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  • 7. La révolution espagnole 1931-1939: La contre-révolution déclenche la révolution

    Depuis le début, le gouvernement s’était porté garant de la fidélité de la caste des officiers à la république. En mars 1936, le gouvernement avait même été jusqu’à délivrer à l’armée un certificat de bonne conduite qualifiant l’état-major de “fidèle serviteur du pouvoir établi." Pourtant, le coup d’état se préparait incontestablement dans les hautes sphères de l’armée et de l’oligarchie.

    En mars 1934 déjà, des milieux monarchistes, accompagnés d’un représentant de l’armée, avait conclu un pacte secret avec Mussolini pour s’assurer la fourniture nécessaire en armes et en capitaux afin de renverser la république. L’adhésion du mouvement phalangiste à l’idée du soulèvement permet une unification totale des forces réactionnaires, et ce au profit des éléments les plus authentiquement fascistes, en contact étroit avec les grands chefs militaires.

    Le soulèvement éclate finalement dans la nuit du 16 au 17 juillet 1936, à partir du Maroc espagnol ; le général Franco lance alors un appel aux garnisons afin que ces dernières s’emparent des villes. Jusqu’au matin du 18 juillet, le gouvernement ferme les yeux et passe ces faits sous silence. Lorsqu’il apprend la nouvelle du soulèvement, le chef du gouvernement prononce cette phrase célèbre, témoignage reflétant à sa juste valeur la détermination du Front Populaire à combattre le fascisme: “Ils se soulèvent. Très bien. Et bien moi, je vais me coucher." (1) Anecdote intéressante et pour le moins révélatrice : la veille de l’insurrection fasciste, la presse ouvrière parut trouée d’espaces blancs : la censure gouvernementale avait supprimé des éditoriaux et des morceaux d’articles annonçant le coup d’Etat ! (2)

    Contre toute évidence, le gouvernement nie la gravité de la situation. Le 18 juillet au soir, un Conseil des ministres refuse la demande de l’UGT de donner des armes aux travailleurs. Dans la capitale, puis dans d’autres villes, des centaines de milliers de travailleurs envahissent les rues pour les réclamer. Il est clair que les politiciens bourgeois au gouvernement craignaient mille fois plus une classe ouvrière armée qu’une Espagne fasciste. Leur couardise et leur politique de conciliation permettra par la suite dans une large mesure aux éléments fascisants d’épurer à coups de revolver l’armée de ses éléments “subversifs“…

    “De façon générale, d’ailleurs, la guerre civile commence par un massacre dans les casernes et les prisons militaires. C’est en pataugeant dans le sang des soldats socialistes et des officiers républicains que les ‘rebelles’ quittèrent les casernes pour marcher sur les quartiers ouvriers. " (3)

    Dès lors, sous l’impulsion du prolétariat de Barcelone –qui, dès le 19 juillet, presque sans armes, prend victorieusement d’assaut les premières casernes- c’est l’ensemble du prolétariat de la péninsule qui prend l’offensive et commence à organiser la lutte armée. Dans la plupart des grandes villes, le peuple assiège les casernes, érige des barricades dans les rues, occupe les points stratégiques. On raconte que dans certaines régions, la population laborieuse se lance à l’assaut des bastions rebelles avec des armes de fortune tels que des canifs, des couteaux de cuisine, des fusils de chasse, des pieds de chaise, de la dynamite trouvée sur les chantiers, des poêles, des fourches,…bref, avec tout ce qu’elle peut trouver, et parfois même à mains nues.

    La dynamique qui se met alors en place est très bien décrite par Pierre Broué : “Chaque fois que les organisations ouvrières se laissent paralyser par le souci de respecter la légalité républicaine, chaque fois que leurs dirigeants se contentent de la parole donnée par les officiers, ces derniers l’emportent…par contre, ces mêmes officiers sont mis en échec chaque fois que les travailleurs ont eu le temps de s’armer, chaque fois qu’ils se sont immédiatement attaqués à la destruction de l’armée en tant que telle, indépendamment des prises de position de ses chefs, ou de l’attitude des pouvoirs publics légitimes“. (4) Bien souvent, les travailleurs peuvent compter sur le soutien ou du moins la sympathie d’une frange importante des soldats. C’est le cas dans la marine de guerre où la quasi-totalité des officiers sont gagnés au soulèvement, mais où les marins, sous l’impulsion de militants ouvriers, se sont organisés clandestinement en “conseils de marins“. Ces derniers se mutinent ; certains, en pleine mer, exécutent les officiers qui résistent, s’emparent de tous les navires de guerre et portent ainsi au “soulèvement des généraux“ un coup très sérieux. “Au soir du 20 juillet, sauf quelques exceptions, la situation est clarifiée. Ou bien les militaires ont vaincu, et les organisations ouvrières et paysannes sont interdites, leurs militants emprisonnés et abattus, la population laborieuse soumise à la plus féroce des terreurs blanches. (voir ci-dessous) Ou bien le soulèvement militaire a échoué, et les autorités de l’Etat républicain ont été balayées par les ouvriers qui ont mené le combat sous la direction de leurs organisations regroupées dans des ‘comités’ qui s’attribuent, avec le consentement et l’appui des travailleurs en armes, tout le pouvoir.“(5)

    La lutte armée ne représente effectivement qu’une facette de ce vaste mouvement d’ensemble initié par la classe ouvrière : en réalité, la contre-révolution, matérialisée par le coup d’état, a pour réponse immédiate le déclenchement de la révolution. Le putsch des chefs militaires et des fascistes ne réussit qu’à faire jaillir un puissant processus de transformation de la société. L’Espagne se couvre d’une multitude de comités ouvriers (les “comidades-gobiernos“ : comités d’usines, de villages, de salut public, d’approvisionnement, de ravitaillement, de police, de défense, comités révolutionnaires, populaires, antifascistes,…) qui entreprennent la remise en marche de la production et la direction des affaires courantes. “Tous décident souverainement, non seulement des problèmes immédiats de maintien de l’ordre et de contrôle des prix, mais aussi des tâches révolutionnaires de l’heure, socialisation ou syndicalisation des entreprises industrielles, expropriation des biens du clergé, des factieux ou tout simplement des grands propriétaires, distribution entre les métayers ou en exploitation collective de la terre, confiscation des comptes en banque, municipalisation des logements, organisation de l’information, écrite ou parlée, de l’enseignement, de l’assistance sociale.“(6)

    En Catalogne, à la fin du mois de juillet, les transports et l’industrie sont presque entièrement aux mains des comités ouvriers de la CNT. A Barcelone, les travailleurs, dès les premiers jours, prennent en main les transports en commun, le gaz, l’électricité, le téléphone, la presse, les spectacles, les hôtels, les restaurants, et la plupart des grosses entreprises industrielles. Seuls quelques artisans et petits ateliers industriels conservent leur caractère d’entreprise privée. Le 23 juillet, un article du journal “The Times“ résume la situation à Barcelone: “Le prolétariat armé est en possession de la ville“! (7)

    Dès que les nouvelles arrivent des villes, le même processus apparaît dans les campagnes : les paysans se jettent sur les terres. Ces derniers n’ont plus l’intention d’attendre en vain que le gouvernement légifère. Entre février et juillet 1936, la prétendue “réforme agraire“ initiée par le Front Populaire avait fourni de la terre à 190.000 paysans…sur 8 millions (moins d’un sur 40). (8) A ce rythme, il eût fallu plus d’un siècle pour donner de la terre à tout le monde…C’est pourquoi, rapidement, les villageois se débarrassent de leurs conseils municipaux et s’empressent de s’administrer eux-mêmes. Se met alors en place un profond mouvement de collectivisation de la terre, jamais vu dans toute l’histoire. En Aragon, les ¾ de la terre sont collectivisés.

    Grâce à cette combativité populaire exemplaire, non seulement l’échec de l’insurrection des militaires et des fascistes est consommée en quelques jours, mais en outre, les masses détiennent pratiquement le pouvoir entre les mains. La lutte contre l’insurrection a eu pour effet de jeter le prolétariat à l’assaut de l’Etat bourgeois.

    Le journal anglais “The Guardian“ du 29 juillet 1936 publie une interview d’un garagiste français qui habitait Barcelone et qui a entretemps fui vers Toulouse ; ce dernier relate que “Plus personne à Barcelone n’obéit au gouvernement, ou plutôt à ce qu’il en reste. Le pouvoir est passé entre les mains des groupes ouvriers, guidés par leurs passions politiques et sociales (…) Il est assez curieux de constater que la Mairie de Port Bou est la seule qui fonctionne encore normalement, sous le contrôle de la garde civile. Partout ailleurs, des comités locaux ont été érigés, et les Mairies désertées de leurs occupants.“(9)

    Il n’y a pourtant rien de “curieux“ à cela : la situation qui s’est créée à Barcelone, comme dans de nombreuses régions de l’Espagne, n’est rien d’autre qu’une situation de double-pouvoir caractéristique de toute révolution ouvrière : à côté des gouvernements officiels de Madrid et de la Catalogne ont surgi des organes de pouvoir contrôlés essentiellement par les travailleurs, et par le biais desquels les masses organisent la lutte contre le fascisme. Lorsque les autorités se remettent de leur stupeur, elles s’aperçoivent tout simplement qu’elles n’existent plus. L’Etat, la police, l’armée, l’administration, semblent avoir perdu leur raison d’être. Le gouvernement est suspendu dans les airs et n’existe plus que par la tolérance de la direction des différents partis ouvriers. A la fin du mois de juillet, les masses contrôlent les deux tiers du pays.

    Ces dernières exercent le pouvoir, mais celui-ci n’est pas organisé ni centralisé. Les comités, organes d’auto-administration de toutes les couches de la population laborieuse, qui poussent comme des champignons à travers presque toute l’Espagne, souffrent en fait d’une lacune fondamentale : l’absence d’un parti véritablement révolutionnaire à même de leur impulser une dynamique d’ensemble et, en se servant de leur force, de démettre définitivement de ses fonctions le gouvernement bourgeois. Autrement dit, de permettre à la classe ouvrière, appuyée par les masses paysannes, de s’accaparer du pouvoir politique.

    Ces comités auraient pu être élargis à chaque entreprise, chaque lieu de travail, chaque district, en y incluant la population paysanne, ainsi que les milices ouvrières. Reliés via un système de délégués -démocratiquement élus et révocables à tout instant- dans le but de former des comités locaux, régionaux, et national, ils auraient pu ainsi constituer les bases d’un nouveau régime : un Etat ouvrier, Etat de type nouveau reposant sur la représentation directe des travailleurs. A défaut d’une direction politique à la hauteur de ces tâches, l’Etat ouvrier demeurera en Espagne au stade embryonnaire, et ne se centralisera pas sous forme de conseils ouvriers à l’échelle du pays, comme ce fut le cas en Russie en 1917 avec les soviets.

    Une chose est certaine : les masses voulaient en finir avec le capitalisme. Elles tentaient d’imposer une politique révolutionnaire à leurs dirigeants, mais ceux-ci étaient trop aveugles, trop malhonnêtes, trop peureux ou trop sceptiques que pour appréhender la situation correctement. Ils seront par conséquent les principaux obstacles sur la voie d’une prise de pouvoir effective : la révolution va s’arrêter à mi-chemin. Car si, par la force des événements, les travailleurs s’étaient effectivement accaparé une partie importante du pouvoir d’Etat, l’appareil officiel restait encore, lui, dans les mains de ses anciens possesseurs…


    Qu’est-ce que la terreur blanche?

    L’expression “terreur blanche“ est souvent utilisée pour désigner la période de réaction entreprise par la bourgeoisie suite à la révolution russe d’octobre 1917. La haine et l’effroi éveillés par la prise du pouvoir des travailleurs russes poussa la bourgeoisie mondiale dans une escalade de terreur, de violence et de destruction pour écraser le jeune Etat ouvrier. Sous la collaboration bienveillante des pays de l’Entente, les armées blanches procédèrent à des massacres féroces. Dans l’Oural et dans la Volga, les bandes de gardes-blancs tchécoslovaques coupèrent les mains et les jambes des prisonniers, les noyèrent dans la Volga ou les firent enterrer vivant. En Sibérie, les généraux pendirent des milliers de communistes, une quantité innombrable d’ouvriers et de paysans. La vague de révolutions qui déferla sur toute l’Europe dans l’immédiat après-guerre suscita la peur de la bourgeoisie et généralisa ces méthodes. A Kecskemet, en Hongrie, deux cents civils, hommes, femmes et enfants, qui ne se dispersèrent pas au commandement d’un major, furent mitraillés dans la rue. Un reporter socialiste relata ce crime ;des officiers l’enlevèrent en plein jour, lui coupèrent les oreilles et le nez, lui crevèrent les yeux et le jetèrent dans le Danube. En Finlande, l’armée bourgeoise fusilla plus de quatorze mille prolétaires et en tortura à mort plus de quinze mille dans les prisons…Les historiens bourgeois s’adonnent souvent à cœur joie pour dénoncer les crimes de la “dictature bolchévique“ pendant la guerre civile, mais ont une fâcheuse tendance à “oublier“ de replacer les choses dans leur contexte et à gommer de l’histoire les crimes commis par ceux d’en face.


    1. “La Révolution Espagnole 1931-1939“, de Pierre Broué
    2. “Révolution et contre-révolution en Espagne“, de Felix Morrow, chap.2, p.78
    3. “Histoire de l’Internationale Communiste“, de Pierre Broué, chap.31 : “Front populaire : image et réalités “, p.679
    4. “La Révolution Espagnole 1931-1939“, de Pierre Broué, p.67
    5. “La Révolution Espagnole 1931-1939“, de Pierre Broué, p.70
    6. “La Révolution et la Guerre d’Espagne“, de Pierre Broué, p.111-112
    7. “The Spanish Revolution 1931-1937“, de Peter Taaffe et Ted Grant, p.41
    8. “The Spanish Revolution 1931-1937“, de Peter Taaffe et Ted Grant, p.35
    9. “The Spanish Revolution 1931-1937“, de Peter Taaffe et Ted Grant, p.50
  • 8. La révolution espagnole 1931-1939: Le mouvement ouvrier: analyses

    a) La CNT- FAI : l’anarchisme à l’épreuve des faits

    “Le mécanisme politique de la révolution consiste dans le passage du pouvoir d’une classe à une autre.“ (Trotsky, “Histoire de la révolution russe“)

    Anarchistes et anarcho-syndicalistes refusent d’engager une lutte pour un pouvoir dont ils ne sauraient que faire, vu qu’il serait contraire à leurs principes. Comme en Russie, les confusions politiques du courant anarchiste les amèneront à se heurter en Espagne au problème de l’Etat. Faute d’avoir forgé les armes capables de l’aider à vaincre cet obstacle, le mouvement anarchiste abandonne implacablement ses principes : l’anti-étatisme doctrinal fait place à une collaboration pratique des anarchistes aux organes de l’état bourgeois.

    Un des enseignements fondamentaux de la révolution russe est que celle-ci avait permis de vérifier la nécessité de briser l’Etat capitaliste et d’y substituer un gouvernement ouvrier. Les anarchistes n’ont rien tiré de cet enseignement, même s’il est clair que la dégénérescence bureaucratique de l’Etat ouvrier en Russie ne les a pas aidés dans ce raisonnement. Nombre d’anarchistes affirment encore aujourd’hui qu’en Espagne, ils auraient pu prendre le pouvoir mais qu’ils ne l’ont pas fait -non parce qu’ils ne le pouvaient pas- mais parce qu’ils ne le voulaient pas. Trotsky disait que les anarchistes “nient la politique jusqu’à ce qu’elle leur saute à la gorge ; alors ils font la politique à la place de la classe ennemie.“ (1) Il n’y a en effet pas d’alternative entre le pouvoir des capitalistes et celui des travailleurs; dans une situation de dualité de pouvoir, c’est-à-dire au moment crucial où il faut choisir entre ces deux options, les dirigeants anarchistes, refusant a priori toute forme de pouvoir, acceptent dans les faits de laisser les rênes de celui-ci dans les mains de l’ennemi. Telles sont les deux faces de l’anarchisme : côté pile, un discours aux accents ultra-radicaux, teinté d’un refus de toute théorie politique; côté face, une capitulation honteuse quand l’histoire met les grands problèmes politiques à l’agenda. Malgré leur rejet infantile de la politique et du pouvoir “en général“, c’est effectivement vers une collaboration effective avec la bourgeoisie et ses laquais politiques que les dirigeants de la CNT et de la FAI s’orienteront finalement : le 26 septembre 1936, trois leaders anarchistes acceptent des postes ministériels dans le gouvernement de la “Generalidad“ (= gouvernement régional de Catalogne). Une des premières mesures de ce nouveau cabinet sera de dissoudre tous les comités révolutionnaires qui ont vu le jour depuis le 19 juillet. Le 4 novembre, quatre portefeuilles sont proposés à la CNT dans le gouvernement de Madrid ; sans hésiter, les dirigeants anarchistes réitèrent la même bêtise, à l’échelle nationale cette fois. Considérant toujours comme un péché originel de parler de l’Etat ouvrier, de la constitution et de l’élargissement des comités, ils commencent alors, comme en Catalogne, à travailler avec ordre et méthode à la reconstitution de l’Etat bourgeois. Le 23 février 1937, le ministre anarchiste Juan Peiro, écrit: “Notre victoire dépendait et dépend encore de l’Angleterre et de la France, mais à condition de faire la guerre et non la révolution“ (2) On cerne ici toute la faillite de la théorie anarchiste, prise au piège de ses propres contradictions : n’ayant pas d’alternative et de stratégie pour contrer la politique de la classe dominante, les anarchistes font la politique à la place de la classe dominante. En renonçant à exercer la dictature du prolétariat, ils acceptent dans les faits à exercer la dictature…de la bourgeoisie. Comme le disait Trotsky, renoncer à la conquête du pouvoir, c’est le laisser dans les mains de ceux qui le détiennent, c’est-à-dire aux exploiteurs. Avant la révolution espagnole, l’anarchisme n’avait encore jamais été véritablement “testé“ à une large échelle. Avec la révolution espagnole, ce fut chose faite. Et pour la dernière fois, aimerait-on espérer.

    Pourtant, se contenter d’une telle analyse concernant l’anarchisme en Espagne ne suffit pas. Car ce serait faire peu de cas des innombrables militants volontaires et héroïques qui ont combattu sous la bannière de la CNT. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, au fur et à mesure que le rôle de la direction de la CNT devient de plus en plus clair, des voix de plus en plus nombreuses se font entendre dans ses propres rangs pour critiquer la ligne “officielle“. Une différenciation s’opère chez les anarchistes, et de nombreux éléments évoluent nettement vers des positions qui se rapprochent du marxisme révolutionnaire. Un des groupes anarchistes, “Los Amigos de Durruti“ (= Les Amis de Durruti), en opposition avec la bureaucratie et les dirigeants gouvernementaux de la CNT, propage le mot d’ordre “Tout le pouvoir à la classe ouvrière“ (3) et affirme qu’il a manqué au mouvement libertaire espagnol une théorie révolutionnaire. Durruti était responsable du syndicat du textile de la CNT, il dirigea la résistance armée à Barcelone en ’36 et la première colonne de miliciens qui marchèrent sur Saragosse (la “Colonne de Durruti“), et mourut dans des circonstances suspectes. Les Amis de Durruti voulait arracher le symbole de Durruti à la direction anarchiste officielle ; en juin 1937, ils déclareront : “Pour battre Franco, il fallait d’abord écraser la bourgeoisie et ses alliés staliniens et socialistes. Il fallait détruire de fond en comble l’Etat capitaliste et instaurer un pouvoir ouvrier surgi des comités de base des travailleurs. L’apolitisme anarchiste a échoué.“ (4) Ils avaient fini par comprendre que la conquête du pouvoir politique était la condition du succès de la révolution prolétarienne. C’est sans aucun doute pour cela qu’ils seront exclus des rangs de la CNT.

    b) Le POUM : le danger du centrisme

    “La révolution ne s’accorde pas avec le centrisme. Elle le démasque et l’anéantit.“ (Léon Trotsky, “Leçons d’Espagne“)

    Le POUM était indiscutablement l’organisation la plus honnête et la plus à gauche en Espagne ; bref, l’organisation aux positions politiques les plus avancées. Malgré ses effectifs relativement faibles, le POUM sut prendre des initiatives qui lui valurent d’accroître rapidement son influence. Toutefois cette organisation sera marquée, dès sa naissance, par le sceau du centrisme : révolutionnaire en paroles, réformiste dans les faits.

    Déjà, faut-il le rappeler, sa création en elle-même fut une entreprise hasardeuse : niant les possibilités qui s’ouvraient sur la gauche du Parti Socialiste, les fondateurs du POUM ne cernèrent pas à temps cette évolution capitale que les staliniens, eux, avaient bien compris et mirent à leur profit, avec les conséquences que l’on sait : l’évolution des Jeunesses Socialistes sera brisée net par le ralliement au stalinisme de leurs dirigeants, à travers la constitution de la JSU. Les faiblesses du POUM dans son appréciation de la situation internationale et sa sous-estimation du danger stalinien -beaucoup de dirigeants du POUM estiment que la critique du stalinisme faite par les trotskistes est “exagérée“- n’y sont évidemment pas pour rien dans cette attitude.

    La valeur d’un parti, et singulièrement de sa direction, se vérifie à la lumière des grands événements. Par temps calme, tout le monde est bon marin. Il ne suffit pas, en effet, de s’autoproclamer “révolutionnaires“ pour agir en tant que tel ; la signature des poumistes apposée au programme du Front Populaire constituait en effet une renonciation dangereuse aux positions politiques adoptées par le parti au moment de sa création. Au moment où l’heure a sonné de préparer la prise du pouvoir par les masses, Andrès Nin affirme imprudemment que la dictature du prolétariat existe déjà en Espagne et que “l’Etat capitaliste est mort à jamais.“(5)

    Les dirigeants du POUM resteront à la remorque des anarchistes pendant tout le conflit ; un éditorial de “La Batalla“ -le journal du POUM- affirme par exemple: “La responsabilité des dirigeants de la C.N.T. et de la F.A.I. est énorme. Ils détiennent la clé de la situation. Plus, ils sont ceux qui peuvent décider du cours de la révolution“. (6) Ils les suivront jusqu’à entrer dans le gouvernement de Catalogne avec eux : alors que les dirigeants bourgeois profitent de la passivité des organisations ouvrières pour restaurer leur appareil d’Etat, Andrès Nin y met sa pierre à l’édifice en acceptant la liquidation du pouvoir révolutionnaire catalan (le “comité central des milices antifascistes“) et en devenant ministre de la Justice en Catalogne. C’est sous son mandat que sera par exemple décrété le désarmement des travailleurs catalans ; le 27 octobre 1936 en effet, un décret –reproduit mot pour mot dans le journal du POUM sans la moindre explication ni la moindre critique- stipule exactement ceci :

    Article 1. Toutes les armes longues (fusils, mitraillettes, etc.) qui seront trouvés dans les mains de citoyens devront être remises aux municipalités dans un délai de huit jours suivant la publication de ce présent décret.

    Article 2. A la fin du délai ci-dessus mentionné, toute personne qui conservera de tels armements sera considérée comme fasciste et jugée avec la rigueur que de tels actes impliquent. (7)

    Utilisé par les ennemis de la révolution pour cautionner le sale boulot, le POUM sera ensuite exclu du gouvernement une fois son aide devenue inutile. Au lieu d’utiliser cette exclusion pour corriger ses erreurs antérieures, le POUM ne trouve rien de mieux à faire que de mener campagne pour sa réintégration dans la coalition. Par de tels actes, le POUM, quoiqu’on puisse en dire, partage la responsabilité du coup de frein donné à la révolution. En s’efforçant de ne pas heurter de front ses adversaires, et en couvrant ainsi l’aile gauche du Front Populaire, le POUM ne fera que préparer la voie à sa propre destruction.

    Pourtant, ce parti avait d’énormes possibilités : dans les six premières semaines qui suivirent l’offensive révolutionnaire de juillet 1936, il était passé d’un parti de 1000-1500 membres à plus de 30.000 membres. Selon certaines sources, il aurait atteint jusqu’à 60.000 membres. (8) Proportionnellement, il disposait donc d’effectifs plus nombreux que le Parti Bolchévik dans les débuts de la révolution russe. Malheureusement, accablé de nombreuses insuffisances idéologiques, oscillant entre le réformisme et la révolution par une politique ambigüe et incertaine faite de vacillations et hésitations diverses -et de contradictions continuelles entre ses déclarations et ses actes-, le POUM commettra toute une série d’erreurs qui lui seront fatales : en Catalogne, au lieu de faire un travail dans la CNT-syndicat le plus puissant d’Espagne-, le POUM se contente d’envoyer ses militants dans l’UGT catalane, plus petite et plus inconsistante. Dans le même sens, les poumistes créent leurs propres milices, au lieu de mener le combat au sein des milices de la CNT, qui rassemblent incontestablement la majorité du prolétariat (dès le 21 juillet, les premières colonnes qui partent de Barcelone en direction de l’Aragon ou de Madrid reflètent cette réalité : la CNT-FAI compte 13.000 miliciens, le POUM 3.000, et l’UGT, 2.000). Cet isolement sur le front rend d’ailleurs le POUM particulièrement vulnérable face à l’ennemi : pour exemple, sur le front de Madrid, 9 miliciens du POUM sur 10 tombent en l’espace de six mois. (9) Cherchant ainsi des raccourcis en esquivant le travail dans les organisations de masse, et en refusant par là de disputer la direction de la lutte aux anarchistes, la politique de la direction du POUM aura pour résultat d’isoler l’avant-garde de la classe et de laisser les larges masses dans les mains d’une direction fourbe.

    Le jugement sévère qu’y apportera Trotsky n’était donc pas dénué de fondement, loin s’en faut : “La peur de s’isoler de la bourgeoisie conduit à s’isoler des masses. L’adaptation aux préjugés conservateurs de l’aristocratie ouvrière signifie la trahison des ouvriers et de la révolution. L’excès de prudence est l’imprudence la plus funeste. Telle est la principale leçon de l’effondrement de l’organisation politique la plus honnête de l’Espagne, le P.O.U.M, parti centriste.“(10)

    c) Le PCE : le stalinisme dans sa plus simple expression

    “Le stalinisme est devenu le fléau de l’Union soviétique et la lèpre du mouvement ouvrier mondial.“ (Léon Trotsky, “La lutte anti-impérialiste“)

    Il n’est sans doute pas exagéré de dire que les staliniens constitueront l’avant-garde de la contre-révolution espagnole, les exécuteurs les plus zélés du rétablissement de l’appareil d’Etat bourgeois. Pendant tout le conflit, les staliniens nageront complètement à contre-courant de la dynamique révolutionnaire, allant jusqu’à nier le fait qu’une révolution prenait place en Espagne, tout en s’attelant avec méthode à dévier celle-ci de son cours.

    Il est clair que le but poursuivi à l’époque par Staline dans ce pays n’est pas la victoire de la révolution, mais seulement l’assurance de se constituer de bons alliés contre l’Allemagne nazie pour la 2ème guerre mondiale qui s’annonce. Les dirigeants staliniens ne veulent à aucun prix du triomphe d’une révolution sociale en Espagne, et ce pour deux raisons : d’une part, elle exproprierait les capitaux investis par l’Angleterre et la France, alliées présumées de l’URSS dans la “ronde des démocraties“ contre Hitler. Ce dernier fait n’est d’ailleurs même pas contesté par les staliniens eux-mêmes : dans un livre écrit par Santiago Carillo, président du PCE dans les années ’70, on peut lire : “Il est clair qu’à l’époque, la bourgeoisie européenne n’aurait pas toléré qu’un petit pays comme l’Espagne puisse victorieusement porter une révolution socialiste. A cette époque, nous ne parlions pas de révolution socialiste et nous critiquions même ceux qui le faisaient, car nous voulions neutraliser les forces bourgeoises des démocraties européennes.“ (11) On a beaucoup de mal à croire que les classes dominantes anglaise et française étaient assez dupes pour ne pas se rendre compte qu’une révolution était en train de menacer leurs intérêts capitalistes en Espagne du simple fait que les staliniens refusaient d’en parler, mais bon…ces derniers n’en sont plus à une contradiction près. En décembre 1936, Staline en personne envoie une lettre au chef du gouvernement espagnol stipulant ceci: “Il ne faut pas repousser les dirigeants des partis républicains mais au contraire les attirer, se rapprocher d’eux et les associer à l’effort commun du gouvernement. C’est nécessaire pour empêcher que les ennemis de la République ne voient en elle une république communiste, et pour empêcher ainsi leur intervention déclarée, ce qui constitue le plus grand péril pour l’Espagne républicaine.“ (12) Un deuxième facteur fondamental doit être pris en compte pour comprendre l’attitude du stalinisme en Espagne: “ce qui constitue le plus grand péril pour l’Espagne“ aux yeux de Staline, ce n’est pas “l’intervention déclarée des ennemis de la République“, mais bien la révolution. La révolution est un phénomène extrêmement contagieux ; autrement dit, la caste dirigeante russe craignait la révolution comme la peste car celle-ci aurait durement secoué l’assise même de son pouvoir en URSS. Pour la bureaucratie stalinienne, une victoire révolutionnaire en Espagne signifiait le chant des sirènes.

    Dès lors, pour les staliniens, la lutte n’est plus entre révolution et contre-révolution mais entre démocratie et fascisme, ce qui rend nécessaire le maintien du Front Populaire et de l’alliance avec les républicains bourgeois, le respect des institutions légales, de la démocratie parlementaire et du gouvernement. Le journal “L’Humanité“ (journal du PCF) du 3 août 1936 affirme: “Le Comité Central du Parti Communiste d’Espagne nous demande d’informer le public, en réponse aux rapports tendancieux publiés par certains journaux, que le peuple espagnol ne se bat pour l’établissement de la dictature du prolétariat mais pour un seul but : la défense de la loi et de l’ordre républicain dans le respect de la propriété.“ (13)

    Un argument souvent utilisé par les staliniens pour justifier la politique du Front Populaire est que celui-ci visait à avancer un programme plus modéré capable d’attirer la petite-bourgeoisie vers le mouvement ouvrier, de “sceller l’alliance des classes moyennes avec la classe ouvrière.“ (14) S’il entendait cela, Lénine se retournerait dans sa tombe! L’histoire du bolchévisme est l’histoire d’une guerre sans relâche contre de telles notions. Le moyen de gagner la classe moyenne à la cause du mouvement ouvrier n’est pas de lier les mains de ce dernier aux politiciens bourgeois, mais bien au contraire de faire tout pour les démasquer, de faire tout pour montrer l’incapacité de la bourgeoisie et de son système politique à résoudre la crise, de faire tout pour démontrer dans l’action que la seule issue se trouve du côté des travailleurs. En Russie en 1917, c’est cette politique de classe intransigeante qui a permis de gagner la confiance de la paysannerie et a ainsi assuré le succès de la révolution. La petite-bourgeoisie, de par sa position intermédiaire dans la société, a tendance, dans la lutte des classes, à se ranger du côté du “cheval gagnant“, c’est-à-dire du côté de la classe qui se montrera la plus résolue et la plus à même de gagner la bataille. En Espagne en 1936, la politique de Front Populaire a seulement réussi à pousser la paysannerie et la petite-bourgeoisie des villes dans l’indifférence, voire dans les bras de la réaction fasciste.


    1. “La révolution espagnole et les tâches communistes“, de Léon Trotsky, p.22
    2. “Politica“ du 23 février 1937
    3. “Chronique de la révolution espagnole“, publiée par l’“Union Communiste“, éditions Spartacus, p.66
    4. “Bilan – contre-révolution en Espagne“, de Jean Barrot
    5. “La Révolution Espagnole 1931-1939“, de Pierre Broué, chap.6, p.75
    6. “La Batalla “ du 3 mars 1937
    7. “Révolution et contre-révolution en Espagne“, de Felix Morrow, chap.7, p.116
    8. “The Spanish Revolution 1931-1937“, de Peter Taaffe et Ted Grant, p.49
    9. “Révolution et contre-révolution en Espagne“, de Felix Morrow
    10. “Leçons d’Espagne“, de Léon Trotsky, p.39-40
    11. “The Spanish Revolution 1931-1937“, de Peter Taaffe et Ted Grant, p.15
    12. “Histoire de l’Internationale Communiste“, de Pierre Broué, chap.31 : “Front populaire : image et réalités “, p.692
    13. “La guerre civile en Espagne“, de Felix Morrow, chap.5, p. 95
    14. “Histoire de l’Internationale Communiste“, de Pierre Broué, chap.31 : “Front populaire : image et réalités “, p.675
  • 9. La révolution espagnole 1931-1939: La réaction “démocratique”

    Dans ces conditions, les premiers succès des milices restent sans lendemain. En effet, une situation de double-pouvoir ne peut se maintenir indéfiniment : elle se conclut toujours par la victoire de l’un ou de l’autre des pouvoirs en présence. Le manque de perspectives du côté des travailleurs se concrétise inévitablement par un recul progressif de la vague révolutionnaire, et la situation bascule à l’avantage de la bourgeoisie. Au fil des semaines, les représentants de la république bourgeoise reprennent du poil de la bête, voyant que les empiétements des ouvriers sur le pouvoir d’Etat n’aboutissent pas à son renversement.

    Bien entendu, l’expectative dans laquelle sont plongées les différentes organisations ouvrières ne fait que profiter à la réaction : les fascistes reprennent du terrain et procèdent à des massacres féroces. Parallèlement, profitant du retour de vapeur, la bourgeoisie reprend, morceau par morceau, les leviers de commande que le prolétariat lui avait enlevés, par l’application de mesures diverses tendant à briser l’élan des travailleurs.

    On commence à démolir les barricades élevés dans les villes. On multiplie la censure de la presse ouvrière. A partir de septembre 1936, tous les comités sont dissous et remplacés par des conseils municipaux à l’image du gouvernement. Le corps des magistrats est remis en fonction, les milices placées sous le contrôle du Ministère de l’Intérieur. Celles-ci sont dissoutes avec ordre et méthode et remplacées progressivement par une armée régulière de type traditionnel : les conseils de soldats qui avaient vu le jour pendant la révolution sont supprimés, les grades, les galons, les soldes fortement hiérarchisées et l’ancien code de Justice Militaire sont remis en vigueur.

    Le gouvernement, selon sa propre expression, “légalise les conquêtes révolutionnaires“, ce qui constitue en réalité un moyen d’empêcher leur extension. Partout, le gouvernement adopte des mesures visant à renforcer son pouvoir au détriment des organisations de base du prolétariat. Voici le témoignage d’un anarchiste de la CNT de Madrid, L. Nicolas, qui en donne une description assez clairvoyante: “Le gouvernement s’est mis d’accord pour dissoudre toutes les juntes de défense et comités de liaison, créées par le peuple pour l’action révolutionnaire, et les remplacer par les organes caducs de la démocratie bourgeoise qui ont été liquidés le 19 juillet. Les décrets au moyen desquels le gouvernement supprime les organes révolutionnaires d’origine prolétarienne ont une importance considérable puisqu’ils ont pour but de substituer à l’administration populaire directe l’appareil politique officiel… “ (1)


    1. “Chronique de la révolution espagnole“, publiée par l’“Union Communiste“, éditions Spartacus, p.40-41
  • 10. La révolution espagnole 1931-1939: Le pacte de non-intervention

    Le 1er août 1936, Léon Blum, cédant aux pressions de l’impérialisme britannique ainsi qu’à celles du parti radical -son partenaire bourgeois dans la coalition du Front Populaire français- avait proposé un “pacte de non-intervention“ en Espagne, ratifié quelques jours plus tard par la quasi-totalité des pays européens (29 au total, dont l’Italie et l’Allemagne).

    Ce pacte était une hypocrisie complète. Il n’arrêtait certes pas les fournitures d’armes et d’hommes aux fascistes : pour venir en aide à Franco, Hitler envoya entre 20.000 et 60.000 hommes, Mussolini une centaine de milliers) ; par contre, il permettait dans une large mesure d’étreindre la résistance des miliciens ouvriers, notamment par la fermeture de la frontière française et l’embargo général sur les armes.

    Sans surprise, l’URSS, sous prétexte de ne pas provoquer la guerre, s’était engagée elle aussi dans cette politique de non-intervention. Trotsky commentait: “La politique de non-intervention que le gouvernement de l’URSS vient officiellement de rejoindre est conservatrice, nationaliste et étroite. Ces gens essaient de se justifier en disant ‘Nous ne voulons pas provoquer la guerre’. Ainsi, ils laissent l’Europe devenir fasciste, puis se retirent. Au bout du compte, ils auront quand même la guerre, mais devrons l’affronter dans des conditions infiniment plus défavorables.“ (1)

    Cependant, en octobre 1936 s’opère un changement brusque dans l’attitude de la part de la Russie stalinienne : l’URSS viole le pacte et entame à son tour les premières fournitures d’armes. L’arrivée de l’aide matérielle russe (chars, tanks, avions…et police politique) sur le territoire espagnol et l’entrée en scène, à l’initiative et sous le contrôle des différents partis communistes du monde, des “Brigades Internationales“ -formées de volontaires de tous pays venus combattre le fascisme-, a pu faire croire à beaucoup de militants que le gouvernement soviétique cédait à la pression des masses. Il y a certainement là une part de vérité, car le courant de sympathie vis-à-vis des miliciens espagnols est énorme parmi le mouvement ouvrier mondial, et le prestige de l’URSS est en jeu. Néanmoins, comme nous l’explique Wilebaldo Solano, ancien membre du POUM: “Si Staline a changé son fusil d’épaule, il n’a pas pour autant l’intention de laisser se développer la révolution espagnole. Tout en rompant avec la non-intervention, il veut néanmoins continuer à rassurer Londres et Paris et prouver sa capacité à maîtriser le prolétariat d’Espagne.“ (2) En effet, l’intervention de l’URSS est dictée par d’autres préoccupations que la victoire de la révolution : les intérêts de sa politique extérieure, la volonté de s’opposer au renforcement de l’Allemagne nazie de plus en plus menaçante. Même à considérer cette stratégie dans un cadre strictement “antifasciste“, elle était vouée d’avance à la défaite ; car, comme le dit Pierre Broué, “Staline, incontestablement, était plus préoccupé de faire aboutir son propre plan d’extermination que d’arrêter celui que venait de promettre et d’engager le général Franco avec l’appui d’Hitler et de Mussolini.“(3)

    Effectivement, lorsque Staline se décide à envoyer en Espagne des armes, du matériel et des hommes (alors que cette aide fut refusée au début, lorsqu’elle aurait pu être décisive), un autre facteur était intervenu : le recul de la révolution, marqué notamment par l’entrée des représentants de la FAI, de la CNT et du POUM dans le gouvernement. Cet appui en armes va à la fois servir aux staliniens d‘instrument de chantage pour obtenir des garanties politiques de la part des représentants du camp dit “républicain“, et constituer un prétexte pour ceux-ci afin de justifier leur capitulation et la trahison de leur base. Pas d’armes, pas de ravitaillement pour Barcelone et le front d’Aragon tant que la CNT n’accepte pas les mesures contre-révolutionnaires proposées par les staliniens : tel est l’odieux chantage auquel ont recours ces derniers. De leurs côtés, les dirigeants de la CNT courbent la tête devant l’influence russe dans la crainte de se voir retirer l’aide en armements. L’ “Independant News“ du 31 octobre 1937 rapporte que García Olivier, éminent dirigeant de la CNT, et ministre de la justice dans le gouvernement de Madrid, va jusqu’à affirmer qu’“il faut céder une fois pour toutes aux exigences de Moscou“. (4)

    Or, le “soutien“ des staliniens n’est qu’une étape dans leur manoeuvre destinée à étouffer le foyer révolutionnaire espagnol. De fait, la “réaction démocratique“ ne tarde pas à laisser la place à la contre-révolution stalinienne dans toute sa cruauté, mettant la touche finale à l’étranglement de la révolution. L’Espagne devient un laboratoire pour la prochaine guerre mondiale où Staline va pouvoir démontrer aux puissances occidentales qu’il est un allié solide et digne de confiance, capable de ramener l’ordre en étranglant une révolution inopportune.


    1. “Oeuvres“ de Léon Trotsky, 1938
    2. “Révolution dans la guerre d’Espagne“, de Wilebaldo Solano
    3. “Histoire de l’Internationale Communiste“, de Pierre Broué, chap.31 : “Front populaire : image et réalités “, p.696
    4. “Chronique de la révolution espagnole“, publiée par l’“Union Communiste“, éditions Spartacus, p.43
  • 11. La révolution espagnole 1931-1939: L’issue de la guerre civile : une question politique ou militaire ?

    Le mot d’ordre principal du PCE est “victoire militaire d’abord, réforme sociale ensuite“. (1) Diaz, que nous avons déjà mentionné plus haut, déclarait : “Il est nécessaire de se mobiliser dans la plus grande unité pour gagner la guerre. Communisme libertaire, dictature du prolétariat, socialisme d’Etat, ou république fédérale, nous parlerons de tout cela APRES la guerre.“ (2) En clair, il s’agissait, au nom de la guerre, de sacrifier la révolution.

    Ce qu’il faisait mine de ne pas comprendre est qu’on ne pouvait gagner la guerre sans gagner la révolution. Le sort de la lutte militaire était lié directement au développement et à l’issue de la lutte révolutionnaire contre l’Etat bourgeois. Il n’y avait évidemment pas de solution intermédiaire à partir du moment où l’on admet la structure de classe de la société.

    La politique stalinienne, au contraire, consistera précisément à tenter désespérément de chercher le chemin d’une “troisième voie“ afin de maintenir le statu quo. Cette politique peut se résumer très simplement par une formule du type : “ni la victoire du fascisme, ni celle de la révolution“. Staline devait par conséquent entreprendre l’exercice périlleux d’armer la République tout en désarmant la révolution. “Il ne s’agit plus pour lui de soutenir une révolution ouvrière, il s’agit de maintenir un certain équilibre des puissances et de louvoyer avec les masses auxquelles il faut bien mentir“, nous explique Victor Serge (3). Cependant, la lutte s’était engagée dans une voie telle que l’issue ne pouvait être apportée que par l’écrasement de l’un ou de l’autre des adversaires en présence. Trotsky analyse: “La tâche des révolutionnaires authentiques consiste, tout en affermissant et en renforçant le front militaire, à briser la tutelle de la politique de la bureaucratie soviétique, donner aux masses un programme social hardi, découvrir les inépuisables sources d’enthousiasme dont les masses sont capables, d’assurer la victoire de la révolution et, par là de soutenir la cause de la paix en Europe. Le salut de l’Europe est à ce prix.“(4) Etablissant une référence à la guerre de sécession, et voulant souligner à quel point la politique est l’arme décisive dans la guerre civile, il poursuit : “Des réformes sociales hardies sont le gage de la victoire. Lee était sûrement un chef militaire plus talentueux que Grant. Mais le programme d’abolition de l’esclavage assura la victoire de Grant.“(5)

    Beaucoup d’historiens ont une fâcheuse tendance à expliquer la défaite contre le fascisme en Espagne sous un angle purement militaire. Avec une analyse aussi superficielle, comment expliquer la victoire des Bolchéviks contre les blancs pendant la guerre civile en Russie ? Ceux-ci avaient alors dû faire face, en plus de la contre-révolution intérieure, à l’intervention de 21 puissances étrangères armées jusqu’aux dents. Fin stratège militaire, Napoléon affirmait que “dans une guerre, le moral des troupes vaut trois fois le nombre d’effectifs”. En effet, la clé du succès des Bolchéviks ne résidait pas dans leur supériorité militaire ou technique, mais dans le fait qu’ils portaient sur leur drapeau un programme capable de rassembler des millions d’ouvriers et de paysans dans une lutte à mort contre leurs exploiteurs. En Espagne, un tel programme était la condition de la victoire. En particulier, une politique correcte vis-à-vis des paysans et de la question agraire, défendant résolument l’expropriation des grands propriétaires fonciers et la remise de la terre aux paysans, aurait pu indiscutablement faciliter la désagrégation des troupes de Franco, à composition principalement paysanne. Malheureusement, aucun parti n’était préparé à défendre un tel programme jusqu’au bout ; la destruction méthodique des conquêtes révolutionnaires détruisait au contraire la raison pour laquelle tant de militants se battaient, et préparait les conditions de la défaite. “Qu’a donné la république démocratique au paysan toujours roulé, toujours exploité ? La misère et les balles. Or, que lui promettait contre Franco le Front populaire ? Le maintien de la même république (…) Le langage mou et la politique pourrie de la démocratie bourgeoise et du Front popu¬laire étaient incapables de disloquer et de démoraliser l’armée fasciste, composée des éléments précisément faciles à gagner : les paysans exploités, les esclaves colo¬niaux, et même les Allemands et les Italiens luttant pour une cause qui n’était pas la leur.” (6)


    1. “The Spanish Revolution 1931-1937“, de Peter Taaffe et Ted Grant, p.12
    2. “The Spanish Revolution 1931-1937“, de Peter Taaffe et Ted Grant, p.13
    3. “Révolution dans la guerre d’Espagne“, de Wilebaldo Solano
    4. “Oeuvres“ de Léon Trotsky, 1938
    5. ibidem
    6. “L’Espagne livrée “, de M. Casanova
  • 12. La révolution espagnole 1931-1939: La contre-révolution stalinienne

    Les staliniens vont exceller dans un travail consistant concrètement à aider le fascisme à triompher, en déployant une campagne immonde et une répression féroce contre tous les éléments révolutionnaires ou ce qui s’en rapproche, allant dans bien des cas jusqu’à l’élimination physique pure et simple.

    L’Espagne devient le champ où opèrent en toute impunité les tueurs de Staline : c’est d’ailleurs en Espagne que sera recruté et formé le jeune tueur Ramon Mercader, futur assassin de Trotsky. En novembre 1936, le consul général d’URSS à Barcelone dénonce le journal du POUM “vendu au fascisme international“. (1) Le 12 décembre, le POUM est éjecté du gouvernement catalan. La presse stalinienne se déchaîne contre les révolutionnaires : les militants du POUM sont traités d’espions, de terroristes, de saboteurs, d’assassins. On accuse même ses miliciens de jouer au football avec les fascistes entre les lignes de feu, sur le front d’Aragon !

    Le désarmement des travailleurs est poursuivi systématiquement, et les arrestations et assassinats de militants ouvriers se multiplient. C’est le conflit irréductible entre les aspirations des travailleurs et la politique stalinienne visant à bloquer ces aspirations qui précipitera la crise que l’on a appelée “les journées de mai 1937“ en Catalogne. A la tentative des staliniens de reprendre le contrôle de l’immeuble de la “Telefonica“ (central téléphonique contrôlée par les miliciens de la CNT depuis le 19 juillet), les travailleurs de Barcelone répondent spontanément par la grève générale avec occupation d’usines et construction de barricades. La résistance des travailleurs est qualifiée de “putsch hitlérien“ par “L’Humanité“. (2) Elle réussit pourtant dans un premier temps à tenir en échec l’offensive contre-révolutionnaire. Pris à l’improviste, les dirigeants de la CNT et de la FAI ne trouvent malheureusement rien de mieux que de prêcher le calme, d’appeler les travailleurs à abandonner les barricades et à retourner au travail. Le POUM, quant à lui, couvre, par son silence et ses hésitations, la trahison des chefs anarchistes. Lâché par sa direction, le prolétariat de Barcelone est finalement écrasé. Ces événements marquent une étape décisive dans l’étranglement du mouvement révolutionnaire espagnol entamé depuis quelques mois.

    Mais, ainsi que le disait Trotsky, “le Front populaire ne pouvait remplir sa mission d’étouffer la révolution socialiste autrement qu’en abattant morceau par morceau son propre flanc gauche.“(3) C’est pourquoi, rapidement, le POUM est dissout, ses locaux sont occupés, ses journaux interdits, et la majorité de ses dirigeants arrêtés. En juin ’37, Andrès Nin, accusé d’espionnage au service de Franco, est arrêté par la police officielle puis livré aux services secrets soviétiques ; il est soumis à un terrible interrogatoire puis lâchement exécuté. Ses tortionnaires voulaient obtenir de lui une fausse confession comme celles qu’ils avaient arrachées en août ’36 à Zinoviev et Kamenev dans le cadre des procès de Moscou, afin de construire de fausses accusations et de mettre en scène un véritable “procès de Moscou espagnol“. Mais il ne confessera rien du tout. Toutefois, même si l’héroïsme de Nin sous la torture sauva sans doute bien des vies, de nombreux militants trotskistes ou poumistes subiront le même sort; on les accuse d’être “des fascistes déguisés qui emploient un langage révolutionnaire pour semer la confusion“. (4) “En assassinant Andrès Nin, on voulait écraser le POUM (…) Par un tragique paradoxe, ce n’est pas à la bourgeoisie elle-même qu’il a été réservé de réaliser cette tâche, mais au parti communiste et aux membres des autres sections de la III° Internationale, spécialement recrutés pour réaliser cette œuvre contre-révolutionnaire. Lorsque Nin eut été assassiné, que de nombreux autres camarades de son parti eurent été massacrés ou fusillés, que des centaines de militants du POUM eurent été emprisonnés, qu’un grand nombre d’autres eurent été odieusement maltraités dans les " tchékas " du S.I.M., dans les cachots de la police d’Etat, sur les pontons ou dans les camps de travail du sinistre commandant stalinien Astorga, le POUM fut déclaré dissous afin de lui interdire toute manifestation politique publique.“(5) Le 20 juin 1937, après l’arrestation des dirigeants du POUM, “L’Humanité“ titre : “Le trotskisme au service de Hitler. Un vaste complot ourdi par les dirigeants du POUM et ceux de la Phalange est découvert à Madrid.“ Dans cet article, on peut lire: “La liaison entre les dirigeants du POUM aujourd’hui en prison et les fascistes de la 5ème colonne est établie de la manière la plus indiscutable“.(6) L’auteur de ces lignes, Georges Soria, agent du GPU, reconnaîtra lui-même à la fin de sa vie que ces affirmations reposaient sur du sable.

    Le procès intenté aux dirigeants du POUM débutera en octobre ’38 devant le “Tribunal central d’espionnage et de haute trahison“, créé à l’origine pour poursuivre les fascistes. Les dirigeants du POUM ne seront finalement pas condamnés pour trahison (du fait de l’absence totale de preuves) mais à cause, entre autres, dit la sentence, de “l’attitude du POUM qui persiste dans sa ligne révolutionnaire et entretient le dessein de dépasser la république démocratique et d’imposer ses propres conceptions de la société“ (7) ; il s’en suivra de solides peines de prison pour chacun d’eux. Il mérite quand même de s’attarder quelque peu sur cette belle démonstration de “dialectique stalinienne“ : alors que les hommes de Staline s’évertuent à convaincre que les poumistes sont des agents aux mains de la contre-révolution, ceux-ci sont finalement condamnés par les juges à cause…de leurs conceptions révolutionnaires. On cerne ici toute l’incohérence cynique de la machination : le but du Parti Communiste est de mettre le POUM hors d’état de nuire en décapitant sa tête, et ce sous quelque prétexte que ce soit.

    Après s’être attaqué au POUM et aux trotskistes, les staliniens s’attaquent à la CNT et à la FAI. Le journal des miliciens cénétistes “Frente Libertario“ est interdit, le comité régional madrilène de la CNT, tout comme la rédaction du journal anarchiste de Bilbao, sont arrêtés, et l’imprimerie cénétiste est remise dans les mains des staliniens. En juillet 1937, la CNT est à son tour chassée du gouvernement. Se référant à ces événements, Trotsky écrit : “Dans le domaine des idées, le stalinisme est un zéro. Il dispose en revanche d’un appareil colossal qui exploite le dynamisme de la plus grande révolution de l’histoire et les traditions de son héroïsme et de son esprit de conquête…Staline est passé de la violence révolutionnaire des exploités contre les exploiteurs à la violence contre-révolutionnaire contre les exploités. Sous les mots et les formules anciennes, c’est la liquidation de la révolution d’Octobre qui est en train de se réaliser. Personne, si ce n’est Hitler, n’a porté au socialisme autant de coups mortels que Staline.“(8)


    1. “La révolution et la guerre civile en Espagne“, de Guy Van Sinoy
    2. “Chronique de la révolution espagnole“, publiée par l’“Union Communiste“, éditions Spartacus, p.62
    3. “Leçons d’Espagne“, de Léon Trotsky, p.40
    4. “La Révolution Espagnole 1931-1939“, de Pierre Broué, chap.8, p.93
    5. “L’assassinat d’Andres Nin : ses causes, ses auteurs “, de Juan Andrade
    6. “Révolution et contre-révolution en Espagne“, de Felix Morrow
    7. “Révolution dans la guerre d’Espagne“, de Wilebaldo Solano
    8. “Oeuvres“ de Léon Trotsky, 1938
  • 13. La révolution espagnole 1931-1939: La défaite et son prix

    Sur le plan économique, la destruction des acquis de la révolution s’établit avec la même ardeur. En janvier 1937, 58 décrets financiers du gouvernement catalan restreignent nettement le champ d’activité des entreprises collectivisées. Le 3 février, pour la première fois, la Generalidad décrète illégale la collectivisation d’une industrie – celle des produits laitiers. Au mois d’avril, elle annule le contrôle ouvrier sur les douanes. Dans les campagnes, la même dynamique s’installe : on démantèle les collectivités, les terres sont rendues aux anciens propriétaires fonciers.

    Fin 1937, les premiers “conseillers“ russes seront rappelés (la plupart seront exécutés par Staline une fois rentrés en URSS). Les envois d’armes russes diminuent rapidement. La guerre contre Franco perd de plus en plus son caractère de guerre civile qu’elle avait au lendemain du 19 juillet ; l’Espagne devient le théâtre d’une guerre classique où un camp se trouve en situation d’infériorité militaire et technique. “C’est une guerre de mouvement qui va maintenant se livrer entre les deux Espagnes et l’armée de métier va pouvoir affirmer sa supériorité en ce domaine face aux milices révolutionnaires improvisées.“(1) La situation devient de plus en plus claire : on prépare un armistice sur le dos du prolétariat espagnol. Les massacres d’ouvriers sur les différents fronts créent une démoralisation qui prépare l’ambiance favorable au compromis avec Franco. La bourgeoisie espagnole comme internationale jubile, et multiplie les réjouissances cyniques, comme le montre cet extrait d’un article tiré du journal français “Paris-Midi“: “Aujourd’hui, le point positif est que la guerre a résorbé le chômage en tuant les chômeurs. La guerre finie, sans doute y aura-t-il du travail pour tout le monde.“ (2)

    En octobre 1937, le journal américain “The New Republic“ reconnaît: “Il est clair aujourd’hui que pour la France et l’Angleterre, la préoccupation suscitée par une victoire fasciste en Espagne n’est plus qu’une considération parfaitement secondaire, si tant est qu’il n’en a pas été ainsi dès le départ.“(3) Un mois plus tard, le premier ministre britannique Chamberlain confirme cette constatation en annonçant l’établissement de relations officielles avec Franco. En avril 1938, l’Espagne est coupée en deux par l’offensive nationaliste. Fin janvier 1939, les troupes de Franco entrent dans Barcelone. En mars, Madrid capitule à son tour. A la fin du même mois, tout ce qui reste de la zone républicaine est occupé en huit jours. En avril, le gouvernement américain reconnaît à son tour la légitimité du pouvoir franquiste. La victoire définitive de Franco se concrétise par de nombreux supplices et exécutions, par la déportation de centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants. “El Caudillo“ placera le mouvement ouvrier espagnol sous la camisole de force du fascisme pour de longues années.


    1. “Histoire de l’Internationale Communiste“, de Pierre Broué, chap.31 : “Front populaire : image et réalités “
    2. “Chronique de la révolution espagnole“, publiée par l’“Union Communiste“, éditions Spartacus, p.117
    3. “Révolution et contre-révolution en Espagne“, de Felix Morrow
  • 14. La révolution espagnole 1931-1939: En guise de conclusion

    Il s’est présenté en Espagne une situation révolutionnaire exceptionnellement favorable, sans doute plus favorable encore que celle de l’Octobre russe. La réaction ouvrière contre le soulèvement des généraux et des fascistes prit immédiatement le caractère d’un assaut révolutionnaire contre le régime capitaliste. Mais la plus prometteuse des révolutions peut tourner à l’aigre si elle ne dispose pas de son complément indispensable : un parti révolutionnaire.

    En Espagne en 1936, l’appareil d’Etat de la bourgeoisie fut partiellement disloqué : armée, police, magistrature, bureaucratie furent en grande partie détruits ou étaient passés dans le camp fasciste. Le mouvement révolutionnaire s’étendait à la campagne où les paysans confisquèrent les grandes propriétés et les biens de l’Eglise, partageaient les grands domaines, se libéraient de toutes les servitudes du passé. Malheureusement, les travailleurs espagnols n’ont pas eu les dirigeants clairvoyants et audacieux capables de leur indiquer la solution du problème et de leur donner les moyens de vaincre les obstacles, intérieurs et extérieurs, s’opposant au développement du mouvement vers la victoire de la révolution socialiste. Alors que toute la situation objective portait naturellement vers une telle conclusion, les partis du Front Populaire vont exiger des ouvriers de ne pas sortir des limites de la démocratie bourgeoise. Au vu de tels développements, la lacune fondamentale à constater est qu’il n’y avait pas un parti révolutionnaire avec une direction capable de faire une analyse correcte de la situation, d’en tirer les conclusions nécessaires et de mener fermement les travailleurs à la prise du pouvoir. Trotsky disait que la solution victorieuse des tâches révolutionnaires qui se posaient à l’Espagne exigeait trois conditions : un parti, encore un parti…et toujours un parti.

    Cette même conclusion peut être tirée de nombreux mouvements révolutionnaires qui jalonnent l’histoire du capitalisme. C’est pourquoi nous pensons que les leçons à tirer de cette expérience sont d’une importance cruciale et préservent toute leur actualité. Les enseignements de la révolution espagnole ne doivent cependant pas rester sur le papier : la construction d’une organisation révolutionnaire internationale est la seule manière utile de rendre hommage au sacrifice des centaines de milliers de travailleurs espagnols, afin de permettre que ce genre de tragédies ne se reproduise plus à l’avenir.

  • Le programme de transition aujourd’hui – Développer les idées et le programme socialistes

    Lors de l’Ecole d’Eté Européenne du Comité pour une Internationale Ouvrière, une commission a été consacrée au thème: «Le programme de transition et son intérêt de nos jours» A l’ouverture de cette commission, Niall Mulholland, du Secrétariat International du CIO, a mentionné le fait que le programme de transition a été écrit dans une période de crise économique profonde, sous la menace d’une guerre interimpérialiste imminente. Beaucoup de ces caractéristiques sont aussi répandues aujourd’hui qu’elles l’étaient en 1938, quand le programme a été écrit en tant que document crucial pour la Conférence de fondation de la Quatrième Internationale. Cette fondation avait été rendue nécessaire par la dégénérescence de l’Internationale Communiste stalinienne.

    Cillian Gillespie, Socialist Party (CIO-Irlande)

    La principale fonction du programme de transition est d’amener les expériences de la classe des travailleurs à la conclusion de la nécessité de la lutte pour le socialisme. Des réformes peuvent être gagnées par des luttes massives des travailleurs, mais le programme de transition met aussi en évidence de manière cruciale comment faire en sorte que ces réformes soient durables, et comment remporter un changement fondamental, par une société socialiste.

    En 1848 dans le Manifeste du Parti Communiste, Marx et Engels ont formulé des revendications pour le jeune mouvement ouvrier en Europe. Celui-ci contrastait avec la méthode et le programme adopté par les partis sociaux-démocrates de la fin du 19ème siècle. Le programme social-démocrate d’Erfurt avait été adopté dans une période de croissance générale du capitalisme, ce qui avait eu une énorme influence sur les perspectives des dirigeants sociaux-démocrates. Le «programme maximal» mettait en avant l’idée du socialisme, qui serait graduellement mis en place à un certain moment, quelque part dans un futur indéterminé. En même temps, le programme d’Erfurt appelait à des réformes minimales dans le cadre des contraintes du système capitalisme.

    Toutefois, avec le développement de l’impérialisme et l’éclatement de la Première Guerre Mondiale, la nécessité d’un programme transitoire qui permette aux travailleurs de mettre un terme à la crise profonde du capitalisme est devenue urgente. Les bolchéviks avaient développé des revendications, y compris les très importantes «Thèses d’avril» de Lénine en 1917, qui appelaient la classe ouvrière à se battre pour le pouvoir en Russie. La victoire de la révolution socialiste d’octobre a mené à la construction de l’Internationale Communiste et de son programme de revendications pour la classe ouvrière internationale. Mais par la suite, la dégénérescence stalinienne de la Révolution russe (principalement due à son isolation et à l’échec des autres révolutions sur le plan international) a mené l’Internationale Communiste à abandonner son programme de transition pour le changement socialiste.

    Dans les années 30, Trotsky avait mis en avant des revendications «immédiates» quotidiennes (c-à-d qui concernent les conditions de travail et des conditions sociales), des revendications «démocratiques» et des revendications «transitoires», qui tendaient vers le besoin d’un changement de société. Ces revendications sont liées les unes aux autres et, à divers moments, certaines prennent plus d’importance que d’autres, en fonction des circonstances et des luttes et aspirations de la classe ouvrière.

    Alors que certaines des revendications du programme de transition de 1938 ne sont plus aussi pertinentes aujourd’hui, ou ont été remises à jour ou remplacées, de nombreuses revendications de Trotsky gardent de façon flagrante toute leur validité, même si on les considère à la lueur de la crise économique actuelle. Certaines de ces revendications incluent l’appel à «l’ouverture des livres de comptes» des entreprises qui licencient et qui font des coupes salariales, et l’appel à la nationalisation des industries sous le contrôle et la gestion démocratique des travailleurs. Le programme doit être continuellement examiné et mis à jour à chaque fois que c’est nécessaire, en prenant en compte la conscience du moment et les conditions et enjeux modernes auxquels sont confrontés les travailleurs. Certains enjeux qui n’étaient pas mentionnés en 1938, ou seulement partiellement, du au fait que cette période était différente, sont maintenant repris de manière énergique par les socialistes, tels que la crise environnementale, l’industrie nucléaire, et les droits de diverses minorités.

    Le programme de Transition


    Le conflit de Lindsey – le programme en action

    Au cours de l’excellente discussion de la commission, les camarades de différents pays ont donné d’importants exemples pratiques de la manière dont les sections du CIO utilisent les revendications transitoires pour donner une réponse à la crise économique et dans les luttes réelles de la classe ouvrière. Alistair Tice, d’Angleterre, a parlé de l’excellent rôle joué par le Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles) lors de la grève à la raffinerie pétrolière de Lindsey. Le Socialist Party a aidé à contrer le slogan «Des emplois britanniques pour les travailleurs britanniques» grâce à des revendications qui appelaient à la syndicalisation et au respect des conventions syndicales pour tous les travailleurs, immigrés ou non, et au contrôle démocratique de l’embauche par le syndicat. Virginie, de France, a parlé de la récente grève générale en Guadeloupe, et des revendications qui y ont proposées par le CIO afin de faire progresser ce mouvement exaltant de la classe ouvrière.

    D’autres orateurs se sont étendus sur l’importance cruciale du programme de transition. Nikolaj, de Suède, a expliqué quel genre de revendications nous mettons en avant pour répondre à l’enjeu de la crise environnementale, tels que la mise en place d’un système de transports publics massifs et gratuits, et l’utilisation des ressources de l’ensemble de la société pour investir dans les énergies renouvelables. Rob Jones, de Russie, a décrit comment les membres du CIO ont mis en avant une alternative socialiste en opposition à la guerre russo-géorgienne de l’an passé.

    En guise de conclusion, Alec Thraves, du Royaume-Uni, a affirmé que le Programme de Transition de 1938 était une excellente brochure que tous les socialistes devraient étudier, et qui constitue un guide général pour l’action. La tâche cruciale du CIO est d’utiliser la méthode transitoire lors des discussions avec les travailleurs. Ceci implique la mise en avant d’une analyse, d’idées et de revendications qui puissent constituer un pont entre la conscience de la classe ouvrière et la nécessité d’une société socialiste. Les gauchistes et sectaires qui parlent du socialisme en mettant en avant des revendications et des ultimatums abstraits ne font que faire sauter ce pont ! Au contraire, comme l’a souligné l’excellente discussion au cours de cette commission, le CIO cherche à gagner l’attention des travailleurs de manière concrète, afin de faire passer les idées socialistes et les propositions d’action à autant de gens que possible.

    Week-end socialisme 2009

    Ces 24 et 25 octobre se déroulera le wwek-end de discussion Socialisme 2009. Le programme complet du week-end est en train d’être finalisé, mais nous pouvons dors et déjà annoncer un débat syndical très intéressant où nous aurons le plaisir d’accueillir Keith Gibson, un des dirigeants de la grève de Lindsay


    Le Comité pour une Internationale Ouvrière, CIO

    Le capitalisme est un système mondial et il doit être combattu à la même échelle. C’est pourquoi le Parti Socialiste de Lutte fait partie d’une organisation marxiste internationale: le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO), un parti mondial actif sur tous les continents. Notre lutte en Belgique s’inscrit dans le cadre d’une lutte des travailleurs du monde entier pour un société socialiste car si la révolution socialiste éclate sur le plan national, elle se termine sur l’arène internationale. La démocratie ouvrière et la planification socialiste de la production ne peuvent se limiter à un seul pays. C’est d’ailleurs l’isolement de la Russie soviétique qui a conduit à sa dégénérescence à partir de 1924.

  • Anticapitaliste…Oui, et après ?

    C’est un peu normal quand un système se casse la gueule comme le fait le capitalisme aujourd’hui que de plus en plus de gens se disent anticapitalistes. Mais quand on a dit ça, on n’a encore rien dit… Car on n’a rien dit ni sur le contenu de ce qu’on propose de mettre à la place, ni sur les méthodes pour y arriver. C’est déjà un très bon premier pas, reste à voir comment faire les autres, et pour aller où.

    Le monde est dans un état lamentable : crise économique et crise écologique se confondent et nous offrent un avenir très assombri. Pourtant, les choses pourraient être bien différentes. Chacun a bien une petite idée, même très vague, d’une autre société. Qu’elle soit faite de petites communautés fonctionnant sur base de troc ou de grandes villes construites toutes en verre et recourant à tout le potentiel scientifique et technique dans le respect de la nature, ce ne sont pas les idées qui manquent. Maintenant, qu’il y a-t-il réellement derrière ? De quelle façon arriver à une société plus humaine ?

    Le capitalisme est-il dans la nature de l’homme?

    La classe dirigeante aimerait nous faire croire que le capitalisme ou la société de classes sont le résultat inévitable de notre nature humaine. Mais, si la biologie détermine bien certains aspects de notre comportement, la nature humaine n’est pas une chose permanente et invariable tombée du ciel comme par magie. La manière dont nous agissons et dont les relations se construisent entre les hommes ainsi qu’entre eux et le monde qui les entoure n’a rien de fixe : elle évolue en réponse aux conditions matérielles changeantes de la société et de notre relation avec la planète.

    Pendant des millions d’années, les gens ont vécu dans des sociétés nomades et égalitaires de chasseurs-cueilleurs. La nourriture et ce qui était nécessaire à la survie étaient partagés équitablement dans toute la société, parce que la survie de chacun était la condition de la survie de tous. Ce n’est qu’il y a quelques milliers d’années, après la révolution agricole, quand les tribus nomades se sont sédentarisées pour cultiver, qu’un excédent de richesses a pu être dégagé durablement, que la lutte pour le contrôle de ces surplus a commencé et que des classes dirigeantes stables ont pu surgir pour la première fois dans l’histoire.

    Les classes dirigeantes qui se sont succédées depuis lors ont proclamé que c’était «dans la nature humaine» qu’une personne en possède une autre comme esclave, ou qu’il y ait un monarque nommé par Dieu pour diriger au-dessus de tous ou qu’un patron gagne cent fois le salaire de ses ouvriers.

    Tout comme les systèmes esclavagistes et féodaux qui l’ont précédé, le capitalisme, la propriété privée des moyens de production et la course au profit n’ont rien d’éternels. Une autre organisation de la société – le socialisme – reposant sur la propriété collective des grandes entreprises et sur une planification démocratique de la production, est parfaitement possible. En utilisant la technologie moderne pour pourvoir aux besoins de chacun, le socialisme créerait la base matérielle pour que la culture humaine change de la manière la plus fondamentale. Au lieu d’une société qui récompense le plus égoïste et le plus cupide, une société socialiste développerait une nouvelle culture basée sur l’égalité et la justice.

    Les décisions seraient prises démocratiquement et non plus tous les quatre ans comme aujourd’hui en élisant l’un ou l’autre politicien respectueux du pouvoir de la bourgeoisie. Les travailleurs prendraient des décisions eux-mêmes au travers d’assemblées régulières sur leurs lieux de travail et de vie. Les délégués qui y seraient élus à des postes politiques, tout comme les responsables administratifs et économiques, seraient révocables en cours de mandat par ceux qui les ont élus et payés au salaire moyen des personnes qu’ils représentent.

    La semaine de travail serait réduite, le travail disponible partagé avec les chômeurs sans perte de salaire, et les besoins fondamentaux de chacun seraient assurés, ce qui libérerait les femmes et les hommes pour prendre le contrôle de leurs vies et pour poursuivre toutes formes d’efforts créateurs et intellectuels, ouvrant ainsi enfin la porte au potentiel créateur de toute l’humanité.

    Comment y arriver ?

    Chaque grève, chaque mouvement de lutte contient en lui la contestation d’une parcelle du pouvoir capitaliste. Un piquet de grève, par exemple, peut contester au patron le pouvoir de faire entrer qui il veut dans “son” entreprise, de même qu’il remet en question l’idéologie bourgeoise selon laquelle seuls le travail pour un patron et l’acceptation quotidienne de l’exploitation permettent de vivre. Qu’une grève prenne de l’ampleur (d’une grève démarrant dans une entreprise à une grève locale ou nationale, de grèves d’un jour à une grève à durée indéterminée,…) et la force de cette contestation augmente d’autant, jusqu’à poser la question cruciale : qui est le maître à l’usine, dans l’économie et dans l’Etat : les travailleurs ou la bourgeoisie ?

    Et ce qui se développe dans ce processus, ce n’est pas « simplement » la préparation d’un affrontement avec le pouvoir capitaliste ; c’est une nouvelle société qui est, elle aussi, en germe dans ces luttes. Au fur et à mesure que s’approfondit le conflit social, les tâches des comités de grève se développent pour arriver véritablement à une situation de double pouvoir, une situation où à côté de l’Etat bourgeois surgit un embryon de nouvel Etat, basé sur les assemblées de travailleurs et leur action. C’est de la victoire de ce dernier que pourra naître une société enfin débarrassée de l’exploitation et de l’oppression, une société socialiste démocratiquement planifiée et basée sur l’auto-organisation des travailleurs et de la population.


    Oui mais en Russie…

    Les monstrueuses dictatures bureaucratiques en Russie, en Chine, en Europe de l’Est et ailleurs étaient une négation complète du véritable socialisme démocratique. Mais il est crucial que les socialistes d’aujourd’hui étudient l’expérience de la Révolution russe afin d’expliquer les raisons qui expliquent sa dégénérescence bureaucratique, car celle-ci trouve ses racines dans des conditions historiques spécifiques et non dans la nature humaine.

    La Révolution russe de 1917 a été la première où la classe ouvrière a renversé le capitalisme et a commencé à établir une nouvelle société socialiste. L’Union Soviétique des premiers temps était le gouvernement le plus démocratique que le monde ait jamais connu: les ouvriers et les paysans ont exercé le pouvoir démocratiquement par l’intermédiaire des Conseils (c’est-à-dire, en russe, des soviets). C’est le premier Etat au monde à avoir donné aux femmes la totalité des droits légaux, comme le droit de vote et le droit d’avorter. L’Union Soviétique avait aussi légalisé l’homosexualité.

    Lénine et Trotsky, les dirigeants de cette révolution, ont toujours expliqué qu’il était impossible de construire le socialisme dans un seul pays, et plus particulièrement dans les conditions semi-féodales de la Russie de l’époque. Pour eux, la Révolution russe ne pourrait arriver à survivre et à se développer que si elle parvenait à s’étendre aux puissants pays capitalistes d’Europe occidentale.

    Les principales puissances impérialistes ont elles-mêmes compris que la Révolution russe n’était pas une affaire purement locale, mais que le capitalisme était menacé internationalement. Elles ont donc participé à une sanglante guerre civile aux côtés des capitalistes et des propriétaires terriens russes dépossédés par la révolution, afin de renverser le nouveau gouvernement soviétique. Les armées de 21 pays, parmi lesquels les Etats-Unis, la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, ont envahi la Russie pour soutenir la contre-révolution.

    Dans la victoire des révolutionnaires russes au cours de la guerre civile (1918-1921), la vague de révolutions dans toute l’Europe a été décisive. La Révolution en Russie et l’appel des révolutionnaires russes aux travailleurs du monde entier pour qu’ils se soulèvent contre la guerre et le capitalisme a mis le feu aux poudres. Les révolutions en Hongrie et en Allemagne en 1918-19, puis les soulèvements ouvriers à travers l’Europe ont conduit la guerre à sa fin et ont forcé les bourgeoisies à retirer leurs troupes hors de Russie afin d’éviter d’autres bouleversements dans les pays capitalistes.

    Malheureusement, ces révolutions n’ont pas réussi à renverser le capitalisme. A la différence de la Russie, il n’existait aucun parti révolutionnaire de masse disposé à mener les révolutions jusqu’à leur terme. Les partis ouvriers de masse en Europe étaient dominés par des dirigeants réformistes qui ont joué un rôle décisif pour sauver l’économie capitaliste et le pouvoir de la bourgeoisie.

    Ainsi, alors que la jeune république d’Union Soviétique a réussi à défaire la contre-révolution, elle est restée dans l’isolement. La sanglante guerre civile a laissé le pays dans un terrible état de désordre avec des masses épuisées, souvent réduites au chômage et affamées et des Soviets désertés et peu à peu vidés de tout débat et de tout pouvoir politiques. Cela a permis l’accession au pouvoir d’une caste bureaucratique autour de Staline, qui a concentré le pouvoir dans ses mains au cours des années ’20 et ’30, démoli les droits démocratiques que la classe ouvrière russe avait réussi à obtenir et imposé, au nom du socialisme, un pouvoir dictatorial sur les travailleurs et les paysans.

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