Category: Europe

  • Grèce: La perspective d'une victoire de SYRIZA enflamme les espoirs des travailleurs

    La lutte de masse de la classe des travailleurs pour l’application de politiques anticapitalistes et socialistes sera vitale

    le 19 janvier, six jours à peine avant les élections générales grecques, socialistworld.net (site internet du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), dont le PSL est la section belge) a discuté avec Andros Payiatsos, membre de la section grecque du CIO.

    La dernière fois que nous avons discuté, vous nous avez parlé de la campagne de chantage et d’intimidation lancée afin de décourager les électeurs de voter pour SYRIZA. Comment les choses se sont-elles développées sur ce point ?

    La classe dirigeante et ses représentants politiques sont démoralisés. Ils ont effectivement lancé une campagne d’intimidation à large échelle, mais il est absolument évident que cela n’aura aucun effet significatif et que SYRIZA constituera le prochain gouvernement. La question qui se pose encore est de savoir s’il s’agira d’un gouvernement minoritaire ou majoritaire. La classe dirigeante tente encore de développer sa campagne d’intimidation, mais elle est très faible et inefficace. Ses efforts visent maintenant à essayer de “domestiquer” SYRIZA afin de s’assurer que l’organisation de gauche radicale agisse dans les limites qu’elle lui impose.

    Aujourd’hui, quel semble être le résultat le plus probable des élections ?

    En Grèce et sur la scène internationale, il est généralement admis que SYRIZA remportera ces élections. Cette dernière semaine, une légère augmentation du soutien pour SYRIZA (d’environ 1%) a encore pris place dans les sondages. Mais il s’agit essentiellement d’une stabilisation de l’avance de SYRIZA. En tenant compte des abstentions, le soutien de SYRIZA se situe autour des 25-27%. Sans les abstentions, son soutien s’élève à environ 30 à 33%. C’est un score qui se rapproche du seuil qui permettrait à à SYRIZA d’être en mesure de constituer un gouvernement majoritaire.

    Quelles sont les alternatives à un gouvernement SYRIZA majoritaire ?

    La direction de SYRIZA considère que les “Grecs indépendants” – une scission populiste «patriotique» de la Nouvelle Démocratie (le principal parti capitaliste de droite) – représente le partenaire de coalition le plus probable. Ce parti a adopté une position opposée au Mémorandum et à la Troïka dès ses débuts. [La ”troïka” est terme désignant l’Union européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international, trois organisations chargées de superviser la mise en place des mesures d’austérité par le gouvernement grec suite aux prêts d’urgence accordés à la Grèce par le FMI et d’autres gouvernements européens à des conditions drastiques, NDT]

    La plupart de la gauche n’est pas disposée à coopérer avec SYRIZA. Le Parti communiste (KKE) rejette même la possibilité de soutenir par le vote de ses parlementaires la possibilité que SYRIZA forme un gouvernement. C’est une position sectaire désastreuse.

    Si les Grecs indépendants ne disposent pas de suffisamment de députés, alors SYRIZA serait poussé à collaborer avec des partis considérés comme “Troikans” (c’est-à-dire des partis qui ont déjà soutenu ou appliqué les politiques d’austérité infligées à la Grèce par la troïka), comme “La Rivière” ou encore le nouveau parti de l’ancien Premier ministre du PASOK (social-démocratie) George Papandreou, le “Mouvement social-démocrate”.

    Quelle est la réaction de la classe dirigeante face à la probabilité croissante d’une victoire de SYRIZA ?

    Elle cherche à s’assurer qu’un gouvernement SYRIZA puisse être le plus stable et efficace possible en fonction de leurs intérêts. De larges sections des porte-paroles du capitalisme en Grèce et ailleurs disent aujourd’hui qu’il est “temps de négocier”, qu’il faut ”faire preuve de souplesse”, etc. L’objectif poursuivi est d’incorporer SYRIZA à l’establishment et de freiner les dangers que SYRIZA peut représenter pour les intérêts du capital en termes d’émancipation de puissants mouvements de masse opposés à l’austérité.

    La réaction de la classe dirigeante n’est cependant pas uniforme et il est important de le constater. Par exemple, la classe dirigeante allemande et celle des pays qui l’entourent sont toujours partisanes de la ligne dure et sont contre toute négociation sérieuse. Elles seront sans doute prêtes à faire des concessions à un gouvernement SYRIZA au cours de négociations, mais d’un caractère très limité.

    Andros Payiatsos, lors d’un meeting de Xekinima en décembre 2014.

    Comment SYRIZA réagit à cette pression ?

    Sa direction répond exactement de la façon espérée par la classe dirigeante. L’ensemble du programme du parti est devenu absolument flou. Même certaines réformes considérées comme très basiques sont maintenant remises en question.

    Par exemple, le leader de Syriza, Alexis Tsipras, dans une interview récente, a réagi au sujet de la lutte majeure de la population de Halkidiki contre l’exploitation de mines d’or. Il n’a pas pris de position claire mais a déclaré que “la loi sera appliquée” et que “les contrats seront examinés”. Qu’est-ce que cela signifie ?

    En ce qui concerne le salaire minimum, l’un des principaux points du programme de SYRIZA, rien n’est aujourd’hui clair concernant son instauration. Il est question d’une mise en œuvre progressive. Vis-à-vis des privatisations et du licenciement de milliers de travailleurs du secteur public, la direction affirme simplement “nous allons étudier la légalité de ce qui s’est passé.”

    Compte tenu de tout cela, l’enthousiasme réel pour SYRIZA est limité dans la société. Mais il existe aussi ce sentiment qu’il n’y a pas de choix, qu’il faut voter pour SYRIZA et lui donner si possible un gouvernement majoritaire sur base de l’impression que même si 10% des promesses sont appliquées, les choses seraient toujours meilleures qu’actuellement.

    Dans quelle mesure Xekinima (la section grecque du Comité pour une Internationale Ouvrière) participe aux élections et pourquoi?

    Nous soutenons SYRIZA et avons lancé une grande campagne en ce sens. Nous avons produit 150.000 bulletins de quatre pages ainsi qu’une édition spéciale de notre journal rééditée suite à une première vente de l’ensemble des exemplaires, ce qui est impressionnant compte tenu de la brièveté d’une campagne électorale qui, dans les faits, n’aura duré que 11 jours !

    Dans le cadre de ”l’Initiative des 1000″ (une coalition de groupes de gauche unis autour d’un programme anticapitaliste radical), nous avons discuté avec SYRIZA du dépôt de candidats sur leurs listes. Nous n’avons malheureusement pas été en mesure de le faire. La direction de SYRIZA accepte de s’allier à d’autres forces de gauche, mais dans le cadre d’un partenariat à caractère symbolique, sans réelle chance d’obtenir des élus. Elle a exclu de nous permettre de déposer des candidats dans des endroits où nous aurions été en mesure de mener une campagne puissante et efficace. Nous avons défendu que s’il y avait collaboration avec d’autres forces de gauche, SYRIZA devait leur donner la possibilité d’obtenir de bons résultats. Il est inutile de leur retirer leurs bastions et de ne leur permettre que d’avoir des candidats là où ils ont peu, voire aucune, de chances d’être élus. En plus de cela, la durée de la campagne était très limitée. Sur cette base, tant Xekinima que d’autres camarades de ”l’Initiative des 1000” ont décidé de ne pas se présenter.

    Cette attitude de la direction de SYRIZA est indicative d’une tendance générale. Par exemple, 50 personnes non-membres de SYRIZA ont été incluses sur les listes du parti à travers le pays. Parmi eux, un seul se situe à la gauche de SYRIZA! La direction désire disposer d’un groupe parlementaire contrôlé par l’aile droite du parti.

    La principale raison pour laquelle nous soutenons SYRIZA malgré ses limites est que sa victoire aura un effet libérateur sur la classe des travailleurs et les mouvements sociaux en général. La classe des travailleurs espère que les attaques antisociales cesseraient avec un gouvernement SYRIZA et que la tendance s’inverserait, dans une certaine mesure au moins, pour que quelques unes des revendications du mouvement de masse soient satisfaites. Ainsi, malgré le manque de clarté de la part de la direction du parti et le fait qu’elle s’accommode de certaines exigences de la classe dirigeante, nous croyons qu’une victoire de SYRIZA représentera un changement significatif dans le rapport de forces entre les classes au sein de la société grecque. Cela pourrait avoir un effet catalyseur et ainsi ouvrir la voie à une nouvelle période de lutte de classe.

    Peut-être que SYRIZA ne modifiera par la législation du travail, qui a été complètement déréglementée, mais les travailleurs sortiront en rue afin de réclamer leur droit à ne pas être licenciés, leur droit à la journée de huit heures, le droit au paiement des heures supplémentaires, le droit à la négociation collective,… Peut-être Tsipras n’est-il pas prêt à s’opposer à la compagnie minière “Eldorado Gold” à Halkidiki, mais la population de Halkidiki n’aura pas d’autre choix que de se battre pour exiger que l’entreprise stoppe ses travaux. Nous nous attendons à ce que des mouvements similaires se produisent dans toute la classe ouvrière grecque. Peut-être que Tsipras ne sera pas prêt à en finir avec le TAIPED, l’organisme qui supervise toutes les privatisations “accélérées” exigées par les créanciers du pays, mais les travailleurs sentent qu’ils peuvent maintenant passer à l’action pour résister à ces ventes scandaleuses qui concernent des entreprises publiques, des plages, des montagnes et des forêts.

    Quels que soient les compromis que désire faire la direction de SYRIZA, les travailleurs sentiront qu’ils disposent d’un bien meilleur environnement pour se battre et défendre leurs droits. C’est la raison fondamentale qui justifie de d’accorder un soutien critique et conditionnel à SYRIZA.

    Nous avons très clairement expliqué que nous n’appelons pas à voter pour SYRIZA en tant que tel, nous appelons à l’instauration d’un programme socialiste révolutionnaire radical, ce qui représente la seule voie viable pour un gouvernement SYRIZA.

    Pour Xekinima, que devrait faire un gouvernement SYRIZA dans les jours qui suivront son élection ?

    Il faudra bien entendu immédiatement paralyser le paiement de la dette publique et déchirer le protocole d’accord avec la troïka (le mémorandum). Cela est fondamental pour tout plan visant à lutter contre la misère du peuple grec.

    Il faudrait immédiatement modifier les législations du travail et des universités (pour rendre aux campus universitaires la liberté d’expression, de réunion, etc.); augmenter le salaire minimum pour revenir à ce qu’il représentait avant le début de l’austérité de la troïka; fermer le Taiped, l’organisme responsable des privatisations des services publics, de la nature et des ressources naturelles du pays; geler et abroger toutes les privatisations qui ont eu lieu au cours de ces dernières années; mettre un terme aux projets controversés actuellement en construction comme à Halkidiki, etc.

    Cela risque sans aucun doute de provoquer une réaction de l’establishment capitaliste national et international. Y faire face avec succès requiert de procéder à la mise en œuvre de mesures anticapitalistes audacieuses, de nationaliser les banques et les secteurs dominants de l’économie et de planifier l’économie sur base de la satisfaction des besoins de la population et non de la soif de profits. Pareil processus doit être réalisé sous contrôle et gestion démocratiques des travailleurs.

    Cela doit également être lié aux luttes des travailleurs à travers l’Europe. Nous sommes certains que si SYRIZA va de l’avant avec un tel programme, l’effet serait majeur à l’échelle internationale, en particulier pour la classe ouvrière d’Europe du Sud. Cela pourrait jeter les bases d’une alternative socialiste internationale à l’Union Européenne capitaliste et à la domination de la troïka.

    Dans la campagne électorale, SYRIZA se réfère aux aspects internationaux de ses politiques, à Podemos (le nouveau parti de gauche en Espagne) et à d’autres mouvements «progressistes» à l’échelle internationale. Malgré que le programme de SYRIZA soit si doux et conciliant, il pourrait toujours avoir un grand impact à l’échelle européenne et internationale. Cela montre ce qui pourrait être réalisé si le programme défendu était plus radical. Le potentiel est présent, très clairement. À l’heure actuelle, les politiques de SYRIZA sont de type néo-keynésiennes et cherchent à trouver la fin de l’austérité dans le cadre du système capitaliste.

    Dans les conditions de la crise capitaliste, un tel programme n’est pas viable. Seul un programme de rupture anticapitaliste peut offrir une véritable voie à suivre. Ce serait possible avec l’intervention massive de la classe ouvrière et des masses populaires qui pourrait, sous certaines conditions, pousser SYRIZA beaucoup plus loin vers la gauche que ce que sa direction envisage ou peut imaginer. Les efforts de Xekinima au lendemain des élections iront dans cette direction.

  • Allemagne : Qu'y a-t-il derrière les manifestations anti-immigrés PEGIDA ?

    Les syndicats et la gauche doivent s’organiser contre le racisme et pour des conditions de vie décentes pour tous !

    Ces dernières semaines, les manifestations ont été croissantes en Allemagne en faveur ou contre Pegida (Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident, en allemand : Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes, dont l’abréviation est PEGIDA). Ce mouvement a commencé en octobre dernier, dans la ville de Dresde, en Saxe, à l’Est de l’Allemagne. Pegida a gagné de l’élan et ses “manifestations du lundi” hebdomadaires à Dresde sont passées de mobilisations fortes de quelques centaines de personnes (le 20 octobre) à plusieurs milliers juste avant le Nouvel An.

    Wolfram Klein, SAV (section allemande du Comité pour une Internationale Ouvrière et parti-frère du PSL)

    Des manifestations similaires ont eu lieu, à bien plus petite échelle, dans d’autres villes du pays, mais il y a surtout eu l’émergence d’une vague de contre-manifestations bien plus puissante avec jusqu’à 35.000 participants.

    Selon les rapports qu’en ont livré les médias allemands, le 12 janvier, un peu plus de 30.000 personnes ont participé à des manifestations Pegida dans diverses villes d’Allemagne alors que défilaient plus de 100.000 manifestants anti-Pegida. Le plus grand rassemblement de Pediga a pris place à Dresde, avec 25.000 personnes, mais à Leipzig, une autre ville saxonne distante de Dresde de 115 km, 4.800 manifestants Pegida ont fait face à 30.000 contre-manifestants.

    Les “manifestations du lundi”

    Les manifestations Pegida ont commencé par une mobilisation essentiellement effectuée via les médias sociaux pour des “manifestations du lundi”, en référence à la tradition de la révolution qui a commencé à l’automne 1989 dans l’Allemagne de l’Est stalinienne. Des “manifestations du lundi” avaient alors commencé à Leipzig, le mouvement devenant ensuite rapidement massif et répandu à travers toute l’Allemagne de l’Est. Ces mobilisations ont joué un grand rôle dans le renversement du régime stalinien. Ce mouvement, qui a commencé comme une révolution politique exigeant des droits démocratiques et opposé à l’élite bureaucratique stalinienne, s’est terminé par la restauration du capitalisme. En 1990, la classe dirigeante allemande a saisi l’occasion pour réunifier le pays sur base du système en vigueur à l’Ouest.

    Depuis lors, cette tradition de protestation a été ravivée à plusieurs reprises. En 1991, des manifestations de masse ont pris place les lundis contre les pertes d’emplois monumentales en Allemagne de l’Est qui accompagnaient la privatisation de l’ancienne économie planifiée. En 2004, des manifestations du lundi ont pris à nouveau leur envol à l’Est du pays (également à l’Ouest, mais de façon plus limitée) contre l’introduction de mesures d’austérité (les fameuses «lois Hartz»). Au printemps 2014 encore, de plus petites « veillées du lundi pour la paix » ont été organisées. Dans de nombreux cas, elles combinaient une opposition à l’attitude agressive de l’impérialisme occidental dans le cadre du conflit ukrainien avec des idées confuses et réactionnaires (théories conspirationnistes, soutien à Poutine, etc.)

    Pegida prétend se situer dans la lignée de cette tradition. Ils utilisent des slogans issus de 1989 (en particulier « Nous sommes le peuple »), mais en y accolant un caractère totalement réactionnaire.

    Lutz Bachmann, le principal organisateur des manifestations Pegida, a un volumineux casier judiciaire qui compile agression, cambriolage, vol, possession de drogues illicites, etc. En 1998, il a fui en Afrique du Sud afin d’éviter une peine de prison, mais a ensuite été expulsé vers l’Allemagne. C’est cet homme qui veut maintenant inciter à la haine contre les étrangers prétendument « criminels ».

    Il explique que son appel à ces manifestation fait suite à son opposition à une manifestation du peuple kurde en octobre 2014. Cette manifestation était une démonstration de solidarité avec la ville syrienne de Kobané, qui résiste à l’Etat Islamique (Daesh). Ce mouvement qui s’affiche anti-islamisation a donc initialement été motivé par la haine contre ceux-là mêmes qui sont les combattants les plus déterminés contre l’islam politique réactionnaire…

    La peur de « l’islamisation » est de toute façon profondément irrationnelle. Seuls 5% environ de la population allemande sont des musulmans. Les démographes parlent d’une hausse de ce chiffre jusqu’à 7% en 2030. En Saxe, on trouve moins d’1% de musulmans. D’autre part, en Allemagne de l’Est, il ne subsiste plus de forte tradition chrétienne. Plus de 75% de la population saxonne ne sont affiliés à aucune religion, selon un recensement de 2011. Il est donc totalement faux d’invoquer la tradition de l’Occident judéo-chrétien comme le fait le porte-parole de Pegida. De plus, une grande partie de la véritable histoire du christianisme organisé en Europe a été marquée par un anti-judaïsme vicieux.

    Mais de telles distorsions de l’Histoire illustrent surtout que Pegida tente d’éviter les étiquettes traditionnelles de l’extrême droite, comme l’antisémitisme. Dans leur liste de revendications initiale, ils affirment être en faveur du droit d’asile pour les personnes persécutées ou fuyant la guerre. Les organisateurs de Pegida prétendent qu’ils sont seulement opposés aux réfugiés économiques, aux criminels et ainsi de suite. Mais tous les rapports de ces manifestations du lundi indiquent clairement que ces allégations ne sont que du camouflage.

    Des petits-bourgeois désespérés et en colère

    Comment expliquer un tel mouvement de masse irrationnel ? Beaucoup de ceux qui protestent à Dresde sont issus de la classe moyenne. Il s’agit typiquement d’un mouvement de la classe moyenne craignant sa déchéance sociale. Au début des années ’90, beaucoup de gens ont perdu leur emploi après la restauration du capitalisme en Allemagne de l’Est. Parmi eux, une certaine couche a essayé de devenir indépendants : artisans, professions libérales, etc. Ils ont travaillé dur pour joindre les deux bouts et ont peur que leur situation économique s’aggrave et qu’ils connaissent la faillite. La situation économique en Allemagne reste meilleure qu’ailleurs en Europe, mais la croissance économique fut très maigre ces dernières années.

    D’autre part, certains peuvent facilement avoir l’impression que l’Allemagne est un îlot de stabilité isolé dans un océan de crise et menacé d’être submergé par les eaux. La crainte du déclin social individuel se combine donc à la crainte du déclin social collectif de l’Allemagne. Pour ceux qui ne considèrent pas que la solution réside dans la lutte de classe et dans la défense d’une alternative socialiste contre la crise du capitalisme, il semble naturel de voir le nationalisme comme un moyen de protéger de l’île « Allemagne » contre les crises qui l’entourent. C’est d’autant plus le cas avec l’utilisation du nationalisme et du racisme par les médias et les politiciens capitalistes dans leur logique de diviser pour régner.

    À la fin des années ’80 et au début des années ’90, une grande campagne de propagande avait pris pour cible les demandeurs d’asile. Et depuis les attentats du 11 septembre 2001, les musulmans sont dépeints comme étant violents et arriérés. Les tabloïds publient des rapports ridicules au sujet de la déchristianisation et de l’islamisation: des « marchés de Noël » qui seraient renommés « marchés d’Hiver », des chants musulmans qui feraient leur apparition aux messes de Noël et ainsi de suite. Depuis 2010, les médias et les politiciens capitalistes allemands ont également attisé les préjugés contre les «paresseux» du Sud de l’Europe (en particulier contre les Grecs).

    Il y a deux ans, un nouveau parti a été fondé : l’AFD (Alliance pour l’Allemagne). Son caractère est encore flou puisqu’il s’agit d’un nouveau parti, mais on trouve en son sein des tendances populistes de droite et conservatrices. Son thème de campagne initial était la crise de l’euro et la revendication que l’Allemagne quitte la zone euro mais pas l’Union. Depuis lors, l’AFD s’est prononcées sur d’autres questions. Aux élections générales de 2013, l’AFD a raté de peu le seuil des 5% pour faire son entrée au Parlement. Mais depuis lors, des élus ont été obtenus au Parlement européen ainsi qu’aux trois parlements régionaux d’Allemagne de l’Est (notamment en Saxe).

    Au cours des onze premiers mois de 2014, en conséquence notamment de la guerre civile en Syrie, le nombre de demandeurs d’asile a augmenté de 55%. En plusieurs endroits, de nouveaux centres d’accueil ont été ouverts. Dans la plupart des cas, des fascistes et autres racistes ont organisé des protestations contre ces nouveaux refuges. Les attaques contre les centres d’accueil pour demandeurs d’asile ont triplé en Saxe durant l’année 2014.

    Un facteur important à considérer est le sentiment de n’être pas représenté au sommet de la société pour les habitants des régions de l’Est. Comme l’a déclaré le président du Conseil des migrations, de nombreux Allemands de l’Est “estiment qu’ils n’ont pas de voix”. La classe dirigeante est massivement d’Allemagne de l’Ouest en dépit du fait que les deux postes officiels les plus élevés dans la structure politique formelle – le président et la chancelière – sont actuellement détenus par des Allemands de l’Est.

    Malheureusement, Die Linke (le parti de gauche), en dépit de sa forte base électorale à l’Est, n’a pas été en mesure de mener des campagnes soutenues offrant des perspectives. C’est une des raisons pour lesquelles les résultats électoraux ont montré que le terrain était fertile pour les idées d’extrême droite à Dresde. Aux élections locales de mai 2014, 18.341 personnes (soit 2,8%) y ont voté pour le parti d’extrême droite NPD, tandis que 46.309 personnes (soit 7%) ont voté pour l’AFD.

    Une des raisons qui expliquent ces idées racistes en Allemagne de l’Est est le faible pourcentage d’immigrés, qui signifie que de nombreux habitants n’ont guère d’expérience personnelle avec des personnes d’origine étrangère. Leur vision des choses est profondément façonnée par les idées racistes propagées par les tabloïds et les autres médias de masse.

    Certains commentateurs pro-establishment sont irrités du fait que les manifestations à Dresde vont au-delà des habituels militants d’extrême droite. Ils affirment que de nombreux manifestants sont issu « du coeur de la société ». C’est vrai. Mais le racisme, la xénophobie et l’islamophobie sont très répandus dans ce « coeur de la société », en particulier chez la classe moyenne.

    Il serait toutefois erroné de considérer la montée de Pegida comme inévitable. Les petits-bourgeois ne sont pas automatiquement des réactionnaires racistes. En réalité, beaucoup parmi ceux qui ont participé aux contre-manifestations vivent dans des circonstances économiques et sociales similaires. Si le mouvement des travailleurs offrait une solution à la crise du capitalisme, il rallierait à lui de larges couches de la classe moyenne. Malheureusement, le niveau de lutte de classe a été faible en Allemagne ces dernières années. Die Linke n’offre pas non plus d’alternative claire.

    En Saxe, Die Linke est dominé par son aile droite. A Dresde, la majorité des conseillers municipaux du parti ont même voté pour la vente des 48.000 logements sociaux de la ville en 2006. Cela a conduit à une scission entre conseillers du parti, mais cela a discrédité Die Linke dans son ensemble. Les forces de gauche et antifascistes auraient pu étouffer le développement de Pegida s’ils avaient mobilisé des contre-manifestations tant que Pegida était encore un petit mouvement. Mais cette occasion a été manquée.

    Ailleurs qu’à Dresde

    Dans le reste de l’Allemagne, les antifascistes ont tirer la leçon de cette erreur. Depuis décembre, plusieurs tentatives d’imiter Pegida dans d’autres endroits ont été faites. Dans la plupart des cas, les organisateurs étaient d’organisations populistes de droite ou d’extrême droite. Ces mobilisations étaient limitées (tout comme les premières manifestation de Pegida à Dresde) mais elles ont directement été contrées par des contre-manifestations. Souvent, des blocages de milliers de personnes ont empêché ces manifestations d’arriver à destination, comme à Cologne et à Berlin le 5 janvier 2015. Les membres d’Alternative Socialsite (SAV, section allemande du CIO) ont dès le début participé à ces manifestations.

    La position adoptée par la classe dirigeante est contradictoire. Elle est intéressée par le maintien de son arme de diviser pour régner et ainsi susciter l’islamophobie et le racisme pour détourner l’attention des vrais problèmes quand elle l’estime nécessaire. Mais, à l’heure actuelle, elle est totalement opposée au développement d’un mouvement raciste comme Pegida, qui peut introduire des éléments d’instabilité et devenir hors de contrôle. Il peut dissuader des touristes étrangers et des travailleurs qualifiés de venir en Allemagne, alors que le capitalisme allemand veut faire face à sa population déclinante. Malgré la récente immigration élevée, la population du pays a tout de même diminué de plus d’un million de personnes depuis 2008. Les employeurs soulignent leur besoin d’importer des travailleurs, même si cela peut encore vite changer dès lors que l’économie allemande entre en récession. Dans une situation où les salaires ont été diminués depuis des années et alors que les loyers s’envolent dans certaines villes tandis que d’autres régions du pays (en particulier à l’Est) souffrent du dépeuplement, les appels des employeurs pour des travailleurs immigrés peuvent donner lieu à un certain ressentiment.

    Les principaux politiciens capitalistes ont peur de perdre des voix au profit de l’AFD si ce parti est renforcée par Pegida. Les médias et les politiciens capitalistes appellent donc à des contre-manifestations contre Pegida (mais pas au blocage de leurs marches). Leur position est contradictoire. D’un côté, ils aident à mobiliser comme pour les 35.000 personnes qui ont manifesté contre Pegida à Dresde le 10 janvier 2015. de l’autre, ils ne sont pas crédibles en attaquant Pegida puisqu’ils participent aux expulsions de demandeurs d’asile et partagent la responsabilité du véritable charnier pour réfugiés qu’est devenue la Mer Méditerranée. Ils divisent les immigrés entre «bons» (les travailleurs qualifiés dont a besoin le capitalisme allemand) et «mauvais» (le reste).

    Lors des manifestations anti-Pediga, les membres du SAV ont dénoncé toute cette hypocrisie. La plupart des appels lors de ces mobilisations sont principalement basé sur le moralisme, sur la tolérance, la diversité,… Ces appels ne peuvent convaincre que des convaincus. Le moralisme est totalement incapable de répondre au sentiment d’insécurité (conséquence des nombreuses crises du capitalisme) et aux préjugés racistes qui se combinent dans les manifestations Pegida. Si le mouvement anti-Pegida n’est pas en mesure de répondre à ces préoccupations réelles, alors une nouvelle crise économique, de nouvelles guerres ou des attaques terroristes comme cela a eu lieu à Paris fourniront de nouvelles recrues à Pegida.

    Après l’attaque terroriste contre Charlie Hebdo

    Les islamophobes de Pegida affirment que leur action a reçu une justification avec les attaques terroristes de la semaine dernière à Paris. Ils ont annoncé qu’ils allaient utiliser leur manifestation du lundi 12 janvier comme une « marches commémoratives » en hommage aux victimes. Il s’agit d’une nouvelle preuve d’hypocrisie puisque Charlie Hebdo est attaqué par les homologues français de Pegida. En fait, les organisateurs de Pegida et les fanatiques de l’islam politique réactionnaire ont beaucoup en commun. Ils ignorent les antagonismes de classe et propagent à la place l’idée d’un «choc des cultures». Tous deux haïssent la gauche, le mouvement organisé des travailleurs et les droits démocratiques.

    Après les attaques terroristes commises à Paris, les défenseurs des idées du socialisme ont insisté sur la nécessité de défendre le droit et la liberté d’expression. Certains pourraient considérer les blocages contre les manifestations Pegida comme contraires à cette position politique. Mais ces marches ne sont aucunement une application de la liberté d’expression. Au cours de ces dernières semaines, la violence fasciste contre les immigrés et les militants de gauche a augmenté. Les succès de Pegida encouragent cette violence. Les mobilisations visant à décourager cette tendance, y compris par des blocages de masse, sont tout à fait légitimes.

    Les revendications du SAV

    En décembre dernier, le SAV a décidé de placer en priorité de son travail les thèmes de la guerre, des réfugiés et du racisme.

    Après les grandes manifestations anti-Pegida du 5 janvier, nous avons produit une édition spéciale de notre journal avec une série d’arguments contre Pegida et des propositions destinées à aider à la construction du mouvement anti-Pediga. Le racisme n’est pas seulement orienté contre les immigrés, il sert à diviser et affaiblir la classe des travailleurs. Nous appelons les syndicats et Die Linke à organiser une campagne d’information contre le racisme et Pegida avec distribution de tracts sur les lieux de travail et dans les quartiers et organisations de rassemblements de masse et d’une manifestation nationale.

    Nous appelons à une lutte commune des travailleurs allemands et immigrés, avec et sans emploi, pour défendre un enseignement de qualité, une meilleure protection sociale ainsi que l’accès de chacun à de bons logements et à des emplois décents. Nous dénonçons aussi le racisme d’Etat et l’Europe-Forteresse, les exportations d’armes et les déploiements de l’armée allemande à l’étranger. Tout cela culmine à la revendication de la nationalisation sous contrôle et gestion démocratiques des banques et des secteurs-clés de l’économie dans le cadre d’une économie démocratiquement planifiée et respectueuse de l’environnement et d’une démocratie socialiste mondiale.

  • Sursaut populaire contre la terreur réactionnaire

    C’est une mobilisation populaire historique qui a traversé la France ce dimanche 11 janvier. Cette journée restera dans l’Histoire. Au total, ce sont plus de 4 millions de personnes qui se sont mobilisées suite aux attentats terroristes qui ont fait 17 morts en région parisienne. La mobilisation a rassemblé toutes les couches de la population, de toutes origines et confessions.

    Par Jean L. (Luxembourg)

    Il s’agit d’une mobilisation sans précédent qui démontre l’attachement du peuple français à la liberté d’expression, à la solidarité, et aux libertés démocratiques. Mais il faut bien reconnaître que cette “Union Sacrée” a également rassemblé quelques personnalités qui ne sont pas les amis de la liberté et de la démocratie : on pense notamment au 1er ministre israélien Benyamin Netanyahou et à quelques autres chefs d’Etats, champions de la censure et de la répression.

    Quant à François Hollande et les membres du gouvernement français, on ne peut pas leur reprocher d’avoir participé aux rassemblement, mais leur présence pose toutefois quelques questions:

    1. Leur amour soudain pour la liberté d’expression et pour un journal comme Charlie Hebdo est pour le moins étonnant. Qu’ont-ils fait pour défendre et pour soutenir la presse engagée et les journalistes d’investigation durant ces dernières années?

    2. Plus fondamentalement, le PS et l’UMP ont mené ces dernières années des politiques austéritaires et discriminatoires qui ont marginalisé les population immigrées, poussant un certain nombre de jeunes désorientés dans les bras des islamistes. Ils sont directement responsables de la montée du racisme et de l’islamophobie en France.

    3. Par leur soutien sans faille à l’Etat d’Israël et par leurs interventions impérialistes notamment en Afghanistan, ils ont contribué à la radicalisation de certains musulmans français.

    Pour ces raisons, tout en soutenant et en participant à la mobilisation populaire, nous devons dénoncer toute forme d’”Union nationale” qui ne constitue qu’une unité de façade sans aucune possibilité d’offrir un début de solution face aux menaces qui planent sur nos droits démocratiques et nos libertés.

    La seule réponse valable réside dans la défense concrète des droits et des intérêts de travailleurs français et immigrés, de toute origine ou confession. Ceci exige un changement de cap radical de la politique. Ce changement doit se développer sur 3 axes :

    Tout d’abord, il faut cesser de stigmatiser et de marginaliser les populations immigrées. Il faut que les travailleurs immigrés aient les mêmes droits que les Français et les mêmes possibilités de vivre et de travailler en France.

    Ensuite, il faut rompre avec la politique d’austérité et de régression sociale car c’est cette politique qui jette des centaines de milliers de travailleurs français et immigrés dans la misère. C’est précisément sur ce terrain de destruction sociale que se développent d’un côté le racisme et de l’autre côté le repli identitaire.

    Il faut enfin que la France rompe avec sa politique étrangère impérialiste qui fournit aux jihadistes un de leurs meilleurs arguments pour recruter.

    Un tel changement de cap ne pourra se faire avec le PS ou l’UMP, et encore moins avec le Front National. Ces partis sont tous soumis aux intérêts du patronat qui ne veut en aucun cas rompre avec la politique austéritaire, ni mettre une partie de ses plantureux profits au service des “idéaux républicains”. Les divisions entre travailleurs d’origines et de cultures différentes servent également les intérêts des patrons car ils affaiblissent l’unité de la classe des travailleurs et son potentiel de résistance.

    Ce changement de cap ne pourra se faire que par une mobilisation des travailleurs et des jeunes de toutes origines, autour des véritables organisations de gauche afin de construire une société qui fonctionne dans l’intérêt de l’écrasante majorité de la population, et non plus au profit de quelques-uns. Une société dans laquelle les richesses sont produites en fonction des besoins et sont partagées équitablement. Une société dans laquelle les droits démocratiques ne seront pas des droits abstraits valables uniquement pour ceux qui en ont les moyens, mais des droits concrets et vivants, disponibles pour tous.

    La jeunesse et les travailleurs français viennent de montrer qu’ils ont un potentiel immense entre les mains. Ils faudra dans les semaines et les mois qui suivent, qu’ils résistent d’abord à toutes les tentatives de récupération et à tous les amalgames douteux, pour ensuite utiliser cette force afin de construire les bases d’une nouvelle société réellement solidaire et démocratique.

  • Liberté d’expression ! Non au racisme ! Pas d’unité derrière les Valls-Merkel-Cameron-Sarko,…

    L’attaque et le meurtre de 12 personnes par des hommes lourdement armés dans les locaux du journal Charlie Hebdo mercredi 7 janvier est un événement dramatique que nous condamnons fermement comme une attaque lâche et barbare.

    Par la Gauche Révolutionnaire (CIO-France)

    Nos pensées et tout notre soutien vont bien sûr vers les proches des victimes : Frédéric Boisseau, agent d’entretien ; Bernard Maris, économiste ; Michel Renaud, Elsa Cayat, psychanalyste ; Mustapha Ourrad., correcteur ; Franck Brinsolaro, brigadier ; Ahmed Merabet, policier ; Wolinski, Charb’, Tignous, Cabu, Honoré (dessinateurs), les autres victimes et les blessés.

    En attaquant Charlie Hebdo et des personnes comme Wolinski et Cabu, ce n’est pas n’importe qui qui a été visé. Ce sont, pour beaucoup, des journalistes connus pour leur engagement de longue date. Ils ont, de multiples manières, combattu l’intolérance, le racisme, la censure… Qu’ils meurent sous les balles de fous furieux racistes et intolérants nous révolte. En s’en prenant aussi à de simples travailleurs, ceux qui ont commis cet assassinat atroce démontrent qu’ils n’en ont rien à faire de lutter contre le racisme, ils ne défendent pas les musulmans et ne veulent surtout pas d’une société tolérante et respectueuse de chacun.

    En aucun cas les musulmans en France ne vont se sentir soulagés par cet acte, bien au contraire. C’est d’ailleurs bien souvent eux qui vont payer les conséquences dans la rue, comme à chaque fois qu’un acte réactionnaire et aveugle est commis. Ces terroristes qui prétendent défendre une « religion » ne valent pas mieux que les réactionnaires islamophobes qui, du coup, vont se frotter les mains et multiplient les actes de violence à l’égard des musulmans. De fait, ces deux catégories marchent main dans la main pour développer l’intolérance et l’obscurantisme. Cet acte terroriste odieux et lâche renforce tous les courants réactionnaires qui veulent diviser les travailleurs et les jeunes sur une base religieuse ou communautaire.

    Pas d’entrave à la liberté d’expression et au droit à la caricature !

    Charlie était le produit d’une longue tradition de lutte contre la censure, contre le racisme et l’extrême droite ; sans pour autant épargner la gauche. Ils utilisaient la provocation et le sarcasme à l’extrême comme moyen de dénonciation du politiquement correct et de la manipulation politique et médiatique. On défend Charlie Hebdo car on pense qu’il ne doit pas y avoir d’obstacles à la liberté d’expression. Nous savons que ce droit est très vite attaqué par les classes dirigeantes. Nous avions défendu la même position pour Dieudonné alors que nous sommes en désaccord avec ce qu’il dit, qui peut aussi être considéré comme du racisme dans certains aspects, notamment ses nombreux sous-entendus anti-sémites. Quand Charlie Hebdo a publié les caricatures de Mahomet c’était d’abord pour répondre aux menaces de mort contre le journaliste danois, pour dire : oui on a le droit de ne pas croire en dieu et de critiquer les religions… Le problème c’est qu’aborder les choses de façon aussi provocante, et parfois insultante, dans un contexte de surenchère dans le racisme anti-musulman, surtout après le 11 septembre 2001, n’est pas une réponse et peut même paraître faire le jeu des racistes. Et ce fut le cas des fois notamment durant les trop longues années où Charlie a été dirigé par l’opportuniste Philipe Val (qui sera passé de l’extrême gauche dans sa jeunesse à prôner désormais des positions proches de Sarkozy). Tout en défendant le droit le plus complet à la liberté d’expression, c’est sur ces sujets là que nous gardons largement nos distances avec certains propos et dessins que pouvaient publier Charlie.

    Les caricatures peuvent toujours déranger, mais elles ne tuent personne au contraire des réalités que des dessinateurs comme Cabu ou Wolinski ont dénoncé dans leur travail d’artiste. On pouvait les trouver un peu «bêtes et méchants» des fois, mais eux mêmes visaient à dénoncer la bêtise et l’oppression. Dès leurs débuts, ils se sont affrontés aux forces qui brimaient la société : l’Eglise, l’armée, les partisans du colonialisme, l’extrême droite… Ce qu’ont visé ces terroristes dans leur lâcheté, ce n’est pas les vrais islamophobes d’extrême droite, mais des défenseurs de la liberté d’expression, et de la lutte contre l’oppression et le totalitarisme. Souvent, ça n’était pas la foi qui était visée dans les dessins, mais l’utilisation qui en est faite à des fins de pouvoir ou de racisme.

    Pas d’unité avec ceux qui nourrissent le racisme !

    Il est quand même incroyable d’entendre tous les politiciens que Charlie critiquait et caricaturait défendre aujourd’hui ce journal. Les dessinateurs auraient bien rigolé d’ailleurs si on leur avait dit que la cathédrale Notre Dame de Paris sonnerait le glas en leur hommage pendant 15 minutes… belle prouesse pour des anticléricaux forcenés ! Ce sera leur dernière blague, dommage qu’ils ne puissent en profiter.

    Mais, il y a de quoi rire jaune devant l’hypocrisie sans borne des classes dirigeantes et de leur valets des médias, et on ne doit pas oublier quelles sont les responsabilités des uns et des autres. Nous défendons de manière intransigeante la liberté d’expression, mais quand on sait que la presse est à 90% aux mains de grands groupes capitalistes qui y censurent sans hésiter souvent selon les lois de la rentabilité, ce ne sont certainement pas eux qui peuvent nous donner des leçons sur la « liberté d’expression ».

    Sarko, Le Pen etc. n’ont pas leur place dans les hommages !

    Alors qu’une nouvelle loi « anti terroriste » restreignant nos libertés a été votée en novembre, sous prétexte de lutte contre les filières djihadistes, prétexte toujours facile pour fliquer les gens, tout d’un coup les politiciens se préoccupent de nos libertés. Il y a deux mois, la police était déployée avec violence pour empêcher les actions pacifiques en mémoire de Rémi Fraisse, militant écologiste assassiné par la police. Alors que ce gouvernement attaque les syndicalistes, ils se préoccuperaient de la liberté d’opinion ? Alors que tous les médias à la recherche du « clash » et du « buzz » sont ouverts à des Zemmour & co et multiplient les amalgames et les insultes contre les musulmans et les immigrés, ils se redécouvrent défenseurs de la liberté d’opinion et de la tolérance ?

    Même le FN veut entrer dans cette « unité nationale » et prétend défendre un journal qui luttait contre ce qui fait son fond de commerce : le racisme et l’islamophobie en particulier. Non, le FN n’a pas sa place dans des hommages aux morts de Charlie Hebdo. D’autant plus que Marine Le Pen en profite pour parler de réintroduire la peine de mort, chose contre laquelle tous les dessinateurs de Charlie ont toujours été.

    Quant à la droite, ce n’est pas non plus l’hommage aux morts de Charlie qui l’intéresse. Sarkozy parle de « guerre de civilisation » comme il a parlé des « racailles » avant. Des députés de droite comme Mariani se prétendent défenseurs de la liberté d’expression alors qu’ils ont tenté de faire interdire de nombreux spectacles et même des chansons de Rap… Pas d’unité avec ces politiciens qui tentent de se servir de l’émotion actuelle pour avancer leurs idées racistes.

    Et certainement pas non plus avec les chefs de gouvernement qui ont été invités par Valls : le premier ministre espagnol et héritier du franquisme, Rajoy, le premier ministre britannique Cameron qui avait animé dans sa jeunesse les jeunesses du Parti conservateur et leur campagne « pendez Mandela »…

    La liberté d’expression : une arme contre les classes dirigeantes et les réactionnaires.

    Alors, nous manifesterons, en hommage aux victimes, en défense de la liberté d’expression et d’opinion, et contre les politiques de régression sociales qui font le lit des fanatiques et réactionnaires de tous bords. Nous devons être le plus nombreux possible dans les jours et mois à venir à les empêcher de se refaire une virginité sur la mort de ces personnes. Il nous faut de l’unité, mais pas cette unité de façade qui ne garantit pas nos libertés.

    Le meilleur hommage que l’on puisse rendre aux victimes, c’est de renforcer la lutte contre le racisme, l’obscurantisme et toutes les politiques qui visent à diviser les travailleurs et les jeunes. Ce qui nous manque cruellement depuis des années c’est d’avoir une force politique qui défende clairement les victimes de la société capitaliste, qui soit ouverte à tous et toutes, et se donne pour objectif l’unité des travailleurs, des jeunes, des chômeurs, des retraités, quelles que soient les origines, les cultures… Une force politique qui appelle à lutter autant contre les attaques du gouvernement et du patronat que contre le racisme et l’intolérance. La gauche nous a trahi de multiples façons ces dernières années, en acceptant de placer son action dans le cadre du capitalisme, en abandonnant la lutte antiraciste et en soutenant pour certains les guerres (au Proche et moyen Orient, au Mali…). Ce même gouvernement nous parle du « danger djihadiste » ici, alors qu’il soutient la Turquie qui aide Daesh en Syrie, qui s’allie avec le Qatar ou l’Arabie Saoudite dont les régimes ultra-réactionnaires soutiennent eux aussi des groupes terroristes…

    Le gouvernement actuel, dirigé par le PS, porte aussi une responsabilité dans l’atmosphère délétère de ces derniers mois. Il suit sans sourciller les pas des politiques de casse sociale et démocratique engagées par son prédécesseur, Sarkozy. Les événements ne doivent pas nous faire oublier les déclarations de Macron, pour qui le seul objectif que doit avoir un jeune est de devenir milliardaire, ce qui veut dire s’enrichir sur le dos des travailleurs et de la majorité de la population. Ils ne doivent pas nous faire oublier non plus les milliers de licenciements, la politique ultra libérale en faveur des plus riches et le chômage, qui nous touchent tous d’où qu’on vienne. La mobilisation en hommage aux morts de Charlie ne doit pas nous faire mettre de côté la nécessité d’une lutte d’ensemble contre la politique de ce gouvernement au service des riches et des banquiers.

    Pour l’unité des travailleurs et de la population contre le racisme, l’islamophobie et l’antisémitisme !

    L’édition du Monde de jeudi 8 janvier titrait « Le 11 septembre français » … fidèle au sensationnalisme qui caractérise désormais les médias. Mais le fait qu’ils osent cette comparaison est lourde de sens sur l’ambiance que l’on devra subir dans les semaines à venir. On peut s’attendre à ce qu’un espace plus grand existe pour les forces de droite et d’extrême droite. C’est à nous de nous organiser sur des bases de lutte contre le racisme et contre le capitalisme pour contrer cela. On peut s’attendre à ce que cet attentat soit utilisé par les classes dirigeantes (pas seulement en France) pour imposer des mesures drastiques contre les immigrés (ou ceux qui ont l’air de l’être…), les militants et nous tous, sous prétexte d’unité nationale et de lutte contre le terrorisme. Le plan Vigipirate a déjà été mis au niveau maximum en Île de France, ce qui prévoit entre autre l’interdiction des grands rassemblements, et va renforcer encore les contrôles au faciès notamment parmi la population d’origine maghrébine.

    Le climat d’islamophobie entretenu est de plus en plus fort. Ceci amène certains musulmans en France à se sentir fort justement sous attaque. Nous dénonçons toute forme de racisme, d’islamophobie, d’antisémitisme, de sexisme… Et nous luttons pour un monde solidaire, fraternel, et tolérant. Rien de comparable avec ces illuminés qui se prennent pour des justiciers (mais craignent, semble-t-il, des gens armés d’un simple crayon). Les terroristes, à l’image des seigneurs de guerre qui violent et pillent des populations sans défense en Afrique et au Moyen Orient, n’ont que faire de la lutte des peuples de ces régions, que ce soit en Palestine, en Syrie, en Irak, lors des révolutions en Tunisie, en Egypte, ou des mouvements de masse au Burkina, au Sénégal…pas plus que de celles des gens ordinaires, musulmans ou pas, en France. La « religion » de ces terroristes est un trafic juteux et rentable comme celui des armes, tout comme le trafic d’êtres humains est un business pour des groupes comme Boko Haram ou Daesh, qui d’ailleurs massacrent en premier lieu des musulmans par milliers au Nigeria, au Cameroun, en Irak ou en Syrie. Dans le même temps, si, en Europe, des jeunes se radicalisent au point de perdre toute notion humaine et de devenir terroriste, ce n’est pas sans rapport avec la politique des impérialistes qui bombardent certains pays depuis des années, et ont semé le chaos et la guerre pour des centaines de millions de personnes de part le monde.

    Mais face à cela, ce n’est pas le terrorisme individuel qui changera les choses, au contraire, il renforce la classe dominante et enferme les populations dans la peur. Et la réponse n’est pas le repli sur soi, l’enfermement dans les communautés, qui est certainement voulu autant par l’extrême droite traditionnelle française que par certains groupes religieux. C’est au contraire un mouvement de masse tolérant, combatif et démocratique qu’il faut !

    Tous ensemble, reprendre l’initiative !

    Les syndicats, les organisations du mouvement ouvrier, les associations doivent appeler à se rassembler et à rendre hommage aux victimes de Charlie Hebdo sur leurs propres bases : pour l’unité des travailleurs, des jeunes et de la grande majorité de la population quelque soit son origine ou ses croyances, pour la liberté d’expression, contre tous les réactionnaires et les terroristes intégristes, contre les politiques racistes et impérialistes des gouvernements en France qui accroissent les divisions sectaires, l’intolérance et l’obscurantisme.

    Contre le racisme, et contre les politiques qui mettent dans la précarité des millions de personnes, il faut une mobilisation unie et massive ! C’est sur ces bases que nous participerons au soutien aux journalistes et employés de Charlie Hebdo et que nous continuerons de lutter contre les politiques de régression sociale du gouvernement dans les semaines et mois à venir.

    Nous sommes pour une société tolérante et démocratique, où chacun puisse vivre comme il l’entend, selon la culture, la philosophie, la religion qu’il souhaite. Une telle société démocratique est possible, elle demande qu’on lutte tous ensemble pour détruire les racines de l’oppression et de la division : le capitalisme, sa loi du profit et l’exploitation des travailleurs et des richesses naturelles au bénéfice d’une petite minorité de super riches. C’est en retirant des mains des capitalistes les principaux moyens de productions et d’échange, et en organisant l’économie de manière démocratique, sous propriété publique et sous la gestion et le contrôle des travailleurs et de la population qu’on peut mettre fin aux inégalités, aux guerres et à l’injustice. C’est cette perspective d’une société socialiste et démocratique que nous défendons, en opposition complète à la barbarie sans fin que nous impose le capitalisme. Rejoignez nous!

  • STOP à la campagne d’intimidation contre la volonté des grecs d’en finir avec l’austérité !

    Manif: Samedi 17 janvier – 14h Place Madou à Bruxelles

    Beaucoup de Grecs se tournent aujourd’hui vers la possibilité d’un gouvernement Syriza, la formation de gauche en tête de tous les sondages pour les élections anticipées du 25 janvier, pour en finir avec les politiques d’austérité.

    Opposons nous à l’ingérence des dirigeants de L’Union Européenne dans les élections en Grèce et leur campagne féroce d’intimidation et de chantage contre les électeurs. Angela Merkel, chancelière allemande, menace de sortir la Grèce de la zone euro pour punir les Grecs s’ils votent mal ; Mario Draghi, président de la BCE, menace de couper les liquidités à la Grèce ou encore Antónis Samarás, premier ministre grec sortant du gouvernement ND (droite) et Pasok (social-démocratie) a déclaré qu’avec une victoire de Syriza, la Grèce deviendrait similaire à la Corée du Nord.… Bref les Grecs ne pourraient choisir qu’entre la continuation de leur politique d’austérité ou le chaos et l’enfer sur terre.

    Depuis 2010, des plans d’austérité brutale ont été imposés aux travailleurs et aux jeunes en Grèce par la Troïka (BCE, FMI et UE). Aujourd’hui, officiellement 6.3 millions de Grecs vivent sous le seuil de pauvreté (environ 400€ par mois). La résistance avec une trentaine de grève générale a été gigantesque. Un gouvernement de gauche avec et autour de Syriza en Grèce peut entraîner un regain de confiance pour les luttes des travailleurs afin de développer une alternative à l’austérité.

    En Belgique, le gouvernement de droite de Michel 1er veut nous imposer la même tragédie qu’ont subi les Grecs ces 4 dernières années. Le 1er plan d’action des syndicats n’est qu’une première étape dans notre lutte pour faire tomber ce gouvernement et l’ensemble de la politique d’austérité.

    EGA participe à la plateforme pour la manifestation de ce samedi 17 janvier, qui partira à 14h de la place Madou vers le parlement européen, en solidarité avec la lutte des travailleurs et des jeunes en Grèce et contre la campagne de peur de l’establishment européen. Rejoins-nous pour une alternative socialiste à l’exploitation capitaliste.

    => Page de l’événement facebook

  • [INTERVIEW] Vers un gouvernement Syriza ?

    xekinima-300x200Des élections générales se tiendront le 25 janvier

    Interview d’Andros Payiatsos, Xekinima (Section grecque du Comité pour une Internationale Ouvrière et parti-frère du PSL)

    Suite à l’impossibilité d’élire un président, une crise institutionnelle a éclaté fin de l’année dernière en Grèce, pays en proie à une austérité sauvage. Des élections générales anticipées sont de ce fait appelées le 25 janvier. Cette situation suscite une grande panique de la classe capitaliste internationale qui semble perdre la main. En effet, le parti de gauche radicale Syriza se retrouve en tête des sondages, car il est considéré comme la meilleure opportunité pour riposter contre l’austérité.

    Pourquoi ces élections ont-elles été appelées ?

    Officiellement, cela fait suite aux élections présidentielles. En Grèce, le président est élu par une majorité de 60% au Parlement. La constitution précise que si le Parlement se retrouve dans l’incapacité d’élire un président, des élections générales doivent alors être organisées et le président peut alors être élu par une majorité simple au nouveau Parlement.

    Toutefois au-delà de cette question, la raison fondamentale de la crise actuelle porte sur les politiques du gouvernement qui se sont heurtées à un mur de briques. La société rejette ces politiques et cela s’est reflété au Parlement, où le PASOK (le parti traditionnel de l’ex-social-démocratie) et la Nouvelle Démocratie (parti de droite capitaliste) ont perdu une grande partie de leurs députés. Ces députés sont devenus indépendants et n’ont plus voté avec le gouvernement. En outre, les partis gouvernementaux ne sont pas parvenus à diviser les partis plus petits que sont Gauche Démocratique et Grecs Indépendants en dépit de leurs intenses tentatives en ce sens. Ils n’ont de ce fait pas réussi à recueillir les 60% nécessaires à l’élection d’un nouveau président et ainsi rester au pouvoir jusque 2016, année où devait se finir l’actuelle législature.

    Que devrait-il normalement se produire avec ces élections ?

    Le plus probable est une victoire de Syriza.

    Pourtant, la classe capitaliste, tant grecque qu’internationale, a lancé une grande campagne basée sur la peur pour tenter d’empêcher que cela n’arrive. Celle-ci argumente – comme cela était attendu – que si Syriza remporte les élections, la Grèce serait alors expulsée de l’Euro, que cela équivaudrait à un cauchemar absolu, que tout l’enfer se déchainerait sur le pays, etc. Le premier ministre a notamment déclaré qu’avec une victoire de Syriza, la Grèce deviendrait similaire à la Corée du Nord. Cette campagne atteint des sommets de ridicules.

    Cependant, l’effet sur la population ne sera pas le même qu’en 2012. Les gens sont maintenant suffisamment en colère que pour voter pour Syriza malgré cette campagne de peur. L’establishment est donc en pleine panique concernant l’issue de ces élections, et notamment la Nouvelle Démocratie.
    Mais rien n’est encore joué. Papandreou (le précédent premier ministre et ancien président du PASOK) veut créer une scission au sein du PASOK et constituer un nouveau parti. Cette scission se présente comme étant l’aile gauche du parti. Elle accuse le parti d’abandonner les principes socialistes, en dépit du fait que Papandreou est précisément le premier ministre qui a mis la Grèce sous la coupe de la Troïka. Le soutien dont pourrait bénéficier ce nouveau parti représente encore une question ouverte.
    Notons que l’avance de Syriza sur la Nouvelle Démocratie tourne autour des 3-4% dans les sondages. Bien que l’évolution la plus probable soit une victoire pour Syriza, il est difficile de prédire quelle sera son ampleur. Sera-t-il possible de former un gouvernement majoritaire ou devront-ils composer avec un gouvernement minoritaire devant compter sur les votes des parlementaires de la Gauche Démocratique (s’ils sont élus), des Grecs Indépendants ou du nouveau parti de Papandreou ? Toutes ces forces sont acquises à l’establishment.

    Comment pensez-vous que Syriza agirait au gouvernement?

    À certains égards, la direction de Syriza préfèrerait l’emporter sans disposer de la majorité absolue. Ce cas de figure lui permettrait de blâmer les parlementaires d’autres partis pour ne pas être en mesure de mener des politiques plus radicales.

    Ce ne serait toutefois qu’un prétexte. La direction de Syriza s’est clairement droitisée depuis les élections de 2012. Dans le reste de l’Europe, Syriza est présenté comme un parti radical, très à gauche, voire même d’extrême-gauche. Mais en Grèce, la méfiance et le manque d’enthousiasme sont grands parmi les masses. La population observe que les dirigeants de ce parti font tout leur possible pour parvenir à un accord avec les forces du marché – la Troïka, l’Union Européenne et l’establishment national. Il n’est d’ailleurs pas exclu que Syriza puisse encore glisser plus loin vers la droite une fois au pouvoir afin de rester au sein de la zone euro.

    Face à ce risque, nous aurons l’intervention des mouvements de masse. Les problèmes de société sont gigantesques avec des millions de personnes se trouvent dans une situation absolument désespérée. Ils devront se battre, et ils vont se battre, pour pousser vers la gauche un gouvernement Syriza. Ainsi, malgré le fait que la direction Syriza se droitise et recherche d’un compromis avec les forces des marchés à l’échelle internationale, il est possible qu’elle soit poussée vers la gauche sous la pression du mouvement de masse.

    Que pense Xékinima de la riposte nécessaire face à la campagne de peur au sujet de l’euro, etc. ?
    Nous pensons qu’il est impossible d’avoir un programme favorable à la classe des travailleurs – abandonner l’austérité, sortir de la crise économique sur base du secteur public, refuser les politiques néolibérales de l’Union Européenne – et de rester en même temps dans la zone euro telle qu’elle existe aujourd’hui.

    Il n’y a que deux possibilités. Soit un appel de masse internationaliste sera lancé – par les forces radicalisées de la classe ouvrière et le gouvernement de gauche grecque et les forces de gauche européenne – afin de lutter pour arracher des changements majeurs dans une orientation socialiste à travers le continent. Soit, si cet appel ne se produit pas (et est refusé par la direction de Syriza) ou s’il n’a pas suffisamment de temps pour se développer, alors le pays se retrouvera à l’extérieur de la zone euro.

    Un retour à une monnaie nationale ne serait cependant pas nécessairement une catastrophe si cela s’accompagne de politiques socialistes menées en Grèce par un gouvernement de gauche basées sur des nationalisations des secteurs clés de l’économie et la planification démocratique de l’économie sous contrôle et gestion des travailleurs. Dans ces conditions, un appel internationaliste devrait continuer à être lancé vers un changement socialiste majeur en Europe. Nous croyons que cette approche doit être soumise ouvertement à la classe ouvrière grecque afin de la préparer aux batailles qui se profilent.
    Malheureusement la direction de Syriza ne se prépare à aucune de ces deux options. Elle crée simplement un optimisme artificiel : « ne vous inquiétez pas, rien ne se passera, nous garantissons que le pays va rester dans la zone euro ». C’est une grave erreur.

    Comment la lutte devrait-elle être organisée sous un gouvernement Syriza ?

    Dans le contexte actuel, aucune lutte isolée ne peut l’emporter. La coordination consciente des luttes est primordiale. Elles doivent se lier à la base et à la gauche de Syriza afin de pousser le parti vers la gauche. Des structures démocratiques doivent être crées dans la société et au sein des mouvements de sorte que la base puisse avoir voix décisive.

    Pour se débarrasser de la Troïka et du gouvernement actuel, ces luttes doivent être aux mains de l’ensemble de la gauche. Malheureusement, celle-ci est divisée. Une partie de la responsabilité de cela incombe à la direction de Syriza, qui ne cherche pas à construire véritablement un front uni. Mais la société et la classe ouvrière vont se déplacer en masse pour voter pour Syriza.

    Xekinima, section grecque du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) fait partie de ce mouvement. Dans le cadre de ‘‘l’Initiative des 1000’’, nous appelons à voter pour Syriza. Nous soutenons que les luttes doivent viser l’application d’un programme socialiste : nationaliser les banques, nationaliser les leviers économiques, planifier l’économie. Tout cela doit être sous contrôle et gestion démocratiques des travailleurs, sinon nous connaitrons la corruption que nous avons déjà vue à l’œuvre dans le secteur étatique. Sur cette base, les luttes peuvent être victorieuses et constituer une énorme source d’inspiration pour les masses dans le reste de l’Europe.

  • Protestation anti-immigrés en Allemagne

    pegida-300x160Dans toute l’Europe occidentale, l’extrême droite a en ce moment les yeux rivés sur l’Allemagne où le groupe anti-immigrés Pegida (Patriotische Europäer Gegen die Islamisierung des Abendlandes, Européens Patriotiques contre l’Islamisation de l’Occident) a réussi à mobiliser 15 000 personnes à Dresde. Ce groupe se présente comme un mouvement citoyen contre l’islamisation, mais il s’agit en fait d’une tentative de mettre en avant l’antipathie envers tous les migrants.

    D’ailleurs les néo-nazis de tous horizons prennent le train en marche. C’est une évolution dangereuse parce que le sol est pavé de violence raciste et de divisions au sein de la population active.

    Les dirigeants de Pegida profitent de la terreur engendrée par l’État Islamique (EI) pour mettre tous les musulmans dans le même sac. Dans le même temps, ce groupe proteste contre les personnes fuyant l’EI et qui débarquent en Allemagne. Le succès relatif de Pegida renforce les néo-nazis et conduit à la violence. C’est ainsi qu’il y a eu notamment un incendie criminel dans un centre pour réfugiés à Vorra, près de Nuremberg.

    Il y a également un mouvement de protestation contre Pegida. Le 15 décembre dernier, il y avait à Dresde, 9000 contre-manifestants et à Munich le 22 décembre, pas moins de 25 000. Il y a aussi eu des manifestations entre autres à Bonn et à Cassel. Là où des groupes émanant de Pegida, habituellement des néo-nazis, organisent des actions locales, ils se heurtent invariablement à des protestations. Mais il n’y a pas de coordination nationale de cette protestation antiraciste et alors que des membres aussi bien des syndicats que du parti Die Linke sont présents, ni la direction du syndicat, ni celle du parti Die Linke ne prend d’initiatives.

    Pourtant, il doit être très clair que tout ce qui divise le mouvement des travailleurs, l’affaiblit également. La firme de distribution Amazon a fait parler d’elle à plusieurs reprises dans les médias ces derniers mois à cause d’actions de grève. À Amazon les travailleurs sont issus d’environ 50 pays différents. Les grévistes d’Amazon ont également bénéficié de l’appui de leurs collègues polonais, une partie des envois passant par ce pays. Si le personnel est divisé, il est plus faible et ne peut pas gagner. Cela vaut pour le personnel d’Amazon, mais tout autant pour l’ensemble du mouvement des travailleurs.

    Une protestation de masse contre Pegida et contre le racisme est nécessaire et il faut aussi que les syndicats mobilisent sur les lieux de travail en organisant des discussions lors des réunions de militants ou entre collègues, et en distribuant des tracts. À Cassel, une discussion sur une variante locale de Pegida a déjà eu lieu, par exemple, lors d’une réunion du personnel chez Volkswagen. Les syndicats doivent également soutenir les réfugiés et lutter avec eux. Il s’agit souvent de personnes qui étaient syndicalement ou politiquement actives dans leur pays d’origine.

    Pegida & Co tirent profit de véritables pénuries en matière de logement, de soins de santé médiocres et des problèmes dans l’enseignement. Cependant, ces problèmes ne sont pas de la responsabilité des immigrés, mais bien de celle des politiciens allemands et des entreprises capitalistes.

    Pour arrêter les protestations contre les immigrés, les contre-actions devraient être de plus grande ampleur et une journée nationale d’action avec une grande manifestation est nécessaire. Cela permettrait également de renforcer les actions locales. Il ne faut pas compter sur les partis établis pour mettre fin au racisme, leur politique renforce les préjugés et la dégradation sociale, laquelle permet ensuite aux divisions de se développer. Une réponse indépendante de la gauche est nécessaire, par laquelle l’opposition au racisme doit être couplée à une lutte unifiée de tous les travailleurs et chômeurs pour des salaires plus élevés, de meilleures conditions de travail, des logements abordables et de bonnes allocations sociales, …

  • L’Irlande en révolte contre la taxe sur l’eau

    nomeansno-300x159Environ 100.000 personnes ont manifesté contre une nouvelle taxe sur l’eau en Irlande. Les Irlandais paient déjà leur eau par le biais d’impôts sur le revenu, mais le gouvernement veut instaurer une taxe supplémentaire. L’opposition à cette mesure antisociale bénéficie d’un large soutien et a également eu son impact sur le paysage politique du pays. C’est ainsi que, de façon très inattendue, notre camarade Paul Murphy a été élu au Parlement irlandais lors de la tenue d’élections partielles le 10 octobre dernier, en tant que candidat de l’Anti Austerity Alliance. Nous en avons discuté avec Finghin Kelly, assistant parlementaire de Paul Murphy.

    Par Jeroen (Gand)

    Pourquoi cette nouvelle taxe sur l’eau a-t-elle pris une telle importance ?

    ‘‘La population a déjà subi 6 ans d’une austérité très brutale qui a profondément affecté son niveau de vie. Un quart de la population vit à la limite du seuil de pauvreté. L’économie irlandaise connait une soi-disant reprise, mais personne ne voit d’amélioration. Et dans ce contexte, le gouvernement arrive avec une nouvelle taxe qui va coûter de 600 à 700 euros par an à chaque famille. C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

    ‘‘L’opposition à cette taxe a constitué le thème central de notre campagne électorale à Dublin Sud-Ouest. Ce thème est devenu le fer de lance du mouvement contre les politiques d’austérité et nous avons utilisé la période électorale pour construire le mouvement contre la taxe. Le jour où Paul a été élu, 100.000 manifestants ont défilé à Dublin. Cette taxe sur l’eau fait dorénavant partie des questions politiques les plus importantes.’’

    Comment cette taxe peut-elle être repoussée ?

    ‘‘Des milliers de personnes ont protesté et se sont opposées à l’installation de compteurs d’eau. Mais nous allons surtout organiser une campagne massive de non-paiement pour balancer à la poubelle les premières factures, en janvier ou février. A ce jour, plus d’un million de personnes ont refusé de s’enregistrer pour la taxe et refusent de la payer. Cette pression, avec celle exercée sur le plan politique, peut faire reculer l’offensive antisociale.’’

    Comment le gouvernement réagit-il à cette pression ?

    ‘‘Depuis le début du mouvement, le gouvernement n’en mène pas large. Tous les ministres se contredisent quotidiennement dans les médias et certains ne comptent pas leurs tentatives désespérées de minimiser l’impact de la taxe. Le soutien pour les partis au gouvernement et, plus globalement, pour tous les partis établis est historiquement faible. Aux dernières élections partielles, deux tiers des électeurs ont sanctionné les trois principaux partis qui dominent la politique irlandaise depuis l’indépendance.

    ‘‘Mais alors que le Sinn Fein (nationalistes ‘‘de gauche’’) était le grand vainqueur des élections européennes de mai dernier en capitalisant sur la colère contre les politiques d’austérité, nous avons réussi à l’emporter dans leur bastion de Dublin Sud-Ouest. La rhétorique du Sinn Fein se limite à dire : ‘‘attendez les élections, votez pour nous et peut-être reviendrons-nous sur cette taxe.’’ Ce n’est aucunement une opposition active avec une stratégie combative.’’

    Quelle alternative défendez-vous sur le plan politique?

    ‘‘Nous comptons sur la force de la population et sa capacité à se battre. Le mouvement contre la taxe sur l’eau peut totalement changer la scène politique et de nombreux députés de gauche pourraient être élus aux prochaines élections générales. Cela poserait directement la question de ce que devrait faire un véritable gouvernement de gauche.

    ‘‘Un tel gouvernement de gauche refuserait de payer la dette publique. Près d’un cinquième de tous les impôts sont consacrés aux 8 milliards d’euros versés chaque année pour les intérêts sur le capital de la dette. Il faut répudier la dette de même que tous les accords pourris conclus avec la troïka et la Commission européenne. Un audit de la dette pourrait assurer que les retraités soient remboursés, de même que les personnes dont les besoins sont avérés, mais nous refusons de payer la dette aux grands banquiers et spéculateurs. Cela permettrait de renverser la logique d’austérité. Un programme d’investissements publics massifs payé par un impôt progressif et par la mise sous propriété publique et démocratique des secteurs-clés de l’économie ferait une réelle différence.’’

  • Londres : Manifestation contre les frais d’inscription

    socialistsstudents

    Ce 19 novembre, plus de 5.000 étudiants ont manifesté à Londres afin de revendiquer un enseignement gratuit. Suite à une réforme introduite en 2010, les frais d’inscription ont massivement augmenté en Angleterre : ils peuvent atteindre les 9000 livres (soit 10.500 euros…)! Au sein de ce cortège étudiant se trouvait un bloc des Socialists Students, une organisation étudiante dont les Etudiants de Gauche Actifs sont très proches puisqu’il s’agit de l’organisation étudiante du Socialist Party, le parti-frère du PSL en Angleterre et au pays de Galles.

    Cette manifestation, rapportent nos camarades anglais, était une brillante démonstration de colère et de détermination. Des étudiants étaient venus de tout le pays, certains sans même avoir reçu le moindre soutien de leur syndicat étudiant, en s’arrangeant avec des amis ou d’autres étudiants.

    Les Socialist Students avaient quant à eux un contingent combatif avec de nombreux slogans et des chants de lutte entrecoupés de prises de parole. Ils ont également distribué un tract expliquant leur stratégie pour la suite du mouvement étudiant, et abordant la question fondamentale du type de direction dont nous avons besoin. En voici quelques extraits ci-dessous.

    “Il y a quatre ans, le 10 novembre 2010, les rues de Londres avaient accueilli plus de 50.000 jeunes. (…) C’était le début d’un mouvement qui a donné le goût de la lutte à des milliers de personnes. Deux semaines plus tard, plus de 100.000 étudiants étaient encore sortis de leurs universités et hautes écoles. La médecine amère de l’austérité, dans ce cas précis le triplement des frais d’inscription et des coupes dans les budgets de l’enseignement, était rejetée avec vigueur.

    Les étudiants qui manifestent aujourd’hui vont à juste titre se demander quels doivent être les prochains pas du mouvement actuel. Comment reconstruire un mouvement capable de défier le gouvernement et l’austérité dans l’enseignement ?

    En retournant sur nos campus, la tâche la plus immédiate doit être d’organiser la solidarité avec le personnel (…) dans le cadre de leur lutte pour leurs pensions. Leur combat est également le nôtre. mais il y a aussi la question de la direction de la lutte.

    Lors de la mobilisation vers la manifestation [de ce 19 novembre], la direction de droite du National Union of Students (NUS, syndicat national des étudiants) a tenté de retirer la prise. Toni Pearce, présidente du NUS, a annoncé dans une déclaration publiée sur internet qu’elle-même et d’autres responsables revenaient sur leur décision de soutenir la manifestation en raison, officiellement, “d’inquiétudes concernant la sécurité”. Il s’agit d’un grave déni de prise de responsabilité. (…) Avec la menace de nouvelles attaques contre notre enseignement, échouer à organiser ou même à soutenir une manifestation nationale est criminel.

    Si la direction du NUS avait de véritables raisons d’avoir des craintes pour la sécurité des manifestants, son attitude aurait dû être de donner les ressources et les conseils nécessaires pour aider les organisateurs à surmonter les difficultés. le mieux aurait été que les dirigeants étudiants aient eux-mêmes organisé la manifestation en première instance. (…) Il ne faut pas attendre de “permission” de la part de personnes du type de Toni Pearce pour organiser la riposte dont nous avons désespérément besoin. Le mouvement de 2010 (…) lui aussi avait été trahi par la direction du NUS, qui a abandonné la lutte dès la première manifestation.

    En plus de cela, la classe des travailleurs – avec son pouvoir économique monumental – devait encore entrer dans l’arène. En dépit de la colère et d’une forte solidarité entre étudiants et travailleurs, ces derniers ont été retenus par le frein des directions syndicales. Ces facteurs ont assuré que le premier round de la bataille contre l’austérité dans l’enseignement s’est terminé en défaite.

    Mais aucune défaite n’est éternelle. Nous devons retourner dans nos campus et continuer à organiser la lutte, avec des grèves, des actions de protestation et des occupations afin de mettre sous pression la direction des universités et les dirigeants syndicaux étudiants.

    Mais il nous faut aussi lutter pour une alternative politique. Aucun des principaux partis ne peut être digne de confiance. Se réfugier derrière un soutien pour le parti Travailliste (qui a introduit l’augmentation des frais d’inscription) n’est pas une stratégie viable. Les 1% les plus riches ont 4 grands partis à leur disposition. Nous avons besoin de notre propre parti, qui se batte pour les intérêts de tous les travailleurs, les jeunes, les pauvres et les opprimés. (…) Aux USA, Kshama Sawant (Socialist Alternative, organisation-soeur du Socialist Party et du PSL aux USA) a récemment obtenu près de 100.000 voix et a été élue au conseil de Seattle; Elle a ensuite mené avec succès une campagne pour l’imposition des 15 dollars de l’heure comme salaire minimum. Cela illustre ce qui est possible.

    (…) Nous nous opposons à chaque mesure d’austérité et luttons pour une société où les grandes entreprises – banques, multinationales,… – seront publiquement et démocratiquement gérées et contrôlées. A la place d’une économie destinée à satisfaire la soif de profits capitaliste, nous avons besoin d’une économie démocratiquement planifiée afin de satisfaire les besoins de la majorité sans détruire la planète.

    L’énergie et la vitalité du mouvement étudiant lié aux muscles de la classe des travailleurs organisée – la mouvement syndical – représente une force formidable. les scènes de résistance de 2010 ne sont encore qu’un début.

  • Ukraine : Les élections accentuent la division

    Les travailleurs ont besoin d’une alternative socialiste à la guerre que se livrent les oligarques et les puissances étrangères

    ukraine_electionsCela fait aujourd’hui un peu plus d’un an depuis que les premiers manifestants se sont rassemblés à Kiev sur le “maïdan Nezalejnosti” (place de l’Indépendance) en guise de protestation contre le refus du gouvernement de Mykola Azarov de signer un “Accord d’association” entre l’Ukraine et l’Union européenne. Depuis lors, le pays n’a cessé de se diriger vers la catastrophe économique, politique, sociale et ethnique. Le mois passé, des élections ont été organisées dans la plupart du pays par le gouvernement de Kiev. Ces élections ont eu pour résultat la consolidation d’un parlement encore plus pro-Europe et pro-guerre. Les élections ukrainiennes ont été suivies le 2 novembre par des élections organisées dans les républiques rebelles. Malgré le cessez-le-feu déclaré en septembre de part et d’autre, l’état de guerre continue à l’est du pays. Plus de 300 personnes ont été tuées rien qu’à la fin octobre, avec une bataille prolongée autour de l’aéroport de Donetsk, et dernièrement autour du village de Debaltsevo.

    Par Rob Jones, Komitiet za rabotchiï internatsional (CIO-Russie)

    Plusieurs pays européens font état d’une hausse des incursions de chasseurs et bombardiers russes dans l’espace aérien européen. Selon le haut commandant de l’Otan, on observe des « formations plus grandes, plus complexes d’avions qui suivent des routes plus “provocatrices” que par le passé » ; on signale également ici et là une présence accrue des troupes russes dans la sous-région. Tout cela est une conséquence de la politique constante d’élargissement de l’Otan vers l’Est et de soutien militaire au régime de Kiev.

    Les élections parlementaires ukrainiennes

    Les résultats des élections à la Rada suprême (parlement) du 26 octobre ont certainement brisé les espoirs de tous ceux qui ont participé à l’Euromaïdan dans le but de contester le pouvoir des oligarques. Avec un taux de participation d’à peine 50 %, six partis ont dépassé le seuil des 5 % requis pour pouvoir être représentés. Tous ces partis sont liés aux oligarques, y compris le parti du président Petro Porochenko (qui s’appelle tout simplement « Bloc Porochenko »), lui-même magnat de l’industrie l’agro-alimentaire. Son parti a reçu 22 % des voix, de même que le parti de son premier ministre, Arseniï Yatseniouk, baptisé Narodnyï front (« Front populaire). Trois autres partis pro-européens ont ensemble obtenu 23 % des voix (y compris le parti de Youlia Tymochenko, qui ne fait plus que 6 %). L’Opozytsiïnyï blok (« Bloc de l’opposition » au mouvement du Maïdan), considéré comme le successeur politique de l’ex-Parti des régions de l’ancien président Yanoukovitch, a fait 10 %. Quant à lui, le Parti “communiste” (Komounistitchna partiya Ukrayiny), qui avait défendu le président déchu Yanoukovitch, a été sévèrement puni : son vote est passé de 14 % à moins de 4 % – c’est la première fois depuis la chute de l’URSS qu’aucun député “communiste” n’est présent au parlement – et la première fois qu’aucun “communiste” ne participe à un gouvernement ukrainien depuis 1918.

    Il est important de prendre en compte le fait que le pour Bloc Porochenko est relativement faible : il y a moins de six mois, le même Porochenko avait pourtant fait plus de 50 % lors des élections présidentielles. Même si les médias ukrainiens sont à présent presque entièrement monopolisés par le nouveau président (suivant l’exemple de la Russie…), les électeurs, qui espéraient en mai de l’an dernier que la victoire de Porochenko amènerait à une résolution rapide du conflit dans l’Est et permettrait de remettre le pays sur les rails de la croissance économique, ont clairement déchanté depuis.

    L’extrême-droite entre par la petite porte

    Les deux principaux partis d’extrême-droite, Svoboda (« Liberté ») et Pravyï sektor (« Secteur droite ») ont tous deux obtenu un très mauvais score. Le vote en faveur de Svoboda est passé de 10 % en 2012 à moins de 5 % aujourd’hui ; Pravyï Sektor quant à lui n’obtient même pas 2 %. Une partie des voix pour Svoboda sont cependant passées au Radika?na partiya, un parti de droite populiste radical, dirigé par Oleh Liachko (un individu dénoncé par Amnesty International en tant que criminel de guerre).

    Mais cela ne nous donne pas tout le tableau. Car seulement la moitié des sièges sont attribués en fonction des résultats des votes pour les partis en tant que liste. L’autre moitié va aux candidats sur base des votes de préférence individuels. C’est ainsi que les blocs de Porochenko et de Yatseniouk ont obtenu 90 sièges supplémentaires, et que 100 soi-disant « candidats indépendants » ont été élus également. Svoboda a pu obtenir six sièges, et Dmytro Yaroch, le dirigeant de Pravyï sektor, a été élu dans une circonscription à proximité de la région rebelle de Donetsk. Toute une série de chefs paramilitaires de divers « bataillons volontaires » ont également élus de cette manière, y compris le commandant et le vice-commandant du « bataillon de l’Azov », une milice pro-nazie.

    Pas d’élections dans 15 circonscriptions

    Comme si la situation n’était pas assez compliqué comme ça, aucun scrutin n’a été organisé dans de nombreuses régions du pays. Sans même parler de la Crimée (maintenant rattachée à la Russie), le scrutin n’a pas pu être organisé dans 15 circonscriptions des régions de Donetsk et Lougansk – vu que ces régions, où vivent 5 millions de gens, sont au contrôle des forces armées rebelles.
    Malgré cela, le vote a clairement suivi des lignes régionales. Le Sud et le Centre (y compris les régions d’Odessa et de Kiev) ont voté pour le Bloc Porochenko ; le Nord-Est a voté pour l’Opozitsiïnyï blok pro-Yanoukovitch, et l’Ouest a voté pour le Narodnyï front de Yatseniouk.

    Le contrôle des oligarques et la corruption continuent

    La nouvelle Rada suprême est maintenant le théâtre de toutes sortes d’arrangements et de transactions entre politiciens. Certains n’ont même pas attendu le jour des élections avant de changer de parti. Comme on pouvait le lire sur le site ukrainien korrespondent.net : « La nouvelle Rada suprême n’a même pas encore commencé à fonctionner, qu’on y dénonce déjà toute une série de scandales “carriéristes”… » Mis à part la position déjà dominante de Porochenko, une lutte d’influence a éclaté entre deux oligarques, Kolomoïskyï (le gouverneur de la province de Dnipropetrovsk, troisième homme le plus riche d’Ukraine, réputé financer l’extrême-droite et pour avoir constitué sa propre armée) et Firtach (président de la Fédération des employeurs ukrainiens, etc., oligarque plutôt pro-Est, actif dans le secteur de l’énergie, recherché aux États-Unis pour tentatives de corruption). « Tant que ce processus d’achat et de vente de sièges parlementaires n’est pas terminé, aucune coalition gouvernementale stable ne peut être formée », disait korrespondent.net.

    Cependant, il est probable qu’une coalition semblable à celle du gouvernement actuel soit à nouveau formée sur base de l’alliance des partis de Porochenko et de Yatseniouk. Le Radika?na partiya de droite populiste participerait lui aussi aux négociations. Cela signifie que le gouvernement pourra présenter un visage d’unité apparente à présenter aux gouvernements occidentaux dans le cadre d’une politique de « réformes économiques et d’austérité » afin de pouvoir recevoir l’aide financière des institutions internationales telles que l’UE et le FMI.

    L’économie continue à s’enfoncer

    Leur État a certainement besoin d’aide, parce que son économie continue à s’enfoncer dans le trou noir. Selon certaines prédictions, le PIB devrait encore chuter de 10 % cette année, en partie à cause de l’effondrement de l’industrie lourde (-30 %) dans l’Est du pays. Seules 24 des 93 mines de charbon de l’Est sont encore opérationnelles. De nombreux mineurs vont travailler sous les bombardements. Ils n’ont pas été payés depuis des mois, et ont commencé à organiser des manifestations à Kiev pour réclamer leurs salaires. Le charbon qu’ils produisent est pris par l’organisation étatique d’achat de charbon, mais quand ils demandent leur paiement, on leur dit que l’argent a été utilisé pour les dépenses de guerre. L’Ukraine a même commencé à importer du charbon sud-africain.

    La monnaie nationale, la hryvna, a chuté de 40 % depuis le début de cette année. Mais les puissances occidentales tardent toujours à apporter l’assistance économique dont l’Ukraine a tant besoin. Au cours d’une récente visite aux États-Unis, Porochenko a tout fait pour persuader le Congrès américain de soutenir l’Ukraine dans sa lutte contre « l’impérialisme russe ». Mais tout ce qu’il a pu obtenir est un petit chèque de 53 millions de dollars – à peine suffisant pour financer neuf jours de combats.

    Les partis pro-guerre dominent

    Bien que les partis de Porochenko et de Yatseniouk soient plus ou moins d’accord en ce qui concerne l’économie, ils ont cependant des positions différentes par rapport à la situation dans l’Est. Porochenko se présente comme un partisan de la paix et de la négociation – même si son discours devant le Congrès américain était extrêmement belliqueux. Tous les autres partis pro-européens élus à la Rada sont pour lancer une offensive militaire pour reprendre le contrôle de l’Est. Ces forces politiques sont soutenues par des commandants militaires et par des chefs locaux. Elles ne contribueront certainement pas à trouver une solution négociée au conflit. Au moment où nous écrivons, la Rada est en train de débattre de la suppression du « status spécial » pour la région de Donetsk qui lui a été accordé en septembre lors des négociations à Minsk entre le gouvernement de Kiev et les chefs rebelles. À présent, Porochenko a de nouveau ordonné à ses chefs militaires d’envoyer les troupes dans les zones stratégiques de l’Est.

    La position des groupes d’extrême-droite et de certains militants du mouvement de l’Euromaïdan est que le gouvernement Porochenko-Yatseniouk ne répond pas à leurs attentes. Ces groupes parlent à présent de mobiliser pour un nouveau « Maïdan ». Même si cela ne se passe pas, la menace d’un tel mouvement suffit à maintenir la pression sur Porochenko et pourrait le forcer à adopter une attitude plus guerrière que lui-même ne le souhaiterait.

    Les élections dans les républiques rebelles

    Cette décision de Porochenko de contre-attaquer survient à la suite des élections qui ont été organisées dans les deux républiques rebelles de Donetsk et de Lougansk, mais aussi de rumeurs selon lesquelles les forces russes seraient de nouveau en train de s’amonceler dans la sous-région. Ces élections ont été organisées en violation de l’accord conclu en septembre à Minsk.

    Dans chaque région, le scrutin a été remporté par le chef militaire à la tête de la rébellion locale. À Donetsk par exemple, Aleksandr Zakhartchenko aurait obtenu 80 % des voix. Il a obtenu sa position en septembre, après que les dirigeants les plus imprévisibles et incontrôlables, tels que Strelkov, aient été écartés – apparemment sous pression du régime de Poutine. Zakhartchenko pourrait donner une image plus modérée que celle de son prédécesseur, mais il reste directement lié aux forces de l’extrême-droite russe et à l’Armée orthodoxe grand-russe (« Rousskaïa pravoslavnaïa armiya »), une force réactionnaire qui a joué un rôle majeur dans le conflit armé.

    Selon Russia Today, une agence de presse pro-Poutine, Roman Liaguine, président de la Commission électorale de Donetsk, a déclaré que Zakhartchenko a reçu plus de 765 340 voix, mais a refusé de donner un pourcentage, se justifiant en disant « parce que je pense que les chiffres absolus sont plus ouverts et plus précis ».

    Afin de tenter d’obtenir une certaine crédibilité, on a invité des observateurs internationaux de l’“Association pour la sécurité et la coopération en Europe”, une organisation “clone” dont le but est d’imiter l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe). Le plus ironique, considérant que les « républiques populaires » de Donetsk et Lougansk ont censément été constituées pour résister à la « montée du fascisme » en Ukraine occidentale, est que parmi les observateurs de l’“ASCE”, on retrouvait un membre du FPÖ autrichien, ainsi qu’Alexandra Mussolini, la petite-fille de l’ancien dictateur fasciste italien.

    L’ambiance dans les républiques rebelles

    De tous ceux qui ont voté pour les élections dans la république de Donetsk, plus de 80 % auraient voté pour Zakhartchenko. Selon le registre électoral officiel, il y aurait 3,2 millions d’électeurs dans la zone contrôlée par la république rebelle, mais seulement un million est parti voter – un taux de participation inférieur à 33 % donc. Et cela, malgré toutes les mesures spéciales qui ont été mise en place pour favoriser la participation, comme le fait de donner le vote aux habitants qui ne sont pas originaires de la région, d’abaisser la majorité électorale à 16 ans (« comme en Écosse »), et de permettre aux électeurs de voter dans n’importe quel bureau de vote. Dans le reste de la région de Donetsk, 400 000 personnes ont été voter en octobre pour les élections au parlement de Kiev.

    Les résultats électoraux ne sont jamais rien de plus qu’un reflet de l’humeur de la population à un moment déterminé. Ces élections se sont déroulées dans une région ravagée par la guerre, de laquelle une grande partie de la population s’est enfuie. Moins d’un tiers de la population de la ville de Donetsk s’y trouvait toujours à la fin de l’été. Nazariï Sergueïev, journaliste à Donetsk, décrivait ainsi l’ambiance dans la ville : « La réalité politique dans la “république indépendante” de Donetsk repose sur un sentiment d’impossibilité de s’enfuir. Il y a de véritables enthousiastes qui croient vraiment dans l’avenir de la république. Mais il y a aussi tous ceux qui ont tout perdu au cours de ce cataclysme politique : leur position, leur emploi, leur entreprise, leur famille… et qui haïssent en silence les nouvelles autorités. Au final, il n’existe aucun mouvement particulièment en faveur de l’indépendance ou des nouveaux « dirigeants », que beaucoup disent manquer de charisme. Mais les habitants disent aussi ne plus vouloir vivre « comme avant », « soumis aux oligarques et aux fascistes ». Ils craignent particulièrement Pravyï sektor. Trop de sang a été versé récemment. Il est difficile de dire quel est exactement le sentiment des masses. Ce sentiment change constamment. Au printemps, il y avait beaucoup plus de partisans d’un État unitaire avec le reste de l’Ukraine. Mais ceux qui étaient pour une Ukraine unie ont fui depuis, ou bien restent chez eux sans rien dire, parce qu’aujourd’hui, exprimer son opinion est devenu dangereux – très dangereux. En même temps, les habitants ont du mal à comprendre comment la situation va se développer : qui va payer les pensions et les salaires, qui va réparer les dégâts, qui va faire fonctionner les usines… D’un autre côté, la mort de tant de gens après tous les combats et bombardements ne fait qu’accroitre l’antagonisme. »

    C’est surtout les personnes âgées qui sont venues voter, qui ne peuvent pas fuir et qui sont les plus susceptibles de céder à la « nostalgie de l’URSS ». D’autres commentateurs font état d’une minorité qui veut un Donbass indépendant, mais qui a perdu la foi dans cette idée parce que la Russie n’a pas utilisé la position favorable qu’elle avait en été. De plus, de plus en plus de gens se rendent bien compte que la Rusise, dans son état économique actuel, ne pourra tout simplement pas renflouer une région de 5 millions d’habitants. Il y a toujours toute une couche de la population qui rêve d’une Ukraine fédérale qui leur permettrait de vivre sans intervention de l’armée de Kiev. Si Kiev lance un assaut, ces gens pourraient se réfugier du côté du Kremlin, mais si la Russie est perçue comme étant celle qui provoque un nouveau conflit, l’opinion pourrait se retourner contre Poutine. La presse russe rapporte qu’à part la crainte de nouvelles sanctions occidentales, la principale raison pour laquelle la Russie s’est retenu d’intervenir en Ukraine en été est que la population de Donetsk ne soutenait pas l’idée d’une intervention.

    Ce qui semble se produire dans les régions russophones qui n’ont pas encore été annexées par les républiques rebelles (y compris une grande partie de la région de Donetsk), est une consolidation du sentiment contre l’intervention de la Russie. Ce sentiment est alimenté par la crainte de l’arrivée chez eux d’un conflit militaire semblable à celui qui a détruit la ville de Donetsk. C’est ce sentiment qui anime à présent surtout les villes “pro-russes” comme Marioupol, Kharkov, Zaporijia et Dnipropetrovsk.

    Crimée – l’hiver approche

    Il est toujours probablement vrai que la position du Kremlin est de maintenir les républiques de Donetsk et Lougansk en tant que “conflits gelés”, qui pourront servir de moyen de pression sur les autorités de Kiev. Mais quand bien même ce serait le souhait du Kremlin, la situation réelle sur le terrain fait que cette approche devient de jour en jour de plus en plus intenable. En Crimée, alors que l’hiver approche, qui promet d’être particulièrement rude cette année, les perspectives sont fort moroses. Après que les autorités ukrainiennes ont coupé les accès de l’eau potable, le maire de Sebastopol a annoncé que l’eau ne sera disponible que pour quelques heures par jour. On dirait qu’on est revenu à la situation qui a suivi l’effondrement de l’URSS. Le réseau électrique ukrainien a aussi déclaré que vu qu’il ne reçoit plus le charbon de Donetsk pour alimenter ses centrales, il cessera d’alimenter la Crimée.

    Le secteur touristique en Crimée s’est effondré cet été. À présent, les usines d’armement de la péninsule se plaignent du fait qu’elles ne reçoivent pas les commandes qui leur avaient été promises par l’État russe. De ce fait, elles se voient à présent contraintes de vendre un quart de leurs actions à des conglomérats russes. Les vignobles de Crimée sont eux aussi au bord de la faillite, puisqu’ils ont énormément de mal à se réajuster au système légal russe. Sur les 20 banques russes qui sont venues s’installer dans la péninsule après l’annexation par la Russie, plusieurs ont déjà commencé à se retirer, se plaignant du montant des loyers et de l’étroitesse du marché, vu la faiblesse des salaires.

    Malgré les promesses selon lesquelles on allait rapidement construire un pont entre la Crimée et le reste de la Russie, le Kremlin n’a que des problèmes à ce niveau. Les entreprises chinoises et canadiennes candidates disent que la construction de ce pont sera très difficile, car il sera soumis à de rudes tensions en hiver, lorsque le golfe de Kertch est pris par les glaces et est régulièrement battu par les tempêtes. En ce moment d’ailleurs, la Crimée est coupée du reste du monde par ces mêmes tempêtes. À présent, le ministère du Transport est en train d’envisager l’idée de mobiliser de force les étudiants pour accomplir le travail nécessaire – une politique qui rappelle la manière dont les prisonniers du goulag étaient exploités comme des esclaves sous le régime stalinien. Cette mesure ne sera certainement pas populaire parmi les étudiants. Les bacheliers de première année sont déjà menacés de perdre leurs bourses (qui ne valent déjà pas grand-chose) du premier semestre, l’argent devant être utilisé pour « soutenir » les universités criméennes !

    L’euphorie se calme

    Deux des trois principales agences de sondage russes qui, tout comme les médias, tendent à refléter la position du Kremlin, notent cependant une baisse importante du soutien à Poutine dans l’opinion publique, après le pic record qui avait été atteint au début de l’été. Le centre Levada enregistre un taux d’approbation de 49 % en septembre (contre 57 % en aout) ; le VTsIOM quant à lui note un soutien en baisse de 66 % à 62 %. Un autre sondage réalisé par la même organisation début novembre indique que, bien qu’une vaste majorité de la population de Russie soutient l’annexation de la Crimée, 68 % sont contre le fait d’envoyer l’armée russe participer au conflit militaire aux côtés des rebelles de l’Ukraine orientale.

    Même si le soutien à Poutine pourrait bien remonter en fonction de l’évolution de la crise ukrainienne et au son de son tambour nationaliste, les organisations de sondage avertissent du fait que le déclin de soutien actuel pourrait bien se poursuivre. Il pourrait même selon elles retomber jusqu’au niveau de janvier passé (25-35 %), du fait de la hausse des tensions au sein de la société russe.

    Une des principales raisons de tout ceci est la situation économique désespérée qui est en train de se développer en Russie. Même avant l’arrivée des sanctions, l’économie russe était en train de se diriger rapidement vers la récession. Selon les chiffres officiels, la croissance aura été de 0 % de cette année, tandis qu’une récession est prévue pour l’an prochain. Les perspectives ne sont pas bonnes. L’année 2014 a été une année record en ce qui concerne la fuite des capitaux hors de Russie. Le rouble a perdu 20 % de sa valeur cette année, malgré un soutien énorme de la part de la banque centrale. À présent, c’est le prix du pétrole qui est en train de s’effondrer, avec une perte de 25 % depuis juin. Et tout cela était avant que les sanctions ne soient arrivées. Ces sanctions rendent à présent quasi impossible l’obtention d’un crédit bon marché pour la plupart des entreprises (le taux directeur de la banque centrale russe est de 9,5 % !). Tous ces facteurs critiques, en plus du cout de l’intégration de la Crimée et du financement des républiques rebelles en Ukraine, ont ouvert un gouffre béant dans les finances de l’État. Le fonds national pour les pensions a déjà été pillé pour compenser les pertes subies par les grandes banques à la cause des sanctions occidentales.

    Plus encore, les budgets fédéraux et régionaux sont en train d’être réduits à la hache. Alors que la part du budget de l’armée et de la police est passé de 29 % du PIB à 35 %, la part des soins de santé va être sabré pour passer de 4,4 % à 2,7 % du PIB. En avril 2015, 26 des 46 hôpitaux seront fermés ou fusionnés – 7000 travailleurs de la santé perdront leur emploi. Il y a déjà eu deux grands meetings de protestation à Moscou contre ces coupes budgétaires ; un autre meeting est prévu fin novembre.

    Une élite unie ?

    En surface, l’élite dirigeante autour de Poutine a l’air soudée. Mais il est clair qu’il y a des intérêts conflictuels au sein du cercle dirigeant, que Poutine cherche à contenir. Les sections de l’élite qui sont liées aux banques et aux grandes institutions financières sont celles qui souffrent le plus des sanctions et qui ont le moins à gagner de nouvelles incursions en Ukraine. Afin de les apaiser, une loi spéciale a été adoptée afin de compenser leurs pertes dues aux sanctions.

    D’un autre côté, on a ceux qui dirigent les forces armées et le complexe industrialo-militaire en pleine croissance. Ces personnes propagent l’idée selon laquelle les puissances occidentales sont dirigées par les États-Unis, qui comploteraient constamment contre la Russie.

    À la suite de la répression étatique qui s’est abattue sur les dirigeants du mouvement de protestation contre la fraude électorale à Moscou d’il y a deux ans, l’aile “libérale” de l’élite a été complètement écartée.
    Si Poutine décide d”intensifier son intervention en Ukraine orientale, baptisée du doux nom de « Novorossiya » (« Nouvelle-Russie »), ce qui pourrait se produire parce que la situation dans l’Est aura échappé à tout contrôle, ou parce qu’il aurait un plan d’ouvrir un couloir terrestre vers la Crimée, les divergences au sein du cercle dirigeant vont s’accroitre. Vu la situation de l’économie, cela veut dire que quelle que soit l’approche choisie à présent par Poutine vis-à-vis de l’Ukraine, il court de très grands risques.

    Il faut une lutte unie de la classe des travailleurs

    À Kiev, à Donetsk ou à Moscou, ce sont les travailleurs qui payent le prix de cette crise, tandis que les diverses élites dirigeantes, leurs armées et leurs chefs de guerre continuent à s’entre-déchirer pour le contrôle des richesses et des ressources de l’Ukraine et de la Russie.

    La classe des travailleurs dans la sous-région est peu organisée. Les organisations qu’elle possède, sous la forme de syndicats indépendants, ne représentent qu’une minorité et se limitent à des enjeux purement économiques. Il faut pourtant que les travailleurs puissent apposer leur marque sur la situation, en organisant une lutte unie contre les tentatives de restreindre les droits des minorités nationales, de liguer les travailleurs de différentes ethnies les uns contre les autres, contre la guerre et contre les coupes budgétaires. Il faut une alternative des travailleurs contre la crise économique, pour construire de puissants partis politiques, armées d’un programme socialiste afin de trouver une issue à ce cauchemar. Cela ne peut se faire que par la fin du règne du capitalisme oligarchique et son remplacement par une fédération volontaire et démocratique d’État socialistes.

0
    0
    Your Cart
    Your cart is emptyReturn to Shop