Category: Afrique

  • 25 ans du génocide au Rwanda (1) – Le Rwanda avant la colonisation

    Comment le capitalisme a engendré la barbarie dans la région des Grands Lacs

    Photographies de victimes du génocide au Centre du mémorial du génocide à Kigali Gisozi (Rwanda). Wikipédia

    Il y a 25 ans, un événement d’une horreur inouïe et historique a eu lieu en Afrique de l’Est : le génocide des Tutsis et le massacre des Hutus modérés. Cet événement qui fut médiatisé sidéra le monde entier. La barbarie à l’échelle industrielle entraina la mort de 800.000 à 1.000.000 de personnes en 3 petits mois. La période d’avril à juin 2019 est l’occasion de revenir sur les causes et les conséquences de ce massacre pour le Rwanda et toute la région. Nous publierons cette analyse en plusieurs parties, de la période précédant la colonisation à la situation actuelle, en passant par la colonisation, la décolonisation et la période du génocide elle-même.

    Par Alain Mandiki

    On dit souvent que l’histoire est écrite par les vainqueurs. C’est une autre manière d’exprimer le fait que les sociétés humaines sont traversées par des rapports de forces entre classes antagonistes qui s’affrontent. Ceci constitue le moteur de l’histoire. Pour ceux qui veulent voir la société se transformer dans l’intérêt de la majorité sociale, ce que nous appelons une société socialiste démocratique, il est important d’étudier l’histoire en relation avec cette lutte de classe. C’est ainsi que nous pouvons tirer les leçons pour les combats politiques actuels.

    Le Rwanda est situé en Afrique de l’Est dans ce que l’on a dénommé la région des Grands Lacs. C’est une région qui a une histoire riche, variée et complexe, à l’origine des sources du Nil. Un des éléments qui rend complexe l’analyse historique, c’est que la dynamique des relations sociales dans la région a souvent été fixée pour pouvoir défendre idéologiquement un régime politique particulier. Certains historiens de la région, comme l’Abbé Kagame Alexis, ont établi des éléments qui étaient vrais à une période historique dans une région géographique précise pour justifier et perpétuer la domination de leur couche sociale. Il en est de même pour les colons qui ont, eux, surtout assis leur autorité sur un récit national et une vision des relations sociales qui correspondaient à la nécessité de diviser pour régner, sur base notamment des théories racistes de Gobineau (1). Lors de la période coloniale, cela prendra la forme de l’indirect rule (2). Pour cela, il fallait jouer sur les contradictions qui étaient présentes dans le Rwanda précolonial, amplifier les antagonismes, en créer de nouveaux et les fixer comme s’ils étaient là de tout temps. C’est ainsi qu’est née l’idéologie génocidaire selon laquelle les Tutsis, peuple de pasteurs (3) hamitiques (4), aurait colonisé le Rwanda, un pays peuplé d’Hutus, peuple de cultivateurs Bantous.

    Une des autres difficultés est de pouvoir étudier les processus historiques dans leur développements et leurs contextes. L’histoire de la région des Grands Lacs connait des similarités avec des périodes que nous avons connu en Europe occidentale, mais il y a surtout des différences. On ne peut pas tout simplement parler du Rwanda précolonial comme étant médiéval et tirer un parallèle complet avec notre Moyen-Âge. Malgré certains points communs, la temporalité des faits et les spécificités liées aux différents royaumes qui se sont établis dans la région doivent nous éviter de tirer des raccourcis hâtifs. Il reste aux scientifiques à faire leur travail pour nous donner une image de ce que fut l’histoire précoloniale de cette région, depuis son peuplement qui remonte à l’expansion du premier homo sapiens sapiens de la vallée du Grand Rift (Afrique de l’Est). Différents auteurs, qu’ils soient de la région ou originaire de pays impliqués dans le processus colonial, s’intéressent à ce vaste sujet. Au-delà des nuances et des débats contradictoires propres à l’immensité de la tâche, des consensus scientifiques se dégagent et établissent des faits historiques sur certains points d’importance.

    Des Etats monarchiques centralisés

    Dans la région des Grands Lacs, de manière spéculative à partir du 15e siècle, mais de manière plus sûre au 18e siècle, il existait plusieurs petits Etats monarchiques centralisés comme le Bunyro, le Buganda, le Nkore, le Burundi et le Rwanda. Ces Etats étaient parcourus de luttes pour le pouvoir interne entre les différents clans de la noblesse, et de contradictions sociales propres à l’exploitation d’un surproduit social sur lequel vivait la couche supérieure de la société. Il y existait également une volonté propre à chaque royaume de s’étendre au détriment de ses voisins.

    Cela se faisait en fonction du potentiel des forces productives et du développement de celles-ci. L’ensemble de la société, et en particulier les couches dominantes, était organisée sur une base patrilinéaire clanique. Les clans pouvaient se composer d’un mélange Hutu – Tutsi ou Bairu – Bahima. D’autres groupes de populations existaient, comme les Twas. Un peuplement très anciens de la région vit de la culture maraichère et céréalière et de l’élevage pastoral. Il faut bien comprendre que la relation qui lie l’agriculture et l’élevage dans la région est autant complémentaire que contradictoire. Les troupeaux ont besoin de pâture pour se produire et se reproduire, et les pâtures ont besoin de troupeaux pour le travail du sol et le fumier qui permet la fertilisation du sol. Les grands propriétaires terriens s’élèvent au-dessus de la société, comme les propriétaires de grands troupeaux. En dessous d’eux se trouvent ceux qui doivent entretenir le bétail, le travailler, et de même pour les cultures. Il y avait au Rwanda ceux qui sont devenus des Hutus, qui parfois possédaient du bétail, et ceux qui sont devenus des Tutsis, qui étaient parfois agriculteurs, au contraire de ce que les colons ont pu écrire. Ceci étant dit, la vache représentait un capital important : par exemple, un grenier de 300 kg de haricots achetait une génisse de 100 kg ; une peau de vache non tannée achetait 30 kg de haricots, ou une houe, ou une jeune chèvre (5). ‘‘Rien ne surpasse la vache’’ dit un dicton rwandais. Cela reflète le statut primordial de la vache dans les échanges commerciaux. Les pasteurs, majoritairement Tutsis, ont donc eu tendanciellement une position de force plus importante en possédant ce capital.

    La question ethnique – Les idées vraies, comme les idées fausses peuvent devenir une force matérielle quand elles sont reprises en masses

    Le racisme est un ensemble d’idées né dans un contexte économique et social bien particulier. Cependant, une fois que ce contexte a déterminé l’idéologie qui la reflète, celle-ci prend sa dynamique propre et influe sur le développement du contexte lui-même. Ainsi, l’idéologie des races avait pour contexte l’esclavage dans le cadre de l’accumulation primitive capitaliste. Alors que ce contexte sous cette forme particulière a disparu, l’idéologie des races a resurgi à plusieurs reprises dans l’histoire avec les diverses conséquences funestes que nous connaissons. Nous pensons que si nous comprenons le contexte qui a pu faire émerger un tel ensemble d’idées, nous serons plus à même de le combattre. C’est ce que nous appelons la théorie de l’action.

    L’ethnisme dans la région a toujours été un outil idéologique qui permet de diviser pour mieux régner. Mettre en avant un antagonisme ethnique permet de masquer le conflit de classes et d’éviter de répondre par exemple à la question agraire. Ainsi, les historiens, fonctionnaires et missionnaires coloniaux allemands puis belges ont inventé l’idée selon laquelle les Tutsis étaient des Hamitiques venus d’Abyssinie (6) et qu’ils étaient plus aptes au commandement. Cela a justifié le retrait de plusieurs chefs locaux (mwami) qui s’opposaient aux colons et leur remplacement par des chefs Tutsis acquis à la cause coloniale. Lors de la lutte pour l’indépendance, cet antagonisme a été joué dans l’autre sens, notamment par la démocratie chrétienne belge, pour maintenir la domination coloniale puis néocoloniale. Cette idéologie raciste a été promue par des pseudoscientifiques qui, sur base de l’anthropologie physique, ont installé un antagonisme permettant d’asseoir la domination impérialiste, et générant par là même les bases de l’idéologie génocidaire.

    La production du surproduit social

    Le Rwanda précolonial était une société inégalitaire. La soudure (7), les accidents de cultures, les épizooties (8) entrainaient des famines qui pouvaient jeter des familles ou des clans dans la pauvreté et les faire entrer dans des relations de dépendance. Un riche était défini par le nombre de personnes qu’il faisait travailler sur ses propriétés (cultures ou élevages). Une partie de ce qui était produit par le paysan moyen allait au chef qui lui avait concédé la parcelle. Ceux ne possédant pas de terre travaillaient donc comme journaliers sur des terres possédées par d’autres contre rétribution en marchandise (haricots, sorgho, bière, beurre,..) leur permettant d’acquérir d’autres biens. Ce statut, considéré comme indigent, était en marge de la société. À côté de cela s’établissaient des relations de clientèle propres à la société féodale rwandaise entre un riche et son corvéable, renforcées et valorisées par l’idéologie.

    Lors de l’émergence de la dynastie des Banyiginya au Rwanda fin du 18e siècle, on a vu un renforcement du pastoralisme dans la structure sociale. Un système que l’on peut rapprocher du servage s’est développé, par lequel le paysan devait travailler sur les terres du seigneur un certain nombre de jours (2 jours d’akazi), sur une semaine de 5 jours. Le régime de l’ubuhake, une relation de clientèle et d’obligation qui fonctionnait en milieu pastoral, a été étendu et a recoupé les nouvelles structures de pouvoir. Néanmoins, ce ne sont pas les Tutsis dans leur totalités qui ont constitué la classe dominante, mais bien une minorité d’entre eux. On estime entre 10.000 et 50.000 le nombre de Tutsis de clan noble qui ont été impliqués dans le pouvoir colonial sur un total de plusieurs centaines de milliers de Tutsis au 18e siècle.

    On le voit : les contradictions et les lignes de failles de la société rwandaise étaient nombreuses. Cela entraînait des luttes et des résistances. L’entrée en jeu des puissances impérialistes viendra modifier les rapports de forces internes à la région et fera entrer de plain-pied l’Afrique de l’Est dans les contradictions capitalistes.

    > Nous publierons d’ici peu la deuxième partie de cette analyse – La colonisation et la décolonisation du Rwanda : les puissances impérialistes se disputent le gâteau africain.

    Notes :
    (1) Homme politique et écrivain français du 19e siècle.
    (2) Méthode d’administration d’une colonie se basant sur des relais locaux.
    (3) Eleveurs de bétails.
    (4) Terme d’origine biblique attribué péjorativement à des populations africaines qui descendraient de personnages du Premier Testament.
    (5) Claudine Vidal, Économie de la société féodale rwandaise, Cahiers d’Études africaines, 1974.
    (6) Région de la Corne de l’Afrique.
    (7) Période entre deux récoltes.
    (8) Maladie frappant un groupe d’animaux.

  • Soudan : Non au règne des généraux !

    Photo : Wikimedia Commons

    Après 30 ans de dictature au Soudan, des manifestations de masse historiques ont abouti à la chute du président Omar Al-Bashir lors d’une “révolution de palais” des généraux. Par la suite, un “conseil militaire de transition” a été mis en place, le ministre de la Défense Amhed Awad Ibn Auf étant nommé à la présidence.

    Par un correspondant du Comité pour une Internationale Ouvrière

    Ce dernier fait partie de l’ancien régime et est un général brutal recherché par la Cour pénale internationale pour génocide au Darfour. Mais les protestations se sont poursuivies, les manifestants chantant : “Révolutionnaires, nous continuerons notre chemin !”

    Un jour plus tard, Auf a été contraint de démissionner pour être remplacé par un général soi-disant “moins controversé”, Abdel-Fattah Burhan. Cela n’a pas satisfait les masses, qui réclament la fin du règne des militaires.

    Les masses soudanaises ont évincé trois “chefs” de l’ancien régime en autant de jours, et les manifestations de masse se poursuivent toujours. Des milliers de manifestants dansent et chantent “liberté !” Les manifestants veulent un “nouveau Soudan”. Mais la question clé à laquelle ils sont confrontés est de savoir comment cela est possible. Quelle force dans la société soudanaise peut y parvenir ? Quel type de nouveau Soudan voulons-nous créer ?

    Un ‘printemps arabe’

    Ce sont là des questions qui se posent dans de nombreuses régions d’Afrique. Une semaine auparavant, nous avons assisté à la chute de Bouteflika en Algérie. Les régimes de la région craignent un nouveau “printemps arabe”, une nouvelle vague de soulèvements révolutionnaires.

    Il s’agit d’un moment critique de la révolution en cours au Soudan et il est vital de discuter de son orientation. Burhan se présente comme l’un de ceux qui sont allés à la rencontre des manifestants et les ont écoutés. Les militaires espèrent clairement créer l’illusion qu’ils veulent un “dialogue” avec les manifestants. Les manifestants savent qu’en réalité, le régime essaie de se sauver lui-même. Ils déclarent qu’ils continueront à manifester jusqu’à ce qu’ils aient mis en place un “gouvernement civil”.

    Les premières interactions entre les manifestants et l’armée ont été faites avec des sous-officiers et des soldats venus les protéger de la brutalité des services nationaux de renseignement et de sécurité. A aucun moment les masses n’ont eu l’illusion que le contrôle militaire du pays serait la meilleure option.

    Le régime est paniqué et divisé, mais il est également déterminé à conserver le pouvoir. La période d’état d’urgence de trois mois et celle de transition de deux ans qui ont été annoncées constituent une tentative de gagner du temps. Le régime sait que les masses ne peuvent pas occuper les places pour
    toujours.

    Un officier supérieur de l’armée a déclaré à la télévision d’Etat : “notre responsabilité principale est de maintenir l’ordre public” et “nous n’aurons aucune tolérance pour les méfaits commis dans n’importe quel coin du pays”. Le danger d’une répression brutale du mouvement est toujours sérieux.

    En ce moment, le pouvoir potentiel git dans la rue, aux mains des masses. Mais un mouvement de masse dans les rues ne prendra pas le pouvoir à lui seul. Si les travailleurs et les jeunes ne prennent pas les mesures qui s’imposent pour prendre le pouvoir et le consolider entre leurs mains, ils le perdront.

    Les travailleurs et les pauvres du Soudan ont dû faire face à des conditions de vie de plus en plus difficiles. Avec un taux d’inflation d’environ 70%, des centaines de personnes font la queue pour le carburant et la nourriture. Dans les villes, les gens souffrent de surpeuplement, de logements insalubres, de violence et de criminalité. Les gens disent que “les gouvernements ont volé notre argent et se sont enfuis”.

    Des manifestations de masse ont commencé le 19 décembre pour protester contre le triplement du prix du pain du jour au lendemain. A partir d’Atbara, lieu historique où est né le mouvement syndical soudanais, les protestations se sont étendues au cours des jours suivants à d’autres régions, dont la capitale Khartoum. Les élèves ont protesté contre l’augmentation du coût des repas scolaires. Les manifestants ont incendié les bureaux du parti du Congrès national au pouvoir. Des sièges locaux du gouvernement local ont été attaqués, de même que les bureaux des services de sécurité. Des imams pro-régime auraient été retirés des mosquées dans certaines régions.

    Le 27 décembre, les médecins et le personnel médical ont déclenché une grève générale, à laquelle se sont joints des journalistes. Les protestations se sont intensifiées le 6 avril, lorsque, en réponse à un appel à la grève générale, des milliers de personnes ont commencé un sit-in devant le ministère de la Défense à Khartoum.

    Le mouvement de masse s’est rapidement renforcé. C’est cette force qui permet aujourd’hui d’obtenir des revendications impensables dans le passé, y compris la libération de prisonniers politiques en résultat des manifestations devant les prisons.

    Les travailleurs et les jeunes ont fait preuve d’un courage héroïque face à un régime brutal qui procède à des arrestations, des tortures et des assassinats ; un régime où vous pouvez perdre votre emploi en faisant grève. Faisant preuve d’un grand esprit de défi, les jeunes ont contourné la fermeture des médias sociaux. Selon une association de médecins soudanais, 26 personnes sont mortes et plus de 150 blessées depuis le début du sit-in, après de nombreux décès déjà survenus au cours des mois précédents. Signe supplémentaire du potentiel révolutionnaire, des soldats figurent parmi les morts, tués en protégeant les manifestants.

    Les manifestants sont très conscients du ‘‘printemps arabe’’ de 2011 et disent consciemment que ce mouvement n’est pas le même – en d’autres termes, ils sont conscients qu’après ces puissantes révolutions, des éléments des anciens régimes sont revenus au pouvoir, et ils ne veulent pas que cela arrive au Soudan.

    Il est essentiel d’en tirer les leçons. Le ‘‘printemps arabe’’ n’a pas, à ce stade, conduit les travailleurs et les pauvres à prendre le pouvoir, en raison de l’absence d’un parti de masse de la classe des travailleurs disposant d’une direction révolutionnaire et luttant pour la prise du pouvoir sur base d’un programme d’indépendance de classe.

    Le principal groupe d’opposition au Soudan est l’Association professionnelle soudanaise (SPA), qui regroupe les syndicats, l’Union des femmes et d’autres groupes. La SPA a fait preuve d’une résistance courageuse et formule des revendications démocratiques fondamentales en déclarant qu’ils continueront à se battre jusqu’à la victoire. Ils disent : “Nos efforts pour nous débarrasser du régime se poursuivront jusqu’à ce que l’héritage de la tyrannie soit liquidé et que ses dirigeants soient traduits en justice.”

    Mais pour y parvenir, ils doivent aller plus loin que leur actuelle “Déclaration de liberté et de changement” signée le 1er janvier par une longue liste d’organisations et de groupes d’opposition, parmi lesquels des partis capitalistes. La déclaration appelle au remplacement de Bachir par un gouvernement national de transition de quatre ans, composé de “personnes qualifiées sur la base de leurs compétences et de leur bonne réputation, représentant divers groupes soudanais et bénéficiant du consensus de la majorité”, pour gouverner jusqu’à ce qu’une structure démocratique solide soit établie et des élections tenues.

    Quelles revendications ?

    Bien qu’elle comprenne de nombreuses revendications positives – la fin de la guerre civile, du déclin économique, des discriminations et de l’oppression des femmes, et la garantie de l’accès aux soins de santé, à l’éducation, au logement et au bien-être social et environnemental – cette déclaration ne fait pas de distinction entre les différents intérêts de classe. Il est important d’adopter une position de classe, car le seul fait d’appeler à des élections démocratiques ne suffira pas pour satisfaire ces revendications.

    Qui se présentera aux élections et avec quel programme ? Le danger demeure que le parti au pouvoir, le Parti du Congrès national, se regroupe pour revenir au pouvoir si l’occasion et le temps lui sont donnés.

    Nous ne devons entretenir aucune illusion envers les partis et dirigeants capitalistes. Ils affirment vouloir la démocratie, ils n’iront pas un pas plus loin. Tout nouveau gouvernement capitaliste serait confronté aux mêmes pressions que le régime de Bachir. En fin de compte, cela signifierait simplement de remplacer un groupe d’exploiteurs par un autre.

    Le Soudan est confronté à une crise économique majeure. Le déclencheur immédiat de ce soulèvement a été la suppression des subventions de l’État sur la farine, ce qui a entraîné une multiplication par trois du prix du pain, suite à la pression du FMI. Le Soudan a une dette extérieure de 55 milliards de dollars et des pressions seront exercées pour son remboursement. Que ferait différemment un nouveau gouvernement sans être prêt à tenir tête aux puissances capitalistes et tant que les principales parties de l’économie sont laissées entre les mains des profiteurs ?

    Que feraient les paramilitaires qui terrorisent le pays et menacent de déclencher une guerre civile ? Que feront-ils face aux divisions religieuses dans le pays, avec des groupes sectaires soutenus par des puissances régionales prêts à les exploiter dans leur propre intérêt ? Que feraient-ils au sujet du partage de la richesse pétrolière du Sud-Soudan ?

    Ce n’est pas un hasard si le gouvernement américain a déclaré que le gouvernement soudanais devait “faire preuve de retenue et laisser la place à la participation civile au sein du gouvernement”. Le porte-parole du département d’État a dit aux journalistes : “Le peuple soudanais devrait déterminer qui le dirige… et le peuple soudanais a été clair et exige une transition dirigée par des civils.” De même, l’UE et le Royaume-Uni ont exhorté l’armée à passer rapidement le pouvoir à des représentants civils.

    Les puissances occidentales veulent un régime coopératif qui remboursera les dettes, empêchera tout développement ultérieur de la révolution et réduira les chances que les soulèvements se propagent dans la région. Les travailleurs trouveront bientôt un nouveau gouvernement capitaliste qui réprimera d’autres actions de masse pour des prix plus bas ou des emplois et des salaires décents. C’est comme cela que les choses se sont passées en Tunisie et en Egypte.

    La seule façon d’unir la classe ouvrière et les pauvres à travers le pays et de concrétiser les aspirations pour un niveau de vie décent, des emplois et des logements, une véritable démocratie, la liberté de pratiquer leur religion et ainsi de suite, c’est que les travailleurs, les jeunes et les pauvres prennent le pouvoir.

    Les organisations ouvrières doivent d’urgence créer un parti ouvrier de masse et lutter pour un gouvernement reposant sur la classe ouvrière.

    Les manifestations et les sit-in dans le centre de Khartoum ont été puissants, mais les syndicats devraient maintenant lancer un appel à la grève, mener la bataille sur les lieux de travail, et poser la question du contrôle des usines et des moyens de production. Il est essentiel de lutter pour reconstruire les syndicats et destituer les dirigeants qui ont soutenu le régime.

    Dans certaines régions, comme Atbera, des comités d’action ont été mis sur pied. Dans ce campement, les étapes de base de l’organisation ont commencé, avec des comités destiné à nourrir les gens, assurer la sécurité et contrôler le trafic. Même une clinique a été construite. Mais cela doit être mieux organisé, sur une base politique.

    Ces comités devraient inclure les syndicats locaux, les travailleurs et les autres forces de la révolution en vue de continuer la lutte jusqu’à ce que toutes les revendications soient réalisées. Reliés entre eux, du niveau local au national, les comités des travailleurs peuvent constituer la base d’une structure étatique alternative pour s’emparer du pouvoir.

    Programme

    Le programme est essentiel. Pour obtenir des prix abordables pour la nourriture et le carburant, des augmentations de salaire et une semaine de travail plus courte, il est nécessaire de lutter pour la nationalisation des grandes industries et des terres des grands propriétaires terriens, sous contrôle et gestion démocratiques de la classe ouvrière.

    Un plan socialiste pourrait commencer à investir dans la création d’emplois, le logement décent, les soins de santé et l’éducation. Sur cette base, un gouvernement ouvrier pourrait appeler les mouvements de masse de la région à prendre des mesures similaires et à s’unir dans une coopération économique étroite, y compris avec le Sud-Soudan.

    C’est pourquoi nous plaidons pour la création d’un Soudan socialiste démocratique, car c’est le seul moyen pour les masses de réaliser leur espoir de créer le nouveau Soudan qu’elles souhaitent.

    Un Etat démocratique des travailleurs et des pauvres serait également en mesure de garantir les droits religieux et nationaux, ainsi qu’une véritable justice pour les anciens oppresseurs. Par exemple, le conseil militaire de transition a annoncé qu’il n’enverrait pas Al-Bashir devant la Cour pénale internationale, mais qu’il le jugerait au Soudan.

    C’est parce qu’ils sont en réalité tous coupables des mêmes crimes de guerre. Mais un système de justice démocratique géré par et dans l’intérêt des travailleurs et des pauvres au Soudan serait véritablement en mesure de juger les criminels de guerre et d’administrer la justice.

  • Restituons les œuvres d’art spoliées au Congo !

    Musée de l’Afrique de Tervueren. Photo : Wikipédia

    Le rapport de l’ONU sur le racisme en Belgique et la réouverture du musée de Tervuren ont rouvert des plaies qui n’avaient pas encore été pansées par la bourgeoisie belge et ses relais politiques. Le racisme contre les personnes noires (négrophobie) est un héritage de la politique coloniale de la classe dominante belge. On en voit les conséquences au niveau économique ou au niveau social, mais aussi au niveau de la répartition inégale de l’art antique africain, principalement concentré dans les anciens pays colonisateurs.

    L’histoire une question hautement politique

    En 2007, l’ex-président français Nicolas Sarkozy disait à Dakar : ‘‘le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire.’’ Ces derniers temps, tout un courant, avec des nuances en son sein, a cherché à sauver ce qui pouvait encore l’être dans la colonisation. Certains faits historiques, établis ou non, sont invoqués pour dédouaner les capitalistes et ceux qui ont mené la politique coloniale.

    Mais les faits sont têtus. Les tenants de ce courant veulent donc faire marcher l’histoire sur sa tête et se débarrasser de la méthode historique pour triturer les faits comme bon leur semble. Ainsi, tout récemment, une carte blanche d’un ancien Administrateur Territorial de l’époque de la colonie a été publiée sur le site du Vif pour lourdement défendre la politique léopoldienne. La colonisation y est présentée comme une période de construction des infrastructures ; la période suivant l’indépendance comme une période de déclin et de chaos.

    Nous ne pouvons que souligner l’absolue nécessité d’augmenter les investissements publics dans l’enseignement et la recherche afin que ce genre d’opinions trouve sa place véritable : dans les livres d’histoire et non dans la presse. L’austérité a ses conséquences sur la manière dont nous pouvons disposer du savoir. Ainsi, l’institution bicéphale province-fédérale ‘Annoncer la couleur’, qui travaillait sur une meilleure connaissance de la migration et de la multiculturalité, est victime depuis des années de coupes dans ses budgets.

    L’art antique africains un témoin des réalisations matérielles des civilisations précapitalistes africaines

    L’Afrique, comme tous les autres continents, a une histoire riche et variée. Pour cheminer dans l’étude historique, les scientifiques disposent de différentes méthodes et approches. Les objets culturels et artistiques sont des témoins qui permettent aux scientifiques de reconstruire une image des sociétés qui nous ont précédées. On estime qu’entre 80% et 99% des œuvres d’art classiques africaines se trouvent hors du continent. Il est donc impossible pour les Africains de jouir de leur patrimoine culturel et, pour les chercheurs africains, plus difficile encore d’étudier le passé.

    La restitution des œuvres spoliées est primordiale, ce qui soulève la question de la propriété privée du patrimoine artistique et culturel de l’humanité. Pour des entreprises ou des particuliers fortunés, l’art est considéré comme un marché où il est possible d’investir. Pour les classes dominantes, l’art et la culture sont aussi un outil de distinction.

    La chanson Bread and Roses illustre bien la manière dont le mouvement ouvrier a toujours mis en avant ses revendications : ‘‘Oui, c’est pour le pain que nous nous battons – mais nous nous battons pour les roses aussi !’’ Nous voulons que les besoins de base de l’ensemble de l’humanité soit remplis, mais nous ne voulons pas que cela, nous voulons aussi une vie qui permettent de répondre aux besoins supérieurs de la collectivité et donc un épanouissement de l’individu.

    Léon Trotsky l’exprimait comme ceci : ‘‘L’art des siècles passés a fait l’homme plus complexe et plus souple, a élevé sa mentalité à un plus haut degré, l’a enrichi sous tous les aspects. Cet enrichissement est une conquête inestimable de la culture. L’assimilation de l’art du passé est donc la condition préalable non seulement à la création du nouvel art, mais encore à la construction de la nouvelle société.’’ (“Culture et Socialisme”, 3 février 1926)

    Restituer les œuvres d’art et lutter contre le capitalisme

    Le fait que 80 à 99% des œuvres d’art classiques africaines se trouvent hors d’Afrique est une bonne illustration de ce qu’est le capitalisme. C’est un système d’exploitation brutal où une minorité sociale spolie la production collective de la majorité sociale. Léopold II a fait bâtir le musée de Tervueren comme témoin de son ‘‘œuvre civilisatrice’’. Beaucoup d’autres monuments et gestes architecturaux construits avec une partie des bénéfices obtenus durant la période de l’Etat Indépendant du Congo avait pour objectif de témoigner de la grandeur du roi et de son œuvre. Il s’agissait également de convaincre ses contemporains et leurs descendants de la réalité de cette mission civilisatrice.

    La plupart de ces œuvres ont été volées. Durant la colonisation, toutes les richesses du pays ont été mises en coupe réglée: caoutchouc, cuivre, diamant, uranium, or, bois précieux,… étaient extraits ou produits par les populations congolaises, transformés en Belgique et le résultat commercial de cette opération allait alimenter les comptes des grands groupes capitalistes qui avaient investis l’Union Minière, la Société Générale, Umicore,… Il en allait de même pour les œuvres d’art qui ont trouvé acquéreur parmi la bourgeoisie belge ou les colons présents sur place. Une partie des colons ont légué leurs biens à des musées. Mais la revente et l’exposition d’œuvres volées reste du recel.

    Le capitalisme entrave le potentiel de l’humanité

    Certains conservateurs de musées ou amateurs d’art s’opposent à la restitution au motif que certains pays ne sauraient pas conserver ce patrimoine. C’est un mauvais prétexte. Les différents pays africains sont capables de conserver leur patrimoine pour autant qu’ils brisent la camisole de force imposée par les institutions telles que le FMI et la Banque mondiale !

    Nous avons pu voir l’impact du désinvestissement public dans les musées belges où il pleut même parfois à l’intérieur. Le Soir du 31 décembre 2018 parlait du drame du Musée royal de l’Afrique centrale où les coupes budgétaires étaient de -28% dans le budget opérationnel, -14% dans le budget de personnel et -28% dans l’investissement ! On pouvait y lire : « vous pouvez parler à n’importe quel directeur de musée fédéral, il vous dira qu’on est dans une situation impossible désormais. C’est un travail recommencé chaque jour pour ne pas se noyer et garder la tête hors de l’eau… »

    En Afrique, les politiques d’austérité ont été mises en place de manière brutale dès la fin des années ‘70. Les plans d’ajustements structurels imposés par les capitalistes occidentaux et mis en place par les capitalistes africains locaux ont détruit le service public, en ce compris les institutions culturelles.

    Le capitalisme, par les crises qui le caractérisent, pousse tout un tas de pays dans la misère en raison de la guerre économique et militaire. Le croissant fertile en Mésopotamie est un des foyers agricoles les plus anciens au monde. Il a vu des civilisations sublimes émerger, comme celle des Sumériens, comme les premières cités-Etats telles Ur et Uruk. Il a vu la naissance des mathématiques, du système sexagésimal (système de numération utilisant la base 60) sur repose entre autres le découpage du temps en secondes et de l’écriture cunéiforme pour faciliter les transactions marchandes. Le patrimoine culturel de ces régions est immense. Mais celui-ci risque de n’être jamais découvert et d’être détruit à cause de la situation désastreuse de la région et de l’affrontement des différentes puissances impérialistes.

    La restitution des œuvres d’art : pas une fin en soi

    La question des œuvres d’art est une illustration de l’impact du capitalisme. Les autres exemples ne manquent pas en Afrique et ailleurs : malnutrition, spéculation sur les terres arables, absence de soins de santé publics, guerres, destruction de l’environnement du fait de l’industrie extractive,… Mais il est peut-être plus évident d’entrevoir la perspective d’une victoire concernant la restitution des œuvres d’art spoliées ou la décolonisation des espaces.

    Sous la pression de la lutte, les capitalistes peuvent être amenés à faire des concessions sur des éléments qu’ils jugent secondaires ou symboliques. Mais pour ça, il faut des luttes de masses à caractère révolutionnaire. C’est ce que l’histoire des luttes, y compris pour l’indépendance, nous enseigne. Notre lutte doit être menée sur le plan international : il faut les cerner de tous côtés pour les forcer à reculer. C’est ce type de période qui a permis à toute une série de pays soumis au joug colonial d’obtenir l’indépendance politique. Mais les réformes obtenues ne seront jamais éternelles tant que les capitalistes garderont la propriété privée des moyens de production pour orienter le caractère de l’économie politique.

    Face à cela, nous devons nous organiser nationalement et internationalement dans le combat pour une autre société et nous battre pour chaque réforme et chaque avancée, même symbolique, mais en la liant à la nécessité d’un changement fondamental de société : le socialisme.

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    [Socialisme 2019] “Congo : En Belgique, l’héritage du colonialisme fait débat – comment les marxistes y répondent-ils ?”, atelier de discussion ce samedi 30 mars, de 13h30 à 15h30, lors du week-end Socialisme 2019.

  • Kabila pas vraiment parti, comment faire dégager sa politique ?

    Félix Tshisekedi. Photo : Wikipedia

    Les élections présidentielles et législatives qui devaient avoir lieu en 2016 se sont finalement tenues le 30 décembre 2018. Comme nous l’avions titré dans une récente édition de Lutte Socialiste : ‘‘Le départ de Kabila n’est pas suffisant pour un vrai changement’’. Nous étions en dessous de la réalité. Car Kabila est parti, tout en restant là.

    Où en sommes-nous ?

    La Commission Électorale Nationale Indépendante-CENI qui organisait les élections a proclamé les résultats. Corneille Nangaa et son équipe – tous acquis à la ‘‘Kabilie’’ – ont annoncé la victoire aux présidentielles de Félix Tshisekedi de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (membre observateur de l’Internationale ‘‘socialiste’’) qui était soutenu par la coalition Cap pour le Changement (Cach) avec 38,57% des voix. Après lui, Martin Fayulu, candidat de la coalition mort-née de l’opposition unie Lamuka, aurait obtenu 34,8%.

    Les résultats des législatives sont tombés quelques jours après. La majorité présidentielle est arrivée en tête avec 350 députés pour le Front Commun pour le Congo (FCC). Le Cach a obtenu 48 députés et Lamuka 80 députés. Pour dépeindre la situation, certains commentateurs ont parlé d’une cohabitation où le président régnerait sans gouverner.

    Ces résultats ont directement suscité des critiques de toutes parts. Pour nous, ces résultats relèvent d’un arrangement entre le pouvoir actuel et l’UDPS de Tshisekedi, en mauvaise posture depuis sa volte-face dans la dynamique d’une candidature unique de l’opposition. Au vu de la dynamique de la campagne et des échos des diverses organisations (Commission Épiscopales Nationale Congolaise (CENCO), Lucha, groupes de presses et institutions internationales) qui disposaient d’observateurs dans les bureaux de votes du pays, le plus probable est que la victoire à la présidentielle a été remportée par Martin Fayulu.

    Les appels au recomptage n’ont pas manqué, de la communauté de développement d’Afrique Australe- SADC, de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL), des USA, de l’UE, de la Belgique, d’Human right watch (HRW), de la CENCO,… Mais la CENI a tranché : accepter ces résultats ou maintenir Kabila en place.

    Une situation instable et volatile

    La publication des résultats a été jugée sensible par le pouvoir en place, qui a renforcé la présence policière et militaire dans les villes et a coupé internet dans le but d’enrayer les mobilisations post-électorales. Des affrontements entre forces de l’ordre ont toutefois eu lieu dans différentes régions, notamment à Kikwit. Au moment d’écrire ces lignes, on dénombrait au moins 20 morts. L’avenir est incertain.

    Plusieurs scénarios sont possibles. La Kabilie choisira le sien en fonction de la marge de manoeuvre dont elle disposera. Les élections n’ont pas été organisée dans 3 circonscriptions (Béni, Butembo et Yumbi), ce qui signifie que le nouveau président n’a pas été élu au suffrage universel. Cela pourrait constituer un motif d’annulation, de même que le fait que l’acte de candidature de Félix Tshisekedi a été entaché de faux documents. Dans le cas où le président serait ‘‘empêché’’, il se pourrait que Kabila, sénateur à vie, revienne par la fenêtre en tant que président du sénat. En cas d’annulation, il faudrait organiser un nouveau scrutin. Le risque de guerre civile n’est pas non plus à écarter.

    Martin Fayulu, considéré comme gagnant par tous les observateurs, a saisi la Cour constitutionnelle pour contester les résultats. Mais celle-ci a été mise en place par Kabila et son camp, il y a donc peu de chance qu’elle change d’allégeance.

    Tous ces scénarios comprennent une inconnue : la réaction des travailleurs, des jeunes, des paysans et des masses appauvries. L’ensemble du processus électoral a été installé pour échapper au contrôle de la majorité sociale. Les institutions de l’Etat ne défendent pas la population. Elles servent une minorité parasitaire qui s’enrichit des miettes qui tombent des échanges mondiaux.

    Peut-on croire à une transition pacifique du pouvoir ?

    En 2006, après quasiment 10 ans de guerre civile et plus de 6 millions de morts, le pays était exsangue et le peuple voulait un président élu au suffrage universel. Lors des élections présidentielles de 2006, Kabila était à son pic de popularité et a remporté les élections. Cette dernière décennie sous Kabila nous enseigne qu’il faut lier les revendications démocratiques à la nécessite de sortir du système. Sous le capitalisme, la grande partie des richesses produites est vendue par une bourgeoisie locale au profit de grands groupes capitalistes mondiaux. En fait, les deux types de revendications, démocratiques et économiques, sont intimement liés. Toute l’histoire du suffrage universel nous montre que ce n’est que lorsque les capitalistes ont peur de perdre la propriété des moyens de productions qu’ils font des concessions sur le plan démocratique et économique.

    Beaucoup de commentateurs appellent au calme et au respect des institutions, Fayulu lui-même a déposé un recourt à la cour constitutionnelle. Beaucoup appellent au recomptage des voix. Pour nous, l’État n’est pas un agent au-dessus de la mêlée, il n’est pas neutre. Même dans les pays capitalistes avancés l’État défend la minorité sociale qui exploite la majorité. Cependant, dans ces pays, le mouvement ouvrier a obtenu de hautes luttes des droits démocratiques et sociaux. Cela confère à l’État une assise sociale plus importante. Ceci dit, l’État sauve parfois les capitalistes d’eux-mêmes. Dès qu’un conflit social majeur survient, le caractère de classe de l’État refait surface. Regardez comment est traité le mouvement des Gilets jaunes par les institutions de l’État français.

    En tant que marxistes révolutionnaires, nous pensons qu’aujourd’hui faire confiance à l’État ne fait que perpétuer la politique de Kabila et de son monde. En effet, depuis que Kabila a dû concéder l’organisation d’élections, lui et son camp ont tout mis en place pour préserver la structure d’enrichissement qu’ils ont mis en place sur le dos des Congolais.

    Que faire ?

    Kabila a joué sur les contradictions entre les partis et coalitions politiques congolaises pour se reconstruire une petite marge à l’intérieur du pays. Il a également passé plusieurs accords de coopération militaire avec la Russie pour disposer de soutien extérieur.

    Afin d’obtenir des élections véritablement démocratiques permettant à des élus populaires d’apporter un vrai changement, nous devons jouer sur la contradiction sociale principale de cette société : entre ceux qui doivent vivre de leur travail et les autres qui vivent de leur propriété.

    Dans un premier temps, la constitution d’un parti qui défend la majorité sociale peut-être un premier pas. Ce genre de parti peut-être un lieu d’échange d’expériences et de discussions pour les prochains pas à poser pour la lutte. La question de la prise de pouvoir doit être posée d’emblée pour ne pas dépendre de politiciens que l’on sait déjà corrompus ou qui défendent les intérêts capitalistes. Même Fayulu est un ancien pétrolier soutenu par Bemba et Katumbi. Ces gens ont participé au pouvoir par le passé et ont défendu une politique qui ne représentait pas l’intérêt de la majorité !

    Un appel à un nouveau scrutin devrait être lancé, avec l’établissement de comités dans chaque circonscription où des représentants élus contrôleraient le déroulement des élections et protégeraient la population d’une éventuelle répression.

    Seule la lutte collective des masses pour le pouvoir peut assurer que les revendications économiques et démocratiques soient réalisées. Depuis l’indépendance, ces revendications ont toujours buté sur le système de production capitaliste et la recherche de profits dans la région. La situation actuelle au Congo et en Afrique illustre que le capitalisme n’apporte pas la démocratie et le progrès social. Nous devons construire une société socialiste où les richesses sont produites et réparties de manière planifiée et démocratique.

  • Zimbabwe : Grève générale en réponse à la hausse des prix !

    Une grève générale de trois jours au Zimbabwe a été déclenchée le 14 janvier en réponse à la détérioration de la situation économique dans le pays. Appelée par le Congrès des syndicats du Zimbabwe (ZCTU) et des militants locaux, la grève visait à protester contre la hausse de 150 pour cent du prix du carburant annoncée par le président Emmerson Mnangagwa le 12 janvier.

    Par des correspondants du CIO

    La grève nationale a été massivement mise en œuvre par les travailleurs, les chômeurs et les travailleurs indépendants – la grande majorité des Zimbabwéens. Dans la capitale, Harare et la deuxième plus grande ville Bulawayo, les gens, y compris un grand nombre de jeunes, ont manifesté dans les rues. Ailleurs, les gens restaient à la maison pour exprimer leurs griefs.

    La police a accueilli les manifestations avec des balles réelles et des gaz lacrymogènes. Deux jours après le début de la grève générale, cinq personnes ont été abattues et plusieurs autres blessées. Un commissariat de police de Harare a été incendié alors que les manifestants réagissaient contre la répression brutale. Certains manifestants ont érigé des barricades qui bloquaient les routes menant aux villes. Les médias font également état de certains pillages. Le Mouvement pour le changement démocratique (MDC), parti d’opposition, rapporte que son siège social a été pillé et incendié. Des voitures du parti au pouvoir, ZANU-PF1, ont également été prises pour cible.

    Aujourd’hui au prix de 3,31 $US le litre (du diesel à 3,11 $US le litre), le carburant au Zimbabwe est le plus cher au monde dans un pays où seulement 11 % des 5,4 millions de personnes économiquement actives travaillent dans le secteur formel2, et 72 % vivent sous le seuil de pauvreté défini par la Banque mondiale de 1,90 $US par jour. La classe ouvrière et les pauvres du Zimbabwe ont déjà été durement touchés par l’accélération de la hausse des prix, le manque d’argent liquide, de carburant et de produits de base, y compris les médicaments, dans le cadre du budget du nouveau ministre des Finances intitulé ironiquement “Austerity for Prosperity3”, qui fait passer de 65 à 70 ans l’âge de la pension des soldats.

    Selon l’annonce du gouvernement, les grandes entreprises seront compensées pour l’augmentation par des réductions d’impôt. C’est une attaque contre les travailleurs, les pauvres, les chômeurs et les travailleurs indépendants – le gouvernement des patrons essaie de forcer les travailleurs et les pauvres à payer pour la crise économique. Mnangagwa a également annoncé la privatisation en bloc des entreprises publiques depuis son arrivée au pouvoir.

    La fermeture du pays fait suite à la grève des médecins, qui vient d’être annulée après plus d’un mois de lutte pour, entre autres, de bons salaires et une augmentation massive des dépenses en soins de santé. Une grève des enseignants est également prévue pour la fin du mois. Un groupe d’enseignants a récemment marché de Bulawayo à Harare (430 kilomètres !) pour présenter au gouvernement leurs revendications, y compris, entre autres, contre les bas salaires et la hausse des prix des produits de base. Les travailleurs du secteur public ont également signifié un avis de grève à la Commission de la fonction publique le 8 janvier après l’échec des négociations entre le gouvernement et les travailleurs.

    En d’autres termes, la grève générale a lieu dans le cadre d’une effervescence sur les lieux de travail et dans les communautés. Moins de six mois après son élection, le président Mnangagwa (qui, en novembre 2018, a participé au coup d’État qui a renversé son ancien camarade de parti Robert Mugabe après 37 ans au pouvoir) risque de faire face à une rébellion naissante. En réalité, les élections ont été convoquées pour légitimer le régime militaire de Mnangagwa installé à la suite du coup d’État à peine déguisé qui a chassé Mugabe.
    Comme le souligne le Saturday Big Read (SBR) (16/01/2019) : “Le 1er août 2018, les mêmes militaires ont été déployés dans les rues de Harare. L’opération a fait six morts et 35 blessés. Abattus de sang-froid. Une commission d’enquête a été mise sur pied. Elle a fait un boulot bâclé d’« assainissement ». Personne n’a été tenu responsable. Pas même un seul mot d’excuse.”
    Six mois plus tard, le SBR rapporte que ” l’État a maintenant eu recours à des mesures extraordinaires, sans même déclarer l’état d’urgence. Il s’agit notamment de ce qui suit :
    – Déploiement militaire
    – Détention de civils
    – Fusillades, les coups, les traitements inhumains et dégradants et la torture. Des gens ont été tués de sang froid
    – La fouille et la saisie de porte à porte d’individus et les enlèvements
    – La fermeture d’Internet et des médias sociaux pour empêcher la libre circulation de l’information. Il y a une panne d’information
    – Propagande, blâmant l’opposition et les groupes de la société civile pour ce qui est des protestations de l’opposition”

    Bien qu’il ait mis en évidence de sérieuses preuves de fraude avant les élections – y compris le refus des commissions électorales indépendantes de remettre les listes électorales à l’inspection de l’opposition, ce qui est essentiel pour leur crédibilité – le MDC a participé à des élections qui étaient en fait frauduleuses, débordé par son ambition d’exercer des fonctions.

    Bien que le MDC ait exprimé sa solidarité avec la grève, sa préoccupation a été de nier toute responsabilité à leur égard. Manifestement surpris par ces développements, au lieu de se placer à la tête de ces protestations massives, il les utilise plutôt pour lancer un appel à une intervention régionale et pour que Mnangagwa revienne de son voyage à l’étranger pour un ” dialogue national “.

    Le CIO soutient pleinement la grève et appelle les travailleurs, les jeunes et les militants des communautés et quartiers à utiliser la grève pour mettre en place des comités d’organisation dans les lieux de travail, les écoles, les zones urbaines4, les villages afin de discuter du programme d’action et de l’alternative à cette situation de plus en plus cauchemardesque. La base de la ZCTU doit faire campagne pour que les syndicats rompent tout lien avec le MDC et pour la création d’un parti ouvrier.

    La seule façon de sortir de la crise zimbabwéenne, c’est de lutter pour un Zimbabwe socialiste, une Afrique socialiste et un monde socialiste, où les ressources de la société sont véritablement publiques, gérées et contrôlées démocratiquement par les travailleurs et les communautés, et où la production est planifiée pour les besoins de tous, pas pour les profits des grandes entreprises, des multinationales et de l’élite et ses sbires politiciens.

  • Elections au Nigeria : les principaux partis n’offrent aucune alternative

    Les socialistes lèvent la bannière de la lutte

    Des élections générales sont prévues au Nigeria en février et mars. L’élection du président et de l’Assemblée nationale est prévue pour le 16 février, tandis que le 2 mars, les gouverneurs et les assemblées des États de la plupart des 36 États du Nigeria, ainsi que les élections locales dans la capitale fédérale Abuja, sont prévues.

    Par Ibukun Omole (Democratic Socialist Movement, section du CIO au Nigeria)

    Lors de ces élections, le Parti socialiste nigérian (SPN), récemment enregistré, se présentera pour la première fois aux élections générales.

    Le SNP soutient qu’une grande partie des Nigérians ont entamé les élections de 2015 avec d’énormes illusions sur la capacité de Buhari et de l’APC (All Progressives Congress, sociaux-démocrates) à résoudre le malheur des 16 dernières années du gouvernement du PDP (People’s Democratic Party, centre-droit). Mais, au cours des trois dernières années, le gouvernement Buhari a connu une désillusion massive au fur et à mesure que la situation des masses s’est détériorée. La question à laquelle les masses n’ont pas été en mesure de répondre est pourquoi le pays est dans ce pétrin à tous les niveaux alors qu’il dispose d’énormes ressources humaines et matérielles ? La crise du Nigeria est la crise du capitalisme dans un pays néocolonial. Le capitalisme doit être vaincu avant que le Nigeria puisse réaliser son plein potentiel et que les ressources humaines et matérielles soient utilisées pour le bien de tous, et non pour l’avidité insatiable de quelques-uns. Cette explication doit être vulgarisée auprès des masses.

    Cependant, cela ne signifie pas pour autant que les masses ne peuvent que lever les mains en l’air dans l’espoir d’un temps meilleur ou d’un messie ou tomber dans le désespoir. La classe ouvrière et les masses doivent lutter pour forcer l’élite dirigeante procapitaliste fondamentalement anti-pauvre à faire des concessions qui peuvent améliorer leurs conditions, même si elles sont temporaires. Cela a été démontré par les travailleurs et les jeunes dans diverses luttes pour l’amélioration telles que la campagne d’électricité, la hausse des prix des carburants, la hausse des frais de scolarité, le salaire minimum, etc.

    Mais les concessions peuvent être retirées ou sapées, une solution fondamentale est nécessaire. Il manque donc un parti de masse qui s’identifiera activement à ces luttes, qui aidera les travailleurs à lier les revendications immédiates à la nécessité générale de prendre le pouvoir politique en vue de vaincre le capitalisme.

    C’est dans ce contexte que le Parti socialiste du Nigeria (SPN) intervient lors des élections générales de 2019. Le parti a été créé en 2012 par des militants socialistes, syndicaux et des jeunes, dont des membres du Mouvement socialiste démocratique (DSM, section du CIO au Nigeria). Mais ce n’est qu’en janvier 2018, après plus de trois ans de luttes juridiques et politiques, que le parti n’a été officiellement reconnu et n’a pu se présenter aux élections qu’à la suite d’une décision judiciaire. La Commission électorale (CENI) avait initialement refusé d’enregistrer le parti bien qu’il ait rempli toutes les conditions constitutionnelles, juridiques et financières.

    La période électorale prédispose les masses à une réflexion sur la façon dont elles sont gouvernées et dont l’économie est gérée. Nous voulons utiliser les élections pour ouvrir un dialogue avec des couches plus larges de la population opprimée sur la manière dont le gouvernement et l’économie devraient être gérés. En d’autres termes, nous tendons la main aux masses avec un programme socialiste alternatif incluant des demandes immédiates d’amélioration des conditions de vie et de travail.

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    Vous trouverez ci-dessous un rapport, tiré du site Web du DSM, sur le lancement enthousiaste de la campagne du SPN à Ifo, dans l’État d’Ogun, une région limitrophe de Lagos, la capitale économique du Nigeria.

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    Il y a eu une réaction enthousiaste lors du rassemblement du Parti Socialiste du Nigeria (SPN) pour élire le camarade Hassan Taiwo Soweto comme membre de la Chambre d’Assemblée de l’Etat d’Ogun, circonscription d’Ifo 2 (Banlieue de Lagos, la plus grande ville du pays), qui a eu lieu le samedi 15 décembre 2018. Tout a commencé par un meeting à l’Hôtel de Ville d’Olambe, auquel ont assisté environ 120 personnes. Le meeting a commencé par des chants de solidarité où les membres du parti ont chanté avec enthousiasme, avant que le candidat ne vienne donner ses brochures sous les applaudissements inspirantsdu public.

    Soweto est en train d’élaborer un manifeste pour se rendre à la Chambre afin de construire un mouvement populaire de lutte pour le développement des communautés négligées dans la circonscription dans les domaines de l’infrastructure routière, de l’électricité, de l’éducation publique, de la santé et de l’emploi. Il s’opposera à toutes les politiques anti-pauvres et représentera une voix audacieuse pour les travailleurs, les jeunes et les masses. S’il est élu, il continuera de vivre dans la circonscription et ne recevra pas plus que le salaire et les indemnités d’un fonctionnaire compétent.

    Le chef de la ville d’Olaogun, Bamigbose, a pris la parole après lui pour informer l’auditoire du fait que la circonscription compte plus de six administrations locales de l’État, mais qu’elle est la plus sous-financée. Il n’y a pratiquement pas de routes carrossables alors que les écoles publiques et les établissements de santé sont soit inexistants, soit inadéquats. Il a souligné la nécessité d’une représentation dynamique de la circonscription et la nécessité pour les membres de la circonscription d’élire Soweto par un vote de protestation.

    Le secrétaire national du parti, le camarade Chinedu Bosah, a également pris la parole et a exprimé à quel point le concours Ifo était une source d’inspiration pour le Secrétariat national et l’ensemble du parti. Le président de la section de Lagos du Parti, le camarade Rufus Olusesan, a déploré que les Nigérians ne puissent plus mendier pour se nourrir et a conclu :”assez, c’en est assez de ces politiciens capitalistes”. Falilat Jimoh, membre de la Campagne pour une alternative des travailleurs et des jeunes (CWA), est venu avec les salutations de solidarité de la CWA, soulignant les similitudes entre la CWA et le SNP, et soulignant le fait qu’une victoire pour Soweto serait une alternative radicale exemplaire.

    La camarade Ayo Arogundade s’est fait l’écho que les alternatives d’un politicien au salaire minimum et vivant dans la communauté sont des exemples de ce que le SPN est prêt à appliquer comme programme. La présidente de l’Association des tailleurs de la région, Mme Olaoyenikan, a encouragé la population à voter pour un militant de la base. Un ancien de la région, Elder Jegede, a raconté comment il a été inspiré par le discours du candidat à une date antérieure lors d’une réunion du Conseil de développement communautaire, et a déploré comment les jeunes étaient utilisés par les politiciens bourgeois. Il est heureux qu’aujourd’hui les jeunes soient prêts à prendre leur avenir en mains. Dans son discours, un représentant du Baale (chef religieux) de la ville d’Olambe a décrit le candidat comme un David qui surmontera définitivement le Goliath auquel il est confronté. Mamakofoshi, la dirigeante du parti, a exprimé sa joie qu’un militant soit en lice et a demandé à la population de voter contre les politiciens corrompus.

    Une collecte de fonds pour les élections a été lancée lors du meeting qui a permis de recueillir 45 000 N et 11 500 N au total en promesses de dons. La campagne a commencé immédiatement après le meeting avec un convoi de trois voitures, un bus, environ cinq motos (okada) et une camionnette, qui étaient toutes remplies de nombreux partisans sur la longueur du trajet. Les réponses inspirantes des gens sur la nécessité de bonnes routes et l’appui exemplaire de ceux avec qui nous nous sommes engagés et agités ont été les principaux de ce trajet, en plus du collage des affiches et de la distribution de dépliants.

  • ‘‘Le départ de Kabila n’est pas suffisant pour un vrai changement’’

    Interview d’Alain Mandiki sur les élections présidentielles en RDC

    Photo de Wikipedia

    En décembre 2016, des élections au sommet de la République Démocratique du Congo (RDC) auraient dû avoir lieu. Le président Joseph Kabila, qui ne peut plus être candidat, n’a eu de cesse de reporter cette échéance. Sous pression, il a finalement dû céder et la RDC s’apprête à vivre un nouveau scrutin le 23 décembre 2018, 7 ans après la réélection contestée de celui qui est maintenant à la tête du pays depuis près de 18 ans, dont deux mandats électifs. Nous en avons discuté avec Alain Mandiki, militant au PSL et observateur assidu de la situation congolaise.

    Propos recueillis par Stéphane Delcros

    Joseph Kabila est devenu président en 2001. Quel bilan tirer de sa présidence ?

    A.M. : Kabila avait commencé à occuper son poste pendant la période de transition post-guerre civile en 2001, et avait été pour la première fois élu en 2006. La situation politique a depuis énormément changé, pendant que les défis auxquels est confrontée la population congolaise restent entiers. Kabila voulait incarner la stabilité post-guerre et installer un climat favorable aux investisseurs. Au lieu de cela, on assiste au retour de la volatilité et d’une instabilité politique et sociale. Le président avait énoncé 5 chantiers prioritaires. Il s’agissait de l’infrastructure, routière et ferroviaire notamment, de la création d’emplois, de l’éducation, de l’eau et l’électricité, et de la santé. Kabila s’est montré positif dans son discours d’adieu en août dernier. Mais c’est une farce. Très peu a été réalisé. Et la grande majorité de la population le sait.

    De 2010 à 2015, la croissance économique annuelle était en moyenne de 7,7% du PIB(1), ce qui a servi à enrichir le régime, qui a réussi à se constituer un empire économique.(2) La croissance est ensuite brutalement retombée à 2,4% en 2016, notamment en raison de la faiblesse des cours des matières premières. Cette année-là, la profondeur de la crise économique couplée à la tentative de Kabila de se maintenir au pouvoir avaient poussé les travailleurs, les jeunes et les masses appauvries à sortir dans les rues.

    Ces chiffres de croissance ont, depuis, légèrement remonté, à la faveur de la hausse des cours des matières premières et de la production minière de cuivre et de cobalt, qui comptent pour 80% des recettes d’exportation de la RDC. Mais cela témoigne de la faiblesse de l’économie congolaise, dépendante de ce secteur et de la spéculation autour des prix des matières premières.

    Kabila a tenté de stabiliser son pouvoir, notamment par des changements d’alliances avec les puissances étrangères, avec la Russie et la Chine, visant à compenser sa base sociale déclinante au pays. Mais la RDC n’est pas sortie de ses problèmes socio-économiques, doublés d’une insécurité qui se généralise au Kasaï et au Nord-Kivu. Les conflits entre groupes armés y sont permanents. La province du Nord-Kivu est par ailleurs confrontée à l’épidémie mortelle d’Ebola.

    L’Afrique centrale regorge pourtant de richesses…

    A.M. : Oui, ces richesses potentielles énormes, notamment dans le sol et le sous-sol congolais, contrastent brutalement avec la maigreur du budget de l’Etat. Le principal argument utilisé pour justifier le report du scrutin était d’ailleurs le coût de l’organisation d’élections crédibles, évalué par les autorités à plus d’1 milliard de dollars US (3). La somme est certainement surévaluée, mais la comparaison avec les 5 milliards de dollars US qui composent le budget de l’Etat (4) illustre l’ampleur du niveau de sous-investissement public dans tous les domaines de la vie congolaise. Ce sous-investissement est le résultat d’une captation et un partage des richesses qui est organisé de manière à ce que les congolais dans leur majorité ne retirent aucun bénéfice de leurs richesses potentielles.

    La corruption et l’incompétence des dirigeants sont souvent soulignées dans les médias dominants.

    A.M. : Ces phénomènes sont bien réels, mais ils n’expliquent pas tout. La corruption gangrène une partie du potentiel économique. Mais elle est seulement un symptôme du problème, et non la cause. On ne peut comprendre la situation sans aborder la logique du système capitaliste, un système qui ne consent à redistribuer des miettes que s’il est menacé.

    Comme la grande majorité des Etats du continent africain, la RDC ne contrôle pas sa politique économique. Son économie est tournée vers l’approvisionnement du marché mondial en matières premières. Elle doit ensuite acheter les produits finis à des pays qui ont des industries à hautes valeurs ajoutées. Les richesses accumulées et concentrées par les grandes sociétés multinationales qui ont besoin des productions minières congolaises tranchent avec la misère des populations qui extraient ces métaux. La bourgeoisie congolaise qui vit de l’exportation garde jalousement les petits morceaux du gâteau qui tombent des termes de l’échange.

    Revenons à la situation politique : elle fut très agitée depuis fin 2016.

    A.M. : Même les protagonistes de la crise congolaise ont été pris au dépourvu par la volatilité de la situation ! Depuis décembre 2016 et la signature des accords de la Saint-Sylvestre (5), qui organisaient le pouvoir jusqu’aux prochaines élections, il y a eu beaucoup de manifestations, la plupart réprimées dans le sang. Mais aussi la mort d’Etienne Tshisekedi, l’un des opposants historiques au régime. Le retour dans le jeu de Jean-Pierre Bemba, un autre opposant, incarcéré depuis 10 ans par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, mais acquitté il y a quelques mois. Puis, en août, il a été annoncé que le scrutin aurait finalement lieu et que Joseph Kabila ne serait pas candidat.

    Comment expliquer ce retrait de la part de Kabila ?

    A.M. : Par le climat qui règne depuis le début de la crise et les nombreuses pressions. Des pressions externes, les USA et différents Etats de l’UE ayant notamment sanctionnés économiquement des dignitaires du régime. Et internes, car il ne fait aucun doute que les manifestations à répétition, les opérations villes-mortes et autres luttes ont joué un rôle majeur dans la décision de Kabila de finalement abandonner son poste de président de la République.

    Kabila est loin d’apprécier la situation telle qu’elle est. Ces dernières années, il avait tout mis en place pour tenter de se maintenir au pouvoir. Il avait élargi sa majorité parlementaire, redécoupé l’organisation administrative des provinces, lancé des mesures pour contrôler le prix du pain (6) et tenter ainsi de diminuer la pression sociale venant de la rue. Il a aussi multiplié les opérations de réorganisation de son appareil répressif et mis à l’écart les candidats les plus sérieux à sa succession, surtout Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba.

    Mais malgré tout ça, Kabila n’est pas en capacité de se présenter. Il a donc dû désigner un dauphin, Emmanuel Ramazani Shadary, ancien ministre de l’Intérieur, sur lequel il espère pouvoir exercer le contrôle lui permettant de défendre son empire économique. Mais, une fois les prochaines élections passées, il n’est pas certain que ce scénario se déroule sans accroc.

    C’est l’illustration du fait que les luttes peuvent obtenir des résultats. La mobilisation et les luttes de la rue ont nécessité beaucoup de sacrifices et ont souvent été durement réprimées par le régime. Il y a eu des centaines d’activistes emprisonnés et plusieurs dizaines de morts durant les manifestations mais aussi des assassinats d’acteurs-clés de l’opposition civile. Ce fut le cas de Luc Nkulula, un dirigeant de la LUCHA (Lutte pour le changement), un des mouvements citoyens qui a organisé colère dans des manifestations de ces dernières années. Mais elles ne furent pas vaines !

    Les meurtres et emprisonnements d’opposants servent traditionnellement à effrayer les éventuels autres rebelles. Mais, comme souvent, la répression n’a pas empêché la poursuite de la résistance, et celle-ci, malgré les faiblesses en termes de coordination, de revendications programmatiques et de direction du mouvement aura au moins obtenu le départ de Joseph Kabila.

    Le pays a-t-il souvent connu des mobilisations de la population contre le pouvoir en place ?

    A.M. : Malgré le fait que, depuis son indépendance, le Congo n’ait pas connu de régime politique stable où les normes démocratiques de bases sont respectées, la lutte sociale a toujours été présente. Depuis les années ‘60, la résistance à pris différentes formes. Influencée par les modèles chinois et cubains, la gauche congolaise a souvent privilégié la guerre de guérilla comme option stratégique. Ce fut le cas dans les années ‘60 avec les mulelistes, dans la rébellion contre Mobutu, dont Pierre Mulele était l’un des dirigeants. La tradition de guérilla s’est poursuivie avec le Parti de la Révolution du Peuple (PRP) de Laurent Désiré Kabila dans les années ‘70. Durant ces décennies de division du monde en deux grands blocs, l’impérialisme occidental a toujours veillé à ce que le Congo/Zaïre reste sous contrôle et ne passe pas ‘‘à l’Est’’. Ils ont donc défendu bec et ongles le régime de Mobutu afin que celui-ci ne se fasse pas emporter par une guérilla de tendance maoïste.

    La crise du mobutisme est arrivée à un niveau intenable fin des années 80. A propos de cette période, l’historien Ndaywel disait que la crise portait en elle les germes d’une explosion politique.(7) Il pointait du doigt la faiblesse de la production nationale, incapable de répondre aux besoins, d’autant qu’elle servait surtout les intérêts des élites et de leur entourage. Et il avertissait que c’est l’étalage de cet écart de richesse qui allait provoquer l’explosion de colère.

    Y avait-il d’autres options stratégiques à envisager face à la dictature brutale et sanguinaire de Mobutu ?

    A.M. : En effet, une organisation qui voulait changer les choses dans les années ‘70-80 aurait fait face à une terrible répression. Mais si elle avait continué son travail prudent et patient de propagande parmi les différentes couches qui entraient en lutte, c’est-à-dire parmi les étudiants, la diaspora et les organisations civiles de l’Eglise, basée sur de bonnes perspectives et avec une volonté d’ancrage dans l’ensemble du territoire, elle aurait pu profiter du moment où la situation politique s’ouvrait.

    Le 24 avril 1990, Mobutu dû se détacher du parti-Etat MPR, le Mouvement populaire de la Révolution, et abolir le régime de parti unique. Il a élargi la participation politique à trois partis avant, sous pression des masses, de devoir l’élargir encore le 6 octobre 1990. Ce sont plus de 300 partis qui furent créés cette année-là. On peut imaginer qu’un parti qui avait passé l’épreuve de la clandestinité aurait eu une énorme influence dans cette situation de début des années ‘90. C’est une leçon qu’il faut apprendre pour la question de l’alternative à Kabila.

    Justement, quelle alternative fait face au clan Kabila ?

    A.M. : Les grandes figures de l’opposition ne sont pas synonymes d’espoirs, elles ne représentent pas une assurance de changement de politique en faveur de la grande majorité de la population. Elles ont toutes été impliquées au pouvoir. Moïse Katumbi, qui est écarté du scrutin, est l’un des congolais les plus riches et a été jusqu’en 2015 membre du parti de Kabila, le PPRD, et gouverneur du Katanga. Etienne Tshisekedi a occupé le poste de Premier ministre à plusieurs reprises sous la bannière de l’UDPS, dont son fils Félix est aujourd’hui le candidat. Vital Kamerhe était un proche de Kabila, ancien directeur de campagne de celui-ci et président de l’Assemblée nationale, avant d’être mis de côté. Même Bemba, écarté aujourd’hui pour sa condamnation à subornation de témoins par la CPI, avait participé à l’époque de la formule 4+1. Et le PALU d’Antoine Gizenga, qui se revendique comme l’héritier du Lubumbisme, a lui aussi participé à la majorité présidentielle, ne la quittant que tardivement.

    Faut-il attendre quelque chose des tentatives de candidature unique pour l’opposition au clan Kabila ?

    A.M. : Il y a eu la tentative de la coalition LAMUKA. Ce sont sept formations d’opposition, dont certaines que je viens d’aborder, qui se sont mis d’accord le 11 novembre dernier pour porter ensemble la candidature unique du député Martin Fayulu. L’accord n’a tenu que 24h. Le lendemain, deux poids lourds se sont retirés, Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe, invoquant un désaccord dans leur base. C’est de fait un problème avec ce type d’accords décidés par en haut…

    Fayulu garde tout de même, enfin pour le moment, le soutien des autres formations, et notamment celles de Bemba et Katumbi. Avec ces soutiens, qui ne peuvent se présenter eux-mêmes et qui jouissent d’une certaine popularité dans leurs régions d’origine, il a une chance de faire un résultat. Mais pour aller où ? Pas vers un changement réel de politique, malheureusement. Rappelons-nous le parcours de Fayulu lui-même, lui qui fut cadre haut placé chez le géant pétrolier et gazier américain ExxonMobil pour l’Afrique durant une bonne partie de sa carrière.

    Au-delà des liens avec le régime dont j’ai précédemment parlé, aucun de ces partis ne défend de programme par lequel la majorité sociale pourrait prendre en mains le contrôle de la politique économique du pays. L’une ou l’autre candidature unifiée de l’opposition ne porteraient que le plus petit dénominateur commun programmatique, ce qui en ferait un programme encore plus faible et dilué. Je ne vois aucune réelle alternative ni chez l’un des candidats célèbres, ni chez une candidature unique d’opposition incluant des formations pro-système.

    D’autres acteurs, la LUCHA par exemple, représentent-ils une réelle alternative ?

    A.M. : Je voudrais d’abord revenir sur le rôle de l’Eglise catholique ces dernières années. L’agitation sociale croissante l’a poussée à intervenir à plusieurs reprises, via le Comité laïc de coordination qui a appelé à certaines mobilisations. Le Pape lui-même était intervenu dans les négociations des accords de la Saint-Sylvestre, signés le 31 décembre 2016. Cela reflète la pression de la base que subi la hiérarchie de l’Eglise catholique. Elle entend préserver son statut de première religion du pays ainsi que de plus grande organisation de la société civile. Lors de la Conférence Nationale Souveraine de 1990 et du mouvement existant à l’époque, ce sont les mêmes éléments qui ont poussé l’Eglise catholique à se positionner en tant qu’opposant à Mobutu.

    La présence de luttes et de mouvements revendicatifs, comme la LUCHA, ont poussé l’Eglise à s’impliquer ces derniers mois pour éviter que ce type d’organisations parvienne à mobiliser des masses et devienne éventuellement la voie à suivre pour de nombreuses personnes. L’Eglise a tenté d’orienter la colère vers des revendications plus limitées, pour seulement ‘‘davantage de démocratie’’. Les manifestations qu’elle a organisées ont aussi été brutalement réprimées par le régime, avec pour conséquence des dizaines de morts.

    La LUCHA est certes une petite organisation, mais son potentiel n’est pas négligeable. Elle organise essentiellement la jeunesse instruite et défend des revendications démocratiques, mais aussi socio-économiques, notamment pour une meilleure gestion des services publics. Ce n’est pas la seule organisation citoyenne d’opposition à s’être créée durant le mandat de Kabila. Le fait que celles-ci existent et sont présentes dans de plus en plus de couches de la société exprime la faillite du règne du président.

    La LUCHA n’est pas la seule organisation de ce type en Afrique, on pense par exemple au Balai Citoyen (Cibal) au Burkina Faso, qui avait joué un grand rôle dans la chute du président Blaise Compaoré fin 2014.

    A.M. : Oui, la LUCHA fait écho à d’autres mouvements similaires qui ont émergés en Afrique ces dernières années, les Cibals, mais aussi Y’en a marre au Sénégal et Togo Debout, plus récemment. Toutes ces organisations ne se construisent pas de la même manière et ne portent pas directement les mêmes revendications et méthodes. Elles n’ont pas non plus nécessairement la même implantation dans la société. Mais toutes ont en commun la volonté d’organiser et de coordonner la lutte à la base de la société, avec des revendications programmatiques qui vont au-delà de ce qu’on entend en général des oppositions officielles.

    Elles ont malheureusement aussi en commun un manque de volonté de défier le pouvoir pour le prendre en main. Elles ont pourtant le potentiel de se transformer en instruments politiques dotés d’un programme pour un changement profond de la société. Sans cela, ‘‘l’Ancien régime’’ se rétablira sans cesse, même en dépit des victoires, comme on l’a vu au Burkina Faso. Ne pas exiger le pouvoir, cela signifie de le laisser aux mains du clan Kabila, ou tout au moins à d’autres parties des élites congolaises. Des luttes ont été organisées et la pression a permis d’obtenir le départ de Kabila. C’est très positif. Mais ce résultat est-il à la hauteur des espérances qui ont porté les mouvements ?

    Organiser des élections crédibles et lutter contre la corruption, c’est nécessaire. Mais il faut comprendre que la corruption et le manque de démocratie, c’est le reflet d’une classe capitaliste qui est incapable d’apporter des progrès pour la majorité sociale. Surtout dans le cadre d’un capitalisme mondial en crise.

    Pour aller plus loin, il sera nécessaire de construire un outil politique plus cohérent et conséquent, organisant les masses des travailleurs, des jeunes et des paysans pour défendre leurs intérêts et lutter en même temps pour un autre type de système. Une société réellement socialiste dotée d’une planification économique démocratique, capable d’éradiquer la misère et d’utiliser les richesses congolaises pour toutes et tous.

    Notes et liens transmis après l’interview :
    (1) https://www.afdb.org/fr/countries/central-africa/democratic-republic-of-congo/democratic-republic-of-congo-economic-outlook/
    (2) https://www.bloomberg.com/news/features/2016-12-15/with-his-family-fortune-at-stake-congo-president-kabila-digs-in et http://www.rfi.fr/afrique/20161216-rdc-agence-bloomberg-revele-empire-economique-bati-famille-kabila-president
    (3) http://www.rfi.fr/afrique/20170216-rdc-financement-elections-annee-discussion-kangudia
    (4) https://www.radiookapi.net/2017/11/15/actualite/economie/rdc-le-budget-2018-fixe-environ-5-milliards-usd
    (5) voir notre article de l’époque sur l’accord de la Saint-Sylvestre : https://fr.socialisme.be/24323/qui-sont-les-grands-gagnants-de-laccord-en-rdc
    (6) https://www.radiookapi.net/2018/03/27/actualite/societe/le-ministre-de-leconomie-surseoit-la-hausse-des-prix-du-pain
    (7) Histoire générale du Congo, Isidore Ndaywel È Nziem, ed. Duculot, 1998.

  • Éthiopie. Le nouveau Premier ministre essaye de mettre fin à l’agitation sociale et politique par des concessions

    Ces trois dernières années, l’Éthiopie a connu une grande agitation sociale et politique. Des actions de protestations ont eu lieu dans presque tout le pays. La population est lassée de l’injustice, des abus, des assassinats et des arrestations. Elle revendique des changements politiques et économiques pour faire face aux difficultés qui touchent chaque domaine de la vie.

    Par Temesgen Bekele Aga (Rättvisepartiet Socialisterna, section suédoise du Comité pour une Internationale Ouvrière)

    En raison de la force et de l’ampleur des actions de protestations en Éthiopie et ailleurs, le Premier ministre Hailemariam Desalegn a été contraint d’annoncer sa démission le 15 février dernier. Par la suite, le FDRPE (Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien) a déclaré l’état d’urgence pour la deuxième fois en deux ans. Le FDRPE est officiellement une coalition de quatre partis qui gouverne le pays depuis 27 ans. En réalité, le rassemblement est totalement sous le contrôle dictatorial d’un des partis, le FLPT (Front de libération du peuple du Tigray).

    Le comité exécutif du FDRPE a tenu une réunion longue et secrète. Après un mois, Abiy Ahmed, 41 ans, a été élu nouveau président du parti et premier ministre éthiopien.

    Ahmed est originaire de la région d’Oromia et est issu des Oromos, le plus grand groupe ethnique d’Éthiopie (représentant environ 32 millions d’habitants sur 105 millions). Il a fait part de l’armée éthipienne dans sa jeunesse et devint plus tard lieutenant-colonel. Il a également occupé différents postes gouvernementaux, dont celui de ministre des sciences et de la technologie ainsi que de président et vice-président de l’État régional d’Oromia.

    Oromia est l’épicentre de manifestations de masse depuis août 2016. Celles-ci s’opposaient à l’accaparement des terres par le gouvernement dans le cadre d’un plan d’expansion de la capitale, Addis-Abeba. Des centaines de personnes ont été tuées par les forces de sécurité de l’État lorsque la population, souvent dirigée par des jeunes, s’est révoltée. Les protestations se sont répandues dans toute l’Oromia mais aussi dans la deuxième plus grande région, Amhara, ainsi que dans la capitale.

    Les revendications du mouvement visaient non seulement l’accaparement des terres, mais aussi le régime lui-même. En dépit d’une décennie où le pays a connu la plus forte croissance d’Afrique, et peut-être même du monde, avec 10 % par an, la vie de la plupart des gens n’a pas changé. La majorité de la population vit d’une agriculture à petite échelle et autosuffisante. Pour les jeunes qui ont pu étudier à l’université, le chômage reste élevé.

    Le régime a longtemps eu recours à une répression brutale contre toute forme d’opposition. Les élections de 2005 avaient ainsi clairement été remportées par l’opposition, mais celle-ci a été victime d’une répression qui a fait des centaines de morts. Aujourd’hui, le FDRPE détient tous les sièges au “parlement” et tous les opposants sont qualifiés de “terroristes” et emprisonnés. Les partisans internationaux du régime – les États-Unis, l’UE et surtout la Chine – ont tous accepté ces méthodes dictatoriales.

    Le “voyage de la paix” d’Abiy

    Après avoir été élu, il s’est rendu dans différentes parties du pays – du nord au sud et d’est en ouest – avec l’idée d’un “voyage de la paix” visant à stabiliser les troubles sociaux et politiques. Au cours de son voyage, il largement bénéficié d’un écho positif en raison de son approche du nationalisme éthiopien (“l’éthiopianisme”) qui diffère fortement des idées des dirigeants précédents et du FDRPE lui-même, qui se sont essentiellement basés sur les divisions ethniques au cours des 27 dernières années.

    Depuis la nomination d’Abiy en avril 2018, une pléthore de dirigeants politiques, de chefs militaires et de chefs du renseignement de l’administration précédente, qui semblaient autrefois puissants et intouchables, ont été rétrogradés ou démis de leurs fonctions.

    Il s’est également rendu au Soudan, au Kenya, en Égypte, en Somalie et en Arabie saoudite. En plus de renouveler les relations diplomatiques et politiques, il a obtenu la libération de milliers d’Éthiopiens emprisonnés dans ces pays. Le peuple éthiopien a considéré cette action comme un acte de renouveau du nationalisme éthiopien et de la protection des citoyens où qu’ils se trouvent.

    Cependant, le Premier ministre Abiy était loin d’être à l’abri des critiques quand il s’efforçait de libérer de personnes emprisonnées à l’étranger alors que son propre gouvernement en détenait encore des milliers en prison. Nombre de ces derniers étaient journalistes, dirigeants et membres de partis politiques de l’opposition, chefs religieux, etc. Après une vaste campagne menée dans les médias sociaux et après de nombreuses manifestations, son régime a libéré des milliers de personnes, y compris des dirigeants de partis politiques et des journalistes comme Merara Gudina, Bekele Gerba, Andargache Tsige, Fikru Maru, Eskinder Nega, Temesgen Desalegn. Son gouvernement a également rejeté les accusations portées contre les dirigeants des partis politiques reposant sur la diaspora, comme Birhanu Nega et Jawar Ahmed, ainsi que contre les médias basés sur la diaspora, comme Esat et OMN (Oromia Media Network)

    Il a invité les dirigeants des partis politiques de l’opposition et les journalistes à son palais (y compris ceux qui avaient été libérés de prison) et leur a demandé de travailler avec lui dans l’intérêt de l’unité du peuple éthiopien et d’élargir le système démocratique en Éthiopie. Abiy a également invité tous les partis politiques éthiopiens à l’étranger à venir travailler pacifiquement en Éthiopie. Après son invitation, certains partis politiques comme le Front Démocratique de l’Oromo (FDO), dirigé par le vétéran politique Lencho Leta, ont accepté son invitation et sont retournés au pays.

    Tout cela a renforcé la confiance du peuple éthiopien envers le nouveau gouvernement. Abiy a continué sur sa lancée et, le 2 juin, le cabinet éthiopien a approuvé un projet de loi qui lèverait l’état d’urgence à l’échelle nationale deux mois avant la date prévue. Le gouvernement a déclaré que la situation du pays en matière de paix et de sécurité s’est beaucoup améliorée. Cet état d’urgence controversé et dénué de sens avait été déclaré immédiatement après la démission de l’ancien Premier ministre, Hailemariam Desalegn.

    La paix avec l’Erythrée ?

    Abiy affirme vouloir résoudre le conflit avec l’Érythrée. Il appelle à la paix et se montre intéressé par la proposition de paix d’Alger qui a suivi la guerre de 1998-2000. L’accord exigeait que la ville contestée de Badime reste à l’Erythrée. Le gouvernement érythréen a réagi positivement au programme éthiopien de paix et de réconciliation. Le Président érythréen Isayas a annoncé son intention d’envoyer une délégation à Addis-Abeba pour discuter de la question et de l’accord de paix d’Alger.

    Mais la décision de donner Badime à l’Erythrée n’est pas acceptée par beaucoup d’Ethiopiens. Les habitants de Badime ont été les premiers à s’opposer et à manifester contre cette décision. Ils ont dit : “Nous sommes éthiopiens, hier, aujourd’hui et demain ! » Les manifestations se sont répandues dans toute la région du Tigray.–

    Un plan de privatisations

    Le gouvernement Abiy a également annoncé un plan de privatisation des entreprises d’État. Les actions d’Ethio-Telecome, Ethiopian Airline, Ethiopian Power et Maritime Transport and Logistics Corporation seront vendues à des capitalistes nationaux et étrangers, tandis que l’État détiendra une participation majoritaire.

    Jusqu’à présent, le FDRPE a tenté de suivre le « modèle chinois », l’Etat (l’armée et le parti) gardant un contrôle de l’économie tout en invitant les multinationales à venir, en offrant à ces dernières des travailleurs bien formés à bas salaires et sans protection syndicale. Les autorités ont également amélioré les infrastructures, le plus souvent avec des prêts chinois et des entreprises chinoises. Parallèlement, l’Éthiopie est un allié militaire des États-Unis.

    Ce nouveau plan pro-marché est un avertissement aux travailleurs, aux jeunes et aux pauvres d’Éthiopie. De nouvelles étapes vers la mondialisation capitaliste ne feront qu’accroître la pauvreté et l’exploitation. Malgré la croissance rapide des années 2000, l’Éthiopie a toujours l’un des PIB par habitant les plus bas au monde. La famine et la misère côtoient des usines de haute technologie et les chemins de fer.

    Tous ces changements ont été effectués en seulement trois mois, depuis son arrivée au pouvoir. Toujours très populaire, Abiy n’est pas exempt de critiques. Des meurtres et des expulsions sur base de groupe ethnique ont toujours lieu. Les Amharas ont été la cible de meurtres brutaux et d’expulsions dans la région d’Oromia et de Benshangul Gumuz, de même que les Oromos de la région de Somalie, etc. Et un conflit ethnique mortel se déroule toujours entre Wolaytas et Sidamas, Gurages et Kebenas.

    Certains groupes affirment que la nomination du premier ministre Abiy est une stratégie de survie du FDRPE. Parce jusqu’à ce jour, l’objectif le plus important du FDRPE a toujours été son propre pouvoir et sa propre survie. D’autres groupes, y compris les dirigeants des partis politiques de l’opposition en Éthiopie ainsi qu’en exil, déclarent que le peuple éthiopien doit le soutenir parce qu’il a un bon programme sur la démocratisation de l’Éthiopie, l’unification et la stabilisation du peuple éthiopien et de la Corne de l’Afrique.

    Un régime divisé

    On estime que le FDRPE est divisé en groupes pro-Abiy et anti-Abiy. Le FLPT a accepté la nomination du Dr. Abiy comme moyen de calmer le soulèvement populaire. Mais ses membres veulent disposer de quelqu’un comme l’ancien premier ministre, Hailemariam Desalegne, soit une marionnette qui les cajole à chaque fois qu’ils en ont besoin et qui applaudit quand ils en ont besoin. L’autorité du FLPT n’est pas censée être remise en question. Tous les autres membres de l’alliance FDRPE n’existent que grâce à eux. Ils ont été créés et promus grâce au FLPT.

    Abiy Ahmed, cependant, a été plus vite et plus loin que les dirigeants du TPLF ne le souhaitaient. Ils lui ont ouvertement reproché de ne pas les avoir consultés avant d’annoncer des changements majeurs.

    Les tensions se sont manifestées lorsque des militants politiques et des défenseurs des droits de l’homme ont organisé un rassemblement pour manifester leur soutien et remercier le nouveau Premier ministre le 23 juin. Ce jour-là, des centaines de milliers de personnes venant de différentes parties du pays se sont rassemblées sur la place Meskel à Addis Abeba pour prendre part à un rassemblement pacifique de solidarité en faveur de son programme de réformes. Les supporters portaient des vêtements sur lesquels figuraient le portrait d’Abiy et et différents slogans comme ‘One love, one Ethiopia’, ‘Unity’, etc.

    Abiy s’est présenté à la marche en portant un t-shirt arborant une carte de l’Afrique et le fameux salut du pouvoir de Mandela. Puis il a fait un discours qui a réchauffé la foule. Mais, juste après, une bombe a explosé près du premier ministre. Au moins deux personnes sont mortes et des centaines de personnes ont été blessées. Abiy, à la télévision nationale, a décrit l’incident comme “une tentative infructueuse des forces qui ne veulent pas voir l’Éthiopie unie”. Il a dit qu’il s’agissait d’une ” attaque bien orchestrée “, mais qui a échoué.

    Le lendemain, Zeinu Jemal, chef de la Commission de la police fédérale, a déclaré à la Société éthiopienne de radiodiffusion, propriété de l’État : “Le nombre de suspects en garde à vue pour implication dans l’attaque de Meskel Square a atteint le nombre de 30.” Neuf agents, dont le chef adjoint de la commission de police d’Addis-Abeba, ont été arrêtés pour faille de sécurité, selon des sources officielles.

    Les perspectives de l’Éthiopie sont ouvertes. Abiy Ahmed disposera d’une période de lune de miel, même les sceptiques attendront de voir. Jusqu’à présent, Abiy Ahmed n’a pas modifié les lois antiterroristes notoires et n’a inculpé aucun des dirigeants ou officiers précédents pour les massacres et les arrestations massives qu’ils ont commis. Les dirigeants du FLPT sont restés en place et contrôlent toujours l’appareil de sécurité. Il n’y a pas de date pour de nouvelles élections ou des changements dans la loi électorale.

    Les luttes et les révoltes dans d’autres pays, comme le processus de révolution et de contre-révolution en Afrique du Nord et au Moyen Orient en 2011, ont montré que le changement de régime au sommet ne suffit pas. Avec l’économie et l’appareil d’Etat sous le contrôle des capitalistes et des généraux, les attentes des masses ne pourront jamais être satisfaites.

    Lorsque des manifestations referont leur apparition en Éthiopie, le régime, avec ou sans Abiy, peut, à un certain stade, tenter à nouveau de raviver les divisions et les conflits ethniques. Aucune mesure n’a été prise pour mettre fin aux tueries à la frontière entre l’Oromia et la région somalienne de l’Éthiopie.

    Les changements rendus nécessaires par les protestations de masse ont donné une certaine ouverture. Cela doit être utilisé pour organiser à partir de la base un mouvement indépendant des travailleurs, avec des syndicats démocratiques et une force politique qui défie le régime et son système capitaliste. L’Éthiopie a besoin d’un parti politique socialiste révolutionnaire et démocratique.

  • Afrique du Sud. Le capitalisme ne mettra pas fin à l’inégalité et la violence. Il faut le socialisme !

    Le 22 mars, les étudiants d’extrême droite du NSV sont descendus dans les rues de Gand pour protester contre le meurtre de boers (blancs) en Afrique du Sud. Une septantaine de boers ont été tués l’an dernier, sur un total de 18 000 meurtres en Afrique du Sud. Peter Luykx (N-VA) a tenu une conférence à ce sujet au Parlement. Que se passe-t-il réellement en Afrique du Sud ?

    Par Tina, actuellement en Afrique du Sud

    Inégalité extrême

    Pendant la domination coloniale britannique, 87 % des terres d’Afrique du Sud ont été attribuées aux blancs. Après l’indépendance, il y a eu un régime d’apartheid au cours duquel les ‘‘Afrikaners’’ blancs ont pris le pouvoir et ont instauré un régime profondément raciste. La classe capitaliste n’était composée que de blancs et la minorité blanche (représentant 9% de la population) contrôlait 87% des terres. Et ce, jusqu’à la chute de l’apartheid en 1994.

    En 1994, la majorité de la population espéraient assister à un changement radical. Mais le Congrès National Africain (ANC) a refusé de rompre avec le capitalisme. Certes, au sein la classe capitaliste et de la classe moyenne, une infime présence noire a émergé, mais l’inégalité s’est maintenue. De plus, selon le coefficient de Gini (qui indique combien de ménages s’écartent du revenu moyen), l’Afrique du Sud est le pays le plus inégalitaire au monde. Aujourd’hui, 27% des Sud-Africains sont sans emploi, et, chez les jeunes, ce chiffre dépasse les 50%. Il y a environ 200.000 sans-abri et 15 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté. Les trois Sud-Africains les plus riches possèdent autant que les 50% les plus pauvres. La liste des 20 Sud-Africains les plus riches comprend très peu de noirs. Le nouveau président, Cyril Ramaphosa, avec une richesse personnelle de 500 millions d’euros, figure au 14e rang.

    Les blancs ne détiennent sans doute plus 87 % du pays. Par contre, la plupart des 70% des terres privées restent aux mains des Blancs. Il s’agit des terres les plus fertiles disposant des meilleures machines agricoles et des meilleurs savoir-faire. 30.000 grands propriétaires terriens blancs gèrent chacun en moyenne 1.500 hectares de terres agricoles.

    Une épidémie de violence

    Dans ce contexte d’inégalité extrême sévit une épidémie d’agressions, de toxicomanie et de criminalité. Avec plus ou moins 18.000 meurtres par an, les victimes de violence sont nombreuses. Le changement espéré n’a pas été concrétisé par l’ANC. Le parti des Combattants de la Liberté Économique (EFF), le parti populiste de l’ancien membre corrompu de l’ANC Julius Malema, s’insère dans le vide politique. L’EFF exige des nationalisations partielles des secteurs minier et bancaire, mais ne défend pas une rupture avec le capitalisme. La privatisation de l’électricité a mené à des conditions de vie pires que sous l’apartheid. La privatisation imminente de l’eau (sous prétexte qu’il s’agirait d’une réponse à la sécheresse du Cap) aggravera cette situation.

    La répartition inégale des richesses et des terres conduit à une colère justifiée. La revendication de l’EFF qui appelle à l’expropriation des agriculteurs sans indemnisation est largement soutenue. L’absence d’un programme de changement social radical est par contre occultée derrière une approche nationaliste qui identifie les blancs à la petite classe capitaliste. En décembre 2017, L’ANC a décidé de permettre l’expropriation sans compensation, mais veut d’abord organiser un débat large avant que des mesures concrètes ne soient prises. Il est possible que rien ne change, tout au plus le remplacement de quelques grands propriétaires terriens par d’autres avec une couleur de peau différente.

    Nous sommes opposés à la violence – y compris contre les boers – et nous défendons un programme qui combat la profonde inégalité qui génère la violence. La misère de la classe ouvrière majoritairement noire en Afrique du Sud ne prendra fin lorsque l’emprise des capitalistes sur l’économie sera brisée. Cela vaut aussi pour les grands propriétaires terriens, qui sont la petite élite utilisant 95% des terres agricoles sud-africaines pour générer des profits colossaux aux dépens de la masse de la population.

  • Southern Cameroons: action pour la libération de prisonniers

    Une trentaine de manifestants se sont réunis ce vendredi 16 mars, face au SPF Affaires étrangères, à l’appel du Southern Cameroons Council of Belgium pour protester contre la détention de militants de la cause indépendantiste dans les geôles camerounaises. Certains des prisonniers ont la nationalité belge, et sont pourtant complètement ignorés par l’Etat belge, allié fidèle du régime camerounais de Biya. Le président a souvent usé de brutalité envers la population camerounaise, mais cette répression violente a atteint de nouveaux sommets ces dernières semaines, avec des mises à sac et des massacres dans les deux régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, et le meurtre et l’arrestation de centaines d’opposants et leaders du mouvement de la population anglophone, dont certains au Nigeria voisin. La politique néolibérale dure menée par les autorités, couplée à des discriminations envers les anglophones et la répression brutale de toute contestation a poussé de plus en plus de personnes à soutenir la cause de l’indépendance de ces deux régions, sous le nom de République d’Ambazonie. La solidarité internationale est importante pour condamner la violence de Biya et de ses alliés. Cela peut appuyer cette lutte juste, sur place, dont la structuration sera cruciale pour obtenir une victoire. Celle-ci passera aussi par l’implication de larges couches de la population, y compris dans les régions francophones du Cameroun, pour organiser une lutte d’ensemble contre les politiques néolibérales et répressives.

    Une équipe de militants du PSL étaient présents à l’action de ce vendredi, où nous avons diffusé un tract en anglais (disponible sur le site de nos camarades du Nigeria), traduction de l’article présent dans notre édition de mars de Lutte Socialiste.

    Action Southern Cameroons

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