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Category: Asie
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Hong Kong : Actions internationales de solidarité le 31 mai contre le procès de la “subversion”

Leung Kwok-hung Libération de “Cheveux longs” et des prisonniers politiques de Hong Kong !
Lundi 31 mai, Leung Kwok-hung, dit “Cheveux longs” (en raison de son refus de se couper les cheveux jusqu’à la reconnaissance du massacre de Tienanmen par le régime de Pékin), et 46 autres accusés seront jugés pour “incitation à la subversion du pouvoir d’État”. Il s’agit de la deuxième audience du plus grand procès organisé à ce jour en vertu de la loi sur la sécurité nationale imposée l’année dernière par la dictature du Parti « Communiste » Chinois (PCC) dirigé par Xi Jinping. S’il « Cheveux Longs » est reconnu coupable, la peine maximale encourue est la prison à vie.
La première audience de l’affaire, qui a débuté le 1er mars, a constitué un sinistre avertissement sur la manière dont la nouvelle loi sera utilisée pour écraser la dissidence politique. Trente-six des 47 accusés, dont “Cheveux longs”, se sont vu refuser la libération sous caution et ont été placés en détention durant l’enquête de la police. Auparavant, à Hong Kong, la libération sous caution était normalement accordée, sauf dans des cas très graves tels que les procès pour meurtre, en vertu du principe selon lequel l’accusé est innocent jusqu’à preuve du contraire. L’audience du mois de mars s’est prolongée pendant quatre jours, les accusés n’ayant pas eu la possibilité de se doucher ou de recevoir des vêtements de rechange. Dix des accusés se sont évanouis et quatre ont été envoyés à l’hôpital, dont “Cheveux longs”, qui souffre de problèmes cardiaques.
Avec ce procès pour subversion, le régime chinois a rassemblé la quasi-totalité des dirigeants de l’opposition issus de tous les courants politiques antigouvernementaux, y compris les syndicalistes, les libéraux pro-occidentaux et les localistes de droite (un mouvement nationaliste de Hong Kong). Parmi eux figurent d’anciens législateurs (élus au Conseil législatif, Legco) comme “Cheveux longs”, qui a été élu cinq fois au Legco. Le régime de Xi a imposé un nouveau système politique en vertu duquel quatre cinquièmes des sièges du Legco seront désignés par un comité contrôlé par le PCC ou par des lobbys d’entreprises, et tous les candidats seront d’abord passés au crible par la police secrète afin de s’assurer que seuls les “patriotes” peuvent se présenter. Ces “patriotes” sont ceux qui obéissent servilement au régime de Xi et ne critiquent jamais ses politiques répressives.
L’accusation de subversion contre les 47 repose sur leur participation à une “primaire” électorale non officielle en juillet 2020, quelques semaines seulement après l’imposition de la loi sur la sécurité nationale. Plus de 610.000 électeurs, soit un taux de participation incroyablement élevé, avaient participé à cette “primaire” pour choisir les candidats pro-démocratie qui se présenteraient aux élections du Legco (annulées par la suite) de septembre 2020. Le PCC affirme que ces “primaires” constituent une conspiration visant à renverser le gouvernement de Hong Kong.
Chaque candidat, victorieux ou non, est accusé de subversion. “Cheveux longs”, par exemple, n’a pas gagné sa primaire et n’aurait donc pas été candidat sur la base du résultat de juillet. Le fait qu’un combattant ayant fait ses preuves dans la lutte ait été éliminé illustre le caractère contradictoire (voire chaotique) de la conscience politique du mouvement pro-démocratie à Hong Kong.
Les leçons du mouvement de 2019
Les manifestations de masse de 2019 ont atteint des sommets incroyables, avec jusqu’à deux millions de personnes rejoignant les manifestations. Elles ont fait preuve d’une créativité et d’une bravoure extraordinaires face à d’énormes obstacles.
Les jeunes qui étaient la force motrice de cette lutte ont largement rejeté les politiciens pro-démocratie dont l’action reposait sur le compromis et qui dominaient précédemment l’opposition. Ceux-ci ont de plus en plus été considérés comme “trop mous” et représentant un frein à la lutte. Ce jugement est tout à fait correct. Malheureusement, l’accent mis par le mouvement sur l’”action” militante à l’exclusion de la politique, et sa foi dans la “spontanéité” au détriment de la construction de structures de masse organisées (des comités démocratiques, des syndicats, des comités de grève et un parti politique de la classe ouvrière), ont conduit à l’émergence de nombreuses figures et groupements “nouveaux” mais politiquement très limités et confus (à consonance radicale, mais sans stratégie ni idée de ce qui est nécessaire pour gagner).
Ces derniers comprenaient également des groupes dont la seule “stratégie”, surtout vers la fin de la période où le mouvement s’épuisait, consistait à placer leurs espoirs dans des sanctions (en réalité superficielles) des États-Unis et des gouvernements occidentaux de droite. Au lieu d’un moyen efficace d’aller de l’avant, cela représente une impasse totale et une dangereuse incompréhension de ce que sont réellement les gouvernements capitalistes étrangers.
« Solidarité contre la répression en Chine et à Hong Kong » et Alternative Socialiste Internationale (ASI) demandent à nos camarades et à nos sympathisants de marquer la date du 31 mai par une action de solidarité contre le procès sur la sécurité nationale. Dans les grandes villes, les manifestations devant les ambassades ou les consulats de Chine seraient une bonne option, mais les bureaux de la méga-banque anglo-hongkongaise HSBC pourraient aussi, dans certains pays, être un bon point de mire pour les manifestations, même dans les petites villes (les patrons de HSBC sont complices de l’introduction de la loi sur la sécurité nationale – le directeur général de HSBC pour l’Asie-Pacifique, Peter Wong Tung-shun, est membre du PCC et a fait campagne pour cette loi).
Nous exigeons la suppression de la loi de sécurité nationale de Hong Kong et la libération des prisonniers politiques. Nous soulignons la nécessité de reconstruire la lutte révolutionnaire de masse contre la dictature et d’étendre celle-ci à la Chine, en la reliant à la lutte contre le capitalisme et l’impérialisme qui menace partout les droits démocratiques.
Ce qui suit est le texte d’un nouveau tract de la campagne « Solidarité contre la répression en Chine et à Hong Kong ».
Stop à la répression en Chine et à Hong Kong
Pour la solidarité et l’internationalisme de la base – Aucune confiance dans les politiciens et les gouvernements capitalistesÀ Hong Kong, depuis que les manifestations antigouvernementales de masse ont éclaté en 2019, 10.200 personnes ont été arrêtées. Plus de 600 ont jusqu’à présent été condamnées pour des délits politiques, notamment pour “émeute” et “rassemblement illégal”, et beaucoup ont écopé de peines de prison extrêmes de cinq ans ou plus. La dictature chinoise (du PCC) qualifie les manifestants de “terroristes” et d’”agents étrangers” et a imposé une nouvelle loi sur la sécurité nationale pour écraser le mouvement démocratique. En vertu de cette loi, la peine maximale est la prison à vie.
Hong Kong était autrefois la seule partie de la Chine à disposer de quelques droits démocratiques limités. Depuis que la loi sur la sécurité nationale a été imposée, la ville est devenue un État policier de facto. Le dictateur chinois Xi Jinping veut éradiquer le “virus” de la démocratie, dont il craint qu’il ne se propage de Hong Kong à la Chine, mais il veut également faire preuve de fermeté à l’égard des États-Unis et des gouvernements occidentaux dans le cadre de leur conflit de guerre froide qui s’aggrave.
La répression à Hong Kong
– À ce jour, plus de 100 militants ont été inculpés d’infractions graves en vertu de la loi sur la sécurité nationale.
– La liberté d’expression est effectivement écrasée par la loi sur la sécurité nationale. Le slogan “Mettre fin au régime du parti unique”, qui a été pendant de nombreuses années une revendication essentielle du mouvement démocratique et des manifestations d’un million de personnes, est désormais considéré comme de la subversion, passible de la prison à vie.
– Le 4 juin, date anniversaire du massacre de Pékin de 1989, où des centaines de personnes ont été massacrées par l’armée, est un sujet interdit en Chine. Le 4 juin n’a jamais été commémoré qu’à Hong Kong, où 180.000 personnes ont participé à la veillée de 2019. Mais en 2021, la veillée de Hong Kong est interdite pour la deuxième année consécutive.
– Les syndicats de Hong Kong sont les cibles de la répression chinoise. Le syndicat des nouveaux fonctionnaires, fort de 3.000 membres, a été dissous en janvier. Deux dirigeants syndicaux, Carol Ng Man-yee du HKCTU et Winnie Yu Wai-ming du HAEA, ont été accusés de subversion. Ng a démissionné de son poste de présidente du syndicat et a coupé ses liens avec le Parti travailliste dans le but de réduire sa peine. Plusieurs autres accusés ont également rompu tous leurs liens politiques.
– Leung Kwok-hung, vétéran de la gauche et militant pour la démocratie, “Cheveux longs”, fait partie des personnes inculpées en vertu de la loi sur la sécurité nationale. Il a déjà été condamné à 18 mois de prison pour “rassemblement illégal” en vertu d’une loi datant de l’époque coloniale britannique – ce qui rappelle que le gouvernement chinois n’a pas le monopole des lois répressives.
La répression en Chine
La situation en Chine est encore pire. Les syndicats sont illégaux, à l’exception d’un faux syndicat géré par le gouvernement, l’ACFTU, qui n’a jamais (pas une seule fois) soutenu une grève des travailleurs. Les travailleurs sont souvent jetés en prison s’ils font grève ou protestent, surtout s’ils essaient de s’organiser. Les dirigeants des travailleurs sont accusés d’être “manipulés par des forces étrangères”. Les féministes sont également attaquées comme étant “antipatriotiques” et “corrompues par des idées étrangères”.
En 2018, lors de la célèbre lutte de Jasic, des dizaines de jeunes de gauche et de maoïstes autoproclamés ont été emprisonnés et torturés pour avoir organisé la solidarité avec des ouvriers d’usine en grève. Ainsi, une dictature qui se prétend faussement “communiste” attaque et emprisonne les véritables communistes et travailleurs, et pas seulement les politiciens libéraux et les militants pro-démocratie comme à Hong Kong.
Au Xinjiang, où vivent 12 millions de musulmans ouïgours, une répression horrible a lieu au nom de la lutte contre le “terrorisme”. La dictature chinoise a soutenu la “guerre contre le terrorisme” menée par l’Occident après 2001 et s’en est servie pour faciliter sa propre répression antimusulmane et renforcer son contrôle sur le Xinjiang, riche en ressources. Les Ouïghours sont soumis à des lois racistes discriminatoires et à un système de surveillance hi-tech massif comprenant des camps d’internement de masse. Le régime de Xi a d’abord nié l’existence de ces camps, puis a changé de position lorsque les preuves sont devenues indéniables, les qualifiant d’”écoles de formation professionnelle” !
« Solidarité contre la répression en Chine et à Hong Kong (Solidarity Against Repression in China and Hong Kong, SARCHK) » est une campagne internationale lancée par Alternative Socialiste Internationale (ASI) et nos camarades en Chine, à Hong Kong et à Taiwan. Nous avons une longue expérience de la lutte pour les droits démocratiques et du soutien aux luttes des travailleurs.
SARCHK expose le rôle réel de la dictature chinoise, qui est dominée par des milliardaires – la Chine compte désormais plus de milliardaires que les États-Unis – et présente l’un des pires bilans au monde en matière de droits des travailleurs. Nous exposons également l’hypocrisie de la rhétorique anti-chinoise des gouvernements occidentaux, qui est souvent utilisée pour attiser le racisme, pour provoquer la division, et qui prétend en vain promouvoir la “démocratie” et les “droits humains”.
Démocratie contre dictature
– Les États-Unis fournissent une aide militaire à 73 % des dictatures du monde. La Chine ne peut pas faire mieux !
– La Grande-Bretagne a dirigé Hong Kong pendant 154 ans et n’a jamais organisé d’élections.
– Les gouvernements des pays “démocratiques” soutiennent et appuient toujours les régimes qui leur permettent de faire des profits. Comme le montre le Myanmar, pour combattre la dictature, il faut une lutte de masse révolutionnaire menée par les travailleurs et les jeunes.
Les États-Unis, l’Union européenne et d’autres gouvernements occidentaux ainsi que leurs grandes entreprises ont travaillé main dans la main avec la dictature chinoise pendant de nombreuses années. Ensemble, ils ont étouffé les plaintes pour violation des droits de l’homme, aidant même l’État policier chinois à développer certaines de ses technologies de surveillance les plus avancées. Leur seule préoccupation était de tirer profit de la main-d’œuvre non syndiquée de la Chine et d’exploiter le marché chinois en pleine croissance. La nouvelle guerre froide marque la fin de cette relation confortable, laissant place à une hostilité croissante entre le capitalisme occidental et chinois.
La lutte pour la démocratie – pour les droits démocratiques tels que la liberté d’expression, la liberté de réunion, le droit de s’organiser en syndicats et en groupes politiques, de faire grève, de se présenter ou de voter à des élections libres, et de chasser un gouvernement – ces droits n’ont jamais été conquis que par la lutte de masse, en particulier celle des travailleurs, avec la classe capitaliste de l’autre côté des barricades, comme c’est le cas à Hong Kong aujourd’hui.
La lutte de masse est la seule voie !
Les droits démocratiques n’ont jamais été accordés par un groupe ou un régime au pouvoir, ni par un gouvernement étranger ou la “communauté internationale”. C’est parce que les droits démocratiques réels et la lutte de masse nécessaire pour les obtenir constituent une menace sérieuse pour le système capitaliste dans lequel une infime minorité détient tout le pouvoir réel.
C’est pourquoi « Solidarité contre la répression en Chine et à Hong Kong » construit une solidarité de base active avec la lutte anti-autoritaire en Chine et à Hong Kong, et s’oppose fermement à tout soutien à un gouvernement capitaliste. Le mouvement des travailleurs, les mouvements sociaux des femmes, des jeunes et des minorités opprimées, ce sont les seules forces qui peuvent vaincre les régimes répressifs.
Pour soutenir notre campagne, discuter des actions et obtenir des informations sur nos activités dans votre pays et votre localité, prenez contact avec hk.repression@gmail.com (pour la campagne internationale) et info@socialisme.be (pour la Belgique).
Ce que nous défendons :
- Abolition de la loi sur la sécurité nationale à Hong Kong.
- Libération des prisonniers politiques à Hong Kong et en Chine. Reconstruisons et étendons la lutte de masse pour la démocratie.
- Non à la détention de masse, au travail forcé et à la discrimination contre les Ouïghours et les minorités nationales. Pour un mouvement multiethnique uni contre la dictature.
- Pour des syndicats indépendants et le droit de grève. Organisons la solidarité syndicale avec les travailleurs de Chine et de Hong Kong.
- *Solidarité internationale – non au nationalisme, à l’impérialisme et à la nouvelle guerre froide.
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[DOSSIER] Solidarité contre la répression à Hong Kong et en Chine !
Une nouvelle campagne de solidarité lancée par Alternative Socialiste InternationaleLes luttes contre l’imposition de la dictature du régime chinois à Hong Kong ont tenu le monde en haleine durant de longs mois. Aujourd’hui, nous assistons avec effroi à l’imposition brutale d’un régime dictatorial directement aux ordres de Pékin. En Chine également, la répression atteint des sommets alors que se profile le 20e Congrès du Parti « communiste » chinois (PCC) qui devrait couronner Xi Jinping pour un troisième mandat, une décision sans précédent. Sa crainte des troubles sociaux est d’autant plus grande.
Par Nicolas Croes, article tiré de l’édition de mai de Lutte Socialiste
Un coup d’État sans tanks
L’année 2019 avait connu une impressionnante vague de soulèvements (au Chili, en Équateur, au Liban, en Irak, en Iran,…). Au milieu de ces multiples irruptions des masses sur le devant de la scène pour défendre leurs droits, Hong Kong avait tout particulièrement attiré l’attention. Mais, en dépit de mobilisation dont l’ampleur et l’ingéniosité ont frappé les esprits, la dictature chinoise a imposé une loi de sécurité nationale qui signifie que celle-ci prend le contrôle politique direct du territoire. L’autonomie politique limitée de Hong Kong dans le cadre du système « un pays, deux systèmes » mis en œuvre après la rétrocession de Hong Kong à la Chine par le Royaume-Uni en 1997 a de facto été abolie.
Les fragiles libertés qui existaient à Hong Kong mais étaient refusées dans le reste de la Chine, telles que la liberté d’expression et la liberté de réunion ou encore le droit de grève, sont maintenant menacées comme jamais auparavant. Les accusations de “subversion” et de “séparatisme” peuvent aujourd’hui conduire à une peine d’emprisonnement à vie, voire à l’extradition pour être jugé en Chine continentale, où la peine de mort est toujours d’application pour de telles infractions.
L’imposition de cette nouvelle loi ressemble à un coup d’État militaire ou à un second « 4 juin » (date du massacre de Tienanmen en 1989), mais en utilisant des lois, la police secrète et des technologies de surveillance pointues à la place des tanks. Cela représente bien entendu une défaite pour le mouvement antiautoritaire à Hong Kong et en Chine. Elle n’était toutefois pas inévitable. En réaction aux trahisons successives des dirigeants officiels autoproclamés du mouvement prodémocratie à Hong Kong, notamment lors de la « révolution des parapluies » de 2014, le mouvement se méfiait de toute structuration. Cette hostilité à l’organisation de la lutte avait été résumée dans le slogan « sois comme l’eau », tiré d’une citation de Bruce Lee.
Mais si des comités de lutte démocratiques avaient été mis sur pieds et avaient choisi de s’orienter vers l’arme de la grève pour paralyser Hong Kong et toucher les capitalistes pro-Pékin au portefeuille, à l’instar des masses au Myanmar dans leur combat contre le coup d’État militaire, et s’il avait été décidé de s’orienter vers les masses en Chine, la crainte ultime du régime de Pékin, une tout autre issue aurait été possible. Sans cette orientation, le mouvement de masse s’est épuisé dans une guérilla urbaine désespérée tandis que certaines couches du mouvement faisaient appel à l’impérialisme américain, également sous la pression du désespoir.
Ni Washington, ni Pékin
C’est dans ce contexte qu’Alternative Socialiste Internationale (ASI, dont le PSL/LSP est la section belge) a décidé de lancer une campagne de solidarité internationale d’autant plus concrète que nous disposons de forces sur le terrain qui, à Hong Kong, doivent aujourd’hui fonctionner dans la semi-clandestinité en se préparant pour le pire.
Les événements de Hong Kong ont joué un rôle important dans l’accélération de la guerre froide entre l’impérialisme chinois et l’impérialisme américain/occidental. Mais la campagne « Solidarité contre la répression en Chine et à Hong Kong » ne soutient aucun de ces deux camps. Aucun d’eux ne défend véritablement les droits démocratiques ni ne représente de voie progressiste pour les travailleurs et les opprimés. Cette lutte est un combat sans scrupule pour les marchés, les sources de main-d’œuvre bon marché et les matières premières. Elle n’a rien à voir avec la « démocratie » et les « droits de l’homme », comme le prétendent les un, ou le « patriotisme » et la « sécurité nationale », comme le prétendent les autres.
Le cas des Oïghours
L’abominable répression qui s’abat sur la province du Xinjiang, à l’ouest de la Chine, et sur les Ouïghours, communauté turcophone et musulmane, est également cyniquement utilisée dans ce cadre. De multiples organisations de défense des droits humains dénoncent des actes de torture et des viols systématisés, des camps de travail forcé et de rééducation,… Les États-Unis ont beau crier au scandale aujourd’hui, ils ont derrière eux une longue histoire de soutien à des régimes dictatoriaux et de trahison des peuples opprimés. Ce sont les Kurdes du nord de la Syrie (le Rojava) qui en ont encore tout récemment fait les frais après avoir fait l’erreur tragique de s’allier à l’impérialisme américain. Une fois que Daesh, le prétendu « État Islamique » ne représentait plus de danger, Washington a abandonné le Rojava et l’a dans les faits livré à l’armée turque.
En Belgique, la question a été portée devant divers parlements du pays afin de reconnaître le génocide commis par le régime chinois contre les Oïghours. Plusieurs parlementaires et partis y voient également une manière bien pratique d’attaquer le PTB, dont les positionnements politiques sont bien souvent scandaleux dès lors qu’il s’agit de la Chine. Encore une fois, il s’agit d’une belle hypocrisie. Quand, suite à la visite du Premier ministre Charles Michel à Pékin, il a fallu procéder à un vote à la Chambre en 2018 concernant un traité d’extradition pour « coopérer efficacement dans la lutte contre la criminalité » avec la Chine – avec une dictature, donc – le projet de loi a été adopté par 76 votes positifs et 61 abstentions. Pas une seule voix ne s’y est opposée.
Dans sa déclaration concernant la situation au Xinjiang(1), le PTB explique que « La manière dont la Chine a pris en main la situation au Xinjiang est problématique » (difficile de dire moins…). Le parti anciennement maoïste compare la situation aux « mensonges concernant les armes de destruction massive qui ont précédé la guerre en Irak ou les mensonges visant à justifier la guerre en Libye » et cible l’impérialisme américain sans jamais se prononcer sur le caractère dictatorial de la Chine ni sur la machine de répression inouïe du pays. Ce « deux poids, deux mesures » est injustifiable. Cette déclaration se termine en disant : « nous ne rentrons pas dans la logique de guerre froide. Au contraire, nous avons besoin d’un large mouvement qui défend le dialogue et la paix. » Mais dialogue entre qui et qui ? Entre l’impérialisme américain et la dictature chinoise ? Et quelle paix ? Celle qui permet à chacun d’exploiter les masses dans son coin à sa manière ?
À l’opposé de l’approche qui vise à choisir un camp impérialiste contre l’autre, nous entendons faire reposer notre campagne de solidarité sur une solidarité de classe entre les travailleurs et les couches opprimées en Chine et à Hong Kong et ailleurs à travers le monde, y compris aux États-Unis, au travers des diverses sections d’Alternative Socialiste Internationale. L’instauration d’une véritable démocratie des travailleuses et travailleurs, une société socialiste démocratique, est la seule manière d’obtenir une paix qui ne soit au détriment d’aucun opprimé.
Prenez contact avec nous pour participer à cette campagne et participez à notre meeting en ligne en présence de camarades de Hong Kong le 14 mai, 19 heures.
1) https://www.ptb.be/la_r_pression_des_ou_ghours_en_chine_et_la_nouvelle_guerre_froide
Libérez Leung Kwok-hung, dit « Cheveux longs »
Notre campagne de solidarité vise notamment à mettre en lumière la situation de l’ancien législateur (député) de Hong Kong Leung Kwok-hung, surnommé « cheveux longs » car il a décidé d’arrêter de se couper les cheveux tant que le régime de Pékin n’aura pas présenté ses excuses pour le massacre de Tienanmen. De même que plus de quarante autres candidats au Conseil législatif (Legco) de Hong Kong, aujourd’hui dissous, il est détenu et risque la prison à vie.
Nous exigeons la libération de tous les prisonniers politiques de Hong Kong, même si nous ne partageons pas leurs idées politiques, car les accusations portées contre eux ne sont qu’un grossier coup monté. Nous souhaitons accorder une attention particulière à “Cheveux longs”, l’une des figures les plus célèbres de la contestation à Hong Kong, car il est le seul représentant de gauche parmi les dirigeants les plus éminents du mouvement démocratique. “Cheveux longs” a activement soutenu les causes des travailleurs en Chine et à Hong Kong, les droits des femmes, des personnes LGBTQI+ et des réfugiés. Il s’est également opposé à l’impérialisme américain. -
Solidarité internationale : défendons les féministes en Chine !

Les attaques de la droite nationaliste et de l’État tentent de faire taire la vague féministe grandissante – des millions de personnes expriment leur solidarité
Déclaration de la campagne « Solidarité contre la répression en Chine et à Hong Kong »
Les activistes des droits des femmes en Chine sont à nouveau attaqués. La dictature chinoise du Parti « communiste » chinois (PCC) se sent menacée par la radicalisation croissante des femmes, qui s’inscrit dans une tendance plus large de radicalisation de la société et des jeunes.
Les attaques suivent un schéma similaire. Tout d’abord, les féministes sont traquées par des trolls internet nationalistes pro-PCC dans le cadre d’une campagne coordonnée. Une vague d’antiféminisme en ligne est directement encouragée par l’État. Deuxièmement, les comptes de réseaux sociaux et les pages de groupe d’éminentes porte-parole sont fermés. Celles-ci sont vilipendées comme ennemies de l’État, puis réduites au silence !
Fin mars, une attaque a eu lieu dans un restaurant de la ville de Chengdu, dans le sud-ouest du pays. Deux femmes ont été agressées par un client après s’être plaintes qu’il fumait. Le fumeur enragé a jeté du liquide bouillant sur les deux femmes qui ont filmé l’agression et l’ont postée sur Weibo, l’équivalent chinois de Twitter. Sa remarque selon laquelle « les hommes qui ne fument pas ne sont pas de vrais hommes » n’a pas aidé son cas.
Les deux femmes en question étaient Xiao Meili et Zheng Churan, deux militantes féministes bien connues. Zheng faisait partie des Feminist Five, qui ont été arrêtées et détenues pendant un mois à la veille de la Journée internationale de lutte pour les droits des femme en 2015. Alternative Socialiste Internationale (ASI, dont le PSL/LSP est la section belge) à Hong Kong a organisé diverses actions de protestation pour exiger la libération des cinq dans le cadre d’une campagne mondiale qui a défendu leur cause.
Les trolls d’extrême droite
Le post de Xiao sur l’agression du restaurant de Chengdu est devenu viral sur Internet, suscitant une écrasante majorité de commentaires favorables, y compris de la part de certains comptes officiels liés au gouvernement. Le lendemain, le compte Weibo d’un important groupe nationaliste a lancé une attaque contre les femmes, en publiant des photos « historiques » de Xiao datant de 2014, dans lesquelles elle exprimait sa solidarité avec le « mouvement des parapluies » de Hong Kong (des mobilisations pro-démocratie). Les trolls ont prétendu à tort qu’elle soutenait « l’indépendance de Hong Kong ». Ce n’était pas le but du Mouvement des parapluies, mais cette étiquette est utilisée par les nationalistes chinois pour attaquer toute personne qui soutient ou montre de la sympathie pour la lutte en faveur de la démocratie à Hong Kong. Un déluge d’attaques en ligne a suivi (en Chine, il peut s’agir de 100.000 ou même de millions de messages).
Zheng a été montrée sur une autre vieille photo portant un ruban jaune, symbole des manifestations pour la démocratie à Hong Kong. Elle a été accusée d’être une « partisane de l’indépendance de Taiwan » (autre sujet tabou sous le régime du PCC). Ces deux femmes et d’autres féministes ont fait l’objet de menaces violentes et d’accusations telles que « xénocentrique », « anti-chinois » et « espionne de la CIA ». Peu après, le compte Weibo de Xiao a été fermé par l’entreprise, ce qui a provoqué les célébrations de la machine à troller.
Ces attaques s’inscrivent dans un schéma familier associant misogynie et nationalisme. Les forces nationalistes de droite à l’origine de ces attaques de trolls sont de facto des auxiliaires de l’État-PCC et bénéficient de sa protection. Leurs thèmes centraux sont le nationalisme, mais aussi le conservatisme social. Le féminisme est donc un anathème. Ils accusent les féministes d’être « corrompues » par des valeurs étrangères. Tout à leurs yeux est un complot de l’Occident pour détruire la Chine. Les nationalistes soutiennent la dictature, une Chine forte (l’impérialisme) et la suprématie des Han. Ils incitent au racisme contre les minorités comme les musulmans. Certaines de ces couches évoluent vers le fascisme. En plus de cette armée en ligne « non officielle », l’État-PCC emploie directement deux millions de policiers Internet à plein temps et 20 millions d’employés à temps partiel.
Plus de 20 comptes de féministes et de groupes de défense des droits des femmes ont depuis été fermés par Weibo avec l’explication que leur contenu est « nuisible », « illégal » ou pourrait « inciter aux antagonismes ». « Nous avons été collectivement réduites au silence par une répression à sur Internet qui a frappé comme un tsunami », a déclaré l’une de ces femmes à CNN. Il est clair que l’État-PCC se trouve derrière cette répression. La question est de savoir pourquoi.

Liang Xiaomen, à gauche, Xiao Meili et Zheng Churan font partie des nombreuses féministes chinoises attaquées et réduites au silence par des trolls nationalistes sur les réseaux sociaux (CNN). Le mouvement 6B4T
Dans un développement séparé mais lié, plus de dix groupes féministes ont été retirés de Douban, une autre plateforme en ligne. Douban est un site de critiques de livres et de films qui sert de forum de discussion pour différents groupes, principalement des jeunes. L’un des groupes de discussion féministes fermés dans le cadre de cette répression comptait 40.000 membres.
Les groupes visés étaient principalement des adeptes de la culture radicale 6B4T, encore très marginale au sein de la vague croissante de féminisme chinois, qui prône le boycott ou la « grève » des relations avec les hommes, du mariage et de la procréation. Le mouvement 6B4T a vu le jour en Corée du Sud, société confucéenne comme la Chine, où le capitalisme est profondément patriarcal et où l’oppression des femmes prend des formes extrêmes.
Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi le message du mouvement 6B4T a attiré un grand nombre d’adeptes, principalement des jeunes femmes, en Chine, dans un régime capitaliste totalitaire aussi dur, où aucune forme de protestation collective, d’organisation ou de politique n’est autorisée et où de nombreuses couches de la société éprouvent un profond sentiment d’impuissance. Le PCC a ressuscité de nombreuses structures de contrôle patriarcales qui avaient partiellement disparu ou avaient été reléguées à l’arrière-plan pendant l’ère révolutionnaire des années 1950-70, avant le début de la restauration capitaliste.
Le PCC d’aujourd’hui considère les droits des femmes comme un obstacle à son pouvoir et à sa mission de grande puissance. Cette dynamique est renforcée par l’intensification de la guerre froide avec l’impérialisme américain. Plutôt que de s’ouvrir et de devenir plus démocratique, et plus tolérant à l’égard des divers courants de protestation, le régime de Xi continue de devenir de plus en plus répressif.
L’attitude du régime à l’égard du mouvement naissant des femmes et de la conscience féministe est contradictoire. C’est devenu une tendance majeure, comme en témoigne l’attention suscitée par le mouvement #MeToo en Chine, malgré les tentatives des autorités pour le limiter. Le dernier exemple en date est le licenciement, le 15 avril, d’un professeur de l’université de Wuhan qui avait harcelé sexuellement au moins 18 étudiantes. L’affaire a attiré l’attention de tout le pays sur les réseaux sociaux parce que les femmes se sont dressées contre leur agresseur et ont refusé que l’affaire soit étouffée.
Le régime a peur de lancer directement une vaste campagne de répression, avec des arrestations et des persécutions massives de féministes, car cela le mettrait en conflit avec une partie importante de l’opinion publique, qui n’est pas satisfaite de la situation actuelle des femmes. Mais en même temps, le PCC craint le soutien croissant dont bénéficie le féminisme, comme il craint tous les processus sociaux qui échappent à son contrôle. Même lorsqu’un mouvement n’est pas une force organisée, comme ce n’était pas le cas à Hong Kong en 2019, une fois que les idées entrent dans la conscience de masse, elles deviennent une menace pour toute élite dirigeante, comme c’est le cas ici avec la dictature chinoise.

Manifestations à l’université de Wuhan après la révélation des cas de harcèlement sexuel d’un professeur associé alors que les féministes sont intimidées pour être réduites au silence. La crise démographique
Un autre facteur clé qui explique les attaques contre les féministes chinoises est la chute catastrophique du taux de natalité en Chine, qui est le plus bas depuis 1949 et a encore baissé de 15 % l’année dernière. Le nombre de naissances pourrait passer sous la barre des 10 millions par an au cours des cinq prochaines années, selon Dong Yuzheng, directeur de l’Académie du développement démographique du Guangdong. Ce chiffre est à comparer aux 25 millions de naissances enregistrées en 1987 (sept ans après l’imposition de la politique de l’enfant unique).
La population chinoise entre dans une phase de déclin, ce qui devient encore plus gênant pour Xi Jinping dans le contexte de la rivalité historique entre les États-Unis et la Chine. La taille de la main-d’œuvre de « l’usine du monde » a diminué pendant huit années consécutives. Les causes du malaise démographique chinois sont complexes, en partie un héritage de la politique de l’enfant unique, qui a été abrogée en 2016 sans toutefois inverser le déclin des naissances. Cela est d’autant plus dû au coût punitif d’avoir un enfant en Chine, l’éducation, le logement et les soins de santé étant tous extrêmement chers.
Ayant réadopté une vision confucéenne dépassée, le régime de Xi promeut le mariage hétérosexuel et « l’harmonie familiale » comme un moyen de contrôle important pour assurer la « stabilité » politique et sociale. En conséquence, les femmes – tout comme les minorités nationales non han et les Hongkongais avides de démocratie – doivent être contrôlées. Le PCC, lorsqu’il était une force révolutionnaire, était militairement anti-confucéen, une idéologie qui met l’accent sur l’obéissance à l’autorité des citoyens au gouvernement et des femmes aux hommes. La restauration d’un capitalisme brutal en Chine a sapé la position des femmes au travail et à l’école et a fait renaître des idées réactionnaires et des structures sociales même précapitalistes.
Les jeunes Chinois mènent un style de vie sous haute pression et financièrement précaire, avec des niveaux d’endettement des ménages qui montent en flèche, notamment en raison du coût du logement. Cette situation dissuade de plus en plus de se marier et d’avoir des enfants. Selon les statistiques officielles, le nombre de personnes se mariant a chuté de 41 %, passant de 23,8 millions en 2013 à 13,9 millions en 2019. L’héritage de la politique de l’enfant unique et la pratique illégale mais répandue des avortements sélectifs selon le sexe ont fait que les hommes sont désormais 30 millions de plus que les femmes. Le trafic « d’épouses » importées en Chine depuis des pays plus pauvres comme le Myanmar, le Cambodge et même l’Ukraine se chiffre désormais en milliers de victimes chaque année. Ces dernières années, le régime envisage également des campagnes plus agressives pour convaincre les femmes d’avoir plus de bébés.
Le gouvernement prévoit une réforme des retraites dans le cadre du dernier plan quinquennal (2021-25) qui conférera une « égalité » en augmentant l’âge de la retraite des femmes de cinq ans. L’année dernière, le pays a adopté une nouvelle loi sur le divorce, qui impose une période de « réflexion » obligatoire de 30 jours – une politique largement critiquée par les féministes et la gauche. Cette politique rend le divorce plus difficile car si l’une des parties décide de faire marche arrière pendant la période de 30 jours, le processus doit recommencer avec une nouvelle demande.
Woment Unite !
Au moment où nous écrivons ces lignes, le blocage des plateformes féministes se poursuit. La chasse aux sorcières nationaliste contre le féminisme ne se calme pas. Certains spéculent même que cette campagne peut avoir un autre motif : le régime de Xi veut détourner l’attention alors qu’il tente de désamorcer les tensions avec les États-Unis (une démarche peu populaire chez les nationalistes chinois).
Les attaques contre les comptes féministes sur les réseaux sociaux ont attiré l’attention à grande échelle. Xianzi, une féministe très en vue qui a porté plainte pour agression sexuelle en 2018 contre une célébrité de la télévision, a déclaré sa solidarité avec les sœurs de Douban. Le hashtag “Women Unite” en protestation contre les fermetures de compte a germé sur Weibo et a été vu 50 millions de fois.
La suppression des groupements féministes est également un avertissement que le régime de Xi s’apprête à élargir sa répression contre toutes les couches d’opposition potentielles. Cela peut conduire à de nouvelles attaques contre les luttes des travailleurs, les jeunes de gauche, les minorités ethniques, les journalistes d’investigation, etc. Pour Xi, le 20e Congrès du PCC de l’année prochaine et son couronnement pour un troisième mandat (il en espère d’autres, alors qu’un 3e mandat est un événement inédit) sont les priorités absolues et sa crainte de troubles sociaux et politiques est encore plus grande. L’association de la lutte des femmes, de la défense des droits des minorités ethniques et de la construction d’un mouvement ouvrier indépendant est la clé pour changer la situation. Non pas en tant que « questions individuelles », mais en tant que mouvement uni des opprimés contre le capitalisme, le patriarcat et le totalitarisme.
La campagne « Solidarité contre la répression en Chine et à Hong Kong » et Alternative Socialiste Internationale protestent contre les attaques contre les féministes en Chine. Nous exhortons nos sympathisants et nos lecteurs à agir. Partagez largement cet article et traduisez-le, notamment pour alerter le mouvement des femmes dans votre pays. Veuillez également montrer votre soutien par des photos et des vidéos en utilisant ces pancartes, que vous pouvez télécharger ici.
- Solidarité avec les féministes en Chine !
- Non à la persécution et à la répression des féministes sur Weibo et Douban. Nous exigeons la liberté d’expression !
- Pour une lutte unifiée contre le capitalisme et la dictature !

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Chine : Le monde irréel de Xi Jinping

La propagande du régime chinois passe à la vitesse supérieure alors que Xi se positionne pour un troisième mandat sans précédent. Il existe un fossé énorme et grandissant entre la réalité et la façon dont la dictature chinoise présente la réalité. À l’approche du 100e anniversaire de la fondation du Parti communiste chinois (PCC), en juillet, et alors que le dictateur Xi Jinping a besoin d’une série ininterrompue de «victoires» pour assurer sa position avant le remaniement du régime de l’année prochaine, la machine de propagande de l’État est passée à la vitesse supérieure.
Par Vincent Kolo, chinaworker.info
De même, le grotesque culte de la personnalité qui s’est construit autour de Xi a atteint de nouveaux sommets (ou de nouvelles profondeurs). En février, le Quotidien du Peuple a mentionné 139 fois le nom de Xi dans un article célébrant la «victoire complète» de la Chine dans l’éradication de la pauvreté. Comme nous allons le montrer, la campagne anti-pauvreté de Xi est un nouveau triomphe de la propagande sur la réalité. L’extrême susceptibilité du régime de Xi est révélée par le dernier sujet interdit par les censeurs de l’internet : le caractère chinois utilisé pour désigner le terme «émeraude» a commencé à se répandre comme une forme de protestation des net-citoyens chinois parce qu’il peut également être lu comme «Xi meurt deux fois».
Xi est confronté à de multiples défis à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Il s’agit d’une crise sans précédent, voire existentielle, pour son régime et le PCC-État. C’est ce que montrent un certain nombre de nouvelles politiques et déclarations relatives à la «réduction des risques financiers» (le niveau d’endettement de la Chine dépasse désormais celui du Japon à son point culminant), à l’accélération de la création d’une «armée entièrement moderne» d’ici 2027 (pour contrer la pression des États-Unis, qui se poursuivra certainement sous la direction de Biden), ainsi qu’à la «stratégie de double circulation» trop compliquée de Xi, qui vise à stimuler les dépenses de consommation de la Chine afin de compenser la démondialisation et les politiques protectionnistes anti-chinoises.
20e Congrès du PCC
Xi est également confronté à des défis au sein du parti-État. La question clé est le 20e Congrès du PCC de l’année prochaine et l’objectif de Xi de rompre avec les limites traditionnelles du pouvoir et de prolonger son règne pour un troisième mandat – et au-delà – en tant que secrétaire général et président du PCC. Son objectif est de devenir dirigeant à vie. Au cours de son premier mandat, de 2012 à 2017, Xi a partiellement réussi à mettre fin aux luttes de pouvoir entre factions au plus haut niveau en menant la plus grande campagne anti-corruption jamais réalisée en Chine. En réalité, il s’agissait d’une couverture pour une purge ciblée sur les factions visant à éliminer ses ennemis et à consolider un pouvoir sans précédent entre les mains de Xi. Comme nous l’avons expliqué, le régime chinois est passé de la «dictature d’un parti unique» à la «dictature d’un seul homme».
Mais les luttes intestines au sein du PCC ont repris de plus belle, en raison de la crise de la société et des relations internationales. Aujourd’hui, cette lutte pour le pouvoir est la plus grave depuis la période précédant et suivant immédiatement le massacre de Pékin en 1989. Si, selon les tendances actuelles, Xi parviendra probablement à prolonger son règne, le mécontentement croissant et les manœuvres des factions dans les hautes sphères du parti-État pourraient le contraindre à faire des compromis. La période qui suivra le Congrès de 2022 pourrait voir un alignement différent des forces et une plus grande instabilité au sein du PCC. En fin de compte, les conflits au sein de la classe dirigeante reflètent les processus sociaux et la marée montante du mécontentement de la classe ouvrière.
Les lignes de division à l’intérieur du parti-État ne sont pas clairement définies ou établies, elles ne portent pas en fin de compte sur des idées politiques mais sur le pouvoir : les hauts rangs du PCC sont un assemblage d’oligarques capitalistes contrôlant de vastes empires commerciaux. Au sein de ces couches, on constate un pessimisme croissant, car tout va mal.
Certaines factions anti-Xi sont mal à l’aise avec sa diplomatie ultranationaliste et impériale dite du «guerrier loup», utilisée pour faire pression sur d’autres gouvernements, comme le montrent les différends avec l’Australie, le Canada, l’Inde et Taïwan. Cette partie de la classe dirigeante préférerait un retour à la doctrine de politique étrangère plus discrète et pragmatique de Deng Xiaoping («cachez vos capacités et attendez votre heure») comme moyen de désamorcer les tensions mondiales, notamment avec les États-Unis.
Au lieu de cela, tel un lézard à collerette qui gonfle son cou, le régime de Xi exagère sa puissance économique et ses capacités mondiales, en partie comme outil de diplomatie, mais surtout pour renforcer l’aura d’«homme fort» nationaliste Han dont Xi Jinping a besoin pour continuer à gouverner. La politique étrangère agressive de la Chine – sur la frontière contestée avec l’Inde, l’escalade des exercices militaires dans le détroit de Taïwan et en mer de Chine méridionale, la détention de deux citoyens canadiens en représailles à la détention de l’héritière de Huawei, Meng Wanzhou, à Vancouver – tout cela sert un double objectif : faire pression sur les gouvernements étrangers, mais aussi alimenter la machine de propagande intérieure.
Redoublement de la répression
Une autre source de malaise est l’augmentation incessante de la répression. C’est la caractéristique la plus frappante du règne de Xi. Les factions anti-Xi sont loin d’être composées de libéraux indulgents. Aucun d’entre eux n’hésiterait à ordonner à la police de réprimer des manifestations de rue ou des grèves de travailleurs et travailleuses. Mais les mesures de répression brutales prises par Xi à Hong Kong, en Mongolie intérieure et surtout au Xinjian – et sa «position par défaut» consistant à intensifier ses politiques dures chaque fois qu’elles rencontrent une résistance – deviennent de plus en plus contre-productives.
Il y a au moins quatre raisons à cela. Premièrement, la répression vicieuse, qui dans le cas du Xinjiang a atteint des niveaux orwelliens, ne crée pas la stabilité, qui est l’objectif déclaré. En fin de compte, elle pousse la Chine vers des explosions révolutionnaires. Certaines sections de la hiérarchie du PCC le craignent. Les manifestations démocratiques de masse de Hong Kong en 2019 ont donné un avant-goût, à l’échelle locale, de la direction que pourrait prendre la Chine. Deuxièmement, cela donne à Biden et à d’autres dirigeants occidentaux des munitions avec lesquelles ils peuvent influencer l’opinion publique mondiale et cacher leurs stratégies de guerre froide contre la Chine derrière un récit de «droits de l’homme» et de «démocratie».
Troisièmement, la tyrannie du régime de Xi a pris un caractère différent, même par rapport au passé. Parce qu’elle est également dirigée en interne vers la surveillance et le maintien de l’ordre de l’élite du PCC. Cai Xia, ancien professeur à la prestigieuse École centrale du Parti du PCC (l’incubateur des futurs hauts fonctionnaires), affirme que la Chine sous Xi est entrée dans une «ère totalitaire raffinée» qui a dépassée le totalitarisme de Mao et même d’Hitler. «L’utilisation de technologies avancées. Une surveillance stricte permise par le big data. Il peut surveiller précisément tout le monde. Il peut vous placer sous une surveillance étroite 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7», a-t-elle déclaré à Radio Free Asia (5 octobre 2020).
Cai, qui a fait défection aux États-Unis en 2020, est proche de certains princes du PCC – la «noblesse rouge» de la Chine – qui forme le noyau de la classe capitaliste. Cette couche a initialement soutenu Xi, lui-même un prince, mais elle est de plus en plus mécontente. Cai affirme que la faction dirigeante de Xi, appelée «faction Zhejiang» du nom de la province orientale où nombre de ses membres ont fait carrière, ne bénéficie du soutien inconditionnel que d’environ dix pour cent des fonctionnaires du PCC de niveau intermédiaire et supérieur. La majorité d’entre eux ne sont pas disposés à s’opposer ouvertement à Xi à ce stade, mais leur «soutien» est passif, dit-elle. Bien que son compte rendu de l’équilibre interne des forces puisse être exagéré à des fins factieuses, d’autres développements importants confirment l’existence d’une dissidence généralisée mais discrète – nous pourrions même dire «passive agressive» – à différents niveaux du parti-État.
L’expression la plus claire de ce phénomène est la lutte de pouvoir de plus en plus ouverte entre Xi et Li Keqiang, le premier ministre. Les médias d’État, contrôlés par la faction de Xi, ont même censuré les discours du premier ministre – une situation inédite depuis la Révolution culturelle des années 1960. Depuis son entrée en fonction aux côtés de Xi en 2012, Li a gardé un profil bas. Mais l’année dernière, il est devenu le porte-parole de la dissidence interne du PCC, lâchant un certain nombre de «bombes» médiatiques qui constituent une critique indirecte des politiques de Xi. Ce fut le cas à la fin du Congrès national du peuple de l’année dernière, en mai, lorsque Li a annoncé aux médias que 600 millions de Chinois, soit 43% de la population, ne gagnaient pas plus de 150 dollars américains par mois. Il s’agissait d’un retour à la réalité et d’un revers de la médaille de la campagne d’éradication de la pauvreté, qui porte le sceau officiel de Xi.
Le témoignage de Cai Xia est révélateur. «À part le clan de Xi, nous savons tous que nous ne pouvons pas continuer comme ça», a-t-elle déclaré à Radio Free Asia. Malgré son impopularité croissante, Cai reconnaît que Xi Jinping ne peut pas être destitué par des moyens «normaux». «Peut-être qu’une sorte d’urgence ou un accident inattendu pourrait déclencher des changements explosifs», telle est sa conclusion.
Une quatrième cause d’effervescence est que les mesures extrêmes de l’État policier de Xi ont pour effet de neutraliser le régime à prévoir et à gérer de nouvelles crises. Cela a été démontré avec des répercussions mondiales dévastatrices lorsque l’épidémie de coronavirus a débuté à Wuhan. Malgré la dissimulation qui a suivi, la vérité est que, pendant les semaines cruciales qui ont précédé le 20 janvier 2020, le régime de Xi a été pris au dépourvu par l’obsession du Parti-État pour le secret et les actions de son appareil de sécurité, qui a écrasé avec une efficacité brutale toute tentative de tirer la sonnette d’alarme.
Le système chinois est «supérieur»
Seules les réponses tragico-comiques à la pandémie des gouvernements occidentaux sous la pression des grandes entreprises ont permis à Xi de détourner l’attention et de se remettre partiellement de l’épisode de Wuhan. Wuhan n’était pas un exemple isolé de paralysie gouvernementale face à des crises soudaines. L’éruption de plus d’un million de manifestations à Hong Kong à partir de juin 2019, et les premières attaques de guerre commerciale de l’administration Trump un an plus tôt, sont deux développements qui n’avaient pas été prévus par le régime de Xi et qui ont été initialement accueillis par une inaction stupéfiante.
Un thème clé de la propagande du PCC est la «supériorité» du système politique (totalitaire) de la Chine par rapport à la «démocratie de style occidental». Les «victoires» sur la Covid-19, le rebond économique de la Chine en 2020 et l’éradication de la pauvreté en sont la preuve. De même, la «diplomatie des vaccins» de la Chine, qui consiste à expédier de grandes quantités de vaccins fabriqués en Chine vers les pays les plus pauvres, est utilisée pour éclipser et couvrir de honte la position impitoyable de l’impérialisme occidental. Il est clair que la crise profonde de la démocratie bourgeoise partout, mais surtout aux États-Unis, avec l’émergence d’une figure instable et autoritaire comme Trump, a apporté de l’eau au moulin de la propagande du PCC.
Cependant, il y a une raison pour laquelle, historiquement, le capitalisme préfère les formes de gouvernement parlementaires ou «démocratiques» aux dictatures militaro-policières. L’inconvénient pour les capitalistes est que dans une démocratie bourgeoise, la classe ouvrière gagne certains droits politiques limités mais cruciaux : former des syndicats, des partis politiques, ses propres médias, et utiliser cet espace démocratique pour débattre et clarifier les idées et les méthodes de lutte nécessaires pour combattre le capitalisme. Dans une société capitaliste totalitaire comme la Chine, tous ces droits sont brutalement supprimés.
Les capitalistes préfèrent et général un système «démocratique», car il offre une forme de pouvoir plus stable. Un «système multipartite» (dans lequel tout ou presque tous les partis sont des partis capitalistes) peut agir comme une soupape de sécurité pour libérer la pression des masses. Les institutions de la démocratie parlementaire, la presse, le système judiciaire, offrent des mécanismes de «vérification» et de «contre poids» pour contrôler le groupe dirigeant et l’empêcher de s’éloigner trop des intérêts du capital.
Les régimes totalitaires, en revanche, surtout en période de crise économique et de tensions de classe accrues, ont tendance à exploser et à s’effondrer. Aucune section significative du PCC et de la classe capitaliste chinoise n’est favorable à un passage à un modèle démocratique bourgeois. Le capitalisme a été restauré en Chine après l’écrasement du mouvement démocratique de masse de la place Tiananmen (avec des mouvements de masse et des grèves dans plus de 300 villes), mais le régime de Deng Xiaoping a consciemment choisi une voie vers le capitalisme qui a préservé d’importants contrôles étatiques et rejeté la démocratie bourgeoise.
Les éléments libéraux du PCC préconisent tout au plus une dictature modifiée – une «réforme politique» – avec moins de répression et moins de contrôles politiques et sociaux. Mais il y a sûrement des protagonistes dans la lutte actuelle pour le pouvoir du PCC qui envient la classe dirigeante américaine, qui par le biais d’une élection a été capable de régler le «problème Trump», alors que pour le «Trump chinois», cela n’est pas une option.
100e anniversaire
Le 100e anniversaire du PCC donnera lieu à un Niagara de propagande nationaliste pour faire passer le message que, sans la dictature du PCC, la Chine est perdue. Mais il y a un autre aspect aux célébrations. Elles seront détournées par la faction de Xi comme une arme dans la lutte interne pour le pouvoir. Le culte de la personnalité atteindra de nouveaux sommets pour cimenter le statut de Xi en tant que «plus grand leader depuis Mao». Ceci est conçu pour s’assurer qu’il n’y ait pas de dérapages avant le 20e Congrès de l’année prochaine et le couronnement de Xi pour un troisième mandat.
Les idées qui ont inspiré les pionniers du PCC il y a un siècle – la lutte des classes, l’anticapitalisme, la démocratie, l’internationalisme et la révolution russe – sont tous des sujets subversifs pour les dirigeants d’aujourd’hui. Ils seront enterrés sous des thèmes nationalistes tels que l’écrasement du «séparatisme de Taïwan», la résistance aux «forces anti-chinoises» et la réalisation du «grand rajeunissement de la nation chinoise».
Dans la perspective du 20e Congrès, Xi ne peut se permettre aucun revers sérieux au cours des douze prochains mois – aucune nouvelle éruption de type Hong Kong. Après une campagne de pression au cours des premières semaines du mandat de M. Biden, sur Taïwan, la mer de Chine méridionale et l’étranglement politique de Hong Kong par le PCC, Pékin pourrait tenter d’apaiser les tensions en proposant une coopération au moins dans certains domaines spécifiques tels que le changement climatique. Il n’est pas exclu qu’un processus limité de détente se produise, mais il sera fragile et temporaire. Sur le front intérieur, nous pouvons nous attendre à une succession de «victoires» à célébrer, toutes étant bien entendu orchestrées par Xi personnellement.
Cela inclut l’économie. La Chine a la particularité d’être la seule grande économie a avoir connu une croissance en 2020, bien qu’elle soit la plus faible depuis 1976. Comme c’est toujours le cas, certaines manipulations statistiques ont été utilisées. Néanmoins, si l’on s’en tient aux chiffres officiels, l’économie chinoise a progressé de 2,3% l’année dernière, tandis que l’Allemagne a enregistré une contraction de 5% et les États-Unis de 3,5%.
Cette année, le PIB de la Chine devrait augmenter de 8%, certains prévoyant même une croissance de 10%. Bien que cela puisse attirer l’attention, les données du PIB de cette année seront flattées par le faible «effet de base» à partir de 2020. Sur deux ans, même une croissance de 8% en 2021 correspondrait à un taux de croissance composé inférieur à 6%, soit un ralentissement continu par rapport à 2019 (6,1%).
Une reprise en forme de K
En outre, la Chine a connu une reprise en forme de K. Les personnes gagnant plus de 300 000 yuans (environ 48 400 dollars américains) par an – soit à peine 5% de la population – ont vu leur patrimoine augmenter en 2020, selon l’enquête sur les finances des ménages chinois. Mais au moins deux tiers de la population ont vu leurs revenus baisser en termes réels. Selon le Bureau national des statistiques, le revenu réel disponible n’a augmenté que de 0,6% au cours des trois premiers trimestres de 2020 par rapport à l’année précédente. Ce chiffre est à comparer à une augmentation de 6 pour cent en 2019.
Le niveau d’endettement des ménages, après avoir quadruplé au cours des cinq dernières années, a augmenté pour atteindre 62,2 pour cent du PIB en 2020. Ce chiffre est à comparer aux 76% enregistrés aux États-Unis. Ici, le taux de rattrapage est étonnant. En 2008, le ratio dette des ménages/PIB en Chine était de 18%, contre 99% aux États-Unis. Cela s’explique avant tout par la bulle du marché immobilier chinois, qui compte parmi les plus chers du monde. Selon le China Daily, Shanghai, Shenzhen et Pékin ont les quatrième, cinquième et sixième logements les plus chers du monde. Hong Kong occupe la première place.
Pour la première fois depuis 2009, pas une seule province n’a augmenté le salaire minimum l’année dernière. Tout porte à croire que ce gel des salaires sera prolongé en 2021. Cela explique pourquoi la consommation par habitant, après correction de l’inflation, a chuté de 4% en 2020, la première baisse de ce type depuis 1969. Le seul secteur qui a échappé à la tendance est celui des produits de luxe, qui a connu une croissance de près de 50% l’an dernier. Par conséquent, la croissance du PIB atteinte en 2020 ne repose pas sur une consommation plus forte, qui est l’objectif central de la «stratégie de double circulation» de Xi, mais plutôt sur les facteurs mêmes que cette soi-disant stratégie a été conçue pour éviter : des niveaux d’endettement plus élevés, une plus grande dépendance aux exportations et une bulle immobilière.
Les exportations ont augmenté de 3,6% en 2020 grâce à l’effet d’aubaine créé par la pandémie et les blocages successifs dans d’autres pays. La Chine est devenue «l’exportateur de dernier recours». Les exportations chinoises de produits médicaux critiques pour la Covid-19 ont plus que triplé au cours du premier semestre, passant de 18 milliards à 55 milliards de dollars US. Les exportations de produits électroniques et surtout de produits de travail à domicile ont connu une hausse similaire. Il est peu probable que ces gains exceptionnels se reproduisent.
La dette combinée du secteur public, des entreprises et des ménages chinois atteindra 280% du PIB en 2020, contre 255% en 2019, selon la Banque populaire de Chine (PBoC, banque centrale). Ce chiffre atteint environ 295% du PIB si l’on tient compte de la dette extérieure (que la PBoC estime à 14,5% du PIB). Il s’ensuit que la modeste croissance de 2,3% de la Chine a été obtenue grâce à la plus forte augmentation de sa dette jamais enregistrée. Cette situation n’est pas viable. Les tensions sur les marchés obligataires chinois, avec une série de défauts de paiement de la part de certaines grandes entreprises d’État, laissent entrevoir les premières fissures sérieuses du système financier.
Croissance des idées de gauche
Pour les super-riches cependant, dont la plupart sont membres du PCC et intégrés dans les structures de pouvoir de l’État PCC, 2020 a vu la «croissance la plus rapide jamais enregistrée», selon la liste Hurun basée à Shanghai. La Chine a créé 257 nouveaux milliardaires au cours de l’année, soit un rythme de cinq nouveaux milliardaires par semaine. Leur richesse combinée a augmenté de 60% pour atteindre 4 000 milliards de dollars américains.
La Chine «s’éloigne des États-Unis», selon Hurun, avec 1 058 milliardaires contre 696 pour les États-Unis. À l’occasion du 100e anniversaire du PCC, le régime de Xi se livrera à des contorsions politiques pour masquer la réalité. Le caractère de classe et la politique des communistes des années 1920 étaient à l’opposé de l’oligarchie capitaliste autoritaire d’aujourd’hui.
La radicalisation politique croissante de la jeunesse chinoise, et plus particulièrement la croissance explosive du «pan-gauchisme» et notamment du «maoïsme», est une évolution inquiétante, potentiellement ruineuse, pour le PCC. Ironiquement, ce que nous voyons dans le cas de la Chine n’est pas le maoïsme conventionnel. Il est plutôt devenu un terme générique pour une multiplicité d’idées gauchistes.
De nombreux jeunes maoïstes en Chine soutiennent l’internationalisme, le féminisme, les droits des LGBTQ et des minorités ethniques. Ces jeunes sont profondément critiques et même carrément opposés au régime du PCC en tant que régime capitaliste, même si, pour des raisons évidentes, ces critiques sont exprimées de manière prudente. En d’autres termes, ils ont un point de vue diamétralement opposé à celui de certains maoïstes internationaux qui soutiennent servilement le régime de Xi et ses politiques répressives au Xinjiang, à Hong Kong et contre les grèves des travailleurs et travailleuses.
«Pendant la pandémie de 2020, j’ai remarqué que les jeunes en Chine se sont déplacés loin vers la gauche», déclare Liang, un partisan d’Alternative Socialiste Internationale (ASI) en Chine. Selon lui, la croissance de la conscience anti-establishment est désormais répandue dans la société, ce qui inclut le maoïsme mais ne s’y limite pas. «Il y a dix ans, l’idéologie la plus répandue sur l’internet chinois était le libéralisme. Aujourd’hui, c’est la gauche qui domine. Il y a quelques années encore, Jack Ma [propriétaire d’Alibaba] était vénéré comme le «Père Ma», aujourd’hui il est traité de vampire et de capitaliste suceur de sang», explique Liang. La colère suscitée par le fossé béant entre riches et pauvres, et en particulier par le traitement misérable réservé aux 290 millions de travailleurs et travailleuses migrantes des provinces intérieures les plus pauvres de la Chine, est l’un des principaux moteurs de la radicalisation politique actuelle.
L’éradication de la pauvreté
Les célébrations de la «victoire complète» de Xi Jinping dans l’éradication de la pauvreté sont une tentative de détourner l’attention de ces réalités. Non seulement le régime a proclamé ce «miracle sur terre», mais il a même supprimé le mot «pauvreté» du nom officiel de l’agence de lutte contre la pauvreté, ce qui laisse penser que toute référence à la «pauvreté» sera interdite à l’avenir.
Chen Hongtao, l’un des rédacteurs du site web maoïste Red China, a été arrêté en février pour avoir publié un article exposant la nature frauduleuse de la campagne d’éradication de la pauvreté. Sur ce sujet comme sur beaucoup d’autres, les affirmations du régime sont largement discréditées, en particulier par la gauche en Chine, tandis que les «gauches» néo-staliniennes au niveau international semblent heureuses de gober ces absurdités.
La campagne de Xi a été lancée en 2013 dans le but conscient de sortir les 100 millions de personnes restantes de «l’extrême pauvreté» d’ici à la fin de 2020. Étant donné que son prestige personnel était investi dans cette entreprise, il n’y avait aucune possibilité que cette échéance soit dépassée. La réalité, une fois de plus, est réécrite au service de la dictature.
Le gouvernement a alloué 1 600 milliards de yuans à la lutte contre la pauvreté, qui ont été utilisés pour des investissements dans les routes et les infrastructures de certaines régions extrêmement pauvres et pour le relogement de 10 millions de personnes. C’était là un aspect de l’histoire. L’autre est la falsification généralisée des données, la coercition et la falsification des réalisations par les gouvernements locaux pour atteindre leurs objectifs de lutte contre la pauvreté. La campagne a utilisé une base très basse pour définir «l’extrême pauvreté», fixée à 2,30 dollars par personne et par jour. Ce chiffre est inférieur au seuil de pauvreté de 3,20 dollars par jour que la Banque mondiale applique à l’Inde, et représente moins de la moitié du niveau qu’elle recommande pour un pays à revenu intermédiaire supérieur comme la Chine.
Contrecoup des vaccins
Un autre domaine où la propagande du régime masque la réalité est la lutte de la Chine contre la Covid-19. Xi Jinping a déclaré la «victoire» sur la pandémie lors d’une cérémonie de remise de prix à Pékin le 8 septembre dernier. Cette déclaration était prématurée et de nouvelles épidémies sont apparues depuis. Bien que le nombre de nouvelles infections soit faible par rapport aux normes internationales, plusieurs fermetures à grande échelle ont eu lieu.
Dans la province de Hebei, voisine de Pékin, plus de 22 millions de personnes ont reçu l’ordre de rester chez elles pendant plus d’une semaine en janvier. Cette mesure a été deux fois plus importante que le confinement de Wuhan en 2020. Des confinements similaires impliquant des dizaines de millions de personnes ont eu lieu au Xinjiang (juillet-août 2020), à Jilin et à Heilongjiang (janvier 2021). Il y a des frictions entre Pékin et les gouvernements régionaux, dont certains, selon Pékin, se sont montrés trop empressés à imposer des confinements. Il s’agit là aussi d’une caractéristique de la lutte pour le pouvoir au sein du PCC.
Actuellement, le déploiement des vaccins par le régime est assailli de problèmes. Si la Chine a gagné du terrain grâce à sa «diplomatie du vaccin» – l’exportation de vaccins vers 80 pays pour la plupart à revenu faible ou intermédiaire et qui ont été boudés par les puissances occidentales et leurs fabricants de vaccins – son programme national de vaccination va mal. La Chine a expédié plus de vaccins à l’étranger qu’elle n’en a administré à sa propre population, 46 millions contre 40,5 millions, selon une analyse du South China Morning Post du 15 février.
Non seulement la Chine doit relever le défi de vacciner une population quatre fois plus importante que celle des États-Unis, mais elle se heurte à la méfiance généralisée du public. Cette situation est due aux nombreux scandales impliquant des vaccins, des médicaments et des produits alimentaires dangereux, périmés ou contaminés au cours des dernières décennies. Le manque de transparence et le refus des fabricants de vaccins chinois de divulguer certaines données d’essais ont renforcé les doutes de la population. Une enquête menée à Shanghai a montré que la moitié de la population ne prévoyait pas de se faire vacciner. Selon une autre enquête, 28% seulement du personnel médical de la province du Zhejiang souhaitait se faire vacciner.
Les vaccins chinois, qui jusqu’à présent n’ont été approuvés que pour les personnes de moins de 60 ans, n’ont pas obtenu de bons résultats par rapport aux alternatives occidentales. Le vaccin de Sinovac a atteint un taux d’efficacité de seulement 50,4% lors d’essais au Brésil et de 65,3% en Indonésie. En comparaison, le taux d’efficacité est de 95% pour le vaccin de Pfizer et de 94,1% pour celui de Moderna (deux sociétés américaines). Le Financial Times a fait état de retards de production dans les usines de Sinovac en Chine et d’une pénurie de flacons en verre importés nécessaires au stockage des vaccins.
Le scepticisme à l’égard des vaccins chinois a également fait perdre de l’éclat à l’offensive diplomatique mondiale. En décembre, le dictateur cambodgien Hun Sen, habituellement un partisan servile du PCC, a refusé d’accepter les vaccins chinois à moins qu’ils ne soient approuvés par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). «Le Cambodge n’est pas une poubelle», a-t-il déclaré.
Bien que l’OMS soit toujours en train d’évaluer les vaccins chinois, le gouvernement cambodgien a pris livraison de son premier lot en janvier. Mais Hun, qui est âgé de 68 ans, a dû renoncer à sa propre vaccination sur les conseils des responsables chinois. «La sécurité et l’efficacité du vaccin pour les personnes de plus de 60 ans sont encore à l’étude», a-t-il déclaré. Aux Philippines, où un autre dirigeant autoritaire, Rodrigo Duterte, fait la promotion des vaccins chinois, moins de 20% des personnes interrogées dans le cadre d’un sondage ont exprimé leur confiance dans ces derniers.
La Hongrie est le seul pays de l’Union européenne à utiliser les vaccins chinois, ce qui est bien sûr lié à la position anti-européenne du gouvernement de droite d’Orban. Mais un sondage réalisé en février a montré que seuls 27% des Hongrois et Hongroises étaient prêts à se faire vacciner avec le vaccin chinois, bien que ce pourcentage soit passé à 45% chez les partisans du parti au pouvoir.
Malgré sa bravade et son souci de ne rien laisser «gâcher la fête», alors que le PCC célèbre son centenaire, le régime de Xi devra, à quelques reprises, faire face à la réalité. La crise de la dette, la poursuite de la Guerre froide avec les États-Unis et la crainte que l’accélération du déploiement des vaccins dans plusieurs pays occidentaux ne fasse pencher la balance en défaveur de la Chine, ces défis laissent présager une période de turbulences. Le mécontentement croissant des travailleurs, des travailleuses et des jeunes signifie que de nouvelles poussées de lutte sont inévitables et que les idées socialistes authentiques rencontreront un public encore plus réceptif.
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Le soulèvement de masse au Myanmar isole le coup d’État
Le 1er février, les dirigeants militaires du Myanmar, sous la direction de Min Aung Hlaing, ont organisé un coup d’État. Les mobilisations ont été massives, ce qui a rendu les choses très difficiles aux putschistes. La vague de mobilisations de 2019, interrompue par le Covid-19 n’est certainement pas terminée. Bien au contraire, la crise sanitaire a intensifié la colère.Par Geert Cool
Comme dans les mouvements précédents de ces derniers mois et années, les jeunes et les femmes sont à la pointe de la mobilisation. C’est malheureusement également ce qu’illustrent les décès. La première victime était une étudiante de 20 ans, Mya Thwate Khaing. La victime la plus connue est Angel Kyal Sin, une jeune femme de 19 ans assassinée à Mandalay le 3 mars, une journée sanglante où 38 personnes ont été tuées, alors qu’elle portait un T-shirt avec le slogan « Tout ira bien ».
Les travailleurs prennent l’initiative
La contestation au Myanmar s’inspire explicitement d’autres mouvements dans la région et ailleurs. Des symboles tels que les trois doigts levés des « Hunger Games » ont été adoptés et de nombreux slogans sont écrits en anglais sur les pancartes. Mais chaque mouvement a ses propres caractéristiques. Ce qui frappe le plus ici, c’est la puissance de l’arme de la grève. Des grèves générales ont eu lieu le 22 février et le 8 mars. Dans certains secteurs, les grèves durent depuis début février. Ce n’est pas une coïncidence si les premiers à prendre des mesures contre le coup d’État étaient ceux qui avaient dernièrement acquis l’expérience des grèves et des manifestations. Les syndicats s’étaient ainsi renforcés dans les secteurs des soins de santé, de l’enseignement et du textile.
Le secteur du textile s’est développé à un rythme particulièrement rapide ces dernières années pour devenir un secteur qui emploie jusqu’à 900.000 personnes, dont de nombreuses jeunes femmes. Il représente 30 % des exportations du Myanmar. Cette croissance rapide a entraîné une vague de grèves pour des salaires plus élevés et de meilleures conditions de travail dès 2019. Ces grèves réussies ont eu un effet de contagion et le syndicat a également connu une croissance rapide. La pandémie a entraîné une baisse de la demande des géants occidentaux du textile. Au Myanmar, les patrons en ont profité pour se débarrasser des travailleurs et cibler les syndicalistes. Cela a conduit à de nouvelles grèves, tant pour des conditions de travail sûres que contre les licenciements.
Dans le secteur des soins de santé, l’année écoulée a montré que la pénurie de ressources rend une crise sanitaire désastreuse. Dans le domaine de l’enseignement, l’année 2014-15 a été marquée par des manifestations contre des réformes. Les étudiants y ont joué un rôle de premier plan, mais le personnel a également été particulièrement actif. Lors des actions de ces dernières années, les travailleurs n’ont pas pu compter sur le soutien de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi, qui disposait de la majorité parlementaire depuis les élections de 2015. Celle-ci a appliqué des politiques favorables aux grandes entreprises avec un recours croissant au nationalisme et à la division (visible, entre autres, dans la persécution des Rohinya). Les premières initiatives de protestation contre le coup d’État militaire sont venues des travailleurs les plus militants, ce qui a contribué à définir le caractère du mouvement.
Le rôle des grèves générales
Des grèves dans divers secteurs et entreprises, il était logique de passer à une grève générale, ce qui a été fait le 22 février. Non seulement les mineurs et les dockers étaient en grève, mais les vendeurs informels et les restaurants ont également fermé leurs portes. Le site d’information Irrawaddy.com a décrit comment, à Mandalay, il semblait que chaque habitant descendait dans la rue pour participer à des manifestations qui, selon les vétérans de la manifestation de 1988, étaient les plus importantes jamais organisées. Même à Naypyidaw, une ville construite de toutes pièces entre 2002 et 2012 pour servir de capitale au régime, il y a eu des grèves et des manifestations. Les fonctionnaires ont cessé de travailler et ont quitté la ville pour rejoindre leur ville et village d’origine.
La grève générale a attiré de nouvelles couches dans l’action et a renforcé le mouvement ailleurs. Dans les banques, la grève des travailleurs a entraîné un manque d’argent tel que le régime a eu des difficultés à payer les salaires des soldats qui lui sont si désespérément nécessaires.
La réaction du régime fut une répression sanglante et des tirs à balles réelles. Le 28 février, 18 personnes ont été tuées et 38 le 3 mars. Les travailleurs ont riposté avec une puissante grève générale le 8 mars. La mobilisation a également eu un impact sur les forces de police, en particulier à la base. L’étape suivante, après ces grèves générales, est de passer à une grève générale illimitée, qui nécessite que des éléments de la vie quotidienne soient organisés par les travailleurs et les paysans pauvres.
Le Mouvement de désobéissance civile
Dès les premières actions de grève, le Mouvement de Désobéissance Civile (MDC) a été lancé, avec une page Facebook qui a rapidement compté plus de 300.000 personnes. Il est important que le mouvement mette en place et contrôle ses propres organisations. L’initiative d’un comité de grève générale pour la grève du 22 février était intéressante, même s’il s’agissait d’une initiative de haut en bas et non d’une coordination des représentants élus de comités de grève locaux.
Si les travailleurs et les paysans pauvres ne construisent pas eux-mêmes une direction pour le mouvement à partir de la base, il y aura toujours des candidats venus d’en haut. La LND tente ainsi de reprendre l’initiative. Le 2 mars, la NLD a formé un gouvernement alternatif : le Cabinet du comité représentant le Pyidaungsu Hluttaw (CRPH, Pyidaungsu Hluttaw est le nom du parlement). Il comprend quatre ministres : trois de la NLD et un universitaire et médecin indépendant, Zaw Wai Soe, qui était responsable de la lutte contre le Covid-19 à Yangon, la plus grande ville du pays.
Il est normal qu’il y ait des illusions au sein de la population vis-à-vis du CRPH. Les manifestants demandent à juste titre la libération de tous les prisonniers politiques. Mais quelle politique le CRPH entend proposer ? Quelle tactique utiliser contre l’armée ? Quelle alternative si les putschistes sont chassés ? Le retour à la situation antérieure n’est pas une solution. C’est un problème à la fois pour la NLD et pour les dirigeants de l’armée. Si le mouvement ne prend pas de mesures pour organiser lui-même la société, certaines parties de l’establishment auront la possibilité de rétablir l’ordre, avec ou sans le soutien international de la Chine ou des États-Unis.
Comment procéder ?
Le peuple veut la fin du règne des militaires. Le parti de l’armée a été éliminé en novembre 2020, le coup d’État est désormais isolé dans la société. Pour se débarrasser de l’armée, il faut la combattre non seulement sur le terrain politique mais aussi sur le terrain économique. Les dirigeants de l’armée jouent un rôle important dans certains conglomérats, tels que la Myanmar Economic Corporation (MEC) ou la Myanmar Economic Holding Ltd (MEHL). Le mouvement de masse le comprend instinctivement, comme en témoigne le boycott de Myanmar Beer ou de l’opérateur télécom MyTel, qui font partie de la MEC.
Même dans un pays où la majorité de la population travaille dans l’agriculture, la classe ouvrière joue un rôle central et attire la population rurale à ses côtés dans l’action. Dans les manifestations de masse, on ressent instinctivement l’importance de l’unité fondée sur le respect des minorités nationales. Cela renforce le mouvement, mais il faut traduire cela en un programme politique qui intègre le droit à l’autodétermination dans le cadre d’un changement de système.
L’ampleur de la contestation et des grèves aujourd’hui conduit à des éléments de double pouvoir : l’armée a formellement le pouvoir, mais dans les rues, le mouvement fait la loi. Pour donner véritablement le pouvoir au peuple, le mouvement de contestation a besoin d’un programme. Pour cela, il est important de briser complètement le pouvoir de l’armée. Cela implique de remettre en question l’ensemble du système. Les revendications démocratiques revêtent inévitablement un caractère social. Des élections démocratiques ne suffisent pas : la population doit prendre le contrôle des secteurs clés de l’économie afin de permettre une planification démocratique de l’utilisation des énormes richesses du pays.
Pour diriger le mouvement, il faut discuter des revendications et d’une alternative à un système où l’armée joue un rôle central. Les comités de grève et les comités d’action dans les entreprises, les districts et les villages sont nécessaires pour discuter démocratiquement des prochaines étapes de la protestation et pour les organiser avec la plus grande participation possible. Ces comités sont également essentiels pour organiser la défense contre la répression. Ces comités doivent assurer une coordination au niveau local et national, tout en intégrant des éléments de gouvernance quotidienne tels que l’organisation de la distribution de nourriture, de soins médicaux et d’autres besoins urgents. Une direction claire du mouvement pourrait s’attirer les policiers et les soldats de la base.
Une assemblée constituante élue par la classe ouvrière, la population rurale et les opprimés donnerait l’impulsion pour une autre société, une société socialiste reposant sur une économie planifiée démocratiquement. Un tel changement aurait un impact gigantesque et disposerait d’une très large solidarité au niveau régional et international. -
Myanmar : Les protestations de masse après le coup d’État seront décisives

Le soutien à la “campagne de désobéissance civile” lancée par le personnel médical de plus de 80 hôpitaux au Myanmar est en augmentation. Ils ont maintenant été rejoints par des fonctionnaires du ministère de l’énergie et des membres des forces de police se joignent à la lutte contre le coup d’État, en manifestant ouvertement le salut à trois doigts – symbole de la protestation.
Par James Clement (Socialist Alternative, Angleterre, Pays de Galles et Ecosse) et Geert Cool (PSL/LSP, Belgique)
La population du Myanmar descend dans la rue pour protester en masse contre le coup d’État militaire. Malgré le Covid-19 et la répression des autorités, ce mouvement prend de l’ampleur. Si les militaires pensaient s’en tirer à bon compte avec leur coup d’État, ils se sont trompés. Les mobilisations pourraient être décisives.
L’armée du Myanmar (le Tatmadaw) a organisé un coup d’État le 1er février, la veille de l’entrée en fonction du nouveau parlement. L’état d’urgence a été déclaré, les résultats des élections parlementaires de novembre 2020 ont été invalidés et les dirigeants de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi ont été arrêtés.
Ce coup d’État intervient à un moment important pour l’establishment du Myanmar. Les dirigeants militaires ont été contraints d’autoriser des éléments de démocratisation ces dernières années, en partie parce que cette décision a ouvert de nombreuses portes au niveau international et en partie parce qu’une vague de protestations en 2007 a menacé la stabilité du régime. Les chefs de gouvernement internationaux ont fait la queue pour rendre visite à Aung San Suu Kyi après sa libération en 2010. Quelques jours avant le coup d’État, le FMI a donné au pays 350 millions de dollars pour lutter contre la pandémie de Covid-19.
La LND anéantit les espoirs
Ceux qui ont pris part aux précédentes manifestations ont placé leurs espoirs dans le changement lorsque la LND est entrée au gouvernement. La désillusion fut toutefois croissante. Au cours des ans, la LND a loyalement coopéré avec les dirigeants de l’armée. Cette loyauté n’était pas réciproque : même après qu’Aung San Suu Kyi se soit rendue à La Haye pour défendre la persécution de la minorité Rohingya, le commandement de l’armée est resté méfiant.
Ce n’est pas un hasard si le coup d’État du 1er février a eu lieu juste avant l’entrée en fonction du nouveau parlement. En novembre 2020, la LND d’Aung San Suu Kyi a remporté une large majorité des sièges, même si l’armée s’est automatiquement attribué un quart des sièges. Cela donnait une plus grande emprise sur le pouvoir à la LND. De plus, la retraite de Min Aung Hlaing, l’homme fort de la direction de l’armée qui aura 65 ans en juillet, est imminente.
Peut-être les dirigeants militaires pensaient-ils s’en tirer facilement avec ce coup d’Etat étant donné la crise sanitaire et les tensions croissantes entre la Chine et les États-Unis. Les réactions très prudentes des organismes internationaux ont démontré qu’il ne fallait pas compter sur la désapprobation de la communauté internationale. Pour le régime chinois, un coup d’État militaire ne pose bien sûr aucun problème, tant que le régime reste stable. Les États-Unis et d’autres puissances internationales sont prudents dans leur réaction au coup d’État ; ils ne veulent pas donner au régime chinois trop d’espace dans un pays doté d’importantes ressources naturelles. Le ministère japonais des affaires étrangères a même déclaré ouvertement qu’il fallait maintenir les communications avec l’armée, de peur que la Chine ne renforce sa position dans le cas contraire.
L’armée craint les protestations
Le plus grand problème pour les dirigeants militaires et les puissances internationales, en particulier la Chine, a été et continue d’être la mobilisation de masse. C’est d’ailleurs pour cela que les figures de proue des manifestations de moines de 2007 et du soulèvement de 1988 ont été immédiatement arrêtées le 1er février. Le commandement militaire estimait peut-être éviter la mobilisation de masse de cette façon. Mais la crise sanitaire ne constitue pas un frein absolu aux mouvements sociaux, comme cela a déjà été démontré dans la Thaïlande voisine, notamment. Si les protestations continuent à se développer, le coup d’État pourrait bien avoir été le fouet de la contre-révolution qui a l’effet de faire avancer la révolution.
L’annulation des résultats des élections de 1990, que la LND a remportées, a suivi le mouvement de masse de 1988. Aujourd’hui, l’intervention de l’armée a elle-même déclenché un nouveau mouvement. Cela sape la stratégie d’Aung San Suu Kyi et de la direction de la LND. Ces dernières années, elles ont suivi une stratégie de coopération loyale avec le commandement militaire. Si le mouvement de masse stoppe le coup d’Etat, il sera difficile pour Aung San Suu Kyi de continuer sur cette voie.
Le coup d’État démontre de façon éclatante toute l’étendue de l’échec de cette approche. Un mouvement de masse a de plus toujours tendance à développer plus de revendications à mesure qu’il gagne lui-même en confiance. Il sera dès lors difficile de le stopper en utilisant des manœuvres au sommet, même si le mouvement n’est pas très organisé et en dépit d’éléments indubitablement contradictoires en son sein.
Une fois que les masses sont en mouvement, le débat sur les droits démocratiques déborde rapidement sur les revendications sociales. Ces deux thèmes vont bien entendu de pair. Les marxistes ne laissent pas la discussion sur la démocratie aux ailes “libérales” de la classe dirigeante, mais ils participent à ce combat en tant que démocrates les plus conséquents, en reliant les revendications démocratiques à la nécessité d’une lutte révolutionnaire pour une transformation socialiste de la société.
Ce n’est pas ce que représente la LND. Ces dernières années, le mécontentement à l’égard des politiques et de l’orientation de la LND s’est accru. Si celle-ci a remporté les élections de novembre 2020, c’est principalement une expression du rejet que suscitent les militaires. La LND n’offre rien aux différents groupes ethniques du Myanmar dans des régions comme les États de Shan ou de Kachin. Dans l’État de Rakhine, par exemple, le parti national de l’ethnie locale Arakan a remporté plus de voix que la LND, même avec une participation électorale limitée à seulement 25 %.
Le rôle de la classe ouvrière
Le coup d’État et le début des protestations de masse ont bouleversé la situation. Il est logique que de nombreux manifestants demandent avant tout la libération d’Aung San Suu Kyi et des dirigeants de la LND. Ils les considèrent comme un instrument contre l’armée. Mais en même temps, la discussion doit se concentrer sur la manière de réellement stopper l’état-major : Les méthodes d’Aung San Suu Kyi n’ont manifestement pas fonctionné. Sa politique de coopération a été considérée comme un signe de faiblesse par l’armée. Et, comme nous le savons, la faiblesse appelle à l’agression.
Pour vaincre, le mouvement doit développer ses propres instruments, à la fois pour se structurer et pour formuler et défendre des revendications politiques et sociales avec la participation la plus large possible. Des milliers de travailleurs de la santé et de médecins se sont déjà organisés en “désobéissance civile” sous forme de grèves. Les mineurs des mines de cuivre et les fonctionnaires se sont également mis en grève. Pour manifester leur colère, les médecins du service des urgences de l’hôpital de Yangoon continuent à fournir des soins d’urgence mais ne traiteront pas ceux qui ont participé aux actions pro-militaires.
Un appel à la grève générale après les protestations des médecins, des enseignants et d’autres offre des possibilités considérables pour renforcer le mouvement, surtout si des comités de grève sont mis en place dans tous les lieux de travail et les quartiers, avec une coordination de ces comités de grève qui peut servir de base à une assemblée constituante. Il est urgent de procéder de la sorte, ne serait-ce que pour protéger les mobilisations contre la répression et la violence des autorités.
Le soutien à la direction de l’armée est extrêmement limité, comme l’ont déjà montré les élections de novembre 2020, et cela ne s’améliorera pas avec ce coup d’État. Un régime acculé peut avoir des réactions étranges, ce qui est particulièrement vrai de la part de ce régime. Cela peut conduire à une forte augmentation de la violence et de la répression pour noyer les mobilisations populaires dans le sang. Le régime a attaqué les manifestants avec des gaz lacrymogènes, des canons à eau et des balles en caoutchouc tandis que la loi martiale s’abat sur internet et les réseaux sociaux.
Les leçons de l’histoire
Les masses du Myanmar ont montré par le passé que des défaites sanglantes peuvent être suivies de nouveaux mouvements : les expériences de 1988 ne sont pas encore oubliées. En même temps, il faut tirer des leçons politiques : le changement ne s’obtient pas en gouvernant avec les militaires ou en acceptant leurs conditions. Les réformes démocratiques sont également insuffisantes pour transformer les misérables conditions de vie de la majorité de la population. Pour cela, il faut un programme de transformation socialiste de la société et la construction d’une organisation révolutionnaire capable de popularise cette nécessité au sein des comités de grévistes organisés et coordonnés.
Il ne faut pas croire que les institutions du capitalisme mondial jouent un rôle véritablement “progressiste”. L’hypocrisie des nations développées, ainsi que des blocs commerciaux comme l’ANASE (Association des nations de l’Asie du Sud-Est), en matière de droits humains n’est plus à démontrer. Leur principale motivation, ce sont les intérêts commerciaux. Ce n’est qu’à la suite du coup d’État lui-même et de l’instabilité engendrée que la grande société japonaise Kirin et l’homme d’affaires singapourien Lim Kaling ont publiquement coupé leurs liens financiers avec le régime du Myanmar.
Le mouvement de masse contre le régime thaïlandais voisin, inspiré de Hong Kong et impliquant un grand nombre de jeunes, a également eu un effet sur la conscience du peuple du Myanmar.
Une analyse récente du mouvement en Thaïlande par des membres d’ASI appelle à la construction d’un “nouveau parti de gauche reposant sur la lutte pour changer la société” en défiant l’armée et les grandes entreprises (ainsi que la famille royale thaïlandaise). Le mouvement au Myanmar doit attirer à lui les travailleurs, y compris ceux qui sont exploités dans les zones économiques spéciales, et construire une base solide avec les masses opprimées sur tout le continent asiatique.
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Inde : Suspension de lois antisociales suite aux mobilisations paysannes, mais la lutte continue

Camp de protestation sur une route menant à Delhi. Photo : Wikimedia Commons La Cour suprême indienne a décidé de suspendre les lois agricoles contestées du gouvernement BJP suite à l’énorme pression sociale exercée pour faire reculer la libéralisation de l’agriculture. Les masses paysannes ne sont cependant pas dupes : la suspension ne suffit pas, ces lois doivent complètement disparaître.
Par Geert Cool
Les mobilisations ont débuté en septembre dernier après que le gouvernement ait adopté diverses lois visant à libéraliser le secteur agricole. Ce mouvement s’est bien organisé et dure déjà depuis des mois, avec notamment des occupations, dont celle des routes qui permettent habituellement d’enter à Delhi après que l’entrée de la capitale elle-même ait été occupée avant de faire face à la répression. Les mobilisations paysannes ont sans nul doute renforcé l’élan vers la grève générale du 26 novembre dernier à laquelle 250 millions de travailleurs ont participé malgré les restrictions liées à la crise sanitaire. Le soutien aux mobilisations paysannes n’a cessé de croître ces dernières semaines. Même l’aile paysanne du RSS, les milices nationalistes hindoues qui exercent un grand contrôle sur le BJP, a été obligée de soutenir la protestation anti-gouvernementale. Dans l’Etat du Madhya Pradesh, le Bharatiya Kisan Sangh (BKS), qui est affilié au RSS, a organisé sa propre manifestation avec 10.000 personnes présentes.
La décision de la Cour suprême est intervenue à la suite du dépôt de plusieurs pétitions. Cette décision accroit la pression sur le BJP au pouvoir. Il ne s’agit que d’une suspension temporaire jusqu’à ce qu’un groupe de quatre experts trouve une « solution » au conflit en cours par la médiation. Cela souligne le manque de consultation lors de l’adoption des lois. Le BJP affirme qu’il a suffisamment négocié avec les organisations paysannes et que les lois résultent de deux décennies de préparation. Les organisations paysannes rejettent l’argumentation. Un grand défilé de tracteurs est prévu ce 26 janvier, jour de la fête nationale. La poursuite des mobilisations est importante, ce serait une erreur de s’en remettre à des experts nommés par un tribunal politiquement désigné. Les organisations paysannes ont fait remarquer à juste titre que ces quatre experts s’étaient déjà favorablement prononcés en faveur de ces lois agricoles !
Les armes les plus puissantes des agriculteurs sont leur propre détermination et le soutien plus large dont ils bénéficient au sein de la population. Leur détermination se reflète dans les manifestations qui se déroulent depuis des semaines, notamment à Delhi où le froid hivernal et la pluie ont déjà causé des dizaines de morts. L’extension des mobilisations paysannes dans tout le pays et la sympathie des travailleurs à leur égard témoignent de ce soutien. Les enjeux de la lutte sont largement compris : même en dehors du secteur agricole lui-même, les conséquences de la libéralisation et de l’ouverture des marchés sont clairement perçues. Des entreprises comme Amazon sont en plein essor et maintenant Tesla veut elle aussi s’implanter en Inde. Le gouvernement BJP mène une politique de privatisation et de déréglementation du marché du travail, ce qui rend l’Inde encore plus intéressante pour les patrons des entreprises locales et internationales. Une petite élite en récolte les fruits : fin 2020, le club des milliardaires a augmenté de dix à 90 personnes, avec une richesse combinée de 483 milliards de dollars, soit 33 % de plus qu’un an plus tôt.
Pour mettre fin aux mobilisations paysannes, le gouvernement a cédé face à quelques demandes de moindre importance. Mais les éléments centraux demeurent : l’abolition des ventes réglementées et des seuils de prix minimums. Le gouvernement nie que les seuils de prix minimums seraient impactés par les nouvelles mesures, mais les agriculteurs affirment à juste titre que la libéralisation du marché entraînera également la fin de cette protection. Le problème n’est pas tant le manque de consultation, mais plutôt la question de savoir dans quelle direction les négociations sont possibles. Pour le BJP, les négociations doivent aboutir à l’acceptation de la politique de libéralisation préparée et mise en œuvre depuis 20 ans. Pour les agriculteurs, cela n’est pas possible : cela va à l’encontre de leur revendication élémentaire d’un revenu décent et du respect correspondant pour leur travail.
Tant que la mobilisation poursuit son essor, les tentatives du gouvernement de créer des divisions, y compris sur base de la question nationale, sont vouées à l’échec. Pour obtenir la victoire, un front des paysans et des travailleurs est nécessaire. Qu’attendent donc les syndicats indiens pour soutenir leurs frères et sœurs des campagnes par des actions de grève ? Si l’abrogation pure et simple des lois agricoles était à l’ordre du jour, cela placerait directement le mouvement ouvrier lui-même dans une position beaucoup plus favorable pour résister aux attaques contre les conditions et les conditions de vie des travailleurs.
Les quatre experts de la Cour suprême ont annoncé qu’ils soumettront un rapport dans les deux mois. D’ici là, la question risque de rester bloquée. Dans le même temps, les masses paysannes doivent démontrer qu’elles sont capables de maintenir leur mouvement sur une plus longue période. La journée d’action du 26 janvier ne doit pas être un point final. Un appel à des actions de masse le 26 janvier, associé à un appel à de nouvelles grèves autour des revendications des travailleurs et des agriculteurs, peut renforcer le mouvement. Des comités d’action conjoints composés de travailleurs et d’agriculteurs peuvent coordonner la lutte. Une telle coordination est également nécessaire pour élaborer une plate-forme de revendications et une approche qui permette de mettre fin non seulement aux attaques actuelles contre les agriculteurs et les travailleurs, mais aussi à l’ensemble de la politique des dernières décennies.
Sur fond de terrible crise sanitaire et d’une économie chancelante aux sombres perspectives, le gouvernement BJP jouera encore plus la carte du chauvinisme hindou et de la division. Ses politiques antisociales et son nationalisme vont de pair. Comme l’auteur Arundhati Roy l’a noté dans son dernier livre “Azadi”, “les évangélistes économiques néolibéraux et les nationalistes hindous sont arrivés en ville sur le même cheval – un cheval safran flamboyant dont l’emblème est le signe du dollar”. Le meilleur moyen de surmonter les divisions propagées par les nationalistes hindous est l’action unifiée des ouvriers et des paysans dans les différents États de l’Inde.
Cette lutte s’oppose à ce que le capitalisme a à offrir aux paysans et aux travailleurs indiens. Il nous faut une alternative à ce système, une société socialiste reposant sur les besoins de la majorité de la population et utilisant les ressources disponibles de manière démocratiquement planifiée. Pour obtenir cette alternative, nous devons nous battre et nous organiser dès maintenant !
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RCEP : le combat commence maintenant contre cet accord de libre-échange anti-travailleurs
Le 15 novembre, le partenariat régional économique global (en anglais : Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP) a été lancé par quinze gouvernements de la région Asie-Pacifique. L’intention claire des négociateurs était de lancer un accord commercial typiquement néolibéral qui, s’il est pleinement mis en œuvre, réduira les droits de douane et les barrières non tarifaires entre les dix membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) et cinq économies non membres de l’ANASE. L’ANASE est composée du Brunei, du Cambodge, de l’Indonésie, du Laos, de la Malaisie, du Myanmar, des Philippines, de Singapour, de la Thaïlande et du Vietnam. Les cinq “étrangers” sont l’Australie, le Japon, la Corée du Sud, la Nouvelle-Zélande et la superpuissance régionale, la Chine.Par des reporters de chinaworker.info. Cet article est l’éditorial du numéro de décembre du magazine socialiste (社会主义者) de la section Chine-Hong Kong-Taïwan d’Alternative Socialiste Internationale
Le RCEP est considéré comme le plus grand bloc commercial au monde, regroupant 2,2 milliards de personnes (dont 63 % pour la Chine) et environ 30 % du PIB mondial (dont plus de la moitié pour la Chine). L’accord risque de se heurter à une résistance massive des organisations de travailleurs et des mouvements sociaux dans toute la région, et les fortes contradictions entre les gouvernements signataires soulèvent de nombreuses questions quant à sa viabilité.
Le site chinaworker.info propose ici quatre idées à retenir au sujet du lancement du RCEP.
Le RCEP représente une énorme attaque contre les travailleurs, les agriculteurs et la nature
Le RCEP représente un crime gigantesque perpétré par une clique secrète de politiciens et de magnats du monde des affaires capitalistes contre la grande majorité des habitants de la région Asie-Pacifique.
“Cela va encore saper les moyens de subsistance des agriculteurs, des pêcheurs, des peuples indigènes et des paysannes, et menacer les emplois des travailleurs”, déclare le groupe Trade Justice Pilipinas. “Le RCEP ne fera qu’aggraver les inégalités qui existent déjà et qui ont été exacerbées par la pandémie”, prévient le groupe basé aux Philippines.
Sept syndicats répartis dans plusieurs pays de la région ont qualifié le moment de l’accord d’”épouvantable”, survenant au milieu de la pire pandémie depuis un siècle, avec des systèmes de santé débordés et un chômage en forte hausse. Ils avertissent que le RCEP menace d’aggraver ce que les Nations unies prédisent comme la pire crise alimentaire mondiale depuis 50 ans.
L’économie de l’Asie dans son ensemble va se contracter de 2,2 % cette année, selon la dernière enquête du FMI, la première contraction de ce type depuis les années 1960. Même lors de la crise financière asiatique dévastatrice de 1997, l’économie de toute la région a enregistré une croissance positive de 1,3 %. L’accord du RCEP montre plus que tout autre chose le désespoir des quinze gouvernements ; la nécessité d’un discours positif pour apaiser les nerfs des entreprises et relancer les investissements étrangers.
Le RCEP va accroître l’exploitation des travailleurs et de l’environnement. La réorganisation et la régionalisation des chaînes d’approvisionnement, envisagées dans le cadre du RCEP, entraîneront des licenciements massifs, des fermetures d’entreprises, des réductions de salaires et une augmentation des niveaux déjà inacceptables d’emplois précaires. L’Organisation internationale du travail (OIT) rapporte que 68 % de la main-d’œuvre de la région Asie-Pacifique se trouve dans le secteur informel, les jeunes travailleurs de 15 à 24 ans étant les plus touchés. Dans ces emplois, il n’existe pratiquement aucune protection sociale, aucun droit à la retraite ni aucun droit syndical. Au Laos et au Cambodge, deux États membres du RCEP, le secteur informel représente plus de 93 % de l’emploi, mais même au Japon, pays riche, cela représente 20 % de l’emploi.
L’accaparement des terres, les défrichements forcés et l’appauvrissement des petits agriculteurs de subsistance vont augmenter. Le RCEP demande à ses membres d’adhérer au traité de Budapest, qui impose le contrôle monopolistique des semences et des micro-organismes par de grandes entreprises agrochimiques comme Monsanto et la société chinoise Syngenta, affaiblissant encore la position des petits agriculteurs. Les professionnels de la santé avertissent que les règles du RCEP sur les médicaments génériques, si elles sont adoptées, entraîneront une hausse vertigineuse des prix des médicaments dans de nombreux pays de l’ANASE.
Les écosystèmes déjà dégradés seront encore davantage mis à mal. En Indonésie, une zone de forêt de la taille de Brunei est perdue chaque année au profit de grandes entreprises de plantation, d’exploitation forestière et minière. Des batailles de masse ont éclaté ces dernières années impliquant des activistes environnementaux et des peuples indigènes – de la Papouasie occidentale à la Mongolie intérieure – pour bloquer l’exploitation minière et d’autres projets d’entreprises écologiquement destructeurs. Cela inclut des protestations contre des entreprises chinoises et des projets d’infrastructure en Indonésie, en Thaïlande, au Myanmar et dans d’autres États du RCEP, y compris des projets dans le cadre de l’initiative géante chinoise “Belt and Road Initiative” (BRI, également appelé « les nouvelles routes de la soie » en français).
Le RCEP ne contient aucune disposition environnementale. La lutte pour désamorcer la bombe à retardement écologique et climatique et améliorer les conditions de vie des populations rurales pauvres d’Asie ne peut pas reposer sur un lobbying visant à “améliorer” le RCEP, mais sur la revendication de l’abandon pur et simple de cet accord. Des organisations de travailleurs fortes, qui se lient aux masses rurales et leur donnent une impulsion, sont la seule façon de vaincre cet assaut capitaliste. L’internationalisme des travailleurs et leur lutte commune pour mettre fin au système de profit capitaliste et placer toutes les ressources économiques sous le contrôle démocratique de la majorité est la seule réponse, plutôt que l’illusion du capitalisme “national” et du protectionnisme.
Le RCEP est synonyme de nouvelles attaques contre les droits démocratiques
Le RCEP est un “affront à la démocratie”, selon la députée philippine de gauche Sarah Elago. “Les gouvernements ont donné des positions privilégiées aux grands groupes de pression des entreprises au détriment des principes démocratiques de base”, souligne-t-elle. Les négociations du RCEP ont été menées dans le plus grand secret, à l’exclusion des parlementaires élus (lorsqu’ils existent), sans parler des syndicats, des organisations de jeunesse ou des militants ruraux. Le document final de 510 pages, avec des milliers de pages de documents associés, n’a été publié qu’après la signature de l’accord. Pourtant, de puissantes associations capitalistes comme le East Asia Business Council, le Keidanren du Japon et le Minerals Council d’Australie se sont même vu attribuer un rôle officiel dans le processus du RCEP.
L’accélération de l’accaparement des terres et de la saisie des ressources naturelles par les entreprises entraînera une militarisation accrue et une terreur soutenue par l’État dans les régions rurales et les régions où vivent des minorités ethniques. Les protestations de masse des travailleurs et des jeunes en Indonésie, en Thaïlande et à Hong Kong au cours de l’année écoulée ont été sévèrement réprimées. Dans toute la région, les dépenses militaires ont augmenté de 52 % depuis 2018, selon l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm.
Le processus du RCEP montre que lorsque des accords visant à augmenter les profits des grandes entreprises sont sur la table, il n’y a pas de différences fondamentales entre les dictatures directes comme la Chine, le Brunei et le Laos, et les gouvernements capitalistes “démocratiques” en Australie, au Japon et en Nouvelle-Zélande.
RCEP : Qui gagne, qui perd ?
Le RCEP et d’autres accords de libre-échange sont des manifestations de l’impérialisme moderne, qui permettent aux classes capitalistes d’exploiter plus efficacement le travail, tant au niveau national que mondial.
Selon l’économiste Michael Plummer, trois pays – la Chine, le Japon et la Corée du Sud – récolteront 90 % des gains de revenus et 88 % des gains commerciaux du RCEP. Les douze autres membres du RCEP devront se chamailler pour les miettes.
Tous les accords capitalistes tentent de duper les gens avec des phrases sucrées sur la “coopération win-win” où tout le monde est gagnant. Mais pour les économies de l’ANASE, pour la plupart “en développement”, le RCEP va renforcer un processus de dépendance économique – en tant que marchés, sources de main-d’œuvre bon marché et de ressources naturelles – vis-à-vis du capitalisme chinois et d’autres grandes économies.
Au cours des dix dernières années, la moitié des membres de l’ANASE ont enregistré un déficit commercial (Cambodge, Indonésie, Laos, Myanmar et surtout les Philippines). Trade Justice Pilipinas avertit que l’adhésion au RCEP augmentera la facture des importations du pays de 908 millions de dollars US mais n’ajoutera que 4,4 millions de dollars US à la valeur des exportations.
Le caractère impérialiste de la Chine sous le règne du Parti soi-disant communiste (PCC) est pleinement révélé par son rôle instrumental dans le déclenchement de ce projet néo-libéral sur les peuples de la région. Les ambitions économiques et géopolitiques du PCC, qui, à l’époque de Xi Jinping, sont de plus en plus poursuivies par la coercition et les menaces, ne sont pas fondamentalement différentes de celles de puissances impérialistes plus établies comme les États-Unis.
La nécessité pour la Chine de consolider sa domination sur l’Asie de l’Est, en tant que contrepoids aux politiques de “découplage” économique et diplomatique des Etats-Unis, est un facteur essentiel qui a motivé le lancement du RCEP. Il s’agit d’une nouvelle escalade significative de la guerre froide, plutôt que d’une quelconque réduction d’échelle. Le régime de Xi sait que lorsque Biden prêtera serment, les politiques anti-Chine de Washington se poursuivront, “bien qu’avec moins de caractéristiques trumpiennes” comme l’a noté Al Jazeera.
Le RCEP représente une victoire diplomatique majeure pour la Chine aux dépens des Etats-Unis, mais une réalisation bien plus limitée en termes économiques. Comme le soulignent les analystes de City Research, “le message diplomatique du RCEP peut être tout aussi important que l’économie – un jolie coup pour la Chine”.
En fait, malgré la fanfare entourant le RCEP, cela ne signifiera que des “gains marginaux” pour l’économie chinoise selon le South China Morning Post de Hong Kong. Si le RCEP devrait apporter un modeste coup de pouce au PIB chinois, “il ne suffira pas à annuler les dommages de la guerre commerciale avec les États-Unis”, a déclaré le journal. Le Petersen Institute of International Economics a prédit en juin 2020 que le RCEP, une fois terminé, ajoutera 0,4 % au PIB chinois d’ici 2030, tandis que la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine, si elle devait persister (nous pensons que c’est très probable), réduirait le PIB de 1,1 %. Paradoxalement, la suppression des barrières commerciales entre la Corée du Sud, le Japon et les pays de l’ANASE peut conduire à un accroissement des échanges entre ces pays plutôt qu’avec la Chine, sur la base des symétries de ces économies respectives.
Pour combattre efficacement le RCEP, le mouvement ouvrier a besoin d’une évaluation sobre de ce qu’il représente, et non de prendre pour argent comptant la propagande vantarde des différents gouvernements et groupes d’entreprises du RCEP.
Le magazine The Economist a décrit l’accord du RCEP de novembre comme “peu ambitieux”, un point de vue partagé par de nombreux commentateurs capitalistes. Afin d’aller de l’avant, les gouvernements signataires ont été contraints de diluer leurs ambitions et d’adopter un accord nettement plus faible par rapport à de nombreux autres ALE capitalistes. Le RCEP est assez vague sur le commerce des services et contient très peu sur l’agriculture par exemple.
Ces lacunes et insuffisances sont une bonne nouvelle du point de vue de la classe ouvrière. Nous ne devons pas sous-estimer la menace économique très réelle que représente le RCEP, mais sa nature instable et les nombreux conflits entre les États membres font qu’une lutte réussie pour enterrer le RCEP est une possibilité réelle.
Le RCEP va-t-il décoller ?
A ce stade, le RCEP est plus lourd de symbolisme que de substance. Il faudra au moins dix ans, et dans certains cas vingt ans, pour que les objectifs de réduction tarifaire du bloc soient atteints. D’autres parties de l’accord pourraient s’enliser dans des négociations sans fin. L’Inde a participé à 28 des 31 cycles de négociations du RCEP, mais elle s’est retirée du processus en 2019, principalement en raison du défi économique lancé par la Chine.
Les commentateurs soulignent la “voie de l’ANASE”, qui consiste à progresser lentement, progressivement et de façon presque glaciale. C’est le mode de fonctionnement du groupe depuis un demi-siècle, en raison du caractère extrêmement divers et désuni de ses dix États membres. Le RCEP est encore plus diversifié et désuni.
La guerre froide va se jouer autour et aussi à l’intérieur du RCEP avec l’impérialisme américain déterminé à priver la Chine de tout avantage. La polarisation entre les factions pro-américaines et pro-chinoises des élites dirigeantes dans toute la région va probablement s’accentuer. La lutte féroce entre la Chine et l’Australie, cette dernière étant fermement ancrée dans le camp américain, est une indication de ce qui nous attend. Le Japon et la Corée du Sud, tous deux alliés des États-Unis, ont de sérieux différends entre eux. Ceux-ci, comme les tensions ailleurs, peuvent déborder sur les prochains cycles de négociations du RCEP.
Ce différend – avec le charbon australien, le bœuf, l’orge, le vin et d’autres marchandises bloquées par la Chine – a atteint de nouveaux sommets quelques jours seulement après que les deux gouvernements ont signé l’accord du RCEP. Leurs différends économiques sont dans une certaine mesure éclipsés par le clivage diplomatique et politique, la Chine présentant une liste de “quatorze griefs” qui comprennent une couverture médiatique négative, et le gouvernement australien exigeant des excuses pour un tweet provocateur du ministère des affaires étrangères de Pékin, qui a attiré l’attention sur les crimes de guerre commis par le personnel militaire australien en Afghanistan.
Il est peu probable que le RCEP commence avant janvier 2022 car il doit être ratifié par des “parlements” (dont certains ne sont pas élus) dans au moins neuf pays. Bien qu’il soit peu probable qu’il échoue, même le processus de ratification pourrait se heurter à une résistance farouche. Au cours des deux prochaines années, avant que le RCEP puisse être mis en œuvre dans son intégralité, la route sera longue et ardue – un chemin de boue sinueux plutôt qu’une autoroute.
Nous assistons également à la plus importante lutte de pouvoir au sein de l’État PCC depuis trois décennies, incarnée par les signaux très différents émis par le président Xi Jinping et le premier ministre Li Keqiang. Comme Li est le responsable officiel du RCEP, ce projet fera inévitablement partie de la lutte pour le pouvoir. Xi est en général favorable à un programme économique plus nationaliste, avec une plus grande dépendance du capitalisme d’État, tandis que Li représente la couche des capitalistes chinois qui sont favorables à des liens économiques plus étroits avec l’étranger. Bien que Xi ne soit pas fondamentalement opposé au RCEP, sa priorité est la “stratégie de double circulation” pour développer l’économie intérieure chinoise, ce qui signifie que le RCEP pourrait être mis de côté dans la pratique, devenant un accord vide de sens.
La tâche du mouvement ouvrier, des socialistes, du mouvement pour le climat, des étudiants et des militants ruraux est de s’assurer que la résistance de masse nécessaire est mise en place. Le capitalisme est incapable d’”unifier” l’Asie-Pacifique, notamment parce qu’il s’agit d’un système basé sur des États-nations, qui, surtout en période de crise, développent des antagonismes fondamentaux lorsque chaque groupe dirigeant tente de se sauver.
Les socialistes croient en une véritable coopération internationale et en une intégration économique fondée sur les intérêts communs des travailleurs au-delà des frontières nationales. Cela n’est possible qu’en renversant le capitalisme – dans ses deux variantes “nationaliste” et “mondialiste” – et en établissant des économies planifiées, socialistes et publiques sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière et des masses opprimées.

Une nouvelle campagne lancée par Alternative Socialiste Internationale