Category: Moyen-Orient et Afrique du Nord

  • Soulèvement populaire au Maroc. Le régime ébranlé

    Action de solidarité organisée ce 8 juillet à Bruxelles.

    Depuis le mois d’octobre et la mort d’un marchand de poisson, Mouhcine Fikri, des suites d’une opération de police, le Rif, au Nord du Maroc, est en ébullition. Le régime a tout d’abord compté sur l’essoufflement du mouvement, puis a tenté d’acheter ses activistes et de les criminaliser. Finalement, de nombreux activistes – parmi lesquelles Nasser Zefzafi, la principale figure de la contestation jusque-là, ont été arrêtées depuis la fin du mois de mai (plus d’une centaine) mais, là aussi, les autorités ont été mises en échec. Le mouvement se poursuit et ne se limite plus à la région du Rif !

    Par Nicolas Croes, article tiré de l’édition d’été de Lutte Socialiste

    Les raisons de la colère

    Le décès de Mouhcine Fikri dans le port de pêche rifain d’Al-Hoceima a directement été considéré comme une conséquence de la politique menée dans le Rif. Immédiatement, des manifestations ont éclaté. Le Maroc est un pays particulièrement touché par la pauvreté (60% des Marocains vivent dans la pauvreté et dans le besoin selon un rapport des Nations Unies de 2016), mais la population du Rif fait généralement face à des difficultés plus dures encore.

    Comme l’explique Nawal Ben Aissa, une mère de famille devenue figure de proue de la contestation ; ‘‘Le Rif est broyé par le cancer. Ici, dans chaque famille vous rencontrez non pas un cas ; mais, des cas de cancer. C’est la conséquence de l’usage de gaz toxiques par l’occupant espagnol. Le Rif est décimé par le cancer et la marginalisation. Nous n’avons pas d’hôpitaux capables de soigner toutes ces variétés de cancers. Dans ma demeure, de sorte à les rapprocher des soins, j’ai hébergé de nombreuses victimes de ce fléau venues de lointaines montagnes. Des zones montagneuses enclavées, dépourvues de routes et tenues hors du monde par la pauvreté et le dénuement. Des femmes broyées par le cancer, la pauvreté, qui ne subsistent que par la charité qui leur est donnée par les bonnes âmes. Voilà la réalité du Rif, broyé dans tous les droits.’’

    Cette région manque cruellement d’infrastructures, de fonctionnaires, d’emplois, etc. depuis longtemps déjà. Mais l’émigration a constitué une sorte de soupape de sécurité pour le régime. Des millions de gens ont quitté le pays (30 % des Rifains ont ainsi émigré en Europe) et les ressources qu’ils renvoyaient à leurs familles étaient cruciales pour leur survie. Mais, depuis 2008 et la crise économique, les migrations se sont en bonne partie arrêtées.

    Cependant, si la région du Rif a ses particularités historiques, sociales et économiques, elle est loin d’être la seule à éprouver des difficultés grandissantes et le régime a très vite craint la contagion de la colère populaire et l’exemple de la lutte d’Al Hoceima. Un militant associatif expliquait ainsi le 29 mai dernier sur le site Média24 : ‘‘A Casablanca où je vis, cela fait plusieurs semaines que j’entends gronder la colère dans les taxis et dans les cafés, mais aussi chez les classes moyennes prises en étau, entre crédits, charges familiales, d’éducation, médicales et des revenus qui n’augmentent pas. (…) Les Rifains sont les premiers à réagir, aujourd’hui, mais je suis presque certain, que si la création de valeur et d’emplois ne décolle pas, à court terme, on va voir émerger des Zefzafi dans tous les quartiers péri-urbains à fort taux de chômage. Et Nasser risque de passer pour le plus doux d’entre eux… (…) Tous les ans, 300.000 jeunes arrivent sur le marché du travail, pour seulement 30.000 emplois créés en moyenne par an, soit 270.000 jeunes sans- emploi de plus, chaque année. Faites le calcul sur 10 ans. ’’ Comme le résume Aboubakr Jamaï, professeur à l’Institut américain universitaire à Aix-en-Provence : ‘‘Le Maroc fait face à un désespoir social et économique’’.

    ‘‘Nous sommes à un point de non-retour’’

    Quand la répression est passée à la vitesse supérieure à la fin du mois de mai, le régime entendait couper la tête du mouvement puisqu’il était décidé à ne pas s’essouffler. Selon les autorités, pas moins de 700 sit-in ont eu lieu dans la province pour cette période, dont 150 dans la seule ville d’Al-Hoceïma, soit une moyenne de quatre sit-in par jour ! Mais le ‘‘fouet de la contre-révolution’’ a redonné une certaine vigueur au mouvement et les manifestations de solidarité ont largement débordé le cadre du Rif et du nord du pays. Des sit-in et rassemblements de solidarité ont été organisés à Rabat, Casablanca, Meknès et ailleurs en réunissant plus de monde que par le passé en dépit de la violence policière exercée sur les manifestants.

    Au même moment, l’hebdomadaire TelQuel titrait : ‘‘Privé de ses leaders, le hirak [le ‘‘mouvement’’] s’organise’’ et de nouveaux visages apparaissaient sur le devant de la scène. Parmi eux, celui de Nawal Benaissa, ce qui est révélateur de la place qu’ont prise les femmes dans le mouvement. Comme elle l’explique, les femmes ‘‘ont vraiment pris leur place à partir du 8 mars [la Journée internationale des droits des femmes]. On a manifesté, pas pour célébrer cette journée, mais pour dénoncer notre situation’’. Leur présence est devenue massive à partir du 26 mai : ‘‘Après les arrestations de militants, les femmes n’avaient plus le choix. Elles devaient sortir dans la rue pour soutenir leur mari et leurs enfants.’’ Une d’entre elles expliquait ainsi pourquoi la répression ne parvenait pas à étouffer le mouvement : ‘‘Nous sommes à un point de non-retour’’.

    3 jours de grève générale en juin

    Après l’interpellation de Nasser Zefzafi, un appel à une grève générale de 3 jours a été lancé à partir du 1er juin afin d’exiger la libération des activistes emprisonnés. À Al Hoceima, la quasi-totalité des magasins du centre-ville étaient donc fermés et la grève a été très bien suivie, de même que dans les villes voisines d’Imzouren et Beni Bouyaach. À Imzouren, qui a particulièrement été frappée par la répression, une importante manifestation a également pris place. Ailleurs dans le pays, des sit-in et rassemblements de solidarité ont vu le jour, jusqu’à Rabat et Casablanca à nouveau.

    Al Hoceima a derrière elle une longue tradition de lutte, contre la colonisation, mais aussi durant les ‘‘émeutes du pain’’ en 1984 de même qu’en 2011, au moment de la vague de soulèvements de masse qui a déferlé sur l’Afrique du Nord et le Moyen- Orient. Mais c’est dans tout le pays que sont présentes les graines de la révolte, à l’image de ses mineurs de la ville d’Imiter en lutte avec occupation de leur entreprise depuis 2011. Une région désertique où le chômage règne en maître, secouée par un conflit social et environnemental qui dure depuis l’été 2011.. L’appel à la grève générale représente un sérieux pas en avant qui illustre quelle est la force des travailleurs et quelle est leur capacité de bloquer l’économie du pays.

    L’importance de la structuration du mouvement a été mise en lumière par les diverses arrestations. Des comités de quartiers ont commencé à s’organiser et ont subi une sorte d’épreuve du feu avec les trois jours de grève générale. Dans une interview accordée au MO magasine, Nasser Zafzafi expliquait à la veille de son arrestation que des réunions et rassemblements organisés durant l’été allaient notamment s’occuper de proposer un programme spécifique aux membres de la diaspora marocaine de retour dans leurs familles durant leurs vacances : ‘‘Nous voulons que d’une part, ils puissent comprendre ce qu’il se passe dans notre région, mais d’autre part aussi leur offrir une plateforme où ventiler leurs propres revendications. Nous devons travailler ensemble.’’

    Cette pratique de comité de base doit être élargie en assurant qu’ils fonctionnent de la manière la plus démocratique possible. Il s’agit du lieu idéal non seulement pour préparer les actions à venir, mais aussi pour affiner le programme de revendications économiques, sociales et culturelles du mouvement et pour discuter de la meilleure manière d’étendre la lutte à tout le pays… et même au-delà !

    Ces lieux de débats devront également aborder l’alternative vers laquelle se diriger. Répondre à la brutale urgence sociale qui marque ce pays exige non seulement de se débarrasser du pouvoir assassin, mais aussi d’assurer que les richesses du pays ne soient plus pillées par une infime élite, qu’elle soit marocaine ou étrangère, mais contrôlées par la collectivité. Et l’on ne contrôle pas ce que l’on ne possède pas. Seule la collectivisation démocratique des principaux leviers de commande de l’économie permettra d’établir une planification de l’économie qui lui permettra d’être au service de la population, contrairement aux plans ‘‘Émergence’’, ‘‘Émergence II’’ ou ‘‘d’accélération industrielle’’ du régime qui n’ont eu pour effet que d’enrichir l’élite. C’est également sur cette base, en rompant avec le capitalisme et en avançant vers le socialisme, qu’il sera enfin possible de trouver une solution harmonieuse à la question nationale et à l’oppression des Amazighs basée sur l’autodétermination des peuples et la solidarité.

  • [VIDEOS] Rassemblement de solidarité avec le soulèvement populaire au Maroc

    Voici ci-dessous deux petites vidéos qui ont été réalisées dans le cadre du rassemblement qui s’est tenu samedi dernier à Bruxelles en solidarité avec le soulèvement populaire au Maroc. la première reprend l’intervention de notre camarade Oumeyma qui a pris la parole au nom du PSL et de la campagne ROSA (Résistance contre l’Oppression, le Sexisme et l’Austérité). La seconde reprend diverses interviews de participants, parmi lesquels des militants de la campagne ROSA et du PSL.

  • Bruxelles. Rassemblement de solidarité avec la contestation du Rif

    La colère contre le régime est croissante au Maroc. Les mobilisations se renforcent dans les différentes villes du pays, y compris dans le Sud. Ce dimanche 11 juin, des dizaines de milliers de personnes ont envahi le centre de la capitale marocaine en soutien à la contestation qui se développe au Nord du pays depuis des mois et afin d’exiger la libération des leaders du mouvement récemment arrêtés. Ce vendredi soir, un rassemblement a également eu lieu en Belgique, à Molenbeek. Plus de 200 personnes se sont rassemblées au cri de « Vive le peuple marocain ».

    Par Julien (Bruxelles)

    Debut de semaine dernière, le porte-parole du Hirak, Nasser Zefzafi a été incarcéré, ainsi que d’autres représentants de ce mouvement né fin 2016. Mais la répression, plutôt que de calmer les masses, a jeté de l’huile sur le feu. Une pancartes du rassemblement bruxellois déclarait ainsi “Nous sommes tous des Zafzafis”, et ce malgré la terrible répression qui caractérise le régime.

    A Al Hoceima, épicentre de la lutte, au Nord du pays, un appel à une grève générale de 3 jours a été lancée et largement suivie ce jeudi 1er juin. Cet appel, lancé par un dirigeant du Hirak, permet de renforcer le rapport de force. Elle a été suivie dans plusieurs villes voisines et accompagnées de sit-in et de manifestations dans le reste du pays. (1)

    Tout comme lors du mouvement de 2011 en Tunisie, la jeunesse a joué un rôle moteur pour initier le mouvement, la colère contre le manque d’emplois et de perspectives d’avenir étant énorme. C’est maintenant au tour des travailleurs d’entrer résolument en action en bloquant les responsables de la misère : les capitalistes. Assurer la poursuite de l’extension du mouvement sera primordial pour empêcher le royaume de réprimer les manifestations. Les principales revendications : pour des emplois, pour des droits démocratiques pour tous et contre la répression permettent d’impliquer chacun dans la lutte.

    Concernant l’élargissement de la lutte, la nouvelle porte-parole du Hirak depuis l’arrestation de Zefzafi, Nawal Ben Aissa, explique que «[les femmes] ont vraiment pris leur place à partir du 8 mars. On a manifesté, pas pour célébrer cette journée, mais pour dénoncer notre situation». (2) « Après les arrestations de militants, les femmes n’avaient plus le choix. Elles devaient sortir dans la rue pour soutenir leur mari et leurs enfants. »

    L’entrée en scène du mouvement ouvrier et du mouvement des femmes au travers de méthode d’actions collectives constitue une excellente nouvelle. Une prochaine étape pourrait être l’établissement de comités de luttes locaux dans les entreprises et les quartiers afin de discuter les revendications et la suite du mouvement.

    => Supplément de Lutte Socialiste diffusé lors de ce rassemblement

    Bruxelles. Rassemblement de solidarité avec la contestation du Rif

    (1) http://www.france24.com/fr/20170602-maroc-rif-al-hoceima-toujours-mobilise-greve-generale-manifestations-zefzafi
    (2) http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/06/02/nawal-ben-aissa-figure-montante-de-la-contestation-dans-le-rif-marocain_5137774_3212.html

  • Maroc. La répression incapable de briser les mobilisations sociales

    Dans la soirée du 28 octobre 2016, un marchand de poisson, Mohsen Fikri, fut assassiné à Al Hoceima (dans la région du Rif, au Nord du Maroc) à la suite d’un contrôle policier. Les effroyables images de sa mort diffusées avaient provoqué une grande colère et lancé l’un des plus vastes mouvements de protestation au Maroc depuis le Mouvement du 20 Février 2011. Les mobilisations se sont succédé depuis lors et ont commencé à se structurer autour du ‘‘Hirak’’ (la mouvance). Sa figure de proue, Nasser Zefzafi, a été arrêtée dimanche dernier sous le prétexte d’avoir interrompu le prêche d’un imam dans une mosquée d’Al-Hoceïma le vendredi.

    Des manifestations spontanées de solidarité ont eu lieu dans la ville ainsi que dans d’autres au Maroc, notamment à Casablanca et à Rabat. Après les manifestations du samedi déjà à Al Hoceima, le procureur général du roi a annoncé l’arrestation de 22 militants du mouvement Hirak, mais d’autres sources ont avancé le chiffre de 70 personnes, pour des délits tels que ‘‘l’atteinte à la sécurité intérieure de l’État’’ ou encore ‘‘l’humiliation des symboles du pays’’. Les manifestations se sont poursuivies le dimanche, notamment sous le slogan : ‘‘arrêtez-nous tous, nous sommes tous des activistes !’’

    Dans une vidéo qui a notamment circulé sur AJ+, un manifestant expliquait : ‘‘Al Hoceima est encerclé, par terre et par air. Les forces de répression envahissent les maisons et obligent les gens à partir de force, comme si on était à Tel Aviv ou à Gaza.’’ Ne sachant comment mettre fin au mouvement social initié en octobre dernier – et prenant particulièrement peur après la grève générale et la manifestation monstre du 18 mai – le régime recourt à la force, en utilisant notamment le statut particulier de la province d’Al Hoceima. La région est soumise à un régime militaire depuis le soulèvement de 1958-59 dans la peur d’un mouvement insurrectionnel qui pourrait se répandre à tout le Rif.

    L’élite dirigeante craint toutefois que la colère déborde bien au-delà et que l’exemple de la lutte d’Al Hoceima fasse tâche d’huile. Un militant associatif modéré, Mohamed Alami Berrada, expliquait ainsi ce 29 mai sur le site Média24 : ‘‘A Casablanca où je vis, cela fait plusieurs semaines que j’entends gronder la colère dans les taxis et dans les cafés, mais aussi chez les classes moyennes prises en étau, entre crédits, charges familiales, d’éducation, médicales et des revenus qui n’augmentent pas. (…) Les Rifains sont les premiers à réagir, aujourd’hui, mais je suis presque certain, que si la création de valeur et d’emplois ne décolle pas, à court terme, on va voir émerger des Zefzafi dans tous les quartiers péri-urbains à fort taux de chômage. Et Nasser risque de passer pour le plus doux d’entre eux…’’ Il livrait notamment le chiffre suivant : ‘‘Tous les ans, 300.000 jeunes arrivent sur le marché du travail, pour seulement 30.000 emplois créés en moyenne par an, soit 270.000 jeunes sans emploi de plus, chaque année. Faites le calcul sur 10 ans.’’ 

    Construire le mouvement

    Action de solidarité à Bruxelles en novembre 2016.

    Depuis les mobilisations spontanées d’octobre 2016, le mouvement s’est structuré et a développé son cahier de revendications. Le mouvement Hirak exige que l’enquête sur le décès du jeune Mouhcine Fikri concerne toutes les personnes impliquées et que ses résultats soient divulgués rapidement. Il veut aussi que toute la clarté soit faite sur la mort de cinq personnes dans une agence de la Banque Populaire après les manifestations du 20 février 2011. Il revendique également la libération de tous les prisonniers politiques du Rif, la suspension des poursuites dont font l’objet les petits cultivateurs de cannabis de la région et l’abrogation du dahir de 1958 qui a fait d’Al Hoceima une zone militaire.

    Ses militants dénoncent également le “blocus économique” dont la région fait l’objet ainsi que “la corruption généralisée” et les “ puissants lobbies qui gangrènent” le secteur de la pêche ou de l’agriculture par exemple, alors que les petits pécheurs travaillent sans la moindre protection sociale. Ils exigent la construction d’une université pluridisciplinaire et d’instituts de formation, l’élargissement du réseau d’écoles, de collèges et de lycées, l’ouverture de nouvelles sections techniques ou scientifiques,… Concernant le secteur de la santé, les activistes revendiquent la construction d’un hôpital et de dispensaires de proximité, ainsi qu’un centre pour handicapés.

    Le mouvement réclame encore la construction d’une bibliothèque provinciale, d’un centre culturel, d’un théâtre, d’un conservatoire, mais aussi l’achèvement du projet de musée du Rif. Il accuse les services administratifs de corruption, et de servir certains lobbies immobiliers et revendique l’arrêt immédiat des “expropriations non justifiées au nom de l’intérêt général” et de la “confiscation des terres collectives”. D’autres revendications portent encore sur le recrutement des habitants de la région dans les services locaux de la fonction publique et l’adoption de l’amazigh comme langue de l’administration locale.

    C’est tout le régime qui doit dégager !

    La plupart de ces exigences veulent répondre à des problèmes auquel l’ensemble du pays est confronté, ces revendications pourraient être reprises ailleurs pour développer un puissant mouvement social capable d’empêcher l’isolement régional de la lutte et de rechercher un soutien parmi les masses du reste du pays. Les manifestations qui ont pris place dans des centres urbains tels que Rabat et Casablanca en octobre dernier ou ce week-end démontrent que le potentiel est bien présent. Elles illustrent que les questions en jeu dépassent largement les clivages culturels et ethniques que le pouvoir n’a cessé d’instrumentaliser pour affaiblir la résistance sociale, hier comme aujourd’hui.

    Ce cahier de revendication représente une base de discussion qui pourrait être élargie en exigeant la restitution des subsides sur les produits de première nécessité (gaz, carburant, farine, sucre,…) ou encore l’imposition d’un salaire minimum décent. Avec l’organisation de comités de lutte démocratiques dans tout le pays, ces revendications pourraient être affinées de manière à favoriser l’implication des masses de travailleurs et de pauvres du pays. L’organisation de tels comités démocratiques rendrait également la tâche plus difficile aux forces de répression en organisant la riposte et la défense du mouvement.

    Comme nous l’avions expliqué dans un article faisant suite au tragique décès Mohsen Fikri : ‘‘L’établissement de comités de luttes locaux dans les entreprises et les quartiers serait l’endroit idéal où discuter du cahier de revendication à défendre par le mouvement mais aussi de son organisation et de sa stratégie pour renverser le régime despotique de Mohammed VI et convoquer une assemblée constituante révolutionnaire où se rendraient les représentants démocratiquement élus de ces divers comités de lutte. Le mouvement qui a déferlé sur toute la région en 2011 a déjà illustré la manière dont un tel processus a les capacités de déboucher sur l’arène internationale. C’est aussi durant cette période que les organisations islamistes réactionnaires s’étaient retrouvées repoussées, provisoirement asphyxiées par l’activité unificatrice des masses.

    Mais il faut bien entendu tirer les leçons du mouvement de l’époque, arrivé dans une impasse qui a laissé l’initiative aux forces réactionnaires impérialistes, despotiques locales ou islamistes réactionnaires. (…) Seule la collectivisation démocratique des principaux leviers de commande de l’économie permettra d’établir une planification de l’économie qui lui permettra d’être au service de la population, contrairement aux plans ‘‘Émergence’’, ‘‘Émergence II’’ ou ‘‘d’accélération industriel’’ du maghzen qui n’ont eu pour effet que d’enrichir les proches du régime. C’est également sur cette base qu’il sera enfin possible de trouver une solution harmonieuse à la question nationale et à l’oppression des Amazighs basée sur l’auto-détermination des peuples et la solidarité.’’

    Comme l’a encore tout récemment démontré la grève générale observée dans le gouvernorat de Tataouine en Tunisie, les conditions matérielles qui ont donné naissance au soulèvement de masse et au processus de révolution et de contre-révolution dans la région en 2011 sont encore bien présentes.

    Nous sommes tous des Mohsen Fikri ! Non à la répression ! Non à l’impunité ! Pas touche aux libertés individuelles ! A bas l’oppression sociale et culturelle ! Grève générale ! C’est tout le régime qui doit dégager ! Contre la ‘‘hogra’’, le pouvoir aux travailleurs !

  • Yémen : Des familles entières laissées en proie à la famine à cause de la cupidité de multinationales occidentales

    C’est dans la nature du capitalisme de transformer chaque catastrophe humanitaire en une opportunité pour faire du profit. La guerre au Yémen a non seulement détruit la vie de dizaines de milliers de gens; elle a également créé un contexte dans lequel des grandes entreprises multimilliardaires peuvent se comporter plus facilement comme des gangsters à l’égard de la main d’œuvre locale.

    Le géant énergétique français TOTAL a été actif au Yémen depuis plus de 25 ans. La protection de ses installations était effectuée par des travailleurs employés comme gardes de sécurité par un contrat de sous-traitance avec la société britannique G4S.

    Après avoir fait d’énormes bénéfices pendant des années grâce à l’exploitation des travailleurs yéménites en temps de paix, ces deux entreprises ont instrumentalisé les circonstances de la guerre afin de réaliser un « hold-up » sur les salaires et les primes de licenciement de plus de 200 travailleurs – facilité par l’absence de couverture médiatique sur le Yémen, l’état dysfonctionnel des infrastructures, et la corruption généralisée dans le pays.

    TOTAL et G4S ont gelé la plupart de leurs activités au Yémen en 2015, mais l’ont fait avec un mépris total pour la législation en vigueur. En vertu du droit du travail au Yémen, l’employeur doit donner aux salariés au moins 30 jours de préavis de licenciement et payer une indemnité à la suite de la rupture du contrat. TOTAL et G4S sont partis sans donner la moindre compensation, ni même le moindre préavis aux 208 gardes de sécurité qui travaillaient sous leur autorité. “À la fin de décembre 2015, j’ai appris par la télévision que TOTAL avait quitté le Yémen”, affirme un des travailleurs concernés, Mohsin Omar Almashdali.

    À la suite d’une procédure judiciaire, les deux sociétés ont été condamnées à payer les salaires et autres rémunérations jusqu’à notification officielle de la fin des contrats de travail. Mais la décision du tribunal a été délibérément ignorée par les deux entreprises et les autorités locales n’ont rien fait pour appliquer cette décision. Depuis lors, les travailleurs se battent sans relâche pour exiger leurs droits.

    Ils ont mené une lutte héroïque dans des conditions difficiles, résistant aux méthodes d’intimidation mafieuses utilisées pour les faire taire, incluant des menaces de mort et des enlèvements par des gangs armés liés aux gestionnaires locaux de ces entreprises. En décembre dernier, trois jeunes gardes de sécurité ont été abattus par un groupe armé à Sana’a, alors qu’ils protégeaient un site de TOTAL saisi par le Tribunal du travail. Les puissants réseaux d’influence de ces entreprises leur ont octroyé un permis de tuer, facilité par le climat d’anarchie qui sévit au Yémen en ce moment.

    Le CIO a mené une large campagne internationale de protestations pour dénoncer ce scandale. Le 17 février puis le 31 mars, nos différentes sections ont mené des actions et des piquets devant les sièges de TOTAL dans une douzaine de pays sur tous les continents, afin d’exiger le paiement immédiat de tous les salaires et droits des travailleurs, ainsi que l’arrestation des tueurs.

    Dans un pays frappé par un embargo économique et une explosion des prix alimentaires, où la moitié de la population est au bord de la famine, cette lutte est devenue une question de vie ou de mort. Les travailleurs qui sont victimes des pratiques criminelles de TOTAL et G4S, ainsi que leurs familles qui dépendent de leurs revenus, sont confrontés à une situation extrême. Certains d’entre eux ont vu des membres de leur famille, y compris des enfants, mourir de faim; d’autres, incapables de payer leurs hypothèques, ont perdu leurs maisons. En incluant les primes de risque, les assurances sociales etc, les entreprises ont accumulé des arriérés de l’ordre de 27.000 $ à l’égard des anciens gardes. Autrement dit, moins de 1% du salaire annuel de Patrick Pouyanné, le PDG de TOTAL. Pendant ce temps, TOTAL et G4S ont enregistré des profits en hausse l’an dernier. C’est bien pour engraisser encore plus cette élite capitaliste que les travailleurs yéménites ont été volés et laissés à eux-mêmes dans l’un des pays déjà les plus pauvres de la planète.

    Ce qui arrive aux travailleurs de TOTAL et G4S au Yémen est inhérent à un système où le travail est exploité pour gonfler la richesse d’une poignée d’entreprises privées. Le sentiment d’impunité de ces entreprises doit cesser, au Yémen comme ailleurs. C’est pourquoi il est dans l’intérêt des travailleurs du monde entier de se solidariser avec la lutte courageuse des travailleurs de TOTAL et de G4S.

  • USA/Syrie. Trump ordonne le bombardement de la base aérienne d’Al-Chaayrate

    Missile Tomahawk. Photo: Wikipédia

    La décision du président américain Donald Trump de lancer une attaque de missiles contre la base aérienne syrienne d’Al-Chaayrate a aggravé le conflit en cours en Syrie tout en alimentant dangereusement les tensions entre les États-Unis, la Russie et l’Iran d’une part, ainsi qu’avec la Corée du Nord et la Chine d’autre part. Cela augmentera également considérablement les rivalités entre les régimes sunnites et chiites au Moyen-Orient.

    Par Niall Mulholland, Comité pour une Internationale Ouvrière

    Trump a affirmé que cette attaque aux missiles Tomahawk avait été ordonnée contre l’aéroport d’Al-Chaayrate car ce serait depuis cette base aérienne que l’attaque chimique a été menée sur Khan Cheikhoun, où plus de 70 personnes sont mortes quelques jours plus tôt.

    Ce tragique événement qui a vu la mort de dizaines de civils, parmi lesquels des enfants, a suscité répulsion et condamnation de la part des travailleurs et de la jeunesse du monde entier. Les États-Unis, soutenus par d’autres puissances occidentales, ont cyniquement instrumentalisé ce terrible événement dans le but de renforcer leur position dans le conflit syrien. Les puissances occidentales, qui veulent la chute du président Bachar el-Assad, se sont précipitées pour blâmer le régime syrien. Pour l’administration instable de Trump, cette attaque de missiles est également l’opportunité de tenter de renforcer son soutien aux Etats-Unis en déviant l’attention des promesses électorales non-tenues et de l’absence de solution face aux difficultés rencontrées par les Américains.

    Trump a ordonné ce bombardement sans qu’il n’y ait eu d’enquête au sujet de l’attaque, sans rechercher de mandat de l’ONU et sans l’approbation du Congrès américain. Il a toutefois été favorablement accueilli par les gouvernements européens, notamment par ceux du Royaume-Uni, d’Allemagne et de France, de même que par ceux de Turquie et d’Israël. La milice islamiste Ahrar al-Cham opposée au régime syrien a elle aussi accueilli les «frappes chirurgicales» américaines.

    Assad utilisera ce bombardement américain pour renforcer son image de prétendu ‘‘anti-impérialiste’’. Mais les socialistes ne soutiennent aucunement le régime d’Assad, qui a démontré son absence de préoccupation pour la vie de civils innocents durant la longue et sanglante guerre civile syrienne. Assad est un dictateur brutal prêt à recourir aux moyens les plus impitoyables pour s’accrocher au pouvoir. Cependant, il n’existe jusqu’à présent aucune preuve concrète pour prétendre que le régime d’Assad soit responsable de la mort de civils par utilisation de produits chimiques. Étant donné qu’Assad gagne actuellement la guerre – avec l’aide cruciale de Poutine – il semble même contre-productif de son point de vue d’avoir lancé une attaque chimique aveugle. Il était évident que cela aurait été le prétexte ouvrant la voie à une éventuelle attaque militaire des États-Unis.

    Moscou a insisté sur le fait que les forces aériennes syriennes ont frappé un dépôt d’armes chimiques des rebelles qui combattent les forces gouvernementales. Günther Meyer, directeur du Centre de recherche pour le monde arabe à l’Université Johannes Gutenberg de Mayence (en Allemagne), va plus loin: ‘‘Seuls les groupes d’opposition armés pourraient tirer profit d’une attaque aux armes chimiques. Le dos au mur, ils n’ont aucune chance de l’emporter militairement contre le régime. Comme le montrent les récentes déclarations du président Trump, de telles actions permettent surtout aux groupes anti-Assad d’accroitre leur soutien’’. (Cité par le service international de diffusion de l’Allemagne, Deutsche Welle, le 6 avril).

    La contre-révolution

    À ce stade, la seule certitude existant au sujet des terribles événements de Khan Cheikhoun est que des dizaines de civils ont été tués. Ils viennent s’ajouter aux centaines de milliers d’autres décès liés à cette guerre. Tout cela résulte fondamentalement de la contre-révolution opérée en Syrie suite à la véritable révolte de masse dirigée contre le régime d’Assad en 2011, sous l’inspiration des mouvements révolutionnaires de Tunisie et d’Égypte. Mais en l’absence de fortes organisations ouvrières et d’une direction anticapitaliste socialiste, les forces sectaires et islamiques ont été capables de profiter de ce vide, avec le soutien des États réactionnaires du Golfe et de la Turquie de même que par les puissances occidentales, ce qui a conduit la révolte de masse à dégénérer en une sanglante guerre civile aux multiples aspects.

    Ces frappes aériennes américaines ne sont-elles qu’une démonstration de force ou présument-elles une plus large intervention militaire américaine en Syrie ? Cel n’est pas encore clair. La base aérienne d’Al-Chaayrate est importante pour les opérations militaires syriennes et russes contre l’opposition armée au régime, largement islamique, et l’attaque américaine y a porté un sérieux coup. La Russie a condamné ce bombardement comme étant un «acte d’agression» et une «violation du droit international». Moscou a également annoncé suspendre son accord avec les États-Unis sur la prévention des incidents aériens (conclu en 2015 dans le but d’empêcher les incidents entre avions des deux pays dans le ciel syrien).

    L’Iran, dont des milices se battent aux côtés des troupes d’Assad, a également fermement condamné l’opération américaine. Les forces iraniennes sont également en Irak, où elles se battent officiellement aux côtés des troupes du régime de Bagdad contre l’Etat Islamique, ce qui ajoute aux complications sur le terrain.

    Trump a semblé ordonner cette attaque aérienne alors qu’il était en discussion avec le président chinois, Xi Jinping, en visite aux États-Unis. Cela ne fera encore qu’accroître les tensions avec le régime de Pékin. Trump avait déjà annoncé qu’il était prêt à entreprendre une action militaire ‘‘unilatérale’’ contre la Corée du Nord et a également émis des déclarations menaçantes contre la ‘‘construction d’îles’’ militaires chinoises dans la Mer de Chine méridionale. Selon le Financial Times (Londres, 07/04/17), ‘‘Liu Binjie, qui siège au comité permanent qui supervise le parlement chinois, a mis en garde contre une action unilatérale contre la Corée du Nord.’’ L’Etat entier est militarisé’’, a-t-il déclaré. ‘‘Si vous les menacez avec force, cela peut se retourner contre vous.’’

    Comme l’a averti le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO, dont le PSL/LSP est la section belge), l’avènement de l’administration Trump marque un changement des relations mondiales, vers une situation plus dangereuse et imprévisible. La classe des travailleurs et la jeunesse au Moyen-Orient, aux États-Unis et dans le reste du monde doivent développer un mouvement anti-guerre de masse avec de puissants partis reposant sur la classe des travailleurs, défendant des politiques de nature socialistes audacieuses pour en finir avec la guerre, le terrorisme et la misère liés au capitalisme et à l’impérialisme.

    • Stop aux attaques de Trump contre la Syrie – Non à toute ingérence des puissances extérieures dans la région !
    • Pour la fin de la guerre et de la terreur en Syrie, en Irak et au Moyen-Orient !
    • Non au racisme et au traitement des migrants et réfugiés comme boucs émissaire !
    • Pour l’unité des travailleurs et le socialisme !
  • Syrie. La fin de la guerre est-elle en vue ?

    Les nouveaux mouvements pour le changement social doivent intégrer les leçons de la tragédie syrienne

    La victoire militaire du régime d’Assad et de ses alliés étrangers à Alep a été un tournant dans la guerre en Syrie. Elle a permis au gouvernement syrien de reprendre le contrôle officiel des principaux centres urbains du pays. Mais est-ce le prélude à un accord de paix qui puisse mettre fin à la litanie d’horreurs infligées au peuple syrien?

    Par Serge Jordan (Comité pour une Internationale Ouvrière)

    Dans les semaines et les mois qui ont suivi les soulèvements révolutionnaires en Tunisie et en Egypte en 2011, la Syrie a été le théâtre d’une révolte populaire de masse contre la dictature brutale et corrompue de Bashar El Assad. La riposte contre-révolutionnaire à ce soulèvement a initié la longue suite de tragédies qui se déroulent encore en Syrie aujourd’hui. L’absence d’organisations ouvrières indépendantes capables d’exploiter ce mouvement selon les lignes de classe et de surpasser les divisions religieuses et ethniques sur lesquelles la dynastie Assad avait consolidé son pouvoir, a créé de multiples oopportunités: Cela a permis au régime de mettre en œuvre une répression sauvage; au divers groupes sectaires d’usurper le mouvement anti-Assad; Et pour plusieurs forces capitalistes étrangères, cela a permis d’intervenir des deux côtés afin d’exploiter le conflit à leur profit. Diverses forces contre-révolutionnaires se sont entre tuées dans une guerre dévastatrice qui a déplacé plus de la moitié de la population du pays, tué des centaines de milliers de personnes et réduit ce beau pays à un gigantesque tas de ruines.

    Un tournant important a eu lieu en décembre dernier, lorsque le régime et ses soutiens ont repris Alep, la ville la plus peuplée du pays avant la guerre et son bastion économique. Cela leur a permis de revenir cette année à la table de négociation avec un effet de levier beaucoup plus important que lors des négociations de paix internationales antérieures, qui avaient été en grande partie symboliques. Ces évolutions se déroulent dans le contexte de nouvelles mutations des relations de pouvoir en constante évolution au Moyen-Orient – les alliances régionales devenues encore plus volatiles après le processus de révolution et de contre-révolution au Moyen Orient et en Afrique du Nord connu sous le nom de Printemps arabe, qui a déstabilisé les arrangements politiques de longue date des élites dirigeantes.

    Les pourparlers de paix sur la Syrie qui ont eu lieu récemment à Astana, la capitale du Kazakhstan, visaient à établir un cessez-le-feu à l’échelle nationale, reflétent les nouveaux réalignements. Organisés sous le parrainage de la Russie, de la Turquie et de l’Iran, ils témoignent du déclin récent de l’influence de l’impérialisme américain sur le Moyen-Orient et du rôle géopolitique plus affirmé de la Russie. Comme l’a décrit le journaliste Erika Solomon dans le Financial Times, «les envoyés occidentaux se retrouvent relégués avec des journalistes dans le pub irlandais lambrissé d’un hôtel au Kazakhstan».

    Erdogan et Poutine rabibochés

    Alors que les États-Unis demeurent la plus grande puissance militaire mondiale, leur domination incontestée sur les affaires mondiales a disparu depuis longtemps. Cela a conduit à une situation dans laquelle diverses autres puissances régionales et internationales sont déterminées à imposer leurs propres règles. L’un des axes pivots d’un tel développement se retrouve dans le rapprochement provisoire, depuis l’été dernier, entre deux camps opposés de la guerre en Syrie: la Russie, un allié de longue date du régime d’Assad et la Turquie, partenaire historique de l’impérialisme américain et Pilier de l’OTAN, qui avait équipé et financé un éventail de forces islamistes de droite dans l’espoir d’affaiblir le régime syrien.

    Les raisons de ce tournant diplomatique sont multiples. Au-delà de l’importance du marché russe pour une économie turque qui se contracte, il existe un calcul plus simple et plus pragmatique: l’intervention militaire puissante de Poutine en Syrie depuis l’automne 2015 a contribué à renverser l’équilibre et, ce qui est assez important, Assad et son régime. Les bombardements impitoyables de la Russie ont tué de nombreux civils, détruit des infrastructures et des installations médicales, et réduit les quartiers entiers en ruines, étendant la tactique de la punition collective déjà pratiquée par l’armée syrienne et ses milices affiliées. Elle a également imposé de lourdes pertes militaires aux rebelles armés et aux guerriers djihadistes soutenus par la Turquie (ainsi que par l’Arabie saoudite et le Qatar) et balayé la possibilité immédiate d’une débâcle militaire pour les forces d’Assad.

    Dans ces conditions, l’option du président turc Erdogan pour un «changement de régime» à Damas a été mise au placard. En soutenant les djihadistes, le gouvernement turc a joué avec le feu et a subit un retour de flammes colossal. Victimes d’une violence terroriste croissante, les travailleurs ordinaires paient de leur sang le prix de la mauvaise politique étrangère de leur gouvernement. Ce facteur a par exemple joué un certain rôle dans la colère d’une partie de l’armée turque, nourrissant la tentative de coup d’état contre Erdogan en août 2016.

    Les Kurdes: le prix de la négociation

    Outre l’armée d’Assad, la principale cible des djihadistes soutenus par l’état turc était les combattants kurdes des YPG / YPJ (Unités de Protection du Peuple / Unités de Protection des Femmes). Par l’intermédiaire de leur bras politique, le Parti Démocratique de l’Union (PYD, branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan, ou PKK), ils avaient réussi, à l’été 2012, à s’emparer du pouvoir dans le nord de la Syrie après le retrait de l’armée d’Assad.

    Malgré les nombreuses faiblesses des méthodes politiques du PYD (comme une administration du haut vers le bas et une stratégie militaire à court terme basée sur des accords avec les forces impérialistes), les Kurdes qui vivent dans la région ont obtenu des droits qui avaient disparu pendant des décennies durant le règne d’Assad ? Cela a aidé à relancer la lutte du peuple kurde contre l’oppression en Turquie et ailleurs.

    La tentative d’Erdogan d’utiliser l’EI et d’autres combattants djihadistes pour affaiblir le mouvement kurde dans le nord de la Syrie s’est largement transformée en un fiasco: loin de diminuer, les combattants kurdes ont acquis une réputation internationale en tant qu’ennemi le plus farouche des assassins de l’EI. L’année passée, ils étaient à deux doigts faire la jonction entre la partie orientale de Cirize et Kobane avec le canton isolé d’Afrin à l’ouest, confrontant les dirigeants turcs à la perspective d’avoir un groupe lié au PKK contrôlant une bande de terre contiguë à leur frontière.

    En définitive, Erdogan a été contraint de réajuster ses priorités. En août dernier, l’armée turque est intervenue directement pour la première fois sur le territoire syrien, une campagne dénommée “Opération Euphrates Shield”, dont l’objectif principal était d’empêcher les YPG / YPJ et leurs combattants alliés des Forces démocratiques syriennes (SDF) de traverser l’Euphrate et de connecter les zones sous leur contrôle.

    L’absence de toute réaction forte contre une invasion terrestre de la Syrie par la Turquie, la Russie ou l’Iran est révélatrice de la volatilité des relations entre les puissances impliquées. Les dirigeants baasistes de la Syrie et les religieux réactionnaires au pouvoir en Iran partagent avec Erdogan un vif désir de remettre les Kurdes à leur place. Un membre de premier plan du parti au pouvoir en Turquie (AKP) a déclaré l’été dernier au sujet de l’autonomie kurde, “Nous ne pouvons pas nous aimer, mais sur ce sujet nous soutenons la même politique”. Ce que l’on sait des discussions secrètes tenues en Algérie entre des responsables syriens et turcs suggèrent que le gouvernement turc a probablement reçu une certaine garantie sur cette question qui a facilité un accord selon lequel la Turquie abandonnerait ses vues sur Alep en échange d’un «corridor de sécurité» dans le nord de la Syrie qui pourrait empêcher l’unification des zones kurdes.

    Alep repris par Assad

    La Turquie a renforcé sa frontière avec la Syrie, longtemps utilisée pour le ravitaillement des groupes armés extrémistes sunnites. Les États du Golfe, confrontés à des problèmes économiques endogènes et incapables d’en sortir, ont également réduit leur flux d’approvisionnements vers leurs milices sectaires respectives sur le terrain. Les rebelles islamistes de droite ont vu leurs sources de financement se tarir, ont été privés de missiles antiaériens ou d’une force aérienne capable de concurrencer la campagne de bombardement intensif des armées syrienne et russe, dont la supériorité militaire est évidente.

    Au cours des derniers mois, le sort de l’Est d’Alep, jusqu’alors le dernier grand fief urbain des rebelles armés, a été ainsi scellé. La zone a été affamée par un siège qui a aussi stoppé les renforts militaires en plus des livraisons de nourriture et de fournitures médicales. Des dizaines de milliers de civils ont été pris dans le feu croisé des unités combattantes.

    Sur le plan politique, les rebelles armés, entrés à Alep en 2012, sont tombés, victimes de leurs propres méthodes de gouvernement qui ont détourné des sections importantes de la population locale – un fait négligé par certaines sections de la gauche, louant sans scrupule la gloire d’une “révolution” qui a malheureusement tourné court.

    Certaines zones de résistance populaire, des réseaux souterrains de militants communautaires et les débris des comités locaux autrefois nombreux, qui avaient émergé en 2011 dans la lutte contre le régime d’Assad, continuent d’exister. Mais la nature globale du conflit a évolué en un champs de bataille dominé par les forces réactionnaires, un conflit au sein duquel les exigences originales de la révolution sont devenues de plus en plus difficiles à entendre.

    Partout dans le pays, l’influence grandissante des groupes sectaires sunnites a incontestablement contraint certaines couches importantes de la population, en particulier parmi les minorités religieuses, à soutenir le régime d’Assad par crainte que quelque chose de pire le remplace. Dans l’est d’Alep, les exactions de ces milices, qui incluent des pillages et des massacres sectaires, expliquent pourquoi elles n’ont pas réussi à assurer une base de soutien populaire.

    Beaucoup d’habitants, las de la répression du régime, ont découvert que la corruption et les conditions de vie dans les soi-disant «zones libérées» ne constituaient pas une alternative digne de mourir. Les morts civils résultant de bombardements effectués par les rebelles sur l’ouest d’Alep ont également aidé les forces d’Assad à obtenir une approbation du siège dans l’autre partie de la ville.

    Certains commentateurs de gauche ont fait grand cas de l’Armée syrienne libre (FSA) en la présentant comme une structure complètement différente des milices religieuses. Cela reste cependant peu convaincant. La FSA n’a jamais été plus qu’un simple nom, sans commandement central, derrière lequel on trouve une myriade de factions armées disparates, dont beaucoup ont coopéré et combattu aux côtés des djihadistes. Par exemple, dans le nord de la Syrie, la FSA est composée pour la plupart de combattants islamistes de droite qui apportent une aide directe aux plans de guerre de la Turquie visant à établir une zone tampon contre les Kurdes.

    Une victoire à la Pyrrhus?

    Après Alep, les opérations de guerre se déplacent maintenant vers la province du nord d’Idlib, dont une grande partie est encore contrôlée par le Jabhat Fatah al Sham (anciennement dénommé front Al Nusra) et les Salafistes d’Ahrar al-Sham ainsi que par diverses autres factions armées qui se sont récemment associées à ces deux groupes. Sur la défensive après leur défaite à Alep, ces groupes ont commencé à se tourner l’un contre l’autre. Le contrôle des fiefs locaux, des fournitures d’armes et des prélèvements fiscaux est devenu primordial pour leur survie. Le camp d’Assad pourrait intensifier ses opérations militaires dans ces régions; Mais il pourrait aussi bien se contenter de regarder l’opposition se battre pour le contrôle de zones stratégiquement moins importantes de la Syrie.

    Le régime syrien a en effet un intérêt à maintenir un faible niveau de présence djihadiste dans le pays comme épouvantail qui l’aide à garder le contrôle sur sa population et pour légitimer ses méthodes de répression comme une arme justifiée dans la «guerre contre la terreur “. Cette tactique explique pourquoi jusqu’à ce jour la majorité des bombes syriennes et russes sont tombées loin des zones contrôlées par l’EI. Il est intéressant de constater que le ministère russe de la Défense a récemment parlé d’Ahrar al-Sham comme d’une «opposition modérée», montrant qu’en fin de compte, la classe dirigeante russe n’a pas davantage de problème de principe pour légitimer les milices sectaires violentes que ses homologues occidentaux.

    Après tout, le régime et ses partisans étrangers partagent avec les groupes armés djihadistes un intérêt commun à empêcher qu’un mouvement véritablement progressiste et populaire pour la justice sociale et les droits démocratiques ne ressurgisse. Cette vérité dérangeante pour la gauche pro-Assad, explique pourquoi le régime syrien a méthodiquement supprimé, torturé et tué de nombreux militants pacifiques et laïques au cours des dernières années, alors qu’il a libéré des centaines de jihadistes dangereux de prison en 2011 et 2012, dont certains occupent aujourd’hui des positions dirigeantes dans des groupes tels que Ahrar Al-Sham, Jaysh al-Islam et d’autres.

    L’EI, pour sa part, est encore enracinée dans certaines parties des provinces du nord et de l’est de la Syrie. Au cours des dernières étapes de la bataille d’Alep, le groupe a réussi à reconquérir la ville désertée de Palmyre, quelques mois seulement après que son théâtre romain ait été le lieu d’un concert triomphal célébrant sa reprise par les forces gouvernementales syriennes grâce au soutien de l’armée russe.

    Cet épisode montre que le régime d’Assad n’est pas aussi fort qu’il le prétend, et que gagner des batailles locales ne signifie pas qu’il puisse se maintenir sur le terrain regagné. Le régime est maintenant confronté à la nécessité de rétablir l’autorité de l’État sur de grandes zones où la population lui reste hostile. Ce ne sera pas une tâche facile, puisque l’armée syrienne est maintenant épuisée et diminuée par les morts et les défections – au point que même des hommes de plus de cinquante ans sont recrutés dans ses rangs, en dépit d’une limite d’âge réglementaire de 42 ans. Le régime est fragmenté en une multitude de forces locales, de cliques, et soutenu par un éventail de milices étrangères ou domestiques qui ont leurs agendas propres. Une grande partie des derniers combats a été menée par les paramilitaires chiites d’Iran et d’Irak et par le Hezbollah libanais, avec le soutien de l’aviation russe. Tous ces gens voudront leur part du butin, jetant les bases d’un pays extrêmement difficile à administrer, déchiré par des luttes intestines et par une guerre civile continue, bien que de basse intensité.

    Aussi, à moins qu’un mouvement n’émerge pour reconstruire une lutte unifiée par delà les communautés, le ressentiment général contre le régime meurtrier d’Assad pourrait bien se traduire en de nouvelles effusions de sang et d’attaques terroristes dans des régions qu’il contrôle. Le désespoir et l’oppression des couches pauvres de la population sunnite, qui avait été à l’origine de la chute d’Assad, continuera à fournir aux groupes armés extrémistes un outil de recrutement pour poursuivre leurs activités.

    Même parmi les gens qui soutiennent ou tolèrent le régime, le ressentiment est probablement répandu et la peur entre pour une bonne part dans leur position . Beaucoup de leurs parents sont morts alors qu’Assad, sa famille et ses amis d’affaires sont encore dans leurs palais et sont devenus encore plus riches pendant la guerre. Le pays est en ruines et le régime est également accablé par la nécessité de prévoir la survie et l’alimentation de plusieurs centaines de milliers de réfugiés internes. Cela et la reconstruction du pays nécessiteront d’énormes ressources, ce que la Russie et l’Iran seront probablement moins enclins à fournir que l’assistance militaire, à moins, bien sûr,qu’ils n’y voient des profits pour leurs entreprises respectives, un facteur qui pourrait pousser la Syrie dans une position d’état vassal de puissances étrangères. En définitive, la victoire d’Assad à Alep peut encore se révéler une victoire à la Pyrhus.

    Quel avenir pour la Syrie?

    Les puissances impérialistes occidentales ont été largement en marge des discussions sur l’avenir de la Syrie, leur diplomatie étant en grande partie réduite à des gesticulations symboliques. Malgré les obsessions de la gauche assadiste à propos de l’idée d’un “changement de régime” parrainé par les impérialistes, les déclarations incendiaires contre Assad ont été abandonnées il y a longtemps. Comme l’a signalé le New York Times, «les Européens, à un moment féroces adversaires de M. Assad, ont été en grande partie muet alors qu’il rayait Alep de la carte». Bien qu’une course à l’influence a sans doute fait rage pendant des années entre les impérialismes américains et russes, une intervention militaire à grande échelle pour changer le régime n’a en fait jamais été considérée comme une option réalisable par les stratèges les plus influents de l’Amérique.

    Cette tendance semble renforcée par l’élection de Donald Trump, qui pousse à prioriser la lutte contre l’EI. Le secrétaire américain aux affaires étrangères, Boris Johnson, a récemment annoncé que “Bachar al-Assad devrait être autorisé à se présenter aux élections en cas de paix en Syrie”. Bien sûr, ce genre de déclarations ne doit pas être considéré comme une fin aux tensions inter-impérialistes, dont la Syrie n’est qu’un point de mire. La concurrence féroce pour les marchés et les zones stratégiques est une tendance incontournable en temps de crise capitaliste mondiale.

    De plus, les positions de Trump sont marquées du sceau de l’imprévisibilité. Ses appels récents à créer des «zones de sécurité» en Syrie illustrent cela, même si cela ne pourrait pas être réalisé à moins de provoquer une guerre plus large et diviser ses propres forces armées.

    L’équilibre militaire sur le terrain implique que pour l’instant, le régime d’Assad et l’impérialisme russe ont le dessus sur le champ de bataille, et que les puissances occidentales ont été forcées de s’acclimater à cette réalité. La proposition présentée par la commissaire européenne aux Affaires étrangères Federica Mogherini d’un nouveau “Plan B pour la Syrie” suit cette logique. Il implique un soutien financier de l’UE en échange d’un accord de partage du pouvoir, où les insurgés dits «modérés» seraient autorisés à rejoindre un gouvernement, certes recomposé avec l’appareil du régime despotique actuel.

    De nouveaux mouvements de la classe ouvrière

    Ceci montre une fois de plus l’hypocrisie totale des puissances impérialistes, pour laquelle il n’y a qu’une seule règle qui prévale: «Pas d’amis permanents ni d’ennemis; Seulement des intérêts “.

    Les Kurdes, entre tous les peuples, ont appris cette leçon de la manière dure qui soit plusieurs fois dans leur histoire. À l’heure actuelle, les impérialismes russe et américain doivent compter avec le YPG / YPJ et le FDS, car ces groupes se dirigent vers la ville syrienne de Raqqa dans leur campagne contre l’EI. À ce stade, il est également clair que l’armée d’Assad n’est pas assez forte pour déclencher une nouvelle guerre d’affaiblissement contre les Kurdes. Pourtant, le rétablissement d’un équilibre de pouvoir dans la région au profit des régimes capitalistes pourraient bien être réalisé aux dépens du peuple kurde ordinaire; Soit grâce à la coercition par des moyens militaires, soit par la domestication de leurs dirigeants via les liens étroits établis entre le régime turc d’Erdogan et le gouvernement conservateur et pro-capitaliste du Kurdistan irakien. Épouser un programme qui se dresse contre l’ingérence impérialiste dans les affaires de la région sera essentiel pour le mouvement kurde afin de trouver des oreilles attentives parmi les classes ouvrières et les communautés pauvres du reste de la Syrie et de la région. De même, le droit légitime à l’autodétermination des Kurdes doit être intégré aux revendications du mouvement ouvrier et de la gauche – afin de cimenter la communauté d’intérêts qui existe entre tous les travailleurs et les pauvres, contre tous les intérêts capitalistes et impérialistes.

    Les prochains mouvements pour le changement social devront s’armer des leçons de la tragédie syrienne. Un parti politique puissant, armé d’idées socialistes, visant à transférer la richesse de la région vers la propriété collective et à la réaffecter à une planification démocratique, à défendre les droits démocratiques de toutes les composantes ethniques et religieuses de la société et à tisser des liens avec le mouvement syndical de la région, aurait pu réunir les travailleurs et les pauvres dans une lutte révolutionnaire contre la dictature, le sectarisme et l’impérialisme. L’absence d’une telle alternative a permis que la lutte des masses soit détournée et écrasée par diverses forces contre-révolutionnaires.

    Des milices concurrentes et des régimes capitalistes corrompus ont fait entrer la Syrie dans un processus de fragmentation avancée, impliquant des massacres sectaires, des déplacements internes massifs et des changements démographiques forcés. Dans ces conditions, il est évident que «l’ancienne Syrie» ne sera jamais reconstituée. Les résultats finaux des pourparlers de «paix» sont susceptibles d’ancrer une «libanisation» de facto du pays, les différentes forces assises autour de la table pour décider comment se partager le gâteau.

    Cependant, chaque fois que les canons se sont tus, des manifestations, quoique limitées, ont réapparu dans diverses parties de la Syrie, contre le régime, contre les fondamentalistes, contre l’intervention étrangère. Même parmi les populations alaouites situées le long de la côte occidentale de la Syrie, qui constituent le principal soutien du régime d’Assad, des manifestations ont parfois été organisées, bravant la répression étatique, s’élevant contre le gouvernement à cause des hausses de prix, de la conscription forcée de leurs fils ou pour revendiquer la levée du siège sur certaines villes.

    Bien que cette résilience dans des situations extrêmement défavorables ne doit pas donner lieu à du romantisme, ces exemples demeurent un signe encourageant que les rivières de sang répandues durant les six dernières années n’ont pas été en mesure de calmer la soif de changement des masses .

    Dans un article intitulé «La tragédie syrienne signe la fin des révolutions arabes», le journaliste de guerre vétéran Robert Fisk écrit: «De même que l’invasion anglo-américaine catastrophique de l’Irak a mis fin aux aventures militaires occidentales au Moyen-Orient, la tragédie en Syrie garantit qu’il n’y aura plus de révolutions arabes. »C’est une grave erreur de jugement. Alors que les masses syriennes ont connu une défaite critique, la situation dans l’ensemble du Moyen-Orient entraînera inexorablement de nouveaux bouleversements révolutionnaires qui offriront de nouvelles opportunités pour changer le cours de l’histoire et guérir les plaies ouvertes de la catastrophe syrienne.

  • Solidarité avec les travailleurs de TOTAL et G4S au Yémen

    Sit-in des employés protestataires devant les bureaux de Total à Sana’a au Yémen. Sur la banderole, on peut lire : « Ils ont commencé par le pillage des ressources du Yemen et ils finissent par le pillage des droits des employés »

    Les guerres n’anéantissent pas que les vies des populations civiles et les infrastructures, elles détruisent aussi les libertés fondamentales ainsi que les droits sociaux. C’est le cas, aujourd’hui au Yémen, où TOTAL – la célèbre multinationale pétrolière française – se comporte comme un véritable voyou, après avoir surexploité les travailleurs yéménites en temps de paix.

    TOTAL est au Yémen depuis plus de 25 ans. La multinationale y exploite le pétrole et le gaz. Elle a sous-traité la sécurisation de certaines de ses installations à l’entreprise britannique G4S, qui emploie plusieurs centaines de milliers de personnes dans 120 pays à travers le monde. Au Yémen, dans le cadre de la sous-traitance de la sécurité des installations de TOTAL, elle a embauché 208 agents de sécurité.

    En mars 2015 la guerre éclate dans le pays. TOTAL abandonne la plupart de ses activités dans le pays dès le début du conflit et annonce le licenciement de ses employés par SMS, sans payer les salaires dus, ni les primes auxquels ils avaient droit. Si G4S quitte le pays officiellement dès juin 2015, un organisme opérationnel sous leur nom continue les opérations dans le pays.

    Quoi qu’il en soit, après une courte procédure devant le tribunal du travail de Sana’a, la capitale, les locaux de TOTAL et G4S sont saisis. Et concernant les agents de sécurité, les entreprises sont condamné à payer les salaires des travailleurs jusqu’à la fin de leur contrat.

    Cette décision de justice sera totalement ignorée par la multinationale pétrolière et la société de sécurité. Aujourd’hui, c’est plus de 27 000 dollars de salaires qui sont dus aux agents de sécurité yéménites par les entreprises. Bien évidemment, les autorités locales ne font rien pour imposer aux entreprises le rétablissement des droits des travailleurs, possiblement aidées dans cette inaction coupable par le versement de pots-de-vin.

    Certains salariés ont accepté de l’argent, sous la menace, afin qu’ils arrêtent la lutte. Cependant 115 d’entre eux sur les 208, continuent de travailler sans être payés et de se battre pour que leurs droits soient respectés et pour que les décisions de justice soient appliquées. Comme on peut l’imaginer dans un pays en guerre, avec ce que cela implique du point de vue de la cherté de la vie, ils sont aujourd’hui dans une situation désespérée. Certains d’entre eux ont perdu leur logement, d’autres ont vu des membres de leur famille, dont des enfants, mourir de faim.

    Malgré cela, ils tiennent bon dans leur combat héroïque, et malgré les méthodes mafieuses et fascistes qui sont utilisées pour les faire taire : menace de mort contre eux et leurs familles, attaques par des gangs armés qui a abouti aux meurtres de 3 d’entre eux en décembre dernier. Il semblerait que les gangs armés qui s’en prennent aux travailleurs en lutte soient liés à plusieurs dirigeants de l’entreprise G4S au Yémen. Bien évidemment, les entreprises nient tout implication avec ces meurtres. G4S affirme même n’avoir aucun lien avec G4S au Yémen. Pourtant, ils n’ont engagé aucune poursuite contre cette société qui utilise leur nom et leur logo, ni même publié une déclaration réfutant les allégations les impliquant.

    Solidarité internationale vendredi 17 janvier

    Cette répression a augmenté leur colère et maintenant ils se battent aussi pour que les responsables de ses meurtres soient jugés et condamnés. Mais ces travailleurs ne doivent pas rester seuls dans ce combat. Vendredi 17 février, les travailleurs de G4S/TOTAL au Yémen organisent une journée de mobilisation. Ce même jour, à l’initiative du Comité pour une Internationale Ouvrière (l’organisation internationale à laquelle la Gauche Révolutionnaire est affiliée), auront lieu un peu partout dans le monde des actions de solidarité internationale avec le hashtag #JusticeForTOTALG4SWorkers.

    Pour aider lors de la journée de solidarité, vous pouvez envoyer des messages de protestation à :

    – caroline.skinner@uae.g4s.com (Caroline Skinner, Conseil régional général Moyen-Orient de G4S)
    – philip.jordan@total.com (Philip Jordan, président du Comité d’éthique Total… ou par tél. 01.47.44.42.15)
    – courts@moj.gov.ye (Ministère de la Justice au Yemen)

    Et des copies peuvent être envoyées à cwi@socialistworld.net et abdulalimsaeed@gmail.com

  • Libérez les prisonniers politiques MOZABITES des geôles algériennes !

    Un rassemblement en solidarité avec les détenus politiques amazighs du Mzab, dans les geôles du pouvoir algérien, aura lieu ce vendredi 3 février à 17h à Bruxelles, Place de la Monnaie (située entre le Palais de la Bourse et la place de Brouckère). Le tract ci-dessous y sera distribué par les militants du PSL.

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    Le 9 juillet 2015, Kameleddine FEKHAR, médecin de profession et militant amazigh des droits humains, ainsi que quarante de ses camarades ont été injustement arrêtés et illégalement incarcérés par le régime algérien sur base de dossiers VIDES. Plusieurs d’entre eux sont morts en prison des suites de mauvais traitements. Les détenus d’opinion mozabites incarcérés dans les geôles du pouvoir algérien font l’objet de pressions psychologiques et de non-respect de la dignité humaine. Beaucoup d’entre eux sont malades, épuisés et privés de soins. L’état de santé de Kamel Fekhar, en grève de la faim depuis le 3 janvier 2017, pour la 5e fois, est plus qu’inquiétant.

    Tract du PSL // Libérez les prisonniers politiques MOZABITES des geôles algériennes ! (tract en version PDF)

    Depuis le drame qui s’était déroulé à Ghardaïa (en Algérie, à 600 km au Sud d’Alger) en juillet 2015 où plus d’une trentaine de Mozabites avaient étés assassinés, le Mzab est toujours plongé dans un enfer meurtrier. Les Mozabites sont une communauté amazigh de religion musulmane ibadite. Ils continuent à pratiquer l’entraide liée au droit coutumier amazigh et sont en opposition à l’Islam orthodoxe, la religion de l’Etat. Leur présence et leurs coutumes gênent le régime capitaliste central. Celui-ci essaye partout en Algérie d’arrêter tout mouvement de contestation. A cette fin, il sème la division pour régner. Des femmes, des hommes et des enfants de cette région subissent régulièrement des offenses humiliantes et sanglantes de la part de certains membres de la communauté arabophone (châamba et autres). La police algérienne prête main-forte aux agresseurs. Ainsi, au lieu de protéger les victimes, plusieurs images, vidéos et témoignages montrent clairement la participation de la police au côté des agresseurs.

    Le conflit dans le Mzab remonte aux années ‘70. Il reflète les mêmes injustices qui s’appliquent ailleurs. Au Sud de l’Algérie, le régime exploite du gaz de schiste sur des terres collectives (entre autres à In-Salah) au grand dam des populations locales qui subissent la pollution et craignent la sècheresse. Au Mzab, depuis plusieurs décennies, les autorités algériennes s’accaparent les terres collectives et confisquent parfois leurs terres dans le cadre d’une politique d’arabisation, comme partout ailleurs dans le pays. Ces terres sont attribuées à la communauté châamba ou consacrées à la construction de logements sociaux destinés aux Arabes châambas ou encore à des gens issus d’autres régions d’Algérie.

    Le bilan des attaques s’alourdit constamment : une cinquantaine de morts depuis le début du conflit, en décembre 2013. Face à cette grande injustice et à cette situation dramatique, nous ne pouvons rester inertes. Il faut dénoncer ces attaques sauvages redoublant de férocité depuis deux ans dans cette contrée isolée par le climat, le relief et la mise en quarantaine par le pouvoir algérien.

    L’Algérie étant officiellement « arabe et musulmane sunnite de rite malékite », il en découle que tout ce qui diffère de cette définition est discriminé, exclu, combattu. C’est le sort des Mozabites qui sont à la fois amazighs et musulmans de rite ibadite, ce rite ibadite étant considéré par les autres adeptes de la religion musulmane comme relevant d’un courant hérétique. Non-prosélyte, l’ibadisme est caractérisé par sa non-violence. Il représente seulement 1 % de la population de confession musulmane au monde et est en voie de disparition. Dans les sociétés berbères, l’ibadisme est indissociable de l’amazighité ce qui lui vaut l’appellation d’« islam identitaire ».

    Cette position intolérante à l’égard des particularismes de l’Islam a été relayée dans les mosquées par des discours haineux tenus par des fonctionnaires (religieux) nommés par le gouvernement. Cela est gravement discriminatoire et viole la liberté de conscience telle que prévue par la Constitution algérienne et par les principales institutions internationales relatives aux droits humains.

    • Libération immédiate de tous les détenus politiques en Algérie, en particulier les Mozabites et leur dirigeant le docteur Kamaleddine Fekhar ;
    • Rejet de toute forme de racisme, non seulement contre les Mozabites, mais aussi contre tous les Amazigh et les immigrés africains ;
    • Création d’une commission d’enquête internationale sur les crimes commis contre le peuple mozabite ;
    • Arrêt immédiat de la répression des mouvements sociaux en Algérie, dont le mouvement contre le gaz de schiste ;
    • Appel à la solidarité internationale du mouvement ouvrier et de tous les opprimés contre tous les crimes qui résultent de la recherche de profits et de l’enrichissement des élites nationales et internationales.
  • Six ans après la chute de Ben Ali, les exigences de la révolution doivent encore être réalisées

    « Comment voulez-vous que je gagne ma vie? » -tel fut le cri de Mohamed Bouazizi, alors âgé de 27 ans, lorsqu’il s’arrosa d’essence avant de s’immoler par le feu le 17 décembre 2010 – déclenchant un mouvement de révolte de masse contre la dictature corrompue du président Zine al Abidine Ben Ali, qui fut renversé moins d’un mois plus tard, le 14 janvier 2011.
    Six ans plus tard, un grand nombre de jeunes en Tunisie n’ont toujours pas les fondations nécessaires dans leur vie pour se construire un avenir décent. Une nouvelle étude réalisée par le Forum Tunisien des Droits Economiques et Sociaux (FTDES) a révélé que 45,2% des jeunes Tunisiens âgés de 18 à 34 ans souhaitent émigrer vers l’Europe, et que 1 000 Tunisiens sont morts en faisant ce voyage depuis 2011.

    Tract distribué dans les rues de Tunis ce 14 janvier à l’occasion du 6e anniversaire de la révolution qui a renversé Ben Ali

    Ces chiffres en disent long sur la faillite complète des politiciens au pouvoir à garantir le travail et la dignité, revendications au cœur du soulèvement populaire de 2010-2011. La persistance, beaucoup évoquée, du danger djihadiste est, avant tout, l’expression d’un système économique qui vomit et marginalise de larges couches de sa jeunesse, dont la rage et les frustrations sont ensuite canalisées et exploitées dans une direction réactionnaire par des groupes fondamentalistes tels que Daesh.

    Offrir un emploi à tous les jeunes Tunisiens porterait un coup bien plus lourd à de telles organisations que n’importe quelle opération «antiterroriste» menées par l’Etat, lesquelles sont souvent utilisées comme excuse pour stigmatiser des quartiers entiers et pour justifier un climat de terreur policière et d’abus sur des personnes qui ne sont pas des terroristes.

    Nouveau budget

    Malgré les promesses d’équité sociale et de « sacrifice national », la loi des finances 2017 adoptée en décembre dernier par l’Assemblée confirme la trajectoire générale adoptée par le gouvernement Chahed depuis son arrivée au pouvoir, et en fait, celle de tous les gouvernements depuis 2011 : chercher l’argent dans les poches de ceux qui ont en le moins pour enrichir ceux qui en ont déjà le plus.

    Alors que les revendications « exagérées » des travailleurs sont régulièrement blâmées pour l’état des finances publiques, la réalité est que les grosses entreprises n’ont jamais payé si peu d’impôts qu’aujourd’hui – et elles se voient récompensées d’une panoplie de cadeaux fiscaux supplémentaires pour la nouvelle année, au nom de la « promotion de l’investissement » – en dépit du fait que ces avantages fiscaux ont démontré maintes fois qu’ils n’ont pas ou très peu d’incidence sur le niveau des investissements (qui sont historiquement bas) tout en ayant une incidence énorme sur les fortunes accumulées par les super riches, ainsi que sur l’appauvrissement du reste de la société…

    Pendant ce temps, les revendications des chômeurs, des pauvres et des salariés, et les cris de désespoir récurrents provenant des régions, restent largement ignorés. Pas étonnant, dans ces conditions, que la popularité du gouvernement Chahed et de la présidence pique du nez. En 2016 seulement, la satisfaction à l’égard de la présidence Essebsi a nettement diminué, passant de 51,3% en avril à 41,9% en octobre, puis à 32,7% en décembre. L’autorité politique du Premier ministre suit une direction similaire.

    Durant la même période, le nombre de grèves et de mouvements sociaux a explosé (l’année dernière en a enregistré près de 1000, le nombre le plus élevé depuis 2011). Au cours des dernières semaines, des dizaines de milliers de travailleurs (ouvriers de chantier, sages-femmes, enseignants du secondaire et beaucoup d’autres) sont entrés en grève. Un rapport du ministère des Affaires sociales montre également une forte augmentation du taux de participation à ces grèves. Une couche croissante de travailleurs se rend compte que lutter collectivement est la seule manière de pouvoir assurer un avenir, à eux et à leurs familles.

    Gouvernement contre-révolutionnaire

    Ce gouvernement n’a jamais eu la moindre intention de satisfaire les revendications de la révolution, mais bien plutôt de leur faire barrage. La répression et la criminalisation des conflits sociaux répondent directement à cet objectif, comme le montre la multiplication des procès politiques contre des sit-ineurs et manifestants à travers le pays.

    Mais l’étouffement des luttes sera facilité si chaque secteur, chaque communauté, chaque entreprise, chaque localité lutte dans son coin. Ce qu’il faut, c’est une lutte généralisée et coordonnée, tous ensemble, contre ce gouvernement des riches.

    La solide grève générale à Meknassi ce jeudi montre la voie. C’est par ce types de méthodes que nous avons fait tomber Ben Ali en son temps, même si l’élite dirigeante essaie par tous les moyens de nous le faire oublier. Le rôle de la classe ouvrière dans notre révolution est systématiquement et consciemment minimisé par les porte-parole et commentateurs au service de la bourgeoisie, alors que celle-ci craint de nouvelles explosions sociales.

    Il en est de même en Égypte. Le journaliste Peter Speetjens a raison de souligner qu’ «Aujourd’hui, nous connaissons tous les images héroïques des Egyptiens, jeunes et vieux, occupant la place Tahrir, résistant à la police et même aux raids de chameaux, tout en appelant le président Hosni Moubarak à démissionner et à la fin de l’état d’urgence. Bien moins connus sont les médecins, les conducteurs de bus, les travailleurs du textile et des milliers et milliers d’autres travailleurs qui ont fait grève et ont paralysé le pays ».

    De la même manière, seule la mobilisation de la classe ouvrière tunisienne par la grève de masse peut faire reculer le pouvoir en place; c’est d’ailleurs la simple menace d’une grève générale par la direction syndicale le 8 décembre dernier qui avait forcé le gouvernement à reculer sur son projet de gel des salaires pour un an dans la fonction publique.

    Mais encore faut-il lier la parole à l’acte et poursuivre dans la construction d’un véritable rapport de force ; la teneur du nouveau budget, et les nouvelles attaques d’austérité qui ne manqueront pas de tomber, justifie plus que de simples menaces… Aujourd’hui, il faut 10, 20, 30 Meknassi à travers le pays ! Les ingrédients pour une bataille de telle envergure existent, car un vent de révolte gronde un peu partout dans le pays.

    La gauche, l’UGTT et les différents mouvements sociaux devraient élaborer ensemble un plan d’action en front commun, culminant dans une grève générale nationale pour l’emploi, les salaires et le développement régional. Les comités populaires locaux, tels qu’il en existe déjà dans certains endroits, doivent s’étendre à l’ensemble du pays et coordonner leur action à l’échelle locale, régionale et nationale.

    Au-delà de la nécessité d’une stratégie offensive et coordonnée pour la lutte à la base, un débat plus large est aussi nécessaire sur l’alternative politique dont nous avons besoin. Le fait que le Front Populaire, en dépit de toutes les limitations, hésitations et erreurs passées de sa direction, réussit à préserver un taux de popularité de l’ordre de 10%, témoigne de la possibilité de reconstruire une force politique révolutionnaire de masse. Les membres du Front Populaire, les syndicalistes de l’UGTT et les militants des mouvements sociaux pourraient jouer un rôle important pour mettre sur pied un tel parti de masse.

    L’incapacité de tous les gouvernements successifs depuis Ben Ali de satisfaire aux exigences populaires ne relève pas d’un concours de circonstance, mais d’un choix politique conscient : celui d’obéir aux exigences de la classe capitaliste, de la poignée de multinationales et de riches familles tunisiennes qui contrôlent les grands secteurs de l’économie tunisienne et exercent une énorme influence sur les partis au pouvoir et sur les représentants à l’Assemblée. Cette élite veut continuer à faire tourner l’économie tunisienne pour son seul profit, monopolisant les moyens qui pourraient permettre de combattre la souffrance sociale, la pauvreté et le chômage qui se développent sur la base de leur système pourri.

    Pour briser cette logique, il faudra se battre pour un gouvernement qui, contrairement à tous les précédents, soit disposé à s’en prendre aux grosses fortunes, à refuser de payer une dette illégitime qui enrichit à coups de milliards des bailleurs de fond internationaux, et à nationaliser, sous le contrôle démocratique de la population, les grandes entreprises et les banques du pays. Cela permettrait de planifier l’économie selon les besoins de la majorité, afin de lancer un plan d’investissements publics massifs, de développer les infrastructures et les services publics, créer des emplois pour les chômeurs et mettre fin à la marginalisation continuelle de larges pans du pays.
    Construisons sans plus attendre la lutte pour un tel gouvernement, socialiste et démocratique !

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