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  • THEORIE : Quelle réponse face à la crise? Léon Trotsky à propos du plan De Man

    Nous publions ici une critique écrite par le révolutionnaire Léon Trotsky concernant le plan du travail de Henri De Man, qui a concerné notre pays dans les années ’30. “Le plan De Man” visait à sortir l’industrie de la crise tout en restant dans le cadre du capitalisme. Les mesures de ce plan allaient assez loin, avec entre autres la proposition de nationaliser une grande partie de l’économie (et notamment le secteur du crédit) et avec une plus grande régulation des banques. Le plan De Man a disparu de la scène suite à la polarisation qui a précédé la Seconde Guerre Mondiale – De Man finissant même par rejoindre le camp de l’occupant – mais les questions qu’il soulevait restent d’actualité. En 1934, Trotsky avait écrit une lettre aux marxistes belges pour leur conseiller une approche face à ce plan.

    Ce texte est tiré du site www.marxists.org


    Camarades,

    Inutile de vous dire que, ces derniers jours, j’ai étudié avec la plus grande attention les journaux, revues, procès-verbaux et lettre que vous avez envoyés [1]. Grâce à un excellent choix de matériel, j’ai pu en relativement peu de temps être informé sur l’ensemble de la question et sur l’essentiel des divergences qui se sont dans notre organisation. Le caractère strictement principiel de votre discussion, dénuée de toute outrance personnelle, donne l’impression la plus favorable quant à l’état d’esprit et son niveau moral et politique. Il me reste à souhaiter de tout cœur que cet état d’esprit soit non seulement préservé et renforcé dans la section belge, mais qu’il en arrive à prévaloir dans nos sections sans exception.

    Les remarques que je souhaite faire sur la question en discussion elle-même ne peuvent prétendre être complètes. Je suis éloigné du théâtre de l’action. Des facteurs aussi importants que l’état d’esprit des masses ne peuvent être appréhendés à travers seulement des rapports de presse et des documents ; il faut prendre le pouls des réunions ouvrières, ce qui est, hélas, hors de ma portée. Cependant, dans la mesure où il s’agit de faire des suggestions sur le terrain des principes, la position d’un observateur de l’extérieur peut avoir peut-être certains avantages, puisqu’elle lui permet de se dégager des détails et de se concentrer sur l’essentiel.

    Je dois en venir maintenant au sujet lui-même.

    D’abord – et je considère que c’est la question centrale – je ne vois aucune raison pour que vous retiriez votre mot d’ordre « Le parti ouvrier belge au pouvoir ! » [2]. Quand nous avons pour la première fois lancé ce mot d’ordre, nous avions pleine conscience du caractère de la social-­démocratie belge, qui ne veut pas se battre et ne sait pas se battre, et qui, pendant plusieurs décennies, a joué le rôle d’un frein de la bourgeoisie sur la locomotive prolétarienne, qui a peur du pouvoir en dehors d’une coalition, car elle a besoin d’alliés bourgeois pour pouvoir refuser les revendications des ouvriers.

    Nous savons tout cela. Mais nous savons également que non seulement le régime capitaliste dans son ensemble, mais aussi son appareil parlementaire d’Etat, sont entrés dans une période de crise aiguë qui porte en elle la possibilité de modifications (relativement) rapides de l’état d’esprit des masses, comme celle d’une succession rapide de combinaisons parlementaires et gouvernementales. Si l’on prend en considération le fait que la social-démocratie belge, avec les syndicats réformistes, domine totalement le prolétariat, que la section belge du Comintern est tout à fait insignifiante [3] et l’aile révolutionnaire très faible, il devient clair que l’ensemble de la situation politique doit suggérer au prolétariat l’idée d’un gouvernement social-démocrate.

    Nous avons auparavant estimé que la réalisation d’un tel gouvernement constituerait incontestablement un pas en avant. Non bien entendu dans le sens que le gouvernement des Vandervelde, De Man et compagnie serait capable de jouer quelque rôle positif que ce soit dans le remplacement du capitalisme par le socialisme, mais dans ce sens que, dans les conditions données, l’expérience d’un gouvernement social­-démocrate serait d’une importance positive pour le développement révolutionnaire du prolétariat. Le mot d’ordre de gouvernement social-­démocrate est ainsi calculé non pour quelque conjoncture exceptionnelle, mais pour une période politique plus ou moins longue. Nous ne pourrions abandonner ce mot d’ordre que si la social-démocratie – avant son arrivée au pouvoir – commençait à s’affaiblir considérablement, à perdre son influence au profit d’un parti révolutionnaire ; mais aujourd’hui, hélas, une telle perspective est purement théorique. Ni la situation politique générale, ni le rapport des forces à l’intérieur du prolétariat ne permettent de retirer le mot d’ordre du « pouvoir à la social­-démocratie ».

    Le plan de De Man, emphatiquement appelé le « Plan du Travail » (il serait plus juste de l’appeler « Plan pour abuser les travailleurs »), ne peut certainement pas nous conduire à abandonner le mot d’ordre politique central de cette période. Le « Plan du Travail » sera un instrument nouveau – ou rénové – du conservatisme bourgeois-­démocratique (ou même semi-démocratique). Mais toute l’affaire réside en ce que l’extrême acuité de la situation, l’imminence des dangers qui menacent l’existence de la social-démocratie elle-même, la forcent, contre sa propre volonté, à s’emparer de cette arme à double tranchant, aussi peu sûre qu’elle soit du point de vue du conservatisme démocratique.

    L’équilibre dynamique du capitalisme est à jamais détruit ; celui du système parlementaire est en train de craquer et de crouler. Et finalement – c’est un maillon de la même chaîne – l’équilibre conservateur du réformisme, forcé de dénoncer publiquement le régime bourgeois pour pouvoir le sauver, commence à être ébranlé. Une telle situation est riche de grandes possibilités révolutionnaires – ainsi que de dangers. Nous ne devons pas retirer le mot d’ordre « le pouvoir à la social-démocratie », mais, au contraire, lui donner un caractère d’autant plus militant et tranchant.

    Entre nous, il n’est pas nécessaire de dire que ce mot d’ordre ne doit pas comporter une ombre d’hypocrisie, de faux-semblant, d’atténuation des contradictions, de diplomatie, de confiance, prétendue ou réelle. Que les social-démocrates de gauche se servent du beurre et du miel, dans l’esprit de Spaak [4]. Nous utiliserons, comme avant, le vinaigre et le poivre.

    Dans le matériel qui m’a été envoyé est exprimée l’idée que les masses ouvrières sont absolument indifférentes au « Plan du Travail » et, de façon générale, sont en état de dépression, et que, dans ces conditions, le mot d’ordre du « pouvoir aux social-démocrates » ne peut qu’engendrer des illusions et provoquer ultérieurement la déception. Incapable, d’ici, de me faire une idée claire de l’état d’esprit des différentes couches et groupes du prolétariat belge, j’admets pleinement cependant la possibilité d’un certain épuisement nerveux et d’une certaine passivité des ouvriers. Mais, tout d’abord, cet état d’esprit n’est pas définitif ; il est sans doute plus proche de l’expectative que du désespoir. Aucun d’entre nous ne pense, bien entendu, que le prolétariat belge soit déjà incapable de lutter dans les années qui viennent. Il y a, à l’intérieur du prolétariat, de nombreux courants d’amertume, de haine et de ressentiment, et ils cherchent une issue. Pour échapper à la ruine, la social-démocratie a besoin d’un certain mouvement des ouvriers. Elle doit faire peur à la bourgeoisie pour la rendre plus agréable. Elle est certainement mortellement effrayée à l’idée que ce mouvement puisse lui passer par­-dessus la tête. Mais, avec l’insignifiance absolue du Comintern, la faiblesse des groupes révolutionnaires, et sous l’impression toute fraîche de l’expérience allemande, la social‑démocratie attend le danger immédiat, non de la gauche, mais de la droite. Sans ces préconditions, le mot d’ordre du « pouvoir à la social-démocratie » n’aurait pas de sens.

    Aucun d’entre nous n’a jamais douté que le « plan » De Man et l’agitation de la social-démocratie autour de lui sèmeraient des illusions et provoqueraient des déceptions. Mais la social­-démocratie, avec son influence sur le prolétariat et son plan, avec son congrès de Noël et son agitation, sont des faits objectifs : nous ne pouvons ni les supprimer, ni passer par-dessus. Notre tâche est double : d’abord, expliquer aux ouvriers d’avant-garde la signification politique du « plan », c’est-à-dire dévoiler les manœuvres de la social-démocratie à toutes les étapes ; deuxième­ment, démontrer en pratique à des cercles ouvriers, plus larges si possible, que, dans la mesure où la bourgeoisie essaie de placer des obstacles à la réalisation du plan, nous combattons la main dans la main avec les ouvriers pour les aider à faire cette expérience.

    Nous partageons les difficultés de la lutte, mais pas les illusions. Notre critique des illusions ne doit pas cependant accroître la pas­sivité des ouvriers et leur fournir une justification pseudo-­théorique, mais, au contraire, les pousser en avant [5]. Dans ces conditions, l’inévitable déception, à cause du « Plan du Travail », ne signifiera pas l’accroissement de la passivité, mais au contraire le passage des ouvriers vers la voie révolutionnaire.

    Je consacrerai dans les prochains jours un article particulier au « plan » lui-même. Du fait de l’urgence de cette lettre, je suis contraint de me limiter ici à quelques mots sur ce sujet. D’abord je considère qu’il est faux de lier le « plan » à la politique économique du fascisme [6]. Dans la mesure où le fascisme met en avant – avant la prise du pouvoir – le mot d’ordre de nationalisation en tant que moyen de lutter contre le « super-capitalisme », il ne fait que piller la phraséologie du programme socialiste. Il y a dans le plan De Man – avec le caractère bourgeois de la social-démocratie – un programme de capitalisme d’État que la social-démocratie elle-même fait passer pour le début du socialisme, et qui peut réellement devenir le début du socialisme, en dépit de, et contre l’opposition de la social-démocratie.

    Dans les limites du programme économique (« Plan du Travail »), nous devons, à mon avis, mettre en avant les trois points suivants :

    1. Sur le rachat. Si l’on prend la question d’un point de vue abstrait, la révolution socialiste n’exclut aucune espèce de rachat de la propriété capitaliste. A une époque, Marx exprimait l’idée qu’il serait bon de « rembourser cette bande » (les capitalistes). Avant la guerre mondiale, c’était encore plus ou moins possible. Mais, si l’on prend en considération l’actuel bouleversement du système économique national et mondial et la paupérisation des masses, on voit que l’indemnisation constitue une opération ruineuse qui ferait porter au régime dès le début un fardeau absolument intolérable. On peut et on doit montrer ce fait à tous les ouvriers, chiffres en main.
    2. En même temps que l’expropriation sans indemnité, nous devons mettre en avant le mot d’ordre du contrôle ouvrier. Quoi qu’en dise De Man, nationalisation et contrôle ouvrier ne s’excluent pas du tout l’un l’autre. Même si le gouvernement était tout à fait à gauche et animé des meilleures intentions, nous serions pour le contrôle des ouvriers sur l’industrie et le commerce ; nous ne voulons pas d’une administration bureaucratique de l’industrie nationalisée ; nous exigeons la participation directe des ouvriers eux-mêmes au contrôle et à l’administration par les comités d’entreprise, les syndicats, etc. C’est seulement de cette façon que l’on peut poser les fondations de la dictature prolétarienne dans l’économie.
    3. Le « plan » ne dit rien sur la propriété terrienne en tant que telle. Là, il nous faut un mot d’ordre adapté aux ouvriers agricoles et aux paysans les plus pauvres. J’essaierai de traiter à part de cette question.

    Il faut maintenant en venir au côté politique du « plan ». Deux questions sont naturellement au premier plan ici : 1) la méthode de lutte pour la réalisation du « plan » (en particulier la question de la légalité et de l’illégalité), et 2) l’attitude vis-à-vis de la petite bourgeoisie des villes et des villages.

    Dans son discours programmatique publié dans l’organe des syndicats, De Man repousse catégoriquement la lutte révolutionnaire (grève générale et insurrection). Peut-on attendre autre chose de ces gens ? Quelles que soient les réserves individuelles ou les modifications destinées surtout à consoler les jobards de gauche, la position officielle du parti demeure celle du crétinisme parlementaire. C’est selon cette ligne qu’il nous faut diriger les coups principaux de notre critique – non seulement contre le parti dans son ensemble, mais aussi contre son aile gauche. Cet aspect de la question de la méthode de la lutte pour les nationalisations est souligné avec une égale précision et de façon juste par les deux parties dans notre discussion, aussi n’ai-je pas besoin de la traiter plus longuement.

    Je voudrais seulement soulever un « petit » point. Ces gens-là peuvent-­ils sérieusement penser à la lutte révolutionnaire quand au fond du cœur ils sont des… monarchistes ? C’est une grosse erreur de penser que le pouvoir du roi en Belgique est une fiction. D’abord cette fiction coûte de l’argent et il faudrait s’en débarrasser, ne fût-ce que pour des raisons économiques. Mais ce n’est pas l’aspect principal de la question. En temps de crise sociale, les fantômes prennent souvent chair et sang. Le rôle qu’a joué en Allemagne sous nos yeux Hindenburg [7], le palefrenier de Hitler, peut très bien être joué par le roi des Belges, imitant en cela l’exemple de son collègue italien. Une série de gestes du roi des Belges [8] au cours de la dernière période indique clairement cette voie. Qui veut lutter contre le fascisme doit commencer par lutter pour la liquidation de la monarchie. Nous ne permettrons pas à la social-démocratie, sur cette question, de se cacher derrière toutes sortes de trucs et de réserves.

    Poser les questions de stratégie et de tactique de façon révolutionnaire ne signifie cependant absolument pas que notre critique ne devrait pas aussi suivre la social-démocratie jusque dans son refuge parlementaire. De nouvelles élections ne doivent avoir lieu qu’en 1936 ; jusqu’à ce moment, l’alliance des réactionnaires capitalistes et de la faim peut briser plus de trois fois le cou de la classe ouvrière. Nous devons poser la question de la façon la plus abrupte aux ouvriers social-démocrates. Il n’existe qu’un moyen d’accélérer la tenue de nouvelles élections : rendre impossible le fonctionnement du parlement actuel par une opposition résolue qui se traduise par l’obstruction parlementaire. Vandervelde, De Man et compagnie doivent être cloués au pilori, non seulement parce qu’ils ne développent pas la lutte révolutionnaire extraparlementaire, mais aussi parce que leur activité parlementaire ne sert absolument pas à préparer et à rapprocher la réalisation de leur propre « Plan du Travail ». Il faut arriver à faire clairement comprendre les contradictions et l’hypocrisie dans ce domaine à l’ouvrier social-démocrate moyen qui ne s’est pas encore élevé jusqu’à la compréhension des méthodes de la révolution prolétarienne.

    La question de l’attitude vis-à-vis des classes intermédiaires n’est pas d’une importance moindre. Ce serait de la folie que d’accuser les réformistes de se situer dans la « voie du fascisme » parce qu’ils cherchent à gagner la petite bourgeoisie [9]. C’est là l’une des conditions essentielles pour le succès total de la révolution prolétarienne. Mais, comme dit Molière, il y a fagots et fagots. Un marchand ambulant ou un petit paysan sont des petits-bourgeois, mais un professeur, un fonctionnaire officiel portant un insigne distinctif, un mécanicien moyen, sont aussi des petits-bourgeois. Il nous faut choisir entre eux. Le parlementarisme capitaliste – et il n’en existe pas d’autre – conduit à MM. les Juristes, les Fonctionnaires, les Journalistes, apparaissant comme les représentants patentés des artisans, des marchands ambulants, des petits employés et des paysans semi-prolétarisés qui souffrent tous de la faim. Et le capital financier mène par le bout du nez ou se contente de corrompre les parlementaires de ce milieu des juristes, des fonctionnaires et des journalistes petits-bourgeois.

    Quand Vandervelde, De Man et compagnie parlent d’attirer la petite-­bourgeoisie au « plan », ils pensent non aux masses, mais à leurs « représentants » patentés, c’est-à-dire aux agents corrompus du capital financier. Quand nous parlons de gagner la petite bourgeoisie, nous pensons à la libération des masses exploitées et submergées vis-à-vis de leurs représentants politiques occupés à « faire de la diplomatie ». Face à la situation désespérée des masses petites-bourgeoises de la population, les anciens partis petits-bourgeois (démocrates, catholiques et autres) éclatent sous toutes les coutures. Le fascisme l’a compris. Il n’a pas cherché et ne cherche aucune alliance avec les « dirigeants » faillis de la petite-bourgeoisie, mais arrache les masses à leur influence, c’est-à-dire qu’il réalise à sa façon et dans les intérêts de la réaction le travail même que les bolcheviks ont accompli en Russie dans les intérêts de la révolution. C’est précisément de cette façon que la question se présente également en Belgique. Les partis petits-bourgeois, ou les flancs petits­-bourgeois des grands partis capitalistes sont voués à disparaître avec le parlementarisme qui constitue pour eux l’étape nécessaire. Toute la question est de savoir qui conduira les masses petites-bourgeoises opprimées et déçues, le prolétariat sous une direction révolutionnaire ou l’agence fasciste du capital financier.

    De la même façon que De Man ne veut pas de lutte révolutionnaire du prolétariat et craint une politique d’opposition courageuse au parlement qui pourrait conduire à une lutte révolutionnaire, de même il ne veut pas, il craint, une lutte véritable pour les masses petites-bourgeoises. Il comprend très bien que, dans leurs profondeurs, sont dissimulées des réserves de protestation, d’amertume et de haine qui pourraient bien se transformer en passions révolutionnaires et en dangereux « excès », c’est­-à-dire en révolution. Au lieu de cela, ce que De Man recherche, ce sont des alliés au parlement, des démocrates défraîchis, des catholiques, des parents de droite dont il a besoin comme rempart contre des excès révolutionnaires possibles de la part du prolétariat. Nous devons savoir comment éclairer cet aspect de la question pour les ouvriers réformistes à travers l’expérience quotidienne des faits. Pour une union révolutionnaire étroite du prolétariat avec les masses petites­-bourgeoises opprimées de la ville et du village, mais contre une coalition gouvernementale avec les représentants politiques de la petite bourgeoisie qui la trahissent !

    Quelques camarades expriment l’opinion que le fait même que la social-­démocratie présente son « Plan du Travail » doit secouer les classes intermédiaires et, avec la passivité du prolétariat, faciliter le travail du fascisme. Bien sûr, si le prolétariat ne se bat pas, le fascisme vaincra. Mais ce n’est pas du « plan » que ce danger découle, mais de l’importance de l’influence de la social-démocratie et de la faiblesse du parti révolutionnaire. La longue participation de la social-démocratie allemande au gouvernement bourgeois [10] a pavé la voie à Hitler. L’abstention purement passive de Blum de toute participation au gouvernement [11] créera également les prémisses d’une croissance du fascisme. Finalement, l’annonce de l’attaque contre le capital financier sans une lutte révolutionnaire de masse correspondante accélérera inévitablement le travail du fascisme belge. Ce n’est donc pas du « plan » qu’il s’agit ; mais du rôle traître joué par la social-démocratie et du rôle fatal de l’Internationale Communiste. Dans la mesure où la situation générale, et en particulier le destin de la social-démocratie allemande, impose à sa petite sœur de Belgique une politique de « nationalisation », ce fait, avec les dangers anciens, ouvre de nouvelles possibilités révolutionnaires. Ce serait la pire erreur que de ne pas les voir. Nous devons apprendre à battre l’ennemi avec ses propres armes [12].

    On ne peut utiliser les conditions nouvelles qu’à condition de continuer à dresser les ouvriers contre le danger fasciste. Pour pouvoir réaliser quelque plan que ce soit, il faut que les organisations ouvrières se maintiennent et se renforcent. Il faut donc d’abord les défendre contre les bandes fascistes. Ce serait la pire stupidité que d’espérer qu’un gouvernement démocratique, même conduit par la social-démocratie, pourrait protéger du fascisme les ouvriers, par un décret qui interdirait aux fascistes de s’organiser , de s’armer, etc. Aucune mesure de police ne servira à rien si les ouvriers eux-mêmes n’apprennent pas à s’occuper des fascistes. L’organisation de la défense prolétarienne, la création de la milice ouvrière, est la première tâche et elle ne peut être reportée. Quiconque ne soutient pas ce mot d’ordre et ne le réalise pas en pratique ne mérite pas le nom de révolutionnaire prolétarien.

    Il reste seulement à dire quelques mots de la gauche de la social­-démocratie [13]. Sur ce sujet moins que tout autre, je ne veux rien dire de définitif, parce que j’ai été jusqu’à maintenant incapable de suivre l’évolution de leur groupe. Mais ce que j’ai lu ces derniers jours (une série d’articles de Spaak, son discours au congrès du parti, etc.) ne m’a pas fait bonne impression.

    Quand Spaak cherche à caractériser la relation réciproque entre lutte légale et illégale, il cite… Otto Bauer comme une autorité, c’est-à-dire un théoricien d’une impuissance tant légale qu’illégale. « Dis-moi qui sont tes maîtres, et je te dirai qui tu es. » Mais laissons le domaine de la théorie et tournons‑nous plutôt vers les questions politiques réelles.

    Spaak a pris le « plan » de De Man comme base de la campagne et l’a voté sans aucune réserve. On peut dire que Spaak ne voulait pas fournir à Vandervelde et compagnie l’occasion d’aller jusqu’à la scission, c’est-à­-dire d’exclure du parti l’aile gauche, faible et encore inorganisée ; Spaak a reculé plutôt que de sauter. Peut-être étaient-ce là ses intentions, mais, en politique, ce n’est pas d’après les intentions qu’on juge, mais d’après les actions. L’attitude prudente de Spaak à la conférence, son engagement de lutter avec une totale détermination pour l’application du « plan », ses déclarations sur la discipline auraient pu être compris en eux-mêmes en considération de la position de la gauche dans le parti. Mais Spaak est allé plus loin : il a exprimé sa confiance morale en Vandervelde et sa solidarité politique avec De Man non seulement sur les objectifs abstraits du « plan », mais aussi en ce qui concerne les méthodes concrètes de lutte.

    Les paroles de Spaak dans le sens : « Nous ne pouvons exiger que les dirigeants du parti nous disent publiquement quel est leur plan d’action, les forces, etc. » avaient un caractère particulièrement inadmissible. Pourquoi ne pouvons-nous pas ? Pour des raisons confidentielles ? Mais, même si Vandervelde et De Man ont des affaires confidentielles, ce n’est pas avec les ouvriers révolutionnaires contre la bourgeoisie, mais avec les politiciens bourgeois contre les ouvriers. Et personne ne demande que les affaires confidentielles soient publiées au congrès ! Il est nécessaire de donner le plan général de mobilisation des ouvriers et la perspective de la lutte. Par sa déclaration, Spaak a effectivement aidé Vandervelde et De Man à se dérober devant la question qui concernait les questions de stratégie les plus importantes. On peut légitimement dire qu’il existe des secrets partagés entre les dirigeants de l’opposition et ceux de la majorité, contre les ouvriers révolutionnaires [14]. Le fait que Spaak a également entraîné les Jeunes Gardes socialistes [15] dans la voie de la confiance centriste ne fait qu’aggraver sa culpabilité.

    La fédération de Bruxelles a présenté au congrès une résolution « de gauche » sur la lutte constitutionnelle et révolutionnaire. Cette résolution était très faible, avec un caractère légaliste et non pas politique : elle a été écrite par un juriste, non par un révolutionnaire (« Si la bourgeoisie devait violer la Constitution, alors, nous aussi… »). Au lieu de poser avec sérieux la question de la préparation de la lutte révolutionnaire, la résolution « de gauche » brandit contre la direction une menace littéraire. Mais qu’est-ce qui s’est passé au congrès ? Après les déclarations les plus stupides de De Man, lequel, comme on le sait, considère la lutte révolutionnaire comme un mythe nuisible, la fédération de Bruxelles a humblement retiré sa résolution. Des gens qui se contentent si facilement de phrases vides et mensongères ne peuvent être considérés comme des révolutionnaires sérieux. Leur punition n’a pas tardé. Le lendemain même, Le Peuple commentait la résolution du congrès en disant que le parti se maintiendrait strictement dans les limites constitutionnelles, c’est-dire qu’il « lutterait » dans les limites que lui fixe le capital financier avec l’aide du roi, des juges et de la police. L’organe de la gauche, Action socialiste, versait pour de bon des larmes amères : quoi, hier, hier seulement, « tous » étaient unanimes vis-à-vis de la résolution de Bruxelles, pourquoi donc aujourd’hui ?… Lamentations ridicules ! « Hier » les gauches se sont fait rouler pour obtenir qu’ils retirent leur résolution. Et, « aujourd’hui », les vieux renards bureaucratiques expérimentés donnent à la malheureuse opposition une petite tape sur le nez. Bien fait ! C’est toujours ainsi que ces questions se règlent. Mais ce ne sont là que les bourgeons et les fruits viendront plus tard.

    Il est arrivé plus d’une fois que l’opposition social-démocrate développe une critique très à gauche aussi longtemps que cela ne l’engage à rien. Mais, quand arrivent les heures décisives (mouvement gréviste de masse, menace de guerre, danger de renversement du gouvernement, etc.), l’opposition abaisse tout de suite son drapeau, ouvre aux dirigeants discrédités du parti un crédit nouveau de confiance, prouvant ainsi qu’elle n’est elle-même que la chair de la chair du réformisme. L’opposition socialiste de Belgique est en train de passer à travers sa première épreuve sérieuse. Nous sommes obligés de dire qu’elle l’a complètement ratée. Il nous faut suivre attentivement et sans idées préconçues ses pas ultérieurs, sans exagérer nos critiques, sans nous perdre nous-mêmes dans des bavardages sur le « social-fascisme », mais sans nous faire non plus aucune illusion sur les réelles capacités théoriques et de combattants de ce groupe. Pour aider les meilleurs éléments de l’opposition de gauche à avancer, il faut dire ce qui est.

    Je me hâte de terminer cette lettre pour que vous l’ayez avant la conférence du 14 janvier [16] ; c’est pourquoi elle est incomplète avec peut-être une insuffisance d’exposé systématique. En conclusion, je me permets d’exprimer ma conviction, du fond du cœur, que votre discussion se terminera par une décision harmonieuse qui assurera la complète unité dans l’action. L’ensemble de la situation prédétermine une croissance sérieuse de votre organisation au cours de la prochaine période. Si les dirigeants de l’opposition social-démocrate devaient capituler complètement, la direction de l’aile révolutionnaire du prolétariat reposerait intégralement sur vous. Si au contraire la gauche du parti réformiste devait avancer aux côtés du marxisme, vous trouveriez en elle un allié militant et un pont vers les masses. Avec une politique claire et unanime, votre succès est tout à fait certain. Vive la section belge des bolcheviks-­léninistes !


    Notes

    [1] Le tournant de la social-démocratie belge que constituait l’adoption du « Plan du Travail » avait fait apparaître des désaccords au sein de la section belge. Le 11 décembre 1933, Vereeken avait rédigé un article sur le « plan » et la « capitulation » de la gauche dirigée par P. H. Spaak qui avait été refusé par le comité fédéral de Charleroi. La direction de la section belge avait fait parvenir à Trotsky tous les documents de la discussion qui s’était engagée à ce moment-là.

    [2] L’article de Vereeken refusé par la direction belge se terminait ainsi : « Dans les premières phases d’une bataille de classes telle qu’une grève générale de masse, banquiers, industriels et politiciens bourgeois seront poussés à faire appel à la social-­démocratie qui reste malgré tout « la plus grande force organisée de ce pays ». Un gouvernement « socialiste » aurait pour tâche d’arrêter l’élan des forces prolétariennes déchaînées. »

    [3] Le parti communiste de Belgique était particulièrement faible.

    [4] Paul Henri SPaak (1899-1972), avocat, membre du parti ouvrier belge, dirigeait depuis 1932 l’hebdomadaire Action socialiste, qui rassemblait les partisans d’une gauche encore très confuse, caractérisée par un attachement à l’unité et le refus de la collaboration de classes, et qui rassemblait autant de sympathisants de l’I.C. que de socialistes critiques. Spaak avait apporté son soutien au « plan » présenté par De Man.

    [5] Trotsky prend ici en compte le fait que les masses ouvrières influencées par le P.O.B. attendent effectivement des résultats du « plan » De Man. Le texte de Vereeken disait que « les objectifs du plan » étaient de réaliser « l’impuissance des masses à s’opposer réellement au fascisme » et de « saper la base sur laquelle se développe un mouvement de gauche au sein du P.O.B. qui s’orienterait de plus en plus vers des conceptions révolutionnaires ». Son point de départ était : « Tout cela est dicté au réformisme par les besoins de sa propre conservation. »

    [6] Vereeken pensait en effet qu’il y avait un lien entre le programme fasciste et le « plan » De Man. Le temps et l’évolution ultérieure du personnage l’ont d’ailleurs confirmé dans cette opinion (Cf. La Guépéou dans le mouvement trotskiste, pp. 116-122).

    [7] Le président Hindenburg avait été élu en 1925, puis réélu au second tour contre Hitler en 1932. C’est lui qui, après avoir nommé Hitler chancelier, devait avaliser toutes ses décisions sans résistance.

    [8] Il s’agit du roi ALBERT I° (1875-1934), qui avait cherché en 1914 à incarner la « résistance nationale » du peuple belge et avait été surnommé le « roi-chevalier ». Il jouait incontestablement dans la vie politique belge un rôle plus important que celui que prévoyait la Constitution et imposait souvent ses vues aux chefs des partis.

    [9] Vereeken écrivait que « toute aide au réformisme dans sa manœuvre criminelle » (le « plan ») aboutirait à « désarmer encore le prolétariat devant le fascisme ».

    [10] Le parti social-démocrate allemand avait participé sous la république de Weimar à bien des coalitions gouvernementales, y compris les « grandes » avec les partis de la droite bourgeoise. Dans les derniers temps il avait pratiqué la politique dite de « tolérance » des gouvernements de centre-droit.

    [11] C’est au congrès de la S.F.I.O. de 1933 que Léon Blum avait fait prévaloir contre la droite « néo-socialiste » la position de la « non-participation » aux gouvernements à direction radicale, laquelle n’impliquait pas pour autant une lutte réelle des socialistes contre les conséquences sociales de la crise.

    [12] C’est là sans aucun doute l’idée centrale de ce texte, et du projet de Trotsky d’utiliser le plan De Man contre ses auteurs : sur ce point, la divergence avec Vereeken est totale.

    [13] L’aile gauche de la social-démocratie était avant tout représentée par Spaak et l’Action socialiste, mais aussi par les Jeunes Gardes socialistes. Vereeken considérait le ralliement de Spaak au « plan » De Man comme une trahison.

    [14] Il semble que, sur ce point au moins, Trotsky était plus proche de Vereeken que de ceux qui s’opposaient à lui dans la section belge. On lit en effet dans le procès-verbal de sa direction en date du 20 décembre 1933 : « Les camarades constatent que, d’après les documents, rien ne justifie l’accusation de G. Vereeken qui affirmait… que Spaak ne préconisait plus la lutte révolutionnaire pour s’emparer du pouvoir et qu’il trompait les travailleurs en leur faisant croire, comme les chefs traîtres du P.O.B., que le “Plan De Man” pourrait être réalisé par les moyens constitutionnels » (archives Vereeken).

    [15] Les Jeunes Gardes socialistes étaient l’organisation de jeunesse du P.O.B., en principe « autonome » depuis 1926. Elle avait triplé ses effectifs en deux ans, atteignant 25 000 membres en 1933, sous la direction d’un militant de la « gauche », son secrétaire général Fernand Godefroid.

    [16] A l’assemblée générale du 14 janvier, les critiques de Vereeken ne furent pas retenues. On peut trouver dans cette discussion les origines de la crise qui mènera quelques mois plus tard à une scission en Belgique.

  • Capitalisme en crise : socialisme ou barbarie ! (2)

    Le capitalisme est un échec. Ce système est incapable d’offrir une vie décente à la grande majorité des gens et il n’y a pas que la cupidité des milliardaires ou l’échec individuel des hommes politiques à la base de cette situation. Si c’était le cas, il suffirait de combattre les excès du capitalisme et de réformer certains éléments. Mais les inégalités et la pauvreté font partie des fondations mêmes de la société capitaliste.<o>

    Le capitalisme mène à la crise

    Il y a plus de 150 ans, Karl Marx et Friedrich Engels, ont écrit “Le Manifeste du parti communiste”. Cette brochure est l’un des textes politiques à avoir eu le plus de répercussion dans l’histoire. ‘‘Le Capital’’ de Marx a aussi été très largement diffusé. Les classiques du marxisme sont les premiers travaux qui comprennent une analyse scientifique du fonctionnement du capitalisme et qui expliquent pourquoi ce système conduit à une polarisation de la richesse. Mais ils expliquent également comment le capitalisme peut être renversé.

    Aujourd’hui, Marx refait surface, y compris dans les médias ouvertement de droite. Ses idées ont beau être vieilles, elles sont exactes et restent d’actualité. Bien entendu, tout ce que Marx et Engels ont écrit au 19e siècle n’est pas tout à fait correct dans les détails, et la société d’aujourd’hui est très différente. Mais de très nombreuses choses restent extrêmement pertinentes pour la situation actuelle.

    Marx et Engels ont analysé le capitalisme et ont expliqué comment ce système conduit systématiquement à une crise de surproduction. Le capitalisme est un système cyclique. Certain facteurs peuvent aboutir à une crise mais ses raisons sousjacentes sont les contradictions fondamentales du système capitaliste lui-même, comme la contradiction entre la nature collective de la production et la propriété privée des moyens de production. On peut encore parler de la contradiction entre le monde global et les limites de l’Etat-nation. La production capitaliste est basée sur le profit plutôt que sur la satisfaction des besoins sociaux. La classe des travailleurs crée une nouvelle valeur, mais n’en reçoit en retour qu’une partie à titre de salaire. Le reste de cette valeur, les capitalistes le gardent pour eux. Mais les salaires de la classe ouvrière ne lui permettent pas d’acheter tout ce qu’elle a produit.

    Les capitalistes peuvent en partie résoudre ce problème en investissant une partie de la plus-value dans l’industrie, mais cela ne fait qu’accroître le problème de la surproduction. En définitive, les capitalistes sont incapables de résoudre le problème de la surproduction et le système entre en crise.

    Changer le monde

    Marx et Engels ne se limitaient pas analyser le capitalisme. Marx disait: ‘‘les philosophes n’ont jusqu’ici fait qu’interpréter le monde, il s’agit maintenant de le transformer.’’ Il a reconnu que le capitalisme, malgré toutes ses atrocités, a joué un rôle historique dans le développement des forces productives, que ce système représentait un pas en avant en comparaison des sociétés féodales qui l’ont précédé. Mais le capitalisme n’est pas le point final de l’évolution des sociétés humaines. Il a créé une énorme évolution technologique et scientifique qui peut servir de base pour une nouvelle étape, une société socialiste.

    Sous le capitalisme, la richesse et le pouvoir sont aux mains d’une petite élite, les capitalistes. Le développement de nouvelles technologies et la production n’ont aucun fondement rationnel, ils ne sont guidés que par le profit. Tout le potentiel existant n’est pas utilisé. Aujourd’hui, il y a moins de capitalistes qu’à l’époque de Marx, mais ils sont beaucoup plus riches : il y a un phénomène de concentration croissant du capital. Ces 50 dernières années, l’écart entre les 20% plus riches et les 20% plus pauvres au monde a doublé et une centaine grandes entreprises contrôlent actuellement 70% du commerce mondial.

    Pour gonfler encore leurs profits, les capitalistes veulent nous faire travailler plus longtemps et plus durement. Les travailleurs doivent vendre leur force de travail pour recevoir un salaire. Notre travail, comme tout le reste sous le capitalisme, est devenu une marchandise mais il diffère cependant des autres matières premières en ce sens que le travail crée de nouveaux produits et une nouvelle valeur. Au fil du temps, la classe ouvrière n’a pas disparu, elle est même numériquement et relativement beaucoup plus forte qu’à l’époque de Marx et Engels, même si certains anciens bastions de la classe ouvrière industrielle sont affaiblis (dans les pays occidentaux).

    Ces dernières années, il est vrai que la classe ouvrière n’a pas, ou peu, eu recours à sa force. Mais il ne s’agit pas là d’une conséquence d’une baisse de son pouvoir potentiel, c’est plutôt le résultat des raisons subjectives qui peuvent être résumées en un manque de confiance temporaire consécutif aux lourdes défaites que la classe ouvrière a subies dans les années ‘80 et ‘90 ainsi qu’à l’offensive néolibérale qui a suivi.

    Le capitalisme attaque la vie et les communautés de travailleurs. Cela implique que la société devient plus dure et une “baisse de moral” prend place. Le mouvement syndical sera obligé de mettre en avant la nécessité de la lutte collective pour protéger nos communautés.

    Une alternative au capitalisme

    La classe dirigeante voudrait bien nous convaincre que la société capitaliste ou la société de classe est le produit inévitable de la nature humaine. Si la biologie peut expliquer certains éléments de notre comportement, la nature humaine n’est en rien statique et immuable.

    Pendant des millions d’années, dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs nomades, le gens vivaient de façon égalitaire. L’alimentation, le logement et tout le nécessaire de survie était égalitairement partagé dans la société. Ce n’est qu’après la révolution agricole, quand les tribus nomades se sont installées pour cultiver, qu’un surplus de richesses a été créé pour la première fois dans l’histoire et qu’une classe dirigeante a pu se développer.

    Plusieurs classes dirigeantes ont depuis affirmé que la ‘‘nature humaine’’ veille à ce qu’un homme soit esclave pendant qu’un autre est roi, désigné par Dieu pour régner sur tous les autres. En fait, ce sont les conditions physiques et les processus de production qui constituent la base des relations entre les différentes classes sociales.

    La classe des travailleurs d’aujourd’hui possède une force potentielle sans précédent. En raison de sa place dans le processus de production, elle est la seule force sociale capable d’obtenir des changements fondamentaux : ce sont les travailleurs qui sont à la base de toute valeur produite. En utilisant la technologie moderne d’aujourd’hui dans l’intérêt de tous les travailleurs, le socialisme créera la base pour fondamentalement changer la culture humaine. Au lieu d’une société qui récompense l’avidité et l’égoïsme, une société socialiste mettra l’égalité et la justice au centre de ses priorités.

    La société dépouillée de tous les obstacles au développement du potentiel créatif et intellectuel des hommes et des femmes conduirait également à une explosion de l’immense potentiel créatif de l’humanité.

  • Capitalisme en crise : socialisme ou barbarie ! (1)

    Chaque jour, le capitalisme démontre l’ampleur de sa faillite : extrême pauvreté, guerres, famine, destruction de l’environnement,… Nous refusons ce constat, nous opposons résolument au capitalisme et luttons pour une société socialiste démocratique. Dans ce cadre, notre réflexion et nos actions sont basées sur le marxisme. Ce dossier vous présente nos critiques contre le capitalisme ainsi qu’un petit aperçu de ce qu’est notre vision du socialisme. Ce texte est largement basé sur le livre «Le socialisme au 21e siècle» de notre camarade britannique Hannah Sell.

    Qu’est-ce que le capitalisme?

    En 300 ans d’existence, le capitalisme a changé la face du monde à coups de voies ferrées, de lignes électriques, d’avions, d’ordinateurs,… Au cours du dernier siècle seulement, l’économie mondiale est devenue 17 fois plus grande !

    Cependant, malgré les capacités technologiques actuelles, malgré tout le potentiel aujourd’hui présent, 1,2 milliard de personnes n’ont aucun accès à l’eau potable, 841 millions de personnes sont sous-alimentées et jusqu’à 28 millions d’Africains sont infectés par le virus du SIDA. Alors que le capitalisme consacre des milliards d’euros au bombardement d’une population pauvre comme celle d’Afghanistan, au même moment, ce système n’a aucune solution pour la pauvreté, la faim ou les maladies. En fait, le capitalisme est même une menace pour l’avenir de la planète. L’avidité conduit à une production aveugle qui ne tient aucun compte de l’homme ou de l’environnement.

    Les forces productives ont amplement été développées, mais elles ne sont pas systématiquement utilisées. Seul compte le profit à court terme. De leur côté, les gouvernements et les politiciens traditionnels sont au service des intérêts du capital et c’est à cet objectif que l’appareil d’Etat ou le pouvoir judiciaire est utilisé. Le capitalisme est soi-disant un ‘‘marché libre’’ et une ‘‘démocratie’’ mais quelle participation démocratique avons-nous concernant la manière de produire ? Des milliards de personnes à travers le monde n’ont que la liberté d’être exploités ou de connaître la misère et la guerre.

    Qu’est-ce que le socialisme ?

    Une société socialiste assimilerait l’énorme potentiel des talents de chacun et de la technologie pour édifier une société et une économie au service des besoins de tous. Cela ne signifie pas que tous les problèmes seraient immédiatement résolus, loin de là, mais la suppression du profit marquerait le début de la construction d’une nouvelle société, ce qui n’est possible qu’à l’échelle internationale.

    Les marxistes sont en faveur d’une économie démocratiquement planifiée, une économie où les grandes entreprises qui dominent aujourd’hui plus de 80% de l’économie seraient mises sous le contrôle démocratique de la collectivité, ce que nous appelons le contrôle ouvrier. Cela ne signifie toutefois pas que tous les petits commerces, les boulangeries, les boucheries,… seraient nationalisés.

    Un régime socialiste nous permettrait d’avoir bien plus à dire que sous la ‘‘démocratie’’ parlementaire capitaliste, qui ne nous accorde que des élections fort médiatisées après quelques années, tout ça pour élire des représentants qui ne défendent pas nos intérêts et qui ne doivent en rien se justifier auprès de leurs électeurs. Pour les marxistes, tout le monde doit pouvoir participer au processus de prise de décision quant à la manière dont sont gérées l’économie et la société.

    Les élus devraient toujours avoir à se justifier et être révocables, à tous niveaux, par leurs électeurs. De plus, les représentants ne toucheraient que le salaire moyen d’un travailleur, afin de garder un lien concret avec le quotidien de la majorité de la population. Un parlementaire marxiste (comme notre camarade irlandais Joe Higgins au Parlement Européen) ne gagnerait ainsi que l’équivalent du salaire moyen d’un travailleur.

    Les marxistes luttent pour la démocratie des travailleurs, ce qui implique que toute la collectivité travaillerait ensemble à la planification de la production. A tous les niveaux, sur les lieux de travail et dans les quartiers, des comités de représentants seraient organisés, sur les plans régionaux et nationaux, sous le contrôle d’assemblées générales de base. Chacun aurait ainsi la possibilité de réellement participer aux décisions et à la gestion de la société.

    Le capitalisme a développé plusieurs outils pour nous faciliter cette tâche, comme l’enseignement, qui fournit un niveau supérieur d’éducation, ou encore les nouvelles technologies, qui rendent la communication beaucoup plus facile et potentiellement bien plus accessible. La planification de l’économie n’est pas une utopie, les grandes entreprises et les multinationales fonctionnent d’ailleurs sur base d’une planification de leurs activités à grande échelle. Mais porter cela au niveau de la société signifie de s’attaquer à leur propriété.

    Le socialisme va bien au-delà du simple partage des richesses. Il s’agit également de décider de ce qui est produit et de quelle manière. Nous voulons immédiatement en finir avec le gaspillage consacré à des industries comme celle de la publicité. Nous voulons répartir le travail disponible au lieu de demander à une couche de travailleurs de travailler plus dur et plus longtemps alors qu’une autre couche (y compris beaucoup de jeunes) est au chômage.

    Mais aujourd’hui, dans le cadre d’une société où le profit est sacré et où l’humanité souffre sous ses diktats, il n’est pas possible de donner une vue complète de ce que sera une société socialiste. Nous ne pouvons que donner un léger aperçu en mettant en lumière les conditions qui permettront au potentiel existant d’être utilisé dans l’intérêt de la majorité de la population.

    Le socialisme n’aboutira-t-il pas à une dictature bureaucratique comme en Russie ?

    Les monstrueuses dictatures bureaucratiques et sanglantes de Russie, de Chine, d’Europe de l’Est et d’ailleurs étaient une négation totale du véritable socialisme démocratique. Mais il est fondamental que les marxistes d’aujourd’hui étudient l’expérience de la Révolution russe afin d’expliquer les raisons qui ont conduit à sa dégénérescence bureaucratique. En fait, ce processus trouve ses racines dans des conditions historiques spécifiques et non dans la nature humaine.

    La Révolution russe de 1917 a constitué la première fois où la classe ouvrière a renversé le capitalisme et a commencé à instaurer une nouvelle société socialiste. L’Union Soviétique des premiers temps était le gouvernement le plus démocratique que le monde ait jamais connu: ouvriers et paysans dirigeaient la société démocratiquement par l’intermédiaire de conseils ouvriers (c’est-à-dire, en russe, des soviets). C’est le premier Etat au monde à avoir donné aux femmes la totalité des droits légaux, comme le droit de vote et celui d’avorter. L’Union Soviétique avait aussi légalisé l’homosexualité.

    Les dirigeants bolcheviks Lénine et Trotsky, ont toujours expliqué qu’il était impossible d’instaurer le socialisme dans un seul pays, et plus particulièrement dans les conditions semi-féodales de la Russie de l’époque. Pour eux, la Révolution russe ne pouvait parvenir à survivre qu’en s’étendant aux puissants pays capitalistes d’Europe occidentale.

    Les principales puissances impérialistes ont elles-mêmes reconnu que la Révolution russe n’était pas une affaire purement locale et que le capitalisme était mondialement menacé. Elles ont donc participé à une sanglante guerre civile du côté des capitalistes et des propriétaires terriens russes afin de renverser le nouveau gouvernement soviétique. 21 pays ont envahi la Russie pour soutenir la contre-révolution (États-Unis, France, Allemagne, Grande-Bretagne, Belgique, Japon,… ) Pour que les bolcheviks arrivent à remporter la guerre civile (1918-1921), la vague de révolutions qui a déferlé sur toute l’Europe et dans le monde a été décisive. La Révolution russe et l’appel des bolcheviks aux travailleurs du monde entier au soulèvement contre la Première Guerre Mondiale avait mis le feu aux poudres. Les soulèvements révolutionnaires en Allemagne et à travers l’Europe ont entraîné la fin de la guerre et ont forcé les classes dirigeantes à retirer leurs troupes hors de Russie afin d’éviter d’autres bouleversements dans les pays capitalistes.

    Malheureusement, ces révolutions n’ont pas réussi à renverser le capitalisme. A la différence de la Russie, il n’existait aucun parti révolutionnaire de masse disposé à mener les révolutions jusqu’à leur terme. Au lieu de cela, les partis ouvriers de masse en Europe ont été dominés par les dirigeants réformistes qui ont joué un rôle décisif pour sauver l’économie capitaliste. Ainsi, alors que l’Union Soviétique a vaincu la contre-révolution, la jeune république Soviétique est restée isolée. La première guerre mondiale puis la guerre civile avaient laissé le pays dans une situation désastreuse, les masses épuisées, au chômage et affamées. Tout cela a constitué la base pour l’accession au pouvoir d’une caste bureaucratique conservatrice. La bureaucratie, groupée autour de Staline, a concentré le pouvoir dans ses mains dans les années ’20 et ’30 et a démoli les droits démocratiques que la classe ouvrière russe avait réussi à obtenir.

    Les nombreuses révolutions qui, plus tard, ont pris place dans le monde néocolonial et en Europe ont malheureusement regardé la Russie comme le modèle à suivre, et le gouvernement bureaucratique soviétique a pu exporter son modèle stalinien vers la Chine, l’Europe de l’Est, et ailleurs.

  • DOSSIER: Capitalisme = barbarie. Pour une société socialiste !

    Le capitalisme est plongé dans une profonde crise systémique. De temps à autre, certains essaient de sauver la face en annonçant que la fin du tunnel est proche, mais c’est toujours pour ajouter très vite qu’il faudra quand même faire de sérieux efforts et des assainissements drastiques. En clair, cela signifie démanteler l’Etat-providence au cours des 5 à 10 années à venir. A la population de régler la facture de la crise qui nous a déjà coûté une longue liste de concessions salariales et horaires, de flexibilisation, d’attaques contre la sécurité sociale, les fins de carrière, les services publics, les soins de santé,…

    Dossier par Bart Vandersteene

    Remettre en cause le marché ‘libre’ ou en éviter simplement les excès?

    La chute du Mur en 1989 a inauguré le règne du dogme selon lequel le marché ‘libre’ était le meilleur système de création de richesses. On considérait comme une critique marginale de dire que cette génération de richesse était basée sur des bulles de savon spéculatives. Quant à l’écart grandissant entre pauvres et riches, tant au niveau mondial qu’en Occident, il ne devait s’agir que d’un grain de beauté destiné à disparaître avec le temps et la bonne gouvernance. La force soi-disant créatrice du marché ‘libre’ a engendré beaucoup d’illusions. Dans la pratique, elle s’est surtout révélée être une force destructrice.

    Pourtant, aujourd’hui, le marché ‘libre’ n’est pas fondamentalement remis en question. Bien au contraire, on essaie même de le sauver en disant qu’il faut seulement en éliminer les pires excès. Selon certains, il suffirait d’écrémer quelque peu les bonus des top-managers et de saupoudrer le marché d’un peu plus de régulation pour parvenir à dompter le capitalisme. L’absence d’une alternative socialiste suffisamment forte et clairement définie est aujourd’hui le plus grand obstacle au développement d’une lutte massive contre l’impact de la crise. Avec la chute du Mur, a été prédite la fin du socialisme en tant que modèle de société. Mais ce qui a disparu n’était toutefois qu’une caricature dictatoriale et non pas des modèles d’Etats socialistes.

    Le capitalisme conduit inévitablement à la crise. Avec leur salaire, les travailleurs sont incapables d’acheter la valeur qu’ils produisent collectivement, ce qui cause une tendance constante à la surproduction ou à la sous-consommation. Un tel problème peut être postposé un temps, en poussant grâce au crédit les travailleurs à déjà dépenser aujourd’hui leur salaire de demain. Mais un jour ou l’autre, la facture doit être payée.

    La faillite du système de marché ‘libre’ ne peut que stimuler la quête d’une alternative. Le marxisme va à nouveau trouver un soutien parmi les travailleurs et les jeunes à la recherche d’une solution à l’avenir sans issue qu’offre le capitalisme. Cela explique sans doute pourquoi l’ouvrage de Marx Le Capital est republié en néerlandais (ce qui n’était plus le cas depuis une trentaine d’années) ou le fait qu’un film (une comédie) se référant au révolutionnaire russe Léon Trotsky sorte au Canada. Dans de nombreux livres, textes et articles, on trouve à nouveau des références au socialisme et au marxisme.

    PS et SP.a: le capitalisme pour seul horizon

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    Cherchez l’erreur : le socialisme selon…

    • Dictionnaire Van Dale: ordre socio-économique dans lequel il n’y a plus de contradictions de classes.
    • Woorden.org: système économique dans lequel les moyens de production n’appartiennent pas à des particuliers et où les revenus de ces moyens de production bénéficient autant que possible à toute la population.
    • Larousse: Théorie visant à transformer l’organisation sociale dans un but de justice entre les hommes sur le plan du travail, de la rétribution, de l’éducation, du logement, etc.
    • Caroline Gennez (présidente du SP.a): le socialisme est une forme évoluée du libéralisme (mai 2009).

    Les quatre premiers articles de la Charte de Quaregnon:

    1. Les richesses, en général, et spécialement les moyens de production, sont ou des agents naturels ou le fruit du travail – manuel et cérébral – des générations antérieures, aussi bien que de la génération actuelle ; elles doivent, par conséquent, être considérées comme le patrimoine commun de l’humanité.

    2. Le droit à la jouissance de ce patrimoine, par des individus ou par des groupes, ne peut avoir d’autre fondement que l’utilité sociale, et d’autre but que d’assurer à tout être humain la plus grande somme possible de liberté et de bien-être.

    3. La réalisation de cet idéal est incompatible avec le maintien du régime capitaliste qui divise la société en deux classes nécessairement antagonistes : l’une, qui peut jouir de la propriété, sans travail, l’autre, obligée d’abandonner une part de son produit à la classe possédante.

    4.Les travailleurs ne peuvent attendre leur complet affranchissement que de la suppression des classes et d’une transformation radicale de la société actuelle. Cette transformation ne sera pas seulement favorable au prolétariat, mais à l’humanité toute entière; néanmoins, comme elle est contraire aux intérêts immédiats de la classe possédante, l’émancipation des travailleurs sera essentiellement l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.

    Le fait n’est pas neuf, les sociaux-démocrates ne remettent plus en question le capitalisme, ils considèrent le marché ‘libre’ et la propriété privée des moyens de production comme des lois naturelles, à l’instar de la gravité. Bruno Tobback, le chef du groupe parlementaire du SP.a à la Chambre ne laisse planer aucun doute à ce sujet. Il a ainsi répondu dans une interview que remettre en question le marché ‘libre’, c’était comme remettre en question le fait d’avoir des relations sexuelles…

    Commentant cette situation, le journaliste Franck Albers a écrit dans le Knack (du 17 février 2010): ‘‘Evidement, le SP.a a d’autres accents que les capitalistes de Voka (une référence vers les extrémistes patronaux de la fédération patronale flamande, ndlr). L’un veut un peu plus de redistribution par l’Etat, l’autre veut un peu plus de ‘libre marché’. Le système en Europe fait yoyo entre ces deux pôles depuis déjà plus d’un demi-siècle. Mais peut-être faut-il des remèdes plus radicaux pour une solution fondamentale et orientée sur l’avenir.’’

    Même si le PS essaie de travailler son image à gauche, bien plus que le SP.a, et si Elio Di Rupo est fier de prétendre que le PS est le plus à gauche de tous les sociaux-démocrates en Europe, il se garde bien lui aussi de remettre en question le ‘libre’ marché: ‘‘les socialistes d’aujourd’hui acceptent le libre marché. Ils le voient comme un facteur dans les relations, les échanges, le progrès et le bien-être de l’individu et du collectif. Ils le voient comme un moyen de satisfaire un grand nombre de besoins.’’ (Être Socialiste Aujourd’hui, 2009). Le PS peut bien se raccrocher de temps en temps à des slogans comme ‘‘Le capitalisme nuit gravement à la santé’’ (de la FGTB wallonne), ce n’est qu’une question d’image.

    Nous pensons qu’il n’est pas possible d’éliminer les pires conséquences du capitalisme en restant dans ce système. La maximalisation des profits est un élément central, véritablement au cœur de la bête, auquel le reste n’est que subordonné. Nous assistons aujourd’hui à une spéculation contre la montagne de dettes grecques, les spéculateurs poussent la Grèce au bord de la faillite. De façon identique, la crise alimentaire de 2008 était une conséquence de la rétention de stocks de blé ou de riz par les spéculateurs, qui comptaient sur l’augmentation conséquente des prix. Des multinationales exploitent aujourd’hui des maisons de repos et même des prisons et elles n’ont aucune honte à expliquer, chiffres à l’appui, comment l’Etat peut servir de vache à lait, au mépris des conséquences sociales.

    Tout se réduit à la notion de marchandise, tant les relations humaines que le corps humain ou encore la nature. La crise environnementale crée même de nouvelles ‘‘opportunités’’ avec le commerce des droits d’émission et la commercialisation des labels ‘‘écologiques’’. Le sommet de Copenhague s’est ainsi déroulé sous les slogans hypocrites et opportunistes de Coca-Cola, Mc Donald, Carlsberg, Siemens,… De leur côté, la recherche scientifique et la justice sont ‘‘influencées’’ pour aboutir à des conclusions ‘‘correctes’’. Cette société dégouline de la pourriture du capitalisme par tous les pores.

    Le marché ‘libre’ n’est rien de plus et rien de moins que la dictature de la maximalisation des profits. On n’impose pas de règles à ce système, on l’élimine.

    Que signifie le socialisme?

    ‘‘La tâche historique de notre époque consiste à remplacer le jeu déchaîné du marché par un plan raisonnable, à discipliner les forces productives, à les contraindre d’agir avec harmonie, en servant docilement les besoins de l’homme. C’est seulement sur cette nouvelle base sociale que l’homme pourra redresser son dos fatigué et – non seulement des élus – mais chacun et chacune, devenir un citoyen ayant plein pouvoir dans le domaine de la pensée.’’ (Leon Trotsky, En défense d’Octobre, 1932)

    Nationalisation du secteur financier

    L’an dernier, plusieurs Etats ont été obligés de prendre le secteur bancaire dans leurs mains, partiellement ou entièrement. De là est née l’expression de “socialisme pour les riches”: les profits éventuels sont réservés aux grands actionnaires tandis que les pertes sont prises en charge par le gouvernement (et donc la collectivité).

    D’anciens apôtres du marché ‘libre’ en sont arrivés, avec une gêne sincère, à la conclusion que ce système n’est quand même peut-être pas l’idéal, comme Paul De Grauwe: ‘‘La théorie était que les banquiers savaient mieux que le gouvernement ce qui était bon pour eux et pour nous, et que le système avait assez de qualités autorégulatrices. Les faits nous ont démontré à quel point cette théorie était incorrecte.’’ (De Standaard, 26 janvier 2010)

    On cherche actuellement de nouvelles règles pour le secteur bancaire, mais de nombreux commentateurs crient déjà depuis des mois que rien n’a changé depuis le début de la crise, que les produits et mécanismes responsables de la chute du secteur financier il y a deux ans sont à nouveau utilisés à plein régime. Ce n’est aucunement une surprise. Obama a par exemple nommé les top-managers de la banque Goldman Sachs à son cabinet des Finances. Goldman Sachs était d’ailleurs un des plus grands bailleurs de fonds de la campagne électorale d’Obama. Les politiciens traditionnels ne sont pas grand-chose d’autre que des marionnettes aux mains des décideurs économiques. Ils sont d’ailleurs richement récompensés par la suite avec des postes lucratifs dans les conseils d’administration: Dehaene chez Inbev et Dexia, Willy Claes chez Carrefour,…

    Le secteur financier doit être retiré des mains de ces charognards. Seul un secteur financier aux mains de la collectivité sous le contrôle des travailleurs et des usagers peut garantir que ce secteur remplisse ses tâches essentielles.

    Pour une économie nationalisée et planifiée

    Affiche du PSL pour les élections de 2009

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    Ce qui vaut pour le secteur bancaire vaut également ailleurs. Tant que les différents secteurs de l’économie restent aux mains d’une petite minorité de grands capitalistes, ils resteront bloqués dans la logique du système selon laquelle les profits sont prioritaires sur toute autre considération.

    ‘‘Le marché libre est un grand mensonge. Il n’existe d’ailleurs pas. La confusion entre libre marché et liberté humaine est dangereuse. (…) Cette crise confirme que le monde repose sur sa tête, les pieds en l’air et la tête en bas. Ce qui doit être puni est récompensé et vice versa. La spéculation est récompensée et le travail est puni. Aujourd’hui, le système est démasqué, c’est un système basé sur la privatisation des profits et la socialisation des pertes.’’ (Eduardo Galeano, Mo-magazine, 27 mai 2009)

    Dans une société socialiste, les usines, les machines et les terrains des secteurs clés seraient propriété publique afin qu’ils soient au service de la satisfaction des besoins de la population.

    Pour une société démocratique et socialiste

    Une économie socialiste doit être une économie planifiée. C’est la seule option permettant que la technologie, les forces de travail, la science et les matières premières soient utilisées de manière efficace et durable pour la satisfaction des besoins humains.

    Toute la société doit être activement impliquée dans l’élaboration d’un tel plan et dans les décisions sur la façon de produire. Des réunions locales pourraient élire des représentants mandatés à participer aux discussions et décisions au niveau régional, national et même international. Ces élus devraient systématiquement rendre des comptes à leur base et être révocables à tout moment. La motivation d’un élu ne pouvant jamais être basée sur des privilèges, les représentants ne pourraient pas gagner plus que le salaire moyen d’un travailleur.

    Pour permettre à chacun de participer à la gestion de la société, le temps de travail doit être drastiquement réduit, mais cela est parfaitement possible si on stoppe toute production inutile et si la production est orientée vers des produits durables et non des produits jetables propres à la société capitaliste. La répartition du temps de travail en impliquant les centaines de millions de chômeurs actuels aurait aussi un impact important pour diminuer le temps de travail de chacun.

    Enfin, seule une économie socialiste où la richesse et les investissements sont gérés collectivement est apte à garantir le développement de méthodes de production qui préservent notre environnement. Pour notre avenir, le socialisme est la seule option.


    Les 125 ans du Parti Ouvrier Belge – Les 120 ans du premier mai

    Le 5 et le 6 avril, nous avons fêté le 125e anniversaire de la fondation du Parti Ouvrier Belge (le prédécesseur du PS et du SP.a). La mise sur pied d’un parti ouvrier en 1885 a constitué un important pas en avant pour le mouvement ouvrier de notre pays. Avant cela, les travailleurs comptaient sur les libéraux de gauche présents au Parlement. Mais une telle approche ne faisait notamment pas progresser la lutte pour le suffrage universel. Avec la mobilisation des masses et la constitution d’un parti ouvrier indépendant de la bourgeoisie, une arme plus forte a été forgée.

    Le POB a été fondé par une centaine de personnes représentant pas moins de 59 associations, dont des mutuelles, des syndicats, des groupes politiques, des groupes de lecteurs et des coopératives. Dès le début, il y a eu beaucoup de confusion. Les coopératives ont toujours plus déterminé les positions politiques du parti et cela a plusieurs fois signifié d’éviter tout élargissement conséquent de la lutte.

    La lutte pour le suffrage universel (pour les hommes…) a été menée grâce à la grande pression de la base du parti et contre la grande peur qu’éprouvait la bourgeoisie face à la croissance du POB. Dans ce contexte s’est tenu en 1894 un congrès idéologique qui a adopté la Charte de Quaregnon (voir ci-contre). En comparaison, et même si un certain nombre de faiblesses étaient présentes, les programmes actuels du PS et du SP.a font pâle figure.

    Le POB ne remettait pas suffisamment conséquemment en cause le capitalisme, mais c’était là un outil de taille à disposition des travailleurs afin qu’ils puissent lutter pour améliorer leurs conditions de vie et de travail. C’est cette lutte qui a donné d’importantes victoires, comme la journée des huit heures.

    Ce combat pour la journée des huit heures est inséparablement lié au Premier mai. Il y a 120 ans, le premier mai était la première journée d’action internationale pour les huit heures. Dès 1890, après des actions antérieures qui se sont déroulées aux Etats-Unis, des grèves ont eu lieu partout le premier mai, souvent réprimées. En Belgique aussi, des travailleurs ont été tués parce qu’ils militaient le Premier mai.

    Aujourd’hui, il n’y a plus de grand parti ouvrier – le PS et le SP.a sont devenus des partis vides où seule compte la politique gouvernementale néolibérale – et cela a dans beaucoup de cas vidé les commémorations du Premier mai de son essence combattive. Au même moment, le principe de la journée des huit heures subit des attaques de toutes parts.

    En vue des attaques à venir contre nos salaires, nos pensions, les soins de santé, l’enseignement,… nous allons devoir renouer avec ces traditions établies il y a de cela 125 et 120 années. Nous avons besoin de notre propre parti des travailleurs de masse et nous allons devoir lutter, internationalement, pour défendre nos intérêts! Cela constitue une part de la lutte pour une alternative socialiste contre la barbarie capitaliste.

  • Jean Ferrat chantait les travailleurs

    Jean Ferrat chantait l’amour de la lutte et l’amour dans la lutte. Il chantait la colère contre le capitalisme, mais aussi la révolte de Prague contre le stalinisme. Il chantait la liberté et le socialisme. Il est décédé hier, à 79 ans et après plus de 200 chansons.

    Par Stéphane (Liège)

    «Je ne chante pas pour passer le temps» disait-il dans une de ses chansons. Et effectivement, Jean Ferrat chantait pour dénoncer, pour faire rêver et surtout pour accompagner la vie des travailleurs dans leurs luttes, leurs amours, leurs rêves,… Si nous ne partageons pas les choix qu’il a pu faire en tant que militant politique – très certainement en restant lié au PCF stalinisé – nous voulons rendre hommage à un artiste qui se plaçait résolument du côté des travailleurs.

    Il annonçait clairement la couleur: «En groupe, en ligue, en procession […] Il est temps que je le confesse […] Je suis de ceux qui manifestent». Il l’avait d’ailleurs fait dès le début, en se faisant connaître en chantant Potemkine et l’histoire de ces marins de 1905 en Russie qui retournèrent leurs fusils contre leurs oppresseurs. Cela ne fût sans doute pas du goût de tous puisqu’à partir de 1966, il fût interdit à a télévision pour sa candidature sur les listes du PCF (parti communiste français).

    Il fut un compagnon de route du PCF durant des années, mais s’en distancia à plusieurs reprises, notamment en condamnant l’intervention des troupes soviétiques à Prague en 1968: «Que venez-vous faire, camarade / Que venez-vous faire ici / Ce fut à cinq heures dans Prague / Que le mois d’août s’obscurcit». Il avait aussi chanté Le Bilan, très critique contre le stalinisme, ou encore parlé des régimes capitalistes et staliniens comme de «la jungle et le zoo.»

    Quand il chantait l’amour, il ne parlait pas de l’amour des riches, mais il parlait des amours ouvrières. «Ma môme, elle joue pas les starlettes, / Elle met pas des lunettes, de soleil. / Elle pose pas pour les magazines, / Elle travaille en usine, à Créteil.» C’était dans la même optique qu’il mit en chanson Louis Aragon, le célèbre poète communiste mais fort malheureusement stalinien.

    Quand le journal de droite Le Figaro avait titré «Jean Ferrat a chanté la France mieux que personne», le principal intéressé leur a répondu dans sa chanson Ma France en leur disant que sa France, c’est celle «dont Monsieur Thiers (1) a dit ‘qu’on la fusille!’ […] celle des travailleurs […] celle du journal que l’on vend le matin d’un dimanche (2)»

    Des milliers de militants ont combattu et aimé au rythme des musiques de Jean Ferrat. Aujourd’hui, c’est un compagnon de lutte qu’ils perdent, un camarade. C’est une voix dédiée aux sans-voix qui s’en est allée.


    (1) Adolphe Thiers est le dirigeant français qui fit écraser la Commune de Paris.

    (2) Faisant référence au journal du PCF L’Humanité.


    Ci-dessous, vous pouvez voir la vidéo de l’une de ses chansons Le Bilan (1980), qui est une réaction aux propos de Georges Marchais, alors secrétaire général du parti communiste français, qui avait parlé du «bilan globalement positif du socialisme réel». Les paroles sont explicites: «Ah ils nous en ont fait avaler des couleuvres / De Prague à Budapest de Sofia à Moscou / Les staliniens zélés qui mettaient tout en œuvre / Pour vous faire signer les aveux les plus fous (…) / Au nom de l’idéal qui nous faisait combattre / Et qui nous pousse encore à nous battre aujourd’hui»

  • Théorie : La révolution permanente aujourd’hui

    Nous publions ci-dessous un texte de Peter Taaffe, écrit pour servir d’introduction à l’ouvrage de Léon Trotsky «La Révolution Permanente», que nos camarades du Socialist Movement Pakistan (CIO-Pakistan) vont traduire en urdu et publier.

    Par Peter Taaffe

    En quoi la théorie de la Révolution Permanente développée par Trotsky est-elle toujours adaptée aux problèmes rencontrés par le mouvement ouvrier ou la cause paysanne d’aujourd’hui? Cette théorie a, après tout, été formulée il y a plus d’un siècle, lors de la première révolution russe de 1905-07. On pourrait se poser le même genre de question – et certains le font – à propos des idées de Marx, Engels, Lénine et Luxembourg. Mais ce qui est important, ce n’est pas l’âge d’une idée (une méthode d’analyse sur laquelle se base l’action de masse). Tant qu’elle permet de décrire la situation actuelle avec plus d’exactitude que ne le font les «nouvelles» théories, elle garde toute sa pertinence dans l’ère moderne. C’est d’ailleurs particulièrement le cas pour les masses du monde néocolonial, et surtout dans un pays aussi crucial que le Pakistan avec ses 200 millions d’habitants. Ces masses sont confrontées aux horribles problèmes qui découlent d’une révolution démocratique-capitaliste inachevée.

    La situation que connaît le Pakistan aujourd’hui est semblable à celle de la Russie durant les deux premières décennies du XXe siècle. La Russie n’avait alors pas achevé sa révolution capitaliste-démocratique: une réforme agraire réalisée en profondeur, la suppression des vestiges féodaux et semi-féodaux dans les campagnes, l’unification du pays, la résolution de la question nationale, la libération de la domination de l’impérialisme étranger. En même temps, il n’y avait aucune démocratie – c’est-à-dire, le droit d’élire un Parlement démocratique, la liberté de la presse, des droits syndicaux, etc. Ce système était couronné par un Etat tsariste brutal, autocratique, et vieillissant. Comment résoudre la révolution capitaliste-démocratique? Voilà LA question qui se posait au jeune mouvement ouvrier russe. Les diverses théories abordant cette question ont été testées dans la pratique lors des trois révolutions russes de 1905-07, de février 1917 et d’octobre 1917. Cette dernière, pour la première fois au cours de l’Histoire, a porté la classe ouvrière au pouvoir. Elle reste à ce jour le plus important événement de l’Histoire de l’humanité.

    La révolution bourgeoise

    Lénine et Trotsky divergeaient fondamentalement des Menchéviks (la fraction minoritaire qui s’est détachée du Parti Ouvrier Social-Démocrate Russe), lesquels croyaient que la tâche de la classe ouvrière dans les pays économiquement sous-développés, tels que la Russie à ce moment, était de s’associer aux capitalistes libéraux avec un « «soutien critique» afin de les aider à accomplir «leur» révolution. Ils considéraient en effet les capitalistes libéraux comme les principaux agents de la révolution capitaliste-démocratique. Toutefois, le développement tardif des capitalistes en tant que classe – comme cela avait déjà été démontré par les capitalistes allemands en 1848, lorsqu’ils refusèrent de porter la révolution jusqu’au bout – signifiait qu’ils étaient incapables d’accomplir cette tâche historique.

    Tout d’abord, les capitalistes avaient investi dans la terre et les seigneurs féodaux avaient investi dans l’industrie. Tous deux étaient liés, particulièrement à l’ère moderne, au capital des banques. Par conséquent, toute révolution démocratique-bourgeoise accomplie en profondeur aurait été réalisée non seulement contre les seigneurs féodaux, mais également contre les capitalistes eux-mêmes ainsi que leurs représentants politiques, les partis capitalistes libéraux. Ils avaient par-dessus tout peur que les masses – qui dans toutes les révolutions (y compris dans les révolutions capitalistes) sont le principal agent de changement – ne les poussent toujours plus vers l’avant avec leurs propres revendications, en remettant ainsi en question la position des capitalistes eux-mêmes. Même lors de la révolution bourgeoise française de 1789, ce sont ces plébéiens qu’étaient les «sans-culottes» qui ont été les principaux agents du balayage de tous les débris féodaux qui s’accrochaient à la société française. Mais ensuite, en 1793-94, ils ont commencé à revendiquer des mesures qui iraient dans leur propre intérêt, tels que des «salaires maximaux» et la «démocratie directe», ce que les représentants de la bourgeoisie nouvellement au pouvoir ont vu comme une menace, avec raison. Les sans-culottes ont été réprimés, tout d’abord par le Directoire, ensuite par Napoléon Bonaparte lui-même.

    C’est une crainte similaire, bien qu’encore plus prononcée, qui a étreint la bourgeoisie allemande lors de la révolution de 1848. La peur des masses a alors refreiné la volonté des bourgeois d’instaurer leur propre règne politique incontesté, d’où le compromis conclu entre les partis bourgeois et petit-bourgeois et le féodalisme et son représentant, la monarchie. Dans le cas de l’Allemagne, il a fallu attendre l’intervention de Bismarck dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, basée sur les Junkers (les anciens représentants de la réaction féodale terrienne) pour accomplir tardivement la révolution capitaliste-démocratique «par en haut». Et même alors, cette révolution ne fut qu’incomplète, et ce n’est qu’après la Première Guerre Mondiale, avec l’éphémère révolution ouvrière de 1918, que ce processus fut achevé.

    Lénine et la «Dictature Démocratique»

    Lénine et Trotsky s’opposaient à cette idée menchévique selon laquelle les capitalistes libéraux pourraient accomplir leur propre révolution en Russie. Les capitalistes étaient arrivés trop tardivement sur l’arène politique, et avaient peur des masses. C’est à partir de cela que Lénine formula l’idée de la «dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie». Pour Lénine – tout comme pour Marx – la «dictature» signifiait le régime d’une classe bien définie. Le terme de «dictature de la classe ouvrière» signifiait le règne démocratique des masses laborieuses et non un régime militaire ou une «dictature» bonapartiste au-dessus des masses, comme les adversaires du marxisme le prétendent. Puisque le stalinisme – une dictature à parti unique organisée par une élite bureaucratique basée sur une économie planifiée – a terni la compréhension des masses, le marxisme actuel n’utilise plus ce terme de «dictature». De nos jours, l’expression de «démocratie ouvrière» exprime mieux l’idée de Marx et de Lénine. L’idée de Lénine était en fait une proposition d’alliance entre la classe ouvrière et la paysannerie en tant que forces principales dans un mouvement de masse pour accomplir la révolution capitaliste-démocratique. Trotsky était d’accord avec Lénine sur le fait que c’était là les seules forces capables de faire aboutir ce processus.

    Cependant, la faiblesse de la formule de Lénine était de ne pas préciser quelle force serait dominante dans le cadre d’une telle alliance: la classe ouvrière ou la paysannerie? Trotsky a souligné le fait que l’Histoire démontre que la paysannerie n’a jamais joué un rôle indépendant. Dispersée à travers la campagne, avec peu d’accès à la culture des villes – avec leur littérature, leurs théâtres, leurs grandes populations concentrées – les paysans ont toujours été destinés à rechercher un dirigeant dans les zones urbaines. Ils pouvaient soutenir les bourgeois, ce qui serait au final revenu à trahir leurs propres intérêts. Ceci du fait que les capitalistes ne pouvaient pas parachever une réforme agraire en profondeur qui aurait bénéficié à la masse des paysans. Ou ils pouvaient trouver un dirigeant parmi la classe ouvrière.

    Lénine avait en fait laissé ouverte la question la classe qui dominerait au sein d’une alliance entre classe ouvrière et paysannerie. Sa formule était une «formule algébrique» et il a laissé l’Histoire lui donner une forme concrète. Trotsky, avec sa fameuse «Théorie de la Révolution permanente», a été plus loin que Lénine. Karl Marx lui-même avait le premier parlé du caractère «permanent» de la révolution, en tirant les leçons des révolutions de 1848. En 1850, il écrivait ainsi: «C’est notre intérêt et notre tâche de rendre la révolution permanente jusqu’à ce que toutes les classes plus ou moins possédantes aient été chassées de leurs positions dominantes». Mais Trotsky est allé plus loin et a conclu qu’une fois que la classe ouvrière aurait attiré derrière son drapeau la masse de la paysannerie et qu’elle aurait pris le pouvoir, celle-ci serait forcée de passer aux tâches socialistes, sur le plan national comme sur le plan international.

    Cela revenait en somme à brillamment anticiper la révolution d’Octobre 1917. La classe ouvrière y a pris le pouvoir à Petrograd, le siège des troubles révolutionnaires de l’époque, et à Moscou. Ensuite, elle en a appelé aux masses rurales, a lancé une réforme pour donner «la terre au laboureur», ce qui lui a acquis la paysannerie. Mais les seigneurs féodaux dépossédés se sont unis aux capitalistes – réactionnaires comme «libéraux» – dans une tentative commune d’étrangler la Révolution russe. La paysannerie, tout au long des trois ans que dura la guerre civile, s’est ralliée aux ouvriers et à leur parti, le parti bolchévique. Elle avait fini par comprendre dans l’action que les ouvriers seraient les seuls à leur donner la terre. Même l’intervention de vingt-et-une armées impérialistes n’a pas pu empêcher la révolution de triompher. Pourtant, à un moment, ces interventions avaient réduit l’étendue de la révolution à la seule vieille province de Moscovie, autour de Petrograd et de Moscou….

    Une autre caractéristique de cette théorie est l’idée du «développement inégal et combiné», en particulier lorsque l’on se penche sur le sort des pays sous-développés, même aujourd’hui. La Russie elle-même, avant 1917, était une très claire illustration de ce phénomène. Elle combinait une extrême arriération au niveau du foncier – propriété féodale, semi-féodale, etc. – avec le dernier cri de la technique dans l’industrie, largement en raison de l’intervention massive du capital français et britannique. Les conséquences en Russie ont été le développement d’une classe ouvrière jeune et dynamique organisée dans de grandes usines, aux côtés de formations économiques et culturelles archaïques. Un développement similaire a depuis lors pris place dans d’autres pays du monde néocolonial.

    Les attaques contre la théorie de la révolution permanente

    Par conséquent, la révolution permanente a pris corps, non seulement dans la théorie formulée il y a plus de cent ans, mais aussi dans la pratique de l’action elle-même lors du triomphe de la Révolution russe. Cela n’a toutefois pas empêché les attaques continuelles contre l’auteur de cette théorie comme contre cette théorie en elle-même. La bureaucratie personnifiée par Staline qui a usurpé le pouvoir en Russie suite de l’isolement de la Révolution russe a lancé une attaque d’ampleur contre cette théorie. Les staliniens avaient emprunté l’idée menchévique d’«étapes». Selon cette théorie, le développement d’une société doit d’abord parvenir à l’étape capitaliste, suivi à un certain moment de l’avenir par l’étape «socialiste». Au cours du premier stade, les partis ouvriers sont obligés d’accorder un «soutien critique» aux partis capitalistes, et en particulier aux libéraux, jusqu’à inclure le soutien et même la participation aux gouvernement libéraux bourgeois. Lorsqu’elle a été mise en pratique par les partis staliniens cette idée a – sans exception – conduit à des désastres complets, surtout dans le monde néocolonial.

    La révolution chinoise de 1925-27 avait une possibilité de victoire sous la bannière de la classe ouvrière et du jeune Parti Communiste Chinois encore plus grande que ce n’avait été le cas en Russie moins de dix ans plus tôt. Une classe ouvrière surexploitée, maintenue au statut de bétail, s’est dressée pour donner lieu à l’un des plus magnifiques mouvements de l’Histoire, créé par un Parti Communiste de masse, avec une majorité des paysans attirés dans une guerre contre le féodalisme et le capitalisme. Même si les masses avaient à peine formé des syndicats, elles ont également tenté de créer des soviets – des conseils ouvriers et paysans – comme autant d’organes de la révolution. Ce mouvement cherchait à suivre l’exemple de la Révolution russe. Malheureusement, la grandissante bureaucratie stalinienne de Russie a déterminé que le rythme de la révolution chinoise ne pourrait se poursuivre que dans un corset menchévique. Mais cette fois-ci, le corset menchevique était tenu par Staline lui-même. En conséquence, cela a abouti en un soutien pour le Guomindang «radical» de Tchang Kaï Chek. Ce soutien a été jusqu’à reconnaître le Guomindang comme une section sympathisante de l’Internationale Communiste. Tout cela a fini en désastre. La révolution a été noyée dans le sang, et c’est sur son cadavre que s’est élevée la monstrueuse dictature de Tchang Kaï Chek.

    Ces évènements ont donné un aperçu de ce qui ce serait produit en Russie si les idées des menchéviks avaient été suivies durant la révolution. Elles auraient conduit, comme dans d’autres situations, à une révolution avortée. Le Général Kornilov vaincu en septembre 1917 (ou un autre militaire du même acabit) aurait imposé une dictature sanglante instaurée sur le cadavre de la Révolution russe. Cette possibilité a été empêchée par l’activité du parti bolchévique dirigé par Lénine, Trotsky et leurs idées. Les désastres rencontrés dans le monde néocolonial – avec le massacre de communistes en Indonésie, les flux et reflux au Vietnam après la Seconde Guerre Mondiale et bien d’autres exemples – sont les conséquences directes de la politique menchévique de la révolution par «stades» ou «étapes» mise en œuvre par les staliniens en lieu et place des brillantes idées de Trotsky partagées par Lénine en Octobre 1917.

    Cependant, malgré cela, certains «marxistes» s’attaquent aux idées de Trotsky et à la théorie de la révolution permanente, parfois même ceux qui hier encore les enseignaient. D’autres ont même soutenu l’idée de la «révolution permanente» tout en pratiquant la position menchévique, en soutenant la participation d’organisations ouvrières à des gouvernements de coalition avec des partis capitalistes. Dans la première catégorie de ceux qui rejettent Trotsky, on retrouve par exemple les deux ailes du Democratic Socialist Party (DSP) en Australie maintenant dissout. Cette organisation a été très loin dans leur attaque contre l’idée de la révolution permanente de Trotsky. Un de leurs dirigeants, Doug Lorimer, alors qu’il s’attaquait à l’un de nos tracts écrit dans les années ‘70, a opposé l’idée de la «dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie» de Lénine à la révolution permanente de Trotsky. Pour y parvenir, ce qu’il admet avoir été difficile, il s’est lancé dans une politique de mensonges. Il a falsifié des citations, en a utilisé d’autres à moitié, a recouru à de petits sous-entendus, etc. tout cela étant destiné à opposer à Trotsky l’idée «plus correcte» de Lénine et de sa «dictature démocratique».

    Ce n’était pas là faire preuve d’une grande originalité. Karl Radek, qui a été un moment donné un des membres dirigeants de l’Opposition de Gauche «de Trotsky» contre le stalinisme, avait également attaqué la théorie de la révolution permanente après avoir capitulé et fait la paix avec Staline. Trotsky avait souligné dans sa réponse le fait que Radek «n’avait pas trouvé le moindre nouvel argument contre la théorie de la révolution permanente». Trotsky l’a traité d’«épigone» (c-à-d de larbin) des staliniens. Lorimer n’a pas agi de façon différente. En parlant de la révolution russe de 1905, il écrivait: «Selon Lénine, l’accomplissement de la révolution démocratique-bourgeoise par une alliance entre ouvriers et paysans, dirigée par le parti marxiste, permettrait ensuite à la classe ouvrière, en alliance avec la majorité pauvre et semi-prolétaire de la paysannerie, de passer à la révolution socialiste de manière ininterrompue».

    Mais Lénine n’a qu’occasionnellement mentionné le fait de passer «de manière ininterrompue» à la révolution socialiste lorsqu’il adhérait à son idée de la «dictature démocratique». Cette idée d’une révolution «ininterrompue» ou «permanente» a été mise en avant en premier lieu par Trotsky dans son livre «Bilans et Perspectives» (1906). L’idée principale de Lénine était que la révolution démocratique-bourgeoise aurait pu au moins conduire à «stimuler» la révolution en Europe occidentale, qui viendrait ensuite à la rescousse des ouvriers et paysans en Russie, pour alors seulement mettre le «socialisme» à l’ordre du jour. Si Lénine avait avancé cette idée de manière cohérente jusqu’à sa conclusion, comme Lorimer l’a ainsi suggéré, il n’y aurait eu aucune différence fondamentale quant à la révolution entre lui et Trotsky. Mais Lénine envisageait clairement toute une période et un développement de la société et de la classe ouvrière entre le moment de la «dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie» et l’arrivée au pouvoir du socialisme. Il n’y a ici rien d’«ininterrompu».

    Le rôle de la paysannerie

    Une autre légende perpétuée par les staliniens et par certains tels que l’ancien DSP est que Trotsky «sous-estimait la paysannerie» en croyant que la classe ouvrière seule pourrait porter la révolution à son terme en Russie. Il était par conséquent contre une véritable alliance entre la paysannerie et la classe ouvrière. A propos de toutes ces tentatives de trouver une différence fondamentale entre lui et Lénine, Trotsky avait écrit «Le diable lui-même peut citer les Ecritures à son gré». Il a admis qu’il y avait des «trous» dans sa théorie de la révolution permanente telle qu’elle avait été publiée au départ, en 1906. L’Histoire, et particulièrement l’expérience des révolutions de Février et d’Octobre 1917, a rempli ces «trous», mais pas de sorte à infirmer l’idée générale de Trotsky. Bien au contraire, ces expériences l’ont confirmée et renforcée.

    Voyez avec quelle honnêteté Trotsky retrace l’évolution de ses idées face à leur distorsion honteuse du fait de Staline, puis de Radek et d’autres. Il a écrit en réponse à Radek que: «Je ne veux pas dire par-là que, dans tous mes ouvrages, ma conception de la révolution est représentée par une ligne unique et inaltérable… J’ai écrit aussi des articles où les problèmes du moment et les exagérations polémiques, inévitables dans les luttes quotidiennes, occupèrent le premier plan et rompirent l’unité de la ligne stratégique. On trouvera, par exemple, des articles où j’exprimais des doutes sur le futur rôle révolutionnaire de toute la paysannerie, comme classe, et où, par conséquent, je refusais (surtout pendant la guerre impérialiste) d’appeler “nationale” la future révolution russe, qualifiant d’équivoque cette caractérisation». Il poursuit ainsi: «Il est à noter que Lénine, qui n’oublia pas un instant le problème agraire dans ses proportions gigantesques et qui, dans ce domaine, fut notre maître à tous, n’était pas sûr, même après la révolution de Février, que nous réussirions à détacher la paysannerie de la bourgeoisie et à la faire marcher avec nous».

    Lorimer a beaucoup parlé de Trotsky dans le passé, dans ses premiers ouvrages, cherchant une alliance entre la classe ouvrière et les paysans pauvres plutôt qu’avec «la paysannerie dans son ensemble». Lénine lui-même parlait parfois de la même manière que Trotsky de la création de liens entre le prolétariat et les couches les plus pauvres des villages, etc. Mais en 1917, la classe ouvrière a, pendant la révolution, mené la paysannerie vers l’accomplissement de la révolution démocratique-bourgeoise, sans s’y arrêter. Elle est ensuite passée, de manière «ininterrompue», à la mise en œuvre des premières tâches socialistes en Russie et à l’élargissement international de la révolution.

    Des constructions fantastiques ont été élaborées par les adversaires de cette théorie, notamment pour affirmer que la Révolution d’Octobre n’aurait pas été une révolution socialiste mais représentait la victoire de la révolution démocratique-bourgeoise par la «dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie». Cela n’aurait constitué qu’une «première étape» séparée (en accord avec la théorie des «deux stades»), la révolution socialiste n’ayant soi-disant été accomplie qu’en été et automne 1918. Cette conception mécaniste et erronée recherche à artificiellement séparer l’accomplissement de la révolution démocratique-bourgeoise des tâches socialistes. Elle est complètement inexacte appliquée à Octobre 1917. Qui plus est, elle serait absolument fatale si, comme dans le passé, elle serait appliquée à la situation existant aujourd’hui dans de nombreux pays du monde néocolonial, comme le Pakistan.

    La Chine et Cuba

    Certains, tels que l’ancien DSP, utilisent même l’argument selon lequel la Chine et Cuba sont une confirmation de la première position de Lénine de la «révolution démocratique» et du «d’abord la phase démocratique, ensuite la phase socialiste». Au contraire, ces révolutions ont été une affirmation de l’exactitude de la révolution permanente de Trotsky, bien que de façon caricaturée. Une révolution sociale s’est effectivement produite en Chine et à Cuba, mais sans les soviets et la démocratie ouvrière qui existait lors de la Révolution russe de 1917. En Chine, un régime de parti unique maoïste-staliniste a été instauré dès le départ, bien qu’avec une économie planifiée. A cuba, il est vrai que la révolution a connu quelques éléments de contrôle ouvrier, mais pas une complète démocratie ouvrière à la russe. Cela a limité l’attrait de ces deux révolutions – en particulier pour la classe ouvrière internationale – qui n’ont pas eu le même effet hypnotique que la Révolution bolchévique au cours des «Dix jours qui ébranlèrent le monde».

    Certains affirment même qu’il peut y avoir des partis paysans «indépendants» qui peuvent participer à un gouvernement de coalition avec les «partis ouvriers» afin d’accomplir la révolution bourgeoise. Certains tirent même des citations isolées de Lénine dans lesquelles il suggère ceci: «Un gouvernement révolutionnaire provisoire est nécessaire… [Le POSDR] déclare tout net qu’en principe la participation de la social-démocratie au gouvernement révolutionnaire provisoire (en période de révolution démocratique, en période de lutte pour la République) est admissible». [V.I Lénine, Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique, Ch. 2]

    En commentant cela, Trotsky a concédé que Lénine a effectivement formulé une idée de ce genre. Mais Trotsky a décrit cela comme étant «incroyable» et, qui plus est, en contradiction avec tout ce que Lénine a défendu par la suite, y compris dans la période allant de la révolution de Février à celle d’Octobre. Lénine, dans ses «Lettres de loin» a même condamné le moindre soutien «critique» au Gouvernement Provisoire et a demandé une indépendance de classe totale, que ce soit pour le Parti Bolchévik ou pour la classe ouvrière. En outre, les arguments de nombreuses personnes telles que Radek et de ces imitateurs contemporains comme le DSP, l’histoire même de la Russie, attestent qu’avant la révolution de 1917, il n’existait aucun parti paysan stable et indépendant.

    Certains ont suggéré que les Socialistes-Révolutionnaires entraient dans cette catégorie de parti paysan indépendant. Mais toutes ces organisations qui prétendaient représenter la paysannerie «dans son ensemble» et qui existaient durant des périodes relativement stables ont ensuite éclaté et été divisées sur des lignes de classe – les couches supérieures se tournant vers la bourgeoisie, les couches inférieures fusionnant et agissant de concert avec la classe ouvrière – au cours des périodes de crise sociale. Les Socialistes-Révolutionnaires l’ont démontré en 1917. Après Février 1917, ils étaient une des composantes de la coalition bourgeoise, aux côtés des Menchéviques, et s’opposaient au fait de donner la terre aux paysans. Ils ont été répudiés dans l’action par la majorité des paysans. Il est vrai que les Socialistes-Révolutionnaires de Gauche qui se sont séparés des SR ont partagé le pouvoir avec les Bolchéviks pendant une courte période après la Révolution d’Octobre. Ils ont occupé une position de minorité comparée à celle des Bolchéviks, ce qui n’était pas clairement envisagé dans l’idée de départ de Lénine d’une dictature démocratique du prolétariat et de la paysannerie. Trotsky, dès le début, avait expliqué dans sa théorie que la classe ouvrière finirait par dominer et diriger la paysannerie. Par la suite, les SR de Gauche ont quitté le gouvernement, ce qui en soi était un reflet du conflit de classe croissant à leur base parmi la paysannerie tout autant qu’une illustration de leur caractère informe de classe moyenne.

    Le Pakistan et la révolution permanente aujourd’hui

    Quel est le rapport avec le Pakistan d’aujourd’hui? Tout d’abord, là où les idées erronées du menchevisme – la théorie de la révolution en deux étapes – ont été mises en pratiques, cela a eu des conséquences catastrophiques pour chaque mouvement de masse luttant pour le pouvoir. Deuxièmement, la révolution démocratique-bourgeoise doit toujours être accomplie au Pakistan. Le fait que les relations féodales et semi-féodales dominent la campagne et, dans un certain sens, la société dans son ensemble, est quelque chose qui est presque considéré comme normal par les masses travailleuses du Pakistan. Même dans le monde néocolonial, il n’y a aucun autre pays qui démontre à ce point l’inaptitude voire l’impossibilité pour la bourgeoisie de résoudre l’accumulation des problèmes de leur régime. Très peu d’autres pays ont une aussi grande concentration de richesse entre les mains d’une classe féodale et semi-féodale de seigneurs terriens et de capitalistes. Vingt familles dominent la société – d’après ce qui est communément compris par les masses de la population pakistanaise. Les principaux partis politiques que sont le Parti du Peuple Pakistanais (PPP) mené par Asif Zardari, la Ligue Musulmane Pakistanaise (PML) de Nawaz Sharif, l’armée et la machine d’Etat, l’immense majorité des grands conglomérats et compagnies industriels et commerciaux… – tous sont dominés par cette très étroite classe dirigeante super-riche.

    Toutefois, un facteur spécial additionnel du Pakistan féodal et semi-féodal est la domination de l’armée, qui a gardé la main sur le contrôle du pouvoir depuis la mise en place de l’Etat il y a soixante ans. C’est un exemple extrême du type de «capitalisme de copinage» corrompu qui défigure les classes dirigeantes du monde néocolonial et de plus en plus du monde «développé». En 2007, le Dr Ayesha Siddiqua a écrit Military Incorporated, un livre démontrant les intérêts d’affaires privées colossaux de l’armée pakistanaise. Dans ce livre, elle affirmait que cet «empire» militaire interne pourrait bien peser jusqu’à 10 milliards d’euros. Des officiers dirigent des conglomérats industriels secrets, produisant tout, des corn flakes au ciment, et possèdent dans les faits cinq millions d’hectares de terres publiques. Les généraux ont dirigé le Pakistan directement pendant plus de trente ans depuis l’indépendance de 1947. Ils contrôlent toujours le gouvernement, malgré l’existence d’un «gouvernement civil» au cours des trois dernières années. Il n’y a pas eu un seul jour de «paix» dans le pays depuis lors, un fait souligné par l’assassinat de Benazir Bhutto, qui était alors dirigeante du PPP, par la catastrophe de la Vallée du Swat – dans le cadre de la talibanisation de certaines régions du Pakistan – et maintenant par les monstrueux attentats suicide qui infestent non seulement l’Afghanistan, mais aussi le Pakistan, affectant même les centres urbains comme celui de Lahore.

    Il y a une fausse impression – surtout vu de l’étranger – que le Pakistan, à la suite de l’Afghanistan, a succombé à l’irrésistible emprise des fondamentalistes islamistes de droite. Cependant, comme l’a fait remarquer le Socialist Movement Pakistan (SMP, section du CIO au Pakistan), les fondamentalistes n’ont jusqu’ici jamais acquis un soutien de masse. Qui plus est, la campagne d’attentats indiscriminés de masse menée par les talibans et autres terroristes meurtriers ne peut qu’encore plus aliéner les masses. En même temps, le contre-terrorisme également indiscriminé mené par certaines sections de l’Etat pakistanais et par l’impérialisme américain, armé de ses drones qui font pleuvoir la mort du ciel, pourrait bien faire enrager la population et la pousser (au moins temporairement) dans les bras des talibans. Cependant, le règne meurtrier des talibans dans le Swat, après que l’Etat pakistanais y eût négocié un cessez-le-feu et s’en fût retiré, a été si brutal que la population locale s’est soulevée contre eux. Cette rébellion a été accueillie par une répression terrible de la part des talibans. Cela a conduit à l’intervention de l’armée et à une nouvelle campagne de pacification contre les talibans, ce qui a dans les faits rompu leur accord initial, qui n’avait été signé que quelques mois auparavant. Cela souligne la position extrêmement instable, catastrophique, qui se développe aujourd’hui au Pakistan. En fait, le Pakistan est tellement lié à présent à l’Afghanistan que certains commentateurs s’y réfèrent maintenant sous le nom d’ ‘Afpak’.

    Une chose est certaine: l’armée pakistanaise ne se soumettra jamais aux plans de l’impérialisme en Afghanistan tant qu’il n’y a pas d’accord entre l’Inde et le Pakistan comprenant un volet sur la question du Cachemire. L’armée pakistanaise considère le Cachemire comme faisant partie de son ‘arrière-pays’, comme un levier de pression et comme une ‘zone tampon’ contre l’Inde. Le journaliste David Gardner a fait ce commentaire dans le Financial Times: «Nonobstant l’offensive contre les talibans pakistanais dans le Sud-Waziristan, le mode de pensée des militaires pakistanais n’a pas fondamentalement changé. Ils ne considèrent pas simplement les moudjahidines comme constituant une plus grande menace sécuritaire que l’Inde. […] L’armée aurait besoin d’au moins trois fois les effectifs qu’elle a déployés pour pouvoir prendre et tenir le Sud-Waziristan. Cette opération a plus l’air d’être une tentative de punir les talibans pakistanais pour avoir quitté leur réserve!» Poussée par son efficacité accrue, l’armée a récemment été forcée de pourchasser les talibans pakistanais, alors qu’elle tolérait auparavant les moudjahidines pandjabis, le groupe Lashkar-e Jhangvi. Qui plus est, elle soutient et utilise toujours contre l’Inde le groupe moudjahidine kashmiri Lashkar-e Tayyiba, dont on pense qu’il est à l’origine du raid sanglant à Mumbai de novembre 2008. A nouveau, Gardner déclare que: «Le cerveau du groupe, Hafiz Saïd, a une excellente relation avec les portes des prisons pakistanaises».

    Le Pakistan parvient dans les faits à contenir un demi-million de soldats indiens dans la vallée du Cachemire avec seulement quelques milliers de moudjahidines. Son soutien aux moudjahidines afghans est basé sur le même raisonnement, en tant que contrepoids – entre autres – contre l’Inde. L’Inde, de son côté, est soupçonnée d’être complice des insurgés du Baloutchistan pakistanais. Comme l’a expliqué un haut général: «Nous voulons définitivement que l’Afghanistan devienne la profondeur stratégique (1) du Pakistan».

    La question nationale au Pakistan

    En même temps, l’armée n’a pas abandonné l’espoir de pouvoir à nouveau agir et reprendre les rênes du pouvoir d’une manière un peu plus ouverte au Pakistan. A cette fin, elle a conclu une campagne officieuse systématique d’intervention dans les processus politiques et judiciaires. En outre, elle a brutalement réprimé et fait ‘disparaître’ des centaines de ses opposants dans l’Etat rebelle du Baloutchistan. Le soulèvement au Baloutchistan est plus sérieux que celui des zones tribales. Bien que l’Etat pakistanais ait perdu le contrôle de ces zones au profit des talibans, on n’y trouve pas une opposition nationale en tant que telle contre l’Etat pakistanais. La situation est différente au Baloutchistan, qui n’adhère à la ‘Fédération’ pakistanaise que depuis 1969. Comme notre camarade Khalid l’a dit: «La majorité des gens n’ont aucun sentiment positif vis-à-vis de l’Etat. De plus en plus de jeunes Baloutches rejoignent la lutte armée. Le soulèvement nationaliste non seulement se poursuit, mais s’étend dans de plus en plus de régions de la province.»

    Il y a de nombreux groupes insurgés armés baloutches qui se battent contre l’armée pakistanaise. Malheureusement, des ‘frappes stratégiques’ ont aussi été organisées contre des non-Baloutches: trois mille non-Baloutches ont ainsi perdu la vie et jusqu’à présent, des milliers de gens ont émigré hors du Baloutchistan, et des milliers d’autres sont en cours de demande de transfert hors de la région. L’université est restée fermée plus de trois mois. Il y a un sentiment croissant en faveur de la séparation du Pakistan, les nationalistes baloutches déclarant que «Nous voulons un Baloutchistan indépendant tel qu’il l’était avant 1948, lorsqu’il a été annexé par le Pakistan par la force militaire». Ces sentiments sont particulièrement vifs parmi la jeunesse, étudiants universitaires en tête, et, symptôme de la profondeur de ce mouvement, avec des femmes y jouant un rôle proéminent.

    Le régime pakistanais, toutefois, est préparé à patauger dans autant de sang qu’il sera nécessaire afin de garder la main sur cette province stratégiquement importante. Cette province est importante non seulement pour le Pakistan mais aussi pour toutes les puissances régionales, avec l’influence concurrente des Etats-Unis, de la Chine, de l’Iran et de l’Afghanistan, avec même l’ ’empreinte’ de l’Inde présente dans la zone. Cette province est importante pour ses riches ressources naturelles en énergie, en gaz et en minerais, pour ses réserves de pêche et aussi pour l’importance stratégique de Gawadar, le port flambant neuf dont l’accès se trouve dans le Détroit de Hormuz, à l’entrée du Golfe Persique et, par conséquent, une étape importante pour les navires de la région. La Chine en particulier considère cette installation comme vitale pour ses intérêts, et c’est la raison pour laquelle elle a contribué à la part du lion de capital et de main d’œuvre pour la construction du port.

    Cependant, le Baloutchistan n’est que l’expression la plus extrême du mécontentement national bouillonnant dans les provinces non-penjâbies qui composent la ‘fédération’. Même dans le Sindh, le ressentiment par rapport à la ‘domination penjâbie’ – c’est-à-dire dans les faits, le contrôle exercé par les seigneurs-capitalistes du Pendjab, surtout les militaires – est alimenté par la pauvreté écrasante et croissante partout au Sindh et au Pakistan dans son ensemble. La question nationale forme un aspect crucial de la théorie de la révolution permanente de Trotsky. Sans la position de Lénine sur la question nationale – défendue et complétée par l’analyse de Trotsky de cet enjeu dans de nombreux pays et dans de nombreuses situations – la Révolution russe aurait été impossible. C’est mille fois plus le cas aujourd’hui, surtout dans le monde néocolonial et en particulier étant donné le caractère multinational du Pakistan.

    Pourtant, aussi incroyable cela puisse-t-il paraître, la revendication basique du droit à l’autodétermination des nationalités opprimées du Pakistan est dans la pratique rejetée par les soi-disants ‘trotskystes’ de la tendance Class Struggle au Pakistan, organisation aujourd’hui en crise profonde. Seul le SMP, notre parti au Pakistan, a maintenu une position cohérente, principielle et délicate sur cette question. Le SMP, tout comme Lénine et Trotsky, défend les droits de tous les peuples opprimés, est pour l’égalité et s’oppose à la discrimination sur les bases raciale, ethnique, religieuse et nationale. Cela ne signifie pas qu’ils défendent le droit à l’auto-détermination, y compris le droit à l’indépendance, sans prendre en compte le sentiment parmi les masses. C’est le droit des peuples de chacune des zones nationales du Pakistan en-dehors du Pendjab, et même au Pendjab lui-même, de choisir leur propre voie.

    La position idéale, du point de vue du mouvement ouvrier au Pakistan, serait celle d’une confédération socialiste. Une telle confédération garantirait des droits complets à l’autonomie, permettrait tous les droits nationaux légitimes, jusqu’à l’élimination de la moindre expression de nationalisme ou de supériorité nationale d’un groupe ethnique ou national sur un autre. Cependant, si les nationalités opprimées souhaitent se séparer même d’un Etat ouvrier démocratique, alors le mouvement ouvrier doit l’accepter, comme Lénine l’a systématiquement défendu et, dans les faits, mis en pratique dans le cas de la Finlande en 1918. Class Struggle, dirigé jusqu’ici sur le plan international par le groupe d’Alan Woods (International Marxist Tendency), s’est systématiquement opposé à une telle politique au Pakistan. Ceci les a coupé de certains parmi les meilleurs combattants et dirigeants des travailleurs et paysans opprimés dans les parties non-penjâbies du pays, dont nombre d’entre eux se sont par conséquent orientés vers le SMP.

    Crise au sein de l’International Marxist Tendency

    Au même moment, le groupe d’Alan Woods suit la position totalement erronée qui consiste à s’accrocher coûte que coûte aux soi-disant «organisations traditionnelles de la classe ouvrière» – sans prendre en compte les circonstances concrètes qui permettent de déterminer si oui ou non ces organisations représentent toujours les masses laborieuses. Cette politique gît maintenant en ruines puisqu’une grande scission s’est développée au sein de «l’Internationale» de Woods, l’International Marxist Tendency (IMT) sur base, entre autres, des conséquences de cette politique. Cela a eu des conséquences désastreuses pour leur organisation au Pakistan, comme il cela a été illustré par l’importante documentation détaillant les méthodes bureaucratiques du groupe Woods (qui s’est séparé du Comité pour une Internationale Ouvrière en 1991).

    Très peu de travailleurs conscients entretiennent maintenant la moindre illusion dans le fait que le PPP – dirigé par Asif Zardari – représente dans la pratique, même de loin, les masses ouvrières et les paysans pauvres du Pakistan. Ce parti est noyé sous l’influence des féodaux, que ce soit dans les villes ou dans les régions rurales. C’est un parti qui s’est opposé aux grèves, qui a appelé à la casse de grèves et a même organisé cela (lors de la grève des travailleurs des télécoms par exemple). La position du PPP telle qu’elle était sous son fondateur Zulfikar Ali Bhutto – un parti ‘populiste’ capable de répondre aux revendications des masses – a depuis longtemps disparu.

    Par conséquent, la tâche qui se pose au Pakistan est la même que dans beaucoup de pays à travers le monde: développer un nouveau parti de masse des travailleurs et des paysans, ce à quoi le SMP a systématiquement appelé. Le groupe Woods – dont les dirigeants se vantaient d’être immunisés aux processus de ‘scissions’ qui selon eux condamnaient les autres organisations à une influence ‘marginale’ au sein du mouvement ouvrier – est maintenant gravement divisé.

    Par une ironie de l’Histoire, cette division se base sur les mêmes raisons ‘politiques’ qui ont autrefois justifié leur départ du CIO. C’était alors selon eux sur base de la soi-disant existence d’une ‘clique’ au ‘sommet du CIO’. Cette position a été rejetée par 93% des membres de l’organisation britannique du CIO, de même que par une majorité du CIO. Pourtant, c’est la même accusation, dans les faits, qui est aujourd’hui proférée à l’encontre d’Alan Woods et de son cercle. Il n’y avait absolument aucune base à cette accusation lorsqu’elle a été faite par Woods & Co en 1992 au sujet du CIO et de ses méthodes internes. La preuve de ceci peut être trouvée dans le développement ultérieur de sections nationales du CIO dotées de directions indépendantes et réfléchies, capables de répondre aux circonstances concrètes dans chaque pays et qui collaborent internationalement tout en agissant sans attendre d’ ‘instructions’ d’un centre international.

    Le CIO opèrent sur base du centralisme démocratique avec de pleins droits pour tous ses membres et sections et avec dans les faits, à ce stade, une plus grande emphase sur le besoin de discussions et de débats plutôt que sur les aspects formels du centralisme.

    La scission actuelle au sein de l’IMT a été étouffée – cachée à certains de leurs membres – jusqu’à l’heure où nous avons écrit cet article. Cependant, toutes les disputes politiques au sein du CIO sur toute une série de points dans les années ‘90 et les années 2000 ont été des discussions publiques, et les documents ont été publiés tandis que la discussion était toujours en cours. Les débats actuels sont par exemple largement publiés dans notre revue ‘Socialism Today’ sur la question de la Chine. Ceci afin de permettre à tous les travailleurs de voir et, si besoin est, de participer à la discussion de points cruciaux. Rien de semblable à ces discussions démocratiques n’est organisé dans l’IMT.

    C’est une toute autre image qui est donnée de l’IMT, de sa vie interne, de ses idées et surtout de sa direction dans les incroyables documents émanant du Pakistan, d’Espagne et d’autres qui se sont retrouvés chez Woods et son cercle proche. Les ‘dissidents’ pakistanais autour de Manzour Khan – l’ancien parlementaire PPP – ont dépeint le tableau tragique de là où peuvent conduire les positions erronées de Ted Grant et d’Alan Woods et leur insistance dogmatique pour mener coûte que coûte un travail à l’intérieur du PPP et des ex-partis ouvriers. Manzour justifie son opposition aux grèves – en tant que membre du PPP – par sa volonté de rester «à tout prix» dans le PPP. Woods a objecté à cela et a promptement exclu Manzour et ses partisans. Mais c’est une approche similaire à celle-ci qui a été adoptée par Grant et Woods au Royaume-Uni au sujet de la position des parlementaires de Militant depuis devenu le Socialist Party) contre la Poll Tax en 1991-92. Nous, la direction et l’immense majorité de Militant, avons affirmé que Terry Fields et Dave Nellist (nos deux parlementaires) ne pouvaient pas payer la Poll Tax parce que nous étions parvenus à inciter des millions de travailleurs à ne pas la payer et, lorsqu’ils ont été confrontés à une situation similaire, nous avons déclaré qu’ils devraient adopter une position principielle. Grant et Woods ont défendu le fait que les parlementaires devraient payer, afin de pouvoir demeurer à l’intérieur du Labour Party!

    Les socialistes étaient ‘morts’ en-dehors de cette ‘organisation traditionnelle’, disaient-ils, de la même manière qu’ils avaient professé à Manzour et aux autres dans ‘Class Struggle’ de mener un travail constant au sein du PPP. Nous aurions été ‘politiquement morts’ si les parlementaires et nous avions suivi leur position. Le Labour Party a depuis dégénéré, tout comme le PPP, en une formation bourgeoise. Grant & Co ont été piégés dans une perception obsolète et erronée: que toute vie politique de la classe ouvrière était limitée au Labour Party ; qu’en sortir reviendrait à ‘sauter d’une falaise’. Quel est le résultat de tout ceci? Ils sont aujourd’hui insignifiants au Royaume-Uni, tandis que le Socialist Party a grandi en nombre tout comme en influence. La même chose s’applique à l’échelle internationale, avec la perte d’influence de l’IMT dans de nombreux pays, et Alan Woods de plus en plus réduit au rôle de ‘conseiller bienveillant’ de Hugo Chavez au Venezuela. Ils ont réagi aux actions opportunistes et indéfendables de Manzour – qui n’étaient que la conclusion logique de leur propre position fossilisée au sujet des ‘organisations traditionnelles’ – en l’expulsant!

    Il se trouve toujours des marxistes et trotskistes sincères parmi leurs rangs qui, nous l’espérons, parviendront à trancher à travers l’épaisse couche de mensonges et de falsifications qui ont été élaborées par Alan Woods et par son groupe organisationnel dirigeant à l’encontre du CIO, de ses organisations, de sa direction et de sa politique. Un examen consciencieux des idées du CIO conduira, espérons-le, les meilleurs de ces camarades à réexaminer leur politique passée, et celle du CIO, et trouveront éventuellement le chemin qui les ramènera à une position trotskiste cohérente.

    Le Socialist Movement Pakistan et les tâches pour les masses

    Le trotskisme authentique est destiné à jouer un rôle crucial dans les batailles à venir pour la classe ouvrière pakistanaise. Et un aspect vital dans l’arsenal politique des forces qui vont se développer est les idées et les méthodes de LéonTrotsky, en particulier son anticipation brillante du caractère de la révolution dans le monde néocolonial, représenté par les idées de la révolution permanente, telle que définie dans son livre époustouflant.

    Malgré le terrorisme, le nationalisme et les divisions ethniques, la puissance potentielle de la classe ouvrière pakistanaise a également été bien visible dans le nombre de grèves et de manifestations de masse – y compris celles au Baloutchistan – des travailleurs de toutes ethnies et de toutes religions qui marchent ensemble pour défendre les organisations ouvrières et leurs droits. Le futur du Pakistan ne se trouve pas dans les mains des moudjahidines de droite abrutis ni de l’impérialisme américain, ni des groupuscules sectaires, mais de la puissante force de la classe ouvrière pakistanaise organisée avec une orientation socialiste. Le meilleur espoir d’accomplir tout ceci se trouve dans les idées et les méthodes de Léon Trotsky, mariées à l’analyse et au programme contemporain du Socialist Movement Pakistan.

    La presse capitaliste spécule autour d’une autre tentative par l’armée de prendre le pouvoir aux politiciens ‘démocratiques’ discrédités. Mais l’alternative de Nawaz Sharif face au PPP dominé par Zardri n’est pas une véritable alternative du tout. De même, un coup d’Etat – peut-être mené cette fois par des ‘colonels’ au passé fondamentaliste – n’est pas non plus capable d’offrir une solution aux problèmes du Pakistan et de la région. Bien au contraire, cela amènerait le scénario cauchemardesque d’un régime fondamentaliste ou soutenu par des fondamentalistes, disposant cette fois d’armes nucléaires. Un tel développement, s’il devait se produire, ne représenterait d’aucune manière le peuple du Pakistan parce que les fondamentalistes n’ont jamais reçu plus de 10-15% des voix aux élections. Seule la voie socialiste et démocratique offre la libération du cauchemar du féodalisme et du capitalisme pour les masses pakistanaises qui ont déjà tant souffert. Ce livre peut aider à poser les bases pour l’émergence d’une force qui puisse les mener dans cette direction.


    (1) La profondeur stratégique est un terme militaire pour décrire l’espace qui s’étend entre le(s) centre(s) de population et industriel(s) d’un pays et ses frontières – sa « couche de graisse protectrice », en quelque sorte, qui détermine de quelle marge un pays dispose après le début d’une invasion étrangère pour pouvoir préparer et organiser une contre-offensive. On pourrait aussi traduire ceci par « zone de repli ».

  • VIDEO Peter Taaffe à propos du nouveau livre de Robert Service sur Trotsky

    Robert Service, l’auteur d’une nouvelle biographie de Trotsky, a refusé d’entrer en débat avec notre parti-frère anglais, le Socialist Party. Ce n’est pas un hasard si un livre arrive ainsi pour attaquer Trotsky. Cela fait partie d’une tentative consciente pour dénigrer les idées et la méthode de Trotsky à un moment de crise du capitalisme. Dans la vidéo ci-dessous, Peter Taaffe critique ce livre (il y a cinq les parties, en anglais).

    Documentaire sur la vie de Trotsky

    Ce film documentaire français est constitué de deux parties: “Révolutions”, qui raconte différents épisodes de la vie de Trotsky de la révolution de 1905 à la victoire de Joseph Staline sur l’Opposition de Gauche en 1927, et “Exils”, qui aborde la vie de Trotsky d’Alma-Ata à la ville de Mexico où il sera assassiné par un agent de Staline, en passant par Prinkipo, la France et la Norvège où Trotsky a continué sa lutte contre le stalinisme. Réalisé par Patrick Le Gall et Alain Dugrand, ce film a reçu le prix du documentaire au FIPA de 1988. Il est constitué d’archives filmées d’époque et de nombreux témoignages : Marcel Body, Pierre Naville, Vlady (le fils de Victor Serge), Gérard Rosenthal, Maurice Nadeau, David Rousset, et d’analyses d’historiens tels que le regretté Pierre Broué et Jean-Jacques Marie.

  • Développer un programme socialiste pour les besoins des travailleurs et des jeunes en temps de crise capitaliste

    La discussion finale lors de la réunion du Comité Exécutif International (IEC) du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) qui s’est tenu en Belgique du 2 au 9 décembre a porté sur le programme et les slogans. Comme l’a expliqué Stephan Kimmerle dans son introduction à la discussion, toutes les discussions politiques plus larges qui ont eu lieu au cours de la semaine ont naturellement mené à cette discussion. L’objectif était de discuter de manière approfondie et de clarifier les slogans et le programme du CIO.

    D’un côté, certains parmi la Gauche internationale ne se basent que sur leur programme, sans parvenir à lier la nécessité objective du socialisme avec le niveau de conscience actuel des masses de travailleurs et de jeunes. De l’autre côté, d’autres à Gauche ne se basent que sur la conscience des masses, en ignorant la nécessité objective de la transformation socialiste de la société. L’approche du CIO, au contraire, est basée sur les expériences du mouvement ouvrier, y compris celles qui ont été faites au cours de la Révolution russe, et qui sont résumées dans le Programme de Transition de Trotsky. Les revendications transitoires sont formulées de sorte à être liées à la conscience actuelle et à constituer un pont entre la conscience existante et la nécessité objective du changement socialiste.

    La discussion sur le programme n’est pas quelque chose d’abstrait, au cours de laquelle les marxistes développent un programme isolé du reste du monde. Comme Peter Taaffe l’a noté dans sa conclusion à la discussion, même le Programme de Transition de Trotsky, écrit en 1938, n’était pas le produit d’un seul homme, quelque génie qu’il fût. Il était le produit du dialogue qui vivait à l’époque entre la classe ouvrière et les rangs de la Quatrième Internationale.

    La discussion a été très vive à cause de la crise profonde que le capitalisme connaît actuellement et des luttes ouvrières qui ont émergé en réponse. Dans de nombreux pays, comme l’Irlande, le programme du CIO est en train de trouver une large audience et trouve une nouvelle vigueur au cours des mouvements et actions de masse.

    La conscience

    La discussion a commencé avec l’évaluation de la conscience des masses, comme elle existe en ce moment. Stephan a suggéré qu’en ce moment, il y a surtout des caractéristiques d’une conscience anti-patronale ou anti-banquiers. Bien que d’importantes sections de travailleurs et de jeunes parmi les plus avancés soient en train de tirer des conclusions plus hardies, ceci ne veut pas encore dire que de larges sections de la classe ouvrière arrivent à des idées définitivement anticapitalistes ou socialistes. Toutefois, il est clair qu’à cause des perspectives définies au cours des discussions à l’IEC – qui sont des perspectives de crises et de luttes de classe qui vont en s’approfondissant – la conscience peut rapidement se développer plus en avant.

    Les luttes entamées sous l’impact de la récession ont montré une tendance à se développer à vive allure et avec une radicalisation rapide. Par exemple, sous les coups de la crise économique, nous avons vu d’importantes luttes contre les fermetures d’usines. Gary, d’Irlande du Nord, a discuté ce développement en lien avec l’occupation de l’usine automobile de Visteon à Belfast. Les revendications de départ des travailleurs en occupation étaient de meilleures indemnités de licenciement. Le maintien de l’emploi n’était pas un point central. Le Socialist Party (CIO-Irlande) a participé à l’action et a amené la nécessité de sauver les emplois via la nationalisation. A travers le développement de la lutte, la confiance des travailleurs s’est accrue et la revendication de la nationalisation a gagné un large soutien. C’en était assez de se battre seulement pour de meilleurs licenciements, les travailleurs voulaient se battre pour sauver leur emploi. A la fin du conflit, l’idée de nationalisation de l’usine était majoritairement soutenue.

    Cette tactique – l’occupation pour défendre les emplois – a été un point qui est revenu tout au long de la discussion. Stephan a expliqué comment son adoption illustre bien le caractère explosif de la situation dans laquelle nous sommes arrivés avec le début de la récession économique. Là où c’est approprié, les véritables socialistes doivent appeler à procéder à des occupations afin de défendre l’emploi et pour que la production s’effectue sous le contrôle et la gestion des travailleurs.

    La nationalisation sous contrôle et gestion des travailleurs

    Un thème central de la discussion a concerné le slogan de «nationalisation sous contrôle et gestion démocratiques des travailleurs». Stephan a souligné en quoi la revendication de la nationalisation est cruciale pour les travailleurs, en particulier lorsqu’ils sont confrontés aux licenciements. Toutefois, puisque les gouvernements capitalistes ont effectué des «nationalisations capitalistes» afin de sauver les banques, avec en vue une reprivatisation future, il est nécessaire de clarifier la nature des nationalisations pour lesquelles nous nous battons.

    Le point essentiel que de nombreux orateurs ont mis en avant est que nous sommes en faveur d’un type complètement différent de nationalisation – la nationalisation sous le contrôle et la gestion démocratique des travailleurs. On a beaucoup parlé du besoin d’insister sur le caractère démocratique de cette revendication, tout en restant flexible par rapport à la manière dont cela est exactement posé, mais en insistant essentiellement sur la nécessité de représentants directement élus du personnel de l’entreprise concernée, de même que de représentants des intérêts des travailleurs de l’ensemble de la société en général.

    Par exemple, dans certaines circonstances, nous avons parlé de la nécessité de représentants des utilisateurs, des consommateurs, des militants environnementaux, etc. Afin d’insister sur le fait que nous appelons à ce que les intérêts des travailleurs en général soient pris en compte, Nikos de Grèce a expliqué comment notre organisation grecque, Xekinima, utilise le slogan de «contrôle ouvrier et social».

    Dans sa conclusion, Peter Taaffe, de la part du Secrétariat International, a parlé de la distinction entre la revendication du contrôle ouvrier et celle de la gestion ouvrière, la première étant une revendication d’en bas – contrôle de l’embauche, des pratiques d’entreprises, etc. – tandis que la deuxième est une revendication pour la gestion de l’entreprise par le personnel. C’est en particulier cette deuxième revendication qui pose la nécessité centrale d’une économie démocratiquement planifiée.

    Une des questions qui émergent de la relation avec la revendication de nationalisation est lorsqu’il y a une demande insuffisante pour les marchandises produites. Ceci est particulièrement le cas pour l’industrie automobile actuelle, lorsque même les travailleurs pourraient considérer la nationalisation comme étant irréaliste à cause de l’absence d’un marché. Les orateurs ont mis en avant le fait que, dans ce cas, il faille soulever la question de la réorientation de la production vers quelque chose de socialement nécessaire, tel que le plan développé par les travailleurs de Lucas Aerospace au Royaume-Uni en 1976, où le personnel de l’usine d’aéronautique militaire avait proposé le passage à une production utile, dans le cadre de la lutte pour défendre l’emploi.

    Les gouvernements de gauche

    L’absence, en général, de puissants partis des travailleurs a un effet important sur les revendications qui sont mises en avant. Un slogan crucial pour la plupart des sections du CIO est la revendication de nouveaux partis de masse des travailleurs et des propositions afin d’aider à construire les nouvelles formations de gauche existantes afin d’en faire des partis de masse. Là où des mouvements de masse se développent et qui ont le potentiel de faire chuter des gouvernements, la question de qui devrait être au gouvernement est implicitement posée.

    Là où des forces de gauche existent, l’appel large à un gouvernement ouvrier, ou à un gouvernement des pauvres et des travailleurs, peut être rendu plus concret par la revendication d’un gouvernement de Gauche des forces basées sur un programme socialiste. En Grèce, au cours des élections qui se sont déroulées il y a quelques mois d’ici, la section grecque du CIO a appelé à un gouvernement de Gauche basé sur un programme socialiste, et qui inclurait le KKE (Parti Communiste Grec) et Syriza (une coalition de gauche large à laquelle collabore notre section grecque).

    Dans les années à venir, la question du «moindre mal» et de la politique des coalitions va également être une autre question cruciale pour la Gauche. Parfois, cela peut vouloir dire que des travailleurs vont rejeter les partis de gouvernement et se verront forcés de soutenir à contrecœur des anciens partis ouvriers, afin de maintenir à distance les plus droitiers des partis capitalistes. Les classes dirigeantes vont elles aussi tenter d’incorporer des formations de gauche à leur establishment, afin d’agir en tant que «soupape de sécurité» capable d’accomplir en même temps des coupes sociales drastiques.

    Etant donné le niveau des mouvements et de la conscience de classe actuels, il se pourrait parfois que d’importantes sections des travailleurs poussent des partis de gauche à participer à des coalitions gouvernementales, en particulier aux côtés d’ancien partis ouvriers, tels que les partis sociaux-démocrates et ‘communistes’. C’est une discussion cruciale en Allemagne en particulier, où l’idée de ce qui serait appelé un gouvernement de «Gauche» composé du SPD (parti social-démocrate), des Verts et de la formation de gauche Die Linke pourrait susciter un soutien massif. Comme l’a expliqué Sascha, d’Allemagne, nous sommes opposés à toute participation à des gouvernements qui gèrent le capitalisme, ce qui dans cette période signifie de profondes coupes sociales. Dans certaines circonstances, les socialistes peuvent mener campagne en faveur d’une série de revendications spécifiques à imposer à un gouvernement de «Gauche», tout en se réservant toujours le droit de s’opposer et de voter contre toute mesure anti-ouvrière.

    La rubrique «Ce pour quoi nous luttons»

    Un autre point qui est revenu dans la discussion a été la remise à jour des rubriques «Ce pour quoi nous luttons» dans nos journaux.

    Judy d’Angleterre a expliqué en quoi cette rubrique n’est qu’un avant-goût de notre programme global, puisqu’il est impossible d’expliquer en quelques mots l’ensemble de notre programme concernant toute une série de problèmes différents. Elle a décrit comment la formulation dans le Socialist de la revendication «Lutte syndicale pour accroître le salaire minimum à 8£ de l’heure sans exceptions, en tant que transition immédiate vers 10£ de l’heure» est liée à la nécessité d’une lutte par les syndicats et par la classe ouvrière pour réaliser cette revendication et d’autres.

    Philip, des Etats-Unis, a relaté la discussion en cours dans sa section quant à la rubrique «Ce pour quoi nous luttons». Cette discussion a énormément apporté à la section, car elle a permis à beaucoup de membres de mieux se former. Philip a souligné le besoin d’être ferme en substance, mais flexible dans la manière dont nous formulons nos revendications, d’une manière fraiche, capable de se connecter avec le niveau actuel de compréhension et de conscience, tout en mettant en avant nos revendications, y compris celles qui vont un, deux ou trois pas en avant de la conscience, afin d’aider le développement du mouvement ouvrier.

    La discussion continue

    La discussion a clairement illustré à quel point les sections du CIO sont étroitement connectées aux luttes de la classe ouvrière, et à quel point notre programme a trouvé une réelle audience et un réel soutien au cours de cette période. Elle a aussi souligné la nécessité d’affiner et d’adapter nos slogans dans la crise économique actuelle.

    Dans sa conclusion, Peter Taaffe a souligné la pertinence croissante de notre programme de transition, et le fait que la discussion sur le programme est permanente, afin de développer la participation du CIO dans la lutte de classe qui est en train de se développer.

  • Programme de transition et nationalisations (3) – L’industrie nationalisée et la gestion ouvrière, par Léon Trotsky

    Cet article ne figure dans aucune archive de Trotsky. Il a été découvert et identifié en avril 1946, lors d’une visite de Joe Hansen chez le vieux militant mexicain Rodrigo Garcia Treviño (né en 1902). Ce dernier, qui était l’un des dirigeants de la C.T.M., proche de Francisco Zamora, et avait des contacts avec Trotsky avait tenté de persuader ce dernier de l’importance de la gestion ouvrière décidée par le gouvernement Cárdenas pour les chemins de fer et les entreprises pétrolières nationalisées. Trotsky fut apparemment ébranlé puisqu’il annonça qu’il allait réfléchir. Ce texte est le résultat de ses réflexions qu’il envoya quelques jours après à Garcia Treviño. L’exemplaire trouvé chez Garcia Treviño portait des corrections manuscrites de Trotsky et il n’y a pas de doute quant à son authenticité.

    Source : Œuvres – T. XVIII (EDI)

    Dans les pays industriellement arriérés, le capital étranger joue un rôle décisif. D’où la faiblesse relative de la bourgeoisie nationale par rapport au prolétariat national. Ceci crée des conditions particulières du pouvoir d’État. Le gouvernement louvoie entre le capital étranger et le capital indigène, entre la faible bourgeoisie nationale et le prolétariat relativement puissant. Cela confère au gouvernement un caractère bonapartiste sui generis particulier. Il s’élève pour ainsi dire au dessus des classes. En réalité, il peut gouverner, soit en se faisant l’instrument du capital étranger et en maintenant le prolétariat dans les chaînes d’une dictature policière, soit en manœuvrant avec le prolétariat et en allant même jusqu’à lui faire des concessions et conquérir ainsi la possibilité de jouir d’une certaine liberté à l’égard des capitalistes étrangers. La politique actuelle du gouvernement en est au second stade : ses plus grandes conquêtes sont les expropriations des chemins de fer et de l’industrie pétrolière.

    Ces mesures sont intégralement du domaine du capitalisme d’État. Toutefois, dans un pays semi colonial, le capitalisme d’État se trouve sous la lourde pression du capital privé étranger et de ses gouvernements, et il ne peut se maintenir sans le soutien actif des travailleurs. C’est pourquoi il s’efforce, sans laisser glisser de ses mains le pouvoir réel, de placer sur les organisations ouvrières une partie importante de la responsabilité pour la marche de la production dans les branches nationalisées de l’industrie.

    Oue devrait être dans ce cas la politique du parti ouvrier ? Ce serait évidemment une erreur désastreuse, une parfaite escroquerie que d’affirmer que la route vers le socialisme ne passe pas par la révolution prolétarienne mais par la nationalisation par l’Etat bourgeois de diverses branches de l’industrie et de leur transfert aux mains des organisations ouvrières. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Le gouvernement bourgeois a effectué lui même la nationalisation et a été obligé de demander la participation ouvrière à la gestion de l’industrie nationalisée. On peut, bien entendu, esquiver le problème en citant le fait que, sauf si le prolétariat s’empare du pouvoir, la participation des syndicats à la gestion des entreprises de capitalisme d’Etat ne peut donner de résultats socialistes. Cependant, une politique aussi négative de la part de l’aile révolutionnaire ne serait pas comprise par les masses et ne contribuerait qu’à renforcer les positions opportunistes. Pour les marxistes, il ne s’agit pas de construire le socialisme des mains de la bourgeoisie, mais d’utiliser les situations qui se présentent dans le cadre du capitalisme d’Etat et de faire progresser le mouvement révolutionnaire des ouvriers. La participation aux parlements bourgeois ne peut plus désormais donner de résultats positifs importants ; dans certaines conditions, elle conduit même à la démoralisation des députés des ouvriers. Mais aux yeux des révolutionnaires, cela ne constitue nullement un argument en faveur de l’antiparlementarisme.

    Il serait inexact d’identifier la politique de participation des ouvriers à la gestion de l’industrie nationalisée et la participation des socialistes à un gouvernement bourgeois (ce que nous appelions ministérialisme). Tous les membres du gouvernement sont liés les uns aux autres par les liens de solidarité. Un parti qui est représenté au gouvernement est responsable de toute la politique gouvernementale, dans son ensemble. La participation à la gestion d’une branche donnée de l’industrie laisse l’entière possibilité d’une opposition politique. Dans le cas où les représentants des ouvriers sont en minorité dans la gestion, ils ont l’entière possibilité de le dire et de publier leurs propositions qui ont été repoussées par la majorité, de les porter à la connaissance des travailleurs, etc.

    On peut comparer la participation des syndicats à la gestion de l’industrie nationalisée à la participation des socialistes aux municipalités, où les socialistes remportent parfois la majorité et sont ainsi amenés à gérer une importante économie municipale, alors que la bourgeoisie domine toujours l’Etat et que les lois de la propriété bourgeoise demeurent en vigueur. Dans la municipalité, les réformistes s’adaptent passivement au régime bourgeois. Sur ce terrain, les révolutionnaires font tout leur possible dans l’intérêt des travailleurs et, en même temps, enseignent à chaque étape aux travailleurs qu’une politique municipale est impuissante sans la conquête de l’appareil d’Etat.

    La différence, bien entendu, réside en ce que, dans le domaine des municipalités, les ouvriers s’emparent de certaines positions par des élections démocratiques, tandis que, dans celui de l’industrie nationalisée, c’est le gouvernement lui même qui les invite à prendre certains postes. Mais cette différence est purement formelle. Dans l’un et l’autre cas, la bourgeoisie est obligée de concéder aux ouvriers certaines sphères d’activité. Et les travailleurs les utilisent dans leur propre intérêt. Il serait léger de fermer les yeux sur les dangers qui découlent d’une situation dans laquelle les syndicats jouent un rôle dirigeant dans l’industrie nationalisée. La base en est le lien entre les sommets des dirigeants syndicaux et l’appareil du capitalisme d’Etat, la transformation des représentants mandatés du prolétariat en otages de l’Etat bourgeois. Mais si grand que puisse être ce danger, il ne constitue qu’une partie d’un danger, ou plus exactement, d’une maladie générale, à savoir la dégénérescence bourgeoise des appareils syndicaux à l’époque impérialiste, pas seulement dans les vieux centres des métropoles mais également dans les pays coloniaux [1] . Les dirigeants syndicaux, dans l’écrasante majorité des cas, sont des agents politiques de la bourgeoisie et de son Etat. Dans l’industrie nationalisée, ils peuvent devenir et ils sont déjà en train de devenir ses agents administratifs directs. Contre cela, il n’y a que la lutte pour l’indépendance du mouvement ouvrier en général, et en particulier pour la formation dans les syndicats de solides noyaux révolutionnaires capables, tout en préservant l’unité du mouvement syndical, de lutter pour une politique de classe et pour que les organismes dirigeants soient composés de révolutionnaires.

    Un danger d’une autre sorte réside dans le fait que les banques et autres entreprises capitalistes dont une branche, d’industrie nationalisée, dépend au sens économique du terme, peuvent utiliser et utiliseront des méthodes particulières de sabotage pour faire obstacle à la gestion ouvrière, pour la discréditer et la pousser au désastre. Les dirigeants réformistes essaieront d’écarter ce danger en s’adaptant servilement aux exigences de leurs fournisseurs capitalistes et en particulier des banques. Les dirigeants révolutionnaires, au contraire, tireront du sabotage des banques la nécessité de les exproprier et d’établir une banque nationale unique qui serait le centre comptable de l’économie tout entière. Bien entendu, cette question doit être indissolublement liée à la question de la conquête du pouvoir par la classe ouvrière .

    Les différentes entreprises capitalistes, nationales et étrangères, vont inévitablement commencer à comploter avec les institutions de l’Etat pour faire obstacle à la gestion ouvrière de l’industrie nationalisée. Par ailleurs les organisations ouvrières, qui participent à la gestion des différentes branches de l’industrie nationalisée doivent s’unir pour échanger leurs expériences, se soutenir économiquement les unes les autres, agir en unissant leurs forces sur le gouvernement, les conditions du crédit, etc. Un tel bureau central de la gestion ouvrière des branches nationalisées de l’industrie doit être évidemment en contact étroit avec les syndicats.

    Pour résumer, on peut dire que ce nouveau domaine de travail comporte à la fois les possibilités et les dangers les plus grands Les dangers consistent en ce que, par l’intermédiaire de syndicats contrôlés, le capitalisme d’État peut tenir les ouvriers en échec, les exploiter cruellement et paralyser leur résistance. Les possibilités révolutionnaires consistent en ce que, s’appuyant sur leurs positions dans des branches exceptionnellement importantes de l’industrie, les ouvriers peuvent de toutes leurs forces lancer leur attaque contre les forces du capital et contre l’Etat bourgeois. Laquelle de ces possibilités va t elle prévaloir ? Dans combien de temps ? Il est naturellement impossible de le prédire. Cela dépend entièrement de la lutte entre les diverses tendances au sein de la classe ouvrière, de l’expérience des ouvriers eux mêrnes, de la situation mondiale. En tout cas, pour utiliser cette forme nouvelle d’activité dans l’intérêt de la classe ouvrière et pas de l’aristocratie et de la bourgeoisie ouvrière, il n’y a qu’une condition qui soit nécessaire : l’existence d’un parti marxiste révolutionnaire qui étudie avec soin chaque forme d’activité ouvrière, critique toute déviation, éduque et organise les travailleurs, gagne de l’influence dans les syndicats et assure une représentation ouvrière révolutionnaire dans l’industrie nationalisée.

    Les principes de base de l’activité des marxistes dans les syndicats à l’époque de la “réaction sur toute la ligne”.

    Le dernier article de Trotsky avant son assasinat par un agent de Staline.

    Oeuvres : août 1940

  • Programme de transition et nationalisations (2) – Le contrôle ouvrier et la gestion ouvrière

    Les textes ci-dessous ont été écrits en 1995 pour le bulletin intérieur du Militant Labour, dont le nom est aujourd’hui le Socialist Party, parti-frère du PSL en Angleterre et au Pays de Galles.

    1. Certaines questions sur le contrôle ouvrier et la gestion ouvrière – une contribution de Matt Wrack

    Je désire clarifier certaines questions concernant notre position sur les questions de la nationalisation, du contrôle ouvrier et de la gestion ouvrière.

    Trotsky a discuté de la question du contrôle ouvrier lorsqu’il écrivait en particulier au sujet de la situation en Allemagne des années 30-32, et plus tard au Mexique.

    Les citations ci-dessous sont tirées des articles suivants :

    • «Au sujet du contrôle ouvrier sur la production» – 20 août 1931
    • «La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne – Problèmes vitaux du prolétariat allemand» – 27 janvier 1932

    Ces deux articles étant inclus dans le livre «Comment vaincre le fascisme?»

    • «Au sujet du deuxième plan hexennal mexicain» – 14 mars 1939
    • «Industrie nationalisée et gestion ouvrière» – 12 mai 1939

    Ces deux articles étant inclus dans «Oeuvres 1938-39»

    • «Les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste» – août 1940

    Cela fait longtemps que nous revendiquons la nationalisation des plus grandes entreprises sous «le contrôle et la gestion ouvriers». Plus récemment, notre journal incluait un dossier central sur la nationalisation sous «le contrôle et la gestion par les travailleurs».

    Je suis toutefois persuadé qu’il existe un danger si nous utilisons ce slogan d’une manière formaliste et réformiste. Nous devons clairement savoir de quoi nous parlons lorsque nous parlons du contrôle ouvrier.

    Pour Trotsky, le contrôle ouvrier et la gestion ouvrières étaient deux phases distinctes de la lutte de classe. Il s’est opposé de manière spécifique à la confusion entre les deux termes – un piège dans lequel il me semble que tombe notre formulation. «Mais pourquoi appeler la gestion, contrôle ? Dans un langage compréhensible par tous, on entend par contrôle, la surveillance et la vérification par un organisme du travail d’un autre organisme. Le contrôle peut être très actif […]. Mais c’est toujours un contrôle. » (La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne)

    Trotsky parlait du contrôle ouvrier en tant qu’étape de la lutte sous un régime capitaliste, où les bourgeois sont toujours aux commandes de l’Etat et de leur propre industrie. Le contrôle ouvrier signifie exactement ce qu’il veut dire. Les travailleurs exercent un contrôle sur certains aspects de la production, exigent l’abolition du secret d’affaires, appellent au contrôle sur l’inflation. Malgré ceci, la propriété de l’industrie demeure entre les mains des capitalistes.

    «Le contrôle ouvrier signifie une sorte de dualité du pouvoir à l’usine, dans les banques, dans les maisons de commerce, etc…» (Au sujet du contrôle ouvrier sur la production). En d’autres termes, le contrôle ouvrier est caractéristique d’une période où la classe ouvrière n’a pas encore pris le pouvoir.

    Le contrôle ouvrier est clairement perçu par Trotsky comme une période de préparation à la gestion ouvrière. La gestion ouvrière signifie que c’est la classe ouvrière qui est aux commandes de l’industrie. Mais sans un plan général, c-à-d sans une révolution socialiste, la gestion ouvrière est impossible. La gestion ouvrière n’est possible qu’à la suite d’une révolution socialiste et du développement d’un plan général de production. En utilisant sans cesse les deux termes l’un avec l’autre, nous courons le risque de confondre différentes phases du processus révolutionnaire.

    Les industries nationalisées

    En ce qui concerne l’industrie nationalisée, nous avons parfois présenté notre programme d’une manière quelque peu différente, et appelé à la «gestion ouvrière» des industries nationalisées. Nous revendiquons souvent le fait que ces entreprises soient dirigées par des comités élus pour un tiers par le personnel de l’entreprise, pour un tiers par d’autres syndicats ou la fédération syndicale, et pour un tiers par un gouvernement ouvrier socialiste.

    Encore une fois, il me semble que nous tombons dans le piège qui consiste à présenter une revendication formaliste qui ignore la réalité de la lutte de classe.

    La première chose dont nous devons nous rappeler, bien entendu, est que la nationalisation de l’industrie par un gouvernement capitaliste n’est pas une mesure socialiste, et ne fait pas partie d’un processus graduel de socialisation. Des nationalisations ont été réalisées pour toutes sortes de raisons spécifiques, mais ont en général pour objectif de protéger l’économie nationale (capitaliste) dans son ensemble, et par conséquent de protéger l’Etat national (capitaliste). En d’autres termes, de telles mesures ne sont pas socialistes, mais capitalistes.

    «Ce serait véritablement une erreur désastreuse, une véritable supercherie, d’affirmer que la route vers le socialisme passe, non pas par la révolution prolétarienne, mais par la nationalisation par l’Etat bourgeois de divers secteurs de l’industrie et leur transfert entre les mains d’organisations ouvrières» (Industrie nationalisée et gestion ouvrière).

    Au Mexique, le régime bourgeois avait nationalisé les chemins de fer et les champs pétroliers, et offrait aux syndicats un rôle dans la gestion de ces industries. Trotsky trouvait que les organisations ouvrières devaient participer à de tels projets. Mais il ne s’est pas arrêté là. Pour Trotsky, les événements pouvaient se développer de deux manières. Les représentants ouvriers pouvaient utiliser de telles opportunités afin de montrer la nécessité d’une révolution socialiste et d’une planification socialiste de l’ensemble de l’économie. La mise en pratique d’une telle stratégie requérait la construction d’un parti révolutionnaire. D’un autre côté, la participation des travailleurs à la gestion des industries nationalisées pouvait être utilisée comme un piège par la bourgeoisie, «afin de contenir les travailleurs, de les exploiter cruellement et de paralyser leur résistance» (Industrie nationalisée et gestion ouvrière). Le facteur qui déciderait de la manière dont les événements se dérouleraient était la lutte au sein des organisations ouvrières, entre révolutionnaires et réformistes.

    Il y a beaucoup de différences entre le Mexique de 1939 et le Royaume-Uni d’aujourd’hui. Toutefois, comme au Mexique de 1939, nous avons une direction syndicale corrompue et qui a démontré, encore et encore, son incapacité à mener la moindre lutte. L’implication des dirigeants ouvriers dans la gestion des industires nationalisées, ou même la «gestion ouvrière» complète (si une telle chose était possible dans le cadre du capitalisme) ne ferait pas, en soi, avancer la lutte.

    «Pour être durable, résistante, « normale », la participation des ouvriers à la direction de la production devrait être basée sur la collaboration de classe et non sur la lutte de classes. Mais une telle collaboration de classe n’est possible qu’entre les sommets des syndicats et les organisations capitalistes. De telles expériences furent nombreuses […]. Mais dans tous ces cas il s’agit non pas du contrôle ouvrier sur le capital, mais de la domestication de la bureaucratie ouvrière par le capital» (Au sujet du contrôle ouvrier sur la production).

    Contrôle ouvrier et démocratie ouvrière

    Donc, le fait d’amener la revendication du contrôle ouvrier de manière isolée du reste de notre programme ne fait pas forcément progresser la lutte de la classe. La revendication pour le contrôle ouvrier de l’industrie doit être liée à la lutte pour le contrôle ouvrier de leurs propres organisations, c-à-d pour la démocratie ouvrière au sein du mouvement ouvrier. Sans cette condition cruciale, il y a toujours la possibilité que le «contrôle ouvrier», ou la «gestion ouvriière» constituent en réalité des armes contre la classe ouvrière.

    A nouveau, Trotsky a clairement énoncé les faits. «La nationalisation des chemins de fer et des champs de pétrole au Mexique n’a évidemment rien de commun avec le socialisme.

    C’est une mesure de capitalisme d’Etat […]. La gestion des chemins de fer et des champs de pétrole sous le contrôle des organisations ouvrières n’a rien de commun avec le contrôle ouvrier sur l’industrie, car, en fin de compte, la gestion est entre les mains de la bureaucratie ouvrière, qui est indépendante des travailleurs, mais en retour complètement sous la dépendance de l’Etat bourgeois. Cette mesure de la part de la classe dirigeante vise à discipliner la classe ouvrière, et à la faire travailler davantage au service des « intérêts communs » de l’Etat qui semblent se confondre avec les intérêts de la classe ouvrière elle-même. […] Dans ces conditions, la tâche de l’avant-garde révolutionnaire consiste à conduire la lutte pour la complète indépendance des syndicats et pour l’introduction du contrôle ouvrier véritable sur la bureaucratie syndicale qui a été transformée en administration des chemins de fer, des entreprises de pétrole, etc.» (Les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste).

    Il est évident que nous devons soutenir les éléments de contrôle ouvrier qui existent dans l’industrie capitaliste et, à certains moments de la lutte, amener la revendication de l’extension de ce contrôle ouvrier. La possibilité d’introduire la «gestion ouvrière» dans les industries nationalisées au sein de l’économie capitaliste est sujette à débat. En réalité, il est probable que de telles mesures seraient assez similaires à la lutte pour le contrôle ouvrier dans l’industrie privée.

    Le programme d’un gouvernement socialiste de lutte inclurait la nationalisation par l’expropriation des capitalistes. Dans les premiers stades d’un tel régime, on pourrait toujours voir l’introduction du contrôle ouvrier – mais cela se ferait à l’encontre de l’industrie capitaliste qui subsisterait (souvenons-nous que les Bolchéviks n’ont commencé la plupart des nationalisations majeures qu’un certain temps après la révolution d’octobre). A ce moment, le contrôle ouvrier serait très probablement dirigé contre le sabotage par les capitalistes. Le programme de nationalisation signifierait l’introduction de la gestion par les travailleurs, dans le cadre d’un plan de production démocratique.

    Matt Wrack


    2. Une réponse par Peter Taaffe

    La contribution de Matt Wrack au sujet du contrôle ouvrier et de la gestion ouvrière est plus que bienvenue. La lettre de Matt nous donne l’occasion de clarifier, à partir d’un point de vue marxiste, les questions du contrôle ouvrier et de la gestion ouvrière, autour desquelles une énorme confusion est encore générée au sein du mouvement ouvrier.

    Matt nous a expliqué que le contrôle ouvrier et la gestion ouvrière sont deux phases distinctes dans la lutte de la classe ouvrière. Jusqu’à un certain point, cela est vrai, mais il n’y a pas non plus de barrière rigide qui sépare ces deux étapes. Qui plus est, la gestion ouvrière et le contrôle ouvrier peuvent être combinés à la fois dans les industries nationalisées et dans l’économie planifiée, comme nous allons l’expliquer plus loin.

    Comme Trotsky l’a souligné, en général, le contrôle ouvrier est une étape dans la lutte contre le régime capitaliste, tandis que la gestion ouvrière ne vient qu’après la révolution socialiste.

    Toutefois, si cette théorie est interprétée d’une manière trop unilatérale, il est impossible de décrire les actions des Bolchéviks dans la période qui a immédiatement suivi leur prise du pouvoir. Avec la révolution d’octobre 1917, la bourgeoisie a été expropriée politiquement, leur Etat renversé, et un Etat ouvrier démocratique a été mis sur pied.

    Cependant, dans la première période qui a suivi la révolution, et qui a duré approximativement neuf mois, les Bolchéviks se sont restreints à la nationalisation des banques, et ont laissé la propriété officielle des usines entre les mains des capitalistes. Dans les faits, le régime dans les usines était un régime de contrôle ouvrier, les travailleurs gagnant de plus en plus d’expérience de gestion pour la future phase de gestion ouvrière au sens réel du terme.

    Les Bolchéviks ont été forcés de mettre l’industrie sous contrôle de l’Etat à cause du sabotage de la bourgeoisie mais surtout à cause de l’intervention impérialiste, de la guerre civile, etc. Dans un certain sens, cette mesure était «prématurée» (les Bolchéviks auraient préféré une plus longue période de contrôle ouvrier pour que la classe ouvrière gagne l’expérience nécessaire de direction, gestion et contrôle de l’industrie). Néanmoins, le contexte leur a imposé la nécessité de passer de la phase de contrôle ouvrier à celle de gestion ouvrière sous contrôle ouvrier.

    Ceci soulève une autre question, implicitement mentionnée dans la lettre de Matt, bien qu’il n’ait pas développé ce point d’une manière plus claire – le fait que nous devrions soutenir le contrôle ouvrier dans certaines circonstances, ou la gestion ouvrière sur base d’une économie planifiée, mais que nous ne devrions pas mélanger ces deux concepts «distincts». C’est là une manière unilatérale, erronée même, de présenter le problème.

    Sur base d’une économie socialiste planifiée, nous aurions la gestion ouvrière (dont la forme exacte sera déterminée par la classe ouvrière lorsqu’elle aura pris le pouvoir, mais dont nous pouvons déjà esquisser les grandes lignes) et le contrôle ouvrier.

    La gestion ouvrière impliquerait la gestion de l’industrie dans son ensemble, des secteurs individuels de l’industrie, et même de chaque usine prise séparément, par l’implication de l’ensemble de la classe ouvrière à travers leurs organisations.

    En même temps, dans chaque usine et dans chaque secteur d’industrie, le système de contrôle ouvrier existerait lui aussi. Les travailleurs, via leurs comités de délégués, leurs organisations syndicales, ou leurs comités d’usine exerceraient un « contrôle » sur leur « propre direction ». Par exemple, les mineurs, voire les pompiers, etc. organiseraient des conférences locales, régionales, et nationales pour y débattre, par exemple, de «leur part» et de leurs droits au moment de la conception du plan de production national. Ils se rencontreraient aussi probablement afin de discuter de leurs droits et de leurs conditions de travail dans les usines et dans leur secteur industriel dans son ensemble. C’est ce qu’on appellerait le contrôle ouvrier. Toutefois, la gestion des entreprises individuelles et de l’industrie dans son ensemble serait confiée à des organes qui représenteraient l’ensemble de la classe ouvrière via ses organisations. Demander qu’un groupe particulier de travailleurs ait le droit de gérer «son» industrie, c’est de l’anarcho-syndicalisme. D’un autre côté, le seul fait d’avoir des organes de gestion sans l’élément de contrôle ouvrier ouvrier dans l’usine et dans le secteur industriel dans son ensemble, ouvrirait le danger de la dégénérescence bureaucratique, même au sein d’un Etat ouvrier sain.

    Lénine avait souligné le fait que la classe ouvrière doit exercer le contrôle sur son «propre Etat», et c’est une des raisons pour lesquelles les syndicats doivent rester indépendants de l’Etat.

    Ceux-ci devraient à la fois combattre la tendance à la bureaucratisation via le contrôle ouvrier, et en même temps fournir le personnnel pour la gestion ouvrière. Ce n’est qu’en approchant cette question de manière multilatérale, c’est-à-dire, dialectique, qu’il est possible de pleinement appréhender ce qu’impliquent les idées de contrôle et de gestion ouvriers. En même temps, nous commettrions une erreur fatale, à la fois sous le capitalisme et sous une économie socialiste planifiée, si nous ces voyions ces idées de manière statique et non dynamique. Elles doivent être liées à l’avancement de la lutte de classe. Un danger est exprimé par Matt dans sa lettre, lorsqu’il parle de l’expérience des nationalisations mises en oeuvre au Mexique dans les années ‘30.

    Tout d’abord, sur la question de la nationalisation. Matt n’exprime pas de manière absolument claire que nous sommes en faveur de toute nationalisation, même d’une nationalisation partielle, et en particulier aujourd’hui, lorsqu’on parle de renationalisation, par exemple, des services publics qui ont été privatisés sous les Tories. En n’affirmant pas cela clairement, il est possible d’interpréter ses remarques comme étant neutres, voire opposées à des mesures de nationalisation partielles. S’il est en faveur des nationalisations, ce dont nous sommes sûrs et certains, quelle forme devrait prendre la direction de ces entreprises étatiques?

    En parlant de ça, il ne suffit pas de simplement dire que les nationalisations sont une expression du «capitalisme d’Etat». Elles sont aussi, comme tous les grands maîtres marxistes l’ont souligné, une expression de la faillite du capitalisme, de l’impossibilité de poursuivre le développement de secteurs industriels vitaux sur base de la propriété privée.

    Engels, parlant de la tendance à la nationalisation, l’a même qualifiée d’expression de “révolution socialiste envahissante” («invading socialist revolution» traduction libre de l’anglais vers le français, NDT). Bien entendu, il n’identifiait pas au «socialisme» la nationalisation par l’Etat bourgeois. Mais elle est une expression de l’affaiblissement de la classe dominante, une abrogation partielle du capitalisme lui-même. Par conséquent, nous donnons un soutien critique aux mesures de ce type, tout en luttant pour une forme de gestion de ces industries qui soit en faveur de la classe ouvrière. C’est là l’approche que Trotsky a adoptée quant aux nationalisations dans le pétrole au Mexique mises en oeuvre par le gouvernement Cardenas en 1938.

    Notre slogan pour les organes de gestion, d’un tiers des représentants en provenance des syndicats du secteur, un tiers de l’ensemble du mouvement syndical, et un tiers en provenance de l’ensemble de la classe ouvrière, a puisé son inspiration dans l’idée que Trotsky a mise en avant pour la première fois en 1938. Trotsky a abordé ce problème de manière générale, et nous avons donné un exemple concret de la manière dont les organes de gestion pourraient être composés sur base d’une division de plus ou moins un tiers, un tiers, un tiers, etc.

    Comme Matt l’a souligné, Trotsky était bien conscient du danger de collaboration de classe si les syndicats étaient impliqués dans la gestion d’un secteur économique nationalisé en particulier. Toutefois, il ne laisse aucune amibguïté sur le fait que sa perception de la gestion et du contrôle ouvrier sur l’industrie est dynamique. La tâche des représentants ouvriers ne devrait pas être de collaborer avec la gestion procapitaliste de cette industrie, mais d’utiliser leur position afin d’exiger l’ouverture des livres de compte, pour expliquer en des termes simples au travailleur lambda comment l’industrie devrait être gérée. Ils devraient utiliser leur position en tant que plateforme afin de montrer à quel point l’industrie pétrolière était entravée dans son développement par sa dépendance sur des investisseurs privés qui réclameraient des sommes exorbitantes pour les marchandises fournies à l’industrie. De cette manière, la gestion ouvrière serait utilisée d’une façon très dynamique, révolutionnaire, en tant que plateforme, ou tremplin, à partir de laquelle on pourrait amener la revendication de la nationalisation du reste de l’industrie.

    Nous avons approché de manière similaire la question de la gestion ouvrière des industries nationalisées au Royaume-Uni. Nous n’avons pas simplement revendiqué un tiers, un tiers, un tiers, mais avons aussi souligné (dans l’article ci-dessous qui aborde cette question d’un point de vue historique) le fait que les représentants ouvriers doivent utiliser leur position afin de revendiquer la nationalisation de l’ensemble des industries auxiliaires et des gros monopoles.

    Si on prend par exemple la Poste, avant que des pans entiers n’en aient été privatisés, si une gestion ouvrière avait été concédée (un acquis qui n’aurait pu être obtenu qu’après une période de radicalisation énorme, avec peut-être un gouvernement socialiste poussé à gauche), comment les représentants ouvriers amèneraient-ils la question de la gestion de la Poste?

    Nous nous opposerions à toute collaboration de classe, à toute soi-disant «participation du personnel», et demanderions que les représentants montrent à quel point la Poste était tenue en ôtage par les fournisseurs de l’industrie, en particulier par la section Telecom hautement rentable, que quatre compagnies majeures, dont Plessey, étouffent de leur mainmise.

    Matt dit que «La possibilité d’introduire la «gestion ouvrière» dans les industries nationalisées au sein de l’économie capitaliste est sujette à débat». Il dit aussi que « le fait d’amener la revendication du contrôle ouvrier de manière isolée du reste de notre programme ne fait pas forcément progresser la lutte de la classe». Mais, je pense que ce qui manque ici est une approche transitoire, qui est plus nécessaire à l’heure actuelle que dans le passé.

    A cause de l’offensive idéologique contre les idées du socialisme qui a suivi la chute du stalinisme, il est nécessaire, mais néanmoins un peu plus difficile, de défendre l’idée de la nationalisation que cela ne l’était dans le passé. Nous devons bien entendu continuer à défendre cette idée, en cherchant en permanence à trouver de nouvelles manières de soulever la question, mais en exprimant la même idée. Néanmoins, nous devons démarrer à partir du niveau actuel des travailleurs de conscience et de préparation à la lutte pour des questions partielles et spécifiques, en liant toujours celle-ci à la nécessité d’une solution socialiste générale. Nous ne devons pas aborder la question du contrôle ouvrier de manière isolée par rapporrt au reste de notre programme. Mais nous ne pouvons pas avancer l’ensemble de notre programme lorsque avançons l’idée du contrôle ouvrier.

    La discussion autour de cette idée peut mener à l’idée de gestion ouvrière et à la nécessité de la propriété collective d’une industrie particulière, ou de l’industrie dans son ensemble. Matt pose la question de savoir si la «gestion ouvrière» serait possible au sein d’une conomie capitaliste. Mais nous pensons que ce n’est pas là la bonne manière de poser cette question.

    Tout d’abord, il est nécessaire de donner des réponses aux travailleurs quant à la forme administrative que nous préférons aujourd’hui pour l’industrie nationalisée. Nous ne pouvons pas postposer cela à la période qui suit la révolution socialiste. Dans les faits, Matt propose que nous nous restreignons à l’idée du contrôle ouvrier. Mais cela serait une approche purement négative, limitant les travailleurs au contrôle de la puissance des patrons des industries nationalisées.

    En essence, c’était là l’approche de Scargill (1) envers le Conseil National pour le Charbon.

    Toutefois, les travailleurs, y compris les mineurs, cherchent inévitablement plus que des moyens démocratiques pour gérer leurs industries, surtout lorsque celle-ci se trouve entre les mains de l’Etat capitaliste.

    Le fait que nous nous abstenions du débat sur les formes d’administration et de gestion pourrait jouer en faveur des réformistes, qui mettraient en avant les idées de participation ouvrière, ce qui, en l’absence d’une alternative, pourrait trouver un soutien chez les travailleurs. Que la gestion ouvrière puisse être introduite ou pas au sein de l’économie capitaliste n’est pas une question qui peut être tranchée a priori.

    La «faisabilité» ou pas des revendications transitoires dépend de la lutte de classe. Dans certaines circonstances, les revendications transitoires peuvent être mises en oeuvre même avant la révolution, comme l’a montré le gain de la journée de huit heures en Allemagne en 1918, en Espagne en 1936 et dans bon nombre d’autres situations, où un double pouvoir, ou du moins certains éléments de double pouvoir, existaient en tant que phase précédant la transformation socialiste de la société. La conclusion que nous devrions tirer en conséquence, est que la revendication du contrôle ouvrier, et de la gestion ouvrière dans le cadre de nationalisations partielles, est correcte mais bien entendu à la condition, comme Matt l’a indiqué, que cette revendication soit liée à l’idée du contrôle des travailleurs sur leurs propres organisations.

    Nous devons la placer à côté de la revendication de l’élection des cadres syndicaux, d’un salaire ouvrier pour un cadre ouvrier, etc.

    Nous sommes entièrement d’accord avec Matt, sur le fait que « Sans cette condition cruciale, il y a toujours la possibilité que le « contrôle ouvrier », ou la « gestion ouvrière » constituent en réalité des armes contre la classe ouvrière». Cependant, nous ne nous contentons pas de la revendication du contrôle et de la gestion ouvriers, mais nous la lions à la démocratisation des organisations des travailleurs et au contrôle strict des représentants ouvriers siégeant à quelque organe de gestion qui soit mis en place. Nous croyons que ceci suffit à répondre à toutes les questions les plus pressantes quant à la question générale du contrôle et de la gestion ouvriers, mais nous espérons que la lettre de Matt et que notre réponse stimulera une discussion, en particulier parmi les travailleurs industriels, et que par conséquent les camarades n’hésiteront pas à contribuer à ce sujet dans les futures issues de ce bulletin.

    Note:

    (1) Arthur Scargill, président du syndicat des mineurs anglais de 1981 à 2000, qui a rompu avec le New Labour à la suite du retrait de la fameuse Clause IV sur les nationalisations, pour fonder le Socialist Labour Party, qu’il dirige toujours à présent.


    3. Historique de la nationalisation et de la gestion ouvrière au Royaume-Uni, par Bill Mullins

    Le gouvernement travailliste de la période d’après-guerre, établi en 1945, a organisé la nationalisation de nombreux secteurs-clés de l’économie, tels que le charbon, l’acier, les chemins de fer, etc. à la fin des années ‘40 et au début des années ‘50. Ces mesures ont été mises en oeuvre à cause du manque de volonté de la part du capitalisme de réaliser les investissements nécessaires afin de reconstruire et rénover ces secteurs.

    Les anciens propriétaires capitalistes de ces secteurs les avaient négligé, au point qu’ils n’étaient plus capables de soutenir les nouvelles industries qui se développaient avant et après la guerre: voitures automobiles, aéroplanes, ingénierie électrique, nécessitaient une infrastructure efficace qui leur permettrait de travailler correctement. Il fallait garantir l’approvisionnement en acier, en charbon, et l’accès au transport.

    Mais c’étaient ces secteurs-clés de l’industrie qui étaient les plus négligés. Par conséquent, lorsque le gouvernement travailliste a promis de metttre en vigueur des mesures de nationalisation, ces mesures ont été non seulement acclamées par la classe ouvrière, mais aussi acceptées bon gré mal gré par les capitalistes dans leur ensemble.

    Il existait une limite qui ne pouvait être franchie par le capitalisme: bien que la nationalisation du charbon, des chemins de fer et, dans une certaine mesure, du transport routier, étaient acceptées, la proposition de nationaliser la production d’acier et de sucre suscita un véritable tollé.

    Cela, parce que certains éléments parmi la classe capitaliste pouvaient voir qu’un profit pouvait toujours être tiré de ces secteurs, mais également pour des raisons idéologiques. Les capitalistes comprenaient que la classe ouvrière demanderait au gouvernement Labour de nationaliser l’ensemble de l’industrie si elle comprenait que c’était là une manière de garantir l’emploi, et qu’il y avait en plus moyen d’obtenir pour les ouvriers leur mot à dire dans la gestion de l’industrie nationalisée. A partir des années ‘50, la sidérurgie est passée par un processus de nationalisation et de dénationalisation, jusqu’à ce devenir totalement privatisée sous Thatcher dans les années ‘80. Mais à ce moment-là, bien entendu, l’attitude de la classe capitaliste dans son ensemble s’était grandement modifiée, et elle rejetait la majorité de sa doctrine économique d’après-guerre, pour la remplacer par la doctrine du laissez-faire d’un marché débridé.

    Ces premières nationalisations ont été accueillies par la classe ouvrière, mais à partir des années ‘60, l’expérience des travailleurs dans ces industries mena à la revendication d’une participation du personnel dans la gestion. Les personnes chargées de leur gestion par le gouvernement travailliste étaient bien souvent les mêmes personnes qui avaient auparavant conduit ces industries à leur déclin. On leur avait donné le droit de garder leur position, tout en leur offrant un beau salaire, et ils se sont également vu octroyer de généreuses quantités d’argent en guise de compensation.

    Les ex-dirigeants syndicaux siégeant dans la Chambre des Lords étaient également sensés apporter le «point de vue des ouvriers», mais ils étaient totalement en faveur du statu quo, et acceptaient joyeusement les conseils de leurs «supérieurs». Les industries nationalisées ont été utilisées en tant que vaches à lait pour soutenir et subsidier les fournisseurs privés. Le beau-fils de Lord Robbens (qui fait partie du Conseil National pour le Charbon) possédait une société qui fabriquait, entre autres, des machines à nettoyer les minerais. Les membres du Conseil pour le Charbon recevaient une livre pour chaque machine achetée. Les industries nationalisées étaient remplies de tels scandales.

    En réponse à cela, mais aussi à cause de la tentative consciente par les patrons de faire accepter aux syndicats des baisses de salaire dans les secteurs nationalisés au fur et à mesure que des alternatives voyaient le jour (comme le pétrole et le nucléaire face au charbon, ou comme le développement des autoroutes et du parc automobile face aux chemins de fer), le gouvernement travailliste des années ‘60 a décidé d’associer les travailleurs aux conseils de gestion de certaines des industries nationalisées, telles que British Steel ou la Poste, et les a nommés «directeurs ouvriers».

    Cette appellation était loin de la réalité. Ces directeurs ouvriers, à qui l’on octroyait d’énormes salaires, et qui étaient cooptés plutôt qu’élus, ont été vite discrédités. L’un d’entre eux, a déclaré cette phrase célèbre: «La dernière chose que nous voulons au conseil est un délégué syndical revendicatif».

    Il était évident que le fait d’impliquer des «représentants ouvriers» dans ces conseils n’était pas de la gestion ouvrière, mais un piège pour faire accepter aux syndicats la responsabilité des réductions de salaires. Les «représentants ouvriers» jouaient le rôle de policiers qui devaient contenir les travailleurs au cas où une opposition s’élèverait face aux projets de la direction. L’expérience des travailleurs dans les industries nationalisées leur montrait de plus en plus qu’ils étaient traités de la même manière que les travailleurs du privé, mais avec en plus l’ajout d’une plus grande complicité entre syndicats et patrons que dans le privé.

    Au contraire, le contrôle ouvrier est une situation où les travailleurs, via leurs propres organisations, ont dans leur entreprise un certain contrôle sur le «droit de diriger de la direction». Par exemple, dans le passé, dans le secteur de l’impression, les syndicats contrôlaient plus ou moins le droit de licencier et d’engager. Lorsque des places étaient vacantes, la direction devait aller trouver le syndicat pour qu’il choisisse parmi sa propre liste de demandeurs d’emploi une personne qui pourrait convenir au poste. Par conséquent, lorsque par exemple un militant syndical se retrouvait au chômage, et que c’était à son tour d’être embauché sur la liste conservée dans le bureau de la délégation syndicale, le patron n’avait rien à dire contre ça.

    D’autres exemples de contrôle ouvrier du passé peuvent être trouvés dans l’industrie automobile, où il existait un mouvement de délégués très bien organisé, qui faisait en sorte qu’une bataille permanente se déroulait sur le lieu de travail entre la direction et les travailleurs, autour de la question des cadences et de la charge horaire. L’industrie avait atteint un niveau de contrôle ouvrier au point que ce n’était pas juste une question de prendre le contrôle à la direction, mais aussi d’éviter l’interférence des bureaucrates syndicaux, dont le rôle normal aurait été de contenir les travailleurs.

    Ces comités de délégués étaient en fait une tentative de la base d’effacer le clivage entre personnes qualifiées et non-qualifiées historiquement promu par le capitalisme et perpétué par la bureaucratie syndicale. Les syndicats étaient traditionnellement (c’est le cas dans toute l’industrie) organisés selon divers corps de métier, à l’exception des centrales générales comme le TGWU (Transport and General Workers’ Union). Les délégués en tant qu’individus représentaient différents groupes de travailleurs qualifiés, semi-qualifiés, etc. mais agissaient de concert via la structure du Comité des Délégués. Au milieu des années ‘70, les délégués d’entreprises telles que Ford et British Leyland (maintenant Rover) ont formé des comités combinés interentreprises élus par les comités de délégués de chaque entreprise, et sans interférence de la bureaucratie syndicale. Ce n’est que bien plus tard que la bureaucratie, main dans la main avec le patronat, est parvenue à diminuer le pouvoir des Comités interentreprises.

    Le niveau de contrôle ouvrier variait d’un secteur à l’autre, et variait aussi dans le temps. Les années ‘70 furent l’âge d’or du contrôle ouvrier dans l’industrie. Le contrôle ouvrier et la gestion ouvrière faisaient l’objet de nombreux débats parmi les mouvements ouvrier et syndical.

    Lorsque des coopératives ouvrières se sont formées après la faillite d’entreprises privées, suscitée par la vague de fermetures de la fin des années ‘70 et du début des années ‘80, ceci a été perçu par certains comme étant un développement du contrôle et de la gestion ouvriers dans l’industrie.

    Un exemple de ces coopératives ouvrières était l’entreprise Meridian Motorcycles, près de Coventry. Malgré un bon début, elle a fini par faire faillite et a été rachetée par des investisseurs privés. Nous avons adopté une approche extrêmement sympathique vis-à-vis de ces travailleurs, tout en expliquant prudemment les obstacles qui se dressent face à quiconque désire créer un «ilot de socialisme au milieu d’un océan de capitalisme».

    Nous avons amené la revendication de la nationalisation de ces entreprises par le gouvernement, et de l’ouverture des livres de compte pour les travailleurs, non seulement pour l’année où la compagnie fait faillite, mais aussi les années où tout va bien. Où étaient passés tous les profits? Pourquoi n’ont-ils pas été réinvestis dans la compagnie? Il était clair que des industries telles que la production de motos avaient été complètement tondues, avec très peu de réinvestissements. C’est pourquoi l’industrie de la moto anglaise a disparu au profit de la moto japonaise.

    Bien que la situation n’y soit pas exactement pareille, le rachat récent par des mineurs du puits de Tower, au sud du Pays de Galles, a certaines similitudes avec les coopératives ouvrières du passé. Il est possible que ce puits puisse survivre au gouvernement Tory actuel. Nous devons avoir une approche extrêmement sensible par rapport à la situation délicate des travailleurs qui y sont impliqués. Sans le puits, l’avenir de l’ensemble de la région est très douteux. Pendant toute une période, le rôle de la section de Tower du NUM (National Union of Mineworkers) a été de donner à la classe ouvrière locale une direction par rapport à de nombreux problèmes de solidarité avec d’autres groupes de travailleurs en difficulté, et ceci est extrêmement important. L’avenir du puits ne sera pas seulement déterminé par l’économie du charbon, mais aussi par la pression qui sera exercée sur un futur gouvernement Labour.

    Dans les années ‘70, nous avons développé la revendication que les industries nationalisées aient leur propre conseil d’administration composé d’un tiers des syndicalistes de l’industrie, d’un tiers de représentants du TUC (Trade Union Congress, qui est la fédération générale de tous les syndicats anglais), et d’un tiers de représentants d’un gouvernement Labour. Cette revendication a été mise en pratique lorsque British Leyland a fait faillite en 1975, et nos partisans dans les usines Leyland ont été capables d’obtenir l’adoption de cette revendication par le Comité interentreprises.

    C’était alors Tony Benn qui était Ministre de l’Industrie et, lorsque notre revendication lui a été présentée par le Comité interentreprises de Leyland, il était favorable à l’idée d’une certaine forme de contrôle des investissements et autres points similaires par les délégués syndicaux (il faut noter ici que c’était Derek Robinson qui était président du Comité interentreprises, que les staliniens avaient été complètement discrédités et ne proposaient aucune alternative à notre revendication).

    Tony Benn a perdu son poste de Ministre peu de temps après, mais en conséquence directe de notre agitation autour de la question de la gestion ouvrière à British Leyland, la bureaucratie du TGWU reprit une version fort diluée de cette revendication (appelée « Participation ouvrière ») et qui contenait plus de pièges que d’avantages, y compris le piège extrêmement dangereux du « secret commercial ». Ceci a mené à une situation où les représentants des travailleurs étaient mis au courant de tous les changements majeurs dans le plan d’entreprise, mais à cause du secret commercial, n’avaient pas le droit d’en informer leur base.

    La revendication un tiers, un tiers, un tiers, a constitué et constitue encore un outil pour élever le niveau de conscience, en posant la question: «Dans les intérêts de qui l’entreprise est-elle gérée?» Cette revendication n’a jamais été sensée être appliquée de manière indiscriminée à toute situation qui se présente. Mais ce qu’elle a fait, a été de concrétiser une situation réelle (telle que la faillite de British Leyland), où le slogan du contrôle ouvrier et de la gestion ouvrière auraient été inadéquats, et aurait en particulier laissé la porte ouverte aux réformistes et aux staliniens.

    Par exemple, nous n’avons pas utilisé cette revendication lorsque nous avons écrit que le gouvernement Labour devrait nationaliser les 200 plus grandes entreprises sous contrôle et gestion démocratiques par les travailleurs. Nous n’avons pas dit que, une fois nationalisées, ces 200 plus grandes entreprises devraient être gérées par un comité un tiers, un tiers, un tiers. Dans la discussion autour de ces revendications, d’autres choses seraient mises en avant, telles que le besoin d’un plan socialiste de production, ou un plan socialiste de transport, ou un plan socialiste d’énergie. Les questions qui seraient soulevées porteraient sur les besoins de la société dans son ensemble, sur la nécessité ou pas de toutes ces voitures, sur l’organisation des transports en commun, sur la pertinence de la concurrence entre gaz et électricité. En d’autres termes, la question d’un contrôle plus large, impliquant le droit de l’ensemble de la communauté de participer aux décisions sur ce qui est produit, comment il devrait être distribué, combien devrait être accordé à la santé, l’éducation, aux soins pour les enfants, etc. Cette revendication et son utilisation a donc été basée sur l’expérience concrète des travailleurs dans ces industries, plutôt que d’apparaître du néant.

    La gestion ouvrière signifie le contrôle au quotidien des industries d’Etat par les travailleurs, avec toutes les qualifications mentionnées ci-dessus, lors d’une période où la classe ouvrière a acquis le pouvoir d’Etat et où les entreprises individuelles sont placées sous le contrôle d’un gouvernement socialiste. Ce qui lie les deux phases que sont le contrôle ouvrier et la gestion ouvrière, c’est le processus révolutionnaire.

    La révolution russe était à un certain moment (entre février et octobre 1917) une période de double pouvoir. Le double pouvoir dans cette période consistait au fait que les comités d’usine dans toutes les principales entreprises avaient le pouvoir de contrôler non seulement ce qui se passait au sein de leur usine, comme le contrôle du processus de production, la gestion du personnel, etc. mais avaient aussi le contrôle sur ce qui entrait et sortait des usines, sous forme de marchandises et de matières premières. Les comités d’usine décidaient de plus en plus de la manière dont ces marchandises étaient utilisées et distribuées, surtout dans la période de septembre à octobre 1917.

    Les moyens de production étaient toujours «légalement» propriété des patrons, de même que des banques et des investisseurs étrangers, mais dans la vie au jour le jour, les gérants de ces usines ne pouvaient rien faire sans que cela ne soit agréé par les comités de travailleurs élus.

    «La propriété et ses privilèges», c-à-d le payement régulier des dividendes aux actionnaires, étaient sans aucun doute maintenus. Ce n’est qu’après le triomphe de la révolution, lorsque les travailleurs ont conquis le pouvoir d’Etat et qu’un gouvernement ouvrier mené par les Bolchéviks a été installé, que la question de la gestion ouvrière a été prise à bras le corps.

    Lénine comme Trotsky pensaient que cette question pouvait être laissée de côté pour un moment, puisqu’il y avait d’autres questions plus pressantes qui devaient être résolues (comme la question du retrait de la Russie de la guerre contre l’impérialisme allemand).

    En fait, les Bolchéviks n’ont jamais réellement nationalisé le gros de l’industrie jjusqu’à juin 1918. Jusque là, formellement, l’industrie russe était toujours la propriété de la vieille classe capitaliste, laquelle était passée de manière quasi unanime dans le camp de la contre-révolution.

    Cette revendication est-elle toujours valide ? Oui ! Malgré un niveau de conscience plus bas quant au rôle du TUC et d’un futur gouvernement Labour, nos revendications doivent cibler les couches les plus avancées. Des slogans telles que «une assemblée élue de représentants des syndicats, des entreprises et de la collectivité» représente la prise de conscience du fait que la société est en évolution, et qu’il y a par conséquent la nécessité d’un dialogue avec les couches les plus avancées de la classe ouvrière. Au cours de ce processus de dialogue, les enjeux vont s’aiguisér de plus en plus, et donc de même en ce qui concerne notre programme.

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