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Category: Asie
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Le régime chinois ébranlé par la plus grande vague de protestation depuis 1989. Comment poursuivre la lutte ?
A l’heure où nous écrivons ces lignes, la police se masse dans les villes chinoises afin d’éradiquer la toute récente vague de protestation. Les actions protestations se poursuivent dans les universités. Le week-end prochain pourrait voir de nouvelles manifestations de rue dans différentes villes du pays. Les manifestations qui ont balayé la Chine ces derniers jours représentent le défi le plus sérieux depuis trente ans pour la dictature du Parti communiste chinois (PCC) et son “empereur” Xi Jinping nouvellement couronné.
Par Li Yong et Vincent Kolo, chinaworker.info
Après trois ans de contrôles et de confinements étouffants d’une brutalité indescriptible dans le cadre de la politique de « Zéro Covid », la population a atteint un point de rupture. Si le « Zéro Covid » et l’incendie meurtrier de jeudi dernier au Xinjiang (dix personnes sont mortes et neuf autres ont été blessées dans un immeuble à Urumqi, capitale régionale du Xinjiang) ont servi d’éléments déclencheurs, la vague de protestation actuelle est bien plus qu’un mouvement « anti-confinement », aussi important soit-il.
Les manifestations étudiantes dans plus de 80 universités du pays ont défilé au cris de « la liberté ou la mort », un slogan de la lutte de 1989 dont la plupart des jeunes Chinois ignorent totalement l’existence. L’aspiration aux droits démocratiques et à la fin de la dictature ont rencontré l’indignation contre l’insistance insensée et non scientifique de la dictature à vouloir à tout prix tuer un virus impossible à tuer.
Au cours de la semaine écoulée, les taux quotidiens d’infection au Covid ont atteint le chiffre record de plus de 40.000. Bien que ce chiffre soit encore faible par rapport aux niveaux atteints dans de nombreux pays occidentaux au plus fort de la pandémie, la réponse du gouvernement consiste invariablement à multiplier les confinements, car il s’est mis dans une situation délicate en insistant sur la réussite de la politique de « Zéro Covid ».
La dictature a aveuglément suivi une stratégie perdante, renforcée par le rôle personnel de Xi Jinping : a) il a utilisé la politique du « Zéro Covid » comme une arme dans la lutte de pouvoir interne du PCC, en forçant les gouvernements régionaux à faire preuve de « loyauté », b) il a utilisé cette politique pour massivement renforcer les capacités de surveillance et de contrôle de la dictature.
La stratégie « Zéro Covid » de Xi a minimisé la vaccination et s’est concentrée sur des tests de masse intensifs, la recherche des contacts, la quarantaine et des confinements brutaux. Un million de Chinois – dont la famille de l’un des auteurs de cet article – se trouvent actuellement dans des centres de quarantaine (fancang), largement décrits comme étant pires que des prisons. Selon Nomura, institution qui fournit des mises à jour hebdomadaires, un nombre record de cinquante villes, représentant environ un quart de la population chinoise, sont actuellement soumises à une forme de confinement.
Le passage à la position de « coexistence avec le Covid » adoptée par la plupart des autres gouvernements pourrait submerger le secteur des soins de santé chinois, qui manque de ressources, et entraîner des centaines de milliers de décès. Une étude récente de l’agence Bloomberg Intelligence a montré que la Chine ne dispose que de quatre lits de soins intensifs pour 100.000 habitants, soit un taux bien inférieur à celui des pays développés. Un revirement de politique maintenant représenterait également une défaite personnelle humiliante pour Xi Jinping, car il s’agit de sa politique phare. Le dictateur se trouve donc dans un « zugzwang politique », comme l’a souligné la chroniqueuse de Bloomberg Clara Ferreira Marques, en utilisant un terme d’échecs qui signifie qu’un joueur est obligé de faire un mouvement, mais que chaque option aggrave la situation.
Les signes avant-coureurs
Les signes d’une explosion sociale à venir sont clairs. Le débrayage massif, en octobre, de milliers de travailleurs de la plus grande usine d’iPhone du monde (Foxconn) à Zhengzhou, a eu un effet énorme sur la conscience de masse, car ces scènes ont été largement diffusées sur les réseaux sociaux malgré tous les efforts des censeurs. La ville d’Urumqi, où la dernière vague de protestations sans précédent a commencé, est en confinement depuis une centaine de jours, accompagnée – comme dans presque tous les confinements – de pénuries de nourriture et de médicaments.
Les confinements ont donné lieu à une crise de santé mentale aux proportions inimaginables. En 2020 déjà, une enquête nationale a révélé que près de 35 % des personnes interrogées étaient confrontées à une détresse psychologique en raison de la pandémie. Cette année, le ministère de la santé a refusé de publier des statistiques concernant les suicides.
Bon nombre d’universités où ont maintenant éclaté des manifestations spontanées contre le confinement et le gouvernement ont connu plusieurs vagues de confinement, avec des étudiants bloqués pendant des semaines dans leurs dortoirs, se plaignant d’un manque de tout, y compris de produits sanitaires. Lorsque le coup d’envoi de la Coupe du monde de football au Qatar a été donné, l’effet en Chine a été choquant. La vue de foules immenses, sans masque ni restriction visible de Covid, a incité certains à se demander si la Chine se trouve sur la même planète.
Un camarade en Chine a décrit la situation comme suit : « D’après ce que je peux voir dans mon cercle social, à part quelques bureaucrates et jeunes fonctionnaires qui ne font aucun commentaire, presque tout le monde tient bon avec les manifestants – y compris l’habituelle « majorité silencieuse ». (…) Ce qui est remarquable dans cette tempête, c’est que le mécontentement à l’égard du régime de Xi est passé au premier plan, la population ne limitant plus sa colère aux fonctionnaires locaux ou à d’autres membres du cercle restreint du régime, mais à Xi lui-même. »
Dix morts à Urumqi
La colère accumulée de la population à l’égard de la politique du « zéro covid » a finalement explosé les 26 et 27 novembre, lorsque les gens se sont rassemblés dans tout le pays pour demander la levée du confinement – et ont même pris l’initiative de démonter et de détruire les clôtures et infrastructures de test – ont attaqué les agents de prévention de la pandémie et la police qui se trouvaient sur leur chemin. Le 27 novembre, les étudiants d’au moins 85 universités du pays avaient organisé des manifestations, dont le nombre variait de plusieurs dizaines à plusieurs centaines.
L’incident a été déclenché par un incendie survenu le 24 novembre dans un immeuble d’habitation d’un quartier ouïgour d’Urumqi, la capitale de la province du Xinjiang. Urumqi est une ville chinoise Han à 80 %. Cela a une grande signification quand on voit l’unité spontanée dont font preuve les Han et les Ouïgours, malgré des années de propagande vicieusement raciste du PCC contre les Ouïgours, considérés comme des « terroristes ».
Le feu lui-même n’était pas très important, mais les véhicules de pompiers n’ont pas pu arriver à temps pour l’éteindre en raison des barrières érigées pour faire respecter le confinement. On soupçonne que les victimes n’ont pas pu s’échapper parce que leurs portes et leurs issues de secours étaient verrouillées. Des vidéos montrant des personnes hurlant pour que leurs portes soient ouvertes ont été largement diffusées sur Internet avant d’être supprimées par la censure.
Dix personnes, toutes des Ouïghours, ont été tuées dans l’incendie, bien que certains rapports en ligne suggèrent que le nombre de morts soit plus élevé. Les responsables du PCC ont ensuite fui leur responsabilité en niant que les sorties étaient bloquées et en accusant les habitants de ne pas connaître les voies d’évacuation. Cela n’a fait qu’attiser la colère de la population et, cette nuit-là, un grand nombre de citoyens d’Urumqi, tant Han que Ouïgours, ont franchi les barrières de la pandémie et se sont dirigés vers les bureaux du gouvernement de la ville pour protester.
Les graines de la révolte ont été plantées dans le cœur de la population à la suite de catastrophes collatérales successives ayant entraîné des pertes de vies humaines. Il s’agit notamment de l’accident de bus dans la province de Guizhou qui a tué 27 passagers envoyés de force dans un centre de quarantaine éloigné, et d’innombrables tragédies de personnes décédées parce qu’on leur a refusé l’admission à l’hôpital sans un test PCR négatif.
Ces dernières semaines, des personnes et des travailleurs dans des villes comme Zhengzhou et Guangzhou ont franchi les barrières de la pandémie et affronté la police. À Chongqing, une vidéo de jeunes gens criant « la liberté ou la mort » devant les lignes de police a touché une corde sensible chez de nombreuses personnes. Les manifestations d’Urumqi ont déclenché une vague qui s’est propagée dans tout le pays en deux jours, enflammant la colère et le mécontentement qui se sont accumulés sous l’effet de la politique inhumaine du « zéro Covid », mais qui sont encore plus profonds. La politique de lutte contre la pandémie menée par Xi Jinping a également révélé à des millions de personnes la réalité d’une dictature étouffante et brutalement répressive. Elle a montré jusqu’où le régime est prêt à aller en matière de répression et de surveillance.
« A bas le parti communiste ! »
Dans la nuit du 26 novembre, les habitants de Shanghai ont brisé le cordon pandémique et ont défilé sur une rue dont le nom fait référence à la ville d’Urumqi, afin de rendre hommage aux victimes de l’incendie et d’exprimer leur colère. Quelques jours plus tard, la police a retiré toutes les plaques de cette rue dans le cadre de ses mesures visant à empêcher de nouvelles protestations. La foule à Shanghai s’est jointe aux chants « À bas le Parti communiste ! À bas Xi Jinping ! » Ils ont également bloqué physiquement des voitures de police et se sont battus pour libérer des manifestants qui avaient été arrêtés par la police. Les manifestations se sont poursuivies tout au long de la journée et de la soirée du 27 novembre, les gens exigeant la libération des manifestants arrêtés. En plus de Shanghai, de grandes manifestations ont éclaté à Pékin, Nanjing, Guangzhou, Chengdu, Wuhan et dans d’autres villes.
Jamais depuis 1989 la Chine n’avait connu un mouvement d’une telle ampleur nationale. Les protestations actuelles n’ont pas encore atteint ce niveau, mais nous verrons comment les choses évoluent. La crise économique et sociale de la Chine est à bien des égards plus grave qu’à l’époque. Les manifestations actuelles sont issues de nombreuses couches sociales : travailleurs migrants comme à Zhengzhou et Guangzhou, étudiants, minorités ethniques comme les Ouïgours, tandis que l’on trouve de nombreuses jeunes femmes en première ligne des manifestations. Il existe de nombreux éléments différents dans la conscience politique qui se développe aujourd’hui, mais celle-ci a déjà dépassé le stade du mouvement contre le confinement pour poser des revendications politiques en faveur de la démocratie, contre la répression, pour la fin de la dictature et pour la destitution de Xi Jinping.
À Urumqi, le gouvernement local a immédiatement fait volte-face après l’incendie en annonçant que le foyer de Covid dans la ville avait été « nettoyé » et que les contrôles étaient donc assouplis. Mais la population a continué à descendre dans la rue pour protester. De nombreux autres gouvernements ont adopté une position similaire, annonçant à la hâte la levée des mesures de confinement et procédant à quelques changements cosmétiques.
Il s’agit de la stratégie classique du PCC pour désamorcer les protestations, avec un mélange de « carotte », c’est-à-dire de concessions, suivie du « bâton » de la répression et des arrestations. Un scepticisme généralisé a été exprimé sur les réseaux sociaux, selon lequel, comme à Urumqi, le virus aurait instantanément et miraculeusement disparu. La dictature du PCC est tristement célèbre pour ses fausses promesses et fausses concessions. D’innombrables protestations environnementales ont été désamorcées en annonçant la fermeture des industries polluantes, alors que celles-ci ont vu leur activité être autorisée une fois l’agitation calmée. À Wukan, dans la province de Guangdong, les autorités du PCC ont promis des élections locales limitées pour désamorcer les mobilisations contre l’accaparement des terres et la corruption. Ces élections ont été truquées, puis la répression a commencé. De nombreux leaders de la contestation sont aujourd’hui en prison ou en exil. « Ils nous ont donné un chèque d’un million de dollars », a déclaré plus tard un militant de Wukan, « mais il n’a pas été honoré ».
Dans cette vague de protestations, les Chinois Han et les Ouïgours ont fait preuve de solidarité et ont surmonté les tactiques de division du PCC. On a pu voir à Urumqi des scènes réconfortantes où des Han ont été applaudis et embrassés par des Ouïgours passant par-là alors qu’ils déployaient des banderoles dans les rues pour pleurer les victimes de l’incendie de jeudi. Certains commentateurs des médias en Chine ont décrit cette situation comme étant sans précédent depuis l’incident du 5 juillet (émeutes interethniques et pogroms meurtriers) au Xinjiang en 2009.
Quelles revendications ?
Sur les campus universitaires, de nombreux étudiants ont manifesté leur solidarité. À l’université Tsinghua de Pékin, le 27 novembre, des centaines d’étudiants ont brandi des feuilles de papier vierges en signe de protestation, en scandant « démocratie, État de droit, liberté d’expression » et « Vive le prolétariat », tout en chantant l’Internationale.
Contrairement aux manifestations précédentes, la vague actuelle montre une évolution vers une opposition plus explicite à la dictature, les rares slogans directs contre le PCC et Xi Jinping étant largement repris. Là encore, c’est la première fois depuis 1989. L’incident du pont Sitong en octobre, au cours duquel un manifestant isolé, Peng Lifa, a accroché des bannières dans le centre de Pékin avec des slogans contre la dictature, a clairement influencé bon nombre des revendications qui sont soulevées aujourd’hui. Si la protestation d’une seule personne n’aurait pas un tel impact dans la plupart des pays, en Chine, où toutes les organisations indépendantes, la politique et les droits démocratiques sont interdits, l’effet a été électrisant.
Dans notre déclaration sur la manifestation du pont Sitong (« New Tank Man protest gets huge response », chinaworker.info, 17 octobre), nous avons reconnu cet impact et fait l’éloge de nombreux slogans de la bannière, tout en expliquant qu’il ne s’agissait pas d’un programme suffisamment complet ou clair pour construire un mouvement de contestation du pouvoir du PCC. Certaines des demandes – soutenant la « réforme » – renforcent malheureusement l’illusion que la dictature, ou certaines de ses factions d’élite, sont capables de se réformer et d’offrir des concessions démocratiques.
Le PCC a montré à maintes reprises que ce postulat était faux. La promesse faite un jour par le PCC d’autoriser des droits démocratiques limités à Hong Kong a été retirée et brisée. Si le PCC n’a pas pu tolérer une forme de « démocratie » bourgeoise mutilée et limitée dans l’entité relativement séparée de Hong Kong, il ne peut certainement pas la tolérer en Chine.
Les marxistes et chinaworker.info ont montré dans leurs articles qu’aucun système autocratique dans l’histoire n’a jamais été « réformé » pour disparaître. Les luttes de masse, le plus souvent menées par une vague de grève et des interventions décisives du mouvement ouvrier, ont toujours été les ingrédients clés d’un mouvement réussi pour vaincre un régime dictatorial et gagner des droits démocratiques. La défaite puis la répression du mouvement de Hong Kong en 2019, malgré les efforts héroïques de son peuple, montre qu’il n’y a aucune possibilité de réforme, aucune rencontre à mi-chemin, avec une dictature qui, par nature, doit garder le contrôle total.
La colère de masse contre la politique du « Zéro Covid », qui s’identifie personnellement à Xi Jinping, a encore alimenté l’atmosphère contre la dictature. L’éclatement des manifestations est sans aucun doute une humiliation et un sérieux revers pour Xi, qui vient d’entamer son troisième mandat. Au moment du couronnement de Xi, lors du 20e Congrès du PCC, nous avions prédit que « quel que soit le résultat, il ne changera pas fondamentalement les perspectives du régime du PCC, qui se dirige vers la plus grande des tempêtes » (chinaworker.info, Xi Jinping’s 20th Congress caps five years of political disasters, 17 octobre).
Il existe de nombreuses similitudes entre la situation actuelle en Chine et le soulèvement iranien. Dans les deux cas, un incident brutal a déclenché un mouvement de protestation à l’échelle nationale, dans lequel les revendications politiques contre l’ensemble du régime ont commencé à être mises en avant. L’unité impressionnante entre les différents groupes ethniques surmontant instinctivement la propagande raciste et nationaliste vicieuse a également été mise en évidence. De même, à Hong Kong, en 2019, le mouvement de masse a éclaté sur la question d’une nouvelle loi sur l’extradition, mais en quelques semaines, cette question a été dépassée, car les vagues successives de manifestations de rue ont concentré leurs demandes sur les droits démocratiques et la fin de la répression d’État.
Les leçons de Hong Kong
Les manifestations d’aujourd’hui en Chine se caractérisent par les nombreuses expressions publiques de regret : « Nous aurions dû soutenir Hong Kong ». Cela montre que le processus de prise de conscience commence à se mettre en place. Pour que la lutte en Chine aille de l’avant, il y a des leçons cruciales à tirer de ce qui a causé la défaite du mouvement de Hong Kong. Le mouvement ne manquait pas d’effectifs ni de militantisme. Mais il manquait d’organisations de masse, en particulier d’organisations de travailleurs, pour soutenir la lutte malgré les nombreux revirements inattendus, les attaques du gouvernement et la désinformation. Il était isolé dans une seule ville et ne pouvait donc pas espérer vaincre la dictature du PCC en restant seul. La domination de l’idéologie libérale au sein de la lutte de Hong Kong, la stratégie de compromis en faillite des partis d’opposition pan-démocratiques, ainsi que la mentalité de repli sur soi encore plus extrême des localistes de Hong Kong, sont devenues une entrave auto-infligée.
Une philosophie anti-organisation, reposant uniquement sur la spontanéité et les plateformes en ligne, a également entravé la lutte de Hong Kong, car face à un État impitoyable disposant d’énormes ressources, la planification, la stratégie, le développement d’un programme clair, la compréhension d’une société et d’un système de gouvernement alternatifs sont tous nécessaires. Et cela nécessite une organisation : des syndicats de travailleurs et d’étudiants, des comités de lutte à la base et, de manière critique, un parti de la classe ouvrière avec un programme clair de droits démocratiques et de socialisme.
Ce dernier montrerait que la dictature du PCC est inextricablement liée au capitalisme chinois. C’est la plus grande entreprise industrielle et financière du monde, avec sa propre armée et ses propres forces de police. Les illusions sur la démocratie capitaliste, qui remplissent habituellement et peut-être inévitablement un espace dans chaque lutte anti-autoritaire, doivent être contrées par des avertissements clairs – comme nous l’avons fait pendant la lutte de Hong Kong – que la seule façon de gagner des droits démocratiques est de rompre de manière décisive avec le capitalisme, le système sur lequel repose la dictature du PCC.
Xi Jinping, comme d’habitude, a disparu de la scène face à une crise majeure, mais nous ne pouvons pas sous-estimer la détermination et la férocité de la répression de sang-froid du PCC. Le PCC n’acceptera pas à la légère les revendications des masses, même les demandes partielles de changement de la politique de lutte contre la pandémie, de peur que cela ne remonte leur moral et ne provoque une réaction en chaîne qui conduira à davantage de luttes de masse. Le PCC acceptera encore moins des réformes démocratiques même limitées qui, dans le contexte de la Chine, de sa taille et de ses profonds problèmes sociaux et économiques, feraient voler en éclats la dictature.
La force sociale clé en Chine comme partout ailleurs est la classe ouvrière, qui est déjà un facteur significatif dans les protestations, mais qui ne dispose d’aucune organisation d’aucune sorte, pas même de syndicats pour lutter pour ses conditions de travail. La classe ouvrière, en s’organisant d’abord sur le lieu de production et ensuite dans la société en général, est la force motrice naturelle et en fait la seule force motrice cohérente d’un mouvement réussi contre la répression, la dictature et le capitalisme.
Pour se placer à la tête de la vague de protestation actuelle, les travailleurs doivent lancer l’appel à un mouvement de grève, en appelant également les étudiants à faire de même. Une grève générale serait l’arme la plus puissante contre la dictature de Xi, si elle était liée à une organisation par le biais de comités de grève, de nouveaux syndicats indépendants et d’un nouveau parti ouvrier du socialisme démocratique.
Nous appelons à :
- Une solidarité active avec la révolte de masse en Chine : développons plus d’actions de protestation.
- La fin des confinements et la fin de la folie du « Zéro Covid ».
- L’escalade du mouvement dans des grèves étudiantes et ouvrières.
- L’investissement de ressources massives pour développer et équiper le secteur de la santé, intensifier le programme de vaccination et mettre fin immédiatement à l’interdiction des vaccins à ARNm.
- Faire passer les produits pharmaceutiques et les sociétés Covid super-profitable en propriété publique démocratique sans compensation et que leurs ressources soient allouées au développement d’un système public de soins de santé.
- L’augmentation des salaires et du salaire minimum, avec nationalisation de toute entreprise refusant de payer ses travailleurs.
- La construction d’un système de protection sociale fort, l’allocation de pensions décentes, l’instauration d’une assurance médicale et d’une assurance chômage pour toutes et tous.
- Des droits démocratiques immédiats et complets : liberté d’expression, liberté de presse, fermeture de structures de censure, liberté de réunion, droit de grève, droit d’organisation.
- La construction de syndicats indépendants et démocratiques de travailleurs et d’étudiants.
- La création de comités clandestins pour coordonner la lutte de masse et élaborer les stratégies qui s’imposent. Les réseaux sociaux doivent être utilisés tout en reconnaissant leurs limites : une véritable organisation est nécessaire comme l’illustre la défaite à Hong Kong d’un mouvement purement spontané.
- La libération des prisonniers politiques.
- L’abolition de la loi sur la sécurité nationale, l’abolition des camps de prisonniers et les pleins droits démocratiques pour Hong Kong, le Tibet et le Xinjiang, y compris le droit à l’autodétermination.
- L’unité dans la lutte de la classe ouvrière en Chine, à Hong Kong, au Xinjiang et à Taiwan contre le nationalisme et le capitalisme.
- Aucune illusion ne doit être entretenue concernant les capacités du régime à se réformer. A bas Xi Jinping et la dictature ! A bas la répression d’Etat ! Dissolution de la police secrète !
- Pour une assemblée populaire révolutionnaire élue au suffrage universel, avec un mandat pour introduire de véritables politiques socialistes afin de confisquer la richesse des milliardaires et des capitalistes rouges.
- Pour le socialisme international. Pas de guerre froide mais une guerre de classe contre les capitalistes de l’Est et de l’Ouest !
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Les marxistes et la guerre froide entre les États-Unis et la Chine
Plutôt que d’appuyer sur le bouton pause de la guerre froide impérialiste entre les États-Unis et la Chine, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a accéléré le processus.Vincent Kolo, chinaworker.info
“L’invasion russe de l’Ukraine a mis fin à la mondialisation que nous avons connue au cours des trois dernières décennies”, déclare Larry Fink, président de Blackrock, le plus grand spéculateur financier du monde. De très nombreux capitalistes, comme Fink, sont en train de rattraper les nouvelles réalités de la situation mondiale. Jusqu’au début de cette année, ils parlaient encore au futur d’une guerre froide entre les deux superpuissances, la Chine et les États-Unis.
Mais en fait, les grandes lignes du conflit actuel entre les États-Unis et la Chine ont commencé il y a dix ans avec le “tournant vers l’Asie” du président Obama. Dans le même temps, en 2012, Xi Jinping est arrivé au pouvoir et a adopté une politique étrangère plus agressive et nationaliste. C’était le revers de la médaille d’une répression considérablement accrue et d’un contrôle plus strict à l’intérieur du pays. Xi a abandonné la doctrine diplomatique pragmatique des gouvernements chinois précédents, résumée par la phrase de Deng Xiaoping, “hide and bide” (cachez vos capacités et attendez votre heure). L’approche de Xi se distingue par sa vantardise et l’exagération des capacités de la Chine. Les résultats décevants de la Chine dans la production de vaccins contre le COVID-19, malgré les centaines de milliards de dollars investis dans son secteur biopharmaceutique ces dernières années, en sont un exemple.
Le conflit avec l’impérialisme américain s’est intensifié en 2018 sous la présidence de Trump, populiste de droite, avec le lancement de la plus grande guerre commerciale depuis les années 1930. Lorsque Trump a perdu contre Biden en 2020, nous avons expliqué que la guerre froide se poursuivrait et s’intensifierait sous la nouvelle administration. En effet, le conflit est enraciné dans des processus objectifs, la crise historique du capitalisme mondial, et ne dépend pas en fin de compte du parti capitaliste qui est au pouvoir.
Dans la résolution du congrès 2020 d’Alternative Socialiste Internationale (ASI) concernant les perspectives mondiales, nous avons déclaré que “le conflit entre les États-Unis et la Chine est désormais l’axe principal autour duquel tourne la situation mondiale”. Comme cette résolution l’a précisé : “Le capitalisme mondial sort de l’ère de la mondialisation néolibérale, la tendance dominante depuis près de quatre décennies, et entre dans l’ère de la “géo-économie” dans laquelle le conflit d’intérêts entre les grandes puissances impérialistes est le facteur dominant.”
L’État et le marché
Ce texte a été écrit avant la pandémie et avant la guerre en Ukraine, qui ont toutes deux renforcé ces processus. Aujourd’hui, la tendance est au militarisme et à une lutte de pouvoir géopolitique encore plus âpre, les tendances économiques ayant tendance à suivre plutôt qu’à diriger les développements. Les États nationaux – les outils de coercition du capitalisme – plutôt que les “forces du marché” sont de plus en plus aux commandes. L’expansion militaire et la démondialisation stratégique sont désormais les principales tendances. Il ne s’agit pas seulement de l’augmentation des budgets d’armement, même si cette évolution est dramatique et alarmante, le Japon et l’Allemagne en étant les exemples les plus marquants.
La Chine possède désormais la plus grande marine du monde, avec 355 navires contre 297 pour les États-Unis, et a lancé en juin son troisième porte-avions, le Fujian, qui est aussi le plus avancé. Le plan de modernisation de Xi envisage une armée “à égalité avec les États-Unis” d’ici 2027, date du 100e anniversaire de l’Armée populaire de libération. De nombreux commentateurs préviennent qu’il pourrait s’agir du calendrier de Xi pour une invasion de Taïwan, qu’il est déterminé à placer sous le contrôle de Pékin. Cependant, la Chine n’a pas mené de guerre navale depuis 100 ans. Les experts militaires préviennent qu’une invasion de Taïwan serait encore plus compliquée que le débarquement de 1944 en Normandie.
Un climat politique frénétique est orchestré par les classes dirigeantes, en Europe mais aussi dans certaines régions d’Asie, avec en parallèle la préparation d’attaques massives contre la classe ouvrière pour financer des armées plus grandes et plus meurtrières. Partout, la solution des capitalistes et de leurs gouvernements est “plus d’armes !”. Le nationalisme, une certaine frénésie et la désorientation, sont très courants dans les premiers stades d’une guerre. Mais le vent va inévitablement tourner avec le soutien croissant pour une alternative anti-guerre, anticapitaliste et internationaliste.
Le récent sommet de l’OTAN en Espagne, la réunion du G7 en Allemagne et le sommet des dirigeants du Dialogue quadrilatéral (« Quad ») (Japon – Australie – Inde – États-Unis) au Japon ont tous été des exemples historiques d’un nouveau niveau de riposte coordonnée de l’Occident, non seulement contre la Russie mais aussi, et surtout, contre la Chine. Le nouveau niveau de rhétorique contre la Chine, qui est pour la première fois qualifiée de “défi systémique” dans le concept stratégique 2022 de l’OTAN, est la preuve que l’émoussement de la puissance chinoise est l’objectif primordial à long terme de l’impérialisme américain et, désormais, de l’OTAN. Cette orientation stratégique a été soulignée dans un récent discours du commandant de la marine britannique, l’amiral Sir Ben Key, qui a averti que “si l’on se concentre uniquement sur l’ours russe, on risque de manquer le tigre”. Le propos est clair, même s’il y a très peu de tigres en Chine (de toute évidence, il n’est pas nécessaire de connaître la zoologie pour diriger une marine).
L’invasion de l’Ukraine par la Russie était bien sûr le premier point à l’ordre du jour de ces réunions, à l’exception du sommet du Dialogue quadrilatéral, où l’implication de l’Indien Modi a nécessité un message différent de la part des autres membres de ce groupe, les États-Unis, le Japon et l’Australie. L’Inde refuse de se ranger du côté des opposants à la Russie, en partie parce qu’elle craint de pousser ainsi Poutine à se rapprocher encore plus de la Chine. Pendant des années, le régime chinois a fait pression sur la Russie pour qu’elle réduise ses ventes d’armes à l’Inde, avec laquelle Pékin entretient un différend frontalier de longue date. En accordant son soutien de facto à l’invasion de la Russie, Xi veut en partie utiliser cette invasion comme un levier contre l’Inde et permettre à la Chine de mettre la main sur la technologie militaire russe, y compris celle des armes nucléaires.
Armageddon
Les sanctions paralysantes imposées à la Russie, qui a effectivement été éjectée de l’économie mondiale, ont un double objectif : servir d’avertissement et de répétition générale en vue d’une future épreuve de force avec la Chine. Dans ce cas, l’impact mondial serait d’une toute autre ampleur. L’économie chinoise est dix fois plus importante que celle de la Russie et joue un rôle essentiel dans les chaînes d’approvisionnement, le commerce et les flux financiers mondiaux. “Appliquez à la Chine ce que nous avons vu en Russie, et vous obtenez un Armageddon pour l’économie chinoise et pour l’économie mondiale”, a déclaré un chef d’entreprise occidental au Financial Times.
Les deux parties veulent éviter ou retarder un tel scénario. Mais les deux parties se préparent également pour le jour où il se produira. Même Henry Kissinger, qui a négocié pour faire entrer la Chine de Mao dans le camp occidental pendant la première guerre froide contre la Russie stalinienne, convient que la Chine capitaliste d’aujourd’hui ne doit pas être autorisée à devenir un “hégémon”. Et ce, malgré les avertissements de Kissinger selon lesquels les hostilités entre les États-Unis et la Chine pourraient déclencher une “catastrophe mondiale comparable à la Première Guerre mondiale.”
Le contrecoup de la guerre en Ukraine a permis à l’impérialisme américain d’aligner un plus grand nombre de ses alliés autour de sa stratégie anti-Chine. Des divergences persistent, par exemple avec le gouvernement allemand, qui, aux yeux de l’administration Biden, traîne encore les pieds à l’égard de la Russie et de la Chine. Mais par rapport à la position des gouvernements respectifs avant l’invasion de février, l’écart s’est considérablement réduit.
La nouvelle situation a également apporté une manne financière à l’industrie américaine de l’armement. Lorsque le gouvernement allemand a décidé de doubler son budget militaire quelques jours seulement après l’invasion russe, le faisant passer de 47 milliards d’euros en 2021 à 100 milliards d’euros en 2022, son premier achat a été 35 avions de combat américains F-35 capables de transporter des armes nucléaires (coût estimé à 4 milliards d’euros). L’industrie américaine de l’énergie devrait également engranger d’énormes gains à mesure que l’Allemagne et l’Europe se détournent du pétrole et du gaz russes. Au cours des quatre premiers mois de l’année, les expéditions de gaz naturel liquéfié des États-Unis vers l’Europe ont triplé par rapport à la même période en 2021.
L’OTAN et ses amis
Au sommet de l’OTAN de Madrid, le Japon, la Corée du Sud, l’Australie et la Nouvelle-Zélande ont été invités pour la première fois à participer. Il ne s’agissait pas simplement d’envoyer un message à Pékin, mais aussi d’une étape vers une plus grande coordination militaire entre ces États indo-pacifiques et l’OTAN. Par conséquent, si Xi Jinping a peut-être calculé que son régime pourrait tirer des avantages de la confrontation de la Russie avec l’Occident, il risque en fin de compte de perdre encore plus que Poutine, car les enjeux pour l’économie chinoise sont bien plus importants.
Il s’agit du processus plus large de démondialisation et de formation de deux blocs antagonistes, la Chine risquant d’être évincée de secteurs clés du marché et de l’accès aux nouvelles technologies. Le milliardaire américain de la technologie Vinod Khosla prédit une “guerre techno-économique” entre les États-Unis et la Chine qui, selon lui, durera deux décennies. Les États-Unis ont déjà imposé des contrôles stricts sur des technologies d’importance stratégique telles que les équipements de télécommunications 5G et les semi-conducteurs, et leurs contrôles technologiques ne feront que s’étendre. Le Congrès est saisi de plusieurs projets de loi visant à renforcer le contrôle des investissements américains dans un large éventail de secteurs commerciaux chinois. D’autres mesures visent à financer la production américaine de semi-conducteurs, de métaux de terres rares, de technologies de batteries améliorées et d’autres secteurs où la Chine domine ou l’économie américaine est vulnérable aux perturbations de la chaîne d’approvisionnement.
L’assaut réglementaire de Trump contre le géant chinois des télécommunications Huawei a plongé l’entreprise dans une grave crise. Bloquée par les sanctions américaines pour accéder aux semi-conducteurs les plus récents, sa position même sur le marché intérieur chinois des smartphones est passée de la première à la sixième place depuis 2018, avec une baisse des ventes de 64 % l’année dernière. Pour ajouter à ses malheurs, Huawei a été contraint de réduire ses activités en Russie, l’un de ses rares marchés de croissance, pour éviter de tomber sous le coup des sanctions occidentales.
La “liste d’entités” américaine, ou liste noire des entreprises chinoises établie sous l’administration Trump, est devenue depuis un modèle pour la conduite de la guerre économique américaine à l’époque de la guerre froide. Sous Biden, la “liste des entités” a été étendue et les médias chinois affirment que 260 entreprises chinoises figurent désormais sur la liste. Plus de 100 entreprises russes ont été ajoutées en février.
Des réductions douanières ?
Une nouvelle escalade est à l’ordre du jour. “Si les États-Unis persuadent l’UE et le Japon de relancer le Comité de coordination pour le contrôle multilatéral des exportations (CoCom) afin d’étouffer les flux technologiques vers la Chine – une perspective rendue plus probable par la guerre en Ukraine – la Chine aura peu de chances de gagner la course technologique avec les États-Unis”, affirme Minxin Pei, un commentateur sino-américain.
Ce n’est pas contredit par les informations selon lesquelles Biden délibère sur la suppression éventuelle de certains droits de douane sur les produits chinois imposés par Trump en 2018. Si cela se produit, la réduction sera probablement “modeste”, peut-être en supprimant moins de 3 % des droits de douane, qui couvrent totalement plus de 300 milliards de dollars de biens chinois. L’objectif serait d’atténuer les pressions inflationnistes dans l’économie américaine à l’approche des élections de mi-mandat de novembre, bien que cela puisse n’avoir aucun effet sur l’inflation.
Des déclarations contradictoires suggèrent qu’il y a une lutte de pouvoir au sein du gouvernement de M. Biden entre les départements du Trésor et du Commerce, toute réduction des droits de douane risquant d’exposer le président à des attaques de la part des deux côtés du Congrès pour avoir été indulgent envers la Chine. Ce n’est pas seulement en Chine que le nationalisme maniaque constitue une contrainte pour la capacité du gouvernement à affiner sa politique. Janet Yellen, qui semble favorable à un certain “recalibrage” des tarifs douaniers, soutient que ceux-ci ne sont pas particulièrement efficaces comme arme contre la Chine et que des tarifs plus “stratégiques” sont nécessaires. Ce débat porte donc sur la manière d’infliger des souffrances à l’économie chinoise de manière plus intelligente, et rien d’autre.
Les relations UE-Chine
Pendant une grande partie de la dernière décennie, Pékin a entretenu l’espoir que l’Union européenne, sous la direction de facto de l’Allemagne, s’en tiendrait à une position de “neutralité stratégique” dans le conflit entre les États-Unis et la Chine. Cet espoir reposait sur la conviction que le capitalisme allemand ne ferait rien pour mettre en péril les plus de 100 milliards de dollars d’exportations allemandes vers la Chine chaque année. Mais les tentatives de Xi Jinping d’inoculer les relations UE-Chine de la guerre froide américano-chinoise ont commencé à s’autodétruire avant même la guerre en Ukraine.
Les tensions au sujet du Xinjiang ont torpillé l’accord global UE-Chine sur les investissements (ACI) en mars de l’année dernière. Si cet accord avait été ratifié, il aurait constitué un coup diplomatique important pour Pékin et une rebuffade pour Washington. Mais l’ACI est maintenant mort. Cette année, le gouvernement allemand exerce une pression financière et politique sur ses plus grandes entreprises, dont le constructeur automobile Volkswagen, en invoquant les violations des droits humains commises par la dictature chinoise dans le Xinjiang à majorité musulmane.
La question du Xinjiang est utilisée pour signaler une nouvelle approche plus dure de Berlin, à l’égard de la Chine mais aussi des capitalistes allemands, afin de leur forcer la main pour “diversifier” leurs investissements et leurs chaînes d’approvisionnement et mettre fin à une dépendance déséquilibrée vis-à-vis de la Chine. Il s’agit d’une tendance mondiale. Elle reflète les politiques des États-Unis et d’autres pays où les gouvernements dictent de plus en plus les décisions d’investissement aux entreprises privées pour des raisons de “sécurité nationale”. Elle imite certaines caractéristiques du modèle chinois.
Une telle approche “étatiste” était impensable à l’apogée de la mondialisation néolibérale. Mais aujourd’hui, chaque classe dirigeante doit protéger son pouvoir national afin de survivre à ce que Martin Wolf du Financial Times appelle la “nouvelle ère de désordre mondial”. C’est cela, plutôt que les inquiétudes liées à la répression et à la torture, qui se produisent à grande échelle au Xinjiang, qui oblige l’Allemagne et d’autres économies occidentales à freiner une plus grande interdépendance économique avec la Chine. Ce découplage de l’économie chinoise n’en est encore qu’à ses débuts, mais il s’accélère, comme certains des critiques internes de Xi avaient prévenu qu’il se produirait, rejetant la faute sur son alliance “sans limites” avec Poutine.
Le processus a en fait commencé il y a près de dix ans, sous l’effet d’autres facteurs, notamment une hausse des salaires chinois par rapport à ceux des autres économies asiatiques et même d’Europe de l’Est. Mais au cours du premier semestre de cette année, 11 000 entreprises étrangères ont été désenregistrées en Chine, contre une augmentation nette de 8 000 nouveaux enregistrements étrangers l’année dernière.
Everbright Securities estime qu’environ 7 % des commandes de meubles chinois ont été perdues au profit du Vietnam et d’autres pays entre septembre 2021 et mars 2022, 5 % pour les produits textiles et 2 % pour l’électronique. Ces tendances ont été masquées par le boom temporaire des exportations chinoises pendant la pandémie, mais comme celui-ci s’estompe, nous risquons d’assister à l’évidement de l’industrie manufacturière chinoise, à l’instar de ce qui s’est passé au Japon il y a trente ans.
Droits démocratiques
Le camp dirigé par les États-Unis présente sa position sur l’Ukraine comme une défense de la “démocratie” contre l’”autocratie”. La même hypocrisie s’applique au Xinjiang et à Taïwan. La propagande des impérialismes chinois et russe s’appuie sur un nationalisme agressif (“l’approche guerrière du loup” en Chine). Ils accusent l’Occident de chercher à affaiblir et à détruire la mère patrie, en utilisant la “démocratie” comme l’une de ses armes insidieuses. Tous les ennemis du régime – travailleurs, militants anti-guerre et pour la démocratie, personnes LGBT+ et féministes – sont qualifiés d’”agents étrangers”. Le projet nationaliste consiste à devenir une puissance forte et à reconquérir les “territoires volés”.
Les marxistes et ASI s’opposent à toutes les puissances ou blocs impérialistes et à leur propagande. Nous avertissons que le fait de soutenir l’un ou l’autre camp ou de croire qu’un impérialisme est moins dangereux que l’autre aurait des conséquences désastreuses pour la lutte des travailleurs contre le capitalisme.
L’impérialisme n’est jamais un allié dans la lutte pour la libération des peuples et nations opprimés, et pas du côté des droits démocratiques pour les masses. Les libertés politiques qui existent actuellement dans les démocraties capitalistes occidentales mais qui sont totalement absentes en Chine et de plus en plus en Russie, comme le droit de vote, le droit de s’organiser, la liberté d’expression et le droit de grève – ces droits ont toujours et partout été gagnés par la pression et la lutte des masses, et non par la bienveillance de la classe dirigeante.
L’attaque féroce de l’État américain contre le droit à l’avortement tourne en dérision la tentative de Washington de se placer sur le terrain de la “démocratie”. Ces dernières années, les pays capitalistes occidentaux ont lancé vague après vague des attaques contre les libertés civiles et les droits syndicaux. Dans les pays dotés d’une démocratie formelle ou bourgeoise, ce n’est pas l’État capitaliste qui est le dépositaire des droits démocratiques.
Léon Trotsky a expliqué que si la classe ouvrière n’est pas immédiatement capable de renverser le capitalisme, elle défend la démocratie bourgeoise contre la réaction fasciste ou autoritaire : “Les travailleurs défendent la démocratie bourgeoise, cependant, non pas par les méthodes de la démocratie bourgeoise … mais par leurs propres méthodes, c’est-à-dire par les méthodes de la lutte de classe révolutionnaire.” (Réponses aux questions sur la situation espagnole, 1937).
De “bons autocrates” ?
Les travailleurs ne peuvent jamais se tourner vers l’État capitaliste, les tribunaux, la police ou les armées capitalistes pour défendre nos droits démocratiques. Les droits démocratiques qui existent dans les États capitalistes occidentaux sont le résultat de la lutte et du rapport de forces des classes dans la société, plutôt que ce qui est écrit dans les lois ou les constitutions. Seule une lutte de masse liée à l’échelle internationale et dirigée par un mouvement ouvrier revitalisé qui se bat pour remplacer le capitalisme par un véritable socialisme peut garantir de véritables droits démocratiques. C’est la seule force qui peut mettre fin aux guerres et à l’oppression nationale. Les socialistes s’opposent à la répression d’État orwellienne des États capitalistes chinois et russes et se tiennent aux côtés de la classe ouvrière de ces pays, qui est la seule force capable de mener une véritable lutte contre la dictature.
Lorsque l’OTAN a besoin de la Turquie pour approuver les demandes d’adhésion de la Suède et de la Finlande, ses dirigeants “démocratiques” n’ont aucun scrupule à s’allier à l’autocrate impitoyable Erdogan, qui prépare de nouvelles guerres contre les Kurdes et s’attaque aux droits des syndicats, des femmes et des personnes LGBT+.
Les mêmes doubles standards à couper le souffle s’appliquent à la récente visite de Biden en Arabie saoudite pour serrer la main du dictateur Mohammed bin Salman. Il y a deux ans, lors de la campagne électorale, Biden s’était vanté de faire de l’Arabie saoudite un “paria”, mais aujourd’hui, il a besoin d’un accord sur l’approvisionnement en pétrole alors que l’embargo pétrolier russe comprime les marchés mondiaux. Il en va de même pour la mission de Blinken visant à charmer le dictateur thaïlandais, le général Prayut, en juillet. Washington est soucieux de ne pas voir le régime thaïlandais passer complètement du côté de la Chine.
Une analyse claire
Le conflit impérialiste entre les États-Unis et la Chine s’insère dans presque tous les mouvements et toutes les luttes qui se déroulent dans le monde. Nous en avons vu un élément au Myanmar l’année dernière, où d’un côté le coup d’État de l’armée était soutenu par Pékin et Moscou, tandis que de l’autre côté une partie de la jeunesse et des travailleurs qui ont monté une incroyable lutte de résistance et un mouvement de grève de masse ont malheureusement commencé à se tourner vers la pression occidentale et même l’intervention (de la soi-disant communauté internationale) pour les aider à vaincre la junte. Il s’agissait d’une cruelle illusion qui n’a fait que semer la confusion dans la lutte. La même chose s’est produite sous une forme différente à Hong Kong lors des manifestations démocratiques de masse de 2019, et à nouveau en Thaïlande l’année suivante.
Il y a des leçons politiques importantes à tirer de ces expériences dans l’environnement mondial modifié créé par la nouvelle guerre froide. Dans les exemples précités, une variante du “moindre mal” s’est installée et a désorienté une partie de ces mouvements, entraînant ou renforçant un repli de la lutte. Dans des pays comme l’Indonésie, les Philippines, la Malaisie, le Japon, Taïwan et la Corée du Sud, des sections du mouvement ouvrier et de la gauche peuvent également être désorientées et divisées par ces complications. Il s’agit bien entendu d’un avertissement pour le mouvement ouvrier naissant en Chine également.
La guerre froide, avec les deux blocs impérialistes qui exploitent et polarisent davantage des situations déjà volatiles pour accumuler les victoires géopolitiques, représente un grave danger pour les travailleurs et la jeunesse. C’est le cas même sans une autre guerre chaude reproduisant et peut-être éclipsant les horreurs de l’Ukraine. Une perspective, une analyse et un programme clairs qui rejettent le “moindre mal” et le nationalisme pour une position internationaliste et ouvrière d’opposition implacable à tous les gouvernements capitalistes et impérialistes, c’est la seule façon de s’assurer que les luttes importantes des opprimés ne sont pas déraillées par la réaction.
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Sri Lanka : Les manœuvres de la classe dirigeante s’intensifient pour contrecarrer le soulèvement révolutionnaire

En se relevant, les masses au Sri Lanka ont réveillé l’imagination et le courage de millions de travailleurs et de pauvres qui luttent contre les effets de la crise capitaliste en Asie du Sud et ailleurs dans le monde.Par Serge Jordan, Alternative Socialiste Internationale
La prise d’assaut spectaculaire de la résidence présidentielle de Colombo, le samedi 9 juillet, a marqué un renforcement qualitatif de la lutte entre révolution et contre-révolution au Sri Lanka. Cette explosion insurrectionnelle de masse a scellé le destin politique de l’autrefois puissant autocrate Gotabaya Rajapaksa et de sa dynastie corrompue.
Forcé de quitter son palais par un pays entier en émoi, le président disgracié a passé les jours suivants à se cacher et à organiser sa fuite de l’île. Pour de nombreux Tamouls, il y a une certaine ironie à voir Rajapaksa obligé de fuir sa maison dans la peur et à voir la maison de son Premier ministre incendiée. Cette expérience, tant de Tamouls ont dû l’endurer par le passé sous la surveillance de ces politiciens meurtriers et gangsters.
Gotabaya a d’abord essayé de se rendre à Dubaï par un vol commercial depuis l’aéroport international de Colombo, capitale du Sri Lanka, mais il a été bloqué dans sa course parce que le personnel de l’aéroport et les agents de l’immigration l’ont empêché de quitter le pays. C’est l’un des nombreux exemples qui témoignent du réveil du pouvoir longtemps inexploité de la classe ouvrière sri-lankaise au cours de l’”Anatha Aragalaya” (“Lutte du peuple”).
Avec l’aide de l’armée, “Gota” a finalement réussi à s’échapper aux premières heures du mercredi matin à bord d’un jet militaire qui a atterri dans les îles Maldives. À peine a-t-il atterri aux Maldives que des manifestations ont éclaté contre lui là-bas, principalement par des Sri Lankais qui vivent à Malé, la capitale des Maldives, et qui exigeaient du gouvernement local qu’il refuse d’abriter ce criminel.
Il a ensuite embarqué dans un avion pour Singapour jeudi. Le gouvernement de Singapour, qui se targue de sa culture de “tolérance zéro” à l’égard de la corruption, n’a visiblement aucun scrupule à héberger l’infâme corrompu Gotabaya Rajapaksa sur le chemin de l’exil. C’est depuis Singapour qu’il a finalement remis sa lettre de démission officielle, après avoir attendu d’être en lieu sûr pour la mettre en œuvre et renoncer à son immunité présidentielle – qu’il avait conservée jusque-là pour se mettre à l’abri des poursuites.
Une cocotte-minute
Au Sri Lanka, la rage bouillonnante des masses n’a pas refroidi et est prête à réexploser. Ranil Wickremesinghe, le dernier Premier ministre qui avait initialement annoncé qu’il démissionnerait samedi dernier, a été nommé président par intérim par un Rajapaksa en fuite.
Cette manœuvre, depuis officiellement ratifiée par le président de la Cour suprême, a mis en colère la rue, qui voit à juste titre en Wickremesinghe un mandataire des Rajapaksa pour tirer les ficelles de l’arrière-scène. Même lorsqu’il était officiellement un rival politique, Wickremesinghe avait sauvé la famille Rajapaksa de poursuites judiciaires lorsqu’elle était hors du pouvoir entre 2015 et 2019. Les deux derniers mois l’ont vu jouer un rôle similaire, tout en mettant en œuvre de nouvelles mesures d’austérité et en préparant un budget provisoire dont l’objectif central était de “réduire les dépenses jusqu’à l’os”.
Sa nomination a déclenché de nouvelles manifestations à travers Colombo depuis mercredi dernier ; ce jour-là, des masses de gens ont tenté de pénétrer dans le Parlement, et ont pris d’assaut et capturé son bureau. De violents affrontements avec les forces de sécurité ont suivi, et un jeune manifestant a succombé à ses blessures après avoir reçu des gaz lacrymogènes de la police.
Divisions
Le soulèvement du 9 juillet a fait éclater au grand jour les divisions au sein de l’establishment politique et de l’appareil d’État. Les partis d’opposition ont d’abord contesté la “légalité constitutionnelle” de la nomination de Wickremesinghe comme président par intérim. Depuis lors, des fractures sont également apparues au sein du parti de Rajapaksa, le Sri Lanka Podujana Peramuna (SLPP), entre une aile qui soutient Wickremesinghe et une autre qui conteste son ambition de devenir président à part entière.
L’une des premières décisions de Wickremesinghe a été de nommer un comité de commandants militaires et de police à qui il a donné le feu vert pour faire “tout ce qui est nécessaire pour rétablir l’ordre”, qualifiant les manifestants de “menace fasciste pour la démocratie”. Mais jeudi dernier, l’armée sri-lankaise aurait décliné les instructions de Wickremesinghe d’utiliser la force contre les manifestants. Cela semble confirmer la discorde qui règne au sommet sur la question de savoir qui doit être responsable, et les inquiétudes des sections de la classe dirigeante qui craignent que l’application d’une répression totale contre le mouvement à ce stade ne se retourne contre eux.
La déclaration publique faite la semaine dernière par l’ancien chef de l’armée, M. Fonseka, est symptomatique de la volatilité politique renforcée par le renversement révolutionnaire de la tête du régime. Il a lancé un appel aux militaires leur demandant de ne pas suivre les ordres anticonstitutionnels du président par intérim et de plutôt “lever leurs armes contre les politiciens corrompus”. Fonseka a été le commandant de l’armée sri-lankaise pendant les dernières années de la guerre et est l’un des architectes du génocide contre le peuple tamoul. Son positionnement est une tentative de tirer parti de l’agitation croissante qui affecte l’armée afin de canaliser le mouvement actuel dans une voie qui lui permettrait de rester à l’écart de la vague révolutionnaire. L’Aragalaya devrait appeler les rangs inférieurs de l’armée à lever leurs armes non seulement contre les politiciens corrompus, mais aussi contre tous les officiers militaires responsables de crimes de guerre – et Fonseka figure en bonne place sur cette liste.
Opportunités et dangers
Les événements houleux de la semaine dernière au Sri Lanka ont libéré un énorme potentiel révolutionnaire et inspiré des millions de personnes dans le monde en montrant la puissance des mouvements de masse. Le moment historique de samedi a donné lieu à des éléments de “double pouvoir” : au-delà du pouvoir officiel de l’État, le pouvoir réel s’est déplacé dans les rues, et les centres névralgiques du pouvoir d’État – à savoir le bâtiment de la résidence présidentielle, le bureau du président et la résidence officielle du premier ministre – ont été occupés par les masses, qui ont refusé de bouger jusqu’à ce qu’elles soient sûres que le président et le premier ministre démissionnent pour de bon. Ces somptueux bâtiments ont même été reconvertis en musées ouverts, avec des cuisines communautaires servant de la nourriture gratuite, une bibliothèque publique de fortune et d’autres commodités. Mercredi dernier, les manifestants ont également réussi à pénétrer dans la chaîne de télévision publique, autrefois porte-parole du régime Rajapaksa, et à prendre le contrôle du programme de diffusion pendant un certain temps.
Toutefois, bien qu’il ait pris le dessus après avoir arraché sa victoire la plus importante à ce jour, le mouvement de protestation ne dispose pas d’une direction pleinement identifiable, ni d’un programme politique cohérent quant à la suite des événements. Jeudi dernier, dans l’après-midi, tous les bâtiments occupés, sauf le secrétariat présidentiel, ont été rendus à l’État. La prise d’assaut et l’occupation de la résidence présidentielle et des autres bâtiments de l’État ont pourtant bénéficié d’un immense soutien à travers l’île et au-delà. Ils auraient pu être défendus par un appel public clair à la classe ouvrière du pays, à ses organisations et aux masses révolutionnaires dans leur ensemble, et être utilisés comme une rampe de lancement pour rallier et organiser la lutte – y compris, par exemple, pour convoquer le “Conseil du peuple” que les manifestants ont demandé dans leur “Plan d’action pour l’avenir de la lutte” publié le 5 juillet. Au lieu de cela, l’État va maintenant utiliser la récupération de ces bâtiments pour se regrouper et repasser à l’offensive, dans le cadre de sa tentative de restaurer le crédit meurtri de ses institutions.
Pendant ce temps, les manœuvres frénétiques de l’establishment politique pour tenter de mettre en place un gouvernement dit “multipartite” se poursuivent sans relâche. Ce n’est rien d’autre qu’une tentative de contourner la volonté des masses révolutionnaires en cousant un gouvernement au-dessus de leurs têtes – avec les restes pourris du SLPP, qui détient toujours officiellement la majorité au Parlement.
Tout gouvernement multipartite (à condition qu’il voie le jour) sera à la merci d’un parti composé de loyalistes et d’ex-loyalistes de Rajapaksa. En outre, aucun des partis parlementaires, qu’il s’agisse de l’opposition ou du SLPP, ne remet en question l’idée constamment martelée qu’il n’y a pas d’alternative à la reprise des négociations de renflouement avec le FMI et à l’acceptation des plans économiques néolibéraux brutaux qui y sont liés. La plupart de ces partis – relayés par les ambassades occidentales, les Nations unies, l’élite des grandes entreprises et l’establishment religieux – continuent également à ne jurer que par la Constitution actuelle, qui consacre le système de la présidence exécutive, qui donne des pouvoirs dictatoriaux au président, ainsi que le caractère sectaire, cinghalais-bouddhiste, de l’État.
Les “élections” du Président
Un vote pour élire un nouveau président à temps plein est prévu au Parlement le 20 juillet. Aucun des candidats en lice ne représente les aspirations des millions de personnes qui ont rendu possible cette vacance du siège présidentiel. Tous sont également, à des degrés divers, de farouches opposants au droit des Tamouls à l’autodétermination. Parmi eux, on trouve le candidat principal et favori de la classe capitaliste, Wickremesinghe, le susnommé Fonseka, le membre du SLPP Dullas Alahapperuma – un autre nationaliste cinghalais-bouddhiste et ancien allié fidèle de Rajapaksa-, Sajith Premadasa, chef du parti de droite Samagi Jana Balawegaya (SJB), le plus grand parti d’opposition au Parlement, qui prêche une “austérité extrême”, et Anura Kumara Dissanayake, chef du Janatha Vimukthi Peramuna (JVP).
Le JVP est le seul parti parmi ceux qui ont une certaine influence sur les sections de l’Aragalaya ; cependant, il a une longue expérience de soumission au chauvinisme cinghalais, soutient qu’il faut approcher le FMI “avec prudence”, et sa participation même à cette mascarade d’élection présidentielle reflète sa forte intégration dans les manœuvres antidémocratiques de la classe dirigeante visant à faire revivre les institutions décrépites et méprisées de l’ancien régime. Parmi les revendications les plus populaires du mouvement figurent en effet “225 Go Home” – une référence aux 225 membres du Parlement – et l’abolition de la présidence exécutive, le poste même que tous ces candidats défendent.
Quel que soit le gouvernement et le président qui seront choisis par les forces et institutions politiques qui fondent leur légitimité sur l’ancien système, ils iront à l’encontre de la demande de “changement complet du système” formulée par le mouvement et devraient être rejetés sans réserve. La même clique de politiciens pro-entreprises qui tente d’usurper la victoire des masses cherche désespérément à les écarter de la rue. C’est la véritable raison pour laquelle Wickremesinghe impose depuis dimanche l’état d’urgence dans toute l’île, justifié par la nécessité de “maintenir les fournitures et les services essentiels à la vie de la communauté” – une sacrée ironie de la part d’un homme qui a supervisé un tel effondrement économique que plus d’une douzaine de personnes sont mortes dans des files d’attente de plusieurs kilomètres pour de l’essence sous sa direction.
Quel programme ?
Il s’agit d’une lutte révolutionnaire qui nécessite des moyens révolutionnaires. Le seul gouvernement légitime est celui qui émane des forces vives du soulèvement d’Aragalaya lui-même. Le mouvement pourrait faire campagne pour un “Conseil du peuple” constituant révolutionnaire à l’échelle de l’île, convoqué par des délégués élus localement au sein du mouvement révolutionnaire, et avec une représentation équitable de toutes les minorités religieuses et ethniques. Des comités locaux de l’Aragalaya, démocratiquement élus et contrôlés par des assemblées tenues dans tous les quartiers, villages et lieux de travail, donneraient une forme concrète à cette idée, et permettraient à la classe ouvrière, à la jeunesse et aux pauvres des campagnes de contrôler pleinement leur propre lutte et d’affirmer et de développer leur propre base de pouvoir.
En ce qui concerne l’économie, le mouvement de masse devrait lutter pour imposer un programme de secours d’urgence afin de remédier à la situation catastrophique infligée à la majorité. Des mesures telles qu’un contrôle ouvrier sur les voyages et les flux de capitaux doivent être mises en œuvre pour empêcher les autres copains du régime et les proches de Rajapaksa de quitter le pays avec leurs richesses, et les millionnaires et milliardaires corrompus de planquer leur argent à l’étranger. Les richesses des Rajapaksa doivent être saisies et utilisées pour fournir une aide immédiate aux pauvres et aux affamés, et l’énorme budget de la défense doit être réduit pour augmenter les dépenses sociales qui s’imposent. Les comités de quartier pourraient contribuer à imposer des mesures de contrôle des prix et à organiser la fourniture de biens vitaux comme la nourriture et les médicaments à ceux qui en ont besoin.
Le remboursement de la dette saigne le pays à blanc ; le mouvement devrait plaider pour sa répudiation immédiate et inconditionnelle, et rejeter toute négociation avec le FMI rapace. Au lieu de détruire ce qu’il reste de propriété publique au Sri Lanka (comme la santé et l’éducation) et d’ouvrir le pays à des privatisations plus larges, comme le voudrait cette institution impérialiste, le mouvement devrait exiger la propriété publique de tous les secteurs et ressources stratégiques et leur planification en fonction des besoins, sous le contrôle démocratique des travailleurs et des agriculteurs pauvres, par le biais d’un gouvernement qu’ils auraient eux-mêmes créé.
Bien sûr, de telles mesures socialistes ne viendront jamais d’en haut, puisque toutes les ailes de l’establishment conspirent pour continuer avec les mêmes politiques économiques capitalistes en faillite, volant les pauvres pour remplir les poches des déjà super riches. De telles mesures devraient être combattues par une action décisive de la classe ouvrière, sur les traces des grèves générales d’avril et de mai, qui ont connu un immense succès. Plusieurs syndicats ont prévenu que des actions de grève seraient organisées dans tout le pays si Wickremesinghe prenait la présidence à plein temps. Les travailleurs de tous les syndicats et lieux de travail devraient prendre leurs dirigeants au mot – car ce n’est pas la première fois qu’ils menacent de faire quelque chose qu’ils ne mettent pas à exécution – et se préparer à ces actions, quel que soit le vainqueur, car aucun des prétendants ne défend les intérêts des travailleurs de toute façon.
L’actuelle brochette de candidats réactionnaires et chauvins à la présidence ne peut que renforcer les appréhensions et les craintes des minorités tamoules et musulmanes quant à la direction que prend la situation politique post-Rajapaksa. Dans ces conditions, il est absolument crucial que des efforts conscients soient faits pour tendre la main à ces communautés et intégrer leurs justes revendications dans le mouvement. L’Aragalaya doit se battre pour la fin de l’oppression sanctionnée par l’État sur la base de la religion et de l’ethnicité, pour l’extradition et le procès populaire de Rajapaksa pour crimes de guerre, pour la libération de tous les prisonniers politiques, pour des enquêtes indépendantes sur les disparitions massives, pour la suppression de la draconienne “loi sur la prévention du terrorisme”, pour la fin de l’occupation militaire et de l’accaparement des terres dans les provinces tamoules, et pour le droit du peuple tamoul à décider librement et démocratiquement de son propre avenir, sans aucune contrainte de l’État.
En se redressant, les masses au Sri Lanka ont réveillé l’imagination et le courage de millions de travailleurs et de pauvres qui luttent contre les effets de la crise capitaliste en Asie du Sud et au niveau international. En adoptant une perspective socialiste telle que décrite ci-dessus, elles pourraient accélérer la disparition de ce système et ouvrir une nouvelle ère de véritable coopération internationale et de progrès social pour tous.
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Sri Lanka. La prise d’assaut du palais présidentiel oblige Gotabaya Rajapaksa à quitter le pouvoir

La révolution continue, c’est tout le système qui doit disparaître !Par Serge Jordan, ASI
Les événements rapides qui se déroulent au Sri Lanka, pays en crise, ont pris une nouvelle tournure ce samedi 9 juillet, alors que des centaines de milliers de personnes sont descendues dans la capitale Colombo au cours d’une journée d’énormes protestations initiées par les jeunes activistes qui occupaient le site central de protestation à Galle Face Green. La manifestation de ce samedi a culminé avec la prise d’assaut massive de la résidence officielle du président Gotabaya Rajapaksa, obligeant ce dernier à fuir ledit palais quelques minutes avant que cela ne se produise. Dans la soirée, il a annoncé qu’il se retirait, en mettant ainsi en œuvre ce qui avait déjà été obtenu par les masses dans les rues. Des pétards de fête ont été entendus dans de nombreux quartiers de la ville à l’annonce de cette nouvelle.
Un sentiment de soulagement et d’exaltation va sans doute envahir de nombreuses familles tamoules, au Sri Lanka et à l’étranger, en assistant à la fin politique peu glorieuse de ce dictateur sanguinaire responsable de crimes de guerre, de tortures et de disparitions de Tamouls à une échelle génocidaire. De nombreux autocrates et dirigeants capitalistes dans le monde regarderont cependant les événements actuels au Sri Lanka avec un sentiment de panique, car la tempête économique, sociale et politique de l’île leur offre un miroir de ce qui va suivre dans de nombreux autres pays ravagés par la nouvelle étape de la crise du capitalisme mondial.
Des scènes montrant des centaines de manifestants franchissant plusieurs lignes de barricades policières et forçant l’entrée du bâtiment, brandissant des drapeaux sur ses toits et faisant même trempette dans la piscine du président ont été largement diffusées sur les écrans de télévision du monde entier. Cela n’est pas vraiment surprenant, car les Sri Lankais ont enduré pendant des mois des coupures de courant qui duraient des heures et des files d’attente atrocement longues pour obtenir des produits de première nécessité sous une chaleur écrasante, tandis qu’une fine couche de politiciens corrompus et de millionnaires, incarnés par Gotabaya lui-même, continuaient à s’offrir un style de vie luxueux.
Les rues autour du bâtiment présidentiel étaient occupées par un océan de protestataires, manifestant leur rage contre les escrocs au pouvoir qui ont jeté l’immense majorité de la population du pays dans un cycle de souffrances économiques qui ne cesse de s’aggraver. Le manque de carburant, l’interdiction des véhicules privés qui en a résulté et le quasi effondrement des transports publics n’ont pas empêché les gens de venir de loin, y compris de l’extérieur de Colombo et de régions reculées du pays, pour se rendre à la manifestation de ce samedi. En milieu d’après-midi, un correspondant d’Al Jazeera a rapporté : « Des dizaines de milliers de Sri Lankais continuent d’affluer à Colombo… Les gens ont pris d’assaut les gares et ont littéralement forcé les employés à les mettre dans les trains et à les amener à Colombo. Ils disent qu’ils reprennent leur pays. »
Submergées par le nombre et la détermination des manifestants, les tentatives des forces de sécurité, de la police et de l’armée de retenir, et encore moins de déloger, la foule des manifestants étaient sans espoir. On a rapporté des scènes isolées où les forces de l’État ont sympathisé avec les manifestants, voire les ont rejoints. Une vidéo d’un officier de police garant sa moto, jetant son casque et lançant des slogans de soutien à la manifestation est devenue virale sur les médias sociaux.
La police avait initialement imposé un couvre-feu dans la capitale et dans plusieurs autres villes dans la nuit de vendredi à samedi en prévision de la journée de protestation annoncée, mais l’a annulé le lendemain matin à la suite des objections des politiciens de l’opposition et de l’Association du barreau du Sri Lanka. Les ordonnances d’interdiction demandées par le gouvernement contre la manifestation ont également été rejetées par la Haute Cour. Il s’agit là d’indications sûres que les divisions se creusaient entre les différentes ailes de l’establishment quant à la manière de répondre à la pression bouillonnante de la base, et à ce qui devait être une journée de lutte capitale.
Après les événements du samedi, l’ambassadeur américain au Sri Lanka a même demandé à la police de l’île de laisser de l’”espace” aux manifestants. Certaines sections de la classe dirigeante craignent qu’une répression de l’État à ce stade ne mette le feu aux poudres de la révolution, voire ne provoque des scissions dans les rangs inférieurs des forces militaires et policières, elles-mêmes soumises aux politiques économiques ruineuses du régime pourri et discrédité qu’elles sont officiellement censées protéger.
Démissions
À la suite de ces développements explosifs, le Premier ministre Ranil Wickremesinghe, qui avait lui-même été déplacé dans un lieu sûr et non divulgué, a été le premier à annoncer officiellement sa démission. Wickremesinghe avait été trié sur le volet par le président détesté il y a moins de deux mois pour remplacer son frère aîné, Mahinda, qui avait été évincé à la suite d’une action de masse similaire et explosive. Il s’agit donc du deuxième Premier ministre à être renversé par le soulèvement populaire, qui a éclaté au début de l’année en réaction à l’effondrement économique qui frappe l’île.
L’espoir timide de la classe dirigeante que la nomination de Wickremesinghe permettrait de mater la résistance de masse et de faire passer ses plans d’austérité sauvages sans opposition a reçu aujourd’hui une réponse formidable. D’ailleurs, la résidence privée de l’ex-Premier ministre a elle-même été incendiée par les manifestants. Sous la direction de Wickremesinghe, la crise n’a fait qu’empirer, et ce n’était qu’une question de temps avant qu’un nouveau point de rupture ne soit atteint.
Immédiatement après l’assaut de la résidence de Gotabaya, au moins 16 députés de son propre parti, le Sri Lanka Podujana Peramuna (SLPP), avaient déjà demandé sa démission immédiate, dans une tentative désespérée de se distancer d’un leader qu’ils avaient soutenu jusqu’à la dernière minute. Résumant l’état d’esprit des cercles dirigeants, un ancien conseiller des Rajapaksa a déclaré : « D’une certaine manière, le président est déjà parti, peu importe ce qu’il dit – il est désormais sans intérêt ». Quelques heures après la démission du chef du gouvernement, l’intention de Gotabaya de quitter le pouvoir « d’ici la semaine prochaine » a été annoncée publiquement par la voix du président du Parlement, Mahinda Yapa Abeywardena. Au moment de la rédaction de cet article, on ne sait toujours pas où se trouve Gotabaya lui-même, bien que des images vidéo l’aient montré embarquant précipitamment sur un navire de la marine avec une partie de sa famille.
Pour un mouvement dont la revendication la plus claire a été exprimée par le slogan populaire “Gota go home” et la nécessité de renverser le président, la question brûlante est désormais de savoir ce qui va et doit se passer ensuite. Tous les efforts des principaux partis d’opposition visent à mettre en place un gouvernement dit d’unité ou “multipartite”. La vérité, cependant, est que la colère des masses au Sri Lanka va bien au-delà du clan Rajapaksa ; pour beaucoup, c’est l’ensemble de l’establishment politique et le système qui le sous-tend qui doivent être mis sur le banc des accusés. Cela est tout à fait justifié si l’on considère qu’aucun des partis de l’opposition parlementaire n’a préconisé une voie économique fondamentalement différente de celle suivie par les Rajapakasa et leurs gouvernements successifs, aucun d’entre eux – que ce soit le Samagi Jana Balawegaya (SJB), le Janatha Vimukthi Peramuna (JVP) ou l’Alliance nationale tamoule (TNA) – ne s’est opposé en principe à la stratégie centrale poursuivie par le cabinet sortant, qui consiste à mendier davantage d’argent auprès du FMI en échange d’un programme d’austérité impitoyable qui réduit encore plus la vie des travailleurs et des pauvres.
Les jeunes, la classe ouvrière et les masses appauvries du Sri Lanka ont fait preuve aujourd’hui d’une énergie et d’un potentiel révolutionnaires considérables, comme ils le font depuis des mois malgré les difficultés extrêmes qui leur sont imposées quotidiennement. Ils ont montré une fois de plus que c’est leur propre mobilisation et organisation de masse, et rien d’autre, qui peut forcer la classe dirigeante à céder. Il ne s’agit pas maintenant d’arrêter mais d’intensifier la lutte. La force inébranlable de la grève générale et du “Hartal” (fermeture totale) en avril et mai a montré que les syndicats et la classe ouvrière en général ont un rôle décisif à jouer dans cette escalade.
Mais les masses doivent également développer leur propre alternative révolutionnaire – plutôt que de laisser une bande de politiciens pro-capitalistes sans mandat du mouvement s’emparer de leur lutte et décider pour elles. Ceci peut être préparé par la construction d’un réseau insulaire de comités d’action de base dans les lieux de travail, les universités, les villes et les villages, comme axe organisationnel central autour duquel un futur gouvernement composé de représentants de la classe ouvrière et du peuple révolutionnaire pourrait voir le jour. Grâce à ces comités, une Assemblée constituante révolutionnaire pourrait être élue démocratiquement, reflétant de manière dynamique les aspirations les plus profondes des travailleurs, des agriculteurs pauvres, de la jeunesse révolutionnaire et de toutes les sections diverses et opprimées de la population du Sri Lanka, et responsable devant eux. Il commencerait par rejeter la constitution autoritaire et chauvine, centrée sur le bouddhisme cinghalais, et discuterait des mesures nécessaires pour s’éloigner de manière décisive du système politique et économique actuel, en faillite.
Il faut également se préparer consciemment à l’autodéfense de masse, car le danger d’une répression plus sanglante, voire d’une prise de pouvoir militaire, n’a pas disparu. Des appels explicites à la solidarité de classe doivent être adressés aux soldats et aux policiers de base, les exhortant à ne pas utiliser la force contre le mouvement populaire.
Dans l’élaboration d’une direction plus claire pour le mouvement et dans les discussions renouvelées qui sont susceptibles d’émerger sur ce à quoi devrait ressembler un avenir post-Rajapaksa, aucune question difficile ne devrait être évitée – y compris sur la reconnaissance nécessaire du traitement terriblement oppressif et brutal infligé par le régime déshonoré au peuple tamoul et sur l’incorporation nécessaire des demandes de ce dernier pour des réparations de guerre, l’égalité des droits et une véritable autodétermination. L’appel lancé récemment par le chef d’état-major de la défense, le général Shavendra Silva, à tous les citoyens pour qu’ils “soutiennent les forces armées et la police” reflète en partie la nervosité des hauts gradés de l’armée, qui craignent que leur passé sanglant, leurs affaires de corruption et leur étroite association avec les Rajapaksa soient désormais soumis à l’examen du public – et c’est normal. Au-delà des Rajapaksa eux-mêmes, tous les criminels en service ou à la retraite de l’armée responsables d’atrocités de guerre devraient être traduits en justice, et la construction d’une lutte de masse pour mettre fin à l’occupation militaire du nord et de l’est tamoul devrait être encouragée. Le budget militaire extrêmement gonflé doit être supprimé et les ressources réinvesties à des fins sociales. Ces revendications et d’autres similaires sont cruciales pour ancrer l’unité entre les travailleurs et les jeunes tamouls et cingalais sur des bases solides.
La prise d’assaut aujourd’hui de la résidence présidentielle par les masses à Colombo a ouvert un nouveau chapitre dans le soulèvement révolutionnaire au Sri Lanka, et la signification de ces événements sera ressentie à l’échelle internationale. Une nouvelle victoire a été remportée lorsque la figure de proue d’un régime corrompu, autoritaire et chauvin s’est vu montrer la porte de sortie. Mais d’énormes défis restent à relever, car tous les problèmes économiques auxquels sont confrontés les Sri Lankais sont toujours là, et aucun d’entre eux ne peut être résolu à l’intérieur des frontières nationales et capitalistes.
En commençant par des mesures d’urgence telles que le rejet sans compromis de tout remboursement de la dette aux créanciers internationaux rapaces, le plafonnement des prix de tous les produits essentiels, le contrôle public des flux de capitaux et l’expropriation immédiate de la richesse de la famille Rajapaksa, le mouvement de masse doit se doter d’un programme cohérent de revendications qui remette fondamentalement en question la logique de recherche du profit du système capitaliste au niveau national et international, et qui préconise la prise en charge par la classe ouvrière de la production et de la distribution des principales activités économiques de l’île dans le but d’une planification démocratique et socialiste. De manière cruciale, les masses devront également construire leur propre parti pour atteindre cet objectif. Ne faisant confiance à aucune puissance étrangère et à ses institutions – qui ne sont guidées que par leurs propres intérêts économiques et géopolitiques – elles devraient plutôt faire appel au soutien et à l’émulation des travailleurs et des pauvres d’Asie du Sud et du monde entier, qui sont eux-mêmes frappés par la crise alimentaire et énergétique mondiale et qui trouveront une formidable source d’inspiration dans le soulèvement de masse qui secoue le Sri Lanka.
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Chine. Les mesures de confinement drastiques suscitent une colère de masse
Nous publions ci=dessous une courte mais puissante vidéo de la campagne “Solidarité contre la répression en Chine et à Hong Kong” (SARCHK). Elle montre comment, à l’heure actuelle, 300 millions de personnes sont enfermées chez elles en Chine parce que Xi Jinping refuse de changer sa politique dure et brutale du “zéro covid”. Cette politique est basée sur des confinements de masse, des tests de masse sur des dizaines de milliers de personnes et l’enfermement de dizaines de milliers de personnes dans des centres de quarantaine de fortune.
La vidéo de la campagne Solidarité contre la répression en Chine et à Hong Kong (SARCHK) associe des séquences réalisées par plusieurs personnes qui ont été prises au piège lors du confinement à Shanghai et dans d’autres villes. La plupart de ces vidéos ont été retirées de l’internet chinois par les censeurs du régime.
Les tensions sociales augmentent. Une vague de pertes d’emplois a fait grimper le chômage à un niveau record, avec un taux de chômage des jeunes de 18 % (plus élevé que dans l’UE et aux États-Unis). Les travailleurs sont enfermés dans des usines et des chantiers de construction et dorment à même le sol. Le personnel hospitalier de Shanghai a organisé des manifestations et des grèves à la suite de la pénurie de fournitures médicales, de longues journées de travail et même du travail forcé en cas d’infection.
Comme l’explique cette vidéo, les entreprises de test en Chine sont les plus grandes gagnantes. Plusieurs de ces entreprises ont annoncé une croissance de leurs bénéfices de 60 à 190 % en avril par rapport à l’année précédente. “Plus d’un dixième des 100 premiers milliardaires chinois sont issus des secteurs de la pharmacie et des soins de santé. La pandémie leur a été très rentable.”
La dictature du PCC (parti prétendument “communiste”) a utilisé la lutte contre le virus comme prétexte pour renforcer massivement le contrôle social et la répression. Pendant ce temps, la deuxième plus grande économie du monde tombe d’une falaise. Les conséquences économiques sont mondiales et énormes.
Pour plus d’informations, rendez vous sur le site chinaworker.info
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Sri Lanka : Le premier ministre démissionne après que l’agression contre-révolutionnaire ait provoqué une réponse furieuse

Les événements ont pris un rythme frénétique au Sri Lanka au cours des 72 dernières heures. C’est une véritable crise révolutionnaire qui s’est développée et qui risque d’être le précurseur de bouleversements similaires dans d’autres pays.
Par Serge Jordan en direct de Colombo
Lundi 8 au matin, des centaines d’hommes de main pro-Rajapaksa et de bandes de malfrats à la solde du gouvernement, armés de matraques, de bâtons et de tiges métalliques, ont violemment attaqué deux sites de protestation anti-gouvernemental dans la capitale, Colombo. Ils ont quitté une réunion dirigée par celui qui était encore le Premier ministre, Mahinda Rajapaksa, dans sa résidence officielle, et ont attaqué les gens qui protestaient depuis des semaines devant cette résidence. Ils ont détruit leur campement, avant de descendre sur l’occupation “GotaGoGama” (GGG) face au bâtiment présidentiel de Galle Face Green, à un kilomètre de là.
Érigé il y a un mois, ce campement était devenu un symbole de défi à l’autorité du régime, et un point de ralliement quotidien pour toutes les couches soutenant le mouvement de masse. La foule de voyous pro-régime s’est déchaînée avec une extrême violence sur les manifestants présents, brûlant tentes et bannières et frappant de nombreuses personnes à sang. La police, présente en grand nombre, a simplement observé la scène. “La police n’a rien voulu faire” a rapporté une femme tamoule témoin des événements, ajoutant qu’elle a été explicitement ciblée pour son origine ethnique. “Nous avons perdu beaucoup d’effets personnels, car ils ont brûlé nos tentes, nos vêtements, nos couvertures, tout” ont expliqué d’autres manifestants présents lors de l’assaut. Des dizaines d’entre eux ont été grièvement blessés et un jeune a été déclaré paralysé à vie par la suite.
Par cette action, le régime de Rajapaksa pensait pouvoir frapper au cœur du mouvement de masse, intimider les manifestants pacifiques et les faire fuir du site. Cela aurait ouvert la porte à une contre-offensive plus large afin de briser la révolte des masses. Mais cela s’est avéré être une erreur de calcul phénoménale. Après le choc initial de l’attaque, des milliers de jeunes, aidés par des passants solidaires, des conducteurs et des travailleurs du quartier, et par des personnes qui avaient entendu parler de ce qui s’était passé, ont commencé à poursuivre les hooligans à la solde du gouvernement dans les rues pour leur donner une leçon. Certains ont été déshabillés, jetés dans le lac Beira tout proche ou dans des poubelles ; de nombreux bus qui avaient été utilisés pour les transporter à Colombo ont été incendiés, jetés dans le lac, ou les deux. Le lac de Beira offre aujourd’hui une vue surréaliste, avec des dizaines de bus calcinés à moitié immergés dans l’eau.
Des sections de la classe ouvrière ont immédiatement débrayé pour protester contre ce déchaînement contre-révolutionnaire, comme les travailleurs de la santé de l’hôpital général de Colombo et les avocats devant le complexe judiciaire de Hulftsdorp. Les postiers ont également décidé de lancer une action de grève dans toute l’île en réaction.
Défiant le couvre-feu annoncé lundi après-midi par le gouvernement pour tenter de repousser les masses hors des rues – ce qui a impliqué depuis un très important déploiement militaire, dans la capitale et dans le reste du Sri Lanka – les manifestants anti-gouvernementaux ont entièrement réoccupé Galle Face Green. À 16 heures, “GGG” renaissait des ruines et les tentes étaient reconstruites, avec de nombreuses autres personnes venant des différents coins de la ville qui affluaient par vagues pour défendre l’occupation et montrer leur solidarité, y compris des religieuses catholiques qui sont restées debout toute la nuit pour protéger la zone.
Son plan s’étant totalement retourné contre lui, Mahinda Rajapaska s’est officiellement retiré dans les heures qui ont suivi. Des pétards ont été allumés dans la banlieue de Colombo, tandis que des habitants ont été vus en train de préparer du kiribath (riz au lait, un plat traditionnel sri-lankais) pour célébrer la nouvelle.
Après Chamal, Namal et Basil Rajapaksa – qui ont tous été écartés à la mi-avril de leurs postes ministériels – Mahinda est le dernier membre de la famille Rajapaksa à tomber. Il est particulièrement méprisé par la communauté tamoule pour avoir supervisé le massacre de dizaines de milliers de civils tamouls pendant la guerre civile. Depuis sa démission, les demandes de départ de son frère cadet, le détesté président Gotabaya Rajapaksa, n’ont fait que s’amplifier de manière exponentielle dans tout le pays. Jusqu’à présent, le mélange incessant de concessions et de violence répressive déployé par le régime n’a pas réussi à décourager la lutte révolutionnaire dans laquelle se sont engagés les travailleurs, les jeunes et les pauvres du Sri Lanka.
Encouragés par la démission du Premier ministre et furieux de l’attaque vicieuse du régime, des masses de personnes ont manifesté dans divers quartiers de Colombo et dans de nombreuses autres régions du pays. La foule a brûlé des villas, des maisons et d’autres propriétés appartenant à la famille Rajapaksa, aux dirigeants et aux députés du parti au pouvoir, le Sri Lanka Podujana Peramuna (SLPP). Plus de 50 maisons de politiciens auraient été brûlées dans la nuit, et d’autres ont été prises d’assaut et incendiées mardi.
Lorsque je suis arrivé à Colombo mardi après-midi, l’une de ces grandes villas était en flammes, des centaines de personnes manifestaient à l’extérieur et des lettres rouges indiquaient “Gota Go Home” sur la façade. À Tangalle, dans l’extrême sud du pays, des manifestants en colère ont arraché la statue de D.A. Rajapaksa, le père des frères Rajapaksa. Quant à Mahinda, il a été évacué de sa résidence après que celle-ci ait été assiégée par des centaines de manifestants, et transporté dans un hélicoptère militaire vers le Nord-Est tamoul. Cela a ensuite provoqué des manifestations devant la base navale de Trincomalee, où il aurait trouvé refuge. Cette base navale a été utilisée par le régime Rajapaksa comme centre de détention et camp de torture pour les Tamouls pendant la guerre civile.
Au moins huit personnes sont mortes à ce jour et des centaines d’autres ont été blessées lors des récents affrontements. Avec leur trope habituel, la plupart des médias internationaux ont évoqué des “émeutes” et des “violences” entre manifestants pro et anti-gouvernementaux dans les rues de Colombo, et les gouvernements et ambassades occidentaux ont appelé à la “retenue”. Mais on ne peut douter de l’identité de ceux qui ont déclenché cette violence, en attaquant sauvagement des manifestants entièrement pacifiques et sans défense, parmi lesquels se trouvaient des familles avec de jeunes enfants.
Ce qui a suivi est un exemple typique du “fouet de la contre-révolution” qui déclenche un déchaînement révolutionnaire. Dans un contexte de profonde souffrance et d’exaspération face aux énormes problèmes économiques auxquels sont confrontés des millions de Sri Lankais, notamment les pénuries massives de carburant, de gaz et de médicaments, les coupures d’électricité de longue durée et la flambée des prix de la nourriture et d’autres produits essentiels, il n’est pas étonnant que cette attaque ait suscité une réaction furieuse de la base à l’encontre de ceux qui mènent un style de vie ostensiblement luxueux.
Il est également frappant de constater que la violence des jeunes n’était pas indiscriminée. Pour autant que l’on puisse en juger, aucun arrêt de bus, aucun petit magasin ni aucune propriété de personnes ordinaires n’ont été endommagés lors de ces incidents. La rage était finement orientée contre les symboles et la richesse du régime oppressif et corrompu, et contre ses lèche-bottes violents.
La lutte continue
Dès l’aube du mardi, alors que des rumeurs se répandaient au sujet des fidèles du régime qui tentaient de fuir le pays – dont le deuxième fils et chef de cabinet du désormais ex-Premier ministre qui s’était enfui la veille en Australie – des milliers de manifestants révolutionnaires ont commencé à se rassembler sur les routes menant à l’aéroport international Bandaranaike. Majoritairement jeunes, avec des femmes en grand nombre, beaucoup portant des casques et armés de bâtons pour se défendre, ils ont organisé des points de contrôle sur l’axe principal, patrouillant dans les rues et fouillant chaque voiture, pour s’assurer que la cabale corrompue qui a mis le pays à genoux soit tenue responsable de ses crimes. Les soldats stationnés sur place, dont certains discutaient avec les manifestants, regardaient imperturbablement ce qui se passait. Au moment où cet article est rédigé, le 11 mai, les zones entourant l’aéroport semblent toujours être sous le contrôle des patrouilles populaires.
Dans le même temps, le gouvernement a également émis des ordres de “tir à vue” contre toute personne endommageant des biens publics, portant atteinte à la vie ou violant le couvre-feu. Cette mesure intervient alors que les forces de l’État se sont déjà vu accorder des pouvoirs étendus d’arrestation et de détention arbitraires dans le cadre de l’état d’urgence déclaré la semaine dernière. Depuis lundi, des dizaines de milliers de soldats lourdement armés se sont rassemblés à Colombo et des barrages militaires ont été érigés tout autour, donnant l’impression d’une ville assiégée par l’armée, un peu comme ce que les Tamouls vivent encore quotidiennement dans le nord et l’est du pays. Les rues du centre de Colombo étaient en grande partie désertes aujourd’hui et les magasins, restaurants et bureaux étaient fermés, en raison de la prolongation du couvre-feu et des actions de grève menées par de nombreux syndicats publics et privés.
Une impasse volatile et précaire prévaut. Les masses ont arraché une victoire importante contre la réaction, et un sentiment de détermination amère à poursuivre la lutte jusqu’à ce que Gota tombe est profondément ancré dans l’esprit de chacun. Pourtant, la menace d’une violence contre-révolutionnaire accrue ou d’une répression plus large de l’État est loin d’avoir disparu.
Au moment où nous écrivons ces lignes, l’armée a lancé un avertissement aux occupants du GGG pour qu’ils quittent les lieux, et la perspective d’une attaque de l’État contre le camp plane dans l’air. Le mouvement de masse doit se préparer pleinement à de nouvelles tentatives de riposte de la part du régime. Les patrouilles de manifestants qui sont apparues dans certains quartiers de Colombo, notamment autour de l’aéroport, constituent un pas très encourageant dans cette direction. Elles doivent prendre un caractère plus organisé et généralisé afin de protéger toutes les manifestations, tous les lieux de travail et toutes les communautés contre la possibilité de nouvelles attaques de la part d’hommes de main pro-régime, de la police ou de l’armée, et pour s’assurer que le contrôle des rues ne reste pas entre les mains de la machine d’État – qui, malgré la sympathie pour le mouvement qui semble exister dans certains rangs de l’armée, est toujours contrôlée par les bouchers à la gâchette facile qui ont mené un génocide contre la population tamoule. Les travailleurs en grève et les syndicats devraient peser de tout leur poids pour protéger le campement des GGG, en envoyant d’urgence des délégations sur place pour aider à organiser sa défense.
Le danger de la violence communautaire doit également être activement repoussé. On a déjà vu des éléments pro-régime inciter à de telles divisions ces derniers jours, notamment dans la ville occidentale de Negombo, où des chauvins bouddhistes cinghalais ont tenté de diffuser des discours de haine pour provoquer une réaction contre la minorité musulmane.
La révolte de masse a apporté des caractéristiques d’unité parmi les différentes couches de la population qui auraient été à peine imaginables jusqu’à récemment. La lutte a donné lieu à des scènes réconfortantes, comme lorsqu’un étudiant activiste de l’université de Jaffna a été appelé par des manifestants cinghalais à s’adresser en tamoul à son auditoire majoritairement cinghalais, lors du blocage de la route du Parlement à Colombo, la semaine dernière, par les étudiants. Au camp GGG, un militant cinghalais victime de l’attaque du 9 mai m’a expliqué humblement : “maintenant que nous avons vu ce que ce régime peut nous faire, nous pouvons commencer à mieux comprendre ce que nos frères et sœurs tamouls ont vécu dans le passé”.
Cela dit, les cicatrices du passé n’ont manifestement pas été entièrement refermées, et il est un fait que le cœur du mouvement bat, pour l’instant, plus fort dans les zones à majorité cinghalaise du Sud. De nombreux Tamouls, tout en soutenant le mouvement, sont légitimement préoccupés par le fait que leurs revendications de justice et de réparation, de procès en bonne et due forme des criminels responsables des disparitions massives, des meurtres et des viols pendant la guerre, et du droit fondamental des Tamouls à décider de leur propre avenir, pourraient être mises de côté dans une configuration politique post-Rajapaksa. Le mouvement gagnerait donc en force en reprenant vocalement ces revendications, en luttant pour l’égalité des droits pour toutes les minorités et pour le droit inconditionnel des Tamouls à l’autodétermination nationale – y compris leur droit de se séparer et de former leur propre État.
Un Hartal total pour faire tomber le régime !
Le mouvement ouvrier et syndical dans toute sa diversité a un rôle essentiel à jouer pour garantir que la lutte conserve son caractère massif, ordonné et uni. La solidarité et la puissance affichées par toutes les couches de la classe ouvrière ont été une caractéristique remarquable de cette lutte : des ouvriers du bâtiment qui ont repoussé les bus pro-gouvernementaux des rues avec leurs excavatrices, aux agents d’immigration de l’aéroport qui se sont donné la main pour s’engager à ne laisser passer aucun député ou ministre du gouvernement ; des nombreux avocats qui se sont mobilisés pour assurer la libération des jeunes manifestants arrêtés par la police, au personnel médical qui a apporté son aide aux blessés après l’attaque de l’occupation GGG.
L’appel de l’alliance syndicale à un “Hartal” (grève totale) vendredi dernier, le 6 mai, a été solidement soutenu par l’ensemble de la classe ouvrière du Sri Lanka dans une démonstration de force historique qui a complètement paralysé l’économie de l’île, ébranlant l’ensemble de l’establishment et de la classe capitaliste du pays. Les travailleurs des zones franches d’exportation et de transformation ont généré des pertes de 22 millions de dollars US pour les grands fabricants industriels en une seule journée de grève ! Après ce succès, les syndicats avaient initialement appelé à une semaine de protestations et à un nouveau Hartal total à partir du mercredi 11, exigeant la démission du président. Du point de vue des dirigeants syndicaux, il s’agissait plus d’une menace que d’un plan qu’ils s’engageaient pleinement à réaliser. L’attaque de lundi par les voyous pro-gouvernementaux et la démission de Mahinda ont à la fois précipité et embrouillé leurs plans : des actions de grève à l’échelle nationale ont effectivement commencé mardi dans plusieurs secteurs – tels que les employés des services administratifs, les cheminots, les enseignants universitaires, les professionnels de la santé – mais certains dirigeants syndicaux ont également profité des récents événements pour annuler leurs appels à la grève.
Mercredi, d’autres secteurs se sont joints à la grève, comme les travailleurs des ports et de l’électricité. Mais la grève devrait s’étendre à tous les lieux de travail, et les syndicats devraient lancer un appel clair aux piquets de grève et aux rassemblements de masse dans les rues pour défier ouvertement le couvre-feu. La situation actuelle exige un Hartal efficace et total jusqu’à ce que Gota Rajapaksa, son entourage proche et son gouvernement soient renversés. C’est l’objectif que doivent se fixer les travailleurs et toutes les couches de la population qui luttent contre le régime en déliquescence, indépendamment de l’attitude tiède des directions syndicales.
Cependant, pour parvenir à un véritable changement, les masses devront aller plus loin et élargir leurs revendications au-delà du slogan populaire “Gota Go Home” et du renversement du président actuel – qui est la figure de proue de tout un système basé sur l’exploitation économique, l’extorsion impérialiste et l’oppression nationale. Ils devront rejeter toute négociation avec le FMI, qui subordonnera davantage le Sri Lanka à ses créanciers internationaux, en poursuivant le piège vicieux de la dette qui prive la population de ressources précieuses pour ses besoins vitaux, et qui sera utilisé comme chantage pour imposer de nouvelles mesures d’austérité qui ne feront qu’aggraver la situation de la majorité.
Ils devront s’assurer que non seulement les immenses richesses pillées par le clan Rajapaksa soient restituées au peuple, mais que les principales ressources et les moyens de production et de distribution du pays soient mis en mains publiques, sous le contrôle démocratique de la classe ouvrière, afin de réorganiser et de planifier l’économie en fonction des besoins de tous les Sri Lankais.
Ils devront résister à toute prise de pouvoir non démocratique, que ce soit par les militaires ou – ce qui semble le plus probable – par une nouvelle série de politiciens non élus nommés par le haut pour préserver le système en place et éviter la révolte de masse. En effet, à l’heure où nous terminons cet article, le président Gota Rajapaksa vient de terminer un discours public à la nation dans lequel il affirme qu’il nommera un nouveau cabinet cette semaine, et qu’un amendement constitutionnel sera proposé pour promulguer le contenu du 19e amendement à la Constitution, destiné à conférer davantage de pouvoirs au Parlement, et ouvrant la voie à l’abolition du système de la présidence exécutive “une fois que le pays sera stabilisé”. Il s’agit sans doute d’une énième tentative pour conserver son emprise sur le pouvoir, dernière et principale assurance de la dynastie Rajapaksa pour se sauver de l’effondrement politique.
Face à ces manœuvres incessantes, une véritable alternative doit être forgée de manière organique, par l’organisation politique indépendante des travailleurs, des jeunes, des agriculteurs pauvres et des masses révolutionnaires eux-mêmes – plutôt qu’en dépendant des partis d’opposition politique officiels, dont aucun n’articule un programme économique radicalement différent de celui qui a conduit des millions de Sri Lankais dans un tel enfer en premier lieu.
De nombreux manifestants à qui j’ai parlé ont exprimé au mieux leur scepticisme, voire leur mépris total pour ces partis. Le leader de l’opposition Sajith Premadasa, du parti de droite SJB (Samagi Jana Balawegaya), qui se présente comme le prochain candidat au poste de Premier ministre, a même été attaqué par des manifestants à Galle Face Green et a dû être escorté hors du site de la manifestation par son personnel de sécurité. Le JVP (Janatha Vimukthi Peramuna), pour sa part, se limite à des revendications politiques sur la démission du gouvernement, mais reste largement muet sur les questions économiques qui écrasent le peuple sri-lankais.
Afin d’apporter le changement radical de système nécessaire pour faire face à la situation désastreuse vécue par des millions de personnes à travers le Sri Lanka, ASI défend les revendications suivantes :
- Un Hartal total pour faire tomber Gota Rajapaksa et toute la famille dirigeante ! Interdiction immédiate de voyager pour tous les amis du régime – restitution des biens volés et saisie de toutes leurs propriétés et richesses ;
- Pour la fin de l’état d’urgence, l’arrêt de la militarisation et le retrait des troupes des rues dans toutes les régions du Sri Lanka ;
- Abolition de la présidence exécutive et la constitution actuelle : pour une assemblée constituante révolutionnaire basée sur des élections totalement libres dans toutes les régions de l’île ;
- Création de comités d’action et d’autodéfense sur tous les lieux de travail, de protestation, dans les quartiers et les villages ;
- Pas de négociation avec le FMI et non à de nouvelles mesures d’austérité : annulation inconditionnelle de la dette du pays ;
- Imposition d’un contrôle des prix, avec une augmentation massive des salaires dans tous les secteurs ;
- Monopole public sur le commerce extérieur et nationalisation, sous le contrôle des travailleurs, des industries clés, des propriétés foncières et des banques. Pour une économie socialiste planifiée démocratiquement par les travailleurs et les agriculteurs, et un gouvernement composé de leurs représentants élus ;
- Non aux divisions communautaires – pour un mouvement uni de tous les travailleurs, pauvres et opprimés de la société ;
- Défense du droit à l’autodétermination du peuple tamoul, y compris le droit à son propre État. Une justice complète et une compensation adéquate pour les victimes de la guerre et la restitution de toutes les terres occupées. Il faut organiser des procès populaires pour juger les criminels de guerre et révéler toute la vérité sur les meurtres et les disparitions forcées ;
Solidarité internationale avec le soulèvement de masse au Sri Lanka.
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L’Ukraine et la Chine : Xi Jinping joue à la roulette russe

“Celui qui n’est pas au courant des desseins de ses voisins ne doit pas conclure d’alliances avec eux”. Ce sont les mots du légendaire stratège militaire Sun Tzu, il y a plus de 2 000 ans. Xi Jinping n’a manifestement pas tenu compte de ce conseil lorsqu’il a dévoilé son alliance historique “sans limites” avec Vladimir Poutine lors de l’ouverture des Jeux olympiques d’hiver de Pékin. C’était tout juste vingt jours avant que les armées de Poutine n’envahissent l’Ukraine.
Par Vincent Kolo, Chinaworker.info (ASI en Chine)
Les spéculations vont bon train sur ce que Xi et son noyau dur savaient réellement des projets guerriers de Poutine. Ont-ils été tenus dans l’ignorance ? Cela semble peu probable. Xi, comme Poutine, a-t-il parié sur une victoire militaire russe rapide et écrasante ? Cela semble très plausible. Xi en savait-il plus, mais n’a pas informé le reste des hauts dirigeants du PCC ? C’est possible. Quoi qu’il en soit, les deux dictateurs ont commis une grave erreur de calcul. Et de telles erreurs pourraient finalement menacer leur maintien au pouvoir.
Il existe une scission à peine dissimulée au sein du régime du PCC (Parti soi-disant communiste) et une opposition significative à la ligne pro-Poutine de Xi, qui se reflète dans une certaine mesure dans les messages contradictoires émanant de Pékin. Comme l’a noté l’analyste vétéran de la Chine Katsuji Nakazawa, il existe des désaccords sur l’alliance avec la Russie au sein du Comité permanent du Politburo, l’organe dirigeant du PCC, composé de sept membres : “Les sept ne sont pas sur la même longueur d’onde”. Les divisions sur la guerre, et le fait que les politiques économiques de Xi ont également été en partie annulées, menacent d’exacerber la lutte de pouvoir interne du PCC.
Cela arrive au pire moment possible pour Xi, qui recherche la “stabilité” à l’approche du 20e du PCC Congrès et de son couronnement à la Poutine en tant que dictateur à vie. La faction anti-Xi du PCC, dirigée par le premier ministre sortant Li Keqiang et soutenue par une partie des « capitalistes rouges » et des fonctionnaires retraités, est trop faible pour renverser Xi. Mais l’opposition de cette faction aux politiques de Xi est devenue plus ouverte. Pour mettre en œuvre une politique à un stade aussi aigu de la crise, le régime de Xi doit être encore plus dictatorial et centralisé. Cela crée un cercle vicieux d’instabilité.
La “Grande controverse”
“La Chine ne peut pas être liée à Poutine et doit en être séparée le plus rapidement possible”, a écrit Hu Wei, un politologue affilié au bureau du conseiller du Conseil d’État (le gouvernement dirigé par le Premier ministre Li Keqiang). L’essai de Hu a été largement diffusé auprès des hauts dirigeants lors des “deux sessions” (du Congrès national du peuple et de la Conférence consultative politique du peuple chinois) au début du mois de mars, avant d’être retiré d’Internet et bloqué par les censeurs. Ce document est important parce qu’il critique de manière inhabituellement virulente la position de Xi, sans le nommer bien entendu, et parce que ses idées bénéficient manifestement d’un soutien considérable parmi les hauts responsables du régime. Hu déclare que la guerre a provoqué “une grande controverse en Chine”, l’opinion étant “divisée en deux camps implacablement opposés”. Il prévient : “Il y a encore une fenêtre d’une ou deux semaines avant que la Chine ne perde sa marge de manœuvre” pour se distancer de la Russie. “La Chine doit agir de manière décisive.”
Les commentaires de Hu sont l’expression la plus nette à ce jour des divisions au sein de la classe dirigeante chinoise sur la politique étrangère nationaliste et guerrière de Xi, l’alliance Xi-Poutine étant son dernier mouvement et le plus controversé. Une partie importante des officiels du PCC et des intérêts capitalistes chinois estime que la ligne nationaliste de Xi est devenue de plus en plus contre-productive, qu’elle nuit à l’économie et qu’elle renforce la rhétorique antichinoise de l’impérialisme américain. Mais comme Xi a apposé sa marque personnelle sur l’alliance avec la Russie, le régime chinois s’est mis lui-même au pied du mur. Tout au plus pourrait-il y avoir un changement de ton plutôt que de substance. “Couper les ponts” avec Poutine, comme le préconise Hu Wei, porterait un coup sérieux à l’image d’”homme fort” de Xi soigneusement construite au cours de la dernière décennie.
L’ampleur des difficultés rencontrées par Pékin dépend également du déroulement de la guerre. Une longue guerre, qui s’éternise pendant des mois et s’accompagne d’une intensification des bombardements terroristes sur les villes assiégées, est un scénario cauchemardesque pour le PCC, qui rendrait sa “fausse neutralité” impossible à maintenir. Un scénario encore pire pour Xi Jinping serait la chute de Poutine, soit par un soulèvement populaire, soit par une révolution de palais, ce qui provoquerait une onde de choc en Chine. Pour ces raisons, tout en essayant de manœuvrer et de brouiller les pistes, le régime de Xi fera tout son possible pour aider Poutine à rester au pouvoir.
La “neutralité” officielle contradictoire du régime chinois dans cette guerre a déjà porté atteinte à l’autorité de Xi, qui tente de se présenter comme un homme fort nationaliste qui ose tenir tête aux États-Unis. À l’extérieur, la rhétorique du PCC à l’égard de Biden est vague et diplomatique, prenant ses distances avec la Russie, alors que sa propagande intérieure promeut le nationalisme et est fortement pro-russe. Ce contraste a été remarqué par une certaine couche des masses. La propagande nationaliste de Xi a donc été minée, tandis que l’hypocrisie de son image “d’artisan de la paix” mondial a été exposée au grand jour. Une “grande campagne de traduction” a été organisée principalement par des Chinois d’outre-mer pour traduire en anglais les commentaires nationalistes, racistes et sexistes arrogants des médias contrôlés par l’État et des réseaux sociaux. Cette campagne reflète l’état d’esprit d’une couche de Chinois dégoûtée par la propagande frauduleuse du PCC.
La Doctrine Truman
Pour Poutine et le capitalisme russe, la guerre en Ukraine peut être classée au même rang que la décision désastreuse de l’impérialisme américain d’envahir l’Irak en 2003. Les États-Unis, sous la direction de Bush, ont complètement sous-estimé le bourbier ethno-politique dans lequel ils s’engouffraient. Poutine a tout sous-estimé, des capacités militaires de la Russie à la force de la résistance ukrainienne (il dénonce les enseignements de Lénine sur la question nationale et paie le prix de cette ignorance), en passant par la situation mondiale et l’ampleur de la réaction de l’impérialisme occidental. Xi Jinping, en liant si étroitement et publiquement son régime à celui de Poutine, a exposé la Chine au risque d’isolement diplomatique et à des coûts économiques potentiellement dévastateurs sous la forme d’un découplage accéléré avec l’Occident. Cela peut se produire indépendamment du fait que la Chine soit officiellement visée par des sanctions en raison de sa position pro-russe.
Alternative Socialiste Internationale (ASI) a expliqué que la guerre en Ukraine a tout changé. Le Financial Times, qui élabore des stratégies pour le compte du capitalisme occidental, décrit ce moment comme “un point de pivot géopolitique”, et exhorte Washington à proclamer une nouvelle version de la doctrine Truman de 1947 (qui divisait les pays en “pour” ou “contre” l’impérialisme américain). À court terme, l’invasion de la Russie a renforcé les gouvernements capitalistes occidentaux qui se lancent dans la militarisation en profitant de l’effet du choc sur la population et dans des interventions étatiques sans précédent sur les marchés financiers (les sanctions contre la Russie). Elles réussissent beaucoup mieux à déguiser leurs politiques comme étant une ligne de défense de la “démocratie” contre l’”autocratie”.
La nouvelle guerre froide entre les États-Unis et la Chine, qui se développe depuis plusieurs années, a donc connu un “grand bond en avant” depuis le début de l’invasion russe. Une démondialisation économique plus rapide est désormais inévitable. L’invasion russe a, du moins à court terme, apaisé les divisions internes du camp occidental, entre l’UE d’une part et le bloc de l’anglosphère dirigé par les États-Unis d’autre part. L’ancien premier ministre japonais Shinzo Abe a demandé que des armes nucléaires américaines soient stationnées au Japon, tandis que l’Allemagne est subitement devenue la troisième plus grande dépense militaire du monde. D’un seul coup, la guerre en Ukraine a balayé les restes de l’ordre mondial d’après 1945.
Le capitalisme du désastre
Un tel niveau de cohésion occidentale est précisément ce que cherchait à éviter la diplomatie chinoise depuis l’époque d’Obama et de Trump. La guerre de Poutine a donc énormément facilité la stratégie de Biden de construire une coalition impérialiste “démocratique” pour coincer la Chine et la Russie. Le soutien de facto de Xi à l’invasion russe a permis à l’impérialisme américain de mener beaucoup plus facilement une guerre par procuration contre la Chine, sa principale cible à long terme, sous le couvert du conflit avec la Russie. La nature et l’ampleur des sanctions occidentales contre la Russie sont un élément crucial de cette guerre par procuration.
La forte escalade du conflit avec la Russie est indissociable du conflit entre les États-Unis et la Chine. Biden a fait pression pour une alliance plus forte avec l’Europe, notamment par le biais de l’OTAN, en revenant sur la politique isolationniste de Trump connue sous le nom “America First”. L’objectif est d’isoler la Chine dans la politique internationale et d’accroître la pression sur elle dans les zones contestées de l’Indo-Pacifique, comme la mer de Chine méridionale et Taïwan. À long terme, l’Asie est stratégiquement plus importante pour l’impérialisme américain que l’Ukraine et l’Europe de l’Est. La guerre d’Ukraine est une répétition des conflits mondiaux qui se développeront à l’avenir.
Nous nous opposons à l’invasion de la Russie et aux programmes impérialistes de Poutine d’un côté, mais aussi à l’OTAN et à l’impérialisme américain de l’autre. Le sort horrible du peuple ukrainien est un avertissement des horreurs qui attendent l’humanité sous le signe du “capitalisme du désastre”. Celui-ci soulève maintenant le spectre des conflits militaires entre puissances nucléaires en plus de la crise climatique et des pandémies mortelles. Nous soulignons l’importance des manifestations héroïques contre la guerre qui ont eu lieu en Russie ainsi que la nécessité d’un internationalisme reposant sur la classe ouvrière, tout d’abord en solidarité avec les masses ukrainiennes, mais en reliant cela à la nécessité de combattre le militarisme et les politiques anti-ouvrières de tous les gouvernements capitalistes.
Les actions et déclarations de toutes les puissances impérialistes sont cyniques et malhonnêtes. Poutine nie de manière flagrante le droit de l’Ukraine à exister en tant qu’État-nation. Wang Yi déclare au monde que la Chine “préconise fermement le respect et la sauvegarde de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de tous les pays”, mais les médias chinois ne diffusent que les comptes rendus russes du conflit et refusent d’utiliser le mot “invasion”. Biden aux Etats-Unis, Johnson au Royaume-Uni et Scholz en Allemagne ne sont pas motivés par le moindre souci du sort du peuple ukrainien, mais par la volonté d’extraire un maximum de bénéfices géopolitiques des problèmes de Poutine. Des années de manœuvres politiques de la part des États-Unis et de l’OTAN, avec le gouvernement capitaliste de droite ukrainien comme pion utile, ont contribué à semer les graines de la guerre. Aujourd’hui, l’OTAN est prête à “se battre jusqu’au dernier ukrainien”, applaudissant le courage de sa résistance, mais cherchant à localiser et à contenir le conflit – comme le montre la saga des avions de chasse polonais “non désirés”.
La Chine en tant que superpuissance
Il s’agit de la crise internationale la plus grave pour le régime du PCC depuis l’effondrement de l’Union soviétique et des dictatures staliniennes en Europe de l’Est il y a trente ans. C’est la première fois que la Chine devient la deuxième superpuissance, défiant de près les Etats-Unis en tant que puissance impérialiste avec des sphères d’intérêt mondiales, des entreprises gigantesques et des investissements énormes à défendre. En 1992, la Chine ne figurait même pas parmi les dix premières économies mondiales. Elle était un spectateur discret qui se concentrait sur ses propres problèmes internes (achever la restauration du capitalisme après avoir écrasé la révolte de masse de 1989). Aujourd’hui, en tant que deuxième économie mondiale, la Chine est bien plus intégrée au système financier et commercial mondial que la Russie, onzième économie mondiale. Pour le capitalisme chinois, la menace d’être exclu des marchés occidentaux par des sanctions est bien plus grande que pour la Russie.
Nous nous opposons aux sanctions, qui sont un outil du capital financier dans les États capitalistes les plus puissants et peuvent être utilisées contre les travailleurs et la lutte socialiste à l’avenir. A Hong Kong et au Xinjiang, ASI s’est opposée aux sanctions occidentales en prévenant qu’elles n’arrêteraient pas la répression de l’Etat chinois mais qu’elles affaibliraient et démobiliseraient plutôt la lutte de masse. Les sanctions contre la Russie sont incommensurablement plus puissantes, mais notre opposition n’est pas basée sur l’intensité des sanctions, mais plutôt sur la classe qui exerce ce pouvoir et les objectifs qu’elle vise à atteindre.
Une croissance du PIB de 5,5 % ?
Pendant que l’Ukraine brûle, la Chine risque d’enregistrer des pertes économiques massives, même si les acrobaties diplomatiques du PCC (soutenir la paix en paroles tout en protégeant Poutine dans les faits) parviennent à la protéger des sanctions américaines et occidentales. La Chine est le plus grand importateur de pétrole au monde, avec 70 % de ses importations de pétrole et 40 % de ses importations de gaz. Alors que le prix du pétrole a déjà augmenté de 60 % en 2021, il a augmenté de 11 % depuis que l’armée russe est entrée en Ukraine. L’augmentation de l’utilisation du charbon et la destruction encore plus rapide du climat en seront les conséquences.
Le ministre chinois de l’agriculture a averti en mars que la récolte de blé de cette année “pourrait être la pire de l’histoire” en raison des fortes pluies. Le pays devra augmenter ses importations d’environ 50 %, les prix mondiaux du blé ayant bondi de 50 % pour atteindre des sommets depuis l’invasion. À elles deux, la Russie et l’Ukraine représentent un quart des exportations mondiales de blé, mais les sanctions et la guerre ont coupé cet approvisionnement des marchés mondiaux. La flambée des prix alimentaires mondiaux menace de provoquer une famine de masse et des “émeutes de la faim” dans de nombreux pays en développement.
Mais c’est la menace de sanctions secondaires – être entraîné dans le réseau de sanctions dirigé par les États-Unis qui a été tissé autour de la Russie – qui pourrait potentiellement porter un coup sévère à l’économie chinoise à un moment où la croissance intérieure faiblit sérieusement. Lors de l’Assemblée nationale populaire du 5 mars, le gouvernement a annoncé un objectif de 5,5 % du PIB pour 2022, soit l’objectif le plus bas depuis près de trois décennies. La plupart des économistes doutent que cet objectif puisse être atteint. Le FMI et d’autres organismes prévoient une croissance de 4,8 % cette année, mais pour le gouvernement, adopter un chiffre inférieur à 5 % aurait été un aveu de défaite, avec des conséquences réelles.
Même sans les dangereuses ramifications économiques découlant de la guerre, l’économie chinoise était confrontée à de graves problèmes : l’effondrement au ralenti du secteur immobilier, la hausse du chômage, le coma des consommateurs et la perturbation des chaînes d’approvisionnement résultant des fermetures de villes imposées pour contrer la propagation d’Omicron. Le régime de Xi s’est engagé à poursuivre sa politique de “dynamique zéro Covid”, en dépit de l’échec de cette méthode à Hong Kong. Hong Kong compte désormais plus d’un million de personnes contaminées par le Covid. Le taux de mortalité par habitant y est le plus élevé de tous les pays touchés par la pandémie. La banque Morgan Stanley prévoit une croissance nulle au premier trimestre en raison d’Omicron. Le principal moteur de la croissance économique chinoise, le marché immobilier, se contracte depuis six mois (tant en termes de prix que de volumes de ventes), malgré un revirement du gouvernement qui a assoupli le contrôle du crédit, assoupli la politique monétaire et abandonné le projet de taxe foncière que Xi avait défendu.
Le PCC n’a pas prévu ni planifié la guerre de Poutine. Les raisons exactes pour lesquelles le régime de Xi a perdu si complètement le cap à un moment aussi crucial de la guerre froide sino-américaine en disent long sur les faiblesses et les contradictions internes du régime. Avec la première épidémie de Wuhan, la révolte de masse de Hong Kong en 2019, la guerre commerciale de Trump en 2018, Xi a été pris au dépourvu à chaque fois. À la lumière de ce qui s’est passé depuis, le communiqué conjoint de 5 000 mots du 4 février annonçant un partenariat stratégique “sans limites” amélioré avec la Russie – “plus qu’une alliance” selon les mots de Xi – est revenu le mordre. C’est le dirigeant chinois, et non Poutine, qui a pris l’initiative de ce nouvel accord, principalement pour renforcer son autorité sur la scène des Jeux olympiques d’hiver de Pékin, largement boudés ou boycottés par les dirigeants du monde entier (seuls 21 y ont participé, contre 68 en 2008). Pour Xi, dont l’objectif principal est d’étendre son pouvoir lors du 20e congrès qui se tiendra dans le courant de l’année, les Jeux olympiques sont l’équivalent d’un meeting électoral dans une démocratie bourgeoise – tout en feux d’artifice et en patriotisme.
“Comme deux frères”
“Il est significatif que les hauts dirigeants aient métaphorisé le partenariat stratégique des deux nations comme étant ‘dos à dos’ – ce qui signifie que les deux pays, comme deux frères, laissent l’un à l’autre le soin de défendre son dos…”, a commenté le Global Times, lié au PCC (13 février). Cette rhétorique n’a pas bien vieilli. Les diplomates chinois tentent désormais d’esquiver et de louvoyer pour éviter d’être frappés par des sanctions occidentales en tant que “complices” de Poutine. L’accord du 4 février n’apporte pas grand-chose de neuf – il s’agit d’une reformulation et d’une extension des accords énergétiques et technologiques existants entre les deux pays. L’objectif était surtout d’envoyer un message : un front commun contre les États-Unis. Mais alors que Poutine était sur le point de lancer la plus grande guerre européenne depuis 80 ans, la décision de Xi était spectaculairement inopportune.
Xi a fait le pari que son régime profiterait des tensions militaires en Europe, ce qui obligerait l’administration de Biden à se détourner de l’Indo-Pacifique et de la Chine. Comme Poutine, Xi a probablement calculé que les divisions entre l’impérialisme américain et l’UE, en particulier l’Allemagne, s’accentueraient. En outre, montrant que les deux dictateurs ne sont pas “frères” et que leur alliance est en fait une alliance de convenance tactique, Xi a vu des avantages dans la dépendance accrue de la Russie vis-à-vis de la Chine en tant que partenaire dominant, un renversement de situation par rapport à la guerre froide des années 1950, lorsque, en tant que dictature stalinienne, la Chine était très largement le partenaire junior de l’Union soviétique. Si la diplomatie agressive et les menaces de Poutine à l’encontre de l’Ukraine avaient réussi, ne rencontrant que des protestations de la part du capitalisme occidental (comme ce fut le cas avec la répression de Xi à Hong Kong), cela aurait stimulé les visées du PCC sur Taïwan.
Pour ces raisons, que Xi ait été pleinement conscient ou non des plans d’invasion de l’Ukraine, il a peut-être savouré une situation dans laquelle la Chine regardait Poutine créer des problèmes pour l’Occident. Toutefois, le 24 février, tous ces avantages supposés se sont transformés en inconvénients.
Xi risque de devenir le dirigeant chinois qui a “perdu l’Europe”. Les tentatives de diplomatie commerciale et d’éloge de la “souveraineté” de l’Europe pour séparer l’UE, et surtout l’Allemagne, fortement dépendante de l’économie chinoise, de la stratégie anti-chinoise de Biden, ont été une caractéristique clé de la diplomatie chinoise. Celle-ci a connu de sérieux revers l’année dernière (l’effondrement de l’Accord global sur les investissements entre l’Union européenne et la Chine, ACI), les sanctions contre le Xinjiang, la retraite d’Angela Merkel, l’”incident lituanien”), mais la guerre en Ukraine et la relation de la Chine avec Poutine pourraient devenir le clou final du cercueil. L’impérialisme américain y travaille bien sûr activement, avec beaucoup plus de succès dans l’ombre de la guerre.
Les divisions impérialistes
L’appel de Biden à Xi Jinping le 18 mars a été en partie mis en scène pour les oreilles européennes, les deux présidents adaptant leurs remarques à Bruxelles et surtout à Berlin. Biden a mis en garde contre les “conséquences” si la Chine fournit une aide militaire à la Russie ou l’aide à contourner les sanctions occidentales, affirmant disposer de rapports de renseignement à cet effet. Les États-Unis fixent donc effectivement une “ligne rouge” pour la Chine et augmentent la pression sur l’Europe pour qu’elle la soutienne. Les graves effets des sanctions en Russie rendent cette menace très réelle pour Pékin.
L’UE est déjà divisée sur le renforcement des sanctions contre la Russie. Un diplomate européen a déclaré au Times que trois camps se sont formés. Il y a les “sanctionnistes” purs et durs, comme la Pologne et les États baltes, qui sont les plus proches de la guerre et les plus exposés au risque d’escalade militaire. Ils sont favorables à des sanctions encore plus sévères, telles qu’une interdiction totale des exportations énergétiques russes. Il y a les “contras” de l’aile opposée, l’Allemagne soutenue par l’Italie, la Hongrie, la Grèce et la Bulgarie, qui résistent à des sanctions plus sévères. Et puis il y a les autres.
Ces divisions internes correspondent en grande partie aux divisions antérieures sur la Chine – la Hongrie d’Orban est dans le camp pro-chinois, tout comme l’Allemagne traditionnellement (la Chine a représenté 38 % des ventes des constructeurs automobiles allemands en 2021), tandis que sur l’aile opposée, la Lituanie s’est engagée dans une bataille “David contre Goliath” avec la Chine qui s’est transformée l’année dernière en une crise commerciale plus large de l’UE. La guerre en Ukraine a profondément entamé l’initiative “Belt and Road” de Xi (les « Nouvelles routes de la soie »). Comme pour les sanctions et les autres effets de la guerre, les dommages pourraient être permanents et durer longtemps après la fin de la guerre. L’Ukraine est un pays clé des Nouvelles routes de la soie, tout comme la Russie bien sûr. La Pologne, la Hongrie, la Roumanie et la Slovaquie sont des membres de cette initiative qui soutiennent l’Ukraine, tandis que le Belarus, membre des Nouvelles routes de la soie, est du côté de la Russie dans cette guerre. Quelle ironie que le PCC ait présenté cette initiative comme une force de “paix et de coopération”.
Cela va obliger Pékin à réévaluer en profondeur l’ensemble du projet, qui rencontrait déjà d’importants problèmes en raison de la crise de la dette croissante dans de nombreux pays partenaires. En Europe de l’Est, des milliards de dollars d’investissements chinois sont désormais en péril en raison de la guerre de Poutine, avec près de 3 milliards de dollars de projets de construction rien qu’en Ukraine. Le groupe 17+1 des pays d’Europe de l’Est, un forum pour les investissements chinois, pourrait également voler en éclats. La Lituanie a quitté le groupe l’année dernière, et les puissances occidentales dominantes au sein de l’UE ont toujours considéré le groupe 17+1 comme un empiètement chinois dans leur “arrière-cour”. Cela pourrait conduire à un retour en arrière plus puissant contre la Chine et à une pression sur les petites “pièces d’échecs” nationales pour qu’elles coupent leurs liens avec l’initiative des Nouvelles routes de la soie.
Taïwan et l’Ukraine
L’avenir de Taïwan est lié au conflit ukrainien, mais pas de la manière envisagée à l’origine par Xi Jinping. La diplomatie chinoise a toujours insisté sur le fait que l’Ukraine et Taïwan n’étaient “pas les mêmes”, se concentrant sur les questions de légalité et de “souveraineté”, qui, comme l’a démontré Poutine, ne sont en fin de compte pas une barrière contre un régime capitaliste affamé. Taïwan n’est pas un “pays” dit le PCC, tout en étant en désaccord avec Poutine sur le fait que l’Ukraine mérite cette distinction.
Notre attitude repose sur des considérations bien plus fondamentales : la conscience nationale (qui s’applique clairement tant en Ukraine qu’à Taïwan), les aspirations démocratiques, la peur d’un régime autoritaire et d’une agression militaire. Dans le système du capitalisme et de l’impérialisme, les masses des deux pays sont malheureusement piégées entre des puissances plus grandes dont les agendas excluent la réalisation d’une véritable paix ou d’une véritable démocratie.
Xi Jinping a peut-être cru que le conflit ukrainien renforcerait sa position dans le détroit de Taïwan en détournant les ressources militaires américaines vers l’Europe et en exerçant une pression accrue sur le Japon par le biais de son alliance avec la Russie. Il espérait peut-être qu’en cas de victoire rapide et convaincante de la Russie, l’Occident serait démasqué comme un tigre de papier. Cela ne s’est pas produit. C’est plutôt l’inverse qui se produit et la stratégie de Xi visant à la “réunification” avec Taïwan semble plus problématique que jamais. Cela ne signifie toutefois pas qu’une guerre contre Taïwan ou une attaque chinoise est exclue à long terme, comme certains l’imaginent à tort. Ces derniers comprennent le petit groupe qui a quitté ASI à Taïwan l’année dernière, qui considère aujourd’hui la menace d’une action militaire chinoise comme un “bluff” et, à partir de cette conclusion naïve, ne voient plus la nécessité de lier la lutte pour l’indépendance au socialisme.
La piètre exécution de l’invasion de Poutine à ce jour, et les lourdes pertes russes possibles, devraient servir d’avertissement aux partisans de la ligne dure de l’Armée populaire de libération (APL) : une attaque contre Taïwan pourrait mal tourner. L’armée russe est bien plus aguerrie que celle de la Chine, et une invasion terrestre en Ukraine est un projet plus simple qu’une attaque amphibie sur Taïwan, qui, selon les experts militaires, serait au moins aussi difficile que le débarquement de 1944 en Normandie. Xi Jinping ne se risquera pas à la guerre s’il n’est pas sûr de la victoire, car une défaite militaire pourrait sonner le glas de son régime. Mais Poutine était également confiant. C’est pourquoi la guerre en Ukraine va provoquer des doutes et une réévaluation stratégique majeure dans les cercles militaires chinois.
Si le plan de Poutine consiste à occuper l’Ukraine, un objectif qui semble de moins en moins réaliste aujourd’hui, les États-Unis et l’OTAN réagiront probablement en finançant une insurrection ukrainienne de droite. Cela pourrait, sur plusieurs années et au prix d’un coût humain dévastateur, réussir à affaiblir la détermination de Moscou, mais aussi tendre à couper et à faire dérailler une véritable lutte de masse. Ce scénario poserait également des questions gênantes aux faucons taïwanais du PCC. Même en supposant que l’APL puisse organiser une invasion réussie de Taïwan, le contrôle d’une île dont la grande majorité des 23 millions d’habitants ne veulent pas être gouvernés par Pékin conduirait à terme à l’épuisement et à la désintégration de la force d’occupation.
La croissance du nationalisme
La croissance du nationalisme des deux côtés du détroit de Taïwan rend la situation encore plus volatile. Les craintes accrues à Taïwan que l’agression de Poutine n’incite son “meilleur ami” Xi à attaquer l’île ont renforcé le soutien au gouvernement DDP de Tsai-Ing Wen et à sa doctrine de militarisation pro-américaine.
Un sondage d’opinion réalisé en mars par la Taiwan International Strategic Study Society a révélé que 70,2 % des Taïwanais sont “prêts à faire la guerre” pour défendre l’île contre la Chine, contre seulement 40,3 % dans un sondage réalisé en décembre. Comme d’autres gouvernements, le DDP utilise la crise pour fabriquer de l’”unité nationale” afin d’étouffer la lutte des classes, et pour faire pression en faveur d’accords commerciaux plus pro-capitalistes avec les États-Unis et le Japon en échange de leur “protection”. Tsai pousse également à l’augmentation des dépenses d’armement et à l’extension du service militaire obligatoire.
Du côté chinois, le nationalisme vociférant en ligne s’accompagne d’un culte de Poutine et d’un soutien à la Russie, ce qui a été cultivé par le PCC pendant des années, mais risque désormais de devenir incontrôlable. Sur les réseaux sociaux, les nationalistes, dont certains sont proches du fascisme, sont devenus si stridents et confiants que leur venin n’est plus seulement dirigé contre les homosexuels, les féministes, les “séparatistes” taïwanais et les Hongkongais, mais même contre d’anciens nationalistes de premier plan du PCC, comme ce fut le cas de l’ancien rédacteur en chef du Global Times, Hu Xijin, qui a quitté son poste l’année dernière. La gestion de ces pressions nationalistes devient de plus en plus compliquée pour Pékin, qui risque de perdre toute “marge de manœuvre” et la capacité de mener une politique étrangère plus pragmatique en cas de besoin.
Pour la classe ouvrière d’Asie, d’Europe et du monde entier, la guerre en Ukraine ouvre la porte à une période encore plus dangereuse et tumultueuse de désordre capitaliste. Pour mettre fin à cette guerre et aux guerres futures, la classe ouvrière doit régler ses comptes avec le capitalisme et l’impérialisme. Manifester et s’organiser contre la guerre est un bon début, mais ce n’est pas suffisant en soi. La situation exige plus que des appels et des pressions sur les gouvernements pour qu’ils changent leurs politiques. Elle exige que la classe ouvrière surmonte son manque d’organisation, son manque de voix, son manque de pouvoir. La tâche de reconstruire un puissant mouvement socialiste des travailleurs contre le capitalisme et le militarisme est plus urgente que jamais.
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Kazakhstan. Le mouvement de masse des travailleurs et de la jeunesse noyé dans le sang !

Solidarité internationale contre la dictature et l’impérialisme !
Comme les précédentes, l’année 2022 a commencé sur les chapeaux de roue. Au Kazakhstan, l’un des régimes autoritaires les plus stables d’Asie centrale a été ébranlé par un soulèvement de masse. La répression a tué au moins 225 personnes, assistée par l’intervention militaire des forces de « maintien de la paix » de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) dirigée par la Russie. Alors que la situation dans la rue commençait à se calmer, le régime mis en place par Nursultan Nazarbayev reste confronté à la crise politique et sociale la plus profonde de l’histoire indépendante du pays.
Par Eugenio (Bruxelles), article tiré de l’édition de février de Lutte Socialiste
Le contexte du soulèvement
Les manifestations ont éclaté le 1er janvier dans la grande région pétrolière de Mangystau, avec pour point central la ville de Zhanaozen, un centre clé de l’organisation syndicale dans la zone post-soviétique, mais elles se sont rapidement étendues à tout le pays. Elles ont été déclenchées par le doublement soudain du prix du gaz de pétrole liquéfié, principale source d’énergie pour les travailleurs et les pauvres du pays.
Cependant, elles s’inscrivent dans une tendance croissante d’activisme syndical et de mécontentement généralisé à l’égard des élites dirigeantes au Kazakhstan et dans tout l’espace post-soviétique. Le président Tokayev a rapidement été contraint de faire des concessions, notamment en forçant la démission du gouvernement, mais cela n’a pas suffi à faire taire les protestations.
Celles-ci ont continué à prendre de l’ampleur et ont rapidement commencé à inclure des revendications politiques. Cela montre à quel point la crédibilité de la classe dirigeante a été ruinée par la dégradation des conditions sociales et économiques auxquelles sont confrontés les travailleurs et les communautés rurales pauvres, encore amplifiée par la mauvaise gestion de la pandémie de Covid-19. Alors que les hommes d’affaires et les politiciens festoient dans la tour d’ivoire de leur capitale fraîchement construite, la majorité de la population est laissée dans la misère et doit survire avec des salaires dérisoires et le commerce informel.La situation est particulièrement grave pour les jeunes, contraints d’envahir les villes à la recherche de perspectives économiques ou d’émigrer à l’étranger pour occuper les rangs les moins bien payés de la classe ouvrière en Russie ou en Chine. Ces jeunes travailleurs privés de leurs droits ont joué un rôle clé dans les manifestations, comme l’ont montré les slogans qui visaient les dirigeants vieillissants du pays et leurs copains.
Parasitisme capitaliste et intervention impérialiste
L’élite dirigeante du Kazakhstan est un parfait exemple de la nature parasitaire de l’économie capitaliste. Issue de l’appareil bureaucratique du Kazakhstan soviétique, cette classe dirigeante a ancré son pouvoir dans le pillage des richesses naturelles du pays, notamment ses abondantes réserves de gaz et de pétrole.
Cependant, contrairement à d’autres élites post-soviétiques dans les pays baltes ou en Géorgie, elle ne pouvait pas s’appuyer sur un fort sentiment national pour justifier la restauration de la propriété privée et l’érosion des droits socio-économiques. Au lieu de cela, elle a été contrainte de s’appuyer sur une figure bonapartiste, le président de la République socialiste soviétique du Kazakhstan de l’époque, Nursultan Nazarbayev, pour agir au-dessus des contraintes formelles de l’État et établir un cadre favorable aux intérêts du capital interne et externe.
Ce modèle a réussi à faire du Kazakhstan un acteur régional de premier plan, attirant les investissements de tous les grands blocs économiques eurasiatiques, tout en augmentant de manière exponentielle la richesse de l’oligarchie dirigeante, en particulier la famille et les proches collaborateurs de Nazarbayev.
Mais derrière cette façade de stabilité s’est toujours cachée une vérité indéniable : la classe dirigeante est faible. Elle ne peut compter sur les structures de la démocratie bourgeoise ou sur le soutien d’une classe moyenne enrichie pour justifier son pouvoir. Elle est donc obligée de s’appuyer sur la puissance pure de l’appareil d’État et sur le soutien de ses mécènes impérialistes. C’est pourquoi, dès que Tokayev a senti qu’il perdait le soutien des membres de bas et de haut rang de ses forces de sécurité, il a été contraint de fabriquer une campagne “anti-terroriste” pour discréditer le mouvement et justifier l’implication de l’armée russe.
« Ils pourront couper toutes les fleurs, ils n’empêcheront pas la venue du printemps »
Alors que la poussière et la cendre s’installent dans les rues du Kazakhstan, l’avenir du pays n’a jamais semblé aussi incertain. Le système politique du pays subit une purge sans précédent alors que le fossé entre les différentes couches de l’élite se creuse, autour des figures de Nazarbayev et Tokayev. Ce dernier fait tout ce qui est en son pouvoir pour consolider son emprise au détriment de l’ancien président, ce qui contribuera indéniablement à accroître l’instabilité dans le pays.
Cette tension est également symbolisée par la présence croissante de bandes organisées de provocateurs dans les dernières phases du mouvement, ce qui ouvre la possibilité d’une violente lutte pour le pouvoir qui n’est pas sans rappeler celle à laquelle nous avons assisté à plusieurs reprises au Kirghizstan voisin.
Parallèlement, le régime n’a jamais été aussi dépendant politiquement des puissances étrangères, en particulier de la Russie et de la Chine, ce qui le rend encore plus vulnérable aux tensions qui se préparent dans toute l’Eurasie. Ses deux principaux mécènes feront tout ce qui est en leur pouvoir pour stabiliser la situation dans le pays, de peur que les troubles ne s’étendent aux voisins du Kazakhstan, en particulier à la colonie de Xingjian de Pékin et aux possessions sibériennes riches en gaz de Moscou.
Mais les conditions qui ont conduit les travailleurs et les jeunes à se mobiliser ne feront que persister et s’aggraver alors que le capitalisme mondial entre dans une nouvelle ère de désordre. Même toute la puissance des impérialismes russe et chinois ne peut contrer l’avalanche de l’histoire. Tout comme la répression de la classe ouvrière russe par la milice tsariste en 1905 a ouvert la voie au soulèvement de 1917, les leçons de la lutte de janvier 2022 inspireront des enseignements clés à cette nouvelle génération de combattants contre la dictature et l’exploitation capitalistes. Il est crucial que les travailleurs et les jeunes du monde entier se solidarisent avec leur lutte et les soutiennent alors qu’ils s’efforcent de parvenir à des conclusions de grande portée sur la nécessité d’une transformation révolutionnaire de la société.
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Kazakhstan : Événements révolutionnaires et intervention militaire

La statue de Nazarbayev renversée. Les événements révolutionnaires tels que ceux qui ont eu lieu au Kazakhstan ces derniers jours ont leur propre dynamique : une fois commencés, ils sont difficiles à arrêter. Aujourd’hui, des dizaines de personnes ont été tuées et des milliers d’autres arrêtées alors que les troupes étrangères arrivent.
Par des correspondants de Sotsialisticheskaya Alternativa (section russe d’ASI). Cet article a initialement été publié en anglais le 6 janvier et a depuis lors été mis à jour.
Mardi soir, le président Tokayev a lancé un appel au calme et au dialogue à la télévision. En quelques heures, il a limogé le gouvernement et nommé un nouveau premier ministre. Un vice-premier ministre et un secrétaire d’État, deux officiers supérieurs du KNB, autrefois appelé KGB, ont également été annoncés. Mercredi après-midi, des manifestants ont mis à sac le bâtiment du KGB à Almaty. Dans la nuit de mercredi à jeudi, les combats se sont poursuivis dans le centre-ville d’Almaty. Selon certaines informations, des tireurs d’élite installés sur les toits ont tiré sur les voitures qui passaient, tandis que, selon les rapports officiels, des dizaines de manifestants ont été tués.

Almaty Tard dans la soirée de mercredi, on a appris que Tokayev avait fait appel à l’”Organisation du traité de sécurité collective” (OTSC) pour qu’elle envoie des forces militaires afin de contribuer à la répression de ce qu’il a appelé des “groupes terroristes” qui avaient “reçu un entraînement intensif à l’étranger”. L’OTSC comprend l’Arménie, le Belarus, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et, bien sûr, la Russie. Jeudi matin, il a été rapporté que l’OTSC envoyait “des forces collectives de maintien de la paix (…) pour une période limitée afin de stabiliser et de normaliser la situation” causée, selon elle, par une “ingérence extérieure”.
Ces propos ont été tenus par Nikol Pashinyan, président arménien qui, il y a tout juste un an, se plaignait que l’OTSC n’avait pas soutenu l’Arménie dans son conflit avec l’Azerbaïdjan. Il prétend être le plus fervent défenseur de la démocratie dans la région. Pourtant, il ne voit rien de mal à envoyer des troupes chez un dictateur voisin pour écraser la classe ouvrière.
Aujourd’hui, trois mille soldats russes, appuyés par des chars et de l’artillerie lourde, sont en route “pour aider à préserver les bâtiments de l’État”, avec l’appui d’autres soldats du Belarus. Le Tadjikistan et l’Arménie ont également accepté d’envoyer des troupes, mais le Kirghizstan semble refuser et les déclarations officielles indiquent que même s’ils envoient des troupes, elles ne seront pas autorisées à agir contre les manifestants. L’Organisation des États turciques a déclaré qu’elle était prête à aider le gouvernement kazakh.
Des manifestations dans un pays de la taille de l’Europe occidentale
Il n’y a pratiquement pas eu de grande ville épargnée par les troubles. Ce qui a commencé par des manifestations de travailleurs du pétrole et leurs partisans à Mangystau, dans l’ouest du Kazakhstan, s’est étendu en quelques heures à l’ensemble du pays, large de 3500 km. Dans certaines villes, des véhicules et des bâtiments de la police ont été attaqués. Des travailleurs ont bloqué les principales lignes de chemin de fer pour empêcher les mouvements de la police et des troupes, tandis qu’à Taldygordan, la foule a tendu des cordes autour de la statue du très détesté Nursultan Nazarbayev pour la faire chuter.
Dans des scènes qui rappellent celles du soulèvement égyptien au début du processus de révolution et de contre-révolution en Afrique du Nord et au Moyen Orient en 2011, dans plusieurs villes, des bâtiments administratifs ont été occupés ou incendiés. À Almaty, la plus grande ville, le bureau du maire (il n’y a pas si longtemps le Parlement national), le siège du KNB et le siège du parti ont été envahis et incendiés. Quelques dizaines de manifestants ont investi l’aéroport international de la ville après le départ des troupes qui le protégeaient.
À Atyrau, les manifestants ont applaudi tandis que la police anti-émeute est sortie de son bâtiment et s’est jointe aux manifestants. Ailleurs, on trouve des vidéos montrant des troupes fraternisant avec les manifestants, ou des troupes désarmées, parfois en masse, par la foule.
“Nous ne sommes pas des terroristes”
Dans une telle situation, il n’a pas fallu longtemps au régime pour rendre les manifestants responsables des violences. Les discours de Tokayev sont désormais truffés de mots tels que “terroristes”, “pillards”, “émeutiers”, “groupes criminels” et, bien sûr, “agents étrangers”. Dans les derniers rapports, on commence à parler d’”extrémistes islamiques”. Tokayev affirme maintenant qu’Almaty est assiégée par des groupes terroristes.
En effet, les médias d’État russes, qui couvrent l’envoi de troupes, montrent des images à glacer le sang en provenance du Kazakhstan, imputant tout aux “extrémistes islamiques” et à l’”intervention étrangère”. Sans mentionner la mort de dizaines de manifestants pacifiques, le journal rapporte que treize policiers sont morts, dont deux décapités !
Même certains sites de gauche se sont laissés prendre à la propagande. Un site a rapporté : “Un groupe de manifestants [sic] a ouvert le feu sur les forces de la Garde nationale devant le bâtiment administratif d’Almaty. Il y a quelques blessés parmi les forces de sécurité….. Les manifestants ont pillé… Les opposants détiennent de nombreuses armes…”. Cet article poursuit en répétant les statistiques du régime sur les dommages matériels, mais ne mentionne pas une seule fois les dizaines de manifestants tués, ni la façon dont les provocateurs sont utilisés.
La situation réelle est décrite par un correspondant d’Almaty : “Aux abords de la place, les manifestants ramassaient des ordures, faisant le ménage après le pogrom de la nuit (…) tout était calme, à part quelques provocateurs qui tentaient de créer un conflit (…) dans un coin, un coordinateur rassemblait à la hâte une équipe d’activistes pour définir les revendications – contre l’intervention de l’OTSC, contre la fermeture d’Internet, pas de tirs sur les civils, démission du gouvernement et formation d’un gouvernement provisoire, libération des prisonniers politiques, mise en place d’une escouade pour assurer la discipline et combattre les pillards…”.
Vingt minutes plus tard, sans avertissement, la police a ouvert le feu, tuant au moins un jeune de vingt ans. C’est pourquoi certains manifestants portent désormais des pancartes disant “Nous sommes des gens ordinaires, nous ne sommes pas des terroristes”.

“Nous ne sommes pas des terroristes.” Les organisations internationales mettent elles aussi en garde contre la violence, comme si les coupables se trouvaient des deux côtés. L’Union européenne appelle “toutes les parties concernées à agir avec responsabilité et retenue et à s’abstenir de toute action qui pourrait conduire à une nouvelle escalade de la violence”, tandis que les médias pro-capitalistes utilisent des phrases telles que “les affrontements violents se poursuivent entre les manifestants et la police et l’armée” – toutes ces phrases mettant, au mieux, à égalité les deux camps, et plaçant généralement les manifestants en tête de liste. Pourtant, comme le montre une vidéo produite par Sotsialisticheskaya Alternativa, la violence est imputable de manière unilatérale à l’État kazakh (disponible ici, le texte en français se trouve ci-dessous).
Qui se trouve derrière les “pillages” ?
Tokayev a affirmé que des “terroristes” s’emparent de bâtiments et d’infrastructures et de “locaux où se trouvent des armes légères”. Ce qu’il n’a pas dit, c’est que la principale source d’armes était le siège du KNB et que, juste avant le raid sur le bâtiment, les personnes qui s’y trouvaient avaient été priées de rentrer chez elles pour la nuit – un ordre étrange en plein soulèvement. Ce n’est là qu’un exemple de ce qui semble être le travail d’agents provocateurs. Dans d’autres villes, on rapporte que des manifestations se sont déroulées pacifiquement avant que des groupes d’inconnus ne les rejoignent à la fin pour lancer des attaques.
À Almaty même, des articles de presse laissent entendre que les manifestants scandaient des slogans pendant la journée, mais qu’à leur départ, ils étaient remplacés par des hommes vêtus de costumes de sport et que, pour une raison étrange, la police s’est retirée pendant qu’ils attaquaient les magasins. Les photographies de presse des locaux prétendument pillés montrent que les fenêtres ont été brisées, mais que rien n’a été volé. C’est une tactique qui a été utilisée à maintes reprises dans cette partie du monde, que ce soit lors de la révolution de couleur kirghize, de l’intervention russe en Ukraine ou des événements révolutionnaires au Belarus. La violence utilisée par ces provocateurs sert ensuite d’excuse pour attaquer les manifestants.
Qu’est-ce qui se cache derrière les protestations ?
En apparence, la cause immédiate des protestations était l’augmentation du prix du gaz, une décision que le gouvernement a rapidement retirée. En réalité, ce qui a explosé maintenant, c’est le mécontentement qui s’est accumulé pendant des décennies, mais qui a été porté à son comble par la pandémie.
Les mesures de quarantaine sévères ont considérablement affecté les revenus de la population. La classe ouvrière subit depuis longtemps les attaques néolibérales brutales contre ses conditions de vie et, à Mangystau, à la fin de l’année dernière, des dizaines de milliers de travailleurs du pétrole ont été licenciés. Ils ont été rejoints par d’importantes sections de la classe moyenne dont les revenus se sont avérés moins stables et dont les conditions de crédit se sont détériorées. La proportion de la population qui croit que la situation économique va s’améliorer est passée de 50 % en 2019 à 30 % aujourd’hui. Le mécontentement est de plus multiplié par la corruption généralisée et la répression étatique.
En dépit des apparences extérieures, le régime repose sur des fondations très instables et limitées, à l’instar de ceux de Russie et du Bélarus. Toute force d’opposition susceptible de canaliser le mécontentement a été réprimée et ces régimes ont concentré tout le pouvoir et les ressources entre les mains d’une élite dirigeante très restreinte. Des personnalités qui pourraient potentiellement diriger les forces d’opposition bourgeoises, comme l’ancien premier ministre Akezhan Kazhegeldin ou l’oligarque Mukhtar Ablyazov, qui font l’objet de poursuites pénales, ont été contraintes d’émigrer. Toute tentative de former des syndicats indépendants a été réprimée par la force.

Réunion des travailleurs du pétrole de Zhanaozen 6 janvier. Le rôle de Nazarbayev
Nursultan Nazarbayev, ancien dirigeant des communistes kazakhs à l’époque soviétique, puis président de la République du Kazakhstan, a quitté son poste en 2019. Mais il n’a en aucun cas renoncé aux leviers du pouvoir. Bien que Tokayev soit devenu président, Nazarbayev est resté président du Conseil de sécurité et a gardé le contrôle d’importantes participations, notamment dans les compagnies pétrolières et gazières. La plupart de ceux qui occupent des postes élevés dans les structures de l’État lui font toujours allégeance.
S’il y a un conflit au sein du régime, c’est parce que Tokayev n’a pas été capable de construire sa propre base de soutien. L’agence de presse russe RBK commente : “L’appareil d’État a été déstabilisé, en particulier au plus haut niveau, avec les manœuvres de haut rang entre l’Akorda [résidence du président] et la Bibleoteka [bureau de Nazarbaïev], ce qui a eu un effet négatif sur toutes les sphères d’activité de l’État et de la société kazakhes. Cela est devenu particulièrement clair en 2020, au plus fort de la pandémie.”
Mercredi, l’annonce par Tokayev qu’il prenait désormais la présidence du Conseil de sécurité dans ce contexte a porté un coup sérieux au pouvoir de Nazarbayev. Elle n’a cependant pas apaisé la masse des manifestants qui, bien qu’ils aient scandé “Shal, ket !” (“Grand-père, va-t’en !”, slogan qui a aussi été entendu au pluriel pour dire qu’ils doivent tous dégager). C’est sur cette base que certains ont suggéré que les “pillards” actifs à Almaty étaient des membres de clubs sportifs contrôlés par Nazarbayev, afin d’avertir Tokayev de ne pas aller trop loin.
Cela ne serait pas possible, bien sûr, si les protestations avaient une direction et des revendications claires. Différentes forces politiques tentent de se présenter comme les chefs de file du mouvement, des nationalistes kazakhs de droite aux oligarques en exil, comme Ablyazov, qui a affirmé qu’il préparait cela depuis des années ! Divers partisans du régime affirment avoir trouvé le centre organisateur des manifestations à Kiev, ou quelque part en Europe, ou encore au département d’État américain.
Le chef des “communistes” russes, Guennadi Ziouganov, affirme qu’il s’agit de l’œuvre des “forces qui ont déclaré une guerre hybride contre la Russie”, tandis que le député communiste Renat Suleimanov justifie l’utilisation des troupes russes pour réprimer les manifestations parce que si “la situation dans ce pays [le Kazakhstan] est déstabilisée, la Russie sera confrontée à une grave menace”.
Le rôle de la classe ouvrière
Il n’en reste pas moins que les appels les mieux organisés et les plus clairs proviennent du mouvement ouvrier de Mangystau, et de Zhanaozen en particulier. Même l’Akim [maire] de la ville a dû remercier aujourd’hui les Zhanaozentsi pour leurs manifestations pacifiques devant un rassemblement de 7 à 10.000 travailleurs du pétrole et leurs sympathisants. Il a toutefois admis que des policiers en civil étaient présents dans la foule “pour assurer la sécurité”.
Les travailleurs ont dressé une liste de cinq revendications :
– Un changement de régime avec la démission du président et de tous les fonctionnaires de l’État ;
– Le rétablissement d’élections libres pour les Akims régionaux et municipaux ;
– Le rétablissement de la constitution [démocratique bourgeoise] de 1993, et de toutes les libertés associées ;
– La fin de la répression des activistes civils ;
– Le transfert du pouvoir à une personne qui reconnaît la révolution et ne fait pas partie du système actuel ou des cercles gouvernementaux.Ils ont également élu un “Soviet des anciens” pour coordonner les actions.
Bien sûr, ces revendications présentent une certaine confusion et sont loin d’être aussi claires que celles formulées par les travailleurs du pétrole de Zhanaozen il y a dix ans. Mais elles indiquent clairement qu’ils veulent la fin de l’ancien régime et une société démocratique. Au minimum, nous dirions qu’au lieu d’un abstrait “transfert du pouvoir à une personne indépendante de…”, il faudrait appeler à la création d’un véritable parti démocratique des travailleurs et des pauvres pour prendre le pouvoir. Il faudrait également développer des revendications liées à la situation économique. Un “Soviet des anciens” est une revendication traditionnelle, mais cela devrait être remplacé par un comité de représentants élus des travailleurs, des pauvres, des retraités, etc.
Néanmoins, par rapport à l’action indépendante très spontanée et éphémère des travailleurs lors du soulèvement bélarusse, la classe ouvrière kazakhe est mieux organisée, comme en témoigne une vague de grèves, non seulement dans les champs pétroliers et gaziers, mais aussi dans des entreprises géantes telles que KazakhMys et Arselor-Mittal.
Les tentatives de division raciste
Il y a dix ans, les grévistes de Zhanaozen ont adopté une position de principe contre ceux qui tentaient de les diviser en fonction de leur nationalité. À des moments clés de la grève, des voix se sont élevées au parlement du Kazakhstan pour réduire les droits des russophones. À d’autres moments, les grévistes ont été accusés d’être des “Oralmen”, c’est-à-dire des Kazakhs ethniques qui avaient séjourné dans d’autres républiques ou pays à l’époque soviétique et qui n’étaient revenus qu’après l’effondrement de l’Union soviétique. Si l’écrasante majorité des grévistes étaient alors kazakhs et parlaient le kazakh, ils ont refusé d’accepter toute division.
Aujourd’hui, les opposants aux protestations utilisent la même tactique. Dans les milieux libéraux, et parfois aussi dans les milieux supposés de gauche, on explique que les manifestations sont l’œuvre de “mambets”. Il s’agit d’un terme insultant pour désigner les jeunes kazakhs non russophones des zones rurales – qui, selon ce mot, sont des ploucs incultes et sans éducation. Au cours des deux dernières décennies, de nombreux russophones, qui constituaient la majorité des ouvriers d’usine, sont rentrés en Russie. Leur place a été prise par de jeunes Kazakhs, dont beaucoup ont été poussés vers les villes par l’effondrement de l’économie rurale. Ils constituent désormais l’épine dorsale de la main-d’œuvre organisée et militante du Kazakhstan.
Bien sûr, dans les cercles nationalistes russes, on voit là une occasion d’étendre l’influence du Kremlin en Asie centrale. Un député du parti de Poutine a même suggéré qu’un référendum soit organisé au Kazakhstan pour fusionner avec la Russie. D’autres spéculent que Poutine pourrait profiter de l’occasion pour intervenir sous le prétexte de défendre les russophones vivant dans le pays. Mais ce soulèvement a été un mauvais choc pour le Kremlin. Il a déjà dû faire face aux événements du Bélarus et à une épreuve de force au sujet de l’Ukraine.
S’il devait intervenir “pour défendre les russophones”, il serait limité à quelques régions le long des frontières nord et est. Cela le couperait de 80 à 90 % des régions dans lesquelles ne vit qu’un très faible pourcentage de Russes, y compris les principaux champs pétroliers et gaziers. Si cela devait se produire, l’hostilité des Kazakhs à l’égard de la Russie serait encore plus forte et le pays risquerait davantage de tomber sous la coupe de la Chine.
Par crainte que le mécontentement ne se propage en Russie, le Kremlin a déjà été contraint d’intervenir pour soutenir le gouvernement central. Comme au Belarus, celui qui restera au pouvoir sera plus redevable au Kremlin. En même temps, en prenant le parti de ce régime impopulaire, la Russie constatera que la majorité des Kazakhs deviendront encore plus hostiles au Kremlin qu’ils ne le sont actuellement. Si les troupes russes de “maintien de la paix” ne sont pas retirées rapidement, les Kazakhs commenceront à les considérer comme des occupants.
Quelle voie suivre ?
À un certain stade, il faudra que l’un ou l’autre camp fasse une percée dans ce mouvement. Le pire résultat, bien sûr, serait que le mouvement recule et que la police et l’armée, soutenues par les forces de l’OTSC, rétablissent l’ordre et le statu quo. Il y a déjà eu de nombreux tués, en grande majorité par les forces de l’État. Si cela devait se produire, les concessions mineures qui ont été promises seraient remises en cause et la répression se généraliserait.
Si le mouvement est au contraire capable de se développer davantage, il pourrait obtenir plus de concessions. Pour ce faire, il doit être plus organisé, avec des structures démocratiquement élues pour coordonner et diriger les activités, avec des revendications clairement définies.
Au Kazakhstan, un rôle clé pourrait être joué par l’extension des grèves qui ont déjà lieu, dans une grève générale nationale appelée peut-être conjointement par les travailleurs du pétrole et ceux de KazakhMys et d’Arcelor-Mittal. Au niveau international, l’exemple de ceux qui ont protesté en Kirghizie contre la participation aux actions de l’OTSC, s’il est suivi, pourrait forcer la fin de l’intervention militaire en soutien au gouvernement.
Si le mouvement parvient à forcer Tokayev et Nazarbayev à quitter le pouvoir, la question se pose de savoir ce qui doit les remplacer. Un autre groupe de travailleurs a présenté des revendications qui comprennent, outre la démission du gouvernement et la libération de tous les prisonniers politiques, une réduction du prix des biens de première nécessité et des services publics ; une réduction de l’âge de la retraite à 58/60 ans ; une augmentation générale des salaires ; l’abolition de toutes les entreprises externalisées des sociétés nationalisées ; une augmentation des pensions minimales et de la garde d’enfants.
Nous soutenons toutes ces revendications, mais comment vont-elles être réalisées ? Tout d’abord, aucun des leaders actuels de l’opposition, comme Ablyazov ou Kazhegeldin, ne peut les garantir. Ce sont des partisans du système capitaliste. Ils ont déjà démontré que leurs pratiques n’étaient pas différentes lorsqu’ils étaient au pouvoir. Ils s’occupent de l’élite au détriment des gens ordinaires. Deuxièmement, si un nouveau gouvernement arrivait au pouvoir et voulait mettre en œuvre ces revendications, il devrait être prêt à exproprier les richesses de l’élite, à nationaliser le pétrole, le gaz, les entreprises clés et d’autres ressources précieuses et à planifier l’économie sous le contrôle démocratique des travailleurs.
Quelle que soit l’issue des prochains jours, deux questions se posent. Est-il possible maintenant de renforcer l’organisation manifestée à Zhanaozen sur une base démocratique et permanente, et d’étendre le mouvement ouvrier au niveau national ? Est-il possible maintenant de politiser le mouvement ouvrier avec un programme socialiste, qui nécessite comme première étape la formation d’une organisation socialiste révolutionnaire solide au Kazakhstan ? Alternative Socialiste Internationale (ASI) estime que la réponse à ces deux questions est que oui, c’est non seulement possible, mais absolument essentiel. Si vous êtes d’accord avec nous, rejoignez-nous.

Texte de la vidéo tik-tok
Dans tout le Kazakhstan, des tentatives de prise de contrôle des bâtiments gouvernementaux – les “Akimats” – ont lieu.
La police répond par des grenades flashbang et des gaz lacrymogènes.
À Zhanaozen, où les protestations ont commencé et où les revendications ont été soulevées pour la première fois, des appels à la création de conseils de coordination sont lancés.
Les affrontements les plus graves avec les forces armées ont lieu à Almaty.
L’armée a été amenée dans la ville.
Le bureau du parti au pouvoir “Nur Otan” à Almaty est saccagé.
Tentant de résister à la pression, les manifestants ont brûlé des voitures et tenté d’intimider la police.
Un incendie s’est déclaré lors de la prise de l’Akimat d’Almaty.
Les manifestants ont désarmé la police à mains nues.
À Almaty, les militaires n’ont eu d’autre choix que de se déplacer en convois.
À Aktobe, les manifestants ont également tenté de prendre l’Akimat.
Il y avait plus de dix mille personnes sur la place.
Mais la police a répondu par des mesures sévères.
Le conflit est maintenant dans une impasse. Le régime est dans une impasse.
Parallèlement, les gens sont solidaires. La vidéo provient du marché d’Aktobe, où les vendeurs préparent des repas pour les manifestants.
À Aktau, les manifestants ont désarmé un camion rempli de militaires.
Les métallurgistes de Balkhashe qui se sont mis en grève sont accueillis en héros.
À Taldykorgan, les manifestants ont passé plusieurs heures à démonter la statue de Nazarbayev, qui est tombée au son de l’hymne national.
Finalement, ils l’ont fait tomber. Victoire aux manifestants !
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Des manifestations et des grèves de masse forcent la démission du gouvernement du Kazakhstan

2022 ne fait que commencer et des manifestations de masse ont déjà forcé la démission d’un gouvernement !
Des protestations contre les hausses des prix ont commencé le 1er janvier à Mangystau, dans l’ouest du Kazakhstan. Elles se sont rapidement propagées dans tout le pays. Des manifestations ont été rapportées à Zhanaozen, Aktau, Aktobe, Taraz, Chimkent, Karaganda, Ouralsk et la capitale Astana, aujourd’hui rebaptisée Noursoultan.
Par Sotsialisticheskaya Alternativa (section russe d’Alternative Socialiste Internationale)
Du jour au lendemain, après une manifestation de milliers de personnes sur la place centrale du «Carré de la République» d’Almaty (la plus grande ville du pays), a retenti une cacophonie de grenades assourdissantes et de véhicules de police militarisés. Il y a des rapports de tirs contre des manifestants, peut-être avec des balles en caoutchouc, dans au moins deux villes. Une vidéo d’Almaty montre des transporteurs de troupes blindés faisant marche arrière face aux manifestants. À Aktau, des comptes-rendus affirment que des policiers antiémeute se sont joints aux manifestants.
Pas plus tard que le 4 janvier, le président du Kazakhstan, M. Kasym-Zhomart Tokaev, s’est adressé au pays en appelant à la «raison» et en avertissant les gens de ne pas soutenir les «provocateurs» ou les «extrémistes». À l’aube du 5 janvier, il a annoncé qu’il a ordonné la démission de tout le gouvernement. Il a nommé l’ancien vice-premier ministre Alikhan Smailov au poste de premier ministre par intérim ainsi que deux dirigeants du Comité pour la sécurité nationale (KNB) au poste de vice-premier ministre et de secrétaire d’État. Au même moment, il a déclaré un état d’urgence de deux semaines dans de grandes parties du pays, y compris Almaty et les régions pétrolières et gazières de Mangystau. Internet, Telegram (application de messagerie instantanée sécurisée) et les réseaux sociaux ont été fermés dans tout le pays.
Cela fait des mois que la région de Mangystau est le théâtre de grèves de différents groupes de travailleurs du pétrole. Cette région a peut-être la plus forte tradition militante du mouvement ouvrier dans l’ensemble de l’ex-Union soviétique. Il y a dix ans, une grève de sept mois des travailleurs du pétrole avait été brutalement réprimée.
La dernière goutte ayant conduit à une protestation généralisée à Mangystau a été l’annonce, à l’aube du Nouvel An, du doublement des prix de l’essence qui passeraient de 60 à 120 tenges le litre (de 11 à 22 eurocents). Cela a plus que fâché les habitants et habitantes de la région, puisque ce sont ces personnes qui pompent le pétrole hors du sol. Comme le gouvernement régional restait initialement sourd aux revendications du mouvement, les manifestants ont commencé à exiger un doublement des salaires en soulignant que les prix de tous les biens essentiels, des services publics et des taxes augmentent rapidement, tandis que l’élite dirigeante s’en met plein les poches.
Lorsqu’il est devenu évident que les autorités n’allaient satisfaire aucune revendication, les manifestations ont pris de l’ampleur et se sont étendues à travers la région, puis au pays. La principale ligne ferroviaire vers l’ouest a été bloquée, et les vols de l’aéroport d’Almaty annulés.
Selon de nombreux rapports, les jeunes protestataires se sont particulièrement radicalisés et crient maintenant « Shal, ket! » (Grand-père, dégage !). Cette revendication s’attaque au pouvoir de Nursultan Nazarbaïev. Bien qu’il a démissionné de son poste de Président l’année dernière, il a conservé tout le pouvoir réel entre ses mains en tant que «Chef de la Nation». Voilà une des causes principales de la crise politique actuelle.
Au moment d’écrire cet article, le président Tokaev a ordonné que le prix de l’essence soit réduit à 60 tenges le litre pendant six mois, avec une réglementation des prix de l’essence et d’autres produits socialement nécessaires. Il dit vouloir aussi subventionner les loyers des familles pauvres et imposer un moratoire sur la hausse des prix des services publics. Il promet de créer un fonds spécial pour lutter contre la pauvreté et les problèmes de santé chez les enfants. Il prévient toutefois que la réduction du prix du pétrole doit être temporaire, car le prix sur le marché mondial est beaucoup plus élevé.
Il faut voir si cela suffira à calmer les mobilisations sociales. Compte tenu du passé de l’élite dirigeante, ces promesses ne sont probablement rien de plus que des paroles en l’air. La colère est très forte et ne concerne pas seulement les prix. En décembre, 30.000 travailleurs du pétrole de la région de Mangystau ont été licenciés. Il y a beaucoup de ressentiment au sujet de l’emprisonnement continu des opposants et opposantes politiques, y compris de nombreux syndicalistes. Les grèves se sont répandues dans la région, et on rapporte qu’elles ont atteint l’échelle d’une grève générale régionale.
Naturellement, le régime lui-même, ses partisans au Kremlin et le régime bélarusse affirment qu’il s’agit d’une autre «révolution de couleur» provoquée par l’Occident. Le porte-voix du régime russe Life News affirme que les manifestations ont été complotées et planifiées de cette manière en désignant l’oligarque en exil Mukhtar Ablyazov comme responsable, suggérant que les manifestations ont été organisées pour saper les négociations prévues la semaine prochaine entre la Russie et l’OTAN concernant l’Ukraine. Il ne s’agit évidemment que d’une autre théorie du complot propagée par le régime destinée à saper le soutien aux manifestations.
Ces événements soulèvent une question importante : si «Grand-père s’en va», qui le remplacera, lui et le système qu’il a mis en place pour défendre non seulement ses intérêts, mais également ceux des entreprises qui le soutiennent ? Les grévistes impliqués il y a dix ans dans la grève à Zhanaozen avaient tiré des conclusions politiques de grande portée en appelant à la nationalisation des compagnies pétrolières sous contrôle ouvrier. En novembre 2011, les grévistes avaient mis en place un comité ouvrier unitaire sur toute la région. Ce comité a appelé au boycott des élections parlementaires en raison du manque de confiance envers les partis politiques d’alors et a proposé la mise en place d’une union nationale des syndicats combattifs pour créer un parti politique des travailleurs.
La répression brutale qui a suivi le massacre de Zhanaozen a engendré une période de recul pour le mouvement ouvrier. Mais maintenant que les mobilisations ont atteint une échelle nationale, le temps est venu de remettre ces questions à l’ordre du jour.