Category: Afrique

  • Cameroun : une approche marxiste de la crise anglophone

    Question nationale. L’austérité et la répression attisent les tensions

    Après la Première guerre mondiale, le territoire de l’ancienne colonie allemande du Kamerun a été mis sous mandat de la Société des Nations et son administration divisée entre la France et le Royaume-Uni. La carte ci-dessus indique grossièrement les frontières de 1961, lorsque la partie méridionale de l’ancien Cameroun britannique, le Southern Cameroons, a été rattachée au Cameroun, qui venait de gagner son indépendance l’année précédente. Ce territoire est depuis lors divisé entre les deux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.

    Un dossier de Stéphane Delcros

    Il y a dix ans éclatait la crise économique. La vie de nombreux jeunes et travailleurs a alors basculé. Pour maintenir le taux de profit de l’élite économique, les politiques néolibérales se sont faites plus brutales. Même là où une relative croissance économique est de retour, elle ne bénéficie qu’à cette même infime minorité. Les inégalités sont croissantes, tout comme la colère massivement ressentie contre l’establishment capitaliste et ses institutions. Les jeunes et les travailleurs n’ont pas quitté le chemin de la lutte, mais ils ont besoin d’une alternative pour aller de l’avant.

    Là où des discriminations existent – sur base nationale, ethnique, religieuse, linguistique ou autre -, la colère contre la politique antisociale vient s’ajouter à celle contre les discriminations de leurs droits, à des degrés souvent très divers mais en aucun cas négligeables. La volonté d’autonomie accrue, voire d’indépendance, est alors considérée par une couche grandissante de la population comme une solution aux problèmes de son quotidien. La répression de ces tendances de la part des Etats centraux ne fait que renforcer ce sentiment. A côté de l’exemple de la Catalogne, beaucoup d’autres existent. Cette résurgence de la question nationale et des forces centrifuges est un processus qui puise ses racines dans les contradictions du système capitaliste.

    Le PSL est depuis quelques temps en discussion avec un groupe d’expatriés camerounais marxistes. En tant qu’internationalistes, nous sommes bien sûr solidaires des populations qui émigrent dans notre pays. Mais pas seulement : nous nous préoccupons de la situation existante dans leur pays d’origine. Notre parti-frère suédois, par exemple, est également en contact avec des expatriés camerounais et se plonge régulièrement dans l’analyse de la situation au Cameroun et des réponses à défendre, tout en impliquant des expatriés dans les luttes concernant la situation suédoise. Notre combat est un combat politique d’ensemble. L’analyse ci-dessous va nous permettre d’approfondir notre connaissance et nos perspectives sur ce pays, particulièrement au regard de la lutte des populations anglophones.

    Après la Deuxième guerre mondiale, le territoire de l’ancienne colonie allemande du Kamerun a été mis sous mandat de la Société des Nations et son administration divisée entre la France et le Royaume-Uni. La carte ci-dessus indique grossièrement les frontières de 1961, lorsque la partie méridionale de l’ancien Cameroun britannique, le Southern Cameroons, a été rattachée au Cameroun, qui venait de gagner son indépendance l’année précédente. Ce territoire est depuis lors divisé entre les deux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.

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    Des mobilisations massives de travailleurs et de pauvres pour davantage d’investissements et de considération ont lieu depuis fin 2016 dans les deux régions anglophones du Cameroun, à l’Ouest du pays. Depuis quelques semaines, la répression brutale et meurtrière de la part de l’Etat camerounais a redoublé, entrainant une hausse du sentiment séparatiste.

    Les anglophones, estimés à près de 20% de la population du Cameroun, sont habituellement marginalisés par l’Etat central : sous-représentation dans les institutions, l’administration voire l’éducation, où ils subissent des discriminations linguistiques. Depuis le rattachement de l’ex-Southern Cameroons au Cameroun en 1961, et particulièrement après l’abandon du fédéralisme en 1972, ces populations ont le sentiment d’être des citoyens de seconde zone.

    Comme dans de nombreux autres Etats africains, le Fonds Monétaire International met pression pour diminuer les dépenses publiques. Au pouvoir depuis 1982, Paul Biya a l’habitude d’appliquer avec autorité les politiques néolibérales notamment exigées par les puissances impérialistes européennes. Ça ne l’a d’ailleurs jamais empêché de se servir au passage. Les décennies de coupes budgétaires et de sous-investissement ont créé des pénuries dans tout le pays, particulièrement dans les régions moins importantes aux yeux des autorités, comme l’Extrême-Nord, en proie au terrorisme de factions de Boko Haram.

    Une des principales revendications de la lutte des anglophones est l’exigence de davantage d’infrastructures (hôpitaux, routes,…). Ce sous-investissement pour les besoins de la population contraste fortement avec l’accaparement par l’Etat des nombreuses richesses naturelles, notamment issues de l’extraction pétrolière dans le Golfe de Guinée, au large de la région anglophone du Sud-Ouest. Le mouvement pour davantage d’autonomie voire pour la sécession des régions anglophones est indissociable de la lutte contre le sous-investissement et l’austérité budgétaire.

    Répression brutale

    Dès le début, Paul Biya et les autorités, y compris une partie de l’élite anglophone avec notamment le Premier Ministre Philémon Yang, ont tenté d’imposer le silence au mouvement (coupures d’internet, couvre-feux, fermeture de stations de radio, interdiction de rassemblements de plus de 4 personnes, etc.). Les manifestations sont réprimées dans le sang tandis que des rafles sont organisées dans des villages.
    La tension avait augmenté fin de l’été dernier, lorsque des dirigeants du mouvement sécessionniste, réunis devant des assemblées, avaient symboliquement déclaré l’indépendance (1er octobre) de la République d’Ambazonie couvrant ces deux régions. Mais il est difficile d’avoir des rapports exacts de la situation ; les ONG ont été interdites et rares sont les journalistes qui ont pu s’y aventurer. Ce qui est certain, c’est que la répression a déjà entrainé la mort de centaines de personnes et le déplacement d’au moins 40.000 réfugiés au Nigeria voisin.

    Les autorités nigérianes, elles aussi confrontées à un important mouvement sécessionniste au Biafra qu’elles répriment sévèrement, collaborent depuis janvier avec les forces camerounaises. Une cinquantaine de dirigeants séparatistes ont ainsi récemment été arrêtés et extradés vers le Cameroun, dont le principal leader Julius Sisuku Ayuk Tabe. En prison, c’est au minimum la torture et potentiellement la mort qui attend les opposants, qui n’ont d’ailleurs plus donné de nouvelles depuis leur arrestation.

    Le manque de considération pour les revendications socio-économiques, couplé à l’arrogance et la répression du régime a poussé de plus en plus d’anglophones à se saisir de la cause indépendantiste. Mais le laissez-faire et l’indifférence des partis et figures d’opposition francophone face au droit à l’indépendance, voire leur refus, notamment parmi la gauche, a aussi appuyé cette tendance.

    L’absence d’alternative et de perspective politique donne l’espace à Paul Biya et ses amis pour utiliser la division sectaire, pour tenter d’isoler le ‘‘problème anglophone’’. Quand il n’y a rien d’autre à présenter, l’arme de la division est la seule qui reste, à côté de la répression, et Biya en a besoin : il compte bien se faire réélire une 7e fois lors des élections présidentielles fin 2018…

    Garantir le droit à l’autodétermination

    La seule option pour le mouvement des travailleurs et des pauvres au Cameroun est de s’opposer à chaque forme d’oppression et de division qui serve les intérêts de l’élite dirigeante. Pour éviter que les bolcheviks soient vus juste comme une continuation de la domination Grand Russe sous une autre forme, Lenine avait garanti le droit à l’autodétermination aux nombreuses populations minoritaires dans l’ancien Empire tsariste, y compris jusqu’au droit à la séparation. C’était la seule façon d’assurer l’unité de la classe des travailleurs et des pauvres des communautés opprimées avec la classe des travailleurs et des pauvres du reste de l’ancien Empire. Au Cameroun aussi, comme les bolcheviks, il faudra se comporter en ‘‘démocrates véritables et conséquents’’ afin de souder l’unité des travailleurs et des pauvres dans toutes les régions du pays.

    Organiser la lutte et la doter d’instruments

    Certaines tentatives d’organisation du mouvement ont mené à davantage de coordination, menant notamment à de réels suivis de l’appel pour des journées ‘‘ville morte’’, forme de grèves du travail généralisées, dans les régions anglophones. Mais ces réussites ne cachent pas le manque général d’organisation et de perspectives pour le mouvement, ce qui pousse aussi différents groupuscules sécessionnistes à user de violence, tuant notamment plusieurs policiers et militaires ces dernières semaines.

    Il est crucial que le mouvement de lutte réussisse à organiser son combat, notamment en se dotant des instruments pour canaliser la colère. Des exemples récents ont montré le potentiel en termes d’organisation et de coordination de la lutte, avec des assemblées régulières permettant une implication la plus large possible : Le Balai citoyen au Burkina Faso, Y’en a marre au Sénégal, ou encore Lutte pour le changement (Lucha) en RDC et, plus récemment, Togo Debout qui tente d’organiser la lutte pour une réelle démocratie.

    Ces sont des sources d’inspiration, mais elles sont souvent marquées par l’absence ou le manque de volonté de challenger le pouvoir, de se transformer en outil politique doté d’un programme pour un changement profond de la société. C’est ce qui explique que, malgré les luttes exemplaires, au final, l’Ancien régime battu a pu se rétablir, comme au Burkina Faso.

    Construire l’unité de classe avec les Camerounais francophones

    La population anglophone en lutte aura bien besoin de l’appui des couches les plus combattives de la classe des travailleurs francophone. Cela exige de la direction du mouvement qu’elle garantisse d’ores et déjà des droits pour les minorités en cas de sécession, et construise l’unité de classe : un ‘‘pont’’ unitaire vers la population francophone, également victime du despotisme du clan Biya et de la pauvreté engendrée par l’exploitation capitaliste.

    Rompre avec le système et étendre la lutte

    Il est important de comprendre qu’une indépendance de l’ex-Southern Cameroons dans le cadre du système d’exploitation capitaliste ne résoudra pas en soi les problèmes. Le système capitaliste est incapable de résoudre une question nationale. C’est pourquoi les travailleurs et les pauvres ne pourront compter sur les élites anglophones qui n’accepteront pas que le combat soit orienté vers ce qui constitue la seule issue favorable : une rupture avec ce système et l’instauration d’une société socialiste démocratiquement gérée par et pour les intérêts des travailleurs et des pauvres.

    La lutte courageuse des populations anglophones du Cameroun pourrait alors très vite servir de moteur pour les luttes des populations dans le reste du pays et au Nigeria. Cela pourrait alors être un levier stimulant pour avancer dans la mise sur pieds d’une Confédération d’Etats socialistes démocratiques sur base volontaire du Golfe de Guinée et de la région, comme étape vers un monde débarrassé de la pauvreté, de la politique néolibérale, des pénuries, de la corruption et des divisions et violences sectaires. Un tel changement de système est la base nécessaire pour que les populations organisent elles-mêmes leur futur.

  • Soudan: Pour la libération de Mohamed Satti et de tous les prisonniers politiques !

    Mohamed Diaeldin Mohamed Satti, 21 ans, connu sous le nom de “Hamudi”, est l’un des manifestants qui ont été arrêtés par l’État soudanais la semaine dernière, dans le cadre de la réponse brutale du régime d’Al-Beshir à la vague de protestations suivi contre la flambée des prix et l’austérité. L’arrestation de Hamudi a eu lieu mercredi dernier après-midi , alors qu’il participait à une marche pacifique dans le centre de Khartoum.

    Selon certaines informations, plus de 400 militants politiques et manifestants seraient actuellement détenus dans le pays, dont neuf membres du bureau politique du Parti communiste soudanais, des dirigeants du Parti national Umma et la militante de longue date Ilham Malik Salman Salman Ahmed. Cette campagne d’arrestations massives s’est étendue aux journalistes soudanais et étrangers qui faisaient des reportages sur les manifestations. Elle met en lumière la crainte du régime que toute forme de critique, même légère, de ses politiques pourrait être l’étincelle donnant lieu à une une révolte de masse.

    D’après les manifestants libérés, les services de sécurité obligent les détenus à signer un document dans lequel ils s’engagent à cesser toute manifestation ou activité politique à l’avenir. Ceux qui ont refusé de signer, comme Hamudi, ont été gardés à l’intérieur. Les détenus se voient refuser la visite de leur famille, se font raser la tête et sont victimes de mauvais traitements physiques.

    Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO, dont le PSL/LSP est la section belge) exige la libération immédiate de Mohamed Satti “Hamudi” ainsi que de tous les autres prisonniers politiques. Nous appelons tous nos sympathisants internationaux à protester contre les autorités, les ambassades et les consulats soudanais dans le monde entier. Nous appelons tous ceux qui le peuvent à exprimer leur solidarité avec Hamudi et les autres détenus en envoyant des photos et des messages de soutien à cwi@worldsoc.co.uk.

    En Belgique, une action aura lieu à Bruxelles demain, ce vendredi 26 janvier, à 13h, à l’ambassade du Soudan, Avenue Franklin Roosevelt 124.

    >> Quelques éléments de contexte et exemple de lettre de protestation

    Ci-dessous, quelques photos d’actions de protestation et de solidarité qui ont déjà eu lieu ces derniers jours, de différentes parties du monde.

    Nigeria

    Belgique

    Mexique

    Angleterre et Pays de Galles

    INDIA:

     

    Suède

     

     

  • Soudan: des protestations éclatent contre les politiques d’austérité du gouvernement

    Des marches ont éclaté ce 8 janvier dans toute une série de villes du Soudan dont la capitale Khartoum, les villes du Sud (Nyala, Geneina et al-Damazin), ainsi que dans l’Ouest (Darfour).

    La raison de ces mobilisations est le prix du pain qui a doublé après que, dans leur budget 2018 adopté le mois dernier, les autorités ont décidé de supprimer les subventions à cette denrée de base. Le ministère de l’Intérieur a déclaré que les manifestants seraient traités « avec force ». Un étudiant a été tué dans la répression qui a suivi, tandis que les dirigeants des partis d’opposition ont été arrêtés et que six journaux critiquant la baisse des subventions ont été interdits de vente.

    En octobre dernier, la majorité des sanctions économiques imposées par les États-Unis au Soudan, qui étaient en vigueur depuis deux décennies, ont été levées. En dépit des espoirs des masses, la situation économique de la majorité de la population s’est détériorée, l’inflation atteignant de nouveaux records. Les trois quarts du nouveau budget de l’État ont été alloués aux dépenses militaires et de sécurité. Et le gouvernement fait face à la pression du FMI pour réduire les subventions énergétiques, qui constituent une bouée de sauvetage pour de nombreuses familles pauvres et ouvrières.

    Le régime corrompu et brutal d’Omar el-Béchir ne peut plus se cacher derrière les sanctions de l’impérialisme américain pour blâmer la mauvaise situation économique qui frappe le peuple soudanais. Le pillage des richesses par l’élite au pouvoir, la corruption de masse et le gaspillage des ressources dans les guerres sanglantes sont exposés à la vue de tous. Des manifestations comme celles qui ont eu lieu ce 8 janvier constituent un signe avant-coureur des choses à venir, alors que la colère contre le régime s’intensifie de toutes parts.

    Ci-dessous, nous publions un article écrit avant ces manifestations par un partisan du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO, dont le PSL/LSP est la section belge) vivant à Khartoum, qui donne un aperçu des récents développements.

    À la fin de l’année 2017, et après une longue attente, le gouvernement soudanais a présenté une proposition de budget pour l’année 2018 qui a été discutée au parlement. Après quatre années de baisse des subventions aux carburants (une mesure défendue par le gouvernement comme représentant un « remède à la détérioration de l’économie »), l’économie n’a fait qu’empirer et le déficit budgétaire est monté à 28 milliards de livres soudanaises, soit une hausse spectaculaire par rapport à l’année précédente. Le nouveau budget a établi la poursuite de la politique de guerre du gouvernement, la part des dépenses de sécurité et de défense s’élevant à plus de 20 milliards de livres, tandis que la part totale de l’éducation et de la santé ne dépasse pas 1 milliard. Ce sont pourtant les secteurs pour lesquels la population soudanaise souffre particulièrement, avec un taux d’analphabétisme très élevé, un système de soins de santé extrêmement dégradé et des prix des médicaments qui augmentent à des niveaux que les gens ordinaires ne peuvent tout simplement pas se permettre.

    Et ça ne s’arrête pas là. Le gouvernement s’apprête à poursuivre sa politique de suppression graduelle des subventions gouvernementales aux hydrocarbures, qui avait pourtant provoqué des mouvements massifs en 2012 et 2013. Le gouvernement avait à l’époque tiré à balles réelles pour réprimer les marches, causant la mort de dizaines de manifestants. Quelques jours avant le budget, le gouvernement a également annoncé la suppression des subventions sur le dollar douanier, ce qui dévalué la livre soudanaise pour la faire passer de 7 livres pour un dollar à 18 livres pour un dollar. Cette dévaluation de la livre soudanaise par rapport aux autres monnaies aura un impact terrible sur la hausse des prix, à un moment où les gens se plaignent déjà de la poursuite de l’inflation (qui est actuellement d’environ 25 %). Cette politique étouffera encore plus les pauvres, puisqu’ils ne pourront même plus satisfaire leurs besoins de base.

    Pendant que le gouvernement augmente son budget militaire, il harcèle un certain nombre de militants et de politiciens par l’entremise de ses agences de sécurité. C’est ainsi que les dissidents politiques Ilham Malik et Ehssan Ebdalaziz ont été appréhendés la semaine passée. Depuis, le Service national du renseignement et de la sécurité les interroge chaque jour, sans leur expliquer pourquoi, en les faisant attendre de nombreuses heures entre deux séances, sans aucune raison donnée, comme moyen de contrôle psychologique. Le président d’un syndicat d’agriculteurs, Hassbo Ebrahim, a également été arrêté dans la matinée du 28 décembre.

    Le système ne se contente pas de harceler les activistes et d’attaquer les libertés individuelles ; il extorque aussi de l’argent aux citoyens par le biais de la loi de “l’ordre public”, qui détermine même le style vestimentaire de la population. Vingt-quatre filles ont été arrêtées au cours du mois écoulé et présentées devant les tribunaux pour “attentat à la pudeur”. Les accusations ont ensuite été abandonnées après que l’affaire eut provoqué un tollé international. Mais de nombreux cas ne sont pas signalés par les médias. Des statistiques récentes montrent que plus de 40 000 cas d’ordre public sont enregistrés chaque année dans la seule région de Khartoum! La loi sur l’ordre public invoqué est lâche et son interprétation ne dépend que de la mesure arbitraire des officiers de police en charge. Au-delà d’être un outil de soumission, en particulier contre les femmes, cette loi s’applique beaucoup plus vers la fin de chaque année car elle est utilisée pour obtenir le plus d’argent possible afin de parvenir à boucler le budget.

    Des changements dans la politique étrangère

    En même temps que le gouvernement annonçait son budget, il a reçu la visite du président turc Erdogan, au cours de laquelle de nombreuses réunions ont eu lieu et des accords ont été signés entre les deux pays sur des questions économiques et militaires. Plus particulièrement, un accord a été conclu pour la remise de la ville portuaire de Suakin, une île située sur la côte ouest de la mer Rouge (qui possède des monuments archéologiques datant de l’époque ottomane) à la direction du gouvernement turc, pour une période de 99 ans. Des militants ont protesté contre cette décision, arguant qu’elle porte atteinte aux droits fonciers des populations locales et que le territoire du Soudan appartient à ses citoyens et ne devrait pas être négocié par les gouvernements.

    La visite a été accompagnée d’une réunion tripartite entre les dirigeants des forces militaires turques, soudanaises et qataries. Il y a lieu de penser que Suakin pourrait devenir un avant-poste militaire turc au Soudan en raison de l’échec des pourparlers lors de la visite d’Al-Bashir en Russie, le mois dernier, sur l’établissement d’une base militaire russe sur le rivage de la mer Rouge.

    La visite en Russie, ainsi que l’influence militaire, économique et politique croissante de la Turquie au Soudan, illustrent les changements rapides dans les relations extérieures et dans l’attitude du régime soudanais vis-à-vis de l’alliance turco-qatarie dans la région, alors que les relations solides entre le Soudan et l’Arabie saoudite traversent une tempête. La position brutale du régime saoudien contre les Houthis dans la guerre du Yémen a créé un grand malaise à Khartoum. Les relations ont commencé à se détériorer récemment à la suite d’un affrontement entre les forces militaires émiraties et soudanaises dans le sud du Yémen.

    La récente visite en Russie et celle du président turc au Soudan vont renforcer l’atmosphère politique tendue entre le Soudan et le pôle régional autour de l’Arabie saoudite et de l’Egypte. Les médias égyptiens ont vivement critiqué ce rapprochement récent, craignant que la présence d’une base militaire au Soudan ne constitue une menace pour les pays voisins. Les relations égypto-soudanaises ont récemment été tendues en raison de nouvelles tensions autour des territoires contestés d’Hala’ib et de Shalateen, ainsi qu’en raison du soutien du Soudan à l’Éthiopie pour la construction d’un immense barrage hydroélectrique (le barrage de Nahdha, ou “barrage de la Renaissance”) sur le Nil bleu.

    Tous ces développements surviennent à un moment où les partis se préparent aux prochaines élections législatives d’avril 2020. De plus, le parlement débat d’une décision visant à amender la Constitution pour permettre à Al-Bashir de se présenter pour un troisième mandat (la Constitution actuelle ne lui permet pas de se présenter plus de deux fois). Les dernières élections ont eu lieu en 2015 et ont été boycottées par les principaux partis d’opposition. Cependant, cette fois-ci, on s’attend à ce que certains partis participent aux élections, puisqu’ils sont entrés depuis lors dans le “dialogue national” convoqué par le régime.

    Le Comité pour une Internationale Ouvrière au Soudan estime que ce “dialogue” avec le régime n’est qu’une tentative d’attirer l’opposition dans un accord qui préserve l’essence même des politiques pro-capitalistes du régime. Elle est rejetée par la grande majorité de la population soudanaise. Nous préconisons plutôt la construction d’une lutte indépendante des travailleurs et des pauvres pour renverser le régime pourri d’Al-Bashir. Ce régime doit être remplacée par un gouvernement reposant sur des représentants démocratiquement élus de toutes les régions et communautés soudanaises, qui serait à l’origine d’une reconstruction socialiste du pays, sur base de la planification des richesses dans l’intérêt de toute la population soudanaise.

  • L’esclavage existe toujours au 21e siècle

    Image: fers d’esclaves, Wikipedia.

    Un reportage tourné fin octobre 2017 et diffusé sur CNN à la mi-novembre mettait au-devant de la scène l’existence de marchés aux esclaves en Libye. Le trafic d’êtres humains ne se limite pas à ce pays plongé dans le chaos, en raison notamment de l’intervention militaire de forces armées occidentales en 2011. On parle d’une industrie planétaire qui fait des millions de victimes sur la planète, essentiellement des femmes. Selon l’ONU, 71% des victimes identifiées sont des femmes.

    La traite des êtres humains représente le troisième trafic le plus lucratif au monde, derrière la drogue et la contrefaçon. L’Organisation des Nations unies estime ces profits à plus de 27 milliards d’euros par an. Les réseaux de trafiquants alimentent le travail forcé, l’exploitation sexuelle, le trafic d’organes… Des victimes venues de 137 pays ont été identifiées dans au moins 69 Etats différents. Les régions les plus touchées par ces trafics sont l’Asie du Sud-Est, l’Afrique subsaharienne, l’Amérique latine, l’Europe de l’Est, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient.

    La responsabilité de l’Union européenne dans le cas Libyen

    Les premières négociations entre l’Italie et la Libye de Kadhafi concernant la manière de bloquer les réfugiés en Libye remontent à 2000. Accords et aides financières pour des camps de réfugiés et pour des opérations de garde-côtes se sont succédé depuis lors. Mais depuis l’éclatement de la guerre civile, le blocage est devenu un immense piège.

    La Libye est progressivement devenue un enfer pour les migrants, un enfer alimenté par les financements de l’Union européenne qui a accordé plusieurs millions d’euros aux garde-côtes libyens et aux ‘‘autorités’’ du pays, dont les exactions sont pourtant dénoncées par les grandes organisations des droits humains. La politique migratoire européenne participe sciemment à la torture, au viol et désormais à la mise en esclavage d’individus.

  • Soudan. Nouvelles tentatives du régime pour briser le mouvement étudiant

    Libération immédiate d’Asim Omar !

    En août, un étudiant de l’université de Khartoum du nom d’Asim Omar a été reconnu coupable de l’assassinat d’un policier après six mois de procédure judiciaire. Il a dû attendre l’audience suivante pour savoir quelle peine la cour envisageait à son égard et a finalement été condamné à mort par pendaison le 24 septembre. Le même jour, les partis de l’opposition avaient organisé un certain nombre d’interventions publiques. Les mouvements étudiants ont également manifesté en divers endroits pour exposer et dénoncer les fausses accusations qui avaient été faites à l’encontre d’Asim.

    Par Abdo Ebdalrahman, Alternative Socialiste (Comité pour une Internationale Ouvrière – Soudan)

    Car c’est en dépit du manque complet de preuves qu’Asim Omar – un membre du « Sudan Congress Party » et de « l’Independent Student Conference » – s’est retrouvé accusé de « meurtre avec préméditation » à l’encontre d’un policier lors d’un affrontement entre la police et des étudiants en avril 2016. Cet affrontement avait été provoqué par la violente répression des autorités contre des étudiants qui protestaient pacifiquement contre la décision du Ministre du tourisme de vendre les locaux de l’Université de Karthoum ou de les transformer en une attraction touristique.

    Au début de l’audience, depuis l’intérieur de sa cellule, Asim a déclaré : « Faisons une minute de silence pour ceux qui ont été tués à Camp Kalma ». Il faisait ainsi référence au massacre qui avait eu lieu deux jours plus tôt dans un camp de réfugiés au Sud du Darfour. Les réfugiés du Camp Kalma s’opposaient à la visite du président soudanais Omar al-Bashir. Ils entendaient condamner ses crimes de guerre commis au Darfour. Alors que les manifestants s’organisaient pour empêcher la visite d’al-Bashir sur les lieux, des véhicules armés équipés d’artilleries lourdes et des hélicoptères furent envoyés pour ouvrir le feu sur les manifestants. Les victimes furent nombreuses.

    Avec cette phrase, Asim tenait à rappeler à la Cour et aux personnes présentes qu’il se tenait du côté des pauvres et laissés-pour comptes. C’est la véritable raison pour laquelle l’Etat essaie de le réduire au silence.

    Après sa condamnation à mort, le jeune étudiant et ses partisans à l’intérieur du tribunal ont scandé d’une seule voix : « Révolution jusqu’à la victoire ! Révolution jusqu’à la victoire ! » Une manifestation a alors commencé de l’extérieur du tribunal, en plein centre de la Capitale, et à l’université de Khartoum. Les services de sécurité ont réagi avec des gaz lacrymogènes et en procédant à l’arrestation de plus de 40 activistes, étudiants pour la plupart, accusés de toutes sortes de choses. Ils seront rapidement traduits en justice.

    Le régime continue à employer les pires méthodes possibles pour endiguer le mouvement estudiantin, qui est devenu le fer de lance de l’opposition soudanaise. Les confrontations avec le régime sont permanentes. Le 31 août dernier, l’Université islamique Omdurman a dû faire face à une attaque coordonnée par les services de sécurité et les milices du parti au pouvoir. Trois étudiants ont été blessés. L’un d’eux est décédé le jour-même, les deux autres ont succombé à leurs blessures par la suite.

    Ces incidents sont si réguliers qu’ils en deviennent une routine. Le régime a derrière lui une longue tradition de répression et de confrontation armée envers quiconque s’oppose à ses intérêts. Mais le recours croissant aux autorités judiciaires est un élément plus neuf.

    Les procès d’Asim et des 40 étudiants qui seront jugés ont été précédés du procès du Docteur Mudawi Ibrahim Adam, un professeur de l’Université de Khartoum qui travaillait dans le domaine des droits de l’homme. Il a été incarcéré sur base d’accusations fabriquées de toutes pièces comme « guerroyer contre l’état ». Son procès a duré plus de 9 mois. Accompagné de 5 autres défenseurs des droits de l’homme, il a été relâché suite à une décision présidentielle et les charges retenues contre lui ont été abandonnés en conséquences d’une campagne menée tant au Soudan qu’à l’étranger.

    Toutes ces violations surviennent au moment-même où une résolution concernant le Soudan a été présentée au Conseil des droits de l’homme de l’ONU par le gouvernement soudanais en accord avec les Etats-Unis. L’événement est à considérer dans le cadre des efforts visant à blanchir le gouvernement soudanais de ses crimes, dans la perspective d’une éventuelle levée des sanctions économiques qui pèsent sur le pays.

    Le gouvernement soudanais ne se distingue pas seulement par la répression sanglante à l’égard de la dissidence, il a également commis un grand nombre de crimes de guerres au Darfour et a soutenu divers groupes terroristes. Ces atrocités ont entrainé des sanctions internationales, parmi lesquelles un embargo commercial, qui imposent de nouvelles souffrances à la population soudanaise tandis que le régime est laissé tranquille.

    A la suite des médiations des régimes saoudien et émirati, le Soudan a récemment été enlevé de la nouvelle version de la liste de Donald Trump des pays dont les ressortissants ne peuvent se rendre aux Etats-Unis. Nombreux sont ceux qui considèrent cette démarche comme le prélude à la levée des sanctions américaines sur le Soudan (qui devaient être examinées le 12 octobre).

    Les socialistes au Soudan rejettent les mesures de punitions collectives telles que les sanctions économiques et les interdictions de voyager, car elles atteignent en premier lieu les victimes de ce régime tyrannique. Nous soutenons à la place un combat de masse, populaire et indépendant mené par les travailleurs et les pauvres afin de renverser le régime d’al-Bashir. Toutes ces manœuvres peu scrupuleuses illustrent clairement l’hypocrisie de l’impérialisme et de la « communauté internationale ». Ils ne s’intéressent qu’aux intérêts économiques des grandes puissances capitalistes, et non aux droits fondamentaux du peuple soudanais.

    Envoyez une lettre de protestation, soutenez les mobilisations contre le régime !

    S’il vous plait, envoyez des lettres de protestations au Ministère de la justice soudanaise à l’adresse : moj@moj.gov.sd avec une copie à cwi@worldsoc.co.uk pour exiger la libération immédiate d’Asim Omar et l’annulation de sa sentence, ainsi que l’abandon de toutes les charges à l’encontre des étudiants arrêtés le 24 septembre.

    Une suggestion de message pourrait être : « Nous avons été choqué d’entendre les nouvelles à propos du procès et de la condamnation de l’étudiant Asim Omar à la peine de mort. Cette sentence est une totale erreur judiciaire, basée sur des fausses accusations et un manque sérieux de preuves, elle est clairement menée afin de faire d’Asim un exemple destiné à intimider le mouvement estudiantin et le peuple en général contre toute forme de critique légitime à l’encontre des politiques du gouvernement soudanais. L’arrestation ensuite de plus de 40 étudiants qui protestaient contre le verdict rendu est également honteuse. Nous demandons la libération immédiate d’Asim Omar et de tous les étudiants arrêtés durant les protestations du 24 septembre, et l’abandon complet de toutes les charges les concernant. »

    “We have been shocked to hear the news about the trial and condemnation of the student Asim Omar to a death sentence. This sentence is a complete miscarriage of justice, based on fabricated accusations and on a lack of any serious evidence, and is clearly aimed at making of Asim an example in order to intimidate the student movement and the public at large against any form of legitimate criticism against the policies of the Sudanese government. The subsequent arrest of up to 40 students who protested against this verdict is equally disgraceful. We demand the immediate release of Asim Omar and of all the students arrested during the protests on September 24, and the dropping of all charges against them.”

  • Qui sont les grands gagnants de l’accord en RDC ?

    À la suite de la crise du troisième mandat présidentiel en République démocratique du Congo (RDC), un accord politique global et inclusif a finalement été signé sous l’égide de la Conférence épiscopale congolaise le 31 décembre 2016. Il a entre autres pour résultat la (re)nomination de 21 ministres proches de Tshisekedi, de 19 ministres issus du reste de l’opposition et, enfin, de 25 ministres du camp présidentiel. Il y a donc beaucoup de gagnants, mais au détriment du peuple congolais.

    Par Alain (Namur)

    L’anti-impérialisme en débat

    Pour une partie des militants ayant entamé l’épreuve de force, ce premier résultat est une première victoire. Cela peut se comprendre car dans ce cadre, Joseph Kabila s’est engagé à ne pas modifier la constitution et donc à ne pas se représenter aux présidentielles et à ne pas organiser de référendum. Cette victoire a été acquise au prix de la lutte de ces dernières années contre la modification de la constitution. À partir du 19 décembre 2016, les villes ont été militarisées ; on a recensé une centaine de morts et 500 personnes ont été arrêtées. Il est également apparu clairement que Joseph Kabila a perdu le soutien de l’Union européenne et des USA. Il lui restait, dès lors, une marge de manœuvre fort limitée pour pouvoir briguer un troisième mandat. Néanmoins, de nombreux éléments peuvent encore déstabiliser l’équilibre précaire obtenu par cet accord. La lutte des classes n’a pas dit son dernier mot et, pour reprendre la formule de Rosa Luxembourg, « L’ordre ne règne pas encore au Congo ».

    Beaucoup a été écrit ces derniers temps sur la situation en RDC. Cependant, nous devons faire part de notre étonnement concernant la lecture de cette crise faite par le camarade du PTB Tony Busselen. Dans un article publié en 3 parties sur le site INTAL, Tony analyse les tenants et aboutissants de l’accord. Nous sommes bien entendu d’accord avec lui lorsqu’il défend la légitime souveraineté du Congo. Nous estimons cependant au PSL qu’il existe une différence de signification sociale dans cette revendication de souveraineté quand elle émane de la classe des travailleurs congolaise et quand la classe politique congolaise la formule et l’envisage.

    Sur l’origine de la crise actuelle

    Pour Tony, l’origine de la crise actuelle « se trouve dans le timing des prochaines élections. En effet selon la constitution, lundi 19 décembre un nouveau Président aurait dû prêter serment, un président élu lors d’élections qui auraient dû avoir lieu en novembre. Or cela n’a pas été possible. »

    L’origine de la crise est multifactorielle. Dans un précédent article, nous développions le contexte de crise actuelle et son ralentissement économique qui n’est pas étranger à la vague de mécontentement dans le pays. Mais il ne faut pas escamoter les faits : le problème du timing des élections a été entièrement façonné par le clan présidentiel. Le ‘glissement’ a rendu l’organisation des élections à la date prévue impossible, afin de mettre l’opposition politique et le peuple devant le fait accompli. Il est clair que l’organisation d’élections dans un pays tel que le Congo comporte d’énormes difficultés. Mais Joseph Kabila a mis plus de temps et d’énergie à faire fructifier ses gains et à faire taire ses opposants qu’à garantir le droit de la population à choisir ses représentants.

    L’accord global et inclusif : un pas en avant ?

    Si l’on considère le fait que Kabila ne soit pas en mesure de se représenter en 2017 à cause de la pression émise par la rue, l’accord est un pas en avant. Cela signifie que la lutte peut déboucher sur un changement. Toutefois, il faudrait encore discuter de quelle couche sociale va mettre en œuvre ce changement et dans quel intérêt. Cet élément est central pour obtenir un changement qui améliore effectivement les conditions de vie des jeunes, des travailleurs et des paysans.

    Tony ne considère pas cette approche. Pour lui « En comparaison avec des accords précédents signés à Lusaka, Sun City ou Adis Abeba, un accord qui sort de ces négociations-ci, serait un accord conclut entre Congolais sans la présence autour des tables de négociations de diplomates et experts extérieures. Ce serait un pas en avant dans le long chemin vers une souveraineté et indépendance réelle… Mais même si un accord est signé, ce dernier connaitra au moins un obstacle et une menace : l’obstacle consiste dans la colère des jeunes congolais ; la menace consiste dans les ingérences des puissances occidentales qui ne sont pas intéressées dans l’unité des Congolais et qui sont surtout décidés d’en finir avec Kabila et la majorité présidentielle le plus vite que possible. »

    Tony reconnait qu’après plus de 15 ans de gouvernement Joseph Kabila, le chemin vers la souveraineté et l’indépendance est encore long. Cela ne justifie-t-il pas en soi la colère des jeunes Congolais ? De plus, comme Tony l’a lui-même – et à juste titre – dénoncé, l’ingérence des puissances occidentales est bien réelle. Mais cela reste vrai même si l’accord a été signé à une table composée exclusivement de Congolais, ces derniers étant en partie mis sous pression par des pouvoirs étrangers. Des membres du clan de Kabila (des politiciens et des membres de son appareil de sécurité) ont vu leurs biens confisqués aux USA et en Europe. Le rassemblement autour de Tshisekedi a été discuté à Genval et Didier Reynders l’a rencontré… L’accord en lui même a été rédigé sous l’égide de l’Église congolaise qui dépend du Vatican. Et Joseph Kabila lui-même a été reçu en audience par le pape alors qu’il devait rencontrer des représentants de l’ONU. On le voit donc clairement, l’accord n’a pas été déterminé par la situation et les intérêts du peuple congolais. Il a été discuté dans de nombreuses officines étrangères avant d’être imposé au peuple congolais.

    Joseph Kabila, héritier de la tradition lumumbiste ?

    Joseph Kabila est présenté par Tony comme l’héritier du courant Lumumbiste : « Kabila avait basé sa présidence depuis 2006 sur une large alliance de cent partis. Cette « Majorité présidentielle » se réunissait sur un principe : l’appui à la personne de Kabila comme président. Kabila lui-même est l’héritier d’un courant de gauche. Cette gauche qui s’inspire de Patrice Lumumba, une des principales figures de l’indépendance. Mais il n’a pas réussi à donner une base politique commune à sa majorité présidentielle ».

    Joseph Kabila a succédé à son père. Même si ce dernier avait énormément de limites et de faiblesses il avait suscité des espoirs à travers sa lutte contre Mobutu et avait obtenu une indépendance, certes limitée, face à l’impérialisme. Une chose est certaine, c’est que Kabila fils n’a pas du tout fait vivre l’héritage politique du lumumbisme ou d’une quelconque tradition de gauche au Congo.

    En effet, sa pratique politique prédatrice s’inspire plus du mobutisme que du lumumbisme. Une enquête du journaliste Richard Miniter parue en 2014 dans le Huffingtonpost a révélé que la fortune du clan Kabila s’élève à 15 milliards de dollars (Joseph Kabila: un dictateur qui vaut 15 milliards de dollars). Dernièrement, le magazine Bloomberg a réalisé une enquête sur le contrôle qu’a Kabila sur l’économie congolaise. Via sa femme, ses frères et ses sœurs, il possède pas moins de 70 sociétés actives dans tous les secteurs économiques clés du Congo. Une seule de ces sociétés lui aurait rapporté pas moins de 350 millions de dollars en 4 ans (With His Family’s Fortune at Stake, President Kabila Digs In). Cet argent engrangé est planqué dans des paradis fiscaux du monde entier. Est-ce à cela que Tony fait référence lorsqu’il parle de « solutions africaines pour des problèmes africains » ? Nous pensons au contraire que Kabila n’a pas suivi l’héritage de son père, qu’importent les limites de ce dernier. Au contraire, Joseph Kabila n’a jamais cherché à construire le moindre rapport de force face à la bourgeoisie nationale, ni face à la bourgeoisie internationale. C’est pourtant un rapport de force basé sur la mobilisation des travailleurs, des jeunes et des paysans pauvres que l’on attend d’un dirigeant de gauche.

    Le campisme

    La situation au Congo est bien évidemment complexe. Elle est traversée par une lutte des classes entre le prolétariat et la bourgeoisie congolaise dont les diverses fractions entretiennent des liens avec des acteurs régionaux d’une part et internationaux d’autre part. Ainsi, Kabila a le soutien de l’Angola et du Zimbabwe et a remis au beau fixe ses relations avec le Rwanda et l’Ouganda. Par contre, alors qu’au début de son mandat, il avait le soutien de l’Union européenne et des USA, ces deux blocs misent aujourd’hui plutôt sur l’alternance avec une figure comme Katumbi.

    Ces dernières années, le volume d’échange avec la Chine a augmenté jusqu’à devenir l’un des premiers partenaires commerciaux de la RDC. Cela est en partie dû à la division internationale du travail. La Chine est devenue le premier importateur de matières premières au monde. Il est de ce fait normal que tous les pays dont l’économie est basée sur l’exportation de matière première voient leur volume d’échange avec la Chine augmenter. Cela donne-t-il un caractère plus progressiste à la croissance économique dans les pays exportateurs ? Nous ne le pensons pas. Si les revenus liés à l’exportation ne permettent pas de construire des infrastructures, d’améliorer les services publics, de réduire la pauvreté et la faim, de développer une industrie qui permette une réelle souveraineté, alors le commerce avec la Chine n’a pas en lui-même un caractère progressiste. Ceci est d’autant plus vrai que la Chine n’a pas d’espace d’expression démocratique et qu’il n’y a donc aucune organisation capable d’exiger du pouvoir chinois des relations commerciales avec le Congo qui puisse aussi bénéficier aux Congolais.

    Un scénario à la soudanaise ?

    Dans l’émission de la Première Le Forum du 20 décembre consacré à la crise en RDC, la journaliste Colette Breackman, du journal Le Soir, employait cette formule : « le Congo est trop vaste pour être dirigé uniquement par quelqu’un de populaire auprès des Congolais ». Bob Kabamba, académicien et politicien ECOLO invité pour l’émission, ne l’a pas contredit. C’est également le cas du journaliste de La Première qui n’a pas cillé mot. Le général Janssens commandant de la force publique en 1960 ne pensait pas autrement… Cette formule peut être comprise de plusieurs manières et à différents niveaux.

    D’un point de vue économique, elle reflète le fait que l’impérialisme occidental veut garder la main sur cette région stratégique. Au-delà des métaux précieux, des soupçons de trafics d’uranium ont peut-être accéléré l’affaiblissement de l’image de bon gestionnaire de Kabila. D’un point de vue, politique, avoir au cœur de l’Afrique un pouvoir qui reflète les aspirations des masses n’était clairement pas acceptable pour l’impérialisme.

    Pour beaucoup de Congolais de la diaspora, cette formule sera aussi comprise comme l’expression d’un plan plus vaste visant à redessiner l’Afrique Centrale en de plus petits États avec une séparation d’une partie de l’est du Congo. L’Est deviendrait des Etats tampons qui stabiliseraient les États voisins, le Rwanda et l’Ouganda. Ce plan semblait gagner une partie de l’establishment démocrate sous Bill Clinton et a aussi semblé convaincre le président français Nicolas Sarkozy (Sarkozy veut dépecer la RDC). Mais ce plan bute sur un obstacle de taille : la volonté et l’opiniâtreté des Congolais. Cela entraine néanmoins tout un tas de conflits fonciers qui ajoutent à l’instabilité de la région.

    Il est clair que sur une base capitaliste, il sera impossible de trouver une solution aux partages des richesses et aux questions de pressions démographiques.

    Une année qui s’annonce difficile

    En vertu de l’accord du 31 décembre 2016, les élections devront se tenir cette année. Cela entraine énormément de défis. L’organisation de ces élections couterait environ 1,5 milliard de dollars, alors que les dépenses annuelles avoisinent les 5 milliards de dollars. De plus, avec l’instabilité dans l’est du pays, il n’est pas sûr que les élections puissent se préparer de manière sereine sur tout le territoire. En outre, la croissance attendue pour 2017 n’est que de 2,9% à cause de la baisse de la demande chinoise, alors que la moyenne de ces 5 dernières années tourne aux alentours de 7,7%. Le taux d’accroissement de la population étant de 3%, 2017 sera très probablement une année de récession économique si l’on considère le PIB/habitant. Cela reflète encore une fois que la RDC n’a pas une dynamique de croissance économique propre. La récession va mettre de l’huile sur le feu de la contestation sociale. (En 2017, la RD Congo s’attend à une nouvelle année de croissance molle)

    Comme nous l’avions dit et développé dans notre dernier article au sujet de la RDC, l’émergence d’organisations indépendantes des travailleurs, des jeunes et des paysans reste nécessaire pour que l’énergie déployée par les masses puisse aboutir à une amélioration de leurs niveaux de vie. Après Lumumba, chaque dirigeant politique une fois arrivé au pouvoir n’a fait que représenter les intérêts d’une des diverses fractions de la bourgeoisie. La politique qu’ils ont donc menée a eu un impact désastreux sur les conditions de vie des masses.

    Une organisation indépendante, issue des masses, qui veut défendre leurs intérêts devra reprendre le meilleur des traditions des luttes. C’est via les actions collectives de masse – assemblées générales, manifestations, grèves, occupations … – que l’énergie peut le mieux se dégager. La jeunesse congolaise, et africaine en général, est en ébullition. Il faut que ce dynamisme puisse se transmettre et s’organiser au sein du monde du travail et des masses paysannes qui ont une place déterminante dans les secteurs clés de l’économie, afin d’arracher l’expropriation et la nationalisation de ces derniers sous contrôle et gestion démocratiques dans le cadre d’une économique démocratiquement planifiée. Le capitalisme est un système international ; le phénomène d’accaparement de terre en est une illustration. La lutte doit se faire sur le terrain national en lien avec les organisations qui défendent les mêmes intérêts au niveau international.

  • «Bye Bye Kabila», «carte rouge», est-ce que cela suffira pour en finir avec l'ère Kabila?

    Le 19 décembre, le mandat de Joseph Kabila comme président de la République démocratique du Congo arrive à son terme. Mais d’ores et déjà avec Evariste Boshab et le reste de sa clique, Kabila a cherché une voie de glissement pour se maintenir à la tête du pays. Le peuple congolais s’est mobilisé contre cette manipulation de la constitution. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir comment construire une mobilisation qui permette d’en finir avec le kabilisme. Nous voulons contribuer à ce débat avec le PSL.

    Par Alain (Namur)

    Après plus de 15 ans de présidence Kabila, la désillusion est grande en RDC. Ceux qui ont 20 ans aujourd’hui n’ont connu que le président actuel. Cela permet à des anciens mobutistes comme Kengo Wa Dondo de discuter avec le mouvement citoyen Filimbi et de se présenter comme une alternative à la situation actuelle.

    Le soutien populaire à Kabila a chuté. L’ampleur et le rythme de cette chute varie de région à région. Mais une chose est sûre : L’ère de ‘stabilité’ Kabila est révolue et une nouvelle période de lutte s’ouvre en RDC. Un sondage d’opinion est sorti dans Jeune Afrique le 25 octobre 2016. Celui-ci nous apprend que 33,3% de la population voterait pour Moïse Katumbi (ex-PPRD, ex-gouverneur du Katanga, 18% pour Etienne Tshisekedi (Ex-mobutiste, 7,8% pour Joseph Kabila (PPRD), 2,6% pour Antoine Gizengua (PALU, ex-premier ministre sous Kabila). En fait, le candidat le mieux placé du PPRD a l’époque du sondage n’était pas Boshab ou Ponyo mais bien Olive Lembe Kabila (la femme du président) qui réalise 2,6%.

    Ce sondage reflète une image de l’opinion à moment donné. Mais pour nous l’enseignement principal de ce sondage, c’est que tous les candidats qui pourraient émerger sont tous des candidats qui ont eu des postes d’État sous Mobutu ou sous Kabila. En ce sens, aucun de ces candidats n’est capable de représenter une alternative et une réponse aux besoins des travailleurs, des paysans, des jeunes et des masses pauvres de RDC.

    La stabilité kabiliste

    Lorsque la dictature de Mobutu s’est effondrée, le pays qui était déjà exsangue a subi une période de transition catastrophique. Le pays a traversé quasi 10 ans de guerre civile avec plus de 20 groupes militaires et paramilitaire impliqués. Kabila a compris à cette époque que pour prendre et maintenir le pouvoir, il devait assurer la stabilité. En tant que socialistes, nous voulons préciser le sens de la stabilité kabiliste. Il ne s’agit pas d’une stabilité qui permette à la majorité sociale de pourvoir à ses besoins et de construire une société solidaire. Il s’agit d’une stabilité où les capitaux étrangers et nationaux peuvent être investis et espérer être valorisés sans trop de risques. Ce que les capitalistes appellent le ‘climat des affaires’. C’est parce qu’il s’est positionné comme cela qu’il a réussi à gagner la confiance du capital étranger et congolais. Une illustration de cela, c’est que le PIB est passé de 7,438 milliards en 2001 à 35,238 milliards de dollars en 2015. Cela n’est qu’un résultat partiel, qui ne tient compte que de ce qui est enregistré.

    La lutte comme résultat d’une politique structurellement inégalitaire

    La stabilité pour les riches ne s’est pas soldée par une amélioration des conditions de vie pour la majorité sociale. En fait, pour l’ensemble de l’Afrique, la première décennie du 3e millénaire a vu une relative amélioration de la situation économique, mais elle n’a pas été partagée avec la majorité sociale. Le FMI parle de croissance non inclusive, pour ne pas parler d’une croissance exclusivement pour les riches. D’ailleurs les Objectifs du millénaire pour le développement ont été un échec pour la région Afrique.

    Avec la grande récession, qui a vu les perspectives économiques mondiales s’assombrir pour une période qui s’annonce longue, les masses africaines sont entrées en mouvement en mettant en avant des revendications démocratiques sociales et économiques. Ça a été le cas des luttes en Tunisie et en Égypte. Mais aussi des mouvements sociaux au Nigéria, avec une grève générale qui a forcé le gouvernement de revenir sur la suppression des subventions au pétrole, la lutte des mineurs en Afrique du Sud qui ont réussi à obtenir des augmentations de salaire malgré la répression, ou encore la lutte récente des jeunes Sudafricains contre les frais d’inscriptions. Il y a également eu des luttes au Sénégal, au Burkina Faso et au Burundi, contre la prolongation des présidents en place. Évidemment, ce n’est pas un phénomène isolé à l’Afrique. Dans le monde entier, les jeunes, les travailleurs et les masses pauvres sont entrés en lutte. En fait, ces 30 dernières années, le système de production capitaliste n’a réussi à se maintenir qu’au prix d’une aggravation des inégalités et d’un approfondissement des ses propres contradictions. De ce fait, l’ensemble du monde voit de plus en plus le système et ses institutions contestés.

    Lutter pour le changement en RDC ? Oui, mais avec qui ? Et quel changement ?

    Les masses africaines ont, par le passé, réussi à travers la lutte à se débarrasser de l’exploitation coloniale. Elles ont pu obtenir leur indépendance politique. Mais celle-ci a été contrariée par la dépendance économique et les 1000 liens capitalistes qui liaient les anciennes colonies à leur métropole. Les anciennes puissances impériales ont d’ailleurs activement cherché à maintenir ce contrôle. Elle n’ont pas hésité à mettre en place et à soutenir des régimes dictatoriaux comme celui de Mobutu pour s’assurer la défense de leurs intérêts. Malgré ces limitations qui déterminent encore la situation actuelle, les questions qui se posaient à l’époque restent valides pour préparer les combats qui sont devant nous. Lutter oui, mais avec qui et pour quel changement?

    Quel changement ?

    L’enseignement principal des luttes pour l’indépendance que nous voulons discuter avec les combattants actuels est selon nous celui-ci : on ne peut pas lutter pour l’indépendance politique sans lutter pour l’indépendance économique.

    L’indépendance économique, c’est pouvoir déterminer ce qui est nécessaire à la majorité sociale. Cela nécessite selon nous de prendre le contrôle des principaux leviers économiques. En effet, comment mener une politique d’investissements dans l’infrastructure nationale sans industrie et sans banque pour la financer ? Comment permettre aux paysans de cultiver de quoi se nourrir eux leur famille ainsi que la population sans un partage des terres et sans définir une planification agricole pour assurer que toutes les ressources soient utilisées vers la réalisation de cet objectif ? Un autre exemple que l’on peut prendre est le secteur des mines. Comment s’assurer que ce secteur contribue effectivement aux caisses de l’État pour payer les profs et les fonctionnaires ?

    Ce genre de programme permettrait de commencer à répondre aux besoins sociaux pour l’immense majorité. Mais nous devons être clairs. Ceux qui possèdent aujourd’hui les terres, les mines et les capitaux n’auraient rien à gagner à voir la majorité vivre selon ses besoins. Ce qui nous amène à nous poser la question suivante : avec qui faire l’unité dans la lutte ? Avec ceux qui ont les mêmes intérêts que nous pour le changement de la société.

    Il est faux de croire que tout le peuple congolais veut la paix et le développement. Une partie, une infime minorité qui possède les banques, les terres, les entreprises, les mines… veut juste un climat propice pour les affaires. Ils sont déjà en paix et travaillent à faire développer leurs propres affaires. Dans ce sens, il ne faut pas confondre objectif commun et intérêt commun. Katumbi, Kengo, Tshisekedi et compagnie ont en commun avec nous l’objectif de dégager Kabila. Mais les points communs s’arrêtent là. Pour le reste, ils veulent maintenir et amplifier la politique qui a aggravé l’inégalité et la guerre ces trente dernières années.

    Se tromper d’allié c’est creuser soi-même sa tombe

    L’histoire est une grande enseignante pour qui veut apprendre. Sankara et Lumumba ont été tués suite à un complot ourdi par certains de leurs proches alliés politiques. Pour la défense de ces figures héroïques de l’indépendance, les félons ont avancé sous le masque de la félonie. Mais comment les dirigeants de la LUCHA et de Filimbi peuvent-ils croire que des anciens responsables sous Mobutu peuvent faire autre chose que la corruption et la répression? Kengo Wa Dondo a commencé sa carrière dans le cabinet Mobutu en 1968. À cette époque, le régime finissait de traquer et exterminer les combattants de l’indépendance de 1960. De 1982 à 1986, il a été fait premier ministre. Il n’a pas hésité à réprimer la jeunesse et les étudiants qui se manifestaient à cette époque. S’allier avec lui, c’est mettre dans le dos des masses jetées au combat un fou prêt à tirer une fois l’issue de la bataille décidée.

    Ce que nous voulons mettre en discussion ici, c’est la nécessité de s’allier avec des mouvements et des partis politiques qui ont les mêmes intérêts que la majorité sociale. Il se trouve que dans l’offre politique actuelle en RDC, il n’y en a pas. Alors au lieu de s’allier avec le moindre mal, autant prendre sur nos épaules comme groupe qui lutte pour le changement l’élaboration d’un outil politique qui transposerait les aspirations des ces milliers de gens qui s’impliquent dans les mouvements citoyens. Nous voulons avec le PSL participer à ces processus tout en construisant notre propre orientation qui est basée sur le constat que, dans la période de crise du capitalisme, il n’y aura aucune réforme que l’on pourra sauvegarder sans lutte révolutionnaire pour un changement socialiste de la société. Si les mouvements citoyens ne se posent pas ces questions, un écrasement temporaire du mouvement de protestation n’est pas à exclure.

    Une chose est sûre : la tension va monter en République Démocratique du Congo. Kabila a déjà indiqué sa volonté de rester au pouvoir jusqu’en 2018. Peut-être espère-t-il d’ici là placer sa femme dans les conditions de pouvoir briguer les élections. Ce qui est sûr c’est que l’appareil d’État est prêt à réprimer. Les arrestations, interdictions de manifs et disparitions d’opposants augmentent. Si la contestation prend un caractère de masse, il faudra voir quelle marge possède Kabila pour maintenir sa position. Mais avec l’accord négocié sous l’égide de Edem Kodjo avec une partie de l’opposition, il a réussi à élargir sa base sociale.

    Du côté des forces de contestation, il semble que les mouvements citoyens soient disposés à engager l’épreuve de force. La direction de ces mouvements est l’une de leurs faiblesses. Néanmoins, la présence d’organisations qui rassemblent des jeunes, des travailleurs qui discutent de politique et qui organisent des pétitions, des manifs, des sit-in, des villes mortes… en lien avec des dynamiques de lutte dans le continent et à l’échelle internationale est un élément positif. La lutte permet aux masses de tester les programmes, les stratégies et les orientations politiques.

    C’est sur base de ces expériences pratiques que le mouvement ouvrier est arrivé à bâtir des organisations indépendantes politiquement et, à travers celles-ci, à commencer à contester le pouvoir qu’ont les capitalistes de déterminer le cours de nos vies.

  • Congo. Une grève générale provoque des "villes mortes"

    La colère est croissante alors que Kabila tente de rester au pouvoir

    congoLes “Villes mortes” furent la principale caractéristique de la grève générale de l’opposition en République démocratique du Congo (RDC) le mardi 23 août dernier. Dans la capitale, Kinshasa, la police a tiré du gaz lacrymogènes sur les manifestants exigeant la démission du Président Joseph Kabila.

    Per-Åke Westerlund, Rättvisepartiet Socialisterna (section suédoise du Comité pour une Internationale Ouvrière)

    Les rapports parlent de rues vides, de magasins fermés et de manifestations. Beaucoup d’étudiants sont également restés chez eux. A Kinshasa, les manifestants ont érigé des barricades à proximité du siège du parti d’opposition UDPS après avoir été attaqués par la police. A Goma, dans l’Est du Congo, de jeunes manifestants ont stoppé le trafic dans un district, mais dans la plupart de la ville, peu de gens étaient en rue. La journée de protestation appelait tant à une grève générale qu’à des «Villes mortes», l’appel à la grève demandant aux travailleurs de rester chez eux.

    Le vieux dirigeant de l’UDPS, Etienne Tshisekedi, est l’un des leaders de l’opposition qui boycotte l’invitation aux pourparlers du gouvernement et de l’envoyé de l’Union africaine, Edem Kodjo, du Togo. Les manifestants ont également exigé la démission de Kodjo puisqu’il est considéré comme proche de Kabila.

    Le régime corrompu et brutal de Kabila œuvre à la prolongation de son mandat. En vertu de la Constitution, un président ne peut servir que deux mandats or, le second mandat de Kabila doit prendre fin le 19 décembre prochain.

    Le régime prétend qu’un nouveau registre électoral peut être complété pour juillet 2017. Ce n’est qu’alors qu’un calendrier pourrait être présenté pour la tenue de nouvelles élections. Le gouvernement affirme vouloir que des élections régionales et locales prennent place avant qu’il puisse y avoir des élections présidentielles. Un tribunal a décidé que Kabila pouvait rester au pouvoir d’ici là.

    Cela suit le modèle des événements survenus au Rwanda, en République du Congo (Congo-Brazzaville) et au Burundi voisins, où les présidents en exercice ont su obtenir des mandats supplémentaires. Au Burundi, où un troisième mandat du président Pierre Nkurunziza a été annoncé l’année dernière, ce qui a provoqué un soulèvement qui a duré des semaines ainsi qu’une tentative de coup d’Etat et une extrême instabilité.

    Au cours du mois de janvier 2015, la RDC a été secouée par des manifestations de masse contre Kabila. Environ 40 jeunes manifestants ont été tués par les forces de l’ordre.

    À l’avant-garde des manifestations actuelles se trouve la population de Beni dans la partie Nord-Est du pays. Deux personnes ont été tuées lors de manifestations contre l’échec de l’armée dans la protection de la population locale contre une force rebelle qui avait perpétré un massacre. Le Premier ministre Augustin Matata Ponyo et deux autres ministres ont été hués alors qu’ils visitaient la ville. Les différents groupes armés au Congo sont souvent liés aux mines et à l’extraction de matières premières, des activités exploitées par des entreprises privées sous contrats gouvernementaux. Des rapports de l’ONU affirment que l’armée congolaise participe elle aussi à des massacres. De nouvelles protestations sont à l’agenda. «Nous attendons le 19 décembre (…) Kabila ne peut pas rester. La population sera dans les rues tous les jours», a déclaré un manifestant à l’agence de presse Reuters.

    Les puissances occidentales qui ont payé le déroulement des dernières élections, que Kabila a frauduleusement remportées, craignent maintenant que les manifestations perturbent leurs intérêts économiques en RDC et puissent même plonger le pays dans de nouvelles guerres civiles. Ils tentent donc de contenir les manœuvres provocatrices de Kabila ou peut-être de le persuader de démissionner «volontairement». Mais Kabila est d’avis de rester en fonction.

    La RDC a d’urgence besoin d’un parti socialiste démocratique au programme et à la stratégie orientés vers la lutte tant contre le régime que contre le pillage impérialiste.

  • Zimbabwé : Une révolte de masse ébranle le régime dans ses fondations

    zimbabwe

    Le Parti ouvrier et socialiste d’Afrique du Sud (Workers and Socialist Party, WASP) salue les travailleurs et les jeunes du Zimbabwé pour leur courage et pour leur détermination dans leur résistance contre la dictature du régime de Robert Mugabe.

    Nous condamnons la déclaration du secrétaire général de l’ANC qui décrit cette révolte des masses comme étant l’œuvre de « forces obscures » : cela ne fait que démontrer que l’élite dirigeante de l’ANC considère les masses zimbabwéennes avec le même mépris qu’elle a pour son propre peuple en Afrique du Sud. Pour ce régime, comme pour le régime de l’apartheid avant lui, la population est incapable de comprendre son oppression et de se dresser contre elle.

    En vérité, les « forces obscures » qui ont poussé le peuple à la lutte ne sont personne d’autre que le chômage, la misère, la corruption et l’effondrement de l’économie orchestrés par le régime capitaliste ZANU-PF lui-même.

    Déclaration du Parti ouvrier et socialiste d’Afrique du Sud (section sud-africaine du CIO)

    Le Zimbabwé décrit par les Combattants pour la liberté économique (EFF, le parti de Julius Malema) dans leur discours pour les 40 ans d’indépendance de ce pays n’existe que dans l’imagination enfiévrée de leur direction. Cette image est bien loin de la réalité de la vie pour les masses sous la dictature de Mugabe – un des modèles favoris de Malema pour son art de la rhétorique pseudoradicale.

    Le chômage au Zimbabwé touche 90 % de la population : seuls 700 000 habitants sur 12 millions gagnent une forme de travail. La pire sécheresse depuis des décennies a poussé à la famine 4 millions de gens (un tiers de la population). Un pays qui était autrefois le grenier de l’Afrique australe a été transformé en désert. La dislocation économique, le chômage, la corruption, la répression ont mené à un exode massif hors du pays, réduisant la population de plus d’un tiers.

    L’économie stagne, avec une croissance de 0 % en 2014 et une « hausse » de 0,9 % en 2015. Les prédictions « optimistes » de la Banque mondiale misent sur un petit 3 % en 2018, qui, quand bien même il serait réalisé, n’offrirait que peu de réconfort à la population par rapport à la politique capitaliste désastreuse mise en place par Mugabe.

    Mugabe, un dirigeant révolutionnaire ?

    Depuis sa prise du pouvoir, la politique capitaliste de la ZANU-PF (Union nationale africaine du Zimbabwé – Front populaire) a été un désastre pour l’économie du Zimbabwé comme pour les masses. Les dernières mesures économiques ne font que compléter la longue liste de toutes les trahisons des objectifs de la lutte de libération telle que le peuple l’avait envisagée. Les premières étapes de cette histoire de trahisons ont été la signature des accords de Lancaster House en 1979, dont l’essence était la promesse de Mugabe de préserver la dictature économique de la classe capitaliste.

    Par ces accords, Mugabe acceptait de ne pas toucher à la propriété capitaliste, d’honorer la dette d’État contractée par le régime blanc de Smith, de fermer les bases à partir desquelles l’ANC organisait sa lutte armée en Afrique du Sud, et de ne pas toucher aux terres des riches planteurs blancs. Tout au long de ces 36 ans de revirements brusques et variés, allant de la capitulation totale face aux intére?ts des capitalistes aux réformes pseudoradicales entreprises par son régime bonapartiste bourgeois, on constate que ce qui a dicté et dicte au final l’ensemble de la politique de la ZANU-PF depuis lors, est toujours la subordination des intérêts des masses à ceux de l’élite post-libération et à ceux des capitalistes nationaux et internationaux.

    Alors qu’aux débuts du règne de la ZANU-PF, la rhétorique politique de Mugabe était pleine d’éléments de langage radicaux, voire socialistes, sa politique gouvernementale n’a jamais dévié de la ligne capitaliste dans ses fondements. Au départ, les illusions que la population pouvait avoir envers le règne de Mugabe étaient renforcées par les importantes réformes entreprises : la reconstruction du pays après la fin de la guerre civile, l’annulation du budget de guerre du régime de la minorité blanche en faveur d’une politique sociale, ainsi que l’arrêt des sanctions internationales qui avaient lourdement frappé le régime Smith.

    Tout cela avait notamment permis au gouvernement de la ZANU-PF de doubler le nombre d’élèves scolarisés et de construire des milliers de nouvelles écoles dans les cinq ans qui ont suivi l’indépendance. Dans cette première période, Mugabe dénonçait systématiquement les ministres ZANU-PF qu’il accusait d’imiter les capitalistes parasites, allant jusqu’à comparer la bourse à un bordel.

    Mais malgré leur animosité envers les discours radicaux de Mugabe, les capitalistes ont bien vite réalisé que ces discours n’étaient jamais suivi de la moindre action correspondante. Comme le dit Leo Zeilig dans son ouvrage Crisis in Zimbabwe, « selon, un des plus grands banquiers des États-Unis, les dirigeants des principales entreprises du pays (TA Holdings, Lonrho, Anglo American, etc.) lui paraissait impressionnée et satisfaite de la gestion de Mugabe et de la compréhension croissante du gouvernement envers les considérations commerciales … Il me semble que cela devient comme une tradition pour Mugabe de se lancer dans un grand discours radical et anticapitaliste juste avant que son gouvernement ne prenne de nouvelles décisions favorisant les grandes entreprises ».

    Un député ZANU de gauche, Lazarus Nzareybani, concluait en 1989 que « Le programme socialiste a été reporté à une date indéterminée. Comment parler de socialisme dans un parti dirigé par de riches propriétaires terriens, qui emploient en masse une main-d’œuvre bon marché ? Lorsque les combattants étaient en brousse avec les armes, ils luttaient non pas pour déranger le système, mais pour le démanteler complètement. Et que voyons-nous aujourd’hui ? Des dirigeants qui s’empressent de faire appliquer les mêmes mesures qu’ils combattaient auparavant. »

    Quel repartage des terres ?

    Mugabe avait évidemment tout à fait raison lorsqu’il dénonçait l’hypocrisie du gouvernement britannique, qui n’a jamais envoyé les fonds prévus par les accords de Lancaster House pour dédommager les planteurs blancs dont les terres devaient être redistribuées. Mais en quoi cela l’empêchait-il d’accomplir sa réforme ? Si la redistribution des terres avait été appliquée dans le cadre d’un programme socialiste de transformation de l’économie, le manque de financement n’aurait même pas pu constituer un obstacle !

    Mais, fidèle à sa politique utopiste qui cherchait à satisfaire les intérêts des masses tout en tentant en même temps de maintenir le capitalisme et de fournir à la classe bourgeoise noire toutes les opportunités d’enrichissement dont elle rêvait, Mugabe a fini par faire de son programme de réforme agraire un véritable fiasco tant politique qu’économique.

    Les confiscations de terre qui ont finalement été accomplies ont couté 200 000 postes de travailleurs agricoles. Même si beaucoup de paysans noirs ont pu avoir accès à ces terres, Mugabe a surtout utilisé son programme pour affermir son soutien politique en distribuant les meilleurs terrains à ses amis politiciens, juges, généraux d’armée et commissaires de police. Mugabe était ainsi déterminé à s’assurer que ses amis, déjà privilégiés, se retrouvent en tête de la file d’attente.

    Une gestion calamiteuse de l’économie

    La crise actuelle découle en premier lieu directement des mesures désespérées prises par le régime Mugabe pour tenter de sortir son pays du marasme économique profond dans lequel il s’était retrouvé au début des années ‘2000. L’inflation a atteint 231 millions % (la deuxième plus forte inflation de l’histoire) – ce qui veut dire que certains jours, les prix doublaient d’heure en heure ! La seule solution avancée par la banque nationale pour tenter de contrer ce déluge océanique a été d’introduire le billet de 100 millions de milliards de dollars zimbabwéens – le record historique de chiffres sur un billet, pour une monnaie qui ne valait absolument plus rien du tout.

    Mais, tout comme la « cure » d’austérité brutale censée servir de remède à la crise provoquée par le Plan d’ajustement structurel, lui-même imposé en 1991 pour résoudre la crise des années ’80, s’est finalement avérée pire que le problème, les mesures censées résorber cette hyperinflation ont transformé le désastre en une catastrophe.

    Finalement, contre le poison de l’hyperinflation, le régime a opté pour l’équivalent économique d’une transfusion sanguine : faire disparaître le dollar zimbabwéen de la circulation pour le remplacer par le rand sud-africain et par le dollar étasunien. Cette humiliation auto-infligée signifiait la perte d’un aspect critique du pouvoir de la banque nationale (la possibilité de dévaluer la devise nationale afin de renforcer la compétitivité et donc accroitre les exportations). L’avenir de l’économie zimbabwéenne s’est retrouvée désormais encore plus liée à celui de l’économie sud-africaine et de l’économie mondiale.

    Cette mesure a causé une forte hausse des prix, handicapant l’industrie locale et forçant les consommateurs et les entreprises à ne plus compter que sur l’importation de marchandises bon marché provenant d’Afrique du Sud et de Chine. Les parrains politiques du Zimbabwé en Chine n’ont montré que peu de sympathie à leur allié de longue date, laissant Mugabe rentrer de Beijing les mains vides, incapable de rembourser sa dette envers le FMI.

    L’inondation du marché national sous les marchandises importées à bon marché a provoqué une aggravation de la crise de la balance de paiement et des tensions insoutenables sur la demande de devises pour financer les importations. Sans aucun contrôle sur les devises qui circulent dans le pays ni sur l’impression ou l’approvisionnement de monnaie, il n’en fallait pas plus pour que le pays soit bientôt dépourvu de la moindre liquidité.

    Mais ça, c’était avant la crise financière internationale de 2007-2008 – la pire crise du capitalisme mondial depuis 70 ans ! Suite à cette Grande Récession, l’économie zimbabwéenne a coulé tout droit jusqu’au fond de l’océan économique. Le fameux « supercycle des matières premières » s’est avéré n’avoir été rien d’autre qu’un mirage pour les marchés émergents.

    Enfin, comme s’il faisait un concours avec lui-même pour le prix de l’incompétence en matière de gouvernance, le régime Mugabe a cherché le salut dans une aventure militaire, en envoyant l’armée zimbabwéenne se battre au Congo-Kinshasa, pour participer aux côtés d’autres forces au pillage des ressources de ce pays, réduisant l’armée de libération nationale au rang de mercenaires au service d’une élite corrompue. Loin de récupérer, l’économie est entré dans une nouvelle phase de dépression prolongée.

    Les masses endurent une crise après l’autre…

    Un peuple fier d’avoir vaincu la minorité blanche, qui avait atteint le plus haut niveau d’alphabétisation du continent dans la période qui a suivi l’indépendance, se voit maintenant réduit à la mendicité, forcé de devenir une nation d’émigrants économiques prêts à accepter n’importe quel petit travail, transformé en un réservoir de main-d’œuvre bon marché pour les pays voisins. Pendant ce temps, le service de soins de santé qui était relativement décent est à présent détruit, dépassé par une épidémie de sida qui touche désormais plus d’un million de Zimbabwéens.

    Pendant que les masses s’enfoncent dans la pauvreté, le régime Mugabe et ses disciples ont poursuivent leur orgie d’enrichissement personnel : la corruption s’est répandue comme un virus dans chaque secteur de l’économie. En pleine crise, le gouvernement s’est vu contraint d’avouer qu’il était incapable de dire où étaient passés les 15 milliards de dollars (9000 milliards de FCFA) issus de l’exploitation des diamants du pays. Cette somme a tout simplement « disparu » !

    Le fil rouge dans toutes ces tentatives de résoudre les nombreuses crises économiques survenues tout au long de ces 36 ans est qu’à chaque nouveau soubresaut, le fardeau de la crise a été placé sur le dos de la population. Depuis l’austérité imposée par le plan d’ajustement structurel de la Banque mondiale (que Mugabe, en bon disciple de l’impérialisme, a appliquée malgré l’importante contestation populaire), jusqu’aux retards des salaires et aux restrictions actuelles sur les importations, c’est toujours le prolétariat qui a payé le prix de ces mesures « anticrises ».

    En plus des limites aux importations et du manque criant de liquidités, le régime a décidé d’introduire des « obligations d’État » dont la valeur est fixée par rapport à celle du dollar mais qui n’ont aucune valeur en-dehors du Zimbabwé. Cette proposition a été perçue comme une tentative secrète de restaurer le dollar zimbabwéen que personne ne veut plus voir ! Ce qui a suscité un vent de panique : des foules se sont précipitées pour retirer leur argent à la banque, aggravant en fait la pénurie d’argent liquide.

    La majorité de la population dépend aujourd’hui de transferts d’argent de l’étranger ou du commerce transfrontalier : lorsque le gouvernement a décidé de placer des restrictions aux montants pouvant être retirés au guichet, cela a encore allongé les banques ; lorsqu’il a décidé d’interdire l’importation de toute une série de produits de base tels que le lait pour café, les pommades, les mèches artificielles, les matelas ou les engrais, cela a privé les masses du dernier gagne-pain qui leur restait.

    Les restrictions à l’importation signifient que ce régime qui se trouve à la tête d’une économie incapable de donner un travail à 90 % de la population empêchait désormais tous ces sans-emplois de gagner leur vie d’une autre manière. Pour la population, les dernières réserves de patience et de courage face à l’adversité ont été épuisées. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre le mouvement de masse actuel. Le dos au mur, le peuple n’a plus d’autre choix que de se lever pour résister.

    La manipulation pour réprimer les masses

    Ce renouveau de la lutte de masse suit plus de quinze ans de réaction politique et de marasme économique. Ébranlé par l’étroitesse de sa victoire frauduleuse sur le MDC (Mouvement pour le changement démocratique) aux élections législatives de 2000, Mugabe est résolu à conserver le pouvoir par n’importe quel moyen. Il a « gagné » depuis chaque élection présidentielle et législative en recourant à la manipulation (notamment en supprimant des registres électoraux les nombreux Zimbabwéens de l’étranger) accompagnée de campagnes de violences et de brutalités exercées par l’armée et les vétérans de la guerre, devenus les ennemis du peuple alors qu’ils étaient censés être ses libérateurs.

    Les dirigeants du MDC et autres militants ont été chassés, persécutés, enlevés et tués. Mugabe a exploité et abusé de la loyauté des vétérans de guerre qui avaient participé à la répression des mouvements de masse dans les années ’90, a transformé les membres de la jeunesse de la ZANU-PF en loubards tout juste bons à agresser les opposants. Au même moment, Mugabe continue ses discours pseudoradicaux dans lesquels il accuse l’impérialisme occidental de tous les maux, que ce soit la crise économique, le mécontentement populaire ou même la sècheresse.

    Dans notre sous-région d’Afrique australe, Mugabe bénéficiait de l’autorité d’un dirigeant qui avait dirigé un mouvement de libération nationale tel qu’il avait forcé l’impérialisme à s’assoir à la table des négociations ; il traitait d’ailleurs avec mépris Mbeki et Zuma, incapables de prétendre à de tels faits d’armes. À l’exception de Seretse Khama Ian Khama, le dirigeant du Botswana (lui-même loin d’être un démocrate), les dirigeants de la CDAA (Communauté de développement de l’Afrique australe) se contentaient de se courber devant Mugabe, lui renouvelant à chaque fois son siège de chef de la Sécurité et de la Défense de la CDAA, un organe dont la véritable fonction est l’écrasement de toute contestation dans les différents pays de la sous-région.

    Le président sud-africain Mbeki ainsi que son successeur Zuma n’ont jamais livré les conclusions de la commission d’enquête constituée autour des élections présidentielles de 2002 au Zimbabwé. Le rapport des juges de la cour constitutionnelle Kampempe et Moseneke, dont la révélation s’est faite sous la contrainte d’une décision de justice portant sur la liberté d’information, n’a fait que confirmer ce qui était bien connu mais qui était officiellement tu depuis plus de dix ans, c’est-à-dire que ces élections n’avaient pas été transparentes ni honnêtes.

    Le gouvernement de l’ANC a joué un rôle très important dans le maintien de Mugabe au pouvoir contre la volonté du peuple, entrainant dans la foulée tous les dirigeants de la CDAA. Un fameux exemple de sa collusion avec la ZANU-PF est la manière dont il a couvert le coup d’État parlementaire dénommé « élections législatives » de 2005 : le ministre sud-africain des Mines et de l’Énergie de l’époque, Phumzile Mlambo-Ngcuka, qui dirigeait alors l’équipe des observateurs de la CDAA au Zimbabwé, a déclaré ces élections « ouvertes, transparentes et professionnelles, … avec une importante attention portée sur l’égalité des genres et sur la représentation de la jeunesse ». C’est cet acte répugnant qui a valu à Mlambo-Ngcuka son poste de vice-président de la république sud-africaine. Parallèlement à cela, l’ANC avait envoyé son propre représentant du parti à la tête de sa propre mission d’observation, en la personne du ministre du Travail Membathisi Mdladlana, qui a lui aussi déclaré ces élections libres et transparentes, s’étant selon lui « déroulées dans un climat politique apte à la bonne tenue de la campagne électorale ».

    Comme les camarades du CIO en Afrique du Sud l’ont fait remarquer, ces « rapports d’observation » ont été émis malgré le fait que la ZANU-PF avait remporté les voix d’environ 3 millions d’électeurs fantômes, après avoir gonflé le nombre d’électeurs à 6 millions – un nombre extraordinaire dans un pays qui compte 12 millions d’habitants mais dont 4 millions, qui vivent à l’étranger, n’avaient pas le droit de prendre part au scrutin. Dans un flash-info à la télévision nationale, la ZANU-PF avait même au départ annoncé recevoir un nombre de voix supérieur à la population en âge de voter du pays !

    La cour suprême du Zimbabwé avait aussi autorisé sept candidats de la ZANU-PF à se présenter malgré le fait que ces candidats avaient été déclarés coupables de fraudes lors des élections de 2000. Comme notre correspondant à Harare nous l’a rapporté, le MDC s’est vu interdire d’organiser des meetings et se trouvait sous de nombreuses pressions visant à l’intimider.

    Les limites des circonscriptions électorales ont été retracées afin d’accroitre le nombre de sièges des zones rurales et de diminuer ceux des zones urbaines. Les votes des forces armées n’ont pas été supervisés ni vérifiés ; de nombreux soldats se sont plaint de ne pas avoir voté ou qu’on ait voté à leur place. Les médias ont refusé de diffuser les publicités du MDC ; tous les journaux indépendants ont été fermés.

    Un dirigeant discrédité parmi ses soutiens traditionnels

    Mugabe, irrévocablement marié au capitalisme, est désormais à cours d’options. Chaque mesure adoptée par lui au cours des trente-cinq dernières années n’a fait qu’aggraver la crise, que ce soient les plans de privatisation, d’africanisation, de réforme monétaire ou de contrôle sur les importations. Mugabe, face à cette crise à la fois politique et économique, est comme pris au piège de sables mouvants : plus il se débat, plus il s’enfonce.

    L’incapacité de Mugabe à payer les salaires des soldats à temps, le sentiment généralisé qu’il n’a pas la moindre solution à offrir face à la crise politique, économique et sociale qui étrangle le pays, les grondements clairement audibles de l’éruption à venir de la révolte des masses… tout cela va contraindre l’armée à se tourner vers des solutions radicales et jusque là, impensables. Mugabe ayant épuisé toutes ses dernières réserves de crédibilité politique, il n’est plus le maitre de son univers. Les masses ne sont pas les seules à s’en être rendu compte : la classe dirigeante en est elle aussi bien consciente.

    La déclaration émise par les vétérans de guerre le 22 juillet 2016 a été adoptée à l’unanimité par l’ensemble de leurs structures dans les dix provinces du pays, et signée par chacun des présidents d’arrondissement et des représentants de branches économiques. Cela représente un point tournant, que Mugabe prend visiblement très au sérieux puisqu’il s’est empressé de faire arrêter le porteparole et le secrétaire général des vétérans.

    Cette déclaration confirme l’évaporation des dernières illusions qui avaient liés ces combattants à Mugabe et qui avaient fait d’eux le principal pilier de son pouvoir pour la répression des masses et pour le maintien de sa dictature. Ce pilier fait à présent défaut à Mugabe ; la prise de position des vétérans de guerre en faveur des masses aura des répercussions à tous les échelons de l’armée, ce qui va accroitre les tensions entre l’armée et la faction toujours loyale à Mugabe. Il n’est pas impossible que Mugabe, face à des pressions provenant à la fois de l’intérieur et de l’extérieur (via l’Afrique du Sud, la CDAA et l’UA), ne finisse par accepter de démissionner « pour le bien du pays », afin d’éviter la descente dans le chaos.

    De profondes divisions au sein de la ZANU, paralysée sur la question de la succession, ont été révélées par la formation de la faction G40 dont le but est d’assurer la continuation de la dynastie Mugabe via sa femme, Grace Mugabe (pourtant très peu populaire) et l’élimination de tout candidat rival à la succession. Emmerson Munangwaga, dont la promotion au poste de vice-président semblait à l’époque être le signe d’une désignation en tant que successeur favori de Mugabe, s’est retrouvé marginalisé au point qu’il aurait été exclu d’une récente réunion du bureau politique de la ZANU. Mugabe s’accroche autant que possible au pouvoir, annonçant même qu’il sera encore candidat aux élections de 2018 alors qu’il aura 94 ans, de peur que son départ ne provoque une guerre de succession ouverte et l’éclatement de la ZANU.

    Comment en sommes-nous arrivés là ? Mouvement populaire, direction petite-bourgeoise

    Cette vague de manifestations et de grèves représente la plus grande contestation au Zimbabwé depuis le mouvement de masse qui a ébranlé le régime ZANU-PF en 1996-98 et qui a failli le renverser. D’importantes leçons doivent être tirées de l’expérience de ces luttes, du rôle du MDC et, en remontant plus loin, des résultats de la lutte de libération elle-même.

    À chaque fois, la classe ouvrière n’a pas pu s’organiser de manière indépendante en tant que classe, se laissant représenter par des éléments issus d’autres classes qui, toutes, partageaient la conviction que le système capitaliste pourrait être géré d’une manière telle qu’il puisse bénéficier à la société dans son ensemble.

    Pourtant, tant la ZANU, qui avait émergé en tant que force la plus militante du pays et qui a joué le premier rôle dans la lutte contre le régime de la minorité blanche, que la ZAPU de laquelle elle était issue, ont été en fait les produits directs de la lutte du prolétariat, et particulièrement de la grève générale de 1948. Mais malgré son caractère plus radical, la ZANU, tout comme la ZAPU, étaient dirigées par des éléments originaires de la classe moyenne, qui n’avaient aucun programme de renversement du capitalisme en tant que partie prenante de la lutte pour la libération nationale.

    Dans les années ’90 tout comme aujourd’hui, les travailleurs du secteur public étaient à la tête du mouvement. Ils avaient été rejoints par les travailleurs de l’industrie et du commerce, par les femmes qui ont organisé les trois jours de « révolte du pain » contre la hausse du prix des denrées alimentaires, par les étudiants, par les travailleurs agricoles qui ont organisé des occupations de terres, par des vétérans de guerre, le tout accompagné d’une grève générale.

    Ce mouvement a appelé à la formation d’un nouveau parti des travailleurs, ce qui a forcé la direction du Congrès syndical zimbabwéen à fonder (à vrai dire contre son gré) le Mouvement pour le changement démocratique (MDC) en septembre 1999.

    Malheureusement, la direction du MDC, l’enfant politique de la révolte des années ’90, a été incapable de résister aux nombreuses attaques lancées par Mugabe et s’est avérée indigne du mouvement qui l’avait fait naitre. Compromis dès le départ par l’influence d’hommes d’affaires libéraux, le MDC a adopté une politique économique procapitaliste en vérité à droite de celle de la ZANU-PF.

    Jusqu’au lancement officiel de cette organisation en septembre 1999, ce parti était dominé par des syndicalistes, mais un bloc de classe moyenne, représentant les intérêts du patronat local et international, a rapidement commencé à s’implanter dans la direction du parti. C’est ainsi qu’Eddy Cross, un important homme d’affaires, est devenu le porteparole du MDC sur les affaires économiques. Lors des élections législatives de juin 2000, les travailleurs ne constituaient déjà plus que 15 % des candidats.

    La politique du parti s’est également rapidement modifiée : le parti a commencé à se chercher des parrains parmi les dirigeants occidentaux et annonçait, dans son programme électoral, vouloir promouvoir le « libre marché », la « privatisation », les « investissements directs » et une réforme agraire qui était encore plus à droite que celle de la ZANU-PF, n’offrant que très peu de redistribution de terres à destination des pauvres. Le MDC est devenu le poulain de l’Occident, ne faisant en fin de compte qu’étayer la rhétorique anti-impérialiste pseudoradicale de Mugabe.

    Une fois élu dans plusieurs conseils municipaux, le MDC s’est retrouvé infecté de la même corruption, du même factionnalisme et de la même autocratie que la ZANU-PF. Après d’innombrables scissions, aucune de ces factions rivales issues du MDC n’a été capable de mettre en avant une direction apte à trouver l’issue à l’impasse dans laquelle se trouve la société zimbabwéenne. Accablées par la misère, l’indigence et la famine, les masses se sont retrouvées forcées de supporter encore la dictature de Mugabe jusqu’à ce qu’elles n’en puissent décidément plus.

    Vers où aller ?

    Les masses reprennent une lutte que l’on peut dores et déjà qualifier de nouveau « Chimurenga », excepté que cette lutte vise à présent la libération de la ZANU-PF et du système capitaliste qu’elle représente. Elles le font dans des conditions qui sont infiniment plus compliquées sur le plan économique qu’il y a quinze ans, mais dans un contexte politique qui présente une nouvelle opportunité pour les masses de construire sur la base des acquis de la formidable révolte des années ’90. Il leur faut cette fois bâtir un parti révolutionnaire des prolétaires et des paysans armé d’un programme socialiste pour dégager non seulement le régime Mugabe mais aussi le système capitaliste pourri de crises qui leur inflige misère sur misère.

    La révolte en cours montre toutes les caractéristiques inévitables des mouvements spontanés qui font leurs premiers pas : la reconnaissance du problème central, qui est la dictature du régime ZANU-PF dirigé par Mugabe et l’unanimité sur le fait que toute solution à la crise sociale doit commencer par son retrait de la scène politique. Mais à côté de ça, justement à cause de son caractère spontané, différentes forces mettant en avant différents programmes et appelant à suivre des trajectoires différentes se sont également dressées – certaines allant dans le sens des conclusions que les masses ont tirées, d’autres se trouvant à la traine, mais aucune n’étant encore parvenue à présenter un programme proposant l’idée d’un Zimbabwé socialiste en tant qu’objectif pour après que Mugabe ait quitté le pouvoir.

    La personne qu’on nous présente comme étant le leader du mouvement #Thisflag, le pasteur Evans Mwariri (lequel s’est retrouvé sous les projecteurs de manière purement accidentelle), intimidé par les accusations selon lesquelles il serait un agent au service de forces étrangères avides d’obtenir un changement de régime, appelle maintenant à un « dialogue national » au cours duquel Mugabe et son parti accepteraient de quitter le pouvoir par la négociation.

    Nous ne pouvons accorder la moindre confiance à la CDAA, à l’UE ou à l’ONU. Tous les gouvernements membres de la CDAA sont tout aussi terrifiés du mouvement de masse au Zimbabwé que Mugabe lui-même. Toute intervention de la CDAA sera calculée afin d’étouffer l’incendie révolutionnaire. Même si les gouvernements de la sous-région commençaient à appeler Mugabe à laisser le pouvoir, ce serait dans le but de pouvoir organiser une « transition » vers un nouvel ordre procapitaliste post-Mugabe.

    L’UA a prouvé à de nombreuses reprises n’être rien d’autre qu’un club pour l’arbitrage des rivalités entre les différents chefs d’État procapitalistes, composé de blocs rivaux dont les allégeances sont basées sur les liens économiques et politiques persistants vis-à-vis de leurs anciens maitres coloniaux ou d’intérêts économiques régionaux. L’UA est incapable de résoudre le moindre problème qui se pose aux masses africaines où que ce soit en Afrique ; dans chaque crise majeure, elle se contente la plupart du temps de rester là à observer bouche bée, n’agissant qu’en cas de couverture pour des interventions françaises ou états-uniennes. L’ONU, une agence qui a contribué à l’assassinat de Patrice Lumumba, est elle aussi connue pour son impuissance lors du génocide qui a tué des millions de gens au Rwanda en 1994.

    Les masses ne peuvent avoir confiance qu’en leurs propres organisations, en leur propre pouvoir et en leur propre programme. Leur expérience de la lutte va elle-même certainement finir d’achever les dernières illusions et idées erronées qu’elles pourraient avoir et forcer les différentes forces à converger autour d’un programme d’action commune.

    Mais pour s’assurer que le processus de clarification dans la conscience aille jusqu’à une compréhension de la nécessité de renverser le capitalisme et d’opérer la transformation socialiste de la société, la tâche absolument prioritaire reste la création d’un parti révolutionnaire des prolétaires et des paysans, armé d’un programme socialiste. Dirigées par un tel parti, les masses zimbabwéennes pourront briser la chaine du capitalisme mondial à un de ses maillons les plus faibles, et joindre leurs forces à celles de la puissante classe ouvrière sud-africaine et à travers toute la sous-région pour créer un Zimbabwé socialiste, en tant que première étape vers la fédération socialiste d’Afrique australe, l’Afrique unie socialiste et un monde socialiste.

    L’action du peuple zimbabwéen est déjà en train d’inspirer les masses dans toute la sous-région. Une victoire de leur part représenterait une avancée considérable pour les travailleurs de toute la sous-région et du continent, tout en instillant une crainte terrible dans les cœurs des régimes de la CDAA. Nous applaudissons la déclaration de soutien au peuple zimbabwéen émise par le Cosatu (Congrès des syndicats sud-africains) ; même si, vu comme l’action de cette fédération syndicale est limitée par sa participation à l’alliance tripartite au pouvoir en Afrique du Sud aux côtés du Parti « communiste » et de l’ANC, il est improbable que cette motion soit suivie d’une action conséquente.

    Tandis que l’ANC insulte les masses zimbabwéennes et que les Combattants pour la liberté économique, qui soutiennent Mugabe, se trouvent du mauvais côté des barricades, le WASP, Parti ouvrier et socialiste d’Afrique du Sud, est fier de suivre les traditions internationalistes de sa classe ouvrière révolutionnaire et d’organiser la solidarité avec la lutte au Zimbabwé et en Afrique du Sud.

    Nous disons :

    – Mugabe dégage ! Pour la démission immédiate du régime Mugabe.

    – Soutien aux manifestations frontalières de masse. Luttons pour mettre un terme à toutes les restrictions aux importations ! Construisons un mouvement de masse des travailleurs des transports et des petits commerçants pour bloquer le pont de Beit et autres points frontaliers tant que les restrictions n’auront pas été levées.

    – Luttons pour le paiement immédiat de tous les arriérés salariaux ! Pour un plan tournant de luttes et de manifestations de masse jusqu’à ce que les salaires soient payés, sous la direction de comités d’action élus par les travailleurs.

    – Exigeons la libération immédiate de l’ensemble des prisonniers politiques. Libérez tous les prisonniers politiques à la suite du pasteur Marawire. Organisons des manifestations de masse devant les commissariats de police et les prisons pour exiger leur libération.

    – Construisons des comités d’action prolétariens regroupant les travailleurs, les jeunes, les sans-emplois, les petits commerçants et les paysans dans chaque quartier ou village afin de coordonner la contestation de masse. Toutes les décisions concernant le mouvement des marchandises, la prestation des services et autres décisions concernant la gestion de la société doivent être prises par des comités démocratiques de masse du peuple zimbabwéen.

    – Ces comités d’action doivent organiser des unités d’autodéfense soumises au contrôle démocratique des masses afin de protéger les protestations et les militants de l’intimidation et de la violence du régime ; confisquons les biens de Mugabe, des cadres de la ZANU-PF et autres cadres du régime en les plaçant sous le contrôle des comités d’action ; interdiction de voyage pour Mugabe et les cadres de son régime !

    – Faisons perdre tous ses moyens au régime Mugabe ! Construisons des comités d’action des simples soldats, policiers et pilotes, avec élection des sous-officiers et des porteparoles ; désobéissance vis-à-vis de toute ordre provenant d’officiers attachés au régime ! Associons ces comités de corps habillés aux comités d’action populaires pour organiser une lutte unie. À bas les barrages et le racket policier !

    – Relions les comités d’action du peuple zimbabwéen des différentes villes, départements et régions en une structure nationale qui assurera la fondation d’un gouvernement des travailleurs et des paysans, et qui organisera le jugement démocratique de Mugabe et des laquais.

    – Aucune confiance dans les institutions de l’impérialisme que sont l’ONU, l’UA et la CDAA. Construisons des liens avec les travailleurs de toute l’Afrique australe. Organisons des comités d’action en-dehors du Zimbabwé dans toutes les communautés zimbabwéennes à l’étranger, en lien avec les communautés locales et les organisations syndicales et de la jeunesse des différents pays. Pour une lutte unie contre la xénophobie. Luttons pour les droits des immigrés. Organisons les travailleurs immigrés dans les syndicats partout où ils se trouvent.

    – Construisons un parti révolutionnaire de masse des jeunes et des travailleurs pour un Zimbabwé socialiste, dans lequel se retrouveront l’ensemble des militants du mouvement de masse contre Mugabe.

  • Afrique du Sud : Six mois après la lutte étudiante qui a fait reculer Zuma

    South-A-students-protestsRéorganiser le mouvement autour d’une direction et d’une ligne cohérente pour pouvoir progresser !

    Le mouvement contre la hausse des frais d’inscription (FMF) a marqué l’année 2015 en obtenant l’annulation de la hausse prévue des fins d’inscription dans les universités en Afrique du Sud. Cependant, la « deuxième » phase de la lutte pour l’enseignement gratuit piétine. Cela pour diverses raisons. Les trois assemblées organisées par les représentants du mouvement à la fin 2015, auxquelles ont participé une vingtaine d’institutions, constituent un des plus importants facteurs de progrès depuis l’arrivée de la démocratie capitaliste libérale en 1994. Mais certaines de ces assemblées ont également montré d’importantes faiblesses qui expliquent la stagnation actuelle de FMF, en particulier au niveau du programme et de la direction.

    Par Trevor Shaku, Mouvement des jeunes socialistes d’Afrique du Sud (organisation jeune du CIO en Afrique du Sud)

    Le programme

    fees+protest+Union+Buildings+18+October+23+2015Un programme est un guide pour l’action : la stratégie et la tactique requises pour accomplir les objectifs programmatiques et la fondation à partir de laquelle un plan d’action peut être élaboré. En tant que tel, le programme est toujours un point de référence à la lueur duquel évaluer les réussites et les échecs du mouvement pour l’enseignement gratuit, afin de pouvoir mettre en œuvre une réflexion stratégique ; pour évaluer la progression, tirer les leçons de la dernière période et tracer des perspectives pour le futur.

    Le but de ce genre d’évaluations ne peut être simplement de partager des expériences comme des anecdotes concernant des bagarres avec la police. Un programme peut concrétiser ces expériences en leur donnant une forme concrète et en les traduisant en un guide pour l’action au cours de la prochaine confrontation avec les directions des universités et le gouvernement.

    Malgré le fait que la revendication de l’enseignement gratuit bénéficie d’un immense soutien parmi la population, les actions de la « deuxième phase » du FMF se sont concentrées sur les problèmes d’inscription, d’hébergement, du racisme et de langage utilisé. Cependant, les conflits sur ces questions ont pris la forme d’escarmouches entre une minorité d’étudiants actifs et la direction plutôt que d’une confrontation de masse, comme cela a été le cas en octobre 2015. Le soutien de la masse des étudiants s’est refroidi et est devenu passif plutôt qu’actif.

    Prenant bonne note de ce fait, le gouvernement a tenté d’utiliser à son avantage la concession qui lui avait été arrachée afin de forcer une division entre la masse et la minorité d’activistes, dans une tentative de restaurer l’autorité de l’Alliance des jeunes progressistes (PYA, une organisation de jeunes de l’ANC) et de rétablir l’ordre en encourageant les directions des universités à recourir à la force.

    C’est dans ces circonstances que le FMF s’est retrouvé incapable de conserver son unité et sa cohérence. Le mouvement n’a pas de programme clair, n’a pas de structures contrôlées par la base, n’a pas de direction démocratiquement élue. En fait, certains avancent même l’idée selon laquelle le mouvement serait rendu plus démocratique du fait qu’il ne possède aucune structure démocratique, qu’il ne suit aucune vision idéologique déterminée par un débat démocratique et qu’il ne dispose d’aucune programme d’action décidé démocratiquement. Tout cela a semé beaucoup de confusions quant à la voie à suivre pour pouvoir avancer.

    Sans une perspective partant de la reconnaissance de la relation entre les luttes étudiantes et les luttes ouvrières contre la politique capitaliste néolibérale menée par le gouvernement et pour le socialisme, le FMF a été privé de toute possibilité d’atteindre une clarté idéologique ; de ce fait, il n’a pas pu obtenir la moindre cohésion programmatique et organisationnelle.

    Sans un programme cohérent pour nous guider dans l’action, le FMF est resté inconsistant, sans le moindre programme coordonné sur le plan national. Malheureusement, les quelques rencontres interprovinciales ou nationales qui ont été organisées ne se sont pas penchées sur cette question cruciale.

    Par exemple, les quelques camarades du Mouvement des jeunes socialistes (mouvement jeunes du CIO en Afrique du Sud) qui ont participé à la rencontre du 11 décembre 2015 ont averti du fait que l’absence d’un programme allait créer une situation où les décisions seront prises campus par campus. Certains campus commencent ou terminent une grève à tout moment, en fonction du rapport de forces du moment sur chaque campus. Même s’ils décidaient de ne pas organiser d’action, cela serait également décidé localement sur chaque campus, et non de manière concertée avec l’ensemble du mouvement.

    Cette approche est extrêmement problématique, car elle nous empêche d’organiser un front uni étudiant au niveau national pour exercer une pression assez grande que pour contraindre le gouvernement à répondre à nos revendications en faveur de la gratuité de l’enseignement. L’absence d’un programme, comme l’ont dit nos camarades, fait qu’on voit apparaitre des poches de contestation qui ne bénéficient de presque aucune solidarité au plan national de la part des étudiants ou de la population de manière générale, ce qui fait que le gouvernement a vite fait de les réduire au silence. Cette perspective a d’ailleurs déjà été confirmée par la tournure qu’ont pris les évènements depuis janvier de cette année.

    Même si des victoires peuvent être gagnées sur base de campagnes et actions locales, on ne peut combattre un problème éminemment structurel uniquement à partir de petites luttes isolées.

    Certains camarades ont le sentiment que l’adoption d’un programme reviendrait à imposer des « résolutions » aux différents regroupements FMF. C’est pourquoi ils préfèrent laisser ces instances locales décider de tout de manière séparée. Mais en réalité, cela signifie que nous privilégions les petites actions spontanées sur les différents campus plutôt qu’une révolte globale et coordonnée au niveau national, organisée autour d’un plan d’action commun.

    Tout ce qui s’est passé depuis janvier n’a fait que confirmer nos appréhensions. Le mouvement n’a pas été capable de revenir au stade où il se trouvait en octobre 2015, où on a vu la plus forte implication des masses. Au lieu de ça, il a fluctué, avec des poches de contestation éclatant sur différents campus de manière désordonnée. Nous ne voulons absolument pas ici dénigrer le rôle héroïque des camarades qui participent à ces mouvements. Mais il faut bien se rendre compte que ces actions ont toutes finies par être isolées et étouffées par la police, les compagnies de sécurité et le ministère de l’Enseignement supérieur, avec l’aide des médias et de l’Alliance des jeunes progressistes (PYA). En l’absence d’un programme issu d’un débat démocratique à travers l’ensemble des universités du pays, il a été impossible d’unifier les différents groupes de lutte autour d’un objectif et d’un plan d’action communs.

    Pour le dire autrement, l’absence d’un programme fait que le FMF se retrouve dépourvu d’une colonne vertébrale. Un programme ne résout évidemment rien de lui-même ; il faut également installer des structures et une direction responsables pour le faire appliquer et respecter.

    La direction

    Le refus d’apprécier l’importance cruciale d’un programme fait aussi oublier l’importance d’une direction. Il est évidemment tout naturel d’être dégouté par tous ces mouvements où la « direction » est surtout responsable d’étouffer la voix des membres de la base, d’isoler les mécontents, ne rend des comptes à personne et contraint ses membres à suivre aveuglément la ligne dictée par cette même direction.

    Mais cela ne veut cependant pas dire qu’il faille rejeter le concept d’une direction dans son entièreté. Car cela revient à jeter le bébé avec l’eau du bain ! En effet, il est impossible de faire appliquer un programme sans qu’il n’y ait de structures composées d’individus auxquels on a donné la responsabilité de jouer ce rôle – c’est ce que nous entendons par le terme de « direction ».

    Noter modèle de direction doit être basé sur le principe d’élections, avec des leaders soumis au droit de révocation. La ressemblance entre ce que nous proposons et le modèle « traditionnel » d’une direction ne se trouve donc que dans l’appellation. La direction que nous voulons fonctionnera de manière complètement différente. Toutes les décisions doivent être débattues et adoptées de manière démocratique par l’ensemble des camarades. Le seul objectif derrière l’idée de direction est d’éviter que notre mouvement se retrouve désorganisé, ou au final dirigé par des « volontaires » sur lesquels la base n’a finalement aucun contrôle.

    Le contrôle sur les dirigeants garantit l’exécution du programme et, lorsque nécessaire, la redéfinition de la tactique adoptée. Sans une direction, nous restons désorganisés sur le plan national. Cela veut dire que le FMF perd la capacité de lutter contre le gouvernement et de gérer la riposte, ou même de mobiliser des ressources légales et financières de manière efficace.

    Cette grave faiblesse résultant de l’absence d’une direction, on la voit dans notre incapacité à répondre aux accusations selon lesquelles le FMF ne serait qu’une agence téléguidée par les États-Unis. Aucune réponse formelle n’a été donnée à ces accusations répugnantes, tout simplement parce qu’on a laissé chacun y répondre de son côté s’il le désirait.

    Cette approche du « tout le monde est responsable » signifie au final que personne ne se sent responsable. Ces accusations, qui seront utilisées plus tard pour justifier la répression de notre mouvement, appelaient pourtant une réponse ferme et claire de notre part. Nous ne sommes pas un groupe de conspirateurs qui préparent un coup d’État. Nous sommes simplement des jeunes préoccupés par notre situation, qui désirons un avenir meilleur et le droit à l’enseignement gratuit.

    Ce qu’entrainent ces faiblesses

    L’histoire ne se déroule pas selon notre bon vouloir ; c’est plutôt nous qui sommes soumis au rythme qu’elle nous impose. La science révolutionnaire, exprimée dans la langue de Shakespeare, le démontre bien : « Il y a une marée dans les affaires des hommes qui mène à la fortune ceux qui embarquent à temps ».

    Dans les faits, cette citation souligne bien l’importance du temps et de l’action. Il est important de comprendre que la démoralisation est tout autant une caractéristique de cette période historique que le sont la confiance et l’optimisme. Le mécontentement des étudiants suscité par leurs conditions matérielles immédiates (l’inaccessibilité des études et la difficulté de payer les frais d’inscription) ne sera pas toujours présent. Le gouvernement capitaliste et ses maitres d’économie néolibéraux vont chercher à réduire l’ampleur de la pression de ces conditions matérielles immédiates. Ils l’ont d’ailleurs déjà fait en annonçant une augmentation du budget alloué aux bourses pour l’année 2016. Cet aspect a joué un rôle crucial dans la démobilisation des étudiants en janvier, ce qui a affaibli le potentiel de contestation.

    Cela veut dire que si nous ne nous préparons pas en mettant en place une direction et un programme concret, nous serons certainement incapables d’embarquer lorsque la prochaine marée révolutionnaire arrivera. Il y a un immense potentiel de luttes devant nous, qui seront provoquées par l’expulsion des étudiants qui n’auront pas payé leurs frais d’inscription et par les difficultés financières qui vont, de manière générale, s’accumuler sur les étudiants vu le définancement de l’enseignement. Nous devons améliorer notre position afin de pouvoir surfer sur la nouvelle vague qui viendra, parce que si nous échouons, cela signifie que notre bateau risque de s’échouer lui aussi.

    La tendance à éviter une direction et un programme semble liée à l’idée de détacher les luttes des étudiants des luttes menées de manière plus globale par l’ensemble des couches exploitées et opprimées de la société. Nous devons cependant refuser de nous laisser entrainer dans ce discours de professeur libéral qui sépare les différentes disciplines de manière artificielle au lieu de privilégier les approches inclusives qui considèrent la vie dans sa totalité. Le fait est que nous luttons contre un système extrêmement organisé, le capitalisme impérialiste. L’enseignement gratuit n’est jamais qu’une ligne de front dans cette guerre. Exiger la gratuité de l’enseignement revient à soulever une question structurelle ; il faut donc lier cette lutte à une tactique d’agitation en faveur de la lutte globale contre le capitalisme impérialiste. Toute tentative de détacher la lutte pour l’enseignement gratuit de la lutte générale de l’ensemble du prolétariat va inévitablement entrainer une tactique incorrecte et engendrer d’énormes faiblesses, qui seront exploitées par tout ceux qui cherchent à déstabiliser notre mouvement.

    C’est cette même situation qui a encouragé l’intolérance réactionnaire du regroupement EFF/Pasma (Combattants pour la liberté économique / Mouvement étudiant panafricain d’Azanie), qui a décidé d’organiser ses propres meetings au nom du FMF tout en tenant des discours dignes de l’apartheid pour exclure du mouvement les militants homosexuels. Le fait est que, en l’absence de la moindre direction officielle, n’importe qui a le droit d’appeler à un meeting au nom du FMF à notre place !

    Le Mouvement des jeunes socialistes condamne de la manière la plus forte l’exclusion et l’agression physique des militants homosexuels. Une telle intolérance réactionnaire n’a rien à faire au sein de notre mouvement. Mais la défense la plus efficace contre ce type de dégénérescence est de refonder le FMF sur une base démocratique, en le dotant d’une cohérence stratégique et organisationnelle, en débattant d’un programme d’action qui sera adopté et appliqué par des structures.

    Et ensuite ?

    Il faut nous réorganiser. Les regroupements progressistes de la communauté étudiante partout dans le pays ont commencé à organiser des débats pour réorganiser les sections les plus combattives du FMF en un Mouvement pour l’enseignement gratuit (FEM) avec une position idéologique claire et une cohérence programmatique et organisationnelle. La confusion théorique et les illusions qui ont caractérisé le FMF et qui caractérisent toujours ce qui reste de ce mouvement doivent être rangées au placard par le nouveau FEM.

    À ce stade, la tâche hautement révolutionnaire reposant sur les épaules des étudiants issus de la classe prolétaire, doit être de mettre en place une large organisation radicale qui leur appartiennent à eux seuls. Le FMF a jeté la base pour la fondation d’un nouveau mouvement étudiant large. Le Mouvement des jeunes socialistes va pleinement participer à la création de ce nouveau mouvement étudiant progressiste large ; nous invitons les autres forces progressistes à faire de même. Nous ne pouvons permettre à des aventuriers et à des populistes de continuer à se servir de la cause des étudiants pour servir leurs propres intérêts. En même temps, nous devons offrir aux étudiants une alternative progressiste à la PYA.

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