Blog

  • Assemblée nationale du CAP le 20 octobre: Pour la lutte et la solidarité

    Assemblée nationale du CAP le 20 octobre:

    Après les élections du 10 juin, le Comité pour une Autre Politique (CAP) a clairement réaffirmé sa volonté de continuer à construire une alternative politique pour les travailleurs et leurs familles. En participant aux élections, le CAP a pu commencer à prendre place nationalement dans le paysage politique.

    Thierry Pierret

    Un résultat électoral plus élevé aurait sans doute pu aider à faire du CAP un pôle d’attraction pour une couche plus large parmi les travailleurs, les allocataires sociaux et leurs familles. Faute de cela, le CAP est toujours une initiative très modeste portée par des militants politiques, syndicaux et associatifs, quelques groupes locaux et beaucoup de personnes politiquement inorganisées.

    Il est donc important de continuer à construire le CAP dans les mouvements de lutte qui émergent autant que dans la résistance quotidienne contre les conséquences du néolibéralisme. Et les raisons de s’organiser et de militer pour une alternative ne manquent pas.

    Le CAP est d’ores et déjà présent dans les actions contre la fermeture de 16 magasins GB et continue de participer à la campagne contre les fermetures de bureaux de poste de quartier. Mais le CAP va aussi devoir développer des points de vue et des campagnes sur d’autres questions. Le groupe de gens qui travaille maintenant à la construction du CAP a déjà un grand potentiel mais il manque encore souvent la clarté politique, la structure et le professionnalisme indispensables pour utiliser au maximum les opportunités qui se présentent.

    Si la force du CAP résidait jusqu’ici dans sa capacité à organiser la population dans de telles campagnes concrètes, la sympathie qu’elles suscitent ne se transforme pas automatiquement en adhésion active au CAP. Pour que les gens adhèrent, ils doivent savoir à quoi ils adhèrent et où on les emmène.

    Or il règne une certaine confusion sur ce qu’est ou ce que doit être le CAP. Si le CAP n’est pas encore un parti ni même l’embryon d’un parti au stade actuel, il doit selon nous être un instrument politique qui doit préparer la voie à la création d’un nouveau parti des travailleurs et de leurs familles en collaboration avec d’autres forces. C’est pourquoi il ne peut pas se limiter à rassembler la gauche radicale, mais il doit s’orienter vers des couches plus larges qui aspirent à une autre politique que la politique néolibérale. Encore faut-il donner un contenu clair à cette « autre politique ».

    L’assemblée nationale du 20 octobre est donc d’une grande importance. Elle doit offrir l’espace nécessaire pour analyser la nouvelle situation politique, élaborer des campagnes concrètes mais aussi discuter du fonctionnement du CAP. Pour cela, un texte de base destiné à présenter les points de vue centraux du CAP et proposer des structures claires sera bientôt disponible pour la discussion.

    La discussion sur les points de vue centraux du CAP ne fera que commencer le 20 octobre. Elle devra être finalisée sous la forme d’une déclaration de principes lors d’un congrès idéologique qui devrait avoir lieu l’année prochaine. D’ici là il faudra veiller à ce que la discussion implique un maximum de membres pour que cette déclaration de principes reflète réellement les préoccupations et priorités de la base du CAP.

    Nous pensons que la nécessité d’un nouveau parti des travailleurs va se poser de manière de plus en plus aiguë dans les mois et les années qui viennent. Le développement du CAP est déjà en soi l’expression du fait qu’une couche, petite mais grandissante, en est consciente et qu’elle veut prendre dès maintenant des initiatives pour faire comprendre plus largement le besoin d’un tel nouveau parti des travailleurs et pour rendre ce projet plus concret.

    Le MAS/LSP réaffirme une nouvelle fois son engagement dans la construction du CAP et va tout mettre en oeuvre pour faire du 20 octobre une réussite. Nous pensons qu’à cette occasion, il sera possible de jeter les bases d’un mouvement qui ait une orientation claire vers le mouvement ouvrier et qui soit en même temps un instrument pour renforcer les campagnes et les actions. La conférence du 20 octobre doit ainsi être un point de convergence de toutes les campagnes dans lesquelles le CAP est impliqué. Ce sera l’occasion d’échanger les expériences et d’éventuellement élargir des initiatives locales à une échelle plus large.

    Pour que le 20 octobre soit un succès, il est important de reprendre sur le plan local les nombreux contacts faits pendant la campagne électorale et de relancer les campagnes. C’est le meilleur moyen pour mobiliser autant de membres et de sympathisants du CAP que possible pour cette assemblée nationale.

  • Pays-Bas. Pour un SP démocratique et socialiste

    Aux Pays-Bas existe depuis longtemps un petit parti à gauche du PvdA, le parti socialiste « officiel ». Ce parti, le SP, a connu ces dernières années une croissance importante : il a obtenu 16% aux dernières élections et s’est élargi jusqu’à compter aujourd’hui plus de 52.000 membres. Le SP montre ainsi qu’il y a un espace pour une initiative politique à la gauche de la social-démocratie et des verts. Mais ces progrès ne règlent pas tout. Car de nombreux problèmes se posent aussi dans le SP.

    Bas de Ruiter

    Début juin, le mécontentement dans le SP s’est exprimé publiquement suite à la manière dont la direction nationale s’est comportée lors de l’élection de Düzgün Yildirim au Sénat (dont les membres ne sont pas élus directement mais par les élus provinciaux). Yildirim a ainsi été élu sur base des votes de préférence exprimé par les 83 élus provinciaux du SP, au détriment d’une candidate soutenue par la direction. Les dirigeants du SP ont attaqué publiquement Yildirim dans les médias et ont voulu le forcer à démissionner.

    Dans le SP existe une bonne tradition de laisser la base décider qui va représenter le parti. Mais la direction nationale restreint de plus en plus cette démocratie interne, ce qui limite la participation réelle des membres et leurs possibilités de faire entendre. Comme la direction bloquait toute possibilité de débat ouvert, Yildirim et ses partisans ont mis sur pied un Comité pour un SP Démocratique. Offensief, l’organisation soeur de MAS/LSP aux Pays-Bas, qui est aussi active dans le SP, collabore à cette initiative.

    Il y a actuellement un fort mécontentement parmi les membres du SP, tant sur la question de la démocratie interne que sur l’orientation que doit suivre le parti. Dans de larges couches de la population, le SP est vu comme une nouvelle force conséquente de gauche. Mais cette image est néanmoins menacée par le cours actuel de la direction du parti qui s’oriente de plus en plus vers la transformation du SP en un parti de pouvoir social-démocrate mettant de côté son programme et sa base militante pour rechercher des postes et le pouvoir.

  • Pas d’élections sociales en mai 2008?

    Après Verhofstadt et Reynders, Leterme s’est lui aussi prononcé contre la présence de conseils d’entreprise dans les entreprises comptant entre 50 à 100 travailleurs. Avec cette prise de position, il se distancie de ses promesses à l’ACW (le Mouvement Ouvrier Chrétien flamand) de soutenir leur demande d’une représentation syndicale dans les PME.

    Mais, à partir de la mi-octobre 2007, l’Etat belge risque de devoir payer une amende de 2,9 millions d’euros et des astreintes de 209.106 euros par jour si les règles de la directive européenne concernant la représentation syndicale ne sont pas appliquées.

    En plus des amendes et astreintes, c’est l’organisation même des élections sociales en mai 2008 qui est menacée. La procédure préparant les élections est assez compliquée et commence 150 jours avant celles- ci. En principe, elle doit donc commencer en décembre 2007 pour aboutir à des élections sociales entre le 5 et le 18 mai 2008. La procédure ne peut pas démarrer si la directive européenne n’est pas reconnue. Sinon le risque existe qu’un patron ou un travailleur individuel puisse réclamer la nullité des résultats !

    Un ajournement des élections créera des problèmes concernant la protection des délégués et augmentera le problème des postes qui ne sont plus occupés dans la représentation syndicale (à cause du départ en pension, de changements de boulot,…).

    En comparaison avec les pays voisins, les seuils pour la représentation syndicale dans les entreprises sont très élevés en Belgique. Les partis de droite veulent négliger les règles et les lois européennes qui prévoient des seuils moins élevés. Même si cela met en péril les droits démocratiques de 1,6 million de travailleurs !

  • Sport et dopage. Un vieux couple infernal

    Depuis l’affaire Festina en 1998, le cyclisme promet chaque année de laver plus blanc. Pourtant, cette année, le Tour de France a été le théâtre d’épisodes pitoyables. Quand les uns étaient pris la main dans le sac, les autres se prenaient les pieds dans le tapis. Tout cela sur fond de guéguerre entre l’UCI (Union Cycliste Internationale) et la Société du Tour. Comment en est-on arrivé là ?

    J. Larock

    Officiellement, l’histoire du dopage a débuté en 1967, lorsque Tom Simpson s’est écroulé sur les pentes du Ventoux, sous un soleil de plomb. Dans les faits, le dopage est aussi ancien que le Tour de France. Et l’on pourrait faire le même constat pour d’autres sports. À cette époque héroïque, chacun y allait de son petit remède miracle pour être plus fort et oublier la douleur. Le journaliste Albert Londres en a notamment décrit l’usage au moment du Tour de France de 1924: «Les coureurs enduisaient le fond de leur cuissarde. La cocaïne pénétrait progressivement par voie cutanée et permettait d’améliorer les conditions de course.» Après la seconde Guerre, des produits plus sophistiqués ont fait leur apparition, à commencer par les amphétamines.

    À ses débuts, la lutte antidopage a rencontré une forte résistance de la part des cyclistes, qui y voyaient une atteinte insupportable à leur liberté. Aujourd’hui, la donne a changé, et l’on entend quelques professionnels réclamer un Tour de France à l’eau claire. Mais si l’on sonde le peloton, chacun sera certainement d’accord de rouler « propre » s’il est certain que tout le monde observera le même code de conduite. Et c’est là que le bât blesse. Car l’innovation en matière de produits dopants et masquants a souvent une longueur d’avance sur l’efficacité des contrôles. Résultat des courses : la plupart des contrôles sont négatifs alors que les valises des soigneurs et autres accompagnateurs sont pleines.

    Mais comment en est-on arrivé là ? Si l’on compare le Tour d’aujourd’hui à celui des débuts, il n’y a aucun doute, c’était beaucoup plus dur avant. Aujourd’hui, les distances sont plus courtes, les vélos deux fois plus légers, les méthodes d’entraînement nettement plus performantes et les possibilités de se soigner « légalement » beaucoup plus étendues. On pourra toujours objecter que certaines étapes de montagne sont inutilement corsées et entament sérieusement la résistance des organismes. C’est sûr. Mais avec un bon entraînement, ça passe sans dopage.

    Les raisons du dopage ne doivent donc pas être recherchées dans les épreuves en elles-mêmes, mais dans la compétition mercantile, telle qu’elle est organisée et donnée en spectacle. Alors que de nombreux travailleurs « normaux » ont recours à toutes sortes de substances nocives pour « tenir » au bureau, les sportifs sont confrontés à des injonctions totalement contradictoires : rester clean et gagner. Car sous le feu des projecteurs et des sponsors, l’important n’est pas de participer, mais de gagner. Il n’y a pas de place pour le deuxième. Or, le cyclisme est un des sports qui exige le plus de sacrifices. Ne pas gagner devient alors une épreuve psychologique très difficile à surmonter pour les sportifs.

    Ce visage du sport n’est pas du au hasard ni à la fatalité. Il résulte à la fois de la pression financière (le sport est devenu un secteur économique gonflé aux anabolisants médiatiques) et la pression du vedettariat qui s’attache à transformer les sportifs en icônes d’une société hypercompétitive. Cette pression a envahi le sport à tous les niveaux. Rentrez dans un magasin de sport et vous y trouverez toutes sortes de compléments alimentaires, d’acides aminés et autres substances miracles. Une variété impressionnante de moyens est à la disposition des sportifs du dimanche, dans un seul but : la performance. Pourquoi s’étonner dès lors que les « pros » aillent un peu plus loin ?

    Dans ce système, dopage et lutte antidopage sont les deux faces d’une même pièce : le dopage est le passage obligé de nombreux sportifs qui veulent atteindre la gloire ou simplement satisfaire leurs sponsors. La lutte antidopage menée par les instances officielles ressemblent plus une complainte hypocrite qu’à une volonté réelle de rendre le sport plus propre. Le but des autorités semble plutôt d’essayer de maintenir un cache-sexe devant le sport professionnel pour qu’il puisse continuer à passionner les foules et à diffuser l’idée d’une « saine compétition » dans l’opinion. Car si l’on est prêt à accepter que c’est forcément le meilleur qui gagne et qu’il y a toujours un arbitre pour punir les tricheurs, on peut aussi accepter ce principe dans la vie. Or, chacun ne naît pas avec les mêmes chances, tout comme le sprinter de 80 kg n’a aucune chance face au grimpeur, dans la montagne.

    Ce n’est pas un hasard si la droite nous parle souvent de la valeur du travail, du goût de l’effort cher à la « France qui se lève tôt ». Ce sont autant de bobards qui nous font croire que si on le veut vraiment, si on se bat pour y arriver, on peut sortir de la misère et même devenir riche ou célèbre. Comme dans le sport… Sauf qu’au départ, tout le monde n’est pas égal. Que ce soit dans le sport ou dans la société capitaliste « libérale », il y a des chasses gardées et des barrières invisibles.

    L’entraînement acharné ne suffit pas toujours pour arriver au sommet. Tout comme le travail acharné ne permet pas de devenir un grand patron d’industrie. Ceux qui veulent nous le faire croire sont des menteurs. Quand la réalité du dopage éclate à la figure des autorités morales du sport, ils nous ressortent chaque fois la même litanie : « Cette fois, on a compris, ça n’arrivera plus jamais. On va prendre des mesures draconiennes ! ». On entend à peu près le même discours à chaque crise boursière… Le capitalisme financier serait-il dopé lui aussi ?

    Pour sortir de ce cycle infernal, il faut changer radicalement de direction. C’est-à-dire mettre un terme au système économique qui régit le sport et qui en a fait un modèle idéologique. Dans une société où la Justice sociale aurait remplacé la compétition de tous contre tous, le sport pourrait avoir un autre visage : celui d’une activité de loisirs avant toute chose. La compétition et le spectacle ne disparaîtraient pas pour autant, mais ils seraient pratiqués dans un esprit fraternel, débarrassé de toute idolâtrie et de tout mercantilisme. Dans une telle société, un vrai débat pourrait avoir lieu sur la place du sport dans notre vie, en tant qu’acteurs ou spectateurs, sur son rôle pour la santé… Autant de questions bien plus importantes que celle de savoir si Rasmussen était en Italie ou au Mexique pour se « préparer ».

  • GAZ: 17% de hausse en 2008 !

    Souvenez-vous. Le 15 juin, Electrabel annonçait une hausse du prix du gaz de 13% à 21% dès le 1er septembre. Bon prince, l’opérateur gazier s’engageait à ne pas augmenter le prix de l’électricité.

    Thierry Pierret

    Le tollé dans la population, relayé hypocritement par le monde politique en pleine effervescence post-électorale, contraignait Electrabel à revenir sur ses déclarations. Non seulement le prix augmenterait à peine d’ici le 31 décembre (pas plus de 3%), mais on allait même retoucher de l’argent lors de la facture de clôture. Dans la foulée, Electrabel faisait la promotion d’un contrat EnergyPlus sensé nous faire économiser de l’argent. Il y avait forcément anguille (électrique) sous roche…

    La Commission de Régulation de l’Electricité et du Gaz (CREG) a touillé sous la roche et l’anguille électrique a dû montrer le bout du nez. Il s’avère en effet, d’après la CREG, que le prix du gaz augmentera de 17% en 2008, ce qui représente une hausse moyenne de 172 euros pour les familles. C’est-àdire pile poil la moyenne de la fourchette de hausse des prix annoncée en juin…

    Et, alors qu’Electrabel s’était engagé en juin à préserver les consommateurs de toute hausse du prix de l’électricité, la CREG a aussi révélé que le prix de l’électricité allait suivre le même mouvement.

    Mais lorsqu’on saisit une anguille, elle vous glisse entre les doigts. Electrabel essaie ainsi d’éluder les conclusions de la CREG sous prétexte qu’il serait trop difficile de prévoir l’évolution des marchés en 2008. L’enquête de la CREG se base pourtant sur des données fournies par Electrabel…

    Cette enquête a aussi révélé qu’Electrabel avait fixé un prix du gaz anormalement bas lors de la libéralisation du marché du gaz et de l’électricité qui a eu lieu le 1er janvier en Wallonie et à Bruxelles. Le but était de garder un maximum de clients dans la période transitoire où les consommateurs pouvaient changer d’opérateur. Maintenant que la date limite est dépassée, Electrabel se rattrape en augmentant ses prix en flèche.

    Le Conseil de la Concurrence a ouvert une enquête pour pratiques illégales. Mais, en réalité, la « saine concurrence » destinée à bénéficier aux consommateurs n’est qu’une vue de l’esprit des capitalistes. La libéralisation du marché débouche toujours à terme sur l’instauration du monopole d’une entreprise privée qui se substitue au monopole public. Avec cette différence que l’entreprise privée n’est pas soumise aux contraintes de service public en matière de prix raisonnables et de service universel.

    La solution n’est pas de rétablir la saine concurrence, mais de placer Electrabel sous le contrôle des pouvoirs publics avec un droit de regard des consommateurs et du personnel sur les choix énergétiques.

  • Où est l’opposition à la politique néolibérale?

    Face aux mesures musclées qui ont été proposées par les négociateurs de l’Orange bleue et aux empoignades lors des négociations pour la formation du gouvernement, le manque d’opposition digne de ce nom a été frappant. Les rares déclarations et critiques sont restées étonnament mesurées et prudentes.

    Plusieurs partis espèrent sans doute encore être invités à la table des négociations pour la formation d’un gouvernement ou, au moins, pour la réforme de l’Etat. Le SP.a a déjà dit qu’il était prêt à faire l’appoint pour arriver à une majorité des deux-tiers pour une réforme de l’Etat tandis que le PS monterait volontiers dans un gouvernement.

    Il n’était donc pas question de montrer une véritable opposition aux propositions qui ont déjà été lancées. Caroline Gennez, la nouvelle présidente du SP.a, a déclaré : « Vu que la majorité n’y croit pas elle-même, l’opposition n’a pas beaucoup de travail ». On pourrait penser que c’est l’occasion idéale d’avancer des alternatives, mais c’est évidemment là que le bât blesse.

    La sortie de Gennez sur le « gouvernement pour le grand capital » que voulait mettre en place Leterme ne valait que pour la prolongation des centrales nucléaires. Pour le reste, la social-démocratie a repris à son compte la défense des intérêts patronaux. Luc Van Den Bossche (SP.a) a insisté sur la nécessité d’une formation rapide du gouvernement parce qu’une impasse « enterre la position concurrentielle de notre pays ». Pour sa part, le PS trouvait que le projet en matière de budget était insuffisant parce qu’on y tenait compte d’un déficit au lieu de couper davantage dans les dépenses. Avec de telles « critiques », on voit que l’option d’une tripartite reste donc bien ouverte.

    Il y a bien eu des critiques verbales, notamment de la part de Groen, sur le fait que la note du formateur « n’était pas à la hauteur ». Groen et Ecolo sont prêts à négocier leur appui éventuel à une réforme de l’Etat. La réaction d’Isabelle Durant au flirt poussé de son parti avec des grosses pointures du MR a été de dire que si Ecolo n’était pas enthousiaste à propos de l’Orange bleue, il n’en reste pas moins que « nous sommes des gens de dialogue ».

    Le Mouvement Ouvrier Chrétien a déclaré que « l’état des lieux concernant l’agenda social » ne les « rassurait pas ». Il a appelé les négociateurs à élaborer un programme « socialement juste ». La FGTB a déclaré qu’elle n’était « pas en faveur » des mesures proposées parce qu’elles sont taillées sur mesure pour le patronat.

    Les mesures antisociales des partis pressentis pour former le gouvernement ont pourtant de quoi susciter une réplique plus cinglante sur les plans syndical et politique. Les réactions des soi-disant partis d’opposition démontrent clairement que les travailleurs n’ont plus aucune représentation politique. Rien d’étonnant à ce qu’ils tournent de plus en plus le dos aux politiciens traditionnels et parfois à « la politique » en général.

    Si nous ne réagissons pas nous-mêmes aux attaques qui se préparent contre notre niveau de vie, les néolibéraux iront de plus en plus loin dans leur offensive. On a besoin d’une opposition active. C’est une tâche importante à laquelle doit s’atteler une initiative comme le CAP.

  • Derrière la bagarre communautaire se cache une unité néolibérale

    Partout en Europe des gouvernements de droite dressent des plans ou prennent des mesures pour miner le niveau de vie des travailleurs, pour démanteler encore plus la sécurité sociale et pour limiter les possibilités de résistance collective contre ces mesures.

    Geert Cool

    Dans notre pays aussi, tous les partis traditionnels veulent mener une telle politique, et cela quelle que soit la coalition gouvernementale qui sortira finalement du jeu. Les partis flamands demandent une régionalisation plus forte pour pouvoir mener en Flandre une politique néolibérale plus dure. Les partis francophones s’y opposent mais déclarent qu’ils sont eux aussi prêts à mener des attaques aussi dures à condition que ce soit dans le cadre fédéral.

    L’enjeu ne manque pas d’importance. Depuis le début des négociations, on parle d’instaurer un service minimum lors de grèves dans le transport public. L’organisation des élections sociales de 2008 est mise en danger par la résistance à la création de conseils d’entreprise dans les entreprises à partrir de 50 travailleurs.

    La dernière note du formateur Leterme affirmait que la croissance des dépenses pour la sécurité sociale devrait être inférieure à celle de la croissance économique. Les diminutions des charges patronales seraient de cette manière payées par ceux qui vivent d’une allocation ou qui ont besoin d’une intervention de la sécurité sociale. Pour cela, les libéraux plaident, entre autres, pour une limitation légale dans le temps de l’allocation de chômage tandis que le CD&V propose une régionalisation de la politique d’ « activation » des chômeurs… afin d’aboutir dans la pratique à limiter la durée de l’allocation de chômage !

    Les partis bleu et orange du coté flamand revendiquent aussi, entre autres, la régionalisation d’une partie des conventions collectives. La CSC avait déjà fait remarquer au début de la mission du formateur qu’il y avait sur la table des propositions bien concrètes pour des diminutions des charges patronales tandis que les mesures sociales (comme la liaison des allocations sociales au bien-être), déjà bien limitées, n’étaient pas du tout concrétisées.

    Du côté francophone, l’échec des négociations pour la formation d’une coalition par Leterme a été mis sur le compte des revendications flamandes tandis que, du côté flamand, on montrait du doigt l’inflexibilité des francophones et surtout du CDH. Plusieurs dirigeants des libéraux flamands ont enfoncé encore un peu plus le clou en dénonçant le caractère « gauchiste » du CDH. Un parei l reproche montre surtout à quel point le programme du VLD est antisocial et néolibéral.

    Car, dans les gouvernements wallons et francophones, le CDH ne mène pas une politique qui soit dans les intérêts des travailleurs. C’est le ministre CDH André Antoine qui, avec ses plans de privatisations, a été à la base de la grève à l’aéroport de Charleroi fin juin. C’est aussi le même Antoine qui menaçait en mars de licencier purement et simplement les chauffeurs du TEC Namur-Luxembourg qui avaient participé à une grève « sauvage » à Onoz…

    Quel que soit le gouvernement qui finira par sortir des discussions actuelles, il est clair qu’il voudra imposer une politique d’austérité dure. La difficile formation de ce gouvernement montre à nouveau que les travailleurs et leurs familles n’ont pas de grand parti qui défende leurs intérêts. Nous ne pouvons qu’assister comme de simples spectateurs au mauvais show organisé par les politiciens traditionnels.

    Il est grand temps de construire une alternative, un instrument politique qui soit capable d’organiser la résistance contre la politique néolibérale et de donner à cette résistance une traduction politique. Le Comité pour une Autre Politique est une tentative humble, mais importante, dans cette direction. Coopérez avec les membres du MAS à la construction du CAP.

  • Ecole d’été du CIO: Une alternative au capitalisme est nécessaire et possible !

    Plus de 300 membres du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO, l’organisation internationale dont le MAS/LSP fait partie) venus essentiellement d’Europe mais aussi d’Amérique, d’Asie et d’Afrique se sont rassemblés début août pour une semaine de discussions et d’analyses politiques.

    Els Deschoemacker

    Un grand thème de discussion cette année a été la possibilité d’une nouvelle crise économique dans la foulée de la crise boursière de cet été et les conséquences qu’une telle crise aurait pour le capitalisme mondial. L’autre fait marquant a été la radicalisation de la lutte pour le socialisme en Amérique Latine qui peut jouer un rôle d’exemple pour les travailleurs partout dans le monde.

    Cette lutte se développe à un moment où capitalisme connaît des problèmes grandissants, sur le plan économique et politique. Les interventions impérialistes en Irak ou en Afghanistan ont mené à la misère et à l’instabilité sans apporter de victoires pour l’impérialisme. Parallèlement, des alliés-clés pour l’impérialisme américain connaissent des problèmes aigus et une instabilité croissante. C’est notamment le cas pour la Turquie et le Pakistan.

    En Europe, le mécontentement envers la politique néolibérale augmente. Là où des formations crédibles de gauche existent, elles ont obtenu des scores électoraux parfois très importants comme aux Pays-Bas ou en Allemagne. Là où il n’y a pas de telles forces crédibles, la droite a gagné du terrain dans les élections et les gouvernements. Cela peut mener à des confrontations sociales et politiques plus dures dans lesquelles la nécessité d’un nouveau parti des travailleurs apparaitra plus clairement et prendra une grande importante.

    Pendant cette école d’été, nous avons eu des discussions plénières avec tous les participants mais également des commissions plus réduites permettant d’’avoir des discussions moins formelles. Ces commissions ont porté entre autres sur le rôle de la religion, notre travail jeune, le racisme et l’immigration, la position des femmes dans la société, notre travail en Afrique, la situation dans les pays de l’Europe de l’Est,…

    L’école d’été s’est clôturée avec des rapports vivants des activités des sections du CIO partout dans le monde. L’année dernière, nous avons consolidé les premières bases de la construction d’une nouvelle section au Venezuela, nous commençons également à construire en Bolivie ou en Italie ert nous avons une série d’opportunités dans d’autres pays.

    Dans la construction de nos sections nationales, nous sommes souvent confrontés à l’absence de partis politiques qui soient préparés à répondre au mécontentement existant dans la société et à lui offrir une réponse politique claire de rupture avec le capitalisme. La confusion idéologique qui a suivi la chute du stalinisme n’a certainement pas totalement disparu, malgré la croissance de la résistance active contre le néolibéralisme.

    Le manque de clarté sur les possibilités d’une alternative au système peut freiner le développement d’une résistance active et des mouvements de lutte contre les attaques auxquelles nous sommes confrontés.

    La croissance économique des dernières années était surtout basée sur une super-exploitation des travailleurs et sur une croissance du fossé entre riches et pauvres. Cette croissance économique a laissé un peu de marge de manoeuvre aux gouvernements.

    Mais une crise peut mettre fin à ces marges de manoeuvre et amener patronat et gouvernement à lancer des attaques beaucoup plus dures. Cellesci pourront mener à une résistance, pour autant qu’il y ait des perspectives pour la construction des mouvements de lutte collective. Sinon la méfiance passive et la débrouille individuelle continueront à dominer.

    Le CIO a construit des points de support partout dans le monde. Nous avons gagné une certaine autorité et du respect avec nos campagnes et nos interventions. Les possibilités pour la construction d’une alternative socialiste peuvent croître dans la prochaine période avec une ouverture plus grande pour des critiques anticapitalistes.

    Nous devons nous préparer à des changements rapides et fondamentaux dans la conscience de larges couches de la population. En même temps nous devons continuer à mener des actions et à diffuser nos idées parmi ceux qui sont déjà maintenant ouverts à la discussion sur une alternative socialiste.

    N’hésitez pas à rejoindre le MAS et donc aussi notre organisation internationale, le CIO. Ensemble avec vous, nous voulons lutter pour un monde plus juste, un monde socialiste !

  • Les Banques Centrales distribuent des centaines de milliards d’euros aux speculateurs!

    Deux millions d’Américains vont perdre leurs maisons, 80.000 leur emploi

    Pendant des années, des banques américaines ont signé à tour de bras des prêts hypothécaires à des ménages qui, sans cela, n’auraient pas eu les moyens de se payer une maison.

    Kristof et Eric Byl

    Tant que le prix de l’immobilier augmentait (et avec lui la valeur des maisons mises en gage), la plupart parvenaient à rembouser ces prêts. Mais ces derniers mois, les taux d’intérêt ont monté et le prix de l’immobilier a baissé. Résultat : le nombre de ménages en cessation de paiement des prêts hypothécaires (majoritairement à taux d’intérêt variable) a atteint 16% chez les ménages les moins solvables et 5% chez les autres. 2 millions de propriétaires américains (5% du total) risquent de perdre leur maison avant la fin de l’année.

    Dans cette crise, 84 sociétés de crédit ont déjà fait faillite ou ont été mises en vente et 60.000 emplois ont été perdus dont 20.000 dans le bâtiment. Mais la crise ne s’arrête pas là. Car beaucoup d’emprunts hypothécaires à risques ont été transformés en actions (« titrisés ») et revendus à d’autres banques américaines et étrangères. Par conséquent, personne ne connaît l’effet exact de cette crise – au départ très limitée – sur le reste du système financier mondial. HSBC, la troisième banque mondiale, à perdu 5,65 milliards de dollars, la banque américaine Citigroup plus de 500 millions, la banque allemande WestLb 1,25 milliard d’euros. La BNP-Paribas française a du geler trois de ses fonds d’investissement.

    Après les dernières crises (1982, 1987, 1996, 2001), les reprises économiques se sont faites à coup d’emprunts. Mais aujourd’hui, les banques ne sont plus prêtes à financer des prêts. Ceci menace de mettre fin à la vague mondiale de fusions et de reprises d’entreprises qui est un moteur important de l’activité boursière.

    Les banques hésitent même à se faire mutuellement des prêts, ce qui a créé une pénurie de liquidités. C’est pourquoi les Banques Centrales européenne, américaine et japonaise sont intervenues en injectant des centaines de milliards de dollars en crédits à bon marché. Après les attentats du 11 septembre 2001, la BCE avait injecté 69 milliards d’euros ; aujourd’hui, elle a dû en mettre 230 milliards !

    L’ampleur de ces interventions illustre à quel point les banques centrales prennent au sérieux la situation, ce qui a provoqué encore plus d’inquiétude chez les investisseurs. Cet aff lux d’argent et l’assouplissement des crédits ont permis aux marchés financiers de respirer.

    VERS UNE CRISE IMMINENTE?

    La plupart des stratèges économiques poussent des soupirs de soulagement. L’espoir grandit de voir la tempête annoncée se dégonfler. En réalité, la crise est inscrite dans la situation actuelle.

    Sur le marché mondial, le nombre de travailleurs disponibles pour les entreprises capitalistes a doublé avec l’effondrement de l’Union Soviétique et du bloc de l’Est et avec le choix fait par les dirigeants chinois d’introduire l’économie de marché. La forte hausse du taux d’exploitation des travailleurs qui a accompagné ce processus a assuré des chiffres de profits records mais le pouvoir d’achat n’a pas pu suivre la production. Ceci doit inévitablement mener à une crise de surproduction et à une récession.

    Ces dernières années, la crise a été systématiquement reportée grâce au crédit extrêmement bon marché basé sur des taux d’intérêts historiquement bas. Cela n’a été possible que parce que les pays producteurs de pétrole de l’OPEP, la Chine et le Japon ont continué à investir leurs excédents commerciaaux en dollars. Mais aucune économie, même la plus forte du monde, ne peut continuer à vivre aux crochets du crédit. Tôt ou tard, les Etats-Unis devront se désintoxiquer mais, comme tout toxicomane, la FED à préferé une dernière piqûre de crédit. Des banques asiatiques ont déjà perdu des milliards à cause de la baisse du dollar. Jusqu’à quand vont-elles tolérer de telles pertes si le dollar continue à réculer ? Mais si elles vendent leurs réserves en dollars, celuici risque de glisser complètement vers le fond.

    Il est peu probable que les capitalistes soient capables de postposer encore des années leur crise. Mais on peut déja affirmer que plus elle sera postposée, plus ses effets seront devastateurs. Nous pouvons nous attendre au cours des prochaines années à des tremblements de terre dans l’économie mondiale, avec des licenciements et des fermetures sur une échelle beaucoup plus large encore qu’aujourd’hui.

    Il n’est pas possible de trouver des solutions fondamentales au sein du capitalisme. Ce système malade doit être remplacé par une économie démocratiquement planifiée où le travail disponible est utilisé en fonction des besoins de toute la population et pas en fonction d’une élite de plus en plus riche.

  • 55 ans d’occupation chinoise au Tibet

    Le 7 octobre 2005 a marqué le 55ème anniversaire du début de l’occupation militaire du Tibet par la Chine, en 1950. Cet anniversaire fait suite à la récente commémoration par le Parti Communiste Chinois (PCC) au pouvoir du 40ème anniversaire de la fondation, le 1er septembre 1965, de la “Région Autonome du Tibet” (RAT).

    Article de Laurence Coates, 26 septembre 2005 (traduit en août 2007)

    Cet anniversaire controversé fut marqué par une parade de 6000 soldats de l’Armée de Libération Populaire (ALP) à travers la capitale tibétaine, Lhassa, où les immigrants Han (l’ethnie majoritaire chinoise) ont maintenant dépassé en nombre les Tibétains.

    Malgré une économie rapidement croissante dans la région (plus de 10 pourcent par an lors de la dernière décennie), la rancoeur anti-chinoise est répandue. Cet état d’esprit est l’héritage des lourdes mesures répressives et bureaucratiques du régime de Beijing, lesquelles, dans la conscience des masses tibétaines, pèse bien plus lourd que l’abolition du servage et l’implémentation de profondes réformes sociales. Ainsi que Robespierre l’avait dit, les gens n’apprécient guère “les missionnaires à baïonnettes”.

    Lors de la seconde moitié du siècle passé, plus d’un cinquième de la population tibétaine a été arrêtée ou harcelée en liaison avec les opérations “anti-séparatistes”, si on s’en réfère seulement aux statistiques officielles du gouvernement. Au moins 100 000 personnes ont été tuées au cours de nombreuses rébellions, ou en conséquence des conditions de détention et du travail forcé. Alors que les règles gouvernant la pratique religieuse ont été détendues depuis les jours de la soi-disant Révolution Culturelle (1966-76), pendant lesquels la plupart des monastères tiébtains ont été détruits, le fait de porter un portrait du Dalai Lama, le “dieu-roi” bouddhiste en exil, est toujours considéré comme un délit. Cependant, en dépit de tout ceci, l’emprise du régime chinois sur le Tibet n’est encore que très superficielle.

    Ce conflit tire ses origines de l’occupation et de l’incorporation forcée du Tibet à la République Populaire de Chine (RPC) par Mao Zedong en 1950, un an après la victoire de la Révolution Chinoise. De telles tensions nationales sont également très répandues ailleurs en Chine, en particulier dans les zones frontalières faiblement peuplées, dans lesquelles les Chinois Han ne sont qu’un minorité. Comme l’a écrit John Pomfret dans le Washington Post, “les régions de Chine dominées par les deux minorités les plus récalcitrantes – les Tibétains et les Ouïghours – s’étendent sur 4 millions de km² (NDT: environ six fois la France, ou 130 fois la Belgique), c’est-à-dire près de la moitié de la Chine, et comprennent la plupart de ses zones frontalières vulnérables historiques.”

    Ces dernières années, les Tibétains ont été confrontés à une nouvelle menace : la marginalisation économique dans le cadre d’une économie de plus en plus capitaliste, directement importée de Chine, et dominée par des capitalistes et des professionnels Han. Ceci “exacerbe grandement, et de plus en plus, l’inégalité de revenus entre la ville et la campagne, et entre les Han et les Tibétains,” avertit le président de l’ONG “Fonds pour l’Atténuation de la Pauvreté au Tibet”, Arthur Holcombe. Même dans le secteur d’Etat, une bonne pratique de la langue chinoise (putonghua) est une condition pour trouver un travail. Etant donné que le taux d’alphabétisation des adultes au Tibet n’avoisine que les 50 pourcent – comparé au 85 pourcent de Han qui savent lire – l’organisation du marché du travail à la ville pèse sur la population autochtone.

    Une telle marginalisation est renforcée par un racisme plus ou moins affiché envers les Tibétains, perçus comme “arriérés” et “inférieurs” ; de telles idées ont été utilisées depuis des décennies par le régime de Beijing pour justifier sa politique répressive.

    “C’est encore pire que la discrimination des Blancs par rapports aux Indiens d’Amérique,” selon Wei Jingsheng, un écrivain chinois dissident.

    Immigration et pauvreté rurale

    “La politique de développement économique de la Chine pour le Tibet”, commentait le Business Week (19 septembre 2003), “renforce aussi la pauvreté urbaine, le crime et le problème galopant de la prostitution, au fur et à mesure que des jeunes Tibétains, souvent pauvrement éduqués, déménagent dans les villes et trouvent peu d’occasions légales de survivre.”

    Le boom économique est, en tous cas, un phénomène urbain, laissant largement sur le côté les zones rurales où 80% de la population tibétaine habite. Les statistiques officielles révèlent un état qui est probablement le plus large fossé de richesse de toute la Chine, entre les zones rurales, dans lesquelles la population est, dans son ensemble, tibétaine, et les villes, de plus en plus dominées par les immigrants Han. Le revenu net des paysans et bergers tibétains était de 1861 yuan (225 dollar US) en 2004, parmi les plus bas revenus de Chine. Les salaires des professionnels et des fonctionnaires d’état, d’un autre côté, sont les plus hauts de Chine, et pour les ouvriers industriels, ces salaires sont les seconds plus hauts de Chine, après Shanghai. Dans une période où le gouvernement central ne peut plus ordonner aux fonctionnaires et spécialistes Han d’aller s’installer dans les régions “stratégiques”, une espèce de “prime Tibet” a été mise en place pour y attirer le personnel Han. Les vacances y sont plus longues, les heures de travail plus courtes, et les colons peuvent recevoir des allocations d’altitude, des bonus d’isolement, et une foule d’autres subsides.

    En dépit de tout cela, les tentatives du gouvernement de Beijing pour organiser une colonisation de Han à grande échelle du Tibet, en tant que contrepoids au “séparatisme”, ont donné des résultats mitigés. Officiellement, les Tibétains comptent toujours pour 93%, ou 2,4 millions des 2,7 millions d’habitants de la RAT. La taille de la population Han est certainement plus grande que ce que suggèrent les chiffres officiels, puisque des garnisons de soldats de l’ALP et de dizaines de milliers d’ouvriers immigrés s’y trouvent. Mais même ainsi, la migration de Han au Tibet est loin d’être équivalente à celle qui a eu lieu au Xinjiang, la région voisine – où les han comptent maintenant pour 40% de la population – et ceci n’est pas par hasard. En plus du froid et de l’atmosphère très pauvre en oxygène – le Tibet est aussi connu sous le nom de “Toit du Monde” – les colons Han doivent faire face à la pauvreté généralisée et au mécontentement de la population autochtone. Au cours des années 1959-1999, un total de 110 000 fonctionnaires chinois ont été envoyés au Tibet. Certains d’entre eux, dans les toutes premières années du moins, se sont portés volontaires, poussés par un idéal révolutionnaire ou patriotique. La majorité d’entre eux s’en alla assez vite.

    Dans les années 1980s, sous la campagne de “Tibétanisation” promulguée par Hu Yaobang, les fonctionnaires Han se virent ordonnés de rentrer au foyer, et devinrent les boucs émissaires des excès de la Révolution Culturelle. Lorsque le président actuel, Hu Jintao, tenait le poste de Secrétaire du Parti dans la RAT, de 1988 à 1992, il passait la plupart de son temps à Beijing, pour se remettre du “mal de l’altitude”. Ce n’était pas la seule raison pour laquelle Hu tenait ses distances. Jonathan Mirsky, du Guardian, se souvient que : “J”ai eu un jour la chance de rencontrer Hu. Ne sachant pas que j’étais journaliste, il me raconta à quel point il détestait le Tibet pour son altitude, son climat et son manque de culture. Il gardait sa famille à Beijing, me dit-il, et craignait que si un jour il devait y avoir une émeute contre les Chinois, aucun Tibétain ne le protégerait.”

    Les ouvriers immigrants Han, ainsi que les soldats démobilisés qui conduisent les taxis de Lhassa et travaillent sur ses sites de construction, sont évidemment faits d’un meilleur matériau. Mais eux aussi, pour la plupart, projettent de rentrer au pays une fois fortune faite – en général après deux ou trois ans. Comme dut l’admettre un militant pro-Tibet qui a parcouru le pays en long et en large : “La présence des Chinois au Tibet est vraiment très mince. Dès qu’on arrive au-dessus de 3000 mètres en-dehors des villes, il n’y a simplement plus de Chinois… La majorité des Chinois en fait ne veulent vraiment pas être ici.” [John Ackerley, ICT, Washington Post, 31/10/99]

    Pour renforcer son emprise sur le Tibet, le gouvernement central a construit l’autoroute Qinghai-Xizang, un chantier de 1142 kilomètres, bientôt terminé. C’est l’un des projets d’infrastructure les plus prestigieux et des plus coûteux qui ait jamais été entrepris dans un pays où les projets de prestige abondent . A une altitude de 4000 mètres au-dessus du niveau de la mer, cette autoroute sera la plus haute du monde, opérant à une altitude plus haute que celle à laquelle de nombreux petits avions ne peuvent même pas voler. Ce projet a demandé des défis technologiques massifs, dus au paysage gelé et montagneux, aux problèmes de manque d’oxygène et de basse pression atmosphérique. Les locomotives seront équipées de turbochargeurs pour leur alimentation en oxygène, tandis que les cabines des passagers seront pressurisées de la même manière que les avions. Avec des wagons première classe qui comporteront une station thermale et un restaurant de luxe, le train symbolise la prédilection actuelle de la Chine pour les distinctions de classe. Beijing est aussi occupée à construire de nouvelles routes, ainsi que des projets de stations électriques hydrauliques au Tibet, en tant que moyen d’accélérer l’intégration économique à la Chine.

    Abolition du féodalisme

    Contrairement à la version romantique décrite par l’idéal Hollywoodien du Tibet d’avant 1949, présenté comme une terre d’harmonie spirituelle, les conditions de vie y régnaient ressemblaient à celles que l’on pouvait trouver en Europe au Moyen-Âge. 58% de la population étaient des serfs, forcés à travailler gratuitement pour leurs maîtres, en grande partie des lamas (moines). Les serfs qui tentaient de s’enfuir étaient soumis à des châtiments cruels tels que la flagellation ou la mutilation. Même Jung Chang et Jon Halliday, les auteurs de Mao : L’histoire inconnue, une tentative de discréditer la Révolution Chinoise, admettent que c’était une “facette très sombre” de la vieille théocratie (état religieux) tibétaine, bien qu’ils ne développèrent pas ce point, ajoutant immédiatement après que “le règne de Mao était bien pire”. Le féodalisme tibétain était profondément lié à la branche “Lamaïste” du Bouddhisme, le produit de siècles d’isolation dans un environnement très dur, dans lequel aucun peuplement humain à grande échelle n’était possible. Les monastères étaient eux-mêmes de gros propriétaires terriens, avec 40% des terres du Tibet leur appartenant en 1950. Ils avaient aussi une fonction de tribunaux et de collecteurs d’impôts, imposant de fortes taxes religieuses aux pauvres. Même aujourd’hui, il est estimé que les Tibétains payent un tiers de leur revenu annuel aux monastères.

    De la même manière que le système féodal Confucéen a finalement implosé sous le poids des pressions militaire et économique externes, le féodalisme tibétain, dépassé, finit par être aboli, mais il le fut par l’arrivée du stalinisme chinois. Depuis que la théocratie bouddhiste a été évincée, le PNB par habitant a été multiplié par 33. De grandes améliorations ont été apportées au niveau de l’électricité, de l’apport en eau potable, et autres infrastructures. Mais à cause du fait que ces mesures, indéniablement progressives, ont été imposées de manière bureaucratique – au moyen d’une occupation militaire – plutôt que d’être développées à partir d’un mouvement social autochtone (qui aurait pu se tourner vers l’aide des travailleurs et paysans chinois), elles l’ont été au prix d’un coût énorme et inutile vis à vis des masses tibétaines et chinoises.

    En dépit d’une croissance économique rapide, basée sur les technologies et capitaux importés de Chine, le Tibet se traîne derrière les autres régions de la RPC en ce qui concerne la santé, l’éducation et la plupart des autres critères. Selon le recensement de 2000, 45,5% des enfants tibétains ne vont même pas à l’école primaire, comparé à une moyenne chinoise de 7,7% d’enfants non scolarisés. Ceci représente une amélioration considérable par rapport la situation d’avant 1959 (pendant laquelle seuls 2% des enfants tibétains recevaient une éducation primaire), mais c’est tout de même le moins bon taux de scolarisation comparé à celui de toutes les autres minorités chinoises. De la même manière, seuls 13,3% des tibétains suivent une éducation secondaire, comparé à 52,3% des autres chinois [recensement national de 2000]. La prévalence de l’agriculture de subsistance signifie que les familles paysannes gardent un enfant (le plus souvent, une fille) à la maison pour y travailler (d’où le taux extrêmement bas d’alphabétisation des femmes). C’est aussi une des raisons pour lesquelles les Tibétains, et d’autres minorités nationales, sont se vus exemptés de la politique de l’enfant unique promulguée par Beijing.

    Le taux de mortalité infantile a aussi brutalement chuté, passant de 43% en 1959, à 3,7% en 1998 – mais ce taux reste toujours trois fois plus élevé que celui de la RPC prise dans son ensemble. Et une fois de plus, tandis que l’espérance de vie moyenne des hommes a été augmentée, passant de 36 ans en 1949, à 65 ans de nos jours, elle est l’espérance de vie la plus basse de toutes les 18 nationalités chinoises (la moyenne chinoise d’espérance de vie masculine se portant à 68,9 ans).

    Les racines du conflit

    L’argument des nationalistes Han, y compris celui du régime de Beijing, selon lequel le Tibet a toujours fait partie “intégrante” de la Chine, est fausse. Un précédent historique n’est de toutes façons pas un argument décisif au sujet du droit des petites nations, mais bien plutôt la conscience des masses, en particulier de la paysannerie et de la classe ouvrière. Sur base d’événements, surtout de convulsions majeures, une conscience nationale peut se développer, là où auparavant elle était inexistante, comme ce fut le cas avec le Pakistan ou l’Erythrée.

    Au cours des mille dernières années, le Tibet fut à différentes reprises un tributaire de l’Empire Mongol, de l’Inde Moghole, et, plus tard, de la Chine sous la dynastie Qing (prononcé : Tching). Le Tibet fut soumis au contrôle Qing en 1728, sur base de la soi-disant relation “prêtre – maître” entre le Dalai Lama et la cour impériale. Les empereurs Qing (qui n’étaient pas des Han, mais des Mandchous), offraient la protection au Dalai Lama et à l’élite féodale contre les rébellions internes, tandis qu’en échange, le Lamaisme était adopté en tant que religion nationale pour la Chine, et que le Dalai Lama devenait son “chef suprême”. Cet arrangement découlait des projets de la cour Qing afin d’assujettir les territoires du Nord et de l’Ouest, qui étaient dominés par des tribus mongoles, qui pratiquaient également le bouddhisme tibétain. Même avec la bénédiction du Dalai Lama, la conquête des fiefs mongols par la dynastie Qing nécessita toute une série de terribles guerres génocidaires. Ce processus vit l’Etat chinois s’étendre vers le Sud, jusqu’en Birmanie et au Vietnam, à l’Est vers la Corée, et à l’Ouest, en Asie Centrale et au Tibet.

    Mais alors que l’Etat Qing commençait à se désagréger au 19è siècle sous l’impact combiné de la rébellion interne, et des pressions impérialistes venues de l’extérieur, le Tibet commença à échapper à son contrôle. Au début des années 1900s, l’impérialisme britannique cherchait par tous les moyens à s’assurer l’hégémonie sur le Tibet, pour y construire un barrage à l’expansion de la Russie en Asie Centrale.

    Le colonel Younghusband, un britannique, à la tête d’une force militaire composée en majorité d’Indiens, massacra en 1904 plus de 900 Tibétains faiblement armés, pour imposer un accord de commerce au gouvernement de Lhassa. Un traité en 1906, accepté de force par un gouvernement Qing décrépit, fit du Tibet un protectorat britannique. C’est ici que se trouve la vérité au sujet du soi-disant Tibet “indépendant” de l’époque, que la propagande du gouvernement en exil mené par le Dalai Lama présente si souvent comme un “âge d’or”. Sur base du capitalisme et de l’impérialisme, il ne peut y avoir aucune indépendance véritable pour les petits Etats économiquement faibles ; de la même manière qu’il est impossible à une petite entreprise “indépendante” de survivre dans l’économie capitaliste moderne autrement qu’en tant que sous-traitant des grandes corporations Les tentatives du 13ème Dalai Lama de mendier les faveurs de l’impérialisme britannique comprenaient entre autres l’offre “pacifiste” de 1000 troupes tibétaines qui sont allées se battre pour les Britanniques lors de la Première Guerre Mondiale.

    Du point de vue des Chinois, le transfert du Tibet dans la sphère d’influence britannique était encore un nouvel exemple de l’humiliante occupation étrangère, sur un pied d’égalité avec la conquête de la Mandchourie par la Russie en 1901, et l’annexion de l’île de Formose (Taiwan) par le Japon en 1895. La réunification du Tibet et de la “patrie” chinoise fut incorporé au Credo de tous les nationalistes chinois, de Chiang Kai-shek à Mao Zedong et à ses stalinistes.

    Cette attitude n’était pas celle des trotskystes chinois, cependant. Chen Duxiu, le fondateur du PCC, qui fut plus tard un important soutien pour l’Opposition de Gauche menée par Léon Trotsky, disait de prendre garde au “nationalisme et au patriotisme égoïstes”, qu’il décrivait ironiquement comme étant des “marchandises de mauvaise qualité importées du Japon”, qui devaient être boycottées par la classe ouvrière chinoise, comme ils le faisaient pour les autres marchandises !

    La révolution de 1949

    La révolution chinoise de 1949 représente un énorme paradoxe historique. En abolissant le capitalisme et les droits seigneuriaux, et en lançant l’industrialisation sur base de la propriété d’Etat et de la planification, elle secoua la Chine au point de la faire sortir de plus d’un siècle de paralysie et de déclin. La Chine était la preuve vivante de la phrase de Karl Marx : “La révolution est le moteur de l’histoire”. Mais à cause du caractère déformé que prit cette révolution sous une direction staliniste, dont le modèle était la dictature bureaucratique de l’URSS, le nouvel Etat arriva vite en confrontation directe avec les Tibétains et d’autres minorités nationales, et ensuite avec des couches larges des travailleurs et paysans chinois Han.

    Plutôt que de s’appuyer sur l’internationalisme ouvrier conscient qui animait Lénine, Trotsky et les autres chefs de la Révolution Russe de 1917, la vision du monde qu’avait le régime de Mao Zedong ne pouvait être décrit qu’au mieux comme un nationalisme Han radical, combinant l’opposition à l’impérialisme étranger, à une attitude chauviniste et intolérante envers les minorités nationales de l’ancien Empire Chinois. Le Tibet, le Xinjiang et la Mongolie Intérieure étaient perçues comme de simples lopins de terre à valeur stratégique, à être incorporés à tout prix au nouvel Etat, à la fois pour des raisons de sécurité nationale, et pour redorer le prestige des Han. Etant donné cette approche, une bonne partie de la bonne volonté de ces peuples au départ fut mise de côté.

    La situation était quelque peu différente en Mongolie Intérieure qui, au contraire du Tibet et du Xinjiang, avait été occupée par le Japon dans les années 1930s, et où les communistes mongols avaient activement pris part à la guerre civile contre les forces nationalistes de Chiang Kai-shek. Mais aujourd’hui, le nationalisme mongol remonte parmi la jeune génération. Malgré une croissance économique spectaculaire basée sur l’explosion de la demande en charbon (le PIB de la Mongolie intérieure a doublé en termes nominaux entre 1999 et 2004), des manifestations ont éclaté récemment contre les projets de privatiser le tombeau de Gengis Khan, un héros national. Bien qu’ils aient officiellement été des Etats “socialistes” (en réalité, stalinistes) dans le passé, les deux Mongolies (“Intérieure” et “Extérieure”) sont restées séparées par les bureaucraties chinoises et russes.

    La position de Mao et des stalinistes chinois était en complète opposition avec la tradition du marxisme authentique, qui défend le droit des nations à disposer d’elles-mêmes. Dans le cas de la Chine, le nouveau régime reconnut seulement “le droit d’exercer une autonomie régionale nationale” au sein de l’Etat chinois. Comparez cela à la position de Lénine, qui accorda l’indépendance à la Finlande en décembre 1917 – puisque tel était le voeu clairement exprimé de la population finnoise – après des décennies de “russification” forcée par le régime tsariste. Pour les bolcheviks (communistes) russes, le point crucial était l’unité et la cohésion politique des travailleurs, quelles que soient les frontières nationales. Sous Lénine, la constitution de l’URSS permettait le droit à l’autodétermination pour toutes les républiques membres, y compris le droit à la séparation. Mais, en conséquence de la dégénération bureaucratique de l’Union Soviétique sous Staline, ce droit fut aboli dans la pratique, ainsi que le furent les Soviets – les conseils des travailleurs élus – organes à travers lesquels la classe ouvrière exerçait le pouvoir dans les premières années de l’Etat soviétique. En comparaison, la révolution chinoise triompha sans organes de pouvoir démocratiques pour les travailleurs, mais avec une caste bureaucratique “prête à l’emploi”, au sein des corps d’officiers “communistes” de l’Armée de Libération Populaire, basée sur les paysans. La foi exagérée en les solutions militaires du nouveau régime chinois (“Le pouvoir vient du barillet d’un fusil”), combinée au chauvinisme Han, a fait que, au lieu de résoudre la question nationale en Chine, de nouveaux conflits explosifs sont apparus.

    Le Tibet et la Guerre Froide

    L’invasion du Tibet en octobre 1950 eut lieu trois mois après le début de la Guerre de Corée, qui représentait une remontée importante de la “Guerre Froide” entre l’”Orient” staliniste, et l’”Occident” capitaliste. Mao fut forcé par l’ascension tragique des tensions internationales, de mettre en branle ses plans d’invasion. Le 7 octobre, 40 000 soldats de l’ALP occupèrent la ville du Tibet oriental de Chamdo, écrasant la minuscule armée tibétaine, et forçant le gouvernement du Dalai Lama à négocier. Cette approche, plutôt que celle d’une force d’invasion décisive, montrait bien les problèmes logistiques que connaissait l’ALP afin de soutenir une grande armée dans un terrain de haute altitude, presque sans aucune route.

    L’occupation de Chamdo se fit seulement deux jours après que les “Forces des Nations Unies” – un drapeau opportun pour servir d’excuse à une force en majorité composée d’Américains – prit la décision de traverser le 38ème parallèle pour pénétrer en Corée du Nord, avec pour objectif de renverser son régime staliniste.

    L’entrée de l’ALP au Tibet avait donc pour but de prévenir toute poussée indépendantiste de la part du gouvernement de Lhassa, qui serait soutenue par l’occident. Au troisième jour de la Guerre de Corée, le 27 juin, le président Truman ordonna à la 7ème Flotte américaine de “neutraliser” le détroit de Taiwan, pour contrecarrer l’attaque chinoise, imminente, sur Taiwan. La droite républicaine aux Etats-Unis, dont le champion était le Général Douglas MacArthur, Commandant en Chef des Forces de l’ONU en Corée, exigeait que la guerre fût portée en Chine. MacArthur était pour le bombardement des bases aériennes chinoises, et l’utilisation d’armes nucléaires tactiques du côté chinois de la frontière coréenne, surtout après que plus d’un million de “volontaires” chinois (en réalité, des unités régulières de l’ALP) fussent entrés en Corée en novembre 1950. Mais à ce moment, des conseils plus avisés parvinrent à s’imposer à Washington, avec pour conséquence le renvoi de MacArthur par le président Truman, en avril 1951.

    La position de Truman reflétait les réalités géopolitiques. Les Etats-Unis et leurs alliés n’étaient pas en position de risquer une attaque directe en territoire chinois, pas juste après la Seconde Guerre Mondiale, à une époque de luttes de libérations nationales qui secouaient alors l’Asie, l’Afrique, et l’Amérique du Sud. Il avait fallu insister très fort pour convaincre le gouvernement du Labour en Angleterre de remplir ses obligations en Corée. Ni les Etats-Unis, ni la Grande-Bretagne, n’auraient pu intervenir au Tibet, et leurs tentatives de négocier une intervention militaire indienne furent ignorées par le gouvernement Nehru. Après la Guerre de Corée, l’impérialisme américain fournit, il est vrai, des armes et de l’entraînement au mouvement sporadique de guérilla anti-chinoise au Tibet, mais d’après les rapports, ce soutien prit fin en 1969, à la veille de la visite de Kissinger en Chine, par laquelle la Chine et les Etats-Unis arrivèrent à une entente historique. C’était alors la quatrième fois en un demi-siècle que les dirigeants tibétains avaient placé tous leurs espoirs sur l’intervention de la part d’une des grandes puissances (Royaume-Uni, Japon, Inde, et Etats-Unis), uniquement pour en sortir cruellement déçus.

    Le dévouement massif du gouvernement chinois à défendre la Corée du Nord – jusqu’à 400 000 soldats chinois y furent tués, y compris un des fils de Mao – ne découlait évidemment pas d’un idéal d’”Aide à la Corée” gratuit, tel qu’il était affiché dans la propagande officielle, mais bien des conséquences qu’aurait pu avoir une victoire américaine pour son propre règne (et non des moindres, la création d’un Etat vassal au service des Etats-Unis, et l’établissement d’une base militaire à la frontière orientale de la Chine). Néanmoins, puisqu’il intervenait en soutien à une lutte nationale contre un impérialisme étranger, l’intervention du gouvernement chinois en Corée profita d’un soutien large, que ce soit dans son propre pays, ou à travers l’Asie dans son ensemble.

    Le “Front Unique” avec le féodalisme

    Au Tibet, cependant, au lieu de venir en aide au mouvement autochtone qui se développait contre le féodalisme et le colonialisme, c’est le régime chinois lui-même qui prit le rôle d’un agresseur militaire. Pour rendre les choses pires, Pékin chercha alors à renforcer sa position au moyen d’une “alliance patriotique” avec le Dalai Lama et l’élite féodale tibétaine.

    Comme l’expliquait un commentateur, “Mao n’était pas pressé d’apporter la révolution au Tibet. Les intentions du PCC, au contraire, étaient de “gérer” le pays à distance, d’une manière très similaire au modèle des Qing. Malgré ses prises de position révolutionnaires, le PCC n’essaya pas, dans un premier temps, d’implémenter la moindre réforme sociale au Tibet. La souveraineté avait la priorité. Tant que le Tibet “revenait dans le giron de la grande famille de la patrie”, Pékin y était plutôt d’accord de tolérer la préservation du “système de servage féodal”.”

    [Réflexions sur le Tibet, Wang Lixiong]

    Un véritable gouvernement socialiste en Chine se serait engagé à assister le développement d’une révolution démocratique, càd agraire, au Tibet, aurait fait de l’agitation parmi les paysans pour le contrôle de la terre, la confiscation des domaines féodaux et monastiques, et des droits démocratiques larges, y compris le droit à l’autodétermination. Ce gouvernement aurait expliqué qu’à l’ère de l’impérialisme, avec les pays néo-coloniaux sous la domination brutale du capitalisme étranger, la lutte révolutionnaire serait forcée d’aller au-delà de ses tâches purement bourgeoises, d’adopter des mesures socialistes et de faire le lien avec la lutte révolutionnaire des ouvriers et des paysans en Chine, en Inde, et dans le monde.

    Mais plutôt que de se baser sur la petite couche d’intellectuels et de travailleurs radicalisés, les dirigeants du PCC préférèrent négocier avec les “éminences” de la société tibétaine. Le petit Parti Communiste Tibétain, mené par Phüntso Wangye, dont le statut indépendant aurait été un énorme atout, étant donné la complexité de la question, fut fusionné de force avec le Parti Communiste Chinois en 1948. Contre leur gré, les communistes tibétains acceptèrent d’abandonner leur slogan en faveur d’un “Tibet communiste et indépendant”, mais espéraient toujours que la révolution chinoise mènerait à la restructuration du Tibet en tant que “république autonome qui fonctionnerait d’une manière similaire à celle des républiques socialistes de l’Union Soviétique… Elle serait sous souveraineté chinoise, mais contrôlée par les Tibétains” [Un Révolutionnaire Tibétain, Phüntso Wangye]. En 1958, Wangye fut dénoncé par le régime chinois pour “nationalisme local”, et condamné à 18 ans de prison. Son arrestation était un avant-goût de la répression qui allait ébranler la société tibétaine après l’effondrement de l’alliance de Pékin avec l’oligarchie féodale.

    Le traité de 1951 entre le régime de Mao et le Dalai Lama, alors âgé de 16 ans, constitua un prototype de la formule “Un pays, deux systèmes” de Den Xiaoping concernant Hong Kong et Macao dans les années 1990s. Ce traité stipulait que le gouvernement de Pékin n’allait pas “altérer le système politique existant au Tibet” et que “en ce qui concerne les différentes réformes au Tibet, il n’y aura aucune obligation de la part des autorités centrales”. L’accord fournissait une approbation rétroactive de l’invasion chinoise par le Dalai Lama, et donnait à Beijing le contrôle de la politique étrangère et de la défense. Dans la sphère sociale, cependant, à part de la réduction des taux d’intérêts usuriers et de la construction de quelques hôpitaux et routes (qui avaient surtout un but militaire), les changements qui furent introduits à cette période étaient très limités. Comme l’explique un chroniqueur, “Aucune propriété monastique ni aristocratique ne fut confisquée, et les seigneurs féodaux poursuivirent leur règne sur les paysans qui leur étaient liés de manière héréditaire”

    [La Panthère des Neiges et le Dragon, Melvyn Goldstein].

    Mao fit passer cela pour un “front uni” avec le peuple tibétain, alors qu’en fait, ce n’était qu’un retour de la politique staliniste catastrophique de collaboration de classes qui avait été appliquée en Chine durant les années 20s et 30s (l’”alliance” du PCC avec les nationalistes de Chiang Kai-shek). La différence à ce moment-là, bien entendu, était que le régime de Mao agissait d’une position de force. Il exerçait un contrôle ultime sur l’Etat, grâce aux 100 000 soldats de l’ALP qui étaient basés au Tibet. Tout en flattant les élites tibétaines, les efforts du régime chinois de se construire un soutien parmi les masses au Tibet furent, au mieux, incompétents : “Désorientés par les nouvelles pistes offertes par les Han, craignant les Han qui appelaient à la “libération” des serfs vis-à-vis de leurs maîtres féodaux, en même temps qu’ils forgeaient des alliances avec ces maîtres, ils ne rejoignirent pas leurs “libérateurs” en très grands nombres” [La création du Tibet moderne, Tom Grunfeld]. En 1954, le Dalai Lama fut nommé Vice-Président du Comité Permanent du parlement bidon organisé par les Chinois, le Congrès Populaire National, malgré le fait que sa demande de rejoindre le PCC (!) ait été rejetée. En 1955, le premier ministre de Mao, Zhou Enlai, dit au dirigeant tibétain que si le Tibet n’était pas encore prêt pour une réforme agraire, la période d’attente “pouvait être prolongée d’encore 50 ans”.

    La rébellion de 1959

    Mais la lutte des classes et les variations de la conscience populaire ne se déroulent pas selon un plan bureaucratique. Sous l’impact de la transformation de la Chine elle-même, le vieux Tibet commença à se fissurer. Alors, comme maintenant, plus de la moitié de la population tibétaine vivait dans les provinces avoisinantes de Qinghai, Gansu, Sichuan et Yunnan. L’esprit bureaucratique étroit qui était celui du régime pékinois signifiait que, tandis qu’il maintenait, de manière implacable, sa position de “aucune réforme” au Tibet en lui-même, il ne vit aucune raison d’appliquer la même politique vis-à-vis des communautés tibétaines des autres provinces? En réponse à la collectivisation de l’agriculture, introduite dans ces provinces à partir du début de 1956, des centaines de rébellions éclatèrent, dans lesquelles 10 000 Tibétaines furent tués [Rapport de la 11ème division de l’ALP, 1952-1958].

    L’impérialisme américain, à travers ses bases au Népal, fournissait des armes et de l’entraînement aux dirigeants de cette rébellion des “Khampa”. Naturellement, les dirigeants de ce mouvement – pour la plupart, de riches fermiers et des nobles dépossédés – dressèrent la bannière de la religion et de la nationalité afin de rassembler derrière eux les sections pauvres de la population. Une fois de plus, la situation fut aggravée par la réponse brutale des autorités maoïstes. Pour réaffirmer son contrôle, l’ALP commença à bombarder des monastères, à arrêter des vieux moines et des dirigeants de la guérilla, et à mettre sur pied des exécutions publiques. Ces événements menèrent à une remontée spectaculaire des tensions de part et d’autre de la frontière du Tibet, où la répression contre les rebelles “Khampa” était largement interprétée comme une attaque génocidaire sur le peuple tibétain et sur leur religion, dans les régions dominées par les Han. L’atmosphère devint explosive lorsque des renforts massifs pour l’ALP commencèrent à arriver à Lhassa à la fin de 1958, avec pour but avoué d’encercler les 60 000 réfugiés “Khampa” qui s’y étaient réfugiés. Une rumeur s’était répandue, disant que l’ALP était venue pour arrêter le Dalai Lama, ce fit se dresser des barricades autour du Palais d’Eté par des milliers de gens, criant “Virez les Han” et “Le Tibet aux Tibétains”.

    L’émeute du 10 mars 1959 à Lhassa fut rapidement écrasée, causant la fuite du Dalai Lama et d’à peu près 100 000 disciples, surtout membres de l’ancienne élite féodale, vers Dharamsala en Inde septentrionale. Là, ils créèrent un gouvernement en exil, qui n’a toutefois jamais été reconnu par aucun gouvernement. Mao intervint en personne pour s’assurer que le Dalai Lama puisse s’enfuir, par peur de la réaction des pays bouddhistes et de l’Inde, eût-il été tué. L’émeute était un mouvement réactionnaire et féodal, qui était surtout soutenu par les lamas, par la noblesse féodale et par les corps d’officiers de l’ancienne armée tibétaine. Mais à cause de la politique criminelle du régime de Pékin, qui n’était pas basé sur le ralliement des masses au socialisme, mais sur des manoeuvres bureaucratiques, au nom de l’”unification de la patrie”, de larges couches de la population tibétaine ne virent les événements de mars que du point de vue de la lutte nationale contre l’occupation chinoise.

    Dans les 18 mois qui suivirent directement l’émeute, 87 000 Tibétains furent tués, selon les données de l’ALP, qui se mettait ainsi à dos des couches encore plus marges de la population. Cette force expressive était dictée, plus que par la situation au Tibet, par une crise sérieuse au sein du régime de Beijing lui-même. Le criticisme vis-à-vis de Mao montait, tandis que les résultats catastrophiques du “Grand Bond en Avant” commençaient à se faire sentir. L’estimation initiale de la récolte de grains en 1958, de 375 millions de tonnes, était tombée drastiquement à 215 millions de tonnes. Au cours des trois années qui vinrent, la Chine allait être ravagée par la pire famine du 20ème siècle, aggravée par toute une série de désastres naturels, qui entraîna la mort de 30 millions de personnes.

    Un mois après l’émeute de Lhassa, Mao fut remplacé à la tête du gouvernement par Liu Shaogi, un allié de Den Xiaoping, bien que Mao conservait le poste encore plus important de président du Parti Communiste. L’ambiance dans les coulisses du pouvoir était tellement infecte à l’époque, que Mao se plaignait d’être déjà traité comme un “ancêtre mort”. Dans la sphère internationale, un conflit âpre bouillonnait avec Moscou, qui allait éclater dans les trois mois qui suivirent l’émeute. En juin 1959, Khrushchev, le dirigeant soviétique, se moqua publiquement des communes de Mao, disant d’elles qu’elles n’étaient qu’un bricolage réalisé par des gens “qui ne comprennent ni le communisme, ni la manière dont il doit être construit”. Lors du même mois, l’Union Soviétique retira son soutien au programme d’armement nucléaire chinois. Par une reprise perverse du Grand Jeu en Asie Centrale, la bureaucratie soviétique avait commencé à enflammer le discours anti-Pékin qui vivait parmi les Kazakhs et les autres minorités turques du Xinjiang, pour ses propres intérêts cyniques. La réponse lourde de Pékin à la rébellion tibétaine était une tentative de rétablir son prestige – à la fois à l’intérieur et à l’extérieur – et de décourager le “séparatisme” dans d’autres parties de la Chine. Selon la maxime chinoise : “Tue le poulet pour effrayer le singe” !

    A la suite de l’émeute, Beijing exécuta un tournant à 180 degrés au Tibet : revenant de leur position qui consistait à tolérer les pires humiliations féodales, ils décidèrent d’éliminer le féodalisme par en haut. Etant donné le bas niveau d’alphabétisation et d’expérience administrative parmi la population tibétaine, des “cadres” (bureaucrates) Han furent assigné au Tibet en grands nombres afin de mettre en oeuvre la nouvelle politique. La répression militaire, la destruction des monastères qui avaient servi de bases à la rébellion, et l’exécution d’un ordre absurde de Mao qui exigeait que les moines et nonnes soient mariés de force, étaient tous destinés à “la destruction de la capacité des élites à relancer la révolte” [Wang Lixiong].

    La Révolution Culturelle

    Alors que la redistribution des terres féodales et monastiques au début des années 60s avait effectivement créé une base de soutien au régime chinois au Tibet, elle fut largement annihilée par les événements de la Révolution Culturelle. En 1969, le gouvernement central décida d’introduire les soi-disant “Communes Populaires” (des fermes collectives à grande échelle) au Tibet, une décennie après le reste de la Chine. Les paysans et bergers interprétèrent cela comme étant l’expropriation des pâturages et du bétail qu’ils avaient gagnés au début de la décennie et, une fois encore, la révolte armée fit rage à travers la campagne tibétaine. Les socialistes sont en faveur de l’agriculture collective, qui peut énormément améliorer les rendements. Mais ceci ne peut se faire que sur une base volontaire, avec des bonus pour inciter les gens qui décident de rejoindre la collectivisation. Pour ce travail, il doit y avoir une solide base industrielle qui peut fournir les machines agricoles, les engrais et l’approvisionnement en toutes sortes d’objets manufacturés, en échange des produits de la ferme. Ceci n’était pas le cas dans la Chine des années 60s, et encore moins au Tibet. Le résultat fut plus d’une décennie de stagnation économique, tandis que de larges couches de la paysannerie allèrent effectivement “travailler pour régner”, en signe de protestation. Ceci était déguisé par l’introduction de réformes importantes, telles que les soins de santé et l’éducation gratuits. Néanmoins, en 1980, 500 000 paysans – plus d’un quart de la population tibétaine – ne vivaient guère mieux qu’avant l’arrivée des communes. A côté du chaos dans l’agriculture, la Révolution Culturelle impliquait l’écrasement brutal de la religion bouddhiste, avec la destruction des derniers monastères tibétains, et la “rééducation” obligatoire pour les moines et les nonnes. Alors qu’on trouvait 2463 monastères au Tibet en 1959, il n’y en avait plus que 10 en 1976. Selon le Panchen Lama, “Les Saintes Ecritures servirent de compost, et les images de Bouddha et des soutras furent délibérément utilisées afin de fabriquer des chaussures”.

    En 1980, les dirigeants chinois reconnurent avoir commis “de graves erreurs” au Tibet. Cet état des affaires, à première vue étonnant, n’était qu’un sous-produit de la lutte âpre qui se déroulait au sein de la bureaucratie chinoise après la mort de Mao en 1976. Face à une crise économique de plus en plus grave, Deng Xiaoping et “l’aile réformatrice” de la bureaucratie préconisèrent un tournant en direction de méthodes capitalistes, une politique qui fut au départ accueillie avec la plus dure des résistances de la part des loyalistes maoïstes au sein de la bureaucratie. Hu Yaobang, un “réformiste” radical qui était secrétaire général du PCC, visita le Tibet en 1980 et réaffirma, lors d’une conférence de l’élite des dirigeants, que “les cadres tibétains devraient avoir le courage de défendre leurs propres intérêts nationaux”. Hu amorça des changements en profondeur – le démantèlement des communes, l’adoucissement de la persécution religieuse, l’amnistie pour plus de 300 personnes qui avaient été emprisonnées lors de la rébellion de 1959, et la “tibétanisation” de la bureaucratie régionale (le remplacement des dirigeants Han par des “cadres” tibétains). La reconstruction de nombreux monastères lors de cette période n’était pas juste une tentative de Beijing d’encourager la religion afin de pacifier la population (pour que les gens y trouvent une solution à leurs problèmes plutôt que par la rébellion) ; le régime y voyait également l’opportunité d’utiliser le tourisme pour raviver l’économie tibétaine. La “tibétanisation” dut être relativisée, cependant, lorsque le départ d’un si grand nombre d’administrateurs bien formés mena à une paralysie bureaucratique. Néanmoins, la population Han au Tibet fut réduite de 40 pourcent entre 1980 et 1985, à travers le rapatriement d’une foule de bureaucrates. Leurs remplaçants provenaient, dans leur grande majorité, de l’ancienne élite tibétaine éduquée, des chefs de clans traditionnels et des nobles.

    Le choix de Hu pour le titre de secrétaire du parti au Tibet fut Wu Jinghua, un libéral, lequel, par son appartenance à la minorité des Yi, fut le premier non Han à jouir de cette position. Rompant avec la politique menée par ses prédécesseurs, les années Wu apparurent comme un “âge des lumières”, bien que de courte durée. Lors des éruptions anti-chinoises de l’hiver 1987-88, la politique permissive de Wu fut blâmée car elle aurait “encouragé au séparatisme”. A l’époque, le bienfaiteur de Wu, Hu Yaobang, était aussi tombé face à Den Xiaoping, et avait été chassé de son poste pour le crime de “libéralisme bourgeois”. Les manifestations anti-chinoises de la fin des années 80’s préparèrent donc un nouveau virage abrupt dans la politique du Tibet. L’homme qui fut chargé de superviser un retour à des méthodes plus répressives n’était nul autre que Hu Jintao.

    Hu fut responsable de l’implémentation de la loi martiale en mars 1989, et d’actes de répression qui servirent de répétition générale pour la répression encore plus brutale, trois mois plus tard, des manifestations de la place Tiananmen à Beijing. Ceci montre comment le perfectionnement des méthodes de répression dans le cadre de la lutte contre le “séparatisme” au Tibet est ensuite employé contre les travailleurs et les paysans des communautés Han, ou autres, partout en Chine lorsqu’ils osent élever la voix contre la corruption, l’injustice et le manque de droits démocratiques. Ceci est l’une des raisons pour lesquelles tous les travailleurs doivent s’opposer à la répression exercée par le régime chinois au Tibet.

    Malgré le coup de vernis passé sur l’administration grâce à la nomination de dirigeants tibétains (66 pourcent de la bureaucratie régionale en 1989), aucun Tibétain n’a jamais tenu le poste-clé de secrétaire du parti dans la RAT. Cette place est plus importante dans la hiérarchie de l’Etat chinois que le poste de chef du gouvernement. De la même manière, les commandants des forces de l’ALP et de la PAP (Police Armée Populaire) stationnées au Tibet ont toujours été des officiers Han. Ceci en particulier est une source de ressentiment parmi les dirigeants tibétains. Les retournements constants de politique sur ordre de Beijing ont aussi mené à un soutien croissant pour les idées d’une autonomie “réelle” – ou “à la Hong Kong” – parmi la même couche. Cette position est quasi identique à celle prônée par le Dalai Lama et le gouvernement en exil, tirée de la vieille classe féodale, ce qui souligne une large symétrie de points de vue entre les ailes internes et externes de l’élite tibétaine.

    Le Dalai Lama abandonne l’idée “d’indépendance”

    De l’extérieur, les tensions entre la Chine et le Tibet semblent s’être apaisées, avec la reprise de pourparlers sporadiques entre Beijing et les représentants du Dalai Lama. Les discussions entre les deux parties avaient été suspendues après les manifestations indépendantistes de la fin des années 80’s. Le dirigeant bouddhiste a jusqu’ici mené une lutte au sein du mouvement nationaliste tibétain afin d’annuler les demandes d’indépendance, préconisant une “authentique autogestion à l’intérieur de la Chine” en tant qu’alternative. Cette “troisième voie” autoproclamée – une tentative de revenir aux termes du traité de 1951-59 – est une reconnaissance du fait que les tentatives de gagner le soutien de Washington et des autres gouvernements capitalistes à la cause des Tibétains ont échoué. Cela reflète également la pression de la nouvelle élite privilégiée à l’intérieur du Tibet, qui a évolué et est devenue prospère sous le patronage des Chinois.

    La stratégie et la politique bourgeoise du gouvernement tibétain en exil ont montré leur complète faillite. En dépit de la popularité du Dalai Lama en tant que symbole de la nation tibétaine, il y a parmi les exilés tibétains un mécontentement et un criticisme croissant vis-à-vis de la stratégie de leur direction. Le Congrès de la Jeunesse Tibétaine (une organisation d’exilés), par exemple, a récemment averti qu’il n’exclurait pas la lutte armée dans le cadre de la recherche de l’indépendance. Mais une telle tactique a déjà été tentée auparavant, dans les années 50-60’s, alors que l’on disposait à l’époque d’armes et d’un entraînement américains. Une lutte purement militaire, càd, une guérilla, serait encore plus impossible à gagner aujourd’hui, avec la modernisation de l’ALP et le développement d’unités de “contre-terroristes” d’élite. Les soi-disant méthodes de “guérilla urbaine”, ou terrorisme, comme la montré l’expérience du Xinjiang de la fin des années 90’s, mènent invariablement à une intensification de la répression étatique, et minent les possibilités de développer un mouvement de masse.

    La seule lutte qui peut montrer une issue en avant est une lutte socialiste, qui se détournerait des capitalistes et de leurs gouvernements, y compris le régime pro-capitaliste actuellement aux commandes à Beijing, et se tournerait vers la classe des travailleurs, en particulier vers ce colosse qui se réveille, la classe ouvrière chinoise. Même si le Tibet recevait son indépendance sur une base capitaliste, que signifierait cela pour la masse de la population ? Ses voisins himalayens sont un exemple frappant de ce qui veut dire “l’indépendance” dans le contexte de la division impérialiste du monde. Le Bhoutan et le Népal ne sont en réalité rien de plus que des Etats vassaux de l’Inde, tandis que le Sikkim, qui a obtenu son indépendance de la Grande-Bretagne en 1918, a été jugé “déficitaire” et absorbé par l’Inde en 1975.

    Ces Etats connaissent de plus hauts taux de mortalité infantine et une moins bonne espérance de vie que le Tibet (la mortalité infantiel du Bhoutan est presque le triple de celle du Tibet ; l’espérance de vie au Népal est de 59,8 ans, au Bhoutan elle est de 54,4 ans, alors qu’elle est de 65 ans au Tibet). Découlant de la politique menée par les dirigeants locaux sur ordre du FMI et de la Banque Mondiale (sur laquelle la Chine exerce une influence grandissante), le Népal et le Bhoutan ont tous les deux un plus grand nombre de réfugiés hors de leur territoire que le Tibet. La politique raciste du gouvernement bhoutanais a mené un cinquième de la population (134 000 personnes) à l’exil au début des années 90’s. Le Népal, dirigé par son propre “roi-dieu” (hindou), est en prises à la plus sanglante des guerres civiles d’Asie, laquelle a fait perdre la vie à 10 000 personnes depuis 2001. Par une des grandes ironies de l’histoire, le gouvernement chinois fournit des armes au roi Gyanendra contre la guérilla maoïste, sa crainte de voir le “mal népalais” se répandre au Tibet n’étant pas une de ses moindres raisons là-derrière.

    Une solution socialiste

    La nouvelle “troisième voie” prônée par le gouvernement tibétain en exil – un arrangement avec le régime chinois – n’a pas plus de chances de succès que ses précédents stratagèmes diplomatiques. Beijing voit surtout les discussions comme un moyen de détourner la critique internationale de ses actions au Tibet. En privé, la stratégie de Beijing est probablement d’attendre la mort du Dalai Lama septuagénaire et sa “réincarnation” dans un enfant. Ayant déjà imposé leur propre Panchen Lama (la deuxième figure la plus importante du bouddhisme tibétain) après la mort mystérieuse du dixième Panchen Lama en 1989, les cadres “communistes” espèrent pouvoir truquer la sélection du prochain Dalai Lama.

    Pour le régime chinois, la renonciation à l’indépendance n’est pas assez ; il insiste pour que les Tibétains abandonne aussi de manière explicite tout espoir à l’arrangement de “une nation, deux systèmes” suivant les lignes de Hong Kong. Dans le cas de Hong Kong, Beijing a fait d’importantes concessions afin de s’assurer que la classe capitaliste de la cité-état ne décampe pas après la réunification, emportant avec eux tous leurs milliards. Par la formule de “une nation, deux systèmes”, Hong Kong a son propre système légal, monétaire et financier, et bien que son “parlement” n’est qu’une façade, la population jouit de droits démocratiques de base (liberté d’assemblée, droit de grève, etc.) qui sont uniques en Chine. Une telle “carotte” a aussi été tendue à Taiwan dans l’espoir de la voir retourner “dans le giron de la mère-patrie”. Mais Beijing craint – non sans fondement – que des concessions similaires dans le cas du Tibet créent un dangereux précédent. Ceci serait perçu comme une récompense pour l’insubordination tibétaine, et ouvrirait les portes à des revendications similaires de la part d’autres provinces et régions.

    Pour vaincre, les masses tibétaines doivent lier leur lutte pour des droits démocratiques et la fin de l’occupation militaire à la lutte qui se développe maintenant, de la classe laborieuse chinoise surexploitée. Suivant un agenda parfait, l’élite tibétaine poursuit sa réconciliation avec Beijing au moment même où une explosion de protestations des travailleurs et paysans chinois secoue pratiquement chaque province de Chine. La jeunesse tibétaine, en particulier, doit soutenir et construire des liens avec la lutte des travailleurs chinois, qui combattent le même oppresseur, et recherchent fondamentalement les mêmes libertés : la fin du règne du parti unique et de la terreur policière, la liberté d’assemblée, de parole et de culte, le droit à s’organiser, et l’abolition de l’exploitation de classe à travers la socialisation de l’industrie sous contrôle démocratique. En d’autres mots, la lutte tibétaine doit être une lutte socialiste, reliée aux masses opprimées de la région de l’Himalaya, de la Chine et du monde.

0
    0
    Your Cart
    Your cart is emptyReturn to Shop