Category: Europe

  • Des feux meurtriers ravagent la Grèce

    Feu de forêt sur l’île de Zakynthos en Grèce, 2007 (photo : Carl Osbourn)

    Plus de 80 morts, dont des enfants et des bébés, et plus de 150 blessés.  Des dizaines de personnes sans abri et une destruction incalculable des forêts et des terres forestières. C’est, jusqu’à présent, le résultat des grands incendies qui ont eu lieu à Attica. Le nombre de victimes peut augmenter car des corps sont encore découverts sur les plages – des gens qui ont essayé de se sauver en sautant dans la mer. Et on ne sait toujours pas combien de personnes qui se sont enfermées dans leurs maisons et qui n’ont pas pu s’échapper.
    En un après-midi, au moins trois grands incendies se sont déclarés à Attica, et quinze incendies, au total, dans tout le pays. Les dimensions de cette tragédie rappellent les incendies qui ont fait des dizaines de morts en 2007 et de nombreuses forêts brûlées dans le Péloponnèse et Parnitha.

    Xekinima (section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Grèce)

    Ce nombre simultané d’incendies dans la région d’Attica, lorsqu’il y avait des températures très élevées et des vents forts, ainsi que les lieux et les moments où ces incendies ont commencé, amènent les gens à se demander ce qui a causé de tels dommages. L’une des zones touchées, Kineta, se trouve au pied des montagnes de Yerania, où il était prévu d’établir une mine de bauxite. La demande d’autorisation de la mine a été rejetée en 2017, en raison de la résistance des habitants de la région, et par les autorités pour la protection des forêts de Yerania. La destruction d’une grande partie de cette forêt avec les incendies profitera certainement à la compagnie minière.

    Le gouvernement parle déjà, directement ou indirectement, d’incendie criminel. Le Premier ministre Tsipras parle d’un “phénomène asymétrique”. Mais la question devrait vraiment être : Cette tragédie n’est-elle causée que par des personnes, pour quelque raison que ce soit, qui auraient allumé ces incendies ? Le gouvernement peut-il justifier l’ampleur des dommages en prétendant qu’il s’agit d’un “phénomène asymétrique” ? La vraie question devrait certainement être : que fait le gouvernement pour protéger le pays et ses forêts contre de telles menaces ?

    Indépendamment de ce qui sera prouvé plus tard, il y a une réalité indéniable : les déficiences et les coupes budgétaires subies par les pompiers et le Service forestier, tant au niveau des ressources humaines qu’au niveau des matériaux. Cela signifie que la lutte contre l’incendie se heurte à davantage de difficultés, voire à une situation impossible.

    En 2007, les pompiers ont protesté contre le fait que 29% des postes du service d’incendie n’étaient pas couverts. Ils ont également déclaré qu’une grande partie de leur équipement et de leur matériel d’extinction d’incendie étaient désuets et défectueux. Lors des derniers grands incendies, en 2007, les véhicules de lutte contre l’incendie ont été endommagés sur le chemin de l’extinction des incendies, les tuyaux d’eau étaient troués et il y avait un manque d’équipement de protection individuelle pour les pompiers.

    L’austérité

    Onze ans plus tard, et après plusieurs mémorandums d’austérité imposés par la Troïka, la situation est encore pire. Chaque année, le budget du service d’incendie fait l’objet de nouvelles compressions.

    Aussi catastrophique que soit cette situation, il convient de mentionner, cependant, un aspect beaucoup plus porteur d’espoir ; la grande solidarité et la volonté d’aider dont ont fait preuve des centaines de personnes ; les équipes de volontaires de la protection des forêts, qui n’ont rien reçu de l’État, qui ont été formées pour aider à éteindre les incendies aux côtés des pompiers et des gardes forestiers.
    Des appels ont été lancés sur les réseaux sociaux afin d’obtenir des ressources pour répondre aux besoins des personnes touchées par les incendies, et la réponse a été massive. Des médecins se sont portés volontaires pour soigner les blessés, et des vétérinaires et des défenseurs du bien-être des animaux s’occupent des animaux domestiques et sauvages.

    En partant de cette vague de solidarité, nous devons, petit à petit, retrouver notre force collective et entrer à nouveau dans la lutte pour mettre fin aux politiques qui ont conduit à cette tragédie ; transformer complètement un système qui place les profits des banques et des grandes entreprises au-dessus de nos vies et de l’environnement.

  • Après la victoire du “oui” en Irlande, un référendum sur l’avortement en Irlande du Nord ?

    Après la victoire du “oui” en Irlande du Sud, les activistes pro-choix de ROSA en Irlande du Nord défendent l’abrogation de l’interdiction de l’avortement.

    L’Ecole d’été du Comité pour une Internationale, qui a eu lieu la semaine dernière à Barcelone pour la deuxième année consécutive, rassemble lors d’une semaine de discussions intenses des marxistes du monde entier, des membres des sections sœurs du PSL dans divers pays. Sur les événements politiques de l’année passée, mais aussi sur les perspectives mondiales à venir, les discussions permettent d’échanger les expériences et de comprendre comment la lutte s’organise.

    Par Brune (Bruxelles)

    L’une des nombreuses commissions organisées durant cette semaine portait sur la lutte pour le droit à l’avortement en Irlande du Sud ; et comment la section sœur du PSL, le Socialist Party en Irlande – et son organisation féministe socialiste ROSA – ont organisée la plateforme pour le « Oui », contre le 8ème amendement à la Constitution qui, depuis des décennies, empêchait les Irlandaises d’avoir accès à un droit fondamental, celui de faire leurs propres choix sur leurs corps.

    Laura Fitzgerald est revenue sur divers détails qui ont permis de faire tourner la roue de l’Histoire du bon côté, comme l’organisation d’actions par ROSA (Train et Bus pour la pilule abortive) depuis des années pour conscientiser sur la non-dangerosité de la pilule ; mais aussi l’organisation de stands et le placardage par milliers avec l’image de Savita (une jeune femme décédée des suites d’une fausse couche qui aurait pu être résolue si l’avortement avait été légal), et qui rappelait à quel point le 8ème amendement avait un impact direct et dangereux sur les femmes et leur corps.

    Après la victoire du référendum historique en Irlande du sud, avec une participation tout aussi historique, la pression exercée sur l’establishment est telle que des événements importants pour donner aux femmes et aux femmes enceintes en Irlande du Nord le droit de choisir ont assez vite pris place.

    La Cour suprême (du Royaume-Uni) a dû reconnaître que le déni du droit à l’avortement dans les cas d’anomalies fœtales mortelles et de viols est une violation des droits de l’homme. La Chambre des communes (Chambre basse du Parlement du Royaume-Uni) a tenu un débat d’urgence sur la question du déni du droit à l’avortement en Irlande du Nord – cinquante ans après que le droit de choisir a été conquis en Grande-Bretagne, ce n’est que maintenant qu’il est considéré comme une urgence !

    Il est important de noter que les députés ont également déposé des amendements au projet de loi sur la violence domestique –ce qui décriminaliserait l’avortement dans tout le Royaume-Uni en abrogeant les articles 58 et 59 de la loi sur les infractions contre la personne. Ce projet de loi prévoit actuellement une peine d’emprisonnement à vie pour avoir subi un avortement en dehors des exemptions légales ou jusqu’à cinq ans pour avoir aidé quelqu’un à le faire. Même d’éminents conservateurs ont été forcés d’appuyer ce changement proposé.

    Les partis locaux sous pression

    Les partis locaux ressentent également la pression. Le DUP (Parti unioniste démocrate) n’a aucune raison de prétendre parler au nom du peuple d’Irlande du Nord ou même de ses propres électeurs sur cette question. Par exemple, Sammy Wilson – qui a prononcé un discours vicieux à la Chambre des communes où il a clairement montré sa haine et son mépris pour les femmes qui ont subi un avortement – est le député d’une circonscription où 73 % des électeurs appuient l’accès sans restriction à l’avortement jusqu’à 12 semaines de grossesse ! Il y a quelques mois seulement, Michelle O’Neill disait que le Sinn Féin “n’est pas en faveur de l’avortement”. Maintenant, elle prétend être la championne de la question.

    Le Sinn Féin n’a pas dirigé le changement, mais a été entraîné dans le sillage du mouvement. En juin, le parti a tenu une conférence qui a soutenu l’accès sans restriction à l’avortement jusqu’à 12 semaines. Cependant, en décembre, les députés du Sinn Féin ont refusé d’appuyer cette proposition au comité parlementaire du Sud chargé d’examiner la question, adoptant une position plus conservatrice que les représentants des principaux partis de l’establishment. Le Sinn Féin reste opposé à ce que Westminster légifère pour l’accès à l’avortement ici, insistant sur le fait que c’est un problème pour Stormont (Parlement d’Irlande du Nord)- en d’autres termes, les femmes et les femmes enceintes doivent continuer d’attendre le changement. En ce qui concerne le mariage homosexuel, Sinn Féin a demandé à Westminster de légiférer pour l’égalité en Irlande du Nord. Alors pourquoi cette différence ???

    Une récente conférence du SDLP (Parti social-démocrate et travailliste) a réaffirmé sa position “pro-vie”, mais a accordé à ses représentants élus le droit de voter avec leur conscience sur la question. L’UUP (Parti unioniste d’Ulster) et l’Alliance ont une position similaire. Ce n’est pas suffisant – la seule personne qui devrait avoir le choix sur la question de l’avortement est la personne enceinte elle-même. Le mouvement pro-choix ne peut pas faire confiance aux politiciens qui, depuis des décennies, refusent de faire confiance aux femmes.

    Mouvement de masse : la clé du changement

    Dans la foulée du référendum en Irlande du Sud, notre réponse doit être d’intensifier notre campagne. C’est pourquoi ROSA et Women on Web ont organisé le Bus4Choice qui a défié la loi, avec des activistes prenant des pilules abortives pour souligner leur disponibilité et démontrer leur sécurité. Parallèlement à un mouvement de masse comprenant des protestations et des grèves, cette désobéissance civile a joué un rôle clé dans le déplacement du débat sur le droit à l’avortement dans le Sud.

    Les militants pro-choix et les syndicalistes doivent s’organiser pour mobiliser le plus grand nombre possible de personnes dans la rue avant tout vote sur la dépénalisation. Il est essentiel de rechercher également la solidarité du mouvement syndical au Royaume-Uni. Les politiciens ne devraient pas douter que, si les droits en Irlande du Nord continuent d’être bafoués, ils seront confrontés à une campagne de désobéissance civile qui rendra la loi inapplicable.

    Aujourd’hui, malgré la division qui existe encore parmi la classe ouvrière de l’Irlande du Nord et du Sud, entre catholiques et protestants, la lutte pour l’avortement peut également permettre de faire le pont entre les deux ; puisqu’il y a un intérêt commun certain entre ceux-ci, celui de se battre pour un droit fondamental. La dépénalisation en Irlande du Sud donne déjà aujourd’hui une impulsion à la lutte en Irlande du Nord. Il n’est pas du tout exclu que des mouvements de soutien provenant de l’Irlande du Sud comme en Angleterre viennent mettre davantage de pression sur l’establishment.

    Durant la discussion de notre école d’été du CIO, le syndicat le plus important en Irlande, ICTU, a été cité ; nos camarades irlandais appellent celui-ci, avec l’aide de la base du syndicat qui peut faire pression comme le fait le référendum aujourd’hui sur les politiciens au Royaume-Uni, à prendre position sur le droit à l’avortement en Irlande du Nord afin de stimuler les mobilisations de masse pour ce droit fondamental encore aujourd’hui bafoué pour les femmes d’Irlande du Nord, et plus particulièrement les femmes de la classe ouvrière.

    Le Socialist Party (parti-frère du PSL) soutient la dépénalisation complète de l’avortement, mais nous devons aller plus loin et construire des mobilisations de masse un peu partout pour garantir que les avortements deviennent gratuits, sûrs, légaux et accessibles ici en Irlande du Nord.

  • La mairie de gauche à Barcelone obtient une victoire sur le logement. Comment briser les carcans budgétaires ?

    Ada Colau

    Après la crise de 2008 un intense cycle de lutte de classe a pris place dans l’Etat espagnol, qui a ouvert la voie à l’émergence de Podemos et aux listes de confluences de gauche (Podemos, Gauche Unie et des représentants des mouvements sociaux). Ada Colau, première femme maire à Barcelone et première issue des mouvements sociaux, était la tête de liste de Barcelona en Comú (Barcelone en commun), en tant qu’ex-porte-parole de la plateforme contre les expulsions de logements (PAH). La victoire de ces listes de confluence aux élections locales de 2015, notamment à Barcelone et Madrid, a représenté un important développement pour le mouvement anti-austérité.

    Par Marisa Cabal Cabeza, candidate de Gauches Communes à Saint-Gilles

    Une mairie féministe

    La mairie a soutenu et participé à la grève et à la manifestation historique du 8 mars pour les droits des femmes. Ada Colau a précisé que la violence et les discriminations sexistes ne concernent pas l’éducation, c’est un problème structurel intégré au cœur du système, des institutions et de l’économie, en ajoutant que la question soulevée par la grève est qu’il y a des exploités et des privilégiés qui en profitent. En Belgique, notre campagne ROSA fait elle aussi le lien entre l’oppression sexiste, l’austérité et l’exploitation capitaliste.

    Le montant des aides sociales pour les cantines scolaires a été triplé ; des tarifs sociaux pour les crèches publiques ont été introduits et 3 nouvelles crèches avec 217 places seront ouvertes à partir de la prochaine rentrée scolaire.

    Voilà ce que peut faire une commune de gauche contre la double journée de travail des femmes. Avec Gauches Communes, à Saint-Gilles (Bruxelles), nous estimons qu’il faut 30 nouvelles crèches publiques pour s’attaquer au manque de places et que la commune devrait assurer la gratuité des repas à l’école. A Barcelone, 43% des familles ne trouvent pas de place dans une crèche publique ; 3 nouvelles crèches, c’est donc insuffisant.

    Une bataille gagnée pour la défense des logements sociaux

    À Barcelone, les prix des loyers crèvent les plafonds. Chaque jour, 10 expulsions de logements prennent place. En 2013, la maire de Madrid lui a vendu plus de 1.800 logements sociaux à Blackstone, un fonds vautour qui spécule sur la crise immobilière, qui est ainsi devenu le plus grand agent immobilier du pays. Une année plus tard, une banque catalane, Caixa Catalunya, précédemment sauvée avec 12 milliards d’euros de fonds publics, lui a vendu plus de 40.000 hypothèques toxiques. La banque s’est libérée d’actifs toxiques tandis que Blackstone a pu voler les maisons de gens de ceux pour qui l’hypothèque était devenue impayable.

    Le 14 juin, un homme de 43 ans s’est suicidé. Sa famille était menacée d’expulsion par Blackstone. Des manifestations ont eu lieu sous le slogan : ‘‘ce ne sont pas des suicides, ce sont des assassinats’’. La pression de la rue a poussé le conseil municipal à discuter d’une nouvelle loi : l’obligation pour les promoteurs de réserver 30% des nouveaux bâtiments et des rénovations aux logements à loyer social, loi approuvée le 17 juin. La victoire est d’autant plus importante qu’elle montre la voie à suivre : celle de la construction d’un rapport de force dans la rue.

    Cela n’enlève toutefois rien à la nécessité de construire des logements sociaux publics. En deux ans, la mairie en a construit 750 et elle a pris un crédit pour en construire 2.000 de plus, un effort qu’aucune autre autorité n’a fait auparavant. Le problème reste entier : le taux de logements sociaux à Barcelone est de 1,5%. Tout comme la PAH, nous estimons qu’il faut tendre à atteindre 20% de logements sociaux pour que la pression soit suffisante sur les loyers privés. À Saint Gilles, Gauche Communes propose de construire 3.000 logements sociaux publics. À Barcelone, il faudrait en construire 120.000 de plus.

    La lutte pour l’accès à l’eau

    A Barcelone, l’eau est gérée par Agbar, une filiale de la très rentable multinationale française Suez. Une ressource comme l’eau devrait être un bien commun. Colau a proposé au conseil municipal un projet de consultation pour une gestion publique et démocratique de l’eau. Le projet reste bloqué, tous les groupes ont voté contre, en dépit d’études qui montrent que 70% de la population y est favorable.

    Une plateforme composée de voisins, de syndicats et d’organisations écologistes a été formée, sans que la mobilisation ne prenne la même dynamique que pour le logement. La pression fut insuffisante.

    Pour un front des villes rebelles
    Les confluences de gauche ont aussi gagné les élections à Madrid, Cadix, Saragosse, La Corogne,… Elles pourraient utiliser ces positions élues pour organiser un front de communes rebelles.
    Crèches, logements, etc. : ce front pourrait défendre des budgets qui répondent aux nécessités sociales et les coupler à la mobilisation active de la population afin d’arracher un refinancement des villes. Une politique sociale pourrait alors être réellement appliquée alors qu’elle est bloquée par des budgets volontairement limités.

  • Comment le référendum irlandais sur l’avortement a été gagné : ‘‘Ce n’était pas une révolution silencieuse’’

    Ruth Coppinger

    Le 25 mai dernier, le référendum irlandais sur la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse s’est conclu par un résultat historique : 66% des participants ont voté en faveur de l’abolition de l’interdiction constitutionnelle de l’avortement. Le Premier ministre Varadkar a parlé d’une ‘‘révolution silencieuse’’. Ce faisant, il désirait laisser entendre que ce changement s’était produit sans lutte sociale. C’est que le Premier ministre n’aime pas trop les manifestations et les conflits sociaux… Notre camarade Ruth Coppinger, députée de Solidarity, a réagi : ‘‘La réalité, cependant, c’est que le mouvement contre l’interdiction de l’avortement faisait activement campagne depuis des années, en luttant contre un parlement conservateur et des médias hostiles.’’

    Par Sander (Termonde)

    L’atmosphère a sans aucun doute changé au cours des 20 dernières années. Mais l’establishment irlandais était particulièrement réticent à abandonner ses liens historiques avec l’Eglise catholique. Cela ne s’est fait que lorsqu’il n’était tout simplement plus possible de continuer. L’ancien establishment catholique conservateur a été durement frappé par les efforts de milliers d’activistes qui avaient tourné le dos au lobbying en constatant que cela était insuffisant. Cette campagne de terrain a duré des années et a conduit au résultat phénoménal du référendum. Parmi les jeunes de moins de 25 ans, 87% ont voté en faveur de l’avortement et, parmi les femmes de moins de 25 ans, 90% ont voté ‘‘OUI’’. La participation des jeunes femmes a quasiment doublé par rapport aux élections législatives de 2016.

    Un vent nouveau souffle sur l’Irlande : celui de l’action collective pour s’attaquer aux problèmes sociaux. Des dizaines de milliers de personnes, pour la plupart des jeunes et des femmes, se sont activement impliquées dans la campagne depuis la mort de Savita Halappanavar en 2012, une jeune femme décédée après qu’un avortement lui soit refusé alors que cela aurait pu sauver sa vie. Depuis ce moment, les groupes d’action et les manifestations se sont succédé. Ruth Coppinger, membre de notre parti-frère irlandais explique : ‘‘Le mouvement n’était pas silencieux, mais la plupart des politiciens faisaient la sourde oreille’’.

    L’establishment et les médias établis tentent maintenant de réécrire le cours de l’histoire par crainte que les gens en tirent confiance en eux et réalisent qu’ils peuvent se battre de la même manière sur d’autres sujets. Ils ignorent également les diverses propositions législatives soumises dans le passé par, entre autres, Solidarity, le groupement plus large dans lequel est actif notre parti-frère le Socialist Party qui compte trois députés (Ruth Coppinger, Paul Murphy et Mick Barry). Lorsque la pression est devenue trop forte, l’establishment a tenté de canaliser la discussion avec la mise sur pied d’une Assemblée citoyenne. Mais, sous la pression du mouvement, cette dernière a recommandé de reconnaître l’avortement sur demande jusqu’à 12 semaines. L’organisation d’un référendum était devenue inévitable.

    Le thème des pilules abortives a constitué un élément important de la campagne. La campagne féministe-socialiste ROSA, lancée en 2014, a organisé des actions pour populariser l’usage des pilules abortives. Ces dernières étaient peut-être illégales, mais elles sont vite devenues courantes. ROSA s’est rendu en Irlande du Nord en train pour y acheter ces pilules et ensuite les distribuer dans toute la République d’Irlande pendant des manifestations de désobéissance civile. La diffusion des pilules abortives a triplé et a eu un effet décisif.

    Le droit à l’avortement a bénéficié d’un soutien croissant. Des dizaines de milliers de personnes sont devenues des activistes et ont popularisé le sujet, y compris par le biais de l’art et de la culture. Ruth Coppinger commente : ‘‘Les médecins et les politiciens des partis établis ont dominé les débats officiels, mais la victoire a été obtenue grâce à la participation active de dizaines de milliers de personnes. C’était un mouvement social et politique à part entière.’’

    Enfin, la députée explique : ‘‘En prétendant que tout a été obtenu dans le calme, l’establishment veut balayer la leçon-clé : les manifestations, l’approche combative et l’implication de la base peuvent arracher des résultats. Ces méthodes peuvent également être appliquées contre d’autres formes de discriminations et d’inégalités. Cela peut concerner des revendications telles que la séparation complète de l’Église et de l’État dans l’enseignement, les soins de santé et d’autres domaines, la fin de cette culture sexiste où les femmes gagnent moins que les hommes et sont présentées comme des objets sexuels, de même que la fin d’un système économique où une élite richissime contrôle la richesse et le pouvoir politique.’’

  • Etat espagnol : après la grève féministe historique du 8 mars, de nouvelles manifestations contre la culture du viol

    Les mouvements de lutte de masse pour l’émancipation des femmes ont fait leur retour sur le devant de l’actualité, tout particulièrement dans l’Etat espagnol. Nous avons discuté avec Ana, de Libres y Combativas, l’organisation-sœur de la campagne ROSA.

    Récemment, d’importants mouvements ont pris place à travers l’État espagnol suite au procès de “la meute”, au cours duquel un juge a requalifié un viol en abus parce que la victime, paralysée par la peur et menacée de mort, ne s’est pas débattue. Peux-tu nous en dire plus ?

    Nous avons assisté à un mouvement fulgurant de travailleuses et de jeunes contre l’affaire scandaleuse de ‘‘la Meute’’, une décision judiciaire violente qui a prononcé la plus petite peine possible contre les auteurs d’un viol collectif, parmi lesquels un Guardia Civil (force de police espagnole à statut militaire, NdT.) et un militaire. Le plus grave, c’est que ce procès a dans les faits légalisé le viol en réduisant juridiquement ce crime à un simple ‘‘abus’’ qui excuse les auteurs de l’exercice de la violence sexuelle.

    La réaction fut immédiate. Le jour du jugement, des mobilisations spontanées ont déferlé sur tout le pays. Ces manifestations ont fait entendre que la justice capitaliste ne peut être une garantie pour la défense des droits des femmes. La lutte de la rue est le seul instrument dont nous disposons pour condamner la violence machiste.

    Avec Libres y Combativas (plateforme féministe d’Izquierda Revolucionaria et organisation-sœur de la campagne ROSA, NdT), nous avons contribué à ces mobilisations de masse en appelant à une grève étudiante le 10 mai. Cette dernière a paralysé l’enseignement et les rues ont été remplies de jeunes avec plus de 60 manifestations. Ce fut une très forte riposte contre une sentence qui visait à porter un coup au moral des millions de femmes qui avaient participé à la grève féministe du 8 mars.

    L’État espagnol a connu des mouvements historiques contre l’oppression des femmes, et ils ne faiblissent pas. Comment l’expliques-tu ?

    Cette recrudescence de la lutte féministe est étroitement liée aux effets de la crise et à la révolte sociale qui a secoué l’État espagnol ces dernières années. Ce sont les salariées, les chômeuses, les retraitées, les migrantes et les jeunes femmes qui souffrent le plus de l’austérité et qui subissent les plus grands revers dans tous les aspects de leur vie. Cette réalité révèle une fois de plus à quel point le système capitaliste joue un rôle fondamental dans l’oppression des femmes. D’un autre côté, cette situation a également éveillé des milliers de femmes à la lutte et à la politique.

    Les luttes contre les expulsions de logements et contre l’extrême précarité dans les secteurs fortement féminisés (comme le nettoyage) de même qu’en défense des services publics ont placé les femmes au premier rang. Cette nouvelle impulsion du mouvement féministe provient de cette vague de mobilisations où les femmes les plus opprimées ont su démontrer que nous ne devons pas nous résigner au rôle qui nous a été assigné et que la seule manière de nous émanciper ne peut venir que de notre propre lutte et de nos propres organisations.

    Quelle fut l’ampleur des mobilisations et quelles en étaient les revendications ?

    L’année dernière, sous l’appel international de ‘‘Ni una menos’’ (‘‘Pas une de moins’’, un mouvement contre les féminicides, en provenance d’Argentine, NdT.), une grève d’une heure avait eu lieu ainsi que des mobilisations de masse le 8 mars. Cette année, le mouvement féministe a fait un pas en avant en appelant à une journée historique de grève générale. Les étudiants ont joué un rôle fondamental dans ce succès en vidant complètement les salles de classe à l’appel de Libres y Combativas qui a distribué des centaines de milliers de tracts et organisé des centaines d’assemblées dans les écoles et les facultés.

    Les revendications de la grève ont donné une dimension massive à cette journée de lutte. Elles comprenaient le droit à un avortement libre, sans danger et gratuit ainsi que la dénonciation du rôle complice de la justice dans la culture du viol, de l’exploitation du corps des femmes, du poids des tâches domestiques et de la violence que constituent les coupes budgétaires.

    Libres y Combativas met l’accent sur les aspects matériels, économiques et idéologiques sur lesquels repose notre oppression. Il faut mettre fin à la justice patriarcale ainsi qu’investir dans les moyens et les ressources pour protéger les victimes de violences et leurs enfants, mettre fin à toute forme d’exploitation de notre corps, lutter contre la culture qui fait un objet du corps des femmes et garantir des conditions de vie décentes, débarrassées de la précarité et du poids du travail domestique, qui permettent d’être totalement indépendantes. Nos chaînes sont très concrètes et le combat que le mouvement féministe impose dans les rues contre le système en mettant en cause ses gouvernements et ses institutions provoque un énorme bouleversement social.

    Pour mener à terme la libération des femmes, nous défendons dans ce mouvement que le féminisme doit reposer sur une approche de classe, révolutionnaire et anticapitaliste.

  • [VIDEO] Grèves des pilotes de Ryanair basés en Irlande

    Ryanair est frappé aujourd’hui par une grève des pilotes basés en Irlande. Il s’agit de la première d’une série d’actions qui toucheront l’entreprise cet été. Les députés de Solidarity et membres du Socialist Party (parti-frère irlandais du PSL) Ruth Coppinger et Paul Murphy s’expriment sur l’importance de ce conflit.

  • Autriche : 100.000 manifestants contre l’allongement des journées de travail

    Ce samedi 30 juin, une énorme foule de manifestants s’est réunie à Vienne. La fédération syndicale autrichienne ÖGB avait appelé à manifester contre l’augmentation de la limite légale du temps de travail, un appel suivi par des syndicalistes et des travailleurs de toute l’Autriche. Les premiers rangs du cortège avaient atteint l’arrivée avant même que la majorité des participants n’ait commencé à marcher ! La police n’a initialement parlé que de 25.000 manifestants, mais elle a dû rapidement changer son estimation officielle pour parler de 80.000. Il était toutefois évident que bien plus de monde était présent.

    Par Sonja Grusch, Sozialistische Linkspartei (SLP)

    Le SLP, la section autrichienne du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), a participé à la manifestation avec un contingent dynamique. Nous avons vendu plus de 250 journaux, distribué plus de 2.500 tracts et nos pancartes appelant à la grève ont été chaleureusement accueillies.

    NON au 12 et au 60 !
    La manifestation visait à s’opposer à la volonté du gouvernement autrichien d’étendre à 12 heures par jour et à 60 par semaine la durée maximale autorisée de travail. L’actuelle législation autorise un maximum de 10 heures par jour et de 50 heures par semaine (il existe déjà des exceptions). Le gouvernement – qui réunit le Parti populaire (ÖVP), « modernisé » et encore plus néolibéral, et le Parti de la liberté (FPÖ) d’extrême droite, qui a très ouvertement dévoilé son caractère capitaliste brutal depuis son arrivée au pouvoir – ne ménage pas ses efforts pour satisfaire tous les souhaits des patrons. Cela comprend la réduction des droits des locataires, une ségrégation raciste dans les écoles et des horaires de travail plus « flexibles ».

    Le gouvernement tente de présenter le passage de la durée maximale du travail à 12 heures par jour et à 60 heures par semaine en affirmant que personne ne serait « obligé » de travailler ce nombre d’heures, que tout serait « volontaire » et que cela permettrait aux travailleurs d’avoir des week-ends plus longs. Pour la majorité des gens, il est toutefois absolument évident que quasiment rien n’est « volontaire » dans u emploi, ce sont les patrons qui décident qui travaille et quand. La mesure coûterait également de l’argent aux travailleurs, car la rémunération des heures supplémentaires serait réduite.

    La mobilisation syndicale

    Ce projet « 12/60 » était connu depuis près d’un an, mais le gouvernement a attendu cette année, une fois les élections locales passées. L’annonce d’aller de l’avant avec le « 12/60 » a été publiée quelques heures à peine après la fin du congrès de juin de la fédération syndicale ÖGB. Le gouvernement n’a même pas suivi la procédure parlementaire normale, il a rusé pour éviter les discussions au Parlement et accélérer l’adoption de la mesure. Leur projet était d’adopter la nouvelle loi d’ici le 4 juillet, soit au début de la période des vacances.

    En moins de deux semaines, l’ÖGB a organisé des conférences de délégués syndicaux dans toutes les grandes villes. Dans des centaines d’entreprises, des réunions ont également eu lieu sur le lieu de travail avec la participation de milliers ou de dizaines de milliers de personnes. Dans les entreprises où les membres du SLP travaillent ou sont délégués syndicaux, la question d’une grève comme prochaine étape du mouvement faisait partie de la discussion.

    Entre la manifestation et la mise en œuvre prévue de la législation, un plus grand nombre de réunions sur le lieu de travail ont lieu dans un certain nombre de grandes entreprises. Le lundi 2 juillet, les cheminots et le personnel de certains autres réseaux de transport public ont tenu des réunions de travail, qui étaient des grèves de fait. Graz, la deuxième plus grande ville d’Autriche, n’avait pratiquement pas de transports publics le lundi matin et de nombreux trains ont été retardés ou annulés. L’ÖGB a appelé les bataillons lourds du mouvement ouvrier à participer à cette série de réunions sur le lieu de travail, car certaines des principales industries, comme l’entreprise sidérurgique VOEST, ont également été à l’arrêt.

    La colère de la classe ouvrière contre le « 12/60 » était forte et claire lors de la manifestation, qui a été inondée d’une mer de pancartes et d’affiches. Il ne s’agissait pas seulement de celles préparées par les syndicats, mais aussi de celles faites à la main. Les sondages d’opinion montrent qu’une majorité s’oppose au projet et soutient l’idée de riposter. La classe ouvrière montre quel est son pouvoir. Tout la question est de savoir ce qu’il adviendra par la suite.

    Il faut un plan d’action !

    L’ÖGB a une tradition de “partenariat social”, une tradition de collaboration de classe avec le gouvernement et les employeurs. Souvent, le fait d’être invité à la table de négociation semble plus important que ce qui est négocié aux yeux des dirigeants syndicaux. Mais les différentes organisations de la classe ouvrière sont attaquées par ce gouvernement, qui veut réduire l’influence des organisations de travailleurs dans le secteur de la santé et de la sécurité sociale, ainsi que sur les lieux de travail. Les emplois des bureaucrates syndicaux eux-mêmes sont donc en danger. En même temps, la pression augmente à partir de la base, car la classe ouvrière entend chaque jour la propagande faisant état d’une croissance économique, mais elle n’en ressent rien dans ses poches.

    Dans la période précédant le congrès de l’ÖGB, le SLP a pris l’initiative de former une plate-forme plus large pour un syndicalisme de combat. Elle est intervenue dans le congrès de l’ÖGB. “ÖGB aufrütteln” (‘Réveille-toi, ÖGB’) est soutenue par des délégués et des militants syndicaux. L’initiative est arrivée juste à temps. Un autobus a été loué pour la manifestation et divers délégués syndicaux et activistes ont pris la parole et ont marché ensemble, dont le contingent du SLP. L’appel à la grève s’est fait entendre dans la manifestation et a été favorablement accueilli par beaucoup de collègues.

    Le SLP a publié une déclaration et un tract comprenant une proposition de plan d’action. Nous avons expliqué pourquoi une lutte ne peut être remportée que si les collègues des différents lieux de travail participent activement aux décisions et aux préparatifs. Nous avons plaidé pour le rassemblement des différentes protestations, car le gouvernement n’est pas seulement à l’offensive sur cette question, mais aussi sur d’autres qui suscitent également une riposte.

    Le tract du SLP qui a été distribué lors de nombreuses réunions de délégués syndicaux ainis que lors de la manifestation appelait à la grève et indiquait clairement comment l’organiser, pourquoi nous ne pouvons pas attendre que la mesure soit adoptée au Parlement et pourquoi il est nécessaire de répondre à l’attaque généralisée par une riposte généralisée : une grève générale.

    Nous avons également abordé la question politique. Les militants du SLP ont participé à un certain nombre de réunions de délégués syndicaux. En Haute-Autriche, où il était possible de prendre la parole de l’assemblée, Gerhard Ziegler, membre du SLP et délégué syndical, a déclaré qu’une grève était une absolue nécessité. Le Parti social-démocrate (SPÖ), qui a perdu la plupart de son pouvoir et de son influence au cours de ces dernières décennies, tente de se présenter comme une opposition et fait semblant de « lutter » contre le « 12/60 ». Mais, dans le cadre de ses plans gouvernementaux, le SPÖ avait également défendu une telle approche, quoique d’une manière plus « douce ». Le SPÖ ne fait pas de tentative sérieuse de lutter pour les intérêts de la classe ouvrière – son « combat » est essentiellement une manoeuvre populiste. Son objectif principal est de moderniser l’économie autrichienne afin qu’elle soit en mesure de faire face à la concurrence internationale. C’est essentiellement le même objectif que le chancelier et leader de l’ÖVP, Sebastian Kurz. La question d’une alternative politique doit donc également être soulevée.

    Quelle est la stabilité du gouvernement ?

    Le paradoxe de la situation est que le gouvernement bénéficie encore de bons résultats dans les sondages d’opinion et n’a pas beaucoup perdu depuis son élection en octobre 2017. Cela ne s’explique pas uniquement par sa communication très professionnelle et bien maîtrisée, c’est également en raison de l’absence de toute alternative sérieuse et du sentiment général que ce gouvernement représente quelque chose de nouveau et qu’il semble réellement fonctionner.

    Chaque fois que le gouvernement s’en prend à la classe ouvrière, il instrumentalise la « crise des réfugiés » et fait tout pour dévier l’attention. Cela fonctionne en partie, car les partis traditionnels ont mené une politique raciste durant des années sans qu’aucune réponse ne soit donnée aux questions sociales liées au “problème” des réfugiés. Cela a conduit à une acceptation plus large des politiques racistes.

    Mais ce serait une erreur de dire que ce gouvernement est stable. Des tensions existent concernant la politique internationale, même si le gouvernement fait tout ce qui est en son pouvoir pour les dissimuler. Ces tensions augmenteront non seulement autour des questions européennes, mais aussi au fur et à mesure que le FPÖ subira des pressions croissantes de la part de son électorat.

    Il serait toujours faux de penser que le FPÖ serait le nouveau “parti des travailleurs”, comme l’ont dit certains commentateurs. Mais il est vrai que beaucoup de gens de la classe ouvrière ont voté pour ce parti en croyant (ou en plaçant ses espoirs) dans la propagande du FPÖ au sujet de ses politiques « sociales ». Le vice-chancelier Strache, du FPÖ, qui est très actif sur Facebook, a rapidement appris de la colère de masse contre le « 12/60 » et d’autres mesures rendues publiques. En exerçant la présidence de l’UE, le chancelier Kurz, présenté comme l’étoile montante des forces politiques bourgeoises en Europe, découvrira qu’il ne peut résoudre facilement aucun des problèmes auxquels son gouvernement est confronté.

    Enfin et surtout, la classe ouvrière n’a fait que commencer à bouger. Le gouvernement a dû annoncer des changements à la loi 12/60, mais c’était trop peu, trop tard.

    L’ÖGB a fait beaucoup d’erreurs. La fédération veut que la situation se calme et espère retourner à la table des négociations. Par-dessus tout, l’ÖGB veut contrôler la classe ouvrière. Mais, de l’autre côté, des centaines de milliers de travailleurs sont en colère et aspirent à se battre. Ils ne sont pas prêts à être appelés à protester et à accepter un accord pourri. La situation est très ouverte. Mais ce qui est sûr, c’est que la lutte n’est pas terminée.

  • La Turquie après les élections : Interview d’Ismail Okay, Sosyalist Alternatif (CIO-Turquie)

    L’interview ci-dessous a été réalisée par nos camarades du SAV, la section allemande du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO).

    Comment analysez-vous les résultats des élections pour Erdo?an et son alliance avec le MHP ?

    Le référendum de l’année dernière a abouti à un système présidentiel en Turquie, mais il ne devait être introduit qu’après les prochaines élections. C’est l’une des raisons pour lesquelles des élections anticipées ont été organisées. Une raison encore plus importante est la situation alarmante de l’économie. Bien qu’il y ait une reprise économique sur le papier, elle semble très différente dans la vie réelle pour les masses. Erdo?an a considéré une possible crise économique comme une menace majeure pour sa préservation du pouvoir. Avec cette victoire électorale, le régime d’Erdo?an est consolidé.

    D’autre part, seule l’alliance avec le parti ultra-nationaliste MHP a permis à l’AKP et Erdo?an de remporter cette victoire électorale. Cela aura certainement des conséquences. Le MHP fera pression sur l’AKP, par exemple, en faveur d’une amnistie pour les patrons de la mafia condamnés actuellement en prison, ou pour une approche encore plus dure contre les Kurdes.

    La Turquie sera-t-elle maintenant une dictature et Erdo?an sera-t-il un président fort ?

    La Turquie a longtemps été de facto une dictature. On lui donne maintenant une façade de “légitimité” et de consolidation structurelle. En ce sens, Erdo?an est assez renforcé et la situation de la gauche et des autres forces d’opposition est rendue encore plus difficile.
    Mais cela ne signifie pas que le fascisme a triomphé en Turquie et que tout est sans espoir. Il existe encore des syndicats, des partis et des organisations de gauche qui auront de nombreuses et importantes responsabilités au cours de la période à venir. L’une des plus importantes d’entre elles est de construire une force politique forte et indépendante de la classe ouvrière.

    La situation objective évoluera en faveur de la gauche dans la période à venir. L’économie se dirige vers une crise. Les conséquences de celle-ci ébranleront sévèrement la classe ouvrière et les pauvres, dont certains ont encore des illusions dans le régime.

    Que pensez vous du résultat du HDP (Parti démocratique des peuples) ?

    Le HDP était le seul parti qui ne participait à aucune alliance électorale. Le seuil électoral de dix pour cent était un obstacle potentiel, mais le HDP l’a dépassé (le HDP a obtenu 11,5 % des voix et 68 députés, NDLR). Si cela avait échoué, tous ses sièges auraient été attribués à l’AKP, faisant de cette dernière la force la plus puissante que le parlement ait jamais connue.

    Le HDP est aujourd’hui la troisième force parlementaire. Mais, plus important encore, il a inclus de nombreuses forces de gauche sur sa liste et est ainsi devenue une alliance de gauche de facto. C’est d’une importance énorme pour la construction d’une force de gauche forte qui puisse rassembler la classe ouvrière kurde et turque ainsi que les pauvres.

    De plus, le PDH souffre d’une énorme répression depuis trois ans. Pour beaucoup, il est considéré comme le bras légal du PKK (guérilla nationaliste kurde). Malgré ces circonstances, il a pu gagner des voix aux élections. C’est très important.

    Le HDP a subi des pertes au Kurdistan. Peut-être en raison de ses références de gauche, certaines forces plus conservatrices et nationalistes parmi les Kurdes n’ont pas voté pour lui. Mais la vraie raison principale est l’occupation militaire sous laquelle les élections dans les régions kurdes ont dû avoir lieu, et la fraude électorale qui s’en est suivie.

    Dans l’ouest de la Turquie, cependant, le HDP a augmenté ses suffrages. Il a certainement reçu des votes tactiques de la part de certains électeurs kémalistes. Mais même cela signifie beaucoup. Surtout, cela montre que la classe ouvrière turque peut surmonter ses craintes de contact avec un parti assimilé à tort au PKK ou au terrorisme.

    Quelles sont vos revendications et vos propositions pour cette nouvelle situation ?

    Juste après l’annonce des élections anticipées, Sosyalist Alternatif (section du CIO Turquie) a fait campagne pour une alliance entre le HDP et les forces de gauche, et c’est d’ailleurs ce qui s’est produite. De plus, dans nos déclarations, nous avons à maintes reprises mis en garde contre les illusions envers les partis bourgeois de l’opposition, soulignant que, quel que soit le résultat des élections, une lutte post-électorale difficile nous attend. Il est maintenant important de renforcer l’alliance de gauche qui a émergé avant les élections et de la transformer en une véritable force socialiste capable de lutter contre les effets de la crise à venir et contre le système capitaliste.

    Le gouvernement décidera certainement bientôt de prendre d’autres mesures aux dépens de la classe ouvrière. Le HDP et la gauche doivent élaborer un plan dans les jours à venir sur la façon de lier la lutte au Parlement et à l’extérieur du Parlement. La convocation rapide d’une conférence à cet effet serait une étape importante.

  • Etat espagnol : Nouvelles mobilisations féministes suite à la libération de “La Meute”

    “Ce n’est pas un abus, c’est un viol – nous, nous te croyons!” – 10 mai 2018

    Ce jeudi, des milliers de personnes sont à nouveau descendues dans les rues de l’Etat espagnol à la suite de la décision d’un tribunal de Pampelune en faveur de la mise en liberté provisoire de «La Meute». Derrière ce nom se trouvent cinq jeunes hommes qui ont abusé d’une femme de 18 ans sans être pour cela condamnés pour viol mais simplement pour “abus sexuel”. La décision des juges de ne pas retenir la qualification de viol alors que les agresseurs avaient filmé leurs actes avait provoqué une vague de manifestations féministes dans tout le pays, dans lesquelles nos camarades d’Izquierda Revolucionaria, de Libres y Combativas (organisation-soeur de la campagne ROSA en Belgique) et du Sindicato de Estudiantes (organisation-soeur des Etudiants de Gauche Actifs) ont joué un rôle de premier plan. Ils avaient notamment appelé à la tenue d’une grève générale étudiante le 10 mai à laquelle plus de 100.000 personnes ont participé.

    [divider]

    LE TRIBUNAL DE NAVARRE LAISSE LES VIOLEURS DE LA MEUTE EN LIBERTÉ. TOUTES ET TOUS DANS LES RUES !

    Nous ne le permettrons pas ! A bas la justice patriarcale et fasciste !

    Le tribunal provincial de Navarre a décidé de libérer les violeurs de la Meute. Avec Libres y Combativas, le Sindicato de Estudiantes et Izquierda Revolucionaria, nous voulons manifester notre indignation face à une justice qui affiche sans entrave son caractère fasciste et patriarcal et qui prétend donner une leçon aux millions de femmes qui ont exposé la lutte féministe dans les rues.

    Déclaration d’Izquierda Revolucionaria (section du Comité pour une Internationale Ouvrière dans l’Etat espagnol)

    Il ne fait aucun doute que beaucoup de gens lisent en ce moment-même, bouche bée, cette terrible nouvelle. C’est une véritable provocation. Après que des millions de femmes, de jeunes et de travailleurs aient organisé une grève féministe historique le 8 mars et après avoir paralysé les salles de classe dans tout l’État le 10 mai lors de la grève générale étudiante contre la peine de ‘‘la Meute’’ (en savoir plus), voici qu’ils veulent se moquer de nous et nous faire croire que quoi que nous fassions, nous ne pouvons rien changer.

    Aussi bien la condamnation que la libération provisoire de ces sauvages représentent une agression contre toutes les femmes. Il s’agit de nous cibler toutes en envoyant un message très clair : les femmes peuvent être violées, agressées, maltraitées et harcelées. Vous pouvez nous torturer physiquement et psychologiquement, le filmer, le diffuser et rien ne se passera dans ce pays ! Les responsables de ces actes seront protégés par la loi, leurs crimes resteront impunis et les victimes subiront toute une série d’humiliations publiques et d’actes de mépris. C’est répugnant et on ne peut pas permettre que cela se produise.

    Voilà la justice que nous offre ce système de classe, patriarcal et franquiste. D’un côté il met en prison les jeunes d’Altsasu (accusés ‘‘d’attaque terroriste’’ suite à une rixe avec deux Gardes civils, NDLR) alors que leur innocence a été plus que prouvée, il y envoie également des rappeurs pour réprimer leur musique, de même que des jeunes activistes comme Alfon (un jeune de 24 ans condamné à 4 ans de prison pour faits de manifestation, NDLR) et d’autres militants de gauche en raison de leur lutte contre les injustices du système. De l’autre côté, cette justice laisse par contre en liberté les violeurs de ‘‘la Meute’’, les corrompus et ceux qui commettent des agressions homophobes et fascistes. C’est tout simplement inacceptable.

    Tant la décision de libérer les violeurs que la précédente condamnation scandaleuse ont été approuvées par une femme juge. Que peut-on conclure de ce fait ? Que la racine du problème, c’est l’ensemble du système judiciaire et du système capitaliste, et que le patriarcat est également soutenu par de nombreuses femmes qui partagent les privilèges des puissants et ne veulent en aucun cas renoncer à leurs avantages.

    Le fait que des femmes occupent des postes judiciaires et ministériels ou dirigent des banques et des entreprises n’empêche ni l’exploitation, ni la discrimination salariale, pas plus que cela n’élimine le machisme et la violence sexiste. L’expérience montre une fois de plus que la lutte féministe, pour gagner, doit impérativement se mener avec un caractère de classe, révolutionnaire et anticapitaliste.

    La marée féministe inondera à nouveau les rues pour réclamer justice et exprimer son soutien inconditionnel à la jeune victime de ces criminels sans scrupules. Avec Libres y Combativas, le Sindicato de Estudiantes et Izquierda revolucionaria, nous allons promouvoir cette lutte de toutes nos forces, tout en exigeant l’annulation immédiate de cette décision et la disqualification immédiate des juges impliqués dans la condamnation et la libération des violeurs. Et nous signalons aussi au nouveau gouvernement de Pedro Sánchez (PSOE) – qui a déclaré que ‘‘cette décision est prise dans le cadre de la régularité du système judiciaire (…) le gouvernement se conforme à celle-ci’’, qu’il a clairement fait valoir que son ‘‘féminisme’’ n’est rien de plus qu’une façade, une coquille vide, une formule hypocrite qui cache une politique qui se plie devant la justice patriarcale.

    Nous avons envahi les rues, nous avons vidé les salles de classe et les lieux de travail, nous avons organisé des mobilisations de masse sans précédent et nous allons le refaire aussi souvent que nécessaire !

    Toutes et tous aux manifestations et rassemblements à venir !
    S’ils touchent à l’une d’entre nous, nous répondrons toutes !
    Nous toutes, si, on te croit !
    La voilà ta meute !

    En réponse à cette provocation, près de 50 rassemblements sont organisés ce vendredi 22 juin 2018 à travers l’Etat espagnol (Madrid, Catalogne, Andalousie, Communauté valencienne, Asturies, Aragon, Tenerife, Murcia, etc.).

  • [DOSSIER] Comment le OUI a-t-il remporté le référendum irlandais sur l’avortement ?


    Le référendum sur la suppression de l’interdiction constitutionnelle de l’avortement (le 8e Amendement) qui s’est tenu le 25 mai dernier a abouti à une éclatante victoire pour le camp du OUI. 66,4 % des participants au référendum se sont prononcés en faveur de son abolition contre 33,6 % dans le camp opposé, alors que le taux de participation était de plus de 64 %, soit le taux le plus élevé jamais enregistré pour un référendum en Irlande. Ce résultat est quasiment l’exact opposé de celui de 1983 qui a imposé l’interdiction de l’avortement. Mais, cette fois, près d’un million de personnes de plus y ont participé. Le gouvernement a déclaré avoir l’intention de légiférer pour permettre l’avortement jusqu’à 12 semaines sans conditions, conformément aux propositions de l’Assemblée citoyenne (mise en place en 2016 pour débattre de l’IVG, NDT). Cela ne peut être interprété que comme un puissant vote pro-choix.

    Les politiciens de l’establishment et les médias essaient désespérément de réécrire la véritable histoire de la lutte radicale qui a donné naissance à ce changement. Ce qu’ils redoutent par-dessus tout, c’est que la population en tire confiance et réalise qu’elle est capable d’organiser par elle-même de puissantes luttes de masse sur toutes les questions clés de société et même d’entrer en confrontation ouverte avec l’ensemble du système capitaliste lui-même, un système qui repose sur le principe de l’inégalité.

    Ruth Coppinger prend la parole à un rassemblement au lendemain de la tenue du référendum. “Nous sommes rentrés dans l’Histoire!”

    Ruth Coppinger – membre du Socialist Party et députée de Solidarity (un mouvement plus large auquel participe le Socialist Party et qui dispose actuellement de trois élus au Parlement irlandais : Ruth Coppinger, Paul Murphy et Mick Barry) – a été consciemment exclue des médias nationaux durant la durée de la campagne alors qu’elle est une des figures clés du mouvement. Cet article, écrit par des membres du Socialist Party, tente de remettre les pendules à l’heure. Au côté d’autres activistes, le Socialist Party a joué un rôle vital dans la campagne nationale de ROSA (for Reproductive rights, against Oppression, Sexism & Austerity) dont l’impact a été considérable. Le Socialist Party et ROSA ont également fait partie du groupe Together4Yes.

    Document du Socialist Party (section irlandaise du Comité pour Internationale Ouvrière)

    35 ans après le précédent référendum sur la question, l’envie de se débarrasser du 8e amendement à la Constitution était largement partagée. On trouvait peu de contrastes entre les villes et les campagnes, car les attitudes avaient également changé dans les petites villes et les zones rurales. Une seule circonscription a voté NON alors qu’en 1983, toutes avaient dit OUI à l’interdiction, sauf une. Même dans la province de Connaught/Ulster, traditionnellement la plus conservatrice, la question a été nettement tranchée avec 59% en faveur du OUI et 41% pour le NON.

    Le OUI a été particulièrement représenté dans les zones urbaines. Dans la plupart des villes, le OUI se situait aux alentours des 70 %. 9 des 10 circonscriptions les plus favorables au OUI étaient à Dublin, l’autre étant celle de Wicklow, à 74,26 %. Le pourcentage global de OUI à Dublin était de 75,5 %. Dans le quartier dublinois de Stoneybatter, composé de communautés ouvrières ainsi que d’une nouvelle population plus jeune qui s’installe dans la région, le vote a été de 92% en faveur du OUI.

    Le OUI a été très marqué dans la classe moyenne et la classe ouvrière. Les chiffres indiquent qu’il est plus élevé dans le premier cas, bien qu’au cours de la campagne, il était évident que le sentiment sur la question était plus fort parmi la classe ouvrière, dont les femmes ont été au cœur de la révolte.

    Les jeunes femmes au coeur de la lutte

    65% des hommes et 70% des femmes qui ont voté l’ont fait en faveur du OUI. Dans l’ensemble, 87 % des participants de moins de 25 ans ont voté OUI et 90 % des jeunes femmes ! Au cours de ces dernières années, ce sont les jeunes femmes qui ont constitué la force motrice de ce mouvement et tout particulièrement durant la dernière phase, celle de la campagne référendaire elle-même (le référendum s’est tenu le 25 mai 2018 et avait été annoncé en janvier de la même année, les modalités ayant été définies en mars, NDT).

    En comparaison des dernières élections générales de 2016, le nombre de jeunes femmes qui ont participé au vote a massivement augmenté de 94%. Les jeunes transgenres et les élèves du secondaire étaient également au premier plan et le journal dublinois Gay Community News (GCN) a estimé que 91 % des membres de la communauté LGBTQI+ qui ont voté l’ont fait en faveur du OUI.

    La campagne ROSA a mené une intense campagne, autour de manifestations, d’action, d’affichages, mais aussi de stands de sensibilisation tenus en rue.

    Ce changement est le fruit d’intenses années d’efforts et la campagne formelle elle-même a été longue, étalée sur deux mois, à partir de la fin du mois de mars, lorsque le gouvernement a officiellement signé l’arrêté fixant les modalités du référendum.

    Dès le lancement de la campagne, le camp du NON s’est fait remarquer par des affiches misogynes dégoûtantes avec des photos de fœtus et des titres qui criaient ‘‘Permis de tuer ? Votez non’’, ‘‘Ne choisissez pas la mort – Votez non’’, ‘‘En Angleterre, 1 bébé sur 5 est avorté – Votez non’’, ‘‘Si tuer un enfant à naître au bout de six mois vous dérange, alors votez non’’.

    Mais, le 25 mai, les électeurs ont rejeté sans la moindre équivoque possible la campagne extrêmement bien financée du NON (qui disposait notamment de ressources et de publicités liés à la droite religieuse américaine). Ce référendum a fait des vagues partout à travers le monde entier.

    Le média en ligne américain Vox a déclaré : ‘‘Le sentiment favorable à l’abrogation était particulièrement élevé parmi la jeunesse et les électeurs urbains, suggérant qu’une nouvelle majorité de gauche et laïque avait supplanté les générations plus âgées catholiques plus conservatrices’’.

    De profonds changements

    Ce résultat reflète les changements survenus en Irlande au cours de ces dernières décennies. En fait, l’amendement de 1983 à la Constitution était dans un sens un coup politique de la part de la droite cléricale et des politiciens conservateurs avec le soutien de l’Église. Ils craignaient que l’Irlande change ses attitudes sociales et se sont donc précipités pour obtenir une interdiction de l’avortement avant qu’il ne soit trop tard.

    Le monde, et avec lui la société irlandaise, a énormément changé depuis lors. Mais la société officielle irlandaise et l’establishment politique ont refusé de refléter ce changement par des modifications significatives de la Constitution et de la législation. L’ampleur du changement qui a été imposé à l’establishment politique est indiquée par le fait qu’il y a tout juste cinq ans, la Loi sur la protection de la vie durant la grossesse est entrée en vigueur et que cette loi prévoyait que toute personne qui pratiquait un avortement pouvait être emprisonnée pendant 14 ans !

    Après 1983, l’existence du 8e amendement et la domination de la politique par les partis conservateurs (y compris lorsque les travaillistes sont devenus membres de l’establishment dans les années 1990) ont fait en sorte que beaucoup de personnes ont eu le sentiment de devoir, à contrecœur, accepter cette ‘‘solution irlandaise hypocrite à un problème irlandais’’, c’est-à-dire que l’avortement ne serait pas autorisé en Irlande dans un avenir proche au motif que les gens pourraient se rendre en Grande-Bretagne pour y pratiquer l’avortement.

    Mais, en 1992, il y a eu le “cas X”, dans laquelle une mineure violée a d’abord été empêchée de se rendre en Grande-Bretagne pour un avortement, mais y a ensuite été autorisée, après que la Cour suprême décide que le 8e amendement autorisait l’avortement lorsqu’il y avait menace pour la vie de la mère. Toutefois, l’interdiction est restée fondamentalement intacte.

    Les jeunes femmes qui ont grandi dans les années 90 et 2000, à l’époque du ‘‘Tigre celtique’’ (terme qui désigne l’Irlande pendant la période de forte croissance économique entre les années 1990 et 2001-2002, en référence aux ‘‘Tigres asiatiques’’ des années ‘80 et ‘90), ne l’entendaient cependant pas de cette oreille. De plus en plus de voix se sont élevées en faveur de l’émancipation des femmes et d’un État laïque moderne, ce qui signifiait le droit de décider sur son corps et le droit à l’avortement. Depuis lors, les jeunes femmes ont été une dynamique clé pour faire avancer la société irlandaise.

    Savita – le premier point tournant

    Affiche de la campagne ROSA : “Savita compte. les femmes comptent.”

    Le tragique décès de Savita Halappanavar en octobre 2012 à l’hôpital universitaire de Galway a constitué un moment extrêmement important. Savita a été trouvée éprouvant des douleurs intenses en train de faire une fausse couche. Elle a demandé qu’un avortement soit pratiqué, mais celui-ci lui a été refusé. La décision prise dans l’affaire X précise que l’avortement ne peut être autorisé que lorsqu’il y a “un risque réel et substantiel” pour la vie d’une femme.

    En plus de dire que la santé d’une femme n’a pas d’importance, cette position juridique signifie que dans le temps nécessaire pour juger ou décider qu’il y a bien un “risque réel et substantiel” pour la vie, les conditions de santé peuvent empirer et il peut donc être trop tard. En fin de compte, la décision dans l’affaire X n’offrait aucune garantie aux femmes, et Savita n’aurait été sauvée que si on lui avait permis de recourir à l’avortement lorsqu’elle en avait fait la demande.

    La mort de Savita a suscité une énorme colère et des dizaines de milliers de jeunes, en particulier des jeunes femmes, se sont mobilisés pour exiger des changements. La position généralement partagée par nombre de militants de longue date et éminents du mouvement pro-choix et pour le droit à l’avortement à l’époque était d’exiger que la décision prise dans le “cas X” soit légiférée, pour aider à formaliser et clarifier ce qui était permis dans le 8ème amendement.

    Le Socialist Party, en particulier par l’intermédiaire de Ruth Coppinger, alors conseillère municipale, a adopté une position totalement différente en affirmant que l’abrogation immédiate du 8e amendement était nécessaire pour donner rapidement lieu à une législation prévoyant le droit à l’avortement. Ces idées ont reçu une réponse très forte de la part des jeunes femmes mobilisées par la mort de Savita.

    En réponse à la mort de Savita et à la crise politique qu’elle a créée, le gouvernement Fine Gael – parti travailliste a adopté la loi sur la protection de la vie pendant la grossesse mentionnée ci-dessus, qui n’a fait que mettre dans la législation la décision limitée de 1992. C’était tout à fait insuffisant. Les mobilisations de la jeunesse, et des jeunes femmes en particulier, contre les terribles mauvais traitements et l’injustice dont Savita a souffert ont changé la dynamique. C’était le début du mouvement vers l’abrogation qui a culminé avec le vote en faveur du OUI le 25 mai dernier.

    Accroître la pression politique

    En 2014, il devenait de plus en plus accepté dans le mouvement que le 8e amendement devait être abrogé immédiatement. Ce sentiment a considérablement été renforcé lorsque Ruth Coppinger a remporté l’élection partielle dans la circonscription de Dublin-Ouest en mai 2014 et est entrée au Dáil (le parlement), rejoignant ainsi Joe Higgins. Elle a été rejointe par deux autres députés, Paul Murphy qui a remporté une élection partielle historique en octobre 2014 et Mick Barry, élu en 2015. Ruth Coppinger, au nom de l’Anti Austerity Alliance (AAA, précurseur de Solidarity) et du Socialist Party a présenté divers projets de loi concernant l’avortement, l’abrogation de l’interdiction et des cas d’anomalies fœtales mortelles. Cela a instauré de nouvelles pressions sur le gouvernement. Sa réponse a été de mettre en place une Assemblée citoyenne chargée d’élaborer des propositions concernant l’avortement.

    Le gouvernement espérait que cette Assemblée ne présente que des propositions permettant l’avortement dans des circonstances exceptionnelles. L’Assemblée étant constituée d’une centaine de personnes ordinaires de la population, le gouvernement entendait donc mettre ensuite l’accent sur la composition de l’Assemblée pour dire que l’ampleur du changement accepté plus largement dans la société ne dépassait pas ce cadre.

    L’Assemblée a toutefois représenté les changements qui étaient déjà à l’œuvre dans la société irlandaise. Ses recommandations étaient vigoureusement pro-choix. Parmi celles-ci : l’autorisation de pratiquer des avortements sur demande jusqu’à 12 semaines et pour des raisons socio-économiques jusqu’à 22 semaines. Ces recommandations devaient être envoyées à une commission (parlementaire) qui, à son tour, devait envoyer un rapport au gouvernement.

    Pas de recul face aux propositions de l’Assemblée des Citoyens

    Sachant que ce serait un champ de bataille où, comme l’a dit un journaliste, le travail de la commission ‘‘serait essentiellement de diluer les propositions au point qu’elles ne soient pas politiquement toxiques’’, Ruth Coppinger, en tant que membre de la commission représentant Solidarity et le Socialist Party, s’est attelée à la tâche d’accroître la pression pour accepter la proposition des 12 semaines sur demande. Si l’on pouvait faire pression sur la commission pour qu’elle l’accepte, cela permettrait de prendre en charge 92 % des grossesses en situation de crise affectant les gens du Sud (l’avortement étant encore illégal en Irlande du Nord).

    La commission parlementaire s’est réunie à l’automne dernier et a publié son rapport final juste avant Noël. Grâce à la pression incessante émanant du mouvement des jeunes femmes, qui avait reçu une attention toute particulière de la part de Ruth Coppinger, la commission a soutenu la proposition de l’Assemblée citoyenne pour permettre l’avortement à la demande jusqu’à 12 semaines.

    De son côté, le gouvernement a déclaré qu’il publierait les grandes lignes de la législation 12 semaines avant la tenue d’un référendum visant à abroger l’interdiction, de sorte qu’il n’y aurait pas de confusion quant à ce qui serait mis en œuvre en cas d’abrogation.

    Les pilules abortives – le deuxième point tournant

    L’establishment politique se trouvait face à un sérieux dilemme. Il était clair que maintenir le statu quo n’était plus tenable, mais ils étaient très hésitants quant à la marche à suivre. Le 8ème Amendement continuait à créer des injustices flagrantes et parfois même des crises politiques qui menaçaient les gouvernements et la base des partis. Il était nécessaire de se défaire de cette source d’instabilité.

    Mais, parallèlement, l’establishment ne désirait pas endosser la responsabilité de la mise en œuvre du droit à l’avortement. Son approche était généralement très timide en redoutant de saper sa base de soutien. Permettre un droit limité à l’avortement dans un contexte de changement d’attitude sur le sujet allait toutefois vraisemblablement créer des situations et des crises plus inacceptables encore. En fin de compte, ce sont les pilules abortives qui ont pris la décision pour la commission.

    Depuis 2014, le mouvement féministe socialiste ROSA, initié par le Socialist Party, s’est engagé dans une série d’actions extrêmement médiatisées qui ont créé une prise de conscience au sujet des pilules abortives, illégales en Irlande mais entièrement sûres et pouvant être auto-administrées.

    ROSA a notamment organisé un ‘‘train des pilules abortives’’ et des bus qui ont parcouru le pays (en référence au ‘‘train de la contraception’’ de 1971, quand un groupe de féministes s’était rendu à Belfast y acheter des préservatifs pour les ramener en république irlandaise et défier l’Etat de les arrêter, NDT). Au moment où la commission parlementaire était en pleines délibérations, des études ont montré que, quotidiennement, 10 Irlandaises se rendaient chaque jour à l’étranger pour y bénéficier d’un avortement tandis que 5 prenaient des pilules abortives en Irlande. Cela signifiait concrètement que l’avortement était devenu une réalité en Irlande plus que jamais auparavant. Il était même probable que l’utilisation des pilules abortives allait encore connaitre une augmentation. Les actions de ROSA ont été essentielles pour que l’utilisation des pilules abortives soit mieux connue.

    Une situation changée

    Lors de la présentation du rapport de l’Assemblée citoyenne, le juge Laffoy a identifié les pilules abortives comme un facteur clé émergeant. Devant la commission, des preuves ont été présentées qui soulignent l’utilisation accrue des pilules et, entre autres, l’obstétricien consultant Peter Boylan a déclaré qu’à la suite du développement de l’usage des pilules abortives, le ‘‘génie est sorti de la bouteille’’.

    La commission aurait pu proposer une forme limitée d’avortement, moins de 12 semaines, mais avec l’utilisation croissante des pilules abortives, une telle loi aurait immédiatement été inapplicable et dépassée. Ces pilules abortives faisaient de l’avortement jusqu’à 12 semaines un fait établi en Irlande. Il était évident que la majorité des membres de la commission estimaient pouvoir ramer en toute sécurité derrière cette proposition.

    Il s’agissait d’une énorme percée, car cela signifiait que le contexte politique du référendum était une politique pro-choix en attente. Si le référendum pouvait être gagné, l’Irlande serait dans les mois à venir pro-choix. Cela a finalement été le cas, ce qui représente une énorme transformation par rapport à il y a quelques années. C’est probablement le plus grand coup porté en faveur des droits des femmes dans l’histoire de l’État irlandais et cela a d’énormes implications pour l’avenir.

    Le camp du NON et sa campagne toxique

    Au début de la campagne officielle, le sentiment en faveur de l’abrogation était clairement dominant, mais la campagne du Non est passée à l’offensive et a eu un impact. Elle a déterminé quel était l’agenda de la discussion et a mis l’accent sur les délais et l’avortement “à la demande” jusqu’à 12 semaines. Cela a suscité des questions et des doutes et le soutien en faveur du OUI a été réduit à néant. Mais par la suite, la campagne du NON a été si offensante qu’elle a déclenché une riposte active des femmes. La campagne du NON reposait essentiellement sur la diffusion de soupçons envers les intentions des femmes pour les présenter comme des meurtrières.

    Certains défendaient l’idée que la campagne large en faveur du OUI ne devait pas atteindre le niveau du NON. Toutefois, dans le cadre d’une campagne, il faut tenir compte des problèmes réels qui s’installent et qui font l’objet de discussions. La campagne officielle Together4Yes (T4Yes) a poursuivi son approche mais, sur le terrain, les militants, tant à l’intérieur de T4Y que dans d’autres campagnes, sont allés plus loin pour répondre aux arguments du NON, en se concentrant particulièrement sur la réalité de l’avortement en Irlande et sur les raisons pour lesquelles les gens recourent à l’avortement.

    Un sondage à la sortie des urnes réalisé par la chaîne de télévision publique irlandaise RTÉ a indiqué que les témoignages de femmes dans les médias et l’expérience vécue par des proches ont constitué le facteur d’influence le plus déterminant pour 77 % des participants au vote. Cela a clairement démontré que l’idée selon laquelle il fallait une approche prudente en termes d’argumentation était fausse. Toute l’idée de l’existence supposée d’une ‘‘Irlande du centre’’ n’était qu’une pure construction. Les gens réagissent positivement quand une argumentation solide reposant sur l’expérience concrète vécue par d’autres leur est présentée. Cela a encore été illustré par le sondage RTE qui relevait que le droit de choisir était le principal facteur d’influence dans une liste d’options à 62 %, bien au-dessus d’une anomalie fœtale fatale, citée par 39 % des sondés.

    10 jours qui ébranlèrent le monde

    A moins de deux semaines de la fin de la campagne survint un important changement. Le 14 mai, un débat télévisé, durant l’émission The Claire Byrne Live show, a été suivi par 650.000 personnes. Bien qu’il ait été estimé que le camp du NON avait peut-être mieux saisi cette opportunité, nombreux parmi ceux qui ont regardé l’émission ont été profondément choqués par l’approche de certains des militants du NON. L’émission a été l’objet d’un nombre incroyable de 1.277 plaintes, parmi lesquelles 92 % consacrées à sa partialité en défaveur du OUI. Cet événement de même que l’approche de plus en plus brutale des militants du NON dans la campagne ont freiné leur dynamique.

    Quelques jours plus tard, ROSA a accroché son dernier lot d’affiches. L’une d’entre elles qui comportait une grande photo de Savita avec le simple message ‘‘Savita Matters – Women Matter – Vote Yes’’ (Savita compte, les femmes comptent) a été affichée dans tous les principaux centres-villes et à travers toute la ville de Dublin. Ces affiches ont agi eu l’effet d’une sorte de délivrance, une ‘‘riposte’’ que beaucoup attendaient depuis longtemps déjà. Elles ont rappelé aux gens la réalité de ce que signifiait le 8e Amendement ; mais elles ont aussi aidé à donner confiance à beaucoup d’autres pour qu’ils deviennent actifs dans la campagne, soit en militant autour de l’une des initiatives, soit à titre individuel en défendant le OUI jusqu’au jour du scrutin.

    ‘‘Dans les derniers jours de la campagne référendaire sur le Huitième Amendement, des dizaines de petites affiches sont apparues autour de Dublin. L’image était celle de Savita Halappanavar, reconnaissable instantanément grâce à ses cheveux épais et foncés, son large sourire, ses yeux souriants et le point Bindi sur le front. Le message contenait un mot : Oui. Elles étaient frappantes par leur simplicité et leur franchise.’’ Harry McGee, Irish Times, 26 mai.

    D’innombrables conversations

    Les anecdotes relatant la manière dont de jeunes femmes se sont battues pour le OUI avec leurs proches au cours de la dernière semaine de campagne sont légion. Il était clair qu’un élan imparable en faveur du OUI se profilait sous l’impulsion des jeunes femmes.

    La campagne du NON a semé des doutes parmi certaines couches, mais elle n’a pas pu renverser la vapeur et s’opposer au changement de conscience qui s’était développé au fil des années sur cette question. D’autre part, les messages misogynes et agressifs du NON ont créé une vague de réaction qui les a finalement noyés le jour du scrutin.

    Les membres du Socialist Party ont été très actifs, avec d’autres, dans les campagnes de ROSA et de Solidarity, ainsi que dans la vaste campagne Together4Yes. ROSA et Solidarity ont déployé une activité intense dans les collectivités locales, mais surtout dans les centres-villes. Au Parlement et dans leurs circonscriptions, Paul Murphy (Dublin Sud-Ouest) et Mick Barry (Cork North Central) ont tous deux joué un rôle de premier plan dans la campagne du OUI. Dans ces deux circonscriptions, la victoire du OUI fut impressionnante.

    Lancement de la campagne au Liberty Hall.

    La campagne de ROSA a commencé le 14 avril avec un rassemblement national de 500 personnes au Liberty Hall, à Dublin, durant lequel de nombreux orateurs du Socialist Party et du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) ont pu prendre la parole. ROSA a organisé des actions sur une base quotidienne de même que des manifestations jusqu’aux aéroports de Cork et Dublin, auxquelles 350 personnes ont assisté. Ces marches retraçaient les pas des milliers et milliers de femmes forcées d’aller avorter à l’étranger au cours de ces 35 dernières années. Le jour du décompte des votes, 250 personnes ont assisté à un rassemblement de ROSA au Projects Arts Centre à Dublin et des centaines de personnes sont devenues membres de ROSA.

    L’impact de ROSA

    Le point culminant de l’activité de ROSA durant la campagne fut l’apparition de 15.000 affiches mise en place par des activistes de ROSA et de Solidarity. Celles-ci ont eu un très grand impact et se sont distinguées par leur contenu sans équivoque à tel point qu’elles ont figuré sur la quasi-totalité de la couverture médiatique internationale du référendum.

    La classe des travailleurs, les femmes et les jeunes femmes en particulier ont été les moteurs de ce changement historique de même que d’autres récents bouleversements sociaux, de la lutte contre la taxe sur l’eau (water charge) au référendum sur le mariage égalitaire. Et maintenant cette nouvelle percée historique. La jeune génération, souvent dénigrée par certains sous le terme de ‘‘snowflakes’’ (flocons de neige), s’est retrouvée à la tête d’un mouvement qui a non seulement forcé un establishment politique très réticent à agir mais a également vaincu l’Église catholique. Toute la question est aujourd’hui de savoir quand, et non pas si, cette jeunesse se retrouvera à l’avant-plan d’autres combats qui les feront entrer en conflit ouvert avec le système capitaliste lui-même.

    Qu’en dissent-ils ?

    Pour finir, voici quelques-uns des nombreux commentaires qui ont été envoyés à des membres du Socialist Party ou qui sont apparus dans des forums publics concernant les activités dans lesquelles nous avons été impliqués ainsi qu’au sujet du rôle joué par Ruth Coppinger.

    • ‘‘Merci beaucoup Rosa pour tous vos efforts et votre influence héroïques, inspirants et constants’’.
    • ‘‘J’espère que vous réalisez tout ce que vous avez fait pour les femmes d’Irlande ! Profitez du week-end et offrez-vous quelque chose de spécial ! Je suis si heureuse, reconnaissante et optimiste pour l’avenir.’’
    • ‘‘Chère Ruth, je dois admettre que vous entrerez dans l’histoire comme la voix la plus forte, cohérente et logique de #Repeal… Nous pouvons probablement compter sur les doigts d’une main les thèmes politiques sur lesquelles vous et moi sommes d’accord. L’abrogation en était certainement une. En tant que défenseur inébranlable et passionné de l’abrogation, vous avez rendu un grand service au pays, aux professionnels de la santé ainsi qu’aux femmes”.
    • ‘‘Salut, salut. Je voudrais juste vous féliciter pour votre fantastique campagne d’affichage autour de la ville de Dublin pour le vote en faveur du OUI. C’est à mon avis la plus réfléchie de toutes les campagnes d’affichage. Quand le OUI l’emportera la semaine prochaine, il aura une énorme dette de gratitude envers vous.’’

0
    0
    Your Cart
    Your cart is emptyReturn to Shop