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Category: Asie
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Inde. Un mouvement héroïque d’agriculteurs impose des concessions au gouvernement

Photo : Wikimedia Commons Le Premier ministre indien Modi, du parti de droite conservateur BJP, a annoncé de manière inattendue l’abrogation de trois lois contestées réorganisant l’agriculture. Les trois lois étaient en suspens suite à une décision de la Cour suprême. À l’approche des élections dans l’Uttar Pradesh, l’État le plus peuplé de l’Inde actuellement dirigé par le BJP, et face à une contestation sociale croissante, le gouvernement a choisi d’abroger les trois lois. Cela montre le potentiel d’une protestation déterminée des agriculteurs, soutenue par une large solidarité de la classe ouvrière. Voici une réaction de Nawaz, notre correspondant en Inde.
Après près d’un an de protestation des agriculteurs – leur plus grande mobilisation en Inde depuis plus d’un demi-siècle ! – le gouvernement autoritaire de droite de Narendra Modi a finalement cédé aux exigences des agriculteurs…
Cette réalisation capitale illustre quel est le pouvoir de la lutte et l’effet que peut avoir un mouvement à grande échelle. Masi il faut toutefois reconnaitre que ces réalisations ont leurs limites.
Cette victoire a été obtenue de haute lutte. Plus de 750 agriculteurs ont perdu la vie durant ce combat. Leurs familles attendent toujours une justice qu’elles espèrent peu. À l’approche de l’une des élections législatives d’Etat les plus polarisées et les plus importantes, le gouvernement a tenté de séduire les électeurs, mais les agriculteurs sont restés inflexibles. L’érosion de leur niveau de vie depuis des décennies nécessite non seulement l’arrêt des attaques contre ce secteur, mais aussi une réorganisation complète de l’agriculture et de l’approvisionnement alimentaire.
Les médias de droite mis à mal
Pendant des mois, les médias indiens, totalement partiaux et orientés à droite, ont bombardé le public d’allégations sans fin et sans fondement par le biais de leur propagande diffusée 24 heures sur 24. Ils tentaient de détourner la responsabilité du gouvernement mais leurs manœuvres se sont retournées contre eux.
Après les événements du Jour de la République à Delhi, ces médias ont qualifié les agriculteurs de “Khalistani” (séparatistes sikhs) ou d’extrémistes religieux. Ils ont essayé d’affaiblir la solidarité de classe qui se développait et le soutien d’autres couches de la société à la cause des agriculteurs. À leur grande déception, tout cela a été vain. Dans une démonstration totale d’hypocrisie et en désespoir de cause, ces mêmes chaînes de droite retirent de Youtube leurs vidéos précédemment postées. Cela démontre toute la mollesse des médias en Inde et la mesure dans laquelle ils ont vendu l’âme du journalisme indien à la classe dirigeante.
Respect de la volonté du peuple ou opportunisme pour des gains politiques ?
Cette hypocrisie flagrante ne concerne pas seulement les médias, mais aussi le gouvernement. De nombreux partisans de Modi ont présenté ce dernier comme le “tribun du peuple” après qu’il ait abrogé les lois contestées. Pourtant, Modi reste sourd aux cris des familles des agriculteurs qui ont perdu la vie à cause de la violence policière soutenue par l’État.
Il ne faut pas non plus oublier que cette victoire n’a pas été donnée aux agriculteurs par sympathie, elle a été gagnée par leurs sacrifices. Le fait que le BJP (le parti de droite nationaliste hindou de Modi) tente de cacher ce fait est une preuve de sa vulnérabilité. La principale raison pour laquelle Modi a décidé de retirer les lois agricoles est que les élections de l’assemblée législative de l’Uttar Pradesh auront lieu dans trois mois et que le BJP au pouvoir est à la traîne dans les sondages. L’Uttar Pradesh est l’État indien le plus peuplé et, avec plus de 80 sièges au Parlement, le plus important sur le plan politique. Des élections sont également prévues au Pendjab, où le BJP est traditionnellement très faible. Le mouvement des agriculteurs a joué un rôle majeur dans ces deux États.
Les agriculteurs restent fermes
Le gouvernement a sous-estimé les agriculteurs il y a un an et il continue à le faire aujourd’hui. Il s’attend à ce que les agriculteurs ne soient pas conscients de ses intentions politiques cachées. Les agriculteurs ont décidé d’aller de l’avant avec leur grève générale nationale prévue pour la semaine prochaine (cet article a initialement été publié le 26 novembre sur internationalsocialist.net, NdT). Au grand désespoir du gouvernement, on s’attend à ce que des foules immenses viennent soutenir les agriculteurs, inspirées par le fait que le gouvernement commence à plier sous la pression politique.
Les syndicats prévoient des manifestations dans tout le pays le 26 novembre et une grève générale de deux jours en 2022 lors de l’examen du budget fédéral. Les agriculteurs participeront à ces actions. On s’attend à ce qu’ils fassent pression sur le gouvernement pour qu’il accepte leurs demandes restantes, comme déclarer le MSP (Minimum Support Price) comme une monnaie légale et rendre justice aux 750 agriculteurs morts lors des manifestations. Cette action devrait avoir un impact profond sur les prochaines élections d’État qui doivent avoir lieu dans les États dominés par l’agriculture.
L’avenir du mouvement
L’une des forces de ce mouvement, dont beaucoup d’autres peuvent s’inspirer, est la détermination avec laquelle la manifestation a été menée pendant des mois. Même dans les moments difficiles (chaleur extrême, Covid19, violence de la droite…), la protestation a continué. Même après l’annonce par Modi de l’abrogation des trois lois, les organisations d’agriculteurs ont continué à appeler à manifester. Une telle persévérance dans la lutte est importante : elle montre aux masses que la lutte est prise au sérieux. Et elle donne des résultats.
Associée à un plan d’action allant crescendo et visant explicitement à mobiliser des sections plus larges de la population, en particulier le soutien de la classe ouvrière, et doté d’un programme politique de changement de système, cela conduirait à davantage de victoires. L’abrogation des trois lois peut renforcer la grève générale annoncée des syndicats. Elle établit l’idée que la lutte est payante, même contre un gouvernement particulièrement réactionnaire. Cela montre toute l’importance d’un mouvement déterminé.
Alors que le mouvement des agriculteurs a tendance à être centré sur ses propres revendications, la large solidarité de la classe ouvrière a renforcé la protestation. Inversement, la protestation des agriculteurs a inspiré la grève générale de décembre 2020. Avec l’agitation sociale à nouveau en hausse, résultat des politiques ratées de Modi sur tous les fronts (approche mortifère de la pandémie, crise énergétique, problèmes sociaux croissants), la clé sera de renforcer cette solidarité avec un programme de transformation socialiste de la société. Tant que le capitalisme survivra et que la classe dirigeante restera au pouvoir, elle continuera à nous opprimer.
Un monde différent est possible, et une alternative existe. Dans une économie socialiste planifiée démocratiquement, les agriculteurs et les autres travailleurs auront la liberté de gérer le système pour le bien commun grâce à un système reposant sur les besoins du peuple. Cette victoire des agriculteurs est une petite, mais importante bataille remportée dans la longue guerre contre le capitalisme. Nous, les travailleurs, devons nous unir dans la lutte, en utilisant des mouvements comme celui-ci comme exemple pour renverser la tyrannie du capitalisme et libérer les masses.
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Guerre froide USA-Chine : Deux géants capitalistes sur la sellette

L’augmentation des tensions commerciales, diplomatiques et même militaires entre les États-Unis et la Chine montre que nous sommes entrés dans un monde différent. Pour la première fois depuis la guerre froide contre l’ancienne Union soviétique, l’impérialisme américain se sent fondamentalement menacé par un puissant challenger. Contrairement à ce que certains pensent – y compris à gauche – le capital américain n’est pas à couteaux tirés avec la Chine « communiste », mais avec le capitalisme chinois dirigé par le parti « communiste » chinois.
Par Peter (Leuven)
Depuis les années 1980, la Chine est passée d’une économie bureaucratiquement planifiée à un pays majoritairement capitaliste. En 2020, la Chine comptait plus de nouveaux milliardaires en dollars que les États-Unis. La production privée à but lucratif est devenue dominante. Les marxistes parlent plutôt de capitalisme d’État, en raison de la plus grande interférence de l’État dans l’économie. Cette situation est différente de celle lors de la précédente guerre froide : l’Union soviétique avait un système social différent, à savoir une économie planifiée, bien que soumise à un régime bureaucratique.
Des tensions croissantes, également avec Biden
Les tensions accrues entre la Chine et les États-Unis ne sont pas simplement le fait de l’administration Trump. Celle-ci avait bien augmenté les taxes sur les produits chinois et fermé les consulats en Chine. Son administration parlait d’une lutte entre « la liberté et la tyrannie ». Mais il ne s’agissait que d’un nouvel exemple d’hypocrisie capitaliste, comme le démontre largement la coopération historique et actuelle de l’impérialisme américain avec les dictatures du monde entier, telles que l’Arabie saoudite.
Avec Joe Biden, le conflit avec la Chine capitaliste d’État se poursuit. Il s’agit d’une lutte fondamentale entre deux groupes de capitalistes qui se disputent l’hégémonie sur le monde. Le régime de Pékin était même plus favorable à Trump car il estimait que celui-ci serait plus enclin à conclure des accords. Le capitalisme chinois – avec le vernis trompeur du Parti « communiste » – est un rival de la bourgeoisie américaine, de ses multinationales et de son État en termes de technologie, d’intelligence artificielle, de réseaux 5G et de suprématie militaire.
La flotte chinoise compte aujourd’hui plus de navires que la flotte américaine. La Chine se dote également d’une plus grande capacité nucléaire : de la « dissuasion stratégique », selon les termes de Xi Jinping. Parallèlement à sa puissance économique croissante, la Chine affirme des revendications plus impérialistes sur les îles de la mer de Chine méridionale et sur sa frontière avec l’Inde. En septembre, les États-Unis, ainsi que l’Australie et le Royaume-Uni, ont créé AUKUS, une alliance qui fournira à l’Australie des sous-marins à propulsion nucléaire. Les États-Unis ont également livré des équipements militaires d’une valeur de 20 milliards de dollars à leur allié indien en 2020. Les impérialismes américain et chinois forgent mutuellement des alliances stratégiques, politiques et économiques dans la lutte pour le contrôle de la région.
Taïwan est à ce titre un facteur important. Après que le régime de Xi ait soumis Hong Kong à une loi sur la sécurité nationale qui l’aligne de plus en plus sur le régime autoritaire de la Chine continentale, l’attention se porte sur Taïwan. Officiellement, celle-ci fait partie de la Chine, mais une invasion entraînerait des tensions extrêmement dangereuses avec le Japon et les États-Unis. D’autre part, le régime chinois n’acceptera jamais un Taïwan « indépendant » pour des raisons stratégiques et de prestige.
Via l’initiative « Belt and Road », les nouvelles routes de la soie, le régime chinois a rendu les gouvernements d’Afrique, entre autres, dépendants des prêts chinois. Cela sécurise ainsi l’accès aux matières premières et aux nouveaux marchés en construisant des ports et des infrastructures. L’impérialisme chinois tente de se présenter comme une alternative au capital occidental.
Le régime chinois n’est pas « progressiste », que ce soit dans sa politique étrangère ou sur son territoire. Au cours des dernières décennies, il a de plus en plus affaibli son propre État-providence issu de l’ancienne économie planifiée. Il a créé un régime dictatorial sophistiqué et brutal grâce à des technologies de pointe et n’a aucun problème avec les attaques contre les féministes, les personnes LGBTQI+ ou même simplement des « hommes à l’apparence féminine » afin de détourner l’attention de la crise économique et sociale.
Les causes sociales des tensions militaires
Depuis les années 1970, le capitalisme occidental traverse une crise prolongée de surcapacité, de baisse du pouvoir d’achat, de bulles spéculatives, d’endettement croissant,… La Chine s’est profilée dans ce marché mondial comme l’usine la moins chère du monde et a lancé une bouée de sauvetage au capitalisme occidental. Les deux grandes économies sont devenues structurellement imbriquées et ont relié l’ensemble de l’économie mondiale dans une chaîne de production complexe. La fragilité de cette situation est apparue clairement l’an dernier : des usines se sont arrêtées, des livraisons n’ont pu être effectuées à cause des grains de sable dans les rouages de la machine. Tel un sombre nuage, le conflit actuel entre les États-Unis et la Chine menace l’ensemble de l’économie mondiale.
Une crise de la dette se développe également en Chine. La croissance économique a été maintenue par un flux ininterrompu d’argent frais dans les banques contrôlées par l’État. Parallèlement, le coût de l’éducation, des soins de santé et du logement est devenu si élevé que les familles ont reporté la naissance de leurs enfants. La dette des ménages chinois a augmenté de 4.600 milliards de dollars entre 2015 et 2019. Au cours de la prochaine décennie, le nombre de femmes âgées de 22 à 35 ans en Chine diminuera de 30 %. Même après la levée de l’interdiction d’avoir plus d’un enfant, le taux de natalité est en chute libre puisqu’élever un enfant revient trop cher et que les services sociaux ont été amoindris.
En outre, le secteur de l’immobilier est entré en eaux troubles avec la menace de faillite du géant de la construction Evergrande. Cette crise peut s’étendre au reste du secteur et menace l’ensemble de l’économie chinoise. Le régime craint des débordements sociaux massifs. C’est également la raison sous-jacente des attaques contre certains capitalistes et de la réglementation dans un certain nombre de secteurs.
Cette guerre froide oppose, d’une part, l’ancienne puissance impérialiste classique mais déclinante des États-Unis et, d’autre part, la nouvelle puissance mondiale émergente, la Chine, qui a été en mesure de construire sa position de force sur base d’une économie planifiée. Mais au cours des dernières décennies, sous le contrôle du PCC, cette économie a été transformée en une brutale machine de capitalisme d’État dictatoriale. Prendre parti dans ce conflit revient à choisir entre la peste ou le choléra. La classe ouvrière, ni en Chine, ni aux États-Unis et ni dans le monde entier, n’a aucun intérêt dans ce conflit.
Les mobilisations se développent contre la crise du logement
À Amsterdam, le 12 septembre, 15.000 personnes ont manifesté contre la pénurie de logements abordables dans le pays en conséquence de la spéculation et de la loi du marché.
Face à la réduction du nombre de logements sociaux, le marché a fait grimper les prix. Les propriétaires spéculent sur le logement et achètent des propriétés facilement commercialisables pour les revendre plus cher. Des loyers plus élevés font également augmenter la valeur de vente.
Un appartement dans une ville aux Pays-Bas peut facilement coûter 1.000 euros par mois. De nombreuses personnes consacrent plus de 40 % de leur revenu au logement. Après la manifestation réussie du 12 septembre à Amsterdam, une autre suivra le 17 octobre.
Cette lutte est payante, nous l’avons déjà vu en Suède. Un mouvement de protestation crescendo, dans lequel notre organisation sœur Rättvisepartiet Socialisterna a joué un rôle important, a conduit à la chute du gouvernement et au retrait de la décision de laisser les loyers au marché.
À Berlin, l’expropriation de grandes sociétés de logement privées telles que Deutsche Wonen, qui possède pas moins de 113.000 appartements à Berlin, fait l’objet d’une campagne depuis des années. En même temps que les élections parlementaires, un référendum a été organisé à ce sujet à Berlin, mais la nationalisation elle-même doit être effectuée par le prochain gouvernement.
La résistance contre la soif de profit de la mafia du béton et des propriétaires est nécessaire. Elle ne peut qu’être renforcée par la revendication d’un plan massif d’investissement public dans le logement social pour assurer des logements sociaux durables, de qualité et abordables en nombre suffisant pour faire baisser les prix de tous les loyers.
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Le régime chinois face à un dilemme après l’effondrement d’Evergrande

Evergrande, la société immobilière chinoise, manque une échéance de paiement après l’autre. Si elle s’effondre, les conséquences pourraient être énormes pour l’économie chinoise, son régime autoritaire et le capitalisme mondial. Nous nous en avons discuté avec Vincent Kolo, de chinaworker.info.
Le nom d’Evergrande est soudainement apparu dans l’actualité. Qu’est-ce qu’Evergrande ? Comment cette société est-elle devenue si importante ?
VK : Evergrande est le deuxième plus grand promoteur immobilier de Chine. C’est une énorme entreprise à l’agonie qui se dirige vers la faillite. Evergrande a construit environ 12 millions de logements, soit l’équivalent de la moitié du parc immobilier total du Royaume-Uni.
Une partie de la crise en cours est due au fait que l’entreprise compte actuellement 1,6 million de logements inachevés. Beaucoup de promoteurs immobiliers en Chine utilisent un modèle commercial basé sur la prévente : les gens achètent leur nouvelle maison avant même que la première pelletée de terre n’ait été creusée. Aujourd’hui, ils paniquent car ils ont déjà payé, mais si l’entreprise s’effondre, ils n’obtiendront pas leurs nouvelles maisons.
La dette d’Evergrande s’élève à 300 milliards de dollars, ce qui équivaut, par exemple, à la dette nationale de l’Irlande. Fin septembre, elle a commencé à faire défaut sur ses dettes libellées en dollars sur le marché obligataire international. Mais elle n’a effectivement pas payé ses dettes en Chine depuis mars de cette année. Elle a payé ses créanciers, ses fournisseurs, les entreprises de construction avec lesquelles elle a passé des contrats, sous la forme de reconnaissances de dette d’une valeur totale de 100 milliards de dollars supplémentaires. Peut-être que pas mal de cela ne sera jamais payé.
La crainte est que l’entreprise se dirige vers l’effondrement. Si cela se produit et qu’il n’y a pas de sauvetage de la part du gouvernement chinois, cela pourrait déclencher un effondrement du secteur immobilier chinois. Cela pourrait ensuite se propager aux banques, qui sont très exposées au marché immobilier. Et il y aurait alors une crise financière en Chine avec toutes les ramifications économiques et politiques que cela implique.
Certains comparent Evergrande à Lehman Brothers : est-ce une bonne comparaison ?
VK : Je pense que l’on peut dire oui et non.
Il est clair qu’Evergrande n’est pas une banque d’investissement comme l’était Lehman Brothers. Le système financier chinois n’est pas le même que celui des États-Unis ou de l’Union européenne. Il est dominé par les banques, et les banques, dans la plupart des cas, appartiennent à l’État. Le système bancaire est protégé par le contrôle des changes, la monnaie n’est pas librement échangeable, elle est protégée par le contrôle des capitaux, ce qui signifie qu’ils ont une plus grande résistance aux turbulences financières que les capitalistes occidentaux.
Cela signifie-t-il que le système est à l’épreuve des balles, qu’il ne peut y avoir de crise financière en Chine ? La réponse à cette question est “non”, mais il est moins probable qu’une crise se déroule de la même manière que dans une économie capitaliste occidentale.
Lorsque les commentateurs pro-capitalistes disent “ce n’est pas un nouveau Lehman Brothers”, dans un sens, ils ont bien sûr raison. Mais tout d’abord, le risque d’une crise bancaire en Chine existe bel et bien, c’est pourquoi le régime de Xi a imposé des contrôles de capitaux d’une sévérité sans précédent, à la fois en interne et vers l’extérieur. L’interdiction des crypto-monnaies et la répression de l’année dernière à l’encontre de Ant Group [la société de fintech détenue par Alibaba de Jack Ma] en sont des exemples. Même les transactions entre provinces sont désormais plus difficiles.
Deuxièmement, Lehman Brothers n’a pas provoqué la grande récession de 2008-2009. Mais son effondrement a constitué un tournant, qui a accéléré de manière spectaculaire le cours des événements. La crise, dont les racines se trouvent dans la nature même du capitalisme, était déjà en cours. Si le gouvernement Bush était intervenu pour sauver Lehman Brothers, la crise n’aurait pas été évitée, elle aurait simplement pris une autre forme.
Evergrande est un symptôme de quelque chose de beaucoup plus grand.
Jusqu’en 2008, il semblait que les bulles immobilières aux États-Unis et en Chine avaient gonflé en parallèle, mais après 2008, la bulle américaine a éclaté, tandis que celle de la Chine a continué de croître.
VK : 2008 a constitué un tournant. Depuis lors, aucun des problèmes fondamentaux à l’origine de la crise mondiale n’a été résolu. La dette a explosé à l’échelle mondiale, avec deux bulles d’endettement sans précédent qui se sont développées aux deux pôles de la guerre froide. Aux États-Unis, le crédit bon marché et les taux d’intérêt nuls ont permis à la capitalisation des marchés boursiers de passer de 140 % du PIB avant 2008 à 200 % aujourd’hui.
Mais l’explosion la plus rapide de toutes les grandes économies a été celle de la Chine, où le marché boursier est un facteur secondaire. Ici, le marché immobilier a été décisif. La valeur marchande de l’ensemble des biens immobiliers des villes chinoises équivaut désormais à cinq fois le PIB du pays. À titre de comparaison, la valeur marchande de l’ensemble des biens immobiliers aux États-Unis en 2020 représentait environ deux fois le PIB. En Chine, la proportion est complètement hors normes.
La Chine, dont la population est environ quatre fois plus importante que celle des États-Unis, construit chaque année dix fois plus de maisons. Bien que cela puisse sembler une bonne chose, beaucoup de gens ordinaires n’ont pas les moyens de les acheter. Quatre des cinq villes aux logements les plus chers se trouvent en Chine. L’ensemble du marché du logement a été privatisé depuis 1998, il y a très peu de logements sociaux. Le taux d’accession à la propriété sur le marché immobilier est de 93 %, bien plus élevé qu’aux États-Unis et en Europe. Mais alors que de très nombreuses personnes n’ont pas les moyens d’acheter de nouvelles maisons, les riches, les fonctionnaires et les couches les plus aisées de la classe moyenne spéculent sur l’immobilier. Il en résulte un énorme problème de logements vides. En 2017, 20 % des logements urbains étaient vacants. Cela représente une utilisation incroyablement gaspilleuse et improductive du capital, et le régime estime qu’il doit intervenir pour stopper cette évolution.
L’autre facteur en Chine est que la population est ségréguée via le système du “hukou” (enregistrement du logement). Ce système divise la population entre ceux qui ont le droit de vivre dans les villes et ceux qui sont enregistrés pour vivre dans les zones rurales. Même si la Chine est aujourd’hui largement urbanisée, la majorité de la population est toujours considérée comme rurale. Les villes aussi sont classées par niveaux. Les villes les plus riches – Shanghai et Pékin – se trouvent dans le “Tier 1”. Les personnes possédant un hukou “rural” ne sont jamais autorisées à résider de façon permanente dans ces villes.
Evergrande se concentre davantage sur les villes les plus pauvres, celles que l’on appelle en Chine les “Tier 3” et “Tier 4”, qui ne sont généralement pas visitées par les journalistes du Financial Times ou du Washington Post. C’est là que vivent les gens de la classe ouvrière ordinaire et c’est là que la crise immobilière se fait le plus sentir. Cela s’explique en partie par le fait que des capitaux ont été investis dans le développement immobilier alors que la plupart des villes chinoises ne connaissent plus de croissance. Cette situation est liée à la crise démographique, un problème majeur pour la dictature chinoise, car la population diminue. Un chiffre qui replace toute la crise d’Evergrande dans son contexte est que les trois quarts des villes chinoises sont en train de rétrécir. Alors pourquoi construire de plus en plus d’énormes projets immobiliers ?
Comment analyser l’évolution de la crise du marché immobilier ?
VK : La bulle immobilière en Chine a atteint ses limites. Elle est en train d’éclater. La façon dont le processus va se dérouler n’est pas tout à fait claire, il pourrait y avoir différentes trajectoires. Mais ce que nous pouvons dire avec certitude, c’est qu’Evergrande marque un tournant.
Le marché immobilier a été crucial pour la croissance de l’économie, il représente 29 % du PIB en Chine. Aujourd’hui, il est probable que l’ensemble du secteur soit plongé dans la crise. Evergrande est la plus grande, la plus sensationnelle des entreprises en crise, mais il y a d’autres entreprises du secteur immobilier qui ne remboursent pas leurs dettes, qui sont surendettées et qui vont probablement s’effondrer au cours de la prochaine période. La crise est bien plus importante que celle d’Evergrande. Cela signifie que le marché immobilier ne peut plus être le principal moteur de croissance de l’économie chinoise.
La guerre froide entre les impérialismes américain et chinois intensifie la pression exercée sur le régime de Xi Jinping pour qu’il “modernise” l’économie. Mais l’environnement international est désormais complètement différent, la démondialisation faisant son œuvre. La Chine est contrôlée et bloquée, notamment par le capitalisme américain, dans de plus en plus de domaines. Le régime chinois a donc décidé de prendre le taureau par les cornes en s’attaquant à l’effet de levier excessif dans le secteur immobilier, qui représente une énorme ponction sur les ressources.
Xi Jinping essaye de sevrer l’économie de son gaspillage, de sa spéculation, de sa dépendance à l’égard du surinvestissement et du surendettement et, l’année dernière, il a imposé les “trois lignes rouges” au secteur immobilier. Seules les entreprises répondant à ces critères, à savoir le rapport entre le passif et l’actif, la dette nette et les fonds propres, et les liquidités et les emprunts à court terme, seraient autorisées à accéder au marché du crédit. Evergrande n’a pas respecté les trois lignes rouges et a donc été privé de capitaux provenant de sources normales et a opté pour une “économie de reconnaissance de dettes”. De plus en plus de promoteurs immobiliers font maintenant la même chose qu’Evergrande : ils vendent les maisons avant même qu’elles ne soient construites et utilisent l’argent pour rembourser leurs dettes.
La question est de savoir si, face à l’escalade de ce processus destructeur et douloureux, le gouvernement garde son sang-froid ou s’il abandonne sa ligne dure, de peur que la bulle immobilière ne devienne incontrôlable et ne fasse s’effondrer toute l’économie.
Les experts financiers s’inquiètent des effets de l’effondrement d’Evergrande sur les banquiers, les investisseurs et autres. Mais qu’en est-il des gens ordinaires ? L’effondrement affectera-t-il les personnes à la recherche d’un logement ? Qu’en est-il de ceux qui travaillent directement ou indirectement pour Evergrande ?
VK : La majorité des travailleurs en Chine, à l’exception peut-être de quelques personnes appartenant à l’aristocratie du travail, je suppose qu’on pourrait l’appeler ainsi, ont été exclus de ce processus, n’achetant pas ces maisons. L’effet que cela aura sur la classe ouvrière sera donc contradictoire. Si le marché de l’immobilier s’effondre, et que les prix commencent à chuter, cela pourrait être populaire parmi une partie de la population.
Mais pour ceux qui ont acheté des biens immobiliers, ce qui inclut certains cols blancs urbains, qui ont investi non seulement leurs propres économies mais aussi celles de leurs parents et de leurs proches pour acheter un endroit où vivre, l’effondrement des prix de l’immobilier serait une catastrophe. Ils seront confrontés à des fonds propres négatifs, comme cela s’est produit aux États-Unis, en Irlande, en Espagne et ailleurs après 2008. C’est un signal d’alarme pour le régime chinois car si cela commence à se produire dans tout le pays, vous avez les germes d’un mécontentement social massif.
Quant aux travailleurs d’Evergrande, il s’agit principalement du personnel de vente, des gestionnaires, des planificateurs et des comptables, mais pas des constructeurs. L’entreprise emploie environ 160.000 personnes effrayées de perdre leur emploi. Le travail de construction proprement dit est sous-traité à des entreprises qui emploient principalement des travailleurs migrants sous contrat temporaire, travaillant pour de bas salaires dans des conditions très brutales. Lorsque le travail est terminé, ils sont au chômage, puis vont ailleurs. Si Evergrande tombe, trois à quatre millions d’emplois sont menacés dans la construction et dans les chaînes d’approvisionnement de l’entreprise. Et avec une dizaine d’autres “Evergrande” plus petits menacés, les effets sur l’emploi et sur l’économie en général pourraient être graves.
Selon certaines informations, des manifestations ont déjà eu lieu en Chine à ce sujet. Sont-elles généralisées ?
VK : Il y a des protestations depuis plusieurs mois, avec beaucoup de gens qui réclament le remboursement de leur argent, surtout des ouvriers de la construction, parfois des patrons de la construction qui n’ont pas été payés, donc ne paient pas non plus leurs ouvriers. Plus de 80.000 employés d’Evergrande ont “prêté” de l’argent à l’entreprise – environ 15,5 milliards de dollars selon un responsable d’Evergrande – car les responsables ont escroqué la main-d’œuvre pour qu’elle achète des produits dits de gestion de patrimoine, en promettant des taux d’intérêt très attractifs pour aider l’entreprise à sortir de son marasme financier. Ces personnes ne sont pas des spéculateurs, dont on pourrait dire “ça les arrange”, mais souvent des gens désespérés qui veulent sauver leur emploi ou gagner un peu d’intérêt pour leur vie future. Il y a eu le cas d’une femme atteinte d’un cancer qui essayait de réunir des fonds pour son traitement.
Dans plusieurs villes, des personnes se sont rassemblées devant les bureaux des entreprises, très en colère, pour demander à être remboursées. La plupart sont des employés d’Evergrande. À ce stade, la colère n’est pas dirigée contre Xi Jinping, ni contre le PCC (le parti soi-disant communiste), mais contre Evergrande. Mais elle peut se transformer en une colère plus générale si le gouvernement n’intervient pas pour organiser une sorte de renflouement.
Alors comment pensez-vous que Xi Jinping va gérer cette crise ?
VK : Publiquement, le gouvernement ne dit rien. C’est incroyable. Les médias du monde entier parlent beaucoup d’Evergrande, mais vous ne lirez rien à ce sujet en Chine. Cependant, le gouvernement essaie d’utiliser cette crise pour faire pression sur les autres sociétés immobilières afin qu’elles réduisent leur endettement. Mais c’est une sorte de jeu de la poule mouillée : à quel moment vont-ils abandonner cette approche musclée s’il y a un risque d’effondrement de l’ensemble du secteur immobilier ?
Je pense qu’ils utiliseront un mélange de mesures. L’approche du PCC sera de nier officiellement qu’il sauve Evergrande, mais au niveau local et régional, il y aura différents types d’interventions et de renflouements de certaines entités pour éviter que cela n’aille trop loin et limiter les retombées sociales. Tout d’abord, pour ceux qui ont acheté les 1,6 million de propriétés inachevées et qui risquent de ne pas les obtenir, différentes entreprises d’État et gouvernements locaux interviendront pour achever la construction ou reprendre des actifs clés comme dans le cas du stade de football de Guangzhou [propriété d’Evergrande comme l’équipe, Guangzhou FC], afin que cela ne devienne pas une source de mécontentement social. Certains détenteurs nationaux de produits de gestion de patrimoine pourraient être partiellement indemnisés. Mais je pense que les spéculateurs internationaux seront laissés en plan. Ils n’obtiendront rien en retour.
À mon avis, Evergrande elle-même ne sera pas sauvée. Le plan consiste donc à utiliser cette situation pour donner une leçon aux autres, pour établir une discipline et un contrôle sur le secteur immobilier. Mais la question est de savoir s’ils y parviendront. C’est une entreprise très, très compliquée et dangereuse. Par sa nature même, vous ne pouvez pas contrôler une bulle. Il y a donc beaucoup de risques pour le régime chinois quant à la façon dont cela peut se dérouler.
Evergrande a été critiqué pour avoir suivi le “modèle mondial” du capitalisme chinois – une croissance fulgurante alimentée par la dette. Ce modèle est-il en train d’échouer ?
VK : Le “go global model” fait plutôt référence à des champions nationaux tels que Huawei, qui a été poussé à réussir sur le marché mondial, du moins jusqu’à ce qu’il soit bloqué par Trump puis Biden. Aujourd’hui, Huawei est une entreprise en détresse.
Evergrande n’a pas été particulièrement active sur les marchés internationaux, mais son modèle est très largement alimenté par la dette. Depuis de nombreuses années, la Chine se dirige vers un scénario à la japonaise. Une bulle immobilière remplie de dettes s’est effondrée en 1989. À l’époque, les biens immobiliers situés autour du palais impérial de Tokyo valaient plus que l’ensemble de l’État de Californie – c’est du moins ce que l’on disait souvent. Cette bulle a éclaté et le capitalisme japonais ne s’en est jamais vraiment remis. Il a souffert de plus de deux décennies de stagnation et l’année dernière, l’économie avait la même taille qu’en 1995. Cela pourrait maintenant être la perspective de l’économie chinoise.Bien sûr, ce ne sera pas exactement la même chose, mais ce sera beaucoup plus alarmant si cela se produit en Chine, car le Japon avait un coussin de protection sociale beaucoup plus solide que la Chine.
En raison du “hukou”, les populations rurales sont exclues du système d’allocations de chômage, tandis que seule une partie de la population urbaine bénéficie d’un certain niveau d’aide. La grande majorité de la population n’est absolument pas assurée. Ainsi, le type de crise qui s’est produit au Japon, ou dans le capitalisme occidental en 2008, ne se produira pas. Au contraire, toute crise dans le contexte chinois, avec des niveaux de vie si bas et l’absence de tout filet de sécurité sociale, sera plus prolongée, plus longue. C’est une perspective pour l’agitation révolutionnaire qui se développe en Chine.
Certaines personnes de gauche au niveau international affirment que le régime du PCC peut contrôler la crise grâce à son système supérieur de contrôle de l’État. Êtes-vous d’accord avec cela ?
VK : Le système fonctionne différemment mais il est toujours soumis aux lois économiques de la gravité. Le régime chinois a évité la crise qui a frappé le reste du monde en 2008 précisément en encourageant des entreprises comme Evergrande. Elles ont permis à d’énormes quantités de crédit d’affluer sur le marché immobilier, augmentant la demande de toutes les matières premières grâce au boom de la construction, et alimentant l’économie sur la base de la dette. De cette façon, la Chine a apparemment traversé la crise, entraînant avec elle des économies comme l’Australie. Mais elle y est parvenue en modifiant complètement son modèle de croissance.
Aujourd’hui, elle en paie le prix. Le fait que Xi Jinping se trouve dans cette situation et soit prêt à prendre ces risques montre à quel point la situation est désespérée. Les sections de la gauche qui ont des illusions sur le régime du PCC, et qui pensent qu’il peut éviter une crise, font une erreur fondamentale dans leur évaluation. La seule autre option dont dispose le PCC est de rouvrir le robinet du crédit et de gonfler encore plus la bulle, pour la faire éclater plus tard. Même avec ce capitalisme guidé, ils ne peuvent pas indéfiniment éviter une crise, les contradictions finiront par se refléter.
Quelle que soit la décision prise au sujet d’Evergrande, comment cela affectera-t-il la promesse déclarée du PCC de promouvoir la “prospérité commune” ?
VK : Le slogan clé du Parti communiste chinois, la “prospérité commune”, est un slogan vide qui n’a absolument rien à voir avec le socialisme. Si vous revenez 100 ans en arrière, “prospérité commune” était le slogan du Kuomintang de Sun Yat-sen. C’est vague, c’est vide. Mais le gouvernement peut sentir la pression explosive qui se développe dans la société à cause de l’écart de richesse, et le PCC en est responsable. Ses attaques contre le secteur capitaliste privé ne se traduiront pas d’elles-mêmes par une amélioration des salaires et des conditions de travail des travailleurs, surtout sous une dictature qui interdit les syndicats.
Il est étonnant que certaines sections de la gauche internationale pensent que le régime chinois est socialiste, que cet énorme secteur privé, spéculatif et capitaliste [le marché immobilier] qui représente 29 % du PIB s’est développé sans que le PCC n’en soit responsable d’une manière ou d’une autre.
Le propriétaire et président d’Evergrande, Xu Jiayin, est membre du Parti communiste depuis 35 ans, il est membre du Comité consultatif politique du peuple chinois (CCPPC), l’organe jumeau du soi-disant parlement – le Congrès national du peuple. En 2012, l’année où Xi Jinping a été nommé “leader suprême”, Xu Jiayin a assisté à une session de la CCPPC en portant une ceinture “Hermès” en or très chère. Cela a fait le tour des médias sociaux. Il a été deux fois l’homme le plus riche de Chine. Toute sa carrière professionnelle a été liée à l’élite du PCC.
De nombreux contrats d’Evergrande ont été financés par les gouvernements locaux, qui tirent la moitié de leurs revenus de la vente de terrains. La vente des terres les plus lucratives a procuré des revenus corrompus aux élites du PCC dans tout le pays. Ainsi, si la bulle éclate, les vagues se répercuteront sur l’ensemble des gouvernements locaux. Ils ressentent déjà les effets de la forte baisse des ventes de terrains.
Xu Jiayin lui-même ne sera certainement plus un milliardaire, il pourrait bien finir en prison à cause de ce qui est en train d’être révélé sur Evergrande. Ce que ses patrons ont fait est effrayant, ils ont construit un énorme système de Ponzi, basé sur la tromperie des gens pour que la fraude continue. Les régimes capitalistes autoritaires comme celui de Xi Jinping peuvent de temps en temps montrer l’exemple, poursuivre les hommes d’affaires et même les abattre, mais cela ne change pas la base capitaliste de l’économie.
Le secrétaire d’État américain Antony Blinken a appelé Pékin à “agir de manière responsable” dans ses relations avec Evergrande, probablement en raison d’informations selon lesquelles tout sauvetage par le gouvernement chinois privilégierait les intérêts nationaux par rapport à ceux des détenteurs d’obligations étrangers. Comment cela s’inscrit-il dans le cadre des tensions croissantes entre la Chine et les États-Unis ?
VK : Le problème d’Evergrande n’est pas seulement celui de la Chine. Si Evergrande marque un tournant, le début d’une crise généralisée dans le secteur immobilier chinois, cela aura des répercussions mondiales.
Blinken tente de faire pression sur le régime chinois pour qu’il préserve les intérêts des fonds spéculatifs et des spéculateurs de Wall Street, qui ont acheté ces obligations de pacotille. D’ailleurs, les banques occidentales, telles que la banque britannique HSBC et la banque suisse UBS, continuent d’acheter ces titres, même s’ils n’ont aucune valeur, parce qu’elles calculent qu’il pourrait encore y avoir un gain. Je pense que le régime chinois ne leur accordera que peu d’importance. Sa priorité est d’éviter les troubles intérieurs.
Mais c’est un problème pour les États-Unis. Il est intéressant de constater un certain changement de ton de la part de certains analystes internationaux pro-capitalistes. Depuis le début de la guerre froide actuelle, l’accent a été mis sur “la Chine devient trop puissante”, “la Chine est une menace parce qu’elle est si forte”. Aujourd’hui, on trouve de plus en plus d’articles affirmant que “la Chine est peut-être plus faible que nous le pensions”. La Chine peut être une menace non pas parce qu’elle “dépasse les États-Unis”, mais parce que son économie entre dans une crise grave. Cela affectera l’ensemble du capitalisme mondial.
Depuis la grande récession de 2008, la Chine a représenté environ 28 % de la croissance mondiale. Tout le monde sait que le charbon d’Australie, le fer du Brésil et les matières premières d’Afrique et d’Amérique latine ont été aspirés sur le marché chinois à des prix élevés précisément parce que des entreprises comme Evergrande construisaient toutes ces maisons. La part de la Chine dans les mises en chantier mondiales est actuellement de 32 %.
En 2020, Kenneth Rogoff, de Harvard, et Yuanchen Yang, de l’université de Tsinghua, ont affirmé qu’”une chute de 20 % de l’activité immobilière pourrait entraîner une baisse de 5 à 10 % du PIB, même sans l’amplification d’une crise bancaire, ni la prise en compte de l’importance de l’immobilier comme garantie”. Le scénario qu’ils esquissent n’est pas farfelu. En août de cette année, on a constaté une chute de 20 % en glissement annuel des ventes de logements. En septembre, elle est passée à 30 %. Si ce marché continue à s’effondrer de la sorte, cela se traduira par de graves problèmes non seulement pour la Chine, mais aussi pour l’ensemble de l’économie mondiale, sans oublier les craintes d’une forte baisse des prix des métaux.
En ce qui concerne les États-Unis, ils se sont préparés à cette guerre froide à long terme en partant du principe que la Chine les défie, mais ils pourraient être confrontés à un scénario différent consistant à limiter les dégâts causés par une Chine en crise profonde.
Comment les socialistes feraient-ils face à cette situation ?
VK : Quelle serait une véritable politique socialiste ? Le PCC n’est pas un parti socialiste mais un parti capitaliste et autoritaire de milliardaires comme Xu Jiayin, et d’ailleurs Xi Jinping lui-même et sa famille, qui sont également extrêmement riches. S’ils devaient mettre en œuvre des politiques socialistes, ils provoqueraient leur propre chute.
Les politiques socialistes impliqueraient la nationalisation des sociétés immobilières en Chine – certaines sont déjà détenues par l’État, d’autres, comme Evergrande, sont privées. Mais la nationalisation nécessite une planification démocratique par la main-d’œuvre, par les représentants des résidents et par les syndicats, qui n’existent pas en Chine. La propriété publique et la planification démocratique sont la clé.
Si un cinquième des appartements urbains sont vides, alors un gouvernement ouvrier les confisquerait, ne versant une compensation que dans les rares cas où un individu peut prouver qu’il souffre d’une réelle détresse financière. Cela signifierait que des millions d’unités de logement seraient instantanément disponibles pour le logement social, louées à des loyers bas plutôt que vendues, avec une réorganisation totale du marché du logement vers le logement social et locatif, loin du marché exclusif et coûteux des appartements à vendre.
Bien entendu, si le secteur immobilier est un élément crucial de l’économie chinoise, il ne serait pas possible de le planifier de manière isolée. Cela nécessiterait la transformation socialiste de l’économie au sens large, y compris du système financier. De cette manière, toutes les dettes pourront être annulées et les ressources utilisées pour répondre aux besoins des gens ordinaires.
Une mesure clé serait de se débarrasser du système du hukou. S’il était aboli demain, les gouvernements locaux chinois ne disposeraient pas de l’infrastructure sociale nécessaire pour y faire face. La majorité des cols bleus vivant dans les grandes villes ont des hukous ruraux. Comme ils ne peuvent pas posséder leur propre maison, il arrive souvent que deux ou trois familles vivent dans des pièces sordides et exiguës. Les administrations municipales n’ont pas les moyens de fournir les soins de santé, les indemnités de chômage et les pensions nécessaires. Pour abolir le hukou, il faut donc une révision complète et révolutionnaire de l’ensemble du système financier gouvernemental.
Toutes ces questions sont liées les unes aux autres. Il n’y a pas de syndicats en Chine, alors comment développer les mécanismes de planification, afin d’éviter tous les problèmes qui se posent actuellement. La seule façon d’y parvenir est de placer toutes les décisions économiques sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière, ce qui implique l’auto-organisation des travailleurs dans des partis démocratiques, des organisations de travailleurs et, surtout, des syndicats. Tout cela nécessite une lutte révolutionnaire, en d’autres termes un programme révolutionnaire, pour des droits démocratiques complets et immédiats et le renversement de la dictature.
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Les premiers pas du mouvement communiste en Chine

Chen Duxiu Au cours de cet été 2021, les médias ont évoqué le 100e anniversaire de la fondation du Parti communiste chinois. Mais à part la date de fondation du parti (28 juillet 1921), le lieu (une petite maison située dans la concession française de Shanghai) et une référence à la Longue Marche (1934-1935) emmenée par Mao Zedong, rien de significatif n’a été publié. Il est vrai qu’en Europe on connaît en général très peu l’histoire de la Chine, son passé lointain et les bouleversements révolutionnaires qui ont ébranlé ce pays au 20e siècle. Impossible, dans le cadre d’un court article, de retracer le cours de tous ces événements en une fois. Aussi, la suite paraîtra dans le prochain numéro de ce journal.
Par Guy Van Sinoy, texte paru en 2 partie dans le mensuel Lutte Socialiste (édition de septembre et octobre 2021)
1911: l’empire chinois tombe en miettes
L’empire chinois remontait à 20 siècles avant J-C(1). Au 19e siècle, la Chine faisait l’objet de la convoitise des puissances impérialistes. La Grande-Bretagne mène de 1839 à 1842 une guerre pour ouvrir la Chine au trafic de l’opium produit en Inde. Ensuite une coalition impérialiste (Grande-Bretagne, France, États-Unis) mène une deuxième guerre de l’opium, de 1856 à 1860. Ces expéditions militaires impérialistes visaient à dépouiller le pays et arracher des concessions territoriales. D’autre part, plus de 1.500 seigneurs de la guerre, grands et petits, se battaient les uns contre les autres, district contre district, en empochant les impôts avec des années d’avance.
En octobre 1911 à Wuhan, le cœur économique de la Chine centrale, quatre bataillons de l’armée menés par de jeunes officiers républicains, qui s’opposaient depuis des années à la dynastie Quing, occupent l’arsenal, attaquent le palais et forcent le gouverneur à fuir. En moins d’un mois, la plus grande partie de la Chine méridionale passe du côté de la révolution. L’empire s’écroule comme un château de cartes. Puyi, dernier empereur de la dynastie Quing, abdique le 10 octobre 1911 et un gouvernement provisoire, présidé par Sun Yat-sen, est formé à Nankin, la capitale.
En 1912 Sun Yat-sen fonde un parti nationaliste bourgeois, le Kuomintang (Parti national du Peuple). La bourgeoisie chinoise prônait la réunification du pays, l’unification du marché national et l’élimination de tous les obstacles, comme l’avait fait la bourgeoisie en Europe au cours des siècles de son ascension. Malgré sa volonté de débarrasser le pays des vestiges féodaux, la bourgeoisie chinoise redoutait la montée en puissance de la classe ouvrière.
La lutte de classes secoue le pays
La situation misérable du prolétariat chinois rappelait, en pire, la situation de la classe ouvrière anglaise décrite par Engels en 1844. Les grèves éclatent le plus souvent spontanément pour des motifs économiques et pour l’amélioration des conditions de travail. Des grèves de masse marquent la période 1922-1923. En janvier 1922 120.000 marins de Hongkong font grève pendant 56 jours pour améliorer les salaires. Les armateurs étrangers doivent céder. En octobre, 50.000 mineurs à Kailan (une mine gérée par la Chine et la Grande-Bretagne) cessent le travail pendant 25 jours pour arracher une hausse de salaire. La répression est souvent brutale. Lors de la grève générale des cheminots en 1923, Lin Xiangqian, secrétaire du syndicat, est décapité au sabre pour avoir refusé d’appeler à la reprise du travail.
23 juillet 1921: fondation du PC chinoisA son congrès de fondation le Parti communiste chinois est une organisation très petite : quelques dizaines de membres! Il a comme figures de proue Li Dazaho et Chen Duxiu, un intellectuel prestigieux qui est élu Secrétaire général. Mao Zedong, bien que présent au congrès, n’a eu aucune part active dans les débats. A partir de son expérience en Indonésie, l’envoyé du Komintern, Maring (2), propose, contre l’avis de Chen Duxiu, que le PCC soutienne le Kuomintang. Au début des années 1920, le Kuomintang est désorganisé et Sun Yat-sen demande à Moscou(3), qui répond favorablement, à renforcer son organisation.
En 1923 le PC chinois compte 420 membres. Il entre dans le Kuomintang qui, de son côté, a 50.000 membres ! Sun Yat-sen meurt en mars 1925. Tchang-Kaï-Chek, un militaire de carrière, manœuvre pour prendre la direction du Kuomintang…
Shanghai, 1927: l’écrasement de la révolution chinoise (2e partie)
Dans le numéro de septembre 2021 j’ai brièvement fait le portrait de la Chine au début du XXe siècle : pays semi-colonial avec une économie où les masses paysannes étaient exploitées par de grands propriétaires terriens. La dynastie Qing, liée à l’aristocratie terrienne, vivait repliée sur la Cité interdite en déléguant le pouvoir en province à des gouverneurs locaux et cédait aux grandes puissances impérialistes des « concessions » territoriales où se concentraient les industries.
Le Kuomintang (KMT)
Un parti nationaliste et républicain (Kuomintang), fondé en 1905 par Sun Yat-Sen, un intellectuel occidentalisé, portait les aspirations des couches intermédiaires de la société. Le KMT prit la tête d’un soulèvement initié par le corps des officiers et la république fut proclamée en 1911. Le Nord de la Chine resta aux mains des seigneurs de la guerre tandis que l’influence du KMT s’étendait dans les villes du Sud où se concentraient les industries : Canton, Shanghai, Hongkong, Wuhan.
Le Komintern, le PCC et le KMT
À sa fondation, en 1921, le Parti communiste chinois (PCC) ne comptait que quelques dizaines de membres. Sous les recommandations des envoyés du Komintern, les membres du PCC durent s’affilier individuellement au KMT pour tenter de l’orienter. À la mort de Sun Yat-sen, en 1925, Tchang Kaï-chek, un officier de carrière, prit la tête du KMT. Le PCC était alors devenu un parti de masse et comptait 60.000 membres. L’aile droite du KMT prit peur et, avec l’accord de Tchang Kaï-chek, décida de combattre les communistes.
Après l’échec de la révolution allemande en 1923, les responsables du Komintern portaient leurs espoirs révolutionnaires sur la Chine afin de briser l’isolement de la Russie soviétique. À Moscou, Staline et Boukharine soutenaient la participation du PCC au KMT, dans le cadre de la pseudo théorie du « bloc des quatre classes » (bourgeoisie nationale, petite bourgeoisie, prolétariat, paysannerie). Alertés par le suivisme du PCC à l’égard du KMT, Trotsky et Zinoviev tiraient la sonnette d’alarme et recommandaient au PCC de rompre avec le KMT.
Canton 1926, Shanghai 1927
À Canton en 1926, la quasi-totalité du pouvoir était aux mains du comité de grève qui, depuis juin 1925, organisait les travailleurs et disposait de milices armées. Le 20 mars 1926, Tchang Kaï-chek proclama la loi martiale, fit désarmer les piquets de grève, arrêta les communistes qui dirigeaient la grève. Le PCC, paralysé par les consignes du Komintern, ne réagit pas.
Shanghai regroupait alors la moitié des ouvriers d’usine du pays. Tchang Kaï-chek, appuyé par les seigneurs de la guerre, prit alors contact avec les puissances impérialistes pour obtenir leur soutien. Le 12 avril 1927 les troupes de Tchang Kaï-chek attaquèrent les syndicats et toutes les organisations ouvrières de la ville. Des milliers de communistes furent exécutés (fusillés, décapités, ou encore brûlés vifs dans les chaudières des locomotives). Cet épisode tragique de la lutte de classes marqua la fin de l’influence de masse du PCC dans la classe ouvrière chinoise. La révolution chinoise qui aura lieu des décennies plus tard sous la direction de Mao Tsé-toung, s’appuiera sur les campagnes.
Après coup, l’Exécutif du Komintern a rendu Chen Du-xiu, secrétaire du PCC, responsable de la défaite. Écarté de la direction, puis exclu, Chen Du-xiu se rallie à Trotsky et à l’opposition de gauche. Condamné à 13 ans de prison par le KMT en 1932, il meurt en prison. Peng Shu-zhi, bras droit de Chen Du-xiu, avait proposé à plusieurs reprises de rompre avec KMT. Exclu de la direction, puis du PCC, avec Chen Du-xiu, il rallie l’opposition de gauche puis, en exil, la 4e Internationale où il restera politiquement actif jusqu’à sa mort en 1983.
Notes :
1) Ainsi, l’armée des guerriers en terre cuite enterrée à Xian, remonte à l’empire Quin (220 ans avant J-C), une époque antérieure à l’empire romain.
2) Maring était le pseudonyme de Henk Sneevliet, un militant communiste néerlandais qui avait lutté contre le colonialisme en Indonésie de 1913 à 1918.
3) Le 28 août 1921, Sun Yat-sen écrit à un responsable bolchevik : « Je suis extrêmement intéressé par votre œuvre, en particulier par l’organisation de vos soviets, de votre armée, de votre éducation. Avec mes meilleurs vœux pour vous-même, pour mon ami Lénine et pour tous ceux qui ont tant œuvre pour la cause de la liberté humaine. » (Lénine, Œuvres, tome 45, p. 747)Pour en savoir plus…
– L’envol du communisme en Chine (mémoires de Peng Shuzhi), Ed. NRF, Paris, 1983, 488p.
– Origines et défaite de l’internationalisme en Chine 1919-1927, Anthologie, Ed. Science marxiste, Montreuil-sous-Bois, 2021, 560p.
– Histoire de l’Internationale communiste 1919-1943, Pierre Broué, Fayard, Paris ; 1997, 1120 p. -
Motion de solidarité de la CGSP ALR Bruxelles contre la répression en Chine/Hong Kong

Nous publions ci-dessous une importante motion de solidarité qui se situe dans la fidèle tradition de la solidarité internationale entre travailleurs. Nous vous invitons à faire de même et à envoyer cette déclaration à info@socialisme.be
La CGSP ALR Bruxelles, exprime sa plus totale opposition à la répression contre les syndicalistes et les militants pour la démocratie à Hong Kong. Notre syndicat, qui représente les travailleurs du secteur public régional bruxellois, soutient les campagnes de solidarité avec ceux qui luttent pour des syndicats véritablement indépendants et les droits démocratiques des travailleurs à Hong Kong et en Chine.
Nous exprimons notre solidarité avec les syndicalistes et le peuple de Hong Kong qui font face à des attaques sans précédent contre les droits démocratiques. Notre syndicat note que depuis 2020, Hong Kong a été le théâtre d’une sévère répression politique de la part du gouvernement, qui a imposé une loi de sécurité nationale assortie de sanctions draconiennes. Cette loi est utilisée pour écraser les droits démocratiques à Hong Kong.
D’éminents syndicalistes sont pris pour cible. Winnie Yu Wai-ming, infirmière et fondatrice de l’Hospital Authority Employees Alliance (HAEA), est actuellement en prison dans l’attente d’un procès pour “subversion”, tout comme Carol Ng du HKCTU. La HAEA a été formée pendant les manifestations pour la démocratie de 2019 et a été le premier syndicat hospitalier au monde à faire grève pour obtenir davantage de ressources pour lutter contre Covid-19.
Les développements à Hong Kong sont “un assaut brutal contre les droits humains fondamentaux : la liberté d’association, la liberté d’expression, la liberté de se réunir”, déclare Sharan Burrows, secrétaire générale de la ITUC. L’Union for New Civil Servants a annoncé sa dissolution en 2021 sous les menaces du gouvernement. En Chine, le régime ne tolère pas les syndicats indépendants ni les droits démocratiques fondamentaux et étend désormais ce système politique à Hong Kong.
Nous appelons tout le mouvement syndical et social à :
– Exiger l’abolition de la loi répressive sur la sécurité nationale et abandonner les accusations infondées contre les militants de la démocratie.
– Soutenir les campagnes de solidarité avec ceux qui luttent pour des syndicats véritablement indépendants et pour les droits démocratiques des travailleurs à Hong Kong et en Chine.
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Le capitalisme chinois et la crise climatique

Allemagne, Canada, Chine,… inondations et méga-feux annoncent une nouvelle ère de catastrophes climatiques
Depuis le 20 juillet, 302 personnes sont mortes dans les inondations de Zhengzhou, la capitale de la province du Henan. La dictature chinoise du Parti « Communiste » chinois parle d’une inondation “qui se produit une fois par millénaire”. Mais la vérité est claire et nette : la crise climatique s’est installée pour durer.
Par Hong Liuxing, chinaworker.info
- Bruxelles, mardi 21 septembre, 19h, meeting des Etudiants de Gauche Actifs : Capitalism kills! Luttons pour un changement de système (ULB Solbosch, Auditoire H2213)
- Liège, jeudi 23 septembre, 18h30, à l’ULG, meeting des Etudiants de Gauche Actifs : Capitalism kills! Luttons pour un changement de systèmeplace du XX Août (salle Wittert)
Avec l’élévation des températures et du niveau de la mer, la côte orientale de Chine, densément peuplée, est sérieusement menacée de se retrouver sous l’eau. On estime que 43 millions de personnes en Chine vivent sur des terres qui pourraient être submergées si les températures moyennes mondiales augmentent de 2°C. Pire, des projets d’infrastructure massifs comme le barrage des Trois Gorges pourraient être menacés par l’augmentation des précipitations et la fonte du permafrost.
L’essor frénétique de l’énergie au charbon
La Chine est le plus grand émetteur de gaz à effet de serre, avec 27 % du total mondial. Xi Jinping vante le projet de la Chine de devenir neutre en carbone d’ici 2060. Les médias d’État ne cessent de souligner que la Chine était le premier producteur mondial d’énergies renouvelables. Mais rien de ce que le régime du PCC prévoit ne permet d’atteindre ces objectifs, et encore moins la diminution de carbone requise d’ici 2025 pour éviter les “points de basculement climatique” majeurs, qui pourraient accélérer le processus et laisser des impacts irréversibles pour la vie humaine sur terre. En fait, d’après une étude de 2020 coordonnée par l’Université du Maryland et la Fondation chinoise pour l’énergie, la Chine doit atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
Malgré tous les objectifs climatiques proclamés haut et fort, le 14e plan quinquennal du PCC ne donne pas d’objectifs spécifiques en matière d’énergies renouvelables et ne prévoit pas de plafonner les émissions de carbone. En 2020, la Chine a construit plus de trois fois plus de capacités de production d’électricité au charbon que le reste du monde réuni. Des centaines de nouvelles centrales à charbon vont être “autorisées” par l’Administration nationale de l’énergie. Plus de 66 % de l’électricité chinoise provient du charbon. Cela s’explique en partie par le fait que les sociétés à but lucratif State Grid et China Electricity Council ont réussi à faire pression pour la construction de centaines de nouvelles centrales à charbon dans le cadre du 14e plan quinquennal en défendant le mythe du charbon “propre et efficace”.
Ceci est révélateur de la structure de gouvernance de type « chambre de commerce » capitaliste du PCC, où de puissantes sociétés d’énergie publiques à but lucratif utilisent l’État pour amasser des milliards de dollars de bénéfices. Mais c’est aussi parce que la position de Xi sur la scène mondiale et au sein du parti-État a été sérieusement menacée par la nouvelle guerre froide et la stagnation économique consécutive à la pandémie. Avec son plan 2022 visant à s’assurer un pouvoir à vie, les tentatives de Xi pour relancer l’économie nationale l’ont conduit à s’appuyer sur le charbon sale, qui emploie des millions de personnes et dont l’offre est abondante en Chine, contrairement au gaz naturel, au pétrole ou au lithium (pour les énergies renouvelables) qui doivent être importés d’ailleurs.
En outre, les chiffres relatifs aux dépenses en énergies renouvelables sont “tout simplement impossibles”, selon Jonathan Luan Dong, analyste de BloombergNEF basé à Pékin. Si le gouvernement déclare avoir installé 120 gigawatts d’énergie éolienne et solaire en 2020, il n’y a guère de preuves à l’appui, car on ne trouve aucun impact ultérieur sur les chaînes d’approvisionnement. L’Administration nationale de l’énergie a également choisi de ne pas fournir de chiffres concernant les installations éoliennes pour 2020. La falsification des données pour impressionner les investisseurs et les potentiels alliés dans la nouvelle guerre froide impérialiste provoquera la destruction mutuelle des puissances capitalistes concurrentes lorsque l’écosystème de la planète commencera à s’effondrer.
Le problème, c’est l’économie de marché
L’élan de la Chine vers les énergies renouvelables est en grande partie déterminé par le marché. La Chine possède désormais le deuxième plus grand marché de “finance verte”, où la classe capitaliste chinoise pourrait engranger des bénéfices massifs. Cependant, à mesure que les énergies renouvelables se développent, le prix de l’énergie solaire ou éolienne commence à baisser jusqu’à ce qu’il ne soit plus rentable de déployer de nouvelles centrales électriques renouvelables. Cette logique de profit empêche en fin de compte le capitalisme d’effectuer une transition complète vers une économie neutre en carbone et c’est pourquoi une économie planifiée démocratiquement est le seul moyen de lutter contre le changement climatique.
Le deuxième mécanisme que le PCC a introduit est un marché national du carbone, qui deviendra le plus grand marché du carbone au monde. Le soi-disant marché du carbone impose des plafonds d’émission de carbone aux usines, les obligeant à acheter des “permis de pollution par le carbone” sur le marché pour émettre davantage de pollution. Cette politique présente de sérieuses limites, avec une “amnistie de la pollution” en place pour tous les pollueurs qui rend le marché entièrement spéculatif. Des modèles similaires et plus restrictifs existent déjà ailleurs, comme dans l’UE, et ont été appliqués pendant 15 ans sans que les émissions n’aient diminué.
La raison intrinsèque pour laquelle les marchés du carbone ne fonctionnent pas est qu’il s’agit essentiellement d’une tactique de diversion qui permet aux grands pollueurs de tirer encore plus de profit de leurs clients. Ils permettront à des entreprises comme Sinopec (la plus grande compagnie pétrolière et gazière de Chine) de justifier l’augmentation des coûts des produits de base, engrangeant des milliards de bénéfices supplémentaires alors que les combustibles fossiles continuent d’être extraits du sol.
Début août, Sinopec a acheté 100.000 tonnes de quotas d’émission de carbone tout en annonçant une augmentation de 60 % de sa production de gaz naturel d’ici 2025. Bien que la compagnie affirme qu’il s’agit d’une réduction nette des émissions comparé au charbon et au pétrole, le gaz naturel est souvent plus polluant que les autres combustibles fossiles en raison des fuites lors du processus d’extraction. Pire encore, la raison de l’augmentation de la production de gaz naturel de Sinopec est directement liée aux énormes nouveaux flux de gaz découverts au Xinjiang l’année dernière, ouvrant la voie à davantage de dépossession et d’exploitation coloniale dans cette région occidentale rétive.
Le rêve de Xi : la capture du carbone
Jusqu’à présent, aucun plan réel n’a été annoncé ou mis en œuvre pour atteindre l’objectif d’une Chine neutre en carbone en 2060. Les modèles de mix énergétique de l’université de Tsinghua prévoient que même en 2060, le mix énergétique idéal sera composé de 16 % de la consommation d’électricité provenant encore de combustibles fossiles. Prévoyant un doublement global de la consommation d’énergie, le PCC prévoit de “compenser” d’énormes quantités d’émissions de carbone grâce à la technologie de capture du carbone.
Comme beaucoup parmi la classe des pollueurs du monde entier, le PCC considère la capture du carbone comme la “grâce salvatrice” du capitalisme et de l’écosystème de la planète, censée permettre et “compenser” la poursuite de la croissance économique dans les industries d’extraction des combustibles fossiles, qui représentent des milliards de dollars. Toutefois, les systèmes de capture du carbone existants ne permettent actuellement de capturer que 0,1 % des émissions mondiales, et le développement de cette technologie s’annonce extrêmement difficile. Ce taux minuscule s’explique en partie par l’absence de marché pour le carbone recapté, car il est en concurrence avec le carbone naturel.
Là encore, la logique du capitalisme a fait que presque tous les grands investissements dans la capture du carbone ont été réalisés par d’énormes sociétés pétrolières, d’Exxon Mobil à la société chinoise Sinopec, qui vient de lancer un “projet de capture du carbone à l’échelle de la mégatonne”. En effet, 81 % des systèmes de captage du carbone sont en fait utilisés pour raffiner le pétrole brut, ce qui montre que le captage du carbone n’est qu’un moyen pour les pollueurs d’extraire davantage de combustibles fossiles du sol. Que ce soit dans une dictature de milliardaires ou dans une “démocratie” capitaliste, les intérêts de milliers de milliards de dollars des entreprises de combustibles fossiles sont intimement liés à leurs systèmes politiques et économiques, ce qui freine la toujours insaisissable “volonté politique” de lutter contre le changement climatique.
Même si les gouvernements capitalistes devaient mettre en place des systèmes de capture massive du carbone, on estime que cela nécessiterait une masse terrestre égale à toutes les terres cultivées actuellement dans le monde. Cela donnerait lieu à des réquisitions massives de terres et à des déplacements de populations pauvres et indigènes dans le monde entier, réduisant le niveau de vie des travailleurs pendant que la classe capitaliste poursuit ses activités habituelles.
Le capitalisme et les dommages environnementaux
Jusqu’à présent, le régime du PCC a justifié les dommages environnementaux massifs par la nécessité d’une croissance économique rapide. Bien que nous sachions que les gains réels ont été très faibles pour les travailleurs, la majeure partie allant au nombre croissant de milliardaires chinois (plus de 1 000 selon la liste Hurun de 2021), la prise en compte des coûts de nettoyage de l’environnement dans l’équation atténue encore ce récit.
Selon le ministère de la Protection de l’environnement du PCC en 2015, le coût de la dépollution de l’air, de l’eau et du sol s’élèvera à 6 000 milliards de yuans (960 milliards de dollars). Dans un rapport de l’ONU de 2018, la croissance du PIB par habitant de la Chine entre 1990 et 2015 était de 58,4 %. Toutefois, si l’on tient compte de la perte de ressources naturelles et de la déstabilisation des écosystèmes, l’indice de “richesse inclusive” de l’ONU montre que le PIB chinois par habitant n’a augmenté que de 10,2 %. Le capitalisme d’État du PCC, bien qu’il soit capable de mobiliser des ressources économiques comparativement énormes, souffre toujours de la course aveugle aux profits à court terme qui infligent des dommages irrévocables à notre environnement.
La réponse du PCC à l’urgence climatique croissante a consisté en une série de mesures d’austérité, notamment les nouvelles règles de tri des déchets mises en œuvre à Shanghai en 2019. Si les déchets ménagers constituent un problème, ce n’est rien comparé à la pollution industrielle non réglementée qui continue à s’échapper des usines et des centrales électriques dans le cadre de l’”amnistie de la pollution”.
Pourtant, les autorités de Shanghai ont décidé d’obliger les travailleurs à supporter le poids de la crise climatique, en instaurant des amendes de 200 yuans (soit 1,5 heure de travail pour le salaire moyen à Shanghai) chaque fois qu’ils ne respectent pas un système labyrinthique de tri des déchets. Les os de poulet sont des déchets humides, mais les os de porc sont des déchets secs, selon la longue liste de règles bureaucratiques dénuées de sens. Les travailleurs de l’assainissement de Shanghai sont les plus durement touchés, car ils doivent faire des heures supplémentaires pour trier les déchets, le gouvernement municipal refusant de collecter les déchets non triés. En l’absence d’incitation au profit, la classe capitaliste dirigeante en Chine n’a aucun intérêt à garantir un environnement vivable pour les masses, mais va ensuite imposer une éco-austérité brutale lorsque les coûts de la gestion des déchets deviennent trop élevés.
L’impérialisme climatique
La nouvelle guerre froide entre la Chine et les États-Unis définira les lignes de bataille du capitalisme mondial pour les décennies à venir. Dans ce domaine, les deux parties sont devenues de plus en plus hypocrites. La Chine a financé plus de 300 centrales à charbon étrangères, de l’Égypte aux Philippines, alors que Xi prétend que l’initiative Nouvelle Route de la Soie (Belt and Road initiative, BRI) sera “propre et durable”. Avec plus de 60 % des investissements de la BRI vers les énergies non renouvelables, l’administration Biden a accusé la Chine d’externaliser la pollution. Mais les États-Unis ne font pas mieux, puisqu’ils continuent à dépenser des milliards de dollars pour subventionner les combustibles fossiles à l’étranger. Alors que Biden a rédigé un décret visant à cesser de subventionner les centrales au charbon, les États-Unis continuent de financer des centrales au gaz naturel dont les émissions de carbone sont plus élevées que celles du charbon, créant ainsi une dépendance à l’égard d’une source de combustible que les États-Unis exportent désormais massivement.
La concurrence pour les ressources en énergies renouvelables, comme le lithium et le cobalt, devrait également s’intensifier. La Chine a obtenu les droits d’exploitation d’une importante mine de cobalt en République démocratique du Congo, où le travail des enfants et l’esclavage sont monnaie courante et où les polluants miniers causent souvent des dommages permanents aux communautés locales.
De même, la Chine a investi 4,2 milliards de dollars US dans des contrats de lithium en Amérique du Sud au cours des deux dernières années. Cela a alimenté la lutte des classes sur les conditions de travail et les droits fonciers des indigènes dans les Andes, les grandes entreprises d’État chinoises étant résolument du côté de la bourgeoisie locale. La demande de lithium par les deux parties, vital pour la fabrication de batteries, a été l’un des facteurs qui ont conduit au coup d’État contre le président bolivien Evo Morales en 2019, le milliardaire Elon Musk ayant tweeté : “Nous ferons un coup d’État à qui nous voulons.” Le PCC est resté largement silencieux sur l’éviction du gouvernement de Morales par les forces de droite.
La lutte des classes pour sauver la planète
La seule façon de sortir de la catastrophe climatique mondiale passe par le pouvoir de la classe ouvrière. Cela signifie qu’il faut renverser la dictature pourrie des milliardaires du PCC, qui fait passer les superprofits et son pouvoir incontesté avant la population et la planète. Sans une économie planifiée démocratiquement, aucune transition vers une société écologique n’est possible, car le capitalisme s’est construit sur base des combustibles fossiles et continue de s’appuyer sur eux.
Le régime de Xi craint de plus en plus les manifestations environnementales, sachant le potentiel explosif qu’elles peuvent avoir sur la lutte et la conscience de la classe ouvrière. Les manifestations passées contre les incinérateurs et les usines chimiques polluantes ont rassemblé des dizaines de milliers d’habitants ouvriers dans des manifestations de rue vibrantes de colère, la dernière en date étant la manifestation contre l’incinérateur de Wuhan en 2019.
L’internationalisation des mouvements de masse a commencé à s’infiltrer en Chine également, avec une couche croissante de jeunes radicalisés par les dangers du réchauffement climatique. La grève du climat de Greta Thunberg a inspiré Howey Ou, une étudiante chinoise de 16 ans incroyablement courageuse, à tenter de mener une grève scolaire similaire. Howey Ou représente une prise de conscience croissante chez les jeunes en faveur d’une approche ouvrière de la lutte pour la planète, déclarant : “La plupart des organisations environnementales s’adressent à une classe moyenne éduquée dans les villes. Mais je veux me concentrer sur ceux qui sont immédiatement touchés par le changement climatique et qui ne peuvent pas s’exprimer.”
Le talon de la répression étatique s’est rapidement retourné contre elle, le PCC l’ayant arrêtée, interrogée et lui ayant interdit de retourner à l’école. L’”environnementalisme” de Xi Jinping s’est révélé être une imposture, et le PCC craint le jour où l’immense classe ouvrière chinoise se soulèvera contre son pillage dictatorial de la nature. Les travailleurs et les étudiants chinois doivent s’organiser, créer des syndicats indépendants et des organisations étudiantes, et lutter pour le contrôle démocratique de masse de toutes les industries des combustibles fossiles et des autres secteurs économiques dominants, afin d’assurer la transition vers une société écologique et véritablement socialiste.
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La résistance de masse et la solidarité internationale sont essentielles contre le régime des talibans

Le chaos qui règne à l’aéroport de Kaboul illustre à quel point de nombreux Afghans craignent le nouveau régime taliban. Ils savent ce que les talibans ont signifié pour les femmes, les travailleurs et les opprimés la dernière fois. Ce groupe islamiste extrêmement conservateur a pu s’emparer sans trop de difficultés de la capitale afghane quelques jours après le départ des troupes américaines et revient sur le devant de la scène sans avoir jamais vraiment disparu. Pour l’impérialisme américain, c’est la fin humiliante de 20 ans de guerre et d’occupation dont n’ont bénéficié que les grandes entreprises, notamment dans l’industrie militaire.
Par Geert Cool, article tiré de l’édition de septembre de Lutte Socialiste
Les talibans contre les droits des femmes, des travailleurs et des pauvres
En 20 ans, les États-Unis ont dépensé plus de 2.000 milliards de dollars pour cette guerre et cette occupation. L’Afghan moyen, cependant, n’en a pas bénéficié. Beaucoup d’argent a disparu dans les poches des grandes entreprises, mais aussi dans celles des seigneurs de guerre locaux et des hauts responsables, par le biais de la corruption et des pots-de-vin. Après 20 ans, l’Afghanistan est toujours un désert social pour les masses. Ce contexte explique pourquoi le fondamentalisme islamique a pu se développer.
Il est possible qu’une partie de la population adopte une attitude attentiste : après toutes ces années, les gens sont las de la guerre et à aspirent à la stabilité et à la paix. Les talibans ne sont pas une solution ; tant sur le plan interne qu’au niveau international, leur position est intenable.
Le nouveau régime taliban est un désastre pour le peuple afghan. Les talibans restent essentiellement un mouvement rural qui veut brutalement imposer sa version particulièrement rétrograde d’un modèle social du 19ème siècle. Les droits des femmes, sans parler des droits des personnes LGBTQI+, n’y ont pas leur place. Les minorités sont opprimées. Les travailleurs qui défendent leurs droits sont réduits au silence.
Le régime taliban n’aura toutefois pas la tâche facile. Par rapport au régime précédent, entre 1996 et 2001, la population s’est beaucoup plus urbanisée et rajeunie. Kaboul compte aujourd’hui plus de quatre fois plus d’habitants qu’il y a 25 ans : 4,5 millions de personnes, soit environ 10 % de la population totale. Près de la moitié des Afghans ont moins de 15 ans.Au cours des 20 dernières années, des progrès timides et insuffisants ont été réalisés en matière de droits et d’éducation des femmes. Même si des niveaux spectaculaires n’ont pas été atteints, dans le contexte de la croissance des mobilisations féministes à travers le monde, cela a toutefois permis de sensibiliser l’opinion publique. Les moyens de communication modernes ne sont pas très répandus, mais la population est liée au monde extérieur par le biais des proches qui ont fui le pays.
À cela s’ajoutent de nombreux autres problèmes internes tels que les divisions ethniques et les conflits entre seigneurs de la guerre rivaux auxquels des armes et des ressources ont été distribuées ces dernières années dans l’espoir illusoire que cela pourrait stabiliser la situation. La production et le commerce de drogues joue par ailleurs un rôle important. Les talibans ont annoncé vouloir sévir, mais leur expérience passée s’est limitée à freiner la production et le commerce de façon à augmenter les prix du marché pour empocher plus de bénéfices, notamment via des taxes directement versées aux talibans. Le changement climatique et les conditions météorologiques extrêmes menacent l’agriculture du pays et peuvent conduire à la famine. À cela s’ajoutent l’extrême pauvreté, le manque de vaccins contre le Covid-19, le manque d’infrastructures et bien d’autres problèmes qui frappent durement la population mais qui rendent également difficile la stabilisation du régime des talibans.
Une guerre ratée
Certains se demandent s’il n’aurait pas été préférable que les troupes américaines restent plus longtemps en Afghanistan. Le mouvement anti-guerre s’était déjà opposé à l’invasion en 2001 et a continué à exiger le retrait des troupes par la suite. Le fait que les talibans aient pu prendre le pouvoir aussi rapidement démontre l’échec total de l’occupation.
Au cours des 20 dernières années, la situation de la majorité de la population ne s’est pas améliorée. L’ancien président Ashraf Ghani lui-même a dû reconnaître que 90 % des Afghans ont un revenu inférieur à 2 dollars par jour. Seuls 43% savent lire et écrire, 55% n’ont pas accès à l’eau potable et 31% ne disposent pas d’installations sanitaires. Si l’impérialisme n’avait pas investi dans la guerre et la corruption, mais dans le développement réel de l’économie et des infrastructures, le fondamentalisme ne serait pas aussi fort aujourd’hui. Mais les intérêts de la majorité de la population ne sont jamais des priorités pour les impérialistes.
Les États-Unis et leurs alliés n’ont attiré l’attention sur l’Afghanistan qu’après 2001. À l’époque, les talibans étaient au pouvoir depuis cinq ans déjà et l’oppression des femmes et des minorités était de notoriété publique. Ce n’est qu’après les terribles attentats perpétrés par Al-Qaïda aux États-Unis le 11 septembre 2001 que les faucons nationalistes ont eu le champ libre et se sont concentrés sur l’Afghanistan. Le régime taliban, contrairement au régime pakistanais plus opportuniste, a refusé de tourner le dos à Al-Qaïda. Le président George Bush voulait restaurer le prestige des États-Unis, ébranlé par les attentats, avec une victoire militaire rapide en Afghanistan. Vingt ans plus tard, il est clair que l’occupation afghane est un échec, de même que la guerre contre le terrorisme.
Une nouvelle guerre froide
Les talibans sont un produit de la précédente guerre froide. À l’époque, deux systèmes différents s’affrontaient, l’impérialisme capitaliste d’un côté et l’économie stalinienne bureaucratiquement planifiée de l’autre. Les talibans sont nés dans la lutte contre l’intervention des troupes soviétiques en Afghanistan à partir de 1979. Ils ont en grande partie été formés dans des écoles coraniques pakistanaises au cours des années 1980, lorsque la dictature de Zia ul-Haq réprimait impitoyablement les travailleurs et la jeunesse tout en procédant à un démantèlement effroyable de l’enseignement et des autres services publics.
Aujourd’hui, la stratégie internationale des États-Unis est axée sur la nouvelle guerre froide avec la Chine capitaliste émergente. Le champ de bataille géopolitique ne concerne jamais la démocratie ou les droits des femmes, mais le prestige, les positions stratégiques, l’accès aux matières premières,… Le retrait humiliant des troupes américaines en Afghanistan a immédiatement été souligné par les régimes chinois et russe. Leur joie face à la défaite américaine est cependant tempérée par les problèmes que cela leur pose. La Chine et la Russie sont toutes deux disposées à coopérer avec les talibans, mais elles posent des conditions et se montrent prudentes. Le renforcement des militants ouïgours en Chine ou des groupes fondamentalistes en Asie centrale menace leurs intérêts. C’est pourquoi ils souhaitent la mise en place d’un gouvernement « inclusif » à Kaboul et à la non-ingérence dans les affaires étrangères. Les dirigeants militaires pakistanais sont dans une situation similaire : ce régime instable ne veut pas couper ses liens historiques avec les talibans, mais il est lui-même miné par une faillite virtuelle, par la violence d’une variante locale des talibans et par les protestations croissantes de sa propre population, notamment contre les projets chinois dans le pays. La stabilité ne peut être attendue ni des talibans, ni de l’impérialisme, ni des puissances régionales.
Quelle réponse ?
Il y a plus de dix ans, le regretté journaliste de la VRT Jef Lambrecht déclarait dans une conversation avec l’auteur pakistanais Ahmed Rashid : « Sans sécurité, il ne peut y avoir de développement, mais sans développement, il n’y a pas de sécurité. » Il comparait la situation au fameux débat sur la poule et l’œuf : qui est venu en premier et, surtout, que se passe-t-il si les deux sont absents ? Sans une approche de classe, il est en effet difficile d’envisager une solution, et encore moins d’utiliser les ressources et les richesses disponibles pour servir les intérêts de la majorité de la population.
Ni les talibans ni l’impérialisme ne le désirent. Le plus grand obstacle pour les talibans est le peuple afghan lui-même. De premières protestations extrêmement courageuses ont déjà eu lieu, elles méritent toute notre solidarité. Des actions de solidarité internationales sont essentielles pour soutenir les masses afghanes. La cause des femmes afghanes devra par exemple figurer au cœur des mobilisations féministes des journées d’action internationales du 25 novembre et du 8 mars. Le mouvement ouvrier doit également entrer en action pour défendre le droit d’asile pour les réfugiés afghans et s’opposer à la droite réactionnaire, à l’impérialisme et au capitalisme.
Il faut un mouvement de masse contre les talibans et contre l’impérialisme. La classe ouvrière, les paysans pauvres, les femmes et les jeunes doivent se soulever ensemble et défendre leur propre gouvernement démocratique. Cela ne peut réussir que dans le cadre d’une lutte internationale dans laquelle la classe ouvrière des autres pays de la région, en particulier le Pakistan mais aussi l’Iran, a un rôle essentiel à jouer. Ces pays bénéficient d’une tradition de mouvements de masse qui ont montré à plusieurs reprises leur potentiel pour renverser les régimes réactionnaires et l’oppression capitaliste. La misère inhérente au capitalisme nous conduit vers la barbarie. C’est pourquoi nous nous battons pour une société socialiste.
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La résistance de masse et la solidarité internationale sont essentielles contre le régime des talibans

Image : wikicommon Le chaos qui règne à l’aéroport de Kaboul illustre à quel point de nombreux Afghans craignent le nouveau régime taliban. Ils savent ce que les talibans ont signifié pour les femmes, les travailleurs et les opprimés la dernière fois. Ce groupe islamiste extrêmement conservateur a pu s’emparer sans trop de difficultés de la capitale afghane quelques jours après le départ des troupes américaines et revient sur le devant de la scène sans avoir jamais vraiment disparu. Pour l’impérialisme américain, c’est la fin humiliante de 20 ans de guerre et d’occupation dont n’ont bénéficié que les grandes entreprises, notamment dans l’industrie militaire.
Par Geert Cool, article tiré de l’édition de septembre de Lutte Socialiste
Les talibans contre les droits des femmes, des travailleurs et des pauvres
En 20 ans, les États-Unis ont dépensé plus de 2.000 milliards de dollars pour cette guerre et cette occupation. L’Afghan moyen, cependant, n’en a pas bénéficié. Beaucoup d’argent a disparu dans les poches des grandes entreprises, mais aussi dans celles des seigneurs de guerre locaux et des hauts responsables, par le biais de la corruption et des pots-de-vin. Après 20 ans, l’Afghanistan est toujours un désert social pour les masses. Ce contexte explique pourquoi le fondamentalisme islamique a pu se développer.
Il est possible qu’une partie de la population adopte une attitude attentiste : après toutes ces années, les gens sont las de la guerre et à aspirent à la stabilité et à la paix. Les talibans ne sont pas une solution ; tant sur le plan interne qu’au niveau international, leur position est intenable.
Le nouveau régime taliban est un désastre pour le peuple afghan. Les talibans restent essentiellement un mouvement rural qui veut brutalement imposer sa version particulièrement rétrograde d’un modèle social du 19ème siècle. Les droits des femmes, sans parler des droits des personnes LGBTQI+, n’y ont pas leur place. Les minorités sont opprimées. Les travailleurs qui défendent leurs droits sont réduits au silence.
Le régime taliban n’aura toutefois pas la tâche facile. Par rapport au régime précédent, entre 1996 et 2001, la population s’est beaucoup plus urbanisée et rajeunie. Kaboul compte aujourd’hui plus de quatre fois plus d’habitants qu’il y a 25 ans : 4,5 millions de personnes, soit environ 10 % de la population totale. Près de la moitié des Afghans ont moins de 15 ans.Au cours des 20 dernières années, des progrès timides et insuffisants ont été réalisés en matière de droits et d’éducation des femmes. Même si des niveaux spectaculaires n’ont pas été atteints, dans le contexte de la croissance des mobilisations féministes à travers le monde, cela a toutefois permis de sensibiliser l’opinion publique. Les moyens de communication modernes ne sont pas très répandus, mais la population est liée au monde extérieur par le biais des proches qui ont fui le pays.
À cela s’ajoutent de nombreux autres problèmes internes tels que les divisions ethniques et les conflits entre seigneurs de la guerre rivaux auxquels des armes et des ressources ont été distribuées ces dernières années dans l’espoir illusoire que cela pourrait stabiliser la situation. La production et le commerce de drogues joue par ailleurs un rôle important. Les talibans ont annoncé vouloir sévir, mais leur expérience passée s’est limitée à freiner la production et le commerce de façon à augmenter les prix du marché pour empocher plus de bénéfices, notamment via des taxes directement versées aux talibans. Le changement climatique et les conditions météorologiques extrêmes menacent l’agriculture du pays et peuvent conduire à la famine. À cela s’ajoutent l’extrême pauvreté, le manque de vaccins contre le Covid-19, le manque d’infrastructures et bien d’autres problèmes qui frappent durement la population mais qui rendent également difficile la stabilisation du régime des talibans.
Une guerre ratée
Certains se demandent s’il n’aurait pas été préférable que les troupes américaines restent plus longtemps en Afghanistan. Le mouvement anti-guerre s’était déjà opposé à l’invasion en 2001 et a continué à exiger le retrait des troupes par la suite. Le fait que les talibans aient pu prendre le pouvoir aussi rapidement démontre l’échec total de l’occupation.
Au cours des 20 dernières années, la situation de la majorité de la population ne s’est pas améliorée. L’ancien président Ashraf Ghani lui-même a dû reconnaître que 90 % des Afghans ont un revenu inférieur à 2 dollars par jour. Seuls 43% savent lire et écrire, 55% n’ont pas accès à l’eau potable et 31% ne disposent pas d’installations sanitaires. Si l’impérialisme n’avait pas investi dans la guerre et la corruption, mais dans le développement réel de l’économie et des infrastructures, le fondamentalisme ne serait pas aussi fort aujourd’hui. Mais les intérêts de la majorité de la population ne sont jamais des priorités pour les impérialistes.
Les États-Unis et leurs alliés n’ont attiré l’attention sur l’Afghanistan qu’après 2001. À l’époque, les talibans étaient au pouvoir depuis cinq ans déjà et l’oppression des femmes et des minorités était de notoriété publique. Ce n’est qu’après les terribles attentats perpétrés par Al-Qaïda aux États-Unis le 11 septembre 2001 que les faucons nationalistes ont eu le champ libre et se sont concentrés sur l’Afghanistan. Le régime taliban, contrairement au régime pakistanais plus opportuniste, a refusé de tourner le dos à Al-Qaïda. Le président George Bush voulait restaurer le prestige des États-Unis, ébranlé par les attentats, avec une victoire militaire rapide en Afghanistan. Vingt ans plus tard, il est clair que l’occupation afghane est un échec, de même que la guerre contre le terrorisme.
Une nouvelle guerre froide
Les talibans sont un produit de la précédente guerre froide. À l’époque, deux systèmes différents s’affrontaient, l’impérialisme capitaliste d’un côté et l’économie stalinienne bureaucratiquement planifiée de l’autre. Les talibans sont nés dans la lutte contre l’intervention des troupes soviétiques en Afghanistan à partir de 1979. Ils ont en grande partie été formés dans des écoles coraniques pakistanaises au cours des années 1980, lorsque la dictature de Zia ul-Haq réprimait impitoyablement les travailleurs et la jeunesse tout en procédant à un démantèlement effroyable de l’enseignement et des autres services publics.
Aujourd’hui, la stratégie internationale des États-Unis est axée sur la nouvelle guerre froide avec la Chine capitaliste émergente. Le champ de bataille géopolitique ne concerne jamais la démocratie ou les droits des femmes, mais le prestige, les positions stratégiques, l’accès aux matières premières,… Le retrait humiliant des troupes américaines en Afghanistan a immédiatement été souligné par les régimes chinois et russe. Leur joie face à la défaite américaine est cependant tempérée par les problèmes que cela leur pose. La Chine et la Russie sont toutes deux disposées à coopérer avec les talibans, mais elles posent des conditions et se montrent prudentes. Le renforcement des militants ouïgours en Chine ou des groupes fondamentalistes en Asie centrale menace leurs intérêts. C’est pourquoi ils souhaitent la mise en place d’un gouvernement « inclusif » à Kaboul et à la non-ingérence dans les affaires étrangères. Les dirigeants militaires pakistanais sont dans une situation similaire : ce régime instable ne veut pas couper ses liens historiques avec les talibans, mais il est lui-même miné par une faillite virtuelle, par la violence d’une variante locale des talibans et par les protestations croissantes de sa propre population, notamment contre les projets chinois dans le pays. La stabilité ne peut être attendue ni des talibans, ni de l’impérialisme, ni des puissances régionales.
Quelle réponse ?
Il y a plus de dix ans, le regretté journaliste de la VRT Jef Lambrecht déclarait dans une conversation avec l’auteur pakistanais Ahmed Rashid : « Sans sécurité, il ne peut y avoir de développement, mais sans développement, il n’y a pas de sécurité. » Il comparait la situation au fameux débat sur la poule et l’œuf : qui est venu en premier et, surtout, que se passe-t-il si les deux sont absents ? Sans une approche de classe, il est en effet difficile d’envisager une solution, et encore moins d’utiliser les ressources et les richesses disponibles pour servir les intérêts de la majorité de la population.
Ni les talibans ni l’impérialisme ne le désirent. Le plus grand obstacle pour les talibans est le peuple afghan lui-même. De premières protestations extrêmement courageuses ont déjà eu lieu, elles méritent toute notre solidarité. Des actions de solidarité internationales sont essentielles pour soutenir les masses afghanes. La cause des femmes afghanes devra par exemple figurer au cœur des mobilisations féministes des journées d’action internationales du 25 novembre et du 8 mars. Le mouvement ouvrier doit également entrer en action pour défendre le droit d’asile pour les réfugiés afghans et s’opposer à la droite réactionnaire, à l’impérialisme et au capitalisme.
Il faut un mouvement de masse contre les talibans et contre l’impérialisme. La classe ouvrière, les paysans pauvres, les femmes et les jeunes doivent se soulever ensemble et défendre leur propre gouvernement démocratique. Cela ne peut réussir que dans le cadre d’une lutte internationale dans laquelle la classe ouvrière des autres pays de la région, en particulier le Pakistan mais aussi l’Iran, a un rôle essentiel à jouer. Ces pays bénéficient d’une tradition de mouvements de masse qui ont montré à plusieurs reprises leur potentiel pour renverser les régimes réactionnaires et l’oppression capitaliste. La misère inhérente au capitalisme nous conduit vers la barbarie. C’est pourquoi nous nous battons pour une société socialiste.
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La Chine, l’impérialisme et la gauche

Seconde moitié d’un article en deux parties de Per-Åke Westerlund sur la montée de l’impérialisme chinois, d’abord publié par Chinaworker.info. La première partie, L’impérialisme capitaliste d’Etat de la Chine est disponible ici.
Par Per-Åke Westerlund, Exécutif International d’Alternative Socialiste Internationale
A mesure que le conflit impérialiste entre les États-Unis et la Chine s’exacerbait ces dernières années, certaines couches de la gauche internationale ont adopté une attitude de moins en moins critique envers le régime du PCC (soi-disant communiste), niant sa répression à l’intérieur du pays et son exploitation à l’étranger, par exemple dans les pays liés à l’initiative des Nouvelles Routes de la Soie (Belt and Road Initiative, BRI).
Les partisans de « gauche » du régime chinois ne remettront probablement pas en question la plupart des faits économiques présentés dans la première partie de l’article. Ils défendent les actions de facto impérialistes du régime chinois, en soutenant soit que le régime a agi par nécessité, soit que ses actions bénéficient aux citoyens ordinaires des pays concernés. Ces commentateurs, généralement issus d’un milieu politique stalinien ou maoïste, sont également connus sous le nom de “tankies”, parce qu’ils ont soutenu les chars envoyés contre les travailleurs en Hongrie en 1956, à Pékin en 1989, etc. Malgré la restauration capitaliste en Russie et en Chine, les tankies pensent qu’il y a quelque chose de “progressiste” dans ces régimes aujourd’hui.
Les apologistes du PCC ont eu du mal à accepter que les dirigeants chinois semblent s’entendre très bien avec les présidents américains et les multinationales étrangères. Xi Jinping a reçu une ovation debout lorsqu’il s’est exprimé devant le parlement australien en 2014. Un an plus tard, le premier ministre britannique de l’époque, David Cameron, a parlé de “l’âge d’or” des relations entre le Royaume-Uni et la Chine. En 2015, Xi Jinping a partagé une calèche avec la reine Elizabeth et a appelé la Grande-Bretagne conservatrice « le meilleur ami de la Chine en Occident », tandis que George Osborne, le ministre britannique des Finances, a conduit une délégation commerciale au Xinjiang et s’est attiré les louanges des médias contrôlés par l’État chinois pour n’avoir parlé que d’opportunités commerciales et n’avoir rien dit des mauvais traitements infligés aux Ouïghours ou à d’autres minorités. Et pas plus tard qu’au début de l’année 2020, Donald Trump a fait l’éloge de Xi comme d’un ami proche. Rien de tout cela ne peut être expliqué par les tankies, qui prétendent maintenant que Pékin est en première ligne de la lutte contre l’impérialisme américain.
Pendant que les politiciens et les économistes capitalistes sont accueillis en Chine, les socialistes et tous ceux qui tentent d’entrer en contact avec les travailleurs et les jeunes en lutte sont arrêtés ou expulsés. C’est parce que les vrais socialistes et marxistes, dans la même tradition que Marx, Luxemburg et Lénine, s’opposent à tous les gouvernements capitalistes et aux puissances impérialistes. Dans son livre l’Impérialisme, Lénine a tenu à souligner que même la Russie tsariste était une puissance impérialiste en développement, même si la Grande-Bretagne, la France, les États-Unis et l’Allemagne étaient plus avancés. Dans son avant-propos de 1920, Lénine souligne l’oppression de la Russie sur “la Finlande, la Pologne, la Courlande, l’Ukraine, Khiva, Bokhara, l’Estonie ou d’autres régions peuplées de non-Grands Russes” et explique qu’en écrivant son livre en 1916, il avait utilisé l’exemple de l’impérialisme japonais au lieu de la Russie pour éviter la censure tsariste.
Aujourd’hui, les tankies et les apologistes du PCC prétendent que les personnes déportées ou arrêtées, et ceux qui les soutiennent, ne peuvent pas vraiment connaître les faits. C’est en soi un aveu du rôle de la dictature et de ses méthodes pour supprimer la vérité. Ils prétendent également que les socialistes ne peuvent pas utiliser les médias libéraux, bourgeois ou publics comme sources. En fait, l’argument selon lequel tous les reportages des grands médias capitalistes sont de la propagande de la CIA est souvent le seul argument des partisans du PCC. Alors, quelle est la tradition marxiste ? Karl Marx n’a jamais hésité à citer des journaux bourgeois, par exemple la presse britannique conservatrice relatant la répression de la contre-révolution après la défaite de la Commune de Paris. Marx lui-même a été pendant dix ans le correspondant du plus grand journal de New York, the Tribune, qui était lié au parti républicain. Les marxistes ne se font aucune illusion sur l’impartialité des médias capitalistes et, de même, des médias chinois contrôlés par le régime – il s’agit d’étudier les faits et les sources de manière critique.
Les critiques des tankies d’aujourd’hui ne sont rien comparées aux campagnes des partis communistes dirigés par les staliniens contre Léon Trotsky dans les années 1930. Ceux-ci assimilaient sa critique scientifique de la dictature de Staline à celle de la droite et même des nazis. Ils passaient totalement sous silence la divergence de classe – les critiques bourgeoises voulaient une contre-révolution capitaliste, tandis que le programme de Trotsky était une nouvelle révolution ouvrière pour établir un État ouvrier socialiste et démocratique. Cette division fondamentale de la critique sur la base des classes ne signifie toutefois pas que les camps de travail du Goulag ne sont qu’une invention de la droite. Les tankies critiquent l’origine des sources, alors que la véritable discussion porte sur leur soutien aux régimes staliniens, maoïstes et aujourd’hui capitalistes d’État.
L’apartheid chinois au Xinjiang
L’immense réseau de camps de concentration, les disparitions, la torture et les viols subis par la population ouïghoure et majoritairement musulmane au Xinjiang ne sont pas une invention, mais la dure réalité. L’oppression des Ouïghours s’est accrue au rythme de la restauration capitaliste en Chine et de la montée de l’impérialisme chinois. Les ressources naturelles et l’emplacement stratégique du Xinjiang, éléments clés de la BRI de Xi Jinping, combinés à la peur de l’opposition de la population non-han, ont fait augmenter d’un cran la répression de la part de Pékin contre le Xinjiang/Turkestan oriental.
Jusque dans les années 1950, les Hans représentaient 5 % de la population du Xinjiang. Cela a changé avec la restauration et l’exploitation capitaliste dans les années 1990, lorsque des millions de migrants han sont arrivés. Aujourd’hui, les Ouïghours, environ 12 millions de personnes, représentent moins de la moitié de la population du Xinjiang, tandis que les Han en représentent plus de 40 %.
D’après l’universitaire Darren Byler, qui a vécu pendant deux ans à Ürümqi et a continué à étudier le Xinjiang, la domination du PCC dans le Xinjiang se manifeste par “la mise en place d’un système de laissez-passer, la construction de camps d’internement, un système de contrôle par quadrillage policier, [qui] émule les tentatives des régime d’apartheid en Afrique du Sud de l’apartheid et d’Israël de contrôler systématiquement les minorités indésirables”. Un autre tournant a été la guerre contre le terrorisme déclarée par George W. Bush après le 11 septembre. Le PCC a rapidement adopté la rhétorique de l’Occident et a désigné collectivement les Ouïghours comme des terroristes présumés.
Un article paru dans la revue américaine de gauche Monthly Review accusait ceux qui rendaient compte des camps et de la répression au Xinjiang de soutenir l’impérialisme américain ; il a suscité une réponse ferme de Byler et de 35 autres universitaires du monde entier. La réponse disait que les politiques de la Chine étaient “une appropriation délibérée des pratiques occidentales de lutte contre le terrorisme”, et que les deux camps devaient être condamnés, de même que l’islamophobie aux États-Unis et en Chine.
Cette réponse pointait également clairement les racines capitalistes des politiques de Pékin : “Le lien entre l’expansion capitaliste et l’oppression des communautés indigènes est connu de la gauche depuis longtemps. Ne pas reconnaître et ne pas critiquer cette dynamique est une forme d’aveuglement volontaire.” Byler lui-même s’est déclaré dans une interview “profondément critique du militarisme américain”. Il décrit la Chine comme un pays capitaliste d’État et le système au Xinjiang comme un “capitalisme de la terreur”. Le gouvernement du Xinjiang a accusé Byler d’être un “agent de la CIA”. Il s’agit d’une accusation souvent lancée par les nationalistes chinois et parfois par leurs partisans étrangers contre quiconque critique le régime de Xi, y compris les féministes et les militants syndicaux chinois.
Les émeutes de juillet 2009 ont marqué un tournant décisif dans l’histoire moderne du Xinjiang. Elles ont été déclenchées par les meurtres racistes de deux travailleurs migrants Ouïghours dans une usine de la province de Guangdong. Quelques jours plus tard, une manifestation initialement pacifique de jeunes Ouïghours à Ürümqi, qui défilaient derrière le drapeau de la RPC et demandaient une enquête sur les meurtres de Guangdong, a été prise pour cible par des policiers armés. L’émeute a été provoquée par la montée de la répression et de la discrimination, comme le remplacement du ouïghour par le chinois comme seule langue dans les écoles, l’accaparement des terres ouïghoures et la réglementation de la pratique religieuse et du code vestimentaire.
“La guerre du peuple contre le terrorisme”
En réponse à certaines attaques terroristes désespérées, l’État chinois a déclaré en mai 2014 la “guerre du peuple contre la terreur”, dirigée contre les Ouïghours en tant que groupe. Les socialistes se sont toujours opposés au terrorisme individuel, une méthode qui ne mène jamais à rien si ce n’est à encore plus de répression, et ne fait pas avancer la lutte contre l’oppression, comme l’a montré cet exemple. 300 000 Ouïghours ont été forcés à quitter Ürümqi par un système de passeport interne et les déplacements sont restreints par des points de contrôle. Le système des camps a été introduit. En 2017, le Xinjiang était devenu un État policier complet.
“Au début de 2017, l’État avait recruté “près de 90 000 nouveaux policiers” et augmenté le budget de la sécurité publique du Xinjiang de plus de 356% pour atteindre environ 9,2 milliards de dollars”, rapporte Byler. “En raison du sous-emploi généralisé, un grand nombre d’Ouïghours ont été attirés dans les forces de police”.
Un système de vérification des téléphones et des ordinateurs de chaque Ouïghour a été mis en place, parallèlement à une surveillance avancée. “À elles seules, deux entreprises technologiques basées à Hangzhou, Dahua et Hikvision, ont obtenu des contrats d’une valeur de plus de 1,2 milliard de dollars pour construire l’infrastructure de sécurité dans l’ensemble de la patrie ouïghoure. Ces techniques de sécurité sont devenues des produits d’exportation chinois vers les régimes autoritaires.
Pendant cette même période, le pétrole et le gaz naturel représentaient plus de la moitié du PIB du Xinjiang. L’agriculture industrielle à grande échelle, principalement le coton et les tomates, s’est également développée. Il ne s’agit pas d’un “conflit ethnique” mais d’une attaque unilatérale de l’État. Ainsi, le Xinjiang est marqué à la fois par un système raciste d’apartheid contre les Ouïghours et par une exploitation économique coloniale. Les Ouïghours sont discriminés par rapport aux colons han en matière de logement, d’emploi et de salaire. De vastes projets d’infrastructure sont construits pour assurer les profits futurs et renforcer le contrôle de Pékin.
Il existe d’innombrables témoins oculaires de viols et de tortures, ainsi que d’enfants enlevés à leur famille. Avec environ un million de Ouïghours envoyés dans des camps, tout le monde connaît quelqu’un qui a été détenu. L’objectif est de briser mentalement les Ouïghours, en les obligeant à subir des procédures extrêmement humiliantes pour prouver leur loyauté envers le PCC et le chef suprême Xi Jinping. En outre, Pékin choisit des “leaders” uïghours pour représenter le régime au Xinjiang.
Le caractère raciste et anti-Ouïghour des politiques du PCC apparaît le plus clairement dans leurs programmes de contrôle des naissances, y compris la coercition (par la perte de droits économiques et juridiques, et pire encore) des femmes Ouïghoures pour qu’elles acceptent l’implantation d’un DIU (dispositif intra-utérin). Malgré le démenti de ces actions, même l’annuaire statistique officiel de la Chine et l’annuaire statistique du Xinjiang montrent que le taux de natalité dans le Xinjiang a diminué de moitié en deux ans. Cela inclut la population han. Dans les deux plus grandes régions ouïghoures, le taux de natalité a chuté de 84 % entre 2015 et 2018.
À l’échelle internationale, ces faits ont d’abord été publiés par le chercheur Adrian Zenz, un fondamentaliste chrétien de droite. Mais ceux qui utilisent la politique de Zenz pour discréditer ses rapports, y compris les médias contrôlés par l’État chinois, passent sous silence le fait que ses sources sont constituées de statistiques officielles chinoises. La propagande pro-CCP veut se concentrer sur cet individu, mais les faits sont également étayés par les récits de femmes qui ont elles-mêmes été dans les camps.
Le système des camps est structuré selon différents niveaux de normes carcérales, depuis l’”éducation” de propagande contre la langue et la culture ouïghoures, le travail forcé dans les usines, jusqu’aux dispositifs contraceptifs forcés, la stérilisation des femmes et la torture.
L’État dirigé par le PCC ne nie plus l’existence des camps, mais prétend qu’ils sont destinés à la “rééducation”, à la “formation professionnelle” et à la promotion de la “santé reproductive” des femmes. Il présente toute critique des camps comme une campagne de l’impérialisme américain, mais ne donne jamais accès aux camps aux reporters crédibles. Le fait que l’impérialisme américain critique maintenant le traitement des Ouïghours relève de la pure politique de pouvoir et de l’hypocrisie. Ce que subissent les Ouïghours est loin d’être nouveau. En 2002, les États-Unis, en coopération avec la Chine, ont capturé 22 Ouïghours en Afghanistan et au Pakistan et les ont emmenés dans le célèbre camp de torture américain de Guantanamo Bay. Aucun d’entre eux n’a été identifié comme djihadiste ou lié à Al-Qaïda, mais les trois derniers n’ont été libérés qu’en 2013. En 2017, l’interdiction de voyager aux musulmans décrétée par Trump a également été très appréciée par les dirigeants du PCC.
Lorsqu’il a été demandé aux 48 plus grandes entreprises américaines en Chine de commenter la politique menée contre les Ouïghours, seules six d’entre elles ont répondu et une seule a exprimé certaines critiques. Il est clair que l’impérialisme américain veut utiliser les camps et le traitement des Ouïghours dans sa guerre froide contre la Chine, mais qu’il n’est en aucun cas un allié dans la lutte des opprimés.
Taïwan, la Chine et les États-Unis
Taïwan est un point chaud de la guerre froide entre la Chine et l’impérialisme américain. C’est également un pays et un État de facto comptant plus de 23 millions d’habitants. Lorsque Chiang Kai-shek et son Kuomintang se sont réfugiés à Formose (Taïwan) après la victoire de la révolution chinoise en 1949, le Kuomintang a baptisé l’île “République de Chine”, dans le but de la réunir à terme avec la Chine continentale. Cette position a depuis lors été défendue tant par le régime du PCC à Pékin que par les successeurs de Chiang Kai-shek au sein du Kuomintang. À Taïwan, les capitalistes et le Kuomintang se sont subordonnés depuis des décennies au régime du PCC sur le continent, en raison de la forte attraction de l’économie chinoise. Même les politiciens nationalistes taïwanais du Parti démocratique progressiste (DPP), aujourd’hui au gouvernement, se sont abstenus d’aller trop loin dans leur critique de Pékin.
Telle a également été la position des gouvernements américains depuis les années 1970, lorsque Nixon et les ses successeurs ont officiellement reconnu la “République populaire” plutôt que la “République”. La priorité était aux profits et au commerce. Sur le plan militaire, cependant, l’impérialisme américain a maintenu une alliance étroite avec Taïwan en raison de sa position stratégique et comme point de pression sur le régime de Pékin.
En réalité, Taïwan est devenu un État et un pays distinct. L’ancienne idée de “réunification” a perdu la plupart de ses partisans sur l’île. C’est l’une des raisons de l’implosion électorale du Kuomintang, qui est aujourd’hui contraint de prendre ses distances avec le PCC. L’introduction de la loi sur la sécurité nationale à Hong Kong, qui abolit les droits démocratiques, a fini de détruire toutes les illusions d’un arrangement “un pays, deux systèmes” pour la “réunification” de Taïwan. Aujourd’hui, seuls 12,5 % des Taïwanais sont favorables à l’unification, tandis que 54 % sont favorables à l’indépendance formelle et 23,4 % au statu quo, c’est-à-dire à l’indépendance de facto.
En raison de ses politiques durement répressives, notamment à Hong Kong, la seule façon pour la dictature du PCC de maintenir sa position selon laquelle Taïwan fait partie de la Chine est l’action ou la menace d’action militaire. Au cours de l’année dernière, les forces aériennes et navales chinoises ont multiplié les exercices autour de Taïwan, accompagnés de déclarations politiques militaristes. Il s’agit en partie d’une tentative de Xi Jinping de montrer sa force, et en partie d’une réponse à l’avancée de l’impérialisme américain en Asie de l’Est, qui a commencé sous Obama et s’est intensifié sous Trump. Cela s’est manifesté par de nouveaux contrats d’exportation d’armes, une présence militaire plus fréquente et, l’année dernière, la publication du pacte de défense entre les États-Unis et Taïwan, jusque là secret. La tentative du PCC de faire peur aux Taïwanais pour qu’ils soutiennent l’unification est vouée à l’échec. Le seul résultat sera une montée du soutien à l’indépendance.
Les marxistes défendent l’unité de la classe ouvrière et des masses opprimées. Cette unité ne peut être atteinte qu’avec une position correcte sur la question nationale. Cela signifie qu’il faut comprendre l’état d’esprit et la conscience des travailleurs. Une fois encore, Lénine et les bolcheviks ont montré la voie, en déclarant que l’opposition au “droit à l’autodétermination ou à la sécession signifie inévitablement, dans la pratique, le soutien aux privilèges de la nation dominante.” Le fait d’être perçu comme des partisans d’un État oppresseur bloquera toute tentative de construire l’unité de la classe ouvrière.
La révolution russe de 1917 a libéré les nations opprimées mais n’a en aucun cas soutenu l’impérialisme étranger. Au contraire, les puissances impérialistes sont intervenues en Russie contre la révolution, qui avait libéré la Finlande, l’Ukraine et d’autres nations.
De même, le soutien à l’indépendance ne signifie pas le soutien à l’impérialisme américain, et l’indépendance de Taïwan ne sera jamais acquise avec l’aide des États-Unis. À l’ère de l’impérialisme, les mouvements de libération nationale réussis n’ont jamais été dirigés par des nationalistes bourgeois et, bien sûr, encore moins par l’impérialisme. Dans le cas de Taiwan, l’indépendance ne peut être obtenue que par une lutte de masse contre les capitalistes et les partis politiques de l’establishment – et surtout en combinaison avec la lutte de la classe ouvrière en Chine continentale contre la dictature du PCC et le capitalisme chinois. Dans aucun conflit national, les socialistes ne soutiendront les classes dirigeantes d’aucun des campas. A Taiwan, cela signifie aucun soutien aux Etats-Unis, à la Chine ou aux partis politiques capitalistes taïwanais, DPP et le Kuomingtang.
Hong Kong
Pour les perroquets de la dictature du PCC – qui ne voient que les quelques drapeaux rouges et le nom “Parti communiste” et non la réalité de la brutale dictature capitaliste et impérialiste – les mouvements de masse à Hong Kong, en particulier en 2019, sont des « révolutions de couleur » parrainées par les États-Unis.
Les faits démontrent le contraire. Le 4 octobre 2019, alors que le mouvement de masse à Hong Kong durait depuis quatre mois, le Guardian écrivait: “Les responsables américains ont été interdits de soutenir les manifestations pro-démocratie à Hong Kong, après que Donald Trump aurait promis que les États-Unis n’en parleraient pas pendant les négociations commerciales. Selon CNN, Donald Trump a pris cet engagement auprès de son homologue chinois, Xi Jinping, lors d’un appel téléphonique en juin. (…) En raison de cette consigne de silence, le consul général américain à Hong Kong, Kurt Tong, a été prié d’annuler une apparition dans un groupe de réflexion américain ainsi qu’un discours sur les manifestations qui ont secoué le territoire…”
Donald Trump lui-même a donné la position américaine : “Quelqu’un a dit qu’à un moment donné, ils vont vouloir arrêter cela. Mais c’est entre Hong Kong et la Chine, car Hong Kong fait partie de la Chine. Ils devront s’en occuper eux-mêmes. Ils n’ont pas besoin de conseils”. Le même article souligne également que Trump n’a pas voulu faire de commentaires sur le Xinjiang et le traitement des Ouïghours. Dans ses mémoires, John Bolton, l’ancien conseiller à la sécurité nationale de Trump, a affirmé que ce dernier avait dit à Xi Jinping que les camps de prisonniers du Xinjiang étaient “exactement la chose à faire”.
D’une manière générale, l’impérialisme américain n’encourage pas les mouvements de masse, ni ne les soutient. Chaque fois qu’il parle positivement d’un mouvement de la base, Washington se concentre sur les éventuels leaders fiables qu’il peut amadouer et sur la manière de désamorcer le mouvement.
Lorsque le mouvement a explosé à Hong Kong en 2019, avec des manifestations rassemblant un ou deux millions de participants, il a exprimé la colère, la frustration et la crainte que les promesses de réformes démocratiques soient remplacées par de nouvelles limitations des droits. Les droits démocratiques étaient considérés à juste titre comme les moyens nécessaires pour améliorer la vie des gens ordinaires dans une société où les inégalités sont extrêmes et où le système de protection sociale est quasiment inexistant. L’immense mouvement a été déclenché par un amendement juridique impopulaire, mais il s’est rapidement transformé en un appel à la démission du gouvernement local, fidèle à Pékin, et à des élections “une personne, un vote”. Les promesses de retirer l’amendement juridique (permettant les extraditions) n’ont eu aucun effet.
Ce mouvement a pris par surprise toutes les forces et tous les partis de l’establishments. Les pan-démocrates, que les masses considéraient comme des dirigeants ayant échoué dans la lutte pour les droits démocratiques, n’ont pratiquement joué aucun rôle. Le véritable leadership est revenu aux jeunes non organisés.
Le régime de Xi Jinping considérait le mouvement comme une menace, craignant qu’il ne s’étende au continent. Toutefois, lorsque le mouvement de Hong Kong était à son apogée, Pékin s’est abstenu d’intervenir avec ses propres forces d’État. Mais il a toujours été clair que sans victoire, le PCC organiserait ses représailles. C’était également important pour Xi, pour montrer au monde, y compris aux factions plus conciliantes au sein de l’État du PCC, qui dirige Hong Kong.
La victoire de ce mouvement impressionnant n’était possible que s’il s’étendait à la Chine, et si la classe ouvrière, par le biais de mouvements de grève générale, montrait la voie. Sinon, l’épuisement et la confusion, renforcés par les restrictions imposées par la pandémie, finiraient tôt ou tard par faire des ravages. C’est dans cette dernière phase que les drapeaux américains et les appels à l’intervention de Trump ont commencé à apparaître plus largement à Hong Kong. L’impérialisme américain est également devenu plus critique à l’égard de la politique chinoise à Hong Kong, en raison de l’intensification de la guerre froide. C’était aussi par volonté de maintenir Hong Kong comme principal centre d’affaires et financier de la région. Des sanctions symboliques à l’encontre de certains dirigeants éminents de Hong Kong et de quelques responsables du PCC n’est pas la même chose qu’un soutien réel aux demandes des masses à Hong Kong.
La dictature du PCC est en train d’imposer les conditions de la Chine continentale à Hong Kong, d’interdire les droits des démocrates, de renforcer la surveillance et les forces répressives, d’emprisonner les politiciens de l’opposition et les dirigeants syndicaux, et d’utiliser tout cela pour répandre la terreur. Pékin sait qu’il ne dispose d’aucune base sociale à Hong Kong. Lors des élections locales de novembre 2019, les partisans du PCC ont subi des pertes historiques. Les mesures récentes, dont le remaniement complet du système politique de Hong Kong, visent à empêcher qu’une telle chose ne se reproduise.
Il n’y a rien de progressiste ou d’anticapitaliste dans les actions du PCC à Hong Kong. La plupart des magnats milliardaires du territoire les soutiennent, ainsi que les grandes banques. HSBC, anciennement la plus grande banque d’Europe mais qui est en train de transférer son siège social de Londres à Hong Kong, a déclaré publiquement son soutien à la loi sur la sécurité nationale. Tout comme une autre banque britannique, Standard Chartered : “Nous pensons que la loi sur la sécurité nationale peut contribuer à maintenir la stabilité économique et sociale à long terme de Hong Kong.”
Combattre l’impérialisme et les méthodes fascistes
Non seulement les tankies, mais aussi d’autres personnes de gauche, ont peur des comparaisons entre l’impérialisme américain et l’impérialisme chinois, ou entre les méthodes du PCC et les dictatures fascistes ou militaires. Il n’y a aucune raison pour les socialistes de faire un classement de la violence des différentes puissances impérialistes. Lors de la Première Guerre mondiale, Lénine et les bolcheviks ont mis l’accent sur l’opposition à toutes les puissances impérialistes, tandis que la majorité des dirigeants des partis sociaux-démocrates en Europe ont soutenu leur “propre” État, en faisant valoir qu’il était plus “démocratique” ou que l’autre camp était l’”agresseur”.
S’opposer à tous les impérialismes ne veut toutefois pas dire que tous sont identiques. Là où la lutte des travailleurs et des pauvres a imposé des réformes démocratiques, la possibilité d’organiser d’autres luttes est évidemment bien meilleure. La démocratie capitaliste a de sérieuses limites, le pouvoir réel étant entre les mains des capitalistes, mais elle offre la possibilité de s’organiser en syndicats et en partis, de s’exprimer et d’imprimer (et de poster sur Internet), de faire grève et d’organiser des manifestations. Ces droits sont limités sous le capitalisme et doivent être continuellement combattus, contre les nouvelles tentatives de l’establishment de reprendre les victoires antérieures, contre le démantèlement des syndicats, la propagande réactionnaire et les lois répressives.
Dans les années 30, Léon Trotsky a comparé les méthodes de Staline à celles d’Hitler, écrivant que Staline avait appris de ce dernier. Commentant le pacte au début de la Deuxième Guerre mondiale, Trotsky a rappelé à ses lecteurs qu’il avait, pendant un certain temps, averti que “Staline cherche à s’entendre avec Hitler”.
Trotsky a soulevé ces similitudes malgré des caractéristiques sociales différentes, l’URSS étant un État ouvrier dégénéré et l’Allemagne une dictature capitaliste fasciste. Le fascisme s’est bien sûr développé en tant que mouvement de masse utilisé pour écraser toutes les organisations ouvrières et démocratiques en Italie et en Allemagne. Peu après sa prise de pouvoir, le mouvement de masse du fascisme a été remplacé par une machine d’État violente.
Des dictateurs militaires brutaux tels que Pinochet au Chili et Suharto en Indonésie ont utilisé des méthodes fascistes pour écraser les organisations de la classe ouvrière – partis communistes et socialistes, syndicats, etc. Aujourd’hui en Chine, le PCC utilise les mêmes méthodes répressives brutales contre les travailleurs en lutte et les autres expressions d’opposition en Chine. Au Xinjiang, la campagne d’État contre les Ouïghours combine des mesures brutales visant à exterminer leur culture, leur langue et leur religion, avec le colonialisme de peuplement. C’est l’impérialisme capitaliste d’État de la Chine.
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L’impérialisme capitaliste d’État chinois

Dans cette première partie, Per-Åke Westerlund examine la croissance de l’impérialisme chinois et ce que cela signifie pour la construction de la solidarité internationale des travailleurs contre le capitalisme international. La seconde partie sera publiée demain.Par Per-Åke Westerlund, Exécutif international de l’ISA
Ces dernières décennies, la Chine, devenue l’atelier du monde, a été le principal moteur de la mondialisation capitaliste. Les entreprises multinationales, en particulier celles des États-Unis, ont réalisé des superprofits sans se soucier de la dictature et des conditions de travail en Chine. Il s’agissait d’un processus gagnant-gagnant pour les classes dirigeantes des deux États – la croissance économique et la faible inflation ont contribué à masquer et à atténuer l’accumulation des contradictions.
Ce processus ne pouvait pas durer éternellement et a commencé à s’inverser. A l’instar de l’impérialisme allemand contre l’Empire britannique jusqu’à la Première Guerre mondiale, l’impérialisme américain est aujourd’hui concurrencé par Pékin dans tous les domaines – économie, technologie, finances, armée et relations internationales. L’impérialisme “engendre des contradictions, des frictions, des conflits particulièrement aigus et violents”, expliquait Lénine, et à son époque, cela a débouché sur une guerre ouverte. Aujourd’hui, nous avons une guerre froide.
Une confrontation impérialiste à long terme
Le bilan de l’impérialisme américain est clair comme de l’eau de roche. Washington n’a jamais hésité à recourir à la guerre et à la force pour maintenir son pouvoir. C’est la plus grande puissance militaire que le monde ait jamais vue. Son concurrent, l’impérialisme chinois, est une dictature brutale contre les travailleurs et toute opposition. Ces deux forces sont maintenant positionnées pour une confrontation impérialiste mondiale à long terme. La guerre froide variera en intensité, comportera de nouveaux rebondissements et alliances, mais ne disparaîtra pas. En parallèle, la course aux armements s’intensifie, et les dépenses militaires et exportations d’armes atteignent des records.
Les socialistes et la classe ouvrière doivent avoir une position socialiste indépendante et révolutionnaire et organiser la lutte contre toutes les forces impérialistes. Aucune puissance impérialiste, et encore moins les forces militaires, ne pourront jamais “libérer” les opprimés. Les politiciens capitalistes américains qui, aujourd’hui, condamnent soudainement la dictature en Chine, ont fermé les yeux sur celle-ci pendant des décennies – et font encore de même avec des régimes dictatoriaux comme celui de l’Arabie Saoudite. De même, la lutte contre l’impérialisme américain ne peut en aucun cas justifier le soutien au régime de Pékin. Cependant, certains groupes de “gauche” ont soutenu les bombardements américains en Libye en 2011 et d’autres qualifient la critique de la dictature chinoise de soutien à l’impérialisme américain.
Il n’y a aucun doute sur qui profite du régime en Chine aujourd’hui. C’est une société extrêmement inégalitaire qui compte 878 milliardaires en dollars, soit une augmentation de 257 en 2020 et bien plus que les 649 milliardaires américains. Dans la même veine, l’éducation, les soins de santé et le logement sont largement privatisés et les travailleurs n’ont aucun droit sur les lieux de travail. L’accaparement des terres par les autorités et les scandales environnementaux sont fréquents.
Les vrais socialistes se définissent par leur soutien aux luttes des travailleurs partout dans le monde. En Chine, les travailleurs qui luttent pour leurs droits subissent une répression sévère de la part du régime, y compris des enlèvements, la torture et la prison. La machine étatique d’oppression est énorme – des millions de personnes sont employées dans la police, l’armée, les agences de renseignement et l’énorme appareil de surveillance. Ce système fonctionne en coopération avec des entreprises chinoises privées et publiques – mais aussi avec les entreprises américaines et occidentales présentes dans le pays. Les capitalistes et les gouvernements internationaux craignent les mouvements révolutionnaires, quel que soit le pays – s’ils apportent parfois un soutien hypocrite, c’est pour faire dérailler ces luttes et les étouffer de leur étreinte.
Alternative Socialiste Internationale défend la solidarité et le soutien à la lutte des travailleurs en Chine, à Hong Kong et dans le monde. Toute lutte pour les conditions de travail, les emplois, les salaires, l’environnement, l’éducation et d’autres questions importantes devient immédiatement une lutte contre la dictature du PCC (Parti Communiste Chinois) à Pékin. La répression brutale de l’État finit par être utilisée contre toute plaintes et manifestations locales. Par conséquent, les revendications démocratiques – le droit de manifester, d’organiser des syndicats, la liberté d’Internet et des médias – sont au cœur de toute lutte en Chine et à Hong Kong, et sont intimement liées à la lutte pour l’amélioration des conditions de vie et de l’environnement. Les revendications démocratiques deviennent révolutionnaires car elles constituent une menace pour le régime et ne peuvent être obtenues que par une lutte de masse révolutionnaire de la classe ouvrière.
Les socialistes doivent être préparés à la confrontation entre l’impérialisme américain et l’impérialisme chinois. Le véritable internationalisme de la classe ouvrière signifie solidarité et lutte contre le système capitaliste et impérialiste mondial, pour que les travailleurs et les opprimés prennent le pouvoir.
Qu’est-ce que l’impérialisme ?
Le classique de l’analyse marxiste est « l’Impérialisme, stade suprême du capitalisme » de Lénine, écrit en 1916. Pour comprendre et expliquer cette nouvelle phase, il analyse le capitalisme mondial plutôt qu’un ou deux pays, et les processus sur une plus longue période. C’est ce que les marxistes appellent aujourd’hui des perspectives. L’impérialisme se développe avec la concentration du capital. Les entreprises géantes en croissance deviennent des monopoles, « une loi générale et fondamentale du stade actuel de développement du capitalisme ». Cela signifie qu’en s’associant avec les banques et en étant contrôlé par elles, le capital financier prend le pouvoir. C’est un capitalisme en décomposition et parasitaire : « l’essentiel des profits va aux “génies” de la manipulation financière ». Il n’y a plus de “frontière” entre le capital spéculatif et le capital productif.
Toutes les caractéristiques de l’impérialisme décrites par Lénine existent depuis des décennies en Chine. L’économie produit pour un marché de masse, en Chine et dans le monde, mais l’appropriation des bénéfices est privée, pour les capitalistes étrangers et chinois. Quelques monopoles dominent dans toutes les sphères de l’économie – finance, énergie, internet, etc – et, en Chine, avec des caractéristiques de capitalisme d’État. Lénine, dans L’impérialisme, a montré les « liens personnels » des grandes entreprises avec les banques et le gouvernement, en Allemagne et ailleurs. C’était également le cas pour la confiscation de terres et la spéculation foncière, une question qui a suscité de nombreuses contestations en Chine.
En Chine, les entreprises privées et les puissants capitalistes travaillent main dans la main avec la dictature d’État du PCC. Les plus grands milliardaires sont membres du PCC et les ministres, généraux et dirigeants du parti sont plus riches que n’importe quel autre gouvernement dans le monde. Le concept de “ploutocratie et bureaucratie” de Lénine – les super riches et l’État – a atteint sa perfection en Chine sous la forme du capitalisme d’État. Cependant, comme dans toutes les sociétés capitalistes, cela ne crée en aucun cas la stabilité, mais empile les contradictions et prépare de nouvelles crises.
Pas de super-impérialisme
Lénine s’est fermement opposé à la théorie de Karl Kautsky, selon laquelle l’impérialisme fusionnerait en une seule union, “l’ultra-impérialisme”. Selon cette théorie, les guerres et les conflits cesseraient, tandis que l’exploitation financière se poursuivrait. C’était un argument contraire au marxisme, qui définit la bourgeoisie comme des classes capitalistes nationales, incapables de surmonter leurs intérêts nationaux. En outre, la théorie du super-impérialisme entretenait l’illusion d’un développement pacifique de l’impérialisme. C’était la théorie de Lassalle qui considérait la bourgeoisie comme “une masse grise”, au lieu de comprendre ses conflits internes et ses scissions, sur une scène mondiale.
Selon Lénine, “une caractéristique essentielle de l’impérialisme est la rivalité entre plusieurs grandes puissances dans la lutte pour l’hégémonie, c’est-à-dire pour la conquête de territoires, non pas tant directement pour elles-mêmes que pour affaiblir l’adversaire et saper son hégémonie”. L’impérialisme moderne signifie “la compétition entre plusieurs impérialismes”. Après la Seconde Guerre mondiale, l’impérialisme américain était le leader du bloc capitaliste, dans une guerre froide contre l’Union soviétique principalement, mais aussi contre la Chine. Ces deux derniers pays étaient des économies planifiées bureaucratiques non capitalistes dirigées de manière dictatoriale par des partis “communistes” qui n’étaient pas de véritables partis, mais l’appareil d’État. Lorsque le stalinisme s’est effondré en Union soviétique et que le capitalisme a été rétabli en Chine, l’impérialisme américain semblait rester la seule superpuissance.
Toutefois, le rapport de forces entre les puissances évolue au fil du temps, principalement en fonction de la puissance économique. La croissance de l’économie chinoise par rapport à celle des États-Unis et le développement de l’Asie comme principale arène de croissance économique ont entraîné un changement progressif et une concurrence. Dans un certain sens, c’est devenu comme la concurrence du capitalisme allemand contre les Britanniques à partir des années 1870. Dans des domaines de production clés tels que l’acier, l’Allemagne est passée de la moitié du niveau de production britannique à une production deux fois plus importante. Sur la base de l’expérience de la Première Guerre mondiale, Lénine a demandé : “sous le capitalisme, quelle autre résolution des contradictions peut être trouvée que celle de la force ?” Aujourd’hui, bien que les États-Unis et la Chine soient tous deux capitalistes, il y a une guerre froide. Ce qui empêche une guerre chaude, c’est l’existence d’armes nucléaires qui pourraient détruire le monde entier. Une raison toute aussi importante est qu’une grande majorité de la population s’oppose à la guerre.
Des incidents militaires et des guerres par procuration, comme en Syrie, sont possibles, mais une guerre totale entre les États-Unis et la Chine n’est pas sur la table pour le moment. La guerre froide se poursuivra et, contrairement à de nombreuses prédictions, les classes dirigeantes des deux camps risquent de perdre du terrain en conséquence. Le soutien initial au nationalisme sera contrecarré par le coût du conflit et les graves crises politiques, économiques, environnementales et sociales internes dans les deux pays et blocs.
Diviser le monde
Dans la définition de l’impérialisme de Lénine, le développement des monopoles et le rôle du capital financier sont liés à la mondialisation : l’exportation de capitaux, le développement des entreprises multinationales et transnationales, et “la division territoriale du monde entier entre les plus grandes puissances capitalistes”. En quelques décennies, à la fin des années 1800, les principales puissances impérialistes se sont partagé le monde. Lénine les appelle “deux ou trois puissants pillards mondiaux armés jusqu’aux dents”. [Ce partage du monde] était le résultat d’un « énorme “surplus de capital”… dans les pays avancés ». Les capitalistes y ont été forcés par la concentration du capital et du monopole. Celle-ci a conduit à une course aux ressources et aux marchés, aux profits et au pouvoir, dans les pays moins développés où “le prix de la terre est relativement bas, les salaires sont bas, les matières premières sont bon marché”. Il s’agissait également d’une “lutte pour les sphères d’influence”.
Dans les années 1800, l’Empire britannique était le premier producteur pour le marché mondial. Sa supériorité technologique dans la production de textiles, de machines, etc., a ruiné la production locale à petite échelle dans d’autres pays, par exemple en Amérique latine. Bien que Lénine ait décrit le processus comme un partage définitif du globe, il a également souligné que “des repartages sont possibles et inévitables”. Cela s’est bien sûr avéré à maintes reprises depuis lors, notamment lors des deux guerres mondiales impérialistes. Les années 1900 ont également vu l’impérialisme américain devenir la puissance impérialiste dominante, reléguant les autres puissances impérialistes au second plan.
Pendant une période relativement longue, l’impérialisme américain a accepté la croissance économique de la Chine, car Pékin semblait accepter de rester une sorte de sous-traitant. Cependant, depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, alors que l’économie chinoise est en passe de devenir la plus importante au monde, plusieurs processus ont modifié l’équilibre entre les deux puissances. Le modèle capitaliste d’État chinois semblait moins endommagé par la crise mondiale de 2008-09 et le régime a pris des mesures audacieuses. En 2015, le programme “Fabriqué en Chine 2025” a été publié : il vise à ce que la Chine devienne le leader dans les domaines de la technologie et à devenir moins dépendant de l’Occident et des États-Unis.
L’initiative Nouvelle Route de la Soie (Belt and Road Initiative, BRI) est un réseau géant d’accords entre la Chine et les gouvernements de plus de 100 pays sur tous les continents. Son lancement montre que la Chine suit la loi générale du capital qui dépasse les frontières nationales. Les routes, les chemins de fer, les ports, les aéroports, les pipelines, etc. de la BRI relieront les États participants à l’économie chinoise par le biais du commerce, de prêts et de dettes. La BRI donne à la Chine un accès aux infrastructures, aux sources d’énergie et aux terres. Elle augmentera l’utilisation de la technologie chinoise dans les pays participants. Les investissements directs étrangers annuels de la Chine ont quadruplé entre 2009 et 2016, atteignant près de 200 milliards de dollars. Au total, les sorties d’Investissement Direct à l’Etranger de la Chine entre 2005 et 2020 s’élèvent à près de 2100 milliards de dollars. Un tiers de cette somme a été investi dans les ressources énergétiques.
Les chemins de fer
Dans L’impérialisme, Lénine écrit : « La construction des chemins de fer semble être une entreprise simple, naturelle, démocratique, culturelle, civilisatrice : elle apparaît ainsi aux yeux des professeurs bourgeois qui sont payés pour masquer la hideur de l’esclavage capitaliste, ainsi qu’aux yeux des philistins petits-bourgeois. En réalité, les liens capitalistes, qui rattachent par mille réseaux ces entreprises à la propriété privée des moyens de production en général, ont fait de cette construction un instrument d’oppression pour un milliard d’hommes (les colonies plus les semi-colonies), c’est-à-dire pour plus de la moitié de la population du globe dans les pays dépendants et pour les esclaves salariés du capital dans les pays “civilisés”. 200 000 kilomètres de nouvelles voies ferrées dans les colonies et les autres pays d’Asie et d’Amérique représentent plus de 40 milliards de marks de capitaux nouvellement investis à des conditions particulièrement avantageuses avec des garanties spéciales de revenus, des commandes lucratives aux aciéries, etc., etc. »
Au cours des dix dernières années, 34 pays ont signé des contrats avec des sociétés chinoises pour la construction de nouveaux chemins de fer. Il s’agit notamment des lignes Chine-Laos, Addis-Abeba-Djibouti, Mombasa-Nairobi, Lagos-Ibadan, et de nombreux autres chemins de fer spectaculaires. Ils sont construits par les principales entreprises chinoises de construction ferroviaire, financés par des prêts de la Chine et faisant également appel à un grand nombre d’ouvriers et de techniciens chinois. Au total, des projets ferroviaires d’une valeur de 61,6 milliards de dollars ont été signés entre des gouvernements et des entreprises chinoises entre 2013 et 2019. Les projets d’infrastructure ne sont pas des œuvres de bienfaisance, mais sont construits pour transporter plus efficacement les importations et les exportations, donnant accès au pétrole, aux minéraux et aux autres ressources naturelles, et établissant un lien politique entre le régime du PCC en Chine et les gouvernements du monde entier.
Les dettes
Déjà en 1916, Lénine soulignait également que le capital financier avait une forte emprise sur les pays dans le besoin. « De nombreux pays étrangers, de l’Espagne aux États des Balkans, de la Russie à l’Argentine, au Brésil et à la Chine, se présentent ouvertement ou secrètement sur le grand marché monétaire avec des demandes de prêts parfois très persistantes. » En outre, il a montré comment les prêts étaient liés à des demandes d’exportation : « La chose la plus habituelle est de stipuler qu’une partie du prêt accordé doit être consacrée à des achats dans le pays créancier, notamment à des commandes de matériel de guerre, ou de navires, etc. »
Dans les années 2000, la Chine est devenue le principal créancier et exportateur de capitaux. Une étude des économistes Sebastian Horn, Carmen M. Reinhart et Christoph Trebesch (Harvard Business Review, février 2020) a révélé que « l’État chinois et ses filiales ont prêté environ 1 500 milliards de dollars en prêts directs et en crédits commerciaux à plus de 150 pays dans le monde. Cela a fait de la Chine le plus grand créancier officiel du monde – dépassant les prêteurs traditionnels et officiels tels que la Banque mondiale, le FMI ou tous les gouvernements créanciers de l’OCDE réunis. »
La plupart des prêts sont liés à des investissements dans les infrastructures et les ressources naturelles par l’État chinois et les entreprises chinoises. Il en résulte une dépendance extrême des pays débiteurs vis-à-vis de la Chine. La plupart des prêts sont basés sur des conditions commerciales ; moins de cinq pour cent seulement sont sans intérêt.
« Pour les 50 principaux pays en développement bénéficiaires, nous estimons que le stock moyen de la dette due à la Chine est passé de moins de 1 % du PIB des pays débiteurs en 2005 à plus de 15 % en 2017. Une douzaine de ces pays ont une dette d’au moins 20 % de leur PIB nominal envers la Chine (Djibouti, Tonga, Maldives, République du Congo, Kirghizistan, Cambodge, Niger, Laos, Zambie, Samoa, Vanuatu et Mongolie). » (Horn, Reinhart et Trebesch).
L’enquête sur les prêts accordés par la Chine, jusqu’en 2017, souligne son rôle majeur dans le capital financier mondial. « Si l’on ajoute les dettes de portefeuille (dont les 1 000 milliards de dollars de dette du Trésor américain achetés par la banque centrale chinoise) et les crédits commerciaux (pour acheter des biens et des services), les créances globales du gouvernement chinois sur le reste du monde dépassent 5 000 milliards de dollars au total. En d’autres termes, les pays du monde entier devaient plus de 6 % du PIB mondial en dettes à la Chine en 2017. » (Horn, Reinhart et Trebesch).
En novembre 2020, la Zambie est devenue le premier pays au cours de la pandémie à faire défaut sur le paiement de sa dette. Sur sa dette de 11,2 milliards de dollars, 3 milliards sont dus à la Chine, mais en réalité ce qui est dû à la Chine est bien plus. Le régime chinois s’est particulièrement intéressé à ce pays qui est le deuxième producteur de cuivre d’Afrique. Pendant la pandémie, Pékin a également promis des prêts pour couvrir l’achat de vaccins chinois, par exemple 500 millions de dollars au Sri Lanka.
Le but des prêts et des connexions chinoises avec les gouvernements et présidents n’est pas d’améliorer la vie des masses pauvres de ces pays. Au contraire, le paiement des dettes prend une part croissante dans les dépenses publiques, les conditions de travail se dégradent et l’exploitation et la pauvreté augmentent, comme c’est le cas actuellement en Zambie. De nombreux régimes de l’initiative “Nouvelle Route de la Soie” sont autoritaires et s’attaquent constamment aux droits démocratiques. Le régime et le système chinois font partie intégrante du système capitaliste mondial.