Category: Europe

  • Islande : Appel à la grève générale et lutte pour de meilleurs salaires

    Islande_greveLe jeudi 30 avril fut, en Islande, le commencement d’une série de grèves pour revendiquant des salaires plus élevés. 10.000 travailleurs se sont mis en grève et 60.000 sont prêts à les rejoindre pour une grève générale le 26 mai. Les grévistes sont massivement soutenus : les sondages indiquent que 91,6 % leur sont favorables.

    Per-Åke Westerlund, Rättvisepartiet Socialisterna (section suédoise du Comité pour une Internationale Ouvrière)

    Le redressement de l’économie, après sept ans de crise et de gel des salaires, semble être derrière les grèves. La revendication principale portée par les travailleurs est une augmentation du salaire minimum étalée sur trois ans, pour passer de 1370 € à 1900 € par mois (de 214.000 couronnes islandaises à 300.000). Après sept ans de travail, le salaire est habituellement de 1.420 € par mois (222.000 couronnes islandaises). De plus en plus de travailleurs sont obligés d’avoir deux emplois pour survivre. En plus des salaires, les grévistes exigent également une amélioration de leurs conditions de travail, notamment concernant le droit à bénéficier d’une formation continue.

    Dans l’industrie de la pêche, le paiement de milliards de dividendes et l’augmentation de 33% des salaires des cadres supérieurs de l’une des plus grandes entreprises du secteur (HB Grandi) ont encore accru la pression. Les revendications syndicales ne coûteraient à cette société qu’un dixième des bonus des managers (2,7 milliards de couronnes) !

    Environ 85% des travailleurs sont syndiqués en Islande et les trois confédérations syndicales (cols bleus, cols blancs et universitaires) sont très forts. La SGS (Fédération des travailleurs général et spéciaux) organise 19 syndicats, essentiellement dans le secteur privé, et représente plus de la moitié des membres de l’ASI (Fédération islandaise du travail). 94,6% des membres de la SGS qui ont participé au vote se sont prononcés en faveur de la grève.

    10.000 grévistes

    Le 30 avril, 10.000 travailleurs de 2000 sociétés différentes ont participé à une grève de 12 heures. Les hôtels, les autocars et l’industrie du tourisme en pleine expansion de manière générale étaient encore en activité. Dans l’industrie de la pêche, où les employeurs ont déjà promis certaines concessions, la grève était totale. La pression pour des augmentations de salaire existe dans toutes les professions. 3.000 employés de l’Université, membres du syndicat académique, sont en grève depuis le 7 avril. Les avocats des autorités gouvernementales et les techniciens des soins de santé sont également en grève. Les enseignants et les médecins ont quant à eux reçu des augmentations de salaire.

    Si la fédération patronale ne cède pas, toute une série de grèves sont prévues durant le mois de mai. Il y aurait ainsi deux grèves de 48 heures les 6 et 7 mai et les 19 et 20 mai. Ensuite, une grève générale illimitée commencerait à partir du 26 mai. La fédération des cols bleus, ASI, a annoncé que plus de 56.000 de ses membres prendront part à la grève générale.

    Les travailleurs représentent un peu plus d’un tiers de la population de 300.000 habitants du pays. Le soutien pour les syndicats est massif. Le blog islandsbloggen rapporte que 91,6% de la population soutient les revendications de hausse des salaires et seuls 4,3% y sont opposés. Le soutien est le plus fort parmi les femmes et les travailleurs peu qualifiés. 45% ont répondu que le salaire minimum devrait même être supérieur à ce qu’exigent les syndicats.

    Mécontentement politique

    Ces grèves reflètent également le mécontentement politique. Dans un sondage d’opinion rapportée par islandsbloggen, le Premier ministre Sigmundur Davíð Gunnlaugsson avait très peu de soutien. «Seuls 9% pensent qu’il est honnête. Et seuls 5% disent qu’il connecté au public. La dirigeante de la Gauche Verte, Katrín Jakobsdóttir, bénéficie des chiffres les plus positifs.» Un autre récent sondage indique que le Parti Pirate serait devenu le parti le plus populaire avec 23,9%. Le Parti de l’indépendance, qui est actuellement au pouvoir, a obtenu 23,4%. «Pour être honnête, je ne sais pas pourquoi nous avons tant de confiance» a déclaré la dirigeante du Parti Pirate Birgitta Jonsdottir. Elle poursuit : «la politique traditionnelle n’a engrangé aucun progrès et les gens sont fatigués d’attendre le changement.»

    Lorsque la crise financière a frappé l’Islande, de nombreuses manifestations ont secoué le pays. Depuis lors, le mouvement avait perdu de son souffle en l’espoir d’un changement. Aujourd’hui, la plupart des travailleurs se rendent compte que rien ne se produira sans lutte. Le soutien massif en faveur des grèves illustre également quel est le potentiel pour construire un nouveau parti des travailleurs, un parti de classe avec des racines dans les lieux de travail, pour défendre une alternative socialiste contre le capitalisme et les partis de l’establishment.

  • [VIDEO] Grèce : quelles perspectives pour le mouvement anti-austérité?

    Mardi 28 avril dernier, Antarsya Belgique a réuni pour un débat Panagiotis Sotiris (membre du comité central d’Antarsya, la coalition de la gauche anticapitaliste grecque, venu spécialement d’Athènes), Eric Byl (Parti Socialiste de Lutte), Céline Caudron (LCR/SAP), Jean Flinker (Attac Bruxelle) et Kyle Michiels (Vonk/Révolution). La vidéo ci-dessous reprend la prise de parole de notre camarade Eric Byl, qui a également fait des parallèles avec les luttes sociales en Belgique.

    Vidéo de Yiorgos Vassalos

  • [VIDEO] Élections britanniques: votez TUSC

    Malgré la politique d’austérité drastique du gouvernement conservateurs/libéraux-démocrates, les sociaux-démocrates du Parti Travailliste ont du mal à décoller. Le mécontentement des électeurs britanniques a assuré le développement d’autres partis, parmi lesquels l’UKIP, un parti de droite populiste.

    Dans le même temps s’est ouvert un espace pour une alternative aux politiques d’austérité. Avec des moyens limités, la Trade Unionist and Socialist Coalition (TUSC), une alliance de militants socialistes et syndicalistes, veut approfondir le débat sur la nécessité d’un prolongement politique pour le mouvement des travailleurs. La TUSC présentera 135 candidats pour les élections parlementaires et 700 pour les élections locales qui se dérouleront en parallèle. Nos camarades du Socialist Party participent activement à cette initiative. Voici ci-dessous leur vidéo de campagne.

  • [DOSSIER] Le «marxisme erratique» de Varoufakis n’est pas la solution

    Il est nécessaire de préciser les idées qui permettront à la classe ouvrière européenne d’être victorieuse dans ses luttes.

    Newly appointed Greek Finance Minister Varoufakis attends a hand over ceremony in AthensLe ministre des finances grec Yanis Varoufakis joue un rôle clé dans le gouvernement dirigé par Syriza en Grèce, un gouvernement élu sur base d’un programme radical anti-austérité. Il se qualifie lui-même de «marxiste erratique». Qu’est-ce que cela signifie, au juste ? Et quel programme peut permettre à la lutte des travailleurs grecs d’être victorieuse ?

    Peter Taaffe, article issu de Socialism Today (mensuel de nos camarades du Socialist Party, section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et au Pays de Galles)

    Yanis Varoufakis, l’extravagant ministre des finances du nouveau gouvernement grec dirigé par Syriza, a joué un rôle crucial dans la lutte qui oppose le peuple grec, déjà accablé par le poids de l’austérité, et l’UE qui entend leur imposer un nouveau plan tout aussi cruel. L’apparente attitude de défi du premier ministre, Alexis Tsipras, qui exige un allègement provisoire de la dette grecque, a captivé l’attention et obtenu le soutien de la classe ouvrière européenne et grecque. Tsipras, avec le soutien de Varoufakis, a traversé l’Europe sans cravate, avec ses bottes de moto, pour rencontrer ses homologues européens très collet monté.

    Les sondages d’opinion font état de cette réalité, avec 36% des voix obtenues par Syriza lors des élections générales du 25 janvier et, désormais, d’après l’hebdomadaire The Observer, «dans les sondages du 25 février, le soutien pour Syriza avait explosé pour atteindre 47,6% […] La semaine dernière, le ministre des finances, Yanis Varoufakis – considéré par nombre de ses pairs comme un marginal–, a été accueilli par une foule d’électeurs reconnaissants alors qu’il se promenait sur la place Syntagma.» Même la classe moyenne ainsi que d’éminents «entrepreneurs» ont salué l’attitude du gouvernement qui semble se dresser contre les exigences «impérialistes» émanant de la Troïka et de l’Europe : «Ils nous ont rendu notre voix […] Pour la première fois, nous avons l’impression d’avoir un gouvernement qui défend nos intérêts.» (The Observer, 1er mars)

    Cette attitude reflète la farouche résistance du peuple grec face au statut pratiquement néocolonial que les «riches» d’Europe – les capitalistes, les banquiers, etc. qui dominent l’UE – leur ont attribué. Mais la crise n’est pas terminée, et les exigences visant à continuer l’application d’une austérité brutale non plus. En réalité, le gouvernement est sur le fil du rasoir ; il pourrait faire face à d’autres exigences humiliantes et subir un échec dans les mois à venir. Ou il pourrait appeler le peuple grec à se montrer solidaire et à mener des actions communes ; dans un premier temps la classe ouvrière grecque et ensuite, tout aussi importante, la classe ouvrière européenne et mondiale.

    À cet égard, le quotidien The Guardian a publié (le 9 mars) : «Le gouvernement grec anti-austérité a agité le spectre de nouvelles querelles politiques dans ce pays ébranlé par la crise lorsqu’il a affirmé qu’il envisageait d’organiser un référendum et de nouvelles élections…» Les enjeux se sont également multipliés lorsque, dans un stratagème principalement propagandiste, il a annoncé sa volonté de poursuivre l’Allemagne capitaliste en justice pour les crimes de guerre que les nazis ont commis contre le peuple grec au cours de la Seconde Guerre mondiale, qui pourraient représenter une somme de 341 milliards d’euros, plus qu’assez pour annuler la dette grecque !

    Le marxiste erratique

    Face au chantage de l’Europe capitaliste, briguer un nouveau mandat est sans aucun doute une option, mais sur quelle base et avec quel programme ? Ce qui nous amène à une autre question : quels sont les principes et les perspectives qui guident le gouvernement, et notamment ses figures de proue ? Si le discours donné par Varoufakis en 2013, qui a ensuite fait l’objet d’un article détaillé dans le quotidien The Guardian le 18 février 2015, est un exemple à suivre, alors toute perspective de changement radical pour les travailleurs semble n’être qu’un rêve lointain. Heureusement, cette décision ne lui appartiendrait ni à lui, ni au gouvernement si les masses venaient à se mobiliser énergiquement dans une situation dynamique qui évolue rapidement, exigeant l’adoption de mesures urgentes telles que la nationalisation des banques et des établissements financiers. Il s’agit là du minimum nécessaire pour empêcher les capitalistes de perpétrer leur acte de sabotage, qui a déjà commencé au vu des fuites de capitaux à hauteur de plusieurs milliards d’euros qui s’échappent chaque jour de Grèce.

    C’est également vrai en ce qui concerne l’annulation des scandaleuses propositions de privatisation, la prévention des expulsions de logements, etc. promises par Tsipras et Syriza avant les élections. Il n’est pas dit que les masses, qui offrent pour le moment un généreux délai au gouvernement pour appliquer son programme, ne perdront pas patience et ne décideront pas d’agir au moyen d’un mouvement du type Occupy, en envahissant non seulement les places, mais également les entreprises et les lieux de travail.

    Varoufakis se qualifie lui-même dans son discours de «marxiste erratique». Il est certain que son analyse est erratique et en aucun cas cohérente avec les revendications de la classe et du mouvement ouvrier grec. Il y a des éléments de «marxisme» dans son analyse, issus des écrits marxistes par exemple, mais qui ne sont absolument pas corrects. Plus inquiétante encore, compte tenu de sa position privilégiée au sein du gouvernement, est sa conclusion selon laquelle il serait nécessaire de sauver le capitalisme européen «de lui-même».

    Il écrit : «En 2008, le capitalisme a connu son deuxième spasme mondial.» Pourtant, 2008 marquait le début d’une crise mondiale du capitalisme ; il ne s’agissait pas d’un «spasme». Dès le départ – alors que la crise des subprimes se profilait dans le secteur immobilier américain en 2007 – le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) a décrit ce phénomène, non pas comme un évènement économique épisodique semblable à ceux que nous en avions connus auparavant, mais bien comme le début d’une interminable crise économique mondiale, généralisée et dévastatrice. Tous les facteurs étaient réunis, notamment une série de bulles financières que nous avions analysées et décrites tout au long du boom économique disproportionné. En outre, nous soutenions que le capitalisme ne serait pas capable de se sortir facilement de cette crise financière, ce qui exigerait du mouvement ouvrier qu’il adopte un programme d’action ouvertement socialiste pour défendre les conditions de vie des travailleurs et changer la société.

    Varoufakis a tiré des conclusions complètement différentes de cet évènement précurseur : «Devrions-nous voir cette crise du capitalisme européen comme une occasion de le remplacer par un meilleur système ? Ou devrions-nous être inquiets au point de nous lancer dans une campagne de stabilisation du capitalisme européen ? Pour moi, la réponse est claire. Les chances que la crise que traverse l’Europe donne lieu à une meilleure alternative au capitalisme sont bien moindres que celles qu’elle déclenche des forces régressives dangereuses capables de provoquer un bain de sang mondial et anéantisse tout espoir de voir un jour un changement progressif s’opérer pour les générations à venir.»

    Pourtant, si le capitalisme n’est pas encore mûr (il est même pourri jusqu’à la moelle) et prêt à être remplacé par un système plus équitable et plus humain durant une crise dévastatrice, alors quel est le bon moment pour exposer les grandes lignes d’une solution socialiste et se battre pour cette cause ?

    Trahison des sociaux-démocrates

    Au début de la Première Guerre mondiale, ce type de philosophie politique – aujourd’hui remise au goût du jour par Varoufakis – a mené tout droit à la trahison des sociaux-démocrates et à l’échec des vagues révolutionnaires qui ont suivi. En Allemagne, les traîtres sociaux-démocrates ont estimé que la première tâche à réaliser consistait à secourir la «civilisation» en «sauvant» le capitalisme – même s’ils ne le disaient pas aussi ouvertement et franchement que Varoufakis dans son article. Ils l’ont démontré en votant pour l’octroi de crédits de guerre destinés au régime du Kaiser Guillaume, alors que le socialisme et le changement de la société, dans la mesure où ils restaient des objectifs à leurs yeux, étaient relégués à un avenir lointain plus «favorable». (Lire notre dossier : La capitulation de la deuxième internationale)

    Varoufakis emploie une stratégie identique : «Je suis triste car je ne serais probablement plus là pour voir un programme plus radical à l’ordre du jour.» Comment peut-il savoir à quelle vitesse la conscience des travailleurs grecs évoluera, surtout dans le contexte d’une situation économique objectivement prérévolutionnaire ? Même le grand marxiste qu’était Lénine, à la veille de la révolution russe à la fin de l’année 1916, se demandait si sa génération vivrait assez longtemps pour connaître la révolution socialiste. Pourtant, à peine une année plus tard, en octobre 1917, il se trouvait à la tête de la plus importante révolution de la classe ouvrière, l’évènement le plus marquant de l’histoire de l’Humanité à ce jour. Toutefois, même s’il songeait aux perspectives futures du socialisme, c’était sans répit que Lénine préparait et mobilisait les forces de la classe ouvrière avec le Parti bolchevique pour être prêt à prendre le pouvoir au bon moment. Les travailleurs grecs peuvent encore initier un processus similaire en Europe, ou au moins dans le sud de l’Europe, et même à l’échelle mondiale.

    En revanche, les sociaux-démocrates allemands, et ceux qui ont suivi la même voie, ont cherché à sauver le capitalisme en entrant au sein de gouvernements capitalistes sanguinaires. Ensuite, quand la révolution allemande a explosé en 1918, ils ont ouvertement soutenu les partis capitalistes. Lorsque ces derniers ont été discrédités, ils ont défendu le système capitaliste en passant par des gouvernements au sein desquels ils avaient la majorité. De cette manière, ils ont incarné le principal obstacle gouvernemental à la prise de pouvoir par la classe ouvrière. D’autre part, Rosa Luxemburg a posé un ultimatum à la classe ouvrière et à l’humanité tout entière : «socialisme ou barbarie».

    Sa prédiction s’est tout à fait réalisée. L’échec de la révolution entre 1918 et 1923 et les perspectives révolutionnaires qui ont existé entre 1929 et 1933 ont échoué à cause du rôle criminel qu’ont joué les dirigeants des partis de masse de travailleurs, les sociaux-démocrates et le Parti communiste, qui ont refusé d’organiser une résistance unie face aux nazis. Les conséquences de ces échecs sont bien connues : l’arrivée au pouvoir d’Hitler et la destruction de la classe ouvrière organisée qui s’en est suivie, provoquant les horreurs de la Seconde Guerre mondiale et des millions de victimes. Il est vrai qu’aujourd’hui, nous ne sommes pas face à la perspective immédiate du socialisme ou de la barbarie, en Grèce et en Europe globalement. Mais il existe suffisamment d’éléments de barbarie en Grèce – la faim et des souffrances inqualifiables, la montée du parti néo-fasciste Aube dorée, etc. – qui indiquent que, à moins que la classe ouvrière et ses organisations ne soient prêtes à lutter pour un changement radical dans la société, cet ultimatum pourrait redevenir d’actualité dans quelque temps.

    Sauver le système capitaliste européen

    L’expérience de la social-démocratie – ou, pour être plus précis, l’ex-social-démocratie –, tant historique que contemporaine, nous montre qu’elle est incapable de prévenir cette réalité. Elle n’est même pas capable de mener une seule réforme radicale sur le long terme au sein du système capitaliste européen miné par les crises et pourri jusqu’à la moelle. Aujourd’hui, aucune réforme soutenue ne peut être menée à moins qu’elles soient le résultat de luttes radicales et même révolutionnaires.

    Nous avons pu l’observer à travers les récents résultats des gouvernements sociaux-démocrates au pouvoir en Europe, et par les expériences de Varoufakis lui-même : «Lorsque je suis revenu en Grèce en 2000, je me suis jeté à l’eau avec le futur premier ministre, George Papandreou, en espérant freiner le retour en force au pouvoir de la droite qui voulait pousser la Grèce vers la xénophobie tant sur le plan national qu’au niveau de sa politique étrangère […]. Mais au final, le parti de Papandreou a non seulement été incapable d’endiguer la xénophobie, mais il a également orchestré la mise en œuvre de politiques macroéconomiques néolibérales extrêmement virulentes, qui ont à leur tour servi de fer de lance pour les soi-disant plans de sauvetage de la zone euro, causant involontairement le retour des nazis dans les rues d’Athènes.»

    Nous devons garder à l’esprit que le Pasok, dans les mots tout du moins, n’a pas toujours agit d’une manière aussi lâche par le passé. Les «réformistes» n’ont pas toujours été des traîtres. Ils ont apporté des améliorations parfois considérables dans les conditions de vie des masses. À une époque, le Pasok a aussi été plus à gauche, adoptant même des revendications «révolutionnaires». L’irruption de la crise grecque, européenne et mondiale a complètement changé la situation, particulièrement lorsqu’il siégeait au gouvernement. Comme ses partis frères en Grande-Bretagne, en France, en Italie, etc., le Pasok n’avait aucunement l’intention d’en finir avec le cercle vicieux du système capitaliste malade et a décidé d’accomplir les souhaits de la Troïka. Ce qui a créé les conditions qui permettent à Aube dorée de prospérer. Le même destin attend n’importe quel gouvernement qui suivrait les conseils économiques et politiques de Varoufakis, qui consistent, comme il l’admet, à sauver le capitalisme.

    Il écrit : «Si cela signifie qu’il nous incombe, à nous marxistes erratiques, d’essayer de sauver le système capitaliste européen de lui-même, alors c’est ce que nous ferons. Pas par amour du système, de la zone euro, de Bruxelles ou encore de la Banque centrale européenne, mais tout simplement parce que nous voulons minimiser le coût inutile que cette crise fait peser sur la société. Une sortie de la zone euro, qu’elle soit grecque, portugaise ou italienne, provoquerait une fragmentation rapide du système capitaliste européen.» Mais l’Europe, tant au sein de la zone euro qu’à l’extérieur, est déjà divisée à cause de l’instauration de cette devise. Au lieu de créer un nouvel internationalisme, comme ses partisans le soutenaient, cette devise a renforcé les antagonismes nationaux, provoquant la croissance de nationalismes capitalistes parfois virulents.

    Les contradictions de la zone euro

    Dès le départ, l’euro a été introduit dans le cadre d’énormes contradictions. Il s’agissait d’une tentative de la part des capitalistes – reflétant la croissance des forces de production (science, technique, organisation du travail) qui cherchaient à s’organiser à l’échelle continentale et mondiale – de dépasser les limites, le carcan, de l’État-nation. Comme nous l’avons constamment répété, il s’agit d’une tâche impossible sur une base capitaliste, même si les divisions nationales étaient dissimulées – d’une certaine façon déguisées – par le boom économique qui s’est spectaculairement effondré en 2007-2008.

    La création d’une devise commune et de la zone euro a fait naître l’illusion – au sein de la gauche et du mouvement ouvrier, même dans les cercles «trotskistes » tels que le Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale – que le capitalisme pourrait dépasser les contradictions nationales et faire apparaître un nouveau type de «capitalisme européen». Ce qui pourrait leur offrir, affirmaient-ils, de nouvelles occasions d’unifier la classe ouvrière à l’échelle continentale. Toutefois, nous avions anticipé que les divisions nationales – les États et armées séparés, etc. – qui n’avaient pas complètement disparu, réapparaîtraient brutalement en cas de crise économique. Et c’est exactement ce qui s’est produit. En effet, les conflits nationaux, et le poison des divisions raciales qui en découle, la montée de l’extrême droite, etc. sont beaucoup plus marqués à présent qu’à la création de la zone euro.

    Cela signifie-t-il que nous devrions adopter une approche sectaire nationaliste et que chaque pays devrait chercher une solution à ses problèmes économiques uniquement au sein de sa propre sphère nationale ? Au contraire, les forces de production ont un besoin pressant d’être organisées à l’échelle européenne et même mondiale. Mais la seule force capable de réaliser cette tâche historique est la classe ouvrière. D’où notre slogan : «Non à l’Europe des patrons ; oui à une confédération socialiste européenne». Les luttes menées au niveau national sont étroitement liées à la situation internationale – en premier lieu, au sein de l’Europe. La classe ouvrière grecque l’a compris instinctivement, comme le montrent les points communs et la solidarité qu’elle partage avec les travailleurs du sud de l’Europe, notamment l’Espagne, le Portugal et l’Italie, et vice-versa. On a pu voir cette solidarité à l’œuvre lorsque les dirigeants de Podemos ont participé à la manifestation de masse organisée en Grèce avant les élections.

    Une situation britannique mal comprise

    Varoufakis, dans son analyse, s’inspire fortement des expériences du mouvement ouvrier britannique – il y a vécu dans les années ‘80 – comme le fait la Grèce. Malheureusement, la grosse dose de pessimisme dont il fait preuve est ce qui a caractérisé l’aile eurocommuniste du Parti communiste britannique réunie autour du journal Marxism Today (disparu en 1991), qui l’a probablement influencé. Cette tendance leur a fait complètement capituler politiquement face aux idées néolibérales et, par conséquent, pratiquement disparaître en tant que tendance majoritaire. Elle est devenue la cinquième roue d’une social-démocratie en déclin, endossant la présidence du Parti travailliste britannique de Neil Kinnock et sa contre-révolution politique contre les marxistes – provoquant l’expulsion des partisans de la tendance marxiste Militant (prédécesseur du Socialist Party d’Angleterre et du Pays de Galles) – et l’abandon officiel de l’objectif du socialisme par le Parti travailliste, tout cela sous couvert d’une «modernisation» du marxisme, d’une adaptation à la prétendue situation contemporaine.

    En réalité, il s’agissait là d’un abandon de l’approche de la lutte des classes. Varoufakis fait une tentative similaire dans son article, en accusant même faussement Karl Marx d’avoir commis une erreur en n’anticipant pas comment le fait que ses idées pourraient être détournées à l’avenir, le sous-entendu étant qu’il n’avait pas anticipé le stalinisme. Pourtant, Marx avait très justement déclaré à propos des amateurs de slogans : «Si c’est ça le marxisme, alors je ne suis pas marxiste.»

    Varoufakis affirme également : «Cette volonté d’avoir une histoire ou un modèle complet, terminé, d’avoir le dernier mot, est une chose que je ne peux pas pardonner à Marx.» Mais le marxisme n’est aucunement un système fermé. Il s’agit d’une méthode d’analyse flexible, qui a été mise à l’épreuve et s’est vérifiée à travers l’expérience. Dans les mains d’un bon travailleur, il peut être un outil utile et nécessaire, mais dans celles d’un mauvais travailleur il peut fournir un mauvais résultat. Par ailleurs, les dogmatistes, qui ont très peu de choses en commun avec le véritable marxisme, peuvent interpréter des idées de manière unilatérale et pas de manière dialectique. Dans le mensuel Socialism Today, nous avons clairement indiqué que nous n’étions pas d’accord avec ceux qui cherchent à imposer mécaniquement de prétendues «lois» sur la réalité de la vie – tels que la loi en vertu de laquelle les taux de profit ont tendance à chuter, nous réfutons avec vigueur qu’il s’agit de l’unique explication, comme certains le font, de la crise actuelle du capitalisme.

    Dire que Marx est responsable du stalinisme, comme l’implique clairement Varoufakis, est une erreur. Le stalinisme était au départ la conséquence de l’isolation de la révolution russe et de sa dégénérescence, mais il a été utilisé pour dénaturer et corrompre les véritables idées du marxisme. Il est complètement anhistorique d’accuser Marx du détournement criminel qui a été fait de sa méthode et de ses idées. Néanmoins, Marx avait anticipé les problèmes de la bureaucratie et l’adoption de procédures anti-démocratiques au sein du mouvement ouvrier et même d’un État ouvrier. C’est pour cela qu’il a écrit, avec Friedrich Engels, sur la Commune de Paris de 1871, où Marx a pu s’inspirer de l’exemple vivant d’une démocratie ouvrière et de la manière dont un État ouvrier démocratique serait construit : les élections des dirigeants, le fait que les élus ne gagnent pas plus que le salaire d’un ouvrier, le droit de révoquer un élu à tout moment, etc.

    Varoufakis écrit à propos de ses expériences en Grande-Bretagne : «Bien que le taux de chômage ait doublé et ensuite triplé à la suite des interventions néolibérales radicales de Thatcher, j’ai continué à espérer que Lénine avait raison : «La situation doit s’empirer avant de s’améliorer.» Au fur et à mesure que la vie devenait de plus en plus difficile, brutale et pour beaucoup, plus courte, je me suis rendu compte de ma tragique erreur : la situation pouvait s’empirer à perpétuité, sans jamais s’améliorer… À chaque nouveau tour de vis de la récession, la gauche devenait plus introvertie, plus incapable de produire un programme progressif convaincant et, pendant ce temps-là, la classe ouvrière se divisait entre ceux qui vivaient en dehors de la société et ceux qui ont choisi de jouer le jeu du néolibéralisme. Mon rêve dans lequel Thatcher provoquerait sans le vouloir une nouvelle révolution politique était bel et bien une chimère. Tout ce qu’on a retenu du thatchérisme, c’est l’extrême financiarisation, la victoire des centres commerciaux sur les magasins de proximité, le fétichisme de l’immobilier et Tony Blair.»

    Il va plus loin : «Oui, j’aimerais bien proposer un programme aussi radical. Mais non, je ne suis pas prêt à commettre deux fois la même erreur. À quel résultat en est-on arrivé en Grande-Bretagne au début des années ‘80 en mettant en avant un programme socialiste en faveur d’un changement que la société britannique méprisait et en tombant directement dans le piège néolibéral tendu par Thatcher? Justement, à rien. À quoi bon appeler aujourd’hui à un démantèlement de la zone euro ou de l’Union européenne quand le capitalisme européen fait absolument tout ce qui est en son pouvoir pour saper la zone euro, l’Union européenne, et même lui-même?»

    Varoufakis trahit sa méconnaissance époustouflante de ce qui s’est réellement produit en Grande-Bretagne. Thatcher n’a pas triomphé sans le moindre heurt, comme il semble le suggérer. Elle a provoqué la grève des mineurs – «une guerre civile sans armes» – qui, par ailleurs, a eu un puissant effet sur la Grèce à l’époque qui a héroïquement lutté contre la droite. Il y a également eu l’affrontement épique à Liverpool au cours duquel notre prédécesseur, Militant, ainsi que le conseil de la ville de Liverpool, l’ont emporté face à Thatcher. La victoire a également été remportée lors de la lutte contre la Poll Tax, quand Militant a rassemblé 18 millions de personnes dans sa campagne de masse de boycott de la taxe, ce qui a permis de reléguer cette taxe aux annales de l’histoire avec Thatcher elle-même, comme elle l’a admis plus tard dans sa biographie.

    La victoire de Thatcher n’était pas nécessairement inévitable. Il y a eu certaines occasions qui, si elles avaient été saisies, auraient pu conduire à la victoire du mouvement des travailleurs. La trahison des mineurs par les délégués syndicaux, ainsi que la présidence corrompue du Parti travailliste par Kinnock, qui a également poignardé le conseil de Liverpool dans le dos, ont été des éléments essentiels à sa victoire. Varoufakis pense-t-il que si les travailleurs britanniques avaient évité de tirer des conclusions socialistes et s’en étaient tenus à son programme minimaliste «progressif», ils auraient eu davantage de succès ?

    Essayer de gagner du temps

    L’approche de Varoufakis s’inspire directement de l’opinion des capitalistes libéraux, comme Will Hutton et sa Resolution Foundation ou le dirigeant travailliste Ed Miliband. Les collaborateurs espagnols de la direction de Syriza, Podemos, pourraient être en passe de remplacer le très mal nommé Parti socialiste (PSOE) en tant que première force de gauche, précisément parce que le PSOE s’est discrédité en courbant l’échine devant le capitalisme espagnol. Cette capitulation s’est déroulée lors d’un énorme boom économique et pourtant le PSOE a été éjecté du pouvoir. Comment un gouvernement social-démocrate pourrait-il être davantage discrédité au cours d’une crise ?

    Il suffit de regarder la situation en France, où le dirigeant du Parti socialiste, François Hollande, est arrivé au pouvoir en promettant un sévère impôt sur le capital et une vague de réformes qui profiteraient aux travailleurs, tout cela pour faire marche arrière par après et tout faire pour mener un programme néolibéral. Cela les a conduits, lui et ses partisans, à un affrontement avec ce qu’il reste de la gauche au sein de son parti, ainsi qu’avec la gauche extra-parlementaire et la classe des travailleurs. Par conséquent, des millions de travailleurs qui avaient voté pour le Parti Socialiste commencent à désenchanter sérieusement, et certains sont même séduits par l’idée de soutenir l’extrême droite en donnant leur voix au Front National de Marine Le Pen.

    Bien qu’ils ne le disent pas aussi ouvertement que Varoufakis, Hutton et Miliband (Parti Travailliste) critiquent les «partisans de l’austérité» comme le premier ministre David Cameron et l’actuelle coalition conservateurs / Libéraux-démocrates au pouvoir. Ils prônent plutôt une forme de capitalisme qui soit «meilleure» et, dans le cas de Miliband, «moins prédatrice». Mais Miliband et les conservateurs se prononcent également en faveur des coupes budgétaires dans les dépenses publiques, tout en promettant qu’elles seraient un peu moins lourdes. Quel résultat politique peut-on espérer d’une telle position ? Un désintérêt massif pour la politique et un désenchantement des anciens partisans travaillistes. Même si un gouvernement travailliste dirigé par Miliband parvenait à décrocher le pouvoir, en tant que minorité ou au sein d’une quelconque coalition, il serait in capable de réaliser son programme minimum sans devoir affronter les impitoyables défenseurs du système.

    Pour justifier ce qu’il considère clairement comme une approche différente, Varoufakis parle d’«un capitalisme européen répugnant dont l’implosion, en dépit de ses nombreux maux, devrait être évitée à tout prix. [Ceci] est une confession visant à convaincre les radicaux du caractère contradictoire de notre mission : arrêter la chute libre du capitalisme européen en vue de gagner du temps pour formuler son alternative.»

    Mais alors, pourquoi lui et d’autres critiques du marxisme n’ont-ils pas été capables de prévoir, avant 2008, avec leur analyse des processus du capitalisme, que le système se dirigeait tout droit vers le mur ? C’était la position défendue par le Comité pour une Internationale Ouvrière et son organisation grecque, Xekinima, qui combinait cette analyse à un programme de défense de la classe des travailleurs face à la catastrophe économique.

    Ce programme faisait le lien avec l’idée qu’il fallait saisir l’occasion qui se présenterait pour développer l’alternative socialiste, car c’était l’unique manière de s’en sortir pour les travailleurs et leurs alliés. Pourquoi attendre que la crise se déclenche et ensuite demander plus de temps pour formuler une alternative ?

    Prendre ses rêves pour une réalité

    Malheureusement, la position de Varoufakis n’est que le reflet de celle de Syriza et de sa direction : le refus d’adopter une ligne d’approche claire et des revendications systématiques visant à préparer la classe ouvrière pour l’affrontement inévitable qui se prépare entre le gouvernement de gauche et le capital, tant national qu’international. Au lieu de cela, nous avons entendu quelques phrases générales concernant la «légitimité» de la position de la Grèce et de la sagesse d’un gouvernement de gauche, formé pour «convaincre» les forces capitalistes liguées contre Syriza et «comprendre» la position de la Grèce et, donc, de faire des concessions.

    Les marxistes regroupés au sein de Xekinima ainsi que d’autres ont critiqué cette approche comme étant naïve sur le plan politique, un mauvais exemple d’un parti qui prend ses rêves pour une réalité – la plus dangereuse des maladies en politique, particulièrement dans le cadre d’une crise profonde.

    Vu la situation que traverse la Grèce aujourd’hui, il est nécessaire d’avoir l’analyse la plus réaliste possible. Cela implique de prendre en compte l’inévitable volonté de la part du capital international de renverser un gouvernement radical, en Grèce en Espagne ou ailleurs, qui poserait un risque existentiel aux capitalistes.

    En effet, en général, l’approche de la gauche, et encore plus lorsqu’il s’agit d’un gouvernement d’influence marxiste, devrait consister à utiliser les difficultés du capitalisme comme une occasion pour le mouvement ouvrier de faire progresser un profond processus de changement socialiste. Dans un premier temps, le cœur de cette approche serait de s’approprier les principaux leviers économiques – les banques et les établissements financiers – pour prévenir le sabotage et le chantage des capitalistes contre le gouvernement dirigé par Syriza.

    Nous avons pu l’observer à travers de la fuite affolante quotidienne des capitaux privés hors de Grèce, qui avait déjà commencé avant les élections. Dès lors, le minimum nécessaire serait de contrôler tous les flux entrants et sortants – si nécessaire, pour gagner un peu de temps et permettre à la classe ouvrière de se mobiliser et la convaincre de la nécessité d’adopter de nouvelles mesures. Parmi ces mesures figurerait la nationalisation du secteur bancaire et financier sous contrôle démocratique ouvrier.

    Varoufakis imagine un scénario complètement différent. Avec une honnêteté désarmante, il écrit : «Compte tenu de cela, vous êtes peut-être surpris de m’entendre dire que je suis marxiste… bien que je ne m’en excuse pas, je pense qu’il est important de vivement critiquer Marx sur plusieurs sujets. D’être, en d’autres termes, erratique dans son marxisme.» Quelle est la justification de cette approche ? En effet, cacher ses réelles positions marxistes, admet Varoufakis. Il écrit : «Une personne qui se base sur une théorie radicale peut poursuivre (…) la construction de théories alternatives à celles de l’establishment, en espérant qu’elles seront prises au sérieux.» Mais son approche est claire : «Mon opinion concernant ce dilemme a toujours été de dire que les puissances actuelles ne sont jamais perturbées par des théories fondées sur des hypothèses différentes aux leurs.»

    Et il invoque le fait que Marx lui-même défendait cette approche. Parce que, voyez-vous, Marx s’est basé sur d’éminents économistes bourgeois, Adam Smith et David Ricardo, pour démontrer que le système capitaliste était contradictoire. Sur cette base, Marx a compris le fonctionnement du capitalisme, qui produirait des crises économiques et une classe ouvrière, creusant ainsi sa propre tombe et menant à son éventuel renversement. Le public qu’il visait, toutefois, n’était pas la bourgeoisie mais la classe des travailleurs et ses organisations.

    Varoufakis semble invoquer un argument différent, qu’il faut travailler dans le cadre d’une économie bourgeoise pour démontrer les incohérences de leur système aux bourgeois. Sa conclusion consiste à chercher des remèdes aux maux économiques qui nous rongent en cherchant des solutions «raisonnables» qui peuvent être acceptées par le capitalisme. Toutefois, l’essence même de la situation actuelle, c’est qu’il est impossible de mener de véritables réformes à long terme dans un système ravagé par la plus grande crise qu’il ait connue depuis les années 1930.

    Les yeux de la classe ouvrière européenne sont tournés vers la Grèce actuellement. Si les travailleurs grecs parviennent à s’imposer dans cette situation, même partiellement, cela encouragera et galvanisera le mouvement tout entier. Mais si les travailleurs grecs essuient une défaite, cela affectera les perspectives de lutte à l’échelle européenne, du moins temporairement. Nous espérons ardemment que c’est la première perspective que je viens de citer qui se réalisera. C’est pour cette raison qu’il est nécessaire de préciser les idées centrales sur base desquelles les luttes victorieuses de la classe ouvrière européenne seront menées. C’est dans cet état d’esprit que nous offrons notre analyse de la situation et saluons et encourageons toute discussion autour de ce thème, à savoir comment aider au mieux les luttes des travailleurs grecs à ce stade.

  • Après la Grèce, les regards se portent vers l’Espagne

    podemosL’imposition des politiques d’austérité a entraîné des millions des Grecs et d’Espagnols à sortir dans la rue pour protester contre la diminution des salaires, les coupes budgétaires et les privatisations. En Espagne, les manifestations ont abouti à des mouvements de masse contre l’austérité à l’instar de celui des Indignés et des marches de la dignité. L’apparition de Podemos a donné une expression politique à ces mouvements et, depuis son irruption aux élections européennes, a changé la donne politique espagnole. La nouvelle vague d’élections offre des opportunités aux forces de gauche alternatives: élections en Andalousie en mars, aux parlements des communautés autonomes et aux conseils municipaux en mai, en Catalogne en septembre et générales en novembre.

    Par Marisa (Bruxelles), article tiré de l’édition d’avril de Lutte Socialiste

    Crise des partis traditionnels et opportunités pour la gauche

    Selon les premiers sondages de 2015, Podemos se situerait autour des 27% pour les prochaines élections générales, ce qui en ferait la première force politique du pays. Le Parti Populaire (PP, droite) actuellement au pouvoir diminuerait de 44,6% (élections générales de 2011) à 20%. Les sociaux-démocrates du PSOE, en pleine chute eux aussi, se retrouveraient autour des 18%. Cela confirme la crise politique dans laquelle sont plongés les instruments politiques de la classe dominante, la bourgeoisie. L’autorité du ‘‘régime de transition’’, né autour de l’année 1978 après la mort du dictateur Franco, est aujourd’hui discréditée : le système bipartite espagnol construit autour des faux rivaux du Parti Populaire et du PSOE, la monarchie, la Constitution et le système des communautés autonomes sont en crise. Le discrédit est encore plus accentué par les multiples cas de corruption inhérents à ce système capitaliste pourri où les inégalités ne cessent d’augmenter (1). On assiste parallèlement à la montée dans les sondages de la formation populiste de droite Ciudadanos, dont la rhétorique repose sur un renouvellement démocratique et la lutte anti-corruption, ce qui sert à masquer leur programme de destruction de la sécurité sociale.

    Pour les élections municipales, les initiatives de convergence des forces alternatives de gauche anti-austérité peuvent devenir les exemples de ce qu’il est possible de réaliser à l’avenir au niveau de l’État. Même si les initiatives sont assez variées et connaissent différents stades de développement, elles ouvrent la possibilité de réaliser des majorités de gauche dans certaines municipalités. A Barcelone par exemple, l’initiative a été impulsée par Guanyem (“Gagnons”), une plateforme de militants et d’activistes des mouvements sociaux sur base d’un accord entre plusieurs formations: Podemos, ICV-Esquerra Unida (alliance entre écologistes de gauche et la formation ‘‘Gauche Unie’’ en Catalogne), Equo (autres écologistes de gauche) et Procés Constituent. Des listes unitaires, généralement sous le sigle de ‘‘Ganemos’’, auxquelles participent notamment Podemos, Izquierda Unida (‘‘Gauche Unie’’) et Equo, se sont aussi constituées à Córdoba, Zaragoza, Palma de Mallorca, Burgos, Bilbao, etc. Dans d’autres villes, pareille alliance a été plus difficile à concrétiser, comme à Madrid où Izquierda Unida n’a pas intégré l’initiative et à Seville où Podemos présente sa propre initiative séparée.

    La ‘‘casta’’ et le ‘‘peuple’’

    Podemos a illustré que la possibilité de vaincre est bien réelle. Son succès a quelque chose à voir avec la vision défaitiste des directions syndicales et de la direction d’Izquierda Unida, formation qui participe même à certaines majorités avec la social-démocratie. Une victoire de Podemos, après celle de Syriza en Grèce, livrerait une grande occasion de briser l’austérité au niveau européen. Mais tant en Grèce qu’en Espagne, la question qui se pose n’est pas seulement de gagner mais aussi de comment gagner, avec quel programme et quelle stratégie. Le discours de Podemos surfe sur un certain sentiment anti-parti présent dans les mouvements de masse. Pablo Iglesias et d’autres dirigeants de l’initiative proclament que Podemos n’a pas un profil idéologique, que la formation n’est ‘‘ni de gauche ni de droite’’. Ils soulignent l’existence de ‘‘la casta’’, une caste corrompue de patrons et de politiciens capitalistes. Ils disent que ‘‘Podemos est le peuple’’ parce qu’il reflète sa volonté et parce que c’est la base qui se prononce concernant les décisions internes.

    Podemos représente bien la volonté d’une majorité des gens de punir les politiciens vendus et d’en finir avec l’austérité. Le peuple avec lequel les activistes des mouvements sociaux s’identifient est la partie du peuple qui subit l’impact de la crise (les travailleurs avec ou sans emplois, les jeunes, les pensionnés,…) et pas la partie qui en bénéficie (les capitalistes). Le phénomène de Podemos est l’expression d’un mouvement de classe sceptique vis-à-vis des partis et des syndicats, qui s’organise à l’extérieur des organisations traditionnelles des travailleurs. Cette ambiguïté et ce manque de clarté de Podemos par rapport à la classe sociale qu’il représente peut devenir un élément décisif entre la poursuite d’une ligne de rupture avec le capitalisme ou un ‘‘capitalisme à visage plus humain’’.

    Après un processus de formalisation de sa structure, une “assemblée citoyenne” (en ligne) s’est consolidée comme organe où les adhérents à Podemos peuvent choisir leur direction et se prononcer sur des décisions importantes. Le pouvoir réel de décision réside néanmoins au sein du noyau central de la direction, autour de Pablo Iglesias (secrétaire général) et de son équipe. Toute l’attention médiatique s’est concentrée sur lui ces derniers mois. Les ‘‘cercles’’, ou assemblées démocratiques locales, auraient pu servir de piliers fondamentaux à Podemos dans les quartiers et les lieux de travail. Cela aurait constitué une occasion précieuse d’impliquer activement les travailleurs à tous les niveaux de la formation. Par contre, les cercles limitent leur activité à voter pour des candidats et à lancer des idées pour le programme. Cette culture politique perpétue la vision de représentant faisant de la politique au nom du peuple.

    Un programme pour s’adapter au contexte ou pour le changer ?

    La Grèce illustre jusqu’où la classe dominante peut aller pour faire pression afin d’éliminer les points de programme les plus radicaux. Un processus similaire est à l’œuvre en Espagne avec Podemos. En 2014, Podemos est sorti des élections européennes avec un programme intégrant les revendications de divers mouvements sociaux. Mais dans le dernier document de discussion sur le programme économique, certains points du programme de base sont tombés ou ont été modérés. L’âge de la pension est ainsi passé de 60 à 65 ans, le droit à un revenu de base pour tous est devenu un plan d’urgence pour les familles et les personnes en exclusion, la position adoptée vis-à-vis de la dette publique est passée d’un audit citoyen destiné à délimiter la partie illégitime de la dette à ne pas rembourser à une restructuration de la dette coordonnée avec l’establishment et à une révision des conditions de payement, etc.

    L’argument en faveur de ces concessions programmatiques est qu’il faut être plus réaliste face au contexte actuel. Il est vrai qu’un programme doit tenir compte du contexte et des ressources disponibles. Le contexte actuel est celui de la crise capitaliste, de l’austérité, du remboursement de la dette et des diktats de la Troika. Ce contexte ne laisse aucune marge pour appliquer un programme basé sur les besoins de la majorité, il faut donc le changer afin de rendre possible les politiques nécessaires. Continuer à rembourser la dette signifie que l’argent dépensé ne sera pas investi dans la création d’emplois et dans le développement des conditions matérielles permettant une vie digne. Refuser de nationaliser les banques et les secteurs stratégiques de l’économie sous contrôle démocratique signifie que l’économie reste aux mains du marché et non au service de la population.
    Mariano Rajoy, le chef du gouvernement espagnol, a fortement réagi contre Alexis Tsipras durant les réunions de l’Euro-groupe dans le but de discréditer les revendications anti-austéritaires grecques, car il voit en Syriza ce que Podemos pourrait devenir en Espagne. La peur de la classe dominante face à cette contagion anti-austéritaire à d’autres pays d’Europe est énorme. La victoire de Syriza en Grèce a été précédée par de nombreuses années de néolibéralisme et par plus de 30 grèves générales. En février, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté pour soutenir le gouvernement Syriza et exiger une attitude ferme face à l’Euro-groupe.

    Grâce à la pression et à la mobilisation de la base, les politiques de rupture peuvent gagner le soutien large de la majorité. Le plan électoral n’est qu’une expression de la lutte des classes. Ne cédons pas à la pression pour limiter nos mouvements. Plus de 100.000 personnes ont participé à la ‘‘marche pour le changement’’ le 31 janvier dernier à Madrid à l’appel de Podemos. Son message était que : ‘‘Le changement qui semblait impossible auparavant est aujourd’hui de plus en plus proche. Il faut expulser la caste et récupérer les institutions pour le bien-être des gens ordinaires.’’ Une nouvelle vague de lutte intense en Espagne pourrait pousser Podemos vers la gauche et créer de nouvelles opportunités pour la résistance en Europe contre l’austérité. Socialismo Revolucionario (section espagnole du Comité pour une Internationale Ouvrière et organisation-sœur du PSL) défend un programme de transformation socialiste de la société et souligne le besoin de la mobilisation et de l’organisation des travailleurs, avec leurs propres outils politiques basés sur la démocratie ouvrière.

    (1) L’Espagne est le pays de l’OCDE où les inégalités ont le plus augmenté depuis le debut de la crise http://www.huffingtonpost.es/2014/03/18/espana-ocde-desigualdades_n_4984228.html

  • France. Une première journée de grève interprofessionnelle unitaire réussie !

    9avril_france300 000 personnes ont défilé jeudi 9 avril dans toute la France dont plus de 100 000 à Paris contre l’austérité, pour l’augmentation des salaires, contre les lois Macron …. Et beaucoup plus ont fait grève.

    Par la Gauche Révolutionnaire (CIO-France)

    Le défilé parisien avec un caractère en partie de manif nationale pour la CGT et FO était très massif et extrêmement diversifié. Il a mis cinq heures à s’écouler de la place d’Italie. Les cortèges de la CGT représentaient le plus gros de la manifestation, et ceux de FO étaient assez conséquents.

    Des travailleurs et travailleuses des entreprises privées étaient présents en particulier dans le commerce et les banques et assurances et la métallurgie. Carrefour, Casino, LVMH, Sephora, mais aussi Simply market, et d’autres défilaient derrière les bannières syndicales respectives pour dire non au travail du dimanche imposé, non à la surexploitation légalisée par la loi Macron. Un gros cortège de travailleurs Sans Papiers a également battu le pavé.

    Diversifiés mais unis

    Dans les secteurs publics, la santé en force contre les 22 000 suppressions de postes, des dockers de la Rochelle, de Rouen, Lorient… des cheminots, des postiers, des traminots de plusieurs régions, les salariés de Radio France en grève depuis trois semaines, les métallos de Sambre et Meuse qui occupent leur usine contre sa fermeture, des territoriaux venus d’un peu partout en France (éboueurs, agents municipaux ou départementaux…), des finances, de l’Éducation Nationale contre la réforme du collège, les fermetures de classes….Pour autant, les slogans et les revendications n’avaient rien d’une manif « fourre tout ». Dans les défilés et dans les secteurs mobilisés, la même colère immense et palpable pour les mêmes sujets. Les salaires trop bas (le point d’indice est gelé dans le public depuis 2010, et dans le privé, les salaires sont gelés depuis 3 voire 4 ans dans de nombreux groupes : Renault, PSA…), contre Macron et ses lois sur le travail de nuit ou du dimanche, contre la dégradation des conditions de travail.

    C’était la journée de mobilisation et de grève la plus importante depuis les grèves de 2010 contre la réforme des retraites et la politique de Sarkozy. Et surtout, la première journée de grève et manifestations contre la politique sociale d’un gouvernement dit “de gauche”. Et le rejet des politiques pro Medef menées par Sarko hier et aujourd’hui par Hollande est palpable. L’envie d’en découdre grandit chaque jour un peu plus au rythme des annonces et déclarations du gouvernement Valls et de ses ministres Macron, Rebsamen ou Vallaud-Belkacem. Alors que le Sénat va encore aggraver la loi Macron, que des suppressions de classes vont être annoncées dans l’enseignement primaire, que les luttes pour les salaires continuent, ce 9 avril de lutte et son succès est un point d’appui.

    Valls-Hollande franchement pas à l’aise

    D’ailleurs l’absence ostensible de couverture médiatique de cette grève montre bien le potentiel de lutte que porte cette journée et les craintes des capitalistes et du gouvernement ! Obéissant au conservatisme ambiant, les médias ont préféré couvrir le conflit oedipo-politique des Le Pen par exemple que venir s’inquiéter du malaise qui s’exprimait dans la rue par des centaines de milliers de travailleurs, de chômeurs qui viennent dire qu’il n’en peuvent plus de cette société où les riches se gavent tandis que la majorité survit. La SNCF a même limité au maximum les possibilités de réservations de trains spéciaux. La CGT a réussi son pari et a largement mobilisé « contre la politique d’austérité ». Beaucoup de cortèges de la CGT, de FO ou de SUD disaient clairement que la loi macron c’est une « loi pour les patrons ». Il y a donc besoin qu’un nouveau rendez vous qui soit sur des mots d’ordre clairs de refus de la politique de Valls-Hollande et d’encouragement des luttes pour les salaires et contre les suppressions d’emplois. Les grèves et actions des travailleurs sur les salaires dans un grand nombre d’entreprises ont débuté depuis plusieurs mois. Et elles continuent, comme aux bus de Maubeuge, ou sur les plate-formes Amazon.

    Ces mobilisations, alors qu’un plan de licenciement est annoncé à DIM, ou à la Halle aux Vêtements, que des luttes ont commencé contre les fermetures de classe (et qui ont déjà obtenu des reculs du gouvernement dans certaines académies), que dans la Santé les débrayages ne cessent pas, vont perdurer dans les semaines prochaines et forment avec le rejet de la loi Macron les deux ponts d’appuis d’une lutte tous ensemble.

    A ceci s’ajoute la colère dans l’Éducation nationale contre la réforme du collège qui va encore diminuer la qualité de l’enseignement. D’ores et déjà, des journées de grève sont discutées dans certains secteurs de la santé et de l’éducation et des structures syndicales poussent dans ce sens.

    Tout ceci doit permettre d’avancer vers un 1er Mai combatif qui soit une nouvelle étape vers une journée nationale de grève de tous les secteurs, avec blocages du transport et de la production de marchandises.

    La Gauche révolutionnaire proposait depuis des mois qu’une journée telle celle du 9 avril ait lieu, qu’elle soit préparée bien à l’avance, permette des appels à la grève et rassemble les travailleurs, les chômeurs, les jeunes, les retraités autour de revendications qui les unissent vraiment et contre la politique de Valls-Macron. Il faut dès maintenant lancer la discussion dans les syndicats, dans les entreprises, les quartiers etc. pour une nouvelle journée d’action et de grève, plus massive et combative encore.

    Contre les lois Macron, les plans de licenciements, pour l’augmentation des salaires et des pensions et contre les coupes dans les services publics ! La mobilisation ne fait que commencer !

  • Grèce: la faiblesse appelle l’agression

    greece-300x160Le gouvernement grec dirigé par SYRIZA parviendra-t-il à instaurer une alternative aux politiques d’austérité européennes? Avec quelle stratégie cela serait-il possible? Ces questions ne sont pas cruciales que pour la population grecque affligée par la crise, le chômage et la pauvreté, elles le sont aussi pour tous ceux qui s’opposent à la logique d’austérité en Europe. Une victoire en Grèce démontrera à toute l’Europe qu’une alternative est possible pour autant que l’on ose la défendre. Mais une défaite servira à étouffer toute opposition anti-austéritaire en argumentant que, même en Grèce, ça n’a pas marché. SYRIZA ne dispose pas de beaucoup de temps. L’élite dirigeante européenne, confrontée à l’évolution politique inquiétante de l’Espagne, de l’Irlande,… ne laissera aucun espace à SYRIZA pour développer sa politique.

    Dossier de Bart Vandersteene, tiré de l’édition d’avril de Lutte Socialiste

    Quand l’UE capitaliste montre les dents

    Le 20 février, SYRIZA a obtenu une poursuite du programme d’aide, mais à un prix très lourd. Les négociations ont débuté alors que les banques grecques allaient se trouver sans liquidités quelques jours plus tard et que le gouvernement faisait face à un scénario similaire. Chaque jour, des centaines de millions d’euros quittaient les comptes bancaires grecs. Il reste bien peu du principe de négociation lorsque votre adversaire vous menace de sabotage économique et qu’il a réellement les moyens de le faire. Sous cette énorme pression, le gouvernement grec a promis de rembourser toutes les dettes (en contradiction avec le programme électoral de SYRIZA) et de soumettre ses mesures politiques à l’approbation des ‘‘institutions’’ (nouveau nom de la troïka: FMI, BCE et Commission européenne). Le gouvernement prétend avoir gagné du temps, mais il est pieds et poings liés à la troïka. Cet accord contient tous les ingrédients pour conduire à un nouveau conflit gigantesque le 20 avril, lorsque le gouvernement devra présenter sa politique aux ‘‘institutions’’. Si ces dernières acquiescent, la Grèce obtiendra une nouvelle somme de 7,2 milliards d’euros, non pas pour mettre en œuvre des politiques sociales mais pour refinancer sa dette. Dans le cas contraire, la Grèce sera au bord du précipice.

    Malgré les déclarations du Premier ministre Tsipras et du ministre des Finances Varoufakis pour qui le gouvernement grec a gagné une bataille mais pas encore la guerre, la réalité est plus nuancée et décevante. Costas Lapavitsas, député de SYRIZA et membre de l’aile gauche de son groupe parlementaire, a ainsi fait part d’une autre version : ‘‘Les Grecs sont allés négocier avec de grands espoirs et ils sont tombés dans le piège que ces institutions avaient tendu pour eux. Et ce piège se caractérise essentiellement par: (a) une pénurie de liquidité et (b) une pénurie de financement pour le gouvernement. C’est ainsi que les institutions ont formalisé leur avantage structurel par rapport aux Grecs. Les Grecs n’avaient pas prévu d’alternative. SYRIZA n’a pas pu gérer cela, parce qu’ils avaient accepté les limites de l’euro. Tant que vous acceptez les limites de l’euro, vous n’avez pas de véritable réponse. C’est la raison pour laquelle cela a finalement pris la forme que ça a pris.’’

    Lapavitsas n’est pas seul à émettre des critiques. Lors de la réunion du Comité central du SYRIZA du 28 février au 1er mars 2015, 41% des délégués ont voté pour une résolution rédigée par la plate-forme de gauche, celle-là même qui avait remporté 1/3 des sièges de cet organe de direction au dernier Congrès de la formation. Cette résolution affirme notamment : ‘‘Nous exprimons notre désaccord avec l’accord conclu et la liste des réformes convenues avec l’euro-groupe. Les deux textes représentent un compromis inacceptable pour notre pays. Cet accord représente une orientation qui est en contradiction avec les engagements programmatiques de SYRIZA sur des points essentiels.

    ‘‘SYRIZA doit, dans l’immédiat et malgré l’accord conclu avec l’Euro-groupe, prendre l’initiative et systématiquement mettre la priorité sur la mise en œuvre de ses engagements et de l’accord gouvernemental. Afin de prendre cette voie, nous devons compter sur la lutte et la lutte de classe populaire:, nous devons contribuer à leur renaissance. Nous devons élargir le soutien populaire qui nous permettra de nous opposer à toute forme de chantage et mettre en avant la perspective d’un plan alternatif capable de réaliser nos objectifs radicaux.

    ‘‘La conclusion principale des développements récents est la nécessité que les décisions importantes ne soient prises qu’après un débat au sein des instances dirigeantes du parti. Cela est essentiel pour notre évolution future. L’ensemble du parti et de ses sections doivent jouer un rôle plus important dans la nouvelle direction du pays.’’

    Le gouvernement et le peuple grec sont détenus par l’UE, la BCE et le FMI. Tout acte du gouvernement grec semble être prisonnier de leur volonté. Le gouvernement SYRIZA dispose-t-il d’une stratégie gagnante au côté des négociations ‘‘intelligentes’’? Un ‘‘plan B’’ existe-t-il?

    Le ministre grec des Finances Varoufakis est devenu le visage le plus familier du gouvernement grec après Tspiras, mais il n’est pas membre de SYRIZA et semble prêt à mettre beaucoup d’eau dans son vin. À la mi-mars, il a essayé de susciter la bienveillance des autres négociateurs en disant dans une interview : ‘‘Nous voulons rembourser notre dette, mais nous demandons à nos partenaires de nous aider à restaurer la croissance grecque. Au plus vite notre économie se stabilisera, au plus vite nous pourrons rembourser.’’ Comme cela est généralement admis, la faiblesse invite à l’agression. Et là, l’agression est énorme. Le ministre des Finances allemand Schäuble a déclaré à plusieurs reprises que ‘‘la patience s’épuise’’. De façon systématique plane la menace d’un Grexit (une sortie de la Grèce de la zone euro), même si le gouvernement grec a promis de rembourser les dettes du casino bancaire et de la clique politique néolibérale corrompue.

    Le journal allemand Süddeutsche Zeitung estime devoir s’attendre à un ‘‘Grexit’’ pour des raisons politiques plutôt que pour des raisons économiques. ‘‘Jamais jusqu’ici l’Euro-groupe n’a été aussi uni que face au nouveau gouvernement grec, qui semble de son côté ne pas comprendre son isolement. Le Grexit n’est plus une question de stratégie économique -le risque de contamination est faible, de même que les dommages collatéraux à gérer. L’avenir de la Grèce sera donc décidé au niveau politique, et l’équation est simple: Athènes ne devrait plus attendre de l’aide que pour autant que le prix politique à payer par les autres pays de l’eurozone ne soit pas trop élevé.’’

    La seule option dont dispose le gouvernement SYRIZA est de s’appuyer sur le mandat sans équivoque reçu par la population grecque.

    La démocratie à l’européenne, quand les résultats électoraux importent peu

    SYRIZA a un mandat pour appliquer son programme dont ne peuvent que rêver tous les gouvernements européens. 80% des Grecs estiment positif le bilan des premières semaines du nouveau gouvernement! Même chez ceux qui ne prétendent absolument pas être de gauche, on trouve un certain respect pour un gouvernement qui refuse les privilèges personnels et qui ose s’opposer aux diktats de l’Union européenne.

    Mais une fois élu, en Europe, un gouvernement ne peut pas déterminer sa politique, quand bien même a-t-il le soutien de 80% de sa population. Les règles de l’UE prévoient que les grandes orientations politiques soient établies à l’avance, quel que soit le résultat des élections.

    L’objectif de l’establishment européen n’est rien de moins que la soumission totale du gouvernement grec aux exigences de la BCE et la Commission européenne. Pour cela, deux options existent: soit SYRIZA -ou une partie importante de la formation de gauche radicale- se met à genoux, a le souffle coupé et se voit forcé d’avaler les diktats néolibéraux de l’UE, soit, en cas d’échec, le plan B, qui repose sur la destruction de SYRIZA, en poussant la Grèce hors de la zone euro et en l’isolant économiquement. Ce dernier scénario implique de fameux risques, il ne sera utilisé que si le gouvernement SYRIZA continue de défendre de façon cohérente les intérêts des travailleurs grecs, des chômeurs, des jeunes et des pensionnés.

    Même les plus petites mesures peuvent être refusées par l’UE. Le 17 mars, la Commission européenne a envoyé une lettre au gouvernement grec par rapport à une loi qui allait être votée le lendemain et qui était destinée à accorder aux familles les plus pauvres le droit à de l’électricité gratuite et à des bons d’alimentation. Selon la Commission, le vote de cette nouvelle loi, sans leur approbation, entrait en contradiction avec l’accord conclu le 20 février. Le vote a bien eu lieu et la loi est maintenant adoptée, mais cela servira de prétexte pour accuser le gouvernement SYRIZA de ne pas avoir respecté l’accord. L’establishment européen a beau se présenter comme modéré, il recherche la confrontation dure avec le gouvernement SYRIZA.

    Les défaites de février et mars ne sont toutefois pas nécessairement fatales. Mais pour parvenir à vaincre, SYRIZA devra revoir sa stratégie erronée et adopter une position plus dure. Les sondages montrent que la population grecque est prête. Mais l’attitude molle de SYRIZA ne tombe pas du ciel. Elle est due à l’illusion, en plein essor dans la gauche européenne, qu’un changement de politique peut tout simplement survenir en cas de victoire électorale. Le dur combat nécessaire pour atteindre ce changement est par conséquent sous-estimé. L’actuel projet européen est une structure néolibérale visant à diminuer les salaires et à démanteler les services publics ainsi que la sécurité sociale afin d’accroître les bénéfices des grandes entreprises et des banques. Réformer cette structure semble être impossible en pratique. C’est ce que démontre l’exemple grec. Mais puisqu’une grande partie de la population commence à constater que la réforme est impossible, la voie est dès lors ouverte pour des solutions révolutionnaires.

    Un changement de stratégie est nécessaire

    La direction de SYRIZA a pensé pouvoir arracher des concessions aux institutions européennes. Elle pensait que la BCE hésiterait face à la perspective d’un effondrement du secteur financier grec, par crainte de contamination à l’ensemble du secteur bancaire européen. La direction de SYRIZA estimait que les institutions européennes ne risqueraient pas les choses jusqu’à la sortie de la Grèce hors de la zone euro en raison des dommages que cela causerait au projet néolibéral européen.

    Ces hypothèses se sont révélées fausses. La menace de l’arrivée de nouveaux gouvernements de gauche était beaucoup plus dangereuse aux yeux de la classe capitaliste européenne. Il ne fait aucun doute que si cela est nécessaire, les classes dirigeantes sont prêtes à détruire un système bancaire national et tout un pays de la zone euro si cela peut servir de douche froide à tout désir de gouvernement de gauche anti-austéritaire.

    Aujourd’hui, une grande majorité des Grecs veut rester au sein de la zone euro et la direction de SYRIZA a constamment défendu de rester à tout prix en son sein. D’autre part, la plate-forme de gauche au sein de SYRIZA et d’autres groupes de gauche comme Antarsya et la SEF entretiennent l’illusion selon laquelle quitter volontairement la zone euro serait suffisant pour en finir avec l’austérité. Ce n’est malheureusement pas le cas. Un Grexit sur base capitaliste ne peut conduire qu’à un appauvrissement massif de la population grecque. Aujourd’hui, 36% des Grecs veulent que le gouvernement adopte une position plus dure dans les négociations, quitte à ce que cela signifie de sortir de la zone euro. L’opinion publique s’attend à juste titre à ce que la lutte soit d’abord menée au sein de l’Union Européenne, mais elle veut surtout que le gouvernement soit cohérent et applique son programme. Si l’on demande explicitement à la population de choisir entre rester dans la zone euro ou appliquer une politique sociale, la probabilité est grande que la seconde option soit largement désignée, à condition toutefois que cette perspective soit crédible et que le sentiment dominant ne soit pas que la sortie de l’euro conduirait inévitablement à un plus grand déclin économique et à l’isolement.

    Une stratégie anticapitaliste

    Les événements survenus depuis la fin des élections de janvier ont montré comment un gouvernement peut acquérir un soutien populaire. Dans les sondages et dans les rues, une bonne partie de la population a montré qu’elle approuvait la défense des promesses électorales de SYRIZA. Les développements récents ont aussi illustré qu’une rupture avec les politiques néolibérales ne peut pas être appliquée par le haut, elle doit impérativement reposer sur une lutte de la base de la société.

    Un gouvernement de gauche peut consciemment prôner la nécessité d’une telle organisation par la base et aider à la structurer. Des assemblées générales sur les lieux de travail et dans les quartiers peuvent permettre la création de comités démocratiquement élus capables d’organiser et de coordonner les luttes sociales. Sur cette base, une structure parallèle à l’ancienne structure hiérarchique d’Etat peut être développée et prendre le relais de l’organisation de la société.

    Le gouvernement doit immédiatement adopter ses mesures contre la ‘‘crise humanitaire’’, stopper toutes les privatisations et revenir sur celles qui ont eu lieu. La promesse de réinstaurer les conventions collectives de travail doit être maintenue, de même que celle d’augmenter immédiatement le salaire minimum à 670 euros nets (basé sur 751 € bruts) ou celle d’interdire les saisies immobilières des nombreuses familles de travailleurs qui risquent de perdre leur maison. Ces mesures de base reçoivent un soutien extrêmement enthousiaste de la population.

    Cette politique sera rejetée par l’establishment européen. À l’aide d’un référendum, le gouvernement pourrait demander à la population son avis sur l’application de ces mesures. Une victoire lors d’un tel référendum permettrait d’assurer une base solide pour une politique sociale et une riposte contre les attaques lancées par les super-riches, comme la fuite des capitaux, le retrait des investissements, le sabotage économique,…

    Simultanément, SYRIZA doit expliquer qui est véritablement responsable de la dette afin d’être en mesure de faire valoir pourquoi il faut refuser de la rembourser. Si à cause de cela l’UE menace de pousser la Grèce hors de la zone euro, SYRIZA aurait à sa disposition tous les arguments disponibles pour adopter des politiques socialistes, comme la collectivisation du secteur financier et des secteurs clés de l’économie, sous contrôle et gestion démocratiques des travailleurs. Ces mesures seront nécessaires pour financer un vaste programme d’investissements publics. L’économie pourrait ainsi être démocratiquement planifiée et disposer d’une croissance économique sociale et écologique. Les chômeurs pourraient trouver de bons emplois socialement utiles, la production serait orientée vers la satisfaction des besoins de la population et vers la construction d’un avenir de prospérité et d’équité.

    Tsipras ne choisit pas cette voie aujourd’hui. C’est pourquoi il faut accroître la pression en cette direction, sur base du mouvement des travailleurs et des mouvements sociaux. Notre organisation-soeur grecque, Xekinima, accorde un soutien critique au gouvernement tant qu’il ne prend pas de mesures allant à l’encontre de la majorité de la population. Mais elle est bien consciente qu’une tâche cruciale et historique repose sur les épaules des marxistes grecs. Ils doivent organiser un mouvement de masse capable d’instaurer une pression sur le gouvernement et également, à l’aide de réunions et de discussions, populariser la nécessité d’une alternative anticapitaliste socialiste parmi les couches larges de la population.

    Défendre cette alternative socialiste nécessite de lancer un appel aux travailleurs et aux jeunes des autres pays européens afin d’opérer le même type de rupture avec la politique de l’Union Européenne capitaliste et de ses structures. Concrètement construire les structures de la coopération internationale posera les bases d’une future fédération socialiste volontaire européenne.
    Même si les développements les plus récents représentent un pas en arrière, la situation globale n’est pas encore changée. L’élection d’un gouvernement de gauche est une étape historique. Elle ouvre la porte à de nouveaux développements à la fois en Grèce et dans le reste de l’Europe. D’énormes et précieux enseignements peuvent être tirés pour la construction de l’alternative socialiste au capitalisme dont nous avons tant besoin.

  • Grèce : La classe ouvrière et les mouvements sociaux doivent entrer dans la lutte pour leurs droits

    Grece_mars_08Après 4 ans d’austérité dure et de luttes ouvrières gigantesques, la victoire électorale du parti de gauche Syriza a ouvert une nouvelle période dans la lutte contre l’austérité. Durant ses premiers jours de fonction, le gouvernement dirigé par Syriza est apparu comme tenant ses promesses pré-électorales et a annoncé une série de nouvelles mesures populaires. Celles-ci incluaient par exemple la restauration du salaire minimum au niveau d’avant la crise, l’annulation des privatisations prévues, la réembauche de plus de 3.500 travailleurs du secteur public…

    Ces mesures furent accueillies comme un énorme soulagement pour les travailleurs grecs et leurs familles. Cependant, l’enthousiasme que Syriza avait initié en arrivant au pouvoir a reçu depuis un seau d’eau froide, dû à l’accord très compromettant que la direction de ce parti a conclu avec les institutions européennes, lequel jette par-dessus bord une grande partie du programme électoral sur la base duquel Syriza avait été élu.

    Dans cet accord, le gouvernement grec s’engage entre autres à ne pas revenir sur les mesures des gouvernements précédents, ainsi qu’à rembourser chaque euro de la dette publique. Il a aussi convenu qu’il ne prendrait aucune action « unilatérale », ce qui signifie aucune mesure qui n’ait pas l’approbation préalable des institutions capitalistes internationales.

    Un affrontement avec la troïka est nécessaire !

    Quelques jours avant les élections, Xekinima, la section grecque du CIO, écrivait que « La direction de Syriza ne croit pas que l’ensemble du système est pourri, mais entretient l’illusion que l’UE et la troïka peuvent être ramenées à la raison, et poussées à changer de politique. Nous ne partageons pas cet optimisme du tout. »

    Cette logique s’est clairement confirmée. Les tentatives par les dirigeants de Syriza de courtiser les dirigeants de l’UE et du FMI ont échoué. Et cela ne devrait surprendre personne : ces institutions représentent le grand capital, dont les intérêts sont incompatibles avec les aspirations sociales du plus grand nombre.

    Il est encore temps de changer de trajectoire. Le gouvernement devrait préparer la population à une confrontation directe avec la Troïka, en développant le mouvement social par la base, dans les quartiers, sur les lieux de travail et dans la rue. Un programme alternatif, socialiste, est nécessaire pour en finir avec l’austérité. Cela signifie de répudier le paiement de la dette, et de placer l’ensemble du secteur financier sous contrôle public, géré par la collectivité. En réponse à la fuite des capitaux et aux tentatives de sabotage de l’économie par les patrons, il faut instituer un contrôle public sur la circulation des capitaux et l’expropriation immédiate des entreprises qui menacent de délocaliser.

    Une telle politique radicale trouverait une inspiration et des points d’appui partout en Europe, parmi les travailleurs et les peuples en colère et en lutte contre l’austérité en Espagne, en Irlande et ailleurs. Notre organisation Xekinima est au centre de « l’Initiative des 1000 », une coalition de forces de gauche active à l’intérieur et à l’extérieur de Syriza, qui appelle à l’unité maximale de tous les militants de gauche sur base d’un tel programme socialiste.

    Les masses ne doivent pas attendre que le gouvernement tire les conclusions nécessaires de l’impasse actuelle. La classe ouvrière et les mouvements sociaux doivent entrer par eux-mêmes dans la lutte pour leurs droits. La bataille ne fait que commencer !

  • Le conflit en Ukraine se poursuit

    ukraine_russieEn janvier dernier, le Fonds monétaire international (FMI) a promis 40 milliards de dollars à l’Ukraine. Mais il faudrait au moins deux ou trois fois cette somme pour remettre le pays à flot. D’autre part, cette prétendue aide est liée à des conditions terrifiantes. Ainsi, le prix du gaz va devoir augmenter de 280 %. Après l’accord avec le FMI, la ministre des Finances, Mme Yaresko, a déclaré que ‘‘Tout ce qui peut être privatisé sera privatisé’’.

    Résumé d’un article de Rob Jones, Komitiét za rabotchiy internatsional (section russe du Comité pour une Internationale Ouvrière et organisation-sœur du PSL)

    Pendant ce temps, la surenchère militaire se poursuit. L’Otan a renforcé sa présence dans la Baltique avec 3.000 soldats américains, des centaines de tanks, etc. Conformément à l’accord signé à Minsk à la mi-février, les deux camps ont affirmé avoir retiré l’artillerie lourde de la ligne de front. Mais les combats continuent en plusieurs endroits.

    Les différences d’opinion entre les États-Unis et l’Union européenne se sont encore fortement exprimées avant les négociations. Les Américains voulaient voir un renforcement de l’armement dans l’ouest de l’Ukraine, mais Angela Merkel a refusé tout renfort en expliquant que cela ne ferait qu’encourager la Russie à envoyer encore plus de troupes. Toute une série d’entreprises européennes souffrent grandement des sanctions prises contre la Russie et des contre-sanctions avec lesquelles riposte Vladimir Poutine.

    La disparition momentanée de Poutine – introuvable une dizaine de jours durant, même pour une rencontre programmée avec le Kazakhstan – a renforcé les rumeurs d’une lutte pour le pouvoir au Kremlin. Il est certain que des intérêts divergents sont en présence. Les entreprises russes qui perdent de l’argent à cause des sanctions et de la crise économique sont très mécontentes ; mais d’autres entreprises bénéficient de la dévaluation de la monnaie nationale (le rouble), ce qui leur permet d’exporter plus de marchandises à l’étranger. Certains pensent que la Russie a trahi les rebelles ukrainiens avec la signature du premier accord de cessez-le-feu en septembre 2014 tandis qu’une grande majorité de la population russe est opposée à toute intervention russe directe en Ukraine.

    D’autres éléments pourraient indiquer une lutte au sein de l’élite. Ainsi, les services secrets russes (le FSB) ont annoncé qu’un groupe de Tchétchènes a été arrêté pour le meurtre de l’opposant libéral Boris Nemtsov. Cette annonce était en soi inhabituelle et il semble de plus que le principal suspect est un commandant des troupes spéciales du président tchétchène Kadyrov, fidèle partisan de Poutine. Plusieurs membres de ces troupes ont été impliqués dans les combats en Ukraine du côté des forces pro-russes. L’arrestation des Tchétchènes pourrait suggérer l’existence d’un conflit entre les services de sécurité et Kadyrov et, par extension, Poutine.

    La situation en Ukraine n’est guère meilleure. Le président Porochenko a exclu toute décentralisation et a menacé de déclarer l’état d’urgence dans tout le pays au cas où l’accord de cessez-le-feu ne serait pas respecté. Ainsi, l’armée pourrait prendre tout le pouvoir dans le pays. Les personnalités les plus extrémistes au sein du gouvernement ukrainien, comme le Premier ministre Yatseniouk, sont pour une ‘‘mobilisation de l’armée’’ afin de ‘‘défendre la frontière’’.

    Les politiciens libéraux et d’extrême-droite pro-occidentaux veulent poursuivre la guerre contre la rébellion à l’est du pays, mais la population est de plus en plus désespérée et de moins en moins enthousiaste pour ce conflit. À Ternopil, moins de la moitié des 14.000 personnes appelées pour entrer dans l’armée se sont présentées. La faiblesse de l’armée officielle fait que les ‘‘bataillons de volontaires’’, souvent contrôlés par l’extrême-droite, jouent un très grand rôle. La question reste posée de savoir dans quelle mesure le gouvernement de Kiev peut tenir ces bataillons sous son contrôle.

    La guerre est loin d’être terminée. Les conséquences économiques vont se faire longtemps ressentir. En janvier, la production industrielle était de 21 % inférieure à celle de l’an dernier. À Donetsk, on enregistre une baisse de l’industrie de 49 % et à Lougansk, de 87 %. La faillite de l’économie ukrainienne est renforcée par le pillage de la Russie, même si cela ne contribue pas beaucoup à l’économie russe. On estime que le chômage va augmenter de 40 % cette année, tandis que des centaines de milliers d’immigrés d’Asie centrale retournent chez eux. L’activité du secteur du bâtiment à Moscou devrait diminuer de 30% cette année.

    Tant que la situation sera dominée par les intérêts des oligarques et de leurs amis militaires, aucune solution durable ne sera possible pour l’Ukraine. Même si les négociations pour la paix peuvent être réactivées et conduire à un troisième accord de cessez-le-feu à Minsk, la pauvreté, la corruption et le désespoir seront toujours là. En outre, la Russie et l’Otan continuent à s’opposer dans toute la région. Seul un mouvement de masse sous la direction d’un parti des travailleurs indépendant pourra faire dégager les régimes autoritaires de la région et amener au pouvoir un gouvernement des travailleurs poursuivant une politique socialiste afin de partir des besoins réels de la majorité de la population.

  • [DOSSIER] Épreuve de force en Grèce

    [DOSSIER] Épreuve de force en Grèce

    Varoufakis_euroLa victoire électorale de Syriza a ouvert une nouvelle période dans la lutte contre l’austérité en Grèce et dans toute l’Europe. Et les enjeux pour le mouvement ouvrier ne pourraient être plus élevés. Niall Mulholland a interviewé Nicos Anastasiades de Xekimina (section grecque du Comité pour une Internationale Ouvrière), juste après que les dirigeants de Syriza se soient mis d’accord avec l’UE pour une extension de 4 mois du plan de sauvetage.

    Article publié dans l’édition de mars de Socialism Today (magazine du Socialist Party, section du CIO en Angleterre et au Pays-de-Galles)

    Quel a été l’effet initial de la victoire électorale de Syriza ?

    La victoire de Syriza a été un événement historique pour la Grèce et toute l’Europe. Après 4 ans d’austérité dure et de grandes luttes ouvrières qui ont échoué à faire barrage aux coupes budgétaires, surtout à cause du rôle des dirigeants syndicaux et des partis de gauche, l’élection a marqué la première victoire claire sur les représentants politiques de l’austérité. C’était un gain important pour un parti qui a été considéré comme résistant clairement à l’austérité, la Troika (le FMI, la BCE et l’UE) et les principaux partis politiques grecs. Cela a déclenché une explosion d’optimisme et de joie chez les Grecs. Ils ont vu la première possibilité d’inverser l’assaut de coupes budgétaires lâchée sur eux par le mémorandum d’entente – les mesures d’austérité qui font partie de l’accord de prêt avec la Troïka.

    Ensemble avec les autres partis de gauche, comme le KKE (le Parti Communiste Grec), le vote de gauche représente une grande partie des électeurs grecs. Ils avaient une grande majorité dans les circonscriptions ouvrières de toute la Grèce, alors que la Nouvelle Démocratie, le parti traditionnel de la bourgeoisie grecque, fait un meilleur score dans les zones plus riches. Il y a eu un sentiment de soulagement très largement éprouvé lorsque le dernier gouvernement Nouvelle Démocratie / Pasok a été évincé dans les sondages. Les Grecs savaient que, s’ils étaient réélus, cela signifierait davantage de mesures d’austérité et de souffrances pour les masses, car l’administration ND/Pasok aurait lâchement accepté une fois de plus le diktat de la Troïka.

    Nombreux sont ceux qui, parmi la gauche du monde entier, ont été surpris et consternés que Syriza soit entré au gouvernement avec le parti de droite nationaliste des Grecs Indépendants. Comment les Grecs ont-ils réagi ?

    La constitution grecque requiert que, pour former un gouvernement, un parti gagne d’abord un vote de confiance au parlement. Syriza n’avait pas la majorité absolue pour gouverner seule, et a donc cherché une coalition. Sous la constitution, cela signifiait qu’elle devait approcher chaque parti élu jusqu’à ce qu’elle obtienne un accord pour gouverner avec l’un d’eux ou plus. Si le premier parti échoue à former un gouvernement, alors le second parti (Nouvelle Démocratie) aurait essayé d’en former un. Si cela avait échoué, le troisième parti (Aube Dorée) aurait aussi pu essayer.

    Syriza et le KKE ont échoué à parvenir à un accord pour se partager le pouvoir (voir notre article à ce sujet). Cela est outrageux du point de vue des intérêts de la classe ouvrière. Chacun blâme l’autre pour ce résultat, mais la vérité est qu’aucun des deux côté n’a jamais eu sérieusement l’intention de former un gouvernement de coalition avec l’autre. La direction de Syriza a clairement indiqué avant le résultat des élections qu’elle était en faveur d’entrer en coalition avec les Grecs Indépendants (GI) et elle n’a fait qu’un appel mitigé au KKE à la rejoindre dans un gouvernement. Cela indique que la direction de Syriza, qui a viré vers la droite sur les quelques dernières années à mesure qu’elle s’approchait du pouvoir, ne voulait pas de la pression d’un autre parti soutenu par la classe ouvrière.

    Le KKE, qui adopte une approche sectaire et isolationniste envers le reste de la gauche, a dit qu’elle envisagerait de voter pour les lois progressives mises en avant par le gouvernement Syriza, mais en même temps, les dirigeants du KKE ont déclaré que leurs parlementaires ne donneraient pas leur vote de confiance à Syriza pour former un gouvernement en premier lieu ! Syriza est donc venue au pouvoir sur base du soutien des Grecs Indépendants, avec qui ils ont formé une coalition.

    Xekinima (section grecque du Comité pour une Internationale Ouvrière et parti-frère du PSL, NDT) argue que c’était une grande erreur de la part de Syriza. Si les dirigeants de Syriza avaient voulu mener une politique en faveur de la classe ouvrière, indépendante des partis capitalistes, ils auraient dû utiliser les jours suivant les résultats de l’élection pour faire un appel de classe direct à la classe ouvrière et aux classes moyennes ruinées pour qu’elles montrent un soutien actif en faveur d’une coalition gouvernementale de gauche. Cela aurait instauré une énorme pression sur les dirigeants du KKE et aurait probablement divisé la base de ce parti. Syriza aurait pu aller au parlement et demander un vote de confiance, appelant le KKE et les partis de gauche à la soutenir. Si cela n’avait pas abouti à une coalition gouvernementale de gauche, Syriza aurait pu alors aller vers de nouvelles élections, présentant un appel de classe et des politiques socialistes, dans lesquelles elle aurait le plus probablement obtenu une augmentation significative de son score – probablement en récupérant des voix du KKE discrédité – pour former un gouvernement majoritaire.

    Cependant, beaucoup de Grecs ne considèrent pas la formation d’une coalition par Syriza avec les Grecs Indépendants, qui n’ont que quelques parlementaires, comme un gros problème, mais plutôt comme un mal nécessaire pour que Syeriza prenne le pouvoir. Mais nous devons dire la vérité aux travailleurs à propos des Grecs Indépendants et des dangers de partager le pouvoir avec eux. En formant une coalition avec eux – un parti bourgeois, quand bien même contestataire – les dirigeants de Syriza ont réalisé une forme de collaboration de classe. Les Grecs Indépendants sont issus d’une scission de la Nouvelle Démocratie. Ils représentent une aile de la bourgeoisie grecque qui est contrariée par les diktats de la Troïka et qui voudrait résister pour gagner des conditions plus favorables pour le capitalisme grec. Alors que les Grecs Indépendants adoptent une démagogie anti-troika et « patriotique » et sont souvent plus combatifs que les dirigeants de Syriza en contestant les patrons de la zone euro, ils restent un parti de la classe dominante et, au final, agiront dans les intérêts des patrons.

    Les dirigeants de Syriza ont fait une erreur en donnant des positions ministérielles cruciales aux politiciens des Grecs Indépendants ainsi qu’à d’autres politiciens de droite. Le chef des forces armées est maintenant issu des Grecs Indépendants. Le ministre de la police est un ancien membre de la Gauche Démocratique (une scission de droite du Pasok social-démocrate) et un ancien dirigeant du Pasok est à la tête de la police secrète. De plus, le président de la république élu par Syriza est un ex-ministre de la Nouvelle Démocratie! En d’autres termes, les positions clés qui contrôlent l’appareil d’État ont été données à la droite et à des personnalités politiques qui ont la confiance de la classe dirigeante. La droite peut utiliser cela à son avantage si Syriza est considérée comme indigne de confiance par les patrons d’Europe et de Grèce, même si Syriza a fait de gros compromis à la troïka. Et, bien sûr, l’État peut être utilisé contre les militants et les manifestants et la classe ouvrière entière à mesure que la crise s’approfondit. La semaine dernière, les forces de police ont été déployées contre des manifestants au Nord du pays qui voulaient l’arrêt de l’extraction d’or, qui cause des dommages énormes à l’environnement. La police anti-émeutes a aussi attaqué une manifestation en faveur de la fermeture imminente des « camps de concentration » pour migrants à Athènes.

    Même si cela ne se présente pas immédiatement, la classe dominante en Grèce a déjà recouru à la force militaire auparavant quand elle faisait face à une montée de la lutte de classe et de la crise économique. Cependant, la classe ouvrière Grecque a un immense pouvoir potentiel et va lutter pour empêcher ce processus de prendre place de nouveau.

    Qu’est-ce que Syriza a promis aux travailleurs en prenant le pouvoir ?

    Dans ses premiers jours de fonction, le gouvernement Syriza a fait des gestes symboliques importants. Son dirigeant, Alexis Tsipras, a prêté serment en tant que premier ministre sans prêter serment religieux. Il a plus tard été présenter un hommage aux combattants anti-nazis massacrés par l’armée allemande occupante durant la seconde guerre mondiale. Ce sont des événements hautement symboliques pour les Grecs.

    Le nouveau gouvernement dirigé par Syriza est aussi apparu comme tenant ses promesses pré-électorales et a annoncé une série de nouvelles mesures populaires. Celles-ci incluent la restauration du salaire minimum au niveau d’avant la crise ; une petite hausse des pensions basses ; l’abolition des frais de visite à l’hôpital et des charges sur les prescriptions ; la fin de la vente forcée des logements de ceux qui ne peuvent pas racheter leurs hypothèques ; l’annulation des privatisations prévues ; la réembauche des professeurs licenciés ; l’abolition du système « d’évaluation » du service civil, qui a été créé pour permettre des licenciements continuels ; la réembauche de plus de 3500 fonctionnaires et travailleurs du secteur public ; le rétablissement de l’ERT comme chaîne d’État et la réembauche de sa main d’œuvre ; et la citoyenneté pour les enfant des immigrants nés et élevés en Grèce.

    La promesse de ces politiques, qui doivent encore être votées au parlement, a été accueillie comme un énorme soulagement bienvenu pour les travailleurs grecs, après des années d’austérité. Mais depuis ces annonces, Syriza a eu des positions très compromettantes pendant les négociations avec la Troïka.

    Quelle est donc l’approche que Syriza a prise envers la Troïka ?

    Syriza a fait beaucoup de pas en arrière rien qu’en entrant dans des négociations avec la Troïka. Toutes les tentatives de courtiser les dirigeants de l’UE par des visites par Tsipras et le ministre des finances Yanis Vroufakis ont échoué. Ils estimaient possible de recevoir le soutien de l’Italie et de la France. Les dirigeants de Syriza regardaient aussi favorablement du côté de l’administration Obama. Certains pays de l’UE paraissaient plus préparés à laisser une marge à la Grèce, non pour des raisons altruistes, mais parce qu’ils comprennent qu’une confrontation directe avec Syriza pourrait conduire à une coupure des négociations, un défaut de paiement de la dette grecque et la sortie forcée du pays hors de la zone euro. Cela aurait des effets désastreux pour les pays de la zone euro, menant à sa dissolution et menaçant même l’existence de l’UE.

    Mais, même si les gouvernements de l’UE ont certaines différences d’opinion et d’emphase sur la marche à prendre, ils se réunissent largement en tant « qu’alliés » au sein de l’Eurogroupe dès lors qu’il s’agit des revendications de la Grèce. Aucun gouvernement de l’UE n’a publiquement déclaré son soutien à la Grèce ou n’a offert une assistance pratique réelle à ceux qui souffrent depuis des années des politiques d’austérité. Cela démontre que les seuls vrais alliés de la classe ouvrière grecque sont la classe ouvrière de l’Europe.

    Malgré leurs « lignes rouges » antérieures, les dirigeants de Syriza sont entrés dans des pourparlers en acceptant la dette et le besoin de rembourser les emprunts. Ils acceptent également que le processus soit supervisé par les 3 composantes de la Troïka, qui ne seront dorénavant plus appelées « Troïka » mais « institutions ».

    Le capitalisme allemand a montré qu’il n’était pas prêt à accepter les revendications de la du gouvernement grec, même modérées. Cela montre le caractère réel de l’euro-zone capitaliste. C’est un outil pour les grandes puissances, comme le capitalisme allemand, pour exploiter les petits pays – c’est à dire, la classe ouvrière de ces pays – de la zone, souvent en collaboration avec la bourgeoisie locale.

    Il est clair que le capitalisme allemand veut obtenir une victoire convaincante sur Syriza pour que cela serve d’avertissement à Podemos en Espagne et à tout autre parti anti-austérité sur ce qui se produira dans le cas où la voie de résistance de Syriza serait suivie. Le capital allemand et des alliés de l’UE veulent un accord qui soit au détriment de la Grèce au point que, quelle que soit la façon dont Syriza essaie de le vendre, cela détruise la grande popularité actuelle de Syriza et des nouvelles autorités grecques en Grèce et dans toute l’Europe. De nouveau, le message serait que la résistance, même la plus modérée, est inutile.

    Pourquoi Syriza a-t-il signé ?

    Le 20 février, les négociateurs grecs ont accepté une extension de 4 mois du programme de renflouement actuel. Il est rapporté que la délégation grecque a été sujette à un outrageux chantage de l’Eurogroupe qui avait pris la décision d’étrangler l’économie grecque en coupant le financement des banques. Il a été dit au gouvernement grec qu’il serait forcé d’instaurer des contrôles de capitaux dans les jours à venir faute de signature.

    Les éléments-clé de cet accord sont que la Grèce accepte le cadre du mémorandum pour les 4 prochains mois. Elle n’obtiendra le prochain paiement du programme que si elle est évaluée positivement par la Troïka. La Grèce doit être engagée à rembourser toute la dette à temps, et à utiliser le gros de l’argent collecté par le programme d’austérité pour rembourser la dette. La Grèce ne doit pas prendre de mesures unilatérales. Cet accord est un recul pour le gouvernement grec.

    Cela signifie-t-il pour autant une défaite ? Cela dépend de l’atmosphère des masses ouvrières grecques vis-à-vis de la lutte. Les 4 prochains mois ne seront pas une période de trêve, mais bien une période de batailles dans les tranchées. Les mouvements se battront pour étendre leur victoire politique sur l’establishment au niveau du terrain et des lieux de travail. La troïka va lutter pour maintenir Syriza dans le cadre de l’UE. Le gouvernement va se trouver au beau milieu de ces deux pressions. L’issue de cette guerre est une chose qui ne peut être prédite, c’est une bataille entre des forces vivantes.

    L’accord de 4 mois a pu empêcher la Grèce de quitter l’euro immédiatement, mais c’est à un prix très élevé. Malgré la tournure positive de Tsipras, Athènes a fait de grandes concessions, y compris en renonçant à demander une dépréciation de sa dette gigantesque. Renommer la Troïka « institutions » et le mémorandum « Accord de Mécanisme de Soutien Financier » n’évite pas la dure vérité que les Grecs vont devoir subir un programme d’austérité.

    Syriza proclame qu’il a obtenu le meilleur des accords possibles, sous la pression de la fuite des capitaux hors des banques grecques et de la menace d’un chaos bancaire. « Nous avons gagné du temps », clament les dirigeants de Syriza. Mais du temps pour quoi ? L’accord a vu Athènes devoir proposer des réformes acceptables à ses créditeurs dans l’UE et au FMI. Les propositions de Syriza doivent être approuvées par l’Eurogroupe et la Troïka, avec avril comme échéance pour que la Grèce complète sa liste finale de mesures et qu’elles soient acceptées par la Troïka. Si Syriza n’accepte pas ces diktats, le gouvernement ne pourra pas accéder aux nouveaux prêts dont il a besoin pour arrêter de faire défaut à sa dette de 320 milliards de dollars.

    « A une époque de tromperie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire ». Syriza devrait dire la vérité au peuple grec. Si le gouvernement a fait des concessions pour gagner du temps pour implanter un plan stratégique pour vaincre l’austérité, le peuple va le comprendre et se joindre à cette bataille. Mais ne pas le faire illustre tristement la voie que le gouvernement grec paraît prendre, celle de la collaboration de classe avec l’UE et l’élite locale, en acceptant leur agenda.

    Un choix autre que celui d’accepter les exigences de la Troïka existait-il ?

    Il est vrai qu’un gouvernement socialiste déclaré arrivant au pouvoir contre l’opposition féroce du grand capital aurait bien sûr à faire face à beaucoup de difficultés et peut être forcé de faire quelques concessions tactiques. Mais Syriza ne défend pas de programme socialiste général. Ses dirigeants s’engagent à rester dans l’euro-zone capitaliste quoi qu’il arrive. Cela signifie d’emprisonner les travailleurs grecs dans la camisole de force du capitalisme des patrons de l’UE et d’accepter la logique du « marché unique » et les diktats de la troïka.

    Varoufakis a déclaré suite à l’accord avec la troïka que ce dernier autorise la Grèce à modifier ses objectifs budgétaires pour cette année, de sorte d’obtenir un léger excédent, et qu’il existe une «ambiguïté créative» à propos des excédents budgétaires nécessaires à la Grèce au-delà de 2015. Le gouvernement grec dit que cela va permettre de mettre en œuvre certaines « politiques humanitaires ». Il est vrai que quelques milliards d’euros pourraient quelque peu alléger les souffrances des couches de la population les plus touchées. Étant donné que les Grecs ont traversé des années d’appauvrissement terrible avec les anciens gouvernements pro-austérité, tout espoir d’amélioration de leur condition est une lueur dans l’obscurité. Cela peut permettre à Syriza de se préserver du soutien. Pour le moment. Des acquis sociaux limités pour les plus pauvres et les plus touchés par l’austérité peuvent être considérés comme un certain progrès par la classe ouvrière, pour le moment, au moins en comparaison du triste bilan du dernier gouvernement Nouvelle Démocratie/Pasok.

    Mais cela ne sera pas suffisant pour concrétiser une série de réformes en faveur d’investissements publics massif dont les travailleurs et leurs familles ont désespérément besoin. Les principales parties du « Programme de Thessalonique » de Syriza, lui-même un recul par rapport aux programmes précédents, vont être reportées, peut-être indéfiniment. Si le gouvernement Syriza accepte les termes et conditions du capitalisme allemand, cela sera vu tôt ou tard par les travailleurs grecs comme un retournement de veste et une capitulation, quelle que soit la manière dont cela soit présenté. Les dirigeants de Syriza oscillent déjà publiquement sur certaines de leurs promesses politiques, comme le rétablissement de l’ERT et celles sur les mines d’or (d’une position de fermeture par les autorités à une simple position d’opposition rhétorique). Alors que Syriza s’était dit opposé à toute nouvelle privatisation, les autorités ont discuté de la possibilité d’impliquer des compagnies privées dans le « développement » des infrastructures.

    Quelle est l’alternative défendue par Xekinima ?

    Plus de 100 000 personnes se sont rassemblées au centre d’Athènes le 15 février en soutien à la position initiale de Syriza dans les négociations. Le même jour, d’autres grandes manifestations ont eu lieu dans toute la Grèce. Cela a été le plus grand mouvement généralisé depuis février 2012. L’ambiance était combative. Le fascisme et le nationalisme réactionnaire notamment illustré par Aube Dorée ont été mis à l’arrière-plan par le nouveau sentiment de « patriotisme » anti-troika et anti-impérialiste. 60% des électeurs d’Aube Dorée ont dit qu’ils étaient d’accord avec la position de Syriza au gouvernement. Cela montre l’énorme soutien actif potentiel qui pourrait être gagné pour une lutte déterminée contre la troïka sur un programme socialiste clair. Même si Syriza collait fermement à son programme de Thessalonique, les travailleurs et les plus pauvres en Grèce se seraient mobilisés avec enthousiasme en soutien de son application, avec le soutien actif des travailleurs de toute l’Europe, défiant leurs propres gouvernements austéritaires.

    Cela aurait demandé que Syriza négocie avec la troïka devant la classe ouvrière, en démasquant le rôle de l’Allemagne et des autres puissances capitalistes Européennes anti-ouvriers. Cela signifie de dire non à tout remboursement supplémentaire des prêts onéreux de la troïka et une répudiation unilatérale de la dette. Si les puissances de l’UE répondaient en menaçant d’exclure la Grèce de l’euro-zone, un gouvernement socialiste préparerait la classe ouvrière à l’action nécessaire dans cette situation. Il introduirait immédiatement un contrôle des capitaux afin de stopper la fuite de capitaux hors de Grèce par les grands investisseurs capitalistes.

    L’évasion et la fraude fiscales endémiques des riches et des grandes entreprises, qui coûtent des milliards qui pourraient être dépensés à la création d’emplois et au paiement des services, doit être arrêtée en expropriant ces entreprises pour les placer sous contrôle des travailleurs et en taxant les riches. La bureaucratie grecque connue pour sa corruption, son incompétence et son inutilité peut être surmontée par le contrôle ouvrier et l’instauration d’un salaire des hauts fonctionnaires identique à celui des ouvriers qualifiés.

    L’introduction d’une nouvelle drachme offrirait-elle une issue ?

    Si cela n’est pas lié à un programme socialiste, cela se révélerait désastreux pour les travailleurs. Cela provoquerait une dévaluation massive, qui anéantirait les économies de millions de personnes. Une nouvelle monnaie nécessiterait donc d’être liée à des mesures plus larges, y-compris l’introduction du monopole d’État sur le commerce extérieur pour élaborer une planification des exportations et des importations qui répondrait aux besoins du peuple grec. Cela exigerait la nationalisation du transport maritime et des principaux secteurs de l’économie – y-compris le système bancaire et les grandes entreprises industrielles, le commerce et les services – sous contrôle et gestion publics et démocratiques, afin de commencer à développer une économie démocratiquement planifiée.

    Cela créerait de la richesse pour les masses, pas pour l’élite. Ces mesures recevraient un énorme soutien de la part de la classe ouvrière d’Europe et inspirerait les nouveaux partis de gauche à lutter pour le pouvoir et pour prendre des mesures similaires. Pour les patrons de l’UE, pour l’exploitation capitaliste et pour l’OTAN belliciste, cela serait le début de la fin. La question d’une fédération socialiste d’Europe, sur base libre et égale, serait alors posée.

    Quelles sont les perspectives pour la gauche grecque ?

    Syriza est, en fait, un « front populaire » de différentes forces et tendances. Il y a de grandes divergences en son sein. Même si les parlementaires de Syriza tendent à être plus à droite, des tensions et divergences parmi le conseil ministériel ont été rapportées. La base a peu ou aucune chance de prendre part aux décisions importantes, comme quand les parlementaires de Syriza ont voté pour le candidat de la Nouvelle Démocratie au poste de président de la république. Même si la prise du pouvoir par Syriza a été entourée d’un climat d’optimisme, de plus en plus de couches de la classe ouvrière, des militants et une partie de la base de Syriza remettent en question les actes de la direction. Ils sont prêts à une résistance de masse continue contre la troïka et les patrons grecs, comme le sont les meilleurs membres de base ouvriers de KKE et d’autres groupes de gauche.

    La classe ouvrière sera prête à donner du temps au nouveau gouvernement de façon à voir si ses politiques seront en mesure de la sortir de la misère de l’austérité. Mais elle ne va pas attendre longtemps. Les masses ont l’exemple du Pasok en 2010, qui avait été élu sur une étiquette anti-austérité mais a imposé les politiques exactement inverses. L’amélioration des vies des millions dans le carcan de l’UE va rapidement se révéler une illusion. Et le rôle de la gauche révolutionnaire au cours de ce processus va être crucial. Il y a un besoin urgent d’une puissance politique non-sectaire à gauche de Syriza pour pousser le gouvernement à gauche là où c’est possible, mais pour s’opposer à tout virage à droite qui va finir par arriver.

    Xekinima est au centre de « l’Initiative des 1000 », une coalition de forces de gauche à l’intérieur et à l’extérieur de Syriza. Elle appelle à l’unité maximale des militants de gauche sur base d’un programme socialiste, anticapitaliste et anti-austérité de principe. La prise du pouvoir par Syriza a ouvert un nouveau chapitre agité dans la société grecque, qui appelle des luttes de classe majeures. Les syndicats seront eux aussi affectés par ces développements et les débats intenses qui s’ouvrent au sein de la gauche et des travailleurs sur la voie à suivre. Faire campagne pour des syndicats combatifs et démocratiques afin de résolument résister aux coupes budgétaires et aux privatisations, quel que soit le parti au pouvoir, est un objectif-clé. Le facteur le plus décisif de la prochaine période sera la capacité de la classe ouvrière à se mobiliser et à marquer les événements de son empreinte, à la fois politiquement et sur les lieux de travail.

    Si la gauche réussit à poser les bases d’une société socialiste, cela va faire tâche d’huile dans toute l’Europe et va changer le cours de l’Histoire. Si la gauche échoue à montrer la voie, les classes moyennes et de grandes parties de la classe ouvrière pourraient être à la merci de la frustration et de la démoralisation. Cela pourrait paver la voie à un retour de la Nouvelle Démocratie et d’autres partis pro-austérité, et même à une nouvelle croissance du parti d’extrême droite Aube Dorée. Les enjeux ne pourraient pas être plus élevés pour la classe ouvrière grecque et européenne.

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