L’Afrique du Sud est actuellement en proie à des émeutes de la faim. On a vu au KwaZulu-Natal (KZN), à Gauteng, au Cap-Oriental et au Nord-Ouest des masses de gens se précipitant pour obtenir le peu qu’ils peuvent dans les centres commerciaux, les chaînes d’épicerie et autres magasins.
Déclaration du Comité national du WASP (Workers and socialist party, section sud-africaine d’ASI)
De nombreux bâtiments ont également été incendiés. À l’heure où nous écrivons ces lignes, plus de 70 personnes ont été tuées dans ce chaos et plus de 1.200 arrestations ont été effectuées. Il est presque certain qu’avec le déploiement de la Force de défense nationale sud-africaine (SANDF) et d’une force de police de plus en plus désespérée à l’idée de “rétablir la loi et l’ordre”, ces chiffres vont augmenter de manière significative dans les jours à venir.
Les actions de protestation ont commencé après que la décision de la Cour constitutionnelle a ordonné à l’ancien président, Jacob Zuma, de se présenter dans un établissement correctionnel pour commencer sa peine de 15 mois après avoir été reconnu coupable d’outrage au tribunal. Les mobilisations en faveur de la libération de Zuma ont adopté une autre tournure aux premières heures du dimanche 11 juillet, lorsque plus de 20 camions ont été incendiés dans la région de Mooi River, dans le KZN. Les manifestants se sont alors livrés à des incendies et à des pillages dans plusieurs régions du KZN, puis à Johannesburg, alors que les troubles s’étendaient à l’ensemble du pays. Lundi, certaines parties de Pretoria étaient également en feu, tandis que des centres commerciaux de Mamelodi étaient incendiés. Dans un discours public lundi soir, le président Ramaphosa a appelé au calme, tout en annonçant le déploiement de l’armée sud-africaine pour renforcer une force de police débordée.
Des émeutes pour la nourriture, pas pour Zuma
Dimanche, il était déjà clair que ces manifestations s’étaient transformées en émeutes de la faim, bien que les médias aient continué à les qualifier de “pro-Zuma”. Cela n’a toutefois pas empêché la faction pro-Zuma d’utiliser opportunément la situation pour jeter de l’huile sur le feu, les enfants de Zuma menant la charge sur les médias sociaux. Les dommages causés par les pillages, l’incendie de camions et d’infrastructures dans le seul KZN avaient dépassé les 100 millions de rands à ce stade. La Special Risks Insurance Association (Sasria) s’attend à ce que les sinistres résultant des troubles actuels se chiffrent en “milliards de rands”. Durban, Umbilo, Umhlanga, Springfield Park sont parmi les villes les plus touchées du KZN. Certaines parties de Gauteng sont également touchées, notamment Soweto, Berea, Katlehong, Jeppestown, Daveyton, Benoni, Tembisa et Mamelodi. Les journalistes qui ont essayé d’obtenir des commentaires sur Zuma ont été complètement ignorés par les gens qui se sont précipités pour prendre de la nourriture pour leurs familles ou des articles qui pourraient être vendus ou échangés plus tard.
Les facteurs motivant les émeutes de la faim ont peu à voir avec la demande de libération de Zuma. De nombreux manifestants accusent le gouvernement d’être responsable de la crise économique. Le chômage de masse, le manque d’opportunités pour les jeunes et la corruption au sein du gouvernement font partie des griefs exprimés par les manifestants. Cependant, de nombreuses personnes ont également rejoint les émeutes par pur désespoir. Le fait que les supermarchés aient été les premiers visés indique que ces émeutes visent à obtenir les produits de première nécessité pour survivre.
Avec le déploiement de l’armée pour aider la police, le gouvernement a signalé qu’il avait perdu le contrôle. Il faut souligner que cela a été fait pour protéger la propriété privée et les profits, et non pour protéger les gens ordinaires et les communautés. Au lieu d’utiliser les infrastructures et les ressources de la SANDF pour lutter contre l’inégalité et la faim en distribuant des produits de première nécessité à ceux qui en ont besoin, Ramaphosa – conformément à sa réponse à la pandémie – a eu recours au déploiement des forces de l’État avec leurs armes tournées vers les masses. Ils ont averti les communautés de “ne pas les provoquer” et qu’ils ne toléreraient pas “l’indiscipline”.
La violence d’un système capitaliste
Il peut être tentant de considérer les troubles actuels comme des actes de “violence insensée”, mais il est important de comprendre la violence systémique permanente que la classe capitaliste et ses représentants au sein du gouvernement sud-africain exercent sur la classe ouvrière et les pauvres depuis des années. Près de 500 jours de confinement ont accéléré le ralentissement économique qui était déjà évident en 2019.
Au cours des 10 derniers mois, le coût de la vie est monté en flèche avec une inflation galopante, le coût du panier alimentaire du ménage moyen ayant augmenté de 7,1 %. Des hausses de prix de l’électricité allant jusqu’à 17,8 % sont entrées en vigueur au début du mois, malgré les périodes continues de délestage à l’échelle nationale. Cette situation s’est produite après une contraction de 7 % de l’économie sud-africaine en 2020 et un gonflement du taux de chômage élargi à un niveau historique de 43,2 %, plus de 1,5 million de personnes ayant perdu leur emploi dans la pandémie. Les retombées de cette dévastation économique ont traversé toutes les couches de la classe ouvrière, les Sud-Africains s’endettant de plus en plus pour assurer leur subsistance.
Il y a plus d’un an, M. Ramaphosa a été félicité pour sa gestion de la crise du COVID, avec la mise en œuvre d’un confinement sévère et d’un plan de relance de 500 milliards de rands pour en contrer les effets. Un an plus tard, moins d’un tiers des mesures de relance ont été utilisées, malgré la situation précaire persistante engendrée par la pandémie. À la fin du mois d’avril, les allocations mensuelles de secours social de détresse (SRD) de R350 destinées aux chômeurs ont été interrompues alors que l’ANC faisait valoir que l’économie sud-africaine était sur la voie de la reprise. Cela s’ajoute au fait que le Trésor déclare qu’il va réduire le budget au cours des trois prochaines années. Si l’on tient compte de l’augmentation de la population et de l’inflation, cela équivaut à une diminution de 10 % des dépenses par personne.
Nous assistons également à des vagues d’infection de plus en plus graves, malgré les annonces prématurées que le gouvernement ne cesse de faire sur la manière dont l’économie est sur la voie de la reprise. Cette situation n’est pas du tout favorisée par une campagne de vaccination bâclée, qui a conduit à ce que seuls 2,3 % du pays soient entièrement vaccinés, soit l’un des taux les plus bas au monde à l’heure actuelle.
Les fractions de l’ANC : deux faces d’une même pièce capitaliste
Les fractions ont creusé un profond fossé au sein de l’ANC au fil des décennies. Ramaphosa est entré en fonction avec la tâche impossible de débarrasser l’ANC de la corruption, une tâche qui, selon nos prévisions, conduirait à la destruction complète du parti. La profondeur de la corruption au sein de l’ANC a été illustrée par les scandales de corruption qui continuent d’émerger depuis l’année dernière – au lieu de débarrasser l’ANC de la corruption, la gestion bâclée de la pandémie par Ramaphosa a créé de nouvelles voies pour celle-ci. Les contradictions de l’ANC sont peut-être les plus évidentes lorsque les plus grands pillards de la société appellent les désespérés et les pauvres à ne pas piller !
Ni la fraction de Zuma ni celle de Ramaphosa n’ont le soutien des masses. Et de nombreux manifestants ont exprimé leur colère envers l’ANC dans son ensemble. Il existe une méfiance évidente entre la classe ouvrière et l’ANC. La faim, le désespoir et les inégalités continuent d’éroder la crédibilité de l’ANC, qui continue de faire peser le coût de la pandémie et des récessions précédentes sur le dos de la classe ouvrière avec des mesures d’austérité brutales. En 2019, pour la première fois depuis 1994, moins de la moitié de la population votante a voté, et l’ANC a même eu du mal à obtenir une majorité. Cela a signalé une sérieuse désillusion dans l’establishment politique.
Alors que la brigade RET [RET – Radical Economic Transformation] dirigée par Jacob Zuma utilise ce moment pour poursuivre son programme de discrédit de Ramaphosa en semant l’anarchie et la confusion, le président fera tout ce qu’il peut pour apaiser les intérêts du secteur privé. Le massacre des mineurs en grève de Marikana en 2012 ne nous donne qu’un aperçu des mesures que Ramaphosa pourrait prendre pour s’assurer la confiance de la classe des investisseurs. Aucune de ces fractions ne s’attaquera à la racine des bouleversements actuels – les échecs du système capitaliste et le projet d’austérité partagé par l’ANC. Les deux fractions sont mariées au système capitaliste qui leur donne accès au pouvoir. La pandémie nous a fait entrer dans une nouvelle ère politique et la confiance dans l’ANC pour surmonter les tempêtes qui continuent s’érode plus rapidement que jamais.
La formule d’une classe ouvrière de plus en plus angoissée et la trahison totale des partis au pouvoir dans la gestion de la pandémie amèneraient quiconque à se demander pourquoi de tels événements explosifs n’ont pas encore eu lieu au cours de l’année écoulée. Mais en tant que marxistes, nous reconnaissons qu’il doit d’abord y avoir une étincelle. Ces événements ont montré que rien n’arrête la classe ouvrière une fois que toutes les craintes ont été écartées. Les accusations du ministre de la police, Bheki Cele, selon lesquelles les émeutes auraient été provoquées par des “instigateurs”, passent totalement à côté de l’essentiel.
Le chaos et l’anarchie ne sont pas la solution
L’économie capitaliste représente un crime sanglant contre la classe ouvrière et elle ce système doit être renversé. Cependant, la nature destructrice et inorganisée des émeutes continue d’aliéner les masses. Et ce, bien que la majorité de la classe ouvrière partage les mêmes frustrations que ceux qui ont recours à ces tactiques.
Les communautés de la classe ouvrière s’inquiètent sérieusement de la sécurité alimentaire et des pertes d’emplois supplémentaires dues aux destructions. L’obstruction des lignes d’approvisionnement et l’incendie d’installations liées aux soins de santé posent un problème encore plus grave alors que l’Afrique du Sud est en proie à sa troisième et pire vague de COVID-19 à ce jour. Dans tout le pays, les magasins et les centres commerciaux vident leurs stocks et ferment leurs portes à titre préventif, demandant aux travailleurs de rester chez eux, sans être payés. Les grandes chaînes verront les dommages et les stocks perdus remboursés par leur assurance, tandis que les petites entreprises subiront les pires effets. Non seulement cela accélérera le transfert de richesses et de capitaux vers les grandes entreprises, mais cela pose un risque sérieux de diviser encore plus les communautés.
Bien que ces émeutes puissent être efficaces pour garantir les besoins de base dans l’immédiat, la seule façon de garantir que les besoins de base de toutes et tous soient satisfaits est de transformer l’économie capitaliste parasitaire en une économie démocratiquement planifiée. Pour cela, la classe ouvrière doit prendre sous son contrôle les sommets de l’économie. Au lieu de voler le pain sur les étagères, nous devons saisir les boulangeries, les moulins et les fermes commerciales ! Au lieu de détruire les lieux de travail et les services, nous devons mener une lutte de masse organisée et disciplinée afin de placer les usines, les lignes de distribution et les infrastructures essentielles sous le contrôle démocratique des travailleurs et des différentes communautés ! Ce n’est qu’en retirant les patrons de ces industries vitales que nous pourrons garantir que la nourriture et les produits de première nécessité soient accessibles à tous et non vendus pour le profit. Au lieu de voler du pain pour un jour, nous pouvons garantir la continuité de ce pain et mettre entièrement fin à la faim.
Construire une lutte de masse organisée, disciplinée et démocratique pour le socialisme !
Les couches organisées de la classe ouvrière doivent jouer un rôle de premier plan en donnant des orientations politiques susceptibles de déboucher sur des solutions tangibles, telles que la demande d’investissements massifs dans les infrastructures, les emplois et les services publics, ainsi que l’octroi d’un revenu de base pour soulager la misère qui touche de plus en plus toutes les couches de la classe ouvrière.
La classe dirigeante s’est révélée incapable de mettre fin à cette souffrance. La nécessité de construire une alternative politique, un parti de masse de la classe ouvrière qui soit pour et par la classe ouvrière et les pauvres, est plus urgente que jamais. Nous appelons la Fédération sud-africaine des syndicats (SAFTU) et les dirigeants de la classe ouvrière à convoquer immédiatement les organisations de la classe ouvrière, la jeunesse organisée, les organisations civiques et les syndicats dans une Assemblée nationale de la classe ouvrière pour discuter de la voie à suivre. Les frustrations et la colère légitimes de la classe ouvrière et des pauvres doivent être canalisées vers des actions constructives qui remettent en question le système capitaliste et ses catalyseurs – les partis au pouvoir. Alors que les médias et l’ANC diffusent des récits de divisions au sein de la classe ouvrière – entre les pilleurs et les travailleurs, les tribus, les nationalités et la couleur de peau – il appartient aux couches organisées de la classe ouvrière de forger un front uni capable de canaliser la colère de masse en actions susceptibles de garantir des gains sérieux pour la classe ouvrière. Nous ne saurions trop insister sur le danger que représentent les divisions raciales, tribales et nationales pour la libération de la classe ouvrière.
Nous devons également lier nos luttes aux couches militantes de l’ Eswatini (appelé royaume du Swaziland jusqu’en 2018, situé entre l’Afrique du Sud et le Mozambique) qui se révoltent contre le dernier monarque absolu d’Afrique, motivé par une inégalité similaire à celle que nous observons en Afrique du Sud. Nous pouvons nous inspirer des soulèvements qui ont lieu en Amérique latine, comme en Colombie, où une grève générale d’une journée lancée par la direction des syndicats a déclenché un mouvement de masse contre le gouvernement, avec des slogans marquants comme “Nous en avons assez de survivre, nous voulons vivre”. Ces protestations continues ont forcé le retrait de réformes fiscales hostiles à la classe ouvrière et la démission du ministre des finances. Elles ont montré au monde entier que même dans des conditions désespérées, la classe ouvrière peut et doit se battre. Par-dessus tout, nous devons construire un mouvement de masse de la classe ouvrière qui garantira que ces soulèvements inévitables seront organisés démocratiquement, dirigés par la classe ouvrière et engagés dans la lutte pour un programme socialiste international.
L’ensemble du mouvement ouvrier, des communauté et de la jeunesse doivent être mobilisés dans une journée nationale d’action.
Instauration d’une allocation de base pour celles et ceux qui sont au chômage et dans le besoin ; augmentation des allocations pour tous les travailleurs affectés par le confinement, y compris ceux du secteur informel ; d’un programme d’emplois de masse dans le secteur public avec un salaire vital garanti pour tous ; et d’un moratoire sur les pertes d’emplois et les réductions de salaires et d’allocations. Non au salaire minimum esclavagiste : R12.500 par mois pour tous les travailleurs MAINTENANT !
Construction de comités d’autodéfense communautaires organisés et démocratiques au lieu de s’appuyer sur les méthodes répressives ; nous nous opposons à tout déploiement de l’armée dans nos communautés !
Les petites entreprises doivent être soutenues par des aides publiques pour les aider à se remettre des pillages et des effets des confinements.
La pandémie doit être éradiquée le plus rapidement possible ! Nationalisation des entreprises pharmaceutiques, des laboratoires, des hôpitaux privés et des compagnies d’assurance afin de garantir que toutes les ressources soient consacrées à la fin de la pandémie et non aux profits. Suspension des brevets et mobilisation des ressources nécessaires pour une vaccination rapide de toutes et tous – pour une mise à niveau massive de l’industrie médicale afin de produire des vaccins en faisant payer les grandes entreprises et les super riches. La distribution et la production de tous les vaccins, y compris le vaccin Johnson&Johnson conditionné à Gqeberha, devraient être contrôlées démocratiquement par la classe ouvrière afin d’obtenir une immunité collective.
Nationalisation des fermes commerciales, du secteur de la grande distribution et des industries hôtelières sous le contrôle démocratique des travailleurs. Cela garantira que personne vivant dans ce pays n’aura faim !
Les vrais pilleurs sont les membres du gouvernement et les patrons. Un siège au gouvernement ne devrait pas être un ticket pour s’enrichir grâce à des relations d’affaires et au pillage des fonds publics ! Les élus ne devraient percevoir que le salaire moyen d’un travailleur qualifié. Construisons un parti ouvrier de masse armé d’un programme socialiste.
Le virus Ebola fait partie de ces maladies qui surviennent rarement en dehors du tiers monde. Pour l’industrie pharmaceutique, ce n’est pas un marché particulièrement lucratif, d’où la faible priorité accordée à la recherche commerciale dans ce domaine.
Par Lukas Kastner, Sozialistische LinksPartei (ASI-Autriche)
L’épidémie de virus Ebola qui s’est déclarée début février dans le Nord-Kivu, la province orientale de la République démocratique du Congo (RDC), est la troisième en quatre ans. Elle a éclaté six mois seulement après que la précédente ait été contenue. Entre 2018 et février 2020, une nouvelle épidémie de virus Ebola a causé 2 299 décès, ce qui en fait la deuxième plus meurtrière au monde après celle de 2014/2015, qui a tué environ 11.000 personnes en Guinée, au Liberia et en Sierra Leone.
Cette crise, et le virus Ebola en général, montrent clairement comment le capitalisme transforme les maladies en catastrophes mortelles. Le capitalisme crée la base de la propagation de ces maladies tout d’abord, en créant une pauvreté massive et en privant des milliards de personnes – en particulier dans le monde néocolonial – des équipements de base pour mener une vie décente.
La preuve en est que l’année dernière, des milliers de personnes sont mortes à cause du virus Ebola, bien qu’il ne soit transmis que par contact avec des fluides corporels (sang, sperme, excréments, etc.). Cela pourrait être facilement évité, dans la plupart des cas, si tout le monde avait accès à des installations sanitaires et à un système de santé décent, ainsi qu’à des contraceptifs. C’est tout à fait possible, compte tenu de l’énorme richesse accumulée par une poignée de personnes ainsi que de l’état global des forces productives. Mais la réalité est que seulement 29% de la population de la RDC a accès à des installations sanitaires, alors que 33 millions de personnes dans les zones rurales n’ont pas accès à une eau de qualité.
Le fait que le capitalisme transforme tout en une marchandise utilisée pour générer un profit privé s’applique également au traitement des maladies et à la production de médicaments. Plutôt que d’inventer et de produire des médicaments ou des vaccins en fonction des besoins de la population, l’industrie pharmaceutique ne produit des produits que tant qu’il y a des clients ; ils peuvent aussi être vendus. Cela laisse de côté les masses pauvres de la RDC, de l’Afrique et du monde néocolonial.
Alors que la recherche de profits a conduit à une accélération massive, financée par des fonds publics, de la recherche sur le COVID 19 par l’industrie pharmaceutique, aucun médicament ou vaccin contre Ebola n’a été développé en plus de quatre décennies – malgré un taux de mortalité de 25-90%. Ce n’est qu’en 2014, lorsque la plus grande épidémie a provoqué des cas dans le monde occidental et une augmentation des stocks des grandes entreprises pharmaceutiques, que des mesures ont été prises.
Les médias capitalistes pourraient prétendre que cela est dû au fait que le virus Ebola n’a causé que 3 000 décès et qu’il s’agit d’une maladie rare. Cependant, cela ne fait que prouver que la nature du capitalisme, axée sur le profit, provoque des décès inutiles. En 2014, même le principal virologue de l’Institut de microbiologie de l’armée allemande (Institut für Mikrobiologie der Bundeswehr), Roman Wölfl, a dû concéder : « Le virus Ebola fait partie de ces maladies qui se produisent rarement en dehors du tiers monde. Pour l’industrie pharmaceutique, ce marché n’est pas particulièrement lucratif, d’où la faible priorité accordée à la recherche commerciale dans ce domaine ». Cela ressort également des recherches publiées dans l’une des revues de médecine générale les plus connues au monde, The Lancet, qui montrent qu’entre 2000 et 2011, sur 850 produits pharmaceutiques admis, seuls 37 (4%) traitent de maladies qualifiées de « maladies tropicales négligées » par l’OMS. Cela montre une fois de plus le mépris total de la vie qu’encourage ce système pourri.
L’immense richesse de l’élite capitaliste actuelle pourrait être utilisée immédiatement pour financer la recherche ainsi qu’un système de santé de pointe aux quatre coins de la planète. Une société socialiste utiliserait une industrie pharmaceutique publique et démocratique pour développer et fournir rapidement des vaccins et des médicaments contre toute maladie nocive sur cette planète. Cela sera possible grâce aux vastes ressources qui deviendraient disponibles du fait de l’abolition de la concurrence entre les différentes entreprises et de l’élimination des biens inutiles tels que les armes chimiques.
Cela signifierait que le monde néocolonial actuel serait doté d’une technologie moderne et d’une infrastructure permettant de prévenir et de guérir les maladies. En outre, la production serait conduite de manière à prévenir les épidémies et les maladies, ce qui permettrait une augmentation du niveau de vie ainsi qu’une compatibilité écologique. Tout cela est impossible sous le capitalisme.
Ebola est une raison supplémentaire de se battre pour un monde meilleur – un monde socialiste.
Assassiné pour maintenir la domination des puissances impérialistes
[Une version raccourcie de cet article a été publié dans l’édition de décembre-janvier de Lutte Socialiste.]
Patrice Lumumba occupe une très grande place dans la conscience populaire au Congo. Son action et ce qu’il représentait perdure jusqu’à aujourd’hui dans la mémoire des masses. Mobutu, qui avait participé à son assassinat, avait même été obligé de l’ériger en « héros national » en 1966, son héritage retentissant encore dans tout le pays, mais aussi dans toute l’Afrique et dans le monde.
Le 17 janvier 1961, le héros de l’indépendance du Congo était assassiné. 60 ans plus tard, la commémoration du meurtre politique de Patrice Lumumba tombe dans un contexte de montée de la lutte antiraciste, devenue centrale aujourd’hui avec le retentissement mondial du mouvement Black Lives Matter aux USA, comme l’a exprimé la manifestation historique de 20.000 personnes à Bruxelles le 7 juin 2020. C’est aussi le contexte d’une remise en question plus généralisée de l’exploitation néocoloniale, avec les demandes de non-remboursement de la dette publique des pays africains, et de l’arrêt du pillage capitaliste et la restitution d’objets culturels et artistiques africains spoliés. La propagande coloniale est davantage contestée, avec le mouvement de déboulonnage des statues d’esclavagistes dans l’espace public aux USA, et aussi en Belgique avec les statues de Léopold II taguées et peinturées, voire déboulonnées, y compris même par les autorités, mises sous pression par le mouvement. Ce contexte a d’ailleurs poussé à l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire et aux « regrets » exprimés par le roi Philippe concernant les crimes de l’époque coloniale.
L’indépendance : “pas un cadeau, un droit”
Lumumba était au départ issu des couches dans la population congolaise sur lesquelles se basait le colonisateur belge. Il faisait partie des africains que l’administration coloniale appelait les « évolués », un sorte « d’élite » qui recevait une éducation et se comportait davantage comme la population de la métropole coloniale. Comme beaucoup d’autres, partout sur le continent, Lumumba s’est radicalisé sur base du mouvement de masse qui contestait l’ordre colonial. Beaucoup de ces « relais » de l’administration coloniale ont été gagnés par les idées indépendantistes ; une adhésion à des idées qui dépassaient leurs intérêts propres immédiats. Il régnait sur le continent une ambiance idéologique, particulièrement dans ce milieu de personnes sensées relayer les injonctions coloniales, mais qui seront gagnées à des conclusions radicales pour le droit à l’autodétermination.
En 1957, il fût à la base de la création du Mouvement national congolais (MNC), dont le but, comme d’autres partis, était de libérer le Congo de l’impérialisme et de la domination coloniale. Il se rendra à Accra au Ghana, à la Conférence des Peuples africains, où il rencontrera plusieurs leaders indépendantistes. Cela a contribué au développement de ses idées et à sa popularité.
Sous pression de la mobilisation, des grèves, des manifestations et des luttes, au Congo-même, mais aussi ailleurs, aussi influencées par le panafricanisme qui gagnait en popularité, les autorités belges ont été obligées d’accepter l’indépendance du Congo. Et dans la lutte pour l’indépendance, Patrice Lumumba a compris la nécessité d’une organisation programmatique du peuple congolais autour d’un parti politique pour défendre les intérêts de la société congolaise.
Le gouvernement belge s’engagea à organiser des élections, en espérant devancer la radicalisation de la population et légitimer leur mainmise. En mai 1960, le MNC remportait les premières élections législatives. Le parti a ensuite constitué une majorité et formé un gouvernement. Parmi les revendications de Lumumba, il y avait le refus de payer la dette coloniale que Léopold II a transféré à la Belgique.
Les premiers jours de l’indépendance
Il fût finalement convenu que le Congo obtiendrait son indépendance le 30 juin 1960, année durant laquelle 17 États africains gagneront leur souveraineté. Ce jour-là, le roi Baudouin fit un discours pro-colonial et le président Kasa-Vubu y répondit par un discours d’allégeance convenu. Le protocole ne prévoyait pas que le premier ministre prenne la parole. Mais, en réaction aux deux discours, Lumumba créa la surprise en s’imposant à l’agenda et en faisant un discours, hors du contrôle et du polissage, qui entra dans l’Histoire. Extrait :
« Congolais et Congolaises, Combattants de la liberté aujourd’hui victorieux, je vous salue au nom du gouvernement congolais. (…) Cette indépendance du Congo, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier que c’est par la lutte qu’elle a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle, nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang. Cette lutte, qui fut de larmes, de feu et de sang, nous en sommes fiers jusqu’au plus profond de nous-mêmes, car ce fut une lutte noble et juste, une lutte indispensable, pour mettre fin à l’humiliant esclavage qui nous était imposé par la force. Ce fut notre sort en 80 ans de régime colonialiste ; nos blessures sont trop fraîches et trop douloureuses encore pour que nous puissions les chasser de notre mémoire, car nous avons connu le travail harassant exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou nous loger décemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions des « nègres ». Nous avons connu les souffrances atroces des relégués pour opinions politiques ou croyances religieuses ; exilés dans leur propre patrie, leur sort était vraiment pire que la mort même. Nous avons connu qu’il y avait dans les villes des maisons magnifiques pour les Blancs et des paillottes croulantes pour les Noirs, Qui oubliera enfin les fusillades où périrent tant de nos frères, les cachots où furent brutalement jetés ceux qui ne voulaient plus se soumettre au régime d’injustice, d’oppression et d’exploitation. Nous qui avons souffert dans notre corps et dans notre cœur de l’oppression colonialiste, nous vous le disons tout haut : tout cela est désormais fini. (…) Nous allons établir ensemble la justice sociale et assurer que chacun reçoive la juste rémunération de son travail. (…) »
Les autorités belges ont été surprises et contrariées par le discours de Lumumba, mais elles comptaient sur la mise sur pieds d’un parlement et d’institutions qui allaient lui rester favorables, qui répondent aux intérêts politiques et économiques de la classe dominante belge.
Début juillet, le général Janssens, chef de la Force publique (la force militaire coloniale), a tenu à souligner : « avant l’indépendance = après l’indépendance ». Il voulait ainsi dire que même si l’indépendance politique avait dû être concédée suite aux luttes de masse, l’indépendance économique, c’est-à-dire le maintien des intérêts économiques d’une minorité sociale qui profitait de l’exploitation du Congo devrait rester dans les mains des capitalistes belges et de ses alliés.
L’attitude de Janssens et d’autres cadres militaires ex-colons restées en poste provoqua une révolte dans la Force publique, portée par les soldats congolais pour s’opposer au fait que l’essentiel de cadres sont restés des ex-colons, conservateurs et loyaux envers la monarchie. Cela amènera le gouvernement de Lumumba à « africaniser » l’armée ; doter la force publique d’officiers congolais, même si des cadres ex-colons resteront en poste. Cette politique « d’africanisation » de la force publique va mener à ce qui sera appelé la « crise congolaise ».
La première idée de s’en remettre à des institutions favorables à l’ex-métropole ne fonctionnera donc pas. La Belgique va compter sur son armée pour tenter contrôler le gouvernement de Lumumba. Les officiers belges de la force publique congolaise qui voulaient combattre l’africanisation de l’armée se sont retranchés dans la riche province du Katanga, où il y avait une forte emprise coloniale pour garder le contrôle sur les richesses autour de l’Union minière. Les autorités belges vont fomenter tout un tas de complots pour embraser le jeune Etat, avec des guerres de sécession et des coups d’État. Le Katanga fera d’ailleurs sécession en juillet, avec le soutien des Etats impérialistes alliés à l’OTAN.
Le rôle des puissances impérialistes belge et américaine
Cette période est à replacer dans un contexte international très particulier. C’est celui de l’affrontement entre les deux grands blocs idéologiques complètement opposés : le bloc impérialiste occidental pro-libre marché ; et le bloc « de l’Est » pro-économie planifiée autour de l’URSS, une caricature bureaucratique du communisme mais qui représentait tout de même une idéologie favorable aux intérêts des travailleurs, des opprimés et exploités.
Comme le souligne le dossier « Congo : une histoire de pillage capitaliste » (1) publié sur socialisme.be : « Les Etats-Unis craignaient que Lumumba finisse comme Fidel Castro, que la révolution coloniale ne le fasse passer d’une position libérale à une position communiste. » Ensemble avec la défaite militaire belge, « l’africanisation de la Force Publique a desserré l’emprise de l’ancienne puissance coloniale, qui a conduit à la décision des puissances occidentales, de la Belgique, de la CIA, de l’ONU et de leurs complices à Léopoldville, au Kasaï et au Katanga de faire chuter Lumumba. »
Lumumba constituait une menace pour les intérêts de l’ancienne élite coloniale ; il n’était pas contrôlable par les puissances impérialistes belge et étatsunienne. En septembre, celles-ci vont pousser le président Kasa-Vubu à destituer Lumumba et son gouvernement bien qu’il n’en avait pas constitutionnellement le pouvoir. Dans son droit, Lumumba y réagit en lui demandant de démissionner. Dans cette lutte, les puissances impérialistes vont pousser l’armée à prendre le pouvoir en soutenant le coup d’Etat du chef de l’Etat-major Mobutu, dix jours après l’éviction de Lumumba. Cela avait beau être illégal, l’absence d’organisation d’un rapport de force à la base dans la société pour empêcher un tel coup d’Etat, s’est avérée hélas fatale. La Constitution et les Lois ne sont indépassables que lorsqu’elles servent les intérêts de la classe dominante.
Tant l’Etat belge que l’Etat américain ont œuvré pour avoir sous la main des pions comme Mobutu dans la région, pour agrandir leur sphère d’influence, particulièrement face aux Etats alliés à Moscou. Le Congo belge accédant à l’indépendance, il fallait coûte que coûte, pour la Belgique et les USA, que les autorités du nouvel Etat soient de leur côté. Au niveau national, la nouvelle élite noire opportuniste n’avait d’autres ambitions que de remplacer le blanc dans l’extorsion des richesses du peuple. Ce sont ces laquais de l’impérialisme qui ordonneront son assassinat, vendant l’indépendance contre un poste ministériel et une place dans un Conseil d’administration d’une multinationale belge ou américaine.
La préparation de l’assassinat et la lutte des partisans de Lumumba
Mobutu ferma le parlement et mit Lumumba sous résidence surveillée. Lumumba tentera de s’enfuir vers l’Est du pays, où ses partisans se mobilisent, mais il sera rattrapé par Mobutu qui l’enferma finalement dans un camp militaire en périphérie de la capitale.
A la fin de l’année 1960, les partisans de Lumumba mèneront une riposte pour tenter de prendre le contrôle localement dans le pays, et des mouvements de colères se font entendre à Kinshasa. Comme le souligne Alain Mandiki dans son livre « 1994, génocide au Rwanda. Une analyse marxiste » : « À la fin des années ‘50, la plupart des combattants pour l’indépendance dans les pays colonisés sont gagnés par le nationalisme ; certaines couches de la petite-bourgeoisie sont touchées par les idées socialistes, mais sur base du modèle de l’Armée populaire de Mao. Le rôle dirigeant dans la révolution n’y est pas dévolu à la classe ouvrière et ses organisations indépendantes, mais bien à une couche supérieure de la société qui s’appuie sur une guérilla comprenant des éléments des couches paysannes pour prendre le pouvoir. » (2) Sur cette base, et avec un contexte national et international favorable, les partisans de Lumumba réussiront à prendre le contrôle d’un tiers du territoire congolais. Mais cette stratégie avait le désavantage que la contestation est essentiellement dirigée par des officiers et l’intelligentsia ; le rôle dirigeant du mouvement n’est malheureusement pas dévolu aux masses et à des organisations indépendantes, sur base d’une mobilisation systématique de l’ensemble de la société à travers des actions collectives de masse comme des manifestations et des grèves, ce qui aurait pu créer une situation permettant de remporter une victoire décisive.
C’est dans ce contexte que, fin 1960, les autorités belges et étatsuniennes ont donné leur feu vert à l’assassinat de Lumumba. Il fut torturé et transporté au Katanga, où il fut abattu devant Moïse Tshombe, président de l’État du Katanga, et d’autres dirigeants. Les puissances impérialistes et leurs alliés locaux savaient que s’ils l’avaient laissé en vie, ils auraient fini par le libérer, sous pression de la grande popularité qu’il avait au Congo et mondialement.
En 1999, Ludo De Witte publia un livre révélateur, « L’assassinat de Lumumba » (3), dans lequel il démontre la responsabilité de l’Etat belge dans cet évènement, ainsi que dans sa mise à l’écart politique, dans la disparition de son corps et dans la sécession du Katanga. Une pression fût mise pour la constitution d’une commission d’enquête parlementaire belge qui établira ces responsabilités en 2001. L’année suivante, le gouvernement belge reconnaitra une partie de la responsabilité des autorités belges de l’époque.
Construire l’indépendance réelle
Lumumba avait compris qu’il fallait s’organiser. Il a participé à la création du MNC, mais celui-ci n’a pas été développé comme un outil de lutte de masse pour les travailleurs, les paysans et les opprimés. Une organisation de classe indépendante eut été nécessaire. C’est l’une des faiblesses largement présente à travers le monde : le modèle alternatif qui était mis en avant, principalement par Moscou et Pékin, poussait à cette tendance de développer une idéologie surtout nationaliste : dans la lutte de libération nationale des pays colonisés, des organisations nationalistes étaient mises sur pieds, sans souligner l’importance de partis de classe, complètement indépendant de la classe dominante.
Comme Lumumba a tenté de le faire, il était crucial d’essayer de mettre en place une politique socio-économique qui aille dans l’intérêt des travailleurs, paysans et opprimés, et d’appliquer des lois pour cela. Mais il était également crucial de se préparer contre les attaques des opposants, qui refusent bien sûr toujours une telle politique. Construire un rapport de forces favorable dans la société est d’une importance capitale : une base pour éviter la contre-révolution et se préparer contre la répression organisée par le camp opposé, une base pour l’action coordonnée sur laquelle s’appuyer afin de conquérir l’indépendance réelle.
L’indépendance réelle et le bénéfice des richesses du pays pour le peuple ne pouvaient passer que par la prise en main de ces richesses par les masses elles-mêmes. Une prise en mains de l’Union minière par la population congolaise aurait pu signifier une orientation de ces richesses vers la satisfaction des besoins sociaux de la population.
Lumumba un militant indépendantiste honnête, armé d’une ardente volonté d’indépendance et de liberté pour le peuple congolais. La lutte des classes et le contexte de l’époque l’ont poussé vers une compréhension et des prises de positions plus radicales. Ses actions et l’espoir qu’il suscitait ont poussé les puissances impérialistes à lui ôter la vie et tenter de briser l’espoir qu’il avait créé.
Notes
(1) Per-Ake Westerlund, Congo : une histoire de pillage capitaliste, article, 2013 – introduction par Eric Byl. (critique du livre de David Van Reybrouck : Congo. Une histoire, Actes Sud, 2012 – publié à l’origine en 2010). [https://fr.socialisme.be/55971/congo-une-histoire-de-pillage-capitaliste]
(2) Alain Mandiki, 1994, génocide au Rwanda. Une analyse marxiste – Comment le capitalisme a engendré la barbarie dans la région des Grands Lacs, éditions marxisme.be, 2020, 64 pages.
(3) Ludo De Witte, L’assassinat de Lumumba, Karthala Editions, 2000, 416 pages – publié à l’origine en 1999.
Depuis le début du mois d’octobre, les jeunes Nigérians sont descendus en masse dans les rues pour lutter contre la violence policière. Ces manifestations sont les plus importantes depuis la fin de la dictature militaire en 1999. La manifestation est en partie inspirée par le mouvement Black Lives Matter contre la violence policière aux États-Unis, mais aussi par les manifestations de ces dernières années au Soudan contre la dictature d’Omar al-Bashir et la mobilisation des jeunes en Afrique du Sud pour le droit à l’enseignement.
Par Els Deschoemacker
La colère est principalement dirigée contre l’unité de police spéciale SARS (Special Anti-Robbery Squad), créée en 1992. Au lieu de lutter contre le crime, cette unité spéciale est connue pour ses bavures et pour avoir arbitrairement volé, arrêté, torturé et tué des Nigérians. La protestation a commencé après la diffusion d’une vidéo virale avec des images d’une unité du SRAS tuant un homme. En ligne, il y a eu une explosion de témoignages sous le hashtag #EndSARS. Cette initiative a rencontré un écho international. Le régime a promis de dissoudre le SRAS, mais a immédiatement proposé de la remplacer par une unité similaire sous le nom de SWAT. Cette manœuvre n’a pas été acceptée, ce qui illustre la profonde méfiance de la jeunesse nigériane envers les promesses du régime.
Mais cette mobilisation concerne bien plus que le SRAS. « Le SRAS n’est qu’un symbole de tout ce qui va mal au Nigeria », disent nos camarades du MSA (Mouvement pour une Alternative Socialiste), l’organisation sœur du PSL au Nigeria.
Le pays est confronté à sa deuxième récession en cinq ans. Plus de 55 % des Nigérians sont au chômage ou occupent un emploi officieux. Les jeunes constituent la grande majorité de ce groupe. Cela explique la colère et la détermination qui caractérisent les manifestations, et la peur du régime face à cette détermination. Le régime tente maintenant à tout prix de réprimer le mouvement.
Massacre à Lekki (Lagos)
Une manifestation pacifique à un péage de Lekki, une ville de l’État de Lagos, a été brutalement réprimée le mardi 20 octobre. Après avoir instauré un couvre-feu, le feu a été ouvert sur des manifestants pacifiques. Selon Amnesty International, au moins douze personnes ont été tuées.
Le Mouvement pour une Alternative Socialiste participe au mouvement de protestation et a distribué une déclaration dont nous donnons ci dessous une version abrégée avec quelques unes des revendications principales.
Pendant deux semaines, les manifestations ont été organisées de manière pacifique et ordonnée. Les troubles et les manifestations ont pris une nouvelle tournure lorsque le régime a commencé à mobiliser et à financer des criminels pour attaquer les manifestants à Abuja et à Lagos. Il était clair que ce n’était qu’une question de temps avant que le régime ne procède à une déclaration de guerre complète.
Le régime de Buhari a montré que, comme d’autres régimes capitalistes, il est cruel et réprime des manifestants pacifiques, bien qu’il prétende être un “régime de changement”.
La protestation #EndSARS contre les violences policières qui touchent les masses laborieuses et les civils innocents est alimentée par la nature des élites dirigeantes nigérianes. Celles-ci poursuivent une politique capitaliste qui consiste à faire “accepter ou mourir” leur appropriation des ressources de la société.
Le Mouvement pour une alternative socialiste (MSA) condamne les violences policières et tient le régime Buhari comme responsable de tout manifestant abattu. Le gouverneur de l’État de Lagos est également responsable. L’imposition d’un couvre-feu local de 24 heures n’était qu’un prélude aux tirs sur des manifestants pacifiques.
Ce recours à la force est une mesure désespérée prise par l’État pour mettre fin à la manifestation #EndSARS. Ce mouvement de protestation a évolué, passant d’une simple manifestation de jeunes contre la violence policière à un mouvement qui prend le caractère d’une grève générale. Les lieux de travail ont été fermés et des barricades ont été érigées dans les rues, avec des slogans appelant à la fin du régime.
Il n’y a pas de meilleur moment pour le mouvement ouvrier pour réunir ses forces et appeler à une grève générale de 48 heures pour soutenir pleinement la contestation. Si les dirigeants syndicaux n’assument pas cette tâche historique, les travailleurs et les jeunes prendront conscience plus que jamais qu’il faut une nouvelle direction qui défende le bien-être des masses et non le régime.
Il doit y avoir une Conférence nationale souveraine avec des représentants élus des travailleurs des différents secteurs de l’économie, des paysans pauvres et de toutes les couches opprimées. Le MSA y préconisera que la classe ouvrière et les masses pauvres prennent le contrôle des richesses et des ressources du Nigeria afin de répondre démocratiquement aux besoins de tous et de mettre fin à la tyrannie économique du capitalisme.
Nous appelons l’armée et la police à résister aux ordres d’attaquer et de réprimer les manifestants. Ils doivent refuser d’être utilisés comme armes contre leurs sœurs et frères de la classe ouvrière. Ils doivent plutôt s’unir aux manifestants et soutenir leurs revendications.
L’inspecteur général de la police doit démissionner ainsi que les dirigeants militaires, afin que les meurtres de manifestants puissent cesser. Il appartient aux masses ouvrières de mettre fin au régime de Buhari et au capitalisme.
Il était une fois dans l’histoire de la lutte de classes
Au cours des derniers mois, la presse a abondamment évoqué les atrocités commises au Congo lorsque ce territoire était la propriété personnelle du roi Léopold II. En particulier les mutilations (mains coupées) destinées à punir les Congolais n’ayant pas récolté leur quota de latex sur les arbres à caoutchouc. Une fois le Congo devenu belge (1908) la domination coloniale a reposé sur trois piliers : les entreprises d’exploitations agricoles et forestières, l’État colonial (administration, justice, armée) et les missions catholiques chargées de l’encadrement idéologique de la population. A partir des années 1940, un quatrième pilier consolidera l’ordre colonial : un syndicat vertical émanation du pouvoir.
Par Guy Van Sinoy
Le pouvoir colonial face aux luttes des travailleurs noirs
Dès 1940 la pénurie de main-d’œuvre européenne et les besoins de la production de guerre ont favorisé parmi les employés européens de l’Union minière un mouvement de revendications et de grèves. Ces actions ont donné naissance à un syndicat composé exclusivement de Blancs : la CGS (Centrale Générale Syndicale). Les travailleurs Congolais ont, à leur tour, organisé des mouvements revendicatifs violemment réprimés : 60 morts à Lubumbashi(2) ! Face à cette poussée de luttes le pouvoir colonial décida de créer en 1946 des syndicats professionnels pour les travailleurs noirs. Mais pas question de syndicats libres ! Car la décision de créer un syndicat et de l’organiser dépendait du Gouverneur colonial. De plus les syndicats mixtes, réunissant les Blancs et les Noirs, étaient interdits.
La FGTB refusa de cautionner un tel « syndicalisme » qui était en fait un instrument du pouvoir.. Elle tenta de collaborer avec la CGS mais celle-ci, tout en avançant un programme revendicatif, refusait d’affilier les travailleurs noirs. La CSC, par contre, accepta de patronner dès 1947 les syndicats créés par l’autorité coloniale tout en déclarant vouloir « collaborer » avec les missions, le pouvoir colonial et les patrons « sociaux ».
Malgré l’absence de libertés syndicales, les travailleurs noirs réussirent à constituer, dans les années 1950, quelques organisations syndicales légales purement congolaises. Notamment l’APIC (Association du Personnel Indigène de la Colonie) qui tint son premier congrès en 1957. Plusieurs cadres politiques importants du mouvement national congolais ont fait leurs premières armes au sein de l’APIC : Patrice Lumumba, Pierre Mulele, Cyrille Adoula. En 1957 trois courants se partageaient le syndicalisme au Congo : l’UTC (Union des Travailleurs Chrétiens) soutenue par la CSC, la FGTK (Fédération des Travailleurs du Kongo) soutenue par la FGTB, et l’APIC
Après l’indépendance
Pendant les cinq années après l’indépendance de 1960, le mouvement syndical a pris son essor. L’année 1962 a connu une vague de grèves bien que les trois syndicats agissaient en ordre dispersé : grève à la Poste et aux Télécommunications (APIC), grève des banques (FGTK), grève générale lancée par l’UTC. Aux élections sociales de 1964-1965 les Comités d’Entreprise ont été investis par des militants nationalistes qui s’opposent aux directions étrangères. L’UTC était largement majoritaire (2/3 des voix), la CISL (qui regroupait l’APIC, la SNTC et un syndicat d’enseignants) représentait ± 20 % des voix, la FGTK moins de 10 % des voix.
Après le coup d’État du 24 novembre 1965, le colonel Mobutu déclara la guerre au mouvement syndical. Les dirigeants furent arrêtés, les biens des syndicats confisqués, les journaux d’information syndicale interdits. Mobutu décréta que le rôle du syndicat était d’appuyer la politique du gouvernement…
Ce bref article puise ses sources dans le dossier rédigé par Paul Doyen Contribution à l’histoire du syndicalisme au Congo-Zaïre, édité en 1982 par le Comité Patrice Lumumba.
1) Soit un nombre de tués plus élevé que le nombre d’ouvriers tués en Belgique par les forces de répression au cours des 19e et 20e siècle !
Le 18 août, le président du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta, a été renversé par un coup d’État militaire. Pendant des mois, les travailleurs et les masses pauvres ont manifesté pour exiger sa démission, mais ce coup d’État ne fait guère plus que remplacer par une autre une partie de l’élite au pouvoir.
Par Per-Åke Westerlund, Rättvisepartiet Socialisterna, section suédoise d’Alternative Socialiste Internationale (ASI)
Le coup d’État militaire au Mali survenu ce mardi 18 août ne répondra pas aux besoins des masses qui manifestent depuis des mois pour exiger la démission du président Keïta. Ce coup d’État souligne plutôt la crise profonde que traverse le pays et toute la région du Sahel.
Les responsables du coup d’État, qui se sont donné le nom de Comité national pour le salut du peuple, ont immédiatement déclaré qu’ils organiseraient des élections. Cependant, le week-end dernier, un plan a été présenté pour un gouvernement de transition de trois ans, dirigé et dominé par les militaires.
Le jour du coup d’État, ils ont arrêté Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), président depuis 2013, et son premier ministre Boubou Cisse, qui ont tous deux immédiatement démissionné. Ce week-end, les dirigeants du coup d’État ont promis de libérer Keïta en rencontrant les représentants de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), dirigée par l’ancien président nigérian Goodluck Jonathan.
Le coup d’État a été initié depuis le même camp militaire de Kati que le coup d’État de 2012 qui avait renversé le président de l’époque, Amadou Toumani Touré. Mais cette fois-ci, les dirigeants sont des officiers de haut rang, des colonels, y compris le chef d’état-major adjoint de l’armée de l’air et, selon diverses spéculations, avec le soutien d’un général de premier plan. Plusieurs d’entre eux ont été formés par les militaires américains et français, et se sont retrouvés alliés d’actions militaires impérialistes contre les forces islamistes. “Le colonel Assimi Goita, un officier militaire malien qui s’est déclaré chef provisoire du pays, a participé à des exercices et à des entraînements militaires dirigés par les États-Unis visant à contrer les groupes extrémistes opérant dans la région du Sahel”, rapporte le site web américain foreignpolicy.com. Goita est le chef des forces spéciales du Mali.
Mobilisations de masse
Le coup d’État a été accueilli par des manifestations dans la capitale, Bamako, notamment par la jeunesse. Le Washington Post rapporte que : “Le bureau du ministre de la justice récemment nommé, Kassoum Tapo, a été pillé et incendié. Il avait récemment promis d’emprisonner les manifestants qui sont descendus dans la rue dans le cadre du mouvement dit du 5 juin, qui vise à lutter contre la pauvreté, l’insécurité croissante et la corruption”.
Des manifestations de masse demandant la démission du président ont commencé le 5 juin. L’élément déclencheur fut les élections parlementaires de mars et avril, convoquées à la hâte au moment où le Covid arrivait dans le pays. Seulement un tiers environ de l’électorat a voté. Les partis gouvernementaux n’ayant obtenu qu’une minorité des voix, la Cour constitutionnelle a annulé le résultat.
Les manifestations reflétaient la colère non seulement suite aux élections, mais également contre la violence et les meurtres dont sont responsables les djihadistes alors que la guerre menée contre eux par les forces impérialistes et l’armée nationale est un échec. “Au cours des six premiers mois de cette année, plus de 1.800 personnes ont été tuées dans des combats impliquant des groupes djihadistes et des milices ethniques, soit à peu près autant que sur l’ensemble de l’année dernière”, rapporte The Economist. En 2019, 200.000 personnes sont devenues des réfugiés internes et plus de 1.000 écoles ont été fermées en raison des combats. Des rapports font également état de l’implication de forces de l’Etat dans des massacres. Les forces impérialistes manquent de soutien de la part de la population et font l’objet d’une opposition croissante, notamment dans le cas des forces françaises.
Un autre facteur clé est la situation économique difficile sur fond de corruption de l’élite dirigeant. Le Mali est classé 169ème sur 191 pays sur la liste des Nations Unies pour le PIB par habitant (822 dollars). La crise sociale a été aggravée par la pandémie avec un chômage de masse et des hausses de prix. Cette situation se poursuit alors que les multinationales exploitent leurs mines d’or et que le gouvernement signe des accords dans le cadre de l’initiative chinoise “Belt and Road” (les nouvelles routes de la soie) pour la construction de grands projets ferroviaires.
Au sein des forces armées, la guerre contre les islamistes a suscité une démoralisation croissante, ainsi qu’un grand mécontentement concernant les salaires.
La répression
Les manifestations, appelées par le Mouvement 5 juin – Rassemblement des forces patriotiques (m5-rfp) ont d’abord fait l’objet d’une répression brutale. Le 10 juillet, les forces de l’État ont tué 10 personnes et en ont blessées 85 autres qui participaient à ce qui avait commencé comme une manifestation pacifique. Les manifestants ont ensuite occupé le bâtiment de la télévision d’État et ont tenté d’occuper également l’Assemblée nationale. Comme pour beaucoup d’autres mouvements dans le monde en 2019-20, la répression n’a pas pu stopper le mouvement.
La figure de proue du m5-rfp est un Iman populiste, Mahmoud Dicko. Cependant, malgré les manifestations exigeant la démission du président, Dicko a gardé ouverte la possibilité d’un accord avec Keïta. Immédiatement après le coup d’État, Dicko a déclaré qu’il ne serait plus impliqué dans la politique, tandis que d’autres dirigeants du m5-rfp ont déclaré que le coup d’État avait répondu aux exigences du peuple et ont appelé à la célébration.
Les dirigeants des pays voisins sont extrêmement préoccupés par ce mouvement de masse et tentent de faire office de médiateur depuis la mi-juillet. Ils ont proposé de nouvelles élections, mais tant le gouvernement que le m5-rfp s’y sont opposés.
L’impérialisme
Le coup d’État a été condamné par les gouvernements du monde entier – du Conseil de sécurité de l’ONU, y compris la Chine et la Russie, à l’Union africaine, aux 15 pays de la CEDEAO et à toutes les grandes puissances européennes derrière la France, la puissance coloniale jusqu’en 1960 qui domine toujours la région.
Le coup d’État, et plus encore la crise profonde, a lieu dans un pays qui a été une priorité absolue pour la guerre de l’impérialisme contre les islamistes. La force de l’ONU dans le pays (MINUSMA) compte plus de 12.000 soldats, dont 400 de Chine et 142 de Suède. Plus de soldats de l’ONU sont tués au Mali que partout ailleurs.
La France a renforcé sa présence cette année de plus de 5.000 soldats. Les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne disposent également des forces dans le pays. Cette intervention a débuté en 2012-13, lorsque les forces djihadistes ont pris le contrôle du nord du pays à la suite du coup d’État militaire. Toutefois, “malgré près d’une décennie d’opérations internationales de lutte contre le terrorisme et de programmes d’assistance à la sécurité, ces groupes ont gardé leur emprise sur certaines parties du centre du Mali et se sont répandus plus au sud, dans les pays voisins du Burkina Faso et du Niger”, résume foreignpolicy.com.
La violence a augmenté, les islamistes, le Jama’a Nusrat ul-Islam wa al-Muslimi lié à Al-Qaida et le Groupe d’État islamique dans le Grand Sahara ayant tous deux multiplié leurs actions. Il existe également plusieurs milices criminelles, qui s’occupent du trafic et de la contrebande de drogue.
Les puissances impérialistes et les États voisins veulent avant tout la stabilité et craignent que des mouvements de masse et des coups d’État militaires ne se répandent dans la région. La CEDEAO a immédiatement fermé ses frontières avec le Mali et stoppé tout commerce, tout en envoyant ses représentants pour parler aux chefs de coup d’État.
Quelle est la prochaine étape ?
Cependant, ni l’impérialisme ni les putschistes ne parviendront à une quelconque stabilité. Les hauts dirigeants militaires n’ont rencontré aucune opposition lors de leur prise de pouvoir, mais ils n’ont aucun programme pour répondre aux attentes des masses. Ils disposent maintenant d’un soutien, mais pour combien de temps ?
Leur première priorité après le coup d’État a été de déclarer leur ambition de poursuivre la coopération avec la France et les gouvernements de la CEDEAO. Ils ont également rencontré les dirigeants du parti au pouvoir pour des discussions.
Un ancien ambassadeur des États-Unis au Nigeria, John Campbell, qui fait partie du groupe de réflexion Council on Foreign Relations, ne compte pas sur des changements majeurs de la part des putschistes : “Ce n’était donc pas un coup d’État contre ceux qui dirigeaient le pays, mais plutôt parmi ceux qui dirigeaient le pays”.
Si c’est le cas, la prise de pouvoir par les militaires pourrait être similaire à ce qui s’est passé au Zimbabwe en novembre 2017, où Mugabe a été contraint par les militaires de partir, mais en laissant le régime intact. Jusqu’à présent, les putschistes maliens n’ont fait que très peu de promesses, à part parler d’une nouvelle constitution et des élections à venir.
La crise de la région du Sahel et la menace des forces de droite ne peuvent être résolues par les forces militaires. Même la BBC a déclaré : “Cependant, il est de plus en plus évident que le problème auquel sont confrontés le Tchad, le Niger, le Mali, le Burkina Faso et la Mauritanie, connu sous le nom de G5 Sahel, n’est pas seulement la présence de groupes armés, et qu’il est urgent de faire plus qu’une action militaire”.
Les règles sont fixées par le système capitaliste mondial. Le Mali, comme la plupart des autres États africains, a reçu l’ordre de l’impérialisme et de ses institutions telles que le FMI, de privatiser et de donner la priorité aux exportations. Il est l’un des plus grands producteurs d’or d’Afrique, bien que cela ne profite pas à la masse des travailleurs et des pauvres. Au lieu de cela, l’impérialisme s’est concentré sur l’utilisation de la force militaire pour maintenir l’État intact. En 2016, l’Union européenne a signé un accord avec le Mali pour bloquer les réfugiés moyennant une petite compensation.
Les groupes islamistes ont amplifié l’effondrement des économies et des États déjà faibles, et leur soutien augmente à mesure que la répression étatique s’intensifie. Les travailleurs et les pauvres du Mali et du Sahel doivent être organisés démocratiquement, pour prendre en main l’or, les produits agricoles et les ressources naturelles, et arracher la région à l’impérialisme et au capitalisme.
Lumumba et le Premier ministre belge Gaston Eyskens à la signature de la déclaration d’indépendance. (Photo : Wikimedia)
Ce mardi 30 juin 2020, la République démocratique du Congo (RDC) célébrera le soixantième anniversaire de son indépendance du régime colonial belge. Mais soixante ans après son indépendance, la RDC est l’un des pays les plus pauvres du monde. Cette pauvreté trouve ses racines dans le pillage néocolonial qui a suivi l’indépendance, les dictatures et la guerre.
Par Martin LeBrun, section canadienne d’Alternative Socialiste Internationale
Ce mardi 30 juin 2020, la République démocratique du Congo (RDC) célèbre le soixantième anniversaire de son indépendance du régime colonial belge. Ces célébrations devraient être modérées à la lumière de la pandémie de COVID-19. Le président Tshisekedi a annoncé que les fonds destinés à une grande célébration seront réorientés vers la lutte contre la pandémie et vers l’octroi de primes à l’armée congolaise pour sa “bravoure et son héroïsme”.
Mais soixante ans après son indépendance, la RDC est l’un des pays les plus pauvres du monde, se plaçant au 179e rang de l’indice de développement humain qui mesure l’espérance de vie, l’éducation et le revenu par habitant. En 2018, 72 % de ses 84 millions d’habitants vivaient dans l’extrême pauvreté avec moins de 1,90 dollar par jour.
Et pourtant, cette pauvreté existe au milieu de l’abondance. La RDC est le plus grand producteur mondial de cobalt : elle est responsable de 70 % de l’approvisionnement mondial du métal utilisé dans les batteries des téléphones et des voitures électriques. Elle est également le premier producteur de cuivre d’Afrique et elle produit 80 % du coltan mondial, un minéral essentiel à la production des microprocesseurs qui ont permis l’essor mondial des technologies de l’information au cours des deux dernières décennies.
Cette pauvreté dans l’abondance est ancrée dans l’histoire coloniale de la RDC dans le pillage néocolonial de l’après-indépendance, dans les dictatures et dans la guerre.
L’État Indépendant du Congo – 1885–1908
Avant la colonisation, le delta du fleuve Congo était une plaque tournante importante dans la traite transatlantique des esclaves de 1500 à 1850. Quatre millions d’esclaves ont été enlevés de la région, ce qui a détruit les structures sociales antérieures alors que le royaume côtier du Kongo s’intégrait dans les réseaux commerciaux européens.
De 1874 à 1895, le roi belge Léopold II a investi sa fortune personnelle et d’énormes prêts du gouvernement belge pour revendiquer ce qui est aujourd’hui la RDC dans le contexte de la ruée impérialiste européenne vers les colonies africaines. Lors de la conférence de Berlin de 1885, Léopold a monté les principales puissances coloniales les unes contre les autres, en promettant qu’il détruirait la traite des esclaves en Afrique de l’Est et transformerait la région en une zone de libre-échange. Léopold II a rebaptisé toute une zone l’État Indépendant du Congo, en imposant donc une nouvelle identité collective à quelque 250 groupes ethniques différents parlant jusqu’à 700 langues et dialectes différents. Tout en cherchant à se présenter comme un humanitaire, Léopold a fait de toutes les terres situées en dehors des établissements humains sa propriété personnelle et a introduit un système reposant sur la terreur.
Le territoire a d’abord été pillé de son ivoire puis de son caoutchouc. L’armée de mercenaires de Léopold a imposé de sévères quotas de récolte, en brutalisant et en assassinant la population des zones qui ne s’y conformaient pas ou ne pouvaient s’y conformer. La course au caoutchouc a entraîné l’effondrement de l’agriculture, ajoutant la famine aux atrocités. La saisie des terres “vacantes” par Léopold a créé des tensions agraires et intercommunautaires à long terme, les agriculteurs quittant leurs terres épuisées pour s’installer sur les terres de la Couronne. Ce système a entraîné 3 à 5 millions de morts, les estimations les plus élevées de 10 millions étant basées sur des extrapolations incorrectes de l’explorateur-colonisateur Henry Morton Stanley.
Contrairement aux affirmations des apologistes coloniaux, Leopold était pleinement conscient de ces atrocités dans un territoire qu’il n’a jamais visité en personne. Une campagne humanitaire internationale a attiré l’attention sur les atrocités commises dans l’État libre du Congo. La propagande coloniale parlait d’une “campagne anglaise” puisqu’elle était menée par Edmund Morel, Joseph Conrad, Roger Casement et l’américain Mark Twain. Cette campagne a permis de recueillir des témoignages africains au sujet des atrocités commises par les forces de Léopold, de sorte que le roi et l’élite politique et la bourgeoisie belges savaient ce se passait. Léopold a même fait brûler plusieurs archives pour dissimuler sa complicité. Pour diverses raisons, Léopold a été contraint de céder le contrôle de l’État libre du Congo à l’État belge en 1908. L’héritage de Léopold II au Congo est une histoire de massacres et de construction artificielle d’une identité nationale qui a posé le premiers jalons de la longue histoire de pillage impérialiste du Congo.
Le Congo belge – 1908 – 1960
L’État belge a réformé le système colonial afin d’ouvrir la voie à une exploitation économique à long terme. L’Église catholique a travaillé de concert avec le régime colonial pour qui le message d’obéissance du christianisme était une aubaine. Les écoles de l’Église censuraient tout ce qui était rebelle, en évitant, par exemple, de parler de la révolution française. Alors que l’obéissance chrétienne était encouragée, les mouvements religieux critiques subissaient une dure répression. Le prédicateur, Simon Kimbangu, a ainsi été arrêté en 1921. Il décéda en prison 30 ans plus tard. Ses disciples, les Kimbanguistes, ont été déportés et persécutés, mais ils constituent toujours un grand mouvement au Congo. À partir de 1937, des camps de travail forcé ont été construits pour les membres de la secte Kitawala, inspirée par les Témoins de Jéhovah, en raison de leurs sentiments anticoloniaux.
Contrairement à certaines colonies africaines telles que le Kenya et l’Afrique du Sud, l’établissement européen au Congo était étroitement contrôlé par l’État belge par crainte d’une agitation blanche, anticoloniale et communiste. Comme si les Congolais n’avaient eux-mêmes aucune raison de s’opposer à la colonisation !
Avec la découverte des vastes richesses minérales du Congo, le pays s’est industrialisé. La société minière dominante, l’Union Minière, dirigeait son propre appareil d’État totalitaire dans la province du Katanga, au sud-est du pays, en exploitant le cuivre, le manganèse, l’uranium, l’or, etc. Les plantations d’huile de palme fournissaient la matière première pour les savons sur lesquels s’est développé la multinationale Unilever actuelle.
La classe ouvrière est passée de quelques centaines de personnes en 1900 à 450.000 en 1929, puis à près d’un million pendant la Seconde Guerre mondiale, lorsque l’industrie minière a connu une gigantesque croissance. Les bombes atomiques américaines larguées sur le Japon ont utilisé de l’uranium extrait au Katanga. Le Congo est alors devenu le deuxième pays le plus industrialisé de l’Afrique subsaharienne, après l’Afrique du Sud, mais les conditions de vie des travailleurs et des pauvres sont restées terribles.
Le mécontentement a conduit à des grèves et des émeutes au début et à la fin de la guerre, avec 60 mineurs tués lors d’une manifestation de masse à Elizabethville, aujourd’hui Lumbumbashi, au Katanga. Les dirigeants des grèves étaient traqués. En 1944, l’armée a abattu 55 rebelles non armés de Kitawala, en utilisant la tactique de la terre brûlée sur leurs villages et leurs champs après qu’ils se soient soulevés contre le travail forcé en temps de guerre. Certains groupes ou tribus ont été désignés comme des “fauteurs de troubles” naturels, dan le cadre d’une stratégie visant à “diviser pour mieux régner”.
Les Congolais qui avaient enduré la brutale corvée de travail dans les mines et les plantations en temps de guerre s’attendaient à ce que leur vie s’améliore après la guerre. Les soldats congolais qui avaient lutté contre le totalitarisme avec les “Alliés” en Abyssinie, en Égypte et en Birmanie s’attendaient également à une amélioration de leurs conditions de vie. Le racisme a cependant persisté. Les Africains pouvaient toujours être fouettés en public, devaient se tenir debout au bout des files d’attente et se voyaient interdire les installations de bain. Les syndicats étaient illégaux. Des élections locales ont été organisées dans certaines villes, mais tout bourgmestre était subordonné au “premier bourgmestre” belge. De la même manière que les gouvernements capitalistes ont accordé des concessions et des réformes dans l’après-guerre pour éviter la révolution, les gouvernements coloniaux d’Afrique se sont engagés dans un “colonialisme de développement” dans l’après-guerre pour empêcher les mouvements indépendantistes. La Belgique a investi dans des projets de développement des infrastructures pour améliorer le niveau de vie, à l’instar du projet de barrage hydroélectrique INGA. Mais elle a également laissé la facture aux Congolais au moment de l’indépendance.
La décolonisation
Après la Seconde Guerre mondiale, des révolutions coloniales et des guerres de libération ont éclaté dans le monde entier. L’Inde, l’Indonésie et les Philippines se sont débarrassées du contrôle britannique, néerlandais et américain. En Algérie et en Indochine, la lutte armée se poursuivait contre les troupes coloniales françaises. En 1957, le Ghana fut le premier pays subsaharien à devenir indépendant, ce qui a déclenché une vague de décolonisation sur tout le continent.
Le Congo belge a eu sa part d’organisations religieuses opposées au régime colonial, mais jusqu’en 1955, aucune organisation politique nationale n’a réclamé l’indépendance. Tout cela a changé en 1956 avec la croissance de campagnes de désobéissance civile. L’Association des Bakongo (ABAKO), à l’origine une organisation tribale dirigée par Joseph Kasa-Vubu, a présenté un manifeste de liberté.
Deux ans plus tard, le Mouvement national congolais (MNC) fut créé, avec Patrice Lumumba à sa tête. Son objectif était de libérer le Congo de l’impérialisme et du régime colonial. Son écho fut énorme. Patrice Lumumba a visité le nouvel État du Ghana, où il a rencontré le dirigeant du pays, Kwame Nkrumah. A son retour au Congo, 7.000 personnes se sont rassemblées pour écouter son rapport. Le gouvernement belge prévoyait de devoir éventuellement accorder l’indépendance, mais jusqu’en 1958, le ministère des Colonies belge n’avait aucun plan pour l’avenir politique indépendant du Congo.
En janvier 1959, le Congo a explosé. Le premier bourgmestre belge a interdit une réunion de protestation à Kinshasa, puis à Léopoldville, ce qui a provoqué des émeutes. L’armée a été utilisée à pleine puissance, tuant jusqu’à 300 personnes et en blessant beaucoup d’autres. Les troubles se sont étendus au Kivu, au Kasaï et au Katanga.
Au début de l’année 1960, le gouvernement belge a annoncé qu’il convoquait une table ronde dans le but de négocier la transition congolaise du régime colonial à l’indépendance. L’économie congolaise de l’après-guerre se détériorait, en partie parce que la Belgique développait davantage de services publics dans la colonie. La dette publique de la colonie est passée de 4 à 46 milliards de francs belges entre 1949 et 1960, une dette dont la Belgique a gracieusement laissé le Congo hériter à l’indépendance après des décennies d’exploitation coloniale. Le roi Baudouin s’est rendu au Congo belge pour réduire les tensions politiques, mais n’a réussi qu’à se faire voler son épée de cérémonie. Le mouvement populaire croissant au Congo, les émeutes à Kinshasa et les luttes mondiales contre le colonialisme ont tous contribué à la décision d’accélérer le rythme vers l’indépendance jusqu’au 30 juin 1960 !
Le Congo devait avoir une indépendance politique formelle, mais les sociétés multinationales devaient opérer comme auparavant, en agissant conformément à la loi belge. Le Parlement belge, sapant encore davantage toute puissance économique congolaise réelle, a aboli le contrôle congolais sur l’Union Minière trois jours avant l’indépendance. Tous les officiers de l’armée et les plus hauts fonctionnaires devaient rester belges. L’indépendance n’était que purement formelle.
Néanmoins, les espoirs de changement réel étaient grands et le MNC de Lumumba a remporté les premières élections. Cependant, les partis régionaux avaient également bénéficié d’un grand soutien : le MNC-K dissident dirigé par Albert Kalonji au Kasaï, la Confédération des associations tribales du Katanga (CONAKAT) sous la direction de Moïse Tshombe au Sud-Katanga et l’ABAKO au Bas-Congo. Kasa-Vubu est devenu président, avec Lumumba comme premier ministre.
Le décor était planté pour une lutte aux multiples facettes : un combat congolais pour une véritable indépendance, une guerre civile, les tentatives belges de garder le contrôle du pays et un conflit par procuration dans le cadre de la guerre froide.
‘La crise du Congo’ – 1960 – 1965
Une semaine après le début de l’”indépendance” du Congo, une mutinerie dans l’armée contre les officiers belges a conduit à l’africanisation du corps des officiers. La violence a éclaté entre les civils noirs et blancs. La Belgique a envoyé des troupes, officiellement pour protéger ses citoyens mais en réalité pour protéger ses ressources minières. Le Katanga et le Sud-Kasaï ont fait sécession avec le soutien de la Belgique. Des milliers de personnes sont mortes au cours des combats.
Lumumba n’est resté que deux mois au pouvoir dans un pays qui se défaisait sous ses pieds. Il a fait appel aux Nations unies pour qu’elles interviennent, mais les soldats de la paix de l’ONU ont activement empêché le gouvernement congolais de reprendre les régions séparatistes. Il a également fait appel à Nikita Khrouchtchev, qui a envoyé de la nourriture, des armes et des véhicules. La crise du Congo a frappé au cœur de la guerre froide entre les États-Unis et la Russie stalinienne et, en septembre, il a été déposé par Kasa-Vubu.
Joseph Mobutu, à la tête de l’armée, a mené un coup d’État soutenu par la CIA, établissant un nouveau gouvernement à Kinshasa sous son contrôle. Lumumba a été placé en résidence surveillée. Le gouvernement belge et le président américain, Dwight Eisenhower, ont donné le feu vert à son assassinat. Après avoir été torturé et transporté au Katanga, Lumumba a été abattu devant des dirigeants locaux, dont Tshombe.
Lumumba a clairement représenté une menace pour les intérêts de l’ancienne élite coloniale de même qu’il faisait obstacle à une nouvelle élite noire désireuse de devenir les gardiens privilégiés des richesses congolaises. Les autorités belges ont planifié son exécution car son appel à la nationalisation des richesses du Congo au profit du peuple congolais allait à l’encontre de leurs projets de garder le contrôle de ces richesses. Dans le contexte de la guerre froide, les États-Unis craignaient que Lumumba ne finisse comme Fidel Castro, que la révolution coloniale ne le fasse passer d’une position libérale à une position “communiste”.
L’imprévisibilité de Lumumba, les attentes qu’il a suscitées et le discours révolutionnaire de ses partisans ont effrayé les puissances impérialistes. L’africanisation du corps des officiers de l’armée congolaise a desserré l’emprise de la Belgique sur le Congo, ce qui a conduit les puissances occidentales, la Belgique, la CIA, l’ONU et leurs complices à Léopoldville, au Kasaï et au Katanga, à décider que Lumumba devait être supprimé. De plus, la vision panafricaine de Lumumba pour le Congo, l’unité au-delà des divisions ethniques et tribales, allait à l’encontre des élites tribalistes congolaises comme Tschombe et Kasa-Vubu qui ne cherchaient qu’à défendre les intérêts de leurs propres groupes ethniques. Lumumba menaçait de réveiller les masses congolaises derrière un programme répondant aux demandes sociales, économiques et démocratiques de la population, ce qui aurait nécessité la nationalisation des richesses minières du Congo. Cela s’opposait aux intérêts des élites congolaises et du capitalisme international.
Contrairement aux apologistes du colonialisme, la crise du Congo n’est pas née d’un départ trop précoce de la Belgique. Le colonialisme belge existait pour exploiter économiquement le Congo et non pour préparer le pays à son indépendance. La Belgique a délibérément accéléré le rythme vers l’indépendance parce que le Congo allait avoir un nouveau gouvernement instable et que la nation n’avait pas eu le temps de développer un mouvement ouvrier avec un programme clair visant à répondre aux besoins de la population. Lumumba n’était pas un socialiste explicite. Il lui manquait des armes ainsi qu’un mouvement socialiste démocratique national implanté parmi les travailleurs et les pauvres des zones rurales, ce qui aurait pu bénéficier du soutien de la classe ouvrière au niveau international. L’héritage de l’indépendance accélérée du Congo est que la classe ouvrière congolaise n’a pas pu obtenir de gains au moment de l’indépendance. Au lieu de cela, la classe ouvrière congolaise a subi une série de défaites et une dictature qui ont entravé le développement d’organisations de la classe ouvrière jusqu’à ce jour.
Le gouvernement central a battu le rival pro-Lumumba, la République libre du Congo soutenue par l’Union soviétique dans l’est du Congo en 1962, a vaincu les mouvements sécessionnistes du Katanga et du Sud-Kasaï en 1963 et, avec le soutien de la Belgique, a écrasé la République populaire du Congo proclamée par les Simba en 1964, aux côtés de laquelle Che Guevara a brièvement combattu. L’Union soviétique et la Chine n’ont apporté qu’un soutien limité, puisqu’ils ne voulaient pas voir une région du monde développer une véritable démocratie ouvrière hors de leur contrôle. Tshombe, qui soutenait désormais le gouvernement central, a remporté les élections de 1965 avec le soutien des États-Unis et de l’Occident. Cependant, il était trop peu fiable et Mobutu a mené un second coup d’État pour finalement s’assurer que le Congo soit ouvert aux affaires avec les puissances impérialistes occidentales.
Les années Mobutu
Mobutu est devenu un dictateur brutal et corrompu qui est resté au pouvoir jusqu’en 1997, à la tête du Mouvement Populaire de la Révolution (MPR). Il est devenu un proche allié des États-Unis et d’Israël, en luttant contre le “communisme” en Afrique centrale. Washington dépendait du Zaïre comme voie d’approvisionnement pour le mouvement rebelle de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (Unita), soutenu par les États-Unis, qui a mené une guérilla de 17 ans contre le gouvernement de l’Angola voisin, soutenu par l’Union soviétique et Cuba.
Dans le même temps, Mobutu a également entretenu des relations amicales avec la Chine. Il a adopté un culte de la personnalité avec des heures d’hommages musicaux et une politique culturelle nationaliste pour renforcer son règne. Seuls les noms et les musiques indigènes étaient autorisés. Le pays a été rebaptisé Zaïre en 1971 et l’année suivante, Mobutu s’est rebaptisé Mobutu Sese Seko Nkuku Ngbendu Wa Za Banga (qui signifie “Le guerrier tout-puissant qui, en raison de son endurance et de sa volonté inflexible de gagner, va de conquête en conquête, laissant le feu dans son sillage”).
En 1968-69, un mouvement étudiant congolais s’est développé, avec Lumumba comme héros, parallèlement aux protestations étudiantes en Europe et aux États-Unis. Mobutu a fait écraser violemment le mouvement en 1969. Officiellement, 6 étudiants sont morts lors des manifestations, mais en réalité, 300 ont été tués et 800 autres condamnés à de longues peines de prison.
Malgré cette violence répressive, ou peut-être à cause d’elle, l’Occident s’est plié au régime de Mobutu pour avoir accès aux ressources minérales du Congo. Les États-Unis ont fourni plus de 300 millions de dollars en armes et 100 millions de dollars en formation militaire pour la dictature.
Le régime corrompu et inepte de Mobutu a dilapidé le potentiel agricole du Congo, rendant le pays dépendant des importations alimentaires. Dans les années 1970, l’inflation a atteint des sommets et les prêts représentaient 30 % du budget de l’État. Comme beaucoup d’autres pays africains, le Congo s’est retrouvé dans les griffes du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Leurs programmes d’ajustement structurel ont imposé des privatisations et des coupes budgétaires. En peu de temps, le Congo a réduit le nombre d’enseignants de 285.000 à 126.000, transformant son taux élevé d’alphabétisation en la situation actuelle, où 30 % de la population sont analphabètes.
Entre-temps, le terme “kleptocratie” – un gouvernement de ceux qui cherchent à s’enrichir aux dépens des gouvernés – a été inventé pour décrire l’utilisation des fonds de l’État par Mobutu. À la fin de son règne, il avait amassé une fortune personnelle estimée à 4 milliards de dollars, tout en accumulant une dette extérieure de 12 milliards de dollars.
La position de Mobutu s’est compliquée dans les années 1980 et 1990. En 1982, son allié de longue date et membre du comité central du MPR, Étienne Tshisekedi, a rompu avec Mobutu, formant le premier parti d’opposition du pays appelant à un changement démocratique non violent, l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). À la fin des années 1980, des mouvements de protestation contre les politiques du FMI et les dictatures ont vu le jour dans toute l’Afrique, suscitant la formation de nouveaux partis politiques, associations et syndicats.
Avec la fin de la guerre froide, les alliés impérialistes occidentaux de Mobutu ont fait pression sur lui pour faire évoluer le Zaïre dans une direction plus démocratique, ou au moins vers un capitalisme néocolonial à visage humain. Mobutu a autorisé le multipartisme en avril 1990, mais a provoqué la colère de ses alliés occidentaux, en particulier la Belgique, lorsque ses soldats ont attaqué un foyer d’étudiants la même année, tuant des dizaines de personnes. La Belgique a temporairement coupé son aide en réponse à cette attaque, et l’opposition de masse au régime de Mobutu s’est accrue jusqu’en 1991.
Dans le même temps, l’économie basée sur les minéraux s’est effondrée, la production des mines de cuivre vitales du Katanga ayant chuté de façon précipitée. Des milliers de soldats congolais, furieux de ne pas recevoir d’augmentation de salaire, se sont livrés à des pillages à Kinshasa, tuant au moins 250 personnes. Le 16 février 1992, des prêtres et des églises ont organisé la “marche de l’espoir” dans plusieurs villes pour protester contre l’annulation d’une conférence sur la démocratisation. Plus d’un million de Congolais y ont participé. Trente-cinq manifestants ont été tués au cours de la répression. En 1993, Mobutu a mis un terme à toute discussion sur la démocratisation, a déjoué une tentative de destitution de Tshisekedi et a repris le contrôle de la situation. L’inflation a explosé, atteignant 9.769 % en 1994. Mobutu a été obligé d’introduire un billet de cinq millions de dollars du Nouveau Zaïre.
Après des décennies de répression politique et dans un contexte d’aggravation de la crise économique, la violence ethnique a éclaté. Au Katanga, des groupes ont exigé que les travailleurs migrants d’autres provinces “rentrent chez eux” et dans la province du Kivu oriental, les milices nativistes Maï-Maï ont commencé à menacer les Tutsis, dont certains avaient été installés dans la région par les Belges pendant l’ère coloniale. Comme les groupes rebelles actifs dans l’est du Congo aujourd’hui, ils se sont battus pour les terres agricoles et le contrôle des mines. Les opposants à la dictature de Museveni en Ouganda ont également pris pied dans l’est du Congo, en organisant des bandes rebelles.
En 1994, après la guerre civile et le génocide rwandais, une grande partie du régime Habyarimana, vaincu, s’est réfugiée dans l’est du Congo, sous la protection de la France. Mobutu a accueilli les Rwandais, scellant ainsi son destin et déclenchant un conflit transnational qui persiste encore aujourd’hui.
Les guerres du Congo
Les présidents Paul Kagame du Rwanda et Museveni de l’Ouganda ont soutenu l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo (ADFLC) qui a tué jusqu’à 300.000 Hutus, dont des réfugiés rwandais qui avaient participé au génocide rwandais. Laurent Kabila, citoyen congolais et ancien dirigeant maoïste Simba, était à la tête de l’ADFLC. Il a fait défiler son armée sur 2000 km à travers le pays. Fatigués par des décennies de corruption, de pauvreté et d’une armée indisciplinée, le soutien à Mobutu a rapidement disparu et les Zaïrois ont accueilli les soldats de Kabila comme des libérateurs. Kabila a renversé Mobutu à son arrivée à Kinshasa.
Kabila a été déçu par ses anciens partisans impérialistes (principalement les États-Unis) parce qu’il n’était pas docile. D’autre part, son idée stalinienne d’une révolution en deux étapes lui a fait rechercher le soutien de ce qu’il appelait les “bons capitalistes”, des capitalistes qui étaient prêts à participer au “développement national”. Le Congo devait devenir un pays capitaliste stable, doté d’une constitution, de droits individuels, d’une propriété privée et d’un État de droit, avant de pouvoir tenter une deuxième révolution socialiste, dans laquelle les ouvriers et les paysans s’empareraient du pouvoir économique et politique. Cette politique n’a cependant pas permis de réaliser des progrès fondamentaux pour la population, car il n’y avait pas de “bons capitalistes”. Il n’y a pas eu de réforme agricole ni de nationalisation des secteurs clés de l’économie.
Kabila s’est également brouillé avec ses bailleurs de fonds rwandais et ougandais, qui voulaient une partie des richesses du Congo. Les troupes rwandaises et ougandaises ont fait la guerre à Kabila, mais aussi entre elles pour les ressources naturelles du Congo. Les interventions militaires angolaises et zimbabwéennes ont sauvé le régime de Kabila. L’ONU a envoyé une force de maintien de la paix massive en 1999. La RDC, tel que la pays a été rebaptisé, a sombré dans le chaos.
La guerre du Congo a été alimentée par les énormes richesses minérales de la région, toutes les parties, y compris les multinationales, profitant du chaos pour piller le pays et financer encore plus la guerre. A mi-parcours de la guerre en 2001, un rapport du Conseil de sécurité des Nations unies a estimé que le Rwanda à lui seul avait gagné au moins 250 millions de dollars grâce aux exportations illégales de coltan. Les États-Unis, la Belgique, la Grande-Bretagne et la France se sont également bousculés pour défendre leurs intérêts économiques, en fournissant des millions de dollars d’armes aux différentes parties en guerre.
La guerre a tué plus de 5 millions de personnes de 1998 à 2006 par la violence et la famine, ce qui en fait le conflit le plus meurtrier depuis la Seconde Guerre mondiale. Des millions d’autres personnes ont été déplacées. Le gouvernement de Kabila était faible, divisé et corrompu, et ne contrôlait pas entièrement ses forces armées. L’armée congolaise a participé à de nombreux massacres ethniques, exécutions, tortures, viols et arrestations arbitraires.
Joseph Kabila
En 2001, Laurent Kabila a été assassiné par un de ses gardes du corps. Son fils Joseph Kabila a pris le pouvoir, soutenu par l’UE, les États-Unis et la Chine. Son parcours politique rappelle davantage l’enrichissement personnel du mobutisme que le lumumbisme.
Au sommet de sa popularité, Joseph Kabila a remporté l’élection de 2006 contre l’ancien seigneur de guerre et vice-président Jean-Pierre Bemba. Le premier tour des résultats de l’élection a conduit à trois jours de combats entre les armées de Kabila et de Bemba. Ces divisions au sein de l’armée congolaise n’ont jamais été véritablement surmontées, enracinées dans la formule d’un président et quatre vice-présidents de 2001-2006 destinée à résoudre les tensions armées dans le pays.
Kabila a poursuivi l’augmentation des investissements étrangers et a promis le développement d’infrastructures dans un pays dont la superficie équivaut aux deux tiers de celle de l’Europe occidentale, mais qui ne dispose que de quelques centaines de kilomètres de route goudronnée. La soif insatiable de la Chine pour les ressources brutes et son ascension au rang de premier partenaire commercial et bailleur de l’Afrique se sont fait sentir en RDC. En 2009, le gouvernement Kabila a signé un accord d’investissement de 9 milliards de dollars avec la Chine, autorisant les entreprises chinoises à développer les mines de cuivre et de cobalt congolaises en échange de la construction de routes, de chemins de fer, de barrages hydroélectriques, d’universités, d’aéroports et d’hôpitaux.
L’économie de la RDC a connu un boom durant les années de pouvoir de Kabila, avec une croissance du PIB comprise entre 2,5 % et 9,5 % selon les années. Cependant, l’essor de la production de cuivre et de cobalt n’a pas permis de réduire l’écrasante pauvreté dont souffre la majorité de la population.
À l’approche de l’élection de 2011, les espoirs de changement se sont regroupés autour du candidat de l’opposition, Étienne Tshisekedi. Kabila a été réélu, tandis que Tshisekedi a immédiatement contesté les résultats et s’est déclaré président. L’UDPS a appelé le peuple congolais à se mobiliser et à protéger la victoire de Tshisekedi. Les manifestants ont inondé les rues de Kinshasa, fatigués de la pauvreté, du chômage, de l’effondrement des infrastructures, de la violence à l’Est et de la corruption.
La police a affronté les partisans de l’UDPS, tuant des dizaines de personnes. Les manifestants étaient en colère contre la perte d’une occasion de changement, mais aussi encouragés par des mouvements similaires de changement de régime au Sénégal et en Tunisie. Bien que Kabila n’ait pas pu être destitué, 2011 a contribué à la formation de réseaux clandestins d’information et de formation pour l’activisme politique dans tout le Congo.
Comme sous Mobutu, la corruption massive s’est poursuivie sous Kabila. Au moins 750 millions de dollars versés aux organes fiscaux et à la société minière d’État du Congo ont disparu en 2013-2015, 1,3 milliard de dollars si l’on inclut les autres organes de l’État et un organe fiscal provincial aujourd’hui disparu. Dans le même temps, le manque chronique de financement des services publics s’est poursuivi.
En 2015, les protestations ont de nouveau éclaté lorsque Kabila a annoncé qu’il se représenterait, bien qu’il ait dépassé la limite de mandats fixée par la Constitution. Les manifestants, pour la plupart des jeunes, sont retournés dans les rues, inspirés par le rôle des jeunes dans le mouvement du Balais Citoyen qui avait évincé Blaise Compaoré du pouvoir en 2014 au Burkina Faso. La police et l’armée ont utilisé des balles réelles, tuant 42 personnes et en arrêtant des centaines. Le gouvernement a coupé internet et bloqué les SMS pour contenir le mouvement, mais les manifestations se sont étendues à l’est du Congo, à Goma et à Bukavu. Le gouvernement, voyant l’ampleur du mouvement, a déclaré les mouvements de jeunesse illégaux, a déclaré ses dirigeants terroristes, les a traqués, kidnappés et emprisonnés. Beaucoup se sont exilés ou se sont cachés dans des villes isolées. Un charnier a été découvert en dehors de Kinshasa.
Cependant, les protestations ont forcé le gouvernement à battre en retraite. Le Sénat a amendé le projet de loi visant à accorder à Kabila un troisième mandat, lui permettant de rester en fonction jusqu’à ce que le recensement national ajoute des électeurs plus jeunes. Les partis d’opposition ont annulé les manifestations, mais les jeunes sont restés mobilisés pour exiger la démission de Kabila.
Kabila est resté au pouvoir pendant deux ans encore, en attendant prétendument le recensement, tandis que le mouvement en faveur de son renvoi se poursuivait. “Villes mortes” était le slogan principal de l’opposition lors de la grève générale organisée en août 2016. Les rues des grandes villes du Congo se sont vidées, les travailleurs et les employeurs restant chez eux.
Les manifestants ont arrêté la circulation à Goma tandis qu’à Kinshasa ils ont érigé des barricades près du siège de l’UDPS après que la police les ait attaqués. La violence policière s’est intensifiée en septembre avec 53 tués, 127 blessés et 368 personnes arrêtées selon l’ONU.
Les discours de 2016 d’Étienne Tshisekedi n’ont pas suscité le même engouement qu’en 2011. Il a appelé ses partisans à avoir foi dans le processus électoral, à croire en la constitution et à avoir confiance dans les négociations avec Kabila. Il n’a délibérément pas appelé à un mouvement de masse pour agir. En conséquence, l’UDPS n’est pas descendue dans la rue comme auparavant, mais les protestations des jeunes ont continué. Lorsque les élections ont finalement eu lieu à la fin de 2018, au moins 320 personnes avaient été tuées et 3.500 blessées à Kinshasa après trois ans de protestations.
Félix Tshisekedi – un nouveau départ pour une vieille situation
Les élections congolaises ont finalement eu lieu en décembre 2018, mais une fois de plus, elles se sont enlisées dans la controverse. En apparence, Félix Tshisekedi, le fils d’Étienne, a assumé la présidence dans le cadre du très attendu “premier transfert pacifique depuis l’indépendance”. Félix Tshisekedi a suscité de grands espoirs après 18 ans de Kabila, en s’engageant à poursuivre la “réconciliation nationale” et à lutter contre la corruption et la pauvreté. Il a fait libérer certains prisonniers politiques et a lancé son “Programme des 100 jours”, doté de 304 millions de dollars, qui visait à développer les routes, la santé, l’éducation, le logement, l’énergie (eau et électricité), l’emploi, les transports et l’agriculture.
L’efficacité de ces programmes sera limitée si les richesses minières de la RDC ne sont pas nationalisées et utilisées au profit des paysans et de la classe ouvrière du pays. Dans les dernières années du pouvoir de Kabila, les multinationales ont fait campagne contre les propositions du gouvernement d’augmenter légèrement les impôts sur les entreprises. Après des menaces de réduction des investissements, le gouvernement a fait marche arrière et a accepté une part de 10 % dans les nouveaux projets, contre les 30 % proposés. La taxe sur les mines d’or a été bloquée à 6 %. A moins que Tshisekedi ne morde les mains qui le nourrissent, le gouvernement du Congo reste aux mains des multinationales minières.
Les résultats des élections de 2018 ont également été fortement contestés. Tant les observateurs internationaux que l’Église catholique congolaise, qui a envoyé 40.000 observateurs, soutiennent que le pro-occidental et ancien dirigeant d’ExxonMobil Martin Fayulu est sorti vainqueur. Fayulu a probablement été le vainqueur ; mais il ne représentait guère une alternative pour le peuple congolais, étant un ami proche de certains des hommes les plus riches du Congo. L’annonce des résultats électoraux a coïncidé avec un renforcement des forces de sécurité dans les villes, une interruption du service internet pour contenir les mobilisations de protestation et des affrontements avec les forces de sécurité. Des troubles sporadiques ont fait 34 morts, 59 blessés et 241 “arrestations arbitraires” dans la semaine qui a suivi l’annonce, selon le bureau des droits de l’homme des Nations unies.
L’État n’est pas un arbitre neutre, servant les besoins de la classe dirigeante. La Cour constitutionnelle a confirmé la victoire de Tshisekedi, permettant à Kabila de rester dans le coin. Tshisekedi a conclu un accord de partage du pouvoir avec Kabila, qui n’est plus président, mais tient toujours les rênes de nombreux secteurs clés depuis son poste de “sénateur à vie”. Kabila a refusé d’exclure une nouvelle candidature à la présidence en 2023, lorsqu’il ne sera plus limité par le nombre de mandats. Pendant ses 18 années au pouvoir, Kabila a installé ses loyalistes dans toute la bureaucratie fédérale, et sa coalition au pouvoir a remporté une majorité parlementaire retentissante, 342 des 485 sièges. Il n’est donc pas surprenant que Tshisekedi ait finalement annoncé un gouvernement de coalition, avec 23 membres de l’UDPS et 42 membres de la coalition du Front commun pour le Congo (FCC) de Kabila, sept mois après son investiture.
La coalition UDPS-FCC au pouvoir a déjà été frappée par un scandale de corruption très médiatisé, à la veille des célébrations de la fête de l’indépendance. Le chef de cabinet présidentiel Vital Kamerhe a récemment été condamné à 20 ans de prison pour avoir détourné 49 millions de dollars destinés au logement social dans le cadre du programme de construction de 100 jours. Kamerhe a soutenu Tshisekedi dans sa campagne électorale réussie de 2018 en échange du soutien de Tshisekedi lors de la prochaine élection en 2023. En conséquence, son arrestation et sa condamnation ont provoqué une onde de choc dans tout le Congo, alimentant les spéculations selon lesquelles l’affaire est politiquement motivée pour l’empêcher de défier Tshisekedi en 2023. Au début du mois, le ministre de la justice a révélé que l’ancien président de la Cour suprême, qui était censé être mort d’une crise cardiaque le mois dernier, avait en fait été assassiné. En conséquence, à l’occasion du 60e anniversaire de l’indépendance, les choses continuent de se dérouler comme d’habitude dans les cercles dirigeants de la RDC.
L’Est du Congo et la MONUSCO
La MONUSCO est la mission de “maintien de la paix” des Nations unies, forte de 20.000 hommes, active dans l’est du Congo depuis 1999, avec un budget d’un milliard de dollars par an. D’abord déployée dans le contexte de la deuxième guerre du Congo, la mission s’est concentrée sur la dispersion des FDLR et a depuis lors entrepris d’engager d’autres groupes rebelles opérant au Congo. On estime que 160 groupes rebelles, avec un total de plus de 20.000 combattants, opèrent dans la seule province du Nord-Kivu, contrôlant les principales mines d’or et de cobalt.
La MONUSCO est controversée depuis le début, les soldats de l’ONU apportant un soutien important aux soldats du gouvernement congolais, accusés de viols et de meurtres à grande échelle (les mêmes crimes que ceux commis par les rebelles FDLR). Les soldats de la MONUSCO ont eux-mêmes été fréquemment accusés d’avoir agressé sexuellement des civils, sans pour autant empêcher l’exploitation des mineurs par les multinationales ou protéger efficacement les civils des attaques des rebelles.
En 2013, le groupe rebelle M23 a pris la capitale provinciale du Nord-Kivu, Goma, discréditant ainsi la mission de l’ONU. L’ONU a réagi en autorisant ses soldats à tirer les premiers, ce qui constitue une rupture avec les règles traditionnelles de maintien de la paix de l’ONU.
La victoire sur les forces rebelles est restée insaisissable, car les rebelles contrôlent des régions très lucratives et riches en ressources. En outre, plusieurs groupes rebelles bénéficient du soutien actif du Rwanda de Kagame et de l’Ouganda de Museveni, qui ne sont pas soumis à la pression internationale pour qu’ils renoncent, car ils sont des alliés occidentaux dans la guerre contre le terrorisme. Il y a également un nombre important de réfugiés rwandais toujours dans l’est du Congo, dont certains sont des criminels de guerre, ce qui complique encore les tensions ethniques, les ressources et les terres dans l’est du pays. Enfin, l’incapacité du gouvernement et de la MONUSCO à protéger les civils ainsi que l’absence de responsabilité pour les crimes commis par les forces gouvernementales encouragent, de manière compréhensible, les habitants de l’est du Congo à former leurs propres groupes armés.
Depuis l’automne 2019, la violence a de nouveau augmenté dans l’est du pays, les groupes rebelles attaquant les civils en représailles à une nouvelle offensive gouvernementale. À Beni, des frustrations ont éclaté à propos de l’incapacité des Nations unies à protéger les civils massacrés par les forces rebelles. Les manifestants ont attaqué un complexe de l’ONU après que des soldats de l’ONU aient tué deux manifestants. Cette manifestation s’est accompagnée d’une semaine de fermeture d’entreprises et de manifestations de solidarité à Goma.
En 2020, la violence s’est encore aggravée et n’a jusqu’à présent bénéficié d’aucune couverture médiatique. Les attaques des rebelles, notamment les meurtres et les viols de masse, ralentissent les interventions des travailleurs humanitaires et du gouvernement contre le virus Ebola et le COVID-19 dans la région. En Ituri, au Nord-Kivu et au Sud-Kivu, plus de 1.300 personnes ont été tuées et plus de 500.000 personnes ont été déplacées au cours des huit derniers mois par les massacres de la population civile perpétrés par les rebelles. L’armée a exercé des représailles contre les rebelles, mais les soldats continuent de tuer et d’agresser sexuellement des civils de façon régulière. Ces actions empêchent toute forme de confiance entre le peuple congolais et les représentants de l’État, tant sur le plan sécuritaire que politique.
Quelle issue ?
Malgré son histoire tumultueuse de colonialisme et de néocolonialisme, le Congo n’est pas dans une situation désespérée. La solution à la pauvreté, à la guerre et à l’impérialisme réside dans le peuple congolais, et non dans le gouvernement actuel, ses alliés internationaux ou l’ONU. Les troubles du peuple congolais ne cesseront pas tant que le pays sera géré sur la base de politiques néolibérales et anti-pauvres, telles que dictées par le FMI/Banque mondiale, et tant que les énormes richesses minérales du Congo seront pillées par les multinationales et les troupes rebelles.
Les organisations de travailleurs sont faibles en RDC en raison des années de guerre et de dictature. Pourtant, ce n’est qu’en construisant des organisations indépendantes de travailleurs et de pauvres que l’on pourra briser l’emprise des pillards et des impérialistes locaux. La campagne soutenue pour la démission de Kabila et la grève générale “villes mortes” montrent la puissance émergente de la classe ouvrière congolaise. Ce genre de mouvements permet de tirer des leçons sur la manière d’élargir les protestations et les mouvements de grève, sur la manière de lier les questions sociales, les questions de sécurité et les questions démocratiques, sur la manière de s’organiser démocratiquement et sur la manière de lutter pour le droit de construire des syndicats indépendants et un parti des travailleurs et des opprimés.
Une lutte socialiste est nécessaire en RDC et c’est la seule façon de briser le cycle sans fin de la pauvreté, de la corruption, de la guerre et de l’exploitation. Les droits des minorités doivent être protégés. Les travailleurs doivent s’organiser pour se défendre contre l’exploitation et pour la nationalisation des ressources naturelles et du capital sous le contrôle démocratique des travailleurs, avec le soutien des pauvres des zones rurales. Les bénéfices des richesses minières du Congo doivent être investis dans l’éducation et les soins de santé. Les dettes de la RDC doivent être abolies. Les gouvernements et les politiciens du Congo bloquent le développement, car leurs intérêts sont ceux des multinationales, et doivent être renversés. Les travailleurs du monde entier doivent être solidaires des travailleurs du Congo pour atteindre ces objectifs.
Photographies de victimes du génocide au Centre du mémorial du génocide à Kigali Gisozi (Rwanda). Wikipédia
Comment le capitalisme a engendré la barbarie dans la région des Grands Lacs
En 1994, un événement d’une horreur inouïe et historique a eu lieu au Rwanda : le génocide des Batutsi et le massacre des Bahutu modérés. Cet événement qui fut médiatisé sidéra le monde entier. La barbarie à l’échelle industrielle entraina la mort de 800.000 à 1.000.000 de personnes en trois petits mois. 25 ans plus tard, c’est l’occasion de revenir sur les causes et les conséquences de ce massacre pour le Rwanda et toute la région.
Plus jamais ça !
C’est la réaction immédiate de toute personne prenant connaissance de cette folie meurtrière. Vient ensuite le temps de l’analyse. Cet ouvrage tente notamment d’expliquer le type de société qui a permis à ces funestes événements d’avoir lieu. Beaucoup de choses ont été écrites et dites sur le sujet. À la différence de beaucoup d’autres analyses, la méthode marxiste se base sur la division en classes de la société et du système de production capitaliste et ses contradictions, pour tenter de comprendre comment la société rwandaise a pu sombrer dans le génocide.
Comprendre le monde pour le changer, telle est la devise des marxistes. À contre-courant des analyses réductrices, racistes ou malthusiennes, ce livre veut être une contribution à l’élaboration d’un programme qui répond aux besoins socio-économiques dans la région, pour en finir définitivement avec les divisions sectaires, l’exploitation de l’Humain et de la nature par une minorité.
ALAIN MANDIKI est un militant syndical et politique, actif au sein du Parti Socialiste de Lutte / Linkse Socialistische Partij (PSL/LSP) en Belgique. Originaire du Kivu, il est notamment l’auteur de nombreuses analyses concernant l’Afrique, particulièrement la République démocratique du Congo. Il s’agit du premier livre concernant l’Afrique – et en particulier subsaharienne – publié par les éditions marxisme.be.
Le livre coûte 4€ (+3€ de frais de port, en cas de livraison)
Les partisans d’Alternative socialiste internationale (ASI) au sein du Mouvement socialiste démocratique (MSD), la section nigériane du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), après plus d’un an et demi de débats éreintants sur les idées et les méthodes du marxisme, ont décidé de s’organiser séparément et distinctement du MSD. Il s’agit du Mouvement pour une Alternative Socialiste (MSA), affilié à Alternative Socialiste Internationale (ASI).
Les conflits politiques au sein de l’ancien CIO, auquel le MSD est affilié, sont en eux-mêmes le reflet de cette période critique de l’instabilité du capitalisme mondial, qui met à l’épreuve non seulement les classes dominantes du monde entier, mais aussi toutes les organisations se réclamant de la classe ouvrière.
Alternative socialiste internationale, constituée par la majorité des sections de l’ancien CIO, poursuit la véritable tradition internationaliste reposant sur la classe ouvrière du CIO, l’ancien Secrétariat international et quelques autres sections ayant décidé de s’en éloigner.
Le déclenchement de la pandémie de Covid-19 a encore déchiré le tissu du capitalisme mondial, démontrant à tous qu’on ne peut pas compter sur un système uniquement motivé par l’avidité du profit pour répondre aux besoins des masses ouvrières et des pauvres à travers le monde. De pays en pays, nous avons vu comment la logique du profit et un secteur de la santé dirigé par le privé se sont révélés incapables de relever les défis de la pandémie.
Dans plusieurs pays, l’État capitaliste, contre la logique du système capitaliste qu’il protège, est intervenu directement avec des fonds dans le secteur de la santé, ainsi que dans d’autres secteurs de l’économie touchés par l’impact du confinement sur l’économie mondiale. Cet acte contribue à confirmer la supériorité des idées de propriété publique et de gestion démocratique de tous les secteurs clés de l’économie, tant de la production que de la distribution de biens et de services pour répondre aux besoins des masses laborieuses. Faut-il rappeler que les interventions de ces gouvernements, au Nigeria et ailleurs, sont la conséquence du refus des capitalistes d’assumer le fardeau de toute entreprise non rentable, et qu’elles sont aussi calculées pour atténuer les pertes des capitalistes locaux.
La question de l’aide à apporter à la grande majorité des personnes qui souffrent le plus des effets d’un arrêt de l’activité économique est au mieux une couverture pour détourner les fonds publics vers des poches privées. Jamais, à l’ère moderne, l’économie mondiale n’a autant souffert d’un arrêt de l’activité économique. Le Nigeria, en particulier, sera l’un des pays les plus durement touchés par le ralentissement économique de l’après-Covid-19, qui a déjà déclenché la récession de l’économie mondiale. Le Covid-19 a révélé que des millions de personnes dans divers pays sont pauvres et vulnérables et qu’elles doivent compter sur des aides de l’État ou d’autres sources pour assurer leur subsistance ; ces aides se sont révélées être une goutte d’eau dans un océan de misère pour beaucoup.
Cela a sans doute mis en pièces la façade de l’intervention sociale mise en place par le régime populiste du président Buhari, régime plus que jamais détesté par les masses laborieuses. Il est clair que le gouvernement n’a plus de crédit, si ce n’est parmi les quelques élites qui bénéficient matériellement de son existence. Une colère palpable contre la conduite insensible du régime en période de crise humanitaire persiste au sein de la population. Le régime a poursuivi ses activités de corruption pendant la pire crise humanitaire du siècle ; les transferts d’argent et de matériel de secours ont été acheminés par le biais du système habituel de corruption sans atteindre ceux auxquels ils étaient destinés.
Inutile de dire que, durant cette période, le pillage ahurissant du Trésor public s’est poursuivi ; les élites ont reçu leurs salaires obscènes et se sont fait livrer des voitures luxueuses. L’assouplissement de la politique de confinement ne repose sur aucun succès ni aucune percée médicale dans la lutte contre la pandémie de Covid19. Le régime est complètement paralysé et a fait preuve d’un faux sentiment de surprise face à l’état désastreux des établissements de santé du pays. Les élites dirigeantes devraient être tenues pour responsables des conditions meurtrières des installations sanitaires au Nigeria, étant donné l’insuffisance croissante des budgets alloués au secteur de la santé, et la préférence des élites dirigeantes pour se rendre à l’étranger pour toute forme de traitement médical.
De plus, l’assouplissement du confinement est assorti de tous les dangers d’une augmentation du taux d’infection, car il n’y a pratiquement rien ou presque sur le terrain, tant en ce qui concerne le dépistage que les équipements de protection nécessaires à la sécurité des travailleurs de la santé. En fait, l’assouplissement de la politique de confinement n’est pas non plus lié à la famine massive qui frappe la grande majorité des Nigérians vivant dans la pauvreté, les travailleurs en chômage ou les millions de travailleurs informels. Le régime est davantage préoccupé par les pertes des milliardaires et la perte des gains provenant d’impôts illégaux multiples.
Personne n’est sûr de l’ampleur des pertes qui attendent l’humanité dans la période à venir, si la recherche d’un vaccin et sa diffusion sont principalement motivés par la recherche de profits. Avec environ 7 millions de cas d’infection confirmés et un taux de mortalité qui dépasse aujourd’hui officiellement les 400.000 personnes dans le monde, l’avenir semble plus sombre, si des changements drastiques ne sont pas apportés dans la gestion des ressources en faveur des besoins des masses laborieuses. Mais un fait est certain pour les Nigérians : ils subiront les effets du marasme économique créé par des années de corruption et de sous-développement, aggravé par la pandémie. Des entreprises ont déjà commencé à licencier des travailleurs en silence, une situation facilitée par des décennies de législations anti-travailleurs.
Certaines de ces entreprises utilisent le prétexte du ralentissement de la propagation du Covid-19. Notre position est que toute entreprise incapable de maintenir ses effectifs pendant cette période au nom des pertes devrait ouvrir sa comptabilité à l’examen du public et, en cas de faillite avérée, être reprise publiquement. Le gouvernement de l’État de Kaduna, sous la direction de Nasir el Rufai, a ouvert la voie aux gouvernements des États dans les attaques contre les travailleurs en réduisant les salaires des travailleurs de 25 %. Le gouvernement fédéral lui-même est sur le point de fusionner les ministères, départements et agences du gouvernement, un exercice qui entraînerait une perte importante d’emplois publics, contrairement aux déclarations du ministre du travail.
Dans le cadre des conditions que le gouvernement a convenues avec le FMI, le prix de l’essence, chaque fois que le pétrole prend de l’élan sur le marché international, serait déterminé par les intérêts des négociants en pétrole ; des intérêts qui sont en contradiction avec les transports publics ou encore les vendeurs de fruits. Le gouvernement n’a pas caché qu’il se cache derrière Covid-19 pour revenir sur les petites avancées issues de la lutte pour un meilleur salaire minimum. Il observe jusqu’où ira l’endurance du peuple. Nous entendons souvent l’idée que les Nigérians peuvent s’adapter à n’importe quelle condition, aussi dure soit-elle.
Cette notion est fausse. Les Nigérians sont actuellement en colère face aux conditions actuelles, qui sont sans aucun doute pâles par rapport à ce qui est à venir. Mais l’absence d’une direction du peuple opprimé capable de lui donner un programme, une coordination est la cause de la frustration souvent confondue avec l’indifférence des masses à l’égard de leurs conditions misérables. La direction du mouvement ouvrier pendant cette crise a une fois de plus démontré sa réticence et son impréparation à prendre l’histoire par les cornes au nom des masses ouvrières, et à fournir une direction pour améliorer les conditions de vie des masses. Une crise comme celle-ci révèle la véritable orientation des socialistes ou des militants, en raison de l’absence de tout compromis possible.
Les minuscules forces du marxisme ne peuvent actuellement déloger les dirigeants syndicaux et diriger les masses ouvrières dans une lutte pour mettre fin à la domination du capital et commencer la transformation socialiste de la société. Elles doivent nécessairement se fixer pour objectif d’organiser la base de la classe ouvrière afin de démocratiser leurs syndicats et de briser les entraves de la direction bureaucratique qui les transforme en victimes d’une crise économique que les élites dirigeantes ont créée, afin de construire un nouveau courant de dirigeants syndicaux qui s’imprégnera du programme révolutionnaire du marxisme comme instrument d’organisation de la classe ouvrière. C’est la tâche qui attend le MAS : atteindre et développer les forces du marxisme et approfondir les racines de la conscience socialiste parmi les masses ouvrières, sur les lieux de travail et dans les usines, les communautés et les écoles.
Nous entrons dans une période où la défense des idées marxistes dans l’organisation de masse des travailleurs, de la jeunesse et des opprimés est nécessaire pour construire une nouvelle génération de cadres trotskystes dans le mouvement ouvrier et parmi la jeunesse. Il est devenu évident que le capitalisme est globalement inefficace, tout particulièrement dans un pays néocolonial. Il y est incapable de s’acquitter des tâches les plus fondamentales du capitalisme traditionnel comme des transports efficaces, l’approvisionnement en électricité, la répartition des terres, un enseignement décent, de bons logements, etc. Pour l’instant, le gouvernement va chercher à dépenser les ressources de l’État au bénéfice d’industries moribondes et d’entreprises privées afin de “relancer” l’économie, mais cela reviendra à organiser une fête de Noël pour la bande de capitalistes du Nigeria, et les masses laborieuses ne sont pas invitées.
En fin de compte, la tâche qui attend la classe ouvrière est de prendre le contrôle absolu des secteurs clés de l’économie, de planifier la production et la distribution sur base des nécessités sociales. Nous convaincrons les travailleurs, par nos luttes collectives aux barricades, que les “petites victoires” ne peuvent à elles seules résoudre le problème fondamental du système capitaliste. Elles ne peuvent pas faire disparaître la soif de profit aux dépens de la satisfaction des besoins sociaux. Nos luttes doivent être liées au renversement du système capitaliste qui crée des souffrances interminables pour les masses travailleuses. C’est le sens même qu’il faut donner au meurtre de George Floyd par un policier blanc et au mouvement de masse qui s’est développé aux États-Unis pour mettre fin au racisme et à la discrimination contre les Noirs. Le cadre futur de la confrontation avec le capitalisme aux États-Unis est déjà en train d’être défini.
La nécessité de la solidarité entre tous dans les communautés et sur les lieux de travail ainsi que le fait que les syndicats peuvent servir d’organes d’unité de la classe ouvrière et des pauvres se reflètent maintenant dans cette lutte tumultueuse. La possibilité d’un effet de spirale du mouvement américain dans le monde entier, même si ce n’est pas à l’échelle du processus de révolution et de contre révolution en Afrique du Nord et au Moyen Orient en 2011, se fera forcément sentir au-delà des États-Unis. Elle incitera les jeunes d’un pays comme le Nigeria à affronter la nature terriblement antidémocratique du système capitaliste. Il faut se féliciter du fait qu’il inspire déjà des mouvements contre la brutalité policière et les agressions sexuelles et qu’il suscite des préoccupations similaires dans d’autres parties du monde. Aux États-Unis, le mouvement “Black Lives Matter” contre le racisme a mis en évidence la tâche qui attend les socialistes : comment accueillir une nouvelle génération de jeunes et de travailleurs pour lutter et les aider dans leur quête d’idées correctes sur la manière dont la société peut être réorganisée.
Les socialistes sont maintenant d’autant plus confrontés à la question de savoir comment s’orienter vers un mouvement de réforme sans rejeter les revendications immédiates, mais en liant, par leur implication, l’agitation pour les réformes à la nécessité de la transformation socialiste de la société. Nous sommes confiants que d’autres parties du monde, en particulier le Nigeria, retrouveront leur position combative, que la confiance sera restaurée et que le mouvement de masse se relèvera. Les masses, comme leurs homologues américaines, vont plus tôt que prévu jeter par-dessus bord les chaînes du confinement et inspirer la classe ouvrière à se manifester et à fournir la direction nécessaire aux masses pour faire face à une plus grande pandémie dans le monstre que constitue le capitalisme, le renverser et organiser la société sur la base de la satisfaction des besoins sociaux des masses par opposition aux profits des quelques membres du club des milliardaires.
Si vous êtes d’accord avec nous, rejoignez-nous aujourd’hui dans le Mouvement pour une Alternative Socialiste (MAS) pour lutter pour la libération socialiste du Nigeria et du monde entier des chaînes de l’oppression capitaliste qui tient l’humanité en rançon, et ce faisant, abolir la pauvreté, le chômage, le sans-abrisme et la faim
Depuis 1997, les guerres ont fait six millions de morts au Congo, où l’espérance de vie est de 46 ans. Pourtant, cette horrible situation ne reçoit que peu d’attention de la part des médias occidentaux. Dans cet article initialement publié en anglais en 2013, PER-ÅKE WESTERLUND (Alternative socialsite internationale) passe en revue le livre « Congo. Une histoire » de David Van Reybrouck, un ouvrage qui pose de bonnes bases pour une meilleure compréhension de ce conflit.
Introduction, par Eric Byl
Per-Ake Westerlund a écrit une excellente critique du livre “Congo, une histoire” de David Van Reybrouck. Le titre – “Une histoire de pillage colonial et capitaliste” – est correct. Le livre contient suffisamment d’interviews, de faits et de chiffres pour le justifier. Rien que pour cela, le livre vaut la peine d’être lu. Mais nous voulons attirer l’attention sur un certain nombre de conclusions décevantes tirées dans celui-ci. Ces conclusions ont suscité une certaine controverse au moment de la publication de ce livre au début de l’année 2010.
David Van Reybrouck est un bon écrivain. Il a remporté plusieurs prix littéraires avec son livre “Congo, une histoire”. Les médias ont salué l’ouvrage comme un chef-d’œuvre, un magnus opum historique. L’année de sa publication, le livre a immédiatement absorbé la plupart des subventions de traduction disponibles auprès du gouvernement flamand. Dans une interview, Van Reybrouck a admis que le livre contient des erreurs factuelles, mais il décrit son oeuvre comme une “cathédrale”. “Une fois que vous avez construit cela, vous ne vous souciez pas d’un petit chien qui urine contre le mur”, ajoute-t-il un peu irrité. Il avait initialement espéré en vendre 10.000 exemplaires, mais en septembre 2012, l’édition néerlandaise à elle seule s’était écoulée à un quart de million de livres. Il est difficile de ne pas être impressionné par la quantité de faits, le style fluide et l’énorme bagage culturel de l’auteur.
Mais, comme Van Reybrouck le souligne lui-même, ce livre n’est pas “l’histoire” du Congo, au mieux “une” histoire ou plus exactement, une interprétation de celle-ci. L’histoire de Van Reybrouck n’est absolument pas l’histoire de la prétendue oeuvre civilisatrice paternaliste de ceux qui défendent ouvertement le “l’Etat indépendant du Congo” ou la colonisation belge du Congo. Il serait difficile aujourd’hui de nier l’horreur du pillage du Congo sous Léopold II, le célèbre roi belge de l’époque. Les faits de l’horreur ont été archivés et documentés, par exemple dans le livre “Les fantômes du roi Léopold” d’Adam Hochschild publié en 1998.
À première vue, les nombreux récits, interviews et citations utilisés par Van Reybrouck semblent le confirmer. Jusqu’à ce que Van Reybrouck, dans sa conclusion, commence inopinément à apporter des nuances dans le rôle de Léopold II. Le roi de Belgique n’aurait pas prévu le traitement brutal de la population noire pour son profit personnel. Et même si ce fut un “bain de sang d’une ampleur incroyable”, il n’était pas “censé en être un”. Parler d’un génocide ou d’un holocauste”, selon Van Reybrouck, est donc “grotesque”. Pourtant, il décrit lui-même dans le livre comment des villages et des tribus entières ont été massacrés par vengeance. Il rappelle comment Leopold a demandé l’aide de l’école de médecine tropicale de Liverpool pour lutter contre la maladie du sommeil. Pour Van Reybrouck, cela “prouve que les massacres n’ont jamais été son intention”.
Ceux qui connaissent la rhétorique classique en Belgique concernant l’État indépendant, le Congo belge et les ouvrages de référence en la matière ont inévitablement le sentiment que la vague de faits relatés par Van Reybrouck ne sert que de tremplin pour disposer de plus de crédibilité lorsqu’il s’agit de peaufiner le rôle de Léopold. Dans son “compte rendu des sources”, Van Reybrouck affirme que le livre de Hochschild “est malheureusement plus basé sur un talent pour l’indignation que sur un sens de la nuance”. Ce livre serait trop “manichéen”. Il est vrai que le nombre de décès causés par la politique du caoutchouc est surestimé dans le livre de Hochschild. Il y a eu plutôt 3 à 5 millions de morts au lieu de 10 millions. Le mauvais chiffre provient d’une extrapolation incorrecte des chiffres de Stanley. Mais sinon, Hochschild s’avère être un historien plus fiable que Van Reybrouck.
Van Reybrouck apporte une histoire intéressante et convaincante, mais il ne parvient pas à expliquer tous les tournants importants. Dans ses quelques paragraphes traitant de la période d’acquisition de l’indépendance, Per-Ake est beaucoup plus précis que Van Reybrouck sur les problèmes fondamentaux de l’époque. Mais Per-Ake reste amical envers Van Reybrouck. Ce dernier “suggère” non seulement que la crise qui a suivi l’indépendance était liée au départ de la Belgique, mais aussi que Lumumba avait provoqué sa propre mort par “une accumulation de gaffes et d’erreurs de jugement”, comme la “gifle” au roi, l’africanisation soudaine de l’armée, l’appel à l’aide de l’ONU et plus tard de l’Union Soviétique et les activités militaires au Kasaï. Le fait que Lumumba soit une menace pour les intérêts de l’ancienne élite coloniale et qu’il fasse obstacle à la nouvelle élite noire avide de sa part du gâteau n’était pas si important pour Van Reybrouck. Le fait qu’il aurait eu besoin d’un programme socialiste et d’un parti capable de mettre en œuvre un tel programme pour répondre aux demandes sociales, économiques et démocratiques de la population du Congo, serait considéré par Van Reybrouck comme des éléments dépassés. Au contraire, dit Van Reybrouck dans une interview avec Colette Braeckman du quotidien Le Soir, la tragédie du Congo est celle d’un idéalisme impatient, de tentatives d’accomplir de grands changements du jour au lendemain. Van Reybrouck se considère comme ayant un point de vue pragmatique plus critique.
Malgré la publication du livre révélateur “L’assassinat de Lumumba” par Ludo De Witte en 1999, Van Reybrouck affirme que la Belgique n’était pas impliquée dans le complot pour la sécession de Katanga et que le meurtre de Lumumba était la décision exclusive des autorités du Katanga. Dans une réaction au livre de Van Reybrouck, Ludo De Witte dit qu’il est “bien composé, mais pas selon la vérité”. “Van Reybrouck a écrit une histoire dans laquelle de nombreuses interventions occidentales sont massées”. La décision de démettre Lumumba de ses fonctions était un plan conjoint des autorités de Léopoldville et de “leurs conseillers belges” – Van Reybrouck ne mentionne pas, une fois de plus, le gouvernement belge. Il est difficile pour M. Van Reybrouck de le nier sans nuire totalement à sa crédibilité. Il s’attaque donc à Lumumba qui était très “ambitieux” et avait parfois “tendance à parler la langue de son public”. Selon Van Reybrouck, la position économique de Lumumba était plus proche du libéralisme que du communisme, “il comptait sur les investissements privés de l’étranger et non sur la collectivisation. C’était un nationaliste, pas un internationaliste. En tant qu’évolué, il faisait partie de la première bourgeoisie congolaise et ne connaissait pas la notion de révolution prolétarienne”.
Van Reybrouck brasse un cocktail de demi-vérités et de catégories rigides. Dans le contexte du Congo, le terme “nationaliste” n’a pas le sens étroit que Van Reybrouck lui donne, il signifie défendre l’unité au-delà des divisions ethniques et tribales et, dans le cas de Lumumba, également le panafricanisme. Il faut voir cela au regard des tribalistes qui ne défendent que les intérêts de leur propre groupe ethnique, comme Tschombe et Kasavubu, le favori de Van Reybrouck. Les Etats-Unis craignaient que Lumumba ne finisse comme Fidel Castro, que la révolution coloniale ne le fasse passer d’une position libérale à une position communiste. Ludo De Witte explique que ce n’est pas tant le discours de Lumumba le jour de l’Indépendance, mais plutôt l’africanisation de la Force Publique qui a desserré l’emprise de l’ancienne puissance coloniale, qui a conduit à la décision des puissances occidentales, de la Belgique, de la CIA, de l’ONU et de leurs complices à Léopoldville, au Kasaï et au Katanga de faire chuter Lumumba. Le chapitre “Le nationalisme de Lumumba : une évaluation provisoire” souligne à juste titre l’évolution rapide des opinions politiques de Lumumba.
Dans son livre, Van Reybrouck cite abondamment un “partisan acharné” de Lumumba, un certain Mario Cardoso. Il s’agit cependant de l’un des jeunes commissaires généraux nommés par Mobutu après son premier coup d’État en 1960. Il deviendra plus tard ministre de l’éducation et ministre des affaires étrangères sous Mobutu. C’est lui qui affirme que Mobutu ne voulait que rétablir l’ordre qui avait été perdu à cause des combats entre Kasavubu et Lumumba, Van Reybrouck qualifie cela de “chamailleries”. Van Reybrouck pense qu’il doit apporter des nuances dans la “glorification de Lumumba” et la “diabolisation de Mobutu”. Il ne faut pas confondre le Mobutu de la fin de son régime avec celui du début, nous enseigne Van Reybrouck. C’est peut-être une coïncidence, mais Mobutu se porte bien aux yeux de Van Reybrouck tant qu’il est un ami de l’Occident. Lorsque cette amitié n’est plus tenable pour celle-ci, Mobutu est également rejeté par Van Reybrouck.
J’ai relu le livre “Le Dinausaure” de Colette Braeckman, un livre publié en 1992. De nombreux faits apparaissent dans les deux livres. Braeckman parvient à expliquer la logique qui sous-tend la méthode de l’ère Mobutu, tandis que Van Reybrouck ne va pas au-delà de la constatation que Mobutu, au début de sa période, n’était pas le dictateur brutal qu’il allait devenir. Le scientifique et commentateur belge Dirk Draulans indique que dans “Congo, une histoire”, on en apprend plus sur la superstar Werrason et ses liens avec une brasserie que sur le meurtre du président Laurent-Désiré Kabila. Il faut lire entre les lignes pour comprendre que le personnel bien payé de l’opération de paix de l’ONU, la MONUC, n’est pas sorti du périmètre de sécurité de ses camps. Van Reybrouck a naturellement utilisé les bonnes installations de la MONUC, mais il a aussi été immédiatement fortement influencé par l’environnement intellectuel qu’il préfère.
« Congo, une histoire » reste un livre intéressant avec beaucoup d’informations. Le lecteur ne doit pas s’inquiéter quand il y a des tournures soudaines et difficiles à comprendre dans le livre, c’est à cause de l’auteur. L’histoire est généralement écrite par ceux qui ont gagné et ils s’assurent que leur idéologie, ou celle de la classe qu’ils représentent, devient la version officielle de l’histoire. Van Reybrouck ne brise pas ce point de vue, mais le confirme. Est-ce consciemment ou par naïveté ? Nous ne nous prononçons pas. Sous le couvert de la dénonciation de l’exploitation capitaliste, “Congo, une histoire” devient finalement l’une des meilleures excuses pour l’Etat indépendant du Congo, les autorités coloniales et leurs régimes fantoches ultérieurs.
Congo : une histoire de pillage capitaliste
Le Congo a eu de nombreux noms depuis la période du royaume féodal du Congo. L’État indépendant du Congo de 1885-1908 était la propriété du roi Léopold II de Belgique. Le Congo belge a existé de 1908 à 1960. Onze ans après l’indépendance en 1960, le dictateur Mobutu Sese Seko a rebaptisé le pays Zaïre. Après le renversement de Mobutu, le pays a été officiellement appelé République démocratique du Congo, RDC ou simplement “Congo”.
Le delta du fleuve Congo fut le centre de la traite des esclaves vers les Amériques de 1500 à 1850. Quatre millions d’esclaves ont été enlevés de la région et toutes les structures sociales existantes ont été détruites. Lorsque la colonisation de l’Afrique a pris son essor, le roi Léopold II a obtenu le soutien des principales puissances coloniales pour s’emparer de ce pays géant en tant que propriété privée. Officiellement, Leopold II était opposé à la traite d’esclaves. En réalité, il a régné par la terreur. Le pays a d’abord été pillé de son ivoire, puis de son caoutchouc. Leopold “a utilisé un État, le Congo, pour donner une nouvelle étincelle à son autre État, la Belgique”, écrit David Van Reybrouck dans son livre “Congo : Une histoire”.
La course au caoutchouc a entraîné l’effondrement de l’agriculture. La famine était très répandue. Lorsque le contrôle du Congo est passé à l’État belge, le pays a été divisé de façon systématique. Pour la première fois, les habitants étaient classés comme appartenant à certaines races et tribus. Ce système a également été introduit par la Belgique au Rwanda et au Burundi après la première guerre mondiale. L’apposition de la mention “Hutu” ou “Tutsi” sur les passeports et les documents a conduit à une division qui a culminé avec le massacre des Tutsis au Rwanda en 1995 – et aux guerres qui ont suivi.
Sous Léopold II, le Congo a également attiré des milliers de missionnaires chrétiens, notamment de Suède. Ceux-ci sont devenus un outil de la puissance coloniale, en particulier les catholiques : “Les écoles des missions sont devenues des usines à répandre les préjugés sur les différentes tribus.” Les écoles religieuses censuraient tout ce qui était rebelle, en évitant, par exemple, de parler de la révolution française. Si le message d’obéissance du christianisme a été encouragé, les mouvements religieux critiques ont subi une dure répression. Le prédicateur Simon Kimbangu a été arrêté en 1921. Il est mort en prison 30 ans plus tard. Ses disciples, les Kimbanguistes, ont été déportés et persécutés, mais constituent toujours un grand mouvement au Congo.
Avec la découverte des vastes richesses naturelles du Congo, le pays s’est industrialisé. La société minière dominante, l’Union Minière, dirigeait son propre appareil d’État totalitaire au Katanga, dans le sud-est, où étaient exploités le cuivre, le manganèse, l’uranium, l’or et d’autres ressources précieuses. L’huile de palme est devenue la matière première des savons, ce qui a posé les bases de la construction de la multinationale actuelle Unilever.
La classe ouvrière est passée de quelques centaines en 1900 à 450.000 en 1929, puis à près d’un million pendant la seconde guerre mondiale, lorsque l’industrie minière a connu un grand essor. L’uranium du Katanga a été utilisé dans les premières bombes atomiques. Le Congo est devenu le deuxième pays subsaharien le plus industrialisé, après l’Afrique du Sud.
Mais les conditions des travailleurs et des pauvres ne faisaient pas partie de ce développement économique. La colère a conduit à des grèves et des émeutes au début et à la fin de la guerre. 60 mineurs ont notamment été tués lors d’une manifestation de masse à Elizabethville (aujourd’hui Lumbumbashi) au Katanga. Les dirigeants des grèves étaient traqués. Certains groupes ou tribus ont été désignés comme “fauteurs de troubles”, une approche qui cadrait dans la stratégie générale de “diviser pour mieux régner”.
Dans les mines ou dans les divers services autour de l’industrie, les travailleurs s’attendaient à connaître des améliorations une fois la guerre finie. Il n’en allait pas autrement pour les soldats qui avaient servi avec les “Alliés” en Abyssinie, en Egypte et en Birmanie. Mais le racisme a persisté. Les Africains pouvaient toujours être fouettés en public, devaient se tenir au bout des files d’attente et se voyaient interdire l’accès aux bains publics. Les syndicats étaient toujours illégaux. Des élections locales ont bien été introduites dans certaines villes, mais tout bourgmestre était avant tout subordonné au “premier bourgmestre” belge.
Mais une explosion de révolutions coloniales et de guerres de libération a éclaté dans le monde. La Grande-Bretagne, les Pays-Bas et les États-Unis ont été contraints de renoncer à l’Inde, à l’Indonésie et aux Philippines. En Algérie et en Indochine, la lutte armée se poursuivait contre les troupes coloniales françaises. En 1958, le Ghana fut le premier pays subsaharien à accéder à l’indépendance.
“En 1955, il n’y avait encore aucune organisation nationale qui rêvait d’indépendance”, écrit Van Reybrouck. Cinq ans plus tard, le pays était officiellement indépendant. Le calme trompeur a été rompu en 1956 par la montée de l’agitation sociale. Un manifeste de liberté a été proposé par L’Alliance des Bakongo (Association des Bakongo pour l’unification, la conservation et l’expansion de la langue kikongo ou ABAKO), une organisation tribale à l’origine qui était dirigée par Joseph Kasa-Vubu.
Deux ans plus tard, le Mouvement national congolais (MNC) fut créé, avec Patrice Lumumba à sa tête. Son but était de libérer le Congo de l’impérialisme et de la domination coloniale. Les réactions furent énormes. Lumumba a visité le nouvel Etat du Ghana, où il a rencontré le leader du pays, Kwame Nkrumah. A son retour au Congo, 7.000 personnes s’étaient rassemblées pour écouter son rapport.
En janvier 1959, le Congo a explosé. Le premier bourgmestre belge a interdit un rassemblement à Kinshasa, ce qui a entraîné des émeutes. L’armée a été utilisée à pleine puissance, tuant jusqu’à 300 personnes et en blessant beaucoup d’autres. Les troubles se sont étendus au Kivu, au Kasaï et au Katanga.
Finalement, il a été convenu que le Congo devrait devenir indépendant le 30 juin 1960 – une année au cours de laquelle 17 États africains ont obtenu leur indépendance. Il s’agissait d’une indépendance politique formelle, mais les sociétés multinationales ont pu fonctionner comme avant et étaient autorisées à agir conformément au droit belge. Trois jours avant l’indépendance, le Parlement belge a aboli le pouvoir congolais sur l’Union Minière, l’entreprise dominante du pays. Tous les officiers de l’armée et les plus hauts fonctionnaires étaient belges.
Mais les espoirs d’un changement réel étaient grands et le MNC de Lumumba a remporté les premières élections. Mais les partis régionaux avaient également bénéficié d’un grand soutien : le MNC-K dissident dirigé par Albert Kalonji au Kasaï, la Confédération des associations tribales du Katanga (CONAKAT) dirigée par Moïse Tshombe au Sud-Katanga et l’ABAKO au Bas-Congo. Kasa-Vubu est devenu président, avec Lumumba comme premier ministre.
La déposition de Lumumba
Le Congo, comme d’autres anciennes colonies, était économiquement dominé par l’ancienne puissance coloniale et les sociétés multinationales. La seule façon de rompre réellement avec cette situation aurait été une politique socialiste démocratique comprenant la nationalisation des richesses naturelles. Et, si elle avait été dotée d’une direction véritablement socialiste, la classe ouvrière internationale lui aurait apporté un soutien massif. Le Congo, cependant, ne disposait pas d’un mouvement socialiste démocratique à l’échelle nationale parmi les travailleurs et les pauvres des zones rurales.
Les États staliniens, comme l’Union soviétique et la Chine, avaient démontré qu’une économie planifiée pouvait faire de grands progrès, malgré leur régime oppressif et dictatorial. Mais ni Moscou ni Pékin ne voulaient soutenir un mouvement révolutionnaire qui échappait à leur contrôle. Ils préféraient les régimes bourgeois avec lesquels ils pouvaient traiter.
La crise qui a suivi immédiatement l’indépendance n’est pas due au fait que la Belgique a quitté le pays trop rapidement, comme semble le suggérer Van Reybrouck. Cela était dû à l’absence d’un mouvement des travailleurs avec un programme clair. Un nouveau gouvernement a été formé, mais ses membres étaient instables, son programme peu clair. La situation a été saisie par la Belgique, qui a envahi le Katanga avec 10.000 soldats en quelques jours. Officiellement, il s’agissait de protéger les citoyens belges. En réalité, il s’agissait de garder le contrôle sur l’industrie minière. Ils ont encouragé Tshombe à décréter l’indépendance, et l’Union Minière a financé son règne.
Lumumba n’a été en fonction que pendant deux mois, dans un pays en rapide déclin. Des milliers de personnes sont mortes dans les combats qui ont accompagné les tentatives de sécession du Katanga, du Kasaï, riche en diamants, et du Kivu. Lumumba a fait appel à l’ONU pour obtenir son soutien, ainsi qu’à Nikita Khrouchtchev, qui a envoyé de la nourriture, des armes et des véhicules. La crise du Congo a éclaté au beau milieu de la guerre froide entre les États-Unis et la Russie stalinienne. L’armée américaine avait besoin de minerais du Congo, par exemple du cobalt pour ses missiles. Début septembre, Lumumba a été déposé par Kasa-Vubu.
Dix jours après l’éviction de Lumumba, le chef d’état-major de l’armée, Mobutu, a mené son premier coup d’État, soutenu par la CIA. Lumumba a été placé en résidence surveillée. Le gouvernement belge et le président américain, Dwight Eisenhower ont donné le feu vert à son assassinat. Après avoir été torturé et transporté au Katanga, Lumumba a été abattu devant des dirigeants locaux, dont Tshombe.
Lumumba n’était pas un socialiste explicite et il lui manquait un mouvement populaire conséquent et des armes. Mais il était considéré comme un combattant radical de la liberté, pas seulement en Afrique, et ses partisans parlaient de révolution. Son imprévisibilité et les attentes qu’il a créées ont effrayé les puissances impérialistes. Ces dernières avaient bien vu comment la situation avait évolué vers une révolution à Cuba alors que le mouvement de libération de ce pays n’avait pas de programme socialiste au départ. L’impérialisme américain est intervenu pour renverser Lumumba, en utilisant la CIA, et à l’ONU.
L’Union soviétique et la Chine n’avaient d’ailleurs aucun intérêt à soutenir des révolutions, surtout si elles avaient pour but de développer une véritable démocratie ouvrière. En fait, elles n’avaient même pas de plans pour de nouveaux États staliniens. Ce n’est qu’après l’abolition du capitalisme par les régimes ou les mouvements de guérilla que Moscou et Pékin ont apporté leur soutien, afin de les faire entrer dans leurs sphères d’influence et, dans la mesure du possible, de les placer sous leur contrôle.
La dictature de Mobutu
La guerre pour reprendre le Katanga s’est poursuivie jusqu’à la fin de l’année 1962. Elle a été menée avec l’aide de troupes de l’ONU. C’est au cours de ces batailles que le secrétaire général de l’ONU, Dag Hammarskjöld, a été tué dans un accident d’avion suspect en septembre 1961. Les troubles et la rébellion se sont poursuivis jusqu’au milieu des années 1960. Une rébellion rurale d’inspiration maoïste a été réprimée dans le centre du Congo. Au Burundi, Laurent Kabila a formé les forces de ce qu’on a appelé la “rébellion simba”, avec une forte rhétorique anti-américaine et anti-catholique. Pendant une courte période, même Che Guevara a participé à la guérilla, bien qu’il soit rapidement retourné en Amérique latine.
Les États-Unis et Tshombe au Katanga soutenaient désormais le gouvernement de Léopoldville (Kinshasa) contre les soulèvements. Tshombe a remporté les élections en 1965, mais il était considéré comme trop peu fiable par les États-Unis et les puissances occidentales. Le 25 novembre, a lieu le deuxième coup d’État de Mobutu, ce dernier restant cette fois-ci dictateur jusqu’en 1997.
Van Reybrouck décrit comment le régime de Mobutu est devenu une dictature étrange, brutale et corrompue. Bien qu’étroitement alliée aux États-Unis et à Israël, elle a également pris beaucoup de ses caractéristiques du régime de Mao Zedong en Chine. Seuls les noms et les musiques indigènes étaient autorisés. Le culte de la personnalité était intense, avec jusqu’à sept heures d’hommages musicaux à Mobutu à la télévision chaque jour. En 1971, il a rebaptisé le pays Zaïre.
Lorsqu’un mouvement étudiant s’est développé au Congo en 1968-69 – parallèlement aux manifestations étudiantes en Europe et aux États-Unis – Lumumba en était le héros. Mais cette mobilisation a été écrasée lors d’un massacre en 1969. Trois cents personnes ont été tués (officiellement, six !), et 800 ont été condamnés à de longues peines de prison.
Le grand potentiel agricole du Congo a été dilapidé et Mobutu a dû importer de la nourriture. L’inflation a augmenté rapidement et l’État a emprunté jusqu’à un tiers du budget dans les années 1970. Comme beaucoup d’autres pays africains, le Congo s’est retrouvé dans les griffes du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. Leurs programmes d’ajustement structurel ont imposé des privatisations et des réductions de budgets. Le Congo a réduit le nombre d’enseignants en peu de temps de 285.000 à 126.000, transformant son taux d’alphabétisation élevé en la situation actuelle, où 30 % sont analphabètes.
À la fin des années 1980, des mouvements de protestation contre les politiques du FMI et les dictatures ont vu le jour dans toute l’Afrique. De nouveaux partis politiques, associations et syndicats ont vu le jour. Le 16 février 1992, des prêtres et des églises ont organisé la “marche de l’espoir” dans plusieurs villes pour protester contre la fermeture d’une conférence sur la démocratisation. Plus d’un million de personnes y ont participé. Trente-cinq manifestants ont été tués lors de la répression. En 1993, Mobutu a mis un terme à toute discussion sur la démocratisation et a repris le contrôle total. L’inflation a explosé, atteignant 9.769 % en 1994. Mobutu a été contraint d’introduire un billet de cinq millions de dollars du Nouveau Zaïre.
C’est après des années de dictature et d’aggravation de la crise économique, lorsque tout espoir de changement s’est éteint, que la violence ethnique a éclaté. Au Katanga, des groupes ont demandé aux migrants du Kasaï de “rentrer chez eux”. Le même langage a été utilisé contre les Tutsis du Kivu – appelés “banyarwanda” (“du Rwanda”). “Dans les années 80, personne ne connaissait l’origine ethnique de ses camarades de classe, tout cela a commencé dans les années 90. Ma petite amie était tutsie, et je ne le savais même pas”, a expliqué Pierre Bushala, de Goma, à Van Reybrouck. Ce dernier a écrit que la violence ethnique était “une conséquence logique de la pénurie de terres dans une économie de guerre au service de la mondialisation”. Au Kivu, des milices mai-mai nationalistes ont été formées. Elles se sont battues pour les terres agricoles, le contrôle des villages et des mines.
Six millions de morts
En 1994, le massacre de 800.000 Tutsis a eu lieu au Rwanda. Presque immédiatement, le Rwanda a été envahi et contrôlé par une armée tutsie dirigée par le président actuel, Paul Kagame. Plus de deux millions de Hutus ont fui, dont 1,5 million au Zaïre/Congo. L’ancien chef de la guérilla, Laurent Kabila, et son mouvement, l’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL), officiellement dirigée par des Rwandais qui chassaient les Hutus. C’est devenu une guerre contre le Zaïre de Mobutu. Jusqu’à 300.000 réfugiés hutus ont été tués.
Après une courte guerre, Kabila a renversé Mobutu et s’est imposé comme le nouveau chef de l’État dans un pays rebaptisé Congo. Mais Kabila a rapidement imité les méthodes de Mobutu.
Kabila a réalisé que les régimes du Rwanda et de l’Ouganda étaient intervenus pour leurs propres intérêts, et il a rompu avec eux. Le Rwanda fut à nouveau envahi, et la deuxième guerre du Congo a éclaté en 1998. Six millions de personnes sont mortes des suites des guerres depuis lors, la plupart de maladie et de famine. De nombreux autres pays ont été attirés dans le conflit, comme l’Angola, le Zimbabwe et la Libye du côté congolais contre l’Ouganda et le Rwanda. Van Reybrouck explique dans son livre comment ces deux derniers ont exporté de grandes quantités d’or du Congo pendant la guerre.
En janvier 2001, Laurent Kabila a été abattu par un de ses gardes du corps. Son fils, Joseph, lui a succédé et bénéficie du soutien de l’UE, des États-Unis et de la Chine. En 2003, un accord de paix a été signé, mais les combats, les viols en masse et les massacres se sont poursuivis, notamment au Kivu. Les différentes forces se séparent constamment ou sont renommées au fur et à mesure que les combats se poursuivent pour les mêmes trésors : l’or, les autres minéraux et l’ivoire. Actuellement, le minéral le plus précieux est le coltan, utilisé dans l’électronique moderne. Van Reybrouck appelle à juste titre cela la “militarisation de l’économie”, notant que “la guerre a été relativement peu coûteuse, en particulier à la lumière des avantages étonnants que l’exploitation des produits de base a apportés”.
Y a-t-il un espoir ? Van Reybrouck décrit le Congo comme un pays au bord de l’explosion. Le budget de l’État congolais, pour 60 millions de personnes, est inférieur à celui de la ville de Stockholm, qui compte moins d’un million d’habitants. Le PIB par habitant est passé de 450 à 200 dollars depuis 1960. Le rapport des Nations unies sur le développement humain, qui mesure notamment l’éducation et les soins de santé, place le Congo au cinquième rang des pays les plus pauvres du monde.
Le Congo d’aujourd’hui est ravagé par le même capitalisme pilleur brutal qu’au XIXe siècle. Les contrats miniers peuvent être obtenus par la corruption ou le contrôle militaire. Les nouvelles découvertes de pétrole et de gaz ont de nouveau accru les tensions à la frontière avec l’Ouganda et le Rwanda. Les entreprises chinoises construisent des infrastructures pour desservir les mines, qui fonctionnent de la même manière que les usines d’esclaves en Chine.
Le Congo connaîtra un développement révolutionnaire, mais la direction que prendront les explosions dépendra des conclusions que l’on tirera de l’histoire – et notamment de celles de l’Égypte et de la Tunisie après les révolutions de 2011. Les organisations socialistes et démocratiques doivent être construites de toute vitesse.
Congo : Une histoire, David Van Reybrouck, Actes Sud Editions, 2012