Category: Moyen-Orient et Afrique du Nord

  • [DOSSIER] Dix ans après la chute du dictateur Ben Ali, balayé par la révolution

    Manifestation Avenue Bourguiba au centre-ville de Tunis, 14 janvier 2011. Photo : wikipedia

    Il y a dix ans, à partir de la fin 2010, une puissante vague révolutionnaire a secoué l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient. Des manifestations localisées partant des régions les plus pauvres et marginalisées de la Tunisie se sont rapidement transformées en une insurrection nationale, la répression policière meurtrière ne faisant qu’alimenter davantage la colère contre un régime honni et corrompu.

    Par Cédric Gérôme, Alternative Socialiste Internationale

    Cette colère aboutit, dans la deuxième semaine de janvier 2011, à une déferlante de grèves de masse dans plusieurs régions successives qui précipitèrent la chute du dictateur tunisien Ben Ali, le 14 janvier, et sa fuite en Arabie Saoudite.

    La contagion révolutionnaire

    A l’occasion du 10e anniversaire de la chute du dictateur Ben Ali, les éditions Marxisme.be publient un nouvel ouvrage qui revient sur ces événements tumultueux riches en leçons pour les luttes actuelles. Parmi les plus importantes d’entre elles : la compréhension de la puissance du mouvement de masse.

    Rapidement, cette victoire arrachée par la lutte de masses libéra la confiance de millions de pauvres, de travailleurs et d’opprimés dans l’ensemble de la région. Des millions de personnes qui n’étaient plus prêtes à accepter de continuer à vivre dans la misère, le chômage et le despotisme tandis qu’une infime élite corrompue s’enrichissait allègrement aux dépens de tout le reste de la société.

    Dans l’actuel contexte d’augmentation incessante des prix des produits alimentaires, il est bon de se souvenir qu’un catalyseur important de cette gigantesque explosion populaire fut la hause des prix des produits de base, en particulier du pain. La vie quotidienne devenait sans cesse plus insoutenable pour des couches grandissantes de la population.

    Après la Tunisie, c’est l’Egypte qui s’est à son tour soulevée. Et bientôt des soulèvements et mouvements de protestation d’ampleurs diverses se répandirent en Libye, en Syrie, au Yémen, à Bahreïn, en Arabie saoudite, au Maroc, en Jordanie, au Liban, dans les territoires palestiniens, en Iraq et ailleurs. Partout s’écroulait le mur de la peur, les masses faisant preuve d’une bravoure héroïque face à la répression des milices, face aux balles des snipers et de la police. Un même slogan se répétait et résonnait partout « Echa’b yuriid isqat en-nidham » : « Le peuple veut la chute du système ».

    Au-delà des frontières, les masses prirent conscience tout à la fois de la similitude de leurs conditions et de leur puissance collective pour lutter et transformer ces conditions. Ce processus révolutionnaire éveilla les espoirs et les attentes de millions de personnes dans toute la région, mais aussi l’admiration et l’inspiration de bien d’autres aux quatre coins de la planète.

    Il fit aussi trembler les classes dirigeantes, les régimes tyranniques et les forces impérialistes qui avaient soutenus ces régimes pendant longtemps, un soutien récompensé en termes de profits généreux pour les multinationales et les banques occidentales. Ceux et celles qui croient à la fable selon laquelle la politique étrangère de la future administration américaine de Joe Bien sera focalisée sur les droits humains devraient se demander par exemple pourquoi toute l’administration démocrate d’Obama – dont Biden était le vice-président à l’époque – défendit la dictature égyptienne de Hosni Mubarak jusqu’à la dernière minute. Joe Biden lui-même déclara que Mubarak n’était pas un dictateur et qu’il ne devait pas démissionner face aux protestations croissantes contre son règne. Ce règne de près de 30 années, les masses égyptiennes lui avaient mis un terme moins d’un mois après cette déclaration embarrassante.

    L’impossible rendu possible

    Partout il semblait soudainement qu’après des décennies de dictatures, de déclin humiliant, de guerres et de pillage néocolonial, de terrorisme et de pauvreté, un changement radical était enfin à portée de la main. L’idée tenace d’un Moyen-Orient embourbé dans les conflits sectaires fut totalement retournée sur sa tête. Dans un pays après l’autre, des scènes de solidarité entre différentes communautés religieuses furent observées, les masses comprenant la nécessité de s’unir dans la lutte contre leurs oppresseurs.

    En Egypte par exemple, les chrétiens coptes protégeaient les musulmans qui priaient sur la place Tahrir, et vice versa. Brisant les traditions conservatrices et patriarcales, les femmes s’investissaient dans tous les aspects de cette lutte historique. De manière générale, la révolution semblait rendre possible tout ce qui avait été impensable et impossible la veille. Au travers de ce combat frontal contre l’oppression et l’exploitation, les prémisses d’une société nouvelle semblait émerger des actions, des occupations, des manifestations et des grèves de masse.

    C’est sans aucun doute en Tunisie et en Egypte que le processus révolutionnaire fut dans en premier temps, poussé le plus loin. Cela était dû à l’intervention à une échelle de masse de la classe des travailleurs dans l’action à partir de son outil de lutte privilégié : la paralysie de l’économie par la grève, qui fit trembler la bourgeoisie et força cette dernière à lâcher du lest plus rapidement et plus facilement qu’ailleurs pour préserver son système.

    Dans ces deux pays, des comités populaires et révolutionnaires virent le jour dans une multitude de quartiers et de localités, défiant l’appareil d’Etat de la dictature, se substituant à la police pour organiser la sécurité, et tentant de réorganiser toute une série de tâches quotidiennes selon la volonté des masses en mouvement. Dans beaucoup d’entreprises et lieux de travail, des managers corrompus furent dégagés par des travailleurs en colère.

    L’alternative et le programme : des questions cruciales

    Pourtant, bien que les classes dirigeantes furent initialement prises par surprise, elles se ressaisirent vite et organisèrent la riposte. Les victoires des premières semaines ne pouvaient pas dissimuler pour longtemps le fait que le système lui-même n’avait pas été délogé. Le pouvoir politique demeurait en définitive aux mains des classes possédantes. Le manque d’une alternative a commencé à peser lourdement, bien qu’à différents degrés selon la situation existante dans chaque pays.

    Karl Marx expliquait que les humains créent leur histoire non sur base de conditions qu’ils déterminent à l’avance, mais sur la base de conditions héritées du passé. Ces conditions impliquaient un peu partout une présence et influence très faible de la gauche organisée et l’absence d’outils politiques propres au mouvement ouvrier et révolutionnaire. Les masses avaient une conscience claire et déterminée de ce qu’elles ne voulaient plus, mais pas une idée claire de ce avec quoi remplacer ce qu’elles ne voulaient plus.

    De plus, chaque pays était entré dans la danse avec ses propres caractéristiques, sa propre histoire, et sa constellation de forces politiques spécifiques. De fortes traditions tribales en Libye. Des appareils d’Etats érigés sur la base du sectarisme en Syrie et en Irak. Une pénétration importante de l’armée dans l’économie et la politique en Egypte. Tous ces éléments, bien que poussés sur la défensive au début des mouvements, rejaillirent avec d’autant plus de force que le mouvement révolutionnaire n’avait pas d’alternative ni de programme bien défini à opposer aux forces de la contre-révolution.

    La fin du processus révolutionnaire ?

    De plus, les puissances impérialistes, voyant leurs intérêts menacés par cette vague révolutionnaire, ne restèrent évidemment pas sans broncher. Les bombardements de l’OTAN en Libye répondaient à une volonté de l’impérialisme occidental de « reprendre la main » sur le processus en cours et restaurer son prestige meurtri. A leur tour, les dictateurs libyens et syriens, Mouammar Kadhafi et Bashar al Assad, instrumentalisèrent la peur de l’intervention impérialiste pour se préserver un soutien et diviser le mouvement de révolte. Pour la même raison, tous deux jouèrent aussi sur les divisions communautaires, tribales, régionales et religieuses facilitées par la faiblesse du mouvement ouvrier organisé dans leurs pays respectif. En Syrie, en Libye mais aussi au Yémen, les révolutions se sont mutées en guerres civiles prolongées, alimentées par les interventions extérieures.

    Après une seconde et puissante révolte contre le règne des Frères Musulmans qui avaient remporté les premières élections à la suite de la chute de Mubarak, la révolution égyptienne a succombé à la contre-révolution, la résistance étant petit à petit étouffée par la répression militaire sauvage suite au coup d’Etat militaire de Abdel Fattah el-Sissi à l’été 2013.

    La même année, Daesh – aussi connu sous le nom du soi-disant « Etat Islamique » – s’est emparé de pans entiers de territoire en Irak et en Syrie se nourrissant de la désillusion ambiante et des revers de la révolte syrienne. Un règne de terreur et de violence extrême fut instauré sur les zones sous son contrôle.

    Dans un tel contexte, beaucoup succombèrent à l’époque à l’idée selon laquelle le processus révolutionnaire dans la région était terminé. Dans un article publié en décembre 2016 intitulé « La tragédie syrienne signale la fin des révolutions arabes », le journaliste britannique Robert Fisk, pourtant fin connaisseur de la région, écrivait par exemple : « Tout comme l’invasion catastrophique anglo-américaine de l’Irak a mis fin à l’épopée occidentale des aventures militaires au Moyen-Orient, la tragédie syrienne garantit qu’il n’y aura plus de révolutions arabes. »

    Notre internationale, bien que consciente dès le début des limites du processus, ne l’avait jamais enterré aussi facilement pour autant. Nous avions gardé une confiance dans la capacité des masses à se relever et à se relancer dans de nouveaux assauts contre l’ordre ancien ou contre de soi-disant « nouveaux » régimes ne faisant que répéter les politiques du passé.

    À l’époque de la vague révolutionnaire en 2010-2011, nous expliquions que les mouvements de masse ne pourraient pas durer indéfiniment et qu’ils se heurteraient à de sérieuses complications ainsi qu’à des défaites en raison du manque de partis et de directions pour les représenter. Mais nous soulignions également que les contre-révolutions, vu leur incapacité à se reconstruire une base sociale solide dans un contexte de crise généralisée du système capitaliste, et reproduisant tous les ingrédients qui avaient mené à l’explosion révolutionnaire initiale, ne pourraient reprendre la main durablement. Les processus révolutionnaires allaient inévitablement rejaillir, avec des révoltes encore plus profondes des masses laborieuses et des pauvres de la région.

    Une nouvelle vague révolutionnaire

    Et c’est ce qui se produisit à partir de décembre 2018, lorsqu’une autre chaîne de soulèvements et de révolutions explosa, à commencer par le Soudan. En février 2019, la population algérienne dévala dans les rues à son tour après que le président Abdelaziz Bouteflika ait annoncé son intention de briguer un cinquième mandat. Bouteflika fut forcé par l’armée d’abandonner le pouvoir suite à un mouvement spontané de grève quasi généralisée s’étalant sur plusieurs jours. Et le tyran soudanais Omar al Bashir connut le même sort une semaine plus tard.

    Bien qu’ayant sa dynamique propre, cette nouvelle vague révolutionnaire s’appuyait sur certaines leçons dégagées de l’expérience de la première. Parmi celles-ci, la compréhension plus approfondie que pour une lutte réussie, aucun répit ne pouvait être offert une fois que la tête des régimes était tombée et qu’il fallait au contraire redoubler d’efforts pour déraciner les structures et les institutions sur lesquelles elle repose.

    Au Soudan, un conseil militaire composé de généraux dont les mains étaient pleines de sang des crimes, des tortures et des guerres de la dictature d’Al Bashir arracha le pouvoir. A la place de Bouteflika, un président sans aucune légitimité populaire fut installé par les militaires. Mais dans les deux cas, les manifestations ne s’arrêtèrent pas, que du contraire.

    Un slogan populaire scandé lors du sit-in à Khartoum, au Soudan, était «Soit la victoire, soit l’Égypte». Le slogan «l’Algérie est in-sisi-able» fut aussi exprimé dans les rues algériennes. Ces exemples démontraient que l’expérience du coup d’État militaire égyptien avait pénétré la conscience populaire à l’échelle régionale et que les masses avaient tiré des enseignements de l’échec de la révolution égyptienne.

    Ils démontrent également les instincts internationalistes qui ont animé ces mouvements révolutionnaires depuis leur début, les masses considérant la lutte dans chaque pays, en quelque sorte, comme leur lutte également. Ce n’est donc pas une coïncidence si la même année, à partir d’octobre 2019, les peuples d’Irak et du Liban se soulevèrent eux aussi.

    Les conditions en Irak et au Liban sont extrêmement différentes, mais en réalité extrêmement similaires. Le sort des populations de ces deux pays s’est retrouvé aux mains d’un consortium de dirigeants et de seigneurs de guerre sectaires, riches et corrompus qui, en apparence, sont en désaccord les uns avec les autres mais, en réalité, sont prêts à s’unir dès que le système garantissant leurs intérêts mutuels est menacé.

    Les deux soulèvements ont identifié que la source de leurs malheurs n’est pas une religion ou l’autre, une stratégie éprouvée depuis longtemps pour maintenir divisés les travailleurs et les classes populaires. Leur ennemi est en fait les classes dirigeantes dans leur intégralité, le réseau de relations clientélistes qui les soutient, les milieux économiques affairistes qui profitent de leur emprise sur le pouvoir pour s’enrichir.

    En Iran aussi, on a vu une succession de mouvements de masses, surtout à partir de la fin 2017 / début 2018, avec un nouveau pic en novembre 2019, tandis que la base sociale du régime pourri des Mollahs s’effrite presque de jour en jour. Le rôle impérialiste régional de l’Iran, les sanctions ainsi que les tensions et menaces militaires planant sur ce pays ont tendance à éclipser dans la couverture médiatique la résistance ouvrière authentique qui s’y développe, une résistance qui rencontre généralement la répression la plus brutale.

    À l’instar de ce qui se passe ailleurs, la rage des masses iraniennes est animée non seulement par la soif de libertés démocratiques mais aussi – et peut-être même surtout – par la détérioration incessante des conditions matérielles d’existence, les inégalités grotesques et la suppression des subventions d’État sur les produits de première nécessité. Il est à noter par ailleurs que c’est exactement ce même type de politiques que les institutions financières internationales continuent de préconiser pour la région.

    La solidarité internationale

    Malgré les divisions nationales et religieuses entretenues par les cliques au pouvoir, l’inspiration mutuelle des mouvements en Irak, au Liban et en Iran étaient absolument évidentes. Les manifestants iraniens, par exemple, descendaient dans la rue en scandant « l’ennemi est à la maison », montrant par là non seulement leur solidarité avec les soulèvements au Liban et en Irak mais aussi leur opposition aux interventions militaires du régime iranien dans ces pays. En octobre 2019, les occupants de la place Tahrir à Bagdad envoyèrent un message de solidarité aux manifestants iraniens, insistant sur le fait que leur problème se trouvait uniquement au niveau du régime iranien, lequel soutient des politiciens et criminels corrompus en Irak, et qu’ils espéraient pouvoir construire des relations fortes et durables avec le peuple iranien qui lui aussi, mérite un gouvernement juste.

    La réverbération et l’influence mutuelle de ces luttes en a été une caractéristique essentielle, basée sur la réalisation de leur inséparabilité, dans le cadre d’un système planétaire reproduisant les mêmes logiques partout. La solidarité internationale ne s’est d’ailleurs pas limitée à cette région. En 2011 déjà, des millions de travailleurs et de jeunes du monde entier suivaient les événements révolutionnaires en temps réel.
    L’impact international de ces mouvements s’est manifesté quelques semaines après la chute de Mubarak lorsqu’un mouvement de masse éclata dans le Wisconsin, aux États-Unis, contre des attaques anti-syndicales. Les banderoles et pancartes faisaient explicitement référence aux luttes en Tunisie et en Égypte. La même année, le mouvement Occupy Wall Street et celui des «Indignés» éclata en Espagne, en Grèce et dans d’autres pays.

    En 2019, des révoltes de masse ont éclaté depuis le Chili jusqu’à Hong Kong, et des grèves et marches pour le climat ont démontré la volonté de millions de jeunes et de moins jeunes de se battre pour en finir avec la catastrophe écologique que ce système occasionne. Cette année, les manifestations de Black Lives Matter contre le racisme et la violence policière se sont répandues comme une traînée de poudre à l’échelle internationale. Tout cela fait preuve d’une plus large reconnaissance que la souffrance d’un peuple dans un coin de la terre est la souffrance de tous, un sentiment qui s’est renforcé au vu de la triple catastrophe économique, climatique et sanitaire à laquelle nous sommes tous et toutes confrontés.

    Bien que durant l’année 2020, beaucoup de ces luttes ont été initialement durement frappées par la pandémie, la deuxième partie de l’année a illustré le fait qu’elles sont bien loin d’être terminées, que du contraire. Même en Syrie, des protestations appelant ouvertement au renversement d’Assad ont éclaté en juin dernier. L’été dernier, l’Iran a été traversée par une vague de grèves sans précèdent depuis la révolution de 1979, et encore en octobre, le pays a enregistré un total de 341 manifestations dans 83 villes, avec une moyenne de 11 protestations par jour. En septembre, l’Égypte fut témoin de six jours consécutifs de manifestations dans plus de 40 villes et villages, c’était la première fois que des manifestations appelant au départ de Sissi avaient lieu dans plus d’une province égyptienne à la fois.

    Un processus de longue durée

    Il est donc clair que quel que soit le degré de violence qu’elles déchaînent, les classes dirigeantes ne peuvent jamais complètement éteindre la flamme de la révolte et de la résistance. Les deux vagues révolutionnaires ont été séparées par près d’une décennie, mais il faut les considérer comme faisant partie d’un processus révolutionnaire continu dans toute la région. Un processus qui, avec l’incapacité du capitalisme et des classes dirigeantes à résoudre les contradictions politiques, économiques et sociales qui ont donné naissance à ces mouvements, est appelé à se poursuivre d’une manière ou d’une autre.

    Même en Tunisie, dont la transition démocratique est souvent présentée comme une « success story », la réalité est bien différente du mythe. Les difficultés économiques sont pires que sous le régime de Ben Ali. Un sondage d’opinion publié en novembre 2020 par le ‘Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux’ (FTDES), en dit long sur ce qu’en pensent les pauvres, jeunes et travailleurs en Tunisie même. 83,6% des jeunes disent considérer la société tunisienne inéquitable, 71,3% la jugent “pas fondée sur de bonnes bases”, 69,7% estiment que l’État ne répond pas aux besoins de base et 81,6% pensent que l’État privilégie les riches. Récemment, des mouvements de protestation et de grèves simultanés se sont étendus à plusieurs gouvernorats du pays. Une grève générale a encore frappé la région de Kairouan en décembre pour demander des emplois et une amélioration immédiate des services de santé et de l’infrastructure.

    Organiser la colère

    Ceci dit, tout en saluant la poursuite nécessaire de ces luttes, nous ne pouvons pas nous arrêter à ce constat. À la lumière des drames, des contre-révolutions et des bains de sang qui se sont déroulés dans la région au cours de la dernière décennie, l’idée que les passions populaires et la lutte spontanée vont suffire à elles seules à éradiquer l’ordre ancien et à en finir avec le système d’exploitation et d’oppression actuel, est inadéquate.

    Tous ces mouvements ont montré que face à un ennemi puissant et organisé – une classe dominante consciente de ses intérêts – le changement révolutionnaire ne peut être laissé à la simple chance et spontanéité. Si la spontanéité révolutionnaire peut dans un premier temps représenter un atout pour surprendre et déstabiliser le camp adverse, cet avantage se transforme en désavantage, en facteur déstabilisant pour la révolution, s’il n’est pas dépassé.

    Ce que toutes les luttes qui ont éclaté dans la région ont montré au cours des dix dernières années, c’est que si elles ne sont pas armées d’un programme ainsi que d’organisations pour le mettre en œuvre, elles finiront par aboutir à des reculs, par se dissiper, ou pire, par être manipulées et récupérées pour servir l’agenda de forces réactionnaires. Un parti, un programme et une direction politique sont nécessaires pour organiser les masses laborieuses, la jeunesse et tous les opprimés, faire avancer leurs luttes et les mener jusqu’au renversement du capitalisme.

    Malheureusement, plutôt que de se saisir de ces luttes révolutionnaires historiques pour s’enraciner parmi les travailleurs et les jeunes, plutôt que de se tourner pleinement vers le mouvement de masse et de chercher à s’en faire l’expression politique sur la base d’une opposition résolue à ce système, la gauche s’est bien souvent tirée des balles dans le pied en cherchant toutes sortes d’arrangements et de compromissions avec les représentants de ce système.

    Au Soudan, l’Association syndicale des professionnels soudanais (SPA), qui a joué un rôle de premier plan dans les mobilisations contre le régime d’al Bashir, a formé une coalition avec diverses forces d’opposition connue sous le nom de « Forces pour la liberté et le changement », laquelle a conclu en août 2019, sur le dos de la population, un partage de pouvoir avec les généraux contre-révolutionnaires.

    En Syrie, des pans entiers de la gauche internationale se sont fourvoyés dans une fausse dichotomie. Certains se sont appuyés sur des définitions archaïques de l’anti-impérialisme pour justifier l’injustifiable en applaudissant les massacres et les bombes d’Assad et de ses soutiens. D’autres ont glorifié les bandes armées et les militants jihadistes au nom du soutien à la révolution contre le régime, ou encore exigeaient que les forces impérialistes occidentales s’impliquent davantage dans la guerre.

    En Tunisie et en Egypte, les partis les plus influents de la gauche locale ont porté leur soutien à des forces de l’ancien régime au nom de la lutte contre les islamistes et les frères musulmans, pavant la voie à leur propre destruction …

    Il est donc nécessaire de tirer les leçons de ces erreurs pour les batailles à venir, en particulier la nécessité de garantir l’indépendance politique du mouvement ouvrier et révolutionnaire face aux forces et partis capitalistes, et d’encourager à chaque étape la lutte par des moyens qui lui sont propres.

    Il n’y a pas de raccourci possible : bien que chaque petite victoire est importante, aucun progrès durable n’est possible tant que la société reste dirigée par la loi du profit et que l’économie est contrôlée par une minorité dont les intérêts et la position dépendent de l’appauvrissement et l’oppression de la majorité.

    C’est pourquoi organiser les masses à l’échelle internationale pour unifier toutes les luttes en une seule lutte globale pour renverser le système capitaliste, et construire une alternative socialiste démocratique, est la meilleure manière d’honorer et poursuivre le combat, les efforts et les sacrifices entamés par les masses laborieuses et les exploités de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient il y a dix ans. Solidarité !

  • Editions Marxisme.be : “Le peuple veut la chute du système – Révolution et contre-révolution en Tunisie (2010-2013)”

    Photo : Wikicommon. Sur la banderole : “El Bouazizi nous a laissé un conseil : ne jamais abandonner la lutte”

    A l’occasion du 10e anniversaire de la chute du dictateur Ben Ali, les éditions Marxisme.be publient un nouvel ouvrage qui revient sur ces événements tumultueux riches en leçons pour les luttes actuelles. Parmi les plus importantes d’entre elles : la compréhension de la puissance du mouvement de masse. Le texte ci-dessous est l’introduction du livre. Nous espérons bien entendu qu’elle vous donne envie d’en faire l’acquisition.  

    Au sujet de l’auteur : Cédric Gérôme est membre de l’Exécutif International d’Alternative Socialiste Internationale. Il a visité la Tunisie a de nombreuses reprises, y compris pendant les événements révolutionnaires de janvier 2011. Il a écrit de manière extensive sur les questions touchant à l’Afrique du Nord et au Moyen-Orient.

    Le peuple veut la chute du système – Révolution et contre-révolution en Tunisie (2010-2013)

    Retour là où tout a commencé. Il y a dix ans, la Tunisie devint le point de départ d’une chaîne d’événements historiques qui, à l’origine, suscitèrent l’imagination populaire du monde entier, et ont depuis profondément remodelé l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient.

    L’allumette utilisée par le vendeur de rue tunisien Mohamed Bouazizi pour s’immoler par le feu par désespoir, un jour d’hiver 2010, embrasa toute la région. En quelques semaines, les familles arabes régnantes, les généraux, les magnats d’affaires, les potentats et les dictateurs, les cheikhs et les monarques, ainsi que leurs puissants soutiens internationaux, tous tremblaient d’effroi à l’éruption de millions d’exploités déferlant dans les rues, de Tunis à Sanaa, de Manama au Caire. Le slogan “Ash-sha’b yurid isqat an-nidham” (Le peuple veut la chute du système), reflétait la soif éperdue d’une rupture fondamentale avec l’ordre ancien. Croulant sous une misère insupportable, la corruption, le chômage endémique, l’humiliation constante par des appareils d’État pachydermiques, les masses ne pouvaient plus vivre comme avant. L’ancienne manière pour les élites dirigeantes de maintenir leur système en place ne fonctionnait plus. Les conditions étaient réunies pour une confrontation massive entre les classes.

    Le matin du 15 janvier 2011, alors que le despote tunisien Zine El Abidine Ben Ali avait fui le pays la veille après qu’une puissante cascade de grèves ne lui ait laissé d’autre choix, je me pointai, avec mon sac à dos embarqué à la hâte, à l’aéroport de London Heathrow. L’employé de British Airways me demanda quelle était la destination de mon vol. “Tunisie”, lui dis-je. “C’est pas là qu’il y a une guerre, ou quelque chose comme ça ?”, répondit-il, un peu surpris par ma réponse. “C’est pas une guerre, c’est une révolution”, tentai-je de lui expliquer. Alors que les guerres en Libye, en Syrie et au Yémen ont par la suite fait la une des gros titres, les notions de guerre et de révolution ont été quelque peu amalgamées. L’aéroport international de Tripoli par lequel je devais transiter, encore à l’époque sous le regard bienveillant de larges portraits de Mouammar Kadhafi ornant les murs, a depuis été détruit par les bombes dans le cadre d’une bataille entre milices rivales. Les souvenirs révolutionnaires du bien mal nommé “Printemps arabe”1 ont plus tard paru ensevelis sous les images de sièges militaires brutaux, de violence sectaire, d’exode massif de réfugiés, d’enfants affamés et des actions abominables de Daesh. Dans un article publié en décembre 2016 intitulé “La tragédie syrienne signale la fin des révolutions arabes”, un journaliste aussi alerte que feu Robert Fisk écrivait : “Tout comme l’invasion catastrophique anglo-américaine de l’Irak a mis fin à l’épopée occidentale des aventures militaires au Moyen-Orient, la tragédie syrienne garantit qu’il n’y aura plus de révolutions arabes.”2

    Il s’agissait là d’une grave erreur de jugement. À l’époque de la première vague révolutionnaire de 2010-2011, notre Internationale expliquait que les mouvements de masse ne pourraient pas durer indéfiniment et qu’ils se heurteraient à de sérieuses complications ainsi qu’à des défaites en raison du faible niveau d’organisation et de l’héritage encore pesant de l’affaiblissement des idées socialistes parmi les travailleurs, les jeunes et les peuples opprimés de la région. Mais nous soulignions également que malgré ses facteurs, les contre-révolutions ne pourraient reprendre la main durablement et que les processus révolutionnaires allaient inévitablement rejaillir, avec des révoltes encore plus profondes contre le système en place.

    Seulement deux ans après la prophétie fataliste de Fisk, la rage accumulée de longue date par le peuple soudanais explosait à son tour, annonçant une nouvelle vague de soulèvements révolutionnaires qui mit fin à deux autres dictateurs nord-africains, et donna lieu aux défis populaires combinés les plus spectaculaires jamais posés aux élites sectaires du Liban et de l’Irak. L’inspiration internationale de ces mouvements était évidente dans la nouvelle poussée de protestations par les masses iraniennes en novembre 2019. À l’été 2020 encore, ce pays fut secoué par une vague de grèves sans précédent depuis la révolution de 1979 ; en octobre, il enregistrait un total de 341 manifestations dans 83 villes, avec une moyenne de 11 manifestations par jour.3

    Même dans le Sud de la Syrie, des manifestations anti-gouvernementales ont éclaté en juin 2020 dans la ville de Sweida, au cours desquelles la foule appelait au renversement du président Bashar al-Assad. En septembre 2020, l’Égypte fut témoin de six jours consécutifs de manifestations dans plus de 40 villages – la première fois que des manifestations appelant au départ du président Abdel Fattah el-Sissi avaient lieu dans plus d’une province égyptienne à la fois. Pour dire les choses autrement, quelles que soient les litres de sang que les classes dirigeantes sont prêtes à verser, elles ne briseront jamais la résolution humaine à se rebeller, tôt ou tard, contre la tyrannie et l’exploitation. L’héritage le plus tenace de la vague révolutionnaire de 2010-2011, à savoir la compréhension de la puissance du mouvement de masse, perdurera quoi qu’il arrive. Comme le disait très justement un graffiti au Caire en 2011, “La Révolution n’a pas changé le système mais elle a changé le peuple.”4

    Leur récit et le nôtre

    Pourtant, l’histoire est écrite par les vainqueurs, dans les guerres comme dans les révolutions. Pour les classes capitalistes du monde entier, déprécier la capacité des travailleurs à changer la société est toujours un élément central de cet exercice. Démontrer le contraire, en revisitant la période la plus importante de la révolution tunisienne, est un fil conducteur de ce livre.

    Les années post-Ben Ali ont été témoins d’un flux presque ininterrompu d’une propagande double et contradictoire : d’une part, le militantisme, le radicalisme et la profondeur de la lutte révolutionnaire sont amoindris et édulcorés. D’autre part, ses conquêtes véritables sont exagérées – un effort qui a commencé immédiatement après que Ben Ali ait embarqué dans son avion pour l’Arabie saoudite. Il suffit ici de mentionner que 22.000 mouvements de protestation et 600.000 jours de grève ont été enregistrés dans les douze mois qui ont suivi cet épisode5. Loin de fermer les portes de la révolution, le renversement de Ben Ali ne fit que les ouvrir pleinement.

    Aujourd’hui, il est devenu cliché de lire ou d’entendre dire que la Tunisie est la seule “success story” de la vague de révolutions initiée il y a dix ans. Il faut alors se demander pourquoi les arrivées de migrants tunisiens en Europe cette année ont dépassé celles provenant de Libye, pourtant déchirée par la guerre. Il est difficile d’ignorer le contraste entre le ton satisfait des commentateurs, et la profonde désillusion d’une grande partie du peuple tunisien quant à la direction que prend leur pays. Dans un sondage d’opinion publié en novembre 2020 par le Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux (FTDES), 83,6% des jeunes disent considérer la société tunisienne inéquitable, 71,3% la jugent “pas fondée sur de bonnes bases”, 69,7% estiment que l’État ne répond pas aux besoins de base et 81,6% pensent que l’État privilégie les riches.6

    Un gouvernement dysfonctionnel ne survit que par défaut grâce à un parlement se débattant dans une atmosphère fétide de violence verbale et physique, otage d’alliances stériles et sans principes évoluant au gré des opportunismes, des corruptions et des trahisons du jour.
    Le pays continue d’être dirigé au profit d’une petite élite, laquelle inclut de nombreuses familles et entreprises qui se sont enrichies sous le régime de Ben Ali. De l’autre côté du spectre social, la majorité de la population fait face à des conditions socio-économiques qui sont pires que sous l’ancien régime. Un nombre croissant de Tunisiens ne peuvent plus subvenir à leurs besoins alimentaires quotidiens, alors que le chômage continue de grimper et que les prix des produits de base ont explosé. La crise du COVID-19 a exacerbé une crise économique déjà désastreuse, avec plus de 200.000 pertes d’emplois depuis le début de la pandémie – un chiffre assurément sous-estimé compte tenu du poids persistant du secteur informel. Une multiplication par cinq de la violence de genre a été enregistrée cette année, tandis que les gains bien discutables pour les femmes tunisiennes après la révolution sont restés sur le papier. Les infrastructures dans les gouvernorats de l’intérieur font toujours cruellement défaut et les disparités régionales sont encore plus grandes que sous Ben Ali.

    Alors que ce livre est sur le point d’être publié en vue du 10ème anniversaire du soulèvement, les Tunisiens sont de retour dans la rue, avec une nouvelle vague de protestations sociales et de grèves s’étendant à plusieurs des gouvernorats marginalisés de l’intérieur du pays – y compris à travers des grèves générales régionales au Kef, à Kairouan et à Jendouba – pour exiger des emplois et une amélioration immédiate des infrastructures sanitaires et d’autres services locaux. À Jendouba, la mort d’un médecin de 27 ans, qui à la suite d’une garde de 24 heures dans l’hôpital de la ville, a chuté dans une cage d’ascenseur depuis le cinquième étage après l’ouverture des portes mais sans qu’il n’y ait d’ascenseur en place, a mis à nu l’état criminellement négligé du secteur de la santé dans le pays.

    Pendant ce temps, la dette publique héritée des anciennes mafias au pouvoir, qui représentait 40% du PIB en 2010, approche à présent les 90%, et est toujours utilisée comme justification pour hacher dans des budgets sociaux déjà rachitiques.

    Les exigences de la révolution de 2010-11 n’ont donc pas du tout été satisfaites. Un jeune manifestant sans emploi résume la situation comme suit : “On a la liberté, mais on ne peut pas manger la liberté.” Pourtant, même la liberté est loin d’être garantie, comme l’illustrent les abus étatiques rampants et la montée des attaques contre les droits démocratiques.

    En 2015, année de la première rédaction de ce livre, les cas de torture dans les commissariats de police avaient atteint leur plus haut niveau depuis le renversement de Ben Ali. La police n’a fait qu’augmenter en nombre depuis 2011, tout comme le budget qui lui est alloué. Au cours de la dernière décennie, de nombreux pas visant à la réintroduction d’un État policier ont été pris. Tous les pas à reculons en cette matière ont été le fruit de luttes. Ce fut le cas lorsqu’en septembre 2020, de larges mobilisations menées par la jeunesse ont empêché la ratification d’un projet de loi d’immunité policière qui, de fait, donnerait aux flics un permis de tuer gratuitement.

    Les tribunaux tunisiens n’ont prononcé aucune condamnation dans le cadre des affaires traitées par la ‘Commission Vérité et Dignité’, chargée d’enquêter sur les violations des droits de l’homme commises par l’ancien régime. Le même code pénal que sous Ben Ali est toujours en vigueur, permettant, entre autres choses, de poursuivre les gens pour leur orientation sexuelle. Bien que légèrement amendée, la tristement célèbre loi 52 qui jette les gens en prison pour “consommation de stupéfiants” – une loi que la dictature a utilisée pour assurer le contrôle de sa jeunesse et faire taire les opposants politiques – est toujours en application, provoquant une montée en flèche de la population carcérale, sans dissuader pour autant la consommation de drogue. Bien au contraire, les profits sur le marché noir ont monté en flèches au cours de la dernière décennie, en parallèle à la consommation de drogue chez les jeunes, dans un contexte de détresse économique et de chômage de masse.

    Une contre-révolution avec des gants démocratiques

    Malgré tout, le récit d’une “Tunisie démocratique” n’est pas totalement inexact : la révolution a donné naissance à des structures d’État plus démocratiques qu’en Égypte, par exemple – avec une nouvelle Constitution, un président élu et un certain degré de liberté d’expression et de pluralisme politique. Ces différences sont le sous-produit non pas d’une classe dirigeante plus raisonnable ou accommodante qu’ailleurs dans la région, bien sûr, mais d’un mouvement ouvrier comparativement plus organisé qui a empêché la bourgeoisie de s’engager sur la voie d’une réaction plus violente. Comme nous le verrons, les islamistes de droite du parti Ennahda ont failli à évaluer ce facteur correctement, tentant de s’engager dans une confrontation frontale avec l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT) : à deux reprises, ils ont conduit le pays au bord de l’insurrection.

    Dévoiler la réalité de ce qui s’est passé en Tunisie pendant les mois tumultueux de l’hiver et de l’été 2013 occupe l’essentiel de la deuxième partie de ce livre. La doctrine Djerejian, inspirée par les thèses politiques du diplomate américain Edward P. Djerejian, supposait que l’islam politique, une fois au pouvoir, ne l’abandonnerait jamais, selon les principes “une personne, une voix, une fois.” Cette théorie mal ficelée a autant de valeur que celles qui supposaient, avant 2011, que les régimes dictatoriaux de la région représentaient un horizon indépassable : une valeur nulle, autrement dit, parce qu’elles écartent entièrement de l’équation le facteur crucial de la lutte de classes. Nous avons l’intention de le remettre bien à sa place.

    Les luttes révolutionnaires de 2018-2019 au Soudan, en Algérie, au Liban et en Irak sont souvent qualifiées de “deuxième vague” ou de “deuxième partie” des révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord – après la “première vague” ou “première partie” en 2010-2011. Presqu’universellement négligées sont les explosions volcaniques de luttes qui ont ébranlé le pouvoir des islamistes en Égypte et en Tunisie au cours de l’année 2013.

    Ceux et celles qui ont été activement impliqués dans les révolutions égyptienne et tunisienne de 2011 savaient très bien que ces luttes n’avaient été ni organisées, ni soutenues ni dirigées par les Frères musulmans et Ennahda. Après les premières élections “démocratiques” – ou, pour le dire plus sobrement, les premières élections non marquées par un trucage pur et simple du vote – ces partis sont arrivés au pouvoir grâce à l’énorme vide politique laissé par le manque d’une alternative révolutionnaire dans les deux pays. Mais après moins de deux ans, ce pouvoir éclata, tel un abcès causé par l’ingestion d’un corps étranger ; leur projet islamiste, autoritaire et pro-patronal s’écrasa violemment contre les aspirations révolutionnaires de millions de travailleurs, de paysans pauvres et de jeunes.

    Dans les deux pays, cette deuxième vague révolutionnaire fut en fait plus large, plus profonde et plus rapide que la première. En février puis à nouveau en juillet 2013, la Tunisie fut secouée par deux grèves générales historiques, des centaines de milliers de personnes exigeant la chute du gouvernement dirigé par les islamistes. Lors de la grève générale du 6 février, coïncidant avec les obsèques du dirigeant de gauche Chokri Belaïd – dont l’assassinat avait déclenché la grève – plus d’un million de personnes déferlèrent dans les rues de la capitale Tunis. C’était au moins cinq fois le nombre de manifestants dans la rue le jour de la chute de Ben Ali.

    Cependant, la même raison qui avait initialement aidé les islamistes à conquérir le pouvoir – le manque d’organisation et de direction du côté des masses révolutionnaires – encouragea d’autres ailes de la classe capitaliste à s’installer à leurs places.

    En Égypte, les généraux usurpèrent le pouvoir, imposant d’abord un coup sanglant aux Frères musulmans – en prélude à une répression plus large, poussant la révolution elle-même en marche arrière rapide et érigeant une nouvelle dictature monstrueuse sur les cendres de cette défaite. Pourtant, tant la force motrice que la motivation intime derrière le coup d’État militaire de Sissi avaient été un puissant mouvement de révolte de plusieurs millions de personnes à travers l’Égypte. Le magazine britannique de droite The Economist avait compris ce qui était en jeu lorsqu’il déclarait en juillet 2013 : “Le précédent que l’éviction de M. Morsi crée pour d’autres démocraties fragiles est terrible. Cela encouragera les mécontents à essayer d’éjecter les gouvernements non pas en les votant dehors, mais en perturbant leur pouvoir. Cela incitera les oppositions partout dans le monde arabe à poursuivre leurs agendas dans les rues, pas dans les parlements.”7

    Du point de vue des classes dirigeantes, dissuader les masses de “poursuivre leurs agendas dans les rues” était précisément la mission historique de Sissi. Certains à droite étaient plus francs encore, comme le montre un éditorial du Wall Street Journal de l’époque affirmant que “les Égyptiens auraient de la chance si leurs nouveaux généraux au pouvoir se révélaient être dans le moule d’Augusto Pinochet du Chili.”8

    Aucun Pinochet ou Sissi tunisien n’aurait pourtant pu faire l’affaire. Au-delà de l’état dérisoire de l’armée tunisienne, l’existence de l’UGTT, forte de son million de membres et de 150 locaux à travers le pays, est une force avec laquelle il faut compter. Cela dit, la classe capitaliste a pu s’appuyer sur la collaboration de la direction centrale de ce syndicat, ainsi que de la direction de tous les partis de gauche ayant une certaine influence dans les mouvements ouvrier, étudiant et sociaux, pour agir en tant que gardiens du système. Au fur et à mesure que l’on prend conscience des événements qui prirent place entre la fin 2010 et la mi-2013, la contradiction entre le potentiel et l’ingéniosité révolutionnaires extraordinaires révélés par la lutte de masse, et la manière dont les dirigeants de la gauche et du syndicat y ont réagi, devient difficilement contestable.

    Ce livre soutient que dans les semaines tumultueuses qui ont suivi le renversement de Ben Ali, et à nouveau pendant les circonstances révolutionnaires de 2013, des éléments de “double-pouvoir” étaient apparus dans le pays. Cela signifie qu’en-dehors et en opposition à la classe capitaliste et à sa machine d’État, le processus révolutionnaire avait donné naissance à des structures locales de base, germes d’un État nouveau construit par les masses elles-mêmes : des comités de défense et de quartier mais aussi, dans certaines villes, des conseils populaires. Une fois en mouvement, les masses ne se sont pas contentées de se débarrasser de dirigeants dégénérés et parasitaires. Radicalisés par la réponse de ces derniers et imbus de leur propre force, les travailleurs, les jeunes, les pauvres des villes comme des campagnes, commencèrent à prendre les choses en main, dessinant les grandes lignes d’un avenir sans patrons, sans police et sans fonctionnaires corrompus, démontrant leur capacité à diriger et organiser la société différemment. A ceux et celles qui raillent le socialisme, une société organisée démocratiquement par les travailleurs, comme utopique et irréaliste – prenez-en bonne note.

    Pourtant, au lieu d’investir leur confiance dans la lutte révolutionnaire, les principaux partis de gauche (réunis d’abord dans le ‘Front du 14 janvier’, ensuite dans la coalition du ‘Front Populaire’), durant tous les moments charnières de la révolution, se tournèrent plutôt de l’autre côté et négocièrent avec la bureaucratie syndicale et la contre-révolution. Au lieu de conduire le mouvement de masse sur la voie du pouvoir, ils le firent dérailler dans les canaux asséchés du capitalisme et de ses structures étatiques discréditées. Ils poussèrent leur zèle tellement loin dans cette voie qu’à l’été 2013, ils signèrent un “pacte avec le diable”, se joignant dans une grande alliance avec Nidaa Tounes – un sanctuaire politique pour les ex-partisans de l’ancien régime – dans la poursuite apparente d’objectifs laïques contre l’agenda du parti islamiste. En février 2015, Nidaa Tounes et Ennahda acceptèrent de partager le pouvoir dans un gouvernement d’unité nationale, déchirant en mille morceaux la stratégie terriblement myope et court-termiste de la gauche.

    En agissant ainsi, les partis de gauche signèrent aussi leur propre arrêt de mort politique. À l’approche des dernières élections législatives d’octobre 2019, malgré la montée du mécontentement social et l’effondrement des principaux partis de la bourgeoisie, le Front Populaire fut victime d’un effondrement complet : une scission en son sein avant les élections, suivie d’un anéantissement quasi total sur le plan électoral. C’était la note à payer pour ses trahisons antérieures, dont il ne s’était jamais réellement remis.

    C’est l’une des nombreuses et riches leçons de la révolution tunisienne abordées dans ce livre. Il n’y a aucun doute que la révolution s’est engagée sur une route beaucoup plus tordue et boueuse que celle que nombre de ses participants avaient probablement imaginée pendant les jours euphoriques qui suivirent la chute de Ben Ali il y a dix ans. Mais alors que le capitalisme mondial est entré dans une nouvelle période de crise et d’instabilité accrues, de nouveaux bouleversements révolutionnaires se préparent, en Tunisie comme ailleurs, dont certains éclipseront de beaucoup ce qui s’est passé à l’époque. Pour se préparer à ces futures batailles sociales et politiques, assimiler les leçons de la révolution tunisienne constituera un atout précieux. Si “Le Peuple Veut la Chute du Système” peut au moins partiellement contribuer à les rendre plus claires, il aura rempli la tâche pour laquelle il a été écrit.

    Cédric Gérôme, janvier 2021.

    Notes :

    1. “Mal nommé” parce que, entre autres, ce terme exclut les Kurdes, les Amazighs, les Assyriens, les Perses et de nombreux autres groupes de populations vivant au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, qui ont été impliqués dans ces luttes. Nous préférons le considérer comme un phénomène régional plutôt que comme un phénomène exclusivement “arabe”.
    2. The tragedies of Syria signal the end of the Arab revolutions, Robert Fisk, 24 décembre 2016
    3. Summary of Protests in Iran in October 2020 (https://irannewsupdate.com/news/insider/summary-of-protests-in-iran-in-october-2020/)
    4. Food insecurity and revolution in the Middle East and North Africa, Habib Ayeb and Ray Bush, p.49
    5. Chiffres affichés par le Premier ministre d’alors, Hamadi Jebali
    6. Pour près de 84% des jeunes, “la société tunisienne est inéquitable” (Etude) (https://www.webmanagercenter.com/2020/11/20/459356/pour-pres-de-84-des-jeunes-la-societe-tunisienne-est-inequitable-etude/)
    7. Egypt’s tragedy, The Economist, juillet 2013
    8. After the Coup in Cairo, Wall Street Journal, 7 juillet 2013
  • Iran : Victoire des travailleurs de Haft Tappeh !

    A bas les propriétaires d’usines corrompus et leurs alliés du régime iranien !

    Message de solidarité d’Alternative Socialiste Internationale aux collègues et camarades de la sucrerie de Haft Tappeh

    Aux collègues et camarades de l’usine sucrière de Haft Tappeh,

    Alternative Socialiste Internationale (ASI) exprime sa solidarité avec votre lutte héroïque contre les propriétaires d’usines corrompus et le régime répressif iranien qui est leur allié. Nous soutenons votre lutte permanente contre toute forme de privatisation et de licenciement ainsi que pour le paiement des salaires impayés, le renouvellement de votre assurance sociale, etc.

    Le fait que vous ayez pu forcer un jury à se réunir sur la question du limogeage des propriétaires privés actuels illustre l’énorme pression que vous avez pu exercer. À la suite des protestations, les fonctionnaires et le pouvoir judiciaire ont été contraints de reculer et l’affaire a été confiée à un jury. Mais il est clair que l’on ne peut leur faire confiance, ni à lui, ni au régime meurtrier et à son appareil qui a utilisé toute sa puissance pour réprimer votre lutte et vos revendications.

    Votre lutte est devenue un exemple international de la détermination et du courage de la classe ouvrière. En dépit d’une répression massive et de nombreuses difficultés, vous avez poursuivi les grèves et les actions de protestations et augmenté la pression sur la classe dirigeante et le régime. Toutes les promesses faites par les forces du régime ont été rompues. Vous savez que vous ne pouvez compter que sur votre propre force et sur la solidarité de la classe ouvrière dans tout le pays et à l’échelle internationale.

    Vous avez prouvé au cours des dernières années que le contrôle et l’administration des travailleurs sont non seulement nécessaires, mais absolument possibles. Le slogan “Pain, travail, liberté, administration du Conseil” montre la voie à suivre : l’urgence de chasser les patrons et de placer l’usine – et toute l’économie – sous le contrôle des travailleurs. C’est la seule façon d’assurer des emplois sûrs, de bons salaires, la sécurité et la fin de toute forme d’oppression. C’est pourquoi votre lutte est directement liée à la lutte politique contre l’ensemble du régime et de son système.

    Nous avons suivi votre lutte ainsi que les nombreux soulèvements de la classe ouvrière et des pauvres iraniens contre le régime islamique au cours de ces dernières années avec inspiration et une profonde solidarité. Nous sommes convaincus que seule la classe ouvrière – sous la conduite de laquelle avancent toutes les couches pauvres et opprimées de la société – est capable de renverser ce régime par des actions de masse et des grèves générales.

    Un puissant mouvement ouvrier aura le potentiel révolutionnaire de renverser les élites criminelles et de construire un Iran socialiste, reposant sur la liberté et sur une économie et une société démocratiquement planifiées. La classe ouvrière iranienne a fait preuve d’une grande détermination et d’une grande puissance dans le passé, vous poursuivez ces grandes traditions. Le besoin d’un mouvement indépendant de la classe ouvrière est aujourd’hui plus urgent que jamais.

    La crise économique, aggravée par le COVID-19, a révélé au niveau international le visage brutal du capitalisme. Il est clair que ce système n’est pas en mesure d’assurer la santé, la sécurité ou une quelconque perspective pour la classe ouvrière et la jeunesse. Le régime iranien – responsable des morts, des difficultés économiques, du chômage et de la misère – était déjà ébranlé par le pouvoir des masses avant cette crise. Sa stabilité est construite sur le sable. Vive la résistance de la classe ouvrière ! A bas le dictateur et le régime islamique !

    Il ne peut y avoir de confiance dans aucune force impérialiste. Nous nous opposons à toutes les sanctions contre l’Iran et à toute tentative d’intervention impérialiste des classes dominantes. La solidarité internationale de la classe ouvrière est absolument essentielle. C’est pourquoi les sections nationales (dont le PSL/LSP en Belgique) et les camarades d’ASI dans le monde entier diffuseront ce message de solidarité et l’exemple de votre lutte dans leurs syndicats, les organisations de gauche et les collaborations dans lesquelles nous sommes impliqués. La classe ouvrière internationale et le mouvement syndical doivent organiser la solidarité afin de soutenir votre lutte, nous les appelons à le faire.

  • [VIDEO] Dix ans depuis les révolutions en Afrique du Nord et au Moyen Orient

    Aujourd’hui, c’est le dixième anniversaire du déclenchement de la révolution tunisienne, le 17 décembre 2010, qui a conduit à l’éviction de Ben Ali le 14 janvier 2011. Cette vidéo reprend l’introduction de Cédric Gérôme qui a servi de base à un meeting intitulé ” 10 ans après les révolutions en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, la force du mouvement de masse hier et aujourd’hui”.

    Cédric est permanent pour Alternative Socialiste Internationale (ASI, dont le PSL/LSP est la section belge). Il a tout particulièrement suivi les développements en Tunisie et est actuellement en train d’écrire un livre sur cette expérience révolutionnaire.

  • Dix ans depuis la révolution tunisienne

    Aujourd’hui, c’est le dixième anniversaire du déclenchement de la révolution tunisienne, le 17 décembre 2010, qui a conduit à l’éviction de Ben Ali le 14 janvier 2011. Il est impossible pour nous de ne pas revenir sur ces événements ainsi que sur ceux qui se sont produits depuis leur déclenchement. Les différences entre hier et aujourd’hui se retrouvent non seulement dans les changements qui ont eu lieu en Tunisie, mais aussi dans le monde entier.

    Article d’Aymen Baccouche, de Tayaar al’ Amael Al’ Qaaedi, notre organisation-sœur en Tunisie

    Le gouvernement actuel est le dixième gouvernement depuis que la révolution tunisienne a balayé le dictateur corrompu Ben Ali. Cela indique l’état d’instabilité politique que connaît actuellement le pays. Nous avons connu trois premiers ministres en moins de dix mois, ce qui illustre clairement le chaos politique actuel de même que l’effondrement accéléré du système de “transition démocratique”. Pour la première fois dans l’histoire politique et parlementaire du pays, un gouvernement est tombé avant même d’avoir pris ses fonctions, à savoir celui de Habib Jemli, mort-né après les élections d’octobre 2019.

    Le gouvernement des technocrates

    Le gouvernement d’Elias Fakhfakh s’est effondré avec une démission retentissante au cours de l’été, après seulement quelques mois au pouvoir. Cette démission résultait de tensions et manoeuvres politiques croissantes autour d’un conflit d’intérêts impliquant le Premier ministre (qui détenait des actions de sociétés privées qui avaient bénéficié de contrats avec l’État) et des aspirations d’autres partis carriéristes à “renforcer la ceinture gouvernementale”, c’est-à-dire à grimper au gouvernement. Il s’agit là d’une preuve évidente de l’incomparable pourrissement de toute la situation politique, à tel point qu’un gouvernement de “technocrates” prétendument non partisans, dirigé par l’ancien ministre de l’intérieur Hichem Mechichi, a finalement promis de mettre fin au vide gouvernemental dans lequel se trouvait le pays.

    Le gouvernement de Mechichi est arrivé au pouvoir début septembre. Les principaux acteurs parlementaires étaient confrontés au choix de trouver un moyen de former un nouveau gouvernement ou de devoir faire face à de nouvelles élections dans la situation de paralysie politique qui a suivi l’effondrement de la coalition entre Ennahda, le Courant démocratique, le Mouvement du peuple et le Mouvement “Vive la Tunisie”.

    Compte tenu de l’état d’exaspération et de la colère qui régnait dans la rue contre les hommes politiques, la décision de voter pour ce gouvernement technocratique était la seule façon de garantir leur survie politique.

    Mais malgré ce remaniement d’alliances politiques sans principes et la création d’un nouveau front parlementaire réunissant les ennemis d’hier (Ennahda, Au cœur de la Tunisie et la Coalition de la dignité), le gouvernement de Mechichi est resté confus et incapable d’agir politiquement en raison de ses contradictions politiques.

    Depuis trois mois, le gouvernement a suivi la même approche politique que celle de son prédécesseur pour faire face à la pandémie de coronavirus. Après une vague massive de contaminations, il a finalement convenu que rien ne pouvait remplacer la « nécessité de coexister avec la pandémie ». Cette décision improvisée intervient dans un contexte de détérioration sans précédent des conditions du secteur de la santé et de pertes d’emplois massives dépassant les 170.000 personnes. L’économie s’est contractée de 20 % et le taux de chômage a officiellement atteint les 18 %, des chiffres alarmants qui ne font qu’indiquer qu’aucun de ces gouvernements n’a eu la volonté d’impulser un véritable changement. Au contraire, ils n’ont été que de simples marionnettes des diktats des puissances impérialistes et du Fonds monétaire international.

    Restauration des protestations

    La fréquence des protestations sociales a été rétablie. Le gouvernement pensait avoir clos le dossier “El Kamour” avec un accord entre le gouvernement et les manifestants de la ville d’El Kamour, dans le sud-ouest du pays, conclu après plus d’un mois de négociations à la suite de fortes protestations et du blocage des sites de production pétroliers par les habitants locaux. Mais depuis lors, une nouvelle vague de revendications sectorielles et régionales, de grèves, de sit-in et de protestations sociales a eu lieu ces dernières semaines. Dans les villes du Kef, de Kairouan et de Jendouba, des grèves régionales ont eu lieu pour réclamer le développement de ces régions, un emploi décent pour tous et l’ouverture d’enquêtes de corruption contre des fonctionnaires locaux. Le Premier ministre s’est plaint de la persistance de ces manifestations, les qualifiant d’”anarchie” et affirmant qu’il faut y mettre fin en utilisant toute la force de la loi. Cette politique de menaces et d’intimidation est une caractéristique constante de tous les gouvernements face aux mouvements sociaux au cours de la dernière décennie.

    De réelles difficultés sont apparues dans le processus d’élaboration du projet de loi de financement et du budget de l’État. Celles-ci ont été aggravées par le climat politique pourri résultant du populisme et de l’utilisation de tactiques de diversion visant à confondre le public sur des questions essentielles. Ces derniers temps, le Parlement s’est transformé en une arène de violence physique et verbale quotidienne.
    Certains partis tentent cyniquement de présenter cet état de chose comme le fruit désastreux de la révolution. Ils entretiennent une nostalgie concernant le prétendu succès du régime pré-révolutionnaire de Ben Ali pour assurer la sécurité publique et les besoins de base du peuple tunisien. C’est un jeu facile à jouer dans un pays qui, dans un récent sondage, a rejoint le top 10 des « pays les plus malheureux du monde » – avec l’Afghanistan, le Rwanda et le Liban.

    Les déclarations de la fédération syndicale nationale, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), se limitent à relancer le « dialogue national avec toutes les parties ». Au milieu d’événements politiques et sociaux explosifs, la bureaucratie syndicale joue un rôle de frein vis-à-vis de sa propre base, en essayant d’éteindre l’étincelle des mouvements de protestation et en s’étant donné pour tâche de sauver le système mafieux et l’oligarchie de l’effondrement. Ce comportement politique est tel que la bureaucratie syndicale est devenue une partie intégrante des structures du système. Elle jouit de nombreux privilèges financiers, logistiques et autres et ne diffère pas de l’essence du système lui-même.

    La tentative d’une conférence syndicale extraordinaire, non élue, visant à modifier l’article 20 du règlement du syndicat (qui empêche le secrétaire général et les co-secrétaires généraux de présenter leur candidature pour plus de deux mandats) a été la plus forte indication à ce jour de l’imposture de la bureaucratie syndicale qui prétend lutter pour améliorer les conditions de vie de la classe ouvrière. Les appels favorables à un nouveau cycle de « dialogue national » ne sont lancés que par ceux qui sont assis à la table de ce dialogue, et qui ne renonceront jamais à une fraction de leurs privilèges pour se mettre au niveau des travailleurs qu’ils sont censés représenter.

    Dans quel camp se situent les forces sociales et politiques avec lesquelles les dirigeants syndicaux veulent ce « dialogue national » ? Ce n’est pas difficile à comprendre. Pour donner une idée de la nature de l’establishment politique, il suffit de jeter un coup d’oeil à certains projets de loi rejetés par la majorité parlementaire. Parmi ces projets, on peut citer les suivants :

    • Une proposition visant à mettre fin aux dettes de moins de cinq mille dinars (1500 euros) des petits agriculteurs.
    • Une proposition visant à mettre fin aux dettes de moins de cinq mille dinars des petits artisans.
    • Une proposition visant à créer un fonds pour les personnes handicapées et aux besoins particuliers.
    • Une proposition visant à déduire de 0,5% les bénéfices des sociétés financières pour les allouer au budget de l’État afin de créer des opportunités d’emploi.
    • Une proposition visant à ajouter une indemnité compensatoire pour les retraités qui ont travaillé certains secteurs de sorte que leur allocation passe à 250 dinars par mois au lieu de 180 dinars (de 55 à 75 euros).

    Le rejet de ces mesures, aussi limitées soient-elles, ne fait que souligner le caractère manifestement contre-révolutionnaire de la classe politique tunisienne et l’impossibilité de redresser la situation de plus en plus difficile dans laquelle se trouvent les travailleurs, les pauvres et les couches marginalisées dans les limites d’un système capitaliste aussi pourri.

    Cette situation fait suite à la montée des courants populistes et des forces de droite corrompues dans toutes leurs différentes tonalités et nuances, ce qui a abouti à une situation qui ne peut être décrite que comme une farce politique.

    Cela est d’autant plus vrai que la gauche est maintenant presque complètement absente de la scène politique et parlementaire, suite à la désintégration de la coalition du Front populaire. Le Front populaire, qui a été créé en 2012 par le désir de nombreux travailleurs et jeunes d’une véritable rupture politique avec l’ancien système, aurait pu connaître un sort différent et rester plus uni sur la base d’une voie révolutionnaire en maintenant une séparation saine entre les amis et les ennemis de la révolution. Au lieu de cela, la politique électorale à court terme est devenue l’axe central de cette coalition. Cela a déterminé à la fois ses relations avec les partis politiques bourgeois et ses relations entre ses différentes composantes internes. Cela a fini par atteindre un point de non-retour qui a entraîné une scission ouverte du Front et un effondrement électoral complet.

    La réalité politique actuelle, volatile et instable, à laquelle est confrontée la classe dirigeante tunisienne devrait être exploitée par les masses pour faire valoir leurs revendications et faire revivre les slogans qui ont animé la révolution depuis ses débuts : « travail, liberté et dignité nationale ». Ce que le Front populaire n’a jamais compris, c’est que la lutte contre le système mafieux est une nécessité révolutionnaire et non une option qui doit rester acceptable dans le cadre de la « transition démocratique ».

    Il est urgent de mettre en place un programme de lutte qui offre une alternative socialiste radicale aux politiques capitalistes et aux diktats des puissances impérialistes, qui offre une alternative à la dette et à la dépendance que ce système mafieux impose par la force aux masses. C’est le moyen le plus approprié et le seul possible pour rétablir le cours de la révolution commencée en Tunisie il y a dix ans. Cela doit être patiemment et systématiquement expliqué d’une manière adaptée aux besoins pratiques des masses et à leurs luttes permanentes de sorte que, comme l’a souligné Lénine, elles tirent de telles conclusions en évaluant leurs propres expériences.

  • « Normalisation » Soudan / Israël : au lieu de la paix, l’extorsion impérialiste et l’oppression nationale

    Stop à l’extorsion impérialiste du peuple soudanais ! Stop à l’occupation et à l’oppression des Palestiniens ! Pour la solidarité internationale et la lutte commune de la classe ouvrière et des pauvres contre le système capitaliste qui perpétue la pauvreté, l’oppression et les conflits nationaux ! Luttons pour une alternative socialiste !

    Déclaration conjointe de “Socialist Struggle” (section d’Alternative Socialiste Internationale en Israël-Palestine) et des partisans d’ASI au Soudan // Vous pouvez également accéder à cette déclaration en arabe et en hébreu.

    Le vendredi 23 octobre, une déclaration commune au nom des gouvernements des États-Unis, du Soudan et d’Israël a commencé par des éloges cyniques sur la façon dont “après des décennies de vie sous une dictature brutale, le peuple soudanais prend enfin les choses en main”. Suite à la décision de Trump de retirer le Soudan de la liste américaine des “États qui parrainent le terrorisme”, les États-Unis et Israël “ont convenu de s’associer au Soudan dans son nouveau départ”, et le Soudan et Israël ont déclaré entamer une “normalisation” progressive de leurs relations, en commençant par le plan économique. Les nouveaux alliés promettent également de faire progresser la “l’abandon de la dette” et “l’amélioration de la sécurité alimentaire” pour le Soudan. La déclaration se termine par les félicitations des signataires des trois pays pour leur “approche audacieuse et visionnaire”, et en particulier l’approche pragmatique et unique de Trump pour mettre fin à un vieux conflit et construire un avenir de paix et d’opportunités pour tous les peuples de la région.

    En réalité, ces représentants impopulaires d’oligarchies corrompues et oppressives enveloppent leur nouvelle alliance officielle d’une propagande de “paix” visant à renforcer leurs positions et à surmonter l’opposition populaire à leurs gouvernements. Dans le contexte de la pandémie, de la récession mondiale et des conflits mondiaux et régionaux qui font rage, ce nouvel accord est le produit d’un chantage impérialiste pur et simple de la part des gouvernements capitalistes américain et israélien. Ils ont profité de la fragilité de la situation politique au Soudan et de l’état calamiteux de son économie pour satisfaire leurs propres intérêts géopolitiques – ainsi que du besoin de Trump de réaliser un nouveau coup de publicité à l’approche des prochaines élections présidentielles.

    L’extorsion impérialiste du Soudan

    L’annonce de Trump sur le retrait du Soudan de la liste des “États qui parrainent le terrorisme” a été utilisée comme l’instrument ultime de cette opération de chantage. Cette décision est censée permettre au Soudan d’accéder pleinement aux prêts des agences financières internationales comme le FMI et la Banque mondiale. Il a été convenu en échange d’une compensation de 335 millions de dollars, par le gouvernement soudanais, aux familles des victimes américaines des attaques terroristes qui ont eu lieu dans les années 1990 sous la supervision du régime dictatorial d’Omar al-Bashir.

    Les travailleurs et les pauvres du Soudan ont souffert pendant de nombreuses années des sanctions américaines punitives en plus de la misère et de la tyrannie infligées par le régime d’Omar el-Béchir. Mais le gouvernement américain, bien sûr, n’offre aucune compensation pour les années de délabrement économique, ni pour le bombardement de l’usine a-Shifa en 1998. Pourtant, même l’accord de compensation n’a pas été suffisant pour l’administration Trump, qui a également posé comme condition l’établissement de relations officielles avec l’Etat israélien, révélant sans vergogne la manipulation de cette question pour imposer un accord par-dessus de la tête du peuple soudanais. Ce chantage ne cessera pas après cet accord de normalisation, car il implique des relations néocoloniales de soumission vis-à-vis de l’agenda des puissances impérialistes mondiales et régionales, les États-Unis et Israël, en plus de l’intervention en cours de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis.

    L’idée selon laquelle cet accord livrerait des avantages économiques substantiels aux travailleurs et aux pauvres soudanais n’est que poudre aux yeux. Ces arguments sont utilisés par la même élite politique et militaire qui a présidé à l’appauvrissement continuel de la société soudanaise au cours de l’année écoulée, marquée par une inflation record, un chômage en hausse, des pénuries croissantes de produits de base essentiels et une série de mesures anti-pauvres, telles que la suppression des subventions aux carburants. Ces politiques ont été encouragées par le FMI. Aujourd’hui, emprunter de l’argent sur les marchés internationaux ne fera qu’aggraver les problèmes, car cela est assorti de “conditions”. Malgré la suppression des sanctions internationales, le nouvel accord avec l’impérialisme américain facilitera l’exploitation économique du Soudan par les multinationales ainsi que l’extorsion financière par les spéculateurs étrangers.

    Nourrir les conflits régionaux et l’oppression

    Cette fausse paix de Trump ne représente qu’une couverture marketing pour des politiques visant à alimenter les conflits régionaux de ces dernières années par l’ingérence impérialiste, dont l’escalade délibérée du conflit avec l’Iran, le soutien à l’agression saoudienne et israélienne, et le lancement d’attaques contre les Palestiniens. Ce dernier point n’est même pas mentionné dans la déclaration conjointe signée par les dirigeants des Etats-Unis, d’Israël et du Soudan.

    Le nouvel ami des généraux soudanais, Netanyahu, a été le fer de lance d’innombrables attaques militaires contre la population de Gaza. Il porte la responsabilité du meurtre de manifestants et de civils palestiniens de tous âges. Il a poursuivi l’expansion des colonies israéliennes en Cisjordanie occupée et à Jérusalem-Est. Il est responsable de politiques racistes à l’encontre des citoyens arabo-palestiniens d’Israël. Nétanyahou n’a accepté que de “reporter” sa récente menace d’annexer officiellement de larges parties de la Cisjordanie à l’État israélien, tout en se vantant que son régime n’avait pas à faire de réelles concessions aux Palestiniens.

    Du côté soudanais, Al-Burhan est l’homme qui dirigeait le Conseil militaire l’année dernière lors du massacre de juin, lorsque des dizaines de manifestants révolutionnaires ont été impitoyablement assassinés, torturés et violés par les milices des Forces de soutien rapide (FRS), elles-mêmes héritières des Janjawids, tristement célèbres pour les crimes de génocide au Darfour (dans lesquels Al-Burhan lui-même était impliqué). Ces forces sont maintenant intégrées dans le “nouvel” appareil d’État prétendument “réformé”. Sous le régime d’al-Burhan et de ses partenaires civils au pouvoir, les FSR et d’autres mercenaires soudanais continuent également d’intervenir dans les guerres civiles du Yémen et de Libye, en accord avec les intérêts de l’Arabie saoudite et de ses alliés.

    Les “Accords d’Abraham” dirigés par Trump (une série d’accords de normalisation, à des degrés divers, entre le capitalisme israélien et les États arabes) sont conformes aux politiques réactionnaires de Trump, Netanyahu et des dirigeants arabes qui sapent la paix et les moyens de subsistance des masses pauvres et ouvrières du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord. L’irruption soudaine de ce processus régional a suivi le “deal of the century” (accord du siècle) de Trump. Ce prétendu “plan de paix” visant à résoudre le conflit israélo-palestinien revient à renforcer l’occupation israélienne et à couvrir les mouvements officiels de “normalisation” entre Israël et les États arabes.

    Ces nouveaux accords représentent une nouvelle étape dans un long processus de convergence stratégique entre les régimes capitalistes pro-américains israéliens et arabes, notamment autour de la rivalité commune avec le régime iranien. Ce processus est impopulaire parmi les masses arabes, principalement en raison de la solidarité massive contre l’oppression des Palestiniens. Mais les crises profondes et l’instabilité régionale auxquelles les régimes arabes sont confrontés ont poussé deux monarchies du Golfe, et maintenant le Soudan en tant que “maillon faible”, à saisir cette opportunité politique en échange d’avantages économiques et militaires promis par les États-Unis et Israël.

    La contre-révolution piétine des millions de Palestiniens

    Ainsi, la prétendue condition préalable essentielle à la normalisation fixée par la soi-disant “Initiative de paix arabe” de 2002 – le retrait israélien de la Cisjordanie et de Gaza, et la création d’un État palestinien avec sa capitale à Jérusalem-Est – est révoquée. C’est à Khartoum que la Ligue arabe a déclaré, après l’occupation impérialiste lors de la guerre israélo-arabe de 1967, “pas de réconciliation, pas de reconnaissance, pas de négociation” avec Israël. Même cette rhétorique anti-impérialiste ne visait pas à répondre aux intérêts des masses opprimées de la région, et les dirigeants de la Ligue arabe eux-mêmes n’y ont même pas pleinement cru. Le sort des masses palestiniennes a finalement été cyniquement exploité par les régimes réactionnaires arabes pour détourner et canaliser le mécontentement des masses arabes. Aujourd’hui, même cette prétention est abandonnée.

    La propagande impérialiste présente la nouvelle donne comme faisant partie d’un processus progressiste réalisé par la révolution soudanaise. Ce changement d’alliance a toutefois débuté il y a longtemps, sous le règne d’Al-Bachir. Le bilan de l’intervention israélienne dans les guerres civiles soudanaises et, plus tard, les frappes aériennes militaires attribuées à Israël sur le sol soudanais, n’ont pas dérangé l’ancien régime d’al-Bashir lorsqu’il a précisé, dès janvier 2016, qu’il souhaitait une normalisation avec Israël. Cela s’est fait dans le contexte d’un changement d’alliance avec l’Iran pour s’aligner sur l’axe régional dirigé par les Saoudiens. Le régime a alors cherché à surmonter les sanctions impérialistes internationales et américaines, et à obtenir un meilleur accès aux armes et aux technologies de sécurité israéliennes, tout comme son homologue du Sud-Soudan. Le régime de Netanyahou, pour sa part, a fait pression pour le régime d’al-Bashir à Washington et ailleurs.

    Après le renversement d’Al-Bachir, les généraux soudanais qui ont détourné la révolution, soutenus par l’Arabie Saoudite et les UAE, ont continué à examiner une alliance officielle avec Israël, dans le cadre d’un accord plus large avec l’impérialisme américain. Ainsi, le général al-Burhan a rencontré Netanyahu en février dernier, avec la participation des UAE. Ce n’est que la crainte d’une opposition populaire de la part de la branche civile du gouvernement soudanais qui a bloqué le mouvement. Mais à la fin, ils ont capitulé.

    Le nouvel accord signifie que le gouvernement soudanais fermera les yeux sur l’occupation israélienne et les crimes commis contre la population palestinienne en échange de faveurs économiques et politiques discutables. Nous n’avons jamais eu d’illusions envers le gouvernement antidémocratique soudanais concernant sa participation à la solidarité vis-à-vis de la lutte du peuple palestinien contre l’occupation. Avec cet accord, la classe dirigeante soudanaise a ouvertement exposé son véritable rôle contre-révolutionnaire. Elle a ouvertement rejoint la contre-révolution régionale en tant qu’ennemie de la lutte de libération palestinienne et de la lutte des masses de toute la région.

    Le danger pour les demandeurs d’asile

    Le gouvernement capitaliste israélien fait maintenant pression pour un accord visant à transférer au Soudan 6.285 demandeurs d’asile qui ont fui le Soudan vers Israël. Nombre d’entre eux ont été persécutés et ont subi un génocide durant les années du règne d’Al-Bachir. Ils ont été victimes de racisme de la part du régime de droite israélien qui utilise la logique de “diviser pour régner” envers les communautés locales appauvries. Pendant plus d’une décennie, une seule (!) de leurs 4.500 demandes individuelles d’asile politique a été approuvée. Des milliers d’autres ont été contraints par le régime israélien de quitter le pays sous la pression des emprisonnements, de la persécution et de la pauvreté, prétendument “volontairement”. Beaucoup ont fini par retourner au Soudan. Certains y ont été torturés, assassinés ou ont trouvé la mort en essayant à nouveau de fuir le pays.

    Malgré l’accord de paix officiel déclaré en août et finalisé en octobre entre le gouvernement de transition du Soudan et le “Front révolutionnaire soudanais” (SRF), une guerre civile fait toujours rage dans la région du Darfour, des attaques meurtrières contre des civils ayant été enregistrées ces dernières semaines. Tout retour forcé des demandeurs d’asile, y compris des enfants nés et élevés dans la société israélienne, ne ferait qu’infliger de nouveaux traumatismes et mettre davantage de vies en danger.

    Pas de mandat pour les généraux soudanais

    Cet accord de normalisation avec Israël ne fait que souligner davantage le fait que le gouvernement “transitoire” de Hamdok au Soudan ne parle pas au nom de la majorité du peuple soudanais, qui rejette massivement une telle démarche. Le processus de “normalisation” doit se traduire à ce stade par des relations officielles de faible niveau entre les deux États précisément en raison du manque de soutien démocratique au Soudan. Selon l’”Arab Opinion Index” 2019-2020, seuls 13 % des Soudanais interrogés sont favorables à la normalisation des relations entre le Soudan et le régime d’occupation israélien. Quelques heures après l’annonce de l’accord, des protestations spontanées ont éclaté dans plusieurs localités du Soudan, et d’autres ont suivi depuis lors.

    Cet accord fait suite à l’annonce du gouvernement soudanais selon laquelle la normalisation était du ressort du “Conseil législatif” (qui n’a pas encore été mis en place) et que, par conséquent, il n’irait pas de l’avant, selon le porte-parole officiel du gouvernement. L’accord expose complètement les manœuvres du gouvernement et ses mensonges continuels aux masses soudanaises.

    La confusion et l’apparente volte-face dans la prise d’une telle décision illustrent également les tensions entre les deux ailes du conseil de souveraineté conjoint, et l’équilibre des pouvoirs entre elles. L’accord de partage du pouvoir signé l’année dernière entre le Conseil militaire et les “Forces de la Déclaration de liberté et de changement”, auquel les partisans d’Alternative Socialiste Internationale au Soudan se sont fermement opposés dès le début, était un accord permettant aux militaires contre-révolutionnaires, liés aux crimes et aux guerres de l’ancien régime, de participer directement au gouvernement, de prendre des décisions politiques et de maintenir leur emprise sur la façon dont le pays est dirigé après le renversement d’Al-Bachir.

    Le fait que la timide “résistance” au processus de normalisation initialement affichée par l’aile civile du gouvernement ait été si rapidement contournée permet de savoir clairement qui détient réellement le pouvoir dans le pays. Le Premier ministre Hamdok, qui n’a cessé d’insister sur le fait que les autorités de transition n’avaient pas le “mandat populaire” pour mener à bien une telle décision, a complètement capitulé devant les généraux.

    Le gouvernement de Hamdok lui-même n’a jamais reçu de “mandat populaire” pour commencer. Certains des dirigeants des “Forces de la liberté et du changement” ont rejeté la décision de normalisation, menaçant même de mettre fin à l’arrangement gouvernemental actuel si l’accord se concrétisait. À vrai dire, cette décision n’aurait jamais dû être prise au départ ! Alors qu’ils ont apporté leur soutien aux politiques pro-capitalistes du gouvernement pendant plus d’un an, ces dirigeants craignent maintenant, pour de bonnes raisons, la réaction de la rue. Ils craignent que cet accord pourri ne jette une allumette sur les flammes de la révolte contre ce même gouvernement de plus en plus impopulaire, qui doit faire face à une opposition et une colère croissantes dans les rues pour son incapacité à répondre aux aspirations et aux exigences de la révolution de décembre.

    L’alternative internationaliste et socialiste

    Toutes celles et ceux qui aspirent à s’attaquer aux difficultés économiques des masses et aux schismes et conflits nationaux, ethniques et religieux dans la région doivent s’opposer à la campagne de “paix” régionale frauduleuse menée par Trump et l’impérialisme américain. Qu’est-ce que ce processus “normalise” ? Les relations entre un camp des classes dominantes qui défend ses propres intérêts étroits alors qu’il repose sur l’extorsion impérialiste, nourrit les conflits régionaux et renforce l’oppression des masses palestiniennes.

    La diplomatie secrète antidémocratique, les intrigues impérialistes et les régimes oligarchiques corrompus constituent une menace quotidienne pour la vie, la santé, les revenus, le bien-être et l’avenir des masses dans toute la région. Aux alliances entre les oligarchies de la région devrait s’opposer la solidarité inter-communautaire et internationale des mouvements de la classe ouvrière, des opprimés et des jeunes de toute la région.

    Les socialistes se battent pour les intérêts de la classe ouvrière et des masses opprimées de toutes les nations, pour un bon niveau de vie, des droits démocratiques pleins et égaux et la paix. Nous sommes favorables à la poursuite de la révolution au Soudan sur la base des aspirations des masses à un changement réel. Nous appelons à s’opposer sans relâche à l’oppression des masses palestiniennes et à soutenir leurs aspirations démocratiques à la libération nationale de l’occupation militaire, du siège et de l’agression, des colonies de peuplement, de l’asservissement économique et de la suppression des droits par le capitalisme israélien. C’est aussi la seule façon pour les travailleurs et les pauvres israéliens – qui ont lutté face à la crise capitaliste actuelle – de trouver une issue à un conflit sanglant, pour le remplacer finalement par une paix véritable, sur base de droits égaux à l’existence, du droit à l’autodétermination, à la démocratie et à un niveau de vie élevé. En outre, nous sommes solidaires des demandeurs d’asile qui ont fui le Soudan et nous demandons la reconnaissance de leurs droits, y compris un retour au Soudan uniquement sur une base volontaire.

    La transformation globale et urgente de la vie de centaines de millions de personnes dans la région ne peut être réalisée sur la base du système d’exploitation en crise du capitalisme, des grands propriétaires et de l’impérialisme. Il appartient à la classe ouvrière et aux opprimés de la région de s’organiser en partis politiques indépendants de lutte autour d’une stratégie socialiste de sortie de la crise, du conflit et de la misère de masse du capitalisme. En tant que membre d’Alternative Socialiste Internationale, nous nous engageons à faire avancer la lutte pour renverser les oligarchies corrompues. Le contrôle de toutes les ressources naturelles, des banques et des principales méga-corporations locales et impérialistes doit être pris en main par le secteur public, pour permettre une transition vers le contrôle démocratique, la planification et l’exploitation des ressources, des richesses et des technologies au service de tous, plutôt que pour l’enrichissement et les luttes de pouvoir et les guerres des élites de la région.

  • Vague de grève en Iran : Solidarité avec les luttes ouvrières !


    Depuis le début du mois d’août, des grèves importantes ont eu lieu dans plus de 50 entreprises à travers le pays, en particulier dans le Sud riche en pétrole. Des entreprises pétrolières, gazières et pétrochimiques ont été touchées alors qu’elles représentent un secteur clé de l’économie iranienne.

    Par Nina Mo, SLP, section autrichienne d’ASI

    Après l’apparition du COVID-19 en Iran, il a semblé un certain temps que la contestation faiblissait, Mais elle a refait surface en dépit de la répression brutale. La lutte est passée des confrontations de rue aux lieux de travail, ce qui constitue une nouvelle étape importante pour le développement d’un nouveau mouvement de travailleurs indépendants en Iran.

    Les conditions de vie de la classe ouvrière deviennent de plus en plus précaires et insupportables, ce qui est le contexte derrière ces nouveaux mouvements de grève. Avec la nouvelle crise, dans de nombreuses entreprises, les salaires ne sont tout simplement pas payés depuis des mois. Il existe un nombre choquant d’entreprises dans lesquelles le niveau moyen des salaires ne représente qu’un tiers du seuil de pauvreté officiel. La semaine dernière, quatre travailleurs sont morts dans un accident minier dans la province de Kerman. Les travailleurs n’avaient pas reçu l’équipement de protection nécessaire. Ce type d’accident est fréquent dans le pays.

    L’un des éléments déclencheurs de la vague de grève dans l’industrie a été la mort d’un travailleur contractuel début août dans une usine pétrochimique, ce qui a provoqué des protestations contre les conditions de travail dans tout le secteur. Les conditions de travail sont souvent catastrophiques et très dangereuses, la majorité des travailleurs dans de nombreuses industries sont employés sous contrat temporaire. Cette lutte a également touché des travailleurs de l’un des plus grands gisements de gaz naturel au monde, un projet dans lequel diverses multinationales sont également impliquées.

    Ces luttes sont souvent caractérisées par une très forte détermination. Dans une raffinerie d’Ispahan, des colonnes de forces de sécurité ont bloqué les portes pour empêcher les travailleurs en grève de sortir manifester, mais elles ont été littéralement débordées par les travailleurs. L’émergence de la classe ouvrière sur la scène de la lutte est un élément clé pour les mois et années à venir. Cela aggravera la crise du régime, d’autant plus que les revendications économiques dominantes sont souvent directement liées aux revendications politiques, les employeurs étant souvent directement liés au régime au travers du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI).

    En outre, ces dernières semaines et ces derniers mois, il y a eu des grèves de mineurs, des manifestations de retraités, des grèves de cheminots, de chauffeurs de bus, d’enseignants et de nombreux autres, tous prêts à risquer l’emprisonnement et la torture.

    La grève de Haft Tappeh continue – maintenant plus de 90 jours

    La grève des travailleurs de Haft Tappeh, qui dure depuis la mi-juin, est un exemple pour les travailleurs de tout le pays qui veulent passer à l’action. Il s’agit de la plus longue grève de leur histoire. Leurs revendications comprennent le paiement immédiat des salaires impayés, le licenciement du propriétaire corrompu et la nationalisation de l’entreprise. Ils demandent également la réintégration des travailleurs licenciés et l’extension de leur assurance maladie. Seuls certains des travailleurs de Haft Tapeh ont reçu un salaire cette année. Les affirmations de l’employeur corrompu et des autorités selon lesquelles ils ne connaissaient pas les revendications des travailleurs de Haft Tappeh les ont contraints à poursuivre leur grève sous la forme de manifestations quotidiennes. La situation des travailleurs de Haft Tapeh est représentative de la détérioration permanente de la situation de millions de travailleurs iraniens.

    Les travailleurs de Haft Tappeh ont été constamment intimidés par l’administration et le système judiciaire, certains des grévistes et des syndicalistes de premier plan ont été arrêtés à maintes reprises. En même temps, le régime, poussé par la peur, a récemment tenté d’apaiser les travailleurs en envoyant une délégation parlementaire à l’usine et a invité le syndicat indépendant à une réunion avec une commission parlementaire. Lors de sa visite à Haft Tappeh, la délégation a été confrontée au discours d’un syndicaliste qui a directement attaqué le régime pour cela et pour l’emprisonnement des grévistes.

    Si les travailleurs franchissent l’étape suivante et, comme annoncé, occupent à nouveau l’usine, cela signifierait une nouvelle étape d’escalade et conduirait à une dure confrontation avec le régime. Cela signifierait également la nécessité d’une solidarité massive entre les travailleurs en Iran et au niveau international.

    Et ensuite ?

    Dans cette situation désespérée, le régime a cherché le salut dans un accord avec la Chine. Dans le cadre d’un accord de “partenariat stratégique”, la Chine devait investir 400 milliards de dollars en Iran au cours des 25 prochaines années et obtenir un “accès privilégié” au marché iranien. En retour, l’accord prévoyait que la Chine recevrait de l’Iran du pétrole bon marché. La coopération militaire entre les deux pays devait également être approfondie. Mais il y a une résistance massive à cela, même au sein des factions de la bourgeoisie iranienne, ce qui illustre que les divisions prennent de l’ampleur au sein de la classe dirigeante.

    Récemment encore, les protestations en ligne contre les exécutions, la répression et la torture ont augmenté. Les manifestants emprisonnés des manifestations de 2019/2020 risquent d’être exécutés. Alors que la répression augmente, la colère augmente aussi. Le président du Syndicat libre des travailleurs iraniens, Jafar Azimzadeh, est l’un des travailleurs persécutés et arrêtés, comme d’autres syndicalistes. Après qu’il ait entamé une grève de la faim à la mi-août, les travailleurs en grève ont multiplié les protestations et les pressions pour sa libération.

    Les récentes grèves et protestations ont été mieux coordonnées qu’auparavant. Selon une déclaration commune de la mi-août de 50 organisations indépendantes de travailleurs, associations d’enseignants, associations d’étudiants, publications et associations de retraités, qui soutiennent les grèves et les protestations des travailleurs de Haft Tappeh, Hepco et des industries pétrolière, gazière et pétrochimique :

    “Nous, les signataires de cette déclaration, déclarons que dans la crise économique actuelle de ce pays, il est très naturel et attendu que de plus en plus de travailleurs et de groupes opprimés se joignent à ces grèves ; la crise qui fait perdre patience à tous les gens provient des privatisations, de la déréglementation des prix, de la dégradation des conditions de vie des travailleurs, les poussant au bord de la mort (et pas seulement de la pauvreté), du non-paiement même des salaires de misère, etc. Il est clair que pour que ces grèves se développent et aboutissent à leurs revendications dans ces circonstances critiques, les travailleurs en grève doivent être capables de s’organiser et de s’unir plus que tout autre chose, et de poursuivre la question sérieuse et à haut risque de la formation d’organisations autonomes basées sur la volonté et la capacité des travailleurs”.

    Mais il est clair que la plupart des lieux de travail n’ont pas la force militante des travailleurs de Haft Tappeh et de la communauté qui les soutient. C’est pourquoi la création et la coordination de comités de grève dans tout le pays sont nécessaires. Cela pourrait également être la première étape de la création d’un nouveau parti révolutionnaire indépendant de la classe ouvrière. La tâche principale de la prochaine période sera d’organiser d’autres grèves et une grève générale afin d’arracher des droits fondamentaux pour les travailleurs, la nationalisation de l’industrie et de toute l’économie sous le contrôle des travailleurs et aussi de construire un mouvement puissant afin de renverser le régime.

  • Liban. La colère des masses amplifie la crise politique suite aux explosions de Beyrouth

    Par Serge Jordan, Alternative Socialiste Internationale

    ‘’Auparavant les Libanais étaient en colère parce qu’ils n’avaient ni argent ni d’électricité. Maintenant ils n’ont pas de fenêtres et beaucoup n’ont pas de maison. S’il n’y pas de pain, le peuple sera forcé d’user de la violence. Pas d’électricité, de maison et de pain ? C’est une révolution”. Business Insider cite Abu Fadi, ancien officier militaire

    La gigantesque explosion qui a secoué le cœur de Beyrouth n’a pas uniquement dévasté d’importantes parties de la ville. Elle a également déclenché une réaction furieuse du peuple libanais contre leur classe dirigeante corrompue et incompétente, avec des dizaines de milliers de personnes qui ont inondé les rues de la capitale quelques jours seulement après l’explosion, occupant même momentanément des bâtiments ministériels.

    L’apparition du slogan ‘‘Démission ou pendaison’’ et de faux gibets en disent long sur l’ambiance qui règne sur le terrain. La rage des Libanais contre “leur” gouvernement est si profonde que pratiquement aucun ministre ou haut fonctionnaire n’a osé montrer son visage dans les rues après l’explosion.

    Lorsque le milliardaire et ex-premier ministre Saad Hariri s’est aventuré sur les lieux de l’explosion, son convoi fût bombardé par des manifestants en colère.

    Le Premier ministre Hassan Diab est rapidement devenu le capitaine d’un navire sombrant, que les rats ont commencé à quitter à un rythme accéléré. Sous une pression énorme, il a finalement offert la démission de son gouvernement le 10 août, une semaine après l’explosion. Il a également offert le pathétique spectacle de dénoncer la corruption et la criminalité d’une élite politique, dont il fait pourtant les éloges depuis neuf mois. Pendant tout ce temps, il a supervisé la descente progressive du Liban vers l’effondrement économique. L’explosion dévastatrice de la semaine dernière a tout à la fois scellé le sort de ce gouvernement et donné un nouvel élan au mouvement révolutionnaire qui a éclaté en octobre dernier.

    Pas un simple accident

    Aucun mot ne peut exprimer correctement la dévastation subie par les habitants de Beyrouth à la suite de cette explosion, l’une des plus grandes explosions non nucléaires de l’histoire. Plus de 200 personnes ont été tuées, des dizaines sont toujours portées disparues et des centaines de milliers de vies ont été bouleversées.

    12 % des habitants de la ville, dont jusqu’à 80 000 enfants, se sont retrouvés sans abri en l’espace de quelques secondes. Le port, point d’entrée stratégique pour les importations vers le Liban mais aussi vers la Syrie et la Jordanie, a été réduit en miettes.

    Les infections et les décès dus au COVID-19 sont en augmentation et parmi les nombreuses conséquences de l’explosion, on constate notamment la destruction partielle d’une infrastructure hospitalière déjà débordée et la pénurie accrue de fournitures médicales.

    Le principal ingrédient à l’origine de cette catastrophe ne fait aucun doute : le stockage dangereux et totalement irresponsable de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium dans un entrepôt portuaire pendant près de sept ans. Le président du pays, Michel Aoun, a laissé entendre qu’une ingérence étrangère à l’aide d”un missile ou d’une bombe” aurait pu être le détonateur. Le Liban a une histoire chargée d’ingérence impérialiste et a connu plusieurs séries de destruction et de bombardements – plus particulièrement de la part du régime israélien, qui a régulièrement menacé de renvoyer le pays à l’âge de pierre. Mais il y a peu de preuves pour soutenir cette explication qui ressemble plus à une tentative de détourner la faute de la simple négligence d’une classe dirigeante impuissante et corrompue. Le gouvernement de Diab, c’est dorénavant certain, a été informé au moins deux semaines avant l’explosion de la présence de ce matériau combustible à proximité des zones résidentielles de la capitale et des principaux silos à grains du pays – mais n’a rien fait à ce sujet.

    Une enquête menée par le gouvernement est en cours, censée déterminer les circonstances exactes de ce qu’il s’est passé. Mais aucun résultat digne de ce nom ne peut émerger des enquêtes menées par les criminels sur leurs propres crimes ! Au mieux, cette enquête conduira à l’arrestation de quelques “petits coups” afin d’apaiser la colère populaire ; mais elle s’arrêtera inévitablement avant d’atteindre les portes du pouvoir.

    Seule une enquête indépendante d’un établissement politique et judiciaire totalement indigne de confiance, ainsi que des pouvoirs extérieurs qui ont soutenu diverses factions dudit établissement pendant de nombreuses années, peut faire toute la lumière sur les plus hauts niveaux de responsabilité et rendre la justice. Une telle enquête devrait impliquer des représentants élus des travailleurs portuaires et douaniers, ainsi que des représentants des familles des victimes. Mais à terme, elle devrait être assistée par le levier de la lutte de masse pour pouvoir demander des comptes au véritable coupable : le système capitaliste et ses représentants.

    Un système pourri jusqu’à la moelle

    Cette explosion totalement évitable est le point culminant d’un processus de décadence et d’une mauvaise gestion accrue, qui dure depuis des décennies et que le Liban a connu à la suite du pillage néo-libéral entrepris par une bande corrompue d’hommes politiques et d’anciens seigneurs de guerre, banquiers et hommes d’affaires. Comme l’a écrit le journaliste Karim Traboulsi dans The New Arab : ‘’Une semaine sur deux, un scandale similaire se produit au Liban, impliquant une fraude financière commanditée par le gouvernement, un carburant trafiqué pour les centrales électriques, la vente de viande avariée sur le marché, des prix excessifs, la mauvaise gestion des déchets, la pollution toxique de l’eau, la sécurité routière et, plus récemment, la mauvaise gestion du Covid-19. Tout cela implique des acteurs politiquement liés, connus de tous les Libanais. Mais cette explosion est la mère de tous les scandales”.

    Cette catastrophe est marquée par les empreintes digitales du capitalisme. L’histoire de l’arrivée de la substance chimique dangereuse dans le port de Beyrouth est elle-même très révélatrice. La marchandise a été transportée sur un navire russe qui s’est rendu à Beyrouth sous un pavillon moldave, en utilisant la pratique des “pavillons de complaisance” qui permet aux armateurs de maximiser leurs profits en contournant les règles de sécurité et en réduisant les impôts, les assurances et les salaires. C’est cette même course aux profits qui fait aujourd’hui monter le prix du verre au Liban, alors qu’une poignée de capitalistes se font sans vergogne de l’argent grâce à la destruction généralisée des biens des gens.

    La chute du gouvernement de Diab est insuffisante

    Le cabinet d’Hassan Diab est le deuxième en moins d’un an à être renversé par la colère du mouvement de masse. Son bilan épouvantable devrait briser l’illusion qu’un “gouvernement technocratique” – une revendication qui a eu un certain retentissement dans les rues du Liban l’année dernière – peut régler les problèmes du pays et répondre aux aspirations de changement du peuple libanais. Derrière les soi-disant experts indépendants se trouvaient les partis établis, plus particulièrement le groupe chiite Hezbollah et ses alliés, qui possèdent le plus grand bloc parlementaire. Le ministre de l’économie se trouve être le directeur général exécutif d’une des plus grandes banques du pays ! La prétendue “indépendance” de ces ministres n’avait pour but que de détourner et d’apprivoiser le mouvement révolutionnaire.

    En outre, Hassan Diab occupe désormais une fonction de “gardien” en attendant la formation d’un nouveau cabinet. Les négociations qui souligneront ce nouveau processus verront les parties mêmes renversées par la lutte révolutionnaire d’octobre dernier, notamment le “Courant Du Futur” sunnite de Saad Hariri et de ses alliés, qui se battent en coulisses pour obtenir de nouvelles positions et une nouvelle influence. Mais comme le dit le slogan populaire qui a résonné dans tout le Liban, “Tous, c’est tous” : les travailleurs et la jeunesse du pays se sont soulevés au cours de l’année dernière pour déraciner toute la classe dirigeante pourrie et son régime sectaire, et ne se contenteront pas facilement d’un simple recyclage de vieux visages poursuivant les mêmes politiques ruineuses. La récente catastrophe aura sans aucun doute approfondi ce sentiment.

    Le président français Emmanuel Macron a rapidement compris les implications politiques de cette situation, et s’est empressé d’être le premier dirigeant international à visiter Beyrouth dévastée après l’explosion. Ayant probablement tiré les leçons de l’expérience humiliante de l’ancien président Nicolas Sarkozy au moment du “printemps arabe” – lorsque les liens étroits de l’impérialisme français avec les régimes de Ben Ali et de Kadhafi ont été mal exposés – Macron ne voulait pas manquer une bonne occasion de faire un coup de publicité, en étant pris en photo du côté du peuple et en dénonçant la corruption. Derrière cette posture, Macron veut aussi exploiter l’aide promise au Liban comme un instrument de chantage pour imposer de vastes “réformes” bénéfiques au capital français.

    Pourtant, la France n’est pas seule dans ces manœuvres. Le Liban a toujours été un carrefour des intérêts des puissances impérialistes et régionales. Ces forces extérieures ont alimenté la lutte de pouvoir intérieure entre les factions sectaires concurrentes afin de faire avancer leur propre programme, au Liban et dans le grand Moyen-Orient. Alors que le régime iranien est aux prises avec sa propre crise économique, il n’est pas en mesure d’acheminer une aide financière substantielle pour la reconstruction du Liban afin d’affirmer son influence, comme il l’a fait par exemple après la guerre israélienne de 2006 contre le Hezbollah. Les États impérialistes occidentaux et les monarchies sunnites du Golfe, bien qu’ayant tous leur propre programme, espèrent que cette fenêtre d’opportunité ainsi que la colère qui couve dans les rues de Beyrouth pourront être utilisées à leur avantage afin d’apaiser le Hezbollah et l’Iran. “Certains d’entre nous espèrent que nous pourrons enfin profiter de la situation pour secouer les élites politiques là-bas”, a déclaré un fonctionnaire américain au Wall Street Journal. Conformément à cette stratégie, le gouvernement américain se prépare à imposer une nouvelle série de sanctions contre les hommes politiques et les hommes d’affaires libanais associés au Hezbollah.

    Si les masses protestantes au Liban ont légitimement dépouillé le Hezbollah de son masque et l’ont exposé aussi fermement du côté des corrompus et des puissants, elles n’ont rien à gagner de ces sinistres calculs impérialistes non plus. À moins que le mouvement révolutionnaire ne construise sa propre expression politique indépendante, en rejetant de manière égale le triple fléau de l’exploitation capitaliste, de l’ingérence impérialiste et du sectarisme religieux, le danger est réel que la lutte légitime des travailleurs, des jeunes chômeurs et des classes moyennes du Liban soit détournée pour les jeux de pouvoir des dirigeants. Pour éviter que le vide politique actuel ne soit comblé par l’issue d’une nouvelle bataille de factions entre les cliques sectaires corrompues et leurs bailleurs de fonds étrangers, ou par un nouveau cabinet d’”experts” sélectionnés pour leur soumission au statu quo, il faudra que le mouvement de masse s’organise autour de sa propre alternative politique et se donne les moyens de l’imposer.

    Construire une lutte unie pour un Liban socialiste et démocratique

    L’une des caractéristiques de la “révolution d’Octobre” a été sa capacité à percer le brouillard des divisions sectaires, en unissant l’action des personnes de tout horizon contre toutes les ailes sectaires de la classe dominante – et contre le sectarisme lui-même. Cependant, ce dernier fait partie intégrante de l’ADN de tous les grands partis politiques établis au Liban, ainsi que de la vieille boîte à outils de l’impérialisme pour se frayer un chemin dans la région. Tant pour briser la résistance de classe que comme base d’un système étendu de clientélisme, le système de partage du pouvoir religieux a contribué au pillage des richesses du pays par l’élite capitaliste pendant des décennies. Cela signifie que les luttes contre le sectarisme et contre le capitalisme sont organiquement liées l’une à l’autre, ou seront vouées à l’échec.

    La création d’un parti ouvrier non sectaire et la reconstruction d’un mouvement syndical véritablement militant, indépendant de tous les partis sectaires pro-capitalistes, devraient figurer en tête de liste des priorités de cette lutte. La Confédération générale officielle des travailleurs libanais (la principale confédération syndicale) a connu un processus d’évidement et de dégénérescence à travers des années de corruption et d’infiltration par des larbins sectaires, ce qui explique son absence manifeste depuis le début du mouvement révolutionnaire l’année dernière.

    Les travailleurs et les pauvres libanais ont appris à la dure qu’ils ne peuvent compter que sur leurs propres initiatives et leur propre force s’ils veulent que les choses se fassent. L’explosion de la semaine dernière à Beyrouth a souligné une fois de plus cette amère vérité. Contrairement à la cupidité et à l’incompétence impitoyable de l’élite capitaliste, les rues de la capitale ont été le théâtre d’innombrables scènes de solidarité spontanée de la classe ouvrière et de sacrifices désintéressés de la part des habitants et des bénévoles locaux qui prennent les choses en main pour déblayer les décombres, organiser l’aide aux personnes dans le besoin, etc. Entre-temps, l’État s’est fait remarquer par son absence, ses fonctions étant réduites à leur plus simple expression, à savoir: exercer une violence brutale contre les opprimés pour protéger les intérêts de la classe dirigeante. D’où les tirs de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc sur les manifestants, d’où le vote quasi unanime au Parlement, avec un seul député contre, le 13 août, pour un état d’urgence généralisé qui donne des pouvoirs répressifs étendus à l’armée. Ce geste antidémocratique marque la préparation de la classe dirigeante libanaise à l’éventualité de flambées révolutionnaires plus graves, et souligne pourquoi il est vital et urgent de donner une expression plus organisée à la colère généralisée qui existe dans la société si l’on veut parvenir à un véritable changement.

    Dans l’immédiat, des comités d’aide organisés démocratiquement pourraient superviser la distribution de l’aide dans les quartiers et s’assurer que l’aide matérielle dont on a désespérément besoin n’est pas détournée par des fonctionnaires corrompus. Cependant, la charité et la solidarité entre les Libanais ordinaires ne peuvent aller aussi loin si les ressources économiques du pays et les leviers du pouvoir de l’État continuent d’être contrôlés par une poignée de parasites qui rançonnent le pays tout entier. C’est pourquoi il est tout aussi important de mettre en place, dans tous les secteurs, sur les lieux de travail et dans les communautés locales, des comités d’action pour structurer et préparer une lutte politique de masse visant à arracher le pouvoir au capitalisme, le système qui a permis à cette minuscule minorité d’accumuler des fortunes colossales tout en semant la faim, la pauvreté, la maladie, la destruction et la répression au reste de la population.

    L’énorme dette de l’État, dont le secteur bancaire a tiré des bénéfices massifs au fil des ans, devrait être totalement désavouée, de même que toutes les politiques d’austérité et de lutte contre la pauvreté, justifiées par la nécessité de la rembourser. Des contrôles des prix devraient être imposés sur la nourriture, les fournitures médicales, les matériaux de construction et autres produits de première nécessité. Toutes les banques et les institutions financières devraient être placées sous contrôle public et leurs livres de comptes devraient être ouverts à l’examen du public. La richesse des millionnaires et des milliardaires du Liban, construite grâce à la corruption, à la spéculation et au racket financier, devrait être saisie, et l’économie devrait être planifiée démocratiquement pour répondre aux besoins de la majorité : nourrir et loger les pauvres et les sans-abris, investir dans les soins de santé et les services publics, reconstruire de fond en comble les infrastructures du pays qui s’effondrent… Si les travailleurs et la jeunesse révolutionnaires du Liban s’arment d’un programme de revendications socialistes de ce type, leur lutte pourrait rapidement recueillir un plus grand soutien et inspirer des millions de personnes dans toute la région à suivre le mouvement.

  • Explosion à Beyrouth. Solidarité avec le peuple libanais – dégageons l’élite corrompue !

    L’énorme explosion qui s’est produite au cœur du port de Beyrouth, la capitale libanaise, a choqué de nombreuses personnes partout dans le monde. Elle a fait de nombreuses victimes.

    Par Yassine Laabadi, Tayaar al-`Amael al-Qa’aedi — Section tunisienne d’ASI

    L’énorme explosion qui s’est produite hier soir au cœur du port de Beyrouth, la capitale libanaise, a choqué de nombreuses personnes dans le monde entier. Elle a fait de nombreuses victimes. On a vu se manifester une grande solidarité sur les réseaux sociaux dans de nombreux pays du monde, en particulier après que les photos et le bilan publiés par les médias ont révélé l’ampleur de la dévastation, avec des centaines de morts, des milliers de blessés et d’immenses dégâts matériels, notamment la destruction de nombreux bâtiments résidentiels, administratifs et commerciaux. Plus de 300.000 personnes sont à présent sans abri.

    Bien que les causes exactes de l’explosion ne soient pas encore connues, le fait que près de 3.000 tonnes de nitrate d’ammonium mortel aient été stockées dans un hangar portuaire pendant six ans malgré l’immense danger que cela représentait pour la population de Beyrouth est symptomatique de la décrépitude, de la corruption et du dysfonctionnement de l’État libanais. Cet évènement montre aussi à quel point la lutte révolutionnaire initiée par les jeunes et les travailleurs du pays en octobre dernier est nécessaire et légitime.

    Cette tragique explosion se déroule en effet dans le contexte exceptionnel du mouvement social de masse qui ébranle le Liban depuis octobre dernier. Ce mouvement exige la fin du système au pouvoir qui nourrit la corruption, le sectarisme, la pauvreté et l’endettement, enrichissant une poignée de politiciens et de banquiers voleurs tout en plongeant le pays dans la faillite.

    Il y a quelques mois, le gouvernement libanais a déclaré son incapacité à payer ses dettes, avant de lancer une nouvelle série de mesures d’austérité. Malgré la détermination du peuple libanais, la classe dirigeante libanaise tente de le mettre à genoux en recourant à la répression et en suscitant davantage de conflits intercommunautaires. Tout ceci vient s’ajouter à la large propagation du coronavirus, laquelle a, à son tour, considérablement aggravé la crise économique du pays.

    Il nous faut donc de toute urgence nous tenir aux côtés du peuple libanais dans cette nouvelle épreuve, en lui exprimant notre soutien et notre solidarité internationales. Le port de Beyrouth, qui représente 70 % du commerce du pays, est complètement détruit. Parmi les pertes, on compte les silos à céréales, ce qui expose le pays à une grave crise alimentaire. Même avant cette tragédie, les pénuries et la cherté des médicaments, des denrées alimentaires et des autres produits de première nécessité, ainsi que les coupures régulières d’électricité et d’eau, étaient déjà de graves problèmes pour les pauvres, pour la classe prolétaire et, de plus en plus, pour la classe moyenne. Désormais, ce sera encore pire.

    Plusieurs hôpitaux ont été détruits suite à l’explosion ; d’autres ont eu leur électricité coupée, tout comme une grande partie de la ville, ce qui les a forcés à traiter les blessés dans la rue, avec des moyens rudimentaires. En l’absence de courant, de nombreux blessés sont morts dans les unités de réanimation. De nombreuses opérations urgentes se font maintenant dans les rues à l’aide de générateurs électriques.

    Notre groupe Alternative socialiste internationale (ASI) affirme sa solidarité totale avec le peuple libanais dans sa détresse, et son soutien inconditionnel à sa lutte révolutionnaire vivante.

    Nous appelons la population du monde entier à exiger l’ouverture d’une enquête complète, transparente et indépendante pour déterminer les circonstances exactes de l’explosion et les causes réelles de cette tragédie, et demander des comptes à toutes les parties concernées.

    Nous demandons que tous les secours soient organisés, contrôlés et distribués par le peuple libanais lui-même, en mettant en place des comités de solidarité dans tous les quartiers touchés, pour veiller à ce que l’aide parvienne bel et bien à ceux qui en ont besoin, plutôt que d’être détournée vers les poches des politiciens, des bureaucrates et des hommes d’affaires corrompus.

    Nous renouvelons notre appel à une solidarité internationale généralisée avec la lutte actuelle des masses libanaises et à la répudiation complète de la dette du Liban.

    Nous demandons que les banques et les entreprises de construction soient immédiatement nationalisées et placées sous le contrôle démocratique des travailleurs et de la population, afin d’interdire que quiconque tire profit du malheur des victimes et de la reconstruction.

    Nous appelons à construire des organes de combat politique pour les travailleurs et les jeunes du Liban et du monde entier, pour lutter ensemble pour le socialisme en tant qu’alternative naturelle à ce monde fait de guerre, d’exploitation, de destruction et d’épidémies.

  • Iran : La crise économique et politique s’intensifie


    La déclaration récente de l’ancien commandant du Corps des gardiens de la révolution islamique (IRGC), Alireza Alavi-Tabar, selon laquelle “si la situation actuelle se poursuit, le peuple se soulèvera et le gouvernement sera confronté à une révolution ou à un effondrement, ce que nous devons dissuader à tout prix”, montre à quel point l’élite dirigeante iranienne craint la poursuite des luttes des travailleuses et travailleurs.

    Par Nina Mo, SLP (section autrichienne d’ASI)

    Les effets néfastes du COVID-19 ont entraîné une aggravation de la crise économique et politique en Iran. Alors que les divisions au sein du régime s’intensifient, la classe ouvrière et les pauvres souffrent de la crise sanitaire, de la répression et de la croissance du chômage et de la pauvreté. Bien que les protestations d’une partie des masses aient été paralysées dans une certaine mesure par la crise du coronavirus, d’autres secteurs de la classe ouvrière ont poursuivi leurs luttes et leurs grèves au cours de ces derniers mois.
    La crise du COVID-19 continue

    Comme beaucoup d’autres pays, l’Iran est confronté à une nouvelle vague d’infections du COVID-19. En juillet, le nombre d’infections et de décès a atteint un nouveau sommet. Après avoir menti pendant des mois sur l’impact du virus et avoir réagi beaucoup trop tard, le régime a rouvert les magasins et les marchés en avril et, depuis lors, le confinement a pratiquement pris fin, sans qu’aucune mesure ne soit adoptée pour assurer la sécurité de la population. Le gouvernement a conditionné la réouverture à des “protocoles sanitaires”, mais les mauvaises conditions de vie et de travail ainsi que le manque d’accès aux équipements de sécurité ont provoqué une augmentation des infections.

    Malgré cette situation, il y a eu encore plus de coupes budgétaires et de licenciements dans le secteur de la santé et dans les hôpitaux. Au moins 500 travailleurs de la santé dans la province de Mashhad, 600 à Gilan et à l’hôpital Atieh de Téhéran, ainsi que 500 infirmières ont été licenciés au cours des derniers mois. La crise économique frappe très durement le secteur de la santé et le secteur social. Le nombre d’infirmières infectées – et qui meurent – par manque d’équipements de sécurité est toujours en augmentation. La plupart des travailleuses et travailleurs de la santé sont sous-payés et ont des contrats temporaires. Cette crise des soins de santé entraînera encore plus de décès et une propagation incontrôlable du virus.

    L’impact de la crise économique

    La chute rapide des prix du pétrole, combinée à la baisse massive générale des revenus pétroliers, a eu un impact important sur l’économie iranienne. Celle-ci se trouvait déjà dans une situation critique. La monnaie, le Rial, a perdu 50 % de sa valeur, ce qui a entraîné de nouvelles hausses de prix pour quasiment tous les biens. Actuellement, un petit achat au supermarché peut coûter plus d’un million de Rials, soit l’équivalent de 24 dollars américains. De nombreux employés, retraités et même propriétaires de petites entreprises vivent sous le seuil de pauvreté absolue.

    Au moins deux millions de travailleurs de secteurs tels que la construction, les services, le tourisme, le commerce de détail, etc. devraient perdre leur emploi, des centaines de milliers sont déjà au chômage. Le centre de recherche du parlement iranien a lui-même estimé que 12 à 27% des travailleuses et travailleurs perdront leur emploi de manière temporaire ou permanente. Beaucoup parmi elles et eux ne recevront pas d’allocations de chômage.

    Parmi les raisons de la dernière vague de protestations contre le régime, de la fin 2017 aux révoltes de novembre 2019, figurent les difficultés économiques telles que l’augmentation des prix, les salaires impayés, etc. Le régime craint donc une nouvelle explosion de colère. Il est frappant que l’ancien commandant du Corps des gardiens de la révolution islamique (IRGC), Alireza Alavi-Tabar, ait récemment déclaré que “si la situation actuelle se poursuit, les gens se soulèveront et le gouvernement sera confronté à une révolution ou à un effondrement, ce que nous devons dissuader à tout prix”.

    Les partisans de la ligne dure du régime tentent de tirer profit de cette situation, accusant Rouhani de “trahison contre le peuple”. Rouhani et son camp politique sont dans une crise profonde, ils gèrent mal la crise du COVID-19. Les forces ultra-conservatrices pourraient gagner un certain soutien lors des élections parlementaires de février, mais c’est l’ensemble du régime qui est confronté à une crise de légitimité.

    Cela s’est déjà exprimé par la répression étatique brutale lors de la dernière vague de protestation, qui a tué au moins 1.500 manifestants, et que le régime poursuit encore. Ces dernières semaines, des manifestants ont été condamnés à mort par la Cour suprême. Les travailleuses et travailleurs, les féministes, les syndicalistes et les autres activistes sont de plus en plus souvent arrêtés et torturés. Le régime veut faire une démonstration de force en illustrant qu’il a vaincu les manifestations de 2017-2019 en recourant à de telles arrestations et exécutions. Nombre des travailleuses et travailleurs et activistes sont désormais connus, symbolisant la jeune génération ouvrière qui a commencé à se révolter contre le régime. Il faut organiser la solidarité internationale contre ces arrestations et ces condamnations à mort !

    Les luttes ouvrières

    Les salaires impayés, les licenciements et le manque d’équipements de sécurité pendant la pandémie sont les principales raisons pour lesquelles les travailleurs ont continué à se battre et à faire grève malgré le confinement. Quelques semaines après le premier choc provoqué par l’apparition du virus, les luttes ouvrières qui avaient déjà éclaté ces dernières années se sont poursuivies et même intensifiées.

    Selon certains rapports, plus de 200 manifestations différentes ont eu lieu dans 74 villes au cours des dernières semaines et derniers mois avec des luttes dans les services postaux, le secteur pétrolier ou encore l’enseignement. Dans certaines villes, le personnel de la santé a organisé des rassemblements pour protester contre les salaires impayés et l’absence de mesures de sécurité. Les chauffeurs de bus ont protesté contre des mois de salaires impayés afin d’exiger leur paiement ainsi que des aides et l’assurance chômage. Les retraités ont organisé plusieurs manifestations en juin pour réclamer leurs pensions impayées et des augmentations, car la plupart des retraités iraniens vivent sous le seuil de pauvreté. 3.500 mineurs se sont mis en grève pour obtenir des augmentations de salaires et s’opposer à la privatisation de leur société. Depuis le 14 juin, les célèbres ouvriers de la sucrerie Haft Tappeh ont de nouveau fait grève, soutenus par des associations de travailleurs dans tout le pays. Le fait qu’ils continuent, entre autres revendications, à se battre ouvertement pour la destitution de leur patron et pour exiger le contrôle de l’usine par les travailleurs montre que cette lutte peut ouvrir une voie radicale pour toute la classe ouvrière en Iran.

    La tâche clé de la période à venir sera de connecter ces différentes luttes en s’appuyant sur les révoltes de novembre 2019, en organisant des grèves générales, en construisant une organisation de masse de la classe ouvrière et en constituant un puissant mouvement pour faire tomber le régime corrompu.

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