Category: Dossier

  • C’était il y a tout juste 50 ans: Le 27 décembre

    La grève générale atteint sa plus grande ampleur. Pourtant, seules les régionales wallonnes de la FGTB et celle d’ Anvers ont formellement lancé un mot d’ ordre de grève. Les métallurgistes d’Anvers et de Gand, ainsi que l’ ensemble des services publics de Flandre, ont rejoint le mouvement de grève malgré de nombreux appels de la CSC à la reprise du travail et le refus obstiné de la FGTB nationale de lancer l’ ordre de grève générale. Pour l’ essentiel, la classe ouvrière du pays est entièrement mobilisée, la grève générale est totale.

    Cet article, ainsi que les prochains rapports quotidiens sur la ”Grève du Siècle”, sont basés sur le livre de Gustave Dache ”La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61”

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    26 décembre

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    Dans plusieurs grandes villes du pays se déroulent d’ impressionnantes manifestations, la détermination est palpable dans la concentration ouvrière, c’est la détermination et la volonté de lutte exprimée par les grévistes qui réclament à nouveau, et avec force, une marche sur Bruxelles. Tous les observateurs sont unanimes, l’ampleur de cette grève générale est de loin la plus grandiose que le mouvement ouvrier belge ait connue. Les quartiers populaires sont vidés de leurs habitants. D’après les anciens, il faudrait remonter jusqu’aux grèves de 1932 pour se souvenir de manifestations aussi importantes.

    La classe ouvrière est dans la rue, elle réclame des mots d’ordre radicaux. Elle est prête à l’affrontement avec la bourgeoisie malgré ce que les haut-parleurs des voitures de la FGTB répètent inlassablement : ”Calme, Ordre, Discipline”. Ces diffusions ont d’ailleurs le don d’énerver les travailleurs, qui attendent autre chose que ces injonctions de bureaucrates syndicaux.

    A Bruxelles, plus de 10.000 travailleurs manifestent dans les grands axes de la ville. A Liège, plusieurs manifestations se déroulent dans différentes communes de la région.

    La direction nationale de la CSC reste opposée à la grève, malgré le fait que la plupart des affiliés CSC soient dans la rue ; elle soutient de plus en plus ouvertement le gouvernement. Le président de la CSC a d’ ailleurs déclaré : ”Nous n’ avons plus la possibilité de nous mettre en grève, en raison du caractère révolutionnaire de celle-ci.” Les dirigeants de la CSC sont très inquiets, l’éditorialiste du journal ”La Cité” du 27 décembre note : ”Tout paraît indiqué que, de part et d’autre, on veut mesurer le rapport des forces en présence, en réalité, la question que tout le monde se pose à présent est de savoir si le mouvement va effectivement prendre une nouvelle ampleur, ou bien, s’ il va, au contraire, connaître une phase d’ incertitude.”

    Le comité national de la CSC se réunit ce 27 et vote à l’ unanimité une résolution dont voici un extrait : ”Le comité de la CSC fait appel à tous les syndiqués chrétiens e à tous les travailleurs pour qu’ils ne se laissent pas entraîner dans cette aventure dont ils seraient les premières victimes.” Voilà bien le problème posé. Nul ne sait en effet ce qui va se passer.

    Les dirigeants ouvriers ont parfaitement compris que l’action générale engagée le 20 décembre ne peut plus désormais se terminer sur un coup nul. Mais ils comprennent encore mieux que le régime capitaliste est dangereusement menacé et que le pouvoir bourgeois est gravement touché.

    Entre la menace représentée par la victoire de la bourgeoisie, qui pourrait dans ce cas, remettre en cause la position de tampon que les appareils réformistes jouent entre les classes, et la crainte de la victoire de la classe ouvrière, les bureaucraties du PSB et de la FGTB ont choisi.

    Ce jour là encore, le bureau élargi de la FGTB nationale réaffirme à l’ issue de sa réunion ”que son action est dirigée contre la loi unique et non contre les institutions démocratiques.” Quant au bureau du PSB, il demande la convocation immédiate du Parlement – institution dominée par la droite. Devant les critiques de la bourgeoisie, l’ appareil réformiste tient avant tout à rassurer sur ses intentions de préserver les institutions du pouvoir bourgeois. Pendant que les directions ouvrières temporisent, la bourgeoisie pousse le gouvernement à la répression. La Libre Belgique avait d’ailleurs dit la veille que : ”Les moyens dont disposent les entrepreneurs de la révolution sont tout de même dérisoires auprès de ceux que possèdent actuellement les forces de l’ ordre.” Le gouvernement connaît le danger, il craint par dessus tout que les grévistes qui réclament une marche sur Bruxelles ne parviennent spontanément à s’ emparer des stocks d’armes et de munitions qui sont entreposées à la FN d’ Herstal, la Fabrique Nationale est d’ ailleurs occupée militairement. Le gouvernement videra même les armureries de la région d’ Anvers de leurs stocks de munitions.

    Poussé par la bourgeoisie, le gouvernement prend des dispositions offensives. Des provocations caractérisées sont organisées par les gendarmes ; ils parviennent avec le concours de jaunes à faire circuler un train à destination de la gare de Bruxelles, chargé de militaires et portant cette inscription sur le devant de la locomotive : ”N’ approchez pas ou nous tirerons.”

    A cette phase de la lutte, il est clair pour tout le monde que les organisations ouvrières doivent donner des mots d’ ordre et prendre des initiatives anticapitalistes en rapport avec les objectifs posés par la grève générale. Or, en ne le faisant pas, elles choisissent délibérément de laisser le mouvement de grève s’ effriter et pourrir de lui-même. Le prolétariat est debout, il est au combat depuis le 20 décembre. Que font les chefs ? Ils sont assis et discutent, dans différents comités, et publient des communiqués de presse rassurants.

    Ce 27 décembre, l’Action Commune Socialiste se déclare dans un communiqué : ”solidaire du mouvement général de grève, réaffirme son attachement aux institutions démocratiques menacées par les entreprises réactionnaires. Les quatre mouvements mobilisent toutes leurs forces dans ce gigantesque combat voulu par G.Eyskens et qui se terminera par la victoire du monde du travail.” Rassurant pour la bourgeoisie, la perspective de la direction réformiste pendant ces journées de lutte cruciales est éloquente : ”attachement à la démocratie bourgeoise parlementaire” Rassurant aussi pour les travailleurs qu’il faut chloroformer avec des déclarations du type : ”qui se terminera par la victoire du monde du travail.”

    Le Parti Communiste, fidèle à sa politique et à sa tactique, qui consiste à épouser le plus possible l’attitude de la direction réformiste du PSB, souligne dans sa presse du mardi 27 décembre : ”C’est la peur de la démocratie et du parlement qui a poussé le gouvernement des monopoles à interrompre les débats parlementaires. (…) Les travailleurs n’ accepteront qu’une solution : le retrait pur et simple de la loi unique.” Au moment le plus crucial de l’ action ouvrière massive, le PC propose une action en direction du Parlement : ”afin que celui-ci tienne compte de la volonté populaire.” Le secrétaire du PCB, Jean Blume, écrit dans le journal Le Drapeau Rouge que : ”Les députés PSC et libéraux reçoivent la visite des piquets de grève et de délégations de travailleurs, afin de s’ entendre expliquer que leur devoir est de se conformer aux aspirations de leurs électeurs, plutôt qu’aux ukases des banques et du gouvernement”

    Sur la première page du Drapeau Rouge du 24 et 26 décembre figurait un modèle de lettre dont le député communiste Dejace propose l’approbation aux assemblées de grévistes et qu’il enverra aux députés libéraux et PSC. Cette lettre est très significative, elle exprime très clairement l’attachement du PCB aux institutions de la démocratie bourgeoise. La voici :

    ”Cher Collègue.

    ”Nous nous sommes quittés vendredi dernier. A ce moment, vous étiez encore décidé à voter la loi unique. Et vous pensiez que les grèves n’ avaient point de caractère profond. Nous espérons que votre avis est changé, aujourd’hui, après les manifestations puissantes qui se sont déroulées, dans lesquelles se trouvaient réunis socialistes, communistes, chrétiens et libéraux. Si tel n’ était pas le cas, cela signifierait que vous êtes mal informé, et qu’il importerait que vous preniez contact immédiatement avec les assemblées populaires et les organisations responsables du mouvement gréviste ; ainsi vous seriez, nous en sommes sûrs, informés objectivement et votre démarche serait appréciée par la population. De cette façon, le 3 janvier, vous pourriez mieux faire comprendre au gouvernement la volonté de la population, c’ est-à-dire le retrait de la loi unique. Vous pourriez mieux faire comprendre au gouvernement la détermination de la population d’ aller jusqu’à la dissolution au cas où les Chambres se verraient amenées à voter quand même le projet gouvernemental.”

    Ce genre de déclaration et d’ attitude, de la part des dirigeants du PC, est de nature à faire rougir de honte les militants communistes de base conscients des enjeux de la lutte. Dans tous les cas, les militants ouvriers communistes qui se sont donnés sans réserve dans les débrayages et les piquets de grève comprennent aisément que cette position du PC n’ a rien à voir avec le communisme et la lutte de classe, mais plutôt avec le reniement du marxisme et une adaptation complète à l’ Etat bourgeois ainsi qu’à ses institutions. Qui le PC veut-il tromper avec des phrases apparemment radicales mais qui restent bel et bien dans les limites autorisées par la bourgeoisie ? D’ ailleurs cette proposition n’ a rencontré aucun écho et n’ a eu aucun impact sur les grévistes ; certains l’ ont même considérée ridicule.

    Par contre, la bourgeoisie a une très nette conscience de l’ enjeu de la lutte engagée par la classe ouvrière. C’ est ainsi que le journal L’ Echo de la Bourse du 27 décembre 1960 écrit : ”Au moment où le caractère insurrectionnel de la grève socialo-communiste éclate au grand jour, il est nécessaire que tous les bons citoyens se regroupent autour du gouvernement. Celui-ci porte de lourdes responsabilités dans la situation actuelle, et ses faiblesses passées augurent mal de l’ avenir. Mais, si critiquable qu’ il soit, il incarne une majorité parlementaire régulièrement élue. S’ il devait céder devant la rue, ce n’ est pas la loi unique qui tomberait, c’ est le régime démocratique déjà si malade qui s’ écroulerait. Car on assisterait ou bien à la prise du pouvoir par ceux-là même qui, aujourd’hui, se rebellent contre l’ autorité légale, ou bien à une vague de fond qui instaurerait dans le pays une dictature précaire. Et aucune de ces deux hypothèses n’ est souhaitable pour le pays. Il est évident qu’il est maintenant trop tard pour faire machine arrière et que l’ échec des grèves insurrectionnelles consacrerait une grande défaite du mouvement socialiste. Les dirigeants du PSB se voient acculés à l’ épreuve de force.”

    A la lecture de cet article, on notera que la bourgeoisie fait une analyse exacte de la situation et se rend parfaitement compte du niveau et des possibilités des forces ouvrières dans cette grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire.

    Dans La Gauche du 24 décembre 60, Ernest Mandel écrivait sous le titre Heures décisives : ”Pourquoi des députés socialistes ne déposeraient-ils pas d’ urgence pareille loi cadre sur la réforme fiscale et les réformes de structures. Pourquoi ne reprendraient-ils pas à cette fin l’ essentiel du projet de réforme fiscal élaboré en commun par la FGTB et la CSC . La grève acquerrait ainsi un but positif à côté de son but oppositionnel : l’ adoption de ces projets socialistes à la place de la loi de malheur.”

    Limiter les objectifs de la grève générale insurrectionnelle à de simples réformes fiscales, au vote d’une « loi cadre » par le Parlement, alors que la bourgeoisie elle-même redoute ouvertement dans plusieurs de ses écrits et déclarations que le mouvement de la rue risque « la prise du pouvoir », cette position politique est révélatrice d’ une adaptation complète au réformisme, d’ une soumission à la démocratie bourgeoise. Enfin, on remarquera ici que la perspective de la révolution socialiste est remplacée par celle d’ une succession de réformes dans le cadre parlementaire ; alors que dans ces «heures décisives», les manifestations de grévistes témoignent d’ une détermination impressionnante et montrent la voie en réclamant à plusieurs reprises et partout la marche sur Bruxelles et non des projets de réformes limitées.

    Du côté des directions du mouvement ouvrier, nous l’ avons vu, les dirigeants du PSB et de la FGTB, ainsi que du PCB et de La Gauche, n’ ont pas d’ autre objectif que de fourvoyer la grève générale dans l’ ornière du parlementarisme bourgeois. Du côté de l’ aile gauche de la FGTB représentée par André Renard, ce n’ est guère mieux.

    En effet, le lundi 26 décembre le Comité de coordination des régionales wallonnes de la FGTB, créé trois jours plus tôt par Renard, annonce qu’il a enfin : ”pris les mesures nécessaires à l’amplification et au durcissement de l’ action engagée”. Mais les travailleurs continuent à attendre des mots d’ ordre de « durcissement » qui ne viendront pas. Pourtant, ce 27 décembre, entre 600.000 et 700.000 ouvriers, tant en Flandre qu’à Bruxelles ou en Wallonie, participent massivement et activement à la grève générale, et ce nombre continue à augmenter.

    Malgré les décisions timorées de l’ aile gauche de la FGTB, André Renard, au moins pendant la phase ascendante du mouvement, garde une grande popularité parmi les travailleurs. Au fur et à mesure qu’il laisse traîner le conflit en longueur, la grève générale se poursuit pourtant, les masses ouvrières se radicalisent, cherchent de plus en plus à amplifier leur action et rejoignent ce qui leur paraît être le pôle extrême de la lutte le plus à gauche.

    Pendant cette grève, André Renard déploie une intense activité ; partout où il prend la parole, dans les meetings, concentrations, défilés, il est follement acclamé pour ses paroles radicales. Là où il se présente, il déplace les foules, on le réclame partout. Il incarne se qu’il y a de plus combatif parmi la direction syndicale. A Gand, à Anvers, dans toute la Flandre ainsi qu’à Charleroi, les masses de grévistes réclament avec insistance la venue de Renard. Mais l’ aile droite des appareils régionaux du syndicat FGT B s’ y oppose et Renard respecte plutôt la volonté de la droite de la FGTB que la demande des travailleurs et il ne viendra pas. Mais derrière la position ainsi que l’ activité de Renard se trouve une attitude politique.

    Toute la perspective stratégique de Renard est orientée vers le succès du mouvement, mais en organisant uniquement la pression sur la bourgeoisie. Il se refuse avec force à poser le problème du pouvoir. Renard n’entend pas, au fond, pousser les choses plus loin que les dirigeants droitiers. Mais il est plus conscient qu’eux et il sait que le fruit ne tombera pas de lui-même. Pour réussir, il croit qu’il suffit d’ exercer sur la classe dominante une pression assez forte, et que l’ on amène ainsi cette dernière à des négociations.

    Une telle politique se limite pourtant aux concessions que la bourgeoisie peut accepter de faire sans risquer de compromettre son pouvoir ou son système de profit. Cette position est foncièrement réformiste. Toutefois, pour que la pression et le chantage puissent avoir une quelconque possibilité d’ aboutir, il faut qu’ils parviennent à effrayer la bourgeoisie.

    Voilà pourquoi Renard s’agite autant. Pour le succès de la grève générale, il compte moins pour réussir sur la puissance du prolétariat mobilisé et déterminé que sur l’ espace de manoeuvre que lui donne la mobilisation du prolétariat. Et la manoeuvre, sur le plan personnel et mineur, réussira.

    Pour toute la presse de droite de la bourgeoisie c’ est Renard, « l’ agitateur », le « révolutionnaire », « l’ aventurier », le « trotskyste » responsable de la grève générale. Mais Renard surestime les possibilités de recul de la bourgeoisie, la marge dont elle dispose pour faire des concessions. En pratique, cette marge est pratiquement inexistante.

    Dans une phase de lutte des classes exacerbée, la bourgeoisie n’ est disposée à concéder des réformes que si elle voit le prolétariat lui disputer dans la rue son pouvoir, que si elle voit qu’elle peut tout perdre. Ces conditions étaient objectivement réunies.

    Autrement dit, Renard n’ aurait pu gagner qu’en s’appuyant sur la volonté de lutte de la classe ouvrière et en associant à son action les objectifs révolutionnaires inhérents au mouvement de grève générale de la classe ouvrière belge. C’ est bien ce qu’il s’ est avéré incapable de faire, de par sa nature même de réformiste de gauche.

    Par conséquent, on constatera à cette phase de la lutte, où la grève générale atteint sa plus grande énergie, qu’on ne voit ni du côté de l’ Action Commune Socialiste, ni de celui du PC, de La Gauche ou de l’ aile Renard la possibilité d’ élargir, d’ amplifier et de durcir l’ action engagée vers l’ objectif du pouvoir ouvrier.

    Les dirigeants de la CSC n’ ont donc plus aucune retenue et prennent définitivement parti contre la grève générale, qu’ils qualifient de « révolutionnaire. » Jusqu’à ce jour, ils avaient adopté une certaine prudence car ils risquaient de voir leur organisation éclater si la FGT B se décidait à passer au stade suivant de l’ action comme elle le laissait sous-entendre. Mais ils voient bien que les dirigeants de la FGTB, toutes tendances confondues, ont pris le parti d’ en rester là. Ils peuvent désormais apporter leur appui sans réserve au gouvernement. L’ importance de cette décision n’ échappe à personne. C’ est ainsi que le journal L’ Echo de la Bourse du 27 décembre indique avec satisfaction : ”L’ appui des syndicats chrétiens, surtout puissants dans le nord du pays, aux partisans de l’ ordre, pourrait être un élément décisif dans l’ épreuve de force engagée ; on souhaite qu’il soit donné sans marchandage.”

  • C’était il y a tout juste 50 ans: Le 26 décembre

    Le gouvernement renforce à nouveau son dispositif de répression. Des unités militaires sont rappelées d’ Allemagne, les endroits névralgiques sont occupés par un dispositif impressionnant de militaires et de gendarmes. Le gouvernement décide aussi d’ une série de mesures afin de faire pression sur les grévistes des services publics, menaces à la clef, déclarant que les fonctionnaires n’ ont pas la faculté de faire grève et que c’ est : ”une faute donnant lieu à des sanctions disciplinaires, qui vont du rappel à l’ ordre à la révocation.”

    Cet article, ainsi que les prochains rapports quotidiens sur la ”Grève du Siècle”, sont basés sur le livre de Gustave Dache ”La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61”

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    Du côté de la CSC, les dirigeants des différentes régionales appellent leurs affiliés à rester au travail ou à le reprendre; ils publient de nombreux communiqués condamnant avec force la grève déclenchée par la FGTB ainsi que les actes de sabotages.

    Le Comité de Coordination des régionales wallonnes de la FGT B, réuni sous la présidence d’ André Renard, déclare prendre les mesures nécessaires à l’ amplification et au durcissement de l’action engagée, sans préciser lesquelles, comme à son habitude. Dans plusieurs régions du pays, des perquisitions sont encore opérées au domicile de militants syndicaux FGTB.

    Les grévistes n’ont pas attendu de recevoir de consignes pour agir. De nombreuses manifestations se déroulent et qui illustrent, au lendemain de la Noël, que le niveau de combativité des masses reste intact. La grève générale évolue vers un durcissement. Les magasins d’ alimentation, un peu réticents, sont prévenus : ils doivent respecter les heures d’ ouverture décidées de 14h à 18h.

    Pendant le week-end, plusieurs réunions de grévistes s’ étaient tenues dans les Maisons du peuple. Ce lundi matin, à Haine-Saint-Paul et à la Louvière, certaines rues sont partiellement dépavées, des barrages entravent la circulation. Au fur et à mesure que la journée avance augmente le nombre de barrages. Les piquets de grève prennent position dans les rues principales. Des incidents se produisent avec les gendarmes qui procèdent à des vérifications d’ identité et à des arrestations à la tête du client.

    Les gendarmes remettent en place les pavés précédemment enlevés, mais les piquets de grève reforment immédiatement les barrages avec les mêmes pavés, sous les encouragements sympathiques de la population.

    Les commerçants de La Louvière tiennent à marquer leur solidarité avec les grévistes en prenant contact avec eux pour les aider. A Liège, des incidents ont lieu. Des groupes de policiers patrouillent dans les rues principales, donnant la chasse aux piquets volants. En effet, certains commerçants ont bravé l’interdit en ouvrant leur magasin en dehors des heures prévues, plusieurs vitrines sont brisées, la police procède à des arrestations.

  • C’était il y a tout juste 50 ans: Le 25 décembre

    ‘‘Les grèves continent à faire tâche d’huile même en Flandre’’ peut on lire dans titre l’Indépendance du 24 décembre 1960. Et ‘‘quelques actes de sabotages ont été commis sur les lignes du chemin de fer’’. Encore une fois, le constat est que la grève générale s’amplifie, elle atteint même les endroits les plus reculés de Flandre.

    Cet article, ainsi que les prochains rapports quotidiens sur la ”Grève du Siècle”, sont basés sur le livre de Gustave Dache ”La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61”

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    En même temps, tous les organes de la bourgeoisie annoncent à la radio, à la TV et dans la presse que la lassitude et le découragement gagnent la classe ouvrière, etc. La réponse des grévistes est de contrer cette intention. Au cours de la nuit, quelques actes de sabotages ont lieu, surtout en Wallonie. Il ne faut pas oublier que parmi les grévistes, il y a d’ anciens résistants de la guerre 40’ qui possèdent toujours des armes, des munitions et des explosifs cachés et en état de servir en cas de besoin.

    Au réveillon de Noël, la plupart des piquets de grève étaient restés en place avec vigilance, certains grévistes avaient partagé leur temps entre le piquet et la famille. Le niveau de combativité est resté intact pour l’ensemble de la classe ouvrière. Ce 25 décembre, un dimanche, les deux camps en lutte restent sur leurs positions, et deux évènements significatifs ont lieu.

    Les prêtres de Seraing adoptent une position qu’ils font distribuer à l’ issue de la messe de minuit. Dans cette circulaire, les prêtres donnent un autre son de cloche que celui du cardinal Van Roy… D’abord, ils essayent de comprendre l’ explosion de colère de la classe ouvrière plutôt que de la condamner. Une petite phrase dans le texte en dit long sur l’ état d’ esprit des travailleurs en lutte : ”Entraînée par ses militants, bien sûr, mais soulevée par une vague de fonds plus lointaine, la classe ouvrière à cessé le travail”.

  • C’était il y a tout juste 50 ans: Le samedi 24 décembre : Un Noël de combat

    ‘‘Les grèves continent à faire tâche d’huile même en Flandre’’ peut on lire dans titre l’Indépendance du 24 décembre 1960. Et ‘‘quelques actes de sabotages ont été commis sur les lignes du chemin de fer’’. Encore une fois, le constat est que la grève générale s’amplifie, elle atteint même les endroits les plus reculés de Flandre.

    Cet article, ainsi que les prochains rapports quotidiens sur la ”Grève du Siècle”, sont basés sur le livre de Gustave Dache ”La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61”

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    19 décembre 1960

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    Au Limbourg, les débrayages se succèdent et se renforcent, à Anvers, à Furnes, à Dixmude et à Louvain, où les grévistes ont bloqué le trafic ferroviaire, il en va de même. A la gare de Bruges, seulement trois trains ont quitté la gare. Les postiers sont dans la rue, le courrier n’est plus distribué. 15.000 travailleurs manifestent dans les rues de Gand. Les grévistes se rendent en nombre au local de la CSC pour réclamer un mot d’ordre de grève.

    Les militaires stationnés en Allemagne en permission en Belgique doivent rejoindre leur unité par leurs propres moyens. Face aux nouvelles intensifications de la grève générale, la réponse du gouvernement est faite de manœuvres d’intimidations. Partout dans le pays, pour un oui, pour un non, des dizaines et des dizaines de grévistes sont arrêtés et incarcérés.

    La position de la CSC nationale contre la grève ainsi que le refus de la FGTB nationale de lancer le mot d’ordre de grève générale ont pour conséquence d’instaurer la division d’une partie des travailleurs, dans ces circonstances toutes particulières où faire le jaune est dédouané par la direction nationale de la CSC. Les grévistes recourent de plus en plus à certains actes de sabotage, dont le principal objectif est d’empêcher les jaunes de se rendre au travail. La responsabilité de ces actes de sabotage commis par les grévistes incombe entièrement aux directions nationales de la CSC et de la FGTB.

    Etant donné que la grève générale progresse toujours partout dans le pays, le gouvernement se prépare à l’affrontement et à la répression contre les grévistes. Plusieurs mesures sont prises telles que le renforcement de la surveillance des passages à niveau, des ponts de chemin de fer et des gares par les gendarmes et la troupe. Des concentrations de forces de répressions sont placées dans les grands centres où la grève est totale. Mais les forces de gendarmeries et la troupe ne peuvent se déplacer que très lentement : les routes sont parsemées de clous, les rues sont dépavées, des barricades avec des bois et des poteaux de signalisations sont mêmes installés à certains endroits stratégiques.

    Le pouvoir bourgeois est paralysé, des gendarmes supplétifs ont été rappelés, les soldats ne peuvent en aucun cas être mis en contact avec les grévistes. A Liège, la police saisit un tract destiné aux soldats. Le journal « La Wallonie », dont André Renard est le directeur, est également saisi pour avoir publié l’appel aux soldats dont voici le texte :

    ‘‘Soldats, la classe ouvrière belge est entrée dans une lutte décisive pour son droit à l’existence. Le gouvernement va utiliser la troupe, aux côtés de la gendarmerie, pour tenter de briser les grèves et de réprimer le mouvement social en cours.

    ‘‘Nous vous demandons de comprendre et de faire votre devoir. Si on vous commande de travailler à la place des ouvriers dans des entreprises ou des services immobilisés par la grève, croisez-vous les bras!

    ‘‘Si l’ on vous met en face de grévistes ou de manifestants, souvenez-vous qu’ ils sont vos parents, vos frères, vos amis. Fraternisez avec eux. Vous êtes mobilisés pour défendre le pays, et non pour l’ étrangler. Ne craignez rien. Tout le mouvement ouvrier socialiste est là pour vous défendre.

    ‘‘Soldats, ne soyez pas traîtres à votre classe. Nous comptons sur vous. L’Action Commune’’

    En plus des saisies, des perquisitions ont lieu le dimanche matin au domicile de plusieurs militants socialistes et syndicalistes FGTB, dont André Renard lui-même, ainsi que dans la plupart des locaux du PSB et de la FGTB. A la suite de ces perquisitions, une information est ouverte par le Parquet pour : ‘‘excitation de militaires à la désobéissance.’’

    Dans cette phase de la grève générale, l’appel aux soldats est le slogan le plus dangereux pour le pouvoir bourgeois. Celui-ci le sait mieux que quiconque. C’est aussi la démonstration claire qu’elle n’est pas absolument sûre de ses troupes et que la situation peut lui échapper à tout moment face à l’attraction que la grève générale exerce sur l’armée et sur la population. Cet important mot d’ordre n’est venu ni du PC, ni de La Gauche, mais de la tendance Renard.

    La bourgeoisie belge garde le souvenir de la désagrégation de son appareil répressif mobilisé contre les grévistes en 1950 et de nombreuses précautions sont prises, la discipline a été renforcée. Cependant, en bien des endroits, des tentatives de fraternisation ont lieu entre les grévistes et la troupe, les grévistes rentrent en contact avec les soldats.

    Ce samedi 24 décembre, c’est la nuit d’un Noël de combat, dans les quartiers ouvriers, aux portes des usines, les piquets de grève sont à leur poste de combat. Les grévistes FGTB et CSC sont au coude à coude. On chante l’Internationale, la Marseillaise, le Chant des Partisans,…

    Le centre de Bruxelles capitale est en état de siège. Des convois militaires prennent position, des patrouilles circulent l’arme au poing. L’E tat n’a pas trop de toute sa police et de toute son armée pour tenter de faire croire qu’il est resté maître de la situation. Le gouvernement comptait sur une démobilisation des mouvements de grève, mais c’est bien le contraire qui se passe. Les travailleurs chrétiens participent même toujours plus nombreux à la grève.

    Les éditoriaux de la presse de droite qui soutiennent le gouvernement font tous preuve d’inquiétude et de désarroi : ils ont compris que c’est le régime lui-même qui est en danger. La Libre Belgique appelle le gouvernement à la solution de force : ‘‘Le gouvernement semble avoir commencé à comprendre qu’il ne pouvait tout de même pas tolérer qu’une infecte anarchie d’origine communiste continue à s’installer dans le pays et qu’ il est totalement inadmissible que les dirigeants des syndicats socialistes se substituent aux autorités régulières pour contrôler la circulation dans les rues, le travail dans les ateliers, l’ ouverture et la fermeture dans les magasins. Il convient de mettre fin immédiatement à cette anarchie. C’est un domaine où toute capitulation de l’autorité est un crime contre la nation. Tout de même l’ordre est indivisible. Toute reculade en entraîne d’autres.’’

    L’effroi de la bourgeoisie est porté à son comble par l’ordre ouvrier qui s’établit spontanément partout dans le pays. Les grévistes sont maîtres de la rue… Au cours de sa montée, aucune force réactionnaire n’est capable d’arrêter la lutte.

    Du côté des journaux ouvriers, Le Drapeau Rouge, l’organe du Parti Communiste, publiera le 26 décembre un long éditorial qui affirme: ‘‘La grève est puissante, puissante par ses objectifs, qui mettent en cause toute la politique des monopoles, et, par conséquent, du moins sous certains aspects, le régime lui-même. Il est bien certain que M. Eyskens aurait déjà abandonné une partie qu’ il sait perdue d’ avance pour lui et pour ses associés, si les banques, la Cour et Malines (où réside Van Roy) ne pesaient pas de tout leur poids sur ses épaules pour le clouer à son inconfortable siège ministériel. Si le mouvement se développait sans entraves, on pourrait prévoir que, ce prochain mercredi, la Chambre serait convoquée d’ urgence pour s’ entendre dire sans doute que le gouvernement abandonne son projet de loi de malheur, et s’ en va.’’

    Ainsi pour les dirigeants du Parti Communiste stalinien, cette grève met en cause le régime lui-même, mais ce n’est pas pour eux le régime qu’il faut abattre, mais plutôt la seule personne du premier ministre G. Eyskens. Pour les dirigeants du PC, il ne s’agit pas de se battre comme les grévistes contre les banques, les monopoles, la Cour ou le Cardinal qui interviennent pour entraver le mouvement de grève. D’ ailleurs, pour la direction du PC, les grèves doivent se dérouler dans ‘‘l’ordre, le calme et la discipline’’ – comme le préconise la bureaucratie de la FGTB. Arrêter les frais : après une semaine de grève générale, c’est le désir de toute la droite du pays ; mais aussi et surtout des directions réformistes du PSB et de la FGTB qui, depuis le début, se posent la question : où cette grève générale va-t-elle nous conduire, qu’allons-nous encore bien pouvoir faire pour empêcher qu’elle ne débouche sur un affrontement révolutionnaire, alors que nous n’avons déjà pas réussi à empêcher le déclenchement de celle-ci ?

    Le journal La Gauche, organe de la tendance de gauche du PSB, titre le 24 décembre: ‘‘Tous dans la grève, jusqu’au retrait pur et simple du projet capitaliste de la loi unique’’ Jusque-là rien à redire. C’est un objectif correct, voulu par l’écrasante majorité des grévistes, mais il est limité. La Gauche le comprend très bien, et c’ est pourquoi elle poursuit en ajoutant ‘‘A sa place, les travailleurs imposeront des solutions socialistes.’’

    Mais là où cela se complique, c’est quand il fait référence au programme des ‘‘réformes de structures’’, qui n’est d’ ailleurs autre que le programme officiel du PSB et de la FGTB. Les ‘‘réformes de structures’’ sont certes des mesures de fond (comme le service national de soins de santé, la nationalisation de l’énergie, la planification de l’économie), mais la réalisation de ces mesures ne ferait qu’aligner le capitalisme belge sur certains autres capitalismes voisins plus évolués que lui et qui ont déjà réalisé une partie ou l’ensemble de ces réformes, tout en étant toujours sous le joug du régime capitaliste d’ exploitation effrénée. Par exemple, le service national de santé existe en Angleterre.

    Les capitalistes anglais ont cédé cette réforme en vue d’apaiser, avec la complicité des dirigeants travaillistes, les objectifs socialistes révolutionnaires du prolétariat britannique. De même, les capitalistes français, craignant de tout perdre, avaient dû accepter la nationalisation de l’énergie en 1945 pour contenir, avec l’aide des staliniens et des réformistes, la montée révolutionnaire des masses afin qu’elle reste dans le cadre de l’ordre bourgeois.

    En fait, ces revendications ne peuvent être considérées comme « socialistes » que dans la mesure où les travailleurs imposent par leur action le contrôle ouvrier sur les nationalisations, contrôle réalisé par les travailleurs eux-mêmes, par le biais de comités élus et sous contrôle de la base ouvrière.

    Ce n’est pas par hasard que dans le programme de La Gauche, aucune référence ne soit faite au contrôle ouvrier, qui se place au-delà de ce que la bourgeoisie peut accepter sous la pression de la grève générale tout en préservant son système de profit. Le programme de La Gauche se situe non pas dans la perspective révolutionnaire, mais bien dans le cadre d’ une politique réformiste de pression exercée sur la classe dominante qui ne va donc pas au-delà de ce que la bourgeoisie peut accepter, comme ce fut le cas en Angleterre et en France notamment.

    En évitant de mettre le contrôle ouvrier comme condition indispensable à la nationalisation de l’énergie ainsi que l’expropriation sans rachat ni indemnité, les dirigeants de La Gauche se refusent à poser le problème du renversement de l’ E tat bourgeois. De ce fait, ils vident le mot d’ordre de la nationalisation de tout son contenu révolutionnaire, et transforment une revendication transitoire en un mot d’ordre réformiste.

    Il suffisait de parcourir la Belgique durant la grève générale pour constater à quel point les travailleurs étaient conscients du « complot » des banques, de la S.G.B. (l’ancienne Société Générale) contre leur niveau de vie. Il n’était pas trop tôt non plus, loin de là, pour lancer aussi le mot d’ordre transitoire de l’expropriation des banques privées. Une telle agitation aurait très exactement répondu à la portée révolutionnaire de la grève générale, mais La Gauche y a substitué des mots d’ordre lamentables par leur timidité, en se plaçant derrière les appareils réformistes. L’étude approfondie de la collection de La Gauche durant cette période est riche en enseignements sur la politique défendue par la tendance Mandel, dirigeant de La Gauche. Nous y voyons s’affirmer le caractère profondément capitulard, réformistes et liquidationniste, totalement étranger au marxisme, qui explique les positions prises durant cette grève générale par les représentants de La Gauche de Mandel.

  • C’était il y a tout juste 50 ans: le 23 décembre 1960

    Devant la généralisation de la lutte, le gouvernement prend des mesures de sécurité : ‘‘Dans la zone neutre, de nombreux agents de police patrouillent. Jeudi après midi, vers 14h30, ils ont fermé les grilles du parc de Bruxelles, où des gendarmes à cheval et des jeeps de la gendarmerie ont pris place.’’ (le journal de Charleroi du 23 décembre 60)

    Cet article, ainsi que les prochains rapports quotidiens sur la ”Grève du Siècle”, sont basés sur le livre de Gustave Dache ”La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61”

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    – Rubrique "60-61" de ce site

    19 décembre 1960

    20 décembre 1960

    – 21 décembre 1960

    22 décembre 1960

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    La situation du gouvernement empire d’heure en heure. Il rassemble ses forces et ne cède pas face au soulèvement du prolétariat. La bourgeoisie, effrayée par la détermination extraordinaire de la classe ouvrière qui impose partout sa volonté de lutte, fait néanmoins front derrière son gouvernement. La classe dominante sonne le rassemblement de ses troupes, et c’est ainsi qu’au début de l’après-midi, le Cardinal Van Roy, archevêque de Malines, lance un ‘‘Appel à nos compatriotes’’, paru dans La Libre Belgique des 24 et 25 décembre 1960 et dans lequel il condamne la grève. En voici un extrait : ‘‘Les grèves désordonnées et déraisonnables auxquelles nous assistons à présent doivent être réprouvées et condamnées par tous les honnêtes gens.’’ Les plus hautes autorités du Clergé belge n’ont jamais hésité à se lancer à corps perdu dans les conflits sociaux pour voler au secours de la bourgeoisie.

    Cette attitude est parfaitement cohérente avec la fonction principale de la hiérarchie catholique, qui partout et de manière systématique défend les intérêts de la haute finance. En 1950 aussi, l’archevêque avait pris une attitude similaire en faveur du courant Léopoldiste, lors de la Question Royale, contre les masses ouvrières qui réclamaient le départ de l’ex-Roi Léopold.

    Suite à cette intrusion inouïe du Cardinal Van Roy sur le plan politique, des réactions de protestations s’élèvent de la part des chrétiens de la CSC. Cependant, à cette phase de la lutte, ce n’est que l’expression d’une conscience parfaitement claire du Clergé que la bourgeoisie est menacée de mort. La CSC de Charleroi et de Liège protestent publiquement ; plusieurs délégués d’entreprises, en Flandre comme en Wallonie, sont indignés. Le président de la CSC va jusqu’à menacer de donner sa démission. Mais, malgré cette agitation verbale, les dirigeants de la CSC n’en sont pas moins liés aux déclarations du Cardinal puisqu’eux-mêmes dénoncent la grève générale comme politiquement inefficace et inutile.

    La Libre Belgique du samedi 24 décembre 1960 relatera que Cool aurait déclaré à l’adresse du gouvernement : ‘‘Je ne tiens plus mes troupes en main. En dépit de mes consignes, les syndiqués chrétiens fraternisent de plus en plus avec leurs collègues socialistes, vous devez faire des concessions, renoncer notamment aux deux périodes de chômage et vous borner à combattre les abus au moyen de la législation existante, sinon je ne réponds pas de ce qui pourrait arriver.’’ L’attitude de la CSC est significative, elle a, dans une large mesure, fait en sorte de sauver l’existence du gouvernement Eyskens.

    Pour la CSC, c’est surtout ‘‘le caractère insurrectionnel de la grève politique’’ qui est à l’origine de son refus d’appeler à la grève. Par cette attitude, elle a empêché toute action concentrée en front commun des deux syndicats. Son but était la division de la classe ouvrière, comme lors de chaque grand affrontement. Mais, de son côté, la FGTB nationale n’a pas non plus pris de décision d’ensemble et a confié la conduite de la grève générale à ses régionales, divisant ainsi les travailleurs d’une action sur le plan national.

    C’est encore ce 23 décembre que se réunissent pour la première fois les directions syndicales wallonnes de la FGTB se réunissent aujourd’hui sous la présidence d’André Renard. Elles constituent un Comité de Coordination des Régionales Wallonnes de la FGTB. Toutes les précautions sont prises pour éviter de perdre définitivement la direction de l’action. Le mouvement spontané de la classe ouvrière a levé tous les obstacles à l’action et a forcé et contraint les appareils réformistes du PSB et de la FGTB à accepter la grève. Cependant, l’appareil réformiste a rejoint le mouvement juste à temps pour pouvoir encore en prendre le contrôle. Mais l’appareil de la FGTB, aussi bien l’aile Renard (la gauche) que l’aile Major (la droite), maintient les liens qui l’unissent à la bourgeoisie et au régime capitaliste.

    Sous le couvert que toutes les grèves doivent être coordonnées, les directions syndicales de la FGT B wallonne constituent donc rapidement le Comité des régionales wallonnes. Cette initiative de l’appareil syndical est déjà en elle-même une division des forces de la classe ouvrière du pays, qui avait certainement plus besoin d’une coordination nationale des forces face à un gouvernement, à une gendarmerie et à une bourgeoisie unie nationalement.

    Ce qui a fait réagir aussi rapidement la tendance Renard, ce sont les initiatives d’organisation autonomes de l’avant-garde des travailleurs de la base, avec la constitution spontanée des comités de grève. La création de ce comité sert en fait à éviter de perdre définitivement la direction du mouvement et à empêcher que celui-ci ne débouche sur des actions révolutionnaires incontrôlables. Le Comité de coordination des régionales wallonnes de la FGTB est dès sa naissance destiné à être utilisé pour s’opposer à tout débordement révolutionnaire.

    Le Parti Communiste publie ce jour un communiqué dans le Drapeau Rouge où il déclare notamment : ‘‘Il faut que les parlementaires qui, jusqu’ ici, soutenaient la Loi Unique, comprennent que le moment est venu de tenir compte de la volonté populaire et de retirer leur appui à la loi de malheur.’’ Cet appel des dirigeants staliniens au Parlement – qui répond aux craintes exprimées par le gouvernement de voir les « institutions démocratiques » mises en danger par l’offensive ouvrière – est très symptomatique de l’orientation du PC: canaliser la lutte révolutionnaire des centaines de milliers de travailleurs en grève dans le cadre de l’ordre capitaliste et sur le principe de la défense du parlementarisme bourgeois.

  • C’était il y a tout juste 50 ans: le 22 décembre 1960

    Le gouvernement et les milieux patronaux sont inquiets de la tournure que prend le conflit, sa rapidité et son ampleur rappellent de mauvais souvenirs, la grève générale insurrectionnelle de 1950 n’étant pas très loin dans les esprits. Les industriels demandent au gouvernement de ‘‘prendre d’urgence les mesures pour maintenir l’ordre dans le pays.’’ Très clairement, le développement foudroyant de la grève générale a surpris le gouvernement et la bourgeoisie, qui ne s’attendaient pas du tout à devoir faire face à un mouvement général d’une telle ampleur.

    Cet article, ainsi que les prochains rapports quotidiens sur la ”Grève du Siècle”, sont basés sur le livre de Gustave Dache ”La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61”

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    – Rubrique "60-61" de ce site

    19 décembre 1960

    20 décembre 1960

    – 21 décembre 1960

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    Ce gouvernement réactionnaire rempli de haine envers les grévistes déclare que : ‘‘La plupart des arrêts de travail constatés depuis mardi paraît révéler une agitation sociale désordonnée, déclenchée par des meneurs en marge de leurs organisations syndicales et au mépris de toutes les règles librement fixées par les employeurs et les travailleurs.’’

    La décision de partir en grève prise par la CGSP a provoqué les conditions favorables à l’extension de la grève au secteur du privé, mais elle devait encore être déclenchée par une avant-garde qu’on peut qualifier de petite minorité de syndicalistes en marge de leurs directions syndicales, car ces dernières restaient au balcon. Tous les journaux de la droite réactionnaire ont dénoncé le mouvement de grève comme étant l’œuvre d’une minorité d’agitateurs. Mais il est certain que les militants minoritaires au départ collaient à la volonté d’action de la base ouvrière. Sans profond malaise social, sans grande inquiétude parmi les travailleurs qui craignent une régression sociale certaine, il n’est pas possible à une minorité de déclencher un mouvement général d’une telle ampleur.

    Le gouvernement, pris au dépourvu dans les premiers jours par l’ampleur de la grève générale, tarde à réagir et pendant ce temps, la grève s’étend partout, les débrayages spontanés surgissent dans tout le pays. Les métallurgistes, les verriers, les mineurs, les cheminots, les dockers, etc. sont tous en grève, toute la Wallonie est paralysée. En Flandre, le développement de la grève est plus lent et plus dur, mais il est bien réel également, des secteurs entiers de Flandre sont en grève. Encore une fois, les travailleurs flamands démontrent qu’ils sont bien comme les travailleurs wallons dans la lutte, malgré toutes les difficultés qu’ils doivent supporter, les menaces, les vexations ainsi que la chape de plomb du clergé ancestrale et réactionnaire qui pèse sur la Flandre. Cela n’empêche pas les affiliés CSC d’être également en grève, au coude à coude avec les affiliés FGT B. Ils sont peut-être verts dans leur tête, mais rouges dans leur cœur.

    Le PSB veut surtout voulu porter toutes ses forces sur la voie parlementaire, en sachant pourtant pertinemment bien que cette voie ne pouvait pas éviter le vote de la Loi Unique, le rapport de force au Parlement était nettement défavorable aux travailleurs.

    A la suite d’un débat tumultueux qui dure depuis deux jours, le président de la Chambre M. Kronacker annonce qu’il suspend la discussion et met les Chambres en vacances jusqu’ au 3 janvier 1961. La bourgeoisie, en mettant le Parlement en congé, reconnaît dans les faits que ce n’est plus là qu’il lui faut se défendre, mais dans la rue. C’est là que les grévistes ont spontanément placé le débat, c’est là, dans la rue, que se déroule la lutte pour le pouvoir. Le gouvernement a compris qu’il ne sert à rien de discuter au Parlement pendant que tout le pays est paralysé par la grève générale. Cependant, il hésite encore entre un compromis ou la répression ouverte.

    Pendant que les dirigeants nationaux de la FGTB, membres du Parlement pour le PSB, se plaignent en palabres interminables de leur absence aux négociations avec le gouvernement, qui n’entretient de contacts qu’avec la seule CSC, dans tout le pays, la grève générale prend chaque jour de plus en plus d’ampleur. Dans la région de Charleroi, comme dans les autres régions, la grève s’est étendue comme une traînée de poudre.

    Ainsi, ce 22 au matin, une grande partie des 8.000 travailleurs des ACEC se rendent en cortège dans le centre ville de Charleroi pour empêcher les magasins d’ouvrir leurs portes en dehors des heures prévues. C’est en fait un imposant piquet de grève qui se répand dans les rues principales de Charleroi et qui va ensuite contrôler toute la circulation. Les points névralgiques de la circulation sont contrôlés par des grévistes motorisés. Il y a des heurts entre les piquets et les gendarmes pour se rendre maître de la rue. Finalement, les grévistes parviennent à paralyser complètement la circulation, les trams et les trains sont à l’arrêt.

    Plus aucun train n’arrive ni ne quitte Liège-Guillemins ou Charleroi. A Verviers, la grève est là aussi totale. A Anvers, des arrestations ont été opérées parmi les piquets de grève, on apprend qu’un ancien député communiste a subi le même sort. A Gand, la grève générale continue de s’étendre malgré qu’aucun mot d’ordre n’ait été donné. La grève atteint surtout la régie électrique, ce qui prive les entreprises d’électricité, mettant au chômage technique plus de 35.000 travailleurs. A Bruxelles, des renforts de police et de gendarmerie prennent position avec matériel dans « la zone neutre », le Parlement et le Palais Royal.

    C’est que la bourgeoisie connaît parfaitement l’objectif de la grève générale, les dirigeants du mouvement ouvrier aussi. Mais ces derniers se refusent à tout prix à engager la bataille pour le pouvoir. Tous ceux que les évènements ont contraint à se placer à la tête de la grève générale vont dans les faits tout mettre en œuvre pour la combattre de toutes leurs forces.

  • C’était il y a tout juste 50 ans: le 21 décembre 1960

    Le 21 décembre, les journaux soulignent la puissante extension de la grève générale dans tout le pays. Les directions ouvrières, incapable de faire barrage plus longtemps, décident de reprendre la direction du mouvement en marche avant que celui-ci ne leur échappe définitivement.

    Cet article, ainsi que les prochains rapports quotidiens sur la ”Grève du Siècle”, sont basés sur le livre de Gustave Dache ”La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61”

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    – Rubrique "60-61" de ce site

    19 décembre 1960

    20 décembre 1960

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    Dans la matinée, les enseignants – qui s’ étaient déjà lancés dans la grève la veille – augmentent massivement leur participation, ils manifestent dans la même effervescence. Dès midi, les grévistes des différentes entreprises se rassemblent et décident de manifester dans le centre des villes, les travailleurs FGTB et CSC sont ensemble, au coude à coude dans la rue.

    Dans les petites usines, là où le travail n’ est pas encore complètement arrêté, des équipes de grévistes se répandent partout pour convaincre les autres entreprises de débrayer à leur tour. Au soir de cette seconde journée de grève, il est clair que le mouvement s’est partout étendu avec une rapidité extraordinaire, dans tous les bassins industriels de Wallonie et dans les grandes cités ouvrières flamandes. De nombreux piquets de grève motorisés sillonnent les régions du pays ; ce sont ceux-ci qui sont le moteur de la grève générale. Celle-ci est présente et s’organise partout.

    Dès midi, les directions syndicales FGTB de différentes régionales décident de se mettre à la tête du mouvement. Dans certaines régionales, les comités de grève qui avaient été constitués et élus par les ouvriers eux-mêmes en assemblée générale sont dissous par les bureaucrates syndicaux. Ceux-ci préconisent que, pour que le mouvement de grève soit efficace, ce doit être au syndicat de s’occuper de tout.

    C’est ainsi que la régionale FGTB de Liège décide : «l’ élargissement au maximum du mouvement de grève engagé par la classe ouvrière liégeoise, propose de donner le mot d’ ordre de grève générale à outrance ; (la régionale) rappelle aux travailleurs qu’ils doivent suivre les seuls mots d’ ordre de l’ organisation syndicale. Les seuls comités responsables sont ceux qui ont été librement choisis au sein de l’ organisation par les affiliés. La régionale FGTB de Liège, fidèle a ses principes d’ indépendance syndicale, rejette toute intrusion politique ou autre dans la conduite du conflit.»

    Partout, le climat se dégrade entre les grévistes et les dirigeants du PSB et de la FGTB. A Charleroi les dirigeants socialistes qui se rendaient à une réunion au Palais du Peuple sont hués par les grévistes. Toujours ce 21 décembre, Louis Major, qui était Secrétaire Général de la FGTB déclare que «La FGTB n’ est pas pour la grève générale. Elle n’ a donné aucun mot d’ ordre en ce sens.»

    En de nombreux endroits ce jour là, on signale que les travailleurs chrétiens participent activement au mouvement. C’ est le signe de l’ ampleur extraordinaire de la grève, qu’elle emporte aussi les travailleurs chrétiens, malgré l’ hostilité des dirigeants de la CSC qui publient un communiqué affirmant: «que les grèves actuelles sont inutiles et prématurées pour obtenir les satisfactions que les travailleurs attendaient. Elle invite ses membres à ne pas participer à des grèves qui, visiblement, ont un caractère politique.» Mais les travailleurs de la base ne l’entendent pas de cette oreille…

    C’est ainsi que la centrale chrétienne des services publics d’ Anvers a dû se résoudre, après plusieurs refus, à finalement convoquer une assemblée générale. Lors de celle-ci, les débats entre la base et le sommet de la CSC sont tumultueux et violents. Finalement, les travailleurs flamands de la CSC finissent par l’emporter. Cette décision de rejoindre les travailleurs de la FGTB dans la lutte sera fatale au port d’ Anvers, où 100 navires seront bloqués au port. Les dockers y constituent spontanément un comité d’ action, comme dans la partie wallonne du pays. Ils parcourent également les grands centres et incitent les autres entreprises à débrayer immédiatement, contre la volonté des appareils syndicaux de la FGTB et de la CSC.

    Le port de Bruxelles est lui aussi immobilisé par les débrayages spontanés. Tout comme les dockers d’ Anvers, les travailleurs bruxellois sont conscients que les ports sont des endroits stratégiques dans la lutte des classes.

    Tous ensemble, les grévistes de la FGTB, de la CSC et les non syndiqués s’ organisent dans les piquets de grève devant les entreprises, mais aussi sur la voie publique où ils installent en permanence des barrages et contrôlent la circulation, vérifient les laissez-passer.

  • C’était il y a tout juste 50 ans… 20 décembre 1960: Spontanéité et débordement des appareils

    Le mot d’ordre de grève n’avait été lancé que par la Centrale Générale des Services Publics de la FGTB mais, ce matin du 20 décembre 1960, la colère ouvrière brise toutes les digues installées par toute la bureaucratie pour empêcher l’éclatement de la grève générale dans le secteur privé. Elle rassemble aussi, bien au-delà des seuls membres de la FGTB.

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    Rubrique "60-61" de ce site

    19 décembre 1960, la veille d’un grand combat
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    Le 20 décembre, c’est la date que le gouvernement avait choisi pour commencer la discussion sur la Loi Unique au Parlement: en pleine période des préparatifs pour les fêtes de fin d’année, un moment plus difficile pour la mobilisation ouvrière. La direction du PSB et de la FGTB comptait également sur cette période pour éviter de prendre l’ initiative de déclencher la bataille.

    Les ACEC et les verreries de Charleroi, Cokerill à Liège et les dockers anversois sont les premiers à cesser le travail spontanément, sans attendre de mots d’ ordre. Cette avant-garde se dirige ensuite vers les autres entreprises afin de généraliser le mouvement de grève à l’ensemble de la classe ouvrière du pays, rejoignant ainsi la CGSP et indépendamment de la hiérarchie de la FGTB qui n’ avait jusque là pris aucune décision d’ action. La direction de la CSC nationale s’ était, quant à elle, prononcée contre toute grève.

    La grande presse dévoile que le PSB n’ a plus ses troupes en main, qu’il y a divorce entre les sommets et la base. On n’insistera jamais trop sur le caractère spontané du démarrage de la grève générale, sur les initiatives des ouvriers à la base, qui ont pris eux-mêmes à bras le corps la décision d’étendre le mouvement de grève à toutes les entreprises. Ce sont les travailleurs eux-mêmes qui ont pris cette décision spontanément, sans attendre les consignes des appareils bureaucratiques.

    Quand on tire les enseignements des grands combats que la classe ouvrière belge a mené dans le passé, on s’ aperçoit très vite qu’il y avait dans cette grève des indices qui ne trompaient pas. La volonté, la spontanéité dans l’ action, la virulence, l’ initiative collective,… sont autant de signes de luttes, montrant que la spontanéité révolutionnaire du prolétariat était capable de bousculer et de renverser l’ ordre établi ; la lutte posait de fait la question du pouvoir…

    Si, avant le 20 décembre 1960, il y avait du côté des travailleurs wallons une certaine effervescence contre la Loi Unique, les travailleurs flamands n’étaient pas restés sans réaction. Le 8 octobre déjà, une première manifestation contre la Loi Unique s’ était déroulée à Anvers, en front commun, et les représentants chrétiens, socialistes et libéraux y avaient violemment attaqué le projet du gouvernement Eyskens et avaient décidé de poursuivre la lutte par une action de grève pour le 17 octobre 60. A la veille du mariage du Roi, le 13 décembre 60, les travailleurs gantois avaient spontanément arrêté le travail pendant deux heures en guise de protestation contre la Loi Unique.

    Dès le premier jour de la grève, le 20 décembre, la Flandre n’ est pas en reste pour se lancer dans la lutte. A Anvers et à Gand, les débrayages spontanés se multiplient et s’étendent également à plusieurs secteurs malgré l’opposition farouche des organisations syndicales et politique, et plus particulièrement de la FGTB où la pression pour l’ action est la plus forte.

    Le secrétaire général de la FGTB et député socialiste d’ Anvers, Louis Major, déclarera à la Chambre le 21 décembre 1960 que : «Nous avons essayé, Monsieur le premier ministre, par tous les moyens, même avec l’ aide des patrons, de limiter la grève à un secteur professionnel.» (Citation reprise dans les Annales parlementaires, Chambre des Représentants, 21 décembre 1960, p.20) Louis Major est resté fidèle à cette position durant toute la grève générale de 60-61.

    Toute la presse du 21 décembre relatera que les états-majors ont été dépassés par leurs troupes le 20 décembre. Le journal « La Cité » écrit ainsi : «on signale qu’en plusieurs endroits, les dirigeants de la FGTB eux-mêmes auraient été pris de court (…) Il semble bien qu’en certains endroits du moins, le contrôle du mouvement échappe à la direction de la FGTB.» Effectivement, la FGTB est débordée par les débrayages spontanés et l’ action des travailleurs, qui se déploient dans la rue. Certains militants ouvriers de base commençaient petit à petit à s’ organiser pour pallier au manque de direction de la grève. Un peu partout, dans plusieurs régions du pays, des contacts ont lieu, de même que des réunions, des discussions, des concentrations et des distributions de tracts.

    Débordée, la FGTB est obligée de suivre le mouvement. La direction nationale se décharge de sa responsabilité, et c’est aux régionales de prendre une décision. A Charleroi par exemple, ce n’ est que trente heures après que la grève ait éclaté spontanément, après qu’elle ait été générale dans toute la région et dans le pays, que la FGTB a été contrainte d’ annoncer le mot d’ ordre de grève générale pour la régionale.

    On a beaucoup épilogué sur la grande combativité des ouvriers wallons certes, mais en négligeant parfois de mettre sur un pied d’égalité la combativité des ouvriers flamands, qui devaient faire face à de plus grandes difficultés. C’est d’ ailleurs en Flandre qu’a lieu l’occupation de la régie de l’électricité, pendant dix jours, du 20 au 30 décembre. Ce n’ est pas un acte banal, mais une action très significative de la volonté et de la combativité qui existaient aussi parmi la masse des travailleurs de Flandre. C’est la seule entreprise en Belgique qui fut occupée par les grévistes pendant la grève générale de 60/61.

    L’ occupation d’ une entreprise, quoique encore relativement pacifique comme ce fut le cas, a une énorme importance symptomatique. Par cette action les ouvriers disent : « Nous sommes les maîtres dans l’ entreprise ». En cette journée du 20 décembre, la combativité était grande, tant chez les travailleurs flamands que bruxellois et wallons.

  • C’était il y a tout juste 50 ans… Lundi 19 décembre 1960, la veille d’un grand combat

    Il y a 50 ans débutait la grand grève générale contre la Loi Unique. Les services publics étant particulièrement touchés, la Centrale Générale des Services Publics de la FGTB avait appelé au déclenchement d’une grève générale illimitée pour le matin du 20 décembre. La veille déjà, il était déjà clair que cet appel allait aller beaucoup plus loin…

    Cet article, ainsi que les prochains rapports quotidiens sur la ”Grève du Siècle”, sont basés sur le livre de Gustave Dache ”La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 60-61”

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    – Rubrique "60-61" de ce site
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    Au mois d’octobre une campagne de sensibilisation avait été lancée par le PSB, «l’ opération Vérité», qui dénonçait la Loi Unique. Partout dans le pays s’étaient tenues des réunions à l’ assistance nombreuse. Début décembre, à l’initiative des militants de la FGT B, des assemblées avaient voté partout, mais surtout en Wallonie, des résolutions contre la Loi Unique et pour des actions de grève immédiates. La date du 15 décembre était souvent citée, jour du mariage royal. La pression de la base pour des actions était déjà très forte, tellement que la FGT B wallonne a décidé d’une journée d’ action le 14 décembre. Le journal Le Peuple du 15/12/1960 expliquait: ”Ils étaient 5.000 Borains massés à Mons ; 10.000 travailleurs dans les rues de la Louvière, 35.000 à 40.000 travailleurs les bras croisés au Pays Noir, 96 % des travailleurs du Namurois ont débrayé, le Brabant wallon à bougé, 60.000 travailleurs Place St-Lambert à Liège. Partout les dirigeants de la FGTB tiennent le même discours: retrait pur et simple de la Loi Unique”.

    Dès le 19 décembre 1960, plusieurs résolutions d’ assemblées générales des travailleurs réclament de passer à l’ action. Par exemple, certains travailleurs de Cockerill-Ougrée, à Liège, décident d’une déclaration en assemblée générale qui disait notamment: ”La direction de la FGTB, après nous avoir alerté à différentes reprises pour faire échec à la loi de malheur et nous avoir fait remarquer la nécessité de recourir à la grève générale, veut maintenant éviter de prendre ses responsabilités ;( l’ Assemblée Générale) estime que même les motions présentées au Comité Exécutif de la FGTB fixaient la date de la lutte beaucoup trop tard considère que si les travailleurs vont à un échec, la responsabilité en incombera entièrement à certains dirigeants de la FGTB.”

    Avec cette résolution, les travailleurs voulaient exprimer leur désaccord avec la direction de la FGTB, non seulement avec l’ aile droite de la FGTB (Major) mais aussi avec l’aile gauche (Renard). Ce dernier avait présenté une motion de lutte fixant la date beaucoup trop tard, le 15 janvier, soit après le vote de la loi! En Flandre aussi, des évènements similaires se produisent. Ainsi, à Anvers, les dockers ont violemment affronté les dirigeants syndicaux de la FGTB hostiles à la grève.

    Ce 19 décembre encore, le Comité National de la CSC ”Fait appel à tous les membres de la CSC pour qu’ils ne suivent que les mots d’ ordre de la CSC”. (La Cité du 20/12/1960) Mais le 20, des milliers de syndiqués chrétiens wallons comme flamands participeront aux débrayages contre la volonté de leurs dirigeants.

    L’ ensemble des ouvriers et employés des ACEC de Charleroi se réunissent eux aussi en assemblée générale. Sous l’ impulsion de la section d’entreprise du Parti Communiste, le personnel décide de partir en grève au finish le lendemain et de rejoindre la CGS P. Cette décision est prise en front commun syndical, contre l’ avis de la FGTB et de la CSC.

  • Colloque “Grande Grève” à l’Université de Liège

    Durant trois jours, l’ULG a accueilli un colloque consacré à la grève générale de l’hiver 60-61. Il a été clôturé hier par une table ronde qui a réuni des témoins de l’époque, et notamment Gustave Dache qui, une fois encore, a fait sensation. Sur la quarantaine de participants, une quinzaine sont d’ailleurs repartis avec un exemplaire de son livre "La grève générale insurrectionnelle et révolutionnaire de l’hiver 1960-61".

    Il a notamment beaucoup été question du fédéralisme et d’André Renard. Gustave Dache a expliqué que, durant la grève, le mouvement s’est retrouvé devant un choix : la confrontation directe avec le régime capitaliste ou la retraite. Mais pour cette dernière option, il fallait un prétexte capable de sauver la face à une partie au moins de l’appareil syndical. C’est dans ce cadre qu’il faut considérer l’appel au fédéralisme lancé par André Renard, un appel qui fut fatal à la grève générale.

    Quand, le 31 décembre 1960, le Comité de coordination des régionales wallonnes de la FGTB a publié un communiqué déclarant que la grève était essentiellement localisée en Wallonie, il s’agissait d’un mensonge. Alors que, partout, les travailleurs réclamaient des actions plus dures, le Comité a répondu en semblant prétendre que seule la Wallonie luttait.

    Le 3 janvier, André Renard a déclaré "Le peuple Wallon est mûr pour la bataille. Nous ne voulons plus que les cléricaux flamands nous imposent la loi. Le corps électoral socialiste représente 60 % des électeurs en Wallonie. Si demain le fédéralisme était instauré, nous pourrions avoir un gouvernement du peuple et pour le peuple." (Le Soir du 4 janvier 1961) Le 5 janvier paraissait le premier numéro de l’hebdomadaire dirigé par André Renard, Combat. Son slogan de première page était :"La Wallonie en a assez."

    Peu à peu, et sans consultation de la base, c’est ce mot d’ordre, une rupture de l’unité de front entre les travailleurs du pays, qui a été diffusé par l’appareil syndical. A ce moment, des dizaines de milliers de travailleurs flamands étaient encore en grève à Gand et Anvers, mais aussi dans des villes plus petites comme Bruges, Courtrai, Alost, Furnes,… Finalement, faute de mots d’ordre et de perspective, le mouvement s’est essoufflé. La grève s’est terminée le 23 janvier 1961.

    Si ce sujet vous intéresse, nous vous conseillons bien entendu de commander le livre de Gustave, mais aussi de venir participer aux meetings et présentations de ce livre dans votre région (Plus d’informations)

    De gauche à droite: Jean Louvet (militant wallon et dramaturge (Le train du bon Dieu, 1962 ; L’An I, 1963, etc.), fondateur, suite à la Grève, du Théâtre prolétarien de La Louvière), Jacques Hoyaux (militant wallon, ancien ministre, sénateur honoraire et président d’honneur de l’Institut Jules Destrée), Gustave Dache (à l’époque ouvrier de la base, membre de la FGT B et président des Jeunes gardes socialistes de la Fédération de Charleroi, membre du Bureau national des Jeunes gardes socialistes, ainsi que militant de la IVe Internationale), Philippe Walkowiak (animateur du débat, RTBF), Georges Dobbeleer (à l’époque membre des Jeunes gardes socialistes et militant de la IVe Internationale), Valmy Féaux (à l’époque militant socialiste et assistant à l’Institut de sociologie de l’ULB. Ancien ministre et gouverneur de la Province du Brabant wallon). Louis Van Geyt, ancien président du PCB-KPB, n’a pas pu venir et avait envoyé un texte qui a été lu durant le débat.

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