Category: Médias

  • Quand le capitalisme transforme la liberté d’expression en privilège

    Dans un message vidéo publié le 7 janvier 2025 (1), Mark Zuckerberg a annoncé des mesures visant à éliminer progressivement les programmes de fact-checking et à modifier les critères de modération sur les réseaux sociaux du groupe Meta (Facebook, Instagram, Threads et WhatsApp). Inspirés par le «point de bascule» constitué par l’élection de Donald Trump, ces changements viseraient notamment à garantir la «libre expression» d’opinions et d’expériences sur des sujets tels que l’immigration ou l’identité de genre. Cependant, de quoi parle le patron de Meta lorsqu’il invoque la liberté d’expression?

    Par Nicola (Bruxelles)

    Comme le rapportent Wired (2) et la CNN (3), les critères de modération nouvellement reformulés laisseront une latitude considérable aux usagers des plateformes Meta qui voudront s’en prendre à des groupes d’individus sur la base de leurs caractéristiques protégées (race, identité de genre, orientation sexuelle, etc.). Entre autres, il sera désormais possible de poster des contenus accusant les Chinois de propager le Covid ou traitant les femmes d’«objets domestiques» sans tomber sous le coup de la modération. Des propos de cette teneur auront des effets négatifs bien concrets. Comme en témoigne une lettre adressée par la Société Américaine de Psychologie à Facebook en 2020 (4), l’exposition persistante à la haine en ligne affecte négativement la manière dont des groupes minorisés se perçoivent eux-mêmes et sont perçus par autrui. Lorsqu’ils se débrident sur les réseaux sociaux, les propos haineux finissent par ôter toute liberté de parole à leurs cibles, en créant un environnement où ces dernières ne peuvent pas s’exprimer en sécurité.

    Dans un article consacré à la liberté de la presse dans l’état de Prusse, publié par la Rheinische Zeitung en 1842, Karl Marx observait: « Nul homme ne combat la liberté ; il combat, tout au plus, la liberté d’autrui. Toute forme de liberté a donc toujours existé, mais tantôt comme privilège particulier, tantôt comme droit universel » (5). Ce constat s’applique également au message de Zuckerberg: la liberté d’expression qu’il invoque n’est rien d’autre qu’une liberté accordée à certaines formes d’expression au détriment d’autres. Cela est d’autant plus vrai que la visibilité des propos émis sur Facebook n’est pas le simple reflet d’interactions entre les usagers, mais découle du fonctionnement de l’algorithme qui sélectionne les publications proposées à chaque compte dans un but précis: maximiser l’attention prêtée aux contenus proposés afin de maximiser l’impact des publicités qui s’y nichent. Comme l’explique le mathématicien David Chavalarias dans son essai «Toxic Data» (Flammarion, 2022), cet algorithme se sert de la tendance des êtres humains à établir des relations sur la base d’affinités culturelles et sociales, ainsi qu’à modifier leurs croyances et leur comportement sous l’influence de ces mêmes relations («influence sociale») afin d’optimiser les revenus publicitaires de la plateforme.

    Sous le prétexte d’aider les usagers à se rencontrer, Facebook exproprie les liens sociaux tissés par ces derniers afin d’en extraire des données et les convertir en profits. Pour ce faire, la plateforme met en avant une fraction infinitésimale des contenus échangés, souvent produite par un petit nombre de comptes et souvent de nature haineuse. La liberté d’expression qu’offre le capitalisme numérique incarné par Meta est, par conséquent, un privilège garanti à une minorité d’usagers qui appuie un privilège encore plus restreint: le privilège des profits. Attaquons-nous donc à la racine de la haine: exproprions les expropriateurs pour bâtir des réseaux vraiment sociaux, où la liberté d’expression serait un droit universel !

    Notes

    1. https://about.fb.com/news/2025/01/meta-more-speech-fewer-mistakes/

    2. https://www.wired.com/story/meta-immigration-gender-policies-change/

    3. https://edition.cnn.com/2025/01/07/tech/meta-hateful-conduct-policy-update-fact-check?cid=ios_app

    4; https://www.apa.org/news/press/releases/2020/08/facebook-hate-speech

    5.http://www.zeno.org/Philosophie/M/Marx,+Karl/Die+Verhandlungen+des+6.+rheinischen+Landtags/Erster+Artikel.+Debatten+%C3%BCber+Pre%C3%9Ffreiheit+und+Publikation+der+Landst%C3%A4ndischen+Verhandlungen

  • Les médias socialistes, vos médias !

    Face au déferlement quotidien de la propagande des médias dominants Lutte Socialiste et socialisme.be sont d’importantes sources d’information et d’analyse qui partent d’un point de vue différent, celui du mouvement des travailleurs et de l’opposition à la politique actuelle.

    Ce journal et notre site socialisme.be développent une approche unique, celle d’un programme qui répond aux défis immédiats d’aujourd’hui en liant slogans, revendications et observations à l’urgente nécessité de construire une société socialiste démocratique.

    Au moment où nous sommes confrontés à une brutale offensive austéritaire, mais également au moment où se développent les premiers germes d’une reconstruction de la gauche radicale, débattre de ces idées est de la plus haute importance. Ce journal veut y contribuer. Vous n’aurez peut-être pas systématiquement le temps de tout lire, vous ne serez peut-être pas en accord avec tout, mais vous conviendrez que son approche est unique et qu’il mérite d’être soutenu. N’hésitez pas à vous abonner et à nous permettre ainsi de disposer de plus de moyens pour déployer nos activités.

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  • Manning : Le Soir a choisi son camp

    ‘‘A peine condamné à 35 ans de détention’’ : c’est ainsi que commence le principal article du Soir consacré aujourd’hui à Bradley/Chelsea Manning, qui a dévoilé des preuves concernant les crimes de guerre commis par l’armée américaine. Mais de ces crimes, l’article n’en fait nulle mention, et ce n’est pas le seul problème…

    Selon le journaliste, Bradley Manning (qui désire dorénavant être appelé Chelsea et a décidé de changer de sexe) devrait déjà s’estimer heureux de ne pas avoir été condamné à la peine maximum de 135 ans de détention ! Pour le reste, l’article fourmille d’erreurs et d’imprécisions qui – c’est étrange – caressent toutes dans le sens du poil les autorités américaines.

    Ainsi, Manning aurait ‘‘exprimé des regrets’’ à l’issue du procès. Cela tendrait à dire que la leçon est comprise et que, si l’occasion se présentait à nouveau, aucune information ne serait divulguée. C’est faux. Dans sa lettre publiée à l’issue de sa condamnation, Manning déclare effectivement : ‘‘Si mes actions ont nui à quelqu’un ou aux Etats-Unis, je le regrette.’’ Mais la suite précise très clairement que Manning ne regrette en rien d’avoir dévoilé les crimes de guerre dont sont coupables les autorités américaines ! On peut ainsi lire dans ce même texte : ‘‘En toute conscience, nous avons choisi de dévaluer le coût de la vie humaine en Irak et en Afghanistan. En combattant ceux que nous percevions comme nos ennemis, nous avons parfois tué des civils innocents. Chaque fois que nous avons tué des civils innocents, au lieu d’en assumer la responsabilité, nous avons décidé de nous retrancher derrière le voile de la sécurité nationale et des informations classifiées afin de ne pas avoir à rendre de comptes publiquement.’’ (Lettre de Bradley Manning à Obama: “Je suis prêt à payer le prix pour vivre dans une société libre”) C’est pour cette raison que Manning a décidé de dévoiler des informations classifiées.

    Sortir une phrase de son contexte de cette manière pour lui faire dire son exact contraire, c’est visiblement considéré comme étant du journalisme à la rédaction du Soir.

    Dans le reste de ‘‘l’article’’, Manning en est réduit au simple rang d’espion avec un type de comportement qui est ‘‘susceptible de mettre en danger la vie d’agents en opération ou de militaires engagés sur le terrain.’’ De la vie de civils innocents, il n’est par contre absolument pas question. Son cas est comparé à celui d’un militaire belge ayant vendu des informations aux services secrets de l’armée russe en 1989 pour 4 millions de francs belges. Le parallèle est d’ailleurs grassement souligné par le fait qu’Edward Snowden et Julian Assange (de WikiLeaks) sont qualifiés de ‘‘complices et ‘‘clients’’ du soldat Manning’’. Encore une fois, ce ne sont pas des motivations financières qui ont motivés les divulgations de Manning.

    Par ailleurs, nous sommes heureux de pouvoir apprendre au ‘‘journaliste’’ du Soir que Snowden n’a rien à voir avec les documents publiés par WikiLeaks… Edward Snowden est un informaticien qui avait travaillé pour la CIA et la NSA et qui a rendu public diverses informations fracassantes concernant les programmes de surveillance de masse des autorités américaines et britanniques.

    Le travail de journaliste n’est pas facile aujourd’hui. A la rapidité de circulation de l’information s’ajoutent, comme ailleurs, les compressions de personnel et l’augmentation de la charge de travail. Il est parfois difficile de traiter correctement d’un sujet dans ces conditions, et nous voyons ici ce que cela peut concrètement signifier en termes de qualité de l’information. Il est toutefois bien plus probable que l’orientation scabreuse de cet article scandaleux n’ait rien à voir avec cela et ait été parfaitement volontaire. Si tel est le cas, nous espérons au moins que la rédaction du Soir et le journaliste directement responsable seront invités au prochain cocktail de l’ambassade américaine. Ce serait un minimum pour ‘‘service rendu’’.

  • Massacre au Kazakhstan: Quand l’agence Belga se fait complice du régime

    Aujourd’hui, la presse belge reste silencieuse face au massacre perpétré au Kazakhstan par le régime dictatorial de Noursoultan Nazarbaïev. L’agence de presse Belga a toutefois envoyé une dépêche, relayée par Le Vif, qui parle de ‘‘deux policiers blessés’’ et de troubles causés par des… vandales !

    Dans cette dépêche – outre les précisions cruciales concernant l’arc de triomphe inauguré par le président-dictateur dans la capitale – il n’est nulle part fait mention des morts causés par la répression, et les seuls blessés dont il est question sont deux policiers. ‘‘ A Janaozen (ouest), les célébrations ont été perturbées par un groupe de vandales qui ont détruit les yourtes et le podium qui avaient été installées sur la place centrale de la ville pour la fête de l’indépendance, a indiqué le parquet général dans un communiqué. Deux policiers intervenus pour mettre fin à ces violences ont été blessés et toutes les mesures ont été prises pour éviter une répétition de tels événements, selon le communiqué.’’

    En guise de mesures prises pour éviter la ‘‘répétition de tels évènements’’, l’armée a été envoyée dans la ville, et on fait état d’au moins 70 morts et plus de 500 blessés ! Et les ‘‘vandales’’ dont parle le communiqué du régime sont en fait des grévistes et leurs familles, en lutte depuis le mois de mai !

    Belga et Le Vif considèrent visiblement que le journalisme se réduit à reprendre tel quel le communiqué d’un régime autoritaire, sans faire le moindre effort pour vérifier l’information. Pourtant, Belga et Le Vif ont reçu notre communiqué de presse. Un coup d’œil à la dépêche de l’agence de presse française AFP aurait aussi pu les éclairer, puisqu’il y est très clairement question de la répression contre les grévistes et du contexte dans lequel ces évènements ont pris place. Il est vrai que cette dépêche a très peu été reprise sur les différents sites d’information…

    Cet exemple illustre une fois de plus le degré ‘‘d’impartialité’’ des médias traditionnels. Nous aussi, nous avons très clairement choisi notre camp, mais c’est celui des travailleurs et de la solidarité internationale.

  • Flat earth news : Une critique destructrice des médias traditionnels

    Le journaliste britannique Nick Davies a déclaré à propos de son livre “Flat Earth News” (Nouvelles de la terre plate) qu’il avait été choqué par ce qu’il découvrait au fur et à mesure de son travail. Journaliste de longue date, et réputé, il savait déjà depuis longtemps comment les choses se passaient dans l’univers des médias mais, avec ce livre, il a pu analyser le système de mass media de manière bien plus intense.

    Par Geert Cool

    Nick Davies constate que beaucoup de “tuyaux crevés” arrivent dans les pages d’un journal. Cela signifie qu’il existe des articles considérés comme fiables par tout le monde mais qui, en réalité, sont à côté de la plaque. La presse traditionnelle – tant la télévision que la presse écrite ou internet – se limite de plus en plus à des nouvelles prémâchées dont l’impératif est d’être spectaculaires et simples. Cela s’explique par le développement de l’industrie de l’information au cours de ces dernières années.

    Un journal, c’est une entreprise comme une autre et, à ce titre, ça doit rapporter. L’impact des actionnaires des mass media ne s’exprime peut-être pas toujours directement sur la ligne rédactionnelle, mais leur influence dans le processus de production du journal n’a fait que s’accroître. Nick Davies a constaté que le nombre de journalistes a drastiquement diminué. En Grande-Bretagne, on dénombre plus de personnes dans les relations publiques (47.800) que dans le journalisme (45.000). La tâche de ces responsables de relations publiques est d’écrire des articles pour glorifier leur entreprise et le manque de journalistes accroit d’autant ce phénomène, car ces derniers n’ont plus le temps de contrôler par eux-mêmes un article ou une déclaration. Croiser l’information pour en dégager la vérité a cédé la place à l’action des chargés de communication qui, entre 1979 et 1999, ont vu leur nombre être multiplié par douze dans les grandes entreprises.

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    Marre de la presse traditionnelle?

    Lutte Socialiste c’est, chaque mois, une bonne dose d’articles, de rapports, d’analyses,… résolument du côté des travailleurs, et résolument opposés à la désinformation que l’on trouve dans les médias traditionnels. Vous voulez recevoir ce journal chaque mois dans votre boîte aux lettres? N’hésitez pas, prenez un abonnement !
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    Exagéré, vous croyez? Une recherche consacrée aux articles de la presse de référence britannique a démontrait que dans 60% des cas analysés, les articles ne consistaient principalement – voire même carrément totalement – qu’en du matériel repris d’agences de presse ou d’entreprises. 20% des articles étaient fortement basés sur ce matériel et, pour 8% des articles, la provenance de l’information n’était même pas établie! Seule 12% du matériel était issu des journalistes-mêmes. Et cette recherche ne concernait que les journaux dits ‘‘de référence’’.

    Les bureaux de presse prennent de plus en plus de place dans le traitement de l’information mais, là aussi, les articles doivent être livrés à la chaîne avec une préférence pour les articles qui peuvent être vendus facilement et rapidement. Comme on vend aussi bien aux entreprises médiatiques qu’aux autres entreprises, les nouvelles s’y adaptent. Des thèmes comme la lutte des classes sont moins intéressants que les dernières nouvelles du showbiz ou de la Bourse.

    Les agences de presse ont un grand pouvoir. Associated Press (AP) est l’une des plus importantes. Elle livre des coupures à 1.700 journaux et 5.000 chaînes télé et radio aux USA. Ailleurs dans le monde, 500 chaînes télé et radio sont aussi ses clients dans 121 pays, de même qu’environ 8.000 autres organes médiatiques. L’agence Reuters, elle, livre à plus de 1.000 journaux différents. Résultat: nous recevons l’information d’une même source, écrite différemment. Chez Reuters, un journaliste doit en moyenne produire cinq articles par jour, les journalistes chassent donc les nouvelles rapides et faciles. D’autre part, les pays où ni AP ni Reuters ne sont présents (ce qui est le cas d’à peu près 40% des pays) apparaissent moins facilement dans les nouvelles. De là provient le manque d’attention pour des sujets tels que la guerre au Congo ou la situation au Soudan. On parle également moins des sujets qui portent à controverse parce qu’il faut vendre à un maximum de personnes, ce qui pousse à harmoniser voire même à anesthésier le contenu.

    Nick Davies se réfère encore à une recherche sur les reportages-télé en Grande-Bretagne consacrés au conflit israélo-palestinien. Retranscrits par écrit, les textes faisaient 3.500 signes (lettres et espaces). De ces signes, en moyenne, seulement 17 abordaient l’histoire du conflit. Une enquête parmi l’audience a démontré que de nombreux spectateurs pensaient que c’étaient les Palestiniens qui occupaient les territoires!

    Sur internet également, la diversité de l’information tend à diminuer. En 2006, 85% de l’information était issue de brèves tirées d’agences de presse.

    Dans la presse écrite, les opinions vont toutes dans la même direction, puisqu’on ne laisse la parole qu’aux porte-paroles et aux soi-disant experts. Les positions divergentes ou considérées comme marginales sont passées sous silence. ‘‘L’omission est la source la plus importante de désinformation’’, selon Nick Davies.

    La production de l’information est intrinsèquement liée au système de production, dans lequel l’idéologie dominante est toujours celle de la classe dirigeante. Tant le message que la structure du marché de l’information sont déterminés par le capitalisme et ce marché connaît lui aussi une forte concentration. Nick Davies parle d’une étude américaine sur le nombre d’entreprises dans le secteur des journaux, des revues, de la radio, de la télévision et du cinéma. En 1984, ce marché était dominé par une cinquantaine d’entreprises. En 1987 seulement, il n’en restait plus que 26, plus que 20 en 1993 en plus que 5 en 2004. Le personnel des médias a diminué de 18% entre 1990 et 2004 tandis que la marge moyenne de profit des entreprises médiatiques était de 20,5% en 2004.

    Pour répondre au pouvoir de l’industrie de l’information, nous devons nous en prendre au système capitaliste lui-même. Les grandes entreprises et les gouvernements disposent de leurs médias, dans lesquels les journalistes, consciemment ou inconsciemment, sont leurs porte-paroles. Les travailleurs et leurs familles ont besoin de leurs propres médias et doivent se baser sur leurs propres organisations et leur implication dans les actions. Avec Lutte Socialiste, malgré notre manque de moyens, nous voulons agir en tant que porte-parole des travailleurs et populariser des idées abordant la meilleure manière de défendre nos intérêts.

    Selon nous, cela fait partie de la lutte pour une société socialiste, une société dans laquelle les travailleurs et leurs familles auraient eux-mêmes en mains les rênes de la société avec un contrôle et une gestion démocratiques des secteurs-clés de l’économie, y compris les médias. Le révolutionnaire russe Léon Trotsky affirmait déjà, il y a 70 ans : ‘‘Les tâches d’un Etat ouvrier ne consistent pas à contrôler l’opinion publique, mais à la libérer du joug du capital. Cela ne peut se faire qu’en plaçant les moyens de production – dont les moyens d’information – dans les mains de la société entière.’’

  • La fabrique de l’opinion

    L’encre du texte de la déclaration de politique générale n’était pas encore sèche que les directions des grands syndicats se sont empressées de l’encenser. Tout le gratin de ceux qui comptent (éditorialistes, intellectuels médiatiques, leader d’opinion,…) ont acclamé Van Rompuy comme jadis, la foule acclamait le magicien Houddini.

    Par Alain (Namur)

    À son époque, ce célèbre magicien avait réussi à faire disparaitre un éléphant devant une foule médusée. Van Rompuy en a fait autant, toutes proportions gardées, en faisant disparaitre un déficit de 25 milliards et en réussissant à maintenir la paix sociale! Le grand magicien, nous parlons ici de Houdini, avait un truc… Van Rompuy en a quelques uns aussi… Le but de cet article est de montrer quelques «trucs et ficelles» utilisées pour fabriquer le consentement. Autrement dit, comment l’idéologie de la bourgeoisie opère pour se rendre idéologie dominante.

    Dans toute société, l’idéologie et la culture sont en fonction des intérêts de la classe dominante. L’une des tâches de l’idéologie est de produire un discours cohérent qui permet le maintient des grandes structures de la société (ici, le maintient du système d’exploitation de la classe des travailleurs). La crise économique a eu, outre ses effets sur les conditions objectives, un effet sur la conscience des masses. Pour partie, la classe ouvrière a bien entrevu le rôle des banques et de la dérégulation à tout crin dans la crise actuelle. De plus en plus de gens tirent des conclusions anticapitalistes, ce qui se reflète aussi dans le slogan de la campagne de la FGTB wallonne: Le capitalisme nuit gravement à la santé (voir notre article à ce sujet).

    Dans cette configuration, il était difficile de faire passer un budget d’austérité de manière frontale. Il a fallu mettre en œuvre toute les forces de propagande pro-système. Il est important pour tous les militants réellement socialistes et, de manière générale, pour tous ceux qui luttent contre le système capitaliste, d’analyser les mécanismes mis en œuvre pour faire passer les désirs et intérêts de l’idéologie dominante. Nous aborderons ici trois grands mécanismes qui concourent à la production de l’idéologie dominante, mais il en existe d’autres non moins importants (comme le contrôle sur l’enseignement):

    • La proximité sociologique et idéologique entre les gens de la presse, les intellectuels, les cadres et la classe dominante actuelle, la bourgeoisie.
    • Les techniques modernes de production de l’information
    • La manipulation par les techniques de communications

    .

    1. La proximité sociologique et idéologique:

    «Le discours dominant doit son efficacité proprement symbolique au fait qu’il n’exclut ni les divergences ni les discordances.» (La production de l’idéologie dominante, P. Bourdieu).

    La classe dominante actuelle a été acculée par la lutte des classes à accorder certaines concessions. Ces concessions essentiellement matérielle dans l’immédiat après guerre mais, après ’68, les concessions ont aussi été sociétales. Ensuite, avec la phase néolibérale de l’économie, le discours dominant est peu à peu devenu hégémonique. Avec l’écrasement de la lutte des mineurs en Angleterre et la défaite des aiguilleurs du ciel aux USA dans les années ’80, la bourgeoisie a pu déployer les voiles. Avec la chute de l’URSS et l’idée qu’un autre système était possible, les années ’90 ont été pour la propagande bourgeoise un point culminant. La fameuse formule ‘TINA’ (There Is No Alternative, il n’y a pas d’alternative) résume l’état du rapport de forces qui s’est instauré. Dans cette période, avec la diminution du niveau de conscience de classe et le reflux des luttes, de plus en plus d’enjeux stratégiques ont été dépolitisés. Cela a donné lieu au niveau politique à une technicisation des affaires publiques.

    Actuellement, dans les affaires communales, il n’est pas important d’être de tel ou tel parti mais bien d’être vu comme un bon gestionnaire. Ceci a comme effet d’éloigner encore plus les gens de la politique. Il y a comme un complexe d’infériorité de la part de la classe des travailleurs qui laisse le soin à des experts et à des technocrates d’administrer des dossiers devenus soi disant apolitiques.

    À l’heure actuelle, si on suit la vie politique, si on lit la presse, on ne peut pas douter de la diversité d’opinions qui s’expriment ça et là. À ceci près que cette diversité d’opinion va dans la direction du discours dominant, à quelques nuances près. On peut constater cela à l’ensemble de ‘lieux communs’ qui se retrouvent dans les différents discours.

    Comme exemple, on peut prendre la notion de budget de l’Etat. La science économique actuelle a été pensée en excluant toute forme de changement radical. Le point de départ, le cadre du paradigme de la science économique, c’est le système capitaliste considéré par d’aucun comme immuable et lié à la nature humaine. Passée cette erreur, le cadre de la pensée économique dominante est cohérent. Ainsi, la discussion actuelle sur le budget est révélatrice. Pour tous les commentateurs, il est essentiel d’avoir un budget à l’équilibre. Ceci nécessite donc des efforts de tous les secteurs, toutefois il faut veiller à ne pas faire fuir l’investisseur et à protéger l’attractivité de la Belgique… Ceci et quelque autres poncifs, justifie pour beaucoup le fait que la classe ouvrière doit payer la crise capitaliste.

    L’intégration de ces lieux communs se fait dans les écoles où l’on forme l’élite dirigeante (les universités, écoles de gestions). Quand on analyse la structure de notre système d’éducation, on peut comprendre l’homogénéisation de la pensée chez les élites. Avec un enseignement fortement inégalitaire et élitiste, ceux qui se retrouvent dans les universités et les lieux où l’on va former les cadres relais de la bourgeoisie sont issus d’un processus de sélection très fin. Il est très peu probable de trouver des membres de la classe ouvrière traditionnelle. On peut par contre rencontrer les couches intermédiaires de la société: les enfants de la petite bourgeoisie, les enfants des couches favorisées du salariat (favorisées par un capital matériel ou intellectuel et culturel). Les gens qui en arrivent là ont déjà intégré les codes, les habitudes et les schémas de pensée de la classe dirigeante. Ces gens se retrouvent dans des lieux où la pensée est tellement homogène qu’elle en devient apolitique. Ils peuvent après draper cet apolitisme comme gage scientifique de l’objectivité.

    Ceci peut s’avérer très pratique: lors d’un débat télévisé pré-electoral, on invite un homme dit de gauche qui a le même cursus que sont contradicteur, un homme de droite, un vrai celui-là, qui se dit du centre ou du centre droit. Afin d’objectiver le débat et donner un semblant de hauteur, aussi pour compter les points, on invite un intellectuel qui enseigne dans un de ces lieux ou l’homme politique de gauche comme de droite a été enseigné… la boucle est bouclée. Personne ne peut attaquer le journalisme de parti pris ni le professeur d’université, le titre d’expert conférant aussi à celui qui le porte une aura quasi religieuse.

    Un autre élément qui n’est pas négligeable est le cloisonnement géographique, mais aussi culturel et occupationnel des élites dirigeantes. Avec leur capital matériel et culturel, les élites ne se mêlent pas souvent à la masse. Ils sont souvent de grands consommateurs culturels. Ceci a un double effet symbolique: les dirigeants se sentent légitimés par leur apparente supériorité intellectuelle et culturelle sur les masses, les masses consentent plus facilement à obéir à des élites si elles leurs semblent détenir des infos et des savoirs qui leurs sont inaccessible.

    2.La production de l’information

    La démocratie rime pour certains avec liberté de presse (c’est un peu l’antienne de Reporters Sans Frontières). Mais lorsque que l’on entend liberté de presse, bien souvent on parle de liberté vis-à-vis de l’État et non vis-à-vis des intérêts du monde financier. L’information est devenue un produit d’appel qui a comme fonction de faire venir les annonces publicitaires. Afin de ne pas faire fuir l’annonceur, il faut bien consentir à plier les faits, qui sont têtus, aux intérêts de la classe dominante.

    «Pour obtenir d’avantage de contrats publicitaires, il faut des lecteurs appartenant à tous les horizons politiques. La réponse donnée par les éditeurs fut de mettre au point une technique fondée sur la ‘doctrine de l’objectivité’, ce qui conduit à transformer la presse américaine en une expression neutre de l’idéologie de l’establishement». (Citation reprise du livre de M. Bénilde, On achète bien les cerveaux).

    Le travail à ‘coup de buzz’

    Afin d’obtenir la primeur sur l’info et se distinguer de ses concurrents, les différents journaux traquent les unes. Les journalistes sont à la recherche de l’information sensationnelle. Avec les techniques de production en flux tendu on ne prendra pas le temps de vérifier l’info et on aura tendance à faire d’un épi-phénomène un buzz médiatique.

    Les conseillers en communications des hommes et femmes politiques l’ont bien compris. C’est au premier qui se répandra en confidences, dans la presse. Certains politiques pour rester présents dans le paysage médiatique, sortent en vitesse de croisière une exclu par semaine. Les fuites de documents confidentiels sont souvent organisées par les spins doctor des politiciens. C’est un contrat tacite gagnant-gagnant, le journaliste n’a plus besoin de chercher l’info, ça prend du temps et de l’argent, l’info lui tombe dans les bras; les politiciens peuvent contrôler leur communication et s’assurer que le message qui passera ne sera pas trop critique.

    Prenons notre magicien Van Rompuy, il a réussi a faire avaler une austérité comme on avale une cuillère de sirop. Le plan communication a cependant été très bien travaillé: après avoir annoncé un budget impossible, un État en faillite, chaque ministre est sorti avec sa petite solution, sa vision des choses, pendant presque un mois, on a entendu des exclusives sur ce que pensaient faire tel ou tel ministre. Les journalistes font leurs choux gras lorsqu’ils titrent sur l’augmentation du diésel de 0,20 euros et les politiciens peuvent tester l’effet de telle ou telle mesure sur la population. Après une période anarchique et une polarisation du discours est venu le WE de négociation où aucune info n’a plus filtré pour déboucher sur le budget en l’état et encore une fois chaque ministre qui tire ses marrons du feu.

    La construction du texte

    Lorsque l’on analyse de manière globale un texte journalistique, on peut en dégager quatre éléments: le titre, le chapeau, le corps et la conclusion. Il est de coutume pour les journalistes de faire un titre qui attire l’attention, quitte à tordre un peu les faits. Au besoin, on nuancera dans le chapeau et dans le corps du texte. Généralement, quand le lecteur lit, il retient bien souvent le titre, le début du texte et sa conclusion, c’est malheureusement là qu’on trouve le contenu le plus fortement idéologiquement connotés.

    Pour le budget on peut prendre en exemple la une du soir du 13 octobre 2009: «Les banques paieront 1,4 milliards en trois ans». En apparence, il s’agit de l’énoncé pur et simple, sauf que si l’on va plus loin, on se rend compte qu’au final c’est le client qui probablement réglera la facture.

    La hiérarchisation de l’information.

    Plusieurs lois sont enseignées dans les écoles de journalisme genre: dix morts à dix kilomètres sont plus importants que dix milles morts à mille kilomètres… Il y a aussi le fait que pour la presse écrite, ceux qui achètent le journal, en particulier la presse de référence, sont généralement ceux que l’on catégorise comme les catégories socioprofessionnelles supérieures. Les journaux ayant depuis longtemps constaté cela (étude de marchés, sondages…), les rédactions ajustent leur contenu en fonction de l’intérêt supposé de leur lecteur. Ainsi, on peut se dire qu’un cadre ou un intellectuel sera plus intéressé de savoir si oui ou non la classe politique et le roi doivent se rendre au pied de Benoit seize, malgré la séparation de l’église et l’Etat, malgré la sacro-sainte laicïté, malgré la neutralité…

    L’Info-spectacle

    La politique, c’est bien connu c’est rébarbatif. Afin d’attirer l’audimat et donc l’annonceur, il faut arriver à susciter l’intérêt. Mais comment faire pour éveiller l’envie d’écouter des protagonistes qui en gros disent la même chose, qui sont souvent les mêmes ou fils de,…

    Il faut scénariser l’info. Les Anglais appellent ça l’infotainment ou l’entertaintic. Un mixte entre politique et divertissement. Cela donne naissance à des débat ou la confrontation de personne à personne s’efface au profit d’arrangements plus ludiques où l’agencement plateau et la construction de l’émission est souvent l’objet de recherches affinées (Bye Bye Belguim, par exemple…).

    Une autre manière de susciter le débat est de l’hyperboliser. En renforçant les contradictions entre les protagonistes, on obtient des échanges plus vifs et acérés qui peuvent tourner, Ô grâce, au pugilat. Comme mentionné plus haut, la plupart des ayant voix sont généralement d’accord sur le fond, plus précisément sur la superstructure, il faut alors faire état des micro-différenciations qui existent entre différentes tendances de l’idéologie dominante.

    La fin des discussion sur le budget a été témoin d’un de ces débats surréalistes qui sont l’œuvre de ce mécanisme: la guerre sémantique qui a opposé austérité (les libéraux, Vanhengel en tête) et la rigueur (les socialistes et Onkelinkx). À noter que la différence entre austérité et rigueur, c’est plus une question de style, mais au final les travailleurs seront les victimes de la crise qu’ils devront payer quelque soit le terme choisi pour désigner cette politique en faveur de la classe dominante.

    3. La manipulation mentale

    On a décrit sommairement quelques mécanismes qui expliquaient comment se produisaient l’idéologie dominante, comment elle se renforçait et comment les élites bourgeoises et les couches intermédiaires de la société la fabriquaient dans leur journaux et leurs outils de propagandes. Il nous reste encore à expliquer pourquoi la classe ouvrière, dont les intérêts sont de manière rédhibitoire, opposés aux intérêts des capitalistes, est polluée par les idées conservatrice et réactionnaire des dirigeants.

    Georges Orwell a écrit dans son livre 1984 que «64.000 répétitions font une vérité!». En effet, pour qu’une information soit retenue par le cerveau humain, elle doit passer par la mémoire immédiate, la mémoire de travail et au final la mémoire à long terme. Pour qu’une info soit stockée et participe alors au système de croyance cognitive, il faut que celle-ci ait du sens et de la pertinence. L’ensemble de l’enseignement que nous avons de l’école dans les cours de science sociale, mais de manière générale l’idéologie dominante auquel tout individu est confronté de sa naissance à sa mort aide à donner sens et pertinence aux infos émises, même quand elles sont fausses. Afin de faciliter la rétention, la répétition est un moyen qui permet au cerveau de retraiter l’information. La multiplication des canaux qui répètent et ânonnent le point de vue de la bourgeoisie participe à ce mécanisme.La surcharge cognitive

    Lorsque le cerveau reçoit trop d’informations à traiter, un moment, il sature. Une partie des nouvelles informations n’est donc plus assimilable ou assimilée. A l’heure actuelle, il y a en fait trop d’information et pas assez de temps pour les analyser de manière critiques. Les gens n’ont pas le temps de confronter l’information à leur système de croyance cognitive.

    Sur le budget, pendant un mois, tout et son contraire a été dit si bien que même un chat n’y aurait pas retrouvé ses petits. C’est une manière de désinformer comme une autre. Pour les médias dominants, restreindre l’information est dangereux car considéré comme anti-démocratique par les masses, il faut donc jouer la saturation et la surcharge pour exactement le même effet.

    Problème d’inférence logique

    L’inférence logique, c’est une aptitude qui consiste à déduire une info ou à tirer une conclusion à partir d’information donnée, c’est en gros la capacité de lire entre les lignes. Il n’est pas toujours aisé de procéder à l’inférence logique, dans un monde idéal, la presse devrait nous aider à décoder l’information brute. Néanmoins, avec le postulat de l’objectivité, elle laisse ce travail à l’audimat en évitant ainsi de prendre position et de froisser une partie de l’audimat et l’entièreté des milieux de pouvoir.

    Pour le budget, on nous annonce qu’en 2010 et en 2011 on va payer en moyenne 3,3 milliards d’euros sur 25 milliards, l’équilibre étant pour 2015. Cela fait donc 6,6 milliards. Mais entre 2012 et 2015, il n’est pas précisé qu’on réglera le solde. En fait, le tour de passe de Van Rompuy tient essentiellement au saucissonnage. On ne répète pas souvent que 2011 étant une année électorale la conclusion qui s’impose c’est que ce gouvernement qu’on nous présente comme responsable a en réalité botté en touche afin de préparer dès maintenant sa campagne et maintenir ses petits postes.

    La technique de l’ascenseur émotionnel

    Les experts en marketing l’ont bien compris. Un papier à l’essuie glace de la voiture fait penser au PV. Outre le fait de capter l’attention, lorsque l’on se rend compte que c’est une pub, soulagée par le fait qu’on n’est pas verbalisé, on a tendance à être plus réceptif au message publicitaire. Les politiques ont arrangé un peu le truc: tu annonce un truc immense, genre bain de sang social ou de manière sectorielle, tu annonces aux profs qu’on va bien les faire cracher. Les gens montent, enragent, se mobilisent, partent à l’action… Avant que cela ne chauffe de trop, tu dis que tu vas faire des efforts revoir ta copie. Après avoir fait semblant de travailler jours et nuits, tu annonces un jour avec une mine fatiguée les mesures auxquelles tu pensais pouvoir arriver aidée par des directions syndicales qui n’aiment pas trop la révolte, encore moins la révolution, tu peux faire passer tes mesures en te faisant passer pour quelqu’un de responsable de ferme mais qui sait négocier

    Les problèmes de représentations mentales

    Le système de croyance cognitive agit comme un ensemble de représentations mentales. Lorsque nous sommes confrontés à une nouvelle connaissance. Si celle-ci est en désaccord avec nos représentations mentales, nous sommes en état de conflit sociocognitif.

    Si on parle de budget à un citoyen lambda, il va directement faire la comparaison avec le budget de son ménage: je dépense ce que le fruit de mon travail me permet de dépenser. Si je vis au dessus de mes moyens je dois me restreindre. Ajouter à cela la vieille expression patriarcale de la gestion en «bon père de famille» et on peut voir la facilité avec lesquels les gouvernants font payer la crise aux masses. En profitant de la représentation mentale de la majorité des gens, l’idéologie dominante avance ses intérêts.

    À ce niveau, il faut noter que le rôle d’un parti défendant réellement la classe des travailleurs est essentiel pour contre argumenter face à la classe bourgeoise. L’avantage des marxistes est ainsi d’être armés d’une théorie qui en tout point s’éloigne de la propagande bourgeoise. Il faut veiller cependant à gagner la confiance des masses afin que celles-ci traverse les conflits sociocognitifs. Armée de perspectives justes et avec un travail de propagande et de participation aux luttes, on pourra augmenter l’autorité d’un parti des travailleurs et d’un parti révolutionnaire.

    Pour finir sur ce point, il faut se rappeler une chose essentielle, les arguments dialectiques sont une chose, mais la lutte de la classe des travailleurs pour défendre ses intérêts reste la meilleure école. C’est dans la lutte que le niveau de conscience s’élève. C’est dans la lutte que les travailleurs apprennent le mieux. Parce que dans le cadre de la lutte, les représentations mentales des travailleurs sont testées de manières globales, ce qui fait naitre des nouveaux conflits sociocognitifs qui sont à même d’amener à la construction de nouveau savoir. Cela dépend de la direction qui est à la tête des masses…

    L’émotionnel

    Le cerveau a tendance à se focaliser sur les informations qui concerne la survie en premier lieu et ensuite sur les informations liées aux émotions. Lorsque Di Rupo a fait sa sortie sur le bain de sang social, il a habilement joué sur la peur de l’ensemble de la classe ouvrière d’une politique ouvertement de droite qui attaquerait tout les acquis sociaux.

    Il arrive parfois que l’on soit submergé par nos émotions. Sans trop entrer dans les détails du fonctionnement du cerveau. Un trop plein d’émotions empêche la partie du cerveau qui gère les aspects rationnels de fonctionner. Cela donne lieu à d’importante possibilité de manipulation utilisées dans la pub, dans la politique et le management sous la forme du «storytelling». Obama est passé maitre dans l’art de raconter une histoire commune qui mobilise des aspects émotionnels forts qui permet de mobiliser les gens à sa cause.

    Conclusion

    Il n’était pas question ici de faire l’état des lieux complet de la question de la production de l’idéologie dominante, mais de montrer quelques trucs et ficelles qui ont permis au premier ministre une habile manœuvre au service de la classe dominante pour faire passer son budget.

    Ce résumé montre à quel point aujourd’hui nous avons besoin d’une presse ouvrière et de militants révolutionnaires bien formés afin de résister à toute la pression de la société bourgeoise.

  • Les médias bourgeois (ou : pourquoi la nécessité d’une presse ouvrière s’impose)

    « La presse bourgeoise tire un énorme profit des crimes et des empoisonnements, en misant sur la curiosité malsaine et sur les plus vils instincts de l’homme. » Léon Trotsky.

    Un dossier de Cédric Gérôme

    Marx affirmait que l’idéologie dominante n’est rien d’autre que l’idéologie de la classe dominante. En effet, le rôle de la presse bourgeoise dans la société capitaliste ne peut être détaché du rôle qu’y joue la bourgeoisie elle-même. Sans tomber dans la caricature qui consiste à prétendre que les médias sont une sorte de « quatrième pouvoir », il est clair que les classes dirigeantes, historiquement, ont toujours tenter de contrôler le flux de l’information et de s’en servir comme moyen de relayer leur discours et de défendre leur idéologie.

    Historiquement, beaucoup d’exemples montrent à quel point la presse et les médias en général, sous le capitalisme, ont toujours servi à défendre servilement la politique et les intérêts de la bourgeoisie. Des chercheurs ont par exemple démontré qu’entre 1921 et 1968, les médias britanniques avaient pratiquement ignoré l’existence de l’Irlande du Nord !

    Mais il existe évidemment bon nombre d’exemples plus récents. Il est incontestable qu’avant même le début de la guerre en Irak, la presse américaine a servi à relayer les mensonges de la Maison-Blanche et fut par conséquent un excellent relais de propagande. Rien d’étonnant à cela lorsque l’on sait qu’entre 1993 et 2000, l’industrie des médias a versé 75 millions de dollars au financement des campagnes électorales des candidats des deux principaux partis américains. Ou quand on sait que la FCC (Federal Communications Commission), sensée fixer la réglementation des médias aux USA, était jusqu’en janvier 2005 dirigée par Michael Powell – le fils de Colin Powell. David Smith, le PDG du groupe Sinclair (le principal propriétaire de stations de télévisions aux USA) déclarait ouvertement : « Nos élus ont décidé que la guerre était dans notre intérêt. Une fois qu’ils ont pris cette décision, à tort ou à raison, je crois que nous avons l’obligation de soutenir nos troupes et qu’il faut que les Américains aillent se battre. » En avril 2004, le groupe a interdit à ses stations de programmer une émission spéciale appelée « Ceux qui sont tombés », au cours de laquelle un journaliste lisait un par un les noms des soldats américains morts en Irak.

    A l’inverse, quand il y a des informations qui peuvent s’avérer compromettantes ou tendancieuses, tout est fait pour empêcher qu’elles soient révélées. Le meilleur exemple à ce sujet est sans doute l’interdiction imposée aux médias américains de filmer les cercueils des soldats morts en Irak qui sont rapatriés vers les USA.

    Le rôle vicieux de la presse bourgeoisie a merveilleusement été illustré lors du débat autour du traité constitutionnel européen ; en gros, le message qui passait dans les médias était le suivant : tout ce qui va bien, on le doit à l’Europe, tout ce qui va mal, à l’absence de constitution. « Moi je suis pour le oui, je ne devrais pas le dire, mais je suis pour le oui. Mais je suis objectif ! » annonçait avec fierté un intervieweur d’Europe 1, le 8 février 2005. Pour la période comprise entre le 1er janvier et le 31 mars 2005, on a dénombré à la télévision 29% d’intervenants favorables au non toutes émissions confondues (journaux télévisés, débats politiques,…), et 71% de favorables au oui…

    Plus tôt, en France, lors des élections présidentielles de 2002, tout était fait pour pousser l’opinion à voter pour Jacques Chirac. « Abstention, piège à cons » était le titre de couverture du magazine Télérama. Sur tous les journaux français, sur 83 tribunes libres consacrées au scrutin présidentiel, 2 seulement remettait vaguement en question le vote pour Chirac. De même en France, pendant les mouvements de grève contre la réforme des retraites, les médias se sont acharnés pour dénoncer les nuisances des grèves. Le soir de la journée nationale d’action du 10 juin 2003, TF1 consacra 3 minutes et 47 secondes aux grévistes et manifestants contre 14 min et 5 sec à ceux qui les dénonçaient. Même topo sur France 2 : le journal télévisé du 14 mai octroyait une minute et demie aux grévistes, et 8 min 50 sec à ceux qui s’y opposaient. En réalité, dans chaque grève, les médias tentent d’amener une opposition entre les salariés en mettant en scène, d’un côté, les gêneurs (= les grévistes), de l’autre, les travailleurs « normaux » (= ceux qui ne font pas grève) qui sont « pris en otage » et essaient par tous les moyens de se rendre sur leur lieu de travail.

    Les médias peuvent donc être un allié plus qu’utile pour la bourgeoisie dans la défense de ses intérêts et de son idéologie. Le rédacteur en chef du « Time » affirmait : « Les événements ne doivent pas leur naissance à des forces historiques ou à des gouvernements ou à des classes sociales , mais à des individus » : on retrouve très clairement dans cette déclaration la vision bourgeoise de l’histoire, qui consiste à expliquer le monde à travers la vie des grands hommes. Effectivement, les médias tentent toujours de réduire les causes des événements à des personnalités, des ministres, des présidents,…Pour exemple, les deux guerres du Golfe se sont traduites en un duel entre Georges Bush et Saddam Hussein. Cette vision mène à une individualisation des luttes collectives. Un bon exemple est celui de la fameuse photo prise pendant les événements de Tien-Anmen en 1989, photo qui a fait le tour du monde : un homme seul stoppant la progression d’une colonne de chars ; les milliers de manifestants massés autour de lui ont été volontairement exclus du cadre de la photo.

    Tous les préjugés de l’idéologie bourgeoise trouvent un écho dans les médias. Les préjugés nationalistes et racistes : pendant la catastrophe du tsunami en Asie du Sud-Est, tout le monde a pu constater avec écoeurement le souci prioritaire manifesté envers les ressortissants étrangers (les touristes) et la relativisation des victimes locales (pourtant au moins cent fois plus nombreuses). Ce phénomène est particulièrement marqué dans les médias américains : avant le 11 septembre 2001, les articles consacrés à l’actualité internationale ne représentaient que 2% du total de la presse écrite américaine. Certains soirs, les journaux télévisés se concluaient sans jamais être sortis une seule fois des Etats-Unis. Après le 11 septembre, le reste du monde a tout à coup « ressurgi » dans les médias américains. La presse américaine a consacré davantage de temps à l’Afghanistan entre septembre et décembre 2001 qu’elle ne l’avait fait pendant les quatre décennies précédentes !

    Naturellement, la crise économique du système capitaliste touche également le secteur des médias. On peut ainsi voir un phénomène de concentration extrême dans le secteur des médias depuis une vingtaine d’années, qui a entraîné la disparition d’une quantité innombrables de quotidiens. Un signe révélateur est le fait que le plus jeune quotidien belge francophone est le journal « Vers l’avenir »…qui date de 1918 ! Dans le Nord du pays, il s’agit de « Het nieuwsblad » (datant de 1932). L’évolution qui se manifeste a donc pour corollaire un taux de mortalité extrêmement élevé et un taux de natalité quasiment nul, à travers une concurrence de plus en plus sévère.

    En outre, la presse est de plus en plus sous le contrôle d’un petit nombre de groupe industriels et financiers. Traditionnellement, la presse écrite était la propriété d’éditeurs purs (souvent des entreprises familiales). Depuis quelques années, on voit une accentuation de la prise de contrôle de nombreux médias par des magnats de l’industrie et/ou des finances : aujourd’hui, une poignée de multinationales contrôlent l’information. En 2001, Clear Channel possédait aux USA 1202 radios. L’homme le plus riche de Belgique, Albert Frère, est actionnaire de RTL-TVI. En Flandre, « Het Laatste Nieuws » ou « De Standaard » appartenaient à des familles d’éditeurs ; à présent, ces journaux sont sous le contrôle de groupes financiers. A la fin de l’année dernière, le quotidien français « Libération » a subi une prise de contrôle de 37% de son capital par le banquier Edouard de Rotschild. Le groupe Socpresse (qui possède 70 titres dont « Le Figaro », « L’Express » ainsi que des dizaines de journaux régionaux) a été récemment racheté par un fabricant d’armes, Serge Dassault. Dès sa prise de fonctions, celui-ci déclarait aux rédacteurs : « Je souhaiterais dans la mesure du possible, que le journal mette plus en valeur nos entreprises. » Le groupe Hachette est quant à lui déjà détenu par un autre industriel de l’armement : Arnaud Lagardère. Sur les 15 premières fortunes françaises, 5 ont des intérêts dans les médias et tirent évidemment profit de cette situation pour consolider leur position. En Italie, « Il Corriere della Sera » et « La Stampa » sont désormais contrôlés par Fiat. Silvio Berlusconi a construit un véritable « empire télévisuel » et contrôle aujourd’hui 90% de l’audience et 87% des recettes publicitaires de la télévision italienne. Il n’a pas eu de scrupules à modifier la loi afin qu’à partir de janvier 2006, la RAI puisse être totalement privatisée.

    Et c’est sans compter la reconversion technologique (notamment l’informatisation) qui demande des investissements de plus en plus lourds ; cette logique fait en sorte qu’en définitive, seuls les plus gros groupes sont capables de supporter de tels coûts.

    Le revers de la médaille de cette tendance s’exprime à travers des compressions de personnel, des fermetures d’agences, l’emploi d’un groupe le plus restreint possible de reporters et de journalistes, des licenciements de masse, la disparition de nombreux points de vente. Pour exemple, en France, depuis 1990, 4500 kiosques à journaux ont été supprimés. Aux USA, entre 2000 et 2004, plus de 2000 postes ont été supprimés dans la presse écrite. L’agence de presse Reuters a procédé au début de l’année à une réduction de ses effectifs de 4500 salariés. Le groupe Sinclair (USA) a procédé à 229 suppressions d’emplois dans ses stations en une seule année : le fait de détenir plus de 60 stations locales permet de diffuser tel quel les mêmes programmes d’une région à une autre et d’ainsi réduire fortement les coûts salariaux. Le patron s’explique : « Ce n’est pas que nous n’aimons pas les monteurs ou les cameramen. Mais la technologie a tellement évolué que les réalisateurs estiment pouvoir réaliser un travail encore meilleur en automatisant certaines de ces tâches. On peut désormais assembler un studio d’informations, avec, disons, un producteur de moins, un journaliste de moins, pas de monteur, 2 cameramen qui disparaissent, et la liste ne fait que commencer… »

    Il importe également de casser un mythe largement répandu : les journalistes bien payés sont une exception. Mis à part les journalistes vedettes et les stars du show-business comme Patrick Poivre D’Arvor, les journalistes sont en général mal payés et travaillent dans des conditions déplorables. Aux USA, les entreprises qui détiennent différents médias (presse, radio, télévision, internet,…) dans une même ville recherchent des journalistes à tout faire capables de fournir un contenu immédiatement adapté aux différents supports. Selon un professeur de journalisme de la Columbia University, « ces journalistes travaillent de 16 à 20 heures par jour et deviennent complètement fous à force d’exercer plusieurs métiers de presse à la fois ». Les mauvaises conditions de travail dans ce métier ont encore été illustrées par la récente grève à la RTBF. On ne compte plus les intérimaires ou les faux stagiaires qui travaillent gratuitement, malléables et corvéables à merci. On voit ainsi un peu partout la multiplication des CDD (contrats à durée déterminée). Selon les syndicats de France 3, en moyenne 8 des 12 reportages du journal de 19h sont réalisés par des CDD. Voici le témoignage révélateur d’un jeune CDD : « Un précaire pose moins de question. Il est plus disponible, plus docile. Il ne conteste pas les choix éditoriaux. Il ne rechigne pas à travailler les jours fériés, à traverser la France en une nuit pour rejoindre une autre station de radio. »

    Sur le plan de la formation, la situation n’est pas plus rose. Dans les écoles de journalisme, on apprend aux étudiants à être le moins critique possible, à respecter la hiérarchie,…en d’autres termes, à fermer sa gueule et à accepter la logique du marché. Au CFJ (Centre de Formation des Journalistes- Paris), le responsable « presse écrite » dit à ces étudiants : «Dans la profession, il y a un certain nombre de journalistes qui ne sont pas dans la ligne. Ici, on vous demande de suivre la ligne, de rester dans la norme. Eh oui, il y a un moule CFJ, et il faudra bien vous y couler ».Une étudiante attaque : « Pour mercredi, avec la sortie du film sur les travailleurs de chez Michelin, on aurait voulu faire un retour sur la condition ouvrière ». Le rédacteur en chef réplique aussitôt : « Ca c’est pas de l’actu. Il faut espérer qu’on aura autre chose comme actu, de l’actu qui parle un peu plus. Mercredi, je vois qu’il y a PSG-OM. Ca, ça ne peut pas être moins d’une page. »

    Le seul souci dans la formation des journalistes est de répondre aux besoins du marché. Un enseignant de l’école le dit lui-même : «Ce que vous êtes naïfs ! Les médias, c’est une industrie. On vend du papier comme d’autres vendent des poireaux. Le seul critère, c’est le résultat : l’audience ou la vente». Dans un guide pour les étudiants de l’école appelé « Pour devenir journaliste », on peut lire que le CFJ « trouve une solution à l’inadéquation de l’offre et de la demande, sait répondre aux évolutions du marché, afin de livrer des étudiants immédiatement opérationnels. », etc. La directrice de l’école conclut en beauté: « on étudie en ce moment comment se tourner pleinement vers le management. »

    Les conditions de production de l’information sont bien sûr soumises aux lois de l’économie capitaliste : productivité, maximum de rendement, … L’information est une marchandise comme les autres : le but est de faire du profit avant toute autre considération. Il faut produire un maximum d’informations en un minimum de temps, et surtout, de produire de l’information qui se vend. Le critère premier n’est donc pas le souci de l’information objective, de la pertinence des sources, etc, mais bien le marketing. Le choix, la mise en valeur et l’importance accordée aux informations est donc complètement tronquée et disproportionnée par rapport à la réalité, voire complètement fausse. En juillet 2004, de jeunes Maghrébins et Africains sont accusés d’avoir fait une agression antisémite dans le RER, à Paris. Le lendemain, le journal « Libération » concluait : « Antisémitisme, antisionisme, anticapitalisme mêlés comme aux pires heures de l’histoire ». En fait, cette agression n’a jamais eu lieu et se révèlera être un pur mensonge inventée par la soi-disante victime.

    Mais quelques chiffres valent parfois mieux qu’un long discours : depuis l’affaire Dutroux en 1996, le nombre d’articles et de reportages consacrés aux affaires sexuelles touchant des enfants a explosé. Les mots « pédophile » et « pédophilie » apparaissent 4 fois dans le journal « Le Monde » en 1989, 8 fois en 1992. On passe à 122 fois en 1996, 199 fois en 1997, 191 en 2001, 181 fois en 2002 ! Du 5 mai au 5 juillet 2004, on dénombre, dans les quatre grands quotidiens nationaux français, 344 articles sur le procès d’Outreau (affaire de pédophilie en France). Pendant la même période, ces mêmes quotidiens consacrent 3 articles sur la sortie d’une étude de l’OMS établissant que la pollution tuait chaque année plus de 3 millions d’enfants de moins de 5 ans. En 1998, les trois principaux journaux télévisés américains ont consacré plus de temps à l’affaire Monica Lewinsky qu’au total cumulé de plusieurs dossiers tels que la crise économique et financière en Russie, en Asie et en Amérique Latine, la situation au Proche-Orient et en Irak, la course au nucléaire dans le sous-continent indien !

    Dans ce contexte, il est clair que les journalistes ne peuvent pas dire ce qu’ils veulent, et doivent rester dans un cadre de pensée qui respecte le souci des actionnaires et des propriétaires du média en question. Le directeur de l’International Herald Tribune (qui appartient au groupe New York Times, coté à Wall Street) disait : « Souvent, ceux qui doivent prendre une décision journalistique se demandent si celle-ci fera baisser ou monter de quelques centimes la valeur boursière de l’action de l’entreprise éditrice. Ce genre de considérations est devenu capital, les directeurs de journaux reçoivent constamment des directives dans ce sens de la part des propriétaires financiers du journal. »

    De plus, le simple fait d’être journaliste et d’avoir sa carte de presse ne donne pas accès partout. Le journaliste doit se faire accréditer auprès de certains services de presse (UE, ministères,…). Les journalistes accrédités ne peuvent divulguer que les informations qu’on les autorise à divulguer : s’ils ne respectent pas les règles du jeu, on leur retire l’accréditation. Sans compter que la plupart du temps, les journalistes se font « acheter »: par des réceptions, des déjeuners en tête-à-tête, des voyages de presse pour accompagner le ministre ou l’homme d’affaires en déplacement à l’étranger, des voyages exotiques,…

    L’ancien journaliste du Guardian (rubrique Energie) nous donne un témoignage intéressant à ce sujet: « La compagnie de gaz britannique British Gas s’intéressa à mon travail. Chaque jour, elle dépêcha un nouvel attaché de presse avec la panoplie complète allant de la voiture tape-à-l’oeil au téléphone mobile. Le premier m’introduisit dans l’entreprise et calcula ce que mon article représenterait pour la compagnie en termes de gains ou de pertes potentiels. Le deuxième fit survoler la baie de Morecambe en hélicoptère pour me conduire sur la plateforme de forage que British Gas avait fait construire. Le troisième m’invita à un dîner arrosé de bon vin, au cours duquel il m’abreuva de considérations sur la stratégie de l’entreprise. Et le quatrième m’accompagna pour rencontrer le président de la compagnie. Après avoir été traité de la sorte, j’ai dû déployer des efforts considérables pour mordre la main qui m’avait nourri en me fournissant toutes ces informations. Et mordre signifiait dire au revoir à tout ce que British Gas pouvait m’offrir de bon ».

    On en arrive vite à ce qu’on peut appeler le « journalisme promotionnel », très bien résumé par cette phrase de Patrick Le Lay, patron de TF1 : « Le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola à vendre son produit. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. ». En Italie ou aux USA, il n’est désormais plus rare de voir des spots publicitaires insérés à plusieurs reprises en plein milieu du journal télévisé.

    Comme on l’a déjà vu, les politiques de privatisation n’on pas épargné le secteur des médias. Ce phénomène de désengagement public implique que les médias sont de plus en plus dépendants de leur budget publicitaire. Le média qui fait une appréciation négative sur un produit court le risque de se voir retirer le budget publicitaire du fabricant. En Belgique, le numéro un des investissements publicitaires dans les médias est le secteur automobile. Ce dernier élément explique les nombreux suppléments « auto » dans les quotidiens. Lors de l’ouverture du dernier salon de l’auto, « La Libre Belgique » a ainsi consacré 5 pages à ce grand événement…

    Pendant l’été 2005, la direction du groupe automobile Volkswagen lança à travers la presse la rumeur d’une fermeture du site de Forest. Cela fit naître un meilleur état d’esprit au sein de l’entreprise pour faire passer d’autres mesures moins « radicales », mais néanmoins tout aussi désavantageuses pour les travailleurs de l’usine. En janvier 2001, la multinationale Danone a fait la même chose grâce à la complicité des médias français. La presse annonçait le licenciement de 1700 travailleurs chez Danone ; il s’en suivit un large mouvement de contestation. Au coeur du mouvement, la direction annonça qu’il n’y aurait finalement « que » 500 pertes d’emplois. Conclusion : réaction de soulagement de la part d’une bonne partie du personnel et arrêt du mouvement. La presse sert ainsi souvent, pour le patronat et les politiciens bourgeois, de « ballon d’essai », de moyen destiné à tester un projet, une hypothèse de travail et mesurer quelles en seront les réactions. Il ne faut donc pas se leurrer : quand on parle de « fuite » dans la presse, il s’agit dans bien des cas de fuites volontaires.

    Ces dernières années, les chiffres montrent une baisse particulièrement significative de diffusion de la presse écrite. A l’échelle mondiale, la diffusion de journaux chute en moyenne, chaque année, de 2%. Le quotidien américain « International Herald Tribune » a vu ses ventes baisser en 2003 de 4,16% ; au Royaume-Uni, le « Financial Times » a chuté de 6,6 % ; en Allemagne, au cours des 5 dernières années, la diffusion a baissé de 7,7 %, au Danemark de 9,5%, en Autriche de 9,9%, en Belgique de 6,9%. Même au Japon (dont les habitants sont les plus gros acheteurs de journaux), on compte un recul de 2,2%. Au sein de l’UE, au cours des huit dernières années, le nombre de quotidiens vendus a diminué de 7 millions d’exemplaires. Il existe à cela certaines raisons externes tels que la montée d’internet, ou l’apparition des quotidiens gratuits (« Metro »,…). L’augmentation importante du prix des journaux cumulée à une baisse du pouvoir d’achat pour la majorité de la population n’y est sans doute pas pour rien non plus.

    Mais la raison première est sans aucun doute la perte de crédibilité de la presse écrite, tout comme des médias au sens large ; non seulement du fait que la qualité des journaux ne fait que se détériorer (les mensonges, les manipulations, et autres distorsions de l’information ne cessent d’augmenter), mais aussi parce la période dans laquelle on se trouve aujourd’hui se caractérise par une remise en question croissante de l’idéologie bourgeoise et du discours néo-libéral relayé par les médias. La confiance dans les institutions bourgeoises et dans ses relais idéologiques, dont les médias font partie, ne cesse de s’effriter. Cela renforce d’autant plus l’importance de diffuser une presse ouvrière, une presse de gauche qui défend les intérêts des travailleurs et des jeunes.

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