Contre lâimpasse de lâimpĂ©rialisme, lâissue de la classe travailleuse
Câest un vĂ©ritable enfer qui continue de sâabattre sur Gaza. En Ă peine plus de trois mois, approximativement 1,5% de la population a Ă©tĂ© tuĂ©e, pourcentage similaire Ă celui des personnes qui ont trouvĂ© la mort en France durant les cinq ans quâa durĂ© la Seconde guerre mondiale. Parmi les morts, environ 75 % de femmes, enfants et vieillards.
AprĂšs 43 jours passĂ©s dans les hĂŽpitaux du nord de la bande de Gaza, Ghassan Abu Sitta, un chirurgien britannico-palestinien spĂ©cialisĂ© dans les blessures de guerre, a expliquĂ© que lâintensitĂ© de lâoffensive israĂ©lienne dĂ©passe tout ce quâil a dĂ©jĂ connu prĂ©cĂ©demment Ă Gaza, en Irak, en Syrie, au YĂ©men ou encore au sud-Liban. « Câest la diffĂ©rence entre une inondation et un tsunami, lâampleur est complĂštement diffĂ©rente », a-t-il commentĂ© Ă lâagence de presse AFP.
Il assure Ă©galement avoir soignĂ© des brĂ»lures au phosphore blanc, une arme chimique proscrite par le droit international Ă la blessure trĂšs caractĂ©ristique puisquâelle « continue de brĂ»ler jusquâaux parties les plus profondes du corps, jusquâĂ atteindre lâos. » LâONG britannique Save the Children a indiquĂ© quâen trois mois de bombardement, lâarmĂ©e israĂ©lienne avait tuĂ© Ă Gaza un nombre dâenfants supĂ©rieur Ă celui des enfants tuĂ©s chaque annĂ©e depuis 2019 dans toutes les zones de conflit du monde. Le prĂ©texte officiel du gouvernement israĂ©lien « dâĂ©radiquer » le Hamas est parfaitement grotesque.
Câest dâautant plus hypocrite que le Hamas a longtemps Ă©tĂ© favorisĂ© par les autoritĂ©s israĂ©liennes et le Mossad, les services secrets extĂ©rieurs israĂ©liens, dans le but dâaffaiblir le Fatah de Yasser Arafat et lâOrganisation de libĂ©ration de la Palestine (OLP). Quand, en 1981, le gouvernement Ă©gyptien a expulsĂ© des dizaines de militants islamistes Ă©gyptiens aprĂšs lâassassinat du dictateur El-Sadate (tuĂ© notamment en raison de son rapprochement avec IsraĂ«l), Ariel Sharon, ministre de la DĂ©fense de lâĂ©poque, les a autorisĂ©s Ă sâinstaller Ă Gaza. Nombre dâentre eux seront ensuite dirigeants du Hamas et du Djihad islamique.
Peu aprĂšs, IsraĂ«l a autorisĂ© (il serait mĂȘme question dâun soutien matĂ©riel) la construction de lâimmeuble de lâAssociation islamique dont les membres allaient rĂ©guliĂšrement saccager les bureaux du Croissant rouge palestinien, proche du Parti communiste et de lâOLP. Pour le journaliste Charles Enderlin « La bienveillance israĂ©lienne ira jusquâĂ juguler lâopposition aux islamistes. Les Ă©tudiants qui osent leur porter la contradiction au cours de dĂ©bats publics se retrouveront derriĂšre les barreaux. »(1) Le soutien aux fondamentalistes islamistes afin de saper celui dont disposent les forces de gauche ou nationalistes figurait en bonne place dans les manuels de la CIA et de ses alliĂ©s. En Afghanistan, câest la mĂȘme logique qui a poussĂ© les Ătats-Unis Ă soutenir avec enthousiasme le dĂ©veloppement des talibans. Des fondamentalistes religieux aux narcotrafiquants, lâimpĂ©rialisme a créé de nombreux monstres de Frankenstein Ă travers le monde.
Dans lâespoir dâobtenir elles-mĂȘmes une part du gĂąteau, les Ă©lites rĂ©gionales ont acceptĂ© lâoppression impĂ©rialiste. La Jordanie avait manĆuvrĂ© pour accaparer la Cisjordnaie, le roi Abdallah payant de sa vie en 1951 sa rivalitĂ© avec lâindĂ©pendantisme palestinien. IsraĂ«l a reçu des renseignements cruciaux dâHassan II du Maroc (avant la guerre des six jours) et dâHussein de Jordanie (avant la guerre du Kippour). Ă la suite des accords dâOslo (1993), la direction de lâOLP a acceptĂ© de devenir le sous-traitant de lâoccupation israĂ©lienne. Ă lâexception de lâIran, les rĂ©gimes de la rĂ©gion ont peu Ă peu normalisĂ© leurs relations avec lâĂtat israĂ©lien tandis que les Nations unies consolidaient lâoccupation.
Le droit du peuple palestinien Ă lâautodĂ©termination nâĂ©tait rĂ©ellement Ă lâordre du jour que lorsque la lutte de masse lâimposait. Ce fut le cas lors de la grĂšve gĂ©nĂ©rale de 1936 et de la premiĂšre Intifada (1987-93). Ă chaque fois, les masses se sont organisĂ©es Ă partir de la base et ont pu compter sur une solidaritĂ© rĂ©gionale et internationale croissante.
Plus fondamentalement, il est Ă©videmment impossible dâen finir avec les violences sans en finir avec le rĂ©gime dâoccupation et avec lâoppression des masses palestiniennes. La responsabilitĂ© en incombe bien sĂ»r Ă lâĂtat sioniste dâIsraĂ«l, mais Ă©galement aux puissances impĂ©rialistes ainsi quâaux rĂ©gimes dictatoriaux arabes de la rĂ©gion.
LâautodĂ©termination palestinienne sabotĂ©e par les grandes puissances et les Ă©lites rĂ©gionales depuis plus dâun siĂšcle
Avant mĂȘme la fin de la PremiĂšre guerre mondiale, la France et le Royaume-Uni se sont entendus, avec lâaval de la Russie tsariste, sur le dĂ©peçage de lâEmpire Ottoman et lâextension de leur domination coloniale. En mai 1916 dĂ©jĂ , les accords secrets Sykes-Picot prĂ©voyaient de dĂ©couper le Proche-Orient en plusieurs zones dâinfluence ou dâadministration directe, contrairement aux promesses dâindĂ©pendance faites au porte-parole de la nation arabe, le chĂ©rif Hussein.
Si ces accords secrets ont Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©s au grand jour, câest grĂące Ă la rĂ©volution russe de 1917. Le premier dĂ©cret du pouvoir soviĂ©tique, le dĂ©cret sur la paix, avait proclamĂ© lâopposition Ă toute diplomatie secrĂšte impĂ©rialiste. Pour la premiĂšre fois, une loi proclamait lâĂ©galitĂ© de toutes les nations et leur droit Ă lâautodĂ©termination. Les actes ont suivi avec lâoctroi de lâindĂ©pendance Ă la Finlande, Ă la Pologne et Ă dâautres pays prĂ©cĂ©demment intĂ©grĂ©s de force dans lâEmpire de Russie.
Les accords Sykes-Picot ont Ă©tĂ© qualifiĂ©s par LĂ©nine de « traitĂ© de brigands coloniaux ». Parmi les documents trouvĂ©s figurait une carte traversĂ©e de traits de crayon Ă papier : le prĂ©lude Ă la balkanisation impĂ©rialiste de toute la rĂ©gion. Câest Trotsky, en sa qualitĂ© de Commissaire du Peuple aux Affaires Ă©trangĂšres, qui a publiĂ© le traitĂ© dans les journaux soviĂ©tiques en novembre 1917 avant que la nouvelle ne fasse Ă©galement grand bruit Ă lâĂ©tranger.
Les Ătats-nations du Moyen-Orient tels que nous les connaissons aujourdâhui furent dessinĂ©s en 1920, Ă la confĂ©rence de San Remo, en fonction des intĂ©rĂȘts stratĂ©giques et financiers des impĂ©rialismes français et britannique. Câest Ă cette date que la Palestine sâest retrouvĂ©e placĂ©e sous mandat britannique. Les terribles bains de sang et horreurs qui affectent toujours aujourdâhui les masses de toute la rĂ©gion dĂ©coulent directement de lĂ . Les premiers coupables sont Ă chercher Ă Londres, Paris et Washington.
Pour tenter de garder leur contrĂŽle de ce dĂ©coupage arbitraire, les peuples, notamment juifs et arabes, ont Ă©tĂ© montĂ©s les uns contre les autres, Ă lâimage de lâInde oĂč les Hindouistes ont Ă©tĂ© opposĂ©s aux Musulmans. Câest de cette façon que lâimpĂ©rialisme sâest toujours imposĂ© : diviser pour mieux rĂ©gner.
La force de la résistance par en bas : la grÚve générale de 1936
HĂ©las, sur place, les dirigeants du mouvement ouvrier sont rentrĂ©s dans ce jeu dĂ©sastreux. En mars 1936, le trotskyste amĂ©ricain FĂ©lix Morrow Ă©crivait Ă ce sujet : « En Palestine aussi, une rĂ©orientation dĂ©cisive du prolĂ©tariat juif est nĂ©cessaire. DirigĂ©s par le Mapai(2), les travailleurs juifs ont poursuivi la fausse politique de chercher Ă construire une patrie juive sous le capitalisme. Au nom de cette illusion, ils se sont Ă©loignĂ©s de plus en plus de leurs alliĂ©s naturels, les paysans et les ouvriers arabes. Dans lâunitĂ© permanente au sein de lâAgence juive(3), ces soi-disant dirigeants socialistes-sionistes ont pratiquĂ© la collaboration de classe la plus grossiĂšre avec la bourgeoisie juive ; ils se sont prosternĂ©s devant lâimpĂ©rialisme britannique ; ils ont brandi des slogans chauvins de travail juif pour les Juifs seulement et dâachat de produits fabriquĂ©s par les Juifs seulement ; ils ont rĂ©duit les salaires pour faire face Ă la concurrence arabe au lieu de sâunir avec les Arabes dans des syndicats uniques ; ils ont dressĂ© des piquets de grĂšve lĂ oĂč les Juifs osaient employer de la main-dâĆuvre arabe. Ils ont rendu infiniment plus facile la tĂąche des classes dirigeantes arabes, qui ont transformĂ© le mĂ©contentement de lâouvrier arabe pour en faire le vecteur dâĂ©meutes antijuives.
« Ce quâil faut, si les masses juives veulent faire un pas rĂ©el vers une Palestine libre, si les masses juives ne veulent pas ĂȘtre massacrĂ©es par une attaque arabe gĂ©nĂ©ralisĂ©e, câest mettre fin Ă la collaboration avec lâimpĂ©rialisme britannique et la bourgeoisie juive, et se tourner vers lâunitĂ© avec les masses arabes. La lutte des Arabes et des Juifs contre lâimpĂ©rialisme britannique est un slogan qui sera combattu non seulement par les sionistes, mais Ă©galement par les propriĂ©taires terriens et la bourgeoisie arabes. »(4)
Un mois plus tard Ă©clatait la grande grĂšve de 1936, qui dura 6 mois et mobilisa les masses palestiniennes contre la colonisation, mais aussi pour lâarrĂȘt de lâimmigration juive. Des soulĂšvements anticoloniaux se dĂ©veloppaient dans toute la rĂ©gion et, en Syrie, une grĂšve gĂ©nĂ©rale venait dâarracher au Mandat français des concessions dans le sens de lâaccession Ă lâindĂ©pendance. Mais les dirigeants de la sociĂ©tĂ© palestinienne dĂ©siraient utiliser les masses comme simple moyen de pression sur lâAngleterre pour obtenir des concessions aux classes supĂ©rieures arabes. Celles-ci prĂ©fĂ©raient largement lâĂ©clatement de rĂ©voltes armĂ©es (comme ce fut le cas en 1921, 1929, 1933 et 1935) qui ne menaçaient pas leur exploitation des masses pauvres.
La grĂšve prit de court les sionistes, les Britanniques et surtout les chefs palestiniens eux-mĂȘmes. Pendant six mois, les masses palestiniennes ont vĂ©cu une organisation et un pouvoir propres, dĂ©tachĂ©s de lâĂtat mandataire. Le mouvement de grĂšve sâest apaisĂ© en octobre et, Ă partir de lĂ , les Ă©lĂ©ments de lutte armĂ©e ont rĂ©solument pris le dessus, y compris entre clans arabes eux-mĂȘmes, jusquâen 1939, quand lâimpĂ©rialisme britannique a cĂ©dĂ© des concessions limitĂ©es pour attirer la population arabe dans son camp dans la guerre contre lâAllemagne nazie.
Durant toute cette pĂ©riode, le Parti communiste palestinien suivait les ordres de Moscou oĂč, en raison de lâisolement de la rĂ©volution dans la seule Russie Ă©conomiquement arriĂ©rĂ©e et dĂ©truite, la bureaucratie avait usurpĂ© le pouvoir. Dans les colonies, la politique stalinienne dictait de suivre docilement les dirigeants nationalistes. Chaque politicien arabe Ă©tait considĂ©rĂ© comme un âcombattant sĂ©rieux contre lâimpĂ©rialisme britanniqueâ mĂȘme si certains dâentre eux avaient pris contact avec lâAllemagne nazie. Les pogroms commis contre les Juifs en Palestine Ă©taient analysĂ©s comme autant de « poussĂ©es rĂ©volutionnaires ».
AprĂšs la Seconde guerre mondiale, Staline et lâUnion soviĂ©tique ont opĂ©rĂ© un zigzag en soutenant le Plan de partage de la Palestine prĂ©sentĂ© Ă lâONU en novembre 1947, non seulement de façon diplomatique mais aussi via des livraisons dâarmes tchĂ©coslovaques ainsi quâen favorisant lâĂ©migration des Juifs du bloc de lâEst en constitution. La bureaucratie stalinienne estimait alors quâil sâagissait du plus sĂ»r moyen dâaffaiblir la Grande-Bretagne.
LâimpĂ©rialisme permet la crĂ©ation de lâĂtat dâIsraĂ«l
Lâintensification des persĂ©cutions contre les juifs, la montĂ©e du fascisme et lâhorrible massacre industrialisĂ© de lâHolocauste ont eu un impact considĂ©rable sur les consciences et le dĂ©bat sur lâĂtat dâIsraĂ«l. Une grande contradiction existait entre la nĂ©cessitĂ© pratique dâĂ©migrer pour des millions de Juifs et le manque dâoptions en termes de destination.
Nos prĂ©dĂ©cesseurs britanniques du Revolutionnary Communist Party (RCP) se sont opposĂ©s au projet. Ils expliquaient en aoĂ»t 1946 dans leur journal Socialist Appeal : « cela soulĂšverait invariablement le violent antagonisme des Arabes en Palestine et dans tout le Moyen-Orient. LâantisĂ©mitisme serait simplement transfĂ©rĂ© de lâEurope vers les pays arabes. (âŠ) Les impĂ©rialistes ferment leur porte mais ils veulent Ă tout prix dĂ©cider pour les Arabes. »
A titre dâexemple, entre 1940 et 1948, les Ătats-Unis nâont accueilli en tout et pour tout que 57.000 Juifs europĂ©ens. Pourtant, en 1947, un sondage mettait en avant que 50% des survivants des camps de concentration dĂ©siraient sây rendre plutĂŽt quâen Palestine.(5) Le RCP continuait : « La sainte horreur avec laquelle les puissances alliĂ©es ont considĂ©rĂ© lâextermination des juifs se rĂ©vĂšle totalement hypocrite. Si Staline avait reprĂ©sentĂ© les intĂ©rĂȘts vĂ©ritables du socialisme, il aurait affirmĂ© la volontĂ© de lâURSS dâaccueillir les rĂ©fugiĂ©s dĂ©sirant trouver un abri en Russie, puisquâil y a pĂ©nurie de main dâĆuvre. Mais les frontiĂšres de lâURSS restent hermĂ©tiquement fermĂ©es. De mĂȘme, la Grande-Bretagne et lâAmĂ©rique, malgrĂ© leurs Ă©normes richesses et leurs ressources, ne sont pas prĂ©parĂ©es Ă donner le droit dĂ©mocratique dâasile Ă ceux qui le demandent. Ces pays proposent, au contraire, le palliatif de la Palestine. »(6)
En novembre 1947, la Palestine historique ne comptait plus quâun tiers de Juifs, rĂ©partis Ă lâĂ©poque sur 14 % du territoire. Le Plan de partage de lâONU prĂ©voyait que la population juive reçoive 55 % du territoire. Cette solution signifiait Ă©videmment le dĂ©placement forcĂ© de centaines de milliers de Palestiniens. Ce fut la Nakba, en 1948, la « catastrophe » : 85% des villages palestiniens ont Ă©tĂ© vidĂ©s de leurs habitants. Dans de nombreux cas, mĂȘme aprĂšs la reddition du village, les habitants ont Ă©tĂ© tuĂ©s par balles. Au total, plus de 700.000 Palestiniens ont Ă©tĂ© chassĂ©s de chez eux. Aujourdâhui encore, des familles vivent dans des camps de rĂ©fugiĂ©s aux conditions Ă©pouvantables. Pour survivre, lâĂtat juif devait ĂȘtre surmilitarisĂ© et devenir un instrument de lâimpĂ©rialisme. Câest ainsi que le crime de lâantisĂ©mitisme a conduit au crime du sionisme, un crime contre le peuple palestinien.
Quelle stratégie pour la libération palestinienne ?
Nos prĂ©curseurs se sont opposĂ©s Ă la crĂ©ation de lâĂtat israĂ©lien en Palestine il y a 70 ans, prĂ©voyant quâil nâapporterait pas la sĂ©curitĂ© aux Juifs et quâil serait synonyme de souffrance pour les Palestiniens. Ă la veille de la Nakba, une sĂ©rie de grĂšves avait pourtant transcendĂ© les frontiĂšres communautaires, culminant dans une puissante grĂšve gĂ©nĂ©rale en 1946 Ă laquelle ont participĂ© 30.000 travailleurs juifs et arabes. Les grĂ©vistes criaient des slogans tels que « LâunitĂ© des travailleurs juifs et arabes est la voie de la victoire ». Cette dĂ©monstration de force avait mis en Ă©vidence le potentiel de dĂ©veloppement de la lutte des classes au-delĂ des tensions nationales.
Le Plan de partage, la guerre et la nouvelle situation quâelle a créée ont radicalement coupĂ© court Ă cette tendance Ă la lutte commune, comme le souhaitaient dâailleurs les dirigeants sionistes et arabes qui estimaient que cela menaçait leurs privilĂšges et leur autoritĂ©.
Au cours des dĂ©cennies qui ont suivi, une conscience nationale israĂ©lienne sâest dĂ©veloppĂ©e. La grande majoritĂ© de la population est dĂ©sormais nĂ©e en IsraĂ«l et il y existe une classe dirigeante disposant de lâune des forces militaires les plus puissantes et les plus lourdement armĂ©es du monde. Mais Ă ses cĂŽtĂ©s existe Ă©galement une classe ouvriĂšre israĂ©lienne forte de millions de personnes, qui a le pouvoir potentiel de dĂ©fier et dâĂ©liminer ses exploiteurs capitalistes sionistes.
La stratĂ©gie des organisations palestiniennes a beaucoup reposĂ© sur lâimplication des rĂ©gimes arabes de la rĂ©gion. Quand peu de temps aprĂšs la crĂ©ation du parti nationaliste et laĂŻc Fatah, lâOrganisation de LibĂ©ration de la Palestine (OLP) a Ă©tĂ© lancĂ©e en 1964, ce fut Ă lâinitiative de la Ligue Arabe et autour du projet panarabiste du prĂ©sident Ă©gyptien Nasser. Les organisations Ă la gauche du Fatah se sont essentiellement retrouvĂ©es Ă sa remorque sans dĂ©fendre de politique ou de stratĂ©gie basĂ©e sur une indĂ©pendance de classe. Quand la guerre des six jours Ă©clatera en 1967, IsraĂ«l attaquant lâĂgypte avec lâaccord des Ătats-Unis, lâobjectif des dirigeants israĂ©liens Ă©tait dâaffaiblir cette unitĂ© arabe. Les Ă©lites dirigeantes arabes Ă©taient toutefois dĂ©jĂ fortement divisĂ©es, lâimpĂ©rialisme avait manĆuvrĂ© pour les monter les unes contre les autres au point de ne plus partager quâune condamnation rhĂ©torique dâIsraĂ«l.
Peu de temps aprĂšs, en 1973, la guerre du Kippour a, elle aussi, Ă©tĂ© perdue par la coalition arabe, lâĂgypte reconnaissant mĂȘme officiellement IsraĂ«l et sâengageant sur la voie de la collaboration avec IsraĂ«l. Cela perdure encore aujourdâhui, notamment avec la fermeture de sa frontiĂšre avec la bande de Gaza. Ce fut la fin du projet panarabiste. Peu Ă peu, les rĂ©gimes autocratiques arabes en sont venus Ă considĂ©rer que leur intĂ©rĂȘt propre Ă©tait liĂ© au statu quo dans lequel IsraĂ«l poursuit son projet de colonisation tandis que les Ătats arabes ignoraient la cause palestinienne.
Mais la stratĂ©gie des âalliĂ©sâ rĂ©gionaux est restĂ©e, elle se prolonge encore aujourdâhui avec lâalliance entre lâIran, pourtant chiite, et le Hamas sunnite. Un des objectifs fondamentaux derriĂšre lâattaque du Hamas du 7 octobre Ă©tait dâailleurs de bloquer le processus de normalisation entre IsraĂ«l et les rĂ©gimes arabes de la rĂ©gion. ParallĂšlement Ă cette stratĂ©gie, lâOLP sâest lancĂ© dans une campagne dâattentats, dâactes de piraterie et de prise dâotages, tout particuliĂšrement Ă partir de la fin des annĂ©es â60.
Ce qui a vĂ©ritablement mis en difficultĂ© le rĂ©gime israĂ©lien, ce fut la premiĂšre Intifada (1987-1993). Notre camarade irlandais Peter Hadden, dont lâapproche sur la question nationale a Ă©tĂ© forgĂ©e sur lâexpĂ©rience des « Troubles » en Irlande du Nord, commentait ainsi les Ă©vĂ©nements : « les manifestations de masse et les grĂšves ont Ă©branlĂ© lâĂtat israĂ©lien Ă un degrĂ© que 25 annĂ©es de terrorisme de lâOLP nâont pas rĂ©ussi Ă atteindre. » (La rĂ©volte de la jeunesse palestinienne, fĂ©vrier 1988) Mais, Ă lâimage de la grĂšve gĂ©nĂ©rale de 1936, il manquait au mouvement de masse de 87-93 un programme et une direction orientĂ©s vers un changement de systĂšme. Cela a ouvert la voie Ă la mascarade des Accords dâOslo en 1993, oĂč le Fatah a repris la main par crainte de voir une direction alternative Ă©merger des comitĂ©s de bases nĂ©s de lâIntifada. Câest ce manque quâil convient de combler aujourdâhui.
Il est Ă©vident que lâaction de masse ne va pas venir dans un premier temps de Gaza, noyĂ©e sous un dĂ©luge de bombes. Mais la rĂ©sistance internationale a un rĂŽle Ă jouer. En 1982, durant lâinvasion israĂ©lienne du Liban pour dĂ©loger lâOLP de Beyrouth, qui a notamment conduit au massacre de Sabra et Chatila, les protestations internationales ont mis pression sur le plus proche alliĂ© de lâĂtat israĂ©lien, les Ătats-Unis, qui ont considĂ©rĂ© de stopper la livraison dâarmes Ă IsraĂ«l.(6) Reagan avait dit au gouvernement israĂ©lien que lâopinion Ă©tait « contre nous ». Le rĂ©gime israĂ©lien nâĂ©coutera pas la colĂšre internationale, mais il est sensible Ă ce soutien de lâimpĂ©rialisme Ă©tasunien. Cela pourrait redonner un souffle aux masses palestiniennes.
Le socialisme et la résolution des conflits nationaux
Sur une base capitaliste, ni un ni deux Ătats nâoffrent une solution Ă lâoppression nationale. Dans le contexte capitaliste du Moyen-Orient, une « solution Ă deux Ătats » signifie la crĂ©ation dâun Ătat fantoche nĂ©ocolonial pour les Palestiniens sans vĂ©ritable indĂ©pendance nationale ni solution des problĂšmes fondamentaux auxquels sont confrontĂ©es les masses palestiniennes. La libĂ©ration nationale est indissolublement liĂ©e Ă la libĂ©ration sociale.
La Palestine est minuscule et ne peut exister quâen tant que partie dâune totalitĂ© Ă©conomique mondiale. Lâobjectif Ă viser, câest la fin du « rĂ©gime de Sykes-Picot » qui ne servait que les intĂ©rĂȘts de lâimpĂ©rialisme. La lutte de masse de la classe travailleuse et des pauvres doit redessiner toute la rĂ©gion en respectant le droit Ă lâautodĂ©termination des peuples et les intĂ©rĂȘts de chaque communautĂ© (arabes, amazighs, kurdes, juifs,âŠ). Câest pourquoi nous dĂ©fendons la construction dâune fĂ©dĂ©ration socialiste volontaire du Moyen-Orient reposant sur des structures Ă©tatiques dĂ©mocratiques nĂ©es des mobilisations de masse, Ă partir de comitĂ©s dĂ©mocratiques de lutte, pour en finir avec la trahison des aspirations nationales et sociales par des Ă©lites autocratiques. Cela devra ĂȘtre liĂ© Ă la collectivisation des richesses et grands moyens de production de la rĂ©gion afin dâassurer lâĂ©panouissement de chacun et de la sociĂ©tĂ© dans son ensemble.
Au sein de celle-ci, nous dĂ©fendons de lutter pour deux Ătats palestinien et israĂ©lien socialiste, avec droit au retour dans des conditions de vie dĂ©cente pour les millions de rĂ©fugiĂ©s qui vivent actuellement en dehors de Palestine, ce qui nĂ©cessitera lâextension du territoire de Palestine et e dĂ©mantĂšlement des colonies en Cisjordanie. Il sâagit dâune Ă©tape nĂ©cessaire pour garantir la construction de la confiance nĂ©cessaire pour aller plus loin dans la collaboration volontaire. Ce nâest quâĂ cette condition que la paix dans la rĂ©gion et la prospĂ©ritĂ© pour tous seront possibles.
NOTES
1) Quand Israël favorisait le Hamas, par Charles Enderlin, Le Monde, 3 février 2006, disponible sur lemonde.fr
2) Parti des travailleurs de la terre dâIsraĂ«l, disparu en 1968 par sa fusion avec le Parti travailliste israĂ©lien.
3) Organisation sioniste créée en 1929 sous le nom dâAgence juive pour la Palestine pour ĂȘtre lâexĂ©cutif de lâOrganisation sioniste mondiale en Palestine mandataire britannique.
4) Felix Morrow, For a Socialist Policy on Palestine, marxists.org
5) Alain Gresh et Dominique Vidal, Palestine 47 un partage avorté, Editions complexes, Bruxelles 1987.
6) When Push Comes to Shove: Israel flouts U.S. diplomacy with an attack on Beirut, TIME Magazine, 16 août 1982