une grande perte !

    La langue allemande à laquelle je suis contraint de recourir ici est puissante et riche. Mais ma “langue allemande” est assez limitée. Du reste, sur des questions compliquées on ne peut s’expliquer avec la liberté nécessaire que dans sa propre langue. Je dois par conséquent demander par avance l’indulgence de l’auditoire.

    Je fus pour la première fois à Copenhague au Congrès socialiste international et j’emportais avec moi les meilleurs souvenirs de votre ville. Mais cela remonte à près d’un quart de siècle. Dans le Ore-sund et dans les fjords, l’eau a depuis plusieurs fois changé. Mais pas l’eau seulement. La guerre a brisé la colonne vertébrale du vieux continent européen. Les fleuves et les mers de l’Europe ont charrié avec eux beaucoup de sang humain. L’humanité, en particulier sa partie européenne, est passée à travers de dures épreuves, est devenue plus sombre et plus rude. Toutes les formes de lutte sont devenues plus âpres. Le monde est entré dans une époque de grands changements. Ses extériorisations extrêmes sont la guerre et la révolution.

    Avant de passer au thème de ma conférence — à la Révolution russe — j’estime devoir exprimer mes remerciements aux organisateurs de la réunion, l’Association de Copenhague des étudiants sociaux-démocrates. Je le fais en tant qu’adversaire politique. Il est vrai que ma conférence poursuit des tâches scientifiques-historiques et non des tâches politiques. Je le souligne aussitôt dès le début. Mais il est impossible de parler d’une révolution d’où est sortie la République des Soviets sans occuper une position politique. En ma qualité de conférencier, mon drapeau reste le même que celui sous lequel j’ai participé aux événements révolutionnaires.

    Jusqu’à la guerre, le parti bolchévique appartint à la social-démocratie internationale. Le 4 août 1914, le vote de la social-démocratie allemande en faveur des crédits de guerre a mis une fois pour toutes une fin à ce lien et a conduit à l’ère de la lutte incessante et intransigeante du bolchevisme contre la social-démocratie. Cela doit-il signifier que les organisateurs de cette réunion commirent une erreur en m’invitant comme conférencier ?

    Là-dessus, l’auditoire sera en état de juger seulement après ma conférence. Pour justifier mon acceptation de l’invitation aimable à faire un exposé sur la Révolution russe, je me permets de rappeler que pendant les 35 années de ma vie politique, le thème de la Révolution russe constitua l’axe pratique et théorique de mes préoccupations et de mes actions. Peut-être cela me donne-t-il un certain droit d’espérer que je réussirai à aider non seulement mes amis et amis d’idées, mais aussi des adversaires, du moins en partie, à mieux saisir maints traits de la Révolution qui jusqu’à aujourd’hui échappaient à leur attention. Toutefois, le but de ma conférence est d’aider à comprendre. Je ne me propose pas ici de propager la Révolution ni d’appeler à la Révolution, je veux l’expliquer.

    La Révolution signifie un changement du régime social. Elle transmet le pouvoir des mains d’une classe qui s’est épuisée entre les mains d’une autre classe en ascension. L’insurrection constitue le moment le plus critique et le plus aigu dans la lutte de deux classes pour le pouvoir. Le soulèvement ne peut mener à la victoire réelle de la révolution et à l’érection d’un nouveau régime que dans le cas où il s’appuie sur une classe progressive qui est capable de rassembler autour d’elle la majorité écrasante du peuple.

    A la différence des processus de la nature, la Révolution est réalisée par des hommes au moyen des hommes. Mais dans la Révolution aussi, les hommes agissent sous l’influence des conditions sociales qui ne sont pas librement choisies par eux, mais qui sont héritées du passé et qui leur montrent impérieusement la voie. C’est précisément à cause de cela, et rien qu’à cause de cela que la Révolution a ses propres lois.

    Mais la conscience humaine ne reflète pas passivement les conditions objectives. Elle a l’habitude de réagir activement sur celles-ci. A certains moments, cette réaction acquiert un caractère de masse, tendu, passionné. Les barrières du droit et du pouvoir sont renversées. Précisément, l’intervention active des masses dans les événements constitue l’élément le plus essentiel de la révolution.

    Mais même l’activité la plus fougueuse peut rester au niveau d’une démonstration, d’une rébellion, sans s’élever à la hauteur de la révolution. Le soulèvement des masses doit mener au renversement de la domination d’une classe et à l’établissement de la domination d’une autre. C’est alors seulement que nous avons une révolution achevée. Le soulèvement des masses n’est pas une entreprise isolée que l’on peut déclencher à son gré. Il représente un élément objectivement conditionné dans le développement de la révolution de même que la révolution est un processus objectivement conditionné dans le développement de la société. Mais les conditions du soulèvement existent-elles, on ne doit pas attendre passivement, la bouche ouverte : dans les affaires humaines aussi, il y a comme le dit Shakespeare, des flux et des reflux : “There is a tide in the affairs of man which, taken at the flood, leads on to fortune.”

    Pour balayer le régime qui se survit, la classe progressive doit comprendre que son heure a sonné, et se poser pour tâche la conquête du pouvoir. Ici s’ouvre le champ de l’action révolutionnaire consciente où la prévoyance et le calcul s’unissent à la volonté et la hardiesse. Autrement dit : ici s’ouvre le champ d’action du parti.

    Le “coup d’Etat”

    Le parti révolutionnaire unit en lui le meilleur de la classe progressiste. Sans un parti capable de s’orienter dans les circonstances, d’apprécier la marche et le rythme des événements et de conquérir à temps la confiance des masses, la victoire de la révolution prolétarienne est impossible. Tel est le rapport des facteurs objectifs et des facteurs subjectifs de la révolution et de l’insurrection.

    Comme vous le savez, dans des discussions, des adversaires — en particulier dans la théologie — ont l’habitude de discréditer fréquemment la vérité scientifique en la poussant à l’absurde. Cette vérité s’appelle même en logique en : Reduction ad absurdum. Nous allons tenter de suivre la voie opposée : c’est-à-dire que nous prendrons comme point de départ une absurdité afin de nous rapprocher plus sûrement de la vérité. En tout cas, on ne peut se plaindre d’un manque d’absurdités. Prenons-en une des plus fraîches et des plus crues.

    L’écrivain italien Malaparte, quelque chose comme un théoricien fasciste — il en existe aussi — a récemment lancé un livre sur la technique du coup d’Etat ; l’auteur consacre bien entendu un nombre de pages non négligeables de son “investigation” à l’insurrection d’Octobre.

    A la différence de la “stratégie” de Lénine qui reste liée aux rapports sociaux et politique de la Russie de 1917, “la tactique de Trotsky n’est — selon les termes de Malaparte — au contraire nullement liée aux conditions générales du pays”. Telle est l’idée principale de l’ouvrage ! Malaparte oblige Lénine et Trotsky, dans les pages de son livre, à conduire de nombreux dialogues dans lesquels les interlocuteurs font tous les deux montre d’aussi peu de profondeur d’esprit que la nature en a mis à la disposition de Malaparte. Aux objections de Lénine sur les prémisses sociales et politiques de l’insurrection, Malaparte attribue à Trotsky soi-disant la réponse littérale suivante : “Votre stratégie exige beaucoup trop de conditions favorables ; l’insurrection n’a besoin de rien, elle se suffit à elle-même”. Vous entendez ? “L’insurrection n’a besoin de rien”. Telle est précisément, chers auditeurs, l’absurdité qui doit nous servir à nous rapprocher de la vérité. L’auteur répète avec persistance qu’en octobre ce n’est pas la stratégie de Lénine mais la tactique de Trotsky qui a triomphé. Cette tactique menace, selon ses propres termes, encore maintenant, la tranquillité des Etats européens. “La stratégie de Lénine — je cite textuellement — ne constitue aucun danger immédiat pour les gouvernements de l’Europe. La tactique de Trotsky constitue pour eux un danger actuel et par conséquent permanent”. Plus concrètement : “Mettez Poincaré à la place de Kerensky et le coup d’Etat bolchévik d’Octobre 1917 eut tout aussi bien réussi”. Il est difficile de croire qu’un tel livre soit traduit en diverses langues et accueilli sérieusement.

    En vain chercherions-nous à approfondir pourquoi en général la stratégie de Lénine dépendant des conditions historiques est nécessaire, si la “tactique de Trotsky” permet de résoudre la même tâche dans toute la situation. Et pourquoi les révolutions victorieuses sont-elles si rares si, pour leur réussite, il ne suffit que d’une paire de recettes techniques ?

    Le dialogue entre Lénine et Trotsky présenté par l’écrivain fasciste est dans l’esprit comme dans la forme une invention inepte du commencement jusqu’à la fin. De telles inventions circulent beaucoup dans le monde. Par exemple maintenant à Madrid un livre est imprimé sous mon nom : La vida del Lenin (“La vie de Lénine”) pour lequel je suis aussi peu responsable que pour les recettes tactiques de Malaparte. L’hebdomadaire de Madrid Estampa présenta de ce soi-disant livre de Trotsky sur Lénine en bonnes feuilles, des chapitres entiers qui contiennent des outrages abominables contre la mémoire de l’homme que j’estimais et que j’estime incomparablement plus haut que quiconque parmi mes contemporains.

    Mais abandonnons les faussaires à leur sort. Le vieux Wilhelm Leibknecht, le père du combattant et héros immortel Karl Leibknecht, aimait répéter : “L’homme politique révolutionnaire doit être pourvu d’une peau épaisse”. Le docteur Stockmann recommandait encore plus clairement à celui qui se propose d’aller à l’encontre de l’opinion sociale de ne pas mettre de pantalons neufs.

    Nous enregistrons ces deux bons conseils, et nous passons à l’ordre du jour.

    Quelles questions la Révolution d’Octobre éveille-t-elle chez un homme qui réfléchit ?

    1) Pourquoi et comment cette révolution a-t-elle abouti ? Plus concrètement : pourquoi la révolution prolétarienne a-t-elle triomphé dans un des pays les plus arriérés d’Europe ?

    2) Qu’a apporté la Révolution d’Octobre ?

    Et enfin :

    3) A-t-elle fait ses preuves ?

    Les causes d’Octobre

    A la première question — sur les causes — on peut déjà maintenant répondre d’une façon plus ou moins complète. J’ai tenté de le faire le plus explicitement dans mon Histoire de la Révolution. Ici, je ne puis que formuler les conclusions les plus importantes.

    Le fait que le prolétariat soit arrivé au pouvoir pour la première fois dans un pays aussi arriéré que l’ancienne Russie tsariste, n’apparaît mystérieux qu’à première vue ; en réalité cela est tout à fait logique. On pouvait le prévoir et on l’a prévu. Plus encore : sur la perspective de ce fait, les révolutionnaires marxistes édifièrent leur stratégie longtemps avant les événements décisifs.

    L’explication première est la plus générale : la Russie est un pays arriéré mais elle n’est seulement qu’une partie de l’économie mondiale, qu’un élément du système capitaliste mondial. En ce sens, Lénine a résolu l’énigme de la Révolution russe par la formule lapidaire : la chaîne est rompue à son maillon le plus faible.

    Une illustration nette : la grande guerre, issue des contradictions de l’impérialisme mondial, entraîna dans son tourbillon des pays qui se trouvaient à des étapes différentes de développement, mais elle posa les mêmes exigences à tous les participants. Il est clair que les charges de la guerre devaient être particulièrement insupportables pour les pays les plus arriérés. La Russie fut la première contrainte à céder le terrain. Mais pour se détacher de la guerre, le peuple russe devait abattre les classes dirigeantes. Ainsi la chaîne de la guerre se rompit à son plus faible chaînon.

    Mais la guerre n’est pas une catastrophe venue du dehors comme un tremblement de terre, c’est, pour parler avec le vieux Clausewitz, la continuation de la politique par d’autres moyens. Pendant la guerre, les tendances principales du système impérialiste du temps de “paix” ne firent que s’extérioriser plus crûment. Plus hautes sont les forces productives générales, plus tendue la concurrence mondiale, plus aigus les antagonismes, plus effrénée la course aux armements, et d’autant plus pénible est la situation pour les participants les plus faibles. C’est précisément pourquoi les pays arriérés occupent les premières places dans la série des écroulements. La chaîne du capitalisme mondial a toujours tendance à se rompre au chaînon le plus faible.

    Si à la suite de quelques conditions extraordinaires ou extraordinairement défavorables (par exemple une intervention militaire victorieuse de l’extérieur ou des fautes irréparables du gouvernement soviétique lui-même) le capitalisme russe était rétabli sur l’immense territoire soviétique, en même temps que lui serait aussi inévitablement rétablie son insuffisance historique, et lui-même serait bientôt à nouveau la victime des mêmes contradictions qui le conduisirent en 1917 à l’explosion. Aucune recette tactique n’aurait pu donner la vie à la Révolution d’Octobre si la Russie ne l’avait portée dans son corps. Le parti révolutionnaire ne peut finalement prétendre pour lui qu’au rôle d’accoucheur qui est obligé d’avoir recours à une opération césarienne.

    On pourrait m’objecter : vos considérations générales peuvent suffisamment expliquer pourquoi la vieille Russie, ce pays où le capitalisme arriéré auprès d’une paysannerie misérable était couronné par une noblesse parasitaire et une monarchie putréfiée, devait faire naufrage. Mais dans l’image de la chaîne, et du plus faible maillon, il manque toujours encore la clé de l’énigme proprement dite : comment dans un pays arriéré, la révolution socialiste pouvait-elle triompher ? Mais l’histoire connaît beaucoup d’exemples de décadence de pays et de cultures avec l’écroulement simultané des vieilles classes pour qui il ne s’est trouvé aucune relève progressiste. L’écroulement de la vieille Russie aurait dû, à première vue, transformer le pays en une colonie capitaliste plutôt qu’en un Etat socialiste.

    Cette objection est très intéressante. Elle nous mène directement au coeur de tout le problème. Et cependant cette objection est vicieuse, je dirais dépourvue de proportion interne. D’une part elle provient d’une conception exagérée en ce qui concerne le retard de la Russie, d’autre part d’une fausse conception théorique en ce qui concerne le phénomène du retard historique en général.

    Les êtres vivants, entre autres les hommes naturellement aussi, traversent suivant leur âge des stades de développement semblables. Chez un enfant normal de 5 ans, on trouve une certaine correspondance entre le poids, le tour de taille et les organes internes. Mais il en est déjà autrement avec la conscience humaine. En opposition avec l’anatomie et la physiologie, la psychologie, celle de l’individu comme celle de la collectivité, se distingue par l’extraordinaire capacité d’assimilation, la souplesse et l’élasticité : en cela même consiste aussi l’avantage aristocratique de l’homme sur sa parenté zoologique la plus proche de l’espèce des singes. La conscience, susceptible d’assimiler et souple, confère comme condition nécessaire du progrès historique aux “organismes” dits sociaux, à la différence des organismes réels, c’est-à-dire biologiques, une extraordinaire variabilité de la structure interne. Dans le développement des nations et des Etats, des Etats capitalistes en particulier, il n’y a ni similitude ni uniformité. Différents degrés de culture, même leurs pôles se rapprochent et se combinent assez souvent dans la vie d’un seul et même pays.

    N’oublions pas, chers auditeurs, que le retard historique est une notion relative. S’il y a des pays arriérés et avancés, il y a aussi une action réciproque entre eux ; il y a la pression des pays avancés sur les retardataires ; il y a la nécessité pour les pays arriérés de rejoindre les pays avancés, de leur emprunter la technique, la science, etc. Ainsi surgit un type combiné du développement : des traits de retard s’accouplent au dernier mot de la technique mondiale et de la pensée mondiale. Enfin, les pays historiquement arriérés, pour surmonter leur retard, sont parfois contraints de dépasser les autres.

    La souplesse de la conscience collective donne la possibilité d’atteindre dans certaines conditions sur l’arène sociale le résultat que l’on appelle dans la psychologie individuelle, “la compensation”. Dans ce sens, on peut dire que la Révolution d’Octobre fut pour les peuples de la Russie un moyen héroïque de surmonter leur propre infériorité économique et culturelle.

    Mais passons sur ces généralisations historico-politiques, peut-être quelque peu trop abstraites, pour poser la même question sous une forme plus concrète, c’est-à-dire à travers les faits économiques vivants. Le retard de la Russie au XXème siècle s’exprime le plus clairement ainsi : l’industrie occupe dans le pays une place minime en comparaison du village, le prolétariat en comparaison de la paysannerie. Dans l’ensemble, cela signifie une faible productivité du travail national. Il suffit de dire qu’à la veille de la guerre, lorsque la Russie tsariste avait atteint le sommet de sa prospérité, le revenu national était 8 à 10 fois plus bas qu’aux Etats-Unis. Cela exprime numériquement “l’amplitude” du retard, si l’on peut en général se servir du mot amplitude en ce qui concerne le retard.

    En même temps la loi du développement combiné s’exprime dans le domaine économique à chaque pas dans les phénomènes simples comme dans les phénomènes complexes. Presque sans routes nationales, la Russie se vit obligée de construire des chemins de fer. Sans être passée par l’artisanat européen et la manufacture, la Russie passa directement aux entreprises mécaniques. Sauter les étapes intermédiaires, tel est le sort des pays arriérés.

    Tandis que l’économie paysanne restait fréquemment au niveau du 17ème siècle, l’industrie de la Russie, si ce n’est par sa capacité du moins par son type, se trouvait au niveau des pays avancés et dépassait ceux-ci sous maints rapports. Il suffit de dire que les entreprises géantes avec plus de mille ouvriers occupaient aux Etats-Unis moins de 18% du total des ouvriers industriels, et par contre en Russie plus de 41%. Ce fait se laisse mal concilier avec la conception banale du retard économique de la Russie. Toutefois, il ne contredit pas le retard, il complète dialectiquement celui-ci.

    La structure de classe du pays portait aussi le même caractère contradictoire. Le capital financier de l’Europe industrialisa l’économie russe à un rythme accéléré. La bourgeoisie industrielle acquit aussitôt un caractère de grand capitalisme, ennemi du peuple. De plus, les actionnaires étrangers vivaient hors du pays. Par contre, les ouvriers étaient bien entendu des Russes. Une bourgeoisie russe numériquement faible qui n’avait aucune racine nationale se trouvait de cette manière opposée à un prolétariat relativement fort avec de fortes et profondes racines dans le peuple.

    Au caractère révolutionnaire du prolétariat contribua le fait que la Russie — précisément comme pays arriéré obligé de rejoindre les adversaires — n’était pas arrivée à élaborer un conservatisme social ou politique propre. Comme pays le plus conservateur de l’Europe, même du monde entier, le plus ancien pays capitaliste, l’Angleterre me donne raison. Le pays d’Europe le plus libéré du conservatisme pouvait bien être la Russie.

    Le prolétariat russe, jeune, frais, résolu, ne constituait cependant toujours qu’une minorité infime de la nation. Les réserves de sa puissance révolutionnaire se trouvaient en dehors du prolétariat même : dans la paysannerie, vivant dans un semi-servage, et dans les nationalités opprimées.

    La paysannerie

    La question agraire constituait la base de la révolution. L’ancien servage Etatique-monarchique était doublement insupportable dans les conditions de la nouvelle exploitation capitaliste. La communauté agraire occupait environ 140 millions de déciatines. A trente mille gros propriétaires fonciers, dont chacun possédait en moyenne plus de 2 000 déciatines, revenait un total de 70 millions de déciatines, c’est-à-dire autant qu’à environ 10 millions de familles paysannes, ou 50 millions d’êtres formant la population agraire. Cette statistique de la terre constituait un programme achevé du soulèvement paysan.

    Un noble, Boborkin, écrivit en 1917 au Chambellan Rodzianko, le président de la dernière Douma d’Etat : “Je suis un propriétaire foncier et il ne me vient pas à l’idée que je doive perdre ma terre, et encore pour un but incroyable, pour expérimenter l’enseignement socialiste”. Mais les révolutions ont précisément pour tâches d’accomplir ce qui ne pénètre pas dans les classes dominantes.

    A l’automne 1917, presque tout le pays était atteint par le soulèvement paysan. Sur 621 districts de la vieille Russie, 482 — c’est à dire 77% — étaient touchés par le mouvement. Le reflet de l’incendie du village illuminait l’arène du soulèvement dans les villes.

    Mais la guerre paysanne contre les propriétaires fonciers, allez-vous m’objecter, est un des éléments classiques de la révolution bourgeoise et pas du tout de la révolution prolétarienne !

    Je réponds : tout à fait juste, il en fut ainsi dans le passé ! Mais c’est précisément l’impuissance de vie de la société capitaliste dans un pays historiquement arriéré qui s’exprime en cela même, que le soulèvement paysan ne pousse pas en avant les classes bourgeoises de la Russie, mais au contraire les rejette définitivement dans le camp de la réaction. Si la paysannerie ne voulait pas sombrer, il ne lui restait rien d’autre que l’alliance avec le prolétariat industriel. Cette jonction révolutionnaire des deux classes opprimées, Lénine la prévit génialement, et la prépara de longue main.

    Si la question agraire avait été résolue courageusement par la bourgeoisie, alors, assurément le prolétariat russe n’aurait nullement pu arriver au pouvoir en 1917. Venue trop tard, tombée précocement en décrépitude, la bourgeoisie russe, cupide et lâche, n’osa cependant pas lever la main contre la propriété féodale. Ainsi, elle remit le pouvoir au prolétariat, et en même temps le droit de disposer du sort de la société bourgeoise.

    Afin que l’Etat soviétique se réalise, l’action combinée de deux facteurs de nature historique différente était par conséquent nécessaire : la guerre paysanne, c’est-à-dire un mouvement qui est caractéristique de l’aurore du développement bourgeois, et le soulèvement prolétarien qui annonce le déclin du mouvement bourgeois. En cela même réside le caractère combiné de la Révolution russe.

    Qu’il se dresse une fois sur ses pattes de derrière, et l’ours paysan devient redoutable dans son emportement. Cependant il n’est pas en état de donner à son indignation une expression consciente. Il a besoin d’un dirigeant. Pour la première fois dans l’histoire du monde, la paysannerie insurgée a trouvé dans la personne du prolétariat un dirigeant loyal.

    4 millions d’ouvriers de l’industrie et des transports dirigent 100 millions de paysans. Tel fut le rapport naturel et inévitable entre le prolétariat et la paysannerie dans la révolution.

    La question nationale

    La seconde réserve révolutionnaire du prolétariat était constituée par les nations opprimées, d’ailleurs à composition paysanne prédominante également. Le caractère extensif du développement de l’Etat, qui s’étend comme une tache de graisse du centre moscovite jusqu’à la périphérie, est étroitement lié au retard historique du pays. A l’est, il subordonne les populations encore plus arriérées pour mieux étouffer, en s’appuyant sur elles, les nationalités plus développées de l’ouest. Aux 10 millions de grands-russes qui constituaient la masse principale de la population, s’adjoignaient successivement 90 millions d’“allogènes”.

    Ainsi se composait l’empire dans la composition duquel la nation dominante ne constituait que 43% de la population, tandis que les autres 57% relevaient de nationalités de culture et de régime différents. La pression nationale était en Russie incomparablement plus brutale que dans les Etats voisins, et à vrai dire non seulement de ceux qui étaient de l’autre côté de la frontière occidentale, mais aussi de la frontière orientale. Cela conférait au problème nationale une force explosive énorme.

    La bourgeoisie libérale russe ne voulait, ni dans la question nationale, ni dans la question agraire, aller au-delà de certaines atténuations du régime d’oppression et de violence. Les gouvernements “démocratiques” de Milioukov et de Kerensky qui reflétaient les intérêts de la bourgeoisie et de la bureaucratie grand-russe se hâtèrent au cours des huit mois de leur existence précisément de le faire comprendre aux nations mécontentes : vous n’obtiendrez que ce que vous arracherez par la force.

    Lénine avait très tôt pris en considération l’inévitabilité du développement du mouvement national centrifuge. Le parti bolchévique lutta durant des années opiniâtrement pour le droit d’autodétermination des nations, c’est-à-dire pour le droit à la complète séparation étatique. Ce n’est que par cette courageuse position dans la question nationale que le prolétariat russe put gagner peu à peu la confiance des populations opprimées. Le mouvement de libération nationale, comme aussi le mouvement paysan se tournèrent forcément contre la démocratie officielle, fortifièrent le prolétariat, et se jetèrent dans le lit de l’insurrection d’Octobre.

    La révolution permanente

    Ainsi se dévoile peu à peu devant nous l’énigme de l’insurrection prolétarienne dans un pays historiquement arriéré.

    Longtemps avant les événements, les révolutionnaires marxistes ont prévu la marche de la révolution et le rôle historique du jeune prolétariat russe. Peut-être me permettra-t-on de donner ici un extrait de mon propre ouvrage sur l’année 1905 :

    “(…) Dans un pays économiquement plus arriéré, le prolétariat peut arrivé plus tôt au pouvoir que dans un pays capitaliste avancé.

    “(…) La révolution russe crée (…) de telles conditions dans lesquelles le pouvoir peut passer (et avec la victoire de la révolution, doit passer) au prolétariat, même avant que la politique du libéralisme bourgeois ait eu la possibilité de déployer dans toute son ampleur son génie étatique.

    “(…) Le sort des intérêts révolutionnaires les plus élémentaires de la paysannerie (…) se noue au sort de toute la révolution, c’est-à-dire au sort du prolétariat. Le prolétariat arrivant au pouvoir apparaîtra à la paysannerie comme le libérateur de classe.

    “(…) Le prolétariat entre au gouvernement comme représentant révolutionnaire de la nation, comme dirigeant reconnu du peuple en lutte contre l’absolutisme et la barbarie du servage.

    “(…) Le régime prolétarien devra dès le début se prononcer pour la solution de la question agraire à laquelle est liée la question du sort de puissantes masses populaires de la Russie.”

    Je me suis permis d’apporter cette citation pour témoigner que la théorie de la Révolution d’Octobre présentée aujourd’hui par moi n’est pas une improvisation rapide, et ne fut pas construite après coup sous la pression des événements. Non, elle fut émise sous la forme d’un pronostic politique longtemps avant l’insurrection d’Octobre. Vous serez d’accord que la théorie n’a de valeur en général que dans la mesure où elle aide à prévoir le cours du développement, et à influencer vers ses buts. En cela même consiste, pour parler de façon générale, l’importance inestimable du marxisme comme arme d’orientation sociale et historique. Je regrette que le cadre étroit de l’exposé ne me permette pas d’étendre la citation précédente d’une façon plus large, c’est pourquoi je me contente d’un court résumé de tout l’écrit de l’année 1905.

    D’après ses tâches immédiates, la Révolution russe est une révolution bourgeoise. Mais la bourgeoisie russe est anti-révolutionnaire. Par conséquent la victoire de la révolution n’est possible que comme victoire du prolétariat. Or, le prolétariat victorieux ne s’arrêtera pas au programme de la démocratie bourgeoise, il passera au programme du socialisme. La Révolution russe deviendra la première étape de la révolution socialiste mondiale.

    Telle était la théorie de la révolution permanente, édifiée par moi en 1905 et depuis exposée à la critique la plus acerbe sous le nom de “trotskysme”.

    Pour mieux dire : ce n’est qu’une partie de cette théorie. L’autre, maintenant particulièrement d’actualité, exprime :

    Les forces productives actuelles ont depuis longtemps dépassé les barrières nationales. La société socialiste est irréalisable dans les limites nationales. Si importants que puissent être les succès économiques d’un Etat ouvrier isolé, le programme du “socialisme dans un seul pays” est une utopie petite bourgeoise. Seule une Fédération européenne, et ensuite mondiale, de républiques socialistes, peut ouvrir la voie à une société socialiste harmonieuse.

    Aujourd’hui, après l’épreuve des événements, je vois moins de raisons que jamais de me dédire de cette théorie.

    Le bolchévisme

    Après tout ce qui vient d’être dit, est-il encore la peine de se souvenir de l’écrivain fasciste Malaparte, qui m’attribue une tactique indépendante de la stratégie et découlant de recettes insurrectionnelles techniques qui seraient applicables toujours et sous tous les méridiens ? Il est du moins bon que le nom du malheureux théoricien du coup d’Etat permette de le distinguer sans peine du praticien victorieux du coup d’Etat : personne ne risque ainsi de confondre Malaparte avec Bonaparte.

    Sans le soulèvement du 7 novembre 1917, l’Etat soviétique n’existerait pas. Mais le soulèvement même n’était pas tombé du ciel. Pour la Révolution d’Octobre, une série de prémisses historiques était nécessaire.

    1° La pourriture des anciennes classes dominantes, de la noblesse, de la monarchie, de la bureaucratie ;

    2° La faiblesse politique de la bourgeoisie qui n’avait aucune racine dans les masses populaires ;

    3° Le caractère révolutionnaire de la question agraire ;

    4° Le caractère révolutionnaire du problème des nationalités opprimées ;

    5° Le poids social imposant du prolétariat.

    A ces prémisses organiques, on doit ajouter des conditions conjoncturelles hautement importantes :

    6° La Révolution de 1905 fut la grande école ou, selon l’expression de Lénine, la “répétition générale” de la Révolution de 1917. Les soviets, comme forme d’organisation irremplaçable du front unique prolétarien dans la révolution, furent constitués pour la première fois en 1905 ;

    7° La guerre impérialiste aiguisa toutes les contradictions, arracha les masses arriérées à leur état d’immobilité, et prépara ainsi le caractère grandiose de la catastrophe ;

    Mais toutes ces conditions qui suffisaient complètement pour que la Révolution éclate, étaient insuffisantes pour assurer la victoire du prolétariat dans la Révolution. Pour cette victoire, une condition était encore nécessaire :

    8° Le parti bolchévique.

    Si j’énumère cette condition comme la dernière de la série, ce n’est que parce que cela correspond à la conséquence logique, et non parce que j’attribue au parti la place la moins importante.

    Non, je suis très éloigné de cette pensée. La bourgeoisie libérale, elle, peut s’emparer du pouvoir et l’a pris déjà plusieurs fois comme résultat de luttes auxquelles elle n’avait pas pris part : elle possède à cet effet des organes de préhension magnifiquement développés. Cependant, les masses laborieuses se trouvent dans une autre situation, on les a habituées à donner et non à prendre. Elles travaillent, patientes, aussi longtemps que cela va, espèrent, perdent patience, se soulèvent, combattent, meurent, apportent la victoire aux autres, sont trompées, tombent dans le découragement, elles courbent à nouveau la nuque, elles travaillent à nouveau. Telle est l’histoire des masses populaires sous tous les régimes. Pour prendre fermement et sûrement le pouvoir dans ses mains, le prolétariat a besoin d’un parti qui dépasse de loin les autres partis comme clarté de pensée et comme décision révolutionnaire.

    Le parti des bolchéviks que l’on désigna plus d’une fois et à juste titre comme le parti le plus révolutionnaire dans l’histoire de l’humanité, était la condensation vivante de la nouvelle histoire de la Russie, de tout ce qui était dynamique en elle. Depuis longtemps déjà la chute de la monarchie était devenue la condition préalable du développement de l’économie et de la culture. Mais pour répondre à cette tâche, les forces manquaient. La bourgeoisie s’effrayait devant la Révolution. Les intellectuels tentèrent de dresser la paysannerie sur ses jambes. Incapable de généraliser ses propres peines et ses buts, le moujik laissa cette exhortation sans réponse. L’intelligentsia s’arma de dynamite. Toute une génération se consuma dans cette lutte.

    Le 1er Mars 1887, Alexandre Oulianov exécuta le dernier des grands attentats terroristes. La tentative d’attentat contre Alexandre III échoua. Oulianov et les autres participants furent pendus. La tentative de remplacer la classe révolutionnaire par une préparation chimique, avait fait naufrage. Même l’intelligentsia la plus héroïque n’est rien sans les masses. Sous l’impression immédiate de ces faits et de ses conclusions, grandit et se forma le plus jeune frère de Oulianov, Vladimir, le futur Lénine, la plus grande figure de l’histoire russe. De bonne heure dans sa jeunesse, il se plaça sur le terrain du marxisme et tourna le visage vers le prolétariat. Sans perdre des yeux un instant le village, il chercha le chemin vers la paysannerie à travers les ouvriers. En héritant de ses précurseurs révolutionnaires la résolution, la capacité de sacrifice, la disposition à aller jusqu’au bout, Lénine devint dans ses années de jeunesse l’éducateur de la nouvelle génération intellectuelle et des ouvriers avancés. Dans les luttes grévistes et de rues, dans les prisons et en déportation, les travailleurs acquirent la trempe nécessaire. Le projecteur du marxisme leur était nécessaire pour éclairer dans l’obscurité de l’autocratie leur voie historique.

    En 1883 naquit dans l’émigration le premier groupe marxiste. En 1898, à une assemblée clandestine fut proclamée la création du parti social-démocrate ouvrier russe (nous nous appelions tous en ce temps sociaux-démocrates). En 1903, eut lieu la scission entre bolchéviks et mencheviks. En 1912, la fraction bolchévique devint définitivement un parti indépendant.

    Il enseigna à reconnaître la mécanique de classe de la société dans les luttes, dans de grandioses événements, pendant 12 ans (1905-1917). Il éduqua des cadres aptes également à l’initiative comme à l’obéissance. La discipline de l’action révolutionnaire s’appuyait sur l’unité de la doctrine, les traditions des luttes communes et la confiance envers une direction éprouvée.

    Tel était le parti en 1917. Tandis que l’“opinion publique” officielle et les tonnes de papier de la presse intellectuelle le mésestimaient, il s’orientait selon le mouvement des masses. Il tenait fermement le levier en main au-dessus des usines et des régiments. Les masses paysannes se tournaient toujours plus vers lui. Si l’on entend par nation non les sommets privilégiés, mais la majorité du peuple, c’est-à-dire les ouvriers et les paysans, alors le bolchevisme devint au cours de l’année 1917 le parti russe véritablement national.

    En 1917, Lénine, contraint de se tenir à l’abri, donna le signal : “La crise est mûre, l’heure du soulèvement approche”. Il avait raison. Les classes dominantes étaient tombées dans l’impasse en face des problèmes de la guerre et de la libération nationale. La bourgeoisie perdit définitivement la tête. Les partis démocratiques, les mencheviks et les socialistes révolutionnaires, dissipèrent le dernier reste de leur confiance auprès des masses, en soutenant la guerre impérialiste par la politique de compromis impuissants et de concessions aux propriétaires bourgeois et féodaux. L’armée réveillée ne voulait plus lutter pour les buts de l’impérialisme qui lui étaient étrangers. Sans faire attention aux conseils démocratiques, la paysannerie expulsa les propriétaires fonciers de leurs domaines. La périphérie nationale opprimée de l’empire se dressa contre la bureaucratie petersbourgeoise. Dans les conseils d’ouvriers et de soldats les plus importants, les bolchéviks dominaient. Les ouvriers et les soldats exigeaient des actes. L’abcès était mûr. Il fallait un coup de bistouri.

    Le soulèvement ne fut possible que dans ces conditions sociales et politiques.

    Et il fut aussi inéluctable. Mais on ne peut plaisanter avec l’insurrection. Malheur au chirurgien qui manie négligemment le bistouri. L’insurrection est un art. Elle a ses lois et ses règles.

    Le parti réalisa l’insurrection d’Octobre avec un calcul froid et une résolution ardente. Grâce à cela précisément, elle triompha presque sans victimes. Par les soviets victorieux, les bolchéviks se placèrent à la tête du pays qui englobe un sixième de la surface terrestre.

    Il est à supposer que la majorité de mes auditeurs d’aujourd’hui ne s’occupaient en 1917 encore nullement de politique. Cela est d’autant mieux. La jeune génération a devant elle beaucoup de choses intéressantes, mais aussi des choses pas toujours faciles.

    Mais les représentants des vieilles générations dans cette salle se rappelleront certainement très bien comment fut accueillie la prise du pouvoir par les bolchéviks : comme une curiosité, un malentendu, un scandale, le plus souvent comme un cauchemar qui devait se dissiper au premier rayon de soleil. Les bolchéviks se maintiendraient 24 heures, une semaine, un mois, une année. Il fallait repousser les délais toujours plus… Les maîtres du monde entier armaient contre le premier Etat ouvrier : déclenchement de la guerre civile, nouvelles et nouvelles interventions, blocus. Ainsi passa une année après l’autre. L’histoire a eu à enregistrer entre temps quinze années d’existence du pouvoir soviétique.

    Oui, dira quelque adversaire : l’aventure d’Octobre s’est montrée beaucoup plus solide que beaucoup d’entre nous le pensions. Peut-être ne fut-ce pas complètement une “aventure”. Néanmoins la question conserve toute sa force : qu’a-t-on obtenu pour ce prix si élevé ? Peut-être a-t-on réalisé ces tâches si brillantes annoncées par les bolchéviks à la veille de l’insurrection ? Avant de répondre à l’adversaire supposé, observons que la question en elle-même n’est pas nouvelle. Au contraire, elle s’attache aux pas de la Révolution d’Octobre depuis le jour de sa naissance.

    Le journaliste français Claude Anet qui séjournait à Petrograd pendant la Révolution, écrivait déjà le 27 Octobre 1917 :

    “Les maximalistes (c’est ainsi que les français appelaient alors les bolchéviks) ont pris le pouvoir, et le grand jour est arrivé. Enfin, me dis-je, je vais voir se réaliser l’Éden socialiste qu’on nous promet depuis tant d’années… Admirable aventure ! Position privilégiée !”, etc., etc., et ainsi de suite. Quelle haine sincère derrière ces salutations ironiques ! Dès le lendemain de la prise du Palais d’Hiver, le journaliste réactionnaire s’empressait d’annoncer ses prétentions à une carte d’entrée pour l’Éden. Quinze années se sont écoulées depuis l’insurrection. Avec un manque de cérémonie d’autant plus grand, les adversaires manifestent leur joie maligne qu’aujourd’hui encore le pays des Soviets ressemble très peu à un royaume de bien-être général. Pourquoi donc la Révolution et pourquoi les victimes ?

    Bilan d’Octobre

    Chers auditeurs, je me permets de penser que les contradictions, les difficultés, les fautes et les insuffisances du régime soviétique ne me sont pas moins connues qu’à qui que ce soit. Personnellement, je ne les ai jamais dissimulées, ni en paroles ni en écrits. Je pensais et je pense que la politique révolutionnaire — à la différence de la politique conservatrice — ne peut être édifiée sur le camouflage. “Dire ce qui est” doit être le principe le plus élevé de l’Etat ouvrier.

    Mais il faut des perspectives dans la critique, comme dans l’activité créatrice. Le subjectivisme est un mauvais aiguilleur, surtout dans les grandes questions. Les délais doivent être adaptés aux tâches et non aux caprices individuels. Quinze années ! Qu’est-ce pour une seule vie ? Pendant ce temps, nombreux sont ceux de notre génération qui furent enterrés, chez les survivants les cheveux gris se sont beaucoup multipliés. Mais ces mêmes quinze années : quelle période minime dans la vie d’un peuple ! Rien qu’une minute sur la montre de l’histoire.

    Le capitalisme eut besoin de siècles pour s’affirmer dans la lutte contre le moyen âge, pour élever la science et la technique, pour construire les chemins de fer, pour tendre des fils électriques. Et alors ? Alors, l’humanité fut jetée par le capitalisme dans l’enfer des guerres et des crises ! Mais au socialisme, ses adversaires, c’est-à-dire les partisans du capitalisme, n’accordent qu’une décade et demi pour instaurer sur terre le paradis avec tout le confort. Non, nous n’avons pas à assumer sur nous de telles obligations. Nous n’avons pas posé de tels délais. On doit mesurer les processus de grands changements avec une échelle qui leur soit adéquate. Je ne sais si la société socialiste ressemblera au paradis biblique. J’en doute fort. Mais dans l’Union soviétique, il n’y a pas encore de socialisme. Un Etat de transition, plein de contradictions, chargé du lourd héritage du passé, en outre, sous la pression ennemie des Etats capitalistes y domine. La Révolution d’Octobre a proclamé le principe de la nouvelle société. La République soviétique n’a montré que le premier stade de sa réalisation. La première lampe d’Edison fut très mauvaise. Sous les fautes et les erreurs de la première édification socialiste, on doit savoir discerner l’avenir.

    Et les calamités qui s’abattent sur les êtres vivants ?

    Les résultats de la Révolution justifient-ils peut-être les victimes causées par elles ? Question stérile et profondément rhétorique : comme si les processus de l’histoire relevaient d’un plan comptable ! Avec autant de raison, face aux difficultés et peines de l’existence humaine, on pourrait demander : cela vaut-il vraiment la peine d’être sur la terre ? Lénine écrivit à ce propos : “Et le sot attend une réponse”… Les méditations mélancoliques n’ont pas interdit à l’homme d’engendrer et de naître. Même dans ces jours d’une crise mondiale sans exemple, les suicides constituent heureusement un pourcentage peu élevé. Mais les peuples n’ont pas l’habitude de chercher refuge dans le suicide. Ils cherchent l’issue aux fardeaux insupportables dans la Révolution.

    En outre, qui s’indigne au sujet des victimes de la Révolution socialiste ? Le plus souvent, ce sont ceux qui ont préparé et glorifié les victimes de la guerre impérialiste ou du moins qui s’en sont très facilement accommodés. C’est notre tour de demander : la guerre s’est-elle justifiée ? Qu’a-t-elle donné ? Qu’a-t-elle enseigné ?

    Dans ses 11 volumes de diffamation contre la grande Révolution française, l’historien réactionnaire Hyppolyte Taine décrit non sans joie maligne les souffrances du peuple français dans les années de la dictature jacobine et celles qui la suivirent. Elles furent surtout pénibles pour les couches inférieures des villes, les plébéiens, qui, comme sans-culotte, donnèrent à la Révolution la meilleure partie de leur âme. Eux ou leurs femmes passaient des nuits froides dans des queues pour retourner le lendemain les mains vides, au foyer familial glacial. Dans la dixième année de la Révolution, Paris était plus pauvre qu’avant son éclosion. Des faits soigneusement choisis, artificiellement compilés, servent à Taine pour fonder son verdict destructeur contre la Révolution. Voyez-vous, les plébéiens voulaient être des dictateurs et se sont jetés dans la misère !

    Il est difficile d’imaginer un moraliste plus plat : premièrement, si la Révolution avait jeté le pays dans la misère, la faute en retombait avant tout sur les classes dirigeantes qui avaient poussé le peuple à la révolution. Deuxièmement : la grande Révolution française ne s’épuisa pas en queues de famine devant les boulangeries. Toute la France moderne, sous certains rapports toute la civilisation moderne sont sorties du bain de la Révolution française !

    Au cours de la guerre civile aux Etats-Unis, pendant l’année soixante du siècle précédent, 50 000 hommes sont tombés. Ces victimes se justifient-elles ?

    Du point de vue des esclavagistes américains et des classes dominantes de Grande-Bretagne qui marchaient avec eux — Non ! Du point de vue du négre ou du travailleur britannique Complètement ! Et du point de vue du développement de l’humanité dans l’ensemble — il ne peut aussi là-dessus y avoir de doute. De la guerre civile de l’année 60, sont issus les Etats-Unis actuels avec leur initiative pratique effrénée, la technique rationaliste, l’élan économique. Sur ces conquêtes de l’américanisme, l’humanité édifiera la nouvelle société.

    La Révolution d’Octobre a pénétré plus profondément que toutes celles qui la précédèrent dans le saint des saints de la société, dans les rapports de propriété. Des délais d’autant plus longs sont nécessaires pour que se manifestent les suites créatrices de la Révolution dans tous les domaines de la vie. Mais l’orientation générale du bouleversement est maintenant déjà claire : devant ses accusateurs capitalistes, la République soviétique n’a aucune raison de courber la tête et de parler le langage de l’excuse.

    Pour apprécier le nouveau régime au point de vue du développement humain, on doit d’abord répondre à la question : en quoi s’extériorise le progrès social, et comment peut-il se mesurer ?

    Le critère le plus objectif, le plus profond et le plus indiscutable, c’est le progrès qui peut se mesurer par la croissance de la productivité du travail social. L’estimation de la Révolution d’Octobre, sous cet angle, est déjà donnée par l’expérience. Pour la première fois dans l’histoire, le principe de l’organisation socialiste a montré sa capacité en fournissant des résultats de production jamais obtenus dans une courte période.

    En chiffres d’index globaux, la courbe du développement industriel de la Russie s’exprime comme suit : Posons pour l’année 1913, la dernière année avant la guerre, le nombre 100. L’année 1920, le sommet de la guerre civile est aussi le point le plus bas de l’industrie : 25 seulement, c’est-à-dire un quart de la production d’avant guerre ; 1925, un accroissement jusqu’à 75, c’est-à-dire jusqu’aux trois-quarts de la production d’avant-guerre ; 1929, environ 200 ; 1932, 300 ; c’est-à-dire trois fois autant qu’à la veille de la guerre.

    Le tableau devient encore plus clair à la lumière des index internationaux. De 1925 à 1932, la production industrielle de l’Allemagne a diminué d’environ une fois et demie, en Amérique environ du double ; dans l’Union soviétique, elle a monté à plus du quadruple ; le chiffre parle pour lui-même.

    Je ne songe nullement à nier ou dissimuler les côtés sombres de l’économie soviétique. Les résultats des index industriels sont extraordinairement influencés par le développement non favorable de l’économie agraire, c’est-à-dire du domaine qui ne s’est pas encore élevé aux méthodes socialistes, mais qui fut en même temps mené sur la voie de la collectivisation, sans préparation suffisante, plutôt bureaucratiquement que techniquement et économiquement. C’est une grande question qui, cependant, déborde les cadres de ma conférence.

    Les chiffres des indices présentés appellent encore une réserve essentielle. Les succès indiscutables et brillants à leur façon de l’industrialisation soviétique exigent une vérification économique ultérieure du point de vue de l’harmonie réciproque des différents éléments de l’économie, de leur équilibre dynamique et, par conséquent, de leur capacité de rendement. De grandes difficultés et même des reculs sont encore inévitables. Le socialisme ne sort pas dans sa forme achevée du plan quinquennal comme Minerve de la tête de Jupiter ou Vénus de l’écume de la mer. On est encore devant des décades de travail opiniâtre, de fautes, d’amélioration et de reconstruction. En outre, n’oublions pas que l’édification socialiste, d’après son essence, ne peut atteindre son achèvement que sur l’arène internationale. Mais même le bilan économique le plus défavorable des résultats obtenus jusqu’à présent ne pourrait révéler que l’inexactitude des données, les fautes du plan et les erreurs de la direction, il ne pourrait contredire le fait établi empiriquement : la possibilité d’élever la productivité du travail collectif à une hauteur jamais existante, à l’aide de méthodes socialistes. Cette conquête, d’une importance historique mondiale, personne et rien ne pourra nous la dérober.

    Après ce qui vient d’être dit, à peine faut-il s’attarder aux plaintes selon lesquelles la Révolution d’Octobre a mené la Russie au déclin de la culture. Telle est la voix des classes régnantes et des salons inquiets. La “culture” aristocratico-bourgeoise renversée par la révolution prolétarienne n’était qu’une simili-parure de la barbarie. Pendant qu’elle restait inaccessible au peuple russe, elle apportait peu de neuf au trésor de l’humanité.

    Mais aussi en ce qui concerne cette culture tant pleurée par l’émigration blanche, on doit préciser la question : dans quel sens est-elle détruite ? Dans un seul sens : le monopole d’une petite minorité sur les biens de la culture est anéanti. Mais tout ce qui était réellement culturel dans l’ancienne culture russe est resté intact. Les Huns du bolchevisme n’ont piétiné ni la conquête de la pensée ni les oeuvres de l’art. Au contraire, ils ont soigneusement rassemblé les monuments de la création humaine et les ont mis en ordre exemplaire. La culture de la monarchie, de la noblesse et de la bourgeoisie est maintenant devenue la culture des musées historiques.

    Le peuple visite avec zèle ces musées. Mais il ne vit pas dans les musées. Il apprend. Il construit. Le seul fait que la Révolution d’Octobre ait enseigné au peuple russe, aux dizaines de peuples de la Russie tsariste, à lire et à écrire, se place incomparablement plus haut que toute la culture russe en serre d’autrefois.

    La Révolution d’Octobre a posé la base pour une nouvelle culture destinée non à des élus mais à tous. Les masses du monde entier le sentent. D’où leurs sympathies pour l’Union soviétique, aussi ardentes qu’était jadis leur haine contre la Russie tsariste.

    Chers auditeurs, vous savez que le langage humain représente un outil irremplaçable, non seulement pour la désignation des événements, mais aussi pour leur estimation. En écartant l’accidentel, l’épisodique, l’artificiel, il absorbe en lui le réel, il le caractérise et le ramasse. Remarquez avec quelle sensibilité les langues des nations civilisées ont distingué deux époques dans le développement de la Russie. La culture aristocratique apporta dans le monde des barbarismes tels que tsar, cosaque, pogrom, nagaika. Vous connaissez ces mots et vous savez ce qu’ils signifient. Octobre apporta aux langues du monde des mots tels que bolchévik, soviet, kolkhoz, Gosplan, piatiletka. Ici la linguistique pratique rend son jugement historique suprême !

    La signification la plus profonde, cependant plus difficilement soumise à une mesure immédiate, de chaque révolution consiste en ce qu’elle forme et trempe le caractère populaire. La représentation du peuple russe comme un peuple lent, passif, mélancolique, mystique est largement répandue et non par hasard. Elle a ses racines dans le passé. Mais jusqu’à présent, ces modifications profondes que la Révolution a introduites dans le caractère du peuple ne sont pas suffisamment prises en considération en Occident. Pouvait-il en être autrement ?

    Chaque homme avec une expérience de la vie peut éveiller dans sa mémoire l’image d’un adolescent quelconque connu de lui qui — impressionnable, lyrique, sentimental enfin — devient plus tard, d’un seul coup, sous l’action d’un fort choc moral, plus fort, mieux trempé, et n’est plus à reconnaître. Dans le développement de toute une nation, la Révolution accomplit des transformations morales du même genre.

    L’insurrection de février contre l’autocratie, la lutte contre la noblesse, contre la guerre impérialiste, pour la paix, pour la terre, pour l’égalité nationale, l’insurrection d’Octobre, le renversement de la bourgeoisie et des partis qui tendaient aux accords avec la bourgeoisie, trois années de guerre civile sur une ceinture de front de 8 000 kilomètres, les années de blocus, de misère, de famine et d’épidémies, les années d’édification économique tendue, les nouvelles difficultés et privations ; c’est une rude, mais bonne école. Un lourd marteau détruit le verre, mais il forge l’acier. Le marteau de la Révolution forge l’acier du caractère du peuple.

    “Qui le croira ?” On devait déjà le croire. Peu après l’insurrection un des généraux tsaristes, Zaleski, s’étonnait “qu’un portier ou qu’un gardien devienne d’un coup un président de tribunal ; un infirmier, directeur d’hôpital ; un coiffeur, dignitaire ; un enseigne, commandant suprême ; un journaliste, maire ; un serrurier, dirigeant d’entreprise”.

    “Qui le croira ?” On devait déjà le croire. On ne pouvait d’ailleurs pas ne pas le croire, tandis que les enseignes battaient les généraux, le maire, autrefois journalier, brisait la résistance de la vieille bureaucratie, le lampiste mettait de l’ordre dans les transports, le serrurier, comme directeur, rétablissait l’industrie. “Qui le croira ?” Qu’on tente seulement de ne pas le croire.

    Pour expliquer la patience inhabituelle que les masses populaires de l’Union soviétique montrèrent dans les années de la Révolution, nombre d’observateurs étrangers font appel par ancienne habitude à la passivité du caractère russe. Anachronisme grossier ! Les masses révolutionnaires supportèrent les privations patiemment mais non passivement. Elles construisirent de leurs propres mains un avenir meilleur et elles veulent le créer à tout prix. Que l’ennemi de classe essaie seulement d’imposer à ces masses patientes du dehors sa volonté ! Non, mieux vaut qu’il ne l’essaie pas!

    Pour conclure, essayons de fixer la place de la Révolution d’Octobre non seulement dans l’histoire de la Russie, mais dans l’histoire du monde. Pendant l’année 1917, dans l’intervalle de 8 mois, deux courbes historiques se rencontrèrent. La Révolution de février — cet écho attardé des grandes luttes qui se sont déroulées dans les siècles passés sur les territoires des Pays-Bas, d’Angleterre, de France, de presque toute l’Europe continentale — se lie à la série des révolutions bourgeoises. La Révolution d’Octobre proclame et ouvre la domination du prolétariat. C’est le capitalisme mondial qui subit sur le territoire de la Russie sa première grande défaite. La chaîne cassa au plus faible maillon. Mais c’est la chaîne et non seulement le maillon qui cassa.

    Vers le socialisme

    Le capitalisme comme système mondial s’est historiquement survécu. Il a cessé de remplir sa mission essentielle ; l’élévation du niveau de la puissance humaine et de la richesse humaine. L’humanité ne peut stagner sur le palier atteint. Seule une puissante élévation des forces productives et une organisation juste, planifiée, c’est-à-dire socialiste, de production et de répartition, peut assurer aux hommes — à tous les hommes — un niveau de vie digne, et conférer en même temps le sentiment précieux de la liberté en face de leur propre économie. De la liberté sous deux sortes de rapports : premièrement, l’homme ne sera plus obligé de consacrer la principale partie de sa vie au travail physique. Deuxièmement, il ne dépendra plus des lois du marché, c’est-à-dire des forces aveugles et obscures qui s’édifient derrière son dos. Il édifiera librement son économie, c’est-à-dire selon un plan, le compas en main. Cette fois, il s’agit de radiographier l’anatomie de la société, de découvrir tous ses secrets et de soumettre toutes ses fonctions à la raison et à la volonté de l’homme collectif. En ce sens, le socialisme doit devenir une nouvelle étape dans la croissance historique de l’humanité. A notre ancêtre qui s’arma pour la première fois d’une hache de pierre, toute la nature se présenta comme la conjuration d’une puissance mystérieuse et hostile. Depuis, les sciences naturelles en collaboration étroite avec la technologie pratique ont éclairé la nature jusque dans ses profondeurs les plus obscures. Au moyen de l’énergie électrique, le physicien rend maintenant son jugement sur le noyau atomique. L’heure n’est plus loin où, en se jouant, la science résoudra la tâche de l’alchimie, transformant le fumier en or, et l’or en fumier. Là où les démons et les furies de la nature se déchaînaient, règne maintenant toujours plus courageusement la volonté industrieuse de l’homme.

    Mais tandis qu’il lutta victorieusement avec la nature, l’homme édifia aveuglément ses rapports avec les autres hommes, presque comme les abeilles ou les fourmis. Avec retard et beaucoup d’indécision, il aborda les problèmes de la société humaine. Il commença par la religion pour passer ensuite à la politique. La réforme représenta le premier succès de l’individualisme et du rationalisme bourgeois dans un domaine où avait régné une tradition morte. La pensée critique passa de l’Eglise à l’Etat. Née dans la lutte contre l’absolutisme et les conditions moyenâgeuses, la doctrine de la souveraineté populaire et des droits de l’homme et du citoyen grandit. Ainsi se forma le système du parlementarisme. La pensée critique pénétra dans le domaine de l’administration de l’Etat. Le rationalisme politique de la démocratie signifiait la plus haute conquête de la bourgeoisie révolutionnaire.

    Mais entre la nature et l’Etat se trouve l’économie. La technique a libéré l’homme de la tyrannie des anciens éléments : la terre, l’eau, le feu et l’air, pour le soumettre aussitôt à sa propre tyrannie. L’homme cesse d’être l’esclave de la nature pour devenir l’esclave de la machine et, pis encore, l’esclave de l’offre et de la demande. La crise mondiale actuelle témoigne d’une manière particulièrement tragique combien ce dominateur fier et audacieux de la nature reste l’esclave des puissances aveugles de sa propre économie. La tâche historique de notre époque consiste à remplacer le jeu déchaîné du marché par un plan raisonnable, à discipliner les forces productives, à les contraindre d’agir avec harmonie, en servant docilement les besoins de l’homme. C’est seulement sur cette nouvelle base sociale que l’homme pourra redresser son dos fatigué et — non seulement des élus — mais chacun et chacune, devenir un citoyen ayant plein pouvoir dans le domaine de la pensée.

    Mais cela n’est pas encore l’extrémité du chemin. Non, ce n’en est que le commencement. L’homme se désigne comme le couronnement de la création. Il y a certains droits. Mais qui affirme que l’homme actuel soit le dernier représentant le plus élevé de l’espèce homo sapiens ? Non, physiquement comme spirituellement, il est très éloigné de la perfection, cet avorton biologique dont la pensée est malade et qui ne s’est créé aucun nouvel équilibre organique.

    Il est vrai que l’humanité a plus d’une fois produit des géants de la pensée et de l’action qui dépassent les contemporains comme des sommets sur des chaînes de montagne. Le genre humain a le droit d’être fier de ses Aristote, Shakespeare, Darwin, Beethoven, Goethe, Marx, Edison, Lénine. Mais pourquoi ceux-ci sont-ils si rares ? Avant tout, parce qu’ils sont issus à peu près sans exception des classes les plus élevées et moyennes. Sauf de rares exceptions, les étincelles du génie sont étouffées dans les profondeurs opprimées du peuple, avant qu’elles puissent même jaillir. Mais aussi parce que le processus de génération, de développement et d’éducation de l’homme resta et reste en son essence le fait du hasard ; non éclairé par la théorie et la pratique, non soumis à la conscience et à la volonté.

    L’anthropologie, la biologie, la physiologie, la psychologie ont rassemblé des montagnes de matériaux pour ériger devant l’homme, dans toute leur ampleur, les tâches de son propre perfectionnement corporel et spirituel, et de son développement ultérieur. Par la main géniale de Sigmund Freud, la psychanalyse souleva le couvercle du puits nommé poétiquement “l’âme” de l’homme. Et qu’est-il apparu ? Notre pensée consciente ne constitue qu’une petite partie dans le travail des obscures forces psychiques. De savants plongeurs descendent au fond de l’Océan et y photographient de mystérieux poissons. Pour que la pensée humaine descende au fond de son propre puits psychique, elle doit éclairer les forces motrices mystérieuses de l’âme et les soumettre à la raison et à la volonté.

    Quand il aura terminé avec les forces anarchiques de sa propre société, l’homme s’intégrera, dans les mortiers, dans les cornues du chimiste. Pour la première fois, l’humanité se considérera elle-même comme une matière première, et dans le meilleur des cas comme une semi-fabrication physique et psychique. Le socialisme signifiera un saut du règne de la nécessité dans le règne de la liberté, aussi en ce sens que l’homme d’aujourd’hui plein de contradictions et sans harmonie frayera la voie à une nouvelle race plus heureuse ».

  • Référendum à VW. Le couteau sur la gorge

    Le 27 février, les travailleurs de VW Forest ont avalisé par référendum, à 76%, le plan de la direction allemande, transformant leur site en nouvelle usine Audi. Médias, politiciens, directions syndicales, tous se sont empressés d’exprimer leur satisfaction, saluant le « bon sens » des travailleurs et présentant comme une décision démocratique ce qui n’est rien d’autre qu’un pur chantage patronal.

    Cédric Gérôme

    Le spectre de la fermeture de l’usine et la menace de remettre en question les conditions de départ des travailleurs qui ont décidé de quitter l’entreprise ont été brandis comme épouvantail par le patronat de VW afin de contraindre les travailleurs à avaler le recul social : contre le maintien de 2.200 emplois et la production de l’Audi A1 à partir de 2009, la direction obtient une réduction des coûts de 20%, via un allongement du temps de travail de 35 à 38 heures sans compensation salariale, ainsi qu’un accroissement de la flexibilité.

    Quant à la garantie des emplois au-delà de 2010, elle sera fonction du succès commercial de l’Audi A1. Autrement dit, si le succès n’est pas au rendez-vous, les licenciements, voire la fermeture pure et simple, pourraient revenir sur la table.

    Dans la lignée de l’attitude adoptée par les directions syndicales depuis le début du conflit, Stefaan Van Bockstaele, délégué principal du syndicat libéral, ajoutait : « Celui qui ne peut vivre (avec l’accord) ou ne se sent pas chez lui dans l’usine peut encore signer le registre des départs volontaires, qui restera ouvert jusqu’à la fin de la semaine ». Traduction : les « rebelles » ont encore le temps de foutre le camp, le climat social dans l’usine en sera d’autant plus serein.

    « C’est un pas en avant important pour l’usine de Forest », commentait quant à lui Norbert Steingräber, le directeur de l’usine, à l’issue du vote. En 2006, les ventes mondiales du groupe ont augmenté de 9,4%, et son profit net a plus que doublé à 2,75 milliards d’EUR. Pendant que les travailleurs de Forest devront trimer 3 heures de plus par semaine gratuitement, « pour fêter cet exercice encourageant, Volkswagen distribuera un dividende en forte hausse à 1,25 euro par action contre 1,15 euro en 2005 ». (*) Est-ce de ce type de « pas en avant » dont parle M.Steingräber ?

    Il est clair qu’à l’avenir, de nouveaux « cas VW » sont à prévoir. Les menaces de licenciements qui planent sur Opel-Anvers n’en sont qu’un exemple. Il faudra s’y préparer, et par nos propres moyens. Car ce n’est pas sur les partis traditionnels que l’on pourra compter pour le faire. La peinture rouge dont certains tentent de se parer juste avant les élections ne permettra pas de camoufler un fait irréversible : il nous faut une autre politique, et surtout un autre parti pour la défendre.


    (*) La Libre Belgique du 21 février 2007

  • Quelles leçons tirer du SP hollandais?

    Les deux piliers les plus importants à la base du succès du SP (Parti Socialiste) hollandais sont, d’une part, son opposition conséquente à la politique néolibérale et, d’autre part, un militantisme local important.

    Bas de Ruiter

    Aux Pays-Bas comme ailleurs, la politique néolibérale domine avec ses coupes d’austérité dans la sécurité sociale et les services publics, les privatisations,… Tout cela a eu des répercussions sur les plans local, régional et national pour la majorité de la population néerlandaise. C’est à ces trois niveaux que le SP a entrepris des actions contre cette politique.

    Progrès aux élections

    Cette attitude militante (notamment dans les grandes mobilisations syndicales contre les projets de réforme des pensions, puis contre la Constitution européenne) soutenant un programme alternatif à la politique économique dominante, est la clé de la croissance du SP. Elle lui a permis de devenir un parti qui compte aujourd’hui plus de 50.000 membres et vient d’obtenir en 2006 et 2007 trois victoires électorales successives.

    Aux élections communales de mars 2006, le SP a doublé son nombre de sièges (de 157 à 333). Aux élections pour la Chambre en novembre 2006, le SP a quasiment triplé son résultat, obtenant 1.630.803 voix (16,6%) et passant de 9 à 25 sièges. Et, en février, aux élections provinciales le SP a aussi triplé son nombre de sièges (83). Pour les élections du Sénat, qui est élu à partir des provinces, le SP est passé de 4 à 12 sièges. Dans onze communes, le SP est même devenu le premier parti.

    Participation au pouvoir

    Depuis cette croissance électorale, la discussion sur la participation au pouvoir dans les communes et les provinces ainsi qu’au gouvernement national s’est amplifiée au sein et en dehors du parti. Avant 2006, le SP participait au pouvoir dans cinq communes ; aujourd’hui il figure dans vingt majorités communales.

    La direction du SP a essayé de manoeuvrer pour faire entrer le SP au gouvernement national et pour participer au pouvoir provincial, comme dans le Brabant du Nord où le SP a obtenu 21% des voix.

    Vu que la participation à des majorités dans les conseils locaux s’est traduite par une augmentation en voix dans la majorité de ces communes, la direction du parti a affirmé que le SP pouvait encore croître en participant au pouvoir dans plus de communes encore, mais aussi dans les provinces et au gouvernement national.

    Mais s’il est vrai que, dans la plupart de ces communes, le SP est devenu effectivement le parti le plus important sur la scène locale, il est également vrai que, dans des communes où le SP joue un rôle actif d’opposition, il est aussi devenu le parti principal. Par ailleurs, là où le SP participait au pouvoir, il a dû avaler des concessions importantes : à Nijmeger par exemple, le SP a même voté la libéralisation des transports en commun locaux (bus) et la vente d’habitations sociales anciennement mises en location.

    Résistance résolue

    Le SP prendra(it) un gros risque en participant à des pouvoirs locaux – et encore plus au gouvernement national – parce qu’il doit s’allier pour cela à d’autres partis qui mènent une politique ouvertement néolibérale. Dans un premier temps, beaucoup d’électeurs qui votent pour le SP se réjouiront de cette participation à des coalitions en espérant qu’elles offriront une possibilité de changer de politique. Mais ils deviendront rapidement mécontents si le SP finit par mener la même politique que tous les autres partis.

    Le SP ne pourra utiliser son potentiel que s’il continue à résister résolument à chaque mesure politique néolibérale. Dans une coalition avec les autres partis, il sera contraint de diluer sa politique. Les partis traditionnels social-démocrates ont perdu leur base active de salariés en participant à des coalitions avec les partis bourgeois : c’est une dure leçon à retenir pour le développement du SP.


    Rappelons que le SP, malgré son nom, n’a rien à voir avec le SP.a et le PS belges.

  • Ni centres fermés, ni expulsions. Régularisation des sans-papiers

    Les récentes déclarations de médecins et d’infirmières ayant travaillé au centre fermé de Vottem ont remis en lumière la réalité de ces centres : des prisons où les droits élémentaires des détenus sont encore moins respectés que dans les autres prisons.

    Jean Peltier

    Dans son appel à manifester à Vottem le 22 avril, le CRACPE rappelle que ces centres enferment des personnes étrangères qui n’ont le plus souvent commis d’autre délit que de ne pas avoir de papiers et que des enfants y sont aussi enfermés au mépris des conventions internationales signées par la Belgique. Il décrit la situation qui règne dans ces centres : « La violence y est banalisée : il s’agit de centres de rapatriement qui ont comme fonction de préparer l’expulsion et de briser toute résistance à celle-ci. Ainsi chaque jour des personnes qui se rebellent sont mises en isolement et au cachot. La veille d’une tentative d’expulsion, les personnes sont systématiquement placées au cachot. Des personnes désespérées en arrivent à des tentatives de suicide, elles aussi se retrouvent au cachot…

    « Les expulsables sont menottés aux poignets, parfois complètement ligotés pour pouvoir être embarqués de force dans l’avion, avec parfois un casque de kick-boxing sur la tête pour amortir les coups… Des coups qui sont portés sur tout le corps, comme en attestent de nombreux certificats médicaux établis et plaintes déposées…

    « Fin novembre 2006, quatre gardiens du centre fermé de Vottem ont dénoncé d’autres graves maltraitances, en particulier le sort réservé aux personnes détenues malades ou atteintes de troubles psychiatriques : placement en isolement au cachot, sans soins, pendant des jours, voire des semaines! En mars, ce sont deux infirmières qui témoignent d’injections de neuroleptiques dangereux pour calmer les « résidents » (en plus de l’administration fréquente de « tranquillisants » par voie orale, déjà dénoncée par le passé).

    Un élément-clé de la répression

    Les centres fermés ne sont pas un accident ou une horrible verrue sur le corps sain de la politique d’immigration de la Belgique et de l’Europe. C’est au contraire une pièce centrale de ce dispositif. Le quasi-arrêt de l’immigration légale depuis 25 ans et les restrictions grandissantes au droit d’asile depuis 10 ans forces de plus en plus ceux qui fuient la dictature, la guerre, la misère,… à plonger dans la clandestinité. Ils deviennent ainsi des proies faciles pour les patrons qui les embauchent en noir (à bas salaire sans sécurité sociale ni protection syndicale) et pour les marchands de sommeil qui leur louent des logements (et souvent des taudis) à prix d’or.

    Les centres fermés, étape entre les rafles policières et les expulsions, sont comme eux un moyen de maintenir l’arbitraire qui nourrit la peur et casse les possibilités de résistance. Espérer « humaniser » les centres fermés et les expulsions n’a pas de sens. La seule solution qui défende réellement les sans-papiers – mais aussi les Belges et les immigrés ayant leurs papiers – c’est la régularisation massive des sans-papiers. Seule celle-ci peut leur permettre de sortir de la clandestinité et de la précarité et conquérir des droits élémentaires et de ne plus constituer – bien malgré eux – une pression à la baisse sur l’emploi, les salaires et les conditions de travail des « avec-papiers ».

    Dimanche 22 avril 2007, manifestation:

    Vottem, 8 ans déjà…, je ne l’accepte pas!

    Rassemblement : 14h rue des Glacis (Liège, Citadelle) et manifestation jusqu’au centre fermé de Vottem.

  • 27 milliards de profits pour les 19 plus grosses entreprises du pays. Voilà ce que le CAP en ferait !

    10 milliards d’euros (ou 400 milliards de francs belges), voilà l’ensemble des profits qu’ont réalisé les 4 plus importantes banques belges en 2006. Les 19 entreprises reprises dans l’indice boursier belge (le BEL- 20) ont, elles, réalisé 27 milliards d’euros de profits, soit 2.700 euros par habitant. En 2003, il avait fallu additionner les 30.000 entreprises les plus importantes du pays pour réaliser autant de profits !

    Bart Vandersteene

    Voilà qui est loin d’être une mauvaise prestation pour l’économie belge. Ce qui n’empêche pas que, depuis des années, on nous répète qu’il n’y a pas moyen d’augmenter les salaires, les allocations, les retraites, etc. Une partie des profits est réinvestie au sein de l’entreprise, mais un pourcentage historique est laissé aux actionnaires. Le champagne a dû couler à flot à l’annonce de ces résultats.

    Les moyens existent. Que ferait une autre politique avec ces richesses ?

    Que ferait-on avec 27 milliards d’euros si ces richesses n’étaient pas contrôlées par une infime minorité de la population mais à la disposition de la collectivité?

    • avec 2 milliards d’euros par an, 60.000 emplois perdus peuvent à nouveau être financés dans les services publics.
    • avec 2,5 milliards d’euros, le budget de l’enseignement en Belgique peut être porté à 7 % du PIB. Depuis longtemps c’est une très juste revendication syndicale.
    • avec 4 milliards d’euros, une augmentation de 250 ou 300 euros par mois de toutes les allocations est possible
    • avec 520 millions d’euros, on peut satisfaire entièrement la plate-forme de revendications du secteur non-marchand élaborée en 2005.

    Le problème, c’est qu’aucun parti n’est disposé à agir de la sorte. Qui a l’audace de protester contre la maximalisation des profits ou de mettre au coeur du débat les besoins de la population ? Tandis que 15% de la population (1,5 million de personnes) connaissent la pauvreté, tous les partis traditionnels défendent la même politique : celle des patrons.

    Le CAP veut offrir une alternative

    Le Comité pour une Autre Politique (CAP) veut faire entendre un autre son de cloche lors de sa campagne électorale. Mais une nouvelle formation a devant elle de nombreux défis.

    La précampagne du CAP a lieu avec des moyens et une renommée limités. Mais si elle est couronnée de succès, des listes seront présentes pour le Sénat et pour la Chambre tant en Flandre qu’en Wallonie, à condition que 14.000 électeurs signent nos listes de parrainage.

    Il y aura des listes pour la Chambre dans huit provinces et à Bruxelles-Hal-Vilvorde. Il ne manquera des listes qu’à Namur et au Luxembourg. Le 14 avril, la véritable campagne sera lancée lors d’une conférence nationale.

    Afin de diffuser le message du CAP, il nous faut votre aide. Car une nouvelle force politique à gauche ne pourra se construire qu’avec beaucoup de mains bénévoles et pas en comptant par les médias ou les dons des entreprises.

    Aidez-nous à récolter les signatures, parlez de l’initiative du CAP à vos amis, collègues, voisins,… Collez une affiche sur votre fenêtre, diffusez le matériel électoral du CAP et soutenez le fonds électoral du CAP.

    Rejoignez le CAP et participez à la lutte pour construire une alternative politique. Car une autre politique est nécessaire !

0
    0
    Your Cart
    Your cart is emptyReturn to Shop