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  • Sortir du capitalisme pour sauver la planète – Une analyse marxiste de la décroissance

    Ce 3 décembre s’est déroulée une nouvelle manifestation pour le climat dans le cadre de la COP28 de Dubaï. Ce fut l’occasion de se pencher sur une proposition populaire dans le mouvement pour la justice climatique : la décroissance. Nous en avons discuté avec Alain Mandiki, syndicaliste et militant du PSL.

    Propos recueillis par Constantin (Liège), dossier de l’édition de décembre-janvier de Lutte Socialiste

    Pourrais-tu faire un rapide état des lieux concernant la crise climatique ?

    Le dernier rapport du PNUE (Programme des Nations unies pour l’environnement) indique que nous nous dirigeons vers un réchauffement de la planète qui atteindrait les 3°C par rapport à l’ère pré industrielle, là où les accords de Paris avaient fixé l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C au mieux et à 2°C maximum. En dépit de toutes les promesses de l’industrie pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, on constate que les investissements dans le secteur des énergies fossiles continuent d’augmenter.

    Tout cela illustre la débâcle de la classe dominante dans la gestion de la crise climatique, à travers les différentes COP, les conférences de l’ONU sur le climat. De plus, avec l’intensification de la nouvelle guerre froide entre les Etats-Unis et la Chine qui a notamment pour conséquence un processus de démondialisation, chaque classe capitaliste nationale est poussée à s’aligner sur le bloc impérialiste qui lui garantira la sauvegarde de ses intérêts. Cette nouvelle situation tend à largement réduire l’espace pour de nouveaux accords multilatéraux.

    Qu’en est-il de l’état du mouvement pour le climat ?

    Les grèves scolaires pour le climat de 2019 ont donné lieu à d’impressionnantes mobilisations qui ont contribué à rendre incontournable le thème du climat. Cela a conduit diverses grandes sociétés pétrolières comme TotalEnergies à tenter de “verdir” leur image, notamment via les différents mécanismes de compensation carbone, qui comportent certains aspect de rapport de domination néocoloniaux, ou par des campagnes de greenwashing.

    Au regard de la trajectoire actuelle de réchauffement climatique, force est de constater que ces mobilisations pour le climat ne sont pas parvenues à faire bouger les lignes. C’est l’une des leçons à tirer : la mobilisation de masse ne suffit pas à elle seule.

    C’est pourquoi une certaine radicalisation a pris place autour de groupes d’activistes plus restreints, comme Code Rouge ou Extinction Rebellion (XR). On a également parallèlement connu des tentatives plus institutionnelles, au travers de procès intentés aux Etats, qui ont parfois abouti à des condamnations pour inaction climatique, ou d’une loi sur “la restauration de la nature”. Ces approches institutionnelles aux étroites limites ne permettent toutefois pas d’affronter l’urgence de la situation. Entre radicalisation et espoirs dans les débouchés institutionnels, le mouvement cherche une issue dans toutes les directions.

    Le mouvement d’aujourd’hui diffère d’il y a dix ans. Il essaye notamment de se lier à d’autres combats, ce qu’illustrent l’apparition de termes tels que “écoféminisme” ou “écologie décoloniale” opu des slogans comme “fin du mois, fin du monde: même combat”. La culpabilité du système capitaliste dans sa globalité est comprise, sans cependant qu’existe une compréhension claire du fonctionnement de celui-ci.

    Le concept de décroissance est né dans les années 1970 et défend la diminution de la production de biens matériels et de la consommation. Que peut-on en dire ?

    Le mouvement décroissant est une réflexion de cette recherche de débouchés pour le mouvement. Et, là aussi, il y a eu une évolution. Il y a dix ans, le slogan “plus de liens, mois de biens” exprimait une critique idéaliste de la société de consommation et de l’impact du mode de production sur la nature. A présent, la critique décroissante est beaucoup plus radicale. Elle ne s’attaque pas seulement au consumérisme et au productivisme, mais bien à l’ensemble du système. Cette évolution est très positive.

    Remarquons cependant que la décroissance est un fourre-tout théorique. Le concept a été saisi par l’ensemble du spectre politique de l’extrême droite, par des mouvances spiritualistes, par la tendance de “l’écologie profonde” mais aussi par des figures de gauche comme Kohei Saito ou Jason Hickel, qui sont anticapitalistes. Ces derniers développent d’ailleurs une critique générale du capitalisme.

    Bien que la décroissance approche une critique du système dans sa globalité, l’imprécision du concept empêche de comprendre pleinement les mécanismes de celui-ci et donc d’agir efficacement contre lui. En tant que marxiste, nous voulons poser la critique du mode de production sur base d’une compréhension des mécanismes de son fonctionnement.

    Pour nous, le capitalisme est un système fondamentalement néfaste pour l’humanité, la nature et le rapport entre le deux. La production n’y est pas organisée en fonction des besoins sociaux mais dans le but de l’accumulation du capital dans les mains d’une minorité. C’est pour cela que le capitalisme se présente en premier lieu comme une immense accumulation de marchandises. Il transforme tout en chose. Mais la marchandise est avant tout la cristallisation d’un rapport social d’exploitation. Dès son émergence, le capitalisme a eu besoin d’asservir l’être humain et la nature. Le phénomène des enclosures en Angleterre, que Marx considère comme un des points de départ du capitalisme, a marqué la fin des droits d’usage, en particulier des communaux, dont un bon nombre de paysans dépendaient. Ce bouleversement économique et juridique a provoqué l’émergence de contradictions entre ville et campagne, ainsi que l’instauration de relations commerciales destructrices pour les peuples des pays soumis au joug esclavagiste et colonial dont le modèle était la monoculture destinée à l’exportation. Ces exemples illustrent cette nécessité d’asservissement. C’est cette compréhension scientifique du capitalisme que nous voulons apporter au mouvement.

    Le marxisme met beaucoup d’emphase sur la nécessité du développement des forces productives. Et au regard du bilan écologique de l’Union soviétique, on peut comprendre que des doutes existent quant à la pertinence de l’analyse marxiste vis-à-vis de l’environnement. La décroissance ne serait-elle pas aussi une critique du marxisme?

    L’expérience du stalinisme, une caricature bureaucratique sanglante du socialisme, a détourné toute une génération des idées du marxisme. Les désastres écologiques n’ont pas manqué en URSS. On pense évidemment à Tchernobyl, mais il y a une foule d’autres exemples moins connus. De nombreuses rivières ou étangs ont été pollués sans vergogne. La planification bureaucratique ne prenait aucunement en compte le lien entre être humain et nature. En République populaire de Chine, “la campagne des quatre nuisibles”, l’une des premières campagnes lancées lors du Grand Bond en 1958, a également causé un important déséquilibre écologique.

    Le stalinisme, sous toutes ses variations nationales, ne sont pas capables d’adresser les problèmes écologiques. Maintenant que la chape de plomb idéologique du stalinisme a disparu, cela nous offre l’opportunité de revenir aux apports véritables du marxisme à l’écologie politique. Le concept de rupture métabolique joue un rôle fondamental dans la pensée de Marx. Son travail découle du constat que le lien entre l’être humain et la nature est absolument fondamental.

    Quand Marx fait l’analyse de la transition entre le mode de production féodal et le mode de production capitaliste, il tire le constat que pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, les producteurs sont détachés physiquement des moyens de production. Le sens des enclosures, c’était de déposséder les paysans de leurs terres. Il en résulte une première aliénation du travailleur vis-à-vis de son outil. Par conséquent, les gens sont obligés de vendre leur force de travail pour survivre. Il en résulte la division entre la ville et la campagne que nous avons mentionnée précédemment.

    Précédemment, il existait une certaine harmonie entre l’être humain et la nature, permise par le retour des déchets émanant du processus de production vers le sol, ce qui permettait de compléter une sorte de cycle naturel. Avec l’exode rural et l’industrialisation massive, toute une série de cycles naturels ont été brisés. La destruction du cycle de l’azote, par exemple, a causé une multitude de problèmes écologiques. La fertilité des terres s’en est trouvée réduite. Par ailleurs, cette séparation ville – campagne, a causé une accumulation de pollution et de déchets dans les centres urbains.

    La discussion sur le développement des forces productives est une des plus débattues et des plus intéressantes. Elle a été caricaturée par les staliniens, mais ce que Marx entendait par là, ce qui est expliqué dans le Manifeste du parti communiste, c’est que pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, un stade a été atteint où les crises sociales économiques et écologiques ne proviennent pas d’une sous-production mais bien de la surproduction. Pour résoudre toute ses contradictions internes, le capitalisme a abattu toutes les frontières sociales et naturelle qui se mettait en travers de son chemin. Il ne s’agit pas tant aujourd’hui d’augmenter les marchandises misent sur le marché mais bien de produire en fonction des besoins sociaux et de manière rationnelle. Nous voulons aussi que la vie humaine ne soit plus marquée par l’aliénation. C’est pour cela que nous voulons sortir du rapport salarial. Nous voulons que le temps consacré à produire ce qui est nécessaire soit limités au strict minimum pour que chacun et chacune puisse profiter de ce qu’il ou elle juge agréable dans le cadre d’une vie heureuse et épanouissante. C’est ce que Marx appelait le passage du royaume de la nécessité au royaume de la liberté.

    Ton développement semble indiquer qu’il n’existe pas de solution sur base capitaliste. Mais en considérant le peu de temps qu’il nous reste, peut-on vraiment attendre le dépassement de ce système de production ? La décroissance ne représente-t-elle pas un intérêt dans ce sens ?

    L’argument du temps n’est pas à prendre à la légère. Il y a urgence, c’est vrai. En plus du problème du CO2, il faut aussi prendre en compte que, sur les 9 limites planétaires à ne pas dépasser pour maintenir les conditions de développement de l’humanité, 6 ont déjà été franchies. Et les trois autres sont en passe de l’être.

    La pression du temps a souvent été instrumentalisée pour nous faire accepter les maigres mesures que la classe dominantes a bien voulu concéder, en arguant qu’une petite mesure vaut mieux que pas de mesure du tout. C’est précisément ce type de raisonnement qui nous a conduit dans le gouffre actuel.

    Au-delà du problème du réchauffement, c’est l’ensemble du rapport entre l’être humain et la nature qui est problématique sous le capitalisme. Ce système est incapable de répondre à l’ensemble des contradictions qui se présentent face à lui sur différents terrains.

    On le voit en Belgique avec la crise des PFAS (substances per- et polyfluoroalkylées). Les industriels connaissaient depuis des années la nocivité de ce produit à trop haute concentration. Mais par souci de protégerr leurs marges bénéficiaires, rien n’a été fait. Suivant la même logique, quand a éclaté le scandale de l’usine 3M, qui avait pollué une bonne partie de la région d’Anvers, ce sont les travailleurs qui en ont fait les frais avec un plan social, les propriétaires s’en sont tiré à bon compte.

    Ces exemples tendent à démontrer une des principales faiblesses de l’approche décroissante. Cette approche met en avant qu’il faut décroitre au niveau de notre consommation, qu’il faut décroitre au niveau de la production, mais elle ne fait pas l’analyse des fractures présentes dans la société. Or, quand on regarde le récent rapport d’Oxfam, on constate que les 1% les plus riches de cette planète émettent autant de Co2 que les deux tiers de l’humanité. Ceci illustre clairement que la société est bel et bien divisée en classes sociales. Laquelle d’entre elles est en mesure de surmonter les contradictions du capitalisme pour résoudre les problèmes économiques, sociaux et environnementaux ? On ne peut pas faire confiance aux capitalistes. Les divers scandales de santé publique et environnementaux que leur soif de profit engendre souligne clairement leur incapacité complète à gérer quoi que ce soit dans l’intérêt général.

    Il va falloir prendre des mesures radicales pour diminuer la concentration de CO2 dans l’atmosphère et ainsi éviter que la température moyenne n’augmente au-dessus de 1,5° celsius.

    Il va falloir reboiser massivement dans les territoires imperméabilisés et reconstruire les écosystèmes détruits par le mode de production. Toute une série de contraintes vont s’imposer à la production, sans compter les besoins sociaux à satisfaire. Ces quarante dernières années ont été marquées par le creusement des inégalités et des pénuries dans les pays riches. Nous n’avons pas encore mentionné les pays néocoloniaux où le développement du capitalisme a été plus tardif et où les besoins sociaux sont énormes. En plus d’oeuvrer à assurer que le vie en société reste compatible avec la nature, il faudra répondre à toute une série d’impératifs sociaux.

    Nous n’avons pas d’autre choix que de planifier rationnellement l’économie de manière à pouvoir démocratiquement décider comment procéder à la nécessaire transition écologique. C’est impossible sans la nationalisation des secteurs clés de l’économie pour avoir à notre disposition les moyens et outils permettant de décarboner l’économie.

    Pour réaliser cette transition écologique, certains secteurs vont devoir limiter fortement leurs activités, comme le secteur pétrolier. Mais ne semble-t-il pas raisonnable d’envisager que d’autres secteurs doivent au contraire drastiquement augmenter leur activité, comme celui des transports publics par exemple ?

    Absolument. D’ailleurs la plupart des décroissants de gauche le reconnaissent. Il serait malhonnête d’assimiler le projet politique des décroissants de gauche à un phénomène de récession qui serait préjudiciable à l’ensemble de la majorité sociale.

    Mais cela nous force à nous poser la question de ce qui ne va pas dans la société capitaliste. Le problème n’est pas seulement la croissance du PIB. Le problème émane de l’objectif fondamental de la société capitaliste, qui est l’accumulation de marchandises afin de pouvoir les vendre et en tirer profit. La marchandise, c’est avant tout un rapport social de production et d’exploitation. Et c’est ceci qui pose problème. Dans une société socialiste, la discussion sur la croissance se ferait sur une toute autre base, puisque l’objectif serait avant tout de répondre aux besoins sociaux. Les besoins sociaux comprennent également les besoins environnementaux, car c’est la majorité sociale qui va subir les conséquences du dérèglement climatique.

    Construire une société où les besoins sociaux seront prioritaires exigera une lutte de masse acharnée. Comment construire le rapport de force nécessaire ?

    Il faut partir des expériences récentes. Les mobilisations de 2019 ont marqué l’histoire. Elles n’ont pas abouti. Non pas parce que la mobilisation ne sert à rien, mais parce que la question du pouvoir n’a pas été posée correctement. Où se trouve le pouvoir ? Dans les rapports sociaux de productions. C’est pourquoi notre stratégie repose sur l’antagonisme de classe. Il faut jouer sur cette contradiction fondamentale du capitalisme.

    Le fait est que si la classe travailleuse ne travaille plus, la classe capitaliste ne peut pas continuer le processus d’accumulation de capital. Par conséquent, la grève est encore la meilleure arme dont nous disposons. La grève à elle seule ne suffira pas. Il faut mettre à l’ordre du jour la question de la réappropriation des moyens de productions pour satisfaire les besoins de la société. Il est évident qu’un tel mouvement ne va pas se construire en un jour. Il s’agit ici de l’objectif vers lequel nous devons tendre. Les mobilisations ponctuelles sont donc à chaque fois l’occasion de convaincre autour de nous qu’il faut changer le système et qu’une alternative existe : la planification démocratique socialiste.

  • ¡Ya Basta! 30 ans après le soulèvement zapatiste au Mexique

    Il y a trente ans, le 1er janvier 1994, l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) a capté l’attention de la communauté internationale. Masqués de passe-montagne et réclamant des droits pour la population indigène du Mexique, ils ont déclenché un soulèvement de 12 jours dans l’État du Chiapas au Mexique. Ce fut la première grande lutte anticapitaliste après l’effondrement du stalinisme, ravivant l’espoir qu’une alternative était possible après que les commentateurs capitalistes eurent déclaré que la lutte pour le socialisme était “terminée”.

    Par Hannah Swoboda, Alternativa Socialista (ASI-Mexique)

    La rébellion de 1994 a expulsé les grands propriétaires terriens des haciendas, promis plus de droits aux femmes et ouvert la voie à la création d’écoles, de dispensaires et d’autres institutions gérées par la communauté dans certaines parties de l’État d’origine des zapatistes, le Chiapas. Ces établissements continuent de desservir les communautés rurales pauvres auxquelles l’État mexicain a longtemps refusé l’accès aux infrastructures de première nécessité.

    Malgré les avancées concrètes dues soulèvement, la qualité de vie des Chiapanèques reste l’une des pires du pays. Les données de 2022 du Conseil national mexicain pour l’évaluation de la politique de développement social montrent que 67 % des habitants du Chiapas vivent dans la pauvreté – le taux le plus élevé de tout le Mexique – contre 36 % pour l’ensemble de la population mexicaine. Au Chiapas, 28 % des habitants répondent à la définition gouvernementale de l’”extrême pauvreté”, ce qui signifie qu’ils gagnent si peu d’argent que même s’ils le dépensaient entièrement en nourriture, leur régime alimentaire manquerait encore d’éléments nutritifs essentiels.

    Pour ne rien arranger, la violence des cartels s’est intensifiée dans la région ces dernières années, les deux plus grandes organisations criminelles du Mexique se disputant les principaux itinéraires de contrebande reliant le Guatemala au Mexique. Des civils ont été pris entre deux feux et des incursions ont eu lieu en territoire zapatiste. En 2021, l’EZLN a prévenu que la récente escalade de la violence, tant de la part des cartels que de l’État qui collabore étroitement avec eux, avait placé le Chiapas “au bord d’une guerre civile”. En réponse à cette situation désastreuse, l’EZLN a annoncé la dissolution et la réorganisation de ses structures d’auto-gouvernement en novembre dernier.

    Trente ans après le soulèvement zapatiste, quelle est la voie à suivre pour mettre fin à la pauvreté et à la violence qui frappent encore les communautés indigènes et, plus généralement, les travailleurs du Chiapas ? Considérant le bilan du zapatisme, nous ne devons pas nous contenter d’exalter l’héroïsme de ce mouvement, mais également porter un regard critique sur ses limites et les leçons à la fois de ce qu’il a accompli et de ce pour quoi il doit encore se battre.

    Le contexte de la rébellion

    Dans les années 1980, après la défaite de luttes ouvrières décisives dans plusieurs pays clés, le néolibéralisme est devenu le modèle dominant de la classe capitaliste dans le monde entier. Les économistes et les politiciens prétendaient que le libre-échange et la mondialisation élimineraient les inégalités. En réalité, le néolibéralisme s’est traduit par une nouvelle politique de privatisations et de réduction des services sociaux qui a considérablement accru la pauvreté au sein de la classe ouvrière.

    L’Amérique latine a été le principal terrain d’essai de la politique néolibérale, et le Mexique a conduit cette offensive en ouvrant les marchés aux investissements étrangers. De 1990 à 1993, le Mexique a attiré la plupart des capitaux entrant en Amérique latine – 92 milliards de dollars -, des investisseurs milliardaires s’emparant des industries d’État et spéculant sur les marchés financiers pour faire de l’argent rapidement. Le Mexique a également été un pays précurseur des privatisations massives. Il est passé de 1 200 entreprises publiques en 1982 à un peu plus de 200 en 1994. Il a aussi procédé à des coupes sombres dans les budgets publics. En 1995, l’aide aux zones rurales représentait moins d’un quart de ce qu’elle était en 1980. La déréglementation favorable aux entreprises s’est traduite par la suppression du salaire minimum et des lois sur la sécurité au travail.

    Le président mexicain en exercice de 1988 à 1994, Carlos Salinas de Gortari, affirmait que ces politiques allaient permettre au Mexique de sortir du tiers-monde et de devenir un pays dséveloppé. C’ela s’est avéré vrai pour les super riches, mais pas pour les travailleurs. Avant Salinas, le Mexique ne comptait que deux milliardaires. Lorsqu’il a quitté ses fonctions, il en comptait 26. Dans le même temps, le salaire minimum a chuté de 58 %. La classe ouvrière n’a rien obtenu d’autre de la main invisible du marché que des conditions de plus en plus difficiles.

    Salinas a ensuite signé l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), qui devait entrer en vigueur le 1er janvier 1994. En établissant une zone de libre-échange entre les États-Unis, le Mexique et le Canada, l’accord commercial promettait la poursuite de la mondialisation néolibérale qui avait déjà fait des ravages sur les moyens d’existence des gens ordinaires. L’ALENA a aboli l’article 27 de la constitution mexicaine, un héritage de la révolution mexicaine qui promettait des terres à tous les groupes de travailleurs qui en faisaient la demande. La réduction des droits de douane de l’ALENA signifiait que les petits agriculteurs allaient être écrasés par l’agro-industrie dominée par les États-Unis.

    Dans ce contexte économique, l’EZLN a préparé clandestinement son insurrection dans les jungles du Chiapas pour qu’elle ait lieu le jour de l’entrée en vigueur de l’ALENA. Si le soulèvement était en partie une réponse à l’ALENA, il s’agissait également d’une lutte plus large visant à améliorer les conditions de vie des communautés indigènes qui avaient été continuellement dépossédées de leurs terres, à la fois par le colonialisme et par les privatisations modernes. Comme le résume la déclaration fondatrice de l’EZLN : “Nous sommes le produit de 500 ans de luttes”. Ils ont appelé les paysans à rejoindre l’insurrection et à revendiquer les droits qui leur ont été historiquement refusés : “le travail, la terre, le logement, l’alimentation, la santé, l’éducation, l’indépendance, la liberté, la démocratie, la justice et la paix”.

    Les rangs de l’armée zapatiste étaient composés principalement de paysans mayas pauvres. En 1994, 33 % des foyers du Chiapas n’avaient pas d’électricité, 59 % n’avaient pas d’égouts et 41 % n’avaient pas d’eau courante. La malnutrition était endémique. 55% de la population indigène du Chiapas était analphabète, avec une espérance de vie de 44 ans. Largement négligée par l’État dans cette région géographiquement isolée du pays, la population avait le sentiment qu’elle devait prendre les choses en main. Avant même l’arrivée de l’EZLN au Chiapas, les paysans indigènes s’étaient organisés pour réclamer une réforme agraire, une éducation dans les langues indigènes, des soins de santé et des droits sociaux, faisant souvent face à une répression meurtrière de la part de l’État. 

    Le lancement de l’insurrection

    Sous la bannière de l’EZLN, quelque 3 000 soldats de la guérilla ont pris les armes et se sont emparés de six villes du Chiapas le 1er janvier. Ils réclamaient l’annulation de l’ALENA, le renversement du gouvernement mexicain et la création d’une assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle constitution mexicaine. Certains ont déclaré aux journalistes qu’ils se battaient pour le socialisme.

    Salinas a rapidement envoyé l’armée pour écraser la rébellion. Des tirs ont été échangés entre l’EZLN et environ 12 000 soldats mexicains, qui ont largement dominé les soldats sous-équipés de la guérilla. En l’espace de quatre jours, l’armée mexicaine a forcé l’EZLN à battre en retraite et a commencé à abattre  les personnes qu’elle avait faites prisonnières.

    Cependant, les tentatives du gouvernement d’écraser purement et simplement la rébellion ont échoué sous la pression des manifestations de solidarité à l’échelle nationale. La lutte des zapatistes bénéficiait d’un large soutien dans la société mexicaine, qui y voyait une réponse nécessaire aux ravages des attaques néolibérales. La brutalité exercée contre l’EZLN a également rappelé la repression d’état utilisée de longue date contre les mouvements étudiants et ouvriers. Ce sentiment de solidarité s’est matérialisé par des manifestations de dizaines de milliers de personnes dans les centres-villes de tout le pays. Le jour de ces manifestations, Salinas a annoncé un cessez-le-feu, 12 jours après le début du soulèvement, et des négociations ont été entamées entre le gouvernement et l’EZLN.

    Pourparlers de paix et crise économique

    Les pourparlers de paix se sont déroulés par intermittence. Malgré le cessez-le-feu, l’armée maintient un siège autour des zones d’influence des Zapatistes. Les intrusions et les attaques constantes ont finalement conduit à l’apparition de groupes paramilitaires et à une vague de violence qui a provoqué le déplacement forcé de milliers de personnes. Fin 1994, l’EZLN a rompu tout dialogue avec le gouvernement fédéral, invoquant la poursuite de la répression et de la militarisation du pourtour de son territoire. Ils ont également soumis les résultats des pourparlers de paix à un référendum populaire, organisé au sein des communautés zapatistes mais également ouvert à la société dans son ensemble. Près de 98 % des votants ont rejeté l’accord de paix proposé par le gouvernement. Dans le même temps, seuls 3 % des votants ont souhaité que l’EZLN reprenne les armes, ce qui a conduit à la décision de maintenir le cessez-le-feu. L’EZLN a lancé une nouvelle offensive militaire, mais cette fois sans tirer un seul coup de feu. Du jour au lendemain, ils ont déclaré plus de la moitié du Chiapas “territoire rebelle”, avec la formation de 38 “municipalités autonomes rebelles zapatistes”.

    Ce fut l’élément de trop pour les capitalistes étrangers qui cessèrent d’investir dans l’économie mexicaine, déclenchant une grave crise financière. Malgré les promesses de Salinas de transformer l’économie mexicaine, la croissance économique réelle s’était en fait réduite et la dette de l’état s’était envolée, menaçant les profits des investisseurs. Une année entière de rébellion armée au Chiapas renforça les inquiétudes des capitalistes et les conduit finalement à désinvestir massivement. Le peso mexicain s’est effondré et le gouvernement a annoncé qu’il ne rembourserait pas les prêts accordés par le Fonds monétaire international. Le PIB a chuté de 6,9 % en 1995 et un million d’emplois ont été perdus. Cette crise a provoqué une onde de choc dans le monde entier.

    Le marché boursier mexicain a été temporairement stabilisé grâce à un prêt de 50 milliards de dollars accordé par les États-Unis. Toutefois, ce genre de prêt n’est jamais accordé sans conditions. Le remboursement de la dette a grevé le budget mexicain, poussant les législateurs à imposer un nouveau plan d’austérité massif aux travailleurs.

    Une autre condition du prêt était que la classe dirigeante mexicaine mette de l’ordre dans ses affaires et écrase la rébellion zapatiste. Le gouvernement fédéral a lancé une offensive militaire contre l’EZLN et ses partisans. Des mandats d’arrêt pour terrorisme ont été émis à l’encontre des dirigeants de l’insurrection, dont le célèbre porte-parole du mouvement, le sous-commandant Marcos. En réponse à la répression contre les communautés zapatistes, une autre manifestation de dizaines de milliers de personnes à Mexico a exigé l’arrêt de la militarisation et l’abandon des poursuites contre les zapatistes.

    La stratégie du gouvernement mexicain consistait à séparer l’EZLN du reste des paysans. Les militaires, avec le soutien des conseillers américains, ont cherché à créer un fossé entre les guérilleros et les paysans en ruinant économiquement les villages, en détruisant les outils et en empoisonnant les réserves d’eau. Les paysans ont ainsi été contraints de dépendre des aides gouvernementales, ce qui a contribué à briser leur indépendance et à rompre leurs liens avec la guérilla. Ils ont également soudoyé et contraint les villageois à former des brigades de “défense”, dont les armes étaient fournies par l’armée. Cependant, l’enracinement des zapatistes dans les communautés locales et le soutien massif dont ils bénéficiaient dans tout le Mexique et au-delà ont fait échouer les efforts du gouvernement.

    L’impasse

    Les négociations ultérieures ont finalement abouti à la rédaction des accords de San Andrés sur les droits et la culture indigènes en 1996, un document qui aurait accordé à 800 municipalités à majorité indigène le contrôle local de leur propre territoire, y compris le droit d’administrer leurs propres systèmes financiers, judiciaires et éducatifs. Mais ces accords n’ont pas duré longtemps : Le nouveau président du Mexique, Ernesto Zedillo, a opposé son veto aux accords sept mois après leur signature, ce qui a coduit les négociations dans l’impasse. En 2003, les zapatistes ont pris des mesures pour appliquer eux-mêmes les accords de San Andrés dans les territoires qu’ils contrôlaient, que le gouvernement le reconnaisse ou non. L’EZLN a annoncé la création d’une nouvelle structure de gouvernance sous la forme de cinq caracoles, chacun doté de son propre “Conseil de bon gouvernement” regroupant les plus de trente municipalités rebelles autonomes. Cette restructuration marque le retrait total de l’EZLN de l’activité militaire.

    En créant ces institutions d’auto-gouvernement, les zapatistes ont déclaré une autonomie totale vis-à-vis de l’État mexicain, mais cette autonomie était à bien des égards symbolique. Si les zapatistes ont créé leurs propres écoles, systèmes de santé, systèmes judiciaires et autres ressources, l’emprise du gouvernement mexicain sur la région n’a pas été fondamentalement remise en cause. Il continue de réprimer leur mouvement, d’empiéter sur le territoire zapatiste, de déplacer les paysans indigènes et d’empêcher ces communautés d’obtenir véritablement satisfaction sur les revendications qu’elles avaient formulées en 1994. Le pouvoir n’a pas été arraché des mains des politiciens, qui travaillent main dans la main avec les groupes paramilitaires et les cartels, et, en définitive, des milliardaires qui cherchent à maintenir leur système violent aux dépens des gens ordinaires, non seulement au Chiapas, mais dans le monde entier.

    Marxisme et guérilla

    Quel type de mouvement aurait pu faire tomber le gouvernement et satisfaire les revendications des paysans ? Les marxistes estiment que la classe ouvrière organisée est la seule force capable de renverser le système capitaliste dans son ensemble et de le remplacer par une véritable démocratie basée sur les besoins des gens ordinaires : le socialisme. Comment cela se compare-t-il à l’approche de la guérilla des  zapatistes?

    Les Zapatistes ne sont pas nés au Chiapas, mais dans le nord du pays. Ils ont été fondés en 1983 par un petit groupe d’activistes. Ils ont vu le jour en même temps que d’autres groupes de guérilla au Mexique et dans toute l’Amérique latine, qui s’inspiraient de la révolution cubaine et de Che Guevara, ainsi que du maoïsme. La pensée de Che Guevara était elle-même fortement influencée par les mouvements de libération nationale antérieurs, tels que les révolutions bolivarienne et mexicaine. La révolution russe de 1917, qui a renversé le régime tsariste et l’a remplacé par un État contrôlé par les ouvriers et les paysans, a également incité Che Guevara et d’autres guérilleros à lutter pour le socialisme.

    Mais Guevara n’a pas compris le rôle central joué par la classe ouvrière dans la révolution russe, concluant au contraire que le rôle révolutionnaire principal dans les pays coloniaux devait être joué par la paysannerie engagée dans la lutte de guérilla. Cette approche n’a malheureusement jamais abouti à un véritable État ouvrier démocratique, comme l’a connu la Russie avant la contre-révolution bureaucratique de Staline. En Chine et à Cuba, les armées de guérilla ont été en mesure de renverser le capitalisme mais, sans la participation active de la classe ouvrière, elles ont mis en place des gouvernements bureaucratiques dès le départ. Les tentatives de reproduire l’expérience cubaine ailleurs en Amérique latine n’ont même jamais abouti. Au moment où les zapatistes sont entrés en scène, les autres luttes de guérilla de la région, du Nicaragua au Guatemala et au Salvador, se trouvaient dans des impasses aux conséquences tragiques.

    Quelle est la spécificité de la classe ouvrière et pourquoi a-t-elle pu mener une révolution réussie en Russie ? La réponse réside dans le rôle de la classe ouvrière dans la société capitaliste. Dans leur recherche de profits toujours plus importants, les capitalistes ont semé les graines de leur propre disparition en centralisant la production. Le capitalisme a regroupé les travailleurs dans de vastes lieux de travail où ils doivent travailler ensemble pour produire des marchandises et des services, ce qui leur donne non seulement un grand pouvoir pour arrêter ces processus de production massifs, mais les met également en contact étroit les uns avec les autres, ce qui leur permet de discuter de leurs conditions de travail et de s’organiser.

    Cette situation est très différente de celle des paysans et des petits agriculteurs, qui sont généralement plus isolés les uns des autres, travaillant pour produire de quoi vivre (après que les propriétaires fonciers aient prélevé leur part) plutôt que de travailler pour un salaire dans le cadre d’un collectif. Les conditions des paysans les amènent généralement à aspirer à posséder la terre qu’ils travaillent. Les conditions de la classe ouvrière lui laissent entrevoir des aspirations plus lointaines, à savoir la propriété collective des moyens de production. Cet isolement a alimenté l’impasse dans laquelle se trouvait l’ELZN face à l’État mexicain.

    Dans la Russie de 1917, les paysans ont joué un rôle essentiel dans le renversement du régime tsariste, aux côtés des travailleurs, mais, en raison de leur rôle dans la production, ils n’ont pas dirigé la révolution. L’approche de la guérilla inverse cette formule, en posant que la classe ouvrière doit jouer un rôle auxiliaire dans la lutte des paysans. Sa stratégie centrale consiste à créer une force paysanne armée dans les campagnes, l’armée de guérilla s’emparant du pouvoir et prenant ensuite le contrôle des villes ouvrières de l’extérieur.

    La classe ouvrière est la force motrice décisive de la révolution socialiste, mais cela ne signifie pas que c’est elle qui va l’initier. Les luttes de la paysannerie peuvent donner une impulsion importante à la classe ouvrière en l’absence d’une direction combative à la tête du mouvement ouvrier. Mais une transformation socialiste de la société exige en fin de compte que la classe ouvrière prenne le contrôle des usines, des hôpitaux, des écoles et de tous les autres lieux de travail afin d’y établir un contrôle démocratique. La guérilla seule ne peut jamais aboutir à une démocratie ouvrière. C’est précisément là où la stratégie zapatiste de lutte contre le système capitaliste a échoué.

    La guérilla de l’ELZN s’est limitée aux zones paysannes indigènes, à la périphérie de la société mexicaine. Pour renverser réellement le capitalisme, il fallait lier sa lutte à celle de la classe ouvrière mexicaine. Au moment du soulèvement, 73 % de la population mexicaine vivait dans les villes. Les zapatistes bénéficiaient d’un soutien considérable de la part de la classe ouvrière, une opportunité qu’ils auraient dû mettre à profit en appelant à de nouvelles manifestations et actions de grève, en liant les revendications des paysans à celles des travailleurs des villes qui souffraient également de la crise économique et de la répression de l’État. L’establishment politique avait été gravement ébranlé par la crise et les scandales de 1994 et n’a pu s’accrocher au pouvoir qu’en commettant des fraudes électorales. La situation était mûre pour porter de sérieux coups à l’État mexicain. Malheureusement, le véritable potentiel de la classe ouvrière, celui d’arrêter la production et de rompre avec le statu quo, n’a pas été pleinement exploité dans le cadre de la lutte de guérilla de l’EZLN.

    Un nouveau type de lutte ?

    Le mouvement zapatiste a non seulement incité la classe ouvrière mexicaine à mener des actions de masse  mais a également servi de référence à un mouvement international de protestation grandissant contre le néolibéralisme. Ce nouveau mouvement antimondialisation a débuté dans les années 1990 et a culminé avec la bataille de Seattle, une manifestation qui a réuni des travailleurs, des écologistes et des jeunes contre l’Organisation mondiale du commerce en 1999. Dans le sillage de l’effondrement du stalinisme, de nombreux participants à ce mouvement ont vu dans le zapatisme non seulement un renouveau de la lutte contre le capitalisme, mais aussi un type de lutte nouveau qui éviterait les échecs de la génération précédente.

    Pour les travailleurs et les jeunes qui s’opposaient au capitalisme mais étaient devenus sceptiques quant à la capacité d’une révolution ouvrière à transformer la société, les zapatistes parassaient construire une alternative au capitalisme, un village à la fois. Ils ont évoqué l’image d’escargots construisant lentement mais sûrement une nouvelle forme de société, en nommant les centres de ressources de leurs communautés “caracoles”, du mot espagnol pour “escargots”.

    Le mouvement antimondialisation est apparu à un moment où les syndicats et les partis de travailleurs avaient été mis sur la défensive par les politiques néolibérales. La désorientation des organisations ouvrières traditionnelles a donné au mouvement un caractère décentralisé. Les idéologues du mouvement altermondialiste, prenant les zapatistes en exemple, ont présenté cette décentralisation comme un modèle d’organisation supérieure à l’approche léniniste des générations précédentes. En réalité, la décentralisation du mouvement a été une faiblesse qui a empêché son développement en une puissante force internationale. En fin de compte, il a été complètement stopé après l’attentat du 11 septembre 2001 contre le World Trade Center, qui a ébranlé le monde et fait basculer la politique américaine vers la droite.

    La décentralisation est souvent associée à la démocratie, mais nos mouvements sont en fait moins démocratiques lorsqu’ils ne disposent pas de forums de discussion et de débat centralisés. Pour mener une lutte unie qui réponde aux besoins de tous les travailleurs et de toutes les personnes opprimées, et qui ait finalement le pouvoir de renverser le capitalisme, nous avons besoin de structures de prise de décision collective, non seulement au sein des groupes militants individuels, mais aussi de structures qui rassemblent les travailleurs au niveau national et international au sein de mouvements sociaux plus larges. Le mouvement altermondialiste a manqué de ce type d’approche qui l’aurait aidé à coordonner l’action autour d’un programme unifié de revendications.

    Alors que l’EZLN souligne l’importance de longues périodes de discussion et de prise de décision par consensus au sein des communautés zapatistes, celle-ci n’a pas utilisé cette approche pour organiser un mouvement social plus large afin de remettre véritablement en question le capitalisme, que les zapatistes identifient à juste titre comme la cause première de la pauvreté et de la violence, non seulement au Chiapas, mais dans le monde entier. Plus grave, l’EZLN a refusé de collaborer avec  les syndicats qui, malgré leurs limites, sont un outil essentiel pour permettre à la classe ouvrière de s’organiser sous le capitalisme. Au lieu de cela, ils ont tenté de mettre en place leur propre organisation ouvrière zapatiste, coupant ainsi le dialogue avec le mouvement ouvrier.

    Les appels lancés aux travailleurs dans les villes et au niveau international visaient principalement à soutenir le mouvement au Chiapas, notamment en faisant connaître les atrocités commises par le gouvernement et en collectant des fonds. Il en est résulté une sorte de solidarité diffuse: Les militants hors du Chiapas qui s’inspiraient des zapatistes considéraient que leur rôle n’était pas de décider démocratiquement d’un programme, d’une stratégie et d’une tactique de lutte globale, mais de soutenir passivement le programme, la stratégie et la tactique déjà utilisés par l’ELZN.

    Bien que les zapatistes aient lancé plusieurs initiatives pour impliquer les travailleurs en dehors du Chiapas, ces initiatives ont été des auxiliaires de la construction de leur autonomie. Le mouvement s’est concentré sur la construction d’une alternative au niveau local en se bornant à espérer que leur exemple se répande. L’absence d’un débat plus large sur les tactiques et les stratégies de lutte contre le système capitaliste mondial a paradoxalement rendue centrale l’approche politique “décentralisée” de l’EZLN. Pendant des années, ils ont assumé la direction des luttes indigènes au Mexique. Et alors que le mouvement altermondialiste voyait les modes de fonctionnement des zapatistes comme une nouvelle façon de s’organiser,  leur consèquence a finalement été d’affaiblir la démocratie au sein du mouvement.

    La marée rose

    Après le recul du mouvement antimondialisation dans les années 2000, un nouveau pôle d’attraction anticapitaliste en Amérique latine a vu le jour. un phénomène électoral connu sous le nom de  “vague rose”. Alors que les politiques néolibérales continuaient à faire des ravages dans toute la région, les travailleurs ont répondu par des vagues de protestation. Grâce à ces mobilisations de masse, près d’une douzaine de gouvernements réformistes de gauche sont arrivés au pouvoir en Amérique latine entre 1998 et 2008, promettant d’améliorer la vie des gens ordinaires en mettant fin à l’austérité. Là où l’EZLN mettait en avant la destruction de l’état capitaliste pour mettre fin aux inégalités, la vague rose proposait plutôt de le réformer.

    En réalité, les réformistes de la vague rose ne pouvaient guère faire plus que de l’aménager légèrement et temporairement. Le capitalisme est un modèle économique conçu pour concentrer la grande majorité des richesses entre les mains d’une poignée de personnes et assurer des marges bénéficiaires toujours plus importantes aux actionnaires en dépouillant la classe ouvrière. L’inégalité est inscrite dans l’ADN du système. Bien que les capitalistes et leurs politiciens accordent souvent des concessions à la classe ouvrière lorsqu’ils le jugent nécessaire pour préserver l’existence du système, ces concessions sont toujours minimales et temporaires. Tout au long de l’existence du capitalisme, le fossé entre les riches et les pauvres n’a cessé de se creuser. Des événements ont pu ralentir, voire inverser temporairement cette tendance mais au fil du temps, le fossé est devenu un gouffre.

    Appuyés par des mobilisations de masse, les gouvernements de la vague rose ont pu obtenir des concessions significatives pour les travailleurs et les pauvres pendant l’explosion du prix des matières premières des années 2000. Cependant, lorsque l’économie s’est dégradée, les limites de leur stratégie sont apparues au grand jour. Les gouvernements réformistes ont refusé de s’attaquer de front à la classe capitaliste pour lui faire payer sa crise, préférant en rejeter le coût sur la classe ouvrière et mettre eux-mêmes en œuvre des politiques néolibérales.

    En définitive, la vague rose a permis de détourner les masses des stratégies de mobilisation, là où la classe ouvrière peut le mieux exprimmer son potentiel révolutionnaire, vers des voies électorales moins dangereuses pour les capitalistes. En même temps, elle matérialisait le désir des travailleurs d’avoir une véritable représentation politique, indépendante des partis de l’establishment. Les travailleurs ne peuvent pas éspérer sortir du capitalisme par la seule voie électorale, mais participer aux élections en présentant des candidats indépendants, basés sur des partis ouvriers de masse et d’autres mouvements de la classe ouvrière, est une stratégie importante pour gagner des réformes sous le capitalisme et pour tracer une voie vers le renversement du système capitaliste.

    L’EZLN a refusé toute participation aux élections. Elle a émis des critiques légitimes sur le réformisme et l’électoralisme de la vague rose, mais a adopté une approche sectaire en refusant de considérer la volonté de la classe ouvrière de disposer d’une alternative politique. Lorsque le Mexique a eu la possibilité de connaître sa propre vague rose en 2006, l’EZLN a boycotté l’élection, lançant à la place son “Autre campagne” propagandiste en parallèle. Elle a refusé d’apporter un soutien, même critique, à la campagne d’Andrés Manuel López Obrador (AMLO), qui représente jusqu’à aujourd’hui le défi le plus important auquel les partis de l’establishment politique aient eu à faire face au cours d’une dominatiin de plus de 80 ans.

    La campagne d’AMLO présentait les mêmes défauts que les gouvernements de la vague rose : il promettait une transformation radicale de la société qui permettrait d’améliorer la situation des classes populaires mais sans rompre avec le capitalisme, en lui donnant simplement “un visage humain”. Il a proposé de financer des programmes sociaux non pas en taxant les riches et en renationalisant les industries d’État, mais simplement en réduisant la corruption du gouvernement. Malgré tous ses défauts, le message de la campagne d’AMLO a séduit de larges pans de la société mexicaine. C’était un pôle d’attraction pour la classe ouvrière mexicaine, que l’EZLN n’avait pas été en mesure d’atteindre pleinement par le biais de ses communiqués au style allégorique et de sa guérilla isolée.

    A cette période, le gouvernement mexicain s’apprêtait à pratiquer des fraudes massives aux élections afin de conserver la mainmise des grandes entreprises sur la société mexicaine, comme il l’avait fait lors des élections de 1999. Un énorme mouvement de protestation a vu le jour pour empêcher le vol des élections au détriment d’AMLO. Même si certains groupes participant à l’Autre Campagne de l’EZLN ont choisi de se joindre à ces manifestations, l’EZLN s’en est abstenu. Cette attitude sectaire à l’égard de ce mouvement a énormément nui à sa réputation et lui a fait perdre une grande partie de l’autorité qu’elle avait conservée depuis le soulèvement de 1994.

    L’establishment politique mexicain a maintenu son emprise sur la société pendant les deux mandats présidentiels suivants, mais les choses ont changé en 2018 lorsque AMLO a mené sa deuxième campagne présidentielle. La lutte de classes ayant atteint un niveau inégalé depuis les années 1980 et la campagne d’AMLO ayant bénéficié d’un soutien record, l’establishment s’est trouvé dans l’incapacité de voler l’élection et AMLO l’a remportée avec 53 % des voix, soit le score le plus élevé de toute l’histoire du Mexique. Montrant à quel point ils étaient déconnectés des masses, en 2018, l’EZLN est revenu sur sa politique d’abstentionnisme mais a redoublé de sectarisme envers AMLO, appelant à un voter pour le candidat du Congrès national indigène, Marichuy.

    L’EZLN avait cependant raison de mettre en lumière les limites d’AMLO. Arrivé presque à la fin de son mandat, AMLO n’a pas été en mesure de faire passer un grand nombre des réformes clés qu’il avait promises pour la “quatrième transformation du Mexique”. Ses tentatives pour trouver un équilibre entre les besoins des travailleurs et les intérêts des grandes entreprises, ainsi que son insistance sur le fait que le chemin de la victoire passe par des négociations avec les partis de l’establishment plutôt que par la mobilisation du soutien massif qu’il conserve, ont paralysé la quatrième transformation promise. Dans le même temps, il a suscité des attentes de la part de la classe ouvrière. De la vague de grèves de 2019 à Matamoros au mouvement féministe qui vient d’obtenir la dépénalisation de l’avortement au niveau national, lorsque AMLO n’a pas été en mesure de concrétiser ses promesses, les travailleurs ont obtenu satisfaction par la lutte de classes.

    Plutôt que d’ignorer AMLO, les révolutionnaires devraient poser des exigences à son gouvernement et se joindre à la lutte pour les obtenir. Il est juste de dire que nous devons sortir des limites du réformisme, mais ces conclusions sont le plus souvent tirées par les travailleurs grâce à leur expérience concrète forgée dans le feu de la lutte. Les masses qui se sont mobilisées dans le cadre de la campagne d’AMLO sont la force la mieux équipée pour s’attaquer aux erreurs et aux trahisons découlant du réformisme d’AMLO. Ce sont ces forces dont l’ELZN s’est isolée en raison de son sectarisme. Nous pensons que les révolutionnaires doivent se tenir aux côtés des travailleurs qui souhaitent que la quatrième transformation d’AMLO devienne une réalité, en luttant pour toutes les réformes possibles dans le cadre du capitalisme comme moyen de construire la lutte pour un changement de système plus large.

    La lutte aujourd’hui

    La situation mondiale actuelle est très différente de la période de mondialisation ou du boom du prix des matières premières pendant la vague rose. L’ère néolibérale s’est achevée pour laisser place à une ère de désordre, caractérisée par des crises incessantes, des rivalités inter-impérialistes accrues, des guerres, des phénomènes d’inflation et des dettes publiques vertigineuses.

    Cette caractérisation d’ère du désordre correspond particulièrement bien à la situation actuelle au Chiapas. En raison de la présence accrue des cartels, des attaques paramilitaires continuelles, de l’accélération de la militarisation et de la destruction de l’environnement alimentée par des mégaprojets comme le  “Mayan Train” d’AMLO, les habitants du Chiapas connaissent une recrudescence des massacres, des féminicides, des violences sexuelles, des enlèvements, des disparitions et des déplacements forcés.

    L’armée américaine et la garde nationale ont été déployées dans la région pour mettre cette situation sous contrôle, mais ne font rien pour mettre fin à la violence des cartels. En réalité, le rôle de l’armée est de renforcer la politique migratoire américaine, de criminaliser les migrants et de fermer les yeux sur la violence des cartels qui est une des causes de l’immigration en provenance d’Amérique centrale. Alors que les républicains américains tentent de négocier des accords avec Biden et les démocrates pour autoriser le financement américain des armées israélienne et ukrainienne en échange d’une augmentation du financement pour la “sécurité des frontières”, nous pouvons nous attendre à la poursuite de la politique d’AMLO. Celle-ci consistant se faire le supplétif de la politique migratoire américaine au Mexique en mobilisant la Garde nationale au Chiapas afin d’empêcher l’immigration. Entre-temps, AMLO a minimisé l’ampleur de la violence au Chiapas, affirmant que la mise en œuvre de programmes sociaux et la présence de la Garde nationale sont des solutions appropriées. Sa politique d’amnistie pour les narcotrafiquants, “des accolades et non des balles”, a échoué à réduire la violence des cartels à l’encontre des communautés mexicaines.

    Dans le contexte de cette escalade de la violence, l’EZLN a dissous ses municipalités rebelles autonomes et ses conseils de bon gouvernement, les remplaçant par une nouvelle structure basée sur des assemblées communautaires qui promettent une démocratie plus directe. Contrairement à ce qu’affirment de nombreux médias, les zapatistes maintiennent que cela ne signifie pas un recul, mais un changement de stratégie pour faire face à la violence. L’amélioration de la participation démocratique des communautés zapatistes peut jouer un rôle positif, mais n’aura qu’un effet limité sur la spirale de la violence dans la région aux mains de bandes criminelles massives qui opèrent en collusion avec les autorités locales.

    Pour garantir la sécurité des communautés, la classe ouvrière et les paysans doivent s’unir dans la lutte autour d’un programme qui s’attaque aux racines économiques de la participation au crime organisé. Les programmes d’aide sociale d’AMLO ont profité aux travailleurs de tout le pays, mais ils ne vont pas assez loin. Une autre stratégie d’AMLO a consisté à “stimuler l’investissement” et la création d’emplois dans le sud du Mexique par le biais de mégaprojets tels que la ligne ferroviaire Mayan. Cependant, les grands projets d’infrastructure profiteront en fin de compte surtout aux patrons des chemins de fer et de la construction, sans changer véritablement les conditions de vie de la classe ouvrière et des pauvres. Les travailleurs mexicains ont besoin d’une éducation gratuite et de qualité pour tous, de soins de santé universels et gratuits et de logements abordables, le tout financé par la taxation des riches. La lutte pour mettre fin à la violence et garantir un meilleur niveau de vie aux Chiapanèques dans les territoires zapatistes et les autres zones rurales, ainsi que dans les villes, nécessitera la mobilisation de l’ensemble de la classe ouvrière mexicaine, en lien avec des mouvements similaires à l’échelle internationale, dans la lutte pour un monde nouveau organisé dans l’intérêt des gens ordinaires, et non des milliardaires.

  • Gaza. En finir avec la guerre et l’occupation par une mobilisation de masse et des grèves !

    Parallèlement à la mobilisation des parents des otages israéliens, des mobilisations internationales de masse sont parvenues à imposer une première trêve humanitaire de quatre jours avec échanges de prisonniers. Il est possible d’aller beaucoup plus loin en maintenant ces mobilisations, en les élargissant et en les accompagnant d’actions de grève de plus en plus importantes. Ce sont les méthodes de lutte du mouvement ouvrier : la clé non seulement pour stopper ce carnage, mais aussi pour mettre fin à ses racines : l’occupation, le blocus, l’expansion des colonies et la misère.

    Par Eric Byl

    Un déluge de mort et de destruction

    Rien ni personne n’est épargné par l’offensive israélienne sur Gaza. Au cours des trois premières semaines, plus de bombes y ont été larguées que sur l’ensemble de l’Afghanistan à l’époque. 18.000 tonnes de TNT au total, soit l’équivalent de la bombe atomique lâchée sur Hiroshima. Après 48 jours, le bilan est de 14.758 morts, mais il pourrait déjà s’élever à 20.000 car on estime que plus de 6.000 corps gisent encore sous les décombres. Au moins 6.000 enfants et 4.000 femmes ont été tués. Sur une population de 2,3 millions d’habitants, 1,7 million sont aujourd’hui à la rue, la plupart déplacés hors des camps de réfugiés où leurs familles s’étaient retrouvées après la Nakba de 1948.

    Plus de la moitié des maisons, soit 278.000, ont été détruites ou endommagées. Les survivants trouvent refuge dans les écoles et les hôpitaux dans l’espoir que le régime israélien respecte le droit international de la guerre. Entre-temps, 311 écoles et 87 ambulances ont déjà été endommagées, seuls 9 des 35 hôpitaux fonctionnent encore et 200 travailleurs de la santé ont été tués. La bombe qui a explosé sur l’hôpital Al Ahli Arab, puis le siège de l’hôpital Al Shifa et de l’hôpital indonésien ont illustré que rien ne peut consituer un abri. Au 22 novembre, 53 journalistes ont déjà été tués, dont 46 Palestiniens. Le régime israélien bloquant l’approvisionnement en eau, en nourriture, en médicaments et en carburant, la population doit utiliser de l’eau salée et polluée. Les maladies infectieuses et la famine menacent de devenir incontrôlables.

    C’est un tsunami de mort et de destruction que la machine de guerre israélienne déverse sur Gaza pour se venger de l’attaque surprise du Hamas du 7 octobre. Ce dernier présente celle-ci comme une lutte partisane contre le siège et le blocus, vision des choses aujourd’hui renforcée par les destructions massives causées par la machine de guerre israélienne. En réalité, il s’agit d’un horrible massacre planifié au cours duquel 1.200 Juifs, Arabes palestiniens et travailleurs migrants, y compris des enfants et des bébés, ont été tués. Dans le sillage de cette attaque, 240 otages ont été capturés. Ce faisant, le Hamas voulait contrecarrer le processus de normalisation des pays arabes avec Israël, une stratégie délibérée visant à faire tomber la cause palestinienne dans l’oubli. Le Hamas savait que le régime israélien riposterait durement. Son objectif n’était pas d’améliorer la situation à Gaza, mais de remettre la Palestine à l’ordre du jour.

    Le mouvement de protestation

    Le gouvernement de droite et d’extrême droite de Netanyahou avait été contesté pendant dix mois par un mouvement de masse contre son projet de coup d’État légal et ses politiques antisociales. Il s’est saisi de ce crime pour alimenter une vague de vengeance, de nationalisme et de racisme, tout en créant un semblant d’unité nationale et en cherchant à s’assurer le soutien de l’opinion publique internationale. Jamais auparavant ses alliés occidentaux n’avaient pris le parti d’Israël de manière aussi inconditionnelle et aveugle. Quiconque osait mentionner l’occupation et le blocus était accusé de soutenir le Hamas, le terrorisme voire l’antisémitisme. Des manifestations pro-palestiniennes ont été interdites et qualifiées de “marches de la haine”. Le port de drapeaux palestiniens ou du keffieh a été criminalisé, de même que certains slogans.

    Mais rapidement, le cycle du sang, de la destruction et de la punition collective à Gaza a éclipsé le crime du Hamas. Même la machine de propagande israélienne n’a pas pu l’ignorer. D’imposantes manifestations pro-palestiniennes ont eu lieu à travers le monde. Elles ont également exercé une pression énorme sur les régimes arabes favorables aux États-Unis. Aux États-Unis, on parle d’un fossé générationnel où les personnes de plus de 50 ans sont majoritairement favorables à Israël, alors que plus la population est jeune, plus le soutien aux masses palestiniennes est important, y compris parmi les jeunes de la communauté juive. Cela met à mal l’hypocrisie du bloc occidental en tant que gardien de la démocratie face aux crimes de guerre. Cela met même en péril la réélection de Biden. En Europe, de plus en plus de chefs de gouvernement ne peuvent s’empêcher de se prononcer en faveur d’une trêve des armes et d’une paix négociée.

    Le cabinet de guerre israélien qualifie son offensive vengeresse de “frappe défensive” visant à détruire le Hamas et à libérer les otages. Mais pendant ce temps, c’est toute la population qui est visée et toutes les infrastructures détruites. Israël ne parviendra pas plus à détruire le Hamas que les États-Unis ne sont parvenus à détruire les talibans à l’époque. En soutenant sans réserve la «guerre de défense» d’Israël, le bloc impérialiste occidental a voulu intégrer pleinement Israël dans son bloc de pouvoir et clarifier immédiatement à toute la région, ainsi qu’à la Chine et à la Russie, qui a le pouvoir militaire au Moyen-Orient. La présence de porte-avions américains visait à dissuader les milices pro-iraniennes au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen, l’Iran lui-même et d’autres pays arabes d’intervenir. Elle a immédiatement préparé le terrain pour qu’Israël puisse poursuivre ses activités à Gaza.

    Pour l’instant, l’impérialisme occidental reçoit son dû sur le plan militaire, mais au prix d’un affaiblissement politique, tandis que la Chine se positionne hypocritement comme un artisan de la paix et que Poutine abuse de la tragédie palestinienne pour justifier sa propre agression en Ukraine. Aucune des puissances impérialistes dominantes ne souhaite une extension régionale de la guerre, mais ce risque est ancré dans la situation. De plus, personne n’a de stratégie de sortie sérieuse et Israël et le bloc occidental sont dans une impasse stratégique qui pourrait finir par les miner militairement aussi. Plus la trêve durera, plus il sera difficile pour le régime israélien de reprendre les attaques. Mais ce gouvernement est le plus à droite du monde précisément parce qu’il maintient l’occupation.

    Stopper le carnage

    La première tâche, et la plus importante, consiste à stopper le carnage, à rétablir l’approvisionnement en eau, en nourriture, en médicaments et en carburant, ainsi qu’à procéder à un échange intégral de prisonniers, comme le réclament également les proches des otages. La meilleure façon d’y contribuer est d’élargir les mobilisations internationales. La spontanéité est une bonne chose, la création de comités de mobilisation dans les écoles et les universités en est une meilleure encore.

    L’appel des syndicats belges du transport pour empêcher le chargement et le déchargement de matériel militaire et de marchandises en provenance des colonies a trouvé écho en Catalogne et à Gênes. Dans plusieurs endroits, plusieurs centaines de militants ont bloqué la production et/ou le transport d’armes. Des actions de solidarité ont été menées dans les hôpitaux et par des journalistes du monde entier. Tout cela répondait à un appel lancé par les syndicats palestiniens.

    Le succès initial des mobilisations de masse et des grèves démontre que ce ne sont pas seulement les calculs géopolitiques des gouvernements capitalistes, mais aussi la lutte des classes qui peuvent en fin de compte contribuer à déterminer le cours de l’histoire. Des millions de travailleurs et de personnes opprimées à travers le monde montrent qu’ils et elles ne laisseront pas la classe dirigeante s’en tirer à bon compte avec ses crimes. La généralisation et l’intensification de l’action ouvrière peut réellement les stopper.

    La libération nationale par la libération sociale

    Le PSL, son parti frère le Mouvement de Lutte Socialiste en Palestine/Israël et leur internationale Alternative Socialiste Internationale sont engagés dans le développement du mouvement de solidarité internationale. Cependant, tant que les Palestiniens se verront refuser le droit à leur propre État, de nouvelles confrontations, encore plus horribles, éclateront. Sur une base capitaliste, la libération de la Palestine s’est avérée illusoire, que ce soit dans le cadre d’un seul État ou d’une solution à deux États. C’est précisément la raison pour laquelle la diplomatie et les forces internationales ne peuvent au mieux que retarder la prochaine confrontation.

    La libération nationale de la Palestine ne peut être séparée de la libération sociale. Elle ne peut être et ne sera pas imposée par une confrontation militaire, mais par la seule chose qui ait jamais pu forcer des concessions jusqu’à présent : une lutte de masse politique et sociale où la lutte armée est un outil sous le contrôle démocratique de la population. Nous appelons – en Palestine et en Israël – à la création de comités de lutte démocratiques dans l’esprit de la première Intifada (1987-1993) et de la Grève de la dignité (2021). Ce n’est que de cette manière qu’une Palestine indépendante avec une capitale à Jérusalem peut être mise en œuvre, en même temps que seule une Palestine socialiste peut apporter la prospérité en exploitant la richesse nationale au profit de la grande majorité de la population.

    Une telle Palestine socialiste serait un pôle d’attraction et une source d’inspiration pour les masses de tout le Moyen-Orient, une impulsion en faveur d’une confédération socialiste volontaire du Moyen-Orient. Reconstruire Gaza, sans parler d’une Gaza prospère, semble impossible aujourd’hui. Cela nécessiterait un plan Marshall, mais serait similaire ou plus dur encore que la reconstruction de l’Afghanistan ou, disons, de l’Irak. Une confédération socialiste volontaire du Moyen-Orient tirerait parti des vastes ressources de la région pour y parvenir.

    Le régime israélien présente de fortes caractéristiques d’apartheid, mais avec une population juive elle-même déchirée par les divisions de classe et la discrimination. Contrairement aux régimes coloniaux précédents, cette population n’a pas de métropole en dehors de la région où aller. Le régime abuse de cette situation pour créer un sentiment de citadelle assiégée et instrumentaliser le désir de sécurité. Une Palestine socialiste, sans parler d’une confédération socialiste du Moyen-Orient, inciterait fortement la classe ouvrière israélienne à se battre également pour une transformation socialiste, surtout si cela s’accompagne de la reconnaissance de son droit à l’autodétermination et à la sécurité. Cela signifierait non seulement la fin de l’occupation, mais jetterait également les bases de la reconnaissance de l’injustice historique et d’une interprétation juste du droit au retour des réfugiés palestiniens. Nous luttons pour un État socialiste démocratique avec une égalité totale des droits en Palestine et un Israël démocratique et socialiste, avec les deux capitales à Jérusalem et une égalité totale pour toutes les minorités, dans le cadre d’une confédération socialiste régionale volontaire.

  • Les sœurs Mirabal et les origines de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes

    La journée du 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, fut instituée par une résolution des Nations Unies en 1999. Toutefois cette journée avait déjà une importance régionale bien auparavant, ayant été établie lors de la première rencontre féministe continentale d’Amérique Latine et des Caraïbes à Bogota en 1981.(1)

    Par Christian (Louvain)

    Le 25 novembre rappelle la date de l’assassinat des sœurs Mirabal, tuées en 1960 par la dictature de Trujillo en République Dominicaine. Aujourd’hui méconnue, cette dictature était à l’époque réputée parmi les plus ignobles des Amériques. Au début des années ‘80, à une époque où de nombreux pays de la région subissaient le joug de dictatures militaires, ce choix n’est pas fortuit. Les sœurs Mirabal ne peuvent être réduites à de simples victimes d’un crime abominable : c’étaient des militantes politiques en lutte pour les droits démocratiques.

    Il est particulièrement intéressant de se pencher sur cet épisode dans son contexte historique compte tenu du rôle moteur et des grands sacrifices faits par les jeunes femmes dans des mouvements de masses actuels tel qu’au Myanmar ou en Iran. Dans l’Amérique latine d’aujourd’hui, des militantes sont également encore souvent la cible de féminicides.

    Impérialisme et dictature

    Pour assurer le remboursement de la dette nationale, les États-Unis occupèrent la République dominicaine de 1916 à 1924. Haïti, voisine, subit une occupation des marines pour le même motif de 1915 à 1934. Cuba, le Nicaragua et le Honduras connurent également des interventions similaires. Les États-Unis maintinrent un contrôle direct sur les finances et les douanes de la République dominicaine jusqu’en 1940. Ils laissèrent le pays dans de bonnes mains. Trujillo, qui avait pris le pouvoir au début de la crise économique mondiale était l’homme qu’il fallait pour garantir la stabilité politique, l’équilibre budgétaire et les intérêts économiques américains.

    Tout comme le fondateur de la dynastie Somoza au Nicaragua, Rafael Leónidas Trujillo Molina (1891-1961), d’origine modeste, reçut une formation militaire des marines états-uniens lors de leur occupation du pays. Devenu chef de la garde nationale, Trujillo prit le pouvoir par un coup d’Etat lors des élections de 1930. Seulement deux fois officiellement président durant ses 31 années au pouvoir, Trujillo gouverna la plupart du temps en tant que figure militaire imposante derrière des présidents fantoches ; notamment son propre frère ainsi que l’intellectuel Joaquín Balaguer (1906-2002).

    Le ‘Generalissimo’ établit un culte de la personnalité à son profit. Reconstruite après un tremblement de terre, la capitale Santo Domingo fut rebaptisée Ciudad Trujillo. Une province et le plus haut sommet du pays furent également renommés en son honneur. Son règne, celui d’un caudillo aux tendances fascistes, fut marqué par la terreur. Son service secret, le Servicio de Inteligencia Militar (SIM), était connu pour traquer ses opposants jusque dans leur exil. Le bilan de ses 31 années au pouvoir pourrait s’élever à 50.000 morts.

    La pire atrocité orchestrée par Trujillo fut le massacre des migrant.e.s haïtiens en 1937. La quasi-totalité de la population d’origine haïtienne fut soit tuée (entre 17.000 et 35.000 personnes) ou forcée de fuir. Dans le contexte de la crise économique, la main d’œuvre haïtienne était moins recherchée. De plus, Trujillo voulait consolider son contrôle sur la région frontalière. Trujillo justifia le bain de sang ultérieurement par la thèse d’un antagonisme national (voir racial) entre les deux peuples, une thèse basée entre autres sur le fait que Haïti avait occupé son voisin durant la première moitié du 19ème siècle.(2)

    En revanche, pour améliorer sa mauvaise réputation et surtout afin de « blanchir » la population dominicaine Trujillo se montrât ouvert aux migrant.e.s venus d’Europe et même du Japon. La République Dominicaine fut un des rares pays à accepter des réfugié.e.s juif.ve.s. Des milliers de réfugié.e.s espagnol.e.s furent également accueilli.e.s. Nombre d’entre elles et eux finirent toutefois à leur tour assassiné.e.s par le régime dominicain.(3)

    Les sœurs Mirabal

    Propriétaire d’une ferme et de plusieurs commerces, la famille Mirabal était de classe moyenne aisée et habitait une région côtière au nord du pays. Elle comptait quatre filles : Patria (1924-1960), Bélgica Adela « Dede » (1925-2014), Minerva (1926-1960) et Maria Teresia (1936-1960). Dede s’est tenue à l’écart de la politique et fut la seule à voir de vieux jours. Elle s’occupa des orphelin.ne.s et a défendu la mémoire de ses sœurs. Chose exceptionnelle à l’époque, Minerva et Maria Teresia eurent l’opportunité de poursuivre des études universitaires. Minerva, la plus politiquement engagée, fut la première femme du pays à terminer des études de droit.

    A l’université, Minerva rencontra son futur mari Manolo Tavárez Justo (1931-1963). Fils d’un riziculteur de taille moyenne et étudiant en droit il était un fervent ennemi de l’impérialisme américain. Le couple vint à admirer Fidel Castro. Il est à noter que jusqu’en 1961, Fidel Castro poursuivit essentiellement une politique de démocrate radical qui envisageait certes des réformes sociales mais aucunement des bouleversements plus profonds.

    En 1949, Minerva fut personnellement confrontée à Trujillo. Lors d’une fête à laquelle sa famille (et surtout elle) fut contrainte d’assister elle refusa les avances sexuelles du tyran. La famille quitta les lieux. Cet affront à Trujillo, machiste et prédateur sexuel notoire, ne fut pas sans conséquences pour Minerva et sa famille. Son père fut emprisonné et Minerva ne put jamais exercer son métier d’avocate.

    En juin 1959 une expédition armée composée majoritairement d’exilés dominicains fut envoyée par Fidel Castro qui avait renversé le dictateur Batista seulement quatre mois plus tôt à Cuba. L’aventure s’est terminée en moins d’une semaine par une déroute totale. Les quelques survivants furent torturés puis fusillés. Le Mouvement du 14 Juin (MJ14), mouvement dédié à mettre fin à la dictature de Trujillo, fut établi en honneur de ces martyrs. Le mari de Minerva devint le président du mouvement et le mari de Maria Teresia son trésorier. Dès le début, les sœurs ont occupé une place de premier plan dans la lutte clandestine sous le nom de code « mariposas » (papillons). Patria offrit sa maison pour des réunions, tandis que Minerva et Maria Teresa cachèrent des armes et fournirent abri et nourriture à ceux qui fuyaient la répression. Plus que cela, ces dernières étaient activement impliquées dans la planification de la lutte. Aussi, toute la famille fut-elle mobilisée dans la distribution de tracts dénonçant les crimes du régime. Le mouvement attira ainsi de nombreux.ses jeunes dominicain.ne.s issu.e.s de la classe moyenne y compris des étudiant.e.s.

    Plus d’une centaine de membres du MJ14 finirent par être arrêté.e.s y compris Minerva, Maria Teresia, leurs maris respectifs, ainsi que le mari et le fils de Patria. Leurs propriétés furent confisquées et la maison de Patria incendiée. Torturées et condamnées à cinq ans de prison pour « atteinte à la sécurité de l’État » Minerva et Maria Teresia furent toutefois relâchées. Fort conscientes du danger qu’elles courraient, les trois sœurs continuèrent néanmoins à tenir tête au régime.

    Trujillo ne pouvait admettre que des femmes lui soient dangereuses, d’où leur sortie de prison. Toutefois, leur refus obstiné de se soumettre était un défi particulièrement cinglant. Elles représentaient une subversion des rôles de genre dans une société encore profondément traditionnelle et machiste.(4)

    Le dictateur finit par faire recours à un traquenard pour se débarrasser des Mariposas. Deux des trois maris détenus furent transférés à une prison plus lointaine. La route pour aller leur rendre visite était longue et peu fréquentée. Le 25 novembre 1960, des agents du SIM interceptèrent les trois femmes et leur chauffeur. Tou.te.s furent battu.e.s à mort. Le SIM a tenté de simuler les assassinats par un accident de voiture, ce qui n’a trompé personne. Ce crime odieux ne fit qu’alimenter l’indignation contre Trujillo.

    La fin de Trujillo et la défaite de la gauche

    Au moment de l’assassinat des sœurs Mirabal, les choses allaient déjà mal pour Trujillo. En juin 1960, Trujillo avait tenté de faire assassiner le président vénézuélien Betancourt. Celui-ci avait oser accueillir des opposant.e.s dominicain.ne.s. Par la suite, le Venezuela obtint des sanctions contre Trujillo via l’Organisation des États américains (OEA). Alors que Washington résistait aux pressions visant à imposer des sanctions économiques (notamment concernant l’importation de pétrole) sur la République dominicaine, Trujillo devint un obstacle diplomatique aux efforts américains visant à obtenir un consensus autour de l’isolement de Cuba. L’emprise personnelle croissante du dictateur sur l’économie dominicaine (par exemple 60% de la culture sucrière) devenait également un obstacle aux investisseurs États-uniens. Tant donné le mécontentement croissant, les autorités américaines s’inquiétaient aussi concernant le type d’opposition qui pourrait prendre le pouvoir.(5) Il fallait absolument éviter à tout prix un autre Cuba.

    Le 30 mai 1961, Trujillo mourut dans une embuscade sous une pluie de balles. Ses assassins appartenaient à son propre appareil de sécurité et avaient reçu des armes de la CIA. Ramfis, le fils du dictateur, massacra les conspirateurs presque jusqu’au dernier. Une lutte pour le pouvoir opposa Ramfis à ses oncles. Finalement, tous furent forcés de quitter le pays et le pouvoir tomba aux mains de Joaquín Balaguer, président jusque-là fantoche. Une grève générale de 12 jours en novembre-décembre 1961, grève reprise janvier 1962, força la démission du Président Balaguer du pouvoir et la tenue d’élections démocratiques en décembre 1962.(6)

    Juan Bosch (1909-2001) et son parti de centre-gauche, le Parti Révolutionnaire Dominicains (PRD), remportèrent aisément les élections avec près de 60% des votes. Une nouvelle constitution libérale devait garantir les droits démocratiques et syndicaux. Il était question de séparation entre l’Eglise et l’Etat, d’une forte restriction du rôle politique des forces armées, de droits civils et d’une restriction des droits de propriété par rapport aux droits individuels, de réforme agraire. Le danger pour l’ordre établi ne résidait pas dans la radicalité du gouvernement de Bosch mais dans l’espoir qu’il risquait de produire au sein des masses. La droite dominicaine et les USA accusèrent Bosch de complaisance envers le communisme.

    Le 25 septembre 1963, après seulement 7 mois au pouvoir, Bosch fut renversé par un coup d’État et remplacé par une junte. Manolo Tavárez Justo, veuf de Minerva, relâché de prison en 1961, avait apporté un soutien critique au gouvernement Bosch. Son Mouvement Révolutionnaire du 14 Juin ouvrit plusieurs fronts de guérilla pour résister au putsch. Ce recours à la lutte armée fut assez désastreux. Tavárez Justo fut exécuté en décembre 1963 ensemble avec plusieurs compagnons après s’être rendu. En avril 1965, il y eut un soulèvement plus large de civils et militaires, dit «constitutionnalistes», en soutien à Bosch. Cette fois, les combats ne furent pas confinés à de lointains maquis mais furent concentrés dans les rues de la capitale. Le soulèvement connu un certain succès ce qui entraîna une intervention des marines. Il s’agissait de la première intervention militaire directe des États-Unis dans l’hémisphère depuis 30 ans.

    Joaquín Balaguer, l’ancien protégé de Trujillo gagna les élections présidentielles de 1966. Bosch, son adversaire, s’était limité à une campagne discrète par crainte de la répression militaire. Ses trois premiers mandats (1966-1978) furent marqués par la poursuite de la terreur d’État, causant des milliers de morts supplémentaires. Le PRD social-démocrate parvint enfin au pouvoir en 1978 mais finit par trahir la classe travailleuse et imposer des politiques d’austérité.

    Un bilan

    Dans les vies des sœurs Mirabal se retrouvent des éléments féministes tels que le dépassement d’obstacles professionnels ou sociaux ou encore des éléments de « MeToo ». Toutefois, sur l’ensemble, la lutte des sœurs Mirabal s’inscrit moins dans les différentes phases du mouvement féministe mondial que dans la lutte démocratique et par extension anti-impérialiste de l’Amérique latine et des Caraïbes. L’histoire des ‘Mariposas’ est aussi emblématique de l’apparition des femmes comme agents historiques dans une société encore profondément patriarcale et machiste.

    Si elles avaient échappé aux sbires de Trujillo, les sœurs Mirabal seraient-elles allées plus loin dans leur poursuite de l’exemple Castriste? Fidel Castro, poussé par les masses et l’impérialisme américain, finit par adopter le modèle de Moscou, le modèle d’une économie socialisée mais dont la planification était bureaucratique plutôt que démocratique.

    Une des tragédies de l’histoire dominicaine fut l’état relativement moins développé de ses traditions de lutte ouvrière, de ses traditions socialistes. Cuba avait déjà connu la grève générale en 1935, avait un parti communiste depuis 1920, une opposition trotskiste depuis les années ‘30. En contraste, le mouvement ouvrier dominicains ne semble avoir pris son essor qu’après la mort du tyran. Des exilé.e.s espagnol.e.s n’y fondèrent un parti communiste qu’en 1944. Celui-ci fut sévèrement réprimé. Sans une intervention décisive de la classe ouvrière, des luttes démocratiques et anti-impérialistes de type-guérilla avait peu de chance de succès et les réformistes étaient moins contraint à prendre des mesures réellement révolutionnaires.

    Les ‘Mariposas’ restent un exemple de lutte courageuse face à l’oppression dictatoriale et patriarcale. Aujourd’hui les femmes qui rentrent en lutte ont le bénéfice des vagues féministes successives qui les ont précédées et ainsi que d’une classe travailleuse plus forte. Il y a de quoi bâtir un féminisme socialiste et révolutionnaire à la hauteur des défis de notre époque.

    1) https://www.cairn.info/journal-actuel-marx-2007-2-page-36.htm%C3%82%C2%A0

    2) https://clacs.berkeley.edu/dominican-republic-bearing-witness-modern-genocide     

    3) https://albavolunteer.org/2010/07/dominican-republic-commemorates-arrival-of-spanish-refugees/

    4) https://www.csustan.edu/sites/default/files/groups/University%20Honors%20Program/Journals/mendoza.pdf    

     5) https://www.archives.gov/files/research/jfk/releases/2018/176-10033-10152.pdf     

    6) https://nvdatabase.swarthmore.edu/content/dominican-citizens-general-strike-free-democratic-elections-1961-1962

  • Violences de genre, violences sociales. On n’en veut pas, on les combat!

    De près ou de loin, au cours de sa vie, chaque femme est confrontée à différentes formes de violences, parce qu’elle est une femme ou une fille. Le discours dominant (médias, justice, etc.) a longtemps présenté ces violences comme des cas isolés ou des « faits divers », quand elles n’étaient pas tout simplement ignorées. Manifestations et mouvements, dans la vie réelle ou en ligne, ont su imposer ces violences comme le reflet d’un système reposant notamment sur les inégalités de genre. Mais à l’image de la crise climatique, les violences de genre sont sous-estimées et reléguées au second plan des priorités politiques. Et certains osent encore dire qu’on est allé.es trop loin !

    Par Laura (Bruxelles)

    Les choses ne se passent plus tout simplement comme par le passé. En septembre, le célèbre acteur de la série That’70s Show Danny Masterson a été condamné à 30 ans de prison pour viols. Mais ses anciens collègues Mila Kunis et Ashton Kutcher ont toutefois choisi de venir publiquement à son secours, car ils le considèrent comme une « bonne personne ». Être sympa avec ses potes, ça permettrait d’excuser plusieurs crimes ? C’est typique de cette culture du viol toujours bien vive où les violences sexuelles trouvent des justifications, des excuses, sont simplement banalisées, voire acceptées. On ne dit pas aux gens de ne pas violer, mais plutôt de ne pas se faire violer.

    Les données concernant les féminicides font froid dans le dos. En Belgique, on estime qu’une femme meurt tous les sept à dix jours environ sous les coups de son compagnon ou ex-compagnon. Plusieurs collectifs se sont battus pour que la Belgique respecte la Convention d’Istanbul censée engager les États signataires à s’entendre pour l’élimination de toutes les formes de violences envers les femmes. 10 ans après l’avoir ratifiée, la Belgique a introduit le dénombrement officiel des féminicides, jusque-là répertoriés par le monde associatif. C’est le cœur de la loi contre les féminicides adoptée le 29 juin dernier. Reste à savoir comment en finir avec ces meurtres.

    Le foyer, le «lieu de tous les dangers» pour les femmes, selon l’ONU

    L’extrême majorité des violences ne sont pas l’œuvre d’un inconnu, mais se déroulent derrière les portes closes des foyers. Régulièrement, l’entourage ne soupçonne rien. Plus souvent encore, le bourreau a pris garde d’isoler sa ou ses victimes.

    L’an dernier, un rapport sur les féminicides dans le monde a été publié par ONU Femmes et l’Office des Nations Unies contre les drogues et le crime (ONUDC) à l’approche du 25 novembre. Il soulignait qu’en 2021, plus de cinq femmes avaient été tuées chaque heure à travers le monde par un membre de sa propre famille ou par son (ex-)partenaire. On parle donc de plus de 120 féminicides par jour dans le cadre intrafamilial, soit 56% du nombre global des féminicides.

    Sans indépendance financière, comment échapper aux griffes de son tortionnaire ? Une augmentation du salaire minimum à 17€/h et des allocations sociales qui dépassent le seuil de pauvreté, ce sont des revendications féministes ! Tout comme la construction de logements sociaux et l’ouverture de places d’accueil, y compris pour les enfants, afin d’affronter toute l’ampleur du problème. Les services sociaux doivent également recevoir un financement adéquat et suffisamment de personnel.

    Tout le monde, autorités et acteur.trice.s de terrain, reconnaissent que de très nombreux enfants nécessitant une protection ne bénéficient d’aucune aide, faute de moyen. Les délégués des Services d’Aide à la jeunesse doivent régulièrement gérer 100 dossiers d’enfants, soit 3 fois plus que ce qui est prévu. Aucun soutien sérieux n’est possible sous ces conditions et les enfants se retrouvent parfois baladés d’une institution à l’autre, selon les places qui se libèrent. Cette violence institutionnelle est criminelle !

    L’espace public rétréci par le sexisme

    Le harcèlement de rue frappe encore aujourd’hui toutes les femmes. L’insécurité est aussi présente au sein même de la vie estudiantine. Les viols commis à Bruxelles sur le campus du CERIA (Centre d’Enseignement et de Recherches des Industries Alimentaires et chimiques) en octobre 2022 ou celui, plus récent, commis sur le campus de l’ULB en janvier 2023 ont fait l’objet d’une plus grande attention médiatique. Mais ces cas ne représentent qu’un léger aperçu de l’ampleur de la dramatique situation.

    Il existe en Belgique 9 Centres de prise en charge des violences sexuelles (CVPS), à Bruxelles, Gand et Liège (ouverts en 2017) ; Anvers et Charleroi (2021) ; Roulers et Louvain (2022) ; Namur et Genk (2023). Un autre doit encore voir le jour à Arlon. Ils sont passés d’une centaine de victimes accueillies à l’année à plusieurs milliers. En 2022, ils ont enregistré 3.287 admissions contre 1.662 en 2021, soit un bond de 98 % d’augmentation !

    À titre d’exemple, l’Assemblée générale des étudiants de Louvain en Woluwé (AGW) a instauré un numéro vert en partenariat avec des taxis pour permettre aux étudiant.e.s de se rendre au CPVS de Bruxelles. C’est une bonne initiative, mais qui souligne le seul constat qui s’impose: il n’y a pas assez de CVPS. Il faudrait commencer pas en installer un par campus.

    Ne laissons pas au porno « l’éducation sexuelle » des jeunes

    L’accès à du contenu à caractère sexuel est très précoce. Les jeunes regardent leur premier film porno à 11 ans en moyenne, un quart avant 8 ans. Au-delà de la discussion sur les pratiques violentes et dégradantes accessibles, un enfant n’est pas capable de prendre distance face à la fiction présentée et d’avoir un regard critique. Un adolescent sur cinq pense aujourd’hui que les femmes aiment être forcées pendant l’acte sexuel !

    Les écoles peuvent offrir un contrepoids, pour autant qu’on leur en donne les moyens, à elles et aux plannings familiaux. Il y a désormais 2 séances d’EVRAS (Éducation à la vie affective et sexuelle) sur l’ensemble de la scolarité obligatoire en Fédération Wallonie Bruxelles. C’est bien peu au vu de l’urgence de la situation. Le consentement doit être abordé de manière globale, et pas uniquement dans le cadre d’un acte sexuel, au côté des notions de genre, de l’orientation sexuelle, mais aussi d’inceste, de harcèlement… Selon un sondage lancé par Çavaria (organisme pour la défense des droits des personnes LGBTI+ en Flandre), il apparaît que 60,4 % des élèves LGBTQIA+ ne se sentent pas en sécurité à l’école en raison de leur orientation sexuelle ou de leur genre. Deux élèves sur trois évitent certains endroits de l’école pour des raisons de sécurité, comme la cour de récréation. Toustes ont déjà été victimes de commentaires LGBTQIA+phobe. La moitié a même déjà reçu de tels commentaires de la part d’enseignant.e.s !

    Si l’on veut un enseignement basé sur l’épanouissement des individu.e.s, et pas sur la reproduction des inégalités sociales, cela exige plus de moyens, beaucoup plus de moyens, de même que l’implication centrale du personnel éducatif et enseignant dans l’élaboration du projet éducatif. C’est un combat à prendre à bras le corps, comme l’ont illustré les incendies d’écoles et actes de vandalisme anti-Evras. Dans l’enseignement flamand, le cours d’éducation à la vie sexuelle n’est plus présent en tant que tel, on parle plutôt d’éducation à « la santé » au sens large. Les jeunes en recherche d’infos se retournent vers Tik Tok à défaut d’info à l’école. Outre la promotion de pratique sans consentement, de nombreuses vidéos propagent de fausses infos en matière de contraception et d’IST (infection sexuellement transmissible). 12% des jeunes ont des rapports sexuels sans aucune contraception et les IST sont en recrudescence.

    Internet, porte ouverte et accessible pour la propagande sexiste et d’extrême droite

    Internet est devenu le principal canal d’informations, les réseaux sociaux sont même pratiquement l’unique source d’info pour de nombreux jeunes. Les contenus violents et misogynes pullulent. En 2022, la N-VA et le Vlaams Belang ont été les partis à avoir le plus dépensé sur les réseaux sociaux: 58% du montant total pour l’ensemble des partis du pays. L’expert en communication Reinout Van Zandycke résume les choses ainsi: « La N-VA et le Vlaams Belang ont des dépenses qui sont similaires à celles de multinationales. »

    Il existe aussi une multitude de phénomènes tels que Papacito, figure de proue de la fachosphère française. Sa chaîne YouTube a été fermée l’an dernier suite à ses nombreuses vidéos violentes et haineuses. Sur l’une d’elles, il tire sur un mannequin grimé en « gauchiste » (en électeur de la France Insoumise), avant de le poignarder dans le ventre. Sans surprise, il est amateur de misogynes.

    Mais on trouve également des femmes porte-voix d’idées d’extrême droite, « naturalistes » et conservatrices. C’est le cas par exemple des influenceuses se définissant comme Tradwifes (épouses traditionnelles), qui promeuvent le retour des femmes au foyer et la nostalgie du « bon vieux temps » ou seuls comptent les besoins du mari et la nécessité d’élever de nombreux enfants pour éviter le «Grand remplacement» par «l’invasion de migrants». Elles sont également de fervente militante contre le droit des femmes à disposer de leurs corps.

    Dans la pensée de l’extrême droite, la famille nucléaire est une composante essentielle, la cellule de base de la société où se reproduisent les valeurs et l’identité nationale. Dans ce noyau, les hommes et les femmes occupent des rôles rigides et hiérarchisés qui excluent les questions de genre ainsi que les identités – et les vies – des personnes transgenres par exemple. Ces dernières sont d’ailleurs devenues dernièrement tout particulièrement la cible des organisations et figures d’extrême droite.

    Contre la violence capitaliste, le féminisme socialiste !

    Le 25 novembre c’est la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Elle fait référence à la date du meurtre des sœurs Mirabal en 1981 par la dictature militaire de Trujillo en République dominicaine. Pour nous féministes socialistes, le combat pour mettre fin à la violence de genre est par essence une lutte de classe et un combat anticapitaliste.

    Cette violence n’est possible que parce qu’elle se nourrit d’un modèle de société qui légitime une image de la femme comme étant inférieure, plus fragile et finalement moins humaine. Cela ne nous surprend pas, car le capitalisme a besoin de maintenir la famille et les modèles «traditionnels» pour exploiter le travail rémunéré et surtout non rémunéré des femmes (tâche ménagère au foyer, soins aux autres,…). Le capitalisme a aussi besoin de diviser dans la population afin d’affaiblir la résistance à l’exploitation. Il a aussi besoin de classer les êtres humains entre elleux, en les identifiant comme plus ou moins vulnérables, pour justifier la violence nécessaire au maintien de ce système. Rejoignez-nous dans le combat pour mettre le sexisme et le système qui l’entretient, le capitalisme, dans les poubelles de l’histoire !

  • Pourquoi le travail, ça craint ?

    Aliénation capitaliste et potentiel humain socialiste

    Le stress financier, la mise en concurrence permanente des travailleur.euse.s, l’anxiété face à la destruction de l’environnement, le choc d’une guerre en Europe, la crise de l’énergie, les attaques de la droite contre les personnes opprimées… Il y a de quoi être plongé dans le désarroi. Et à cela s’ajoutent des conséquences à long terme d’une gestion calamiteuse de la pandémie qui a entraîné un isolement prolongé, en particulier des jeunes et des aîné.e.s. Des milliers de vidéos sur les réseaux sociaux et d’articles scientifiques nous proposent des solutions, mais on se rend vite compte que ce sont des pansements sur une plaie ouverte et purulente d’anxiété, de dépression et de traumatisme. Nous n’avons jamais été aussi connectés, mais dans le même temps nous n’avons jamais été aussi seul.es…

    Par Emily Burns

    Qu’est-ce qui est à l’origine de tous ces problèmes?

    Il y a près de 180 ans, Karl Marx a écrit le chapitre « Le travail aliéné » dans les Manuscrits économico-philosophiques de 1844. Il reste extrêmement pertinent aujourd’hui. Marx y décrit comment le capitalisme nous détache de nos activités les plus importantes de notre vie quotidienne, déforme nos relations aux autres et rompt notre connexion à la nature.

    Sous le capitalisme, si vous voulez de la nourriture sur votre table et un toit au-dessus de votre tête, vous devez vendre votre force de travail. Une idée centrale de Marx est que les travailleur.euse.s n’ont pas le plein contrôle de leur vie lorsqu’ils et elles travaillent. Ils et elles produisent non pas directement pour eux-mêmes ou pour la collectivité, mais pour quelqu’un d’autre qui a des intérêts opposés aux leurs. Les entreprises n’embauchent que pour profiter de votre travail et vous payer moins que la valeur de votre travail. Pendant que nous travaillons, nous ne prenons pas de décisions pour nous-mêmes et nous ne sommes qu’un chiffre de productivité pour les capitalistes.

    Le travail sous le capitalisme

    À l’époque et dans la région de Marx, la grande majorité des travailleurs effectuaient des tâches répétitives dans les usines. Aujourd’hui, le secteur des services s’est largement étendu. Cela entraîne une autre forme d’aliénation au travail : faire constamment semblant d’être heureux et docile alors que nous sentons la pression d’un monde dysfonctionnel qui pèse sur nous. Dans chaque magasin, chaque restaurant, dans l’industrie du divertissement, nous sommes obligés de sourire et de prendre un ton agréable face à des situations parfois absurdes.

    Récemment, des études ont mis en avant que 40% des moins de 30 ans en Belgique ne font que le strict minimum au travail. Ce phénomène a même un nom venu des USA : « Quiet quitting » ou démission silencieuse. Beaucoup de salarié.e.s dénoncent le fait que leur travail manque de sens, doutent quant à l’utilité de la tâche et regrettent de ne pas avoir leur mot à dire quant à l’organisation du travail.

    S’investir plus ne permet pas d’en retirer plus. Au contraire. Lorsqu’on commence à faire des heures supplémentaires non payées, on n’ose plus arrêter de peur de ne plus être assez « concurrentiel » et de perdre son emploi. Lorsqu’on travaille dans un secteur où les salaires ne sont pas barémisés, il faut changer d’emploi et faire jouer la concurrence pour espérer pouvoir gagner plus. La Fédération Horeca Wallonie se plaint régulièrement dans les médias d’avoir 20% d’emplois vacants et l’explique ainsi : « Durant le covid, nos travailleurs ont goûté à la liberté et à la joie de moments en famille, en soirée et le week-end ». Elle n’en tire toutefois aucune conclusion en termes de salaire et de conditions de travail…

    De plus en plus de personnes osent également dénoncer leurs conditions de travail toxiques. Grâce au mouvement MeToo, le harcèlement au travail – sexuel ou non – est davantage dénoncé. Il est dénoncé, mais il n’a pas nécessairement reculé. Dans les entreprises qui se disent « woke », la répression patronale s’accroît sous prétexte de lutter contre les discriminations ! Des travailleur.euse.s sont licencié.e.s, mais peut d’effort est réalisé pour lutter contre les comportements transgressifs (à commencer par ceux venus de la hiérarchie !). A contrario, les syndicats pourraient s’attaquer à la racine du problème, défendre la nécessité de construire notre unité (et donc de repousser les discriminations) et refuser de laisser l’arbitraire patronal s’étendre toujours plus.

    Grâce au mouvement des élèves du secondaire pour le climat en 2018-19, mais aussi suite aux inondations dramatiques de l’été 2021, beaucoup de travailleur.euse.s sont très conscient.e.s des enjeux climatiques. Mais ils et elles constatent aussi le peu d’attention à l’égard de l’environnement dans leurs entreprises et les quantités de déchets que celles-ci produisent. Il ne peut être qu’extrêmement frustrant de ne pas pouvoir agir sur cela alors qu’on nous rabâche les oreilles avec notre comportement à titre individuel. Dans le système capitaliste, les travailleur.euse.s n’ont pas leur mot à dire concernant la manière de produire ou encore au sujet des biens et des services qui sont nécessaires. Seul compte le profit.

    Pratiquement tout dans la société est le résultat de ce travail aliénant dans la poursuite aveugle du profit : les produits que nous achetons, les activités que nous payons, les bâtiments autour de nous. Cela nous tient éloignés du monde qui nous entoure, et ce, même lorsque nous ne sommes pas au travail. Les patrons et les entreprises sont les principaux bénéficiaires de notre travail, pas nous-mêmes, nos familles et les communautés de travailleur.euse.s au sens large.

    Face à cette situation, la génération Z (moins de 26 ans) est davantage en quête d’emploi qui ait un sens et évite, si possible, de travailler à temps plein. Certain.e.s de la génération Y, voir plus âgés, se réorientent complètement vers un métier plus en contact avec la nature. Et puis, les loisirs choisis (ce que nous faisons pour nous amuser en dehors de la charge de travail) permettent souvent de nous reconnecter au monde qui nous entoure et ils sont parfois aussi des formes de production pré-capitaliste (la pêche, le tricot, le jardinage etc.) Et quel plaisir de manger la salade de son jardin ! D’autres types de loisirs nous reconnectent aux autres, comme danser ou même des jeux vidéo qui peuvent impliquer une coopération avec de nombreuses personnes, ce qui est également agréable.

    Mais il faut être clair : il n’y a pas des emplois horribles et de bons emplois par essence. C’est le capitalisme et le salariat qui les rend aliénants. Il n’y a pas une culture de travail qui ne serait pas toxique sous le capitalisme.

    Ce que ça dit de la nature humaine

    L’idée que défend Marx selon laquelle le travail devrait être une activité joyeuse et valorisante, qui pourrait nous relier aux autres et à la nature nous semble presque insensée aujourd’hui.

    Se rendre compte du caractère aliénant de la société donne envie de sortir du capitalisme. Certains rêveurs tentent de se retirer individuellement de ce système qui nous écrase. Ils et elles essaient de créer des îlots en autarcie hors du capitalisme. Malheureusement, même si on les fuit, les lois du capitalisme se rappellent à nous : la propriété privée, la concurrence, tout comme l’appareil répressif de l’État si l’expérience prenait de l’ampleur, sans parler de la crise écologique, des guerres… Et puis, c’est abandonner la grande majorité à l’exploitation capitaliste. Cela traduit souvent un manque de confiance dans les capacités de notre classe à rompre avec le capitalisme.

    D’autres, plus nombreux, pensent qu’en faire le strict minimum est dans la nature humaine. Il est vrai qu’à l’école ou au travail, mais aussi dans les lieux publics, nous avons tous été confrontés à des fouilleurs de poubelles, à des flâneurs ou à des personnes qui laissent les toilettes dans un état qu’elles n’accepteraient pas chez elles… Mais au travail, les gens ne sont pas les mêmes qu’à l’extérieur, et les espaces publics ne sont plus des lieux où l’on se sent appartenir à la communauté. A contrario, lorsqu’il en tire du sens, l’être humain est prêt à s’engager et à donner le meilleur de lui-même. Nous pouvons chaque jour le constater à travers un fort engagement bénévole, jusqu’à 19% de la population en Belgique fait du bénévolat.

    C’est notre condition sociale – le salariat, le fait de travailler pour le profit du capital et non pour la collectivité – qui explique ce désinvestissement. Nous sommes dépossédés de la propriété et de la gestion de l’endroit où nous passons une bonne partie de notre temps. Nous finissons dépossédés de nous-mêmes. Et on en arrive à des comportements antisociaux. Certain.e.s peuvent ne plus “respecter” ce qui ne leur appartient pas – suite à une privatisation toujours plus importante de notre environnement – sur lequel nous n’avons pas de prise. D’autres vont avoir un comportement discriminant (racisme, sexisme, LGBTQIA+phobie…). La société de classes a profondément influencé notre comportement. Marx a dit que les idées dominantes à tout moment sont les idées de la classe dominante. Ces idées naissent des relations matérielles, et la relation centrale du capitalisme est l’exploitation.

    Nous pourrions être pessimistes quant à la nature humaine. Pourtant c’est avec les tire-au-flanc et ceux qui bouchent les toilettes que nous devrons construire les luttes ; avec des racistes et des sexistes qui au travers de la lutte verront l’importance de notre unité et de la lutte contre les oppressions. L’histoire nous montre que lorsque nous entrons en lutte contre l’arbitraire des dominants, l’humain s’intéresse à nouveau à ce qu’il fait et à la manière dont il le fait, y compris au contenu même de son travail et qu’il est profondément changé.

    Ainsi, comprendre ce qu’est l’aliénation permet de démonter l’idée poussée par les capitalistes selon laquelle « l’homme est un loup pour l’homme », que l’égalité serait contraire à la nature humaine ou encore que la concurrence et la destruction de l’environnement y seraient intrinsèque. Cela permet de répondre à l’argument – mis en avant dans nos cours d’économie et d’histoire – selon lequel, sans salariat et sans répression patronale, l’être humain aurait tendance à travailler le moins possible. Si c’était en partie le cas durant la caricature de socialisme qu’était le stalinisme, c’est parce qu’il n’y avait pas de démocratie ouvrière : les travailleur.euse.s ne décidaient pas quoi et comment produire tandis que leur opinion était réprimée.

    La confiance que nous devons avoir dans la classe ouvrière n’est donc pas basée sur l’idéalisme. Il est primordial de recréer du collectif et de contester l’arbitraire patronal. À travers la lutte et dans d’autres conditions, nous changeons rapidement.

    Déconnexion de la nature…

    Un autre mensonge que les capitalistes nous font croire c’est que l’humain est étranger à la nature, qu’il n’en fait pas partie. Il est d’ailleurs largement admis que la nature c’est là où on ne trouve pas d’humains. Cela montre l’étendue de notre aliénation sous le capitalisme.

    Marx était en avance sur son temps en relevant que le capitalisme nous détache de la nature et de l’impact qu’a le processus de production sur elle. Il soulevait déjà les impacts psychologiques de cette rupture.

    Pourtant, l’humanité a un enracinement profond dans la nature. Il y a deux sources de richesses : le travail et la nature. L’humain est dépendant de la nature son bien-être et sa survie. Mais sous le capitalisme, la nature c’est une chose dont on peut user et abuser. La manière dont les capitalistes contrôlent et exploitent les matières premières et d’autres aspects du monde naturel est un levier important pour l’exercice de leur pouvoir dans l’économie. Ils doivent donc absolument nous faire croire que l’on est extérieur à la nature, que nous ne devons pas tenir compte d’elle.

    Déconnecté de nous-même

    Face au constat de cette aliénation, beaucoup de produits sont commercialisés pour lutter contre l’aliénation. Mais ils finissent par l’accroître ou l’altérer et étendent la sphère du marché. C’est ainsi que certain.e.s parviennent à vendre des stages de reconnexion à la nature…

    Sous le capitalisme, tout devient une marchandise. Et ça va bien plus loin que la vente de notre force de travail et de biens. Nous sommes traités comme des rouages dans une machine. Nous avons moins de temps que nous le devrions pour développer des relations avec nos proches, créer des communautés plus larges ou expérimenter de nouvelles choses. Des échanges de services deviennent des marchandises au travers des économies de plateformes (Blabla-car qui remplace l’auto-stop…). Il y a une pression croissante pour « monétiser » les interactions humaines (location d’”ami.e.s” au Japon …). Cette vision des autres comme des marchandises déteint sur notre vie quotidienne, intensifiée par l’objectivation des gens dans les publicités et l’industrie du divertissement.

    Cette marchandisation est également très présente sur les réseaux sociaux. Les algorithmes sont développés pour qu’on y passe le plus de temps possible ce qui maximise les profits au travers de la publicité. Les réseaux aideraient à être en contact avec les autres et à nous sentir valoriser. Mais en réalité, ce n’est pas de ça qu’il est question. Ce sentiment d’insécurité exacerbé par la pub nous pousse à une frénétique course aux likes. Cela crée une énorme pression pour se montrer toujours « beau » et heureux. Pour se sentir exister, certain.e.s achètent des likes, ce qui est extrêmement rentable pour des entreprises telles que Tiktok. D’autres s’orientent vers le nouveau créneau de chirurgie esthétique: ressembler à son filtre Instagram ou Snap. Nous sommes déconnectés de notre environnement réel et étranger à notre propre image !

    Santé mentale en crise

    La crise de la santé mentale découle logiquement de tout cela. La profondeur de cette crise va bien au-delà d’un manque de financement. Considérer la maladie mentale comme un problème individuel n’est avantageux que pour les capitalistes. Cela ouvre, entre autres, de nouveaux marchés aux produits pharmaceutiques. Il y a évidemment des éléments physiques aux maladies mentales, mais cela ne suffit pas comme explication face à l’ampleur du phénomène: 20% des 12-18 ans sont dépressifs, 9% pensent au suicide selon une étude de l’ULg. Et les chiffres sont systématiquement pires pour les jeunes femmes… Il est essentiel d’aller à la racine du problème, ce que le marxisme et la compréhension approfondie de ce qu’est l’aliénation permettent de faire.

    L’atomisation des relations humaines s’est fortement accrue durant les décennies de néolibéralisme. Thatcher disait « il n’y a pas de société, que des individus et leurs familles ». Les espaces communautaires ont largement disparu, de nombreux services publics ont été privatisés, la mise en concurrence des individus s’est multipliée, etc. Tout cela se traduit par une perte de communauté importante. Les travailleur.euse.s s’identifient beaucoup moins à leur classe sociale que par le passé. Mais les êtres humains sont des êtres sociaux. Ils recherchent de nouveaux groupes d’appartenance, mais ils restent seuls face à l’exploitation capitaliste. La mauvaise gestion de la pandémie a ensuite accéléré cette crise de santé mentale. On n’a jamais été aussi connecté, mais on n’a, dans le même temps, jamais été aussi seul !!

    En utilisant et développant la vaste technologie développée par les humains, nous pourrions être plus en contact avec notre environnement. Si nous avions le socialisme, une société avec une planification gérée démocratiquement, avec des travailleur.euse.s contrôlant la production et la distribution, nous nous sentirions plus profondément en contact avec les décisions que nous prenons et qui affectent le reste du monde naturel. Ce n’est qu’une des façons dont la lutte des travailleur.euse.s et le changement socialiste pourrait améliorer notre santé mentale.

    La libération du potentiel humain

    Léon Trotsky, dans un brillant discours de 1932 a dit ceci « Sauf de rares exceptions, les étincelles du génie sont étouffées dans les profondeurs opprimées du peuple, avant qu’elles puissent même jaillir. Mais aussi parce que le processus de génération, de développement et d’éducation de [l’humain] resta et reste en son essence le fait du hasard ; non éclairé par la théorie et la pratique, non soumis à la conscience et à la volonté. »

    Des dizaines de millions de personnes dans le monde tentent de fuir la guerre, la misère et les catastrophes climatiques. Des centaines de millions d’autres vivent dans la pauvreté absolue. Malgré tous ses discours sur « l’efficacité », le capitalisme gaspille des quantités incalculables de potentiel humain qui permettrait d’améliorer le monde. Et l’inégalité économique n’est qu’un facteur dans la façon dont le capitalisme gaspille nos capacités.

    Au contraire d’aujourd’hui, durant la plus longue période de l’histoire de l’humanité, la coopération et relation étroite avec la nature était vitale à la survie des groupes humains.

    Face à l’aliénation qui nous affecte de tant de façon différente, il est nécessaire de nous battre pour un contrôle démocratique des travailleur.euse.s sur la production. Ce qui est avilissant et déshumanisant dans un contexte spécifique pourrait être épanouissant dans un autre, dans une société qui n’est pas basée sur le profit, mais dans laquelle les richesses et les ressources sont organisées pour répondre aux besoins de l’humanité. Et bien que la situation environnementale soit désastreuse, libérer les capacités de notre espèce permettraient d’envisager un avenir durable et stable. En plus, en ayant réellement un droit de regard sur la façon dont nous produisons les ressources de la société, nous pourrions nous épanouir individuellement et collectivement et libérer toutes sortes de potentialités et créativités différentes.

  • Halte au massacre à Gaza! Stoppons cette guerre permanente!

    L’attaque surprise du Hamas le 7 octobre et les sanglantes représailles du régime israélien ont remis la situation en Israël-Palestine au premier plan de l’actualité au point d’éclipser même la guerre en Ukraine. Du côté israélien, au moins 1.400 personnes ont été tuées et 3.500 blessées. Parmi les victimes, 70 Bédouins arabes et plusieurs jeunes festivaliers. Du côté palestinien, le bilan s’élève à plus de 4.000 morts après 10 jours, dont 1000 enfants. Le 17 octobre, une frappe meurtrière à l’hôpital de Gaza a fait plus de 500 victimes à elle seule. Le dossier ci-dessous repose sur une introduction d’Éric Byl au Comité national du PSL/LSP.

    Une pluie de bombes sur Gaza

    Le 19 octobre, le bilan s’élevait à au moins 4.000 morts à Gaza et 61 en Cisjordanie, auxquels s’ajoutaient 12.500 blessés à Gaza. En sept jours seulement, 6.000 bombes ont été larguées sur Gaza selon l’armée israélienne. Un expert militaire américain a déclaré au Washington Post que ce chiffre est comparable à ce que les États-Unis ont largué sur l’Afghanistan, un pays environ 2.000 fois plus étendu, en une année entière, bien que les bombardements n’aient pas été d’une intensité égale partout dans ce pays. Dans la lutte contre Daesh, l’État islamique, environ 5.000 bombes ont été larguées par mois sur l’Irak et la Syrie. À cela s’ajoute la coupure par Israël du réseau électrique et de l’approvisionnement en eau, en carburant et en autres biens.

    En cas d’invasion terrestre, le nombre de morts et de blessés du côté palestinien augmentera de manière exponentielle. Le régime israélien a ordonné à 1,1 million d’habitants de la ville de Gaza de fuir en 24 heures vers le sud de Gaza, qui est également bombardé. Le Hamas a appelé la population à ne pas bouger. Même les alliés impérialistes du régime israélien, tels que l’UE, ont qualifié cet ordre d’irréaliste.

    Cet ordre rappelle inévitablement la Nakba de 1948, lorsque les Palestiniens ont également été exhortés à fuir la guerre, sans jamais pouvoir revenir par la suite. Un député du Likoud, le parti de droite au pouvoir, a appelé à une deuxième Nakba pour « éclipser la précédente ». Une invasion terrestre présenterait également des similitudes avec l’attaque de Beyrouth au Liban en 1982, avec les massacres dans le camp de réfugiés palestiniens de Chatila et dans le quartier voisin de Sabra. Ces massacres avaient fait au moins 50.000 morts.

    La politique de choc en Israël et les complications qui en découlent

    L’attaque du Hamas a causé le plus grand nombre de victimes en Israël depuis la création de l’État d’Israël. L’illusion d’un mur de fer derrière lequel construire un Israël sûr et prospère a volé en éclats. Soudain, le prix de l’occupation s’est révélé élevé également du côté israélien. Le régime profite de cet effroi pour appliquer sa propre version de la doctrine du choc afin de commettre une démonstration de force et de restaurer sa position. Le ministre de la Défense, Yoav Galant, a déclaré : « Nous combattons des bêtes humaines » et « nous agirons en conséquence ». Netanyahou a quant à lui déclaré : « Nous allons réduire Gaza en ruines ».

    L’attaque du Hamas s’est inscrite dans un contexte de crise de légitimité pour le gouvernement israélien après dix mois de résistance historiques contre la réforme judiciaire, une tentative de rendre la justice encore plus dépendante du gouvernement. L’escalade de violence actuelle a coupé court au mouvement de masse et a renforcé les éléments réactionnaires en Israël. Elle n’a pas approfondi les divisions internes entre les classes, mais les a rétrécies.

    Le renforcement d’éléments réactionnaires en Israël se reflète dans la formation du gouvernement d’unité nationale avec l’opposant Benny Gantz. Ce gouvernement d’unité nationale entend répondre aux craintes de la classe dirigeante et de l’impérialisme américain d’une politique aventuriste dans laquelle le régime israélien se surpasserait. C’est également la raison pour laquelle le secrétaire d’État américain Anthony Blinken, malgré son soutien explicite à Israël, a néanmoins averti qu’il faut « respecter les règles ». Des manifestations de solidarité de masse ont déjà eu lieu en Jordanie, entre autres. Une guerre terrestre entraînerait des mobilisations massives dans tous les pays arabes, en Turquie et aussi en Europe et ailleurs.

    À l’heure où nous mettons sous presse, les troupes terrestres étaient prêtes pour une invasion. L’attitude du régime israélien était encore inconnue. Une prise de contrôle direct de Gaza est justement ce qu’Israël a abandonné en 2005, car cela était devenu intenable. Une manœuvre similaire à la guerre de Gaza en 2014, plus limitée en termes d’objectif et de portée, est également possible. Le gouvernement évite de fixer des objectifs concrets, mais cela pourrait entraîner une nouvelle crise de confiance.

    Les ministres sont déjà critiqués pour ne pas avoir empêché l’attaque du Hamas, pour avoir concentré trop de troupes en Cisjordanie afin de protéger les colons et pour avoir sapé la vigilance de l’État avec leur réforme juridique. Le fait que beaucoup soient favorables à l’unité nationale en temps de guerre ne signifie pas qu’ils ont déjà oublié les politiques du gouvernement de droite de M. Netanyahou. Il y a aussi les exemples de solidarité de ceux, souvent bédouins, qui, au péril de leur vie, ont éloigné des jeunes du festival attaqué par le Hamas, ou encore ceux qui donnent leur sang pour les victimes.

    La menace d’une guerre régionale

    La menace d’une extension régionale de la guerre est réelle. Pour l’instant, il ne s’agit que d’escarmouches avec le Hezbollah libanais, plus fort et mieux armé que le Hamas. L’organisation est par ailleurs plus puissante que lors de la guerre israélo-libanaise de 2006. La Cisjordanie est également au bord de l’explosion, surtout avec les pogromes constants causés par des groupes d’extrême droite israéliens qui ont déjà coûté la vie à des dizaines de Palestiniens. Israël a également bombardé les aéroports syriens de Damas et d’Alep pour contrer le renforcement du Hezbollah par l’Iran. Il n’est même pas exclu qu’une escalade aboutisse à une attaque israélienne contre l’Iran sans l’accord préalable des États-Unis.

    Au cours des dernières décennies, le soutien à Israël en Occident a commencé à sérieusement s’user. Même au sein du parti démocrate américain, la sympathie pour les Palestiniens, en particulier parmi les jeunes générations, a commencé à prendre le pas sur les positions pro-israéliennes traditionnelles. L’acte terroriste brutal du Hamas a inversé cette tendance, du moins pour l’instant. Cela fait partie de la dynamique de la nouvelle guerre froide. L’ensemble du bloc occidental, sous la houlette des États-Unis, en profite pour s’unir derrière Israël. Les États-Unis ont envoyé des porte-avions pour dissuader une éventuelle ingérence des pays de la région et promettent des livraisons d’armes supplémentaires. Le Royaume-Uni a également envoyé des navires de guerre. En Europe, les drapeaux israéliens sont partout tandis que Macron a interdit les manifestations de soutien à la Palestine en France. Il a même été envisagé d’interdire toute aide humanitaire à Gaza. À l’OTAN, le tapis rouge a été déroulé pour le ministre israélien de la Défense Galant. En intégrant et en cooptant Israël dans le bloc occidental, les États-Unis tentent de restaurer leur perte de prestige pour intervenir militairement au Moyen-Orient. Une confrontation directe entre superpuissances, comme cela avait été craint lors de la guerre du Kippour en 1973, n’est pas envisageable dans l’immédiat. La Russie profite de la guerre parce que celle-ci détourne l’attention de l’Ukraine, mais même Poutine a jugé trop aventureux de se déclarer solidaire du Hamas. Cela pourrait toutefois changer si le régime syrien d’Assad est directement menacé.

    Le régime israélien et l’impérialisme occidental profitent pleinement de ces événements d’une ampleur historique. L’acte terrible du Hamas ne change par contre rien à l’occupation et au blocus, ni d’ailleurs à l’analyse des raisons sous-jacentes derrière ces événements.

    Une percée surprise hors de la plus grande prison à ciel ouvert du monde

    Le 7 octobre, à l’aide de bulldozers, de motos, de parapentes et de canots à moteur, les militants du Hamas ont surpris l’armée de la plus grande puissance impérialiste régionale. Le Hamas s’était auparavant imposé comme la principale organisation de la résistance palestinienne à l’occupation, aux dépens de l’Autorité palestinienne et du Fatah corrompu et collaborant avec le régime israélien. Le Hamas avait établi un quartier général commun avec d’autres factions de la résistance, mais il est resté discret durant les affrontements armés à Gaza et à Jénine en mai et juin dernier.

    Cette fois-ci, il a lui-même lancé une offensive qui comportait initialement des éléments de lutte de partisans contre l’occupation, mais dont le caractère réactionnaire est devenu plus dominant, tant sur le fond que sur la forme, au fur et à mesure que l’attaque progressait. L’attaque s’est accompagnée d’un massacre aveugle d’une ampleur sans précédent dans la lutte de libération palestinienne.

    La Hamas voulait créer l’illusion que l’armée israélienne ne pourrait plus commettre ses crimes en toute impunité et que, s’il n’allait peut-être pas remporter une victoire militaire, il allait tout de même blesser Israël. Même le grand nombre de victimes civiles du côté israélien n’a pas réussi à refroidir l’enthousiasme des Palestiniens et des Arabes qui espéraient que, cette fois-ci, le nombre de victimes serait plus symétrique et qu’il n’y aurait pas à nouveau 10 à 15 vies palestiniennes perdues pour chaque mort du côté israélien.

    Selon Le Monde, après 24 heures, le Hamas avait atteint tous ses objectifs : mettre fin au sentiment d’invulnérabilité et de sécurité du côté israélien et suspendre le rétablissement des relations avec les pays arabes (Maroc, Émirats arabes unis, Soudan) que les États-Unis et Israël voulaient couronner avec l’Arabie saoudite. La normalisation des relations avec l’Arabie Saoudite devait permettre à cette dernière d’accéder à un système de sécurité américain tout en représentant un contrecoup face à la restauration des relations entre l’Arabie Saoudite et l’Iran facilitée par la Chine. Le Monde a conclu que l’approche du Hamas consistait ensuite à attendre la riposte face à son attaque-surprise.

    L’attaque terroriste du Hamas ne saurait être dissociée de l’occupation, du blocus de Gaza et du nombre record de Palestiniens tués en Cisjordanie : 212 déjà avant le 7 octobre, soit le chiffre le plus élevé depuis 2005. Mais les méthodes ne sont pas non plus distinctes du contenu. Le Hamas défend un régime autocratique similaire à la dictature iranienne récemment contestée par une résistance de masse pour les droits démocratiques et contre l’oppression des femmes et des personnes LGBTQIA+. Ces idées réactionnaires sont liées aux actes terroristes qui ciblent des victimes au hasard.

    Nous ne sommes pas opposés à la lutte armée, mais en tant qu’outil, pas en tant que substitut à l’entrée en action des masses et certainement pas à la place d’une lutte politique. Nous défendons la constitution de comités démocratiques d’action de masse à l’image de ceux qui sont nés de la première Intifada (1987-1993), mais cette fois-ci avec un programme visant à la transformation socialiste démocratique de la société et non à s’aligner sur des régimes arabes capitalistes réactionnaires et dictatoriaux qui oppriment et exploitent leur propre peuple. Le soutien dont bénéficie l’attaque du Hamas est malheureusement le reflet de la faiblesse de la gauche qui, au lieu de défendre une position d’indépendance de classe internationaliste, soit soutient sans critique le régime israélien, soit laisse la juste lutte pour l’autodétermination dans les mains de forces aux méthodes réactionnaires. Le soutien à l’attaque du Hamas est une expression de désespoir, tout comme lors des attentats suicides de la seconde Intifada (2000-2005). .

    Une réponse socialiste

    • Stop au bombardement de Gaza ! Résistance contre l’offensive terrestre et contre l’expansion régionale du carnage ! Non au terrorisme, qu’il soit d’État ou non ! Solidarité avec toutes les communautés touchées !
    • Stop au blocus, au siège, aux colonies et à l’occupation ! Pour une mobilisation internationale et une lutte par-delà les frontières des communautés pour une trêve des armes !
    • Pour un échange rapide de tous les prisonniers et otages dans le cadre d’une trêve immédiate des armes !
    • Non à l’ingérence des principaux blocs impérialistes qui utilisent le massacre pour renforcer leurs positions ! Aucune confiance dans le gouvernement israélien « d’unité nationale » de la droite et de Gantz qui portent une lourde responsabilité dans l’escalade qui a conduit à la guerre !
    • Pas touche à nos droits démocratiques ! La guerre n’élimine pas les différences de classe, mais les exacerbe. Le mouvement de lutte avec grèves et manifestations en Israël doit être reconstruit, avec des mesures de sécurité supplémentaires bien entendu, pour mener une lutte conséquente en faveur de la démocratie, de l’égalité, de la prospérité et de la sécurité personnelle pour les deux communautés. Le bloc impérialiste occidental s’est aligné unilatéralement sur Israël et les manifestations ou prises de position propalestiniennes sont interdites dans de nombreux pays, ce qui va s’accentuer avec des attaques terroristes telles que celles d’Arras en France et de Bruxelles. Défendons notre droit de manifester et de protester !
    • Pour l’unité des travailleurs contre la politique de « diviser pour mieux régner » ! Non à la chasse aux sorcières contre celles et ceux qui s’opposent à la guerre et à l’oppression nationale sur les lieux de travail ou sur les campus. Le mouvement ouvrier ne doit pas laisser les frustrations grandir chez chaque individu jusqu’à ce qu’elles deviennent des bombes à retardement. Il doit lui-même s’engager dans le débat et défendre des solutions collectives. À cette fin, les discussions, les rassemblements de protestation avec toutes les communautés et les manifestations de solidarité sont importants dans le cadre de notre lutte pour une société fondamentalement différente.
    • Pour des manifestations et des grèves – telles que la Grève de la Dignité de mai 2021 – en Cisjordanie et à Jérusalem-Est dans le cadre d’une lutte de masse organisée démocratiquement par des comités élus pour la libération nationale et l’émancipation sociale ! Ces comités doivent prendre en charge les mesures de sécurité et l’autodéfense du mouvement lors de manifestations contre la guerre, l’occupation et les colonies. Pour des comités de défense démocratiquement élus dans les quartiers et les localités.
    • Pour une mobilisation internationale de masse contre la guerre. Pour un boycott ouvrier international des livraisons d’armements et d’équipements destinés à être utilisés par Israël dans l’oppression des Palestiniens, ce à quoi appellent les syndicats palestiniens.
    • Pour un plan massif d’investissements publics de reconstruction en faveur du bien-être pour toutes et tous ! Il est déchirant de voir comment, en temps de guerre, des ressources apparemment inépuisables peuvent être trouvées et concentrées au point d’attaque. La reconstruction des deux communautés, tant sur le plan matériel qu’en termes de soutien médical et psychologique, nécessitera une concentration et un engagement de ressources d’une taille au moins comparable. Les capitalistes et leurs gouvernements ne le permettront jamais. C’est impossible sans l’expropriation des gigantesques profits de guerre et du secteur bancaire et leur prise en charge publique sous contrôle et gestion démocratiques. Si ces ressources étaient utilisées sous contrôle démocratique et propriété publique pour assurer à toutes et tous de quoi bénéficier d’une vie digne dans le cadre d’une transformation socialiste de la région, alors une solution durable serait possible.
    • Pour une lutte de masse des travailleurs, des pauvres et de la jeunesse ! La situation actuelle est le produit du capitalisme et de l’impérialisme. Le tribut est particulièrement élevé pour les travailleurs et les pauvres. Nous sommes pour la création de partis de lutte de masse dans les deux communautés travaillant ensemble pour organiser la protestation et la lutte des travailleurs, des pauvres et des jeunes de toutes les communautés dans le cadre d’une lutte internationaliste et socialiste.
    • Pour une Palestine socialiste indépendante avec sa capitale à Jérusalem-Est et une transformation socialiste en Israël avec une garantie d’égalité des droits pour toutes les nations et minorités. Pour une solution juste pour les réfugiés palestiniens par le biais d’un accord qui reconnaisse l’injustice historique et permette à ceux qui le souhaitent de revenir, tout en garantissant la prospérité et l’égalité pour toutes et tous. L’idée de « deux États » est utopique dans le cadre du capitalisme ; elle reviendrait à créer un État fantoche néocolonial pour les Palestiniens. Cela ne résoudrait pas les problèmes fondamentaux des masses palestiniennes. Un État binational est également utopique dans un contexte capitaliste, une grande majorité des deux nationalités ne veulent pas renoncer à leur indépendance dans le cadre d’un seul État et cela ne mettrait pas fin aux craintes et aux suspicions. Pour parvenir à l’unité dans la lutte pour une transformation socialiste, il est nécessaire de reconnaître le droit à l’autodétermination de tous les peuples. La lutte peut arracher des conquêtes sociales, mais une transformation socialiste de la société est nécessaire pour élever le niveau de vie des travailleurs palestiniens et israéliens au-dessus des meilleures conditions possibles dans le cadre du capitalisme. Ce n’est que sur cette base que l’on pourra obtenir une égalité totale des droits dans tous les domaines. Une solution juste exige une lutte qui garantisse la prospérité et l’égalité dans la région et qui prône le dialogue direct et le consentement mutuel, y compris la reconnaissance des injustices historiques et le droit au retour. Dans ces conditions, la haine mutuelle et le schisme national diminueront et les fondements d’un État socialiste uni pourront être posés.

    Contre la guerre et le terrorisme d’État ou non : la solidarité

    Le régime israélien a cyniquement mobilisé sa puissante machine de guerre pour infliger une sanglante punition collective en considérant que la totalité de la population palestinienne est responsable de l’attaque aveugle du Hamas.

    Il a coupé les approvisionnements en électricité, en eau, en carburant et en marchandises à Gaza tandis que l’aide humanitaire est elle aussi bloquée au milieu des bombardements constants, alors que les hôpitaux manquent de médicaments et que les générateurs tombent en panne. L’opinion publique internationale est choquée, mais cela provoquera également l’horreur en Israël à mesure que ce drame se poursuivra. En maintenant fermé le poste-frontière de Rafah, le régime israélien, avec la complicité du régime égyptien, prend en otage toute la population de Gaza. Des deux côtés, le sort des otages n’est rien d’autre qu’un dommage collatéral, ce qui suscitera lui aussi une répulsion croissante.

    Chez les Palestiniens, c’est actuellement le soutien au Hamas qui domine, inspiré par la volonté justifiée de résistance contre l’occupant israélien. Chez les Israéliens, ce sont les appels à la vengeance pour le terrible massacre aveugle qui l’emportent. Ce fossé dans la conscience nécessite une approche sensible qui tienne compte des dommages et des traumatismes subis, offre une perspective de sécurité et de prospérité pour toutes les communautés et reconnaisse et réalise le droit à l’autodétermination d’une manière qui soit acceptable et attractive pour les deux communautés.

    Il faut saisir toutes les occasions de briser le cycle de la haine et de la violence. Nos membres sur place participent par exemple activement à la résistance sur les campus israéliens contre les tentatives de l’extrême droite d’expulser du campus celles et ceux qui expriment leur soutien aux Palestiniens. Comme toujours en situation de guerre, la cherté du coût de la vie augmente à vue d’œil, de même que les profits d’un certain nombre de grandes entreprises, évidemment dans l’industrie de l’armement et tout ce qui touche à la défense, mais aussi dans la distribution et d’autres secteurs. Cela peut permettre de mieux comprendre qui profite de la guerre et qui en paie le prix dans les deux communautés.

    La guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens. Elle met à nu toutes les contradictions. Même la réalisation de revendications directes, y compris démocratiques, nécessite une mobilisation de masse, dans toute la région, mais aussi au niveau international, en raison de l’implication de toutes les puissances impérialistes. Nous sommes catégoriques : aucune solution durable n’est possible sans transformation socialiste de la société. Notre programme n’est pas une liste de souhaits, il part des besoins immédiats et les relie à des actions visant à une mobilisation de masse. Il formule des exigences objectivement nécessaires, mais qui ne seront satisfaites par aucun régime capitaliste de son plein gré. Il démontre en pratique la nécessité d’une transformation socialiste de la société, non pas pour un avenir lointain, mais comme une nécessité objective directe.

  • 100e anniversaire de l’Opposition de gauche

    Les premiers pas du combat ouvert entre marxistes révolutionnaires et forces bureaucratiques antirévolutionnaires

    15 octobre 1923, un groupe de 46 importants dirigeants soviétiques envoie une déclaration à la direction du Parti communiste d’Union soviétique. Ils y critiquent les manquements de cette dernière en matière économique et appellent à restaurer la démocratie interne du parti. L’évènement marque les premiers pas de l’organisation d’une résistance à la fraction stalinienne totalitaire, autour de Léon Trotsky. Trotsky et «les 46» rassemblaient nombre de figures essentielles de la révolution russe de 1917 qui, aux côtés de Lénine, avaient porté les masses exploitées au pouvoir.

    Par Nicolas Croes

    L’isolement de la révolution, berceau de la bureaucratie émergente

    Tout a été fait pour travestir cette lutte titanesque en un simple conflit de personnalités entre Trotsky et Staline. Or il s’agissait en réalité d’un conflit social dans lequel les représentants politiques des nouveaux privilégiés de l’État se hâtaient de consolider leurs positions et, dans ce cadre, se heurtaient aux communistes qui reflétaient le mécontentement de la classe ouvrière. Le débat portait finalement sur le destin de l’État ouvrier lui-même.

    La jeune république soviétique avait hérité d’une économie arriérée issue de l’ancien régime tsariste (il suffit de mentionner que le servage n’avait été aboli qu’en 1861…) et ravagée tout à la fois par la Première Guerre mondiale et par la guerre civile. Les gouvernements anglais, français, américain, canadien, japonais, roumain, polonais, grec, tchécoslovaque, italien… avaient engagé des moyens considérables pour assister les armées russes contre-révolutionnaires (les « Blancs ») et renverser le régime issu de la révolution (les « Rouges »). La révolution était sortie victorieuse du conflit, mais dramatiquement isolée. Dans les autres pays, faute d’un parti révolutionnaire forgé de longue date à l’image du parti bolchevik, les révolutions et soulèvements ouvriers avaient abouti à l’impasse.

    Trotsky expliquait que la bureaucratie soviétique était devenue « d’autant plus puissante que des coups plus durs se sont abattus sur la classe ouvrière mondiale. Les défaites des mouvements révolutionnaires en Europe et en Asie ont peu à peu miné la confiance des ouvriers soviétiques dans leur allié international. À l’intérieur du pays régnait toujours une misère aiguë. Les représentants les plus hardis et les plus dévoués de la classe ouvrière soit avaient péri dans la guerre civile, soit s’étaient élevés de quelques degrés plus hauts, et, dans leur majorité, avaient été assimilés dans les rangs de la bureaucratie ayant perdu l’esprit révolutionnaire. Lassée par les terribles efforts des années révolutionnaires, privée de perspectives, empoisonnée d’amertume par une série de déceptions, la grande masse est tombée dans la passivité. »(1)

    L’année 1923, un point charnière

    Les problèmes de bureaucratisation dans l’État et dans le parti n’étaient pas neufs et avaient préoccupé Lénine dès 1922. Il avait proposé à Trotsky de constituer un bloc pour combattre le bureaucratisme, mais la réalisation de ces plans fut contrarié par la terrible maladie qui frappa Lénine en décembre 1922.(2) Parallèlement, le système soviétique était en train de subir une crise profonde. À l’été et l’automne de 1923, les centres industriels furent atteints par un large mouvement de grève. Le nombre de grévistes atteignit les 165.000 en octobre (à Moscou, Petrograd, Saratov, dans les mines Donbass et de Kharkov, etc.). Le mécontentement portait essentiellement les salaires, mais aussi sur l’arbitraire administratif. 

    Le 8 octobre 1923, Trotsky envoya une lettre au Comité central du parti. Dans cette lettre, il dénonce que « le régime qui s’est instauré (…) est bien plus éloigné de la démocratie ouvrière que le régime des temps  les plus durs du communisme de guerre. » Une semaine plus tard, la « Déclaration des 46 » va dans le même sens. La première réaction de la direction du parti autour de Staline, Zinoviev et Kamenev sera d’affirmer… que la crise économique, la crise sociopolitique et la crise interne du parti sont des inventions de Trotsky ! Les manœuvres qui ont suivi pour étouffer la discussion n’ont pas résisté à la pression des cellules du parti, où la confiance envers les organes dirigeants du parti était en chute libre.

    « Vous ne pouvez que vous taper la tête contre les murs »

    Pris de panique et conscient que la discussion n’était pas à son avantage, l’appareil réprima bien vite toute position critique et voulut enterrer la contestation au 13e Congrès du parti de janvier 1924, congrès dont les participants furent sélectionnés. L’Opposition avait réuni un grand nombre de voix, voire même une majorité, dans les organisations du parti à Tcheliabinsk, Tchita, Khabarovsk, Vladivostok, en Crimée, à Kiev, Kazan, Riazan, Simbirsk, Kalouga et de nombreux autres endroits. Mais elle ne parvint à avoir pour ainsi dire aucun délégué. Le régime bureaucratique n’avait pas encore développé sa forme totalitaire la plus achevée à Moscou ou Petrograd, mais dans les provinces, la bureaucratie du parti régnait déjà presque sans limites. Un communiste de Koursk résumait les choses ainsi : « La presse est entre leurs mains, la police, et vous ne pouvez que vous taper la tête contre les murs. Où que vous regardiez, partout, c’est l’indignation, mais en même temps la peur. »(3)

    Le filtrage des délégués était accompagné de falsifications. Dans leurs mémoires, d’anciens assistants de Staline ont expliqué comment celui-ci a dit à un moment « À présent, ça n’a pas d’importance qui vote et comment dans le parti, mais ce qui est extrêmement important, c’est qui va compter les votes et comment. »(4). Boukharine a d’ailleurs écrit à cette époque à Zinoviev, alors qu’ils étaient encore dans les bonnes grâces de Staline : « Je vous demande de ne pas surestimer l’ampleur, ni le caractère, ni la force de la victoire. Nous avons réellement gagné à Moscou. Nous avions entre les mains tout l’appareil. Nous avions la presse, etc. (…) Mais il est apparu que l’Opposition à Moscou était tout à fait considérable, pour ne pas dire la majorité. »(5)

    Mais pour que cette victoire passe, il ne fallait pas seulement toutes ces manœuvres bureaucratiques, il fallait aussi faire accepter le résultat aux masses et à la base du parti. Or, l’année 1923 sonne également le glas de la révolution en Allemagne après la grève générale de juillet qui avait balayé le gouvernement. En suivant les ordres de Moscou, le Parti communiste allemand avait organisé une véritable débâcle. Le parti russe, qui attendait depuis 6 ans l’extension de la révolution, en avait été profondément atteint et était gagné par le découragement et l’apathie. Un an plus tard, Staline donné à sa première victoire contre l’Opposition un contenu idéologique avec l’idée de la possibilité de construire le « socialisme dans un seul pays ».

    Il ne s’agit là que d’un chapitre dans le combat acharné que les marxistes révolutionnaires ont mené contre la dictature bureaucratique. Nous invitons bien entendu nos lecteurs à s’y intéresser avec la plus grande attention afin de passer à travers le brouillard des commentaires qui considèrent que le stalinisme découle « naturellement » de Lénine et de la révolution. Et à nous rejoindre dans la poursuite du combat de Trotsky et des « 46 » en faveur du socialisme démocratique.

    1) Léon Trotsky « Pourquoi Staline l’a-t-il emporté ? » dans « Trotsky, Textes et débats », présentés par Jean-Jacques Marie, Librairie générale française, Paris, 1984.

    2) A ce titre, lire « Le dernier combat de Lénine », l’ouvrage de référence de Moshe Lewin initialement publié en 1967 et réédité en 2015 par les éditions Syllepse (Paris) et Page 2 (Lausanne).

    3, 4 & 5) Cahiers Léon Trotsky n°54, « Naissance de l’Opposition de gauche », décembre 1994.

  • Delhaize, 6 mois de résistance… Interview de Myriam Djegham (CNE)

    Le groupe multinational Ahold (2,2 milliards de bénéfice en 2022) a annoncé en février dernier sa volonté de franchiser les 128 magasins intégrés(1)  (9.200 salarié.es) de sa chaîne Delhaize en Belgique, sachant qu’il avait déjà à cette date, dans notre pays, 636 magasins Delhaize franchisés(2). Nous avons rencontré Myriam Djegham, Secrétaire nationale CNE (CSC) du secteur commerce.

    Propos recueillis par Guy Van Sinoy

    Lutte socialiste : « Dans le secteur du commerce, les conditions de travail et de salaire varient sensiblement d’une commission paritaire à l’autre ? »

    Myriam Djegham : Dans l’ensemble les travailleurs du commerce perçoivent un salaire inférieur de 30 %  au salaire moyen en Belgique. Et il y a beaucoup de temps partiels, des horaires variables, des prestations tardives et le week-end, la pénibilité due au port de charge, aucune maladie professionnelle reconnue, un manque de valorisation et de reconnaissance.

    Il y a 5 commissions paritaires qui permettent aux employeurs de mettre les travailleurs en concurrence les uns avec les autres. La moins bonne c’est la CP 201(commerce de détail indépendant) normalement prévue pour le petit commerce local mais aussi utilisée par des multinationales comme Carrefour pour ses petits magasins franchisés. La CP 202.01, quant à elle, est la commission paritaire pour les entreprises qui vendent des denrées alimentaires, qui occupent au moins 20 travailleurs et qui ont moins de 3 magasins. À partir de 3 magasins alimentaires, c’est la CP 202. Grâce aux luttes qu’ils ont menées précédemment, les travailleurs de Delhaize (CP 202) ont des droits plus élevés que ceux prévus dans le secteur. Par exemple, les horaires y sont relativement bien encadrés, le travail du dimanche se fait sur base volontaire et est payé à 300%.

    Pour les magasins qui deviendront franchisés, le personnel se retrouvera très probablement en CP 202.01 car il y a de  fortes chances que le repreneur qui aura plus de 2 magasins créera des entités juridiques pour éviter de passer en CP 202. Le passage en franchise, c’est l’utilisation du modèle Mac Donald pour augmenter les profits en se déchargeant de ses responsabilités patronales et des syndicats par la même occasion.

    LS. « Qu’est-ce qui est prévu dans la loi lors du transfert d’une Commission paritaire à l’autre ? »

    M.D. : La CCT 32 bis, qui est la transcription d’une directive européenne, prévoit que les travailleurs transférés d’une entreprise à une autre gardent leurs acquis. Mais comme dit un juriste compétent, prof de droit à l’ULB, Jean-François Neven, il y a des trous dans la raquette de cette CCT 32 bis. Par exemple, il n’y pas de sanctions prévues si on ne la respecte pas ! Il y a des possibilités de licenciements (art 9) pour des raisons techniques, économiques ou organisationnelles, ce qui laisse une très grande marge de manœuvre au repreneur. Par exemple : si le repreneur décide de sous-traiter la boucherie, il pourra licencier le boucher ! On a entendu beaucoup de choses sur le fait que la franchisation allait entraîner une détérioration des  conditions de travail, mais le premier risque sera de perdre son emploi.

    L.S. : Comment se déroulent les négociations ?

    M.D. : Globalement mal car l’objectif d’Ahold Delhaize est de briser la résistance syndicale et qu’ils n’ont jamais voulu négocier. Au niveau du secteur, Comeos (la Fédération patronale belge du Commerce et des Services) soutient la franchisation. Il est clair que si la franchisation des 128 magasins intégrés Delhaize aboutit, après les magasins Mestdagh, d’autres suivront cette voie et cela tirera tout le secteur vers le bas, y compris dans les enseignes qui resteront dans un modèle intégré. Au niveau européen la franchisation s’intensifie depuis quelques années. Les organisations impliquées dans le conflit sont le SETCa-BBTK, la CNE, ACV-Puls et la CGSLB-ACLVB.  Les négociations sont tendues et l’employeur est venu avec une proposition de paix sociale comprenant de petites concessions faites au début du conflit et incluant des éléments qui sont des obligations légales comme par exemple le fait que les heures supplémentaires seront soit payées soit transférées chez les repreneurs. Ce n’est pas une concession sociale, c’est tout simplement la loi ! Il y a aussi des primes pour faire avaler la couleuvre aux travailleurs. Nous ne défendrons pas cette proposition mais nous la présenterons au personnel. C’est eux qui luttent, c’est à eux de se positionner sur cet accord.

    L.S. : Est-ce que les piquets au dépôt de Zellik sont efficaces ? Ne sont-ils pas cassés par les huissiers accompagnés par la police ?

    M.D. : Au début tous les magasins ont été fermés pendant 6 semaines. La direction a alors eu recours à une série d’humiliations : les grévistes ne pouvaient plus entrer dans les locaux sociaux pour utiliser les toilettes. Les toilettes de chantier déposées sur le parking, à défaut de pouvoir utiliser les toilettes du magasin, étaient enlevées par l’employeur. Ils ont fait circuler de fausses informations, ont exercé des pressions sur les grévistes. Puis ils ont engagé des étudiants pour les remplacer. Les blocages des dépôts ont très vite été intégrés dans la stratégie. Ils permettent de ralentir l’approvisionnement des marchandises, notamment les produits frais, tant vers les magasins intégrés que vers les magasins déjà franchisés.

    L.S. : Est-ce que les astreintes sont appliquées ?

    M.D. : Lorsque les huissiers signifient l’ordonnance du tribunal, nous devons arrêter le blocage pour ne pas recevoir d’astreinte. Nous avons donné comme consigne de partir lors de la signification. L’astreinte prévue varie entre 500 et 1.000 euros. Nous avons aussi attaqué en justice le caractère unilatéral des ordonnances rendues. Au début, le tribunal de Première Instance de Bruxelles avait pris une ordonnance qui concernait tout le territoire belge. Nous l’avons dénoncée et heureusement ça ne s’est pas reproduit.

    Depuis mai, des comités de soutien ont été mis sur pied pour organiser des actions de solidarité avec des militants d’autres secteurs, des activistes, des clients, des mouvements de jeunesse. Cela a eu un effet revigorant pour les travailleurs en lutte face au rouleau compresseur de la direction.

    Un autre aspect que nous n’avons pas encore abordé est la situation des repreneurs franchisés. Les nouveaux contrats de franchise laissent peu de marge de manœuvre au gérant soi-disant indépendant. Le modèle est très rentable pour Delhaize parce qu’il est le fournisseur de marchandises, le propriétaire bailleur du magasin et qu’il exigera à partir de 2025 des royalties (4% du chiffre d’affaires réalisé). Le franchisé doit vendre en majorité des marchandises qu’il doit acheter chez Delhaize. La marge du franchiseur est moins élevée que celle d’un magasin intégré puisque Delhaize en ponctionne une partie. Pour maintenir la rentabilité, il comprime les coûts salariaux en réduisant le nombre de travailleurs. Nous avons comparé un magasin intégré avec un magasin franchisé de même superficie. Il y avait 60% de personnel en moins, le travail étant en partie confié à des étudiants et la boucherie étant gérée par des sous-traitants. Tous les travailleurs de Delhaize savent que les conditions de travail sont plus dures dans les magasins franchisés. Les travailleurs se battent pour que ceux qui le veulent puissent partir dignement avec la reconnaissance de leurs années de travail chez Delhaize et pour que ceux qui restent puissent avoir un maximum de garantie quant au maintien de leur emploi et de leurs conditions de travail. La lutte n’est pas finie.

    Notes

    1) Un magasin Delhaize « intégré » est un magasin directement géré par Delhaize, le gérant étant un salarié de Delhaize. Tout le personnel ressort à la Commission paritaire 202 (Employés du commerce de détail alimentaire).

    2) Un magasin franchisé est un magasin loué par Delhaize à un « franchisé ». Ce dernier n’est pas un salarié de Delhaize. C’est un nouveau patron qui engage son propre personnel. Chaque magasin franchisé est une entreprise séparée qui ressort de la Commission paritaire 202.01 (Sous-commission paritaire pour les moyennes entreprises d’alimentation). Dans cette commission paritaire 202.01 les salaires sont ± 25 % inférieurs à ceux de la 202 et la flexibilité y est plus grande. Delhaize a aujourd’hui plus de 600 magasins Delhaize franchisés (Shop’n Go, les petits magasins dans les stations d’essence).

  • [DOSSIER] Le grand mensonge : retour sur le congrès socio-économique du Vlaams Belang

    Le 24 septembre dernier, le Vlaams Belang a tenu son congrès socio-économique à Affligem. Sa communication était concentrée sur ses propositions prétendument « sociales ». Geert Cool, porte-parole de la campagne antifasciste Blokbuster, revient dans ce dossier sur le programme socio-économique qui y a été présenté.

    Le Vlaams Belang prétend être un parti social. Il prétend défendre nos pensions, une augmentation du salaire minimum (de 5 % seulement) et un meilleur salaire net. Dans les actions menées par le personnel de santé ou dans l’enseignement, le VB affirme soutenir la protestation. C’est ainsi que l’extrême droite entend se distinguer de la politique d’austérité promue par la N-VA. Après des années de présence au gouvernement flamand, la N-VA figure parmi les responsables du manque de moyens dans les soins de santé, l’enseignement, les transports en commun… et elle promet encore plus de la même chose avec sa rhétorique pro-austérité. Les apparences sont toutefois trompeuses. Un examen plus approfondi de l’approche socio-économique du VB démontre que cette « image sociale » n’est qu’un vaste mensonge.

    Des promesses sociales limitées

    Plus de salaire net pour celles et ceux qui travaillent, voilà ce que promet le VB. Qui peut s’y opposer ? Une augmentation est plus que bienvenue en période d’inflation et alors que l’indexation est à la traîne par rapport à la hausse des prix. Mais qui doit payer ces salaires plus élevés ? Les patrons bien sûr, c’est le plus logique. Les marges bénéficiaires brutes des entreprises ont quelque peu diminué, mais elles restent historiquement élevées en Belgique. Le VB veut cependant aller cherche l’argent ailleurs : dans les poches de la collectivité.

    Le VB veut faire un cadeau aux patrons en réduisant les cotisations patronales, y compris celles de la sécurité sociale. Il défend également une baisse des impôts et une diminution du précompte professionnel. En résumé : la collectivité et la sécurité sociale en feront les frais. Le VB précise encore : il faut regarder du côté des francophones et des migrants. Il présente d’ailleurs la dette publique comme étant quelque chose de purement francophone. Mais cette question épineuse est vite laissée en suspens : le VB veut ménager les banques, il ne propose évidemment pas de refuser de rembourser ces dettes publiques…

    Reprenons : ce ne seraient donc pas les actionnaires d’ABInbev ou les géants anversois de la chimie qui auraient à payer davantage de salaires nets, mais les réfugiés, les francophones, les chômeurs et les pensionnés. Ce n’est pas surprenant que certains patrons regardent l’extrême droite d’un bon œil. L’affaiblissement de la sécurité sociale et de la collectivité aurait en outre pour effet que celles et ceux qui auraient un salaire net plus élevé auraient également à payer plus pour des choses qui étaient auparavant assurées par la collectivité. Les travailleuses et travailleurs seraient en fait perdants de tous côtés.

    Le Vlaams Belang ne voudrait dorénavant plus toucher au mécanisme d’indexation des salaires et des allocations sociales. Plus précisément, alors que l’extrême droite préconisait encore des indexations nettes temporaires dans son programme de 2014, elle se dit aujourd’hui partisane d’indexations brutes. Elle défend que cela ne constitue pas un poids pour la charge salariale (encore une fois, c’est la collectivité et la sécurité sociale qui paient), mais elle précise aussi que des salaires plus élevés peuvent soulager la « pression sur le marché du travail flamand tendu ». L’approche est diamétralement opposée à celle adoptée précédemment (au Congrès socio-économique de 2005) selon laquelle « la tendance à la hausse du handicap salarial par rapport à nos pays voisins doit être inversée de toute urgence ». À l’époque, le VB défendait une « application stricte » de la loi-prison sur les salaires de 1996. Le socle du raisonnement reste toutefois identique : la défense des intérêts des entreprises. Une fois de plus, le parti écrit explicitement : « Les coûts salariaux ne sont pas actuellement le principal problème des employeurs flamands, mais la recherche de personnel adéquat l’est. » Pour le VB, c’est l’étroitesse du marché du travail et non nos conditions de vie qui prime. Dès que la situation sur le marché du travail changera – et avec la récession qui se développe, cela pourrait être très bientôt le cas – la position du VB sur l’indexation changera elle aussi. En 2014, quand les syndicats se sont notamment opposés à un saut d’index, le VB a organisé une action… contre la mobilisation syndicale ! L’initiateur d’une pétition en ligne contre la contestation syndicale a ensuite été envoyé au parlement par le VB.

    Concernant l’augmentation de 5 % du salaire minimum, cela serait certainement le bienvenu, mais sur le salaire horaire le plus bas, qui s’élève aujourd’hui à 11,87 euros, cela ne représente que 0,6 euro de plus par heure… On est loin du salaire horaire nécessaire pour vivre décemment, un salaire horaire estimé par les militants syndicaux à 17 euros de l’heure. Par ailleurs, rappelons qu’au Parlement européen, le VB s’est opposé à l’introduction d’un salaire minimum européen, estimant que ce n’est pas à l’Europe de décider des salaires.

    En ce qui concerne les pensions, le VB se déclare opposé au relèvement de l’âge de départ à 67 ans. En réalité, le VB préconise l’abandon d’un âge de retraite fixe pour un système où la pension complète ne dépend plus que d’une carrière de 66.000 heures. Cet ordre de grandeur peut prêter à confusion, surtout quand le VB ajoute : « Ces 66.000 heures peuvent être réparties sur la carrière. Ainsi, du temps peut être libéré pour la famille, mais aussi pour une formation ou un rythme de travail plus lent plus tard dans la vie. »

    Concrétisons les choses : 66 000 heures travaillées équivalent à 40 ans de travail à temps plein. Une année de travail à temps plein de 220 jours ouvrables compte 1.600 à 1.700 heures de travail. Le VB entend corriger le caractère ouvertement discriminatoire de cette manière de voir les choses, tout particulièrement pour les femmes, en faisant valoir que les heures de soins dans le cadre d’un revenu parental à temps partiel (voir ci-dessous) seraient reconnues comme des heures équivalentes pour les droits à la pension. Cependant, avec une telle exigence de carrière, la discrimination demeure pour tous ceux qui ne travaillent pas ou ne le peuvent pas temporairement. Par ailleurs, le VB veut réduire les pensions des fonctionnaires et fragiliser davantage le système de pension légale en exigeant une pension complémentaire sur le marché privé des fonds de pension et des assureurs.

    Compte tenu de la pénurie de services pour la petite enfance et de la charge de travail croissante qui retombe sur nos épaules, l’idée d’un salaire parental à temps partiel bénéficie sans aucun doute d’un certain soutien. L’un des parents resterait à la maison à temps partiel pour s’occuper des enfants et recevrait pour cela un salaire d’éducateur à temps partiel. En outre, le VB préconise de doubler le congé parental. Ce serait une bonne chose. Mais il y a un « mais ». Le VB veut fixer le montant du salaire de l’éducateur à temps partiel – bien sûr, l’extrême droite part du principe qu’il s’agirait de la femme – à « un demi-revenu d’intégration » et il ne s’appliquerait que dans la mesure où les enfants auraient moins de six ans. Le régime actuel de crédit à mi-temps est possible pour les enfants jusqu’à huit ans et le bénéfice de cinq ans d’ancienneté est de 348,87 euros (alors qu’un revenu d’intégration à mi-temps pour les personnes cohabitantes est d’environ 400 euros). La seule véritable amélioration proposée par le VB est le doublement du congé parental.

    Ces propositions ne sont pas motivées par les intérêts des jeunes parents ou ceux des enfants. On n’entend pas l’extrême droite parler d’investissements massifs dans la petite enfance et d’augmentation du personnel. Non, le point de départ du VB, c’est le nombre d’enfants. « Notre marché du travail n’est pas suffisamment adapté aux familles. C’est en partie pour cette raison que les femmes flamandes ont moins d’enfants et que le taux de fécondité est tombé à 1,43 enfant par femme, bien en dessous du taux de remplacement de 2,10. L’emploi ne doit plus faire obstacle au désir d’enfant ou à la vie familiale et socioculturelle ». Plus d’enfants flamands, c’est ce que veut le VB.

    Sans surprise, le VB veut limiter les allocations de chômage dans le temps. Encore une fois, les intérêts des travailleuses et travailleurs ne constituent jamais le point de départ du VB. Rien n’est dit non plus sur la nécessité de construire davantage de logements sociaux, et lorsqu’il est question d’investissements dans les chemins de fer et De Lijn, cela reste très vague et limité à l’infrastructure. Les conditions de travail du personnel ne sont jamais évoquées. C’est secondaire par rapport à l’importance des transports publics en tant que moyen fiable d’amener les gens au travail et donc de servir les entreprises. Ce n’est pas un hasard si De Lijn est surtout considéré comme un moyen de stimuler la productivité. Sur les réseaux sociaux, le VB prétend soutenir le personnel enseignant et sa revendication de plus de moyens, mais lors de la conférence d’ouverture du professeur Carl De Vos à l’UGent, le président du VB Tom Van Grieken s’est exprimé avec véhémence contre une application correcte du décret de financement (ce qui signifierait d’allouer effectivement plus de moyens à l’enseignement), en arguant que les universités devraient simplement réduire des choses comme les études de genre… Soit dit en passant, le VB est partisan de frais d’inscription beaucoup plus élevés pour les études de genre.

    En bref, les propositions du VB sont extrêmement limitées en termes de contenu social dès lors que l’on regarde au-delà des slogans. Il s’agit toujours de mesures dans l’intérêt des patrons et payées par la collectivité. Le VB aime parler des transferts vers les francophones et les migrants, mais en fin de compte, il défend un transfert de la classe travailleuse flamande vers les patrons.

    Pour empêcher cette classe travailleuse de défendre ses droits, le VB affirme qu’elle partagerait les mêmes intérêts que les patrons et qu’il faut imposer la paix sociale. Défendre ses droits et faire grève, c’est ce que le VB qualifie de « culture française et wallonne des manifestations et des grèves ». Outre les syndicats, les organisations de la société civile sont également visées. Dans son texte de congrès, le VB propose explicitement d’abolir les subventions pour les « organisations fantômes comme Kif Kif qui sapent notre culture et notre identité flamandes » (Kif Kif est une association de lutte contre les discriminations, NDT) ainsi que, par exemple, pour ce qu’il appelle des « projets absurdes » tels que les applications de balade. Si le VB décide de qui est « woke » et “cancel”, il inclura la quasi-totalité de la société civile dans son œuvre de destruction.

    La réduction des impôts des entreprises au cœur de la démarche

    Si l’agenda social du VB est très maigre, les cadeaux aux employeurs ne manquent pas. Les propositions de baisses d’impôts, présentées comme des « mesures sociales » bénéficiant tant aux patrons qu’aux salariés, sont au cœur de ce programme. Le plus gros morceau est la réduction de l’impôt sur les sociétés à 20 %. La mesure n’est pas quantifiée dans le texte du congrès socio-économique, mais sur base des 11,2 milliards d’euros d’impôt sur les sociétés payés par les entreprises ayant leur siège en Flandre en 2022, la baisse du taux de 25 % à 20 % coûterait facilement 1,5 milliard d’euros. D’ailleurs, le VB ne divise pas les recettes de l’impôt sur les sociétés en fonction de la communauté, peut-être parce que les recettes flamandes ne représentent qu’une part de 61 %, ce qui correspond à peu près à la part de la population.

    La cible du VB, ce sont les patrons. Cela n’a pas échappé non plus au journal De Tijd. Dans un article intitulé « Le chant de sirène du Vlaams Belang à l’égard des entrepreneurs se fait de plus en plus fort » (30 septembre), il a donné la parole à quelques petits indépendants et entrepreneurs. Le président du groupe textile Beaulieu a déclaré : « De nombreux entrepreneurs ont l’impression que l’Open VLD les a abandonnés et que la N-VA ne tient pas ses promesses coûteuses, si bien qu’ils se tournent vers le Vlaams Belang ». John Dejaeger, ancien PDG de BASF Anvers, explique : « Si l’immobilisme belge se poursuit, il ne faut pas s’étonner que les entrepreneurs deviennent plus extrêmes dans leurs opinions. Il n’y a alors plus d’autre option. » Un petit entrepreneur indépendant disait quant à lui : « Maintenant que le Vlaams Belang a des positions sur la charge fiscale et la charge salariale, je pense qu’il mérite une chance. » Le président de Beaulieu ajoute : « La plupart des entrepreneurs n’attendent pas la scission du pays et l’instabilité qui en découle. Mais les gens veulent envoyer le signal qu’un changement radical est nécessaire. »

    Si Tom Van Grieken a été applaudi lors d’un débat organisé par la fédération patronale flamande VOKA avec tous les présidents de parti, le VB a également émis de sévères critiques à l’encontre du VOKA. Non pas parce que le VOKA veut nous imposer des conditions de travail et des salaires de plus en plus médiocres, mais parce qu’il considère l’immigration comme une réponse à la pénurie de main-d’œuvre et veut attirer du personnel du Mexique et de l’Inde. Le VB veut servir les patrons, c’est vrai, mais le racisme reste toujours dominant.

    Mais les membres du VOKA se rapprochent du VB. De Tijd l’a souligné : « En toute discrétion, Van Grieken mène une offensive de charme auprès des entrepreneurs avec son programme économique. Il visite régulièrement les clubs patronaux, les sections locales de l’organisation patronale flamande Voka ou les tables rondes des PME. Récemment, il a pris la parole devant l’organisation patronale VKW Limburg. » Le VB se concentre sur les petits entrepreneurs et critique les grandes multinationales, notamment parce qu’elles abusent de leur « pouvoir de marché pour obtenir des milliards de subventions et d’avantages fiscaux ». Sur ce point, le VB reste très vague, peut-être pour ne pas contrarier les nouveaux amis parmi les (ex-)cadres supérieurs d’entreprises comme BASF et Beaulieu.

    Du néolibéralisme à la troisième voie, ou une sans issue ?

    Alors qu’il y a 20 ans, le VB défendait explicitement un modèle néolibéral dur et tentait artificiellement d’en détacher la mondialisation alors en plein essor, la grande nouveauté aujourd’hui est la défense d’un « nouveau modèle rhénan ». Selon ses propres termes, l’extrême droite défend la synthèse conservatrice d’une économie de marché socialement corrigée, où le marché est central, mais soumis à des limites.

    Le VB rejette le néolibéralisme principalement au nom de la « mondialisation ». Le VB présente même le capitalisme sous le néolibéralisme comme étant entièrement géré par des institutions internationales, minimisant ainsi le rôle de l’État-nation. Cependant, même les multinationales ont des ancrages nationaux, le VB reconnaît d’ailleurs que l’entreprise énergétique Engie est française et Alibaba chinoise.

    Il est vrai, bien sûr, que la mondialisation néolibérale a été dominante au cours des dernières décennies et qu’elle s’est accompagnée d’une intégration croissante de l’économie mondiale. Cela change de plus en plus aujourd’hui, avec l’avènement de l’Ere du désordre dans laquelle nous sommes entrés et où le conflit d’intérêts entre les principales puissances impérialistes devient un facteur dominant. Cela implique une démondialisation stratégique et un rôle accru de l’État. Le VB semble vouloir y répondre, mais cela devient très étrange et particulièrement anhistorique lorsqu’il le fait sous le titre de « modèle rhénan ».

    Ce modèle reposait sur l’équilibre des forces entre travail et capital après la Seconde Guerre mondiale. La menace d’un puissant mouvement ouvrier, assortie du prestige de l’Union soviétique, a obligé la bourgeoisie à faire d’importantes concessions sociales. De plus, ces concessions ont eu lieu pendant une période de croissance économique, ce qui en a élargi la portée. Les « corrections sociales » sur le marché n’ont pas été faites par sens de la communauté, mais pour acheter la lutte des classes. Aujourd’hui, le VB se réfère à ce « modèle rhénan » sans même tenir compte de la position de la classe ouvrière. Le contexte est en outre bien différent aujourd’hui. La récession économique est imminente et le capitalisme s’enlise de toutes parts. Le VB souligne à juste titre que les attaques néolibérales contre l’État-providence ont été favorisées par la trahison de la social-démocratie. Mais quelle est la position du VB lui-même et comment pourrait-il contribuer à un nouveau modèle rhénan ? Le VB est hostile au mouvement ouvrier organisé, alors que c’est précisément la menace de cette force qui a conduit aux corrections sociales.

    Selon le Vlaams Belang, la mondialisation néolibérale s’est accompagnée du « marxisme culturel », le capitalisme financier poussant l’économie réelle dans l’abîme et le marxisme culturel en fournissant la base idéologique. Quelle absurdité !

    Le marxisme est synonyme d’analyse scientifique socialiste du capitalisme afin de renforcer la lutte pour une société socialiste. Bien sûr, chaque lutte a des composantes et des conséquences culturelles, et les révolutions créent certainement de grands chocs culturels et des explosions de créativité. Toutefois, il est étrange de qualifier de « marxisme culturel » la pensée unique néolibérale. Si le VB avait la moindre notion de marxisme, il saurait que ce n’est pas la « concentration excessive de pouvoir qui induit le marché en erreur », mais que c’est au contraire le marché qui conduit à cette concentration de pouvoir. Le VB fait preuve d’une grande naïveté lorsqu’il affirme que la Chine est devenue la deuxième économie mondiale grâce à des « pratiques déloyales » telles que « l’inondation de nos marchés par des pratiques de dumping ». Il s’agit pourtant des forces ordinaires du marché.

    Tout comme il est normal que les forces du marché réduisent les services publics. Le VB écrit : « Les élites négligent les banlieues et les campagnes. Les emplois manufacturiers y disparaissent en raison de la délocalisation des entreprises. Les services publics tels que les transports publics, les banques ou les services postaux y sont systématiquement supprimés. » Que la VB dise que les banques doivent être publiques est nouveau ! Bpost aussi, d’ailleurs, est largement une société privée aujourd’hui. La disparition des services à la population est toutefois bien correcte. Mais cela est dû aux forces du marché, que le VB ne remet pas en cause.

    Le VB prétend vouloir rendre le capitalisme plus « juste » sans toucher au marché. Il veut une économie de marché corrigée et non une économie d’État. Lors de son congrès socio-économique, il a déclaré que le gouvernement devait être une « machine puissante et bien huilée, soumise à un régime financier strict », en supprimant les tâches redondantes et les « fonctionnaires superflus ». Cependant, ce même gouvernement devrait avoir la mainmise sur les secteurs stratégiques tels que l’industrie manufacturière, l’énergie, l’agriculture, les soins de santé, la technologie, le secteur bancaire et les infrastructures. Il envisage une participation de l’État, sans toutefois dépasser 20 à 25 %. Il envisage également une coopérative énergétique pour éviter de laisser le contrôle de l’énergie aux mains « des Français ». Même avec la participation de l’État, les entreprises énergétiques et les grandes banques continuent d’opérer selon les règles du marché, où seuls les profits comptent, et non les services à la population. Ce fossé ne peut être comblé par des mots. Soit les secteurs stratégiques passent dans le giron public pour que la communauté en ait le contrôle démocratique, soit les règles de la maximisation du profit s’appliquent et il y aura inévitablement une « concentration du pouvoir » accompagnée de « pratiques déloyales » et d’économies d’échelle.

    Faites attention à ce que je dis, pas à ce que je fais…

    Un aspect remarquable du congrès socio-économique du Vlaams Belang est le rôle prépondérant joué par d’anciens libéraux et/ou d’anciens patrons. Entre les paroles et les actes, il y a un joli fossé…

    L’un des présidents du congrès était l’ancien député du VLD et ancien dirigeant de la Lijst De Decker (LDD) Lode Vereeck. Il a été recruté par le VB après avoir été licencié de l’université de Hasselt en 2019 pour avoir abus sexuels vis-à-vis d’étudiantes. Le « parti de la famille » autoproclamé a ensuite nommé Vereeck membre du conseil d’administration de l’université de Hasselt (!) et il est devenu assistant du parti au Parlement européen. Il y travaille notamment avec Brieuc Suys, qui, en tant que « guerrier » du groupe Schild & Vrienden, considère les femmes de la manière suivante : « En tant que société, nous n’exigeons pas grand-chose des femmes : être une bonne mère et prendre soin d’elles-mêmes, avoir une belle apparence. C’est à juste titre que l’on impose aux hommes des normes plus élevées, pour que nous puissions aller de l’avant. »

    L’autre président du congrès était Tom Vandendriessche. Ce dernier a derrière lui une longue histoire avec l’extrême droite. Plus jeune, il a été impliqué dans des incidents violents à Bruges. À l’université de Gand, il a poursuivi dans cette voie et a transformé la branche du KVHV-Gand (cercle d’étudiant catholique ultraconservateur) en un club qui a donné naissance à Schild & Vrienden, entre autres. Il défendait alors l’augmentation drastique des frais d’inscription afin de limiter l’accès aux universités pour en préserver l’élitisme. Il a introduit le look élitiste et la coutume de laisser couler le champagne à flots.

    Après ses études, Vandendriessche est devenu « stagiaire en gestion » chez l’entreprise de logistique Katoen Natie, puis a occupé plusieurs postes d’analyste et d’auditeur. Entre 2014 et 2016, il a créé sa propre petite entreprise dans le secteur de l’énergie, qu’il a finalement vendue à Engie. N’est-ce pas précisément cette multinationale française que le VB ne veut pas voir dominer notre secteur énergétique ? Dans son texte de congrès, le VB écrit : « La France a beaucoup mieux réussi à contrôler les factures d’énergie de ses citoyens (et donc l’inflation). Si nous avions eu notre propre secteur énergétique, nous nous en serions sortis avec moins d’adversité. Mais le Premier ministre de l’époque, Guy Verhofstadt, a vendu notre secteur de l’énergie aux Français ! » Ce que Verhofstadt a fait au niveau gouvernemental, Vandendriessche l’a fait au niveau microéconomique avec sa propre entreprise.

    L’un des principaux orateurs du congrès était le député Wouter Vermeersch, qui, comme Vereeck, est un ancien libéral issu des cercles de la LDD. Ce dernier était auparavant un entrepreneur qui importait des panneaux solaires bon marché de Chine (n’est-ce pas ce pays qui fausse le marché flamand par des pratiques de dumping déloyales ?). De Tijd soulignait : « Le Vlaams Belang considère que la transformation de fétichistes du marché libre comme Vereeck et Vermeersch en nationalistes économiques est parallèle à la tendance mondiale à la démondialisation et à la priorité des intérêts géostratégiques sur les intérêts économiques. » Autre chose à propos de ces panneaux solaires : aujourd’hui, le VB estime que la transition énergétique est « très bien », mais qu’elle va « trop vite ». Dans le texte de la conférence, il ajoute : « De plus, la production de panneaux solaires et l’implantation d’éoliennes sont très nocives pour l’environnement. Ce sont aussi des gouffres à subventions invisibles (30 milliards d’euros sur 15 ans). »

    Quelques conclusions

    La manière dont le Vlaams Belang se prononce sur les questions socio-économiques a changé. Il répond au mécontentement social et au manque de moyens dans tous les domaines en se présentant comme un défenseur des réponses sociales et de l’opposition aux « élites ». Ainsi, le VB déclare : « Aujourd’hui, la fracture sociale ne se situe plus entre les travailleurs et les capitalistes, mais entre les élites internationales et la population nationale. Ces élites, souvent formées dans des écoles de commerce extrêmement coûteuses, ont une vision du monde complètement détachée de tout contexte national ou culturel. »

    Là encore, l’hypocrisie est totale. Pour se préparer à participer à des collèges échevinaux, le VB a envoyé un groupe de mandataires et de collaborateurs à la Vlerick Business School et à l’Antwerp Management School. Il en a même accueilli un professeur comme nouveau membre à Zoersel. Les clubs étudiants élitistes comme le KVHV se tournent explicitement vers le Vlaams Belang et ont ces dernières années constitué un plus grand vivier de jeunes pour le parti que le NSV (Association des étudiants nationalistes, cercle étudiant officieux du VB).

    L’image sociale n’est qu’un mince vernis qui ne sert qu’à des fins électorales. Au vu des politiques fortement antisociales des autres partis, cette peinture peut tromper. Cela pourrait pousser le VB vers les 30%. L’extrême droite a le vent en poupe et n’a pas besoin de faire grand-chose pour marquer des points. Ce succès entraînera sans aucun doute une augmentation des incidents racistes, sexistes et LGBTQIA+phobes. C’est déjà ce à quoi nous avons assisté après les progrès du VB aux élections de 2019. Le désarroi social est instrumentalisé pour renforcer la haine et les discriminations parmi les travailleurs et leurs familles.

    Pour les antifascistes, il est crucial de percer les mensonges de l’extrême droite et de répondre à cette image prétendument sociale. La meilleure façon d’y parvenir est de mener des actions autour des revendications sociales du mouvement ouvrier. L’unité dans la lutte pour ces revendications est la meilleure réponse aux politiques antisociales et aux mensonges hypocrites du VB.

    L’action antifasciste menée à Alost le 24 septembre dernier lors du congrès socio-économique du VB qui se tenait à quelques kilomètres de là, à Affligem, a constitué un exemple important qui a donné le ton pour d’autres protestations. Cette manifestation antifasciste défendait notamment des revendications telles que la restauration et la défense de l’indexation, des investissements publics massifs dans les services publics, un salaire minimum de 17 euros de l’heure, la défense des libertés syndicales ou encore d’aller chercher l’argent chez les milliardaires. Autant de revendications qui non seulement mettent à mal l’hypocrisie du Vlaams Belang, mais indiquent aussi comment obtenir des changements dans l’intérêt de la classe ouvrière.

    La croissance de l’extrême droite est un phénomène mondial. Elle ne s’exprime pas partout de la même façon à travers le globe, mais elle est enracinée dans les crises multiples du capitalisme. L’extrême droite, c’est la moisissure toxique que produit un système pourri jusqu’à la moelle. Les moyens existent pour assurer que personne ne soit laissé au bord du chemin, c’est grâce à l’unité dans la lutte pour aller les arracher que nous assurerons que personne ne se trompe plus de colère. Pour une alternative sociale contre les politiques antisociales : partageons les richesses, n’acceptons pas la division des travailleuses et travailleurs ! Et pour redistribuer cette richesse, la classe travailleuse doit elle-même en prendre le contrôle et renverser le capitalisme pour construire une société débarrassée des oppressions et de l’exploitation, une société socialiste.

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