Category: Afrique

  • [PHOTOS] Actions de solidarité avec l’insurrection tunisienne

    Des actions de solidarités avec la révolte des masses en Tunisie se sont déroulées aujourd’hui à Bruxelles et à Gand. Le mouvement massif de protestation des masses tunisiennes est parvenu à mettre fin au règne du président-dictateur Ben Ali, au pouvoir depuis 23 ans. Les récents évènements de Tunisie illustrent le pouvoir de la protestation et mettent brillament en avant la force qui réside dans un mouvement de masse afin de parvenir à des changements. Cela ne suffira toutefois pas pour en finir avec la clique corrompue et éviter qu’elle ne soit simplement échangée contre une autre. Le changement crucial dont il doit être question est un changement beaucoup plus fondamental et nécessite de rompre avec le capitalisme et l’impérialisme. Nous publions ici quelques photos de l’action de Gand.

    Jean-Marie Versyp


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    Ben Ali : Meurtrier

    Pas de peur, pas de morts: Ben Ali dehors!

    Stop au bain de sang en Tunisie

    Ben Ali: Assez!

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  • Maghreb : La révolte Tunisienne s’étend en Algérie – Solidarité avec les masses Tunisiennes et Algériennes !

    Cette nouvelle année a commencé avec une importante vague de révolte qui touche l’Afrique du Nord. Alors qu’en Tunisie, le régime dictatorial de Ben Ali est touché par une importante série de protestations depuis une semaine, l’Algérie a aussi vécue au fil ‘d’émeutes’ populaires. Celles-ci ont principalement impliqué pour le moment des jeunes et ce dans un pays où 75% de la population a moins de 30 ans. Ce soulèvement massif révèle au monde entier l’importance du désespoir et de la rage de cette génération “no future”, et ce dans un contexte aiguisé par les effets de la crise internationale du capitalisme.

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    Pour en savoir plus:

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    Cette vague d’émeutes a débuté dans la banlieue d’Alger mais s’est rapidement étendue à d’autres villes comme Oran, Blida, Bouira, Tizi Ouzou, Dejlfa, Ouargla, Constantine et beaucoup d’autres à travers le pays. La plupart des ces régions n’ont d’ailleurs pas été touchées par des émeutes de cette ampleur depuis plus de deux décennies. Même des figures gouvernementales sont obligées de reconnaitre qu’au moins 24 wilayas (régions) ont été touchées par le mouvement – en d’autres mots, la moitié du pays.

    Jour et nuits, des groupes de jeunes se sont engagés dans des affrontements violents avec la police, bloquant les routes avec des pneus enflammés, et dans certains cas en attaquant des bâtiments publics et tout ce qui peut symboliser l’autorité de l’Etat et l’élite. Même si les émeutes en Algérie sont loin d’être un nouveau phénomène, l’étendue de celles-ci, ainsi que leur extension géographique rapide, leur donnant ainsi un caractère national, pourrait être un signal d’explosions plus importantes dans le futur proche.

    Dans le passé, le régime a été capable de faire passer de telles explosions de colère comme des incidents isolés. Maintenant, il semble qu’une nouvelle brèche s’est ouverte et que beaucoup de travailleurs sont en train de regarder la jeunesse avec sympathie et inspiration, bien qu’en n’approuvant pas toujours leurs méthodes d’actions, spécialement par rapport aux actes de destruction et de violence. Des rapports mentionnent que dans certaines régions, des habitants se sont organisés dans le but de décourager certains jeunes à commettre des actes de vandalisme contre-productifs.

    Un climat de “pre-1988”

    Mais ces actes, portés par une minorité, ne peuvent pas éclipser l’importance significative de ces émeutes. Le site des droits de l’homme, “Algeria watch”, commentait ceci : “Très peu d’Algériens sont contre les mobilisations des jeunes; dans des conversations de rue, la majorité les trouvent légitimes, dans un pays où les autres voies sont bloquées et que les moyens ordinaires d’expression sont absents. Les parallèles avec les évènements d’Octobre 1988 sont souvent soulevés parmi les plus âgés d’entre eux.” Cette année-là, l’énorme crise sociale qui toucha le pays a conduit à une série d’émeutes, manifestations et grèves qui finalement conduisirent à la chute du règne du monolithique parti unique, le FLN. Une répression sanglante de l’armée entraina la mort de centaines de personnes et l’absence d’une force politique indépendante de gauche et ouvrière entraina que la révolte fut ensuite exploitée par les forces islamistes réactionnaires. Le pays plongea alors dans une terrible guerre civile d’une longue décennie.

    Comme la situation actuelle en Tunisie l’illustre très bien, la poigne de fer d’un régime répressif et le manque de droits démocratiques de base, qui a étouffé toute opposition pendant très longtemps, peut, à partir du moment où cette énergie s’exprime, conduire beaucoup plus loin et prendre un tournant extrêmement explosif. Commentant le mouvement et ses possibles perspectives, Mahamed Zitout, un ancien diplomate Algérien, disait sur Al Jazeera: “C’est une révolte, et probablement une révolution d’un peuple opprimé qui a, depuis 50 ans, attendu des logements, des emplois et une vie décente dans un pays très riche.” Bien que ça ne soit pas encore la révolution, les possibilités que le mouvement actuel prenne des dimensions révolutionnaires est clairement présent, et ce dans un pays où les traditions de résistance des opprimés sont ancestrales. L’attitude de la classe ouvrière, qui n’est pas encore rentrée en scène en tant que telle sera décisive sur les futures développements de la lutte.

    La colère accumulée s’est exprimée simultanément dans différentes régions. L’accès à internet et des sites tels que facebook, youtube ou encore twitter ont aidé les manifestants à dépasser les tentatives des médias d’Etat de cacher la réalité de ce qui se déroulait. Comme en Tunisie, la violente répression déployée par le régime (en Tunisie, une cinquantaine de personnes ont été tuées, alors qu’en Algérie, au moins 5 personnes sont décédées) a suscité une colère encore plus grande. Ce n’est pas une surprise de voir le silence et la complicité des gouvernements “démocratiques” européens face à la répression violente et l’assassinat de manifestants. Tout au mieux certains d’entre eux se sont limités à exprimer leur “inquiétude”.

    300 personnes d’origine tunisienne et algérienne se sont rassemblés il y a quelques jours à Marseille pour demander un arrêt immédiat à la répression dans la région. Le CIO demande la libération immédiate de toutes les personnes arrêtées à cause de leur implication dans les manifestations en Tunisie et en Algérie. Nous encourageons aussi l’organisation d’actions similaires partout où cela est possible.

    Ce n’est pas juste une émeute de la faim

    Ce tsunami d’émeutes n’a pas surgi de nulle part. Déjà depuis des mois, une révolte mûrissait en Algérie. Selon le quotidien, Liberté, une moyenne d’environ 9000 émeutes et ‘troubles’ ont eu lieu chaque mois en 2010. Depuis des mois, des travailleurs de différentes compagnies sont partis en grève les uns après les autres. En mars de l’année passée, nous écrivions à ce sujet: “Grève après grève, manifestation après manifestation, transforment le pays en un chaudron social prêt à exploser à n’importe quel moment.” (voir cet article) Ceci s’est confirmé par les récents évènements. La goutte qui a fait déborder le vase est la récente et dramatique explosion des prix de la nourriture qui ont augmenté de 20 à 30 % depuis le début du mois. Cela est particulièrement le cas pour l’huile, la farine et plus spécialement le sucre, dont le prix a augmenté de 80% dans le courant des trois derniers mois.

    Les augmentations de salaires obtenues dans le secteur public après des années de luttes et de grèves restent dérisoires. Et alors que ces augmentations n’ont pas été appliquées partout, elles sont déjà mangées par la flambée des prix. Dans le secteur privé, la situation est encore pire. Faire ses courses afin de nourrir sa famille est devenu un challenge quotidien; pour le nombre sans cesse croissant de sans emplois, cela est devenu tâche impossible. L’insécurité sociale et la misère grimpante ont convaincu la majorité des Algériens que les mesures publiques de contrôle des prix sont absolument inutiles et laissent la liberté aux spéculateurs et aux monopoles d’augmenter leurs marges de profits sur le dos des plus pauvres, des petits commerçants et des vendeurs de rue. Dans les rues du quartier ouvrier de Bab El-Oued à Alger, qui est devenu le bastion symbolique de la révolte, les gens répètent sans cesse: “50% d’augmentation pour les flics! Et pour nous?” Il est clair que le seul secteur qui a bénéficié récemment d’une augmentation significative de ses salaires a été la police. C’était une tentative consciente de l’Etat d’augmenter la fiabilité de ses forces armées dans la perspective de ‘troubles sociaux’.

    Par peur de perdre contrôle sur la situation, une réunion urgente des ministres le week-end passé a approuvé un nombre de mesures pour réduire le prix du sucre et de l’huile. Mais cela va difficilement être assez pour apaiser la situation, et encore moins la haine énorme envers le régime. En effet, bien que l’augmentation du coût de la vie soit devenue une inquiétude critique et un des éléments décisif de cette révolte, les raisons de la colère sont bien plus profondes. Ce que la jeunesse a exprimé aujourd’hui dans les rues fait partie d’un mécontentement plus général. “La vie chère, pas de logements abordables, chômage, drogues, marginalisation”. C’est ainsi que les habitants d’Oran, la deuxième plus grande ville d’Algérie, résument les raisons de leur révolte.

    Ici comme ailleurs, ce cocktail de facteurs, encadré par un état policier qui musèle quelconque opposition sérieuse et protège la clique de riches gangsters corrompus au pouvoir, constitue le contexte des derniers évènements. Les inégalités sociales entre les pauvres et l’élite dirigeante ont grandi dans des proportions jamais vues depuis l’indépendance. Alors que le PIB Algérien a triplé ces dix dernières années, les revenus gigantesques du pétrole, qui constituent la plus grosse partie de cette croissance, ont seulement servi à remplir les poches et les comptes en banque d’une infime minorité proche de la classe dirigeante alors que la majorité de la population souffre de sous-nutrition, ou même encore de famine. L’augmentation des cas de blanchiment d’argent et la corruption touchant tous les secteurs et à tous les niveaux de pouvoir ont contribué à éclairer aux yeux de tous le détournement continu de la richesse du pays au bénéfice de quelques-uns.

    Selon le journal, El Watan, un jeune manifestant a somptueusement résumé cette situation: “Rien ne nous retiendra cette fois. La vie est devenue trop chère et la famine menace nos familles pendant que des apparatchiks détournent des milliards et d’enrichissent sur notre dos. Nous ne voulons plus de cette vie de chien. Nous demandons notre part de la richesse de ce pays.”

    La jeunesse en détresse

    En 2001, des jeunes manifestants faisant face aux policiers tirants à balles réelles criaient: “Vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes déjà morts”. Le même esprit “rien à perdre” est présent dans la révolte actuelle de la jeunesse. En effet, aucune perspective n’est offerte à cette génération qui est particulièrement et durement touchée par les hauts niveaux de chômage et ainsi réduite à des activités quotidiennes de survie. Officiellement, le chômage touche 21,3% des jeunes entre 16 et 24 ans; la réalité est sans aucun doute bien plus grave alors que les statistiques officielles sont complètement falsifiées par les autorités. Certains estiment que certainement 60% de la population en dessous de 30 ans est sans emploi. Même une grande proportion de jeunes diplômés ont rejoint les rangs des chômeurs une fois leurs études finies. Pour les jeunes Algériens, la vision du futur est souvent réduite à un choix entre la prison et l’exil. Le taux de suicide parmi cette couche de la population atteint des proportions exorbitantes. La construction de la “forteresse Europe” et l’augmentation des mesures répressives contre les candidats à l’émigration vers l’Europe signifient qu’il n’y a pas d’autre voie pour les jeunes que de prendre le chemin de la lutte et de l’action collective.

    Bien que généralisé, le mouvement actuel implique essentiellement la jeunesse des quartiers pauvres et n’a pas encore rassemblé autour de lui la mobilisation active de la masse de la population. L’entrée en action de la classe ouvrière sera nécessaire pour donner à ce mouvement un caractère plus massif et organisé évitant ainsi de le laisser se transformer dans des actions désorganisées et de désespoir qui rendrait plus facile sa répression par les forces armées.

    Alors qu’en Tunisie, la fédération des syndicats, l’UGTT (Union Générale des Travailleurs Tunisiens) a exprimé sa solidarité avec la jeunesse et a soutenu leur lutte en appelant à l’action, les travailleurs algériens peuvent difficilement compter sur de telles initiatives de la part de l’UGTA (Union Générale des Travailleurs Algériens) qui a atteint un niveau incroyable de corruption, de trahisons et de soumission au régime de Bouteflika. Le seul communiqué public publié jusqu’à présent par la direction de l’UGTA avait pour but de défendre de manière exécrable la version officielle du gouvernement quant aux évènements. Sur les dernières années, cette soumission au gouvernement a entraîné des secteurs entiers de syndicalistes à quitter l’UGTA pour rejoindre des syndicats plus combatifs et indépendants. La bataille pour vitaliser, unifier et démocratiser ces syndicats indépendants est une des tâches importante à laquelle la classe ouvrière est aujourd’hui confrontée.

    La mise sur pied de comités locaux de résistance dans les quartiers et dans les entreprises pourrait être un outil très utile pour construire la lutte de la jeunesse mais aussi surtout pour y impliquer le reste de la population via des actions de masse. Ces comités pourraient aider à coordonner de telles actions en lien avec les syndicats indépendants dans la perspective d’arrêts de travail et de grèves à l’échelle nationale. Déjà, dans certains secteurs, comme les dockers du port d’Alger ou bien les travailleurs des soins de santé discutent de partir en grève. Ces discussions sont d’une importance capitale. Généraliser de telles étapes pourrait transformer la situation. Un appel à une grève nationale en soutien à la révolte des jeunes entrainerait une réponse massive et contribuerait à transformer l’énorme colère et frustration qui existe en un mouvement plus puissant qui pourrait potentiellement abattre ce régime pourri et ouvrir la voie à un changement réellement démocratique et socialiste.

  • [DOSSIER] Côte d’Ivoire: Des tensions croissantes

    Les élections présidentielles conduisent le pays au bord d’une guerre civile totale et aggravent la crise du capitalisme

    Le fait que les élections du 28 novembre en Côte d’Ivoire ait produit deux Présidents – Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo – n’est pas une surprise, bien que les travailleurs s’étaient attendu à ce que ces élections leur apportent le retour à la paix. Le pays a été divisé en deux depuis la tentative de coup d’État de 2002 et la rébellion qui s’en est suivi, chaque moitié ayant son propre gouvernement de facto.

    Peluola Adewale, Democratic Socialist Movement (CIO – Nigeria)

    Le Nord est contrôlé par les rebelles des Forces nouvelles (FN), tandis que le Sud est sous contrôle de Gbagbo, avec le soutien de l’armée régulière et de la milice des jeunes. Par conséquent, sur cette base et avec le sentiment d’ethnocentrisme qui a caractérisé la politique ivoirienne au cours des deux dernières décennies, il est naturel que quel que soit le vainqueur officiel, le résultat des élections serait âprement contesté par le perdant.

    La commission électorale a déclaré gagnant Ouattara, un nordiste et ancien Premier Ministre sous feu Félix Houphouët-Boigny, tandis qu’à peine quelques heures plus tard, la Cour constitutionnelle – dont on dit qu’elle est dirigée par un important allié de Gbagbo – a annulé certains votes dans le Nord en parlant de fraude électorale et a décerné la victoire à Gbagbo. Selon les observateurs internationaux, bien qu’il y ait eu quelques cas d’irrégularités à travers le pays, les élections ont été globalement libres et transparentes, et la victoire revient à Ouattara. De son côté, la mission des Nations-Unies qui, selon les termes de l’accord de paix qui a enclenché le processus électoral, est mandatée pour certifier la bonne conduite et le résultat des élections, a donné son aval à Ouattara. Les deux candidats ont tous deux affirmé être Président et ont nommé leur propre cabinet, tandis que la crise post-électorale a déjà pris la vie de 173 personnes et poussé 20 000 personnes, essentiellement des femmes et des enfants, à se réfugier dans des camps au Libéria. Il y a aussi l’allégation selon les Nations-Unies de l’existence de deux fosses communes remplies des corps des victimes des partisans de Gbagbo. Ceci a été nié par le camp Gbagbo.

    La “communauté internationale”

    La “communauté internationale”, qui est l’euphémisme pour désigner l’impérialisme occidental (la France, ancienne puissance coloniale et qui a de très importants intérêts économiques en Côte d’Ivoire, assistée par l’Union africaine et par la CEDEAO, communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest), exerce une pression continue sur Gbagbo pour qu’il accepte le verdict de la commission électorale et qu’il quitte le fauteuil du Président. Les États-Unis et l’Union européenne ont interdit de séjour Gbagbo et ses proches et ont gelé leurs avoirs sur leur territoire. La Banque mondiale et la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest ont gelé son financement pour tenter d’affaiblir son emprise sur le pouvoir. De fait, les dirigeants des pays de la CEDEAO, dont la plupart sont voisins immédiats de la Côte d’Ivoire, ont menacé de recourir à la “force légitime” au cas où Gbagbo refuserait de quitter le pouvoir. Une telle intervention n’a pas non plus été exclue du côté des gouvernements américain et britannique. Quelques jours avant que la CEDEAO n’annonce la possibilité d’employer la force, William Fitzgerald (adjoint-assistant au Secrétaire d’État américain aux Affaires étrangères) y avait fait allusion. « Y a-t-il une option de déstabilisation et d’envoi d’une force de stabilisation ? Bien entendu, toutes les options sont ouvertes, mais probablement pas une force américaine. Ce pourrait être une force africaine » (Bloomberg, 21 décembre 2010).

    Toutefois, la soi-disant préoccupation de la “communauté internationale” pour des élections démocratiques est une hypocrisie. Qui a haussé le ton face à la fraude flagrante lors des élections parlementaires en Égypte ? Ou même par rapport aux élections truquées au Nigéria en 2007. L’impérialisme ne crie à la fraude électorale que lorsque c’est le “mauvais” candidat qui l’emporte, ou lorsqu’il craint que la fraude ne provoque une révolte populaire.

    L’“ivoirité”

    Jusqu’ici, Gbagbo a refusé de bouger et reste imperturbable face à toutes les pressions et menaces. Il a continué à stimuler le sentiment nationaliste contre le “complot international” qui vise à le chasser. Il a trouvé un public auprès de toute une section de la population ivoirienne qui a depuis longtemps adhéré au principe de l’“ivoirité” – le fait d’être un “vrai” ivoirien –, un concept qui a été introduit et grossi par les différentes sections de l’élite qui se sont succédé au pouvoir depuis 1993 en tant qu’outil pour se maintenir en place et continuer le pillage du pays en dépit des rigueurs socio-économiques. Cette frénésie xénophobe n’a pas été inventée par Gbagbo, mais il l’a trouvée utile pour préserver son pouvoir. Ce concept avait tout d’abord été créé de toute pièces par Henri Konan Bédié dans une précédente lutte pour le pouvoir avec Ouattara afin de savoir lequel des deux allait succéder à leur maitre à tous les deux, Houphouët-Boigny, après sa mort fin 1993 après plus de trois décennies au pouvoir. Avant la mort de Houphouët-Boigny, Bédié avait été Président de l’Assemblée nationale et Ouattara, Premier Ministre.

    Selon la politique de l’“ivoirité” prônée par Bédié, toute personne dont les deux parents n’étaient pas ivoiriens, n’était pas éligible pour un quelconque poste politique et ne pouvait bénéficier de certains droits sociaux, tels qu’accéder à la propriété terrienne. Ce concept diviseur a marginalisé la plupart de la population d’origine nordiste, qui sont des mêmes ethnies que les immigrants économiques en provenance de pays voisins, comme le Burkina Faso, le Mali ou le Niger. Il a touché un nerf sensible chez la plupart des Ivoiriens, dans une période où le déclin de ce qui était l’économie la plus prospère de toute l’Afrique de l’Ouest avait atteint un point critique. Par conséquent, il était facile pour les élites dirigeantes de faire des immigrés – qui constituent environ 30% de la population – les boucs-émissaires des souffrances économiques infligées par la crise capitaliste.

    Les “Jeunes Patriotes”

    En plus de l’armée, Gbagbo a à sa disposition une milice de jeunes connue sous le nom de “Jeunes Patriotes”, qui sont principalement des jeunes chômeurs mobilisés par l’“ivoirité” et un nationalisme malsain, et qu’il déploie sans hésiter contre toute menace à son pouvoir. Selon la Banque mondiale, plus de 4 millions de jeunes hommes sur un total de 20 millions sont sans emploi. Ceci constitue un véritable réservoir d’outils politiques pour l’élite égocentrique au pouvoir. Les “Jeunes Patriotes” dont le dirigeant, Charles Blé Goudé, est un Ministre du cabinet de Gbagbo, ont joué un rôle central dans les attaques sur la population française et blanche en 2004, après que l’armée française ait détruit l’ensemble de la Force aérienne de Côte d’Ivoire en réplique au bombardement d’une base française dans le Nord, qui avait couté la vie à neuf soldats français et à un Américain. Ils sont aussi contre l’afflux de Nordistes et d’immigrés qui fournissent une main d’œuvre à bon marché et prennent les quelques emplois disponibles à la place des autochtones dans le Sud, surtout à Abidjan. Tout comme en 2002, les Jeunes Patriotes ont été impliqués dans les attaques sur des Nordistes depuis l’éclatement de la crise post-électorale.

    Les “Jeunes Patriotes” se présentent comme anti-néocolonialistes, surtout contre les Français, qui contrôlent fermement l’économie ivoirienne (la plupart des entreprises du pays et des ports appartiennent à des Français), et qui chercheraient à renverser Gbagbo afin de maintenir le pays dans son état d’État vassal. Toutefois, les pogroms sur les Nordistes et les immigrés les révèlent comme de pantins utilisés pour perpétrer des attaques xénophobes et ethniques.

    Gbagbo et l’impérialisme français

    Gbagbo n’a jamais été le premier choix de l’impérialisme français pour la direction de son principal avant-poste en Afrique. Avec son passé radical, Gbagbo était au centre des actions de protestation contre la “démocratie” du parti unique de Houphouët-Boigny. Celui-ci dirigeait le pays en tant que son fief personnel et en a fait une mine d’or pour les exploiteurs les chercheurs de fortune français. Le régime de Houphouët-Boigny bénéficiait d’un soutien sans faille de la part de l’impérialisme occidental, puisqu’il était bon pour leurs intérêts économiques, et aussi en tant qu’instrument contre les dirigeants radicaux et pro-Moscou en Afrique en cette période de Guerre froide. On a par exemple rapporté que Houphouët-Boigny a joué un rôle central dans le renversement de Kwamé Nkrumah au Ghana et de Thomas Sankara au Burkina Faso. Après la légalisation des partis d’opposition, Gbagbo était le seul leader de l’opposition qui était assez courageux que pour se dresser et contester les toutes premières élections présidentielles de Côte d’Ivoire en 1990 contre le monstre politique qu’était Houphouët-Boigny. Dix ans plus tard, Gbagbo a été porté au pouvoir par une insurrection de masse qui a renversé le dictateur militaire de l’époque, Robert Guei, qui avait refusé de reconnaitre sa défaite aux élections présidentielles de 2000, que tout le monde estimait avoir été remportées par Gbagbo.

    À ce moment-là, devant le soutien populaire, l’impérialisme français n’avait pas d’autre choix que de s’accommoder de Gbagbo, laissant de côté leur appel à de nouvelles élections à cause de la décision de la Cour suprême d’exclure la candidature de Ouattara parce qu’il n’était pas ivoirien. Mais Gbagbo n’était pas une menace pour les immenses intérêts économiques de l’élite dirigeante française. Toutefois, malgré toutes les déclarations anti-françaises énoncées aujourd’hui par Gbagbo, Pierre Haski révèle dans le Guardian de Londres que « Tout au long des dix ans qu’a passé Gbagbo au pouvoir, les entreprises françaises ont eu tous les plus gros contrats : Total pour l’exploration pétrolière, Bolloré pour la gestion du port d’Abidjan, Bouygues pour les télécoms » (The Guardian de Londres, 5 janvier 2011). Par ailleurs, il a de fait dirigé le pays sur base d’un agenda capitaliste néolibéral, et il a signé en 2001 un programme d’encadrement qui soumet l’économie aux dictats du FMI. Néanmoins, la relation entre les capitalistes français et Gbagbo est devenue plus tendue à la suite de l’incident du bombardement de 2004, qui a également renforcé les soupçons du camp Gbagbo comme quoi la France était impliquée dans la rébellion nordiste qui a éclaté en 2002. Toutefois, ce sont les forces françaises qui ont aidé à repousser l’avancée des rebelles vers le Sud lorsqu’elles ont semblé assez fortes que pour envahir tout le pays, et qui ont facilité le cessez-le-feu de 2002. La France s’est apparemment vue forcée de faire cela afin de garantir la sécurité de ses entreprises, principalement situées dans le Sud.

    C’est une base militaire française qui avait été conservée en tant que composante de la zone tampon dans le Nord après l’accord de cessez-le-feu qui a été bombardée par les forces ivoiriennes en 2004, et qui ont plus tard avoué que c’était une erreur. Auparavant, Houphouët-Boigny avait signé un pacte de défense en 1961 qui avait réduit la Côte d’Ivoire au statut d’avant-poste militaire de la France et qui avait permis le maintien de la présence française, avec le 43ème bataillon d’infanterie marine stationné à Port-Bouet dans les quartiers sud d’Abidjan.

    Crise politique – Prétexte pour de nouvelles attaques sur les travailleurs

    Il ne fait aucun doute que la crise politique causée par la guerre civile a eu des conséquences désastreuses sur l’économie et sur la vie de la population, en particulier dans le Nord, où l’accès aux services sociaux tels que l’éducation, les soins de santé et l’électricité a disparu. La crise a par contre fourni un prétexte à Gbagbo pour lancer des attaques sur la population des travailleurs et des paysans, tout en assurant à l’élite dirigeant autour de Gbagbo qu’elle puisse manger tant qu’elle le désirait. La seule exception à ce pillage du pays par Gbagbo a été les ressources du nord du pays, comme l’or et les diamants, qui servent de vache à lait pour les rebelles. Même si il y a eu un embargo international sur les ventes de diamants, il y a des débouchés par la contrebande. Les exportations de cacao et d’autres produits agricoles comme le café, qui proviennent surtout du Sud, n’ont pas été fondamentalement touchées. De plus, les revenus de l’exportation du pétrole ont fortement augmenté lors de la période du boum mondial du pétrole, et n’ont diminué que l’année passée à cause de la récession économique mondiale. De fait, au cours de cette période, le revenu du pétrole, dont l’extraction offshore n’est pas menacée par la rébellion ni par la crise, a surpassé celui du cacao. Il y a eu des cas et des rapports largement publiés de scandales financiers impliquant des hauts cadres du gouvernement, surtout concernant le revenu du cacao. Comme c’est le cas dans la plupart des pays africains, il n’y a pas eu d’audit indépendant des secteurs du cacao et du pétrole.

    La politique économique du gouvernement est conçue pour huiler la machine du gouvernement et les privilèges pour ses fonctionnaires, tandis que le peuple fait la file pour recevoir les miettes. Comme de grosses quantités sont destinées aux poches des membres du gouvernement, les services sociaux et les conditions de vie des travailleurs se sont détériorées non seulement dans le Nord mais aussi dans le Sud à cause du manque de financement et des attaques néolibérales. Les dépenses publiques dans les soins de santé en terme de pourcentage du PIB sont les troisièmes plus basses de toute l’Afrique sub-saharienne. Le gouvernement a aussi pressé le revenu des cultivateurs de cacao pour accroitre son revenu. Selon les chiffres de la Banque mondiale de 2008, les cultivateurs ivoiriens ne reçoivent que 40% du prix du cacao sur le marché mondial, alors qu’au Ghana ils en reçoivent 65%, et au Nigéria 85%. Une énorme proportion de paysans ivoiriens vivent dans la misère, malgré le fait que ce sont eux qui sont la colonne vertébrale de l’économie du pays. Ils sont contraints de faire travailler des enfants afin de réduire les frais de production du cacao et de pouvoir tirer un quelconque bénéfice de leurs ventes.

    Riposte de la classe ouvrière

    Bien entendu, il y a eu des ripostes contre les attaques, avec des grèves des travailleurs de différents secteurs comme la santé, l’éducation et les gouvernements locaux, surtout entre novembre et décembre 2009. Toutes ces grèves ont rencontré la répression du gouvernement, avec l’arrestation et la détention des militants ouvriers, dont certains ont été trainés en justice et ont été condamnés. Dans le secteur privé aussi les travailleurs ne sont pas restés sans rien faire. Les dockers et les routiers sont partis en grève en 2009. Des milliers de dockers ont bravé les mesures de répression de leurs employeurs privés qui avaient appelé la police armée, et ont tenu leur action pendant deux semaines, du 2 au 17 juin. Il y a eu aussi toutes sortes de manifestations de masse contre les hausses du prix officiel du carburant et la hausse des prix de l’alimentation en 2008. Les paysans sont partis en grève en 2004 et 2006 pour demander leur part du revenu du cacao.

    Il est clair que les différentes sections de la population laborieuse sont prêtes à la lutte pour un meilleur sort que celui que leur réservent les élites répressives et kleptomanes. Yacouba Fandio, chauffeur de taxi à Abidjan, a par exemple dit à l’IRIN (l’agence de presse des Nations-Unies) qu’il était intéressé à participer à des actions de protestation, mais ne l’avait pas fait jusque là. « À chaque fois, on entend qu’une manifestation va être organisée contre le cout de la vie, mais elle est annulée au dernier moment. La prochaine fois qu’on dit qu’il va y avoir manif, il y aura tellement de gens qu’ils vont bien finir par devoir écouter » (IRIN, 31 mars 2008). Malheureusement, il n’existe pas de fédération syndicale viable qui puisse rassembler la colère de tous les travailleurs et des pauvres pour organiser une grève générale et des manifestations de masse.

    Le chouchou de l’impérialisme

    Toutefois, il n’y a aucun espoir d’un meilleur futur pour les Ivoiriens ordinaires sur base de l’alternative que représente Ouattara, le champion de l’impérialisme. Pas besoin d’une boule de cristal pour tirer la conclusion que l’ancien Premier Ministre de Houphouët-Boigny, qui est ensuite passé vice-directeur à la gestion du FMI, va diriger le pays en obéissant à l’impérialisme au doigt et à l’œil.

    La Côte d’Ivoire a déjà été listée parmi l’initiative de la Banque mondiale et du FMI des pays pauvres très endettés (PPTE), en tant qu’étape préliminaire pour bénéficier d’une remise d’un allègement du fardeau de la dette dans laquelle elle a été plongée par l’archétype de dictateur africain pro-impérialiste qu’était Houphouët-Boigny. Ceci signifie que pour recevoir cette remise de dette, le pays doit mettre en œuvre des politiques économique d’austérité dure et d’ajustements structurels, soit un programme capitaliste néolibéral, selon les termes qui lui sont dictés par le FMI et la Banque mondiale. Il ne fait aucun doute que Ouattara accomplira ces attaques néolibérales sans ciller, quel qu’en soit le cout pour la population laborieuse. Ouattara est un vieux cheval de l’impérialisme. Il faut se rappeler que c’était lui qui avait été mandaté par Houphouët-Boigny pour imposer et appliquer les mesures d’austérité et le programme d’ajustement structurel au début des années ’90. Pour lui, le néolibéralisme qui a prouvé être le fléau du développement est en réalité un remède économique. Toutefois, la Côte d’Ivoire avait atteint le point de décision du PPTE en mars 2009, ce qui signifie que Gbagbo ne s’en est pas trop mal tiré non plus en terme d’application des attaques néolibérales dictées par la Banque mondiale et le FMI. Le FMI a félicité Gbagbo pour son travail et lui a demandé d’accélérer les “réformes” en direction du point d’achèvement de PPTE. Il ne fait qu’aucun doute que Ouattara, en véritable agent bleu du FMI, fera mieux que Gbagbo à cet égard.

    Ce n’est un secret pour personne que l’impérialisme occidental, et en particulier la France, a d’important intérêts économiques en Côte d’Ivoire. La France y a par exemple environ 500 entreprises qui dominent d’importants secteurs de l’économie. Le pays est le plus grand producteur de cacao au monde, pour 40% de la production mondiale. Il est aussi un producteur majeur de café et de bois, en plus de l’augmentation de sa production de pétrole. Il y a des dépôts d’or et de diamants dans le Nord. Il y a aussi un rapport de la Commission d’enquête internationale qui parle de la découverte de gisements pétroliers dont les réserves pourraient faire de la Côte d’Ivoire le deuxième ou troisième plus grand producteur de pétrole africain, en plus d’immenses gisements de gaz, assez pour une centaine d’années d’exploitation.

    Afin de pouvoir reprendre la pleine exploitation de l’économie et des ressources du pays, cela va dans les intérêts de l’impérialisme de mettre une terme à la guerre civile actuelle. Selon ses calculs, cela pourrait être effectué par Ouattara qui bénéficie d’un soutien de masse dans le Nord dont il est originaire, et soutenu par les rebelles dont il a nommé Premier Ministre le dirigeant Guillaume Soro. Il est également apprécié par certaines sections dans le Sud. Il n’est pas impossible que Ouattara ait reçu d’importants votes de la part des Baoulés, le plus grand groupe ethnique du pays (et duquel était originaire Houphouët-Boigny), puisque l’ex-Président Bédié leur a demandé de voter pour lui. Bédié, qui est arrivé troisième au premier tour, a tiré la plupart de ses voix des Baoulés, qui sont pour la plupart cultivateurs de cacao, et qui avaient des comptes à régler avec Gbagbo sur base de la baisse constante de leur part du revenu du cacao, et de son opposition historique à Houphouët-Boigny. Ouattara leur a promis que s’il était élu Président, Bédié serait son “patron”, et qu’il installerait tout de suite son gouvernement à Yamoussoukro, qui jusqu’ici n’est que la capitale nominale (Abidjan restant la capitale de facto), et qui était la ville natale de Houphouët-Boigny.

    Le spectre de la guerre

    Jusqu’ici, la pression de l’impérialisme occidental et de son pion – la CEDEAO – n’a fourni aucune solution. Il n’est pas impossible que la CEDEAO, sous l’injonction de l’impérialisme occidental, mette à exécution sa menace d’utiliser la force pour chasser Gbagbo du pouvoir au cas où les moyens diplomatiques venaient à échouer. Ceci ramènera certainement le spectre du conflit ethnique entre Ivoiriens, et mettrait en danger les vies et les biens de millions d’Africains provenant d’autres pays qui seraient brutalement assaillis par les partisans de Gbagbo. L’explosion d’une guerre civile pourrait déclencher des troubles sociaux et des tensions dans des pays comme le Burkina Faso, dont environ 3 millions de nationaux travaillent en Côte d’Ivoire. Déjà, les Nigérians vivant en Côte d’Ivoire ont prévenu le gouvernement de Goodluck Jonathan des conséquences de l’intervention militaire qui se prépare. De plus, la Côte d’Ivoire n’est pas le Sirra Leone, où l’ECOMOG a pu facilement intervenir pour chasser du pouvoir un putschiste. L’armée ivoirienne, jusqu’ici loyale à Gbagbo, est une véritable force, tandis que les fervents sentiments nationalistes qui vivent parmi toute une couche de la population faciliteraient à Gbagbo la mobilisation d’un grand nombre de jeunes, dont certains sont déjà organisés au sein des “Jeunes Patriotes”, afin de prendre les armes contre l’occupation et les forces étrangères. La popularité de Gbagbo parmi certaines sections de la population dans le Sud, par exemple, s’est accrue après les attaques françaises de 2004.

    Les organisations ouvrières, socialistes et pro-peuple au Nigéria et dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest doivent commencer à se lever et à organiser des actions de masse contre le projet d’interférence militaire dans la crise ivoirienne, tout en appelant de la manière la plus claire qu’il soit à l’unité de classe des travailleurs et des pauvres de Côte d’Ivoire quels que soient leur appartenance ethnique, leur religion ou leur nationalité.

    Même un départ “volontaire” de Gbagbo n’est pas une garantie pour la restauration d’une paix durable. En effet, c’est une impasse sans issue visible. L’option du partage du pouvoir avec un “gouvernement d’unité nationale” comme on l’a vu dans des circonstances similaires au Kénya ou au Zimbabwé a jusqu’ici été exclue par la “communauté internationale”. La dégénération en une guerre civile ouverte, avec une implication active de forces étrangères, régulières comme mercenaires, semble être la prochaine phase de la crise. Ceci reviendra à un plongeon en enfer du type de celui qu’on a vu en Afrique centrale pour la population, qui a déjà été la plus touchée par des années d’attaques néolibérales et de crise politique.

    Mouvement uni des travailleurs et assemblée du peuple démocratiquement élue

    Seule l’unité et l’organisation des travailleurs peut mettre un terme à cette horreur. Les grèves et les actions de masse que les travailleurs ont menées contre les attaques néolibérales au cours des dernières années ont prouvé qu’ils peuvent se dresser au-delà des divisions religieuses et ethniques qui sont exploitées par l’élite capitaliste égoïste au pouvoir, et qu’ils peuvent s’unir pour lutter pour leurs intérêts à tous, pour une vie meilleure. Le problème est qu’il semble qu’il n’y a pas de mouvement central des travailleurs qui puissent mobiliser la masse des Ivoiriens, des ouvriers, des paysans et des artisans contre la xénophobie, l’ethnicisme et la guerre, et qui puisse les organiser en un grand mouvement politique capable d’arracher le pouvoir à toutes les factions d’élites capitalistes qui ont plongé le pays dans cette abysse de crises économiques et sociales. Par conséquent, il est grand temps de construire un authentique mouvement de masse des travailleurs, qui puisse également contester l’emprise du capitalisme sur l’économie.

    Les dirigeants syndicaux radicaux, les militants de gauche et les socialistes doivent immédiatement appeler à une conférence pour la construction d’un mouvement unifié des travailleurs qui unisse les ouvriers, les paysans et les pauvres de toutes ethnies et de toutes les religions contre la xénophobie, l’ivoirité et la guerre ethnique, et qui mobilise une résistance de masse contre tous les conflits ethniques et sectaires, et aussi contre la possible intervention militaire qui est en train d’être considérée par la CEDEAO. Un tel mouvement pourrait être la base pour la formation d’un parti des travailleurs, armé d’un programme socialiste. En opposition aux manœuvres et aux luttes des cliques rivales, les travailleurs ont besoin de leur propre alternative : la création d’une assemblée véritablement populaire – formée de représentants élus des ouvriers, des paysans, des petits commerçants, des artisans et des nationalités ethniques – qui pourrait former un gouvernement intérimaire qui agirait dans les intérêts des travailleurs et des pauvres. Un tel gouvernement serait capable d’organiser de nouvelles élections libres, sans interférence de l’agence pro-capitaliste que sont les Nations-Unies, dans lesquelles un parti des travailleurs pourrait mener campagne sur base de la résistance contre les programmes capitalistes néolibéraux et pour une alternative socialiste.

    Les ouvriers, les paysans et les pauvres doivent réaliser que l’“ivoirité” et la xénophobie sont des produits de la crise du capitalisme qui a ravagé le pays depuis les années ’90, et qui a continué à s’accroitre avec l’aggravation des problèmes socio-économiques causée par la politique néolibérale antipauvres qui est soutenue par toutes les factions de l’élite dirigeante qui entrent à présent en guerre. Quel que soit le vainqueur de cette guerre, Gbagbo ou Ouattara, les travailleurs et les pauvres de Côte d’Ivoire vont rapidement réaliser que leur niveau de vie ne va pas s’améliorer, s’il n’empire pas. Ceci va définitivement approfondir le mécontentement social et pourrait ouvrir la porte à une lutte de masse et à la recherche d’une alternative qui puisse relever la conscience en faveur d’une alternative socialiste pour le pays.

  • Tunisie : Les étudiants et les avocats rejoignent le mouvement de protestation contre le régime

    Message de solidarité de Joe Higgins, député européen, aux syndicalistes, socialistes et militants démocratiques de Tunisie

    On rapporte que des conflits entre police et manifestants contre le chômage, le cout élevé de la vie et le régime répressif du Président Zine al-Abidine Ben Ali sont en train de se répandre à travers toute la Tunisie, les dernières actions s’étant déroulées dans la ville de Thala. Malgré les tentatives maladroites de la part du régime d’arrêter les communications, y compris en bloquant Facebook et les blogs, on annonce que des manifestations ont eu lieu dans les lycées après la rentrée scolaire qui a suivi les vacances de Nouvel An. Les manifestations prévues pour le 3 janvier par les étudiants à Tunis ont été bloquées par la police.

    Socialistworld.net

    La semaine passée, les avocats se sont joints aux manifestations mais ont été attaqués par la police. Les avocats ont à nouveau protesté le lundi au principal tribunal de Tunis. L’Association du Barreau tunisien a annoncé une “grève générale” en guise de protestation contre les attaques policières.

    Le mouvement a démarré de la ville de Sidi Bouzid en décembre dernier, après qu’un jeune diplômé du nom de Mohamed Bouazizi se soit immolé par le feu lorsque la police a tenté de lui interdire de tenir son petit stand de vendeur de rue. C’est cet acte qui a été le déclencheur de manifestations dans tout le pays contre la misère, le chômage et le manque de droits démocratiques.

    Nous publions ci-dessous un message de solidarité envoyé la semaine passée par Joe Higgins, député européen du Socialist Party irlandais (CIO – Irlande), adressé aux syndicalistes, socialistes et militants démocratiques tunisiens.

    Socialistworld.net


    Chers camarades, chers amis,

    C’est avec grand intérêt que j’ai suivi le déroulement des actions de masse en Tunisie au cours de la semaine passée. J’applaudis cette action courageuse de la jeunesse, des syndicalistes, des socialistes et de milliers de travailleurs qui sont descendus dans les rues pour protester contre le chômage, la baisse de leur niveau de vie et le manque de droits démocratiques de base. Votre révolte de masse contre un régime aussi répressif est un exemple éclatant pour les travailleurs et les jeunes du monde entier.

    Les conditions dans lesquelles le peuple de Tunisie est forcé de vivre sont déplorables ; la grande majorité des Tunisiens est confrontée à l’inflation en hausse et à un taux de chômage fort élevé, tandis que l’élite dirigeante corrompue se vautre dans la richesse. Même les États-Unis, qui soutiennent la dictature en Tunisie, ont dans un cable divulgué par WikiLeaks, décrit la famille du Président Zine el-Abindine Ben Alias comme étant une “quasi mafia”, et le régime tunisien comme un “État policier”.

    Un chômeur diplômé, Mohammad Bouazizi, s’est immolé après que la police ait confisqué les fruits et légumes qu’il tentait de vendre dans la ville de Sidi Bouzid – déclenchant la révolte récente – et un autre jeune homme s’est suicidé en se jetant sur des cables à haute tension en guise de protestation contre le chômage —  ce fait en dit très long sur le profond sentiment de frustration et même de désespoir qui est ressenti par beaucoup de Tunisiens. À partir d’autres exemples dans l’Histoire, nous pouvons voir qu’une explosion sociale est inhérente à la situation et peut très rapidement devenir un mouvement de masse contre ce régime qui n’a que trop duré.

    Je salue votre courage face à la répression étatique systématique, qui s’assure que toute dissidence soit réprimée, et qui utilise la torture de manière routinière. Malgré les tentatives du régime d’empêcher les journalistes de couvrir les dernières journées de protestation, on rapporte en Europe que la répression policière a mené à la mort de deux manifestants, au moins. Je condamne fermement ce meurtre, de même que toute autre tentative du régime d’écraser l’opposition croissante, y compris les attaques contre les milliers de travailleurs devant les bureaux de l’Union générale des travailleurs tunisiens à Tunis, et les tentatives de la police d’arrêter la manifestation de l’Union générale tunisienne du Travail à Gafsa.

    Les problèmes auxquels sont confrontés les travailleurs sont liés aux problèmes présents sur le plan mondial : la chute dramatique des revenus touristiques en Tunisie est liée à la crise économique et sociale en Europe et aux tentatives des gouvernements de faire payer les travailleurs pour la crise du système capitaliste au moyen de plans d’austérités sauvages. Cela cause à présent une véritable chute du niveau de vie et des pertes d’emploi à grande échelle à travers toute l’Europe – l’Irlande étant d’ailleurs une des premières touchées – et donc un effondrement du tourisme. Une solution aux problèmes graves auxquels est confrontée la population laborieuse d’Europe, de Tunisie, d’Afrique du Nord et du monde entier, requiert une solidarité et une action unie des travailleurs par-delà toutes les frontières.

    Appel à la manifestation de masse du 26 janvier

    J’ai appris de la part de mes camarades du CIO au Liban qu’un appel a été fait pour une immense manifestation de protestation à Tunis le 26 janvier 2011, et pour des actions de solidarité et des actions devant les ambassades de Tunisie dans la période de préparation à cet important événement. Je soutiens pleinement cet appel et le CIO et moi-même feront tout notre possible pour mettre en valeur votre combat pour les droits démocratiques, y compris le droit d’organisation, d’assemblée et de protestation, et de former des syndicats indépendants. Je soutiens vos luttes pour des emplois et contre le programme de privatisation désastreux du régime et la fin des subsides d’État sur les denrées alimentaires.

    Malgré la réputation d’inflexibilité du Président Zine el-Abindine Ben Alias, je suis persuadé que l’action de masse que vous et des milliers d’autres personnes ont entreprise a jusqu’ici déjà ébranlé le régime, menant à des “promesses” de la part du gouvernement de créer de nouveaux emplois et de virer certains Ministres. Je soutiens pleinement vos efforts continus pour employer les méthodes traditionnelles de la lutte de masse du mouvement ouvrier, y compris les manifestations de masse, les grèves et la grève générale. Je suis confiant dans le fait que de telles luttes de masse vont aussi mettre en avant la nécessité pour les travailleurs et les jeunes de Tunisie d’avoir un parti qui représente leurs intérêts de classe, et non pas ceux de l’élite dirigeante corrompue, et qui se batte pour une démocratie authentique – un gouvernement basé sur les besoins de la classe ouvrière et des pauvres, de la masse de la société.

    Veuillez me faire savoir quelle action le CIO et moi-même pourrions entreprendre afin de vous venir en aide en cette période cruciale.

    Avec vous dans la lutte, Joe Higgins, député européen, Socialist Party (CIO – Irlande)

  • Afrique du Sud: Des travailleurs prennent le contrôle de leur usine

    Le mercredi 20 octobre, les travailleurs de l’usine Mine Line/TAP Engineering à Krugersdorp, juste à la sortie de Soweto, ont entamé l’occupation de leur lieu de travail afin d’empêcher son ancien propriétaire de dévaliser l’usine de ses machines et autres équipements, et pour mener la lutte afin de sauver leurs emplois.

    Reporters du DSM (CIO-Afrique du Sud)

    Les travailleurs sont organisés par l’Union des travailleurs du métal et de l’électricité d’Afrique du Sud (Metal and Electrical Workers Union of South Africa – MEWUSA), dans laquelle le Democratic Socialist Movement (notre section en Afrique du Sud) joue un rôle dirigeant. Ils occupent l’usine et mobilisent pour une campagne de solidarité de masse, exigeant la reprise de l’usine par l’État, de sorte qu’elle puisse rouvrir en tant que coopérative gérée de manière démocratique par les travailleurs.

    Mine Line/TAP Engineering, qui produits des valves, des locomotives, etc. pour l’industrie minière, a été fermée au mois d’aout par son propriétaire, M. Mulder, qui tentait ainsi d’échapper à sa responsabilité pour la mort de trois travailleurs dans un accident survenu le 4 aout ; cet accident était dû à un mépris total de la santé et de la sécurité des travailleurs. Malgré la crise économique, Mine Line est demeurée une entreprise rentable. La faillite est la conséquence directe du pillage, de la fraude et du vol criminels de la part de M. Mulder. Il a volé 15 millions de rands (1,7 millions €) à la compagnie en cash, en plus de sa flotte de voitures et d’hélicoptères de luxe qu’il s’est offert avec l’argent de la société, et a déclaré la faillite le lendemain. En même temps que lui s’est arrangé avec le liquidateur, Commonwealth Trust, pour piller l’entreprise, en volant des fonds pour pouvoir démarrer des business ailleurs, les 107 travailleurs et les familles de ceux qui ont été tués sont laissés sans rien du tout, même après plus de 25 ans de service comme c’est le cas pour la plupart.

    Le mercredi 20 octobre, les travailleurs ont décidé de garder les installations pour empêcher l’ex-propriétaire et le liquidateur de voler encore plus de machines et d’autres actifs à l’usine. Les travailleurs se battent depuis pour sauver leurs emplois, leurs pensions et leurs allocations, mais aussi pour montrer que la production et la société en général peuvent être gérées sans les patrons capitalistes. Les travailleurs revendiquent que l’État transfère la propriété aux travailleurs et injecte du capital pour revigorer l’entreprise, et sont en train de former une coopérative pour gérer l’usine, en tant que premier pas vers la nationalisation de l’entreprise sous le contrôle et la gestion par les travailleurs.

    L’occupation de Mine Line est, depuis le début de la récession en 2008, la première action de ce genre menée par des travailleurs en Afrique du Sud. Plus d’un million d’emplois ont été perdus en Afrique du Sud depuis que la récession est arrivée – ce qui est selon le FMI le plus haut taux de perte d’emploi au monde, par rapport au taux de croissance. 55% de la population en âge de travailler n’est pas active économiquement (bien que le taux de chômage officiel ne soit “que” de 25%).

    Hélas, les dirigeants du mouvement syndical ont réagi face à la récession comme si c’était un phénomène naturel pour lequel personne n’est à blâmer. Au lieu de coordonner une campagne d’actions de masse afin de repousser l’offensive patronale et de défendre les emplois, ils se sont concentrés sur des négociations avec les patrons et le gouvernement au nom de “l’intérêt commun” – volant dans les faits à la rescousse des patrons. Les travailleurs de Mine Line refusent de payer pour la crise qui a été causée par leur patron, et envoient un message clair et retentissant aux travailleurs partout ailleurs, leur demandant de faire la même chose. La crise économique a démontré à des millions de gens le fait que le système capitaliste est incapable de mener la société plus en avant, et cette lutte fournira des leçons importantes pour les travailleurs organisés, pour les communautés ouvrières en lutte et pour les organisations de jeunes, en Afrique du Sud comme dans le reste du monde, sur comment se battre pour une alternative socialiste.

    Les travailleurs sont maintenant en train de mobiliser et d’appeler au soutien des autres travailleurs et de leurs communautés. Déjà, le Democratic Socialist Movement, le Centre alternatif coopératif et politique (Co-operative and Policy Alternative Center – COPAC) et la Conférence de la Gauche démocratique (Conference of the Democratic Left), une nouvelle initiative de gauche unitaire, participent de manière active au soutien à cette occupation. Il y a maintenant un besoin urgent d’unifier le poids du mouvement ouvrier tout entier et les luttes de masse des communautés et de la jeunesse en une campagne de solidarité de masse. La pression doit aussi être exercée sur les principaux créditeurs de l’entreprise comme la banque ABSA afin qu’ils poursuivent l’ex-propriétaire, et non pas l’entreprise pour récupérer ce qui leur est dû (il a emprunté 35 millions de rands – 4 millions € – en mentant sur le fait qu’il allait l’investir dans l’entreprise, ce qu’il n’a jamais fait). La même chose est valable pour les 15 millions de rands qu’il doit aux Services des revenus sud-africains.

    Les travailleurs sont inspirés par les exemples courageux qui ont été donnés par le personnel de INNSE en Italie et par les occupations de Vestas et de Visteon au Royaume-Uni. Le CIO envoie ses vœux de solidarité au comité des travailleurs de Mine Line et du MEWUSA. Nous leurs souhaitons tout le meilleur dans leur lutte audacieuse.

  • Nigéria : Les élections générales de 2011 seront-elles différentes de la farce de 2007 ?

    Le problème clé est : quel choix nous offre-t-on ? Que défendent les différents partis ? Et, l’un d’entre eux représente-t-il les intérêts de la classe ouvrière, des pauvres et de tous ceux qui s’opposent à la classe capitaliste corrompue ?

    Democratic Socialist Movement (CIO-Nigéria)

    Le professeur Attahiru Jega, président de la Commission électorale indépendante nationale, et le président Goodluck Jonathan ont, à plusieurs reprises, juré que les élections générales de 2011 seront bel et bien libres de tout incident. Même les pays capitalistes avancés, les principaux bénéficiaires du système capitaliste au Nigéria et dans d’autres pays sous-développés, expriment leurs sentiments selon lesquels le reste du monde serait heureux d’assister à des élections transparentes et paisibles en 2011. Lors de ses premières interventions devant les médias, le nouvel ambassadeur américain au Nigéria, M. Terence McCulley, a résumé son point de vue et celui des pays impérialistes lorsqu’il a déclaré : ‘‘J’espère que le processus de 2011 sera meilleur et respectera la volonté du peuple nigérian.’’ Par conséquent, nous posons la grande question : les élections générales de 2011 au Nigéria seront-elles plus “transparentes” et “respecteront-elles la volonté du peuple nigérian” mieux que la grande farce qui a été connue sous le nom d’“élections générales” de 2007 ?

    Les commentateurs bourgeois voudraient pouvoir répondre immédiatement à cette question avec une note d’optimisme. Ils se dépêcheront de mettre en avant le passé radical du président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) actuel, largement perçu comme un militant respectable, en tant qu’ancien président du syndicat du personnel académique des universités (Academic Staff Union of Universities – ASUU), un syndicat de gauche, et qui ne va certainement pas permettre que qui que ce soit utilise la CENI pour manipuler ou truquer les élections. Au contraire de l’ancien président Obasanjo, qui avait ouvertement déclaré que les élections fédérales de 2007 seraient une affaire de “vie ou de mort”, le président Jonathan a, au cours de ses divers discours et visites auprès des gouvernements régionaux à travers le pays, répété à de nombreuses reprises sa promesse selon laquelle le gouvernement va assurer des élections libres et honnêtes en 2011, où chaque vote comptera. Hélas, si l’on prend en compte de manière scientifique l’ensemble des principaux facteurs, logistiques et politiques, qui détermineront la nature de ces élections, le peuple nigérian devrait s’attendre à ce que la période postélectorale soit faite d’une continuation de la détérioration de son mode de vie et d’attaques encore plus grandes sur ses droits démocratiques, quel que soit le parti ou la coalition qui sortira vainqueur de ce processus, que ce soit au niveau fédéral ou au niveau des régions.

    Une autre période électorale dominée par le chaos et les intérêts personnels

    À moins d’un amendement de la constitution de 1999, de nouveaux gouvernements doivent être élus aux niveaux fédéral et régionaux avant le 29 mai 2011. Ceci signifie donc que la CENI doit faire tout ce qui est en son pouvoir afin d’organiser les élections générales partout dans le pays avant la fin avril 2011. Au moment où nous écrivons, la CENI a provisoirement décidé que le mois de janvier sera utilisé pour commencer à établir le nouveau registre des électeurs, la condition minimale pour la tenue d’élections démocratiques, surtout étant donné que beaucoup de questions se posent quant à la crédibilité et à l’exactitude du registre des électeurs actuel, qui a été compilé par la CENI dirigée par le très douteux Professeur Maurice Iwu. Cela signifie que la CENI n’aura qu’environ deux à trois mois pour rédiger le nouveau registre des électeurs qui reprendrait au moins 80 millions de Nigérians sur une population estimée à 140 millions. Jusqu’à présent, on attend toujours que soient rédigés le Décret électoral et l’amendement constitutionnel qui doivent servir de base légale à ces élections ! Et si on prend aussi en compte que la période d’après les élections sera comme d’habitude dominée par les disputes et plaintes de tous les candidats, et le processus qui est requis pour résoudre tout ce bazar par la voie légale, alors il semblera clair à tout élément conscient de la jeunesse et de la classe ouvrière que les élections de 2011 ne seront rien d’autre qu’un grand vacarme, un autre tour de magouilles et de chamailleries !

    Mais pour les masses laborieuses du Nigéria, l’enjeu va au-delà d’un registre électoral crédible pour une élection démocratique. Le véritable enjeu est : quel choix avons-nous ? Que défendent tous ces différents partis, et y a-t-il l’entre eux qui représente les intérêts de la classe ouvrière, des pauvres, et de tous ceux qui s’opposent à la classe dirigeante corrompue ?

    Que ce soit le PDP actuellement au pouvoir, ou que ce soit un des grands partis d’opposition, tous, sans exception, défendent une politique anti-pauvres dans tous leurs programmes et mesures économiques.

    Au lieu de se pencher sur un programme et sur des mesures qui puissent mettre à contribution les immenses richesses naturelles et humaines que possède le Nigéria, afin de garantir des conditions de vie décentes pour tout un chacun, tous ces partis qui nous dirigent, au fédéral comme dans les régions, se bousculent pour proposer et mettre en œuvre des mesures anti-pauvres qui ne vont faire qu’empirer les conditions de vie du peuple nigérian partout dans le pays. C’est pourquoi tous les PDP, ANPP, ACN, APGA et même le gouvernement de l’Etat d’Ondo qui est le seul à être contrôlé par le Labour se font les champions de mesures capitalistes pro-riches de privatisation, dérégulation, commercialisation, etc. À présent, dans tout le pays, quel que soit le parti politique au pouvoir, l’Etat ou les conditions des infrastructures de base telles que les routes, l’électricité, l’eau, ou des services sociaux indispensables telles que le logement, la santé ou l’éducation n’ont jamais été pires. Malgré cette situation déplorable, tous les partis dirigeants sont bien décidés à poursuivre la mise en œuvre d’une politique qui ne fera que remplir encore plus les poches des éléments capitalistes et des grandes corporations.

    C’est pourquoi tous ces grands partis prônent religieusement le concept du “partenariat public privé” en tant que meilleure solution pour développer l’économie et l’industrie ruinées du Nigéria. Selon ce concept douteux, le manque honteux de bonnes routes carrossables est censé être compensé par des profiteurs privés qui seront autorisés à construire des routes puis à prélever des péages afin de récupérer leur investissement. Mis à part le fait que sur base de l’expérience concrète, cette approche a déjà montré qu’elle ne peut s’appliquer qu’à certaines routes potentiellement bien profitables, le cout réel de cette politique pour la société est impossible à chiffrer. Selon l’idéologie pro-riches et pro-capitaliste qui prévaut aujourd’hui et qui est embrassée par tous les partis dirigeants, chaque aspect essentiel de la vie, comme le logement, la santé, l’éducation, les offres d’emploi, les routes, les voies aériennes et fluviales, est une marchandise qui ne devrait être accessible qu’à ceux qui ont l’argent de se la payer.

    C’est la raison centrale pour laquelle tous les partis au pouvoir partout dans le pays se sont mis d’accord sur le fait que l’éducation, la santé, l’électricité, l’eau, etc. doivent être entièrement privatisés au bénéfice des marchands de profits.

    Il était donc aisé de prévoir que les grands partis bourgeois et leurs apprentis égoïstes ne se sont focalisés que sur des questions de division, telles que la “régionalisation”, le “caractère fédéral”, les embrouilles “Nord-Sud” ou “chrétiens-musulmans” et toutes sortes d’autres histoires qui n’ont rien à voir avec le vrai problème, à savoir comment apporter des conditions de vie décentes aux masses de la population, qu’elles habitent dans le riche delta du Niger, ou dans le reste du Nigéria.

    On constate malheureusement que la morale pro-riche et pro-capitaliste qui constitue désormais la base de la politique des partis dirigeants en ce qui concerne l’économie ou la société a été maintenant ouvertement ancrée dans les affaires politiques et dans le processus électoral. À présent, le Décret électoral tout comme la direction de tous les partis politiques au pouvoir ont prescrit d’immenses sommes, appelées “frais de nomination”, pour quiconque désire se présenter en tant que candidat. Dans les faits, ceci signifie que seuls de gros richards et/ou les personnes sponsorisées par ces mêmes sacs à pognon peuvent espérer jouer un rôle quelconque dans les élections à venir. Il suffit donc de faire remarquer qu’une campagne électorale où seuls peuvent se présenter les plus riches personnes au sein des divers partis, ne pourra jamais être appelée “transparente” ni ne reflétera la “volonté” des Nigérians dans leur masse. En outre, la véritable raison pour laquelle de nombreux candidats à la candidature se disaient prêts à payer eux-mêmes leur “frais de nomination” est qu’ils espèrent bien pouvoir rembourser ces couts électoraux en mangeant l’argent public si jamais ils parvenaient à être élus. Par conséquent, les masses ordinaires doivent affronter bien en face le fait que ces élections ont déjà été truquées à leur détriment, bien avant que la campagne électorale à proprement parler n’ait même commencé.

    Une méga-coalition des partis d’opposition peut-elle changer les choses ?

    Certains prétendent que seule une grande coalition de tous les partis d’opposition parviendra à reprendre le pouvoir au PDP et ainsi à mettre un terme à la putréfaction qui domine à présent l’ensemble du paysage économique et politique de notre pays. Hélas, cette proposition qui semble de prime abord attractive ne peut se réaliser que si les soi-disant partis d’opposition ont un programme et une manière d’être qui soient fondamentalement différentes du détestable PDP qu’ils cherchent à remplacer. À présent, il y a beaucoup de bruit au sujet des grands partis d’opposition qui sont en train de s’associer afin de présenter une alternative unie et coordonnée face au PDP.

    Il faut cependant noter que ceci n’est pas quelque chose de nouveau dans la politique du Nigéria. Au cours des premières et deuxièmes Républiques, les partis d’opposition ont formé ce qu’on a appelé la Grande Alliance Progressive Unie (United Progressive Grand Alliance – UPGA) et l’Alliance des Partis Progressistes (Progressive Parties Alliance – PPA). Sous le régime civil actuel, il y a eu des discussions quant à l’éventuelle formation d’une méga-coalition des partis d’opposition afin de chasser le PDP du pouvoir. Toutefois, dans la mesure où la plupart des éléments de cette soi-disant opposition sont toujours impossibles à différencier du parti qu’ils désirent remplacer, ce phénomène réduit du coup leur opposition aux simples calculs égoïstes qui leur permettront d’être ceux qui hériteront ensuite de la responsabilité de l’injuste ordre économique et politique existant. De la sorte, tous ces partis d’opposition n’ont jamais été capables de mettre sur pied une véritable plate-forme d’opposition contre le parti au pouvoir.

    Par conséquent, tout comme dans la période précédente, le désir actuel de former une méga-opposition contre le PDP lors des élections de 2011 peut au final être sacrifié sur l’autel des ambitions personnelles de tous ces individus qui souhaitent devenir présidents, gouverneurs, sénateurs, etc. et surtout maintenant, étant donné l’énormité scandaleuse des salaires et des dotations de responsables politiques, en plus de tous les privilèges et opportunités de piller les ressources et l’argent public que tous ces postes octroient.

    Y a-t-il un espoir pour les masses ?

    Sur base de la configuration politique du moment, les élections générales de 2011 ne seront comme d’habitude rien de plus qu’une compétition pour le pouvoir politique de la part de différentes sections de l’élite de bandits capitalistes au pouvoir. Malgré les promesses de Jega et de Jonathan d’organiser des élections libres et démocratiques, le résultat des élections, dans la situation actuelle, sera certainement à l’avantage des riches et de ceux qui contrôlent aujourd’hui le pouvoir politique en utilisant une combinaison d’argent et d’appareils d’État.

    Seuls un véritable programme ouvrier, avec la perspective d’utiliser les ressources humaines et naturelles du pays de manière planifiée et démocratique pourra fournir une plateforme politique réellement capable de susciter le soutien enthousiaste et les sacrifices héroïques de la part des masses populaires, et pourra triompher des politiciens capitalistes égoïstes et de tous les partis politiques au pouvoir lors des élections de 2011. Malheureusement, la grande majorité des dirigeants syndicaux et du Labour Party formé par le Congrès du travail nigérian (Nigeria Labour Congress – NLC) ne sont pas en ce moment en train de réfléchir ou de travailler à une telle alternative politique et économique pour la classe ouvrière. Au lieu de s’efforcer à bâtir le Labour Party en tant que voix politique des masses laborieuses, ses principaux dirigeants font tout ce qui est possible pour en faire tout bêtement un autre parti bourgeois.

    Le Labour Party ne dispose pas d’un programme économique et politique clair qui soit radicalement différent de celui des grands partis capitalistes tels que le PDP, l’ANPP, l’ACN, etc. Dans l’état de Ondo, qui est le seul à être gouverné par le parti, on professe la même politique néolibérale, pro-capitaliste de privatisation et de dérégulation des secteurs-clés de l’économie. Aujourd’hui, afin d’espérer devenir président ou gouverneur sous le régime PDP au pouvoir, les candidats doivent payer à leur parti la somme non remboursable respectivement de 10 millions et de 5 millions de naïras (50 000 € et 25 000 €). Ce qui est très embarrassant, c’est que c’est la direction du Labour Party qui a été la première à mettre en place cette mesure honteuse, et que le PDP n’a en fait fait que copier le Labour. Donc, plutôt que d’avoir un Labour Party qui se développe en tant que plate-forme pour la classe ouvrière et pour les masses opprimées en général, il est en train de rapidement devenir un autre parti bourgeois, un phénomène qui pourrait rendre le parti incapable de décoller pour de bon, sans parler de véritablement servir les intérêts politiques et économiques des masses populaires lors des élections à venir.

    Les principaux dirigeants syndicaux n’ont malheureusement pas offert une véritable alternative ouvrière face à la pourriture politique et économique du capitalisme. Politiquement, ceci est causé par leur perspective qui s’efforce de faire du mouvement ouvrier un arbitre cherchant à obtenir des élections libres et démocratiques entre les différentes couches de bandits capitalistes ! Au lieu de chercher à construire un parti politique ouvrier indépendant avec pour but de former un gouvernement ddes travailleurs et des pauvres, qui ferait passer les secteurs-clés de l’économie entre les mains du public, via leur contrôle et leur gestion démocratiques par des comités élus de travailleurs, de paysans et de jeunes, en tant que base pour garantir les besoins politiques et économiques de tout un chacun, et non pas seulement des quelques éléments capitalistes et des classes moyennes, comme c’est aujourd’hui la règle – au lieu de faire cela donc, la plupart des dirigeants Labour actuels conservent la perspective erronée selon laquelle les véritables intérêts des masses laborieuses peuvent être obtenues sans devoir renverser ce système injuste.

    Par exemple, d’importants dirigeants du NLC et de la Confédération syndicale (Trade Union Congress – TUC) croient réellement qu’une oasis économique, capable de pourvoir aux besoins économiques des travailleurs, peut être créée à travers des projets économiques directs de la part des syndicats. Voilà l’impression qui est créée par des dirigeants centraux des deux fédérations syndicales qui existent en ce moment, tandis qu’ils sont en train de négocier des prêts valant des milliards de naïras afin de mettre sur pied des services de transport gérés par les syndicats.<^>Le Président-général de la TUC, Peter Esele, a récemment tenté de fournir un genre de justification théorique pour ce qui n’est rien de plus qu’une tentative d’effectivement intégrer le mouvement ouvrier dans le ccapitalisme, en défendant le fait que les besoins de la classe ouvrière doivent être satisfaits par la création d’entreprises sans but lucratif et “pro-labour” dans le cadre global de l’économie capitaliste ! Écoutez-le plutôt : « Je n’appartiens pas à l’école de pensée selon laquelle le Labour devrait être neutre, parce que je crois que c’est par la participation que nous pourrons pousser le pays dans la direction vers laquelle il doit aller. Le Labour ne doit pas être neutre ; nous devons avoir une position sur tous les enjeux, et une manière dont on peut faire cela, est qu’il nous faut des muscles financiers. Donc, si nous nous asseyons tous dans une pièce et perdons notre temps à nous critiquer, et non pas afin d’offrir des solutions ni d’apporter de nouvelles idées, je ne pense pas que je veux appartenir à un tel mouvement » (The Guardian du 5 novembre 2010).

    Oui, nous autres membres du DSM sommes entièrement d’accord avec Esele sur lee fait que « Le Labour ne doit pas être neutre et doit avoir une position sur chaque enjeu », que ce soit un enjeu économique ou politique, et qui a le potentiel de susciter l’intérêt des travailleurs, positivement ou négativement. C’est pourquoi, depuis notre fondation, nous avons toujours défendu le contrôle public sur les secteurs-clés de l’économie, y compris les banques, et leur contrôle et gestion démocratique par les travailleurs et par les couches populaires. Cependant, cette stratégie révolutionnaire doit être radicalement différente de la conception de Esele qui désire apporter des « muscles financiers » aux syndicats, un phénomène qui ne ferait qu’accentuer l’étranglement bureaucratique du mouvement syndical, avec le développement de syndicats qui se reposent en grosse partie sur le business et non sur les cotisations de leurs membres, ce qui sape le pouvoir des travailleurs de la base à exercer un contrôle sur leurs dirigeants.

    Les défis à relever par les masses

    Sur la base de tout ce que nous venons d’expliquer, les travailleurs et les pauvres ne peuvent s’attendre après les élections de 2011 qu’à un approfondissement de leurs souffrances et de l’oppression. Toutefois, les capitalistes et les exploiteurs ne doivent pas trop se réjouir de la faiblesse politique des dirigeants syndicaux et du Labour Party qui en ce moment tend à renforcer l’idée fausse qu’il n’y a pas d’alternative à la putréfaction capitaliste actuelle et à l’échec complet des politiciens capitalistes. Mais il ne faut pas non plus oublier ni sous-estimer le bon côté de la situation politique actuelle.

    Malgré le manque d’une direction générale et cohérente de la part des hauts dirigeants syndicaux, il y a une nouvelle tradition de lutte et de résistance qui se développe parmi les sections de la classe ouvrière. Le personnel enseignant de toutes les universités de la zone sud-est sont en ce moment en grève à durée indéterminée depuis des mois dans certaines zones pour de meilleures conditions de travail et plus de moyens pour l’éducation. Depuis quelque temps, les syndicats du secteur de l’électricité mènent de l’agitation contre la privatisation de la Compagnie énergétique du Nigéria (Power Holding Company of Nigeria – PHCN) et pour un financement adéquat du secteur. Les travailleurs de la santé dans de nombreux états de la fédération sont soit en grève, soit en train de mener une agitation féroce pour plus de financement des hôpitaux publics et pour de meilleures conditions de service pour toutes les couches du personnel. Bien que l’Histoire ne se répète jamais de la même manière, il ne faut pas oublier que seulement deux mois après la farce des “élections” de 2007, il y a eu une grève générale massive et largement sooutenue qui n’a malheureusement pas permis de satisfaire aux revendications parce que les dirigeants syndicaux ont signé un compromis boiteux.

    Ce qui manque par contre, et c’est regrettable, est une lutte et une campagne unies impliquant les travailleurs du public comme du privé, aux niveau fédéral comme régional, et une direction nationale cohérente au sein des syndicats et sous la forme d’un véritable parti ouvrier qui puisse donner à cette résistance ouvrière non-coordonnée la vision et la force appropriées. Quoiqu’il en soit, la direction du NLC et de la TUC ont accepté d’organiser une grève d’avertissement de trois jours du mercredi 10 novembre au vendredi 12 novembre 2010, quant au refus du gouvernement du président Jonathan de faire appliquer le salaire minimum pourtant ridicule de 18 000 naïras (85€) par mois qui a été négocié avec les représentants du gouvernement aux niveaux fédéral et régional.

    C’est là un premier pas dans la bonne direction, qui s’était long fait attendre. Nous, membres du DSM, avons toujours défendu l’idée que seule des actions de masse et non pas des “tactiques de relations industrielles” peuvent forcer les élites dirigeantes de tous les différents partis politiques à mettre en application des mesures capables d’améliorer le mode de vie de la population. Force est pourtant de constater que la direction du mouvement ouvrier n’apparait pas encore vouloir accepter le fait que la lutte de masse est une nécessité et non pas un outil pour “effrayer” ou “intimider” la classe dirigeante. Écoutons John Odah, le secrétaire général du NLC : « Nous soupçonnons le président Jonathan d’être en train de faire pression sur les gouverneurs d’état pour qu’ils n’appliquent pas le nouveau salaire minimum national. Le président Jonathan a un rendez-vous avec l’Histoire. Il peut soit se placer du côté des travailleurs opprimés et voir son nom être inscrit en lettres d’or dans les cœurs des Nigérians, soit se ranger du côté des gouverneurs et rater l’occasion en or d’être adulé par les travailleurs nigérians » (The Nation du 7 novembre 2010).

    Plutôt qu’une perspective futile, qui cherche apparemment à liguer une section des brigands capitalistes contre l’autre, le DSM appelle de tous ses vœux à des mobilisations et à des luttes de masse y compris des manifestations et des grèves, là et quand elles sont nécessaires, avec une attention particulière sur la construction d’un parti politique ouvrier de masse qui puisse arracher le pouvoir de manière permanente aux pillards capitalistes et sur cette base commencer l’édification d’une société socialiste véritablement démocratique, dans laquelle les ressources de la société seront véritablement utilisées pour pourvoir aux besoins de tous et non pas d’une infime minorité, comme c’est le cas dans l’injuste désordre capitaliste actuel.

  • Nigéria: La grève d’avertissement pour la revendication d’un nouveau salaire minimum est la bienvenue

    Le Democratic Socialist Movement (DSM, section nigériane du CIO) salue de tout son cœur la motion en faveur d’une grève d’avertissement que le Congrès du travail du Nigéria (NLC) a déposée auprès du gouvernement au cas où celui-ci ne lancerait pas le processus de mise en application du nouveau salaire minimum à partir du 9 novembre 2010. La grève de trois jours est prévue pour les 10, 11 et 12 novembre (NDLR, cette grève a finalement été stoppée seulement 12 heures après son déclenchement).

    Segun Sango, Secrétaire général du DSM

    Nous trouvons qu’il est plus que temps pour cette action autour d’une revendication qui traîne sur la table du gouvernement depuis 2008. De fait, cette décision du NLC confirme la position que nous avons depuis longtemps formulée, c’est à dire que la stratégie des simples négociations autour de la table, sans lier cela à une mobilisation et à une lutte de masse des travailleurs, ne sera jamais capable de remporter un nouveau salaire minimum. Nous avons sans arrêt appelé la direction du Labour à ce qu’elle déclare une grève d’avertissement en tant que première étape vers l’obtention de la revendication d’un meilleur salaire pour les travailleurs, arrachée au gouvernement.

    Malgré la capitulation des dirigeants du Labour qui ont fait passer le montant revendiqué de 52.200 naïras (250€) à 18.000 naïras (86 €) lors de la conclusion d’un accord avec la commission tripartite au début de l’année, le gouvernement n’a jamais été sincère à ce sujet. Tous les commentaires qui ont été faits à ce propos par les hauts cadres du gouvernement ont suggéré le manque de volonté total de la part du gouvernement Jonathan de payer un salaire minimum aux travailleurs. Par exemple, le ministre du travail et de la productivité, M. Chukwuemeka Wogu, a dit un jour qu’un nouveau salaire minimum serait basé sur la disponibilité des ressources. L’argument comme quoi les ressources ne sont pas disponibles pour payer la moindre hausse salariale aux travailleurs a toujours été utilisé par les gouvernements successifs pour contrer l’agitation en faveur d’un salaire décent. La vérité est que plutôt que de payer un salaire décent et d’investir de manière massive dans l’infrastructure sociale au bénéfice de la population laborieuse, l’élite de voleurs qui est au pouvoir préfère piller les ressources du pays pour s’octroyer à eux-mêmes des salaires absolument scandaleux.

    Il était par conséquent malheureux que le Labour ait maintenu l’illusion qu’il pourrait par la discussion convaincre ce gouvernement obstiné de la justesse de la revendication d’un nouveau salaire minimum sans secouer la pirogue. John Odah, secrétaire général de la Trade Union Confederation (Confédération syndicale), s’est par exemple plaint du fait que « Notre patience en tant que mouvement ouvrier organisé n’est pas illimitée. Cela fait dix ans que l’ancien salaire minimum a été établi en 2000, il est temps d’en avoir un nouveau ». Il a ensuite déclaré que les trois mois entre la fin de septembre et la fin de décembre devraient suffire à mettre en œuvre cette hausse parce que « Nous ne voulons pas être accusés de susciter des tensions indues dans le pays » (Le Guardian, 6 octobre 2010). Avec pareille mentalité et pareille approche, il ne faut guère s’étonner de la non prise en considération des pseudos ultimatums lancés par les dirigeants Labour dans le passé, et du fait que ça fait dix ans que notre salaire minimum n’a pas été rehaussé.

    Maintenant que le NLC a été forcé de menacer d’appeler à la lutte afin de forcer le gouvernement à mettre en œuvre l’accord, tout moyen nécessaire et légitime doit être employé pour assurer que cette action soit un franc succès. Il est bon de voir que l’exécutif national du NLC a « ordonné q’un “comité de grève national pour le salaire minimum” soit mis sur pied afin de diriger le processus de mobilisation intense pour une grève triomphale ». Nous pressons le Labour de construire ce comité immédiatement, et aussi de faire en sorte que de tels comités soient créés au niveau des conseils d’état, des différents syndicats et dans les entreprises.

    Il est de même important que la grève prévue ne soit pas réduite à une action où chacun reste chez soi. Il faut qu’il y ait des activités de masse telles que des forums, des meetings et des distributions de tracts avant et pendant la grève afin de remporter le soutien du public pour la grève. Pour cela, il faudra que la Coalition du Travail et de la société civile (Labour and Civil Society Coalition – LASCO) soit impliquée à un niveau central dans la planification et la coordination de l’action. Nous aplaudissons la décision du NLC qui a conclu un accord avec la TUC en faveur d’un effort en commun dans la lutte pour un meilleur salaire minimum.

    Nous sommes donc d’avis que la LASCO doit immédiatement appeler à un meeting afin de démarrer la planification d’actions pour la grève d’avertissement, et aussi pour déterminer quelles actions et interventions concrètes devront être menées en direction des différentes luttes qui ont éclaté dans divers secteurs tels que l’éducation, la santé (à Lagos en particulier), et l’énergie. Le Forum d’action conjointe et d’autres organisations pro-ouvrières devraient également tout de suite entamer des activités indépendantes de solidarité avec les travailleurs et pour mobiliser un soutien de masse en faveur de la lutte parmi la population laborieuse en général.

    Toutefois, et ce qui est plus important, la direction du Labour devrait réaliser que la mauvaise foi du gouvernement en ce qui concerne l’octroi d’un salaire décent aux travailleurs est en réalité l’apanage de tous les gouvernements anti-pauvres — quels que soient les partis politiques —, lesquels sont axés sur le maintien du capitalisme. Voilà pourquoi si cette lutte parvenait à forcer le gouvernement Jonathan à mettre en application l’accord sur le plan fédéral, comme l’expérience l’a déjà montré, il faudra un deuxième tour de luttes avant que les gouvernements étatiques et que les employeurs privés ne l’acceptent eux-mêmes. En même temps, le Labour doit être vigilant afin de combattre toute tentative par les capitalistes de se venger d’une hausse du salaire minimum par des licenciements. C’est à cause de ces réalités du capitalisme que les dirigeants du Labour doivent entièrement abandonner leur idée futile et utopique qu’il est possible d’améliorer la condition des masses laborieuses sans entièrement confronter et au final vaincre le capitalisme politiquement. C’est une des raisons pour lesquelles nous avons toujours appelé le Labour à construire une alternative politique ouvrière combative de masse, capable d’arracher le pouvoir des mains de l’élite kleptomane à tous les niveaux, de vaincre le capitalisme et d’utiliser les ressources de la société pour le bénéfice de tous.

  • Nigéria : le secteur de l’énergie doit rester public !

    Au Nigéria, le président Goodluck Jonathan a récemment lancé une “feuille de route pour la réforme du secteur de l’énergie”, dont le but est de privatiser la Power Holding Company of Nigeria (PHCN – Compagnie électrique du Nigéria). Comme condition pour cela, le gouvernement a augmenté le tarif de l’électricité d’environ 4 naïras du kilowattheure à 18 naïras du kilowattheure (0,02€ à 0,09€).

    Socialist Democratic Movment

    C’est là une tentative cynique d’exploiter la faillite de la PHCN à fournir de l’électricité en tant que couverture pour un agenda anti-pauvres visant à transférer les entreprises publiques vers les mains des capitalistes locaux ou étrangers et ce aux dépens des besoins économiques et de la fourniture de services.

    C’est là un véritable revirement dans la tactique de ces bandits, plutôt que de piller la PHCN, l’élite dirigeante, avec leurs alliés étrangers, cherche une nouvelle manière de se faire de l’argent facile. Selon leur plan, après que le secteur privé ait acheté 51% de parts dans la PHCN, qui inclut les 6 compagnies génératrices d’État et 11 compagnies de distribution, le secteur privé sera également responsable de gérer le réseau de transmission “selon un contrat de gestion de cinq ans”.

    Afin d’encore bien insister sur le caractère antisocial de leur “réforme du secteur de l’énergie”, le gouvernement a d’emblée annoncé que 50.000 travailleurs seront licenciés en 2011 suite à la privatisation de la PHCN. Ce chiffre, bien qu’il soit en lui-même assez alarmant, pourrait bien n’être en réalité qu’une sous-estimation du nombre réel de licenciements qui surviendront suite à la privatisation de la PHCN. Selon le Conseiller présidentiel pour l’énergie, le Professeur Barth Nnaji, « Il y a un coût de fonctionnement élevé pour la compagnie, qui engouffre chaque année 8 milliards de naïras (39 millions €), et qui se composent à 80% des salaires et des pensions du personnel, tandis que 70% des coûts se produisent au niveau de la distribution, c’est donc l’idée du groupe d’action de couper une grosse partie de ces frais salariaux afin de garantir un approvisionnement en électricité plus efficient pour le pays. Une fois que ces travailleurs auront été licenciés, nous signerons un accord avec les nouveaux propriétaires de ces compagnies afin qu’ils les réengagent ». C’est un mensonge. La plupart de ces travailleurs ne seront jamais réembauchés, et le paquet de primes de licenciements d’un montant de 135 milliards de naïras (650 millions €) qui a été promis mettra des années avant d’être payé, comme l’a clairement démontré l’expérience des travailleurs et des pensionnés de la Nitel (société des télécoms du Nigeria).

    La vérité est que le gouvernement adore cette tactique du chantage selon laquelle le salaire des travailleurs est un énorme fardeau pour le revenu public, alors que la réalité montre le contraire. Par exemple, les 17.474 cadres et législateurs aux niveaux fédéral, étatique et local coûtent chaque année plus de 1,3 milliards de naïras (6,3 millions €) au pays. Le professeur Itse Sagay, dans une étude fort détaillée parue dans le Punch du 8 août 2010, a montré que cinq pourcent du budget annuel du Nigéria est dépensé chaque année uniquement pour payer “nos” 109 sénateurs et 360 députés.

    En d’autres termes, 469 Nigérians mangent 5% du budget national, laissant les 150 millions d’autres Nigérians avec 1000 naïras (5€) chacun. Ce professeur a encore révélé que « En 2009, un sénateur gagnait sur l’année 240 millions de naïras en terme de salaire et de notes de frais, un député touchait 204 millions. Autrement dit, un sénateur gagnait en un an environ 1,2 millions d’euros, un député gagnait 1 million d’euro. Comparons ceci avec un sénateur américain qui gagne 174.000 dollars par an (127.000€) ou avec un député britannique qui gagne 64.000 livres sterling par an (77.000€).

    En outre, le gouvernement tente à présent de criminaliser le salaire annuel des travailleurs de la PHCN qui s’élève au total à 8 milliards de naïras (39 millions €), comme si leur salaire était responsable de l’inaptitude du gouvernement à fournir un approvisionnement électrique suffisant pour la population. Mais on ne nous fera pas démordre du fait que c’est pour nous les pratiques corrompues des hauts fonctionnaires gouvernementaux, des gérants de la PHCN (qui incluent des personnes appointées par le gouvernement et des contractuels du gouvernement tels que Barth Nnaji) qui sont responsables de l’inefficacité et de l’insuffisance de la fourniture en électricité publique. Il faut se rappeler que le gouvernement Obasanjo aurait investi la somme mirobolante de 2400 milliards de naïras (12 milliards €) dans le secteur énergétique, mais pourtant de cette somme, on n’en a pas vu le moindre watt. De fait, ces 2400 milliards de naïras qui ont disparu quelque part auraient permis de payer le salaire du personnel de la PHCN pour les prochains 300 ans ! Il est grand que le Labour révèle ce qu’il est advenu de ces 12 milliards d’euro, et entame une action sérieuse contre tous les bandits impliqués.

    Il est important ici de souligner que la véritable raison du non-fonctionnement des entreprises publiques est l’absence de démocratie dans la manière dont sont gérées ces entreprises, et la corruption éhontée parmi les hautes couches de l’administration, composées des divers amis politiques des divers régimes qui se sont succédé au pouvoir. Comme les socialistes l’ont toujours défendu, seuls la mise en propriété publique et le contrôle et la gestion démocratiques des entreprises publiques par des comités élus des travailleurs et des consommateurs peut les faire fonctionner de manière efficiente et afin de satisfaire aux besoins du peuple.

    Dans une situation où le pouvoir absolu repose uniquement sur quelques bureaucrates au sommet qui prennent eux-mêmes toutes les décisions relatives à la gestion des entreprises publiques, il n’y a aucun moyen de faire cesser la mauvaise gestion et la corruption. Par exemple, pendant les années ′70 et ′80, les entreprises publiques fonctionnaient de manière relativement efficace. Toutefois, avec l’absence continue de démocratie dans la gestion de ces biens publics, ce n’était qu’une question de temps avant que les bureaucrates politiquement cooptés qui étaient aux commandes de la gestion de ces entreprises publiques ne les fassent complètement chavirer par la non gestion et par le pillage de leurs actifs et de leurs finances.

    Deuxièmement, l’expérience de privatisations similaires dans d’autres secteurs de l’économie confirme l’échec total de la privatisation en tant que méthode pour fournir des infrastructures efficientes, bon marché et accessibles. Par exemple, comme l’avaient prédit les socialistes, la plupart des 400 entreprises publiques qui ont été privatisées (toutes l’ayant été en échange de prix bradés au profit d’entreprises locales ou étrangères – dont certaines ne sont que des devantures pour de nombreux politiciens corrompus) ne fonctionnent toujours pas aujourd’hui. À la place, la plupart d’ente elles ont été réduites à l’état de cadavres, avec toutes sortes de récits complètement scandaleux de mauvaise gestion par le secteur privé. Christopher Anyanwu, l’ex Directeur général du Bureau pour les entreprises publiques, dans un rare élan d’auto-confession de la part d’un cadre étatique, a confié en septembre 2009 que seules 10% des 400 firmes privatisées fonctionnent aujourd’hui à un niveau optimal. La Nitel par exemple a été dormante depuis sa privatisation, des milliers de membres de son personnel se trouvant en outre à l’agonie suite au non payement de leur salaire depuis plusieurs mois.

    En particulier dans le secteur de l’énergie, la privatisation s’est dès le départ révélée n’être qu’une aventure désastreuse. Depuis 2005, lorsque la PHCN a été démantelée en 18 compagnies autonomes, environ 20 compagnies énergétiques qui ont reçu des permis de production et de distribution d’électricité n’ont pas généré le moindre mégawatt ! La réalité est que la classe dirigeante capitaliste nigérianne et leurs comparses étrangers auxquels appartiennent ces entreprises privées n’ont aucune confiance dans l’économie. En conséquence, ils sont bien plus prompts à investir dans la spéculation ou à entasser leur argent dans des banques à l’étranger plutôt que d’engager leur argent dans des investissements dans un secteur aussi intensif en capital que le secteur énergétique ; à la place, ils souhaitent racheter les 3000 mégawatts déjà générés par la PHCN pour pouvoir eux-même la revendre à un prix plus élevé aux consommateurs, tirant de l’affaire un profit facile pour très peu de dépenses en capital.

    Et quand bien même ils investissent, ils le font de préférence à l’aide des ressources publiques, comme l’a d’ailleurs clairement démontré l’assurance du Président Goodluck Jonathan et de son Conseiller spécial à l’énergie, le Professeur Barth Nnaji, que « Le gouvernement fournira des rehaussements de crédit qui leur permettront d’investir dans la construction de centrales énergétique » et que « La Banque centrale du Nigéria a établi un fond de 300 milliards de naïras (1,4 milliard €)) qui seront mis à la disposition des investisseurs potentiels pour le secteur de l’énergie ». Ceci les assurera donc sur le fait qu’ils sont bien protégés, puisqu’en cas d’investissement non rentable, seul le gouvernement perdra de l’argent !

    En langage courant, tout ce blabla signifie que le gouvernement désire utiliser les ressources publiques afin d’aider des individus et des compagnies privées qui n’ont de compte à rendre qu’à eux-mêmes à reprendre la PHCN. C’est la même chose qui a été faite en 2009 lorsque 620 milliards de naïras des fonds publics ont été utilisés par la Banque centrale du Nigéria pour renflouer 8 banques qui se trouvaient au bord de la faillite à cause de leurs pratiques douteuses, de la corruption de leurs dirigeants et des prêts inconsidérés couplés à l’investissement dans des actions à risque. C’est une chose de soutenir les clients d’une banque, mais c’est quelque chose d’entièrement différent d’en renflouer les propriétaires. La question est : si le secteur privé est si bon à gérer les entreprises publiques qui lui ont été vendues, pourquoi alors le gouvernement doit-il sans arrêt venir à sa rescousse avec l’argent du public et des plans de renflouement irréfléchis ? Les procès scandaleux qui sont en cours en ce moment contre certains dirigeants de banque accusés de pillage, de corruption et de pratiques douteuses démontre bien à quel point on ne peut pas faire confiance au secteur privé pour la gestion des entreprises publiques.

    Dans tous les cas, l’objectif premier de tout investisseur privé est de faire du profit et non pas de fournir un service. Par conséquent, même dans la situation peu probable où le secteur de l’énergie serait rénové par une privatisation bien menée, avec un accroissement de la production et un circuit de distribution stable, les vastes masses laborieuses, les artisans, les petits commerçants, les patrons de petites ou moyennes entreprises, etc. devraient s’attendre à ce que la facture augmente jusqu’au point où seule une minorité de la population sera capable de se la payer.

    Nous affirmons que la PHCN peut être efficiente si elle demeure publique. Ceci va cependant nécessiter son transfert sous le contrôle et la gestion démocratiques par des comités élus de travailleurs, des consommateurs et de représentants du gouvernement afin d’assurer que les ressources publiques qui auront été dépensées afin d’améliorer le secteur de l’énergie ne soit pas gaspillées ou mangées comme ça s’est produit à chaque tentative précédente du gouvernement pour revigorer le secteur. C’est aussi cela qui est nécessaire pour éviter une débacle comme l’ont connue l’ancienne Union soviétique et les États d’Europe de l’Est, où l’étouffement bureaucratique de l’économie a sapé leurs économies nationalisées. Ce que cela signifie est que, au lieu des quelques bureaucrates désignés par en haut par le gouvernement qui dicte le fonctionnement des entreprises publiques, les décisions doivent être prises par les travailleurs à la base et par les consommateurs, au moyen de représentants élus dans des comités de gestion aux niveau local, étatique et national, avec le mandat de superviser les affaires du secteur de l’énergie en accord avec les besoins du peuple.

    Mais un tel système ne pourrait survivre très longtemps en isolation du reste du pays, ce qui est particulièrement vrai au Nigéria où le but premier de l’élite est d’être en position de manger. Voilà pourquoi il nous faut une révolution sociale pour changer de système, car un gouvernement capitaliste ne va jamais de son plein gré remettre le contrôle de l’économie aux travailleurs et à la masse du peuple. Seul un gouvernement socialiste et démocratique des travailleurs et des pauvres peut placer le contrôle des leviers de l’économie entre les mains du peuple. Avec un gouvernement des travailleurs et des pauvres, il serait possible d’utiliser les ressources de la société pour rechercher, développer et découvrir de nouvelles méthodes de génération d’électricité efficientes et écologiques, telles que l’utilisation des énergies éoliennes, solaires et marémotrices afin de progressivement quitter le gaz, le charbon, le pétrole et le nucléaire, qui sont les seules sources d’énergie aujourd’hui acceptées par la classe capitaliste au pouvoir, sans aucune pensée pour la sécurité de l’environnement ni des besoins en énergie de la société.

    Malheureusement, aucun des partis politiques qui se présenteront aux élections de l’an prochain ne défendent un tel programme. Par conséquent, quel que soit le vainqueur de ces élections, il n’y aura aucun changement fondamental de la situation au Nigéria en ce qui concerne la plupart d’entre nous. C’est la raison pour laquelle le DSM, tout en soutenant des luttes telles que celles du personnel de la PHCN, appelle à la construction d’un mouvement politique de la population laborieuse afin de se débarrasser de l’élite de bandits capitalistes qui mène le pays au naufrage, et à l’établissement d’un gouvernement des travailleurs et des pauvres qui régnera pour satisfaire aux besoins de la population laborieuse et non pas pour les profits de la classe dominante.

  • En Ouganda, on s’apprête à tuer des homosexuels – Des appels au meurtre lancés dans la presse

    «Pendez-les, ils en veulent à nos enfants!» titre un quotidien en publiant une liste de gays avec, dans certains cas, leur photo et adresse. Le quotidien justifie que lister les homosexuels est une «mission d’intérêt public». En effet, le gouvernement ougandais discute actuellement d’un projet de loi visant à exécuter le gays et les lesbiennes. Le texte propose également de punir toute manifestation et même discussion publique sur l’homosexualité. Il ferait de l’Ouganda l’un des pays les plus dangereux au monde pour les homosexuels se rangeant alors du coté de l’Iran qui exécute déjà de longue date les homosexuels en public.

    Que prévoit ce projet de loi ?

    Toute personne que l’on soupçonne d’être gay ou lesbienne risque la prison à vie ou la peine de mort. Leurs « complices » et ceux qui défendent les droits des LGBT seront également poursuivit. Ainsi, tout parent qui ne dénonce pas son enfant homosexuel sera condamné à une peine de 3 ans de prison. Un professeur qui se retrouve face à un élève gay sera condamné à la même peine s’il ne dénonce pas son élève à la police endéans 24 heures. Un propriétaire qui se permet de loger un couple de lesbiennes risque 7 ans de prison. Des pressions seront aussi exercée à l’encontre des médecins qui acceptent de soigner des malades homosexuels. Un journaliste commettrait aussi un délit s’il interviewait un couple gay. Les militants qui défendent les droits des LGBT seront également poursuivit.

    Le ministre à l’origine de cette loi, David Bahati, persiste et signe. «Nous avons une opportunité unique de barrer la route à l’homosexualité en Ouganda. Et si nous ne la saisissons pas maintenant, ce sera impossible à l’avenir.» Connu par sa volonté d’interdire les mini-jupes pour faire de la prévention routière (sic !), ce dernier annonce par ailleurs qu’il mettra en œuvre des moyens de « remettre sur le droit chemin » les lesbiennes, gai, bi et trans. Ne serait-ce pas le grand retour des camps de rééducation ?

    Qui se cache derrière cette loi ?

    La législation en vigueur en Ouganda, héritée de l’époque coloniale, condamne déjà aujourd’hui les gays et lesbiennes à des peines de prison (jusqu’à 14 ans selon l’article 140 du code pénal). Depuis quelques mois, on assiste à une surenchère de l’intolérance. Des razzias ultra-violentes sont organisées quotidiennement contre les bars gays. Le ministre des Affaires étrangères, Sam Kutesa, s’épanche en propos vomitifs dans un quotidien local The Monitor : « La majorité des Africains et des Ougandais exècrent l’homosexualité ». Pour le président de la Chambre, Edward Sekandi, le pays devrait tout mettre en œuvre pour « en finir avec les relations homosexuelles ». De son côté, le ministre de l’Ethique, Nsaba Buturo, qualifie l’homosexualité de « répugnante ». Par ailleurs, les communautés religieuses, catholique et musulmane, se sont unies cet été contre les homosexuels dans une grande campagne nationale intitulée « Kick sodomy out of Uganda ». Les trois figures les plus furieusement anti-gay, le ministre qui a déposé le texte de loi, le président ougandais et le pasteur Ssempa, sont d’ailleurs tous membre d’un groupe intégriste chrétien bien connu The Family. Cette organisation se félicite notamment de compter parmi ses membres toute une série de députés américains néoconservateurs, on y retrouve ainsi parmi les plus assidus le pasteur Rick Warren qui a intronisé Barack Obama lors de son serment à la nation. C’est dans ce contexte qu’en octobre dernier, le nouveau projet de loi homophobe était présenté devant le parlement ougandais. Il est toujours en discussion actuellement.

    L’inégalité sociale s’ajoute à la discrimination

    « Les homosexuels riches et proches des cercles de pouvoir ne sont nullement inquiétés, c’est avant tout aux homosexuels pauvres qu’on s’attaque.» Un militant homosexuel témoigne dans le magazine gay Têtu, « Selon moi, c’est une forme de distraction politique. Le régime veut rester au pouvoir, alors il jette les homosexuels en pâture. Comme ça, la population s’acharne sur eux, en disant qu’ils sont responsables de la misère ou de la pandémie sida, dont le taux ne cesse de croître en Ouganda. Pendant ce temps-là, le peuple ne réfléchit pas aux politiques qui pourraient améliorer ses conditions de vie… » Tandis que le discours réactionnaire se nourrit des inégalités sociales !

    « En investissant le champ social et humanitaire pour pallier les carences de l’Etat, les évangélistes multiplient les dons et le nombre de convertis. Les congrégations transforment hangars, garages, magasins, écoles, anciennes salles de cinéma et discothèques en lieux de prière, où accourent en masse les plus pauvres. C’est une façon de manipuler les consciences pour rendre les pauvres responsables de leur situation », réprouve le père Carlos Rodriguez dans le journal Le Monde Diplomatique. Il poursuit, « Dans ce pays d’Afrique où le capitalisme est le plus ancré, où les travailleurs n’ont aucun droit et où les investisseurs sont totalement libres, la religion est utilisée pour justifier pauvreté et injustice. »

    « C’est grâce à Dieu que je suis sorti de la pauvreté et possède désormais un avion privé », s’exclame l’évangéliste américain Creflo Dollar devant la foule massée au stade de Kampala. Une activiste ougandaise de la lutte contre le sida s’insurge : « Avec le nouveau programme financé par les Etats-Unis, finie l’éducation sexuelle des jeunes. A l’école, on ne leur parle que d’abstinence. » Furieux, le militant LGBT Louis-Georges Tin (président de l’IDAHO) affirme « Que la loi passe ou pas, le mal est déjà fait. Il est à craindre que des groupes extrémistes se sentent investis d’une mission spéciale pour transformer la vie sociale par la loi divine à laquelle ils se réfèrent. En somme, si la loi n’est pas votée par l’Etat, ils se feront «justice» eux-mêmes. » Et c’est précisément ce qui est en train d’arriver. Depuis la présentation du texte, les agressions et les arrestations sont en augmentation, selon Sexual Minorities Uganda.

    La violence homophobe ne s’arrête pas aux frontières de l’Ouganda

    Il faut savoir que l’homosexualité n’est légale que dans 13 pays en Afrique. D’abord, en février, on apprenait par un journal kényan que la police avait interrompu un mariage homosexuel clandestin et arrêté cinq personnes. « Nous ne pouvons laisser ces jeunes gens compromettre leur avenir par l’homosexualité », a commenté l’imam Ali Hussein. « Nous devons utiliser tous les moyens pour lutter contre ce vice. Ceci est immoral et nous ne devons pas le permettre ! », a surenchéri l’évêque kényan Lawrence Chai.

    On apprenait aussi, qu’en Egypte, les homosexuels sont jetés en prison pour «mépris de l’islam» et «pratiques sexuelles contraires à l’islam». Des «déviants sexuels», comme les appelle la presse égyptienne, ont été arrêtés dans une discothèque sur le Nil. Après publication de leurs photos, noms, métiers et même adresses dans le journal, 52 d’entre eux ont été traduits devant un tribunal d’exception dont le jugement est sans appel. La moitié d’entre eux ont écopé d’une peine de 5 ans et croupissent encore dans les cachots égyptiens.

    D’autre part, le quotidien britannique The Guardian consacrait récemment un article sur l’arrestation de 18 nigériens homosexuels avec comme titre : « Au Nigéria, la chasse aux homos est ouverte ». On y apprend qu’un homme a récemment été attaqué au Lagos et tué par une bande qui prétendait « nettoyer le Lagos des personnes homosexuelles », et le cas d’une bande de garçons qui ont violé cinq lesbiennes en disant qu’ils voulaient les « guérir de l’homosexualité ». Au Nigéria, les actes homosexuels sont passibles d’un emprisonnement de 14 ans. Dans les régions qui ont adopté la charia, les homosexuels peuvent même être condamnés à la peine capitale. Pour l’archevêque anglican, Peter Akinola, rien ne sert d’y aller par quatre chemins : « Nous voulons protéger le Nigéria contre l’anéantissement complet qui suivra la colère de Dieu si de telles pratiques sont reconnues comme normales dans notre pays ».

    L’Afrique du Sud se prépare quant à elle à dépêcher en Ouganda un ambassadeur ouvertement homophobe, Jon Qwelane. Ce diplomate affirmait sans sourciller que les politiciens sud-africains auraient «un jour les couilles de supprimer le mariage homosexuel de la Constitution. Sinon, bientôt certains imbéciles demanderont aussi que la Constitution les autorise à épouser un animal».

    Mais encore, deux jeunes de 16 et 18 ans soupçonné de s’aimer ont été pendus en Iran et cinq militants transexuels ont été arrêtés en Turquie le 17 mai dernier… à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre l’homophobie et la transphobie. Et on pourrait continuer, la liste est longue…

    Tout ce qui nous divise nous affaiblit !

    Nous luttons contre l’homophobie parce que cela mine l’unité indispensable dans la résistance contre le capitalisme. 7,7 millions d’Ougandais vivent sous le seuil de pauvreté, soit 38% de la population. Ils sont 700.000 de plus qu’il y a dix ans. L’Ouganda compte aussi actuellement plus de 2 millions d’enfants orphelins, dans la majorité des cas à cause du sida. Une telle situation provoque inévitablement tensions et violence. En l’absence de réponse collective de la part du mouvement ouvrier, le racisme, sexisme et l’homophobie peuvent se développer sur base de la frustration présente.

    Répondre à ce phénomène ne doit pas s’effectuer sur une base moralisatrice, mais en expliquant la nécessité de l’unité de tous les opprimés, indifféremment de leur genre, de leur origine ou de leur préférence sexuelle. Il est d’ailleurs assez remarquable de constater que les minorités qui entrent en résistance se rejoignent facilement. Fin des années ’60, aux Etats-Unis, le mouvement des droits civiques contre le racisme et les débuts du mouvement gay ont ainsi connu un rapprochement. Il est temps de mener la lutte, en Ouganda comme ailleurs.

  • [DOSSIER] Nigéria : La Présidence de Goodluck Jonathan

    Un développement positif et une amélioration des conditions de vie au Nigéria sont-elles possibles ?

    Après beaucoup de raffut, c’est le Dr Goodluck Jonathan qui est devenu Président du Nigéria ce 6 mai 2010, à la suite du décès du Président Musa Yar’Adua, mort en plein mandat des suites d’une longue d’une maladie. Comme d’habitude, plusieurs commentateurs bourgeois et autres crabes, qui soutiennent toujours le gouvernement en place quel qu’il soit, ont intensifié leurs pirouettes. A en croire ces éléments, Goodluck Jonathan est doté d’une aura divine ; ils insistent sur la manière dont il est devenu gouverneur et maintenant Président sans jamais s’être présenté à aucune élection en son nom propre !

    De l’édition d’octobre de Socialist Democracy, journal du Democratic Socialist Movement (CIO-Nigéria)

    Et maintenant, ces diseurs de bonne aventure veulent que les Nigérians aient foi dans le fait que Goodluck Jonathan va utiliser sa soi-disant « chance » providentielle pour apporter un bouleversement positif à l’économie et aux conditions de vie de la population. Nous demandons donc : le Nigéria et les Nigérians connaîtront-ils un développement positif et une amélioration de leur niveau de vie sous la dispense du Président Jonathan ?

    Il est très important de constater que les principaux porte-parole gouvernementaux sont récemment apparus porteurs de statistiques et de données hautement optimistes qui toutes tendant à la conclusion que les beaux jours sont déjà arrivés dans le secteur économique. Pour ces éléments bouffis de leurs propres illusions, tout ce qui est maintenant requis pour soutenir ces supposés lendemains qui chantent est une détermination gouvernementale afin d’accomplir certaines réformes économiques généralement appréciées par le capital financier mondial et ses politiciens antisociaux locaux.

    Prenant récemment la parole devant une conférence de presse avec Mme Aruna Oteh, Directrice Générale de la Commission pour la Sécurité et pour l’Echange, et le Commissaire aux Assurances M. Fola Daniel, le Ministre des Finances M. Olusegun Aganga a joyeusement affirmé que «notre économie se porte bien». Ils ont entre autres déclaré que le PIB a augmenté de +7,2% au cours du premier trimestre de 2010, comparé à un plongeon de -8,8% au premier trimestre 2009 et de -6,6% en 2008. Ils ont également affirmé que le secteur non-pétrolier s’est accru de +8,15% comparé au premier trimestre de 2009, contre +7,9% entre 2009 et 2008. Mais malgré tout, le chômage est toujours officiellement estimé à 19,47%.

    Quelques jours plus tard, le 28 juillet 2010, lors d’une réunion du Conseil Exécutif Fédéral, le Gouverneur de la Banque Centrale M. Sanusi Lamido Sanusi a lui aussi déclaré que «il n’y a aucune raison de s’alarmer» si l’on considère les perspectives économiques globales du pays. Selon lui, le PIB a augmenté de +7,63%, l’inflation est maintenant modérée, les marchés d’échange avec l’étranger sont stables, de même que le taux inter-banques et le taux du marché, et il a conclu en disant que les banques travaillent très bien. Et, apparemment pour soutenir les bons développements dont il a parlé, il a allégrement annoncé que la Banque Centrale du Nigéria, la Banque de l’Industrie et les banques commerciales au Nigéria se sont mises d’accord pour signer un contrat de 500 milliards de naïra (2,4 milliards d’euros) afin de financer les secteurs de l’énergie et de la manufacture.

    Selon les termes de M. Sanusi, «Il faut que ça change. Nous croyons que l’industrie bancaire peut servir de catalyseur pour le secteur. Chaque banque qui a participé aux 130 milliards de naïra (600 millions d’euros) que nous avons déboursés doit contribuer à hauteur de 65 milliards de naïra avec ses propres fonds. Au-delà du soutien financier, nous fournissons aussi des conseils et des analyses d’impact afin de soutenir la croissance du secteur manufacturier». S’adressant aux Correspondants de la Chambre d’Etat après la réunion, le Ministre d’Etat pour l’Information et la Communication, M. Labaran Maku, a débordé de remerciements à M. Sanusi pour sa «franchise et son cœur» sans pareils, en particulier pour sa «détermination à pousser de l’avant avec des réformes critiques, malgré les pressions de groupes aux intérêts contraires qui cherchent à renverser les réformes qui ont sauvé de la crise profonde les secteurs financiers de la nation». M. Maku a conclu en déclarant que «le Gouvernement est confiant dans le fait qu’avec tout ce qui se passe en termes de réformes et de convergence politique, l’économie de la nation connaîtra une croissance durable dans les années à venir».

    Entre propagande et réalité

    Il y a deux leçons basiques que les couches conscientes du mouvement ouvrier et de la jeunesse doivent tirer de toutes ces fausses affirmations et performances, telles que le renouveau de l’économie nationale, qui sont aujourd’hui publiées par les hauts sommets du Gouvernement. Tout d’abord cela démontre que sous la Présidence de Jonathan, la gestion économique et la gouvernance en général sont toujours largement considérées par l’élite bourgeoise comme n’étant rien de plus qu’un art de propagande qui n’a rien ou pas grand’chose à voir avec la réalité. Deuxièmement, cela démontre également l’incapacité totale des mesures préférées des élites capitalistes à garantir un développement suffisant et un niveau de vie décent malgré les ressources naturelles et humaines abondantes de la nation. Tout en se donnant des tapes dans le dos les uns aux autres pour se féliciter des soi-disant merveilleuses réalisations qui sont aujourd’hui en train d’être enregistrées grâce à la combinaison de leur politique macro et micro-économique, et en même temps qu’ils éructent de fausses promesses quant à la croissance durable et la hausse des niveaux de vie, chaque secteur-clé de l’économie et les conditions de vie de l’écrasante majorité de la population ont continué à aller de mal en pis.

    «Entre 1985 et 2004, l’inégalité au Nigéria a empiré de 0,43 à 0,49%, ce qui place le pays parmi ceux qui ont les plus haut taux d’inégalité au monde. De nombreuses études ont démontré que malgré ses vastes ressources, le Nigéria se classe parmi les pays les plus inégaux du monde. Le problème de la pauvreté dans le pays est en partie une conséquence de la forte inégalité qui se manifeste par une distribution du revenu fortement inégale, et par des différences d’accès à l’infrastructure de base, à l’éducation, aux formations et aux opportunités d’emploi» (Rapports de Développement Humain du PNUD – Programme des Nations Unies pour le Développement – pour les années 2008-9).

    En dépit de ses abondantes ressources humaines et naturelles, le Nigéria est classé 158ème sur 182 pays en terme d’Indice de Développement Humain. Bien que la population nigériane compte pour près de 2% de la population mondiale, le pays compte pour 11% des décès maternels et 12% du taux de mortalité des enfants âgés de moins de 5 ans du monde entier. Selon un autre rapport des Nations Unies, 92% des Nigérians vivent avec moins de 2$ par jour. Il n’est dès lors guère surprenant que l’espérance de vie de la plupart des Nigérians ait fortement décliné, s’élevant à 49 ans pour les hommes et 59 ans pour les femmes.

    Un accès stable et abordable à l’électricité, ce qui est perçu partout comme étant un élément inévitable de la croissance économique moderne et du développement social, demeure largement non-existant pour une écrasante majorité de Nigérians ; tandis que les services pour la minorité d’individus et d’entreprises qui y ont accès restent épileptiques. L’Afrique du Sud, qui ne comporte qu’environ un tiers de la population du Nigéria, génère 45.000 mégawatts d’électricité par an. En revanche, le Nigéria ne génère à peine que la quantité lamentable de 3000 mégawatts par an. En fait, au moment où l’ancien Président Obasanjo a quitté le pouvoir en mai 2007, le Nigéria ne générait plus que 2500 mégawatts, qui ont aujourd’hui encore décliné à environ 2000 mégawatts en 2009.Il faut ajouter ici que cette situation pathétique se poursuit malgré le fait que le pays est censé avoir investi près de 16 milliards de dollars pour la production d’électricité sous la Présidence d’Obasanjo !

    L’éducation, que tout un chacun considère comme un pré-requis essentiel pour le développement global de la société et des individus, demeure dans les conditions les plus débilitantes. Par exemple, le journal The Nation du 17 mars 2010 rapporte que « Seuls 4223 des 236 613 candidats (c.à.d. 1,7% d’entre eux) à concourir pour l’Examen Senior d’Ecole Secondaire du Conseil National des Examens (NECO) de novembre/décembre de l’an passé ont réussi dans cinq sujets incluant l’anglais et les mathématiques ». Dans son édition du 15 avril 2010, The Nation rapportait de même que dans tout le pays, seuls 25,99% et 10% respectivement ont réussi dans au moins cinq sujets y compris l’anglais et les mathématiques lors des examens du Conseil des Examens de l’Afrique de l’Ouest de mai/juin 2009 et du NECO de juillet 2009.

    Ces résultats pathétiques et inquiétants ont été condamnés sans ambages par le gouvernement, les cadres non-gouvernementaux et les individus privés. Selon le même journal du 15 avril 2010, « Les pauvres résultats des candidats ont forcé le Gouvernement Fédéral à convoquer les chefs des deux commissions d’évaluation afin d’expliquer cet échec de masse et de fournir des solutions. Ceci a été suivi en janvier par une réunion du Ministre de l’Education de l’époque, Dr Sam Egwu, avec les directeurs des Collèges du Gouvernement Fédéral de Minna, capital de l’Etat du Niger (une province du Nigéria de 2 fois la taille de la Belgique et 4 millions d’habitants, à ne pas confondre avec le Niger qui est le pays voisin). Même M. Segun Oni, le gouverneur de l’Etat d’Ekiti – qui s’enorgueillit d’être une ‘‘Fontaine de la Connaissance’’ -, à la suite de ces résultats lamentables, a lu le décret émeutes aux directeurs des écoles secondaires, selon lequel ils devaient soit relever la tête, soit démissionner. Le Forum des Gouverneurs du Nord via son Président le Dr Mu’azu Babangida Aliyu, a dû organiser une réunion des 19 gouverneurs de la région afin de se pencher sur ce problème. Dans la région de l’Est, le résultat des examens est devenu extrêmement préoccupant pour les organisations gouvernementales et non-gouvernementales ».

    De la part de ces mêmes éléments qui ont été et sont toujours responsables de l’effondrement et de la déchéance continue du secteur de l’éducation, les réponses qui ont été faites par divers cadres gouvernementaux et que nous avons citées ci-dessus, sont à la fois cyniques et hypocrites. Cette réponse est on ne peut plus cynique, parce que ce sont justement ces divers cadres gouvernementaux à travers leur politique de sous-financement de l’éducation et la corruption dans toutes les sphères de la vie qui ont créé les conditions responsables de l’échec sans fond à l’école et lors des examens.

    En 2005, le PNUD, dans son rapport sur le Développement Humain, avait déjà dépeint un tableau extrêmement sinistre du secteur de l’éducation au Nigéria. Ce rapport disait ceci : « Du au maigre financement de l’éducation, l’enseignement à tous les niveaux souffre de faibles niveaux académiques ; il manque de personnel enseignant suffisant, à la fois en quantité et en qualité. Même les quelques enseignants qualifiés qui sont disponibles ne sont pas suffisamment motivés en terme de rémunération ou d’environnement de travail pour maximiser la qualité de leur apport dans le système éducationnel. Les écoles et les classes sont surpeuplées, les bâtiments sont inadéquats et sur-utilisés, les étagères des bibliothèques sont vides et recouvertes de toiles d’araignées, tandis que les laboratoires sont dépourvus d’équipement mis à jour ». Face à un tel constat, on ne peut que s’époustoufler de l’hypocrisie de nos dirigeants lorsqu’ils s’étonnent des résultats de nos élèves aux examens.

    Malgré l’impression trompeuse qui est donnée par les porte-parole du gouvernement au sujet de la situation économique actuelle du Nigéria, les routes étatiques et nationales, tout comme les rues, demeurent dans les conditions les plus déplorables, ce qui mène constamment à des pertes de vie massives à cause des accidents fréquents qui se produisent sur ses pièges mortels qu’on appelle « routes ». En même temps, les Nigérians et l’industrie continuent à perdre d’innombrables heures de travail simplement pour pouvoir se frayer un chemin sur ces mauvaises routes. En fait, un rapide survol de chaque aspect basique de la vie et de l’économie du pays révèle un tableau d’échec et de décrépitude colossaux.

    Les mesures qui sont mises en avant par Jonathan et par les responsables du gouvernement

    Il n’y a pas longtemps, le Ministre des Finances M. Olusegun Aganga, s’est adressé aux médias quant à l’état actuel de l’économie et à ses perspectives pour la période à venir. Il a crié sous tous les toits que « Notre économie se porte bien ; nos banques sont sûres ». En plus de ces déclarations fantaisistes quand aux soi-disant merveilleux indicateurs économiques, le Ministre a déclaré : « Nous allons créer un environnement de qualité afin d’attirer les investisseurs locaux et étrangers. La création d’infrastructure est une autre priorité du gouvernement. L’énergie en est la clé. Si on demande à qui que ce soit ce dont ils ont réellement besoin, je suis certain que cette personne répondra : énergie,énergie, énergie ». Dès le moment où il est devenu Président au début du mois de mai 2010, Jonathan n’a laissé aucun doute sur le fait qu’il trouve qu’un accès à l’électricité stable et ininterrompu est un facteur indispensable pour le développement socio-économique. De fait, il s’est même octroyé le poste de Ministre de l’Energie en plus de ses fonctions présidentielles.

    Etant donné l’ « heureux bilan » établi par le Ministre des Finances, et l’engagement apparent de Jonathan de résoudre une fois pour toutes le problème de l’approvisionnement en électricité, les Nigérians peuvent-ils s’attendre à avoir accès à des logements, à des soins de santé, à une éducation et à des emplois ? Les industries et la population en général peuvent-elles espérer bénéficier d’infrastructures fonctionnelles, tels que des routes, une source d’électricité ininterrompue et accessible ? Dès lors, les grandes industries tout comme les petits commerces peuvent-ils maintenant avoir accès à des prêts bancaires à des taux favorables pour les producteurs autant que pour les consommateurs ?

    Il est certain que c’est là l’impression que cherchent à faire le Président Jonathan, le Ministre des Finances Olusegun Aganga, et ceux comme le Gouverneur de la Banque Centrale du Nigéria, Mallam Sanusi Lamido Sanusi. Mais malheureusement, si on se fie à une évaluation scientifique de la stratégie économique centrale du gouvernement, de ses mesures-clés et de leur mise en oeuvre, c’est tout le contraire de ces promesses, voire pire, qui risque bien de se produire.

    Malgré sa surenchère de promesses, la stratégie économique du Président Jonathan est entièrement basée sur le même paradigme néolibéral, anti-pauvres, pro-riches qui a déjà tant échoué, et qui est poussé par le monde des affaires et par les éléments capitalistes sur les plans international et local. Ecoutons seulement M. Aganga : « Nous allons supprimer les barrières douanières aifn d’attirer les investissements dans notre zone. De la sorte, nous voulons que le secteur privé vienne en tant que partenaire au gouvernement pour financer l’infrastructure. Le gouvernement ne peut pas faire cela de lui-même. Nous savons que nous ne pouvons pas nous permettre de financer le déficit de l’infrastructure en comptant uniquement sur notre budget. Nous savons que nous n’avons que très peu de moyens, et nous savons qu’il est très important de remplir ce trou, et c’est pourquoi nous appelons le secteur privé à mener le développement de l’infrastructure ». (Avant-Garde du 24 juillet 2010)

    Dans un récent discours face au Conseil Communal (une institution établie à la manière américaine) à la Loge du Gouverneur à Uyo dans l’Etat de Cross River, le Président Jonathan a profité de l’occasion pour faire des déclarations explicites et approfondies sur la stratégie économique du gouvernement. Parmi d’autres points, il a abordé le problème crucial et délicat de l’accès et de la disponibilité des produits dérivés du pétrole à des usages industriels et domestiques. Voyez plutôt : « Ce n’est pas le rôle du gouvernement d’être directement impliqué, mais plutôt d’encourager le secteur privé à investir. Ce qui limite en ce moment l’établissement de ces raffineries est le mode de fixation des prix des produits pétroliers, un problème que le gouvernement veut résoudre. Si le gouvernement devait être impliqué, ce serait sous la forme d’un partenariat public-privé, mais pas directement comme par exemple par la construction de raffineries d’Etat ».

    Le « partenariat public-privé » en action

    Contrairement à toutes ces vantardises, la paralysie économique actuelle au sien du pays et à l’échelle internationale est essentiellement une conséquence de la stratégie du « profit d’abord » suivie par l’élite capitaliste dirigeante partout dans le monde. Nous allons ici donner deux exemples de comment fonctionne cette politique. Selon le principe de « partenariat public-privé » (PPP), les aéroports du pays sont cédés aux marchands de profit sous le nom de « concession ». L’idée qui est vendue au public est que grâce à cet arrangement, l’emprise de la machine étatique corrompue sera brisée et qu’ainsi plus de revenus seront générés, ce qui garantirait les développements nécessaires de l’infrastructure et de la logistique aéroportuaire. Cependant, selon le magazine ThisDay du 10 juin 2010, c’est en réalité uniquement le contraire de ce qui avait été promis qui s’est produit : « L’accord de concession était censé redresser le revenu de la Federal Airports Authority in Nigeria. On croyait que les partenaires privées renforceraient l’innovation et la transparence, et assureraient que les ressources aéronautiques comme non-aéronautiques seraient gérées de telle manière à accroître les revenus […] Mais au lieu de rehausser le revenu de l’Agence, les concessionnaires ont quitté l’organisation en la laissant dans un état financier critique. [Selon une source de la FAAN :] « Dans le passé, la FAAN n’a jamais été en retard de payement de salaires, mais depuis que ces concessionnaires sont arrivés à sa tête, il est devenu difficile de payer le personnel. Regardez les aéroports, on ne les entretient même plus, parce que les fonds ont disparu. On avait prévu d’obtenir plus que ce que nous générions avant que les sources de revenus ne soient concédées. Mais il est aujourd’hui évident que les travailleurs de la FAAN s’en tiraient mieux avant » ». 

    Le Président Jonathan et ses conseillers économiques ont donné au secteur privé la responsabilité du développement nécessaire des infrastructures et des services via leur agenda de soi-disant partenariat public-privé. Cependant, c’est l’Etat de Lagos, gouverné par un parti d’opposition, l’Action Congress (AC), qui a déjà fourni une excellente illustration de pourquoi l’idéologie du « profit d’abord » ne mènera jamais à un développement nécessaire et suffisant pour l’économie et pour l’amélioration des conditions de vie du peuple en général. Depuis 2003 ou à peu près, l’ex-Gouverneur de l’Etat de Lagos, Bola Ahmed Tinubu, a conclu un accord avec un groupe d’entreprises privées pour construire une route de 49 kilomètres afin de relier Victoria Island à la ville d’Epe, dans l’Etat de Lagos. Huit ans plus tard, seuls 6 km de route ont été construits. Mais les entreprises privées en charge du projet n’ont par contre pas eu honte de déjà installer trois péages afin de prélever l’argent sur les utilisateurs de la route en chantier (pour la plupart des membres des classes moyennes ou de l’élite riche) ! Cette situation risque de durer encore trente ans ! Entretemps, plus des trois-quarts des routes et rues de l’Etat de Lagos demeurent dans des conditions déplorables.

    Le renflouement des banques et des industries

    Toutefois, rien n’illustre mieux l’incapacité totale du capitalisme de répondre aux nécessités sociales pour le développement économique et l’amélioration du mode de vie du peuple, que la pauvreté de masse et la dépression qui domine actuellement tous les secteurs économiques et sociaux, malgré les ressources naturelles et humaines surabondantes dont est doté le Nigéria. La manifestation la plus provocante de l’impasse capitaliste est l’octroi de centaines de milliards de naïras provenant des fonds publics en cadeau aux mêmes vampires capitalistes qui ont mené à ses conditions actuelles de désolation ce pays qui autrement serait énormément riche de ses immenses ressources et de sa population courageuse.

    A la fin de l’année passée, le gouvernement de feu le Président Musa Yar’Adua a donné via sa Banque Centrale la somme de 620 milliards de naïra (3 milliards d’euro) à huit banques qui se tenaient au bord de la faillite, en conséquence de leurs nombreuses transactions financières irresponsables et du pillage en bonne et due forme exercé par leurs propriétaires privés. Yar’Adua et son successeur le Président Jonathan ont de même unilatéralement décidé d’octroyer la somme scandaleuse de respectivement 150 milliards et 500 milliards de naïra (700 millions et 2 milliards d’euro) pour renflouer des industries en faillite tant en les laissant entre les mains des capitalistes. Bien entendu, ce qui était autrefois le secteur industriel nigérian a été maintenant complètement dévasté au fil des années par la combinaison de mesures politiques « profit d’abord » qui ont été imposées au pays par les multinationales des pays capitalistes avancés.

    A cet égard, l’industrie textile exemplifie bien le genre de désertification industrielle qui a étranglé le pays au fur et à mesure que le capitalisme mondial a renforcé son emprise sur les économies des pays néocoloniaux et sous-développés tels que le Nigéria. A la fin des années 80, il y avait 250 entreprises textiles qui ensemble employaient directement 800 000 travailleurs, avec plus d’un million d’autres personnes qui gagnaient leur vie par la vente et autres commerces liés à ce secteur. Malheureusement, en 2007, il ne restait que 30 de ces entreprises, opérant pour la plupart en-dessous de leur capacité, et qui employaient moins de 30 000 travailleurs. Il faut ajouter aussi que c’est le même genre de dévastation économique qui a vu le jour dans d’autres secteurs industriels et agricoles autrefois florissants.

    Toutefois, au-delà même des conditions lamentables qui prévalent aujourd’hui, il est économiquement contre-productif et socialement scandaleux pour un gouvernement de verser des centaines de milliards aux mêmes marchants de profit qui ont mené le pays à son impasse actuelle malgré son abondance de ressources humaines et naturelles, alors que cet argent aurait pu être utilisé pour développer les infrastructures publiques et les services sociaux. C’est un véritable scandale que d’énormes fonds publics soient octroyés à des individus et à des entreprises non-redevables et dont les seuls intérêts sont ceux de leurs profits et qui pendant des années ont mené une véritable croisade pour que le gouvernement cesse de financer les infrastructures socialement nécessaires que sont les routes, les services, l’éducation, les soins de santé, l’emploi, etc. soi-disant parce que ce sont là des mesures socialisantes qui n’engendreraient que l’inefficacité et la stagnation économique. Si les industries qui sont essentielles au développement du pays et du niveau de vie sont au bord de la faillite, alors au lieu d’en renflouer les propriétaires, elles devraient être nationalisées (avec compensation uniquement sur base de besoins prouvés) et gérées démocratiquement dans les intérêts des travailleurs et des pauvres.

    Hélas, plutôt que de se battre pour une réelle appropriation publique des secteurs-clés de l’économie, y compris des secteurs bancaire et financier, sous le contrôle et la gestion démocratique par les travailleurs, en tant que base d’un grand plan démocratique par lequel les abondantes ressources humaines et naturelles du Nigéria pourraient être utilisées afin de garantir une vie décente et une réelle liberté démocratique pour le peuple, les sommets de la hiérarchie syndicale du NLC (Nigerian Labour Congress) et de la TUC (Trade Union Confederation) sont occupés à placer de faux espoirs dans l’illusions selon laquelle ce système criminel pourrait être réformé afin de satisfaire aux besoins des masses laborieuses. Ils ferment leurs yeux devant l’échec du capitalisme à développer le Nigéria et devant la grave crise qui a frappé le système capitaliste mondial au cours des trois dernières années. En fait, les dirigeants syndicaux ne font que baser leurs campagnes sur ce qu’ils pensent que les capitalistes voudront bien donner, c’est pourquoi aucune campagne sérieuse n’a été menée pour le salaire minimum à 52 000 naïra (240€) que l’Exécutif National du NLC avait revendiqué pour la première fois lors de son assemblée du 18 décembre 2008 à Kano.

    La guerre contre la corruption et contre l’insécurité de la vie et de la propriété

    La corruption et l’insécurité de la vie et de la propriété sont toujours considérées par tous les commentateurs sérieux comme étant des facteurs cruciaux lorsqu’on parle d’assurer une véritable croissance économique et la stabilité sociale. Malheureusement, le gouvernement pro-capitaliste dirigé par Jonathan a également démontré son incapacité à répondre de manière efficace au défi qui est posé par ces deux enjeux. Presque chaque jour, le Président Jonathan et ses cadres professent le même discours quant à leur détermination à combattre la corruption, qui est perçue comme un cancer qui empêche la croissance économique.

    Pourtant, la Commission pour les Crimes Economiques et Financiers (EFCC) a fermé les yeux devant toute une série de scandales à échelle internationale impliquant plusieurs cadres gouvernementaux haut placés, certains étant déjà à la retraite, d’autres non, et sans le moindre murmure non plus de Jonathan ou de son administration. Cependant, la même EFCC qui n’a pas bronché au sujet des accusations de corruption envers des hauts responsables gouvernementaux au sujet de contrats obtenus avec Halliburton, Daimler, et autres requins multinationaux, a tout d’un coup regagné toute sa puissance lorsqu’elle a forcé le Président Goodluck à annuler son interdiction autocratique de toute participation des équipes de football nigérianes à des compétitions internationales.

    Afin de couvrir la retraite humiliante qui a été imposée au Président quant à son interdiction digne d’un dictateur militaire, mais complètement hypocrite et entièrement déplacée, des équipes de football nationales, la EFCC a été lâchée sur les chefs de la Fédération Nigériane de Football (NFF). De la même manière que dans les derniers jours de la Présidence d’Obasanjo, la EFCC est essentiellement devenue un instrument de harcèlement des opposants ou de ceux qui étaient tombés en disgrâce par rapport au PDP au pouvoir, la EFCC serait maintenant en train de mener une enquête sur la mauvaise gestion de 2 milliards de naïra par la NFF. Tout ceci sur ordre de personnes qui gèrent un budget de dizaines de milliers de milliards de naïra, sans en être redevables à qui que ce soit ! Au vu des dernières gesticulations de la EFCC, on peut dire que sous le règne de Jonathan, comme d’habitude, la guerre contre la corruption ne demeurera qu’une mauvaise plaisanterie, qui revient à tenter d’éteindre un feu de brousse en crachant dessus, ou à ce que des hors-la-loi armés s’octroient le droit de juger des voleurs à la tire.

    La résolution du Gouvernement à combattre les crimes de droit commun tels que les rapts révèle également la même vision bourgeoise à court-terme, ce que feu Fela Anikulapo-Kuti appelait « l’aveuglement ikoyi ». Comment le gouvernement compte-t-il endiguer la vague croissante de criminalité, en particulier les rapts qui ont pris un caractère de plus en plus répandu, et surtout au moment même où le gouvernement cherche à attirer des investisseurs étrangers ? Le Président Jonathan nous répond : « Nous prenons cet enjeu très au sérieux, et nous ne manquerons pas de poursuivre les auteurs de ces crimes. On trouve même certaines communautés dans le pays qui ont fait de la criminalité un vrai business, et des gens croulant sous les diplômes et qui aident et soutiennent cette activité […] Certaines personnes haut-placées sont impliquées […] Lorsque quelqu’un est enlevé, ce sont ces mêmes gens qui vont négocier la rançon […] Nous ne dormons pas ; nous sommes en train de trouver des méthodes pour traquer les enleveurs, nous cherchons à mettre en oeuvre des méthodes informatiques pour ce faire ».

    Aveuglés par leur propre mode de vie d’opulence non mérité et injuste, lorsque l’immense majorité se morfond dans la misère et l’indigence, Jonathan et les élites capitalistes ne peuvent réaliser que c’est la combinaison de leur système injuste et de la corruption des dirigeants capitalistes qui est responsable de la hausse des crimes sociaux tels que les enlèvements, le banditisme armé, le siphonage des oléoducs, etc. Par conséquent, pour que les masses laborieuses puissent bénéficier de conditions de vie décentes et permanentes, et d’une société libre du fléau de la criminalité, la société capitaliste actuelle, faite d’injustices, et qui ne bénéficie qu’aux intérêts des quelques riches, doit être économiquement et socialement remplacée par un nouvel ordre social dans lequel les ressources de la nature et les hauts sommets de l’économie – y compris les banques et la finance – seraient collectivement appropriées et placées sous le contrôle et la gestion démocratiques des travailleurs eux-mêmes, de sorte que les ressources humaines et naturelles infiniment abondantes de notre planète puissent être réellement planifiées et utilisées afin de satisfaire aux besoins économiques et sociaux du peuple.

    Vers où aller ?

    Sur base de mesures et stratégies pro-capitalistes, aucun des problèmes sociaux et économiques auxquels sont en ce moment confrontés le pays et la vaste majorité de sa population de plus en plus miséreuse ne peuvent être résolus de manière satisfaisante afin d’assurer une croissance économique énergique et un mode de vie décent pour le peuple. Bien sûr, au lieu d’accepter la faillite totale de la stratégie capitaliste et de la politique menée sur une base individuelle, les élites dirigeantes parasitaires et kleptomanes du Nigéria voudront toujours donner l’impression que le fait de gérer l’économie nigérienne est un e mission impossible. Devant le Conseil Communal cité plus haut, le Président Jonathan a une fois de plus renié son engagement gouvernemental de départ selon lequel il oeuvrerait en faveur d’un approvisionnement complet en électricité pour les industries et pour les ménages, avec comme point de départ la génération de 11 000 mégawatts avant 2011. Effectuant un virage à 180° par rapport à ses promesses initiales, le Président demande maintenant aux Nigérians de ne pas s’attendre à avoir un accès adéquat à l’électricité avant longtemps. Citant son expérience en tant que Gouverneur de l’Etat de Bayelsa, il a expliqué que « J’ai réalisé que lorsqu’on arrive par exemple avec 10 000 mégawatts, plus de gens vont immédiatement réclamer de nouvelles lignes électriques pour chez eux, et peu après, l’approvisionnement en électricité redevient inadéquat ». Cet argument bidon ridicule est taillé sur mesures pour justifier pourquoi le Nigéria n’a pas pu générer assez d’électricité pour alimenter de manière satisfaisante sa consommation industrielle et ménagère.

    L’Afrique du Sud, qui ne comporte qu’un tiers de la population du Nigéria, génère actuellement 45 000 mégawatts d’électricité par an, tandis que le Nigéria n’en génère en ce moment que 3000. Par conséquent, la tâche centrale est non pas de donner l’excuse que c’est le comportement des gens qui rend cet objectif inatteignable, mais bien de générer assez d’électricité que ce dont en ont besoin les industries et les gens. A un moment l’an dernier, la Ministre de l’Information nigérianne, Mme Dora Akunyili, a rendu visite à l’Ambassadeur vénézuélien au Nigéria, pour y rééditer auprès de lui son appel habituel à des investissements étrangers dans le secteur pétrolier. En guise de réponse, l’Ambassadeur du Venezuela a demandé au Nigéria de plutôt se tourner vers ses propres forces et de gérer ses propres ressources afin d’améliorer le bien-être de son peuple et de son économie en général, plutôt que de sans cesse frappeer à la porte des étrangers. Il a ainsi expliqué que depuis l’an 2000, au Venezuela, le prix du barril de pétrole est resté le même et le coût du plein pour une voiture moyenne n’a pas excédé la somme de 160 naïra (0,75€), et que le gouvernement vénézuélien possédait et gérait plus de 40 raffineries de dérivés pétroliers destinés à la consommation locale comme à l’exportation. Bien que les masses laborieuses vénézuéliennes soient toujours confrontées à de grands problèmes dus au caractère incomplet des réformes anticapitalistes qui ont été jusqu’ici accomplies dans leur pays, elles ne sont pas confrontées au même désastre absolu qui sévit au Nigéria. Tandis que le Nigéria, qui est le quatrième plus grand producteur de pétrole brut au sein de l’OPEP, dépend toujours fortement de l’importation de produits pétrolier, aucune de ses quatre raffineries ne tournant à pleine capacité.

    Le NLC comme la TUC, avec leurs affiliés, ont toujours critiqué le caractère anti-populaire de la plupart des politiques gouvernementales. Ces dirigeants syndicaux adorent faire des critiques correctes du caractère anti-pauvres des mesures de privatisation et de concession des raffineries, de l’électricité, des aéroports et des routes. Récemment, les directions du NLC et de la TUC ont condamné la proposition du gouvernement de dépenser des milliards de naïra pour la célébration du cinquantième anniversaire de l’indépendance du Nigéria qui, du point de vue des masses opprimées, n’est jamais que 50 ans d’échec. La direction du NLC a aussi récemment dénoncé de manière très correcte les propositions pro-riches et anti-pauvres en faveur de la dérégulation et de la privatisation du secteur pétrolier, du retrait des soi-disant subsides sur les produits pétroliers, et d’une hausse de +200% du prix de l’électricité qui sont défendues par le Gouverneur de la Banque Centrale du Nigéria, Mallam Sanusi Lamido Sanusi. Dans une déclaration intitulée : « Assez des singeries anti-populaires de Sanusi ! » publié le 29 juillet 2010, on peut lire ceci : « Au sujet du tarif de l’électricité en particulier, le National Labour Congress est convaincu que le premier pas qui doit être fait par le gouvernement est d’avant toutes choses améliorer la capacité de génération et de distribution d’électricité, avant de parler de la question du prix à payer. Ce serait illogique et entièrement irraisonné de faire payer plus chers les Nigérians qui en ce moment payent déjà pour des services dont ils ne profitent pas, à part pour les ressources énormes qu’ils dépensent quotidiennement pour faire fonctionner leur générateur électrique domestique ». Au sujet d’un plan de renflouement à hauteur de 30 milliards de naïra (140 millions €) pour un redressement de l’industrie textile moribonde du Nigéria, Isa Aremu, Secrétaire Général du Syndicat des Travailleurs du Textile du Nigéria, a comparé la situation du pays de manière très adéquate avec la situation paradoxale d’un homme qui mourrait de soif alors qu’il est serait entouré d’eau. Ainsi, « Le Nigéria ne manque pas de Présidents ni de Gouverneurs. Ce qui fait défaut aujourd’hui, c’est la bonne gouvernance, l’industrialisation et le développement ».

    Malheureusement, en dépit de ces critiques très correctes, les hauts dirigeants syndicaux ont en général toujours échoué à se concentrer sur la conception et la défense d’une alternative politique et économique pro-ouvrière, qui pourrait être capable de mettre un terme à la misère perpétuelle de la majorité du peuple nigérian en plein milieu d’une abondance inépuisable. Par conséquent, plutôt que de donner leur soutien à telle ou telle mesure capitaliste destinée à accroître la profitabilité, le mouvement ouvrier devrait mener une campagne consistante afin de placer les immenses ressources économiques du pays, y compris les banques et les institutions financières, sous le contrôle et la gestion démocratiques par les travailleurs, avec comme objectif direct d’assurer un mode de vie décent pour tous les Nigérians partout dans le pays, et non pas à la poignée d’éléments capitalistes qui maintiennent à présent leur emprise sur les perspectives économiques de la nation.

    Afin de parachever ce but, le mouvement ouvrier doit de même se mettre en branle pour créer son propre parti politique indépendant, qui sera préparé à mettre en oeuvre ce genre de mesures socialistes pro-masses, qui sont nécessaires si l’on veut libérer le Nigéria de la servitude socio-politique des élements capitalistes locaux et de leurs mécènes et maîtres à l’étranger. En particulier, il faut que le mouvement ouvrier crée un parti des travailleurs réellement démocratique, ou se battre pour récupérer le Labour Party qui a maintenant été largement récupéré par des éléments pro-capitalistes. Il ne suffit pas de simplement mener campagne pour des élections libres et justes lorsqu’il semble clair aujourd’hui que la campagne électorale de 2011 sera de toutes manières dominée par des partis pro-capitalistes, anti-populaires tels que le PDP, l’ANPP, l’AC, etc. Le mouvement ouvrier doit commencer dès aujourd’hui à édifier une plate-forme politique qui fasse écho aux longues souffrances du peuple du Nigéria lors de la campagne de 2011. A moins que l’agitation syndicale ne se poursuive selon ce genre de perspectives, le cauchemar socio-économique que nous connaissons aujourd’hui ne pourra pas être surmonté, et ne fera qu’empirer sous la Présidence de Jonathan, ou de n’importe quel autre politicien bourgeois.

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