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  • [ARCHIVES] L’ascension et la chute de Syriza

    Photo: Wikipedia

    Le 5 juillet 2015, un référendum historique eut lieu en Grèce contre le mémorandum d’austérité de la troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international), avec une majorité écrasante de 61,5% en faveur du « non » (OXI). Plus de deux ans plus tard – comme le rapporte ici ANDROS PAYIATOS, membre de Xekinima (section grecque du Comité pour une Internationale Ouvrière) – dirigée par un gouvernement Syriza, la société grecque est confrontée à la poursuite des mêmes politiques qui furent appliquées précédemment par les partis traditionnels de la classe dirigeante, le parti social-démocrate Pasok et le parti conservateur Nouvelle démocratie (ND). Que s’est-il passé ?

    Les attaques contre le niveau de vie et les droits du peuple grec se renforcent sous le gouvernement Syriza. Celui-ci essaie de cacher cela en parlant de « négociations difficiles » et de « faire tout son possible » contre les « Institutions », le nouveau nom de la troïka qu’est la Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI) ). Mais ce n’est que de la poudre aux yeux. Le dernier accord du 15 juin a libéré 8,5 milliards d’euros pour la Grèce (dont 8,2 milliards € seront utilisés immédiatement pour rembourser les prêts). Rien n’a été ajouté aux propositions des institutions faites lors de la réunion de l’Eurogroupe le 22 mai.

    Le Premier ministre de Syriza, Alexis Tsipras, n’utilisa ce moment que pour faire beaucoup de bruit, en interne, en proclamant qu’il n’y aurait pas de franchissement de ce qu’il appelle (très souvent) des “lignes rouges”. Le résultat est toujours le même : les institutions indiquent qu’elles ne reculeront pas ; menaçant que si le gouvernement grec ne calme pas ses ardeurs, il sera expulsé de la zone euro ; Les lignes rouges de Syriza s’amenuisent.

    Le dernier accord impose des fardeaux supplémentaires d’environ 5 milliards d’euros aux masses entre 2019 et 2022. De manière plus générale, de l’année prochaine jusqu’à la fin de 2022, la Grèce versera des intérêts de la dette à hauteur de 3,5% du PIB – avec l’engagement du gouvernement de dégager un « surplus primaire » annuel de 3,5% des recettes fiscales par rapport aux dépenses avant intérêts. Les prêts seront remboursés par de nouveaux prêts. À partir de 2022, les intérêts payés annuellement (excédents primaires) représenteront en moyenne de 2% du PIB. Et ce jusqu’en 2060. C’est le scénario le plus « optimiste ». Sur cette base, la dette souveraine représentera environ 60% du PIB en 2060. Cependant, toutes les institutions ne sont pas d’accord : le FMI affirme que ces excédents primaires sont irréalisables et que la dette sera incontrôlable.

    Jusqu’à ce que les créanciers soient payés, toute politique de tout gouvernement grec doit être approuvée par les institutions. Le gouvernement soi-disant de « gauche » de Syriza adhère à cette clause et impose une nouvelle vague d’austérité.

    Il a encore augmenté l’impôt sur le revenu pour toutes les couches de la population, même celles qui gagnent environ 400 € par mois – le seuil était d’environ 700 € sous le précédent gouvernement ND. Il a augmenté la fiscalité indirecte (de 20%) sur tout, y compris les produits les plus élémentaires comme le café grec et les traditionnels souvlakis. En moyenne, il a réduit les pensions de 9% supplémentaires. Il applique des mesures que la ND et le Pasok avaient ??jugées impossibles à réaliser, avec le plus grand programme de privatisation jamais réalisé. Le marché du travail reste une jungle où l’immense majorité des travailleurs du secteur privé travaillent des mois sans être payés et où l’exploitation atteint des conditions indescriptibles.

    Par conséquence, les sentiments qui dominent parmi les travailleurs sont une colère de masse et, en même temps, une démoralisation massive. L’idée que les politiciens sont des escrocs et des menteurs domine. Dans le passé, les partis traditionnels, ND et Pasok, qui ont gouverné le pays depuis 1981, étaient principalement visés. Aujourd’hui, cela s’applique également à Syriza. Il est passé d’un petit parti avec environ 3% de soutien électoral à une force de masse en remportant plus de 36% en janvier et septembre 2015. Cette croissance spectaculaire fut le résultat des énormes convulsions qui ont parcouru la société grecque qui, face aux attaques de Pasok et ND, s’est tournée vers le petit parti de gauche et l’a transformé en une force de masse, pour le voir ensuite se retourner contre les masses et continuer la même politique.

    Les raisons historiques

    L’effondrement de l’Union soviétique en 1991 créa une situation objective entièrement nouvelle à l’échelle mondiale. Entre autres choses, un énorme vide à gauche se développa après l’effondrement des partis « communistes » staliniens et l’embourgeoisement des partis sociaux-démocrates qui embrassèrent pleinement les idées du « libre marché ». Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) et ses sections nationales avaient prédit que cela donnerait lieu à des tentatives de créer de nouvelles formations de gauche, de nouveaux partis de travailleurs, afin de fournir une représentation politique à la classe des travailleurs et de jouer un rôle dans le développement de ses luttes.

    Le Parti communiste grec (KKE) connut des divisions majeures, sa section des Jeunesses communistes (KNE) quitta en masse. Une autre nouvelle formation était Synaspismos (SYN – signifiant « alliance » ou « collaboration »), créée par les petites forces de l’ancien parti eurocommuniste de Grèce s’unissant à une section du Parti communiste. Avec le Pasok se déplaçant rapidement vers la droite, la gauche fut confrontée à une contraction massive de ses forces. Le KKE descendait à 4 à 5% aux élections, mais conservait encore des racines au sein de la classe des travailleurs, en particulier chez les cols bleus du secteur privé. SYN luttait d’élection en l’élection pour obtenir le minimum de 3% des votes pour entrer au Parlement – pas toujours avec succès.

    Les choses commencèrent à changer vers la fin des années 1990. SYN était la seule formation de gauche semi-massive qui n’était pas sectaire et était capable d’intervenir dans les mouvements altermondialistes et anti-guerre au tournant de ce siècle. Ouvert à la collaboration et aux alliances, il commença à attirer un certain nombre d’autres forces plus petites. Ensemble, ils créèrent un espace de dialogue et d’action unie qui se développa pour former Syriza en 2004. Xekinima, la section grecque du (CIO), prit part à la procédure spatiale, mais refusa de rejoindre Syriza en 2004 car cette plateforme avait été formée à la hâte pour des raisons électorales et avec un programme réformiste de droite qui n’était en aucun cas radical.

    Syriza s’en est très mal sorti aux élections de 2004 et la direction de la droite de SYN décida de tuer le projet. Toutefois, il réapparût en 2007, toujours pour se présenter aux élections. La différence était qu’il y avait eu un changement de direction, avec Alekos Alavanos à la tête du parti qui lançait un processus de gauche. Syriza progressa, obtenant 5% aux élections. Ce fut le début de changements majeurs car la crise mondiale frappait la Grèce en 2009 et creusait le fossé à gauche. Le Pasok fut élu à l’automne 2009 avec une grande majorité, mais il devint l’année suivante l’agent de la troïka et mit en place le premier mémorandum. En juin 2012, la ND remporta les élections et commença à mettre en œuvre le deuxième mémorandum.

    Les attaques massives de ces partis traditionnels, combinées aux énormes luttes sociales qui balayèrent la Grèce, en particulier à partir de 2010-12, jetèrent les bases de la montée de Syriza pour combler l’énorme vide qui avait été créé. À partir du printemps 2010, les confédérations syndicales (GSEE dans le secteur privé et les services publics, et ADEDY dans les services publics) commencèrent à déclencher des grèves générales. Au total, environ 40 grèves générales furent lancées entre 2010 et la victoire de Syriza en 2015.

    Celles-ci étaient couplées avec des occupations et des grèves sectorielles quelques mois durant. À l’automne 2011, il restait peu de bâtiments d’administration qui n’était pas couverts de bannières disant « sous occupation ». En parallèle, de nombreux autres mouvements sociaux et locaux extrêmement importants prirent place, comme la lutte de la population de Keratea contre un site d’enfouissement des déchets ou contre les mines d’or de Skouries à Chalkidiki dans le nord de la Grèce, le mouvement de désobéissance civile contre les péages routier durant l’hiver 2010 et le mouvement Occupy de 2011.

    Bien que des signes de fatigue se soient manifesté au milieu de l’année 2012 après de sérieuses défaites, des luttes d’importance historique subsistent, comme les travailleurs de l’ERT (Télévision publique d’état) en 2013 et les travailleurs de VIOME qui continuaient de garder leur usine en marche : ERT et VIOME fournirent tous deux d’excellents exemples de la façon dont les travailleurs pouvaient gérer la production de manière démocratique sans avoir besoin d’un patron ou de directeurs nommés.

    Pourquoi Syriza?

    À cette époque, seule la gauche pouvait offrir un moyen de sortir de la crise – même si les mêmes conditions favorisèrent la montée de l’extrême droite, qui se développa sous la forme de l’Aube dorée néo-nazie. Mais pourquoi est-ce Syriza qui s’éleva et pas un autre parti ? Avant le début de la crise et dans sa période initiale, le parti de gauche qui suscitait le plus grand intérêt était le KKE. Le front de gauche anticapitaliste, Antarsya, stagnait autour des 1% dans les sondages. Syriza montrait des signes de soutien important, mais avec de grandes fluctuations, alors que le KKE était plus stable, passant de son traditionnel 7-8% à 10-12%.

    L’une des principales différences (pas la seule, bien sûr) entre les trois formations, résidait dans le fait que le KKE et Antarsya étaient sectaires. Ils rejetaient, au nom de « l’authenticité révolutionnaire », l’idée d’un front uni de toute la gauche et des forces du mouvement de masse alors que Syriza était très favorable à l’idée d’une action commune. Le KKE suivit un chemin extrêmement sectaire de de rejet de collaboration avec qui que ce soit – jusqu’à refuser de participer aux mêmes manifestations !

    La percée de Syriza survint lors des élections de 2012, en mai et en juin. En mai, Syriza gagna environ 17% des voix et le KKE 8,5%. Mais en juin, Syriza atteignit 27%, juste derrière la ND et ses 29,7%, alors que le KKE était tombé à 4,5%. Ce qui est important, c’est la façon dont la force relative des partis évoluait avant et au cours des élections. À partir de décembre 2011, les sondages donnaient des pourcentages similaires à Syriza et au KKE – environ 12%. Dans les premières étapes de la campagne électorale – en fait, jusqu’à trois semaines avant le vote du 6 mai 2012 – les deux partis flirtaient chacun avec les 12%.

    Puis, Tsipras lança un appel ouvert au KKE pour un gouvernement commun de gauche. Auparavant, il refusait de lancer ce slogan malgré la pression des sections de la gauche. Sections qui comprenaient Xekinima, qui collaborait étroitement avec Syriza, dont une partie de nos membres faisaient également partie, faisant campagne pour un gouvernement des partis de gauche sur base d’un programme socialiste. L’impact de l’appel était clair. La direction stalinienne du KKE rejeta immédiatement tout type de gouvernement de gauche commun avec Syriza par principe ! Ils déclarèrent même que si Syriza était en mesure de former un gouvernement minoritaire, le KKE ne lui donnerait pas un vote de confiance au Parlement. En d’autres termes, ils le feraient tomber.

    Ce débat à l’intérieur de la gauche fit automatiquement pencher la balance. Syriza gagna et le KKE perdit. Le vote total de gauche en mai 2012 (17% + 8%) était semblable à celui enregistré dans les sondages dans les semaines et les mois précédents (12% + 12%) – sauf que Syriza passa en tête. Cela montre l’importance de l’approche du front uni pour les larges masses, ce qui, malheureusement, est bien au-delà de ce que pouvait concevoir la direction du KKE et de la plupart des organisations de la gauche grecque. Il n’y a pas de chiffres officiels mais, d’après les informations fournies par des membres du KKE, environ un tiers des membres quittèrent délibérément ou furent rejetés parce qu’ils s’opposaient au refus de KKE de répondre positivement à l’appel de Syriza.

    La capitulation était-elle inévitable ?

    La capitulation de Syriza à la troïka n’était pas inévitable. C’était le résultat du manque de compréhension par la direction des processus réels de la perception naïve, sinon criminelle, qu’ils « changeraient la Grèce et l’ensemble de l’Europe », comme Tsipras s’en vantait. C’était le manque de compréhension de la nature de classe de l’Union Européenne et un manque total de confiance dans la classe des travailleurs et sa capacité à changer la société. Lorsque Tsipras se retrouva face à ce que signifiait vraiment de se heurter à la classe dirigeante, il tomba dans le désespoir et capitula, faute d’un manque complet de préparation.

    Toute l’approche était emprunte d’amateurisme. Immédiatement après la victoire électorale de Syriza en janvier 2015, des centaines de millions d’euros commencèrent à s’échapper quotidiennement du pays. Tsipras et son ministre de l’économie, Yanis Varoufakis, n’avaient pas pris les mesures de bases : imposer des contrôles pour arrêter les sorties de capitaux. Ils avaient eu l’exemple à Chypre, en 2013 – où la troïka elle-même avait appliqué un contrôle des capitaux – pourtant, ils n’osèrent pas agir.

    Ensuite, ils firent quelque chose d’encore plus scandaleux. Ils continuèrent à rembourser la dette bien que la troïka ait cessé de fournir de nouveau financement de la dette ! Ils drainèrent l’économie, confisquant chaque euro des mains d’institutions publiques tels que les universités, les hôpitaux et les gouvernements locaux – pour montrer à l’UE qu’ils étaient de « bons garçons ». Ensuite, la BCE intervint pour geler les liquidités des banques et donc les forcer à fermer. L’économie était à genoux.

    Tsipras eut un choix à faire : abandonner et accepter tous les termes des vainqueurs vindicatifs, ou changer de cap et passer à l’offensive. Les masses grecques lui envoyèrent le message lors du référendum historique de juillet 2015 : ripostez et nous serons de votre côté. Mais Tsipras avait déjà décidé. Il céderait à la troïka. Il avait effectivement appelé le référendum dans le but de le perdre. Le résultat le choqua profondément ; Il ne s’attendait pas à une si écrasante victoire. Varoufakis le confirma lors d’une interview récente, disant qu’il avait déclaré à Tsipras “de ne pas faire sortir le peuple” s’il avait déjà décidé de concéder face aux exigences de la troïka.

    Une alternative existe, développée en détail par des organisations de gauche comme Xekinima: imposer un contrôle des capitaux; refuser de payer la dette; nationaliser les banques; passer rapidement vers une monnaie nationale (drachme); utiliser les liquidités fournies par cette monnaie pour financer des travaux publics majeurs, afin d’arrêter la contraction continue de l’économie et de la remettre sur le chemin de la croissance; annuler les dettes des petites entreprises écrasées par la crise et accorder des prêts sous des conditions favorables afin qu’elles puissent se remettre en activité et relancer rapidement l’économie.

    Nationaliser les secteurs clés de l’économie ; planifier l’économie, y compris par un monopole d’État sur le commerce extérieur, dans le but d’acquérir une croissance soutenue qui ne sert pas les bénéfices d’une poignée de propriétaires de navires, d’industriels et de banquiers, mais qui est au service des 99%. Créer des comités spécifiques de planification dans tous les secteurs de l’industrie et de l’exploitation minière, et accorder une attention particulière à l’agriculture et au tourisme qui sont essentiels à l’économie et ont un énorme potentiel. Etablir une économie démocratique, par le contrôle et la gestion par les travailleurs dans tous les domaines et à tous les niveaux. Lancer un appel au soutien et à la solidarité des travailleurs du reste de l’Europe, en les appelant à lancer une lutte commune contre l’Union européenne des patrons et des multinationales. Pour une union volontaire, démocratique et socialiste des peuples d’Europe. En bref, une offensive anticapitaliste et anti-Union Européenne sur base d’un programme socialiste et d’une solidarité de classe internationale aurait dû être la réponse au chantage de la troïka.

    C’était complètement au-delà de ce que pouvait imaginer Tsipras et Co, y compris Varoufakis. Même s’il faut lui reconnaître de ne pas s’être incliné devant les maîtres de l’UE, il n’en demeure pas moins que les politiques économiques appliquées entre janvier et juillet 2015 furent catastrophiques et Varoufakis en est directement responsable. Il nourrissait, et nourrit malheureusement toujours, des illusions sur le fait qu’il pouvait convaincre l’UE de changer ses politiques et se réformer.

    Qu’en est-il du reste de la gauche ?

    La capitulation de la direction de Syriza est un aspect des problèmes rencontrés par les masses des travailleurs grecs. L’autre, dans un certain sens plus important, est l’incapacité des forces de gauche à profiter de la capitulation de Syriza pour fournir une alternative. C’est particulièrement le cas pour les deux principales formations de gauche, le KKE et Antarsya, parlent toutes les deux au nom de l’anticapitalisme et de la révolution socialiste. La plupart de la gauche grecque souffre d’un certain nombre de « péchés éternels » en raison de l’influence massive du stalinisme sur son histoire et son développement. Avec des conséquences tragiques car le KKE et Antarsya ont des forces suffisantes, une masse critique, pour servir de catalyseurs de changements majeurs et de retournement de situation.

    Premièrement, il y a peu de compréhension du programme de transition, de la nécessité d’avoir un lien, un pont, entre les luttes d’aujourd’hui et la transformation socialiste de demain afin que les deux tâches s’entremêlent en un ensemble dialectique. En conséquence, le KKE parle de la nécessité du socialisme, mais ne le présente que comme un but à atteindre dans un avenir lointain qui se produira d’une manière ou d’une autre si et quand le KKE obtient une force suffisante. Le KKE refuse donc de soutenir des revendications telles que la nationalisation ou même la sortie de l’UE, avec pour argument que cela est « dénué de sens sous le capitalisme ».

    Antarsya, ce n’est pas la même chose, il règne cependant toujours une grande confusion dans ses rangs. Certaines sections soutiennent un « programme de transition » mais l’interprètent comme un programme minimum, en le séparant de la question de la prise du pouvoir par les travailleurs et de la transformation socialiste. Antarsya est connue pour sa caractéristique générale de faire de « grands appels à la révolution » sans propositions concrètes sur la façon d’y parvenir.

    Deuxièmement, il n’y a pas de compréhension de la tactique de front uni, expliquée et appliquée par les bolcheviks sous Lénine et par Léon Trotsky dans les années 1930, qu’il résumait comme la possibilité de « marcher séparément mais de frapper ensemble » dans l’action. Le KKE et Antarsya n’ont jamais eu une approche de front uni vers les masses de Syriza. Bien qu’ils aient compris qu’à un certain stade, Tsipras et Co capituleraient aux exigences des capitalistes, ils croyaient que, comme par magie, les masses déçues se tourneraient tout simplement vers eux. Néanmoins, les masses autour de Syriza, ne se joignirent pas à des forces qui les traitèrent avec mépris dans la période précédente. Ils rentrèrent juste chez eux.

    Troisièmement, c’est l’ultimatisme. Aujourd’hui, le KKE agit comme une copie de l’internationale communiste durant la « troisième période » stalinienne. Il accuse ses adversaires d’être des agents de la classe dirigeante et même des collaborateurs du l’Aube dorée néo-nazie. Récemment, à Kefalonia (une île de la mer Ionienne), le KKE distribua un tract contre Xekinima après que nos sympathisants aient remporté des élections pour le syndicat local des professionnels et petits commerçants. Ils affirmèrent que « l’extrême gauche » (Xekinima) collaborait avec les grandes entreprises, le Pasok, la ND, Syriza et Aube Dorée (tous ensemble !) pour vaincre la faction syndicale soutenue par le KKE. Il ne nous reste que nos yeux pour pleurer.

    Enfin, il y a un refus de faire face à la réalité. Après le référendum de juillet 2015 et les élections de septembre, que Tsipras présenta hâtivement aux masses afin de leur faire réaliser ce que signifiait sa capitulation, Xekinima déclara ouvertement que ces événements représentaient une défaite majeure. Nous avons expliqué que cela allait sûrement avoir un impact sérieux sur les mouvements et la gauche en général, bien que cela aiderait une minorité de militants à arriver à des conclusions révolutionnaires.

    La majorité de la gauche, cependant, refusait d’accepter cela. Ils appelèrent à un mouvement de masse pour faire tomber le gouvernement, ce qui ne pouvait tout simplement pas se produire. Ensuite, dans une réponse particulièrement caractéristique du KKE, si les masses ne vinrent pas se battre « c’est parce qu’elles ne comprennent pas ». En d’autres termes, c’est la faute des masses. Une deuxième réponse consistait à amplifier les dimensions d’un mouvement, à rapporter des chiffres erronés sur le nombre de participants aux manifestations, etc. Inutile de dire que ces approches ne pouvaient que conduire la gauche dans une impasse.

    Si ces failles majeures expliquent pourquoi les masses refusèrent de se tourner vers le KKE et Antarsya après la capitulation de Tsipras, qu’en est-il de la gauche interne à Syriza ? La principale opposition, la plateforme de gauche, avait le soutien d’environ un tiers du parti. Elle se scinda en août 2015 et créa l’Unité Populaire (PU) pour se présenter aux élections anticipées de septembre. Au début, les sondages lui donnèrent environ 10% – un soutien de masse significatif – mais ces chiffres retombèrent progressivement jusqu’à moins de 3%. Aujourd’hui, ils tournent autour de 1 à 1,5% dans la plupart des sondages.

    La direction de l’Unité Populaire commit un certain nombre d’erreurs cruciales. Tout d’abord, leur campagne se concentrait sur le passage à une monnaie nationale – son « programme » était non seulement trop limité mais également incohérent. Il défendait l’idée de quitter la zone euro et de refuser de payer la dette, tout en restant dans l’UE ! Sans à supprimer parler du fait qu’on était loin d’un programme radical, anticapitaliste et socialiste, il représentait surtout une combinaison impossible de revendications.

    Le deuxième facteur majeur fut l’arrogance de la direction et son approche bureaucratique top-down. Des milliers d’activistes de gauche, principalement non alignés, s’approchaient de l’Unité Populaire au moment de sa formation, dans l’espoir qu’elle pourrait offrir une issue. Mais ils furent déçus et s’en détournèrent. Ils l’avaient déjà auparavant et n’avaient déjà pas aimé : une direction établie (locale et nationale) qui n’acceptait aucune remise en question ; un programme préétabli qui ne devait pas être discuté ; et une campagne pour élire des députés désignés et pas élus par la base ! Peu avant le jour de l’élection, les responsables de l’Unité Populaire réalisèrent que les choses ne se passaient pas bien et ils tentèrent un virage démocratique de dernière minute, mais il était trop tard.

    Perspectives et tâches

    Vers la fin des années 1990, il était possible de voir d’où viendrait l’initiative pour la création d’une nouvelle formation de gauche en Grèce (laquelle devint Syriza). Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. La phase de défaite que traverse la classe des travailleurs grecs est sérieuse. Cependant, elle n’est pas du tout comparable à la défaite de la guerre civile de 1945-1949 ou à la victoire de la junte militaire de 1967 à 1974. La classe des travailleurs avec ses traditions militantes et d’abnégation seront de retour sur le devant de la scène, il n’y a aucun doute là-dessus. Bien sûr, le calendrier, l’ampleur et les caractéristiques précises de ce retour ne peuvent être prédits à l’avance. Ce processus se déroulera parallèlement à la tentative de construire de nouvelles formations qui pourront représenter politiquement le mouvement des masses et assurer la direction de ses luttes.

    Les activistes de la classe des travailleurs sont confrontés à une double tâche. D’une part, tirer la conclusion politique principale qui découle de la capitulation de Syriza : qu’il n’y a pas de solution dans le cadre du système capitaliste, qu’un programme socialiste révolutionnaire est le seul moyen de sortir de la crise. D’autre part, qu’il faut réunir, dans un large fleuve d’actions, de lutte et de résistance communes, tous les différents courants des mouvements grecs avec l’objectif supplémentaire de galvaniser ceux-ci au sein d’une nouvelle formation élargie avec des caractéristiques de front unique. Un large front uni est nécessaire pour rendre les luttes plus efficaces, tout comme un noyau de révolutionnaires est nécessaire pour lutter pour un programme socialiste au sein de la classe des travailleurs, des mouvements sociaux et de la société.

    Objectivement, il y a un terreau fertile à ces idées. Le problème est subjectif et est lié aux déficiences des forces principales de la gauche. Par conséquent, nous pouvons seulement nous battre pour ces idées et prendre des initiatives lorsqu’il est possible de montrer la voie à suivre. Xekinima fait campagne dans le mouvement de masse et la société pour ces propositions et, prend, en même temps, des initiatives qui nous indiquent le chemin à suivre. Des initiatives telles que des alliances locales de gauche, des « centres sociaux » locaux avec d’autres militants de gauche, des campagnes communes avec d’autres groupes, en particulier sur des questions qui touchent la classe des travailleurs, etc.

    Il y a une retraite dans le mouvement de masse et il y a de la démoralisation. Il y a très peu de luttes majeures, « centrales », mais beaucoup de petites et d’importantes. Parallèlement, de nombreux activistes ont soif d’idées. La phase d’accalmie actuelle prendra fin, tôt ou tard, et de nouveaux soulèvements sont à prévoir. Les forces du socialisme révolutionnaire s’appuient sur cette perspective.

  • 500.000 personnes dans la rue en Suisse pour une “Grève des femmes”

    Plus de 500.000 femmes, travailleurs et jeunes sont descendus dans les rues de toute la Suisse le 14 juin dernier dans le cadre d’une grève nationale des femmes.

    Par Valerie Leary, militante de la campagne socialiste féministe ROSA en Irlande et membre du Socialist Party (CIO-Irlande).

    L’ampleur même des manifestations dans de nombreuses villes a envoyé un message clair : le statu quo ne sera plus toléré. Rien que dans les rues de Zurich, 160.000 personnes ont manifesté, tandis que 40.000 se sont rassemblées devant le Parlement à Berne, de 40.000 à 50.000 ont manifesté à Lausanne et à Bâle, 25.000 à Genève, 12.000 à Fribourg et à Sion et, dans des villes beaucoup plus petites comme Neuchâtel, Saint-Gall et Delémont, le chiffre oscille entre 4.000 et 10.000.

    Aucun changement significatif

    Cette action historique représente la plus grande mobilisation de l’histoire récente du pays et a été entreprise près de 30 ans après la grève nationale des femmes de 1991 qui avait également connu une mobilisation massive de plus de 500.000 femmes dans les rues du pays. Le mouvement avait forcé la mise en œuvre de la législation sur l’égalité, y compris l’égalité salariale et l’introduction du congé maternité. L’égalité avait été inscrite dans la Constitution une décennie plus tôt, en 1981, mais peu avait été fait pour que cela soit suivi de lois. Cette mobilisation avait été nécessaire pour forcer l’establishment à agir.

    30 ans plus tard, les revendications n’ont pas vraiment changé. En Suisse, les femmes gagnent encore en moyenne 20% de moins que leurs homologues masculins, elles sont plus susceptibles d’occuper des emplois précaires et faiblement rémunérés, elles ont des pensions moins élevées et elles effectuent 282 millions d’heures de travail non rémunéré chaque année à domicile ou sous forme de travail bénévole (l’équivalent de 148.000 postes à plein temps). Récemment, le Parlement a voté contre deux propositions visant à introduire le congé de paternité.

    Les grévistes réclament l’égalité de rémunération à travail égal et la fin des conditions précaires, des pensions décentes combinées à un abaissement de l’âge de la retraite, une revalorisation du travail domestique et des soins, une réduction du temps de travail sans perte de salaire, la socialisation des soins aux enfants et du travail de soins que les femmes font généralement à la maison, le droit de choisir et le droit à l’autonomie corporelle qu’il s’agisse d’avortement, de sexualité ou d’identité de genre, la fin de la violence et du harcèlement sexistes, homophobes et transphobes, les droits des migrants, une éducation sexuelle inclusive et globale dans les écoles, la solidarité internationale et la fin du racisme !

    S’organiser

    La grève a d’abord été déclenchée par les femmes dans les syndicats qui ont adopté une résolution lors du Congrès syndical suisse en juin de l’année dernière, appelant à une grève le 14 juin 2019. Immédiatement après, une assemblée a été convoquée, à laquelle ont participé quelque 150 délégués de chaque canton. Depuis lors, des collectifs de femmes se sont formés dans chaque région, ville et village avec à leur tête des militantes syndicales, des travailleuses ordinaires, des étudiantes et des jeunes. La dynamique a clairement été inspirée par la récente vague de mouvements et de luttes féministes dans le monde, dont la grève de masse à l’occasion de la Journée internationale des femmes de 2018 dans l’État espagnol ainsi que par le récent mouvement des jeunes contre la catastrophe climatique. Les collectifs ont organisé une assemblée en mars pour appeler officiellement à la grève du 14 juin et à laquelle plus de 500 femmes venant de tout le pays ont participé.

    Au cours de l’année écoulée, les collectifs ont organisé et participé à de nombreuses manifestations et actions telles que des manifestations et des actions de désobéissance civile. Ils ont notamment pris part à la manifestation contre le changement climatique, ont organisé des manifestations et des actions à l’occasion de la Journée internationale des femmes et sont intervenus dans les manifestations du 1er mai. Au cours des derniers mois, d’autres mesures ont été prises pour préparer la grève, notamment diverses interventions et performances artistiques dans des espaces publics, le déploiement de banderoles sur les ponts et la création d’une station de radio féministe. La grève a reçu un large soutien au sein de la population, les sondages montrent que 63 % des femmes étaient en faveur de la grève. Une femme sur cinq prévoyait de participer à la grève ce jour-là et les hashtags #frauenstreik2019 et #2019grevefeministe faisaient tendance sur les médias sociaux.

    14 juin – Journée de protestations et de piquets de grève

    Les manifestations du 14 juin ont commencé à 1 heure du matin par des actions dans de nombreuses villes, y compris des marches contre la violence sexiste, le déploiement de banderoles sur des monuments historiques, des manifestations bruyantes de “casseroles” et des feux de joie. Dès le matin, des piquets de grève ont été organisés dans de nombreux lieux de travail, notamment à l’extérieur des hôpitaux, des maisons de repos et des établissements de soins, avec des actions de solidarité et des piquets de grève des nettoyeurs, des éboueurs et autres professions traditionnellement masculines.

    Des petits-déjeuners ont été organisés sur les piquets de chaque ville pour soutenir les grévistes, ces actions du matin ont réuni plus de 100.000 personnes à l’échelle nationale. Tout au long de la journée, des ateliers improvisés de fabrication de pancartes dans les écoles ou dans la rue, des pique-niques, des discours et des chorales féministes ont été organisés et ont culminé avec les manifestations de l’après-midi organisées dans chaque ville et municipalité.

    Les organisations patronales ont vivement critiqué la grève, la qualifiant d’illégale et s’opposant fermement à ses revendications. Cependant, le mouvement et la pression étaient tels que de nombreux employeurs ont été forcés d’adopter une position conciliante et de permettre au personnel de participer à l’action d’une manière ou d’une autre.

    Les partis traditionnels de droite tels que le PLR (Parti libéral radical), les ministres du gouvernement et les politiciens de droite de haut niveau ont également subi des pressions pour montrer une certaine forme de soutien à l’action. Ce jour-là, l’UDC (Union du Centre Démocratique), un parti bourgeois conservateur d’extrême droite, s’est sans surprise opposé à la grève, ses membres féminines organisaient un déjeuner de charité pour collecter des fonds pour une organisation anti-avortement pour marquer cette journée !!

    Nécessité d’un parti des travailleurs

    Les Verts et le PS se sont consciemment mis en avant dans ce mouvement. Cependant, ils ne représentent pas d’alternative. Elles participent au pouvoir depuis des décennies, tant au niveau fédéral qu’au niveau cantonal, et sont constamment orientées vers la droite, soutiennent les politiques d’austérité qui frappent le plus durement les femmes et la classe ouvrière et ne proposent que des réformes édulcorées.

    Bien que les militantes syndicales aient été l’épine dorsale de ce mouvement et que leurs revendications soient claires, le mouvement est politiquement très éclectique et confus, sans perspective anticapitaliste claire de la part des collectifs et avec la présence d’éléments de féminisme libéral.

    Il faut une alternative de gauche claire et reposant sur la classe des travailleurs en Suisse, une alternative capable de mettre en avant les revendications du mouvement. Comme dans le reste de l’Europe, les conditions de travail des travailleurs en Suisse sont attaquées, mais aucun parti ne représente leurs intérêts à l’échelle nationale. Une telle alternative pourrait constituer un grand pas en avant.

    Une nouvelle génération entre en action

    L’élan acquis par le mouvement au cours des derniers mois est vraiment inspirant et a permis à de nombreuses jeunes femmes, travailleuses et étudiantes de s’engager pour la première fois en politique. L’action a également popularisé l’idée de l’action de grève comme méthode qui peut imposer le changement et arracher des revendications qui bénéficieront à la classe ouvrière dans son ensemble.

    Un appel a été lancé pour que les collectifs se réunissent le 2 juillet afin de discuter d’une stratégie pour aller de l’avant. La lutte doit se poursuivre sur l’élan de cette grève et des appels doivent être lancés à destination du mouvement syndical pour exiger l’organisation d’actions, y compris une grève impliquant tous les travailleurs. Pour répondre aux aspirations des centaines de milliers de personnes qui sont descendues dans la rue, il faut remettre en question le système capitaliste – qui repose sur l’exploitation et qui engendre inégalités et discriminations – et construire une alternative socialiste.

  • État espagnol : Les violeurs de “La Meute” condamnés par la Cour suprême

    “Ce n’est pas un abus, c’est un viol” et “Nous te croyons”. Mobilisation de la jeunesse contre la première décision de la justice, où les violeurs de la “meute” avaient été condamnés à des peines très légères. La contestation de masse a fait pression pour qu’un verdict différent soit rendu.

    Une victoire importante pour le mouvement féministe de masse

    La Cour suprême espagnole a porté les condamnations dans l’affaire de la “Manada” (la meute) de Pampelune à 15 ans de prison pour les cinq coupables, ce qui représente une victoire importante pour le mouvement féministe de masse. La Cour a également clairement statué que la jeune femme de 18 ans avait été violée et qu’elle n’était donc pas seulement victime d’un abus sexuel, une accusation moindre.

    Article de John Hird, membre du Comité pour une Internationale Ouvrière dans le Pays Basque.

    Cette affaire scandaleuse s’est poursuivie pendant près de trois ans et a provoqué un mouvement de masse de femmes, et plus largement de la classe des travailleurs et de la jeunesse, dont les slogans “yo sí te creo” (je vous crois) et “no es abuso, es violación” (Ce n’est pas un abus, c’est un viol) se sont fait entendre à travers le monde.

    L’affaire a mis en lumière non seulement les violences sexuelles subies par les femmes, mais aussi l’indifférence du système judiciaire rempli de juges réactionnaires aux vues sexistes et rétrogrades. Cela est particulièrement prononcé dans l’État espagnol, où la machine d’État est directement héritée du franquisme. Tous les juges qui ont participé à la décision d’accorder des peines moins lourdes aux violeurs de la Manada, ce qui les a maintenus hors de prison, devraient être révoqués et le mouvement ouvrier devrait exiger une révision complète de l’injuste système judiciaire espagnol. Il devrait être remplacé par un véritable système judiciaire géré par et dans l’intérêt de la classe des travailleurs et des opprimés, avec des juges élus et soumis au droit de révocation.

    Une victoire pour le mouvement de masse

    Il est clair que la “justice” espagnole n’a pas soudainement “vu la lumière” et corrigé une terrible injustice parce que le système “fonctionne”, comme le prétendent les politiciens. Non, l’establishment a vu les femmes et les travailleurs entrer en action dans un mouvement de masse, ce qu’ils redoutent. Ils ont réagi de la sorte pour éviter que des mobilisations encore plus importantes puissent voir le jour. Le mérite en revient à des groupes comme Libres y Combativas et le Sindicato de Estudiantes qui ont audacieusement appelé les jeunes à descendre dans la rue pour faire grève et manifester contre les verdicts initiaux, notamment lors de la grève générale massive des étudiants du 10 mai 2018.

    C’est une grande victoire pour le mouvement de masse, mais de nombreux autres cas de violence contre les femmes existent dans l’État espagnol et les mobilisations et les campagnes doivent donc se poursuivre jusqu’à ce que le système judiciaire sexiste soit fondamentalement transformé de haut en bas. Il est également important de noter que cette victoire a été remportée malgré le rôle des dirigeants officiels du mouvement syndical, qui n’ont pris des mesures symboliques que lorsqu’ils y étaient contraints, en raison de pressions de la base devenues insupportables. Une gauche de masse et un mouvement syndical construit d’en bas avec une direction combative et révolutionnaire pourraient transformer totalement la situation et faire des victoires contre l’oppression, l’austérité et le capitalisme la dynamique dominante dans la lutte de classe.

    Dans l’État espagnol, l’indignation face à la violence sexiste et à l’impunité dont jouissent les agresseurs de la part de la justice a occupé une place centrale dans l’émergence du mouvement de masse des femmes. Il faut reconnaître que la grande majorité de la violence envers les femmes se déroule à la maison, dans la famille. Des millions de personnes sont confrontées à ce cauchemard quotidien aggravé par les conséquences des mesures d’austérité.

    Il existe d’importants parallèles avec d’autres pays, par exemple avec les manifestations #Ibelieveher (je la crois) en Irlande à la suite du procès très médiatisé du viol par des joueurs de rugby de Belfast, dans lequel le Socialist Party (CIO-Irlande) et ROSA, le mouvement socialiste féministe, ont joué un rôle clé.

    Le mouvement dans l’État espagnol a été l’épicentre des mouvements des femmes à travers le monde, tant par son ampleur – des millions de femmes sont descendues dans la rue à plusieurs reprises – que par la manière dont l’action et la lutte de la classe ouvrière unie ont été mises en avant. Les deux magnifiques grèves générales féministes des 8 mars 2017 et 2018 en sont la preuve la plus significative : des millions de travailleuses et de travailleurs ont participé à des actions de grève et à des manifestations de masse. C’est d’une grande importance pour les féministes socialistes au niveau international, et cela montre la voie à suivre.

    La réaction

    Des politiciens réactionnaires critiquent ouvertement le nouveau verdict. Francisco Serrano, qui dirige le parti d’extrême droite VOX en Andalousie, a attaqué la décision de la Cour suprême en disant : “la relation la plus sûre entre un homme et une femme ne se fera que par la prostitution. Désormais, la différence entre avoir des rapports sexuels gratuits et les payer, c’est que le sexe gratuit pourrait vous coûter plus cher.” Plus tard, le porte-parole parlementaire de Vox dans la région de Murcie, Juan José Liarte Pedreño, a posté un message sur Facebook dans lequel il insultait la ministre de la Justice Dolores Delgado la traitant de “pute”.

    La profonde polarisation politique de la société espagnole se reflète aujourd’hui clairement dans et à travers le mouvement de masse des femmes. En plus d’une rhétorique nationaliste espagnole enragée et anti-ouvrière, le parti d’extrême droite VOX défend un message fortement anti-féministe.

    Le mouvement de masse qui a remporté cette victoire dans la rue ces dernières années doit rester vigilant et poursuivre la lutte contre la violence à l’égard des femmes, contre le système judiciaire injuste espagnol et contre tous les politiciens et juges réactionnaires. L’éradication du caractère réactionnaire des institutions étatiques espagnoles comme le pouvoir judiciaire ne peut être envisagée que sur base d’une rupture fondamentale avec le capitalisme et de la lutte pour le socialisme. Construire un parti socialiste révolutionnaire démocratique reposant sur la classe ouvrière et défendant le féminisme socialiste est une tâche cruciale qui nous attend.

  • Progression de l’extrême droite en Europe : le désespoir n’entraîne pas de progrès social

    Notre parti-frère autrichien, le SLP, en action contre le gouvernement Kürz sous le slogan : “Dégageons le gouvernement par la grève” et “Emplois et logements sociaux pour tous.”

    Le Rassemblement national de Marine Le Pen et la Lega de Salvini sont devenus les plus grands partis en France et en Italie lors des élections européennes. Comme d’autres forces d’extrême droite, ils prétendent représenter une «force sociale» capable de faire la différence pour leur «propre peuple». C’est un mensonge : là où l’extrême droite participe au pouvoir, elle ne rompt pas avec la politique d’austérité et s’en prend aux travailleurs ordinaires et à leurs familles. Les promesses sociales ne sont pas tenues, mais la répression et la brutalité contre les migrants et les dissidents s’intensifient bel et bien.

    Par Geert Cool

    Un sérieux danger

    Pour disposer d’un soutien plus large, l’extrême droite doit trouver une manière de faire écho à ce qui vit parmi les couches larges de la population. C’est la seule raison pour laquelle elle reprend des revendications sociales. Ce n’est d’ailleurs pas neuf, les fascistes le faisaient déjà en Allemagne et en Italie à l’époque. Comme le faisait remarquer la socialiste allemande Clara Zetkin en 1923, les fascistes ‘‘combinèrent un programme apparemment révolutionnaire qui s’accordait intelligemment avec les humeurs, les intérêts et les exigences de larges masses sociales, avec l’utilisation de la terreur brutale et violente’’. Dès que possible, la rhétorique sociale a été mise de côté, ne laissant que la terreur.

    Aujourd’hui, l’extrême droite ne bénéficie pas d’un soutien actif de masse (une implication massive dans la rue par exemple), ce qui était caractéristique des nazis allemands et des fascistes italiens. C’est pourquoi l’extrême droite actuelle est incapable d’organiser la terreur qu’elle souhaite voir appliquer à la même échelle. Mais toute croissance de leur confiance conduit inévitablement à de la violence. En Italie, au moins 126 cas de violences racistes ont été signalés en 2018, contre 46 en 2016 et 27 en 2017. Au cours des deux premiers mois qui ont suivi la victoire électorale de la Lega, il y a eu 12 fusillades racistes, deux meurtres et 33 agressions physiques contre des migrants. Le ministre Matteo Salvini encourage les brutes d’extrême droite, comme ceux de CasaPound (qui se décrivent comme des partisans du ‘‘fascisme du XXIe siècle’’) à s’attaquer aux camps de Roms.

    L’espace laissé à ces troupes de choc nauséabondes dépend avant tout du rapport de forces dans la société. Il est donc essentiel que le mouvement des travailleurs riposte à l’extrême droite. Si ce n’est pas le cas, ils iront un pas plus loin. Aujourd’hui, le large soutien passif pour l’extrême droite repose principalement sur le désespoir social et la colère. Il ne conduit pas encore à une entrée en action massive, au contraire des années 1920 et 1930. Mais c’est dès aujourd’hui que nous devons assurer que les choses n’aillent pas aussi loin.

    Des espoirs condamnés à être déçus

    Durant la campagne électorale qui l’a porté au pouvoir, Salvini avait promis de revenir sur les réformes antisociales des gouvernements précédents contre les retraites et d’abaisser l’âge de départ en pension. Une proposition visant à atteindre cet objectif a été modifiée en profondeur en décembre parce que la Commission européenne refuse tout déficit budgétaire. Finalement, l’âge de la retraite est simplement ajusté pour ceux qui ont une carrière suffisamment longue (ce qui concerne quelques dizaines de milliers de travailleurs de l’industrie au nord du pays). Il est possible de partir à la retraite avec un quota de 100 par âge et par carrière (avoir 62 ans et 38 ans de carrière par exemple). Tout les autres doit travailler jusqu’à 67 ans. Cette mesure bien timide reviendra à 3,9 milliards d’euros, financés notamment par un important programme de privatisation prévoyant la vente de 18 milliards d’euros de biens publics ! Ce que signifie la privatisation a été mis en évidence par la catastrophe de l’effondrement du pont Morandi à Gênes. La privatisation des infrastructures conduit à des économies sur l’entretien et, en fin de compte, à des catastrophes. En d’autres termes, les travailleurs paient plus que ce qu’ils obtiennent. On fait mieux en termes de ‘‘progrès social’’.

    Le score de la Lega augmente la pression sur Salvini pour qu’il tienne ses promesses sociales, chose impossible dans l’ordre néolibéral actuel. Pour y parvenir, il faudrait inévitablement entrer en conflit avec l’Union européenne, mais aussi avec une partie importante de la bourgeoisie italienne. La seule force en Europe capable de gagner ce combat, c’est le mouvement ouvrier organisé autour d’un programme internationaliste et socialiste. Salvini a bien entendu autre chose à l’esprit. C’est pourquoi il s’incline lui aussi devant le dogme de l’austérité. Pendant ce temps, la polarisation s’accroît dans la société, les groupes d’extrême droite violents devenant plus actifs, mais avec face à eux des mobilisations antiracistes et des luttes des travailleurs (à l’image de la grève des dockers à Gênes contre une cargaison d’armes vers l’Arabie saoudite).

    Une offensive contre le monde du travail

    Quand la pression pour une rupture politique anti-austérité diminue, l’extrême droite montre alors son vrai visage dans le domaine socio-économique. C’est ce que nous avons pu constater en Autriche, où le FPÖ (Parti de la liberté d’Autriche) a formé un gouvernement avec le parti conservateur ÖVP (Parti populaire autrichien). Une des premières mesures prises par ce gouvernement a été de rendre le temps de travail encore plus flexible, avec la possibilité de travailler 12 heures par jour. Soyons précis : ils ont offert aux patrons la possibilité de forcer les travailleurs à travailler autant.

    L’accès au pouvoir a également été utilisé par l’extrême droite pour aider leurs amis oligarques russes ou leur promettre des contrats gouvernementaux lucratifs. Alors que les riches mafiosi recevaient des cadeaux, les travailleurs et leurs familles devaient accepter des attaques néolibérales contre leurs conditions de travail. Cela indique clairement où se trouvent les intérêts que l’extrême droite défend.

    ‘‘L’affaire Ibiza’’ a dévoilé les liens occultes entre le dirigeant du FPÖ Heinz-Christian Strache et de sombres oligarques russes a entraîné la démission du président du parti et la chute du gouvernement. Mais le déclin du FPÖ aux élections européennes est limité. Ce n’était pas le cas lors de la participation antérieure du FPÖ au gouvernement : un mouvement massif contre les attaques du FPÖ et de l’ÖVP contre les retraites a abouti à une sanction sévère de l’extrême droite aux élections de 2004. En bref, c’est la lutte sociale qui représente la meilleure réponse à l’extrême droite, car elle s’en prend à son sol d’alimentation.

    Les exemples de l’Italie et de l’Autriche sont importants pour nous : le président du Vlaams Belang Tom Van Grieken a décrit à plusieurs reprises Salvini et Strache comme ses exemples politiques. Tirons les leçons de la résistance à leur égard.

  • Luxembourg : les jeunes en mode rébellion pour le climat

    Ils étaient près de 15000, le 15 mars, à manifester sous la pluie pour le climat. Les jeunes luxembourgeois ont signé à cette occasion un record national et mondial dans la mobilisation pour le climat, si l’on rapporte le nombre de manifestants à la population du Grand-Duché.

    Par Jean (Luxembourg)

    Après un tel succès, ils ne voulaient pas en rester là. Et ce ne sont certainement pas les réponses du monde politique qui auraient pu les inciter à rentrer chez eux. Que du contraire, puisque les Verts qui font partie du gouvernement se sont distingués en votant CONTRE une résolution décrétant l’urgence climatique déposée par Déi Lenk (gauche radicale).

    Bref, le 24 mai était une journée d’action internationale et les jeunes luxembourgeois comptaient bien y participer. Et depuis le 15 mars, il y avait de la radicalisation dans l’air, d’une part grâce à l’exemple donné par Extinction Rebellion et d’autre part, par la dynamique du mouvement en elle-même. Résultat : les jeunes ont décidé d’organiser une occupation sans demander la permission ni à leurs écoles, ni au ministère de l’éducation ni à la police. Un mode transgressif qui a également permis aux syndicats des enseignants de se profiler en soutenant leurs élèves et en appelant leurs professeurs à les rejoindre, ou du moins à ne pas les sanctionner.

    Quel était le plan ? Tout simplement occuper LE point stratégique majeur qui relie le centre-ville au quartier d’affaires du Kirchberg, à savoir le Pont Rouge où se trouvent également les institutions européennes. Il était clair dès le départ qu’on ne pourrait pas mobiliser autant de monde que le 15 mars, vu le caractère transgressif de la manifestation. Quelques jours avant l’action, on se disait que 500 serait déjà très honorable.

    Au final, ce furent 1500 jeunes (et pas mal de moins jeunes). Le tout dans une ambiance à la fois joyeuse et radicale, avec des slogans visant directement les responsables politiques du désastre annoncé et notamment les institutions européennes voisines. La formule de blocage filtrant a permis au message de d’être diffusé parmi les automobilistes qui passaient au compte-goutte sur le pont. Entre slogans, mini-concerts improvisés et chorégraphies diverses, le temps s’est arrêté sur le Pont Rouge habitué à un balais incessant de véhicules et de gens pressés. Avant de lever le camp vers 18 heures, les jeunes ont même réussi à imposer un blocage complet du pont, pendant 15 minutes, après tractations avec la police.

    La « rébellion négociée » est un concept typiquement luxembourgeois. Il peut paraître étrange, mais ce jour-là, il a bien fonctionné… Il faut dire que depuis la 1ère manifestation pour le climat au mois d’octobre 2018, le rapport de force a sensiblement changé au Grand-Duché.

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  • J’veux du soleil : Ruffin porte la voix des Gilets Jaunes

    Si vous n’êtes jamais allés sur un rond-point occupé par les Gilets Jaunes ; si vous avez des à priori sur le mouvement et sa composition ; si vous croyez les propos de leurs détracteurs les identifiant comme racistes, homophobes, casseurs, fous furieux ; si vous vous demandez pourquoi et comment il se fait que le mouvement, bien qu’essoufflé, perdure encore aujourd’hui : allez voir ce film.

    Par Laure, Gauche Révolutionnaire (CIO-France)

    Le mouvement GJ en image

    De villes en ronds-points, le député du groupe parlementaire de la France Insoumise François Ruffin et son cameraman sillonnent la France à la rencontre de ceux qui, depuis le 17 novembre, se sont relayés pour tenir ces ronds-points transformés en ‘‘villages de Gaulois réfractaires’’, ‘‘mini ZAD’’ (Zone à défendre),… Qu’importe leur dénomination, ces endroits ont été transformés avant tout en lieux de rencontre et d’organisation, de vie et d’échange, de résistance et de reconnaissance, entre frères de galère, sœurs de misère, exploités et petits exploitants dont le dénominateur commun est celui du ras-le-bol, du refus de cette survie imposée. De gens qui refusent, parfois pour la première fois, d’être les oubliés d’un système où la minorité se gave goulûment sur le dos des autres qui en bavent.

    Portraits des invisibles qui subissent

    Il ne faut pas s’attendre à un film qui permettrait de comprendre l’organisation de ces lieux de résistance, de la mise en place des Assemblées générales à l’organisation logistique ou stratégique des blocages. Il n’aborde pas non plus la gigantesque répression policière et judiciaire. Le film nous propose un recueil de portraits de GJ asphyxiés par la vie, sortant de la honte pour relever la tête et dire que ça suffit. Il nous présente une diversité de portraits émouvants d’une couche auparavant silencieuse de travailleurs précaires, chômeurs, retraités, mères célibataires et petits indépendants en galère qui se relayaient sur les carrefours occupés.

    Les naufragés du capitalisme

    Ces portraits donnent à voir à quel point la société piétine, exploite, presse jusqu’à la moelle, puis laisse pourrir tous ceux qui la composent et pourtant créent les richesses. Personne n’est épargné sauf la classe dominante. Elle laisse sur le banc la plupart d’entre nous, nous met en compétition, nous tue à petit feu.

    Le film ne montre qu’une partie du tableau. Il faut y rajouter l’abandon des services publics, les postiers et cheminots qui luttent depuis de nombreux mois contre la privatisation des services; les profs et les lycéens en lutte contre les lois qui dégradent l’éducation. Le pays est traversé de luttes sociales et une certaine convergence a eu lieu autour du mouvement des Gilets Jaunes.

    La solidarité pour tenir

    Comme on l’entrevoit dans le film, la solidarité engendrée par les occupations quotidiennes et nocturnes des ronds-points est frappante : dons, démonstrations de solidarité, discussions,… Une puissante force collective et une volonté (et nécessité) de s’organiser ensemble se dégageaient des lieux d’occupation.

    Lever la tête collectivement est une prise de conscience qui restera gravée dans les mémoires. Certains ont décidé de ne plus se laisser faire à l’usine non plus. C’est le cas notamment des ouvriers des entrepôts de Décathlon qui, grâce au mouvement, ont senti qu’il était temps que la peur change de camp et ont bloqué leur lieu de travail pour la première fois depuis 30 ans, afin d’exiger de meilleures conditions de travail et de salaire.

    Réappropriation des richesses : une nécessité

    Le film laisse ouvertes les pistes qui pourraient être tirées de ce mouvement d’envergure, notamment quant à la manière de poursuivre la lutte. La seule conclusion possible d’un tel mouvement, c’est la nécessité de l’appropriation des moyens de production et de décision par la collectivité. C’est la seule manière de faire vaciller ce système moribond qui nous plonge dans la violence sociale, puis policière et judiciaire dès qu’on le remet en cause. Le mouvement des Gilets Jaunes a montré de quoi nous sommes capables en termes d’organisation et de solidarité.

  • L’extrême droite et la droite populiste en passe de gagner les élections européennes

    “Jobs, geen racisme”, De emplois, pas de racisme. Ce slogan fait partie de notre approche dans la lutte contre l’extrême droite et tout ce qui nous divise.

    Combattre la crise de l’UE et la croissance de l’extrême droite avec une alternative internationaliste et socialiste

    Les élections du nouveau Parlement européen à la fin du mois de mai sont caractérisées par le manque d’enthousiasme, la méfiance et même une hostilité ouverte envers l’Union européenne. La saga autour du Brexit n’en est qu’une illustration. Dans la plupart des pays, la participation sera très faible. En outre, toutes sortes de partis populistes de droite et d’extrême droite vont marquer des points. Il est difficile d’encore trouver de l’optimisme pour le progrès et une plus grande unité du projet européen. Dans toute l’Europe, l’establishment est confronté à un profond discrédit politique.

    L’Europe du capital sous pression

    Ces dernières décennies, l’establishment a fait tout son possible pour rendre l’UE synonyme de paix, de prospérité et de coopération. On parle encore aujourd’hui souvent des ‘‘valeurs européennes’’ de démocratie et de tolérance, mais toute cette hypocrisie tombe en miettes. L’UE est une machine d’austérité néolibérale qui ne tolère aucune contradiction. Le peuple grec en a durement fait l’expérience en 2015 lorsqu’il a démocratiquement choisi un gouvernement qui avait promis de rompre avec l’austérité. L’UE a alors agi en véritable tyran pour empêcher que cela n’arrive et forcer le gouvernement Syriza à rentrer dans le rang.

    Les promesses de prospérité liées à la coopération européenne n’ont été concrétisées que pour les ultra-riches. Les multinationales ont bénéficié de l’élargissement du marché intérieur et d’une meilleure position concurrentielle face à d’autres blocs comme les États-Unis, le Japon et, de plus en plus, la Chine. Depuis ses origines, la raison d’être de l’UE est la défense des intérêts des grandes entreprises. L’UE est donc utilisée pour imposer privatisations, libéralisations et mesures antisociales. Tout cela est présenté comme nécessaire pour la ‘‘compétitivité’’ des entreprises. Ces politiques néolibérales jouent un rôle de premier plan dans l’aversion croissante que suscite l’UE. Le déclin d’enthousiasme est évident au vu du taux de participation aux élections. Lors des toutes premières élections du Parlement européen en 1979, deux tiers des électeurs s’étaient rendus aux urnes ; contre 40% aux élections européennes de 2014.

    Les gouvernements nationaux se cachent souvent derrière les diktats de l’UE en déplorant n’avoir d’autre choix que de mener une politique néolibérale. Ils oublient de préciser que ces mêmes partis sont également au pouvoir à l’UE. Les gouvernements nationaux composent d’ailleurs la Commission européenne, l’organe non élu qui prend les décisions les plus importantes. Le Parlement européen a une fonction plus propagandiste mais, là aussi, ce sont les mêmes familles politiques forment la majorité. Depuis 1979, il y a toujours eu une large majorité en faveur de la ‘‘grande coalition’’ composée des sociaux-démocrates (le groupe Socialistes & Démocrates) et des démocrates chrétiens (le groupe du Parti Populaire Européen). Les élections de cette année menacent de bouleverser les choses pour la première fois.

    Dix ans après la récession de 2007-08, le capitalisme est embourbé dans des problèmes partout dans le monde. De gigantesques moyens ont été injectés dans l’économie, mais ce sont surtout les plus riches qui en ont profité. La reprise économique nous a largement échappé. Les travailleurs et leurs familles ont continué à souffrir des mesures d’austérité et des attaques contre les conditions de travail, les salaires, la sécurité sociale, les services publics,… Et aujourd’hui, les économistes avertissent du danger d’une nouvelle récession. Les politiciens capitalistes savent que les moyens manquent pour promettre des dépenses et gagner des voix. Le système est en outre mal préparé pour être capable de faire face à une nouvelle récession : les taux d’intérêt restent très bas et les ressources injectées dans l’économie ont laissé une importante dette derrière elles.

    L’establishment des différents États membres, et donc aussi de l’UE, n’est pas du tout en mesure de répondre à ce que les citoyens considèrent comme des défis majeurs : l’avenir de l’humanité et de la planète. Des centaines de milliers de personnes manifestent pour le climat, mais l’UE n’est pas en mesure de lutter contre la fraude des logiciels automobile. Les lobbys du profit s’opposent à toutes mesures sérieuses et l’UE et ils n’ont pas beaucoup d’efforts à livrer, les gouvernements nationaux rentrent totalement dans leur jeu. Des voix se sont fait entendre pour le pouvoir d’achat, les Gilets Jaunes suscitent la sympathie dans toute l’Europe. Mais l’argent n’existe pas non plus pour cela. Après l’incendie de Notre Dame de Paris, les ultra-riches arrogants ont démontré qu’ils avaient suffisamment d’argent : en quelques heures seulement, ils ont réuni près d’un milliard d’euros. Finalement, il s’est avéré que cette générosité était fiscalement avantageuse, une bonne partie de la facture étant renvoyée aux gens ordinaires…

    L’UE n’a-t-elle rien à offrir ? Qu’en est-il du processus d’unification ? C’est vrai, nous nous n’avons plus besoin de nous arrêter à la frontière pour nous rendre en France ou aux Pays-Bas. Nous n’avons plus besoin de changer d’argent et nous pouvons même passer des appels sans frais de roaming. Parallèlement, la libéralisation du transport ferroviaire international rend les trains à destination d’autres pays, même limitrophes, particulièrement onéreux. L’envoi d’une lettre ou d’un colis dans un pays voisin est également plus cher en raison de la libéralisation des services postaux. Et même l’unité européenne est sous pression. Le cas du Brexit est bien connu. Mais il existe d’autres sources de tension. La Russie tente d’accroître son influence par l’intermédiaire des pays d’Europe centrale et orientale ; la Chine est également en train d’explorer ses possibilités dans cette région. Des tensions existent aussi entre pays européens. La France soutient, par exemple, la dictature au Tchad et le chef de guerre libyen Khalifa Haftar qui contrôle le sud de la Libye. Début février, la France a participé à une opération militaire de ces forces et elle a également soutenu de récentes attaques, bien qu’elles visaient des alliés de l’Italie et d’autres pays européens. Il est évident que l’UE n’est pas si unie.

    Croissance de l’extrême droite et de la droite populiste

    Le plus grand vainqueur des prochaines élections européennes sera sans aucun doute l’extrême droite, ou plutôt les 50 nuances entre la droite populiste et l’extrême droite. Des commentateurs superficiels parleront d’un ‘‘virage à droite’’ ou d’extrême droite européen. Le raisonnement est dangereux car il attribue la responsabilité de l’instabilité politique aux gens ordinaires et non au système. Le fait est que l’extrême droite est souvent choisie pour punir les politiciens établis et leurs politiques, sans pour autant placer sa confiance dans la prétendue alternative des populistes de droite. Les électeurs cherchent des moyens de punir l’establishment pour sa politique antisociale et l’absence de perspective d’avenir optimiste. Les premiers qu’ils rencontrent souvent dans cette recherche, c’est l’extrême droite.

    Aux Pays-Bas, le Forum pour la Démocratie (FvD) de Baudet est devenu le premier parti lors des récentes élections provinciales. En France, le Rassemblement National (RN) de Le Pen peut aussi marquer des points. En Italie, la Lega risque de devenir le plus grand parti. En Allemagne, il y a l’AfD. Vox en Espagne. Et plusieurs partis de droite en Europe centrale et orientale.

    L’autorité des institutions de l’establishment disparait, mais cela ne signifie pas automatiquement que tous les préjugés sur lesquels repose le régime de l’élite vont faire de même. Ces dernières décennies ont connu un fort processus d’individualisation : plus rien n’est un problème social, nous sommes tous devenus des individus seuls responsables de leur situation. Cela tire sa source de la pensée néolibérale selon laquelle la société n’existe pas. Le but de cette propagande est avant tout d’empêcher les travailleurs d’unir leurs forces et de lutter ensemble contre l’establishment capitaliste. Cela a un certain effet, le mouvement des travailleurs s’est retrouvé sur la défensive ces dernières décennies. Beaucoup de gens ne considèrent pas le système responsable de la dégradation de leurs conditions de vie, ils estiment que c’est de la faute des réfugiés ou du rôle des politiciens corrompus. L’establishment n’est pas le seul à avoir un problème de représentation politique, le mouvement des travailleurs y est également confronté.

    Si diverses forces populistes et d’extrême droite peuvent rencontrer un certain succès aux élections européennes, cela est essentiellement dû au manque de confiance envers les autres partis. Tout comme le manque de confiance dans le Parti démocrate est le principal atout de Trump, la force de l’extrême droite repose principalement sur la faiblesse de ses opposants. Si la seule alternative proposée est de de se regrouper derrière des partis établis qui perdent leurs derniers vestiges d’autorité, alors l’extrême droite et les populistes de droite ont encore de beaux jours devant eux. Ils ne jouissent pas de masse de militants actifs ce qui leur pose un problème de stabilité.

    Une Europe en lutte

    Nous n’entretenons aucune illusion ni aucun espoir envers le projet capitaliste européen. Mais notre réponse ne réside pas dans le retour à l’État-nation. Nous soutenons la lutte pour l’autodétermination en Écosse et en Catalogne, dans le cadre de la lutte contre l’austérité. Nous combinons ce soutien à la nécessité de rompre avec le capitalisme pour bâtir des fédérations socialistes dans ces régions et dans l’ensemble de l’Europe. Depuis 2007, dans toute l’Europe, des mobilisations prennent place sous la forme de manifestations, de grèves et même de grèves générales contre l’austérité. Ces dernières années, les manifestations contre le racisme et le sexisme se sont également multipliées. Plus récemment, une nouvelle génération de jeunes s’est mobilisée autour de la question du réchauffement climatique, ce qui a donné lieu à de grandes mobilisations le 15 mars en reprenant une méthode typique de la classe ouvrière : la grève.

    Les marxistes ne doivent pas laisser la colère contre l’Europe des patrons et sa politique d’austérité aux mains de l’extrême droite opportuniste. Ils ne doivent pas non plus abandonner l’envie d’agir contre les dangers antidémocratiques et racistes aux forces libérales et petites-bourgeoises pro-UE. Nous défendons tous les droits démocratiques pour lesquels la classe ouvrière s’est battue, cela ne signifie pas de soutenir l’UE et ses structures antidémocratiques.

    Nous défendons les droits sociaux et démocratiques des travailleurs. Cela signifie que nous exigeons plus de moyens pour le secteur de la santé et de l’éducation ; la réduction collective du temps de travail et, en même temps, une augmentation des salaires. Il faut aller chercher l’argent dans les poches des riches pour répondre aux besoins de la classe des travailleurs et de la jeunesse. Comme le dit le slogan, nous ne nous battons pas seulement pour une plus grande part du gâteau, nous voulons toute la boulangerie ! Nous exigeons que nos droits démocratiques ne se limitent pas à aller voter à quelques années d’intervalle : nous voulons disposer d’un pouvoir réel sur les richesses de la société et la manière de les produire.

    L’UE, ses partis et ses institutions ne sont pas des outils visant à mettre fin au racisme et à la croissance de l’extrême droite. L’UE fait partie du problème et non de la solution. Nous luttons contre l’Europe des patrons, contre les coupes budgétaires, contre le racisme et contre l’extrême droite. Cela signifie de mettre fin à cette UE, à ses institutions et à sa politique d’austérité. Nous exigeons l’égalité des droits pour toutes les personnes vivant en Europe, la fin de l’Europe-Forteresse et que les richesses des super-riches soient saisies pour permettre à chacun de connaitre une vie décente.

    Nous luttons pour une Europe socialiste gérée démocratiquement et constituée sur une base volontaire. Cela signifie que notre solution aux problèmes en Europe ne réside pas dans les États-nations, mais dans la capacité des travailleurs à diriger et contrôler l’économie et la société pour qu’elle réponde aux besoins de tous, et non à la soif de profits de l’élite.

    Nous sommes bien conscients que l’on peut se demander si cela est bien réaliste au vu de la croissance de l’extrême droite dans les sondages. Mais n’oublions pas qu’après la crise économique de 2007, la première réaction de la classe des travailleurs et de la jeunesse a été de résister aux politiques d’austérité capitalistes. De vastes opportunités se présentaient pour la gauche en faveur de solutions socialistes. C’est la capitulation des diverses forces de gauche à la ‘‘logique’’ du capitalisme et leur trahison des intérêts de la classe des travailleurs, à l’instar de Syriza en Grèce, qui a posé les bases de la percée de l’extrême droite.

    On ne combat pas efficacement l’extrême droite en se limitant à faire appel aux ‘‘valeurs européennes’’. L’attitude des syndicats vis-à-vis de l’UE et de la manière de lutter pour les intérêts des travailleurs doit fondamentalement changer. Ce combat exige des organisations et des partis de gauche socialistes qu’ils ne tombent pas dans le piège de la défense du ‘‘moindre mal’’ européen face à l’extrême droite, mais qu’ils adoptent une position d’indépendance de classe. Cela nécessite des forces socialistes qui lient la lutte contre l’extrême droite à la lutte contre le capitalisme et pour des États socialistes volontaires, démocratiques et unis d’Europe.

  • Pologne. ArcelorMittal annonce l’abandon de la production à Nowa Huta. Préparons-nous à défendre les emplois!

    La direction du géant mondial de l’acier ArcelorMittal a annoncé par voie de presse ainsi que lors d’une assemblée générale des employés de l’aciérie COS de Cracovie la fermeture temporaire de la partie matières premières de l’aciérie, à compter de septembre, sans annoncer de date de fin. Cela signifie l’extinction du haut fourneau et par conséquent l’arrêt de la production de l’aciérie de conversion et des aciéries COS (coulée continue). Cela concerne 1200 ouvriers sur un total de 4000 a l’acierie de Cracovie.

    Par Kacper Pluta, métallurgiste, Alternatywa Socjalistyczna (section polonaise du Comité pour une Internationale Ouvrière)

    La direction du groupe justifie cela par la crise de surproduction sur le marché de l’acier, par la guerre commerciale dans laquelle les producteurs européens sont perdants et par des coûts de production élevés en Pologne (causés par les prix élevés de l’énergie et les coûts d’émission de CO2).

    L’arrêt de la production entraînera une chute radicale de la demande de main-d’œuvre dans le departement concerne. À l’heure actuelle, aucun plan de licenciement n’a été annoncé. Selon les déclarations préliminaires du responsable, les employés seraient transférés dans d’autres unités (notamment dans l’aciérie de Katowice) ou seront mis au chomage technique (sans qu’un travail ne soit assuré et avec une réduction significative de la paie). Toutefois, des licenciements ont déjà été annoncés chez des sous-traitants, de même qu’une modification du calendrier des investissements prévus. On ne sait pas encore s’il y aura des mises à pied pour les travailleurs intérimaires.

    Beaucoup de travailleurs s’inquiètent de savoir si la production reviendra un jour dans l’usine. Ces craintes sont justifiées au regard de la manière dont ArcelorMittal a déjà fonctionné avec des sites similaires en Europe occidentale, à Liège par exemple. La décision de suspendre la production à Nowa Huta est également critiquée par de nombreux travailleurs en raison des investissements de plusieurs millions d’euros réalisés au cours de ces dernières années – rénovation du haut fourneau, investissements dans la protection de l’environnement, construction d’un nouveau laminoir à chaud (prétendument le plus moderne d’Europe). On soupçonne également que l’entreprise souhaite obtenir des « cadeaux » du gouvernement sous la forme de remises d’impôts spéciales ou d’un tarif particulier pour l’énergie.

    Nowa Huta et son industrie ont déjà subi une thérapie de choc par le passé. Lors de la privatisation, l’emploi dans cette usine a chuté de 90% – des réductions de budgets drastiques ont également été requises par l’Union européenne. Au fil des ans, l’emploi a diminué et l’âge moyen des travailleurs en activité a augmenté. Les métallos n’ont été recrutés que très lentement et la plupart en tant qu’intérimaires. Les métallurgistes se voient à nouveau confrontés au spectre de la mort industrielle et de l’effondrement du savoir technique.

    Et ensuite?

    A un stade aussi précoce, il est difficile de planifier exactement la tactique de défense des emplois, alors que la société affirme qu’il n’y aura pas de licenciement et qu’elle a l’intention de continuer de produire de l’acier. Il ne faut pas la croire comme ça. L’évolution future des événements dépendra de plusieurs facteurs, notamment de la situation économique en Europe et dans le monde. Si la crise de surproduction s’avère devenir un gouffre lors de la prochaine vague de crise économique du capitalisme européen, alors nous pourrons oublier les déclarations d’ArcelorMittal. Les syndicats doivent dores et déjà se préparer à se battre pour les emplois. À notre avis, cette lutte sera plus efficace si un front commun engage le plus grand nombre possible de travailleurs – y compris les non syndiqués – sur la base des points suivants:

    1) Les travailleurs doivent avoir accès aux finances du groupe. Nous n’avons aucune raison de croire les déclarations de la direction: l’usine de Cracovie a-t-elle vraiment la production la plus chère du continent? La poursuite de l’exploitation des aciéries de Cracovie a-t-elle vraiment une justification économique et environnementale basée sur le transport des dalles d’acier depuis Katowice, à 80 km, plutôt que depuis COS située à une centaine de mètres? Il est crucial que les travailleurs procèdent à un audit des finances.

    2) La renationalisation des aciéries sous le contrôle des salariés. Si ArcelorMittal n’est pas intéressée par la poursuite de la production et veut gaspiller des centaines de millions d’investissements et d’inestimables ressources humaines sous la forme de travailleurs expérimentés, nous devrions exiger du gouvernement qu’il prenne le contrôle de l’entreprise. Bien sûr, de nombreux travailleurs se méfieraient des bureaucrates du gouvernement / du parti dans la fabrication de l’acier, si celle-ci est guidée par la logique capitaliste, encline au népotisme, à la corruption, etc. Le modèle de gestion auquel nous devrions nous attacher est donc le contrôle des travailleurs sur la production et les divers aspects de l’exploitation. Les travailleurs sont ceux qui connaissent le mieux ses problèmes.

    3) Solidarité interentreprises, interprofessionnelle et internationale! Nous devons unir les équipes de travailleurs des grandes usines d’acier, mais aussi celles qui ne sont pas touchées par les mesures d’ArcelorMittal. Ce sera une tâche difficile. Certains travailleurs de Katowice (D?browa est la ville a cote de Katowice ou se trouve l usine) ou de Zdzieszowice ou même la cokerie de Cracovie respirent avec soulagement au vu du fait que cette turbulence ne les frappe pas pour l’instant. Mais nous devons les convaincre qu’il faut être unis pour faire face aux problèmes d’aujourd’hui à Nowa Huta, ces derniers pourraient devenir leurs problèmes à eux à l’avenir. Il nous faut également renforcer la solidarité avec les autres industries, à l’image de ces nombreuses industries qui ont soutenu la récente grève des enseignants. Il est également nécessaire de renforcer le soutien de la communauté locale de Nowa Huta, etc. Enfin, les problèmes d’ArcelorMittal s’étendent – à l’instar du groupe lui-même – à de nombreux pays. Selon les informations préliminaires, des mesures similaires auraient également lieu dans l’usine espagnole. La direction essayera de monter les travailleurs des différents pays les uns contre les autres. C’est pourquoi nous devons nouer des contacts avec nos collègues à l’échelle internationale.

    La dernière question à traiter est le contexte général de la crise économique et de la crise climatique. Aucun pays n’est une île isolée et la nouvelle vague de crise mondiale aura un impact considérable sur l’économie polonaise – le ralentissement de l’économie allemande entraîne déjà une crise de l’industrie polonaise.

    Le capitalisme se caractérise par des crises récurrentes et les métallurgistes le savent parfaitement, ils ont l’habitude d’entendre parler du « manque de climat propice aux affaires », de « la mauvaise situation du secteur », etc. Le capitalisme n’a pas de solution durable aux crises économiques, tout comme à la crise environnementale. Le système de taxation des émissions de carbone n’améliore pas l’environnement mondial ni ne réduit les émissions de gaz à effet de serre; il ne fait que déplacer le problème d’un pays à l’autre, ce qui génère également des problèmes pour les économies périphériques telles que la Pologne (liées à la hausse des prix de l’énergie).

    Nous devons tenir compte de ces questions lors de l’élaboration de notre stratégie de lutte pour l’emploi. Par conséquent, à côté de la nationalisation sous le contrôle des travailleurs, nous proposons ce qui suit:

    • au lieu du système d’échange de quotas d’émissions (European Emissions Trading System ou EU ETS), il faut des investissements massifs dans des travaux publics utiles, destinés au public et à la demande interne croissante (y compris d’acier); en particulier des investissements dans le développement d’énergies propres,
    • des investissements dans la recherche sur les technologies permettant une production d’acier plus propre et une réduction des émissions de CO2.

    Les crises, les guerres commerciales et les actions de grandes entreprises comme ArcelorMittal sont inhérentes au capitalisme; l’alternative est une société socialiste, non pas à l’image de la dictature bureaucratique stalinienne, mais une société où l’économie serait planifiée de manière rationnelle et démocratique dans l’intérêt de toute l’humanité.

  • Mouvement social inédit pour des logements abordables en Allemagne

    L’Allemagne est secouée par un mouvement contre la hausse des loyers. Le 6 avril, des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes du pays. A Berlin, les manifestants exigent un référendum en vue de l’expropriation des grandes sociétés de logement.

    Par Jarmo (Anvers)

    La principale revendication portée par la manifestation de Berlin tournait autour de l’expropriation des grands groupes de propriétaires de logements de la ville, afin que leurs biens immobiliers tombent entre les mains du public et de la collectivité. Les manifestants réclament un référendum sur ce thème, ce qui est possible si 190.000 signatures sont réunies. Si cela abouti à une victoire, le précédent serait historique : le logement serait alors considéré comme un droit humain. L’impact serait énorme en Allemagne et à l’étranger.

    Pendant longtemps, l’Allemagne – et en particulier Berlin – a été considérée comme un modèle, les loyers y étant nettement inférieurs à ceux des autres grandes villes. La situation a toutefois bien changé. Les loyers ont augmenté de 20,5 % à Berlin au cours de la seule année 2017. Nulle part ailleurs dans le monde, on a pu mesurer une hausse aussi fulgurante des loyers. Ces majorations créent une grande incertitude pour les locataires qui craignent ne pas pouvoir rester dans leur logement. Toutes sortes de failles juridiques sont utilisées pour augmenter les loyers. Ces dernières années, par exemple, de nombreuses ‘‘améliorations énergétiques’’ ont été réalisées : des interventions mineures, mais qui permettent d’augmenter le loyer de 11%. De nombreux locataires ont résisté ou ont intenté des poursuites sur base individuelle. Ils perdent cependant habituellement le procès.

    Le SPD (parti social-démocrate) se dissocie du mouvement, ce qui n’est guère surprenant. Ce parti a orchestré la privatisation du marché du logement dans les années 1990 et 2000. Sa proposition de geler les loyers pour cinq ans représente peu en comparaison de ce qu’exigent les manifestants. La campagne du comité d’expropriation “Deutsche Wohnen & Co Enteignen” vise à l’expropriation complète des grandes sociétés de location. Cela est permis en vertu de l’article 15 de la Constitution allemande qui stipule que la terre, les ressources naturelles et les richesses peuvent être nationalisées pour faire face à des besoins sociaux. Mais selon l’entreprise immobilière Deutsche Wohnen et d’autres firmes, ce n’est juridiquement pas possible puisque cela rompt avec l’économie de marché.

    Se loger est un besoin vital, mais ce n’est qu’une marchandise pour les grandes entreprises. Deutsche Wohnen possède 140.000 logements en Allemagne. Il n’est pas possible de refuser de payer le loyer qu’ils décident et si l’on refuse de payer ‘‘l’allocation de modernisation’’, on est tout simplement foutu à la porte. Il faut mettre un terme à cette situation intenable et le gouvernement ne peut pas simplement acheter les logements existants au ‘‘prix du marché’’. Ce prix est fixé par les entreprises elles-mêmes et n’a aucun lien avec leur valeur réelle. Exproprier ces grands groupes sans indemnisation est la solution défendue par les manifestants. Les logements existants pourraient ainsi être rénovés en profondeur et mis à disposition à des prix abordables. En combinaison de cette mesure, il faudrait également un plan ambitieux de construction de nouveaux logements de qualité et abordables.

    La construction de logements de qualité n’a jamais été le fruit d’investissements privés, en Allemagne comme ailleurs : ce fut le fruit des autorités locales ou nationales. Il est nécessaire de retirer le marché du logement des mains des grandes sociétés, ce n’est qu’ainsi que l’on pourra pratiquer des loyers en lien avec les coûts réels. Selon une étude menée en Allemagne, les profits de ces sociétés représentent un tiers, voire la moitié du loyer. Si cette portion au profit des propriétaires est supprimée, la vie devient tout de suite beaucoup plus abordable.
    La riposte s’organise dans de nombreuses villes. Les initiatives des locataires de VONOVIA (grande société de location) sont en train de se développer à l’échelle nationale au travers d’un réseau d’action. Les habitations vides sont occupées. Des actions de protestation et des blocages contre les expulsions forcées sont mises sur pied. A Berlin, l’initiative pour le référendum visant à l’expropriation du groupe de logement Deutsche Wohnen et de toutes les sociétés immobilières concerne plus de 3.000 logements. A Munich, 11.000 locataires sont descendus dans la rue le 15 septembre 2018.

    Dans certaines villes, des initiatives visant à détecter les détournements illégaux d’habitation en résidences de vacances – en particulier chez le plus grand fournisseur mondial Airbnb – ont permis que les amendes soient payées et que les détournements prennent fin.

    Cependant, les loyers continuent d’augmenter. De nouvelles formes de fraude sont constamment inventées. La résistance doit donc être encore plus grande, plus large, plus forte et plus déterminée. A la suite du succès des manifestations du 6 avril, une manifestation nationale massive contre l’explosion des loyer à Berlin serait un important pas en avant en vue de développer un mouvement national.

    En ce moment, diverses initiatives et réseaux discutent de la création d’un syndicat de locataires. Des exemples du siècle dernier ont prouvé que des grèves de locataires – basées sur le refus de payer leur loyer – peuvent conduire à des victoires. Les locataires peuvent représenter une force en s’organisant et en agissant de concert.

    Les syndicats ne saisissent malheureusement pas cette opportunité pour transformer la colère en une véritable résistance. Pour que cela soit le cas, c’est la base syndicale qui devra agir. 30 à 50% des salaires nets sont consacrés au loyer, il est évident que le thème doit être repris par les syndicats, en combinaison de revendications salariales offensives.

    Le parti de gauche Die Linke a lancé une campagne nationale sur les loyers à l’automne 2018, ce qui est une bonne chose. Mais nous devons veiller à ne pas créer l’illusion qu’une politique du logement social est possible en entrant en coalition avec les Verts ou le SPD. Ces partis veulent préserver le capitalisme et refuseront de retirer le secteur du logement des mains du marché et des capitalistes.

    En Belgique, nous connaissons bien sûr un problème similaire. Ici aussi, les loyers augmentent rapidement et de plus en plus de logements sont mis en location par des entreprises privées. Les solutions à ce problème sont bien sûr les mêmes. Cet exemple illustre que l’on ne peut se faire d’illusions sur le ‘‘libre’’ marché. En Allemagne, la privatisation des logements a d’abord conduit à de faibles loyers mais, ensuite, la même folie locative qu’ailleurs s’y est développée. Pour résoudre le problème des loyers et de la pénurie de logements, nous devons contrôler nous-mêmes le marché du logement. Nous ne pouvons pas contrôler ce que nous ne possédons pas. C’est pourquoi une société socialiste est nécessaire pour garantir des logements abordables et de qualité pour tout le monde.

  • Notre patrimoine et nos infrastructures méritent plus d’investissements publics !

    Photo de GodefroyParis — de WikimediaCommons, CC BY-SA 4.0, Link

    L’austérité qui a frappé les travailleurs et leurs familles toutes ces dernières années n’a épargné ni les services publics, ni les infrastructures. Au prix d’une augmentation du nombre d’incidents. En Belgique, le souvenir de l’effondrement des tunnels bruxellois est encore vif. On se souvient aussi que la pluie a percé le plafond de certains musées. A l’étranger, il y a eu l’effondrement du viaduc du Polcevera à Gênes, l’incendie du Musée national du Brésil à Rio de Janeiro et, maintenant, celui de la Cathédrale Notre-Dame de Paris.

    C’est connu, la politique d’austérité a été synonyme de transfert de richesses des pauvres vers les riches, mais aussi de la collectivité vers les riches. C’est à peine s’il y a encore eu des investissements dans les services publics et l’infrastructure, en ce compris le patrimoine. Les experts affirment que chaque “pays civilisé” consacre 3% de son PIB aux investissements publics. Cela fait 30 ans que la Belgique n’atteint pas cela. Pourquoi n’y a-t-il plus d’investissement aujourd’hui ?, questionne De Tijd dans un édito du 16 août 2018. ‘‘Parce que les autres dépenses devraient être supprimées. Les politiciens, cependant, préfèrent dépenser de l’argent en cadeaux pour plaire aux électeurs et aux groupes d’intérêt. Les investissements dans les infrastructures de base en souffrent.’’ Bref : tout doit céder la place aux cadeaux fiscaux à une petite minorité d’ultra-riches.

    Les spécialistes du patrimoine se plaignent partout du manque de moyens. C’était déjà le triste constat qui avait été tiré du désastre de l’incendie du Musée national du Brésil. Mais le problème ne se limite pas au monde néocolonial ou aux pays émergents. En Europe occidentale également se font sentir les conséquences d’années d’économies. Ce n’est que lorsqu’il est trop tard, comme dans le cas de l’incendie de Notre Dame, que l’on s’en aperçoit soudainement. Et alors arrivent les milliardaires qui désirent «donner » des millions d’euros. C’est à peine s’ils acceptent encore de payer des impôts, ce qui a un sévère impact sur les fonds dédiés au patrimoine notamment. Et n’oublions pas que leurs donations sont soumises à l’exonération fiscale ! La générosité des donateurs est en réalité en partie payée par les caisses publiques : les entreprises qui investissent dans la culture peuvent fiscalement déduire 60% de ces dépenses (66% de réduction d’impôt sur le revenu pour les particuliers). Selon cette logique, l’impôt cède la place à la charité. Nous voilà donc remontés au XIXe siècle ou, dans le cas de l’art, au Moyen Âge, lorsque l’art était une prérogative privée des plus riches.

    En Belgique, Theo Francken a encore fait parler de lui sur tweeter : « Après la destruction par l’État islamique des plus anciens monastères et sanctuaires du christianisme en Syrie, nous risquons de perdre le monument le plus beau et le plus impressionnant d’Europe. Quelle journée noire ! » L’objectif de l’ancien secrétaire d’Etat à l’asile et à la migration était bien entendu de s’en prendre une fois de plus aux musulmans. Francken avait été moins loquace au sujet de l’attentat de Christchurch…

    Le gouvernement auquel a participé Francken, que la N-VA entend d’ailleurs remettre sur les rails après les élections, n’a pas ménagé ses efforts pour que le taux d’investissements publics n’atteigne pas les 3% du PIB. Son parti veut réaliser d’autres économies, tout comme en 2014, en faisant valoir que le déficit budgétaire doit être comblé.

    Il est remarquable que les politiciens de droite parlent souvent de “nos valeurs culturelles”, mais qu’ils ne se montrent pas prêts à investir massivement dans les infrastructures et le patrimoine. Leur rhétorique ne sert qu’à diviser et à jouer sur le racisme. La culture, ils s’en moquent. La seule force qui exige sérieusement la fin de cette politique d’austérité, c’est le mouvement des travailleurs.

    Certains peuvent se demander s’il ne vaudrait pas mieux investir dans le logement plutôt que dans une vieille cathédrale. Il est vrai que le parallèle s’impose avec la catastrophe survenue dans le bloc londonien des tours Grenfell en 2017. A l’époque, les milliardaires n’ont pas fait la queue pour construire de nouveaux logements. Lorsque les projets de construction et les investissements dépendent de la charité, ce n’est pas la communauté qui fixe les priorités et, en outre, la réponse aux catastrophes n’arrive qu’après coup, les moyens manquent pour la prévention. Des investissements publics considérables sont nécessaires dans le logement et les infrastructures, dont le patrimoine. En tant que service public, le patrimoine doit être sous le contrôle de la collectivité afin d’être accessible à de larges couches de la population.

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