Category: Moyen-Orient et Afrique du Nord

  • Des milliers de réfugiés sombrent dans le ‘‘cimetière méditerranéen’’

    Dimanche dernier, à nouveau, des centaines de réfugiés – on parle de 800 personnes – se sont noyées dans la mer Méditerranée alors que leurs fragiles ont chaviré au large de la côte libyenne. La même semaine, les garde-côtes italiens rapportaient que 10.000 réfugiés ont été récupérés sur des bateaux de passeurs. L’an dernier, environ 3.500 migrants fuyant des pays déchirés par la guerre, les persécutions et la pauvreté se sont noyés en tentant de rejoindre l'Europe.

    Par Simon Carter

    Ce chiffre est plus que probablement susceptible d’être dépassé en 2015, même avec l’application de l’opération Triton, une opération de « recherche et de sauvetage » lancée par l’agence Frontex (la très justement critiquée Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne) et entrée en vigueur le 1er novembre 2014. Certains, dont le gouvernement britannique qui a décidé de ne pas participer à cette opération, affirment qu’elle ne ferait qu’encourager les réfugiés à tenter une traversée. Mais ces réfugiés sont tellement désespérés qu’ils sont prêts à risquer leur vie.

    Il n’existe aucune voie légale vers l’Europe pour ces personnes désespérées. Nombre d’entre eux prennent le risque d’une périlleuse traversée. Mondialement, moins de 1% des réfugiés arrivent près de l’Union Européenne. Et pourtant, la politique d’asile de l’Union européenne criminalise les réfugiés et militarise ses frontières.

    Le nombre de réfugiés via la mer a augmenté à la suite des guerres civiles brutales et sectaires qui font rage en Syrie, en Irak, en Somalie et en Afghanistan. Beaucoup de jeunes érythréens ont fui la conscription militaire, souvent décrite comme étant purement de l’esclavage.

    Embarrassés par le nombre de morts, les dirigeants européens se sont engagés à prendre des mesures contre les trafiquants d’êtres humains, mais ils continuent à garder levé le pont-levis de la «forteresse-Europe». Mais ces ministres capitalistes ne peuvent pas si facilement se laver les mains de la responsabilité de cette crise, bien au contraire. Les interventions militaires des puissances occidentales au Moyen-Orient et en Afrique sub-saharienne ont créé une instabilité politique, alimenté la violence sectaire et disloqué les économies des pays touchés.

    En 2011, des millions de pauvres, de travailleurs et de jeunes se sont révoltés dans de nombreux pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord contre l’appauvrissement et le manque de droits démocratiques. Dans certains cas, ce processus est parvenu à renverser des dictatures pourries et soutenues par les impérialistes, comme en Tunisie et en Egypte. Des mouvements similaires se sont développés contre le régime de Kadhafi en Libye et contre celui de Bachar al-Assad en Syrie, et ailleurs dans la région. Mais en l’absence d’une alternative socialiste de masse développée sur base de la force indépendante de la classe des travailleurs, ces révolutions ont été bloquées et la contre-révolution, assistée par l’impérialisme, a temporairement réussi à prendre le dessus.

    Sans surprise, les conditions de vie cauchemardesques ont forcé des millions de personnes à devenir des réfugiés, à l’intérieur de leurs pays d’origine ou à l’extérieur, à la merci de trafiquants d’êtres humains riches, puissants et impitoyables. Ceux qui parviennent à atteindre le rivage européen sont souvent confrontés à un avenir précaire et incertain. Beaucoup finissent dans des centres et des camps de réfugiés surpeuplés et souvent violents en Grèce, en Italie et ailleurs. Ils sont souvent pris pour cible par des groupes d’extrême-droite et par des politiciens de droite qui les instrumentalisent comme boucs émissaires des échecs économiques du capitalisme.

    Comme les anciens partis sociaux-démocrates ont adopté des politiques ouvertement capitalistes, il n’y a pas de grands partis pour soutenir et défendre les droits des demandeurs d’asile et contrer les nombreux mensonges développés dans les médias à leur sujet. La défense du droit d’asile s’inscrit selon nous dans la droite ligne de la lutte contre l’austérité capitaliste et pour l’application de politiques véritablement socialistes.

  • Tunisie : Après l’attaque terroriste, de nouvelles batailles de classe se dessinent

    Les travailleurs de l'enseignement en grève.

    L’attaque terroriste barbare qui a eu lieu le 18 mars au musée du Bardo à Tunis, arrachant la vie à 22 personnes, représente un tournant dans la situation politique de la Tunisie postrévolutionnaire. Cet événement, le premier acte terroriste d’une telle ampleur au cœur de la capitale, a consterné l’écrasante majorité de la population du pays, et est venu rappeler la sombre réalité se cachant derrière la propagande élogieuse des médias et des politiciens traditionnels au sujet de la “transition démocratique” réussie.

    Par Serge Jordan (Comité pour une Internationale Ouvrière)

    Mais l’attaque du Bardo a également offert une excuse commode pour la classe dirigeante afin d’accélérer son offensive contre-révolutionnaire envers les masses tunisiennes, tant dans les domaines économique que politique. Il semble qu’un coup de pouce a été donné à l’obsession du Président Béji Caïd Essebsi de “restaurer le prestige et l’autorité de l’Etat”. Le gouvernement américain a par exemple déjà annoncé le triplement de son aide militaire à la Tunisie.

    Le gouvernement tunisien -dont la principale force politique, Nidaa Tounes, est en partie une machine de recyclage pour des partisans de l’ancien régime et des hommes d’affaires corrompus liés à la dictature de Ben Ali- a immédiatement saisi la récente horreur terroriste comme une occasion en or pour réaffirmer un appareil d’État fort, et pour cibler les mouvements sociaux et les grèves, lesquels sont dans une phase ascendante depuis le début de cette année.

    Le discours officiel met l’accent sur le fait que les assaillants du Bardo visaient le nouveau “symbole de la démocratie” que les institutions tunisiennes représenteraient. Cela coïncide ironiquement avec des tentatives du nouveau gouvernement d’exploiter cet évènement pour imposer un retour en arrière sur les droits démocratiques. Comme indiqué par un rapport récent de Human Rights Watch, le nouveau projet de loi anti-terroriste, s’il est voté, permettrait la détention prolongée de suspects sans inculpation, donne la possibilité pour qu’une perturbation des services publics soit poursuivie comme un acte terroriste, et justifie le recours à la peine de mort.

    Sous le couvert de “protection des forces armées”, un autre projet de loi adopté par le conseil des ministres le 8 avril donnerait, de facto, un statut d’impunité aux forces de sécurité, au détriment des libertés individuelles. Entre autres, il y est stipulé qu’ “aucune responsabilité pénale n’incombe à un agent qui causerait le décès d’un individu dans le cadre de la mission qu’il poursuit”.

    Le changement de rhétorique utilisée dans la presse tunisienne depuis le 18 mars souligne également une accélération de l’offensive idéologique visant à blâmer tous les travailleurs et les pauvres qui se battent pour leurs droits:

    “Les mouvements contestataires gratuits et commandités menacent les équilibres économiques fragiles du pays. Pourquoi en voyons-nous partout et sans raisons valables? La Tunisie doit-elle décréter que tous ceux qui s’attaquent au tissu économique doivent être considérés comme des terroristes économiques? Et pourquoi pas après tout? Devons-nous tolérer qu’une poignée de personnes mal intentionnées et conduites par manipulateurs saboteurs et ravageurs fassent de notre pays une nouvelle Somalie?” (DirectInfo, 14/04)

    Cela s’accompagne aussi d’une nouvelle flambée de calomnies et de dénigrements à l’égard de la révolution elle-même, et dans certains cas, de la diffusion d’un parfum de nostalgie pour les jours de la dictature défunte:

    “Les droits de l’homme perdent toute leur signification dans la lutte contre ces terroristes” (Touhami Abdouli, Le Temps, 21/03)

    “Évidemment, nous ne nous posons jamais la question de savoir pourquoi la Tunisie a eu la paix pendant 23 ans de régime de dictature” (Le Temps, 22/03)

    Cette tentative d’enterrer l’héritage de la révolution marque une certaine réaffirmation de la “vieille garde” au sein de l’appareil d’État, que la victoire électorale de Nidaa Tounes a encouragé. La composition du gouvernement n’y fait pas exception: le Premier ministre Habib Essid lui-même occupa plusieurs postes de secrétaire d’État sous le régime de Ben Ali, et d’autres dans son cabinet ont des pédigrées similaires.

    Après les attentats du Bardo, certains hauts fonctionnaires de sécurité qui avaient été licenciés par Farhat Rahji en 2011 ont été réintégrés à leur poste, une mesure justifiée par leur expérience supposée dans la lutte contre le terrorisme – une “lutte contre le terrorisme” qui, sous Ben Ali, était une couverture pour le harcèlement, l’emprisonnement et la torture de milliers de militants politiques et syndicaux.

    De même, deux jours après l’attaque, Essebsi a dans son allocution télévisée martelé le besoin pour le pays d’accepter des “réformes douloureuses”, et défendu la levée de toutes les restrictions sur les hommes d’affaires faisant face à des poursuites judiciaires et des interdictions de voyage pour leur compromission avec le régime de Ben Ali.

    Unité nationale?

    La classe dirigeante tunisienne et ses soutiens impérialistes telles que le FMI, la Banque Mondiale ainsi que les gouvernements occidentaux derrière eux, ont des tas de plans prévus dans leurs starting-blocks: dérégulations des conditions d’investissement, privatisations des banques et d’autres entreprises publiques, liquidation du système de subventions sur les produits de base, et plein d’autres mesures néo-libérales. Mesures qui ont toutes un même but: compresser toujours plus les revenus des travailleurs et de leurs familles, tout en maximisant les sources de profit pour les patrons, les actionnaires et les rentiers internationaux.

    Ils espèrent tous compter sur le choc provoqué par l’effusion de sang du Bardo pour lubrifier le tout, afin de faire passer leur programme anti-pauvre plus facilement.

    Partie intégrante de cette stratégie, le martèlement systématique de la nécessité de “l’unité nationale”. Il y a quelques mois, les principaux partis dans le gouvernement actuel, Nidaa Tounes et les islamistes de droite d’Ennahda, étaient encore en train d’essayer de nous convaincre qu’il y avait une fracture irréconciliable dans la société tunisienne: celle entre les “modernistes” en faveur d’un “Etat civil” d’une part, et les islamistes en faveur d’un “Etat religieux“ de l’autre. Maintenant que cette mascarade a été exposée pour ce qu’elle est – les ennemis d’hier s’étant finalement donné la main à la grande joie de leurs amis capitalistes- nous sommes censés nous convaincre que leur nouvelle “union sacrée”…serait aussi la nôtre.

    L’unité nationale est une exigence de la classe dirigeante visant à neutraliser l’opposition à son pouvoir, au moment même où ses porte-paroles trainent dans la boue les grévistes et les populations en lutte. Ce nouveau dogme de la réconciliation nationale vise à dévier la colère de classe montante en ralliant l’ensemble du pays derrière un ennemi commun, afin de lier les mains des travailleurs à leurs maitres capitalistes.

    Cependant, le nombre croissant de conflits éclatant sur les lieux de travail, dans les secteurs aussi bien public que privé, illustre qu’ un fossé important se creuse entre les vœux pieux de la classe capitaliste et la réalité sur le terrain. Les représentants du gouvernement sont sans doute bien conscients en effet qu’au-delà de l’utilisation politique de la conjoncture immédiate, ils n’éviteront pas la confrontation avec la classe ouvrière. Les actions de grève nationales répétées menées par le syndicat des enseignants depuis le début de l’année ont donné une idée de ce à quoi le pouvoir peut s’attendre pour l’année qui vient. Lors de la dernière journée de grève le mercredi 15 avril, les enseignants ont enregistré une moyenne nationale de participation à leur grève de 95,3%, selon les chiffres du syndicat (le plus élevé étant dans le gouvernorat de Gafsa avec 99,6%, et le plus bas dans le gouvernorat de Bizerte avec 91 %).

    Dans l’extraction de phosphate, dans l’industrie textile, dans les services postaux, parmi les pilotes, dans les transports publics… de nombreux secteurs ont été impliqués dans des actions de grève au cours des dernières semaines. L’UGTT a également annoncé une grève nationale de deux jours dans le secteur de la santé pour les 28 et 29 avril. Un rapport publié le jour même de la tragédie du Bardo comptait déjà 94 grèves depuis le début de l’année 2015, dont 74 dans le secteur privé. Il est maintenant de plus en plus clair que les espérances du gouvernement quant au fait que l’épouvantail terroriste aiderait à couper court à cette vague montante de résistance ouvrière et populaire auront été de très courte durée.

    La question brulante à se poser est la suivante: quand est-ce que les dirigeants du mouvement ouvrier vont finalement se décider à se réveiller, et à donner une direction aux millions de personnes qui ont soif de passer à l’action?

    Une direction qui manque à l’appel

    Alors que le gouvernement prétend être engagé dans une lutte résolue contre le terrorisme, ses politiques de dévastation sociale ne peuvent qu’accroitre le sentiment d’impuissance et de désespoir parmi les couches les plus pauvres – une des conditions de la croissance de l’extrémisme religieux dans le pays. Les quartiers qui sont devenus un terrain fertile pour le recrutement de djihadistes sont, avant tout, des zones où la politique de l’État a échoué sur toute la ligne.

    C’est pourquoi la lutte contre le terrorisme doit être intimement liée à la lutte pour une politique économique rompant de manière décisive avec la trajectoire suivie par tous les gouvernements qui se sont succédé depuis la chute de Ben Ali, et qui ont tous fondamentalement appliqué les mêmes recettes désastreuses que le régime de Ben Ali lui-même.

    L’UGTT appelle à un “congrès national contre le terrorisme”. Mais son appel est dirigé vers l’establishment politique bourgeois existant, y invitant même à bord l’organisation patronale UTICA (Union Tunisienne de l’Industrie et du Commerce), plutôt qu’en vue d’utiliser un tel congrès comme un levier pour organiser la riposte contre le gouvernement et engager une discussion sérieuse sur la construction d’une alternative à l’austérité et à la répression d’État – la seule politique que ce gouvernement de droite ait à offrir au peuple tunisien.

    Depuis l’attaque du musée du Bardo, l’exécutif central de l’UGTT s’est pour l’essentiel contenté de faire écho à la rhétorique du gouvernement sur la nécessité de “l’unité nationale” plutôt que de fournir à ses affiliés un plan d’action digne de ce nom, indépendamment de toutes les manœuvres des capitalistes et leurs partis, et de contester les prétentions de ces derniers à “donner le la” sur la question de l’anti-terrorisme.

    L’absence d’initiatives provenant de la direction syndicale, tout comme par ailleurs de la coalition de gauche du Front Populaire, a laissé un vide, opportunément comblé par le gouvernement et l’establishment capitaliste dans son ensemble. Par conséquent la voix des travailleurs, des syndicalistes et militants de gauche, de la jeunesse révolutionnaire, des chômeurs, n’a guère été entendue dans ce débat.

    Le mouvement des travailleurs a besoin de sa propre voix politique

    Dans son dernier journal, Al-Badil al-Ishtiraki (Alternative Socialiste, section tunisienne du Comité pour une Internationale Ouvrière) établissait un parallèle entre la terreur des djihadistes et la terreur d’État, et mettait en avant des propositions d’actions visant à rejeter les deux, et à transformer toutes les luttes sociales locales et sectorielles en une lutte généralisée, avec comme objectif ultime de renverser le gouvernement Essid.

    A l’heure actuelle, cela peut sembler une tâche herculéenne. Mais le gouvernement est en réalité beaucoup plus faible qu’il n’y parait. Plus de quatre millions de Tunisiens (sur une population de 11 millions), dont environ 80% des jeunes entre 19 et 25 ans, se sont abstenus lors des dernières élections législatives. Une crise interne affecte déjà les principaux partis au pouvoir, qui ont ouvertement menti à leur propre électorat. L’existence même d’une telle coalition est en soi une expression des difficultés auxquelles est confrontée la classe dirigeante pour assembler un outil capable de mettre en œuvre les politiques souhaitées par cette classe.

    La “force” apparente du gouvernement actuel ne fait que trahir le caractère extrêmement timoré des dirigeants du mouvement ouvrier et leur manque de confiance dans la classe dont ils sont censés défendre les intérêts. Les accointances d’une partie de la bureaucratie syndicale avec Nidaa Tounes ont aussi agi comme un frein sur la réponse, ou plutôt le manque de réponse, de l’UGTT face aux récents évènements.

    L’urgence est à la construction d’un front uni de tous les travailleurs et des organisations sociales, centré autour des bases militantes de l’UGTT et de la gauche, des organisations de chômeurs telles que l’UDC, et des mouvements sociaux, afin de repousser l’offensive contre-révolutionnaire en cours. Le point de départ d’un tel mouvement pourrait être une campagne pour l’organisation d’une grève générale de masse de 24h, afin de rassembler toutes les couches en lutte, sur la base d’un refus total de tout “sacrifice” économique et de tout recul des droits démocratiques.

    Une telle grève générale devrait être considérée comme un tremplin vers une escalade des actions et des revendications, et ce jusqu’à ce que le gouvernement reçoive un coup fatal. Des assemblées générales locales et des comités d’action démocratiques dans les quartiers et les lieux de travail aideraient à élargir la base de soutien actif du mouvement, en offrant un espace pour pouvoir discuter et décider démocratiquement tous ensemble des prochaines étapes de la lutte. À long terme, la coordination locale, régionale et nationale de tels outils pourrait constituer l’épine dorsale d’un gouvernement représentant véritablement la révolution et ses forces vives, et s’engageant dans la réalisation de ses revendications.

    Tous les gouvernements depuis le renversement de Ben Ali ont échoué lamentablement à satisfaire les revendications de la révolution, et le gouvernement présent ne fait pas exception. S’il en est, ce cabinet est composé de toutes les composantes de la contre-révolution mises ensemble. La lutte pour un gouvernement progressiste des pauvres, des jeunes et des masses laborieuses, basé sur un programme socialiste de nationalisation des grandes industries, des banques et des grands domaines agricoles sous le contrôle démocratique du peuple tunisien: telle est la tâche stratégique à laquelle la gauche et le mouvement syndical devraient préparer sans plus attendre la masse de la population.

    Une alternative politique pour les travailleurs et les jeunes, décisivement tournée vers les luttes populaires, et équipée d’un programme d’action militant ainsi que de structures démocratiques et inclusives, est ce qui fait cruellement défaut aujourd’hui en Tunisie. La montée de forces religieuses réactionnaires, la victoire électorale d’un parti basé sur des éléments de l’ancien régime, l’absence de réponses de la gauche après l’attaque du Bardo… tous les développements récents en Tunisie soulignent la nécessité de reconstruire d’urgence une voix politique authentique pour les travailleurs, les jeunes, et tous ceux qui ont fait la révolution, portés d’espoirs dans un meilleur avenir.

  • Découvrez le site de nos camarades tunisiens!

    Site_tunisie

    Nous sommes très heureux de pouvoir vous inviter à visiter le site de la section tunisienne du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), Alternative Socialiste. Vous pourrez régulièrement y trouver des articles et des analyses en français et en arabe consacrés à la situation en Tunisie bien entendu, mais aussi dans la région, de même que des articles sur les bases du marxisme, sur la situation internationale,…

    Ce site a été lancé au parallèle à la diffusion de la toute première édition du journal de nos camarades tunisiens, utilisé à l’occasion du Forum Social Mondial 2015, qui a pris place à Tunis.

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  • Algérie : populations du Sahara algérien en lutte

    In_Salah_01Le gouvernement algérien, qui voit la manne pétrolière se réduire avec la baisse du prix du pétrole, a fait depuis décembre 2014 ses premiers forages de prospection de gaz de schistes dans le Sud algérien. Et les premières luttes des habitants ont commencé. Depuis plus de 60 jours, les mobilisations, qui ont commencé d’abord à In-Salah (près du premier site d’exploration dans le Sahara algérien, à 1 500 km au sud d’Alger) ne faiblissent pas, malgré une répression dure. D’autres manifestations, sit-in et grèves se sont répandues à Tamanrasset et dans d’autres villes.

    Ces luttes prennent un caractère vital car les conditions de survie sont déjà très difficiles. Dans un pays qui manque d’eau, mettre en place la fracturation hydraulique signifie risquer de polluer les réserves d’eau actuelles et futures. C’est tout simplement meurtrier pour les habitants qui seront les premiers touchés, et durablement!

    Les slogans ciblent aussi la corruption et les sociétés étrangères telles que TOTAL, symbole de l’impérialisme de l’ex-puissance coloniale. La lutte pourrait devenir hautement politique contre les privatisations, la corruption du régime de Bouteflikha et ses liens avec les grandes firmes capitalistes.

    Un moratoire pourrait temporairement stopper l’exploration et l’exploitation. Mais en réalité il faut imposer l’interdiction de l’exploitation des gaz de schistes. Et pour cela, le seul moyen est d’exproprier les multinationales et les consortiums. La priorité est aussi le contrôle et la gestion par les habitants des entreprises privées, et publiques, telle que la Sonatrach algérienne corrompue.

    Planifier durablement l’utilisation des ressources n’est pas possible dans le système capitaliste qui tend à la recherche permanente de profits immédiats quoi qu’il en coûte. Le sol et le sous-sol doivent être propriété collective des habitants et contrôlés par eux. Seule une société socialiste, débarrassée de la vision capitaliste à court terme et anarchique, permettra d’utiliser et de préserver les ressources dans le même temps.

  • Tunisie: 23 personnes tuées dans une attaque terroriste. Non à la terreur! Non au capitalisme!

    tunisie_01Au moins 23 personnes sont mortes dans l’attaque perpétrée par des hommes armés au Musée du Bardo à Tunis, une attaque maintenant revendiquée par le groupe auto-proclamé «Etat Islamique». Nous condamnons fermement cette attaque lâche et atroce. Une vague d’effroi et de colère a traversé le pays tout entier, et des milliers de Tunisiens sont descendus dans les rues spontanément pour manifester leur solidarité avec les victimes de cette attaque terroriste, arrachant la vie à des innocents, y compris une travailleuse tunisienne appartenant au personnel du musée.

    Déclaration d’Alternative Socialiste, CIO-Tunisie

    Ce type d’attaques n’a malheureusement rien de très surprenant. Les activités de recrutement et l’endoctrinement par des groupes djihadistes sont à la hausse depuis un certain temps en Tunisie, aidés entre autres par la crise sociale grandissante, ainsi que par la désintégration complète de la Libye voisine suite à l’intervention militaire des puissances impérialistes, qui a laissé ce pays en ruine. Ces dernières années, des milliers de Tunisiens ont afflué pour rejoindre des groupes djihadistes en Syrie et en Irak, y compris au sein de l’«État Islamique», faisant de notre pays l’une des principales sources de combattants étrangers dans ces conflits.

    Non à l’unité nationale avec Essebsi et compagnie !

    Le gouvernement essaie maintenant d’exploiter les évènements récents en appelant à « l’unité nationale» face au terrorisme. Les Tunisiens doivent certes se serrer les coudes, mais surement pas avec un gouvernement pourri comme celui-ci, qui comprend un parti dont les racines remontent à l’ancienne dictature, et un autre dont les racines remontent à la droite fondamentaliste religieuse.

    Plus de la moitié des députés de Nidaa Tounes sont des anciens membres ou sympathisants du RCD, un parti qui a exploité pendant des années la «lutte contre le terrorisme» pour anéantir les libertés publiques et museler toute forme d’opposition dans le pays. L’attentat meurtrier de Djerba en 2002, qui avait fait 19 morts, montre par ailleurs qu’un régime dictatorial n’est en aucun cas un «rempart» contre le terrorisme, contrairement à ce que certains essaient de nous resservir aujourd’hui.

    Quant aux dirigeants d’Ennahda, leurs accointances idéologiques avec certaines franges du salafisme radical ne sont plus à démontrer. C’est pourquoi la moindre illusion dans n’importe quelle aile de la classe dirigeante capitaliste actuelle doit être rejetée à tout prix. Le président Essebsi, qui parle de mener la «guerre au terrorisme», a lui-même récemment offert ses condoléances au despote saoudien Abdullah, et invité le prince Alwaleed à venir visiter la Tunisie, un prince dont le régime a exporté à coups de milliards le poison de l’idéologie wahhabite dans toute la région et au-delà. De plus, la récente attaque est en partie une conséquence des guerres catastrophiques menées par les puissances impérialistes au Moyen-Orient, avec qui les deux partis au pouvoir ont systématiquement collaboré.

    Non au terrorisme, non au retour à un état policier!

    Des troupes de l’armée ont été déployées dans les rues des principales villes tunisiennes. Après ce qui est arrivé, de nombreux Tunisiens pourraient voir d’un bon œil une telle démarche. Mais ce déploiement de forces ne répond pas aux problèmes de fond, et pourrait bien être utilisé pour réprimer d’autres formes d’opposition au gouvernement actuel, et pour empêcher la population d’investir les rues d’une manière qui remettrait en cause le pouvoir en place.

    Le gouvernement va essayer d’instrumentaliser le choc et l’émotion suscitée par l’attaque du Bardo afin de tenter d’imposer un retour en arrière sur nos droits démocratiques et de restaurer un appareil policier étouffant – tout en continuant les mêmes politiques antisociales qui aliènent de larges pans de la population et creusent le lit des extrémistes religieux. La nécessité de mettre «tous les efforts de la nation» dans la lutte contre la terreur pourrait aussi servir de prétexte bien utile pour en finir avec les actions de grève et de protestations sociales, lesquelles commencent à ressurgir dans de nombreux secteurs.

    Le gouvernement actuel n’a aucune réponse sérieuse à offrir à la violence terroriste, et risque seulement d’engranger le pays dans un cycle de violences dont on ne verra pas la fin, tout en usant du prétexte de la guerre à la terreur pour en finir avec l’héritage de la révolution, et pour restaurer un régime basé sur la terreur d’Etat.

    Car la terreur n’a pas qu’un seul visage : la terreur, c’est aussi la continuation de la torture dans les commissariats, les manifestants abattus par la police comme cela s’est encore passé à Dehiba en février dernier… Et cette terreur-là, la majorité des Tunisiens n’en veulent plus non plus !

    La lutte contre le terrorisme doit aussi être une lutte contre les politiques capitalistes

    tunisie_02La plupart des Tunisiens ont une aspiration légitime à la sécurité. Mais la première sécurité est celle d’avoir un boulot et un revenu stables, pour pouvoir mener une vie décente. Ce droit est refusé à un nombre croissant de personnes dans notre pays. La Tunisie a un des taux les plus élevés de chômage des jeunes dans le monde, les prix ont considérablement grimpé, et aujourd’hui trois fois plus de Tunisiens jugent l’état de l’économie “très mauvais” comparé à l’époque de Ben Ali. Les politiques du nouveau gouvernement, prévoyant de nouvelles coupes dans les subventions publiques et d’autres réformes néo-libérales, ne vont faire qu’empirer les choses.

    Il y a deux ans, dans le cadre du Forum Social Mondial 2013 à Tunis, le CIO-Tunisie avait distribué un tract avec les mots suivants: « La misère grandissante dans les quartiers pauvres nourrit le terreau à partir duquel les salafistes et djihadistes embrigadent, surtout parmi des jeunes qui n’ont plus rien à perdre. Les couches de la population pauvre les plus désespérées, si elles ne voient pas d’issue du côté du mouvement syndical et de la gauche, pourraient devenir la proie de ces démagogues réactionnaires. La seule façon dont la classe ouvrière et la jeunesse révolutionnaire peuvent gagner à elles la masse des laissés-pour-compte est de créer un mouvement national puissant capable de lutter pour les revendications de tous les opprimés. »

    A l’heure ou s’ouvre l’édition 2015 du Forum Social Mondial, ces mots pourraient être réimprimés dans leur intégralité. En effet, les tergiversations incessantes de la direction du mouvement ouvrier et son incapacité à fournir une alternative révolutionnaire radicale face à l’impasse de la crise capitaliste en Tunisie a fourni un vide que des groupes extrémistes s’efforcent de combler. Des organisations salafistes et jihadistes investissent les zones délaissées (desquelles les deux assaillants du Bardo étaient d’ailleurs tous deux issus) où le désespoir et le chômage de masse font déjà pour elles la moitié du travail.

    Reprenons l’initiative des mains du pouvoir!

    Comme le résumait si bien Chokri Belaid : «Vous craignez de descendre dans la rue? Si seulement vous saviez ce qui vous attend si vous restez chez vous! »

    La responsabilité de sauver le pays de la terreur, quelque soient ses formes, se trouve entièrement dans les mains des masses laborieuses et de la jeunesse, lesquelles partagent un intérêt et un désir réels de changer radicalement les choses.

    Comme ce fut le cas en 2013 après l’assassinat de Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, qui furent immédiatement suivies de deux grèves générales d’ampleur historique, l’UGTT, le Front populaire et toutes les sections militantes de la gauche tunisienne devraient prendre l’initiative de déployer leur pouvoir -potentiellement considérable- et d’unifier le pays derrière un programme d’action clair, indépendant du gouvernement en place: un programme s’appuyant résolument sur la force de la classe ouvrière et sur la ferveur révolutionnaire toujours vive de la jeunesse, en vue de pousser à une transformation économique, sociale et politique profonde du pays.

    La clique au pouvoir prétend se soucier de notre sécurité, alors que son propre appareil d’Etat est toujours infesté de partisans de l’ancien régime, dont certains nagent toujours dans l’impunité pour des montagnes de meurtres et de tortures. En fait, les temps les plus « sûrs » de l’histoire récente de la Tunisie étaient lorsque les masses occupaient les rues et donnaient directement le pouls à la politique du pays. Les meilleures traditions de notre révolution, comme la construction de comités révolutionnaires de défense dans les quartiers, devraient être remises au goût du jour, afin d’éviter de laisser l’initiative de la lutte contre le terrorisme et le djihadisme dans les mains de l’élite dirigeante. Les terribles souffrances que nos frères et sœurs algériens ont traversées dans les années 1990 doivent servir d’avertissement sur où ce type de méthodes peuvent conduire.

    L’heure est à la mobilisation de masse ! Il ne faut pas laisser l’initiative et la rue aux classes dirigeantes! Le mouvement syndical, l’UGET, les organisations de chômeurs, la gauche et la jeunesse révolutionnaire doivent appeler à l’action de masse, mais sur leurs propres bases. Un appel pour une grève générale de 24h serait un bon premier pas dans ce sens : pour l’unité de tous les travailleurs, des jeunes et de la majorité du peuple tunisien contre le terrorisme et l’obscurantisme -mais aussi pour la défense résolue de nos droits démocratiques, et pour la construction d’une lutte contre les politiques capitalistes de misère sociale et de répression, qui ont contribué à la situation actuelle.

    Une telle grève, couplée à des mobilisations de rue à travers tout le pays, aiderait à la reconstruction d’une lutte de masse remettant au cœur des évènements les objectifs initiaux de la révolution pour «le pain, les emplois, et la dignité» : une lutte qui ne pourra trouver son expression véritable que dans la construction d’une société socialiste et démocratique, basée sur la propriété publique et la planification démocratique des richesses.

  • Défense du salaire minimum en Iran

    Déclaration de 6 organisations ouvrières indépendantes iraniennes en faveur du salaire minimum

    Bangladesh ProtestCe début mars, des dizaines de milliers d’enseignants ont été à l’origine d’actions de protestations « silencieuses à travers l’Iran destinées à dénoncer leurs salaires de misère. Ce mouvement prend place dans le cadre de l’appel pour un salaire qui permet de vivre décemment, qui reçoit un écho croissant dans le pays. En février, six organisations ouvrières avaient publié une déclaration commune appelant à une augmentation du salaire minimum que nous avons reçue et que nous publions ci-dessous.
    Nous, travailleurs, reposons sur la force de notre unité et de notre solidarité, nous n’hésiterons pas un moment à défendre nos conditions de vie.

    Aujourd’hui, chaque homme décent est conscient du fait indéniable que des millions de travailleurs des grandes et petites industries, d’enseignants, d’infirmières et de retraités vivent dans la pire situation possible de toute l’histoire récente du pays, ces cinquante dernières années. Cela signifie que, aux dires des experts et des responsables gouvernementaux, les vies de millions de familles sont actuellement tombées sous le seuil de pauvreté et que les fruits, la viande et les produits laitiers ont été retirés de leurs tables.

    Ces horribles conditions ne sont pas apparues dans un pays ravagé par la famine, elles sont imposées aux travailleurs dans un pays qui dispose d’une main-d’œuvre jeune, instruite et qualifiée ainsi que des plus grandes réserves combinées de pétrole et de gaz au monde. N’est-il pas honteux que des enseignants soient obligés de couvrir leurs dépenses en travaillant comme chauffeur de taxi ou de bus? Les retraités de ce pays méritent-ils de sentir une énorme pression et de grandes inquiétudes occuper leurs vies en raison de leurs maigres pensions? Connaissez-vous un pays où des millions de travailleurs travaillent 12 à 18 heures par jour mais sont incapable de satisfaire les besoins de base de leurs familles et doivent avoir honte face à leurs enfants? Acceptez-vous que, dans ce pays, des milliers de personnes atteignent le point de vendre leurs reins ou de se prostituer alors que nous assistons au grand développement de la toxicomanie, de la misère, du désespoir et de la frustration de millions d’habitants, d’adolescent aux personnes âgées?

    Sans aucun doute, les travailleurs et les personnes honorables d’Iran répondront à toutes ces questions de manière négative. Les travailleurs n’ont jamais gardé le silence dans la défense de la dignité humaine. Malgré les arrestations et l’emprisonnement, les procès et les poursuites judiciaires, ils ont trouvé une manière d’agir soit par des pétitions, par la grève ou par des actions de protestation. Nous exigeons la fin de ces conditions misérables. Mais les travailleurs de ce pays n’ont pas le droit de vivre. L’appel à l’imposition d’un meilleur salaire minimum se développe, pour assurer que le vieux cycle des abus annuels avec des marionnettes comme les organisations gouvernementales, la violation de l’article 41 du Conseil du travail et l’oppression ne se répètent et pousse des millions de familles de la classe ouvrière encore plus sous le risque de la pauvreté. La continuation de cet imparable cycle d’oppression a imposé au fur-et-à-mesure des décennies une pression sur les conditions de vie à tel point qu’alors que le salaire minimum est de 608.000 Tomans (environ 150 euros), nombre de travailleurs ne perçoivent même pas ce salaire minimum. Selon les experts et les institutions officielles du gouvernement, le panier moyen de dépenses pour un ménage de quatre personnes revient mensuellement à plus de trois millions de Tomans (environ 800 euros). La survie de nos travailleurs devient donc impossible.

    Par conséquent, sur base de ces faits confirmés et indéniables et en rappel des récentes manifestations des enseignants, des travailleurs de l’industrie automobile et des travailleurs du secteur public, nous, signataires de cette déclaration, déclarons notre détermination inébranlable à avoir une vie en conformité avec les conditions de vie nécessaires. Nous déclarons d’urgence au gouvernement et aux propriétaires du capital que si cet écart entre le salaire minimum indigne de 608 000 Tomans et le panier de base des ménages n’est pas comblé, les manifestations vont devenir plus profondes et plus larges chaque jour. Nous comptons sur la force de notre alliance et n’hésiterons pas un instant à défendre nos moyens de subsistance.

    21 février 2015

    1 – Iranian Workers Free Trade Union
    2- Committee to Pursue the Establishment of Workers’ Organizations in Iran
    3- Labor Rights Defenders Association
    4. Coordinating Committee to Help form Workers’ organization
    5. Sugarcane Workers’ Union of Haft Tapeh
    6. Painters’ Union of Alborz Province

  • Tunisie: «Le nouveau gouvernement n'empêchera pas une année de luttes importantes»

    Entretien avec Dali Malik, partisan du Comité pour une Internationale Ouvrière à Tunis.

    Habib Essid, premier ministre, et Béji Caïd Essebsi, président de la République tunisienne.
    Habib Essid, premier ministre, et Béji Caïd Essebsi, président de la République tunisienne.

    Un nouveau gouvernement «d’unité nationale» a été mis en place après les élections générales d’octobre dernier. Ce gouvernement comprend à la fois le parti «Nidaa Tounes», un parti soi-disant laïc qui comprend des figures de l’ancien régime, et le parti islamiste de droite Ennahda. Comme ces deux partis se sont menés une guerre verbale pendant la campagne électorale et sont souvent présentés comme ayant des agendas politiques diamétralement opposés, comment expliques-tu qu’ils se retrouvent maintenant dans le même gouvernement?

    C’était assez prévisible. Tous les dirigeants de Nidaa Tounes et d’Ennahda prétendaient qu’un tel scénario ne se produirait pas, mais il s’agissait avant tout d’une posture électorale. Ils savaient tous deux que si le parti vainqueur était privé d’une majorité absolue, les deux partis devraient probablement négocier l’un avec l’autre. Une première proposition de gouvernement excluait Ennahda, mais fut rejetée par l’opposition. C’est pourquoi Nidaa Tounes a finalement décidé de prendre des ministres d’Ennahda à bord.

    D’importantes sections de la classe dirigeante, tunisienne et occidentale, soutenaient depuis un moment l’idée d’une «grande union de la droite». Une telle coalition les séduisait car elle leur procurerait soi-disant une base plus stable pour mettre en œuvre leurs plans d’austérité. En effet, les «divisions» politiques entre Ennahda et Nida Tounes ne sont pas aussi profondes que ce qui est souvent prétendu: les deux partis, tout en s’appuyant sur différentes couches de l’électorat, sont clairement pro-patronat et pro-FMI.

    Ce que ce scénario démontre également, c’est l’absence totale d’une véritable démocratie. En fin de compte, tout revient non pas à ce que les gens ont voté aux élections, mais aux desiderata de la classe capitaliste et des puissances impérialistes. Toutes sortes d’arrangements et de manœuvres ont eu lieu pour mettre en place ce gouvernement, avec très peu de considérations pour les résultats des élections.

    Ennahda a dû renoncer au pouvoir l’an dernier sous la pression des masses populaires, et a perdu de nombreux votes aux élections. Et maintenant, ils sont ramenés au pouvoir par ceux-là mêmes qui avaient concentré une grande partie de leur campagne contre ce parti! Le président Béji Caïd Essebsi, qui est aussi la figure de proue de Nidaa Tounes, a nommé comme Premier ministre Habib Essid – un candidat soutenu par Ennahda. Ce qui montre une fois de plus que les frontières entre les deux formations ne sont pas aussi grandes que l’image qu’ils en ont donné avant les élections.

    Ces deux partis avaient lancé des attaques vitrioliques l’un contre l’autre pendant toute la campagne, Ennahda dépeignant la montée de Nida Tounes comme un retour de l’ancien régime, Nida Tounes arguant qu’Ennahda était responsable de la montée du terrorisme dans le pays, etc. Mais il est clair qu’aucun des deux partis n’a de véritables principes ni de respect pour leur propre base électorale, au sein desquelles des critiques vives ont surgi dans la période récente. Une crise interne couve déjà au sein de Nidaa Tounes à cause du double discours de la direction. Ces éléments de crise ne feront que se multiplier dans les mois à venir.

    Les travailleurs et les jeunes tunisiens ont-ils des raisons d’attendre quoi que ce soit de positif de ce nouveau cabinet?

    Sûrement pas. L’ensemble de l’establishment martèle depuis des mois la nécessité de «réformes» – un terme qui sert à enjoliver ce qui ne sont en réalité que des contre-réformes, à savoir des attaques sur les conditions de vie des gens, sur les services et sur les conditions de travail. La classe capitaliste tunisienne rêve notamment depuis longtemps de se débarrasser du « bijou » de la classe ouvrière tunisienne: la caisse de compensations, à savoir ce système de subventions publiques sur les produits de base (carburant, pain, lait, etc.) qui maintient les prix de ces produits sous un certain contrôle. Il s’agit d’une question extrêmement sensible, et les tentatives précédentes de la classe dirigeante de liquider ce système ont conduit à des affrontements historiques avec le syndicat tunisien UGTT, en particulier en 1978 et en 1984.

    En 1984, après une telle tentative, le régime de Bourguiba a été ébranlé jusque dans ses fondements par ce qu’on a appelé les «émeutes du pain». Malgré l’envoi de troupes dans les rues, le pouvoir ne fut pas en mesure d’apaiser la colère des masses, et a finalement dû battre en retraite sur la réforme. Donc, bien que la classe dirigeante voudrait vraiment se débarrasser de ce système, elle sait aussi que c’est un énorme risque à prendre, car ce pourrait être l’élément déclencheur d’une révolte sociale sans précédent. C’est encore plus le cas du fait qu’on est plongé dans une période d’inflation importante qui a déjà conduit à une explosion des prix de beaucoup de produits, ce qui constitue un facteur important d’appauvrissement pour des millions de Tunisiens.

    A part cela, le gouvernement prévoit aussi de nouvelles privatisations et des coupes budgétaires dans le secteur public, qui, selon toute vraisemblance, impliqueront une vague de licenciements dans l’administration. Le gouvernement va sans doute essayer d’éviter de mener des attaques frontales dans des secteurs stratégiques tels que la santé et l’éducation, car ce sont des secteurs très militants et fortement syndiqués où il existe déjà un important niveau de grèves.

    Mais de toute évidence, le nouveau gouvernement n’empêchera pas une année de luttes sociales et syndicales importantes, de grèves de masse, d’émeutes et d’explosions populaires. Les dirigeants de l’UGTT multiplient déjà les mises en garde à l’establishment, exigeant un accent « plus social» dans le programme du gouvernement, car ils savent mieux que personne que leur base militante n’avalera pas la pilule à venir.

    Une étude récente d’un think-tank américain, « Freedom House », est récemment arrivé à la conclusion que la Tunisie était désormais le «premier pays libre dans le monde arabe ». Quelle est la réalité sur le terrain?

    C’est probablement le genre d’organisation pour laquelle «liberté» signifie essentiellement la liberté de gagner de l’argent! La Tunisie est toujours un pays où les journalistes sont traduits en justice, où des militants reçoivent des menaces de mort, où un tribunal militaire a récemment condamné un blogueur à un an de prison du fait qu’il aurait « insulté l’armée », où un caricaturiste a été frappé par la police juste pour s’en être moqué dans un de ses dessins…

    Les abus quotidiens par les forces de sécurité n’ont jamais vraiment cessé, la police continue à maltraiter les manifestants et les militants. Dimanche dernier un jeune manifestant a été abattu et plusieurs autres blessés, dans la ville méridionale de Dehiba près de la frontière libyenne, suite à des protestations sociales contre une nouvelle taxe imposée par le gouvernement, au cours desquelles la police a utilisé des balles réelles et de la chevrotine.

    Il y a un manque criant de développement et d’emplois dans les régions du Sud, il est estimé que plus d’un million de Tunisiens survivent grâce à des activités de contrebande. Les autorités voulaient imposer une taxe à la frontière, ce qui affecterait directement le commerce avec la Libye voisine et couperait la source de revenus de nombreux pauvres Tunisiens locaux. Des manifestations ont éclaté le week-end dernier, conduisant à une grève générale dans tout le gouvernorat de Tataouine mardi. La grève a été massivement suivie – seulement les boulangeries et les pharmacies étaient ouvertes. Après la grève, le premier ministre a été contraint d’annoncer que cette taxe serait annulée.

    Mais généralement, la rhétorique de l’État a été de dépeindre les manifestants comme des voyous, des barons de la drogue ou des terroristes. Bien que certains réseaux de contrebande profitent évidemment de ce commerce illégal, et ont tenté d’infiltrer le mouvement, ce type de déclarations ignorent les problèmes sociaux et les revendications bien réels de nombreux habitants locaux, petits commerçants et jeunes chômeurs.

    C’est une stratégie classique pour tenter de porter atteinte aux droits et libertés: tous ceux qui ne soutiennent pas inconditionnellement la machine d’Etat et la police sont présentés comme des partisans de la violence et du terrorisme. La logique de la «guerre contre la terreur» est susceptible de se renforcer par le nouveau gouvernement. Combiné avec le retour de vieilles figures de l’ancien régime dans des positions de pouvoir, cela implique que, malgré les acquis relatifs que nous avons gagné en termes de liberté par rapport à d’autres pays de la région, le niveau de menace sur les droits démocratiques est assez élevé. Nous ne sommes pas dans une «zone de confort» et nous n’y serons pas tant que le pouvoir reste accaparé par l’élite capitaliste. Tous les gouvernements tunisiens depuis la chute de Ben Ali ont défendu cette classe, et tous ont tenté de revenir en arrière sur ce qui a été accompli par la révolution.

    La Tunisie a fourni le plus gros contingent de combattants dans les rangs de l’«État islamique» (IS). Quelle est la réalité du danger terroriste, et quelle devrait être à ton avis la réponse des socialistes sur cette question?

    Plus de 3.000 Tunisiens ont rejoint les rangs de l’EI, et des réseaux djihadistes ont fleuri dans certains quartiers du pays, en particulier dans les zones défavorisées, où de nombreux jeunes marginalisés et désespérés représentent des proies vulnérables. Ces groupes réactionnaires utilisent une violence extrême, fascisante – et leur combat n’affronte pas seulement l’État; il vise fondamentalement les intérêts de toute la masse, des femmes, de la gauche, du mouvement syndical, etc.

    Donc le problème est réel, et a besoin d’une réponse. Cependant, nous devons être clair sur le fait que le rôle de l’Etat sur cette question n’est pas «désintéressé». L’Etat exploite ce phénomène pour ses propres intérêts, et il l’alimente également dans une certaine mesure. Il l’exploite pour créer un sentiment d’unité artificielle derrière lui, et pour renforcer la répression en général. C’est pourquoi il est important que dans la lutte contre le terrorisme, nous ne faisons pas confiance en l’appareil d’État pour faire le travail par lui-même; en réalité, beaucoup de gens en Tunisie comprennent cela instinctivement, car l’expérience du régime de Ben Ali leur a enseigné que nous ne pouvons pas troquer notre liberté contre une sécurité supposée.

    tunisie01C’est l’une des raisons pour lesquelles chaque attaque terroriste dans le pays a été suivie de mobilisations populaires spontanées. En 2013, deux assassinats de politiciens de gauche par des extrémistes religieux ont provoqué deux grèves générales de proportions historiques. Dans un certain nombre d’autres occasions, des attaques djihadistes ou salafistes ont poussé les travailleurs et les jeunes à descendre dans la rue. La puissance du mouvement syndical en Tunisie (y compris parmi les forces de sécurité), ainsi que l’absence de fractures confessionnelles profondes dans le pays, ont contribué à maintenir le danger terroriste en échec.

    Cela ne signifie pas pour autant que l’on puisse sous-estimer la réalité du danger, mais plutôt qu’il faut souligner la nécessité d’une réponse en notre nom propre: ce n’est pas par plus de répression d’État et plus d’hélicoptères que nous allons lutter contre le terrorisme, mais en construisant une lutte organisée et massive, qui lie la nécessité immédiate de protéger nos communautés du terrorisme à la lutte pour fournir des emplois décents et un avenir aux jeunes, pour un investissement public massif dans les régions, etc.

    La coalition des forces de gauche, le «Front populaire», a obtenu 3,66% des voix aux dernières élections d’octobre, et a maintenant 15 sièges au Parlement. Quelle est l’attitude de cette formation vis-à-vis du nouveau gouvernement, et quelles devraient être selon toi les tâches de la gauche dans cette nouvelle situation?

    Le Front populaire a fait une série de terribles erreurs au cours des deux dernières années, qui ont profondément affecté sa position parmi les masses laborieuses, et suscité de l’amertume parmi toute une couche de ses supporters originaux, plus encore chez les jeunes. En ce sens, le résultat électoral du Front était bien en-deçà de ce que le potentiel de cette formation aurait pu être. Mais depuis que le Front a repris ses distances avec Nidaa Tounes (avec lequel il avait à un certain moment conclu une alliance contre Ennahda), et a récemment recentré son discours sur des thèmes sociaux, il a réussi à «sauver la face» et à récupérer une partie du terrain perdu.

    Ceci est principalement dû à une base militante qui a rappelé la direction à l’ordre à plusieurs reprises, et contraint à reconsidérer certains choix d’orientation. Si le Front populaire n’est pas entré dans un gouvernement avec Nidaa Tounes par exemple, cela a plus à voir avec le fait que les rangs du Front ne l’auraient pas accepté, qu’avec une opposition de principe de leurs dirigeants de ne pas le faire.

    Durant les négociations en vue de la formation du gouvernement, le Front populaire a plaidé pour un gouvernement qui gèlerait le paiement de la dette, fournirait des indemnités pour les chômeurs, augmenterait les salaires, et dirait non à toute tentative de liquider la caisse de compensations. Ce genre de positionnement les a aidés à obtenir davantage de soutien dans les sondages dernièrement.

    Il y a des contrastes évidents entre la trajectoire droitière encouragée par la direction centrale du Front Populaire et la volonté de la base militante et de certains dirigeants locaux. C’est pour cette raison que nous avons adopté une position favorable au Front dans certaines régions pendant les élections, même si nous avions soulevé nos critiques en termes très vifs aussi. Le principal organe central du Front populaire n’est pas démocratique, et utilise ce que certains, même au sein du Front, qualifient de méthodes staliniennes. Hamma Hammami, la figure de proue du Front Populaire, dit qu’il n’est plus stalinien. Mais ce qu’il ne dit pas, c’est qu’il n’est plus socialiste ou communiste non plus!

    Le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) en Tunisie plaide pour un mouvement politique de masse qui pourrait rassembler la base militante du Front Populaire avec les militants de mouvements sociaux, les jeunes chômeurs et, surtout, les syndicalistes et les travailleurs de l’UGTT. Cela nécessite un programme militant et combatif, un programme d’action socialiste qui reste fidèle aux objectifs initiaux de la révolution, ainsi qu’une implication sans relâche sur le terrain.

    Le contexte actuel, marqué par un gouvernement comprenant les deux principaux partis de la bourgeoisie, donne une position unique pour la gauche et l’UGTT. En outre, l’augmentation du nombre de parlementaires du Front Populaire donne la possibilité au front de s’ériger comme “caisse de résonance” politique du mouvement ouvrier et des luttes de la rue. Mais en même temps, la composition du nouveau gouvernement discrédite complètement la position défendue dans le passé par de nombreux dirigeants du Front et de l’UGTT, qui consistait à donner un soutien tacite – ou explicite – à Nida Tounes, contre les islamistes.

    La direction de l’UGTT est très modérée et a contribué par sa position à mettre en place le dernier gouvernement pro-capitaliste de Jomaa, qui a attaqué les intérêts et les droits des affiliés de l’UGTT. Certains dans le syndicat disent que ces dirigeants se sont intéressés à tout, sauf à leurs propres membres. C’est pourquoi bien que nous allons continuer à défendre l’UGTT contre toute tentative de la miner par les réactionnaires, néo-libéraux ou islamistes, nous voulons aussi encourager les travailleurs et les militants syndicaux à se réapproprier leur syndicat, en poussant vers plus de démocratie interne et vers la radicalisation des actions syndicales face au nouveau gouvernement ; à commencer par la préparation d’un mouvement de grève intersectoriel coordonné à l’échelle nationale contre les plans d’austérité qui s’annoncent.

  • Israël-Palestine : Netanyahu menace de réagir avec « une poigne de fer » aux attentats contre les synagogues

    isra_pal_novArticle paru en novembre dernier sur le site du Comité pour une Internationale Ouvrière dont nous vous proposons ici une traduction.

    Une nouvelle vague de rage et de protestation en réponse aux nouvelles séries de répression

    Yasha Marmer, Socialist Struggle Movement, section du CIO en ISraël-Palestine

    Depuis la fin de la guerre brutale de juillet-août contre Gaza, massacre qui a causé la mort de presque 2.200 habitants, les communautés palestiniennes de la Cisjordanie occupée et surtout de Jérusalem-Est annexée refusent de retourner à une soi-disant vie « normale » sous l’occupation.

    La fin de l’été et l’automne 2014 ont vu des centaines et parfois des milliers de jeunes Palestiniens descendre dans les rues de Jérusalem-Est presque quotidiennement pour protester contre l’extension des colonies et la répression. Les protestations sont aussi une réaction à une série de provocations nationalistes et religieuses sur le Mont du Temple/l’Esplanade des Mosquées orchestrées par le gouvernement et des groupes israéliens d’extrême-droite.

    En parallèle, la polarisation nationaliste augmente aussi de manière significative à Jérusalem suite à un nouveau cycle de répression et d’attentats terroristes. De nouvelles victimes des deux côtés de la fracture nationale s’ajoutent au nombre de morts quasi quotidiens.

    En automne dernier, un Palestinien de 22 ans a été tué lors de protestations et d’affrontements avec l’armée près de Hébron ; un adolescent de 14 ans a été tué par un sniper de Tsahal dans la région de Ramallah ; un jeune garçon de 12 ans a été tué par des soldats dans la même région. Depuis le début de l’année, au moins 50 Palestiniens ont été tués dans la Cisjordanie occupée par l’armée israélienne et des colons.

    Dimanche 16 novembre, Yousuf Hasan al-Ramouni, un chauffeur de bus palestinien âgé de 32 ans a été retrouvé mort pendu dans un dépôt de bus à Jérusalem. Sa famille croit fermement qu’il a été victime d’un attentat nationaliste alors que la police israélienne a déclaré qu’il s’agissait d’un suicide.

    Deux jours après, deux jeunes Palestiniens de Jérusalem-Est ont attaqué des fidèles juifs dans une synagogue dans le quartier de Har Nof situé à Jérusalem-Ouest, faisant quatre morts. Les deux agresseurs et un policier israélien ont trouvé la mort dans la fusillade.

    Le nombre terrible de morts causé par la guerre de l’été dernier a été suivi d’une expansion croissante des colonies et de confiscations de terres. C’est dans ce contexte que des individus palestiniens ont mené des séries d’actes tragiques et désespérés d’attaques à l’arme blanche et à la voiture bélier précédant l’attentat contre la synagogue. Six Israéliens dont un bébé de trois mois ont y trouvé la mort.

    La protestation se propage

    Début novembre, les manifestations et confrontations incessantes à Jérusalem-Est ont été accompagnées par une vague de rage et de protestation dans les communautés palestiniennes en Israël. Ces dernières se sont déclenchées après que la police a tué par balles de sang-froid Khayr Hamdan (22 ans) à Kafr Kana, une ville arabo-palestinienne au nord d’Israël.

    Les enregistrements de vidéosurveillance montrent Hamdan en train de frapper sur la fenêtre fermée d’une camionnette de la police israélienne après l’arrestation de son cousin suite à une dispute familiale. Trois policiers sont sortis de la fourgonnette et ont tiré sans aucun avertissement dans le dos de Hamdan alors qu’il reculait et ne menaçait personne. Après la fusillade, Hamdan a été trainé dans la camionnette de la police. Quelques heures après il a succombé à ses blessures à l’hôpital.

    Le jour suivant des milliers de Palestiniens ont manifesté. Des dizaines de milliers ont pris part à une grève générale populaire de 24 heures, décrétée par le Comité suprême des citoyens arabes-palestiniens d’Israël. Beaucoup de petites entreprises étaient fermées. Des écoliers étaient en grève – 2.000 d’entre eux ont aussi manifesté à Sakhnin et Kfar Kanne le jour suivant. Beaucoup de manifestants brandissaient des pancartes fait-maison où l’on pouvait lire : « La faute : être Arabe – La punition : la mort ».

    La réaction du Premier ministre Netanyahu face aux protestations contre la police meurtrière a été de dire : « à tous ceux qui manifestent contre Israël et qui sont en faveur d’un état palestinien, je dis quelque chose de simple : je vous invite à déménager là-bas ». Déménager où ? Pour clarifier son intention, Netanyahu, qui s’oppose à l’idée même d’un état palestinien, a ordonné au ministre de l’Intérieur d’envisager de révoquer la citoyenneté israélienne de ceux qui « ont agi contre l’état ».

    « Tirer pour tuer »

    Le meurtre tragique de Hamdan et les images de vidéosurveillance choquantes ont eu pour conséquences d’étendre les protestations – mais pas à une grande échelle – de Jérusalem-Est aux communautés palestiniennes au nord d’Israël. Mais les causes de la colère sont plus profondes que cela.

    La plupart des attentats contre des Israéliens à Jérusalem se sont terminés en exécutions sur place des agresseurs par la police après que cette dernière les a arrêtés et immobilisés. Ces meurtres sans procès ont été soutenus par la direction de la police et les ministres du gouvernement.

    Le Ministre de la Sécurité Intérieure (responsable de la police) Yitzhak Aharonovitch a fait l’éloge de la police meurtrière en disant qu’il souhaite que chaque acte de terreur se termine par l’exécution sur place de l’agresseur. Ceci ne vaut apparemment que pour les Palestiniens puisque que les terroristes juifs qui attaquent des communautés palestiniennes restent la plupart du temps impunis.

    Ces déclarations ont révélé très clairement que la famille et la communauté de Hamdan ne peuvent attendre aucune justice de l’enquête lancée sur le meurtre par l’unité d’investigation de la police. Cela fait resurgir les souvenirs d’octobre 2000 lorsque 13 citoyens arabes-palestiniens d’Israël non-armés ont été abattus par des tirs à balles réelles pendant les protestations qui se sont déroulées en Israël au commencement de la seconde Intifada. Pas un policier ou officier n’a été inculpé pour ce crime. Depuis lors, 48 jeunes palestiniens avec la citoyenneté israélienne sont morts sous les balles de la police. Dans seulement trois cas, l’officier a été reconnu coupable de crime et même pour ces cas-là ils ont purgé une peine de seulement 6 à 14 mois de prison (statistiques de centre Mossawa).

    Une semaine avant la déclaration d’Aharanovitch, en Cisjordanie, une fille palestinienne de 5 ans a été tuée après avoir été renversée par un véhicule conduit par un colon qui a pris la fuite. Il a été libéré immédiatement après un bref interrogatoire, malgré que le délit de fuite n’ait pas pu être exclu. Contrairement à cela, après que la police a tué Hamdan, les ministres du gouvernement de Netanyahu l’ont étiqueté immédiatement de terroriste.

    Pendant que les porte-paroles de Netanyahu donnent des ordres largement médiatisés de démolir les maisons des familles de suspects terroristes palestiniens sans aucun procès ni condamnation, de telles mesures n’ont jamais été prises contre des terroristes juifs, y compris après le meurtre récent de Mohammed Abu Khdeir à Jérusalem.

    Ces actes sont une autre tentative de la part du régime israélien de consolider une image de suprématie militaire contre le mécontentement qui ne fait que se développer des deux côtés du mur. Les déclarations récentes de renforcer l’expansion des colonies et la construction de centaines de nouveaux logements à Jérusalem-Est visent en fin de compte à atteindre le même objectif.

    Jérusalem-Est

    A la fin du mois d’octobre, le bureau du Premier ministre a annoncé le lancement d’un projet de construction de plus de 1.000 nouveaux logements dans les colonies de Ramat-Shlomo et Ar-Homa à Jérusalem-Est. L’objectif de ces plans est de consolider encore plus fermement l’annexion de Jérusalem-Est et de fermer la porte à toute perspective pour un état palestinien avec Jérusalem-Est pour capitale.

    Il ne fait aucun doute que ces déclarations encouragent l’extrême-droite et d’autres groupes de colons. Le mois précédent, ils ont réussi à exproprier plusieurs dizaines de maisons dans le quartier palestinien très pauvre de Silwan. Ceci n’était plus arrivé depuis plus de 20 ans. L’usurpation des maisons s’est faite avec l’aide d’une grande présence de la police anti-émeute et des frontières sous les félicitations publiques des ministres du gouvernement. Le ministre du logement, Uri Ariel, du parti raciste pro-colonisation, « Le Foyer juif », a même déclaré qu’il avait l’intention d’emménager dans l’une de ces maisons.

    Les groupes de colons qui exproprient les familles palestiniennes de Silwan, situé seulement à quelques kilomètres des lieux saints de Jérusalem, sont les mêmes qui prennent part à des visites provocatrices sur l’Esplanade des Mosquées/Le Mont du Temple. L’objectif déclaré de ces visites qui ont atteint un pique historique en septembre dernier lors de la saison des vacances juives, est de « reprendre possession » de l’enceinte de la Mosquée Al-Aqsa qui est déjà occupée et annexée. Des membres de l’extrême-droite qui siègent à la Knesset (le parlement israélien) et des ministres du gouvernement prennent part à ces visites presque chaque semaine accompagnés par la police anti-émeute en tenue de combat.

    Ce sont des actes non seulement à caractère religieux mais aussi nationaliste qui augmentent la menace pour les fidèles musulmans de voir leur accès à l’Esplanade des Mosquées encore plus limité. Les protestations et affrontements qui se sont déroulés dernièrement à l’intérieur et à l’extérieur de l’Esplanade ont même amené un haut responsable de la police israélienne à admettre que : « En essayant de se rendre à plusieurs reprises sur le Mont du Temple, des membres de la Knesset provoquent les Palestiniens à réagir ».

    Mais cet officiel de la police ferme clairement les yeux sur la politique provocatrice des forces de police qui imposent une punition collective aux fidèles musulmans en leur y limitant fréquemment l’accès.

    Ceci va de pair avec d’autres formes de punition collective contre les quartiers, villages et camps de réfugiés palestiniens dans la région de Jérusalem ces dernières semaines, telles que : de nouvelles restrictions dans les déplacements, des routes barrées, des démolitions de maisons, des amendes draconiennes et contraventions imposées par les autorités locales sur la population réduite à la misère.

    Ceci arrive après presque un demi-siècle de discrimination systématique et de négligence criminelle des infrastructures, une pénurie d’écoles, de logements et d’emplois. Les niveaux de pauvreté (78%) et de chômage (40% chez les hommes, 85% chez les femmes) ont atteint aujourd’hui leur plus haut niveau depuis le début de l’occupation à Jérusalem-Est en 1967.

    En plus de cela, les attaques physiques et les attentats terroristes contre les Palestiniens organisés par des groupes ou individus d’extrême-droite, comme l’enlèvement et le meurtre horrible de Mohammed Abu Khdeir âgé de 16 ans par des terroristes juifs l’été dernier, ne cessent pas. Les dernières semaines, deux mosquées ont été incendiées en Cisjordanie.

    Bien que la peur monte parmi la classe dirigeante israélienne qui craint de perdre le contrôle de la situation, elle sent aussi la pression augmenter qui la pousse à faire preuve de force contre toute tentative des Palestiniens à défier le statu quo. Dans ce contexte, on comprend mieux les désaccords sur les tactiques et la stratégie entre les différents chefs de la police, l’armée, les services secrets et le gouvernement.

    Face au mécontentement grandissant, le gouvernement de Netanyahu répond par plus de répression. Depuis le début de la guerre contre Gaza, environ 1.000 jeunes palestiniens ont été arrêtés dans la région de Jérusalem-Est, dont beaucoup de mineurs et parmi eux, un enfant de 10 ans.

    Le gouvernement joue un jeu cynique. Alors que les résidents israéliens de Jérusalem aspirent à la sécurité et à la stabilité, il jette de l’huile sur le feu.

    Dans sa promesse à « restaurer le calme », le gouvernement a ordonné le déploiement de 1.000 policiers supplémentaires dans Jérusalem-Est annexée, 2.500 troupes dans la Cisjordanie occupée et a augmenté la présence policière aux alentours des communautés palestiniennes qui vivent en Israël. En plus de tout cela, Netanyahu a ordonné de détruire plus de maisons, de sanctionner par des amendes les parents dont les enfants participent à des jets de pierre et d’interdire les organisations à Jérusalem qui encouragent « l’incitation », c’est-à-dire toute forme de lutte contre l’occupation.

    Une nouvelle Intifada ?

    En prenant en compte les conditions horribles sur le terrain et l’opposition arrogante du gouvernement Netanyahu à faire des concessions significatives en Cisjordanie ou Gaza, un nouveau soulèvement de grande ampleur – une troisième intifada – serait juste une question de temps.

    Quelques commentateurs dans les médias israéliens parlent des récents évènements comme une nouvelle intifada ou une « intifada silencieuse » ou une « intifada urbaine ». Dans certains cas, le but cherché est de faire peur délibérément au public israélien et de pousser le gouvernement à « faire quelque chose ». Mais il faut souligner que les récentes protestations ne se déroulent pas encore à grande échelle et par conséquent on ne peut pas encore parler d’intifada, dans le vrai sens du terme – un soulèvement de masse contre l’occupation et l’oppression nationale. Néanmoins, cette sorte de soulèvement est absolument nécessaire pour arrêter et renverser la politique arrogante et brutale du régime israélien.

    Les arrestations et intimidations sont des obstacles à un tel soulèvement. Ces dernières ont pour objectif des démanteler toutes formes de directions locales qui peuvent mener des luttes dans les communautés palestiniennes à Jérusalem-Est et au-delà.

    L’autorité palestinienne dirigée par le Fatah ne fait aucun effort pour surpasser cet obstacle. Sa politique de « coopération à la sécurité » avec l’armée israélienne se traduit par un retrait et une suppression des protestations. Un des hauts fonctionnaires du Bureau du dirigeant de l’Autorité palestinienne Mahmud Abbas a expliqué la logique tordue qui se cache derrière : « Nous allons aux Nations-Unies pour demander la reconnaissance de l’Etat palestinien. On ne peut pas se permettre que la Cisjordanie et Gaza ressemblent à la Somalie avec des hommes armées et masqués partout, parce que le monde ne nous écoutera pas ».

    D’un autre côté, le Hamas a déclaré quelques jours symboliques de colère en Cisjordanie mais sans être capable ou avoir la volonté de mobiliser des couches plus larges pour une lutte efficace dans le temps. Le principal intérêt pour la direction du Hamas est de stabiliser la situation à Gaza par la mise en œuvre de nouveaux accords avec le régime israélien d’un côté et avec le régime égyptien de l’autre, par l’entremise du Fatah.

    Ce n’était donc pas surprenant que l’agence palestinienne d’informations Ma’an ait mené un sondage avec la question : « Est-ce que les attentats à la voiture bélier expriment une rage populaire contre le racisme de l’occupation ou se produisent-ils parce que les organisations restent silencieuses ? »

    Sortir de l’impasse

    Les difficultés dans la situation actuelle sont claires. La guerre récente contre Gaza a révélé les limites de la puissance militaire d’Israël, mais elle a aussi montré que la balance militaire des forces est clairement du côté de la machine de guerre israélienne. D’un autre côté les Autorités palestiniennes sont clairement limitées dans leur campagne diplomatique. Les reconnaissances symboliques récentes d’un Etat palestinien par différents pays européens peuvent aider à dévoiler les politiques du régime israélien mais elles ne changent rien sur le terrain. Cette impasse peut mener à davantage d’actes contreproductifs et désespérés mais aussi à une plus grande ouverture pour de nouvelles méthodes de lutte et de nouvelles forces politiques qui peuvent émerger à gauche.

    Des manifestations de grandes et moyennes envergures dans les territoires palestiniens occupés peuvent gagner rapidement la solidarité du monde entier et éventuellement relancer la lutte révolutionnaire dans la région, particulièrement en Jordanie et Egypte. Elles peuvent aussi changer l’opinion et gagner le soutien d’une partie significative de la société israélienne. Des sondages récents montrent que le soutien aux politiques du gouvernement Netanyahu est loin d’être solide.

    Selon un sondage effectué au début du mois de novembre mesurant l’indice de paix, 64% des juifs israéliens considèrent que la raison principale pour laquelle Netanyahu a relancé la construction de colonies était de «consolider sa position dans la droite et parmi les colons ». A la question : « Quelle est la bonne façon d’empêcher des attentats terroristes ? », une majorité de juifs (52.5%) ainsi que d’Arabes palestiniens (81.2%) en Israël ont déclaré qu’« il faudrait reprendre les négociations pour la paix ».

    La gauche socialiste israélienne devrait s’efforcer de creuser plus profondément les fissures qui ont commencé à resurgir dans le soutien au gouvernement avec la fin de la guerre contre Gaza. Elle doit expliquer le contexte des mauvaises conditions économiques. Elle doit expliquer la nécessité de construire un mouvement dirigé par la classe ouvrière en Israël qui peut mettre en avant une issue socialiste à cette crise sans fin et cela profitera à toute la classe ouvrière de la région.

    Le soutien élevé parmi les Israéliens pour une reprise des « pourparlers de paix » est une indication de leur mécontentement envers le gouvernement Netanyahu. Mais il faut aussi souligner que de vraies discussions pour la paix ne peuvent prendre place qu’avec la fin de l’occupation, de l’état de siège, du projet de colonisation et toutes autres formes d’exploitation et d’oppression des Palestiniens. Seule une lutte peut rendre cela possible.

    L’état actuel de la lutte demande à mettre en place urgemment des comités populaires démocratiquement élus dans les communautés palestiniennes afin d’organiser des actions plus larges, de mobiliser la couche plus large des travailleurs et des jeunes et d’organiser une auto-défense efficace y compris armée contre la répression mortelle de l’armée israélienne et des attaques des colons. Ces comités peuvent générer des discussions à tous les niveaux de la société sur la question de comment avancer sur la voie de la lutte pour la libération nationale et sociale.

    Le Mouvement de Lutte pour le Socialisme, section sœur du PSL en Israël/Palestine appelle à :
    -Renforcer les protestations contre l’extrême-droite et le gouvernement de Netanyahu pro- « capital et colonies ». Juifs et Arabes doivent s’unir dans leurs manifestations – Stop aux attentats nationalistes, stop au terrorisme.
    – Une enquête indépendante concernant le meurtre de Hamdan doit être menée par des représentants de la communauté, des organisations des travailleurs et du grand public. Pour un contrôle démocratique sur la police qui devra être soumise à une supervision démocratique effectuée par des comités de polices communautaires.
    – Mettre sur pied des comités d’action élus démocratiquement dans les communautés où des manifestations prennent place pour aider à organiser la lutte.
    – L’armée israélienne doit se retirer des territoires palestiniens ! Stop à l’occupation et aux activités de colonisation. Stop à la politique de siège sur Gaza.
    – Pour un état palestinien indépendant, démocratique et socialiste au côté d’un état israélien démocratique et socialiste, avec deux capitales à Jérusalem et l’égalité des droits pour les minorités, dans le cadre d’une lutte pour un Moyen Orient socialiste et la paix dans la région.

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