Category: Europe

  • Le gouvernement allemand formé six mois après les élections

    Après les élections fédérales du 24 septembre 2017, il a fallu presque six mois exactement pour que le nouveau gouvernement soit assermenté. C’est sans précédent dans l’histoire allemande d’après-guerre. En plus de cela, le Bundestag (parlement) vote ce mois-ci pour nommer Merkel, mais celle-ci n’a obtenu que neuf voix de plus que l’exigence légale pour devenir Chancelière. Trente-cinq membres des partis au pouvoir ont refusé de voter pour elle. Cela donne à penser que ce ne sera pas un gouvernement « fort ».

    Par Wolfram Klein (SAV, section allemande du CIO)

    Lors des élections de septembre, les trois précédents partis au pouvoir de la “Grande Coalition” sortante, les deux partis chrétiens (CDU et CSU) et les sociaux-démocrates (SPD), ont subi des pertes importantes. Le soir de l’élection, Martin Schulz, candidat du SPD au poste de chancelier, a déclaré que le SPD entrerait maintenant dans l’opposition après avoir reçu leur plus faible pourcentage de voix depuis que le suffrage universel a été gagné en 1919.

    Cela a été suivi par des semaines de négociations entre le CDU de Merkel, le CSU bavarois, les libéraux (FDP) et les Verts. En particulier, le CSU, qui avait perdu 10,5 points de pourcentage lors des élections (surtout au profit de l’AFD populiste et pro-capitaliste de droite), qui s’est retrouvé avec 38,8% en Bavière et qui fait face aux élections fédérales le 14 octobre 2018 a essayé de se distinguer par des revendications de droite. Les Verts étaient prêts à jeter par-dessus bord tous leurs principes pour pouvoir participer au gouvernement. Mais le FDP s’est retiré des négociations, arguant qu’ils avaient obtenu trop peu de leurs demandes. Le FDP, qui, lors des élections générales de 2013, n’a pas réussi à franchir l’obstacle des cinq pour cent pour la première fois après la Seconde Guerre mondiale et n’est revenu au Bundestag qu’en 2017 après une campagne publicitaire massive, craignait apparemment que dans une nouvelle coalition avec le CDU, comme en 2009-2013, ils soient à nouveau pulvérisés et perdent leurs sièges. La question de savoir si le FDP s’est rendu service, à long terme, avec cette décision est une toute autre question.

    Après l’échec des négociations “jamaïcaines” (les couleurs du parti CDU, CSU, FDP et Verts correspondent aux couleurs du drapeau jamaïcain), une pression massive a été exercée sur le SPD pour qu’il abandonne sa promesse de se lancer dans l’opposition. Dans les mois qui ont suivi, il y a eu un conflit féroce dans le SPD, qui était cependant moins motivé fondamentalement par un rejet du programme de coalition avec Merkel, mais par la crainte qu’une coalition renouvelée n’entraîne une nouvelle perte de voix et de sièges lors d’élections futures.

    Les Jeunes socialistes

    Le porte-parole et le centre d’organisation de l’opposition interne du SPD à la coalition étaient les Jeunes socialistes (dont on a peu entendu parler depuis de nombreuses années). Ce n’était pas une expression de la force des jeunes socialistes, mais de la faiblesse de l’aile gauche du parti, qui n’avait pas d’autre figure de proue. Un ‘Corbyn allemand’ n’est pas visible à l’intérieur du SPD. Les Jeunes socialistes, eux aussi, étaient à des kilomètres de l’opposition socialiste à la politique néolibérale et davantage motivés par des préoccupations quant à la pérennité du parti dans lequel ils veulent faire carrière. Compte tenu du sort des partis sociaux-démocrates dans des pays comme la Grèce, les Pays-Bas, l’Irlande ou la France, il s’agit là d’une crainte raisonnable.

    Cependant, ils n’avaient pas d’alternative crédible à offrir à une nouvelle coalition. Tolérer un gouvernement minoritaire n’est pas attrayant pour des gens qui imaginent que l’influence politique, se fait en premier lieu par une participation gouvernementale et pour qui l’idée de faire pression sur un gouvernement par des mouvements extra-parlementaires semble peu « mondain » (en fait, ils vivent dans un monde parallèle eux-mêmes en tant que politiciens professionnels).

    Après un double zigzag du SPD (d’abord contre la participation au gouvernement, puis en faveur et ensuite contre à nouveau), de nouvelles élections auraient, selon les sondages d’opinion, conduit à un résultat électoral encore plus dévastateur pour le SPD qu’en septembre. En fait, dans certains sondages, le SPD était même derrière l’AfD ou le SPD et le CDU / CSU ensemble n’avaient plus de majorité. Dans ces circonstances, la décision du SPD se situe entre une fin catastrophique et une catastrophe sans fin. Comme en 2013, la direction du SPD a voulu imposer la responsabilité de la participation au gouvernement au parti, dans son ensemble, en faisant approuver le résultat des négociations de la coalition par référendum. Ils y sont parvenus quand 66 pour cent (sur 78 pour cent de participation) ont voté pour une catastrophe sans fin d’une nouvelle édition du gouvernement Merkel, parce qu’une fin catastrophique (je voulais rajouter à la PASOK) leur semblait au final encore plus terrible !

    Dans les négociations de coalition en 2013, le SPD a fait passer, pour la première fois, l’introduction d’un salaire minimum légal en Allemagne (après des années de campagnes extra-parlementaires de la gauche, des syndicats, etc.). Il était et est beaucoup trop bas et comporte trop d’exceptions, mais il avait néanmoins une signification symbolique considérable. Mais cela n’a pas suffi à empêcher le SPD de perdre des voix aux élections. Cette fois, ils n’ont rien fait passer –et par quelque chose de comparable. Pouvons-nous nous attendre à ce qu’ils fassent mieux lors des prochaines élections dans quatre ans (ou, plus précisément, dans trois ans et demi) ? Après les négociations de coalition, les dirigeants du SPD se sont vantés de la quantité d’idées qu’ils ont fait passer. Cela ne fait que montrer à quel point le SPD et le CDU sont proches et à quel point les politiques néolibérales de ces deux partis se chevauchent.

    Bien que le « contrat » de coalition contient l’une ou l’autre amélioration cosmétique (certaines sont simplement des annulations de coupes budgétaires etc. que le SPD avait lui-même introduit plus tôt), d’autre part, il contient des détériorations. Surtout, il n’y a aucune garantie que même ces améliorations seront mises en pratique. Déjà dans le passé, les décisions n’étaient pas mises en œuvre. Et ces dernières années, nous avons connu une reprise économique et des taux d’intérêt extrêmement bas, ce qui a considérablement réduit les dépenses du gouvernement allemand en matière de service de la dette. Que se passe-t-il si une crise économique ou des mesures protectionnistes aux États-Unis frappent l’économie allemande dépendante des exportations ? En ce qui concerne les réductions d’impôts de Trump, les capitalistes allemands font déjà pression pour des crédits d’impôts au-delà de la politique convenue dans l’accord de coalition. Et l’argent pour de tels cadeaux viendrait sûrement des poches de la classe ouvrière.

    Enfin, les lois internes du capitalisme créent un fossé grandissant entre riches et pauvres, ce qui accroît la destruction de l’environnement. Une politique de “plus ou moins la même chose”, une politique qui ne s’oppose pas activement à ces développements, signifie une détérioration des conditions de la classe ouvrière, même si elle ne nous attaque pas directement.

    Partage des postes gouvernementaux

    Le domaine où le SPD a négocié leur meilleur résultat était le partage des postes gouvernementaux de premier plan. Avec les ministères des finances, des affaires étrangères et du travail, le DOCUP détient trois ministères centraux. Le CDU se plaint surtout de la perte du ministère des Finances. Mais il n’y a aucune raison de croire que le SPD utiliserait ses ministères pour des politiques plus progressistes. En particulier, le ministre des Finances (Scholz) et le ministre du Travail (Heil) sont inextricablement liés à Gerhard Schröder et à ses lois d’austérité « Hartz » antisociales et défendent une politique néo-libérale sévère.

    Le CDU et le CSU tentent de couper le terrain sous les pieds de l’AfD en copiant partiellement leur rhétorique et leur politique. L’expérience montre que cela a l’effet contraire et continuera à pousser les partisans vers l’AfD. En même temps, cela signifie une aggravation drastique de la situation des réfugiés, le démantèlement des droits démocratiques, etc. Le nouveau ministre de l’Intérieur Seehofer, du CSU, est favorable à cette politique. Des idées de droite et racistes pourront être portées par cette politique et également par le fait que l’AfD, en tant que plus grand parti d’opposition, dispose d’un programme clé au Bundestag qui attirera l’attention des médias. La gauche et le mouvement ouvrier ont la tâche de montrer activement que c’est eux et non l’AfD qui sont la véritable opposition à la coalition.

    Beaucoup de gens en Allemagne seront heureux d’avoir à nouveau un gouvernement au lieu d’un gouvernement en place avec des pouvoirs restreints. Mais, en réalité, ce gouvernement ne représentera pas les intérêts de la majorité de la population. Si nos adversaires ont des pouvoirs restreints, c’est très positif pour nous. Une conséquence concrète de cette nouvelle édition de la Grande Coalition était déjà visible. En novembre, le cas d’une femme médecin a fait la une des journaux après qu’elle ait été condamnée à une amende pour avoir affiché sur son site Web des informations concernant l’avortement. Les juges ont vu en cela une publicité illégale. Cette décision a provoqué à juste titre l’indignation et les partis ont déposé des projets de loi contre cette interdiction réactionnaire. Une majorité du Bundestag pour au moins une atténuation de cette condamnation semblait possible. Mais la veille de la prestation de serment du nouveau gouvernement, le SPD a retiré son projet de loi de par la « discipline » de la coalition, car le CDU et le CSU s’opposent strictement à toute amélioration dans ce domaine.

    Ce n’est pas un hasard si la formation d’un gouvernement a pris autant de temps, malgré des conditions actuellement favorables (croissance économique, recettes publiques). C’est le résultat de décennies de politique néolibérale et de modération salariale qui a permis au capitalisme allemand de profiter de la croissance économique internationale. Aucun des partis au pouvoir ne défend des objectifs qui peuvent inspirer les masses de leurs partisans. L’AfD a surtout bénéficié de l’insatisfaction et de la peur d’un avenir incertain. En Allemagne de l’Ouest, cependant, le parti de gauche (DIE LINKE) a récemment obtenu des voix et des membres. Ce n’est pas le cas en Allemagne de l’Est (et à Berlin-Est), où elle est considérée comme faisant partie de l’establishment et a mis en œuvre des politiques néolibérales dans plusieurs États et de nombreuses municipalités.

    Die Linke

    Pendant des années, l’aile droite du Parti de gauche a plaidé en faveur d’une coalition avec le SPD et les Verts (“rouge-rouge -vert”). Après la relance de la Grande Coalition, le co-leader des députés LINKE au Bundestag, Dietmar Bartsch, représentant de cette aile, a été contraint de déclarer : ” Rouge-rouge-vert au niveau fédéral est de facto mort “. Cependant, cette découverte est tardive et reste limitée au niveau fédéral. Le Parti de gauche doit cesser de regarder constamment vers les dirigeants du SPD et de célébrer chaque fois qu’ils font de la politique sociale comme étant un changement de cap, alors que généralement cela est fait à des fins électorales.

    Le déclin du SPD offre une opportunité et un défi au Parti de gauche. Le Parti de gauche a été formé à partir du mouvement contre les mesures d’austérité “Agenda 2010” de 2003 de la coalition du SPD/Verts et a obtenu son vote le plus élevé au Bundestag, jusqu’à présent (11,9%) en 2009 à la fin de la première grande coalition de Merkel avec le SPD. Mais malheureusement, le Parti de gauche ne s’est pas basé sur ce résultat, mais s’est effectivement orienté vers une tentative de persuader le SPD de changer ses partenaires de coalition. Alors que le vote du SPD a généralement baissé – de 40,9% en 1998 à 23% en 2009 et seulement 20,5% en septembre dernier – le Parti de gauche n’a pas réussi à en tirer profit (son vote en septembre dernier était de 860.000 de moins qu’en 2009).

    C’est dans ce contexte que le Parti de gauche a perdu son soutien, y compris, dans certaines régions, en faveur de l’AfD. Si le Parti de gauche s’orientait vers la construction de mouvements extra-parlementaires, enracinés dans les lieux de travail et les communautés, pour des logements abordables, pour plus de personnel dans les hôpitaux, contre le racisme, etc. cela constituerait un défi pour l’AfD et d’autres forces populistes potentielles de droite. Il deviendrait alors clair que le succès de l’AfD ne signifie pas un changement inévitable vers la droite de la société, mais fait partie d’une polarisation croissante. Ce serait le meilleur point de départ pour les grandes luttes de classe qui viendront tôt ou tard en Allemagne, surtout lorsque la reprise économique se terminera et que le gouvernement se dirigera vers des attaques majeures contre la classe ouvrière.

  • Italie. Potere al popolo : Le pouvoir au peuple !

    Lors des élections générales qui ont eu lieu le 4 mars en Italie, la liste Potere al Popolo (Pouvoir au Peuple) a obtenu 370.000 voix à la Chambre et 310.000 au Sénat, soit l’équivalent de 1.16 % des suffrages exprimés. Ce résultat électoral modeste n’a pas entraîné de vagues de pessimisme parmi les militants, bien au contraire. Les dizaines d’assemblées locales qui ont eu lieu après les élections du 4 mars ont démontré que la détermination des militants de Potere al Popolo à s’engager dans ce projet est plus vivace que jamais. Nous en avons discuté avec Giuliano Brunetti, membre de notre organisation-sœur italienne Resistenze Internazionali et l’un des candidats à la Chambre sur les listes déposées par Potere al Popolo.

    Peux-tu nous expliquer comment cette alliance de gauche est née ?

    Potere al Popolo est né de l’activisme d’un groupe de militants de la ville de Naples actifs depuis une dizaine d’année. Il y a presque deux ans, ils ont occupé un immense bâtiment, un ancien hôpital psychiatrique du centre-ville. De là est né un centre social (Je so Pazz OPG) qui a lancé plusieurs campagnes (en défense des droits des travailleurs, contre le racisme et la xénophobie…) qui lui ont donné une reconnaissance et une autorité à l’échelle de tout le pays.

    Ce groupe de camarades a lancé un appel audacieux pour construire une liste antilibérale et populaire. Cet appel a immédiatement été repris par ce qui reste du PRC (Parti de la Refondation Communiste), du PCI (Parti Communiste Italien) et d’autres forces anticapitalistes.

    La dynamique s’est ensuite développée ailleurs dans le pays ?

    Oui, grâce à des centaines d’assemblées dans les principales villes. Elles ont vu la participation de milliers d’anciens militants réactivés par la campagne, de jeunes aux prises avec leur première expérience politique, d’activistes politiques, syndicaux et associatifs…

    La campagne électorale a été l’occasion de tester dans la pratique la volonté de milliers de militants ‘’orphelins politiques’’ de reconstruire avec patience et détermination la force de notre classe sociale. L’enthousiasme et l’optimisme ont été absolument déterminants dans cette campagne objectivement très difficile, où la gauche a été écrasée par le vote de protestation contre les élites en faveur du Mouvement 5 étoiles et de la Ligue.

    Quelles ont été les propositions et l’activité de Resistenze Internazionali ?

    Resistenze Internazionali, la section italienne du Comité pour une Internationale Ouvrière, a dès le début participé à ce projet. Dans la ville de Gênes et dans la région de Ligurie, sa participation a été essentielle pour construire et faire vivre Potere al Popolo. Un candidat de Resistenze Internazionali, candidat à la Chambre des députés, a reçu 11.000 voix en Ligurie (1,36% des voix) et nous avons participé à l’élection d’un ouvrier communiste dans une municipalité où des élections locales se tenaient conjointement au suffrage national.

    Nous avons défendu la nécessité de construire une initiative non seulement antilibérale mais aussi clairement anticapitaliste, en expliquant que le néolibéralisme est la forme spécifique que le capitalisme adopte dans un contexte historique et social déterminé. Nous avons également souligné l’importance de disposer de slogans simples, comme la réduction collective du temps de travail à 32 heures par semaine sans perte de salaire et avec embauches compensatoires. Ce fut un atout essentiel dans un pays où l’on travaille jusque 67 ans et où 40% des jeunes sont sans emploi.

    Nous défendons une structuration réellement démocratique et inclusive de Potere al Popolo, avec des assemblées territoriales pouvant élire des délégués au niveau national. De ce point de vue, il reste encore beaucoup à faire.

    Justement, comment envisager les choses pour la suite ?

    Les militants de Potere al Popolo sont sortis de cette campagne avec une détermination inédite. Une assemblée nationale réunie le 18 mars, la première après les élections, donne un bon aperçu de cette atmosphère. Le théâtre où se tenait la réunion ne pouvait contenir que 800 places : plus du double de personnes se sont présentées !

    Il nous faut maintenant construire l’organisation sur les lieux de travail, les lieux d’étude et dans les quartiers. Les indications issues du national sont assez générales, chaque territoire construit ses lignes d’interventions. Il est essentiel de développer maintenant d’importantes campagnes nationales. De timides tentatives existent autour des pensions et de la santé publique. Tout n’est pas simple, différentes forces coexistent dans cette alliance avec des approches très différentes au sujet de l’Union européenne, de l’attitude à avoir envers d’autres forces de gauche… Du point de vue organisationnel, il est essentiel de démocratiser Potere al Popolo au moyen de structures élues et révocables.

    Le succès de Potere al Popolo dépendra de sa capacité à se transformer d’une structure d’intervention de militants politiques en une force cohérente capable d’organiser des dizaines de milliers de jeunes et de travailleurs combatifs et radicaux.

    Pour une analyse générale des élections italiennes, consultez notre article “Séisme politique en Italie”

  • Entrevue avec Xaquin Garcia Sinde, militant du collectif syndical espagnol Ganemos CCOO

    Pour un syndicalisme combatif, de classe et démocratique !

    Nos camarades quebecois d’Alternative Socialiste ont réalisé cette interview de Xaquin Garcia Sinde, militant du collectif syndical espagnol Ganemos CCOO (Gagnons la Confédération syndicale des Commissions ouvrières, CCOO). Le CCOO est la plus grande centrale syndicale en Espagne. Cette entrevue a été réalisée par William G. en mars 2018.

    Notons que le camarade Xaquin fait face à la répression de l’État espagnol, de l’entreprise Navantia où il travaille depuis 37 ans et aussi de la bureaucratie syndicale qui n’aime pas qu’un travailleur conscient s’organise avec ses camarades pour lutter de façon démocratique et combative.

    Où travailles-tu et quelle est ton expérience dans le milieu syndical ?

    Je travaille sur les chantiers navals militaires espagnols de Navantia situés dans la ville de Ferrol en Galicie. J’appartiens à la Confédération syndicale des commissions ouvrières (CCOO) depuis mon premier jour de travail comme apprenti-soudeur dans l’entreprise il y a 37 ans. Durant toutes ces années, j’ai participé à d’innombrables luttes à Navantia, où je fus délégué syndical, dans des luttes d’autres entreprises et dans d’autres de type général, comme des grèves générales de différentes envergures (locale, régionale, étatique). À l’intérieur du syndicat, j’ai fait partie de la commission exécutive régionale de la fédération métallurgiste de la CCOO et de la commission exécutive régionale de toute la Galicie, qui regroupe toutes les fédérations sectorielles de la CCOO.

    À cause de mon activité syndicale, toujours réalisée avec une approche socio-politique socialiste, les services secrets espagnols m’ont déclaré un danger pour la sécurité nationale pour « une participation continuelle à des organisations et à des groupes dont les idées défendent une stratégie révolutionnaire : de classe, anticapitaliste et internationaliste. »

    Ganemos CCOO est surtout actif dans quels secteurs ?

    Notre activité la plus importante se concentre dans la métallurgie, les transports, les services sociaux, l’enseignement, les technologies de l’information et le commerce.

    Comment fonctionne Ganemos ? Quelles sont ses principales activités ?

    Nous avons un fonctionnement assez décentralisé. Dans chaque entreprise, nous nous réunissons pour analyser les choses et nos propositions. Nous réalisons aussi des réunions de portée locale ou régionale quand les circonstances l’exigent. Périodiquement, nous réalisons des conférences de portée nationale pour mettre en commun toutes nos expériences.

    Quelle est l’attitude de la direction de la CCOO en lien avec les activités et les positions de Ganemos ?

    Ganemos est né suite à l’énorme malaise généré dans la base de la CCOO à cause d’un grave scandale de corruption qui incluait l’utilisation, de la part de certains membres de la haute direction de la CCOO (et aussi de l’UGT, l’autre grande confédération syndicale), de cartes bancaires dont les dépenses étaient payées par une caisse d’épargne publique. Bien que la haute direction ne trouve rien de drôle au fait que nous existons, généralement ils ont choisi de nous ignorer et de faire comme si nous n’existions pas. Mais cela n’a pas empêché que nous ayons eu des représailles sélectives comme l’expulsion de plusieurs délégués syndicaux du commerce à Madrid ou de l’ex-secrétaire générale d’une fédération régionale de l’enseignement.

    Concernant les positions syndicales, en ce moment même, elles sont aux antipodes. Nous défendons un syndicalisme combatif, de classe, assembléiste et démocratique pendant que la direction de la CCOO a totalement cédé face aux coupures du Partido Popular (PP) et maintient en Espagne une paix sociale totalement artificielle.

    Est-ce qu’il existe d’autres groupes d’opposition syndicale à l’intérieur de la CCOO ? Si oui, lesquels, et quels sont les liens que Ganemos entretient avec eux ?

    Il existe le Secteur Critique fondé en 1995 qui s’est affaibli progressivement au fil des années. Plusieurs personnes de Ganemos participaient en son sein (j’ai moi-même été membre de la coordination nationale), mais nous l’avons abandonné parce qu’il s’est converti en une plate-forme orientée fondamentalement sur les processus des congrès et sur le fonctionnement interne de la CCOO alors que nous pensons que l’orientation doit être vers l’ensemble de la classe ouvrière : vers toutes les personnes salariées d’une entreprise ou d’un secteur, vers l’ensemble des personnes travailleuses d’une entreprise en lutte.

    Quel est le rôle d’Izquierda Revolucionaria (Gauche Révolutionnaire) dans Ganemos ?

    Ce n’est pas du tout un secret que la formation de Ganemos CCOO a été une initiative de Izquierda Revolucionaria (IR), la section espagnole du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), comme ce n’est pas non plus un secret que je milite dans IR depuis 1985. Bien entendu, cela ne veut pas dire qu’IR supervise toutes et chacune des activités développées au nom de Ganemos CCOO dans chaque entreprise, sinon que la proposition syndicale de Ganemos CCOO est élaborée depuis une perspective politique marxiste, ce qui veut dire qu’elle s’oriente sur une transformation socialiste de la société.

    Comment évolue la situation syndicale avec la crise économique qui affecte gravement la classe ouvrière espagnole ?

    Nous assistons à un processus généralisé de dégradation des conditions de vie et de travail de la classe ouvrière, avec une chute salariale moyenne de 15-20% dans la dernière décennie, l’apparition du phénomène des travailleurs pauvres, des coupures dans la couverture de l’assurance-chômage, les pensions, la santé et l’enseignement public, etc.

    Mais au lieu d’organiser la résistance contre ces agressions, les directions syndicales sont complètement disparues. Ou pire encore : elles ont accepté les coupures, comme la réforme des pensions qu’elles ont signée avec le gouvernement du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) en 2011, qui a élevé l’âge de la retraite de 65 à 67 ans et qui incluait toute une série de mesures qu’on estime qui entraîneraient une réduction des pensions autour de 20% en une décennie. Systématiquement, dans les entreprises aussi, elles acceptent des réductions dans les droits des travailleurs ou des licenciés. Ce syndicalisme défaillant a une autre conséquence : il mène à un modèle d’organisation hiérarchique dont les dirigeant-es se sentent chefs et prétendent décider pour les travailleurs. Cela découle de ce que, quand sont acceptées les réductions des droits, la participation des travailleurs devient un problème. Tout cela a plongé les syndicats espagnols dans une profonde crise. La perte de prestige et la perte d’autorité sont énormes.

    Le niveau des grèves est très faible, mais les principales luttes contre les abus patronaux qui ont eu lieu dans la dernière période (comme la grève de la sécurité privée à l’aéroport de Barcelone l’été dernier) n’ont pas été convoquées ni par la CCOO ni par l’UGT, sinon par des petits syndicats. Ces derniers, devant cette situation, ont surgi comme des champignons, bien que leur taille, le fait d’être concentré dans une entreprise ou un secteur, et le manque de perspective politique socialiste rendent difficile qu’elles soient une alternative des masses à la bureaucratie syndicale. Nous ne choisissons pas d’abandonner la CCOO pour former un petit syndicat, mais plutôt de promouvoir une plateforme qui permet de regrouper les personnes travailleuses les plus conscientes et combatives pour éviter qu’elles s’en aillent à la maison démoralisées devant la pénible situation actuelle du mouvement syndical.

    Comment s’articule le travail syndical avec la montée de Podemos et d’autres forces politiques de gauche anticapitaliste ?

    Avec Podemos, nous ne pouvons rien articuler parce qu’ils ne réalisent aucun travail syndical (à moins que par travail syndical, on veut dire maintenir des réunions avec les hautes directions de la CCOO et de l’UGT). En ce qui a trait aux autres forces politiques de gauche anticapitaliste, en général il n’y a pas beaucoup d’opportunités parce qu’IR est la seule qui maintient depuis des décennies une orientation systématique vers les usines, pendant que les autres ont soit tout perdu durant la traversée du désert provoquée par la chute du stalinisme en 1989, soit concentré leur travail sur d’autres fronts, ou sont allées dans les syndicats minoritaires.

    Il peut y avoir plus de possibilités d’articuler quelque chose quand une entreprise entre en conflit, mais l’expérience nous démontre qu’il y a différentes approches: pendant que d’autres groupes se concentrent exclusivement sur la solidarité, nous pensons, sans diminuer l’importance de la solidarité qui évidemment est très importante, qu’il y a quelque chose de beaucoup plus important qui est d’apporter aux travailleurs-euses l’analyse du rapport de forces entre les deux classes en lutte, et la stratégie, les tactiques et les méthodes adéquates pour vaincre. Pour obtenir cela, d’abord, tu as à gagner le droit d’être écouté par les travailleurs-euses, ce qui signifie être impliqué à fond et humblement dans leur lutte, de ne pas se limiter à aller là avec des petits drapeaux pour faire une photo et la mettre sur internet.

    Comment la lutte catalane pour le droit à l’autodétermination et le nationalisme espagnol virulent des derniers mois se répercutent-ils dans la lutte des classes et le syndicalisme en Espagne ?

    Les derniers mois ont été une intense campagne de chauvinisme espagnol qui incluait l’encouragement à exhiber des drapeaux espagnols sur les résidences. Cette campagne a percé une partie des travailleurs bien que de manière très inégale. Pour commencer, parce que l’Espagne est un État plurinational où les identités sont très marquées, et logiquement, la sensibilité sur la question catalane est beaucoup plus majeure dans les deux autres nations de l’État espagnol (le Pays Basque et la Galicie), où c’est très exceptionnel de voir un drapeau espagnol dans une fenêtre, chose que l’on ne peut dire d’autres zones d’Espagne comme l’Andalousie, un fief du PSOE.

    L’autre facteur, c’est l’idéologie politique. La dictature franquiste qualifiait quiconque qui s’y opposait d’être « antiespagnol » ; l’Espagne, c’était eux, les fascistes. En conséquence de cela, au sein de très vastes secteurs des travailleurs-euses a pénétré un rejet des symboles patriotiques espagnols, et ce fossé fait que, même si on est en désaccord avec le processus catalan, il y a beaucoup de travailleurs-euses qui rejettent le patriotisme espagnol pour sa puanteur franquiste. Et la situation s’aggrave encore plus parce que plusieurs pensent que le Parti Populaire sont les héritiers du franquisme.

    En ce qui concerne la Catalogne, la CCOO et l’UGT ont eu un rôle néfaste en s’opposant par exemple à la grève générale du 3 octobre convoquée pour protester contre la répression policière brutale durant le référendum du 1er octobre. Selon notre opinion, ils auraient dû lier la lutte pour le droit à l’autodétermination en Catalogne avec la lutte pour un programme de revendications qui améliorent réellement la douloureuse situation des travailleurs-euses dans tout l’État. À moyen terme, nous verrons si l’attitude de la CCOO et de l’UGT en Catalogne aura certaines conséquences importantes, mais en principe, il n’y a pas eu de conséquences significatives dans le mouvement syndical.

    Dans le terrain politique, la question catalane a mis à l’épreuve toutes les organisations et les tendances de la gauche. Et, malheureusement, il faut dire que Podemos et Izquierda Unida (Gauche Unie) se laissèrent pousser par la peur d’un possible recul électoral au lieu de maintenir une position ferme en faveur du droit à l’autodétermination en optant pour une position équidistante. Le résultat s’est vu dans les élections catalanes du 21 décembre : ils sont passés de 11 députés à 8.

  • Tremblement de terre électoral en Italie

    Les élections générales du 4 mars dernier ont provoqué le plus grand bouleversement du paysage politique italien depuis plus de 20 ans. Depuis le scandale de corruption ‘‘mains propres’’ du début des années 90, les partis de l’establishment n’ont jamais été aussi gravement blessés.

    Par Christine Thomas, Resistenze Internazionali (CIO-Italie)

    Le Parti démocratique (PD) de Renzi a subi une défaite humiliante, arrivant en deuxième position derrière le Mouvement populiste des cinq étoiles (M5S), tandis que la formation de Berlusconi Forza Italia (FI) a été devancée par les populistes de droite de la Lega, dirigés par Matteo Salvini. Sur un taux de participation de 73%, plus de 50% des voix sont allées à des partis anti-establishment, ce qui reflète un rejet clair de la politique traditionnelle et un désir désespéré de changement après des années de corruption, d’austérité et de dévastation économique pour les gens ordinaires.

    En l’absence d’un vainqueur clair, des semaines et peut-être des mois d’incertitude sont probables alors que les partis luttent pour former un gouvernement viable.

    L’effondrement du vote pour le PD, principal parti de la coalition sortante et favori de la classe capitaliste italienne, a été encore plus grand que ce que les sondages avaient prédit. Dans la Camera (chambre basse), le PD a eu 19% et n’a devancé que de peu la Lega, bien loin des 40% obtenus lors des élections européennes tenues il y a moins de 4 ans. Même sa position dominante dans les ‘‘régions rouges’’ (les anciennes forteresses du parti communiste) dans le centre du pays a été brisée, le PD perdant la région Emilia Romagna au profit du ‘‘centre-droit’’ pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale et ne s’accrochant encore que dans quelques villes comme Bologne et Imola. Suite à une telle défaite écrasante au niveau national, Renzi a été forcé d’annoncer sa démission en tant que leader (bien que cela ne sera effectif qu’après la mise en place d’un nouveau gouvernement).

    Economie et politique

    Même s’il y a eu une légère reprise de l’économie, après près d’une décennie de récession, le PD n’a pas bénéficié d’un rebond électoral. La croissance est encore plus faible et le chômage plus élevé qu’avant la crise et la plupart des gens de la classe ouvrière et de nombreuses personnes de la classe moyenne n’ont pas ressenti d’amélioration dans leur vie quotidienne. La crise ne connait pas de fin aux yeux de beaucoup. Pendant la campagne électorale, Embraco (qui fait partie de Whirlpool) a annoncé le transfert de la production de Turin vers la Slovaquie, ce qui signifie 500 pertes d’emplois.

    La scission du PD, Liberi e Uguali (LeU), qui devait offrir une nouvelle alternative ‘‘de gauche’’, n’a atteint que le seuil électoral de 3%. Cela n’est pas surprenant puisque ses dirigeants ont été associés à toutes les attaques contre la classe ouvrière menées par le PD, à l’image de la ‘‘réforme’’ de la législation du travail qui a facilité le licenciement des travailleurs et de la ‘‘réforme’’ des retraites qui a contraint les travailleurs à travailler plus longtemps. A la veille des élections, Pietro Grasso, le dirigeant de LeU, a montré les vraies couleurs de son parti en annonçant la volonté de LeU de former une coalition post-électorale avec le PD.

    Avec plus de 32 % des voix à l’échelle nationale, le Mouvement des cinq étoiles est de loin le plus grand parti. Il a balayé le Sud du pays, qui a été le plus durement touché par la crise économique, en obtenant 40% des voix dans les Pouilles et en Sicile et plus de 50% dans certaines parties de la Campanie, comme Naples. Le M5S s’est particulièrement bien comporté auprès des jeunes (35% des moins de 35 ans ont voté en sa faveur).

    Le soutien au M5S est venu à la fois d’anciens électeurs de gauche et de droite qui, lassés de la politique traditionnelle, se sont montrés prêts à ignorer les problèmes internes du parti et la gouvernance chaotique de Rome pour ‘‘essayer quelque chose de différent’’. Cependant, malgré son succès, le M5S ne sera pas en mesure de former un gouvernement majoritaire à lui seul. Terrifiée par la possibilité d’un gouvernement du M5S, la classe dirigeante italienne avait forcé un changement de la loi électorale visant précisément à priver le mouvement d’une majorité. Aujourd’hui, cette même loi électorale a fait en sorte que la classe dirigeante n’a pas de point d’appui politique stable.

    Luigi Di Maio, le leader du M5S, a passé ces derniers mois à courtiser les grandes entreprises et à essayer de se présenter comme un futur premier ministre viable et le M5S comme un parti capitaliste fiable, y compris en s’éloignant de l’ancienne position anti-euro et anti Union européenne du mouvement et en s’opposant à un impôt sur la fortune. Il s’est également déclaré ouvert à l’idée d’alliances avec d’autres partis. La question de savoir jusqu’où il pourra aller sur cette voie est une question encore ouverte, car elle va à l’encontre de la raison d’être originelle du M5S – un mouvement forgé en opposition totale à la caste politique pourrie et aux partis traditionnels. Si le M5S décidait de former une coalition avec l’un des autres partis, il est fort probable que le mouvement se briserait, une partie tentant de revenir à ses origines anti-establishment.

    Le ‘‘centre-droit’’ s’est imposé comme la plus grande coalition, mais avec 37 % des voix, il lui manque également une majorité. Le changement significatif est que la Lega, virulemment anti-immigrés, est maintenant le plus grand parti de droite, ce qui renverse l’équilibre des forces au sein de la coalition, au détriment de la formation Forza Italia de Berlusconi.

    L’immigration

    Dans les médias, la question de l’immigration a dominé la campagne électorale et tous les grands partis ont adopté une position ferme. Mais, dans le Nord et de plus en plus dans certaines parties du Centre, c’est la Lega qui en a récolté les bénéfices électoraux. Le parti a vu son soutien électoral augmenter à l’échelle nationale de 4% lors des dernières élections à 18% cette fois-ci (un tiers de ses nouveaux électeurs s’étant auparavant abstenus et un quart étant issus du parti de Berlusconi). Par ailleurs, Fratelli d’Italia, qui fait partie de la coalition et qui puise ses racines dans le MSI fasciste, a triplé son nombre de voix pour atteindre 4,35%. Le ‘‘centre-droit’’ tentera sans aucun doute de convaincre les députés d’autres partis afin de former une majorité. Mais il sera extrêmement difficile de trouver ce qui est nécessaire (plus de 50 sièges), surtout avec Salvini comme candidat au poste de Premier ministre.

    Malgré le discours politique anti-immigration et la couverture médiatique sans précédent pour l’organisation néofasciste Casapound, cette dernière n’a obtenu que 0,9% des voix. La fusillade de 6 immigrés par un terroriste d’extrême droite au cours de la campagne électorale a cependant montré les dangers que la politique anti-immigrés alimente. La question de l’antiracisme et de l’antifascisme continuera d’être une question centrale, quel que soit le gouvernement qui émerge de cette situation.

    Potere al Popolo / le pouvoir au people !

    La formation de gauche nouvellement créée Potere al Popolo (Pouvoir au peuple) n’a pas réussi à atteindre le seuil électoral de 3%. Elle a obtenu 370.000 voix, soit un peu plus de 1 % au niveau national (contre 3 % en 2013 pour les forces ‘‘radicales’’ de gauche). Cela s’explique en partie par le climat de ‘‘vote utile’’ qui a prévalu et qui a affecté toutes les listes plus petites.

    Pour un mouvement formé quelques semaines seulement avant les élections et sans une couverture médiatique équivalente à celle des partis (y compris le néo-fasciste Casapound), parvenir à faire élire des candidats n’a jamais été l’objectif principal. Potere al Popolo a été formé par en bas comme une organisation de combat et de campagne par et pour les gens ordinaires, unissant les principaux partis et mouvements sociaux de gauche du pays. Des centaines de réunions tenues dans plus de 100 villes à travers le pays ont attiré des milliers de personnes, surtout des jeunes.

    C’est en raison du potentiel que représente Potere al Popolo pour la construction d’une force anticapitaliste de combat que Resistenze Internazionali (section italienne du Comité pour une Internationale Ouvrière), qui lui est affiliée, a participé à sa campagne électorale et a déposé un candidat sur sa liste à Gênes. Il n’est pas certain que cette organisation saisira son potentiel, mais nous continuerons à jouer un rôle au niveau local et national au cours de la période à venir.

    A ce stade précoce, il est impossible de dire quel type de gouvernement résultera de cette élection – une coalition de centre-droit dominée par la Lega, une coalition M5S/PD, une alliance entre le M5S et la Lega, une ‘‘grande coalition’’ élargie, un gouvernement technocratique, un gouvernement du président dans le seul but de changer (encore une fois) la loi électorale, ou peut-être de nouvelles élections – tous sont des résultats possibles. Mais ce qui est certain, c’est qu’aucune de ces solutions ne sera en mesure de répondre aux problèmes auxquels font face les travailleurs et la classe moyenne.

    La crise économique, politique et sociale du capitalisme italien se poursuivra et la construction d’une alternative anticapitaliste par la lutte est aujourd’hui plus vitale que jamais.

  • Manifestations massives en Irlande contre le ‘‘victim blaming’’ dans une affaire de viol

    Ce jeudi 29 mars, des manifestations spontanées d’indignation ont éclaté dans toute l’Irlande, tant au nord qu’au sud, en raison de la décision d’un juge de Belfast d’acquitter des joueurs de rugby dans une affaire de viol. La victime a par contre été blâmée tout au long du procès. Femmes et hommes sont descendus par milliers dans les rues avec le hashtag #IBelieveHer (je la crois). En Irlande, la campagne féministe socialiste ROSA (for Reproductive rights, against Oppression, Sexism & Austerity) est en première ligne de ces protestations.

    Vue du cortège de la manifestation de Dublin.

    Différentes études indiquent que 26 % des Irlandaises sont victimes de violence sexuelle ou physique de la part de leur partenaire ou non, tandis que 31 % sont victimes de violence psychologique, y compris de violence économique. Seules 21 % des femmes victimes de violence le signalent à la police. Moins d’un tiers d’entre elles considèrent que la police a pris l’affaire au sérieux.

    En ce moment, les droits des femmes font l’objet d’une plus grande attention dans la société irlandaise, ce à quoi contribue l’organisation prochaine d’un référendum pour l’abolition de l’interdiction constitutionnelle de l’avortement. La campagne féministe socialiste ROSA a joué un rôle de premier plan dans le mouvement de masse qui a conduit à l’organisation de ce référendum et défend l’importance de l’abolition de l’interdiction de l’avortement.

    Tout cela a assuré que ce verdict dans une affaire de viol très médiatisée entraîne immédiatement une vague d’indignation et d’actions. Des joueurs de rugby étaient accusés d’avoir violé une jeune femme lors d’une fête. Celle-ci a affirmé qu’elle avait bien accepté d’être embrassée par l’un d’eux, mais qu’elle n’avait donné aucun consentement pour aller plus loin. Les avocats des joueurs de rugby ont fait tout ce qu’ils ont pu pour faire reporter la responsabilité sur la jeune victime. Les vêtements qu’elle portait ont ainsi été présentés comme ‘‘preuves’’ de consentement ! Le procès a pris la forme d’une condamnation de la victime. Comme dans 94 % de toutes les affaires de viol en Irlande, les accusés n’ont pas été condamnés.

    A Dublin, notre camarade Ruth Coppinger (députée de Solidarity et membre du Socialist Party, notre parti-frère irlandais) a pris la parole au Parlement concernant cette affaire. 

    Directement après, elle s’est rendue participer aux actions de protestations dans la rue. Voici une vidéo de l’une de ses prises de parole :

    Laura Fitzgerald, de la campagne ROSA – Irlande a également pu prendre la parole :

    Des actions ont eu lieu dans toute l’île. D’autres actions sont encore prévues ce week-end. En Belgique, la campagne ROSA (Résistance contre l’Oppression, le Sexisme et l’Austérité) est solidaire de ces manifestations. #WeStandWithHer!

  • Espagne: Des millions de personnes dans la rue contre l’oppression capitaliste et la violence contre les femmes

    Poursuivre la lutte après une grève féministe historique

    La grève féministe du 8 mars a été sans précédent. Jamais dans l’histoire de la lutte des classes dans l’État espagnol il n’y a eu de mobilisation aussi massive contre l’oppression des femmes de la classe ouvrière, contre l’inégalité et contre la violence envers les femmes. Des centaines de manifestations ont eu lieu du matin au soir, devenues un véritable Tsunami alors que des millions de personnes descendaient dans les rues. Cela reflétait non seulement la colère des femmes de la classe ouvrière et de la jeunesse contre la crise capitaliste et le gouvernement réactionnaire du PP, mais aussi l’énorme mécontentement présent dans toute la société.

    Ce à quoi nous avons assisté ne pourra pas être facilement oublié. Tout d’abord parce que ce mouvement s’est construit de la base, à l’initiative de centaines de collectifs de femmes, de mouvements sociaux et d’organisations de gauche qui ont travaillé des mois durant pour que ce succès se concrétise. Ensuite parce que les dirigeants du PP et de Ciudadanos se sont farouchement opposés à la grève et aux manifestations, montrant ainsi que leur agenda politique représente une déclaration de guerre en faveur du sexisme institutionnalisé et des inégalités. Enfin parce que les dirigeants des plus grands syndicats et du PSOE, qui voulaient garder la journée sous contrôle, ont encore une fois été complètement dépassés. La stratégie de paix sociale et de démobilisation a reçu une claque ce 8 mars.

    Les images des manifestations parlent d’elles-mêmes. Malgré le fait que les médias du système tentent de diluer les chiffres, les manifestations ont été beaucoup plus importantes que lors des précédentes grèves générales. À Madrid, nous ne pouvons accepter le chiffre donné par la “Commission 8M”. Non, il n’y avait pas 500.000 personnes. Il faut comparer cette manifestation à celles des précédentes grèves générales. A Madrid, la manifestation ne pouvait guère bouger sous l’avalanche de centaines de milliers de femmes, de jeunes et de dizaines de milliers de travailleurs. Plus d’un million de personnes étaient présentes et recouvraient plus de 5 kilomètres de rues.

    Et Madrid ne faisait pas figure d’exception. La même chose s’est produite à Barcelone, Vigo, Ferrol, Gijon, Bilbao, Gasteiz, Valence, Malaga, Séville, Saragosse, Tarragone, Cadix, Tolède et des dizaines d’autres villes. La mobilisation a dépassé toutes les attentes.

    Le rôle de la jeunesse

    De nombreux articles dans les médias ont souligné le rôle massif des jeunes dans cette lutte. Et c’est vrai. La participation de millions de jeunes femmes et d’hommes à cette bataille reflète l’énorme potentiel révolutionnaire du nouveau mouvement féministe qui se développe.

    Dans ce tremblement de terre de la jeunesse contre la violence envers les femmes et le capitalisme sexiste, le Sindicato de Estudiantes (SE – Syndicat des étudiants), Libres y Combativas (plate-forme féministe socialiste lancée par SE et Izquierda Revolucionaria) et Izquierda Revolucionaria (IR – section du Comité pour une Internationale Ouvrière dans l’État espagnol) ont joué un rôle clé.

    Notre appel en faveur d’une grève étudiante de 24 heures a été massivement suivi. 90 % des élèves du secondaire et 80 % des étudiants des universités se sont joints à la grève. Des milliers de personnes ont défilé dans les rues à l’occasion des manifestations étudiantes de Madrid, Barcelone, Vigo, Ferrol, Gijón, Bilbao, Gasteiz, Donosti, Donosti, Tarragone, Valence, Séville, Málaga, Cadix, Salamanque, Guadalajara, etc. et plus de 150.000 personnes y ont pris part.

    Pour un féminisme anticapitaliste, révolutionnaire et socialiste !

    Ce 8 mars, la nécessité d’un féminisme révolutionnaire et anticapitaliste reposant sur la lutte de classe était évidente. Un mouvement qui dénonce le patriarcat capitaliste, mais aussi le gouvernement PP, Ciudadanos, et tous ceux qui acceptent la logique de ce système d’atteintes contre nos droits et de coupes budgétaires dans les salaires, la santé, l’enseignement,… Un mouvement contre ce système de précarité et de “justice” sexiste qui protège ceux qui maltraitent les femmes.

    Izquierda Revolucionaria et Libres y Combativas se sont distingués clairement du féminisme accepté par le système qui permet à nos oppresseurs, tels que le président du gouvernement Mariano Rajoy, de porter le violet féministe sans rougir. Le 8 mars, nous avons clairement indiqué que tous ne sont pas les bienvenus dans cette lutte pour la libération et que l’oppression des femmes est liée à l’oppression de classe. Toutes les femmes ne sont pas nos alliées, et celles d’entre nous qui souffrent de la violence, du contrôle de l’Eglise, de la précarité, du chômage, etc. n’ont rien à voir avec Angela Merkel et d’autres femmes capitalistes. Ces dernières défendent le système et acceptent la discrimination et la violence sexistes à l’égard des femmes, qui font partie de la source de leurs privilèges et de leur pouvoir. Elles nous exploitent tout comme les hommes capitalistes avec lesquels elles sont au pouvoir au sein des cabinets ministériels, des entreprises et des parlements.

    Organisons la lutte jusqu’à la victoire ! A bas le gouvernement du PP !

    Les femmes et les jeunes de la classe ouvrière ont été les principaux protagonistes des grèves et des manifestations du 8 mars. En dépit de la bureaucratie des syndicats CCOO et UGT qui n’appelaient qu’à une grève pathétique de deux heures – qu’ils n’ont d’ailleurs même pas organisé dans la plupart des lieux de travail, en se limitant seulement à des rassemblements symboliques – des millions de femmes ont surmonté la peur et les menaces pour partir en grève. Les travailleuses ont rempli les manifestations. Les médias ne leur ont pas accordé d’attention suffisante, en donnant la priorité aux actrices, aux journalistes et aux politiciennes). Les femmes de la classe ouvrière ont fait de ce 8 mars une journée historique.

    Cette grande grève féministe a clairement montré que nous n’avons pas à supporter ce gouvernement réactionnaire une minute de plus. Que peuvent bien dire aujourd’hui ceux qui ne cessent de dire que les conditions ne sont pas présentes pour la lutte et ceux qui déplorent un “rapport de forces défavorable” ? Sous la surface de la société, la colère est grandissante et la pression est croissante dans les foyers et sur les lieux de travail des plus pauvres et des plus opprimés de la société de même que parmi les femmes, les jeunes et les retraités qui ont également entamé une lutte épique contre la bureaucratie parlementaire et syndicale. Toute cette vitalité, manifestée le 8 mars, doit être organisée pour poursuivre le combat jusqu’à la défaite des politiques du PP et que Rajoy & Co soient renversés. Nous devons nous unir dans une nouvelle grève générale de tous les travailleurs pour mettre fin au sexisme et à toutes les politiques d’austérité.

    Izquierda Revolucionaria et Libres y Combativas appellent tous les travailleurs et les jeunes à poursuivre la lutte pour notre présent et notre avenir, en construisant un mouvement féministe qui ne peut être assimilé par la classe dirigeante. Un féminisme ouvrier, révolutionnaire, anticapitaliste. Construisez-le avec nous! Rejoignez Izquierda Revolucionaria et Libres y Combativas !

    Ce pour quoi se bat Libres y Combativas :

    NON à la violence envers les femmes ! Ni una menos !

    • Non à la “justice” sexiste! Pour des condamnations justes contre les violeurs et les agresseurs ! Pour le licenciement et l’imposition de sanctions aux policiers et juges qui permettent l’impunité des auteurs d’abus !
    • Pour une augmentation spectaculaire de l’aide économique et des refuges pour les victimes de violences à l’égard des femmes. Pour des emplois ou des allocations sociales décentes et de bons logements pour toutes les victimes de la violence domestique et leurs enfants !

    Mon corps, mon choix !

    • Pour le droit à des avortements gratuits et sûrs. Pour un accès à l’éducation sexuelle et à des services de planning familial publics dans toutes les écoles et universités ! Pour une contraception gratuite dans les centres de santé et les pharmacies pour tous les jeunes !
    • La religion hors de l’école ! Non aux messages sexistes et homophobes dans nos écoles ! Abrogez la LOMCE – la loi dite pour “l’amélioration” de la qualité de l’éducation !
    • Non à l’industrie de la traite des femmes qui représente plusieurs millions d’euros ! Contre la prostitution et la maternité de substitution rémunérée. Nos corps ne sont pas à vendre !

    A travail égal, salaire égal ! Brisez les chaînes de l’esclavage domestique!

    • Abrogation de la réforme du travail ! Pour des salaires décents pour les travailleuses ! Pour des sanctions exemplaires pour les lieux de travail qui refusent d’employer des femmes ou qui licencient des femmes parce qu’elles sont enceintes ou ne respectent pas les codes vestimentaires et de maquillage !
    • Pour des sanctions exemplaires contre le harcèlement sexuel au travail !
    • Pour le droit à 6 mois de congé de maternité pour les deux parents, à plein salaire ! Pour le développement de garderies publiques gratuites dans tous les quartiers et lieux de travail pour permettre aux parents de travailler !
    • Pour des blanchisseries, des cantines et des services de nettoyage publics pour mettre fin à l’esclavage du travail domestique des femmes ! Pour une augmentation drastique des dépenses publiques pour le personnel soignant !

    Nous ne voulons pas devoir être courageuses en rentrant chez nous, nous voulons la liberté !

    • Pour la fin de l’objectivation du corps des femmes, qui alimente la violence sexiste. Retrait immédiat de toute publicité qui objectifie le corps des femmes ! A bas la promotion d’idéaux sexistes de “beauté” qui alimentent les préjugés !

    8M · Manifestaciones Huelga Estudiantil contra la violencia machista

  • Élection du 21 décembre en Catalogne : Une déroute pour le gouvernement de droite du PP

    La suspension du statut d’autonomie de la Catalogne via l’article 155 de la Constitution, l’emprisonnement et l’exil des ministres catalans, la répression, l’exacerbation du nationalisme espagnol et la campagne d’intimidation (avec surtout le déménagement des sièges sociaux de plus de 3.000 entreprises hors de Catalogne),… Tout cela n’a pas permis aux partis du bloc du 155 (PP, C’s et PSOE) de remporter les élections du 21 décembre.

    Par Boris (Bruxelles)

    JxCat (Ensemble pour la Catalogne, la liste de Carles Puidgemont), ERC (Gauche Républicaine Catalane) et la CUP (Candidature d’Unité Populaire) ont renouvelé leur majorité absolue au parlement. Des centaines de milliers de personnes qui rejettent le parti de droite catalan Pdecat de Puigdemont, ont pourtant voté pour sa liste, composée de figures du mouvement catalan, car ils sont vus comme ayant résolument fait face à l’Etat espagnol depuis l’exil et la prison. Les médias, la monarchie, les partis du régime de 1978 et la bourgeoisie espagnole et catalane essayent de cacher leur défaite derrière la victoire de Ciudadanos (C’s, Citoyens, populiste de droite) qui devient le premier parti en Catalogne. Mais cela n’occulte pas la déroute du PP (Parti Populaire), le parti de droite au pouvoir en Espagne, qui incarne l’oppression nationale, l’héritage du franquisme, les politiques d’austérité et les nombreux scandales de corruptions.

    Avec la perte de la moitié de ses voix, le PP n’est plus en mesure de former un groupe au parlement catalan. C’s, qui défend une politique au service des grandes entreprises, a mené une campagne couplant le maintien à tout prix dans l’Etat espagnol avec la crainte de la fuite des capitaux, de la délocalisation des emplois et du chaos économique qu’amènerait l’indépendance.

    L’incapacité de la gauche d’intervenir dans le mouvement de libération nationale de la Catalogne avec un programme de classe a permis à C’s de mobiliser un vote au-delà de celui de la droite réactionnaire, dans les quartiers industriels de la ceinture rouge de Barcelone ou de Tarragone où En Commu-Podem (la liste de gauche autour d’Ada Colau, maire de Barcelone, et de Podemos) avait remporté les dernières élections nationales.

    Alors que le caractère répressif de l’Etat Espagnol a poussé des millions de personnes à rompre avec le régime de ‘78 et à se battre pour une république catalane qui serve à améliorer leurs conditions de vie et à conquérir un véritable changement social, la direction de Podemos s’est coupée du mouvement de masse en rejetant le référendum sur l’indépendance du 1er octobre comme étant illégitime. La CUP a joué un rôle important pour la défense de ce référendum mais paye le prix de son refus de rester à l’écart de la droite au nom de la suprématie de la question nationale sur la question sociale.

    L’action énergique des masses à l’instar du référendum du 1er octobre et la grève générale du 3 octobre peuvent vaincre la répression, libérer les prisonniers politiques et mettre fin à l’application de l’article 155 et continuer la lutte pour une république. Les mouvements sociaux et partis de gauche qui ont porté la lutte pour le droit à l’autodétermination doivent reprendre la mobilisation dans la rue en s’orientant et en se basant sur le mouvement ouvrier autour d’un programme socialiste.

  • Pologne. La bataille reprend autour du droit à l’avortement

    Photo : Aparat partyjny

    Début janvier, deux « projets de loi citoyens » concernant le droit à l’avortement ont été soumis au parlement polonais. D’un côté, les réactionnaires proposent d’interdire l’IVG dans les cas de malformation et de maladie du fœtus, de l’autre, le mouvement Ratujmy Kobiety (« sauvons les femmes ») revendique le droit à l’interruption de grossesse sur demande jusque 12 semaines de grossesse.

    Par Tiphaine Soyez, Alternatywa Socjalistyczna (section polonaise du Comité pour une Internationale Ouvrière)

    Actuellement, la législation sur l’avortement en Pologne est la plus restrictive en Europe après l’Irlande et Malte, l’avortement n’étant légal que dans les cas de viol, de malformation du fœtus ou de danger pour la santé de la femme.

    Comme en 2016, le parlement a voté de discuter en commission le projet de restriction du droit à l’avortement et rejeté la proposition pro-choix en première lecture. L’opposition libérale officielle (PO et Nowoczesna) a fortement contribué à l’abandon du texte, avec beaucoup de parlementaires qui se sont abstenus, n’ont pas participé au vote ou même ont voté pour le retrait du projet, ce qui illustre qu’ils ne sont pas prêts à adopter une position claire.

    Ceci alors que 51% de leurs partisans sont pour la libéralisation du droit à l’IVG. Beaucoup de leurs électeurs qui n’avaient jamais été intéressés par la question ont été convaincus par les arguments pro-choix au cours des deux dernières années, et sont surpris de se rendre compte que ce n’est pas le cas de leurs élus.

    Le comité Ratujmy kobiety et ses soutiens avaient passé des mois à récolter assez de signatures pour que la légalisation de l’avortement sur demande soit discuté au parlement – tout cela pour que leurs efforts soient anéantis en une nuit par la soi-disant opposition. Ceci est vécu comme une véritable trahison par la couche du mouvement qui entretenait encore des illusions dans ces partis.

    Ironiquement, une partie des conservateurs majoritaires (PiS) ont voté pour discuter du projet. Les politiciens du PiS multiplient les déclarations de soutien à l’idée d’interdire l’IVG dans les cas de malformations du fœtus. Mais le dirigeant de facto Kaczynski espérait que la discussion des deux projets en parallèle allait leur éviter d’aller vers une confrontation trop frontale avec le mouvement des femmes. Le gouvernement conservateur ayant été remanié récemment, ils espéraient jouir d’une période de stabilité à moyen terme. De plus, selon le dernier sondage, seuls 28% des électeurs du PiS sont pour restreindre encore la législation sur l’avortement en Pologne tandis que 26% sont pour l’assouplir. Maintenant, ils subissent la pression de l’Eglise, puissante socialement et économiquement en Pologne, pour faire avancer au plus vite le projet anti-avortement.

    Comme souvent, les politiciens des différents courants de l’establishment ont simplement utilisé les droits reproductifs dans leurs jeux politiques, au mépris de leurs propres opinions quelles qu’elles soient, et surtout des conséquences sur les vies de millions de femmes.

    Alternatywa Socjalistyczna, section-sœur du PSL en Pologne, a soutenu la collecte de signatures de Ratujmy Kobiety, tout en arguant qu’on ne pouvait pas espérer gagner la légalisation de l’IVG sur demande simplement par la voix parlementaire. La collecte de signatures permet surtout d’engager des discussions dans la rue et de montrer l’ampleur du soutien.

    En 2016, Czarny Protest (manifestation noire) et la grève des femmes ont fait reculer les conservateurs, mais la mobilisation n’a pas été jusqu’à demander la légalisation de l’avortement sur demande. Ce n’est que par un mouvement massif de défense contre les attaques réactionnaires mais également offensif que nous pouvons gagner le droit à disposer de notre corps.

    Le mouvement a repris dans toute la Pologne, avec des rassemblements organisés par le parti de gauche Razem le samedi 13 janvier et des manifestations lancées par Strajk Kobiet (qui avait appelé à la grève des femmes en 2016) le mercredi 17.

    Dans ses discours à Cracovie, Strajk Kobiet a accusé de trahison les parlementaires du PO qui n’ont pas voté pour le projet, tout en remerciant ceux qui avaient voté pour et en appelant à voter pour des parlementaires pro-choix. Cela les mets en fait en arrière de la base du mouvement, chez qui la nécessité d’indépendance vis-à-vis des partis de l’establishment fait son chemin.

    Alternatywa Socjalistyczna revendique les pleins droits reproductifs (doit à l’avortement, à la contraception et à l’in vitro sur demande et gratuits, éducation sexuelle digne de ce nom dans les écoles), liés à des revendications économiques qui permettraient vraiment aux femmes de choisir d’avoir ou non un enfant, comme des places en nombre suffisant dans les garderies et les écoles maternelles publiques, et une embauche massive dans les services publics (qui en ont grand besoin) pour garantir à tous un emploi.

    Ces revendications peuvent être la base d’une lutte commune du mouvement femmes et des syndicats. Nous sommes en discussion avec Razem sur les perspectives du mouvement. Nous avons notamment proposé une rencontre avec le syndicat OPZZ (qui avait déclaré son soutien au mouvement en 2016) pour proposer l’organisation de comités de mobilisation sur les lieux de travail.

    Pouvoir disposer de son corps, choisir d’avoir ou non des enfants, et leur assurer un avenir décent, ne sera jamais possible dans une société où les grossesses et les naissances sont considérées comme un problème individuel qu’il faut assumer. En plus de 25 ans, le capitalisme sous-développé en Pologne n’a pas réussi (ni cherché) à subvenir aux besoins de la population en termes de crèches, de jardins d’enfant, d’hôpitaux et de maternités, de logements… Tout en enlevant aux femmes le droit à l’IVG et en limitant l’accès à la contraception. La lutte pour les droits reproductifs doit aller de pair avec celles pour les revendications économiques des travailleurs et pour une société socialiste.

  • Royaume Uni. Chez McDonald’s, la grève arrache la plus importante augmentation salariale en dix ans

    Photo : Paul Mattsson

    Les employés de McDonald’s qui travaillent dans des restaurants appartenant à la compagnie au Royaume Uni vont recevoir leur plus importante augmentation salariale en dix ans ce 22 janvier.

    Par un employé de McDonald’s, article initialement publié sur le site du Socialist Party d’Angleterre et du Pays de Galles

    Les travailleurs syndiqués au sein du Bakers, Food and Allied Workers Union (BFAWU) ont mené des grèves historiques dans les antennes de Crayford et de Cambridge le 4 septembre dernier au sujet de leurs salaires, de leurs conditions de travail et de l’intimidation exercée par la direction. En conséquence de ces actions, ils ont obtenu une importante augmentation de salaire pour eux-mêmes ainsi que pour tous les travailleurs de McDonald’s du Royaume-Uni !

    Le secrétaire général du BFAWU, Ronnie Draper, a salué l’augmentation de salaire et a déclaré : “Ceux qui disent que les grèves ne servent à rien devraient regarder les changements qui se produisent au sein de McDonalds. Ces courageux travailleurs se sont attaqués au deuxième plus grand employeur du monde et ils ont gagné.”

    Le dirigeant travailliste Jeremy Corbyn a également félicité les travailleurs et le BFAWU pour leur victoire en tweetant : “Félicitations aux travailleurs de McDonald’s et au BFAWU pour avoir gagné des augmentations de salaire, mais la lutte pour un salaire minimum de £10 de l’heure n’est pas terminée”.

    Exploitation

    En effet. L’exploitation dont sont victime les jeunes de 16 à 25 ans continuera, ils ne seront toujours pas payés 10 £ de l’heure contrairement à leurs collègues âgés de plus de 25 ans. En outre, les succursales franchisées, qui représentent 65% des restaurants du Royaume-Uni, continueront à fixer leurs propres taux de rémunération.

    Dans mon restaurant, le propriétaire de la franchise a dit que les travailleurs seront payés conformément à l’annonce de l’entreprise, mais il reste à voir si cela se produira. D’autant plus que, dans le passé, les travailleurs ont parfois été sous-payés pour le travail qu’ils ont fait.

    C’est pour cette raison que le BFAWU continuera à s’organiser dans les restaurants de tout le pays, y compris le mien, pour s’assurer que tous les travailleurs de McDonald’s gagnent 10 livres par heure et disposent d’une représentation syndicale de même qu’un traitement équitable.

  • Le nouveau gouvernement autrichien immédiatement confronté à la résistance

    Le lundi 18 décembre, le troisième gouvernement “noir” (le Parti Populaire conservateur – ÖVP),”bleu” (le Parti de la liberté, d’extrême droite – FPÖ) de la deuxième république autrichienne de l’après 1945, a prêté serment.

    Par Sonja Grusch, SLP (section autrichienne du Comité pour une Internationale Ouvrière) et membre dirigeante du mouvement de 2000 contre le précédent gouvernement ÖVP-FPÖ.

    Les dirigeants de partis Kurz (Parti Populaire) et Strache (Parti de la liberté) ont tiré les leçons du fiasco de la corruption gouvernementale des années 2000. Ils ont tenté de se présenter comme des hommes d’État responsables, dont le gouvernement a six postes ministériels occupés par des femmes et ont tenu compte des souhaits du président de la République, le Vert Van der Bellen. Tout cela ne change toutefois en rien la composition réelle de ce gouvernement. Parmi ses ministres se trouve un grand nombre de prêcheurs de haine issus des fraternités nationalistes pan-germanistes. Le programme du gouvernement déborde de racisme et de préjugés à l’égard des musulmans et des réfugiés (la violence à l’égard des femmes est par exemple abordée dans le programme gouvernemental à proximité du chapitre “migration”).

    Le programme gouvernemental : 180 pages d’attaques enveloppées de belles paroles

    Le gouvernement bleu-noir a l’intention de se débarrasser des conquête sociales obtenues par les travailleurs pendant la période de radicalisation internationale et de mouvements de masse qui a pris place après 1968.

    Le programme gouvernemental parle plusieurs fois de “patrie”, d’”identité” et de “valeurs”. Le christianisme doit avoir plus de place dans l’État et ses concepts moraux doivent être appliqués, par exemple, dans le contexte du droit de la famille et du droit des femmes à l’émancipation. Dans les universités, outre le projet d’introduire des frais de scolarité, l’espace pour les politiques de gauche et socio-critiques doit être réduit. Ce qu’ils appellent la “culture autrichienne” est censé être encouragé et un “degré autrichien” (pourcentage de culture “autrichienne”) dans les médias serait instauré. Nous pouvons supposer que, dans les deux cas, les aspects culturels les plus progressistes et favorables aux travailleurs seront exclus.

    Mais ce sont les projets économiques et sociopolitiques du gouvernement qui sont particulièrement effrayants pour les travailleurs. Le gouvernement veut brider les syndicats. Il veut introduire la journée de travail de douze heures, supprimer la représentation syndicale des jeunes et instaurer un modèle d’allocations de chômage similaire au modèle allemand “Hartz IV”, ce qui signifie que les chômeurs de longue durée ne bénéficieront d’aucune aide financière de l’État. Les changements prévus dans la législation du travail se feront aux dépens des petits salariés.

    Le programme regorge de termes tels que : “débureaucratisation”,”Etat allégé” et “réforme fiscale”. Derrière cette rhétorique se cachent des coupes budgétaires dans les services et les aides aux salariés socialement défavorisés. L’argent ainsi épargné servira à accorder des cadeaux fiscaux aux entreprises.

    Le mot “sanction” revient aussi régulièrement. Contre les parents d’élèves qui abandonnent l’école, contre les migrants prétendument “réticents à s’intégrer” (le nouveau gouvernement déclare parallèlement que l’intégration des réfugiés n’est pas souhaitée) ou contre les élèves trop critiques. Il est par contre question de réarmement et de militarisation.

    Ce ne sont là que quelques-unes des politiques du programme gouvernemental de 180 pages. Si les commentateurs bourgeois se plaignent de son manque d’audace, ils oublient que le nouveau gouvernement entend être prudent dans les quatre premiers mois de 2018, avant la tenue de quatre élections régionales. Le gouvernement régional de Haute-Autriche (au pouvoir depuis 2015) a de même retardé l’introduction de nombreuses mesures pour attendre les élections générales d’octobre 2017. La formulation souvent vague du programme du nouveau gouvernement laisse également beaucoup de place à des attaques brutales contre la classe ouvrière.

    Un gouvernement potentiellement instable

    Ce gouvernement sera confronté à des résistances dans un certain nombre de domaines, y compris le secteur public. Kurz planifie de s’en prendre au secteur public, en ayant habilement laissé Strache en charge du dossier pour tenter de préserver la base du Parti populaire dans ce secteur. Des mesures de centralisation sont également prévues à différents niveaux, ce qui affaiblira les provinces et municipalités fédérales. De nombreux politiciens du Parti populaire sont toutefois présents dans ces structures, des conflits sont donc inévitables. Les manœuvres de Kurz n’empêcheront pas l’opposition de s’exprimer. Sur la page facebook de Strache, une bataille numérique au sujet de la journée de travail de 12 heures a déjà eu lieu, ce qui a donné au FPÖ un avant-goût de l’impopularité que le parti va engendre auprès de sa base électorale avec de telles attaques néolibérales.

    De toute évidence, le fossé est grand entre l’auto-présentation du FPÖ en tant que “parti de la patrie sociale” et la réalité des mesures néolibérales. L’idéologise raciste et misogyne du FPÖ exigera également l’introduction de mesures qui ne sont pas compatibles avec les souhaits des grandes entreprises. Mais Kickl (ministre de l’intérieur, FPÖ) et Strache sont enfin au pouvoir et ils ne voudront pas quitter leurs postes. Même si une crise du type de celle de Knittelfeld en 2002 n’est pas directement à l’agenda, le FPÖ devra faire face à des pressions internes. A l’époque, les conflits au sein du FPÖ avaient conduit à la démission de plusieurs ministres et à de nouvelles élections.

    D’autre part, la situation économique de l’Autriche n’est positive qu’en surface. La croissance économique nationale est fragile et dépend des développements internationaux. La possibilité d’accorder des avantages fiscaux aux grandes entreprises, qui se chiffrent en milliards de dollars, est très limitée. Le capitalisme autrichien, dont certains représentants ont largement participé à l’élaboration du programme économique du gouvernement, attend beaucoup de la réduction des coûts salariaux. Ce “nouveau style” qui emble harmonieux ne durera pas. Kurz, l’espoir de la bourgeoisie, perdra probablement sa crédibilité aussi rapidement que d’autres “nouveaux” dirigeants récents, comme Macron ou Trudeau.

    La résistance augmente

    Le jour de l’investiture du nouveau gouvernement, 6.000 à 10.000 personnes ont manifesté à Vienne. Le samedi précédent, des centaines de manifestants avaient manifesté à Graz, tandis que des centaines de manifestants étaient également dans les rues de Salzbourg le lundi, de même qu’environ 2 000 dans la petite ville d’Innsbruck, dans le Tyrol. Peu de temps avant cela, à plusieurs reprises, entre 2 000 et 4 000 personnes sont descendues dans les rues de Linz pour protester contre le gouvernement régional bleu-noir de Haute-Autriche. Les pancartes et banderoles artisanales caractérisaient ces mobilisations à l’atmosphère combative. De nombreuses jeunes femmes se sont jointes au mouvement. Les projets antisociaux du gouvernement, comme la journée de travail de 12 heures ou les frais de scolarité, ont poussé beaucoup de gens à reprendre le chemin de la rue.

    Dans les médias, ces protestations ont été comparées au “mouvement de résistance” de 2000 avec l’objectif de ridiculiser les protestations actuelles. Mais un millier de jeunes ont participé à une grève écolière à Vienne et des manifestations d’étudiants du supérieur ont également pris place. Dans la rue, il n’y avait pas seulement que “la gauche”. Il y eut aussi les “grand-mères contre le bleu-noir” et d’autres expressions de la mobilisation de la population qui a – à juste titre – peur du nouveau gouvernement et de ses politiques.

    Bien sûr, le “mouvement de résistance” de 2000 ne se répétera pas. Si nous voulons construire aujourd’hui un mouvement de cette échelle, il faut aussi tirer les leçons du passé. Après tout, ce mouvement ne fut pas victorieux, essentiellement parce qu’il s’était limité à des manifestations sans s’orienter vers les syndicalistes et sans soutenir les actions de la classe des travailleurs. Si les “vétérans” de 2000 rejoignent les manifestations d’aujourd’hui, ils doivent apprendre des faiblesses du passé. Il est important que ces manifestations politisent toute une génération. La grande participation des jeunes aux manifestations est un très bon point de départ. Il s’agit maintenant de s’organiser. Beaucoup cherchent comment agir de la meilleure manière. C’est pourquoi il est important de débattre. Il ne s’agit pas seulement de discuter, mais d’élaborer ensemble un plan d’action visant à stopper ce gouvernement et son programme tout en proposant une alternative.

    Lors de la prestation de serment du gouvernement, les syndicats étaient malheureusement invisibles. Sur sa page d’accueil, la fédération syndicale ÖGB déclarait:”L’ÖGB ne participera pas à la manifestation annoncée contre le gouvernement ÖVP-FPÖ. Nous l’évaluerons [le nouveau gouvernement], aussi sérieusement que d’habitude”. Il s’attend à ce que les “partenaires sociaux” (les organisations syndicales et patronales) soient invités et à ce que leurs arguments soient entendus “parce que cela permet d’éviter beaucoup de frictions”. Cette approche est absurde. La direction syndicale veut attendre une invitation, puis (si elle est invitée) expliquer son point de vue. Mais même si une telle réunion est organisée, l’avis des syndicats sera largement ignoré. Et que proposeront alors les dirigeants syndicaux?

    Les objectifs du nouveau gouvernement sont très clairs. Il n’ y a pas de temps à perdre. Les syndicats ont la responsabilité d’informer leurs membres au sujet du programme brutal du gouvernement, par exemple avec des assemblées sur les lieux de travail. Il leur incombe non seulement de participer aux manifestations, mais aussi d’organiser activement la résistance. Si les syndicats ne le font pas, de nombreux membres remettront en question leur affiliation. Nombreux sont déjà ceux qui ne sont pas d’accord. Cela s’exprime pour l’instant surtout sur les réseaux sociaux, mais aussi dans la participation des syndicalistes aux manifestations. Le développement d’un syndicalisme combatif est attendu depuis longtemps.

    Lors des dernières élections, la déception vis-à-vis des sociaux-démocrates de droite a permis au FPÖ d’être le plus grand parti parmi les ouvriers. La participation du FPÖ à une offensive contre les travailleurs et les pauvres offre l’occasion de démasquer ce parti en tant que “faux ami” des travailleurs. Pour cela, il est nécessaire de construire une véritable alternative à la fois contre ce nouveau gouvernement et contre les politiques des anciennes coalitions des sociaux=démocrates et du Parti populaire.

    Le 13 janvier, un appel a été lancé pour une grande manifestation nationale. Le défi est de réunir les différentes couches de travailleurs menacées par le gouvernement. Cela doit être un signal fort: la première étape pour organiser une résistance capable de repousser les mesures. Nous devons contrer la guerre de classes brutale d’en haut avec une résistance déterminée d’en bas.

    Nous ne pouvons compter sur aucun des partis de l’establishment. Van der Bellen, le président de la république membre du parti vert, a ainsi présidé à l’intronisation de ce nouveau gouvernement, sans rien critiquer et sans jouer aucun rôle dans les manifestations.

    Nous devons organiser des comités d’action. Les travailleurs doivent connaître les conséquences des mesures prévues par le gouvernement. Il nous faut mener campagne dans les écoles, les universités, sur les lieux de travail, vers les migrants et les réfugiés, dans les médias, les secteurs culturels, sanitaires, sociaux et éducatifs afin de se réunir autour des forces syndicales. Ce n’est pas le moment de faire l’autruche ou de se retirer dans la vie privée. Il est temps de s’organiser. Ensemble, nous sommes plus forts et nous pouvons construire une alternative politique et sociale à ce gouvernement.

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