Category: Afrique

  • Côte d’Ivoire : pas encore hourra

    Il ne fait aucun doute que la capture de Laurent Gbagbo le 11 avril 2011 par les forces de Alassane Ouattara (énormément aidées par l’armée française) a apporté un immense soulagement à l’immense majorité des Ivoiriens, soumis à l’expérience traumatisante d’une nouvelle guerre civile après les élections de novembre 2010. Ces élections avaient produit deux “présidents”. Ouattara, un ancien premier ministre du dictateur Houphouët-Boigny, avait été déclaré vainqueur des élections par la commission électorale, et validé par les Nations-Unies.

    Peluola Adewale, Democratic Socialist Movement (CIO-Nigéria)

    Cependant, le président sortant Laurent Gbagbo avait rejeté le verdict en prétextant des irrégularités dans le nord du pays, et avait forcé le conseil constitutionnel – qu’on a dit dirigé par un de ses amis – à annuler les votes du Nord, ce qui avait mené à sa réélection. Les nations impérialistes occidentales et la CEDEAO ont quant à elles reconnu Ouattara en tant que vainqueur et ont imposé toutes sortes de sanctions à Gbagbo pour le contraindre à quitter, mais sans résultat. Cette impasse a mené à une grave crise de violences sectaires, qui a couté la vies à 1500 personnes et contraint un million de gens à l’exil. Gbagbo n’a pu être dégagé que par la force de l’armée française qui a bombardé son arsenal et son palais jusqu’à le forcer à sortir de son bunker, pour pouvoir être cueilli par les soldats de Ouattara.

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    Tandis que la capture de Gbagbo a apporté un certain soulagement avec la fin de la guerre civile prolongée, les militants de la classe ouvrière et par le peuple ne devraient pas applaudir le rôle de l’impérialisme. Car c’est de la même manière que l’impérialisme a lâché sa puissance militaire contre le régime dictatorial et pro-capitaliste de Gbagbo, qu’il tentera de réprimer brutalement tout véritable mouvement ouvrier qui menacerait le règne et l’emprise du capitalisme et de l’impérialisme.

    Malgré le prétexte selon lequel l’intervention de l’impérialisme, avec ses bombes et ses tanks était justifié par la nécessité de protéger les civils, sa mission avait pour véritable objectif ses propres intérêts égoïstes. Cette justification peut facilement être remise en question par les développements en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, où les impérialistes soutiennent militairement le mouvement contre la dictature de Mouammar Kadhafi qui avait lancé la terreur d’État pour réprimer l’opposition, alors qu’au même moment ils gardent le silence par rapport aux atrocités commises par les dirigeants pro-occidentaux du Bahreïn, de Syrie et du Yémen. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, deux alliés majeurs de l’Occident, ont en effet envoyé des troupes et des tanks pour briser et tuer les opposants au Bahreïn, sans aucune condamnation de la part de l’Occident. Une différence importante entre la Libye et certains des autres pays de la région où se déroulent des révoltes de masse est que la Libye possède de grandes réserves de pétrole, les plus grandes d’Afrique, tandis que les autres ne possèdent que très peu de pétrole. En fait, certaines études ont révélé que les réserves du Yémen seront épuisées d’ici 2017, tandis que celles du Bahreïn ne pourraient encore durer que 10-15 ans. En plus, le contrôle et les immenses profits des multinationales pétrolières occidentales n’ont jamais été menacés dans ces pays.

    Il faut cependant insister sur le fait que c’est le vide créé par l’absence d’un grand mouvement de la classe ouvrière capable d’arrêter la dégénérescence de la crise politique en guerre civile qui a été exploité par l’impérialisme français pour satisfaire ses propres intérêts. Les travailleurs ont prouvé avec des grèves et des protestations de masse contre les attaques néolibérales qu’ils ont organisées au cous des dernières années du régime Gbagbo qu’ils étaient capables de se dresser au-dessus des divisions ethniques et religieuses exploitées par l’élite capitaliste dirigeante, et de s’unir dans la lutte pour leurs intérêts communs et pour une meilleure vie.

    Par conséquent, un mouvement centralisé de la classe ouvrière aurait pu mobiliser la masse des Ivoiriens, des travailleurs, des paysans et des artisans contre la xénophobie, contre l’ethnicisme et la guerre, et aurait pu les organiser en un grand mouvement politique capable d’arracher le pouvoir des mains des diverses factions de l’élite capitaliste dirigeante qui ont plongé le pays dans une abysse de crises économiques et politiques, mais aussi de contrer l’emprise de l’impérialisme sur l’économie. Si un tel mouvement avait existé, en opposition aux manœuvres et aux conflits des cliques rivales, il aurait donné aux travailleurs une plateforme à partir de laquelle créer leur propre alternative sous la forme d’une véritable assemblée des travailleurs – formée de représentants élus des ouvriers, employés, des paysans, des petits commerçants, des artisans et des groupes ethniques – qui aurait pu constituer un gouvernement transitoire qui aurait agi en faveur des intérêts des travailleurs et des pauvres et qui aurait organisé de nouvelles élections véritablement démocratiques, sans l’interférence des Nations-Unies, cette organisation pro-capitaliste.

    Bien que Ouattara a gagné la guerre pour le poste de président de Côte d’Ivoire, il n’a pas gagné la paix. Il y a encore des quartiers à Abidjan et ailleurs dans le pays qui sont fermement sous le contrôle de jeunes armés qui se sont battus d’un côté ou de l’autre pendant la guerre. Les milices des “Jeunes Patriotes” pro-Gbagbo contrôlent Yopougon, tandis que les “Commandos invisibles” pro-Ouattara dirigent Abobo et d’autres quartiers du nord d’Abidjan. Ces deux groupes ont continué à se battre contre la nouvelle Force républicaine de Ouattara qui cherche à les désarmer et à reprendre le contrôle de ces zones. Les “Jeunes Patriotes” sont fâchés par l’arrestation de Gbagbo et ont le potentiel de former un nouveau groupe rebelle. Les 5000 personnes qui forment les “Commandos invisibles” qui se sont battus aux côtés des forces de Ouattara contre Gbagbo cherchent une reconnaissance et leur “part du butin” pour le rôle qu’ils ont joué. De fait, les “Commandos invisibles” étaient déjà entrés en conflit contre les forces de Gbagbo à Abidjan avant que les “Forces nouvelles” ne débarquent du Nord. Les “Forces nouvelles” sont constituées des anciens groupes rebelles qui contrôlent le nord du pays depuis 2002. Pendant ce temps, Ibrahim Coulibaly, le fameux chef des “Commandos invisibles” a été tué dans une fusillade avec les Forces républicaines. La question centrale reste cependant de savoir si la mort de Coulibaly (un ancien garde du corps de Ouattara) mettra un terme à une des principales menaces au retour de la paix dans le pays.

    En plus des activités des milices armées qui sont nées de la guerre civile et de la prolifération des armes à feu dans le pays, il y a toujours le problème fondamental qui se trouve à la racine de la crise politique, c’est-à-dire la question nationale non résolue. Ce problème est toujours bien vivant. Le concept xénophobe d’“ivoirité” – le fait d’être un vrai Ivoirien – qui est un élément central dans la crise n’a pas disparu. Ce concept signifie que la plupart des Ivoiriens du nord du pays (duquel provient Ouattara) ne sont pas de “vrais Ivoiriens”, et ne peuvent donc diriger le pays. Ce prétexte a été utilisé dans le passé pour empêcher Ouattara (qui a pourtant été premier ministre auparavant) de se présenter aux élections.

    Cette folie xénophobe n’a pas été inventée par Gbagbo, mais il l’a jugée utile pour pouvoir se maintenir au pouvoir. Elle a été créée par Henri Konan Bédié lors d’une précédente lutte pour le pouvoir avec Ouattara qui allait décider de qui succéderait à leur maitre à tous les deux, Houphouët-Boigny, après que celui-ci soit mort à la fin de 1993, après plus de trente ans au pouvoir. Cette lutte ne suivait aucune morale, elle avait uniquement pour but de savoir qui serait la personne qui pourrait manger l’argent des privatisations et des coupes dans les budgets publics. Avant la mort de Houphouët-Boigny, Bédié était président de l’Assemblée nationale, et Ouattara était premier ministre.

    Ce concept diviseur a marginalisé la plupart des gens originaire du Nord, et qui partagent une culture similaire à celle des immigrants en provenance des pays voisins, comme le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Il a ainsi été repris par la plupart des Ivoiriens, à une période au cours de laquelle commençait le déclin du pays qui avait autrefois l’économie la plus prospère de toute l’Afrique de l’Ouest. De la sorte, il était facile pour les élites dirigeantes d’accuser les immigrants (qui constituent 30% de la population) d’être responsables de la crise économique en réalité causée par le capitalisme.

    En plus de l’“ivoirité”, Gbagbo a aussi beaucoup joué avec le sentiment anti-impérialiste afin de s’attirer une partie de la population, et ainsi s’accrocher au pouvoir. Cependant, malgré tous les beaux discours que Gbagbo déclame aujourd’hui contre l’impérialisme français, il n’a jamais représenté une menace pour les immenses intérêts économiques de l’élite dirigeante française. Pierre Haski a révélé dans le journal The Guardian que « Pendant les dix années de Gbagbo au pouvoir, les entreprises françaises ont reçu les plus gros contrats ; Total a gagné l’exploration pétrolière, Bolloré la gestion du port d’Abidjan, Bouygues les télécoms » (The Guardian de Londres, 5 janvier 2011). Qui plus est, il a dans les faits dirigé le pays sur base de l’agenda économique capitaliste néolibéral dicté par le FMI, dont il a signé le programme. Néanmoins, leur relation est devenue plus tendue après l’incident du bombardement de 2004, lorsque les forces françaises ont détruit la force aérienne de Côte d’Ivoire en réponse au bombardement d’une base militaire française qui se trouvait dans la zone tampon entre les rebelles et le gouvernement Gbagbo pour faire respecter le cessez-le-feu. C’était d’aillleurs les troupes françaises qui avaient aidé à repousser l’avancée des rebelles vers le Sud lorsqu’ils avaient semblé assez forts que pour pouvoir envahir tout le pays, et qui avaient aussi permis d’obtenir le cessez-le-feu de 2002. La France a apparemment agi de la sorte afin de maintenir ses intérêts, qui sont principalement localisés dans le Sud.

    Ce n’est pas un secret que l’impérialisme occidental, et surtout la France, possède d’importants intérêts économiques en Côte d’Ivoire. La France a par exemple 500 entreprises qui dominent d’importants secteurs de l’économie. Le pays est le premier producteur mondial de cacao (qui sert à faire le chocolat), avec 40% de la production mondiale. C’est aussi un producteur majeur de café et de bois, et il y a aussi eu une hausse de la production de pétrole brut, de même que des gisements d’or et de diamants dans le Nord. De plus, dans un rapport de la Commission internationale d’enquête au sujet des plaintes de violations des droits de l’Homme en Côte d’Ivoire, réalisé entre le 19 septembre et le 15 octobre 2004, il était mentionné la découverte de champs de pétrole dont les réserves pourraient faire du pays le deuxième ou troisième producteur africain de pétrole brut. La Commission a aussi fait état de la découverte d’immenses gisements de gaz, dont les réserves sont suffisantes pour cent ans d’exploitation.

    Il n’y a aucun espoir d’amélioration de la vie de la majorité des Ivoiriens sur base de l’alternative offerte à présent dans la personne de Ouattara, le champion de l’impérialisme. Il ne faut pas être prophète pour conclure que l’ancien premier ministre de Houphouët-Boigny, qui est plus tard devenu vice-directeur du FMI, va diriger le pays selon les dictats de l’impérialisme mondial. John Campbell, l’ancien ambassadeur américain au Nigéria, qui fait maintenant partie du Conseil des relations extérieures, une institution pro-impérialiste, a quelque peu renforcé ce point en disant que : « Ouattara a certainement l’expertise technique requise pour gérer l’économie ». Pour l’impérialisme, une meilleure gestion de l’économie signifie gérer l’économie selon ses propres dictats.

    Déjà la Côte d’Ivoire a été reprise dans le programme des pays pauvres très endettés (PPTE) de la Banque mondiale et du FMI, qui fait partie d’une procédure visant à effacer une partie de la dette dans laquelle le pays a été plongé par le gouvernement pro-impérialiste et caricatural de Houphouët-Boigny. Cela veut dire que le pays a dû rembourser sa dette et mettre en route une politique économique dure d’ajustements structurels (un programme capitaliste néolibéral) telle que définie par le FMI et par la Banque mondiale afin de pouvoir faire partie de cette initiative. Il ne fait aucun doute que Ouattara, en vieux cheval de guerre de l’impérialisme, n’hésitera pas le moins du monde à lancer de telles attaques néolibérales sur les travailleurs. Rappelons-nous seulement qu’il a aidé Houphouët-Boigny à imposer et à mettre en œuvre les mesures d’austérité et le programme d’ajustement structurel du début des années 90. Pour lui, le néolibéralisme, qui a déjà prouvé être extrêmement dévastateur pour le développement, est un remède à des maux économiques. Toutefois, depuis mars 2009 la Côte d’Ivoire a rempli les conditions pour faire partie du programme des PPTE, ce qui signifie que Gbagbo n’a pas trop mal travaillé du point de vue de la Banque mondiale et du FMI en mettant en place les attaques néolibérales demandées par ces institutions. Le FMI a félicité Gbagbo pour ce résultat, et lui a demandé d’accélérer les dernières “réformes” nécessaires pour terminer le plan PPTE. Il ne fait aucun doute que Ouattara, en sa qualité de véritable agent du FMI, fera encore mieux que Gbagbo de leur point de vue.

    Les travailleurs et les pauvres de Côte d’Ivoire vont réaliser que leur niveau de vie ne va pas réellement s’améliorer sous le gouvernement Ouattara (s’il n’empire pas), et que ce gouvernement ne parviendra pas non plus à garantir une paix durable. C’est pourquoi les dirigeants syndicaux radicaux, les militants de gauche et les socialistes devraient immédiatement entamer le processus de construire un mouvement ouvrier uni, qui rassemble tous les travailleurs, tous les paysans et tous les pauvres, de toutes les ethnies et de toutes les religions, contre la xénophobie, contre la violence sectaire, et contre les attaques néolibérales antipauvres, et qui revendique de meilleures conditions pour les travailleurs en ce qui concerne l’éducation, les soins de santé, le logement, et des emplois décents. Ce mouvement devrait aussi exister en tant qu’alternative politique ouvrière qui se batte sur base de la résistance aux programmes capitalistes néolibéraux et pour une alternative socialiste dans la lutte pour le pouvoir politique.

  • [PHOTOS] Protestations devant l’ambassade tunisienne

    Hier, en plus du rassemblement devant l’ambassade égyptienne, un autre rassemblement a eu lieu, cette fois devant l’amassade tunisienne où une cinquantaine de personnes étaient présentes, dont une petite délégation du PSL. Bien entendu, les participants ont manifesté leur solidarité avec les luttes qui prennent place en Tunisie, mais ils ont aussi dénoncé le rôle de l’ambassadeur et ses liens avec le régime de Ben Ali.

    Par Gaetan Sibille, que la rédaction remercie pour nous avoir envoyé ces belles photos

    Egalement, sur socialisme.be

  • Egypte : Le régime de Mubarak ébranlé par les plus fortes manifestations depuis 30 années

    “La Tunisie est la solution”

    Ces manifestations ont pris place le 25 janvier, le Jour de la Police, un jour férié national commémorant la lutte de la police d’Ismailia contre l’occupation britannique en 1952. Aujourd’hui, les forces de police de Mubarak sont directement à l’opposé d’un mouvement de libération! Elles sont utilisées pour réprimer violemment les travailleurs et les jeunes qui veulent manifester leur colère contre une élite corrompue et fabuleusement richissime.

    David Johnson, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

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    Plus d’infos:

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    Ceux qui ont appelé à manifesté ont directement été inspirés par le magnifique mouvement des masses tunisiennes. On retrouve parmi ces initiateurs le ‘Mouvement de jeunes du 6 avril’ et le groupe facebook ‘Nous sommes tous des Khaled Saeid’, du nom du jeune qui a été tué par la police à Alexandrie en 2010 après avoir dénoncé la corruption qui y règne.

    On estime à 15.000 le nombre de personnes qui ont pris part aux mobilisations dans la capitale, Le Caire, avec des départs de différents endroits de la ville convergeant vers la place Tahrir. Des centaines de manifestants ont brisé les cordons de sécurité et ont été rejoints par des passants, y compris des familles avec leurs enfants. Sur les banderoles, on pouvait notamment lire en plusieurs endroits “La Tunisie est la solution”. D’autres appelaient à la chute du régime égyptien et à la démission du Premier Ministre. Des affiches montrant Hosni Mubarak et son fils détesté, Gamal, ont été arrachées avec colère.

    Dans un premier temps, la police ne semblait pas trop savoir comment répondre à un tel nombre de protestataires, dépassant très largement les quelques centaines qui participent habituellement à ce genre de mobilisation. Par la suite, ils ont recouru à des cannons à eaux ainsi qu’à des gaz lacrymogènes contre les manifestants, ces derniers chargeant une autopompe et ouvrant la porte du conducteur pour le tirer hors du véhicule. La jeunesse s’est montrée particulièrement brave dans les confrontations avec la police, tenant leurs positions et repoussant la police et de nombreuses occasions.

    Des rapports ont également fait état de luttes entre manifestants et forces de police du district du Caire de Mattariya. Quelques 15.000 manifestants ont occupé les rues de Kafr El-Sheikh, dans le nord du pays, 2.000 à al-Mahalla al-Kubra (où une grande grève s’était déroulée en 2006). Plus de manifestants étaient présents à Alexandrie, Dar El-Salam, Boulaq, Maadi, Ard El-Lewa et Imbaba. Au Sinai, la route vers l’aéroport de Al-Goura à Rafah, ainsi que la route de Al-Mahdiya, ont été bloquées avec des voitures et des pneus enflammés. A Suez, deux manifestants ont été tués par la police.

    De précédentes protestations initiées par Facebook et des groupes de jeunes le 6 avril 2009 et 2010 avaient reçu des réponses mixtes. La police a habituellement réussi à protéger les centres-villes et à empêcher de grands rassemblements. Les protestations au Caire ne durent habituellement qu’une heure, mais elles se sont poursuivies tard dans la nuit ce 25 janvier, jusqu’à ce que la place soit finalement vidée par la police. Des sites comme Twitter et Bambuser ont été bloqués pour éviter tout partage d’information ou de vidéo.

    Opposition

    Quelques partis d’opposition ont soutenu l’appel à manifester – les nasséristes, Ayman Nour’s al-Ghad et al-Karama. D’autre, al-Wafd et al-Tagammu, les ex-partis ouvriers, ne l’ont pas fait. Le plus grand groupe d’opposition, les Frères Musulmans, sont apparus très confus sur cette question de soutenir ou non le mouvement. Ses dirigeants ont hésité jusqu’au jour même tandis que les jeunes membres créaient des pages Facebook en soutien des protestations. Un porte parole des Frères Musulmans a déclaré : “Les protestation de la place Tahrir sont spontanément apparues, (…) nous n’avons envoyé personne. Le gouvernement sait exactement qui représente ces manifestations. Nous espérons qu’il accèdera aux demandes du peuple."

    L’Eglise Copte (chrétiens d’Egypte) a appelé ses membres à éviter les cortèges de manifestants, trois semaines seulement après que des centaines de chrétiens aient protesté après l’attentat à la bombe d’Alexandrie, et n’ont rencontré que la violence de la police. Un prêtre a déclaré: “La Sainte Bible nous recommande d’obéir à nos Rois et dirigeants; des appels à manifester sont destructifs et nous prions donc pour le salut de l’Egypte.”

    Bien entendu, le gouvernement n’a aucune intention d’aller dans le sens des revendications de manifestants pour plus d’emplois, pour un salaire minimum et pour la fin de la corruption, de la répression et des torture de la police. Il pourra éventuellement faire des concessions dans le feu des protestations de masse, mais comme la Tunisie l’a démontré, chaque concession augmentera la confiance des travailleurs et des jeunes pour aller plus loin dans leurs revendications.

    La détermination des travailleurs et des jeunes contre le régime marque une nouvelle étape en Egypte. Plus jamais le régime de Mubarak ne sera en état de maintenir sa poigne sur le pays par la peur comme il a pu le faire précédemment. Jusqu’ici, la classe ouvrière égyptienne a à peine fléchi un muscle, mais l’atmosphère dans le pays est déjà électrique.

    La tâche la plus urgente actuellement est la formation par les travailleurs de leur propre parti, armé d’un programme socialiste visant à transformer la société. Nous appelons à l’instauration d’un salaire minimum d’au moins 1.200 Livres Egyptiennes (soit l’équivalent de 150 euros); à la garantie pour chacun d’avoir un emploi; au droit de faire grève et de s’organiser dans des syndicats démocratiques et indépendants; à un programme massif de construction de logements, à la garantie de l’accès à l’enseignements et aux soins de santé pour tous, à la fin de la brutalité policière et à des élections libres pour une assemblée constituante démocratique et pour un gouvernement des travailleurs et des travailleurs ruraux. Cela doit être lié à la nationalisation des grandes entreprises, des banques et des grands domaines pour satisfaire les besoins des travailleurs et des pauvres.

    L’étincelle de la révolution tunisienne a donné naissance à une flamme qui maintenant s’étend au monde arabe. Les évènements d’Egypte participant à ce processus, et il en ira ainsi jusqu’à ce que tous ces régimes pourris de la région soient renversés et que les ressources de la région seront utilisées pour mettre un terme à la pauvreté et à la répression de ces masses qui ont déjà souffert si longtemps.

  • Les tâches urgentes de la révolution tunisienne

    L’insurrection populaire de masse a forcé Ben Ali à quitter le pays

    La Tunisie d’aujourd’hui n’est pas le même pays que celui qu’elle était il y a à peine un mois. Le puissant mouvement de révolte des masses tunisiennes a balayé le dictateur, le Président Ben Ali, à la vitesse d’une tornade, preuve s’il en fallait de la rage qui s’est accumulée après des décennies de règne autoritaire. La peur de parler de politique, même en privé, a été remplacée par un gigantesque processus de bouillonnement politique ; nous assistons au début d’une révolution. Comme ils paraissent loin, les jours de la dictature “incontestée” de Ben Ali !

    Par Chahid Gashir, CIO

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    Pour en savoir plus:

    • Maghreb : La révolte Tunisienne s’étend en Algérie – Solidarité avec les masses Tunisiennes et Algériennes !
    • Révolte sans précédent en Tunisie – A bas le régime de Ben Ali !
    • Tunisie: Message de solidarité de Joe Higgins, député européen du CIO
    • Algérie: Arcelor Mittal connaît sa seconde grève à durée indéterminée de l’année! Juin 2010
    • Algérie : Révolte de masse et actions de grève continuent de secouer le pays Avril 2010
    • COURRIER des lecteurs: Elections en Tunisie – Quels enjeux et perspectives? Septembre 2009

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    La Tunisie qui, pendant des années, était louée par les analystes capitalistes et les pays impérialistes en tant que régime le plus stable de la région, décrit comme un “modèle de développement économique” il y a à peine un mois par le chef du FMI Dominique Strauss-Kahn, est maintenant parcourue de fissures. Ce paradis touristique, avec ses merveilleuses plages méditerranéennes, a révélé son vrai visage, et la violence utilisée pour écraser la véritable révolte de masse a montré le vrai caractère d’un des régimes les plus répressifs de la région.

    Le mouvement révolutionnaire qui s’est développé au cours du dernier mois en Tunisie est d’une importance historique pour les masses de l’ensemble du monde arabe et d’ailleurs. Au moment où dans la plupart des pays du monde on applique des politiques d’austérité et le cours des denrées alimentaires ne cesse de monter, affectant tout le monde, la Tunisie pourrait devenir un exemple à suivre pour les travailleurs et les jeunes du monde entier. Ce mouvement est le plus grand bouleversement qui ait ébranlé la dictature tunisienne au pouvoir depuis plus d’un quart de siècle, et sans doute le plus grand bouleversement de toute l’histoire du pays.

    Chacune des tentatives successives de Ben Ali dans le but de calmer la situation a lamentablement échoué. Le clan dirigeant de Ben Ali a définitivement perdu toute sorte de soutien populaire. Après avoir dissous le gouvernement tout entier, annoncé de nouvelles élections législatives dans les six mois, et décrété l’état d’urgence, le Président haï a fini par fuir le pays, tandis que les opposants étaient en train de déchirer en riant ses nombreux immenses portraits qui ornaient les façades de la capitale.

    Des ondes de choc dans toute la région

    La lutte épique des travailleurs et de la jeunesse tunisienne a créé une vague de panique parmi les régimes voisins, de même que parmi les gouvernements de leurs alliés occidentaux en Europe et aux États-Unis.

    Les commentaires du Président américain Barack Obama, qui applaudissait le « courage et la dignité du peuple tunisien », vont certainement laisser un gout amer aux nombreux Tunisiens qui ont combattu sans relâche leur gouvernement, celui-ci étant soutenu par les États-Unis. Obama ne fait bien entendu que célébrer un fait déjà accompli, dans l’espoir qu’il trouvera une conclusion pro-impérialiste. Lui et ses cohortes n’ont jamais pris aucune initiative pour critiquer les régimes amis ou vassaux ; c’est ainsi que Washington n’a pas dit le moindre mot au sujet du trucage flagrant des élections en Égypte à la fin de l’année passée.

    De la même manière, la réponse muette du gouvernement français quant aux protestations et à la répression dans son ancienne colonie nord-africaine a suscité un tollé parmi sa forte communauté maghrébine. La déclaration de la Ministre française des affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, qui proposait la coopération de la France avec le gouvernement tunisien afin de “rétablir la sécurité” – allant même jusqu’à souligner l’expérience et l’expertise de l’État français dans ce domaine – a une fois de plus révélé le véritable caractère de la politique extérieure française et l’embarrassement de sa classe dirigeante, qui perçoit une menace à ses investissements dans un de ses avants-postes dans la région.

    L’insurrection tunisienne a ouvert un nouveau chapitre de développements révolutionnaires dans le monde arabe, qui pourrait rapidement provoquer un effet domino à l’encontre des régimes dictatoriaux voisins. D’ailleurs comme par hasard, les gouvernements de Jordanie, du Maroc, d’Algérie et de Lybie ont tous mis en place au cours des dernières semaines des mesures pour diminuer les prix des denrées alimentaires, de peur de voir des développements similaires se produire dans leurs propres pays. « Chaque dirigeant arabe tourne vers la Tunisie son regard rempli de peur, tandis que chaque citoyen arabe se tourne vers la Tunisie rempli d’espoir et de solidarité », twittait un commentateur égyptien cité par le Guardian de Londres le 15 janvier.

    La révolte a commencé dans la petite ville de Sidi Bouzid à la mi-décembre pour se répandre comme un feu de brousse à l’ensemble du pays, et est allée bien plus loin que de simples revendications contre le chômage. Elle n’a montré aucun signe d’épuisement malgré tous les zigzags et toutes les manœuvres désespérées du régime Ben Ali dans sa lutte pour la survie. Le cycle de répression barbare opéré par la police sur ordre de la clique au pouvoir a selon les organisations des droits de l’Homme causé la morte de plus de 70 citoyens. Il a été rapporté que la police a tiré à balles réelles sur les cortèges funèbres en mémoire aux manifestants tués lors des jours précédents ; ceci montre bien jusqu’où était prêt à aller le régime afin de préserver son emprise sur le pouvoir. Une telle débauche de violence est typique d’un régime aux abois et dont la survie même est en danger ; cependant, cette violence n’a fait qu’encore plus enflammer la colère des travailleurs et des jeunes. La Tunisie n’est d’ailleurs pas un cas isolé à cet égard : c’est le cas dans de nombreuses parties du monde, où les actions de solidarité et les appels à la fin de la répression n’ont fait que croitre au cours de la dernière période.

    Les masses tunisiennes, ayant perdu toute crainte du régime de plus en plus isolé, se sont soulevées dans chaque recoin du pays. La capitale Tunis, le cœur économique du pays qui avait été épargnée lors des premières semaines du mouvement qui avait éclaté dans les provinces pauvres du centre et du sud du pays, a été atteinte de manière décisive par le mouvement à partir du mardi 11 . « On n’a pas peur, on n’a pas peur ! » clamaient ce jour-là les centaines de jeunes qui se soulevaient et attaquaient les bâtiments administratifs à Ettadem, un quartier pauvre de Tunis. En guise de réponse, le gouvernement a ordonné l’imposition d’un couvre-feu illimité de 20h à 5h30 du matin dans toute la capitale et a dans un premier temps déployé le soir même dans toute la ville des unités militaires accompagnés de véhicules blindés. Mais ces mesures se sont en général révélées inefficaces : des milliers de manifestants les ont courageusement défiées dès le premier soir. La peur a changé de camp, passant du côté de l’élite dirigeante.

    Les failles dans le camp du pouvoir

    Ces derniers jours, certains ministres et ex-ministres, ainsi que d’autres politiciens membres du parti présidentiel, le RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique), ont exprimé de plus en plus de critiques publiques à l’encontre de Ben Ali et sur la manière dont il avait répondu aux protestations ; ces divisions au sein du camp du pouvoir étaient le reflet de la pression qui venait d’en-bas. Certaines personnalités du régime cherchaient par-là à se positionner pour la période de l’“après Ben Ali” en misant sur le mouvement de masse. Certaines parties de l’élite dirigeante se sont de plus en plus apprêtées à se débarrasser de Ben Ali afin de préserver leurs propres intérêts, espérant ainsi apaiser la révolte des masses, de la même manière que l’on jette un os à un chien dans l’espoir de le calmer.

    Reflétant ces divisions croissantes, on a également fait état de tensions en train de se développer au sein de l’armée. Le chef de l’armée, le Général Rachid Ammar, a été démis de ses fonctions le dimanche 9 janvier pour avoir refusé de donner l’ordre aux soldats de réprimer les manifestations, et pour son attitude ouvertement critique sur l’usage “excessif” de la force contre les manifestants. De tels prises de position se sont multipliées, notamment parmi les soldats qui ont refusé d’ouvrir le feu sur leurs frères et sœurs de classe et qui dans certaines zones ont fraternisé avec les manifestants et les ont protégés de la police.

    C’est la raison pour laquelle l’armée a été retirée de Tunis jeudi soir pour y être remplacée par la police et d’autres forces de sécurité généralement considérées comme étant plus loyales au régime. Mais même certaines sections de la police ont été affectées par le mouvement de masse. Le New York Times a rapporté l’histoire de deux policiers qui ont dissuadé les manifestants enragés d’attaquer un commissariat à Tunis en leur suggérant d’aller plutôt saccager les luxueues villas de bord de mer de la famille du Président ! Un manifestant a commenté : « Les policiers sont pauvres tout comme nous. Ils ont dit, “Allez plutôt à leurs villas s’il vous plait, c’est plus logique” ».

    La révolution doit exploiter ces fissures au sein de l’appareil d’État, afin de renforcer ses propres forces. De fait, malgré le départ de Ben Ali, le vieil appareil d’État avec son immense machine de répression est resté essentiellement intact. En-dehors de l’armée, on estime qu’entre 80 000 et 120 000 personnes on été déployées par l’État tunisien pour assurer le contrôle de la population. Malgré le climat compréhensible d’euphorie qui vit après la fuite de Ben Ali, le processus révolutionnaire ne fait en réalité que commencer, et tous les dangers qui se pointent à l’horizon doivent être affrontés grâce à une politique correcte. Des forces réactionnaires incorrigibles, provenant de l’intérieur comme de l’extérieur de la machine d’État, pourraient tenter d’exploiter l’état de confusion générale afin de reprendre l’initiative, et d’organiser une violence sans merci contre les forces progressistes, les syndicalistes, les jeunes manifestants, etc.

    Pour faire face à une telle situation, un appel de classe doit être adressé aux troupes afin de les gagner à la cause de la révolution ; la création de véritables comités élus de soldats doit faire partie d’un tel processus, afin de purger l’armée des éléments réactionnaires et des personnes qui ont collaboré avec le vieux régime.

    On parle beaucoup de gangs de pillards qui s’attaquent aux habitations et aux magasins, incendiant des bâtiments et attaquant des gens. Il y a énormément de soupçons qui indiquent que ces gangs sont en fait composés de policiers, d’éléments des forces de sécurité et d’anciens criminels engagés par la clique de Ben Ali pour montrer que sans Ben Ali, “le chaos règne”, et pour tenter d’en faire porter la responsabilité aux manifestants pacifiques.

    D’un autre côté, le problème de “la loi et l’ordre” est utilisé par les autorités intérimaires pour tenter de justifier le maintien de l’état d’urgence et de la loi martiale, et pour imposer de grosses restrictions sur les libertés civiles. Ces deux aspects doivent recevoir une réponse par la formation de forces de défense ouvrières armées et gérées démocratiquement afin de protéger les quartiers, les citoyens et les manifestants contre la violence arbitraire, quelle qu’en soit l’origine. Il a été rapporté que des habitants de la cité côtière de Gammarth, dans le Nord, sont en train de s’organiser dans leur quartier pour se protéger contre les milices du régime. De telles initiatives doivent être prises partout, afin de garantir la sécurité contre toutes représailles de la part d’éléments réactionnaires.

    Les zigzags politiques de Ben Ali ne l’ont pas sauvé d’une fin honteuse

    Ben Ali, dans une tentative désespérée de gagner un certain répit, a viré mercredi son Ministre de l’Intérieur, Rafik Belhaj Kacem – le chef de la police tunisienne – en tentant de fournir aux masses un bouc-émissaire. Mais cette manœuvre, comme tous les précédents limogeages de ministres, a à peine satisfait la combativité et le désir de vengeance qui s’étaient développés parmi les masses tunisiennes. Ben Ali a alors plus mis l’accent sur la “carotte” que sur le “bâton”, allant d’une concession à l’autre.

    Son discours télévisé de jeudi soir, dans lequel il promettait de ne pas se représenter aux élections de 2014, ordonnait aux troupes d’arrêter de tirer à balles réelles sur les manifestants, annonçait la fin de la censure d’internet et la liberté totale des médias, plus de “pluralisme politique” et la réduction du prix du pain, du lait et du sucre, représentait un demi-tour complet par rapport à la politique qu’il avait adoptée précédemment. Mais les mesures n’ont pas permis d’arrêter la colère. Cette preuve flagrante de faiblesse de la part du régime n’a fait que renforcé la volonté et la confiance du mouvement, galvanisant le sentiment de ses propres forces, et ouvrant la porte pour que les actions de protestation déferlent dans une direction encore plus radicale. C’est ce qui a été illustré par la manifestation sans précédent de milliers d’opposants qui ont descendu l’avenue Bourguiba vendredi, en criant « Non à Ben Ali, la révolte se poursuit ! », « Ben Ali — assassin ! », « Ben Ali — dehors ! », « Go, go, go… game over ! », exigeant que Ben Ali quitte le pouvoir immédiatement.

    Il était clair que les concessions effectuées par Ben Ali n’étaient que des changements cosmétiques, proposés dans une tentative désespérée du gouvernement d’éviter que la lutte n’aille plus loin et ne menace les fondations même des intérêts capitalistes. De fait, bien que le départ de Ben Ali était devenue une des principales revendications du mouvement, derrière cet appel se trouvait d’instinct remis en question l’ensemble du système sur lequel reposait le pouvoir de Ben Ali, même si cela n’était pas formulé clairement.

    L’emprise étroite de Ben Ali et de sa famille, qui s’est retrouvée aux commandes de pans entiers de la richesse et des activités profitables du pays grâce à un savant mélange de corruption, d’extortion et autres pratiques mafieuses, est devenue le symbole du pouvoir arrogant et corrompu de la riche classe capitaliste tunisienne. « Non, non, aux Trabelsi qui ont pillé le budget ! » était un des slogans les plus populaires, visant Leila Trabelsi, la deuxième femme de Ben Ali, qui possède d’importants parts dans de nombreuses entreprises tunisiennes. « Il semble que la moitié des membres du monde des affaires tunisien possèdent une connection avec Ben Ali grâce à un mariage, et on dit que ce sont ces relations qui ont le plus contribué à leur fortune », écrivait un ambassadeur américain dans un des câbles diplomatiques publiés récemment par WikiLeaks. Il semble que certains membres de la famille de Ben Ali avaient déjà quitté le pays jeudi par peur des conséquences du mouvement révolutionnaire. C’était le cas par exemple de Mohamed Sakher El Materi, le beau-fils milliardaire de Ben Ali, qui s’était réfugié dans sa villa de luxe à Montréal au Québec.

    Quelles perspectives pour le mouvement ?

    La chute de Ben Ali est maintenant acquise mais, malheureusement, il n’y a jusqu’ici aucune force ouvrière indépendante capable de donner une direction à cette explosion spontanée pour indiquer l’étape suivante, et pour prendre des initiatives afin de faire triompher une révolution politique et sociale qui pourrait radicalement transformer la société tunisenne tout entière. Pour accomplir cela, il faut rompre avec le capitalisme et commencer à élaborer un plan de rénovation de la société selon des lignes socialistes, pour satisfaire aux intérêts de la majorité en instaurant une justice sociale, en résolvant le problème du chômage en donnant un emploi décent à tous, et en donnant libre cours aux aspirations longtemps réprimées en faveur de réels droits démocratiques.

    L’absence d’une direction armée d’un programme socialiste clair et capable d’expliquer quelles sont les prochaines étapes nécessaires pour faire progresser le mouvement pourrait avoir comme conséquence un reflux temporaire du mouvement. Le vide politique laisse ouverte la possibilité à toutes sortes de forces de venir exploiter la situation à leur propre avantage. Dans une telle situation, il n’est pas exclu d’assister à un coup d’État militaire justifiant son action par la nécessité d’un “grand nettoyage”. Un tel coup d’État pourrait même bénéficier d’un certain soutien populaire. D’un autre côté, certains dirigeants de l’opposition bourgeoise, qui avaient déjà tenté de qualifier le discours de Ben Ali d’“ouverture” de la part du gouvernement (le principal dirigeant de l’opposition, Najib Chebbi du Parti démocratique progressiste, a qualifié l’allocution présidentielle de « très bonne », tandis que Moustapha Ben Jaafar, le chef du Forum démocratique pour le travail et les libertés, a dit que le discours de Ben Ali « ouvrait des possibilités »), vont essayer de se mettre en avant et d’utiliser leur écartement de la vie politique pour préserver l’ordre ancien.

    Vendredi soir, après que le Premier Ministre Mohamed Ghannouchi ait déclaré prendre les commandes en tant que dirigeant parce que Ben Ali était « temporairement dans l’incapacité d’accomplir son devoir », il y a eu des rumeurs de protestations continues devant le Ministère de l’Intérieur, appelant à la démission immédiate de Ghannouchi. Par la suite, le Conseil constitutionnel a annoncé que le dirigeant de la chambre basse du Parlement, Fouad Mebazaa, serait le Président intérimaire. La Constitution requiert que de nouvelles élections présidentielles soient organisées dans les 60 jours à partir d’aujourd’hui. Ces gens sont en train de se préparer à poignarder dans le dos la lutte héroïque des masses ! Ghannouchi est un économiste qui a passé l’entièreté de sa carrière politique aux côtés du Président Ben Ali, tandis que Mebazaa fait lui aussi partie de la même élite politique corrompue. Comme l’a fait remarquer Youssef Gaigi, un militant tunisien cité par Al-Jazeera : «Les gens ne savent pas s’ils peuvent faire confiance à ce type, parce qu’il fait lui aussi partie de l’establishment. Il a fait partie du parti politique qui a dirigé la Tunisie pendant ces 23 dernières années, et il était fortement impliqué dans le précédent gouvernement, qui est maintenant appelé une dictature ».

    Les masses n’ont pas dépensé autant d’énergie, fait autant de sacrifices, versé autant de sang pour voir tout bêtement d’autres membres de l’élite dirigeante, étroitement associés à l’ancien régime, prendre la place de Ben Ali. Le premier jour après que le gouvernement Ben Ali se soit enfui, le gouvernement a déployé l’armée, la police et les services de sécurité dans les rues. Que cela serve d’avertissement aux travailleurs, aux chômeurs, aux jeunes et aux masses pauvres des régions urbaines et rurales. Officiellement c’était pour assurer “la loi et l’ordre”, mais tandis que la population laborieuse veut de l’ordre dans sa vie, ce n’est pas le but du gouvernement. “La loi et l’ordre” que désirent les associés de Ben Ali sont celles qui leur permettent de garder le contrôle. C’est pourquoi il est essentiel que la population s’organise et construise des organisations indépendantes de masse capables d’élaborer une stratégie révolutionnaire afin de sortir de l’impasse et d’éviter que la révolution ne soit volée par en-haut.

    Les travailleurs et les jeunes ne devraient accorder aucune confiance à aucune forme de repartage du pouvoir entre ces bandits pillards et meurtriers. Il ne faut pas permettre la persistance de l’appareil répressif de l’ancien régime, ni que le vieux gouvernement puisse rester au pouvoir. En ce qui concerne les appels à un “gouvernement d’unité nationale” – ce qui est de plus en plus suggéré par d’importantes couches des partis d’opposition –, cela n’aurait un sens que s’il s’agit d’un gouvernement d’unité de la classe ouvrière et de tous les opprimés, un gouvernement qui représente véritablement les masses en lutte, désireux de balayer l’ensemble de ceux qui ont participé au et profité du régime de Ben Ali, et qui s’oppose fermement à tout compromis avec l’ensemble des dirigeants capitalistes, qu’il s’agisse d’associés proches de Ben Ali ou pas. Toute autre forme d’“unité” reviendrait à la neutralisation du mouvement révolutionnaire et à ce que ce mouvement soit relégué au rang de force auxiliaire pour remplacer un clan d’oppresseurs par un autre. De vraies élections véritablement démocratiques peuvent être organisées sous le contrôle démocratique des travailleurs ; c’est là la seule manière d’empêcher les tentatives de récupérer la révolution par les partisans de l’ancien régime.

    Dans ce sens, la question de qui contrôle la richesse et les moyens de production du pays est devenue un des enjeux cruciaux auxquels est confronté le mouvement s’il veut résoudre la crise du chômage et de la misère. De fait, tant que les relations économiques demeureront sur une base capitaliste, orientée vers les profits de quelques-uns (qui que soient ces quelques-uns !), aucun changement fondamental et durable ne pourra être effectué dans les conditions de vie de la majorité. Seule la classe ouvrière organisée, en prenant le contrôle des secteurs-clés de l’économie, peut réaliser un tel changement.

    Une partie de la direction de la fédération syndicale UGTT (Union générale des travailleurs tunisiens) partage des relations amicales et de longue date avec la dictature ; par exemple, le secrétaire général de l’UGTT a réitéré son soutien à Ben Ali, seulement quelques jours avant sa chute. Malgré tout ceci, le syndicat a finalement été débordé par l’impact de la vague révolutionnaire sur ses 500 000 affiliés, et a donce été forcé à appeler à l’action. « Loyal au régime depuis la fin des années ’80, l’UGTT a soutenu la réelection du Président Ben Ali en 2009.Toutefois, son rôle depuis le début du mouvement le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid est plutôt différent. De nombreux débats ont tout d’abord été organisés à travers tout le pays dans les bâtiments des sections régionales, qui ont eu pour résultat à la fin de décembre que le secrétaire général de l’UGTT a menacé d’attaque en justice quiconque parmi ces membres participerait à de tels meetings. Le lendemain de Noël, le mouvement, qui reposait sur quelques branches dissidents du syndicat comme la poste ou l’enseignement primaire et secondaire, a graduellement gagné l’ensemble des branches du syndicat » (Mediapart, 12/01/2011).

    Cette semaine, de solides grèves générales de ville ont été organisées à Sfax, à Sousse, à Kasserine, et à Tunis. Dans la capitale, malgré l’appel des dirigeants syndicaux à ne pas manifester pendant la grève générale de deux heures de vendredi, beaucoup de syndicalistes ont défié ces ordres et sont quand même descendus dans les rues. Il est urgent que cette lutte pour balayer l’ancien régime soit étendue et coordonnée, y compris si nécessaire via une grève générale demandant le départ des associés de Ben Ali, les pleins droits démocratiques et un gouvernement des travailleurs et des pauvres. Pour cela, il faut la formation de comités démocratiquement contrôlés, élus par les travailleurs eux-mêmes dans les entreprises et dans les usines. De tels comités d’organisation doivent être mis sur pied dans les quartiers et dans les villages, afin de garantir que la lutte soit partout contrôlée par en-bas, et que chaque organisation politique puisse y défendre son point de vue et ses propositions en termes de suivi du mouvement actuel. De tels comités pourraient ensuite se coordonner les aux autres sur une base locale, régionale, et nationale, afin d’édifier les fondations d’un gouvernement des travailleurs et des pauvres.

    Un tel gouvernement – dans lequel chaque responsable élu ne gagnerait pas plus que le salaire d’un travailleur moyen, et serait soumis au droit de révocation à tout moment – pourrait confisquer les principales entreprises et banques qui sont toujours en ce moment aux mains des dirigeants mafieux, pour les placer sous le contrôle et la gestion démocratiques de la population laborieuse dans son ensemble. On jèterait par-là les bases pour commencer la reconstruction socialiste de la société, basée sur la planification démocratique de l’économie dans l’intérêt de tous. De telles mesures constitueraient un exemple éclatant, inspirant les masses de la région tout entière.

    Le CIO est pour la pleine reconnaissance des droits démocratiques, de la liberté d’expression, de la liberté d’association, de la liberté de presse et pour la fin immédiate de l’état d’urgence. Nous appelons à la libération immédiate de tous les prisonniers politiques en Tunisie et à la constitution de tribunaux ouvriers afin de juger les criminels, les assassins et les bourreaux qui sont toujours en maraude et qui occupent même d’importantes positions dans l’appareil d’État. L’avenir de la Tunisie ne doit pas être déterminé par un accord entre des éléments de l’ancien régime et les dirigeants de l’opposition pro-capitaliste ; au lieu de ça, il faut des élections transparentes et pleinement démocratiques pour une Assemblée constituante révolutionnaire, dans laquelle les représentants des travailleurs et des pauvres pourraient décider de l’avenir du pays.

    Nous appelons à l’organisation d’actions de solidarité avec la lutte tunisienne à l’échelle internationale. Des initiatives peuvent aider à structurer une campagne internationale afin de propager le soutien de manière active pour la révolution tunisienne en cours.

  • Commémoration, 50 ans après l’assassinat de Lumumba

    Hier s’est déroulée à Bruxelles une commémoration à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’assassinat de Patrice Lumumba, survenu le 17 janvier 1961. Lumumba, alors Premier Ministre de la jeune République du Congo, a été assassiné avec la complicité active des autorités belges et américaines. Cet évènement a marqué le début d’une répression féroce contre les forces populaires, ouvrières et paysannes conduisant à la dictature sanguinaire de Mobutu.

    Par Karim (Bruxelles)

  • 50 ans de l’assassinat de Patrice Lumumba, héro de l’indépendance du Congo

    Le 17 janvier 1961, Patrice Lumumba, Premier Ministre de la jeune République du Congo, était lâchement assassiné dans la brousse du Katanga ; soit seulement 6 mois après l’indépendance de l’ex colonie belge. Cet assassinat perpétré par le gouvernement fantoche du Katanga ‘‘indépendant’’ avec la complicité active des autorités belges et américaines marquait le début d’une répression féroce envers les forces populaires, ouvrières et paysannes qui avaient conquis l’indépendance de haute lutte conduisant à la dictature sanguinaire de Mobutu qui dura 35 années.

    D’un correspondant au Congo

    Patrice Lumumba était de la génération des leaders petit-bourgeois qui dirigèrent les luttes de libération nationale en Afrique au cours des années ’50, ’60 et ’70. Celui-ci faisait partie de la couche appelée de manière insultante les ‘‘évolués’’ par les autorités coloniales belges : il possédait un travail bien rémunéré pour un ‘‘nègre’’ et avait suivi une bonne instruction.

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    Pour en savoir plus:

    • 50 ans d’indépendance formelle de la RD Congo: Pour l’indépendance réelle et pour le socialisme !
    • DOSSIER : Le cauchemar d’être femme au Congo
    • La nouvelle alliance pro-impérialiste entre Kabila et Kagamé scellée avec le sang congolais.
    • RDC: Solidarité contre la répression des membres de Parlement Debout
    • Film : Katanga Business
    • Afrique : ou le socialisme, ou uen barbarie sans cesse plus grande

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    Comme bon sujet colonial et comme bon catéchiste, le rêve de Lumumba était lors de sa jeunesse d’être un belge. L’ironie voulait que le jeune Patrice ait pris au sérieux les mots d’ordre de ‘‘civilisation’’ propagés par les prêtres et fonctionnaires artisans de la colonie. Cependant, rapidement, il dut se rendre compte que ces mots d’ordre n’étaient qu’une mascarade et que les nègres n’étaient là que pour extraire les matières premières nécessaires aux capitalistes belges et servir de garde-chiourme pour les meilleurs d’entre eux. Il décida donc de s’engager dans la lutte anticoloniale afin de sortir ses ‘‘frères de race’’ de cet asservissement.

    Lumumba était de cette classe petite-bourgeoise : celle qui vogue entre deux eaux mais également celle qui sait s’appuyer sur les masses populaires ouvrière et paysannes pour conduire une lutte de libération nationale. C’est principalement sous l’effet de ces masses que la doctrine et l’action de Lumumba évoluèrent radicalement. Lorsqu’avec les masses descendirent dans la rue revendiquant l’indépendance immédiate, Lumumba n’eut de cesse de soutenir cette revendication ; lorsque cette indépendance fut conquise, il se bâti aux côté des masses en tant que Premier Ministre avec l’idée selon laquelle une indépendance de façade ne suffisait pas et que les richesses du pays devait profiter au peuple congolais contre les ingérences de l’ex colonie soucieuse de maintenir l’exploitation de ses entreprises malgré l’indépendance formelle ; enfin, il organisa la lutte armée de ses partisans regroupés à Stanleyville contre le Coup d’Etat de Mobutu téléguidé par Bruxelles et Washington.

    Cependant, Lumumba n’eut guère de temps pour tirer les leçons de ses erreurs. Si celui-ci était mû par une foi inébranlable dans le peuple congolais et la nécessité de l’indépendance réelle, il était également proie à un idéalisme qui frisait la naïveté : sa vision du peuple congolais comme un tout indivisible le poussa à accepter – sur pression de la Belgique – un gouvernement avec le "Parti des nègres payés" comme aimaient appeler les congolais ces leaders noirs qui n’avaient d’autres ambitions que de remplacer le blanc dans l’extorsion des richesses du peuple. Ce sont ces laquais de l’impérialisme qui ordonneront son assassinat vendant l’indépendance contre un poste ministériel et une place dans un Conseil d’administration d’une multinationale belge ou américaine.

    Lumumba ne comprit que quelques semaines avant ce triste sort qu’il ne pouvait s’appuyer que sur l’action coordonnée des masses ouvrières et paysannes afin de conquérir l’indépendance réelle.

    Il ne comprit que tardivement également que l’indépendance réelle et le bénéfice des richesses du pays à son peuple ne pouvait passer que par la prise en main de ses richesses par les masses elles-mêmes et que jamais les impérialistes ne permettraient qu’une part, même infime, de cette richesse de leur échappe.

    Le 17 mai 2011, la voix de Lumumba, héro de la première indépendance du Congo résonnera dans le cœur de chaque congolais. Nous espérons qu’à partir d’aujourd’hui, les ouvriers et paysans du Congo lutteront afin de "reconstruire notre indépendance et notre souveraineté ; parce que sans dignité il n’y a pas de liberté ; sans justice il n’y pas de dignité et sans indépendance il n’y a pas d’hommes libres." en tenant compte des erreurs de Lumumba et en s’inspirant de sa foi inébranlable et de sa détermination sans faille.

    Nous savons que cette lutte triomphera et que "L’histoire prononcera un jour son jugement, mais ce ne sera pas l’histoire qu’on enseignera à Bruxelles, à paris, à Washington ou aux Nations Unie ; ce sera celle qu’on enseignera dans les pays affranchis du colonialisme et de ses fantoches. L’Afrique écrira sa propre histoire et elle sera, au Nord et au Sud du Sahara, une histoire de gloire et de dignité"


    NB : les deux citations sont tirées du testament que Patrice Lumumba laissa à sa compagne, sachant sa fin proche.

  • [PHOTOS] Actions de solidarité avec l’insurrection tunisienne à Bruxelles

    Hier, des actions de solidarités avec la révolte des masses en Tunisie se sont déroulées à Bruxelles et à Gand. Le mouvement massif de protestation des masses tunisiennes est parvenu à mettre fin au règne du président-dictateur Ben Ali, au pouvoir depuis 23 ans. Les récents évènements de Tunisie illustrent le pouvoir de la protestation et mettent brillament en avant la force qui réside dans un mouvement de masse afin de parvenir à des changements. Cela ne suffira toutefois pas pour en finir avec la clique corrompue et éviter qu’elle ne soit simplement échangée contre une autre. Le changement crucial dont il doit être question est un changement beaucoup plus fondamental et nécessite de rompre avec le capitalisme et l’impérialisme.

    Par karim et françois (Bruxelles)


    • Maghreb : La révolte Tunisienne s’étend en Algérie – Solidarité avec les masses Tunisiennes et Algériennes !
    • Révolte sans précédent en Tunisie – A bas le régime de Ben Ali !
    • Tunisie: Message de solidarité de Joe Higgins, député européen du CIO
    • Algérie: Arcelor Mittal connaît sa seconde grève à durée indéterminée de l’année! Juin 2010
    • Algérie : Révolte de masse et actions de grève continuent de secouer le pays Avril 2010
    • COURRIER des lecteurs: Elections en Tunisie – Quels enjeux et perspectives? Septembre 2009

  • [PHOTOS] Actions de solidarité avec l’insurrection tunisienne à Bruxelles (2)

    Hier, des actions de solidarités avec la révolte des masses en Tunisie se sont déroulées à Bruxelles et à Gand. Le mouvement massif de protestation des masses tunisiennes est parvenu à mettre fin au règne du président-dictateur Ben Ali, au pouvoir depuis 23 ans. Les récents évènements de Tunisie illustrent le pouvoir de la protestation et mettent brillament en avant la force qui réside dans un mouvement de masse afin de parvenir à des changements. Cela ne suffira toutefois pas pour en finir avec la clique corrompue et éviter qu’elle ne soit simplement échangée contre une autre. Le changement crucial dont il doit être question est un changement beaucoup plus fondamental et nécessite de rompre avec le capitalisme et l’impérialisme.

    Par Boris (Bruxelles)


    • Maghreb : La révolte Tunisienne s’étend en Algérie – Solidarité avec les masses Tunisiennes et Algériennes !
    • Révolte sans précédent en Tunisie – A bas le régime de Ben Ali !
    • Tunisie: Message de solidarité de Joe Higgins, député européen du CIO
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  • Niger : Enlèvements en plein centre de Niamey – Terrorisme au Sahel : ça doit cesser !

    L’enlèvement et la mort de deux jeunes Français le week-end dernier au Niger révèle l’ampleur de l’arrogance de l’élite impérialiste française

    Vendredi soir, le 7 janvier, deux amis, Antoine de Léocour, et Vincent Delory, prenaient tranquillement leur verre au maquis Le Toulousain, en plein centre de Niamey, lorsqu’ont fait irruption quatre hommes armés qui leur ont ordonné de les suivre. Moins de 24 heures plus tard, les deux jeunes hommes trouvaient la mort dans la steppe malienne au terme d’une course-poursuite digne des plus lourdingues des films d’action.

    Au départ, on avait cru qu’il s’agissait d’un règlement de compte de la part d’un prétendant jaloux, vu qu’Antoine s’apprêtait à se marier avec une Nigérienne, raison pour laquelle son ami Vincent venait d’arriver au Niger, pas même deux heures auparavant, pour lui servir de témoin. Qui pouvait croire à une prise d’otage ? En plein centre de Niamey, cela ne s’était encore jamais vu. En plus, le même soir, dans le même maquis, étaient présents des poissons autrement plus juteux : le chef de la coopération espagnole, le directeur d’Oxfam, etc. tous témoins de l’enlèvement.

    Pourtant, sitôt les premiers accrochages armés pendant la nuit au niveau d’un barrage routier, il a fallu se résoudre au fait que oui, il semblait bien que l’on avait à faire à un enlèvement d’otages par AQMI (al-Qaïda au Maghreb islamique). La course-poursuite entre l’armée nigérienne et les ravisseurs s’est poursuivie toute la nuit et le lendemain, passé la frontière malienne. C’est là qu’est intervenue l’aviation française, mettant un terme sanglant à l’aventure.

    Pourquoi est-ce justement ces deux jeunes Français (âgés de 25 ans), dont l’un n’avait jamais mis les pieds au Niger auparavant, qui ont été enlevés ? La faute à pas de chance. Cette aventure a révélé la barbarie profonde des terroristes d’AQMI. AQMI jusqu’ici ne s’attaquait qu’au personnel de la société minière Areva, qui exploite les gisements d’uranium dans le nord du Niger qui fournissent à la France un tiers (!) de sa production d’électricité totale. Cela avait permis aux soi-disant “moudjahidines” de se doter d’un certain soutien en tant que “combattants anti-impérialistes” (en particulier de la part de la population locale majoritairement touarègue, qui soufre de la pollution radioactive), puisqu’ils allaient même jusqu’à revendiquer la nationalisation des mines. Ce soutien leur a permis de se constituer un vaste réseau d’informateurs et de ravitaillement, masquant leurs pratiques mafieuses de trafic de drogue et d’armes passant par les routes du désert.

    Mais ce week-end, ils se sont attaqués à une toute autre cible : deux jeunes Français choisis purement au hasard. Les guérilleros d’AQMI sont tout bonnement rentrés dans un endroit où ils savaient qu’ils allaient trouver des Blancs, en ont chopé un au hasard (Vincent), qui a été suivi par son ami Antoine, et sont partis avec. C’est-à-dire que n’importe qui peut être ciblé. Donc que tous les blancs au Niger sont ciblés (reste à voir si AQMI s’en prendrait aussi aux non-Français, mais c’est probable). AQMI a également envoyé un pied de nez à la junte militaire au pouvoir, en opérant dans un café se trouvant à peine à 300 m de la Présidence ! Donc, tous les blancs sont ciblés, partout au Niger. Voire partout au Sahel, vu que cet enlèvement fait suite à une tentative d’attentat à la bombe à Bamako, capitale du Mali, pas même une semaine auparavant – une grande première également.

    À l’annonce de la mort de ces deux innocents, les premières réactions pour les Nigériens ont été une grande tristesse et une grande inquiétude pour l’avenir. La situation se dégrade. Cela est confirmé par exemple par la liste de l’International Crime Threat Assessment rédigée par les États-Unis : en 2000, aucun pays du Sahel ne figurait sur cette liste ; en 2010, tous les pays de zone sahélo-saharienne étaient, à un degré ou à un autre, touchés par la criminalité transnationale et le terrorisme. Les Nigériens sont un peuple en général fier de son hospitalité et de sa non-violence – surtout quand on compare la situation dans le pays par rapport à ce qui se passe quotidiennement au Nigéria voisin. En plus, le départ précipité de l’ensemble des blancs présents au Niger aurait une répercussion certaine sur l’ensemble du commerce et de l’emploi (vu le nombre d’ONG occidentales qui emploient énormément de personnel nigérien, cadres comme petit personnel). D’ailleurs, le couvre-feu imposé dès 19h à l’ensemble de la population blanche du Niger commence déjà certainement à avoir un effet.

    Même au-delà de ça, à partir du moment où l’ensemble du territoire nigérien devient “zone rouge”, quid du tourisme ? L’économie de la région d’Agadez (centre de la culture touarègue au Niger, dans une région de grande beauté naturelle et qui accueillait beaucoup de visiteurs chaque année) est déjà dévastée, la plupart des artisans touaregs se sont repliés à Niamey… – où aller maintenant ?

    Mais au fil de la semaine, la tristesse a fait place à l’incompréhension puis à la colère et à l’indignation.

    L’incompréhension d’abord, parce que les communiqués émis par l’armée française sont en contradiction flagrante avec ceux de l’armée nigérienne. Notamment concernant le nombre de pertes des deux camps, la capture ou non de terroristes par les forces nigériennes pour interrogatoire, la présence inexpliquée de gendarmes nigériens qui apparemment accompagnaient les terroristes, et évidemment, les circonstances du décès des deux malheureux otages.

    La colère ensuite, parce que si les médias français comme nigériens se sont longuement étalés sur l’identité des deux otages, sur leur vie, leur famille, etc. avec photographies, grandes déclarations du Ministre de la défense Alain Juppé et organisation d’une marche blanche dans leur ville natale, absolument rien n’est dit concernant les trois gendarmes nigériens tués dans l’aventure (le Capitaine Aboubacar Amankaye, le maréchal des logis Abdallah Aboubacar et le gendarme de 1ère classe Abdou Alfari ). Il a fallu attendre l’édition du journal gouvernemental le Sahel du 12 janvier pour avoir leurs noms, accompagnée d’une photo en noir et blanc d’un brancard recouvert d’un drap – on suppose que l’un d’entre eux se trouve en-dessous. D’ailleurs, l’ensemble de la presse nigérienne semble n’avoir eu que faire de l’événement, toute concentrée qu’elle était sur l’organisation des élections communales et régionales du 11 janvier. Les seules informations provenaient des chaines françaises. Pas un merci, rien. Tout cela a contribué à donner l’idée que la vie de deux Français vaut plus que celle de trois Nigériens. Eh quoi, on n’est pas des êtres humains ou bien ?

    L’indignation enfin, parce qu’il semble de plus en plus se confirmer qu’alors que les soldats nigériens étaient tout proches des terroristes, l’aviation française a ouvert le feu sans même en aviser ses alliés (ou laquais ?) nigériens. L’autopsie des corps de Vincent et Antoine a révélé que l’un est mort d’une balle dans le visage tirée à bout portant (vraisemblablement de la part d’un des terroristes qui, voyant leur opération échoué, s’est vengé sur les otages), l’autre de brulures graves – il serait donc apparemment décédé dans l’incendie du véhicule des terroristes après que celui-ci ait essuyé les tirs français. Vincent et Antoine auraient donc été sacrifiés par leur propre gouvernement. De même que certains soldats nigériens qui, il le semble, se sont vus eux aussi canardés par l’aviation française.

    La revendication de l’enlèvement par les chefs d’AQMI a encore plus retourné le couteau dans la plaie : ceux-ci, loin de se désoler de la perte de leurs hommes et de leur matériel, et de l’échec de leur mission de prise d’otages, se félicitent au contraire d’avoir infligé plus de pertes à l’ennemi que leurs propres pertes (ils parlent de 25 blessés et tués nigériens), et d’avoir semé le désordre entre les états-majors français et nigériens.

    En réalité, il semble à présent que, alors qu’AQMI aurait pu se voir discrédité par cette manœuvre à l’arbitraire répugnant, cette organisation ait été dépassée en barbarie par l’armée française elle-même. L’armée française, en voulant régler cette affaire elle-même et de la manière la plus musclée possible («Ne rien faire, c’est donner un signal que la France ne se bat plus contre le terrorisme», Alain Juppé), a en réalité contribué à miner encore un peu plus sa propre réputation.

    Beaucoup de Nigériens sont aujourd’hui scandalisés du fait que ce soit à nos compatriotes de payer pour des histoires qui, finalement, “ne nous concernent pas”, et qu’en plus, il semble que le chef actuel de l’État, le dictateur débonnaire Salou Djibo, ait donné son accord à l’intervention française. Ce “grand patriote” se retrouve donc quelque peu compromis dans cette affaire.

    Le terrorisme, fruit de l’impérialisme

    Les vrais responsables de la situation d’insécurité croissante sont les Sarkozy et les Juppé, mais au-delà des exactions d’un gouvernement, c’est l’ensemble de la classe dirigeante impérialiste française qui est responsable de cette affaire, les Lauvergeon et Co, patrons des mines d’uranium qui irradient la nature, le bétail et la population du Sahara pour tirer un immense profit, sans rien donner en retour au pays à qui appartiennent les richesses exploitées, à part des cacahouètes.

    Avec leurs amis spéculateurs et du FMI, ils ont contraints à la faillite et à la misère l’ensemble du continent africain. Aujourd’hui encore, ils manipulent la politique de leurs anciennes colonies en soutenant tel dictateur par-ci (comme Ben Ali en Tunisie), tel président soi-disant élu par-là (comme Ouattara en Côte d’Ivoire). La démocratie ? Seulement quand ça les arrange ! Dès qu’un président ose se dresser contre eux, on le renverse ou on l’assassine. Au-delà de ça, ils corrompent les élites nationales qui sont réduites au rang de bourgeoisie compradore purement parasitaire.

    Il n’y a en ce moment au Niger aucun parti des travailleurs digne de ce nom, qui pourrait servir de relais aux justes revendications du peuple nigérien. C’est d’ailleurs aussi le cas au Mali et en Algérie. Cela crée un vide politique, c’est-à-dire que toute cette colère face au pillage en bonne et due forme des richesses du pays et face à la corruption des élites nationales se retrouve sans aucun outil de lutte politique pour canaliser cette colère en quelque chose de constructif. De même en ce qui concerne les justes revendications nationales du peuple touareg. Et donc, ce vide politique est petit à petit en train d’être occupé par les organisations islamistes réactionnaires, qui sont perçues par les masses comme étant les seules à oser se dresser contre la domination de l’impérialisme, les seules à donner une réponse à l’aliénation des masses. C’est un réel danger. Les islamistes n’ont rien d’autre à offrir que la barbarie. Il faut tout faire pour éviter que la peste islamiste ne se répande au Niger ou au Mali, comme elle s’est répandue en Somalie, au Yémen et au Pakistan.

    Mais les élites corrompues de France et d’Afrique n’offrent aucune solution à part le massacre d’innocents, qui ne fait que renforcer ces organisations qu’elles disent vouloir combattre.

    Travailleurs français comme nigériens : contre l’impérialisme !

    Au cours de son Quatrième Congrès en 1922, l’Internationale Communiste déclarait déjà dans ses “Thèses sur la question nègre” que «l’ennemi de la race nègre est aussi celui des travailleurs blancs. Cet ennemi, c’est le capitalisme, l’impérialisme. La lutte internationale de la race nègre est une lutte contre le capitalisme et l’impérialisme.» Et un peu plus loin : «Le peuple nègre n’est pas le seul à souffrir de l’oppression du capitalisme et de l’impérialisme : les ouvriers et les paysans d’Europe, d’Asie et d’Amérique, sont aussi les victimes de l’impérialisme ; la lutte contre l’impérialisme n’est pas la lutte d’un seul peuple, mais de tous les peuples du monde».

    Ces thèses ont été illustrées le week-end dernier par le mépris avec lequel le gouvernement français a traité la vie des deux jeunes Français, n’hésitant pas à ouvrir le feu. Le prestige de la France avant tout. Il fallait “donner une bonne leçon aux terroristes”, montrer que “c’est nous qu’on est les plus forts” (on pourrait même croire qu’ils ne voulaient pas que l’armée nigérienne leur vole la vedette en arrêtant elle-même les terroristes).

    Un internaute, commentant la situation sur le site TamTam info, disait aussi ceci : «On sait, pour parler d’une autre affaire, que Florent Lemaçon avait été tué sur son bateau par des tirs “amis” (on dit aussi “tirs fratricides”) c’est-a-dire par ses compatriotes français et non par les pirates somaliens. De même, l’humanitaire français de 78 ans, Michel Germaneau est mort parce qu’il ne pouvait plus prendre ses médicaments (il était cardiaque) et non pas par la faute de ses ravisseurs “parce qu’ils voulaient se venger” comme on a voulu nous faire croire.» Avant de conclure : «Désinformation ou mépris ? Les deux».

    Mais à quoi s’attendre d’autre quand on voit le mépris ouvert avec lequel l’élite française, regroupée autour de son président Sarkozy, traite au quotidien la vie de ses concitoyens en France même ? Ce gouvernement qui est sourd aux aspirations de son peuple, qui passe sa réforme des pensions malgré des journées d’action regroupant des millions de Français, qui attaque les fonctionnaires, qui privatise les chemins de fer, la poste, l’électricité, tout en arrosant de milliards d’euro ses amis banquiers. Un gouvernement qui envoie l’armée faire dégager des grévistes ! Qui au moindre problème, cherche à dévier l’attention en inventant de faux débats comme la question des Roms, le port du voile, bref, qui se cherche des bouc-émissaires pour masquer sa propre politique mafieuse.

    L’État français se fait de plus en plus musclé, en France comme dans ses anciennes colonies. Il est urgent que le peuple africain arrête de considérer tous les Français comme des envahisseurs, mais considère au contraire les travailleurs français comme des alliés potentiels dans la lutte contre la détestable et criminelle élite française.

    Combler le vide politique, construire un mouvement de lutte

    Pour lutter contre le terrorisme et l’impérialisme, il est urgent de construire un mouvement populaire large et démocratique, qui regroupe l’ensemble des ouvriers et des employés, et des représentants des petits commerçants, des artisans, des chauffeurs de taxi, des étudiants et des jeunes en galère, des éleveurs, des agriculteurs, des pêcheurs du bord du fleuve… et des pauvres en général, pour organiser et diriger la lutte contre le gouvernement nigérien pro-impérialiste actuel, comme celui qui va sortir des urnes. Ce mouvement pourrait prendre une forme similaire à celle de la Coalition de la société civile (Lasco) au Nigéria, et devrait se doter d’un parti politique.

    Ce mouvement devrait être armé d’un programme socialiste et internationalise, appelant à la (re)nationalisation, mais sous contrôle des travailleurs, des secteurs-clés de l’économie, comme l’ensemble des mines d’uranium et d’or, des champs pétroliers, des banques, et des services publics comme les télécommunications, l’eau, etc. afin de mettre en commun l’ensemble des ressources du pays pour un plan de développement socialiste du pays basé sur les aspirations de comités populaires élus et armés dans chaque quartier, village, etc. et avec une attention particulière sur la question touarègue.

    Enfin, le Niger ne se développera pas seul, et la tentation serait grande pour l’impérialisme d’envoyer ses escadrons de la mort semer la terreur et assassiner les leaders de ce mouvement populaire. C’est pourquoi nous prônons l’organisation de ce mouvement à une échelle internationale, dans toute l’Afrique de l’Ouest, dans toute l’Afrique, et au niveau mondial, avec notamment des liens forts et fraternels avec le peuple travailleur français en lutte contre son élite dirigeante.

    C’est ainsi seulement que l’on pourra une bonne fois pour touts couper l’herbe sous les pieds des terroristes et des islamistes, et enfin assurer un développement et une paix durables au Niger et en Afrique.

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