Category: Dossier

  • Iran 1978-79: Une révolution volée à la classe ouvrière

    Pour comprendre la situation actuelle en Iran, il est important de savoir comment ce régime est arrivé au pouvoir. Le mouvement révolutionnaire iranien de 1978-79 a constitué une force puissante que personne n’attendait et qui a réussi à mettre fin au régime dictatorial et particulièrement répressif du Chah, monarque absolu pro-occidental. La classe ouvrière s’était soulevée, mais faute de direction politique claire, la révolution a été volée aux travailleurs par les forces religieuses conservatrices groupées autour de l’Ayatollah Khomeini, le prédécesseur de Khameini. Revenir sur les évènements révolutionnaires de 1978-79 est aussi d’un immense intérêt pour le mouvement actuel.

    Par Robin Clapp

    Aujourd’hui, l’Iran est une dictature religieuse mais, il y a maintenant 30 ans, un mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière a renversé la monarchie iranienne et aurait pu aller jusqu’à l’instauration d’une république socialiste.

    Robin Clapp (CIO-Angleterre et Pays de Galles) parcourt ici ces évènements et explique pourquoi la contre-révolution a été victorieuse (texte écrit en 2003)

    Quand les experts de la CIA ont rédigé un rapport sur la santé politique du régime monarchiste et pro-occidental iranien e septembre 1978, ils ont conclu qu’en dépit de son régime autocratique, le Chah d’Iran régnait sur une dynastie stable dont le pouvoir pouvait encore s’étendre sur au moins une autre décennie. Quatre mois plus tard seulement, le Chah était toutefois forcé de prendre la poudre d’escampette face à une révolution populaire qui a mis bas un des régimes les vicieux au monde…

    La SAVAK, la police secrète du Chah, forte de 65.000 personnes, avait infiltré chaque couche de la société, avec des méthodes empruntées à la sinistre Gestapo nazie. Ces méthodes avaient d’ailleurs été ‘améliorées’ à tel point que le dictateur chilien Augusto Pinochet avait envoyé ses tortionnaires se former à Téhéran. Mais malgré ces colossaux obstacles, les travailleurs ont renversé le Chah et ont mis en branle un processus révolutionnaire qui a terrifié tant les régimes réactionnaires du Moyen-Orient que les puissances impérialistes occidentales. De plus, et ce n’est pas le moindre, ce soulèvement populaire a également alarmé la bureaucratie stalinienne d’Union Soviétique, alors engagée dans un commerce lucratif avec l’Iran.

    Hélas, au final, les travailleurs ne devaient pas pouvoir profiter des fruits de leur révolution. Le pouvoir est passé des mains du Chah à celles des de l’Islam politique de droite dirigé par l’Ayatollah Khomeini.

    Trois ans après, toutes les lois laïques avaient été annulées et les femmes s’étaient vues imposées des codes vestimentaires tirés d’une interprétation stricte de la tradition islamique. 60.000 professeurs ont à ce moment été renvoyés et des milliers d’opposants défendant les intérêts de la classe ouvrière ont été assassinés ou emprisonnés. Le parti communiste iranien, le Toudeh (Parti des Masses d’Iran), qui avait acceuilli avec enthousiasme le retour d’exil de Khomeini en 1979, a lui-même été interdit en 1983.

    une atmosphère révolutionnaire

    Un régime totalitaire se maintient par la terreur et l’oppression, mais cela ne fonctionne que tant que les masses demeurent effrayées et inertes. Mais l’horreur éprouvée quotidiennement conduit en définitive à la révolte. Une fois que la classe ouvrière laisse sa peur du régime de côté et entre en action, la police secrète et toutes ses effroyables méthodes s’avèrent souvent impuissants.

    Entre octobre 1977 et février 1978, des manifestations de masse illégales ont déferlé sur l’Iran. Revendiquant des droits démocratiques et leur part de la richesse du pays, les étudiants, puis la classe ouvrière, ont bravé les balles et la répression en occupant les rues.

    En janvier 1978, après que des tirs mortels aient touché plusieurs centaines de manifestants dans la Ville Sainte de Qom, une grève de deux millions de travailleurs s’est étendue de Téhéran à Isphahan, Chiraz et Mashad. Les pancartes tenues par les manifestants et les grévistes clamaient: «Vengeance contre le Chah et ses amis impérialistes américains», d’autres revendiquaient «Une république socialiste basée sur l’Islam». De plus en plus, les soldats ont commencé à fraterniser avec la foule en criant: “Nous sommes avec le peuple!”.

    Même la classe capitaliste dirigée par le Front National d’Iran de Mehdi Bazargan, qui avait tout d’abord limité ses ambitions à un partage du pouvoir avec le Chah, a été forcée par le développement d’une atmosphère ‘rouge’ à adopter un programme ‘semi-socialiste’.

    La révolution iranienne avait suivi les traces de la révolution russe de 1905, mais à un plus haut degré. A l’époque, les masses avaient accordé leur confiance aux ‘démocrates’ en costume qui avaient promis qu’ils arriveraient à faire entendre raison au Tsar. En Iran, partout, on pouvait entendre des cris réclamer que le Shah soit poussé hors du pouvoir.

    Les travailleurs des services publics et des banques ont joué un rôle crucial pour exposer au grand jour la nature particulièrement pourrie du régime. Des employés de banque avaient ainsi ouvert les livres de compte pour révéler que durant les trois derniers mois de 1978 uniquement, un milliard de livres sterlings avaient été détournés du pays pour finir dans les poches de 178 membres de l’élite iranienne. D’autre part, le Chah avait sauvé une somme similaire aux USA. La réponse des masses, furieuses, a été de brûler environ 400 banques.

    Classe, parti et direction

    Quand Mohammed Reza Pahlavi, le Chah d’Iran, a honteusement quitté le pays pour la dernière fois le 16 janvier 1979, la lutte avait largement dépassé le stade de considérer son simple départ comme une victoire. Il était maintenant question de l’abolition de l’Etat absolutiste. Quelle forme devait prendre le nouvel Iran?

    La classe ouvrière avait mené la lutte contre le Chah avec détermination : manifestations de masse, grève générale de quatre mois et, finalement, insurrection (les 10 et 11 février 1979). L’ancien régime avait été abattu pour toujours. Dans cette lutte, la classe ouvrière était devenue bien consciente de son pouvoir, mais hélas pas de la façon de l’organiser pour garder le contrôle de la société en ses mains propres.

    La Révolution teste toutes les classes sociales, et la question clé pour la classe ouvrière est de savoir si elle possède une direction décisive pour être capable de passer d’une insurrection populaire à la construction d’une société socialiste.

    En Iran – malgré le grand héroïsme des travailleurs, des étudiants et de la jeunesse – il manquait une direction marxiste de même qu’un parti de masse capable de tirer les conclusions nécessaires du cours de la révolution. La tâche des marxistes était alors d’expliquer la nécessité pour la classe ouvrière, alliée aux minorités nationales et aux paysans pauvres, de prendre consciemment le pouvoir dans ses mains et de réaliser les tâches d’une révolution socialiste.

    Mais la gauche iranienne n’a pas saisi cette opportunité. Les plus grandes forces de gauche étaient à l’époque le Parti communiste (Toudeh) et les guerrillas des Fedayin du Peuple (‘marxiste’) et de l’Organisation des Moudjahiddines du peuple iranien (islamiste).

    Ces organisations avaient beaucoup de membres, jouissaient d’un grand soutien dans la population et possédaient des armes. Mais elles souffraient énormément de leur confusion programmatique. Elles n’ont pas poursuivi de politique de classe indépendante pour les travailleurs, mais se sont au contraire mises à la remorque de Khomeini malgré les tentatives du clergé intégriste d’étouffer chaque mouvement indépendant des travailleurs.

    La chute de l’autocracie avait laissé le pouvoir vide d’occupant. Mais au moment précis où les masses auraient dû prendre en main leur destinée, quand le pouvoir était à elles, le Toudeh a proposé l’instauration d’une ‘république musulmane démocratique’. En réalité, cela signifiait que le Toudeh refusait de prendre la direction de la révolution pour participer à la réalisation des objectifs poursuivis par les Mollahs.

    La montée de l’islam politique de droite

    Les relations entre le Chah et son orientation pro-occidentale et les mosquées islamiques étaient depuis longtemps très tendues. Quand le Chah avait dépossédé les mosquées de leurs terres, le clergé musulman avait furieusement réagi et s’était vertement prononcé contre ce régime athée. Le guide spirituel des chiites iraniens, l’Ayatollah Khomeini, avait d’ailleurs été poussé à l’exil en Turquie et plus tard à Paris à la suite d’une révolte contre les expropriations de terres en 1963. Des douzaines de personnes y avaient rencontré la mort du fait de la répression.

    Marx avait décrit la religion comme "le soupir de la créature opprimée". A cause de l’interdiction de toutes les organisations opposées au Chah, les adversaires du regime avaient tendance à se rassembler autour des mosquées, où étaient délivrés des sermons radicaux. De plus en plus, ces sermons étaient considérés comme une lutte contre le totalitarisme.

    Les positions de Khomeini, en exil, étaient distribuées par cassettes audio en Iran. Arrivées en nombre restreint, elles étaient ensuite reproduites et diffusées. Khomeini et les autres Mollahs parlaient de liberté et de démocracie, d’un retour à un Islam épuré, débarassé des influences occidentales et non-islamiques qui avaient, selon eux, corrompus la culture et conduit la société dans une voie sans issue.

    Dans l’Iran économiquement semi-arriéré de l’époque, avec un haut niveau d’illettrisme et environ la moitié de la population vivant dans les campagnes, les paroles des Mollahs étaient une puissante force d’attraction pour les paysans et certaines parties de la classe moyenne, même pour des travailleurs. Alors que le Front National d’Iran voulait faire des compromis avec la dynastie, Khomeini voulait la faire tomber. Quand les masses entendaient les appels pour une République Islamique, elles comprenaient une république ‘du peuple’, pas des riches, où leurs revendications auraient été prises en compte.

    Dès le triomphal retour d’exil de Khomeini le 1er février 1979, le Toudeh a immediatement accordé son soutien à la formation d’un Conseil Révolutionnaire Islamique et lui a demandé de le rejoindre dans un Front Populaire Unis.

    Revolution et contre-révolution

    Mais ce même mois de février 1979, une situation de double pouvoir s’est développée à Téhéran. Le gouvernement s’était sauvé alors que les travailleurs, qui contrôlaient les usines et les enterprises, organisaient des comités démocratiques de travailleurs et saisissaient les armes des forces armées.

    C’est toutefois Khomeini qui a bénéficié de cette vague révolutionnaire. En mélangeant des intérêts de classe contradictoires et opposés, son mouvement a réussi à obtenir le soutien des forces séculaires et non-religieuses, grâce à une rhétorique populiste radicale: une république islamique favorisant les opprimés contre les tyrans locaux et l’impérialisme américain.

    Les militants religieux ont été aptes à détourner la révolution car ils étaients la seule force dans la société qui avait un objectif politique défini ainsi qu’une organisation et une stratégie pratique pour l’atteindre.

    Le 1er avril, Khomeini a obtenu une victoire à travers tout le pays lors d’un référendum national qui demandait à faire se prononcer face à l’unique choix suivant : République islamique – Oui ou Non.

    Les derniers jours qui ont précédé le référendum, pourtant, il a néanmoins été forcé à être plus prudent. Des confrontations avaient lieu entre les Gardiens de la Révolution Islamique et les travailleurs qui voulaient garder leurs armes récemment acquises. Khomeini dénonçait ceux qui souhaitaient continuer la grève générale comme des "traîtres que nous devons frapper au visage".

    En essayant de trouver un équilibre entre les classes sociales, il a dans le même temps accordé de grandes concessions aux travailleurs. Les médicaments et les transports gratuits ont été instaurés, des factures d’eau et d’électricité ont été annulées et les produits de première nécessité ont été lourdement subsidiés pour maintenir de bas prix.

    Mais les coffres de l’Etat étaient vides et le chômage atteignait 25%. En juillet, des décrets de nationalisation ont alors été dévoilés, accompagnés de l’établissement de tribunaux spéciaux avec le pouvoir d’imposer de deux à dix ans de prison pour "tactiques perturbatrices dans les usines ou agitation ouvrière".

    Khomeini n’a cependant été capable d’instaurer la base de son pouvoir que graduellement. Puis, quand l’Irak a envahi l’Iran en 1980, début d’une guerre sanglante de huit années, les masses se sont ralliées en défense de la révolution. A ce moment déjà, les braises révolutionnaires s’étaient refroidies.

    Le Parti Républicain Islamique mis sur pied par le clergé du tout nouveau Conseil révolutionnaire était lié aux vieux petits bourgeois (les petits capitalistes) et aux marchands des bazars qui réclamaient de l’ordre et la défense de la propriété privée. Tout en défendant ces couches conservatrices, Khomeini s’attaqua à l’impérialisme occidental en nationalisant le secteur pétrolier.

    Un régime hybride

    L’Etat islamique iranien est une république capitaliste d’un type particulier – un Etat religieux capitaliste. Dès le début, deux tendances sont apparues dans le clergé.

    Un groupe, autour de Khomeini, défendait que les Imams soient au pouvoir à travers un Etat capitaliste semi-féodal avec de nombreux centres de pouvoir. A leurs yeux, l’impérialisme américain représentait le ‘Grand Satan’ et ils encourageaient l’exportation du fondamentalisme islamique à travers le monde musulman. D’autres figures dirigeantes du régime, avec une aile cléricale plus pragmatique, voulait construire un Etat capitaliste moderne et centralisé. Tout en continuant à dénoncer les USA, ils ont voulu, particulièrement dans la dernière ‘90, renforcer les liens avec les pays occidentaux.

    Les conflits entre ces deux tendances et les crises politiques périodiques qui en resultent n’ont jamais été résolus et ont été à la base des conflits entre l’Ayatollah Khamenei et le président réformiste Khatami, élu avec une grande majorité en 1997.

    Conclusions

    Les évènements d’Iran ont permis la croissance d’un islam politique militant dans le monde musulman. En surface, il s’agit d’une demonstration de la force des masses pour lutter contre l’impérialisme.

    Mais en tant que marxistes, nous devons être clairs. L’Islam n’est pas en soi plus radical ou réactionnaire que toute autre religion au monde, et le fondamentalisme islamique n’est pas un phénomène homogène.

    Les conditions qui ont permis le développement d’un Islam politique de droite ont été créées par la faillite des mouvement nationalistes arabes et par les trahisons des partis ‘communistes’ qui ont refusé de mener une politique de classe indépendante et se sont rangés derrière différentes formes de bourgeoisies nationales. Mais le développement de l’Islam politique de droite reflète également qu’en Iran et ailleurs, le capitalisme est dans une impasse dans la région. Les masses opprimées ont besoin de trouver leur propre voie de sortie.

    Les variantes plus tardives d’Islam politique n’ont qu’une partie du radicalisme que Khomeini a été force d’embrasser au cours des premiers mois de la révolution iranienne.

    Les Talibans et les méthodes terroristes d’Al-Qaïda et d’Oussama Ben Laden n’offrent pas de solution à la lutte des masses opprimées contre le capitalisme et les propriétaires terriens. Au contraire, ces méthodes divisent la classe ouvrière et l’empêchent d’avoir son identité distincte et combative.

    Aujourd’hui, 20% des Iraniens possèdent la moitié de la richesse du pays. La lutte des classes refait régulièrement son apparition. Les édits abrutissants des Imams s’opposent résolumment à la volonté des jeunes de vivre librement leur vie.

    L’avenir de l’Iran est incertain. Un nouveau parti de la classe ouvrière doit être construit sur des bases marxistes solides, un parti qui soit capable d’apprendre pourquoi la révolution a été volée aux travailleurs en 1979.

    Les revenus pétroliers du pays ont diminué de moitié depuis lors, avec de graves conséquences pour la classe ouvrière. Celle-ci reviendra sur le devant de la scène pour finir ce qui avait été initié par la dernière révolution.


    Le développement du capitalisme avant la révolution

    Avant 1979, l’impérialisme voyait l’Iran comme une ‘ligne de front’ cruciale en tant qu’Etat-tampon contre l’influence de l’Union Soviétique dans le Moyen Orient et l’Asie du Sud. De plus, ces fabuleuses réserves de pétrole étaient vitales pour les intérêts occidentaux.

    En 1953, un mouvement nationaliste radical dirigé par le Premier ministre Mossadegh et le Front National d’Iran avait cherché à nationaliser l’industrie pétrolière du pays, déclenchant des manifestations et des éléments d’insurection pupulaire. Le Chah avait été temporairement forcé de s’exiler suite à la pression du mouvement de masse.

    La réaction de l’impérialisme a été décisive. La Grande-Bretagne et les Etats-Unis ont demandé l’arrestation de Mossadegh et ont mis en branle l’oppération Ajax en déployant des forces secrètes en Iran pour forcer l’armée iranienne à agir dans les intérêts des puissances occidentales.

    Le Chah a été réinstallé et a dirigé l’Iran d’une main de fer pendant vingt-cinq ans. Son retour a été synonyme de répression brutale de l’opposition politique organisée et des synidicats, déclarés illégaux. De soncôté, la CIA a accordé son ‘aide’ pour réorganiser les forces de sécurité.

    Après 1953, l’Iran est entré dans une ère frénétique d’industrialisation, largement sur base du programme économique du Front National capitaliste, ce qui a érodé sa popularité. L’idée était de transformer la noblesse en classe capitaliste moderne, une classe dirigeante sur le modèle occidental.

    Des réformes agraires ont été introduites, qui ont enrichi les propriétaires terriens féodaux grâce à des compensations financières énormes. Ils étaient encouragés à investir cet argent dans les nouvelles industries.


    Une rude exploitation

    Les paysans, eux, ont par contre beaucoup souffert de cette situation. Environ 1,2 million d’entre eux ont eu leurs terres volées, avec en conséquences la famine et un exode important vers les villes où ils onstituaient une main d’œuvre extrêmement bon marché pour les nouveaux capitalistes.

    Avant la révolution, 66% des travailleurs dans le secteur des tapis de la ville de Mashad étaient âgés de six à dix ans tandis qu’à Hamadam, une journée de travail était de 18 heures. En 1977, la plupart des travailleurs gagnait 40 livres sterling par an. Même s’il existait formellement un salaire minimum, 73% des travailleurs gagnaient encore moins que cela…

    Les usines iraniennes ressembaient à l’Enfer de Dante, la ressemblance avec la Russie pré-révolutionnaire était frappante. Là aussi, un processus d’industrialisation casse-cou avait été mené par une classe capitaliste très faible essayant de s’extirper elle-même d’un passé féodal en créant, selon les mots de Marx, son ‘fossoyeur’ sous la forme d’une classe ouvrière militante.

    Au fur et à mesure de l’arrivée des paysans dans les villes, la population urbaine a doublé pour atteindre 50%. Téhéran était passé de trois millions d’habitants à cinq millions entre 1968 et 1977, avec 40 bidonvilles autour de ses banlieues.

    En 1947, il n’y avait que 175 grandes entreprises employant 100.000 travailleurs. 25 ans plus tard, 2,5 millions de travailleurs étaient engagés dans les usines, un million dans l’industrie de la construction et presque le même nombre dans le transport et les autres industries.

    L’Iran était en pleine transition, à moitié industrialisée, à moitié coloniale. Une puissante classe ouvrière avait émergé en une seule génération. En Russie, la classe ouvrière avait grimpé jusqu’à 4 millions sur une population totale de 150 millions. Armée du marxisme, cette classe ouvrière avait pu engager la paysannerie derrière elle pour rompre la chaîne du capitalisme à son point le plus faible, en 1917.

    En comparaison, le poid social de la classe ouvrière iranienne était bien plus important – environ quatre millions de travailleurs sur une population de 35 millions.


    Ne jamais envahir une révolution

    L’impérialisme américain a regardé, impuissant, les derniers jours du Chah en Iran. Des voix s’étaient élevées au Pentagone pour envoyer des porte-avions et des marines dans le Golfe, mais des personnes plus avisées au sein de la classe dirigeante américaine avaient estimé :‘on n’envahit pas une révolution populaire’.

    Les Etats-Unis étaient tout juste en train de commecer à lêcher leurs plaies suite à la cuisante défaite de la guerre du Vietnam. Là-bas, la lutte sociale des paysans et des travailleurs pour se débarrasser des chaînes de l’oppression avait mis la superpuissance sur les genoux.

    Une invasion de l’Iran dirigée par les USA aurait eu d’incalculables répercussions à une échelle mondiale, particulièrement dans le monde colonial où le Chah d’Iran était aux yeux des masses considéré comme le plus pourri de tous.

    La Révolution iranienne a fait trembler les Etats-Unis. Le président américain Jimmy Carter avait été humilié quand les Ayatollahs avaient organisé des mouvements de foule contre l’embassade américaine à Téhéran, où 66 personnes avaient été prises en otage.

    En 1983, Ronald Reagan avait été forcé de retirer les troupes américaines hors du Liban en raison des pertes causées par le Hezbollah, qui avait le soutien de l’Iran.


    Economie: Un abîme croissant

    L’Iran était le second plus gros exportateur de pétrole en 1978, et le quatrième plus gros producteur. Quand les prix du pétrole ont quadruplé entre 1972 et 1975 suite à la guerre israélo-arabe, le Produit National Brut (PNB) iranien avait augmenté de 34% en une seule année. Des milliards sont alors tombés dans les poches du Chah et de sa clique.

    Mais avec 45 familles contrôlant 85% des grandes et moyennes entreprises et les 10% les plus riches de la population ayant 40% de l’argent du pays, le fossé entre les classes était chaque jour plus important.

    Environ un quart des Iraniens étaient dans une situation de pauvreté absolue. Comme pour illustrer son arrogance en tant que monarque absolu, le Chah avait declaré en 1976, mois de trois avant avant de devoir fuir du pays: "Nous n’avons pas encore demandé au peuple de faire des sacrifices. Au contraire, nous les avons comme couvert d’ouate. Les choses vont maintenant changer. Chacun devra travailler plus et être prêt à faire des sacrifices au service du progrès de la Nation."

  • DOCUMENTAIRE: Trotsky – Exils

    Ce film documentaire français est constitué de deux parties: “Révolutions”, qui raconte différents épisodes de la vie de Trotsky de la révolution de 1905 à la victoire de Joseph Staline sur l’Opposition de Gauche en 1927, et “Exils”, qui aborde la vie de Trotsky d’Alma-Ata à la ville de Mexico où il sera assassiné par un agent de Staline, en passant par Prinkipo, la France et la Norvège où Trotsky a continué sa lutte contre le stalinisme. Réalisé par Patrick Le Gall et Alain Dugrand, ce film a reçu le prix du documentaire au FIPA de 1988. Il est constitué d’archives filmées d’époque et de nombreux témoignages : Marcel Body, Pierre Naville, Vlady (le fils de Victor Serge), Gérard Rosenthal, Maurice Nadeau, David Rousset, et d’analyses d’historiens tels que le regretté Pierre Broué et Jean-Jacques Marie.

    Voici la seconde partie de ce documentaire, la première est disponible sur notre site en cliquant ici.

    2. Exils

  • DOCUMENTAIRE: Trotsky – Révolutions

    Ce film documentaire français est constitué de deux parties: “Révolutions”, qui raconte différents épisodes de la vie de Trotsky de la révolution de 1905 à la victoire de Joseph Staline sur l’Opposition de Gauche en 1927, et “Exils”, qui aborde la vie de Trotsky d’Alma-Ata à la ville de Mexico où il sera assassiné par un agent de Staline, en passant par Prinkipo, la France et la Norvège où Trotsky a continué sa lutte contre le stalinisme. Réalisé par Patrick Le Gall et Alain Dugrand, ce film a reçu le prix du documentaire au FIPA de 1988. Il est constitué d’archives filmées d’époque et de nombreux témoignages : Marcel Body, Pierre Naville, Vlady (le fils de Victor Serge), Gérard Rosenthal, Maurice Nadeau, David Rousset, et d’analyses d’historiens tels que le regretté Pierre Broué et Jean-Jacques Marie. Nous sommes en désaccord avec certains propos, mais de nombreuseux mensonges ou idées reçues sont remis à leur place.

    Voici la première partie de ce documentaire, la seconde sera mise sur notre site dimanche prochain.

    1. Révolutions

  • Réforme ou révolte ? Comment la traite des esclaves a-t-elle été abolie ?

    Le commerce des esclaves entre la côte occidentale de l’Afrique et les Amériques, qui s’est étalée sur une période de 300 à 400 ans, a été une des périodes les plus barbares de toute l’histoire de l’exploitation. La capture et la vente d’Africains a fait des commerçants d’esclaves et de leurs mécènes des hommes riches ; leurs clients utilisaient le travail de leurs esclaves afin de s’enrichir à leur tour.

    Hugo Pierre, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

    L’accumulation de cette richesse a joué un rôle majeur dans le développement du capitalisme en Europe. Mais les souffrances infligées aux esclaves étaient immenses, et l’héritage de ce commerce est toujours bien vivant parmi nous. Cette migration forcée et brutale a été très différente par rapport aux formes d’esclavage qui existaient en Europe et en Afrique au Moyen-Âge ou même à l’Antiquité.

    Nous avons des preuves que les marchés aux esclaves qui existaient à ces époques dans diverses régions d’Europe et d’Afrique étaient surtout utilisées en tant que moyens de punition, en particulier de débiteurs, ou pour l’utilisation de prisonniers de guerre. Aux Antilles, on a tout d’abord déporté des esclaves européens afin de les faire travailler dans les plantations qui produisaient les cultures et les biens destinés à la consommation européenne.

    Ceci s’avéra bien problématique pour les propriétaires, puisque certains s’échappaient et n’étaient plus retrouvés, ou refusaient de se remettre à travailler. Même l’utilisation de serviteurs contractuels – des gens qui échangeaient une dette ou leur libération de service en échange d’une période de travail aux Amériques – était un problème pour leurs « propriétaires », puisque souvent les contrats étaient rompus.

    L’utilisation par les Portugais d’esclaves en provenance d’Afrique occidentale fut presque accidentelle, mais ceci devint la méthode préférée d’approvisionnement en main d’oeuvre pour le système de plantations aux Amériques tout au long du 17ème siècle.

    Les propriétaires des plantations développèrent un système basé sur la violence afin de réprimer les esprits de leurs captifs déjà désorientés et facilement identifiables, et une idéologie, le racisme, afin de s’octroyer la supériorité et la justification de leurs actions. Il est estimé que, grâce à la vente de 2,5 millions d’Africains, les marchands d’esclaves britanniques obtinrent 12 millions de livres de profits (l’équivalent de 900 millions de livres actuelles).

    Les vies des Africains capturés étaient perçues comme autant de « marchandises » périssables par les marchands et les planteurs. De nombreux mouraient au cours du « passage » entre l’Afrique et les Amériques – dans certains cas, jusqu’à 45% des membres d’une « cargaison » mouraient au cours du voyage, mais en moyenne ce chiffre tournait autour de 30%.

    L’espérance de vie sur la plantation n’était guère meilleure. En 1764, la Barbade comptait 70 706 esclaves, 41 840 autres furent amenés par négrier jusqu’en 1780. Le décompte des eclaves en 1783 révélait que ce chiffre avait baissé de 62 258 unités au cours des neuf années écoulées.

    Un commerce mortel

    Ce commerce d’humains n’était pas effectué que par la Grande-Bretagne, même au 18ème siècle, mais la richesse qui en découla créa de puissants partisans en faveur de sa poursuite. Il est dit qu’en conséquence de ce commerce, la ville de Bristol toute entière devint une cité de petits commerçants.

    Liverpool fut transformée d’un petit village de pêcheurs en un lieu de commerce international, sa population passant de 5000 personnes en 1700 à 34 000 en 1779. Sur une période de soixante ans, 229 525 Africains furent embarqués sur des vaisseaux esclavagistes à partir de ce port. La propriété n’était souvent pas détenue par un individu, mais par un groupe d’actionnaires composé de petits commerçants et de marchands, avides de s’octroyer une part des profits.

    La traite des esclaves n’était pas sans danger pour ceux qui s’y adonnaient. Les captifs eux-mêmes ne prenaient pas à la légère leur condition d’esclaves. Nous disposons de nombreux récits de vaisseaux dévastés par les esclaves surgis de leurs cales, avec même dans un cas la capture du vaisseau tout entier par les esclaves, après qu’ils aient jeté tout l’équipage à la mer.

    Le système esclavagiste pratiqué dans les plantations requérait la formation d’une milice locale afin de le réguler, et l’utilisation fréquente de la Marine afin de mettre un terme à de graves troubles. Une des premières révoltes d’esclaves à la Barbade, en 1683, incluait un appel à l’unité dans la rébellion de tous les esclaves, rédigé en anglais.

    A la Jamaïque, il ne se passait que rarement une décennie sans une nouvelle rébellion, qui menaçait souvent l’ensemble du système des plantations. Dans certains cas, un accord de paix était obtenu avec les rebelles en leur permettant de gérer leurs propres communautés.

    Afin d’effectivement obtenir le renversement de l’esclavage, la riposte des esclaves devait être renforcée par d’autres forces de classes au sein du centre impérial lui-même. A ce sujet, en cette année du deux-centième anniversaire de l’abolition du commerce des esclaves, on parlera beaucoup du rôle de William Wilberforce, présenté comme le militant qui abolit la traite des esclaves grâce à un travail parlementaire acharné et diligent. En conséquence, Melvin Bragg, le présentateur de la BBC, a récemment consacré cet homme comme étant le plus grand de tous les politiciens anglais.

    Des arguments lui furent donnés par son ami proche, William Pitt le Jeune, Premier Ministre de l’époque, selon qui l’esclavage devait être aboli parce que bien plus coûteux que l’utilisation d’ouvriers. Le point de vue de Pitt était celui d’un disciple de l’économiste du marché libre, Adam Smith, à la suite de la Guerre d’Indépendance qui avait induit la perte des colonies britanniques en Amérique.

    En réalité, la principale préoccupation de Pitt était le fait que les négriers vendaient une grande partie de leurs esclaves aux colonies françaises, en particulier celle de Saint-Domingue (Haïti), renforçant par là une puissance rivale. En 1787, Wilberforce rejoignit la campagne déjà existante et connue sous le nom de Société pour l’Abolition, qui était essentiellement un groupe d epression.

    Wilberforce dépensa la plupart de son énergie en rédaction de législation parlementaire. L’humeur de la jeune classe ouvrière et des pauvres était en faveur d’un changement radical. Parmi eux, se trouvaient approximativement 10 000 noirs – anciens esclaves, serviteurs et fugitifs. Le gouvernement Pitt n’avait pu parvenir à mettre en avant des réformes constitutionnelles, en particulier sur le plan électoral (à cette époque, seule une petite minorité de la population avait le droit de vote) – il considérait l’abolition comme un moyen de détourner l’attention.

    Mais dans l’espace d’un an, le lancement d’une pétition, couplée à des rassemblements de masse dans les villes, petites et grandes, organisés par d’anciens esclaves tels qu’Olaudah Equiano, venus raconter leur vécu, s’articula autour des préoccupations globales des masses ouvrières et pauvres.

    A Manchester, 10 000 hommes (les femmes n’étaient pas encouragées à signer la pétition, bien qu’elles trecherchaient souvent à le faire) signèrent la pétition – plus de la moitié de la population mâle adulte de la ville. Malgré cela, la première action de Wilberforce au Parlement fut refusée par la Chambre des Communes en 1789. Mais de plus grands événements allaient intervenir.

    La révolution française

    A partir des années 1870, la colonie française de Saint-Domingue était devenue la plus prospère des îles des Caraïbes. Elle produisait plus de sucre, de café et de tabac qu’aucune autre, non seulement en termes de quantité, mais aussi de qualité. Ceci permit à la France et aux marchands impliqués dans lîle de s’enrichir.

    De la même manière que Liverpool, Bristol et London s’étaient développées sur base du commerce des esclaves, les villes de Nantes, Bordeaux et Marseille grandissaient. En 1789, les tensions sous-jacentes entre la richesse de la nouvelle classe de marchands et la monarchie explosèrent en un mouvement de masse, avec la prise de la Bastille et le début de la Révolution française.

    Cette révolution fut le signal de la fin du féodalisme en France, et posa les bases d’une société capitaliste moderne. Bien que cette révolution n’était pas une révolution socialiste, mais bourgeoise, ce furent les masses pauvres, les sans-culottes, qui menèrent le processus révolutionnaire de plus en plus en avant.

    Dans les colonies, la révolution divisa les Blancs en différents camps. Les métis libres et parfois riches de Saint-Domingue (qu’on appelait les « mulâtres ») choisirent leur camp, et firent pression pour obtenir plus de droits. Les Blancs déclenchèrent contre eux et contre la majorité noire de la population la terreur et la violence. Mais les divisions entre les Blancs fournirent à tous les autres l’occasion de dresser la bannière de la liberté.

    En particulier, à la fin de 1789, les « mulâtres » demandèrent à l’Assemblée Constitutante en France d’être traités comme des égaux par rapport aux Blancs. Ils désiraient toujours avoir accès à de la main d’oeuvre sur leur île, et par conséquent ne demandèrent pas de droits pour les Noirs.

    L’Assemblée était alors dominée par l’aile droite de la révolution, qui désirait obtenir des droits pour les nouveaux riches capitalistes, mais était terrifiée par le potentiel des masses qui avaient saccagé la Bastille. Après beaucoup d’hésitations, seule une minorité des métis purent obtenir des droits.

    Mais les divisions parmi les classes dirigeantes – la royauté et l’aristocratie contre la nouvelle couche émergente de capitalsites –, comme dans toute révolution, allait donner confiance aux masses. Ceci se vérifia pour les ouvriers et paysans de France mais aussi pour les Noirs de Saint-Domingue, qui croyaient à la nécessité de faire pression pour leurs revendications, mais cette fois-ci, jusqu’au bout.

    A partir de 1791, Saint-Domingue explosa et une guerre de classe débuta, qui sépara aussi les Blancs, les Noirs et les métis. Très rapidement, Toussaint L’Ouverture émergea en tant que dirigeant des esclaves. Son armée emprunta de très nombreuses différentes routes et positions afin de se battre pour l’émancipation.

    Mais la France révolutionnaire était aussi attaquée sur le plan international. Parmi les agresseurs se trouvait l’impérialisme britannique, qui luttait contre les Français pour l’hégémonie dans les Antilles, et qui lança une guerre en vue de conquérir les possessions françaises, en particulier Saint-Domingue.

    Saint-Domingue étant dans les faits divisée sous le contrôle de trois forces différentes, et devant faire face à l’invasion britannique, le nouveau gouverneur n’avait d’autre option que de déclarer l’abolition totale de l’esclavage, en 1793, et de mettre sous ses ordres l’armée de Toussain L’Ouverture. Les masses en France s’étaient également mises en branle pour défendre leurs intérêts, et en 1794 l’Assemblée, maintenant contrôlée par les Jacobins – la gauche – abolit l’esclavage.

    Révolte dans les Antilles

    Le drame de la révolution fut dans son ensemble joué à Saint-Domingue. Mais les conséquences de la Révolution française ébranlèrent l’ensemble des Antilles françaises : des révoltes d’esclaves se produisirent à la Martinique, en Guadeloupe, et à Tobago. La bannière « Liberté, égalité, fraternité » inspira les esclaves.

    A Sainte-Lucie, les esclaves prirent le contrôle de l’île de 1795 à 1796, après en avoir expulsé les troupes britanniques. Une fois que la Grande-Bretagne eût repris le contrôle, elle obtint la « paix » en acceptant de transformer l’armée d’esclaves en un régiment Ouest-Africain. La Marseillaise était toujours chantée par les jeunes dans les villages dans les années 30 et 40 !

    Les travailleurs et les radicaux britanniques reprirent eux aussi la bannière de la Révolution française, et soutinrent Tom Paine lorsque celui-ci rédigea ses Droits de l’Homme.

    La guerre contre la France affaiblit le soutien parlementaire en faveur de l’abolition. A cette époque comme maintenant, le Parlement décréta une série de mesures répressives afin de faire taire l’opposition à la guerre qui vivait parmi la classe ouvrière et les pauvres. En 1795, en l’espace de trois semaines, trois manifestations fortes de plus de 150 000 personnes défilèrent sous les slogans de « A bas Pitt ! », « Non à la guerre ! », « A bas le roi ! ».

    Wilberforce soutint la politique étrangère de Pitt contre la France, de même que sa politique intérieure de répression. A ce moment, il ne fit que maintenir ses suggestions visant à ouvrir un débat sur l’abolition au Parlement.

    La révolution en France devait encore connaître de nombreuses vicissitudes. Dix ans après qu’elle ait débuté, Napoléon Bonaparte arriva au pouvoir. De nombreux gains de la révolution en faveur des sans-culottes furent annulés, mais le passage d’un système de propriété féodale à un système de propriété capitaliste fut maintenu.

    Napoléon réinstaura l’esclavage, mais Toussaint L’Ouverture avait prédit la réaction des esclaves de Saint-Domingue dès 1797 dans une lettre au Directoire français :

    « Pensent-ils que des hommes qui ont été capables d’apprécier la bénédiction de la liberté vont calmement la leur voir arrachée ? Ils ne supportaient leurs chaînes que tant qu’ils ne connaissaient pas d’autre condition de vie plus heureuse que l’esclavage. Mais aujourd’hui, alors qu’ils l’ont quittée, quand bien même ils disposeraient d’un millier de vies, ils les sacrifieraient toutes plutôt que d’être à nouveau contraints à l’esclavage. »

    Les masses noires de Saint-Domingue lancèrent une insurrection qui allait mener à la fin de la tutelle française et à l’indépendance. Le joyau colonial de la France, que la Grande-Bretagne avait tenté de lui voler, resterait exempt de l’esclavage.

    Le mouvement radical en Grande-Bretagne reflua vers la voie parlementaire. A partir de 1806, des parlementaires plus radicaux (bien que capitalistes) furent élus au Parlement. L’impérialisme britannique, libéré de la lutte pour Saint-Domingue, se tourna de plus en plus vers les richesses de l’Inde plutôt que vers celles des Caraïbes.

    Qui plus est, la flotte française, décimée à Saint-Domingue, ne représentait plus la même menace pour la politique et les intérêts britanniques. Aux Antilles, il était clair que la menace de révolte constante allait accroître par l’import continu de nouveaux esclaves en provenance d’Afrique. La loi d’Abolition de l’Esclavage fut signée en 1807, pour être mise en application en 1808.

    L’héritage du mouvement

    Des dizaines de milliers d’Africains furent encore capturés et vendus pendant des décennies. On trouva rapidement des lacunes dans la Loi, et le recours à des activités illégales telles que l’utilisation de contrebandiers, de fronts étrangers pour les marchands britanniques, de même que toute une série d’autres mécanismes, permirent aux colons de satisfaire leur soif de main d’oeuvre pour leurs plantations.

    Mais le commerce des esclaves et l’esclavage lui-même furent finalement abolis en Grande-Bretagne en 1833 par l’action de la classe ouvrière et les révoltes et la résistance continues des Noirs maintenus en captivité.

    Aujourd’hui, la classe dirigeante ne peut même pas souffrir de devoir faire des excuses pour les atrocités de l’esclavage, de peur d’être assaillie de demandes de réparations.

    En 1833, vingt millions de livres (l’équivalent de 1,5 milliards de livres actuelles) furent offertes aux propriétaires d’esclaves en compensation. L’héritage dévastateur laissé par l’esclavage – l’idéologie raciste, la destruction des civilisations et communautés africaines, la mort et la déportation de 10 à 30 millions de gens, la destruction de la vie des familles noires dans les colonies – persiste encore de nos jours.

    Toutefois, l’héritage laissé par le mouvement pour l’abolition consiste en la preuve que les masses, et en particulier la classe ouvrière et les pauvres – Noirs comme Blancs – peuvent lutter ensemble pour obtenir des changements décisifs. De nos jours, seul le contrôle socialiste, la distribution et l’utilisation démocratique de l’énorme richesse qui existe partout dans le monde peuvent mettre un terme à leur exploitation et à leur divison de manière décisive.


    « Victimes de l’avarice »

    « Enfin, lorsque le vaisseau dans lequel nous nous trouvions eût chargé toute sa cargaison, ils s’apprêtèrent, avec de nombreux bruits effrayants, et nous fûmes tous placés sous le pont, de sorte que nous ne puissions pas voir comment ils manoeuvraient leur embarcation. Mais cette déception était le moindre de mes soucis.

    La puanteur de la cale, alors que nous étions encore sur la côte, était si intolérable, si répugnante, qu’il était dangereux pour nous d’y demeurer même pour une courte période, et certains d’entre nous avaient reçu l’autorisation de rester sur le pont pour y profiter de l’air frais ; mais maintenant que l’ensemble de la cargaison du vaisseau y était confinée, l’air y devint absolument pestilentiel.

    L’étroitesse de l’endroit et la chaleur du climat, ajoutées au nombre de gens dans le vaisseau, qui était si plein que chacun y avait à peine assez d’espace que pour se retourner, nous suffoquèrent presque.

    Ceci produisit une copieuse perspiration, de sorte que l’air devint bientôt inapte pour la respiration, chargé d’odeurs répugnantes, et amena une maladie parmi les esclaves, parmi lesquels de nombreux périrent, devenant par là victimes de l’avarice irréfléchie, si on me permet de l’appeler ainsi, de leurs acheteurs. »

    Olaudah Equiano, ex-esclave et militant anti-esclavage

  • ISLAM & SOCIALISME

    Dans cet article, Hannah SELL explique l’approche des marxistes pour combattre l’islamophobie en tirant les leçons de la politique des bolcheviks dans le sillage de la révolution russe. Si beaucoup de données ne concernent que la Grande-Bretagne et sont un peu datées, la situation n’est pas fondamentalement différente actuellement en Belgique. L’approche adoptée dans cet article reste une aide d’importance.

    Publié en octobre 2004 dans « Socialism Today », revue du Socialist Party, section du Comité pour une Internationale Ouvrière en Angleterre et pays de Galles.

    Entre un et demi et deux millions de musulmans vivent aujourd’hui en Grande-Bretagne. Rien qu’à Londres, ils sont issus de 50 groupes ethniques différents. Ils représentent une des sections les plus pauvres de la société britannique : un musulman économiquement actif sur sept est au chômage, comparé à 1 sur 20 pour le reste de la population. Les deux communautés musulmanes les plus importantes de Grande-Bretagne, originaires du Pakistan et du Bangladesh, sont particulièrement appauvries. En 1999 par exemple, 28% des familles blanches vivaient en dessous du seuil de pauvreté comparé aux 41% d’Afro-Caribéens et aux 84% de familles bengalaises (une étude de l’université d’Anvers a récemment mis en lumière le fait que 58% de la population d’origine marocaine vit en Belgique sous le seuil de pauvreté, pour 15% de la population globale, NDT)

    L’histoire des musulmans de Grande Bretagne est une histoire de pauvreté et de discrimination. Historiquement, la discrimination contre les musulmans en Grande-Bretagne a été un des nombreux aspects du racisme de la société capitaliste. Sous différentes formes, le racisme a été un élément intrinsèque du capitalisme depuis son origine. Lors de la dernière décennie et en particulier depuis l’horreur du 11 septembre 2001, il n’y a aucun doute que les préjugés anti-musulmans – l’islamophobie – ont augmenté de façon dramatique. Alors que d’autres aspects du racisme sont déjà présents, les musulmans sont confrontés aux manifestations les plus aigües de discriminations. Le gouvernement verse des larmes de crocodile sur cette hausse du racisme contre les musulmans et ceux que les gens «perçoivent» comme étant des musulmans. Mais c’est la politique gouvernementale qui est responsable d’une augmentation de 41% du nombre d’arrestations et de fouilles contre les populations asiatiques. Plus fondamentalement, la participation du gouvernement aux guerres brutales contre l’Irak et l’Afghanistan (deux pays à majorité musulmane), avec toute la propagande qui accompagne ces interventions et qui dénigre les populations de ces deux pays, a inévitablement fait monter l’islamophobie.

    L’ancien ministre de l’intérieur David Blunkett a suggéré que les minorités ethniques devaient faire de plus grands efforts pour «s’intégrer» à la société britannique, en blâmant les musulmans et les autres communautés pour la montée du racisme. En réalité, c’est le contraire qui est exact. Plus la société est hostile envers eux, plus les minorités ethniques et religieuses vont s’identifier uniquement à leurs propres communautés. Le renforcement de l’identification de beaucoup de musulmans à leur religion et à leur culture a ainsi nettement augmenté. Selon une étude récente, 74% des musulmans britanniques considèrent que leur religion a une influence importante sur leur vie quotidienne, contre 43% chez les Hindous et 46% chez les Sikhs. Nombreuses sont les raisons qui expliquent cela, mais il ne fait aucun doute que la montée des préjugés contre l’Islam a conduit beaucoup de jeunes à défendre leur religion en renforçant leur identification à celle-ci.

    Cependant il n’est pas vrai de dire que les jeunes musulmans de Grande-Bretagne s’identifient seulement ou premièrement au pays d’où ils, ou plus souvent leurs parents ou grands parents, sont originaires. Les deux tiers de tous les musulmans de Grande-Bretagne ont moins de 25 ans. Ayant été élevés en Grande-Bretagne, la plupart d’entre eux ont une double identité, à la fois partie intégrante de la Grande-Bretagne et aliénés par celle-ci. Ces jeunes ont grandi dans une société où ils se sentent sous la menace constante d’une arrestation à cause de leur couleur ou de leur religion. Ils sont confrontés aux discriminations dans l’enseignement et sur le lieu de travail et ont été enragés par la propagande de guerre impérialiste du gouvernement. Mais seule une petite minorité a tiré la conclusion erronée que le barbare terrorisme de masse de la part d’organisations islamiques réactionnaires comme Al Qaïda offre une alternative. Contrairement à ce qu’affirme la presse à scandales, 73% des musulmans de Grande-Bretagne sont fortement opposés aux attaques terroristes. En même temps, le potentiel qui existe pour un mouvement unifié capable d’impliquer les musulmans a été illustré par les centaines de milliers de musulmans qui ont participé, avec d’autres sections de la population, au mouvement anti-guerre durant les plus grandes manifestations qui se sont jamais déroulées en Grande-Bretagne.

    Comment les marxistes doivent-ils aborder la question des communautés musulmanes vivant en Grande-Bretagne? Notre point de départ est d’être fermement opposés aux discriminations anti-musulmanes en défendant le droit de chaque musulman à pouvoir vivre sans subir l’islamophobie, indépendamment de sa classe ou de sa conception de la religion. Concrètement, cela signifie de lutter pour le droit des musulmans à pratiquer librement leur religion, y compris en choisissant librement de porter ce qu’ils veulent. Le véritable marxisme n’a rien à voir avec ceux de l’extrême gauche française qui ont refusé de s’opposer aux exclusions des jeunes femmes musulmanes qui portaient un voile à l’école. Nous devons activement défendre le droit de chacun de pratiquer la religion qu’il choisit (ou de n’en pratiquer aucune) sans avoir à subir de discrimination ou de préjugés.

    Cela ne signifie cependant pas que nous percevons la population musulmane dans sa totalité comme un bloc homogène et progressiste. Au contraire. Plusieurs facteurs, comme la classe, l’origine ethnique et la conception de la religion divisent la population musulmane. Il y a en Grande Bretagne 5.400 musulmans millionnaires, dont la plupart ont fait leur fortune en exploitant d’autres musulmans, et de petites communautés musulmanes sont très riches. Ainsi, 88 Koweïtiens, dont la plupart résident en Grande Bretagne, ont investi 55 milliards de Livres Sterling dans l’économie britannique. Alors que nous avons à défendre les droit de ces milliardaires de pratiquer leur religion sans répression, nous avons aussi à convaincre les travailleurs musulmans qu’ils ont des intérêts diamétralement opposés à ces individus et que la voie vers la libération se trouve dans la cause commune avec les autres sections de la classe ouvrière à travers le monde mais, comme ils vivent en Grande Bretagne, en premier lieu avec la classe ouvrière britannique.

    En tant que révolutionnaires socialistes, le programme que nous mettons en avant doit toujours avoir pour objectif d’encourager l’unité de la classe ouvrière en tant qu’élément du processus d’élévation de sa confiance et de son niveau de compréhension. C’est la raison pour laquelle notre organisation sœur en Irlande du Nord a toujours lutté pour l’unité des travailleurs catholiques et protestants. Dans la Grande-Bretagne d’aujourd’hui, les politiques réactionnaires de Tony Blair et du New Labour (le Parti Travailliste) créent des divisions que nous devons tenter de surmonter.

    Historiquement, il y a de fortes traditions d’unité entre les travailleurs musulmans et les autres sections de la classe ouvrière en Grande-Bretagne. Elles proviennent du rôle important joué par les meilleurs éléments du mouvement ouvrier dans la lutte contre le racisme. Par conséquent, les travailleurs noirs et asiatiques, y compris les musulmans, ont tissé un lien fort avec le mouvement ouvrier, bien que la majorité d’entre eux ne provenait pas initialement d’un milieu urbain dans leur pays d’origine. Dans les années ‘70, les travailleurs noirs et asiatiques ont joué un rôle clé dans plusieurs luttes industrielles. En 1976, la grève de Grunwicks contre les bas salaires, qui a largement impliqué des femmes asiatiques, a été une des batailles cruciales de cette décennie.

    Un des résultats de ces traditions positives a été que, jusqu’à récemment, les musulmans de Grande-Bretagne ont eu tendance à soutenir le Labour Party. Une étude réalisée en 1992 a par exemple conclu que «les musulmans sont loyaux envers le Parti Travailliste car ils le voient comme un parti qui œuvre pour la classe ouvrière et aussi parce que le Parti Travailliste est de loin le moins raciste à la fois dans son attitude et dans sa pratique comparé aux autres partis, en particulier face au Parti Conservateur». Un sondage de l’institut MORI réalisé après les élections de 1997 a démontré que 66% des électeurs asiatiques et 82% des électeurs noirs ont voté pour le Parti Travailliste, un taux beaucoup plus élevé que la moyenne nationale de 44%. En comparaison, les Conservateurs ont obtenu seulement 22% du vote asiatique.

    Cependant, le New Labour d’aujourd’hui ne représente en aucune façon les intérêts des travailleurs. Au contraire, le Parti Travailliste est maintenant un parti favorable à la classe dirigeante dans lequel les syndicats sont sans pouvoir. Il n’est donc pas étonnant que non seulement les musulmans mais aussi la majorité des travailleurs ne croient plus que le Labour Party est «pour eux». La désillusion est particulièrement profonde parmi les électeurs musulmans issus de la classe ouvrière. Les politiques racistes du New Labour, malgré qu’elles aient un vernis plus sophistiqué que celles des Tories, ont profondément désillusionné la plupart des musulmans. Mais c’est la guerre en Irak qui a agi de façon à rompre de façon décisive le soutien que beaucoup de musulmans accordaient encore au Labour Party. Un sondage d’opinions réalisé avant les élections Européennes a rapporté que le soutien au Labour Party a chuté de 75% chez les électeurs musulmans à seulement 38% lors des élections générales.

    Le mouvement anti-guerre a donné un aperçu du potentiel de ce que signifie gagner les travailleurs musulmans désillusionnés par le Labour à une alternative de classe. Ce processus n’est cependant pas automatique. Une condition vitale est qu’après la trahison complète du New Labour, le mouvement ouvrier prouve encore et encore dans la pratique qu’il est déterminé à combattre le racisme et l’islamophobie. Mais les marxistes doivent aussi défendre une approche de classe et socialiste concernant les musulmans. Le fait que les musulmans et les révolutionnaires socialistes marchent ensemble dans le mouvement anti-guerre constitue un véritable pas en avant. Mais nous ne devons pas laisser nos discussions avec les musulmans anti-guerre au niveau de notre opposition commune à l’occupation impérialiste de l’Irak. Nous devons étendre les discussions à des questions de classe ici, en Grande-Bretagne, y compris sur la question d’un programme et d’une stratégie aptes à combattre les privatisations et les coupes budgétaires du New Labour. Nous devons aussi soulever la nécessité d’une alternative politique au New Labour – un nouveau parti de masse qui rassemble le mouvement anti-guerre, les syndicalistes et les militants contre la casse sociale – un parti qui représente et organise toutes les sections de la classe ouvrière.

    Au cours de ces discussions, il sera parfois nécessaire de soulever des questions sur lesquelles il n’y a pas d’accord complet entre les marxistes et certains musulmans. Par exemple, face au racisme qui existe dans la société capitaliste, un nombre croissant de musulmans revendiquent de façon compréhensible des écoles musulmanes séparées. Nous devons d’une part lutter contre le racisme et la discrimination à l’école, ainsi que pour le droit de tous les étudiants d’avoir les commodités pour pratiquer leur religion, mais, d’autre part, cela n’implique pas le soutien à la création d’écoles musulmanes séparées, pas plus que nous ne soutenons d’autres écoles religieuses. Nous devons patiemment expliquer que cette voie amènera à une plus grande ségrégation et à une plus grande isolation des communautés musulmanes qui, en retour, mèneront à faire croître le racisme contre eux.

    De même que nous luttons pour le droit des jeunes musulmanes à choisir de porter le voile, il est aussi clair que nous soutenons le droit de celles qui choisissent de ne pas le porter, même lorsque cela signifie d’entrer en conflit avec d’autres musulmans.

    L’approche erronée de RESPECT

    Malheureusement, cette approche de classe n’a pas été adoptée par le Socialist Workers Party (SWP). RESPECT, la nouvelle coalition électorale qu’il a formé avec le député George Galloway a obtenu quelques succès électoraux, largement grâce à l’appel lancé aux musulmans. Lors des élections européennes, RESPECT a tiré un tract spécifique destiné aux musulmans qui présentait RESPECT comme «le parti des musulmans». George Galloway a été présenté comme un combattant pour les musulmans et décrit de cette manière : «Marié à une doctoresse palestinienne, il a de forts principes religieux concernant la lutte contre l’injustice. Il a été exclu par Blair parce qu’il a refusé de s’excuser pour son attitude anti-guerre. Nos députés musulmans soit sont restés silencieux, soit ont soutenu la guerre. De qui voulez vous pour être votre voix ?»

    Alors qu’il est juste de présenter les références anti-guerre de Galloway et de dénoncer les députés musulmans qui ont refusé de s’opposer à la guerre, le reste de sa déclaration est une tentative hautement opportuniste de faire appel aux musulmans sur base de leur religion. Au lieu de cela, les véritables socialistes doivent tenter de convaincre les musulmans qu’ils peuvent atteindre par les idées socialistes, et parmi eux plus spécifiquement les jeunes musulmans issus de la classe ouvrière (la majorité de la population musulmane de Grande-Bretagne).

    Si RESPECT avait profité de cette situation pour gagner des musulmans ainsi que d’autres sections de la classe ouvrière au véritable socialisme, cela aurait été louable. Mais au lieu de cela, ils ont fait appel aux musulmans en tant que bloc dans l’espoir d’obtenir des gains électoraux à court terme. En fait, l’histoire de l’engagement des musulmans en politique a démontré que cette approche ne marche pas. Il n’y a aucun doute à avoir sur le fait que quelques politiciens musulmans du New Labour se sont engagés en politique dans l’intention d’aider leur communauté. Cependant, à moins d’avoir eu une approche socialiste, ils ont échoué à le faire. C’est par exemple une position complètement erronée de la part de Galloway d’expliquer qu’il ne se présente pas contre Mohamed Sawar, député de Glasgow Govan, parce qu’il est musulman. Sawar a constamment voté avec le New Labour sur toutes les questions. Bien qu’il ait voté contre la guerre, il a depuis lors voté avec le reste de son parti à chaque occasion, même sur la question de l’Irak. Le fait qu’il soit musulman ne signifie pas qu’il défende les intérêts des musulmans ordinaires. Au niveau local, les conseillers musulmans tendent à être issus des petites élites musulmanes plutôt que d’être issus de la classe ouvrière. Mais le plus important, c’est que la majorité d’entre eux a adopté les politiques blairistes du New Labour.

    Mais RESPECT ne fait pas qu’échouer à élever la conscience de classe parmi les musulmans. Si elle continue sur cette voie, la coalition peut entretenir des divisions dangereuses parmi la classe ouvrière entre les musulmans et les autres communautés. Si RESPECT a des succès en étant vu comme un parti musulman qui ne s’adresse pas aux autres sections de la classe ouvrière, il peut éloigner les autres sections de la classe ouvrière et renforcer les idées racistes.

    Malheureusement, cela semble être la voie que Respect a prise. Lors des récentes élections au Sud de Leicester, RESPECT a obtenu un résultat électoral non négligeable. Sa candidate était Yvonne Ridley, la journaliste qui s’est convertie à l’islam après avoir été capturée par les talibans en Afghanistan. Encore une fois, RESPECT a fait appel à la communauté musulmane sur une base purement religieuse. Le tract spécial qu’elle a destiné à la communauté musulmane faisait référence à un dirigeant local de la communauté qui a dit que Ridley était «la seule candidate MUSULMANE» et que «les musulmans vont jouer un rôle clé lors de l’élection». Le tract n’indiquait pas d’autres raisons de voter pour RESPECT.

    La révolution russe comme justification

    En vue de justifier aujourd’hui son opportunisme politique en Grande-Bretagne, le SWP a cherché dans l’histoire de quoi appuyer son approche avec un exemple. C’est dans ce cadre que Socialist Review, publication du SWP, a publié un article de Dave Crouch avec lequel le SWP a crû justifié sa position en se basant sur l’attitude des bolcheviks après la révolution.

    Alors que l’article de Crouch donne un compte-rendu intéressant des évènements qui se sont produits, en utilisant un ton inégal et une emphase clairement façonnée pour justifier l’attitude du SWP envers RESPECT, il désinforme ses lecteurs. Dans un article beaucoup plus long sur le même sujet, publié en 2002 dans le journal théorique du SWP International Socialism, Crouch démontre pourtant qu’il est capable d’adopter une approche un peu plus objective. Ironiquement, dans cet article là, il critiquait un auteur au sujet de «la politique nationale [des bolcheviks qui s’est développée] dans un isolement presque hermétique de la société pré-révolutionnaire à la contre-révolution stalinienne». Mais dans Socialist Review il a reproduit l’erreur qu’il critiquait en ne voyant pas les différences énormes existant entre la situation des marxistes aujourd’hui en Grande-Bretagne et celle de la Russie durant les années qui ont immédiatement suivi la Révolution de 1917. Il a alors simplement déclaré que «nous pouvons apprendre des bolcheviks et nous inspirer des réalisations faites par les bolcheviks».

    Par exemple, l’Armée Rouge a participé à de nombreuses alliances militaires avec des forces pan-islamiques. Cependant, il s’agissait d’une situation de guerre civile et de nombreuses armées capitalistes attaquaient et essayaient d’écraser la première révolution victorieuse en collaboration avec les classes dirigeantes locales, dominées par les grands propriétaires terriens. La guerre civile était particulièrement intense dans les zones à prédominante musulmane d’Asie Centrale. Les comparaisons directes à faire avec la Grande-Bretagne actuelle sont évidemment très limitées…

    Cela ne signifie aucunement qu’il n’y a pas de leçons à tirer du travail de pionniers des bolcheviks. Mais l’article de Crouch ne dévoile que la moitié de l’histoire. Il se concentre presque exclusivement sur des points tels que l’union entre les dirigeants musulmans et les bolcheviks sans expliquer les divergences politiques, les conflits et les complications qui ont existé ou encore comment les bolcheviks ont essayé de gagner les masses musulmanes au programme marxiste. Sans toutefois le dire explicitement, l’article donne aussi l’impression complètement incorrecte selon laquelle l’islam était intrinsèquement plus progressiste que les autres religions parce que c’était la religion des peuples opprimés et colonisés et encore que les bolcheviks avaient traité les populations musulmanes d’une façon fondamentalement différente des autres religions.

    En fait, Vladimir Lénine et Léon Trotsky ont correctement traité les droits religieux de toutes les minorités opprimées avec une attention et une sensibilité extrême, consécutive de leur approche sur la question nationale. Leur objectif était de minimiser systématiquement les divisions et les différences entre les sections de la classe ouvrière. Ils avaient compris que, pour la réalisation de cet objectif, il était nécessaire de démontrer encore et encore que le pouvoir des Soviets était la seule voie vers la libération nationale pour les nationalités opprimées par ce qui avait été l’empire russe des Tsars (que Lénine appelait la «prison des peuples»). Mais jamais ils n’ont cependant baissé la bannière de l’unité internationale de la classe ouvrière. Quand des concessions étaient faites à des forces nationalistes, il était ouvertement et honnêtement expliqué pourquoi de telles concessions étaient nécessaires, et en même temps les bolcheviks continuaient à argumenter clairement en faveur d’un programme marxiste parmi les masses des territoires opprimés.

    Le contexte de l’époque doit être soigneusement regardé. Les bolcheviks agissaient dans des circonstances de difficultés phénoménales. Par la suite, malgré le potentiel existant dans d’autres pays pour des révolutions victorieuses, ces dernières n’ont pas pu aboutir et le premier Etat ouvrier s’est retrouvé isolé dans une situation d’arriération économique avec une domination paysanne. Finalement, ces facteurs ont permis l’émergence du stalinisme ainsi que l’écrasement de la démocratie ouvrière par le fait d’une hideuse bureaucratie.

    Ces conditions extrêmes, la survie de la révolution ne tenait alors qu’à un fil, ont forcé l’Etat ouvrier à faire des concessions à tous les niveaux. En 1921 – alors qu’il était clair qu’on ne pouvait pas compter sur une révolution victorieuse dans un autre pays à court terme – Lénine a été forcé de proposer la Nouvelle Politique Economique (NEP) pour éviter un retour aux privations et aux famines de masse. Cela impliquait des concessions envers le marché. Ces difficultés matérielles écrasantes ont inévitablement eu un effet sur la capacité de l’Etat ouvrier à appliquer ses politiques dans de nombreux domaines.

    Néanmoins, l’approche de Lénine et Trotsky vis-à-vis des droits nationaux, religieux et ethniques en particulier a constitué un modèle dans le sens où elle a combiné la sensibilité envers les aspirations nationales à une approche de principe. Cela n’a rien de commun ni avec l’opportunisme du SWP, ni avec l’approche rigide et étroite de quelques autres parmi la gauche.

    Le droit des nations à l’autodétermination

    L’approche utilisée par les bolcheviks vis-à-vis des populations musulmanes ne découle pas en première instance de la question de la religion en elle-même, mais plutôt de la manière dont la religion était en rapport avec le droit des nations à l’autodétermination. L’unification des pays et la solution à la question nationale est une des tâches clés de la révolution démocratique bourgeoise, ce qui inclut l’élimination des rapports terriens féodaux et semi-féodaux ainsi que l’instauration de la démocratie bourgeoise. Ces tâches n’ont jamais été achevées dans la Russie tsariste qui était en fait une monarchie absolue semi-féodale. Les bolcheviks avaient compris qu’étant donné le développement tardif de la bourgeoisie en tant que classe en Russie et sa crainte mortelle des mouvements révolutionnaires de la classe ouvrière, la bourgeoisie russe était incapable de réaliser les tâches de sa propre révolution.

    C’est Trotsky, avec sa théorie de la révolution permanente, qui a été le premier à tirer la conclusion que ces tâches devaient être l’œuvre de la classe ouvrière à la tête des masses paysannes. Trotsky a expliqué que, aussi important que pouvait être le rôle de la paysannerie, elle ne pouvait être capable d’agir de façon indépendante à cause de son caractère hétérogène et dispersé. La paysannerie est toujours à la suite soit de la classe dirigeante, soit de la classe ouvrière.

    Trotsky a continué à expliquer que la classe ouvrière ne se limiterait pas à l’accomplissement des tâches de la révolution démocratique bourgeoise mais passerait ensuite aux tâches de la révolution socialiste de façon «ininterrompue». Lénine avait tiré la même conclusion plus tard, dans ses «Thèses d’Avril» de 1917. Et effectivement, lors de la Révolution d’Octobre 1917, la classe ouvrière a dépassé les tâches de la révolution démocratique bourgeoise pour commencer à effectuer celles de la révolution socialiste.

    Ces tâches étaient de loin plus grandes dans les territoires de l’empire russe que dans la Russie elle-même. Les différentes régions avaient des caractéristiques différentes, mais l’image générale était celle d’économies extrêmement sous-développées et de populations constituées de façon écrasantes de paysans pauvres. Si la bourgeoisie libérale était faible et lâche en Russie, elle n’existait tout simplement pas dans la plupart de ces territoires. La classe ouvrière y était surtout constituée d’émigrés russes et les quelques bolcheviks présents avant la révolution étaient issus de cette couche de la population. Tous ces facteurs étaient particulièrement aigus en Asie centrale, région à dominante musulmane. Il est toutefois faux de conclure que les caractéristiques d’arriération d’Asie centrale avaient un lien avec cette dominante musulmane. Ces caractéristiques étaient le résultat des relations économiques et sociales féodales et la situation était peu différente dans des régions similairement sous-développées mais à dominante chrétienne.

    Lénine et Trotsky ont compris quelles étaient les énormes difficultés auxquelles le nouvel Etat ouvrier devait faire face pour résoudre la question nationale dans ces régions. La domination impérialiste par le tsarisme russe s’était profondément fait sentir et des luttes déterminées et sanglantes s’étaient déroulées contre cette oppression aussi récemment qu’en 1916. Il était donc vital de démontrer encore et encore aux nationalités qui avaient été opprimées par le tsarisme que le pouvoir soviétique n’était pas une nouvelle forme d’impérialisme, mais bien la seule voie par laquelle ils pouvaient obtenir leur libération.

    En conséquence, la constitution adoptée en juillet 1918 affirmait clairement que les soviets régionaux basés sur «un mode de vie et une composition nationale particuliers» pouvaient décider s’ils voulaient intégrer la République Socialiste Fédérale de Russie et sur quelle base. Cependant, les constitutions seules ne suffisent pas. La réalisation des tâches de la révolution démocratique bourgeoise signifiait d’assister le développement d’une culture nationale qui n’avait pas eu d’espace pour se développer auparavant. Par exemple, après des décennies de «russification», l’utilisation des langues locales a été encouragé, ce qui a aussi signifié dans plusieurs cas de développer pour la toute première fois une forme écrite de l’une ou l’autre langue.

    Il n’y a là aucune contradiction entre cette approche et l’internationalisme des bolcheviks. Ce n’est qu’en se révélant être la meilleure combattante pour la libération nationale des opprimés que la Russie des soviets pouvait montrer que la voie de la libération était liée à la classe ouvrière mondiale, et plus spécifiquement à la classe ouvrière de Russie. Cependant, cette approche n’a pas été comprise par tous les bolcheviks. Une certaine couche d’entre eux a vu dans le droit à l’autodétermination des nations quelque chose de contraire à leur internationalisme. Cette analyse a en réalité joué le jeu du nationalisme Grand Russe. Mais c’est au contraire l’approche extrêmement habile et sensible de Lénine qui a eu pour effet que la République Socialiste Fédérale de Russie a réussi à intégrer sur une base libre et volontaire beaucoup de nationalités auparavant opprimées par le tsarisme.

    L’approche des bolcheviks envers l’islam

    Comme l’islam avait été réprimé par le tsarisme, et était aussi réprimé par les impérialismes français et britanniques à travers le monde, il était inévitable que le droit des musulmans à pratiquer leur religion devienne un élément central des revendications des masses musulmanes. Les bolcheviks ont reconnu ce droit et ils étaient extrêmement sensibles sur ce point, de la même manière qu’ils l’avaient été avec les autres religions opprimées comme le bouddhisme et le christianisme non orthodoxe.

    Mais Dave Crouch va trop loin quand il affirme que «les bolcheviks ont eu une attitude très différente (envers l’islam) comparé au christianisme orthodoxe, la religion des brutaux colonisateurs et missionnaires russes». Il ajoute que «1.500 russes ont été chassés du parti communiste du Turkestan à cause de leurs convictions religieuses, mais pas un seul Turkestani». C’est une simplification excessive. Les russes ont été exclus pour avoir poursuivi l’oppression de la Russie impériale sous le nom de la révolution, et non simplement à cause de leur religion.

    Bien sûr, les bolcheviks avaient compris le rôle profondément réactionnaire du christianisme orthodoxe dans les territoires de l’empire tsariste en tant qu’instrument de l’oppression grand russe. Néanmoins, en particulier en Russie même, le christianisme orthodoxe avait une double nature. C’était à la fois la religion oppressive des tsars ainsi que ce que Marx appelait «le soupir de la créature opprimée» des masses russes. Lénine pensait aussi aux millions de travailleurs, en particuliers paysans, qui croyaient toujours en la foi chrétienne orthodoxe en disait que «nous sommes absolument opposés à offenser les convictions religieuses».

    Le véritable marxisme de Lénine et des bolcheviks n’a aucune ressemblance avec les crimes ultérieurs de Staline. A partir d’un point de vue matérialiste, et donc athée, les bolcheviks ont de façon correcte été favorables au droit de chacun à suivre la religion qu’il souhaitait, ou de n’en suivre aucune. Ils avaient compris que cela signifiait la séparation complète de la religion et de l’Etat. La religion d’Etat a été un des piliers majeurs de l’oppression dans la société féodale et, avec quelques modifications, le capitalisme continue d’ailleurs toujours à l’utiliser. Dans la Russie semi-féodale, le mécanisme du christianisme orthodoxe (la religion d’Etat) était une force aux mains de la réaction. Mais, bien que de façon différente, cela était aussi le cas de l’islam dans les républiques à dominante musulmane. Alors que le christianisme orthodoxe était la religion de l’oppression coloniale et l’islam une religion opprimée qui avait un soutien écrasant de la part des masses pauvres, l’élite indigène a tenté d’utiliser l’islam comme outil pour la contre-révolution. La séparation de l’église et de l’Etat en Asie centrale n’a pas seulement concerné le christianisme orthodoxe, mais aussi l’islam. Les bolcheviks avaient adopté cette approche au risque d’obtenir des conflits avec certaines sections de musulmans. Par exemple, en résultat de cette politique, des parents musulmans ont dans certaines régions refusé d’envoyer leurs enfants à l’école.

    Mais, tout en argumentant en faveur de la séparation de la religion et de l’Etat, les bolcheviks étaient très prudents pour éviter de donner l’impression qu’ils imposaient d’en haut la société «russe» à l’Asie centrale. Là où la population était en faveur de la Charia (loi islamique) et des tribunaux islamiques, les bolcheviks avaient compris que s’y opposer aurait été vu comme de l’impérialisme russe. Cela n’a cependant pas voulu dire que les bolcheviks acceptaient les politiques féodales réactionnaires menées par les tribunaux de la charia, pas plus qu’ils n’acceptaient les attitudes féodales qui existaient dans différents aspects de la société de l’ancien empire russe. Ils avaient simplement compris que les attitudes réactionnaires ne pouvaient pas être abolies, mais devaient changer avec le temps. C’est pourquoi ils avaient établi un système légal parallèle en Asie centrale, pour tenter de prouver en pratique que les soviets pouvaient apporter la justice. Pour sauvegarder les droits des femmes, en particulier, l’usage des tribunaux islamiques n’était permis que si les deux parties étaient d’accord. Et si l’une des parties n’était pas satisfaite du jugement, elle pouvait encore avoir recours à un tribunal soviétique.

    L’islam divisé

    Sur cette question et sur d’autres, Crouch donne une impression inégale. En lisant son article, on peut s’imaginer que la population musulmane entière d’Asie centrale était progressiste et alliée aux Bolcheviks. Dans un article de deux pages contenant de nombreux exemples sur la relation positive entre les forces musulmanes et les bolcheviks, seulement deux courtes références illustrent que ce n’était pas le cas dans toutes les circonstances. La première est quand Crouch déclare «en même temps, les dirigeants musulmans conservateurs étaient hostiles au changement révolutionnaire», mais aucune autre explication n’est donnée sur le rôle de ces «dirigeants musulmans conservateurs». La deuxième référence consiste à déclarer que «le mouvement Basmachi (une révolte islamique armée) a éclaté». Cependant, la responsabilité de cette révolte contre-révolutionnaire est exclusivement liée à la politique coloniale du soviet de Tashkent durant la guerre civile.

    Il est vrai que, durant la guerre civile russe, lorsque des larges parties de l’Est étaient détachées de la Russie, certains émigrés russes chauvins ont soutenu la révolution parce qu’ils la considéraient comme le meilleur moyen d’assurer la continuité de la domination russe. Les politiques qu’ils avaient décrétées soi-disant au nom de la révolution ont perpétué l’oppression tsariste des musulmans. A Tachkent, ville musulmane à plus de 90%, le soviet, sous la direction des Socialistes-Révolutionnaires et des Mencheviks, a utilisé la langue russe dans toutes ses procédures et a exclu les dirigeants locaux sans principes et de façon complètement chauviniste. Ces politiques réactionnaires ont joué un rôle majeur dans la constitution du mouvement Basmachi par des bandes de guérilleros islamiques. Mais, en Octobre 1919, la direction bolchevik a rétabli le contact avec Tachkent et a alors inversé les politiques du soviet de Tachkent. En Avril 1918, 40% des délégués du soviet de Tachkent étaient musulmans.

    Alors que les préjugés grand-russes ont sans aucun doute persisté, les bolcheviks se sont donnés une peine considérable pour montrer que le pouvoir des soviets signifiait la liberté nationale et culturelle. Comme Crouch le décrit, «des monuments sacrés islamiques, des livres et des objets pillés par les tsars ont été remis aux mosquées. Le vendredi – jour de célébration musulman – a été déclaré jour férié pour le reste de l’Asie centrale». Mais aucune de ces mesures n’a empêché le nationaliste turc Enver Pasha de venir en Asie Centrale en 1921 et de se joindre immédiatement à la révolte Basmachi, en transformant ainsi des fractions tribales en une force unifiée pour la réaction islamique. Une partie des musulmans avaient rejoint la contre-révolution, non pas à cause des crimes du soviet de Tachkent, mais pour gagner un territoire sur lequel ils pourraient exploiter d’autres musulmans. En d’autres mots, c’était pour défendre et pousser de l’avant leurs propres intérêts de classe.

    Les bolcheviks ont toujours compris que leur tâche était de créer le maximum d’unité entre les travailleurs et d’amener derrière eux les masses paysannes. Cela signifiait de convaincre les masses musulmanes pauvres que leur cause était celle de la révolution, et non pas celle des dirigeants islamiques réactionnaires. Contrairement au SWP aujourd’hui, ils ont toujours déployé leurs efforts dans ce but.

    Les dirigeants autochtones

    Dave Crouch parle des peines que se sont donnés les bolcheviks pour essayer de développer des directions nationales autochtones dans les soviets des Etats autonomes nouvellement formés. La politique des soviets a compris l’instauration d’un commissariat musulman (Muskom), dont la direction était en grande partie composée de musulmans non bolcheviks. En même temps, un effort particulier a été fait pour recruter des autochtones au Parti Communiste (PC – nouveau nom des bolcheviks), ce qui a conduit à une sérieuse augmentation du nombre de membres musulmans.

    Dave Crouch déclare dans son texte : «Il y avait des discussions sérieuses parmi des musulmans sur les similitudes entre les valeurs islamiques et les principes socialistes. Les slogans populaires de l’époque comprenaient : «Vive le pouvoir des soviets, vive à la charia!»; «Religion, liberté et indépendance nationale». Des partisans du «socialisme islamique» ont appelé les musulmans à établir des soviets ».

    De nouveau, ceci cache une réalité plus complexe – aucune mention n’est faite de l’attitude des bolcheviks envers ce «socialisme islamique». Il est naturellement vrai que, alors que le PC était marxiste et donc athée, la croyance religieuse ne représentait pas en soi un obstacle pour rejoindre le parti, et beaucoup de musulmans ont été recrutés. Cependant, cela ne signifiait aucunement qu’il suffisait d’être musulman et de soutenir la révolution pour rejoindre le Parti Communiste. Bien que des alliances militaires à court terme aient été formées avec toutes sortes de forces, il n’y a seulement eu qu’une organisation musulmane sur le territoire soviétique qui ait été reconnue par les bolcheviks comme un véritable parti socialiste (sur la base de son programme) – Azerbaidjani Hummet, qui devait plus tard devenir le noyau du PC de l’Azerbaïdjan. D’autres, comme le parti nationaliste libéral kazakh, Alash Orda, ont été écartés, en dépit de leurs déclarations en faveur de la révolution, et ce en raison de leur programme et de leur base de classe.

    Néanmoins, telle était l’importance de développer des directions autochtones pour le Parti Communiste que des individus qui avaient une approche totalement différente de celle de Lénine et Trotski ont pu rejoindre le PC. Parmi eux, le cas de Mirsaid Sultangaliev, devenu ensuite président du commissariat central musulman après avoir rejoint le PC en novembre 1917, est révélateur. Il affirmait que: «Tous les musulmans colonisés sont des prolétaires et comme presque toutes les classes dans la société musulmane ont été opprimées par les colonialistes, toutes les classes ont le droit d’être désignées «prolétariennes».

    Sur cette base il argumentait qu’il ne pouvait pas y avoir de lutte des classes au sein des nations opprimées. En réalité, ces idées étaient une couverture pour les intérêts de l’élite dirigeante locale. D’ailleurs, ces idées étaient constamment et publiquement contre-argumentées par la direction du Parti Communiste. Par exemple, les Thèses sur la question nationale et coloniale, adoptées par le deuxième congrès de la Comintern (l’Internationale Communiste) disent clairement: «La lutte est nécessaire contre le panislamisme, le mouvement panasiatique et les courants similaires qui lient la lutte de libération contre l’impérialisme européen et américain au renforcement du pouvoir des impérialismes turcs et japonais, de la noblesse, des grands propriétaires terriens, du clergé, etc.»

    Elles ajoutaient: «Une lutte déterminée est nécessaire contre les tentatives de mettre une couverture communiste aux mouvements révolutionnaires de libération qui ne sont pas réellement communistes dans les pays [économiquement] arriérés. L’Internationale Communiste a le devoir de soutenir le mouvement révolutionnaire dans les colonies seulement dans l’optique de rassembler les éléments des futurs partis prolétariens – communistes dans les faits et pas seulement de nom – dans tous les pays arriérés et de les former à être conscients de leurs tâches particulières, c’est-à-dire de lutter contre les tendances démocratiques bourgeoises de leur propre nation».

    Cet exemple illustre à quel point l’approche des bolcheviks est complètement différente de celle du SWP aujourd’hui. Il est vrai que le Manifeste du Congrès des Peuples de l’Est a, comme l’a fait remarquer Crouch, appelé à une guerre sainte, à laquelle les marxistes d’aujourd’hui ne doivent accorder de l’attention que dans son contexte. Ce qui a réellement été dit comprenait un clair contenu de classe: «Vous avez souvent entendu l’appel à la guerre sainte, de la part de vos gouvernements, vous avez marché sous la bannière verte du prophète, mais toutes ces guerres saintes étaient fausses, car elles ont seulement servi les intérêts de vos dirigeants égoïstes et vous, travailleurs et paysans, êtes resté dans l’esclavage et le manque après ces guerres… Maintenant, nous vous appelons à la première véritable guerre sainte pour votre propre bien-être, pour votre propre liberté, votre propre vie !»

    Lors de ce Congrès, il a été souligné encore et encore que la lutte devait être menée contre «les mollahs réactionnaires de notre propre entourage» et que les intérêts des pauvres à l’Est étaient liés à ceux de la classe ouvrière à l’Ouest.

    La Révolution de 1917 a inspiré des millions de personnes à travers le monde. D’immenses couches de pauvres des nations opprimées se sont rassemblés derrière la bannière du premier Etat ouvrier, y compris beaucoup de musulmans. L’attitude de Lénine et de Trotsky consistait à insister sur le point que rejoindre le pouvoir des soviets signifiait la libération nationale et la liberté religieuse. C’était le point le plus crucial étant donné l’histoire répugnante de la Deuxième Internationale social-démocrate qui a soutenu l’oppression coloniale et en déclarant cela, Lénine et Trostky n’ont pas affaibli leur programme socialiste. Au lieu de cela, ils ont insisté sur le fait que la voie vers la liberté ne se trouvait pas dans l’unité avec sa propre bourgeoisie nationale mais au contraire avec la classe ouvrière mondiale dans la lutte contre l’impérialisme mais aussi contre leurs «propres» propriétaires terriens féodaux et contre les mollahs réactionnaires qui avaient ces derniers.

    Quelles leçons pour aujourd’hui?

    En Asie centrale, Lénine et Trotsky ont tenté de gagner une population paysanne à prédominante musulmane qui luttait pour ses droits nationaux, à la bannière de la révolution mondiale, sur un fond de lutte désespérée pour la survie du premier Etat Ouvrier. En Grande-Bretagne aujourd’hui nous tentons de gagner une minorité opprimée de la classe ouvrière à la bannière du socialisme.

    Dans bien des sens, notre tâche est de loin plus facile. La grande majorité des musulmans en Grande-Bretagne est issue de la classe ouvrière et beaucoup d’entre eux travaillent dans des lieux de travail ethniquement mixtes, particulièrement dans le secteur public. Le massif mouvement anti-guerre a donné un aperçu du potentiel qui est présent pour un mouvement unifié de la classe ouvrière, avec des musulmans intégralement englobés dans ce processus. La création d’un nouveau parti de masse des travailleurs qui mènerait campagne sur une base de classe à la fois sur les questions générales ainsi que contre le racisme et l’islamophobie constituerait un énorme pôle d’attraction pour les travailleurs musulmans tout en commençant à détruire les préjugés et le racisme.

    Cependant, l’absence d’un tel parti actuellement amplifie les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Dans les années ‘90, l’effondrement des régimes d’Europe de l’Est et d’Union Soviétique a fourni au capitalisme mondial une opportunité pour écarter la question du socialisme en présentant le socialisme comme un échec en mettant faussement sur un pied d’égalité le socialisme et les régimes staliniens. Cela a permis aux classes dirigeantes de mener un assaut idéologique contre les idées du socialisme. L’aile droite du Parti Travailliste, comme de la social-démocratie partout à travers le monde, s’est servie de cette occasion pour abandonner toute référence au socialisme dans leur programme et pour devenir des partis clairement capitalistes.

    Plus d’une décennie après l’effondrement du stalinisme, une nouvelle génération tire la conclusion que le capitalisme est incapable de satisfaire les besoins de l’humanité et parmi elle une minorité en arrive à des conclusions socialistes. Néanmoins, la conscience reste en recul derrière la réalité objective, et le socialisme n’est pas encore devenu une force de masse.

    Etant donné le vide qui existe par conséquent, des jeunes radicalisés recherchent une alternative politique. Une petite minorité de jeunes musulmans en Grande Bretagne regarde vers des organisations de l’islam politique de droite telles que Al-Muhajiroun. L’absence d’alternative offerte par de telles organisations est démontrée par leur opposition au mouvement anti-guerre, sous le prétexte qu’il engage les musulmans à manifester à côté de non-musulmans. La majorité des jeunes musulmans radicaux ont été dégoûtés par des organisations comme Al-Muhajiroun et ont compris la nécessité d’un mouvement anti-guerre unifié. Le potentiel pour construire une base forte pour les socialistes parmi les musulmans existe sans aucun doute, mais seulement si notre engagement à leur côté se fait avec une argumentation pour le socialisme.

    Il y a partout à travers le monde de grands parallèles à faire avec la situation à laquelle les bolcheviks ont été confrontés, bien que les différences restent grandes. En Irak aujourd’hui, par exemple, les marxistes sont confrontés à la tâche difficile de reconstruire des organisations ouvrières indépendantes et de mobiliser les travailleurs et les masses pauvres en défense de leurs droits, y compris le droit de s’organiser indépendamment des organisations islamiques dont le programme n’offre pas d’alternative aux masses irakiennes. Les leçons du 20ème siècle soulignent les dangers qu’encourent les socialistes s’ils renoncent à leur programme indépendant. Au Moyen Orient en particulier, c’est l’échec des Parti Communistes de masse à conduire la classe ouvrière au pouvoir qui a permis à l’islam politique de droite de l’emporter. Lors de la Révolution iranienne de 1978-79, la classe ouvrière a dirigé un mouvement qui a renversé la monarchie brutale et soumise à l’impérialisme. Le Parti Communiste Tudeh était la plus grande force de gauche en Iran, mais il n’a pas poursuivi une politique ouvrière indépendante. Au lieu de cela, il s’est lié à l’Ayatollah Khomeini malgré les tentatives du clergé pour étouffer le mouvement ouvrier indépendant. Le résultat a été l’arrivée au pouvoir du régime de Khomeini qui a écrasé le Toudeh et a assassiné les éléments les plus conscients de la classe ouvrière.

    D’un autre côté, malgré les difficultés énormes auxquelles ils ont été confrontés, les bolcheviks ont donné un aperçu de la seule voie vers la libération (que ce soit la libération nationale ou encore religieuse) : la classe ouvrière mondiale unifiée autour d’un programme socialiste.

    Les 80 années qui ont suivi ont été un cauchemar d’oppression nationale pour les mêmes minorités qui avaient goûté à la libération durant les années qui ont directement suivi la révolution. Le stalinisme d’abord et maintenant le capitalisme ont signifié l’oppression brutale pour les minorités de la région. Après l’horreur de Beslan, le danger d’une nouvelle guerre caucasienne est présent. La cruauté des preneurs d’otages à Beslan a très justement choqué le monde, et nulle cause ne peut justifier de telles actions inhumaines. Néanmoins, les origines de la situation actuelle sont liées à l’horrible assujettissement du peuple tchétchène par les gouvernements russes successifs, avec 250.000 tués et la capitale Grozny rasée. C’est l’incapacité complète du capitalisme au 21ème siècle de résoudre la question nationale qui va mener une nouvelle génération à redécouvrir le véritable héritage des bolcheviks.

    Les bolcheviks et les musulmanes.

    Le JENOTDEL (Le bureau des ouvrières et des paysannes) a mené une campagne pour aller vers les paysannes opprimées du monde soviétique, souvent en prenant un grand risque. En Asie Centrale, les militants du Jenotdel ont organisé des «yourtes rouges» («tentes rouges») où les femmes de la région se voyaient offrir une formation pour différents métiers, l’alphabétisation, une formation politique et ainsi de suite.

    Cependant, comme la révolution est restée isolée, cette démarche n’a pas pu pleinement réussir (ni dans les régions musulmanes, ni dans l’Union Soviétique) parce que la révolution, dans un pays économiquement arriéré, était incapable de fournir les moyens économiques et culturels pour libérer les femmes. Trotsky avait décrit comment la nouvelle société envisageait de fournir des maternités, des crèches, des jardins d’enfants, des écoles, des cantines sociales, des laveries collectives, des stations de premiers secours, des hôpitaux, des sanatoriums, des organisations athlétiques, des théâtres, tous gratuits et de haute qualité pour donner à la femme et ainsi au couple amoureux une véritable libération des chaînes d’oppression millénaires.

    Mais il continuait d’expliquer «il s’avérait impossible de prendre d’assaut la vieille famille, non pas parce que la volonté manquait, ou parce que la famille était si fermement ancrée dans les cœurs des hommes. Au contraire, après une courte période de méfiance envers le gouvernement et ses crèches, jardins d’enfants et institutions comme celles-ci, les ouvrières et après elles les paysannes les plus avancées ont apprécié les avantages infinis de la prise en charge collective des enfants ainsi que de la socialisation de toute l’économie familiale. Malheureusement, la société était trop pauvre et trop peu cultivée. Les véritables ressources de l’Etat ne correspondaient pas aux plans et aux objectifs du Parti Communiste. On ne peut pas «abolir» la famille, il faut la remplacer. La véritable libération des femmes est irréalisable sur la base de la «pénurie généralisée». L’expérience prouvera bientôt cette austère vérité que Marx avait formulé 80 ans auparavant» (La Révolution trahie).

    La «pénurie généralisée» était particulièrement aiguë en Asie Centrale. Pratiquement, cela signifiait que les femmes qui s’évadaient des situations familiales répressives étaient confrontées à la famine comme elles n’avaient littéralement pas de moyens de soutien alternatifs. Même si les moyens économiques avaient existé pour libérer les femmes du fardeau domestique et leur permettre d’avoir un rôle économique indépendant, il n’y a pas de doute que le nouvel Etat ouvrier aurait toujours été confronté à de la résistance, particulièrement dans les régions économiquement arriérées où la classe ouvrière n’existait pas encore. Cependant, comme Trotsky l’a décrit, après une période, sur la base des ressources fournies, l’écrasante majorité en serait venue à comprendre les avantages de la libération des femmes.


    Liens:

  • MEETING : 70e ANNIVERSAIRE DE LA 4e INTERNATIONNALE

    Ecole d’Eté du CIO – 2008

    Le 70e anniversaire de la fondation de la 4e Internationale n’est pas seulement un moment de célébration, c’est aussi l’occasion de prendre le temps de tirer les leçons de l’expérience de Trotsky et de la 4e Internationale. Nous avons durant notre Ecole d’Eté discuté de la crise, de la résurgence de la lutte des classes et des opportunités qui s’offrent à notre organisation. Mais pour profiter de cette nouvelle situation, un programme transitoire est primordial pour faire un lien entre les revendications immédiates des masses et la nécessité du socialisme. Ainsi l’expérience de l’entrisme tel que l’a préconisé Trotsky dans les années ’30 est une source d’inspiration pour notre travail dans les nouveaux partis des travailleurs.

    Si la 4e Internationale n’a pas dirigé d’organisations de masse, c’est à la fois à cause des erreurs que les dirigeants ont commises après la mort de Trotsky ainsi que de la situation objective difficile à le fin de la seconde guerre mondiale, avec le renforcement de la social-démocratie et du stalinisme.

    Mais aujourd’hui les sociaux-démocrates sont discrédités et le stalinisme s’est effondré avec l’URSS. Le 21e siècle sera celui du trotskisme ! De gigantesques moments sont à venir pour notre Internationale.


    Prise de parole de Virginie Prégny (CIO-France)

    Trotsky a beaucoup écrit sur la France, et nous continuons toujours à nous tourner vers ses textes pour notre travail dans la société française d’aujourd’hui. 2008 a été l’année de beaucoup d’anniversaire, mais notamment des grandes grèves de mai ’68, quand la France a connu 10 millions de travailleurs en grève.

    Durant tout ce mouvement, les staliniens et les réformistes ont essayé de mettre un frein sur le mouvement. Dans cette situation de double pouvoir, les staliniens ont trahis les travailleurs, comme ils l’avaient déjà fait en 1936 à l’époque du Front Populaire qu’avait critiqué Trotsky. Le PCF en mai ’68 avait mis en avant des slogans comme « luttons contre le désordre par l’ordre », avaient dévié les luttes vers les élections et appelé les travailleurs à reprendre le travail.

    A ce moment, les prétendus « trotskistes », essentiellement la Ligue Communiste Révolutionnaire et Lutte Ouvrière, affirmaient que la révolution était impossible en Europe. Dès les premières luttes lycéennes, l’équivalent de la LCR à l’époque a affirmé que les étudiants étaient l’avant-garde, elle avait une attitude très arrogante face à la classe ouvrière. LO, par contre, s’est coupé des étudiants. Une véritable organisation trotskiste aurait au contraire tenté de faire le lien entre les travailleurs et les étudiants et aurait éduqué ses jeunes membres pour aller vers les travailleurs. Comprendre le caractère politique du mouvement aurait signifié de développer des comités de grèves qui auraient constitué des embryons de soviets. Dans ces structures, les travailleurs auraient pu s’organiser et discuter de la mise en application du socialisme.

    Il faut s’appuyer dans ces situations sur les revendications premières des travailleurs et des jeunes et développer un programme de transition vers le socialisme. Notre rôle aujourd’hui est d’éviter de reproduire les erreurs du passé en analysant correctement la situation.

    C’est pourquoi le Comité pour une Internationale Ouvrière a appelé dès le début des années ’90 à la formation de nouveaux partis larges des travailleurs sur base de l’analyse de la bourgeoisification des anciens partis ouvriers. Un programme transitoire signifie de partir du niveau des luttes actuelles pour aller vers le socialisme. Il ne suffit pas de se contenter de dire qu’on doit combattre Sarkozy et le patronat. La LCR et LO mettent en avant un salaire de 1500 euros minimum. Nous ne sommes pas en désaccord avec cette revendication, mais nous faisons face à des grèves en France pour parfois seulement 1% ou 2%. Le plus important est que les travailleurs entrent en lutte pour des augmentations de salaire. Ce que nous mettons en avant, c’est la question de la liaison automatique des salaires au niveau de la vie, mais aussi la nécessité de lutter contre le système capitaliste et pour le socialisme, ce qui est la seule manière de pérenniser ces acquis.

    La trahison des directions ouvrières traditionnelles a laissé place à un vide et à la confusion politique. La question d’un nouveau large parti ouvrier peut servir de moyen d’organiser les luttes mais aussi de discuter du socialisme. C’est important d’avoir un espace pour discuter des idées et débattre. Des phrases comme « nous n’avons pas de modèle » ou « il nous faut un parti pour révolutionner la société » amènent plus de confusion qu’autre chose dans la classe ouvrière.

    Quand la LCR dit qu’il faut des perspectives socialistes, sans les définir, et affirme qu’il n’y a pas de modèle, que doit-on imaginer ? Cependant, les insuffisances l’initiative pour un nouveau parti anticapitaliste lancée par la LCR ne veut pas dire que nous allons nous tenir en retrait d’elle. Nous participons à ce processus, comme d’autres camarades ailleurs, sans avoir d’illusions sur les intentions de la direction de la LCR et sans attitude sectaire.


    Prise de parole de Luciano da Silva (CIO-Brésil)

    Juste après la Révolution russe et la prise du pouvoir en Russie, Trotsky a compris la nécessité d’analyser le phénomène de la bureaucratie. Mais malgré le fait que Trotsky n’était plus dans la direction du parti, il n’a jamais défendu de faire un coup d’Etat, il avait d’autres méthodes. Trotsky avait compris que si les travailleurs n’étaient pas activement impliqués dans les soviets, un coup d’Etat n’arrangerait rien, et c’était là le point fondamental. Trotsky avait aussi compris la nécessité du socialisme international et qu’il ne servait à rien d’essayer de construire le socialisme dans un seul pays.

    Ce ne sont que des exemples, mais ils illustrent que Trotsky avait une juste compréhension du marxisme, et donc un programme et des méthodes corrects. C’est une expérience à étudier pour les luttes d’aujourd’hui en Amérique Latine.

    Au moment du Congrès de fondation de la 4e Internationale, le Brésil était déjà représenté. Le véritable développement des idées marxistes au Brésil ne date cependant que des années ’60, quand Maria Pedroza a profité de l’ouverture laissée par le Parti « Communiste » pour qui la prochaine étape était la révolution bourgeoise. La classe ouvrière n’a aucun intérêt à s’allier à la bourgeoisie, c’est ce que les trotskistes ont défendu à l’époque avec un certain succès. Mais à la fin de cette décennie une rupture en deux groupes est survenue sous l’influence de la question de la guérilla, après la révolution cubaine.

    L’un des courants était dirigé par Ernest Mandel, dirigeant de la 4e Internationale originaire de Belgique, et l’autre par Nahuel Moreno, dirigeant trotskiste originaire d’Argentine. Ce dernier avait au début adopté la tactique de guérilla, mais était revenu sur cela suite à l’échec de cette méthode. Mais s’il avait raison sur ce point, il était très sectaire sur la question de la construction du parti, au contraire de Mandel qui était plus flexible, voire opportuniste, sur ce point.

    Dans les années ’70, il y avait donc au Brésil le groupe Convergences socialistes (les partisans de Moreno), et Démocratie socialiste (les partisans de Mandel). A l’époque, c’était la dictature militaire au Brésil et aucun de ces groupes n’a dépassé les 150 militants. Tous deux avaient à ce moment abandonné la guérilla, au contraire des militants du Parti Communiste qui se sont faits massacrés. La seule aile du PC qui a survécu était celle qui était pour l’alliance avec la bourgeoisie et contre la guérilla.

    Par la suite a émergé le PT de Lula, comme recomposition du mouvement ouvrier, avec certaines influences staliniennes. Dans les années ’80, le débat central était de savoir si le PT allait autoriser les plates-formes et les courants, comme défendu par les trotskistes, arrivés à environ 500 dans le PT. Lula défendait un parti de type stalinien, monolithique. Malgré le fait que Lula représentait la tendance majoritaire, la bataille tenace des trotskistes a permis l’autorisation des tendances dans la formation. Les morénistes avaient adopté une méthode d’entrisme très formelle : entrer dans le PT, recruter un maximum de membres et puis ressortir du parti. Au contraire, les partisans de Mandel considéraient que c’était un parti de classe capable d’être transformé en parti révolutionnaire. Ils se sont donc peu à peu dissous dans le PT, puisqu’il y avait moyen de le transformer en parti révolutionnaire.

    Les deux caractéristiques fondamentales du trotskisme brésiliens se sont retrouvées là : les partisans de Mandel, plus ouverts mais avec des tendances à l’opportunisme, et ceux de Moreno, plus conscients de la nécessité d’organiser leurs forces, mais avec des tendances au sectarisme. C’est à ce moment que le Comité pour une Internationale Ouvrière a commencé à se développer dans le PT, avec une cinquantaine de militants.

    A la fin des années ’80, les morénistes ont considéré la chute du stalinisme comme une victoire. Les deux courants faisaient l’analyse que la chute du stalinisme allait inévitablement conduire à une révolution socialiste en Europe de l’Est, ce qui était une erreur. Le CIO avait fait l’analyse que les années ’90 allaient être plus difficiles et confuses à cause de la désorientation du mouvement ouvrier et du virage à droite des organisations traditionnelles du mouvement ouvrier sous les pressions du capitalisme.

    Le CIO avait organisé un ample débat sur ce que représentait cette chute de l’URSS et les tâches qui en découlaient. Cela a pris 5 ans aux mandelistes de comprendre que leur position était erronée. Mais les morénistes, jusqu’à maintenant, ont toujours considéré que c’était une victoire.

    En 1992, il y a eu les premières tentatives d’application du néolibéralisme, par un président corrompu qui n’avait pas la confiance totale de la classe capitaliste. Tout de suite est apparu un mouvement de masse qui l’a éjecté de la présidence, et les morenistes ont crû qu’une situation révolutionnaire se développait. Il sont donc sortis du PT. Mais le mouvement qui avait viré le président était une occasion pour la classe dirigeante de se réorganiser. Cette politique sectaire et isolée des morenistes a continué jusqu’à aujourd’hui.

    Les mandelistes, qui avaient à peu près 1.500 membres, se sont de plus en plus intégrés au PT, au vu qu’ils gagnaient constamment plus d’élus, et ils se sont progressivement bureaucratisés.

    Cela explique le nombre de scissions rencontrées dans le mouvement trotskiste. Les morenistes ont scissionnés en 4 groupes différents tandis que les mandelistes se sont divisés en 2, l’un restant au PT et l’autre allant construire le PSoL. Le CIO est la seule organisation trotskiste au Brésil qui n’est pas en crise, et cela explique sa progression au cours de ces dernières années.

    Aujourd’hui, nous sommes la seule organisation trotskiste qui a tourné le dos tant au sectarisme de Moreno qu’à l’opportunisme de Mandel. Nous sommes persuadés qu’un avenir grandiose nous attend au Brésil dans la lutte pour le socialisme.


    Lucy Redler (Allemagne)

    Les forces qui se revendiquent du trotskisme ont en fait la plupart du temps abandonné le marxisme. Olivier Besancenot passe par exemple son temps à dire dans les journaux que la Révolution russe n’est pas une référence.

    Pourtant, la question de la révolution permanente est une question vitale pour le Venezuela. De même, l’approche de Lénine et Trotsky sur le droit des minorités à disposer d’elles-mêmes restent d’une grande importance au Tibet, contre la vision dictatoriale stalinienne.

    A l’époque, ces questions avaient aussi une importance cruciale. Si le Parti Communiste allemand avait adopté la tactique du Front Unique contre le nazisme, Hitler n’aurait jamais accédé au pouvoir. En Espagne, le franquisme ne l’aurait pas emporté. Mais cela ne s’est pas produit car les forces trotskistes étaient trop faibles et dispersées. Malgré cela, les trotskistes ont fait une travail d’une richesse énorme dans la lutte contre la nazisme. A l’époque de l’arrivée d’Hitler, les partisans de Trotsky ont mis en avant l’alliance des sociaux-démocrates et des communistes.

    La base des deux partis voulait un organe de combat contre le nazisme. Trotsky mettait en avant les conditions du front unique ouvrier : unité concrète des directions des sociaux-démocrates et du Parti Communiste en gardant son identité dans la lutte contre le nazisme. Le but était de faire la distinction entre ceux qui voulaient vraiment lutter contre le fascisme et les autres, ce qui aurait permis de renforcer politiquement les travailleurs.

    Le PC aurait pu être considérablement renforcé en dénonçant ainsi la direction sociale-démocrate. Trotsky disait que la clé de la révolution mondiale était alors dans les mains du PC. Mais pendant ce temps là, sous l’influence de la ligne stalinienne, le PC affirmait que les sociaux-démocrates étaient des sociaux-fascistes et refusait toute alliance avec eux. Pour Staline, la social-démocratie était l’aile modérée du fascisme. Par ricochet, les sociaux-démocrates accusaient les communistes d’être des fascistes peints en rouge.

    Dans les élections parlementaires de 1932, le parti social-démocrate et le parti communiste avaient ensemble un demi-million de voix en plus que les nazis. Si le Front Unique avait eu lieu, ces derniers auraient été stoppés, le PC aurait été renforcé et une nouvelle période révolutionnaire aurait commencé en Allemagne. Mais le PC à l’époque a pavé la voie au nazisme. Des groupes trotskistes ont cependant résisté au nazisme dans le PC, ce qui a mis sous pression sa direction. Le groupe trotskiste de Berlin avait fait des banderoles pour les attacher aux portes des usines et qui proclamaient: « Léon Trotsky appelle à un front unique entre PC et SD ». Hélas, beaucoup d’entre eux sont morts par la suite dans les camps de concentrations.

    A cause de cette erreur monstrueuse commise par les staliniens et au vu du fait qu’aucune conclusion n’a été triée, Trotsky a conclu que la 3e Internationale était morte. Trotsky a écrit en 1933 « une organisation qui n’est même pas réveillée par l’arrivée du nazisme est morte.» Il en a déduit qu’il fallait une nouvelle internationale, une quatrième internationale, pour lutter contre le nazisme dans la perspective d’une guerre mondiale.

    A l’approche de la guerre, des journaux trotskistes allemands étaient distribués aux casernes des soldats. En Belgique et aux Pays-Bas, les trotskistes ont fait des rencontres de fraternisation avec les allemands contre les nazis. La police nazie a reconnu que de toutes les formes de résistance, la résistance internationaliste en Belgique et aux Pays-Bas était la plus dangereuse.

    Ces leçons sont toujours intactes, il faut les saisir et s’en servir au contraire des prétendus courants trotskistes comme le SWP, les mandelistes & les autres.

    Nous sommes dans la tradition de Marx, Engels, Lénine, Rosa Luxembourg et de Trotsky. Ce dernier déclarait dans son testament : "Je mourrai révolutionnaire prolétarien, marxiste, matérialiste dialectique, et par conséquent athée intraitable. Ma foi dans l’avenir communiste de l’humanité n’est pas moins ardente, bien au contraire, elle est plus ferme qu’au temps de ma jeunesse. La vie est belle. Que les générations futures la nettoient de tout mal, de toute oppression et de toute violence et en jouissent pleinement."


    Peter Taaffe (Grande-Bretagne):

    Cette année est l’occasion de célébrer les évènements de mai ’68, d’août ’68 en Tchécoslovaquie et d’autres évènements. Mais le 70e anniversaire de la fondation de la 4e Internationale est pour nous très important.

    Cela n’apparaît pas dans les livres d’histoire de la même manière, mais indépendamment du nombre impliqué, c’est cette question de l’internationale qui va décider du genre humain. Il y a eu cinq essais sérieux d’établir une internationale socialiste, si nous incluons les efforts de Marx et Engels dans la Ligue des Communistes, qui était au moins une internationale à l’échelle européenne.

    Mais c’est une honte qu’il n’existe ni d’internationale de masse ni de parti révolutionnaire de masse à l’époque du capitalisme mondialisé. Nous avons pris sur nos épaules la tâche de construire des organisations de masse des travailleurs. Cela doit conduire à la création d’une internationale massive.

    Les premiers pas commencent aujourd’hui avec nos efforts. Cette tâche tombe sur une minorité. Mais l’histoire est faite par les masses, nous ne faisons que préparer cela. Les forces du CIO sont petites à l’échelle mondiale. Mais il faut s’imaginer l’époque de Marx, Lénine, Luxembourg et Trotsky qui, a un moment, quand la deuxième internationale avait trahi la classe ouvrière internationale, a dit que les internationalistes tenaient dans une calèches. Lénine avait directement mis en avant la création d’une troisième internationale. Peu de temps après cet appel, la révolution a éclaté en Russie, et des travailleurs du monde entier ont sympathisé avec les révolutionnaires russes. Mais des sociaux démocrates opportunistes se dirigeaient aussi vers la 3e Internationale. C’est pour cela que Lénine avait mis en avant 21 conditions pour éloigner les opportunistes.

    Ce n’est pas un hasard si la 4e Internationale a été fondée en 1938, 5 ans après l’arrivée de Hitler au pourvoir. Trotsky attendait la radicalisation révolutionnaire d’une guerre mondiale. Cette montée révolutionnaire a eu lieu, mais elle a été trahie par les sociaux-démocrates et les staliniens, ce qui a sauvé le capitalisme pour une période historique.

    Quelques pays du tiers monde ont connu des organisations trotskistes de masse. A Saïgon, pendant un moment, les trotskistes ont été majoritaire dans le PC. La majorité des étudiants chinois à Moscou en 1926 étaient membres de l’opposition de gauche et on peut encore parler du Sri Lanka. J’ai personnellement connu une manifestation de 10.000 de leurs membres en 1976.

    Rappelons nous aussi des réalisations du CIO en Grande-Bretagne qui a, sous le nom de Militant, fait tombé Thatcher, avec la reconnaissance des masse. A l’époque, il y avait autant d’organisations trotskistes que d’organisation d’extrême-gauche en Grèce aujourd’hui. Mais nous n’avons pas voulu être L’Internationale, mais en préparer l’arrivée. Cette pour cette raison que nous sommes le Comité pour une Internationale Ouvrière.

    Nous avons connu des reculs avec la chute du stalinisme. Durant les années noires des années ’90, nous sommes allés d’une polémique à l’autre. Mais ces discussions ont durci le cadre dont nous avions besoin pour la suite. Tout comme Trotsky a dû défendre les idées du marxisme face à la réaction stalinienne, toute ces discussions nous ont permis de préserver l’héritage du marxisme.

    Souvent, les débats dans le mouvement marxiste débouche sur beaucoup de confusion chez certains. Lénine a répondu ainsi à quelqu’un qui critiquait les polémiques dans la social-démocratie russe : « un homme qui aiguise un couteau fait un acte scientifique et sait ce qu’il fait ». Ces débat idéologiques ont aidé à aiguisé les armes du CIO. Nous sommes les seuls qui continuons à défendre la démocratie révolutionnaire et les méthodes de Lénine et Trotsky. Nous sommes opposés aux méthodes de ceux qui pensent que l’on garde l’unité en supprimant le débat.

    Si la classe ouvrière prend le pouvoir dans un pays capitaliste avancé, ce serait la meilleure des armes pour construire une internationale révolutionnaire de masse. Mais même sans prise de pouvoir, réussir à construire un parti révolutionnaire de masse serait un pôle d’attraction gigantesque. Il y a des bons camarades dans d’autres internationales. Nous pouvons en gagner dans les temps à venir, mais la majorité des forces pour une nouvelle internationale viennent de couches fraîches qui n’ont pas encore été impliquées jusqu’à aujourd’hui. Mais sans colonne vertébrale révolutionnaire, on ne sait rien faire.

    Trotsky était un grand théoricien, un des meilleurs écrivains de l’histoire et un grand dirigeant marxiste. Il a hélas été assassiné, comme presque toute sa famille dans ou à l’extérieur des goulags. Mais le nom de Trotsky ne sait pas être effacé uniquement par la répression. Une nouvelle internationale de masse va arriver et cette idée rencontre beaucoup d’enthousiasme quand elle est bien expliquée. Quand les camarades utilisent le matériel du CIO, c’est une idée qui suscite l’intérêt jusque dans les villages du Pakistan.

  • Bolcheviks et Mencheviks

    Il y a 105 ans, le 30 juillet 1903, le deuxième congrès du Parti Social Démocrate de Russie (POSDR) commençait à Bruxelles. C’est durant ce dernier qu’est survenue la division historique entre Bolcheviks et Mencheviks. Les commentateurs capitalistes, de même que les staliniens, présentent les Bolcheviks et Lénine comme le point de départ de ce qui deviendra le régime de Staline. Mais qu’est-il réellement arrivé à ce Congrès? Comment ces événements ont-ils formés les Bolcheviks jusqu’à la révolution de 1917?

    Par Per-Åke Westerlund, Rättvisepartiet Socialisterna (CIO-Suède)

    Le fait que Lénine ait été un social-démocrate est quelque chose que ni les sociaux-démocrates ni les staliniens n’ont envie de rappeler. Mais le mouvement ouvrier organisé était dans sa totalité à l’intérieur de la Deuxième Internationale et portait l’étiquette de "social-démocrate" jusqu’à la Première Guerre Mondiale, où il s’est divisé. Sur le plan international, Lénine et les Bolcheviks étaient presque les seuls parmi les dirigeants sociaux-démocrates à s’opposer à la guerre. En 1919, en conséquence directe de la réussite de la révolution socialiste en Russie, l’Internationale Communiste a été fondée, la plupart de ses militants étant issus de la gauche des partis sociaux-démocrates.

    Le congrès du POSDR (Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie) de 1903 avait précisément pour objectif de former un parti ouvrier en Russie. Au cours de toute la période qui a suivi son congrès de fondation en 1898, à Minsk, le parti existait sous la forme de groupes lâches d’études et de cercles, souvent isolés, harcelés par la police secrète et manquant de cohésion et de continuité.

    L’Iskra

    Afin de garder le parti uni et de le développer, le journal "Iskra" (l’étincelle) a été lancé de l’exil en 1903, au retour de Lénine de Sibérie. Les dirigeants sociaux-démocrates les plus avancés y collaboraient, notamment Plekhanov, Martov et Trotsky. Il était ensuite distribué à des groupes d’ouvriers en Russie. L’idée était d’établir l’organisation du parti autour du journal, qui avait pour tâche l’éducation politique tant des auteurs que des lecteurs, aussi bien que de donner des nouvelles des luttes des travailleurs.

    L’Iskra a édité plusieurs articles cruciaux sur les nouvelles étapes pour développer le POSDR. Lénine, après discussions et aprobations par le bureau de rédaction, avait écrit des articles comme "Les tâches pressantes de notre mouvement" (éditorial du n°1), "Où commencer?" et "Lettre à un camarade", qui ont été distribués et discutés. A cette époque, la polémique contre les idées "économistes" était une discussion importante. Les économistes avaient reçu ce nom à cause de l’accent qu’ils mettaient sur les luttes économiques des travailleurs au détriment de leur lutte politique. Pour eux, un kopek d’augmentation salariale était plus important que la lutte politique contre le régime tsariste.

    L’économisme était apparu quand les cercles du parti, qui avant discutaient principalement de la propagande socialiste, ont commencé à se tourner vers l’extérieur et vers de plus larges couches d’ouvriers. Certains ont été emportés par le nombre croissant de grèves et n’ont pas osé mettre en avant le programme socialiste. Au contraire, ils ont créé une tendance politique affirmant que les ouvriers eux-mêmes comprendraient le besoin de politique et que "la lutte est tout". Lénine a démontré que les sociaux-démocrates ont à la fois à "soutenir chaque protestation et chaque révolte" ainsi qu’à discuter de la manière dont les grèves étaient liées à la lutte pour le renversement de l’autocratie tsariste et au combat pour le socialisme. Sortir des activités clandestines pour ouvrir le travail du parti a finalement permis de voir quels membres étaient capables de faire autre chose que simplement parler et étaient préparés à s’adapter.

    Les discussions autour de l’Iskra ont miné une grande partie du soutien des économistes. Le but du congrès en 1903 était, comme Lénine l’a écrit, que "le programme de l’Iskra devienne le programme du parti, les plans d’organisation de l’Iskra doivent être fondés dans les statuts d’organisation du parti". Il s’agissait de sortir d’une mentalité de cercle vers un parti aux principes politiques communs. L’Iskra était la tendance la plus forte dans le POSDR et, au congrès, était vu comme un courant homogène.

    Avant que le congrès ne débute, il y avait de la résistance contre les idées de l’Iskra au sein du POSDR de la part d’autres tendances telles que le Bund et le Rabotchie Delo, qui voulaient toutes les deux garder leur autonomie. Le Bund était une organisation social-démocrate juive à la droite du parti et Rabotchie Delo défendait les économistes. Ce qui est finalement arrivé au congrès, à la surprise des participants, c’est qu’une partie des défenseurs de l’Iskra ont fini par faire alliance avec les adversaires les plus déterminés de l’Iskra.

    Les statuts

    Contrairement à ce qui est affirmé tant par les staliniens que par les conservateurs, la scission ne s’est pas faite sur base du programme politique. Le programme du parti avait été voté unanimement, avec juste une abstention. Ce n’est qu’à la 22ème session que la division est apparue, à l’occasion des discussions sur les statuts du parti et de l’élection du bureau de rédaction. Des projets de statuts avaient été formulés par Lénine et distribués avant le congrès. Mais au congrès, Martov, lui aussi de l’Iskra, a fait une contreproposition pour le premier paragraphe. En surface, la différence n’était pas si grande.

    La proposition de Lénine était: "est membre du parti celui qui accepte son programme, qui soutient financièrement le parti et qui participe personnellement à l’une de ses organisations."

    La proposition de Martov était: "un membre du POSDR est quelqu’un qui accepte son programme, travaille activement pour accomplir ses objectifs sous le contrôle et la direction des organes du parti."

    La différence était entre le fait de travailler "dans une des organisations du parti" ou "sous le contrôle et la direction" des organisations du parti.

    Lénine a résumé sa position : "Les conditions pour devenir membre sont a) un certain niveau de participation dans l’organisation et b) ratification par le comité du parti."

    Martov, d’autre part, a expliqué que pour lui "chaque gréviste" devait pouvoir s’estimer être membre du parti. Contrairement à la mythologie qui a fait du congrès de 1903, sous la direction de Lénine, le début d’une sorte de "parti élitiste", c’est la proposition de Martov qui a gagné le vote – 28 contre 23. Martov a été soutenu par sept des huit délégués anti-Iskra (ironiquement, la décision a été renversée en faveur de Lénine au congrès d’unité des Bolcheviks et Mencheviks en 1906).

    Le bureau de rédaction de l’Iskra

    Au congrès de 1903, l’Iskra était censée devenir l’organe central du parti. Comme pour les statuts, il y avait depuis longtemps eu une proposition selon laquelle le bureau de rédaction devait se composer de trois personnes. Avec l’avantage d’une expérience faite de trois années de fonctionnement avec d’autres, Lénine a proposé que lui, Plekhanov et Martov composent le bureau. C’étaient les trois qui, dans les faits, effectuaient déjà les tâches principales et écrivaient les principaux articles. Cela signifiait que trois membres du vieux bureau de rédaction devaient le quitter – les vétérans Pavel Axelrod, Vera Zasulich et Alexandre Potresov.

    Cependant, cette proposition a rencontré de la résistance. L’opposition politique aux idées de l’Iskra a été mêlée à des considérations personnelles éprouvées envers ces trois là par certains de l’Iskra. Comment les trois qui devaient quitter le bureau allaient-ils prendre la décision? Le congrès a-t-il vraiment le droit de changer le bureau de rédaction?

    Le vieil esprit de cercle était revenu et s’opposait aux efforts pour établir un vrai parti construit sur des décisions prises à la majorité. Sept délégués anti-Iskra ont quitté le congrès avant que le vote ne soit tenu, ce qui a donné à Lénine l’avantage avec 19 voix contre 17. C’est ce vote qui a donné le nom de Bolcheviks (majoritaires) et Mencheviks (minoritaires).

    La nouvelle minorité de l’Iskra, les Mencheviks, avant le congrès, était d’accord sur les propositions et avait souligné l’autorité des décisions du congrès. Mais, après le congrès, ce n’était plus le cas. Martov a refusé de rejoindre le bureau de rédaction, qui n’a donc plus été constitué que de Lénine et Plekhanov.

    Pas une question de vie ou de mort

    Après le congrès (qui avait été déplacé à Londres pour des raisons de sécurité), Lénine avait déclaré que les discussions n’étaient pas une question de vie ou de mort. Elles ne se basaient pas sur des principes politiques mais sur des méthodes dans la construction du parti. Trotsky était parmi les délègués qui avaient plaidé contre Lénine au congrès. Vingt ans plus tard, les staliniens l’ont qualifié de "Menchevik". Mais, en 1903 déjà et durant la révolution de 1905, Trotsky était politiquement proche des Bolcheviks. Quand il a rejoint le parti Bolchevik en juillet 1917 et qu’il a, ainsi que Lénine, dirigé la Révolution d’Octobre, il a admis qu’il avait sous-estimé l’importance des déclarations de Lénine sur la construction du parti.

    Au printemps 1904, Lénine a récapitulé la discussion du congrès dans son livre "Un pas en avant, deux pas en arrière". La division a eu lieu entre une position qui définissait le congrès comme l’organe décisionnel le plus élevé du parti et une autre position qui était pragmatique et opportuniste. Martov et ses défenseurs avaient dit que "chaque gréviste" pourrait être membre mais, dans la pratique, une définition plus lâche de l’adhésion aurait été appliquée principalement vers leurs amis académiciens, c.-à-d. chaque professeur et chaque étudiant ! Ceux-ci auraient alors pu se compter parmi les membres du parti sans participer à la vie intérieure du parti – sans responsabilité ni fonctions.

    Les Mencheviks ont plaidé pour un "large parti ouvrier" contre ce qu’ils ont qualifié de petit groupe de "conspirateurs" de Lénine. Mais compter plus de personnes en tant que membre et faire augmenter de ce fait le nombre d’adhésions ne rend pas un parti plus fort pour autant. Ce qui était nécessaire pour lutter contre le tsarisme et le capitalisme était un parti ouvrier une prise de décision collective et une organisation collective.

    L’Iskra a mis en avant deux méthodes fondamentales pour la construction du parti – le centralisme et le rôle particulier du journal pour lier ensemble le parti dans son travail, la plupart du temps clandestin. L’idée de centralisme, qui était déjà présente, a été déformée et tordue pour signifier au cours des décennies suivantes un fonctionnement exclusivment de haut en bas. Rosa Luxembourg, qui avait l’expérience du Parti Social Démocrate allemand (SPD) comme un parti "de haut en bas", virant de plus en plus à droite et offrant des positions confortables à ses dirigeants, a critiqué Lénine pour ses déclarations sur le centralisme et sur le fait d’avoir des révolutionnaires professionnels.

    Lénine, cependant, a répondu qu’il n’a défendu "aucune organisation particulière contre une autre", mais bien l’idée même d’une organisation. Si les décisions et les politiques d’un parti ne sont pas centralisées, ce n’est pas un parti, mais plusieurs. Pour Lénine cependant, différentes vues pouvaient être débattues et l’opposition permise au sein d’un parti centralisé.

    Sur la question des révolutionnaires professionnels, Lénine a plus tard admis qu’il avait suraccentué ce point, avant qu’il ne soit devenu normal que les membres dirigeants du parti travaillent pour le parti. Et, contrairement au SPD, les permanents Bolchevik n’ont eu aucun privilège.

    Le centralisme démocratique

    Lénine a préconisé que le parti devait être basé sur le centralisme démocratique. Les Mencheviks et le SPD ont également employé l’expression. Le SPD était, sans contestation possible, le plus grand parti de la Deuxième Internationale et était généralement vu comme un parti marxiste et révolutionnaire. Rosa Luxembourg était parmi les quelques dirigeants qui avaient vu le processus de dégénération qui se déroulait sous la surface.

    Pour les Bolcheviks, le centralisme démocratique signifiait la liberté la plus complète au cours des nombreuses et profondes discussions, mais l’unité dans l’application des décisions une fois qu’elles étaient prises. Cela a été totalement renversé par le centralisme bureaucratique et autoritaire du stalinisme. Staline a pris le pouvoir dans les années ‘20 et ‘30 par ce qui était, en pratique, une guerre civile unilatérale. Les purges et les exécutions massives ont été dirigées contre les dirigeants et les membres du parti Bolchevik. Une bureaucratie privilégiée a pris le pouvoir en Union Soviétique. Sous le stalinisme, des positions différentes étaient proscrites, dans le parti russe mais aussi globalement dans les partis "communistes".

    Deux pas en arrière

    Si le congrès de 1903 a constitué un pas en avant, alors les mois suivants ont représenté deux pas en arrière. Au cours de la lutte qui s’est déroulée au congrès, Martov et les Mencheviks s’étaient alliés à la droite du parti, qui, du coup, a été revigorée. Cela a amplifié les contradictions après le congrès, qui se sont développées plus loin en problèmes politiques. La position de Lénine était que les discussions du congrès ne justifiaient pas une scission du parti. Lui et Plekhanov ont donc fait une proposition de paix permettant aux quatre autres de revenir au bureau de rédaction de l’Iskra. Mais ces derniers ont refusé. Plekhanov, qui avait tout d’abord émis des critiques acerbes contre l’opportunisme organisationnel de Martov, a alors capitulé. Il a défendu l’unité à n’importe quel prix et a commencé à voir les critiques de Lénine sur les Mencheviks comme le problème le plus grave. Le changement de position de Plekhanov a incité Lénine à quitter le bureau de rédaction, et les quatre autres y sont retournés.

    La "Nouvelle Iskra", après le départ de Lénine, a adopté une nouvelle ligne politique. Par exemple, les discussions du congrès et les décisions qui y avaient été prises ont été ridiculisées par Plekhanov dans un article intitulé "Qu’est ce qui ne doit pas être fait?" Le journal a mis en avant que la "politique" était plus importante que les thèmes d’organisation. C’est un axiome avec lequel tous les marxistes peuvent être d’accord, mais cela signifiait pour la nouvelle Iskra d’éviter toutes les questions sur la construction du parti. Leur position était que les Bolcheviks rendaient toutes les "initiatives individuelles" impossibles. Si cela voulait dire que les "dirigeants" de différentes sortes pouvaient agir selon leur seul bon vouloir, cela était exact.

    Lénine a répondu en exigeant "plus de lumière" sur les dirigeants du parti ; comptabilité ouverte de leurs activités et actions, possibilité de protester par des résolutions et, "dans le pire des cas, de renverser les personnes totalement incapables au pouvoir", étaient autant de méthodes pour confirmer la démocratie au sein du parti. Ceci aurait distingué le parti des cercles, où les menaces étaient la manière habituelle de discussion. C’était également la méthode de Martov qui, après le congrès, a refusé de participer au bureau de rédaction en dépit de son élection.

    Les discussions dans le POSDR en ces années ont employé un ton très acerbe. Lénine lui-même a écrit en 1907, "les deux brochures, "Que faire" et "Un pas en avant, deux pas en arrière" représentent pour le lecteur une polémique parfois amère et destructive dans les cercles à l’étranger. Assurément cette lutte a eu beaucoup de côtés antipathiques. Seul un élargissement du parti par le recrutement d’éléments prolétaires peut, en combinaison avec des activités de masse ouvertes, en finir avec les survivances de l’esprit de cercle."

    Durant les années suivantes, les Bolcheviks sont définitivement devenus la part ouvrière du POSDR. Lors de la première révolution russe de 1905, les Mencheviks ont été totalement pris par l’idée que la classe capitaliste devrait être impliquée, parce que la prochaine étape du développement de la Russie était selon eux une société démocratique-bourgeoise. Les Bolcheviks, quant à eux, ont souligné l’indépendance de la classe ouvrière – ne pas faire confiance ou se subordonner à la classe capitaliste – même si les Bolcheviks ont également souligné les tâches démocratiques-bourgeoises de la révolution: le renversement du Tsar, la résolution de la question agraire, la libération nationale. La révolution de 1905 a été perdue et plusieurs années de la réaction ont ensuite suivi.

    Il a fallu attendre la montée des luttes suivantes, qui a commencé en 1912, pour que les Bolcheviks et les Mencheviks deviennent finalement deux partis distincts. Cette scission a été confirmée bien plus fortement au début de la Première Guerre Mondiale. Plekhanov a soutenu la Russie impérialiste dans la guerre.

    Au cours de l’année 1917, l’année de la révolution, les Bolcheviks ont reçu l’appui de la majorité des ouvriers et des soldats. Le groupement politique, qui avait légèrement commencé son existence en 1903, avait alors gagné de la stature au cours des luttes suivantes et s’est montré capable de réaliser la prise de pouvoir par la classe ouvrière – un événement historique important qui a secoué les bases du monde entier.


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  • Qu’est-ce que le socialisme ?

    Il n’est pas possible d’élaborer une image détaillée de ce que sera la future société socialiste, car le socialisme n’est pas un “idéal” de société paradisiaque, mais l’aboutissement naturel des contradictions à l’œuvre dans le cadre du mode de production capitaliste.

    Par Cédric, MAS-Bruxelles

    Sous le capitalisme, la recherche de profit est la seule chose qui gouverne l’activité économique et oriente le travail humain. Il en résulte un chaos généralisé, des crises régulières, des gaspillages monstrueux et des inégalités aberrantes. Le socialisme présuppose au contraire la mise en commun des ressources et des richesses ainsi que la planification de l’économie, afin de faire correspondre la production aux besoins réels de la société.

    Aujourd’hui, des franges entières de la population n’ont pas de travail et se sentent inutiles, pendant que l’on presse les autres comme des citrons en exigeant qu’ils travaillent toujours davantage. Parallèlement, une clique de parasites baigne dans l’opulence sans travailler, uniquement grâce à l’exploitation du travail d’autrui. Les travailleurs ne peuvent trouver aucune satisfaction dans leur travail : au contraire, comme l’expliquait Marx, la vie d’un travailleur commence là ou son travail s’arrête.

    Dans une société socialiste, une division équitable du temps de travail entre tous les membres de la société, combinée à une utilisation rationnelle des merveilles de la science et de la technique, permettraient d’améliorer qualitativement la vie de chacun, tout en libérant du temps pour que tous les êtres humains puissent profiter pleinement des plaisirs de la vie. Le travail ne serait plus perçu comme un fardeau abrutissant, mais comme une tâche naturelle et nécessaire au bien de tous. La prétendue « négation de l’individu » qu’engendrerait le socialisme est une caractéristique propre au capitalisme lui-même : sous ce dernier, la liberté individuelle n’existe que pour les riches, tandis qu’elle reste une illusion pour la grande majorité dont la seule liberté est d’entretenir celle des autres. A l’inverse, une société socialiste poserait les bases matérielles afin que les talents et les aptitudes de chacun puissent s’épanouir sans entrave, afin que l’art, la culture, la science, ne soient plus le privilège de quelques-uns, mais puissent au contraire, comme le disait Trotsky “élever l’homme moyen à la taille d’un Aristote, d’un Goethe, d’un Marx.”

    Grâce aux techniques informatiques et à la technologie moderne, la planification de l’économie pourrait se faire beaucoup plus aisément que par le passé. Une telle planification se ferait au travers de la participation et de la gestion démocratique par l’ensemble des travailleurs, via des comités élus à chaque niveau, coordonnés sur une base locale, nationale et internationale. Des mesures telles que le partage du temps de travail et la prise en charge des tâches domestiques par la collectivité fourniraient à tout le monde la possibilité de s’engager activement dans la gestion quotidienne de la société.

    La participation démocratique pourrait ainsi être stimulée à un degré jamais vu. Aujourd’hui, la majorité de la population n’a pas voix au chapitre: les politiciens bourgeois mènent un train de vie totalement coupé de celui des gens ordinaires, et appliquent des décisions sur lesquels la population n’a aucun contrôle. Dans une société socialiste, les représentants politiques seraient éligibles et révocables à tous les niveaux, et seraient rémunérés d’un salaire ne dépassant pas celui d’un travailleur qualifié.

    Bien sur, on entend déjà les sceptiques de toute espèce crier en chœur: « ça ne marchera jamais !» L’histoire nous montre pourtant que les embryons d’une telle société apparaissent dans chaque lutte massive entamée par les travailleurs. La prétendue impossibilité d’une société socialiste ne sera surmontée que par le rapport de force politique que le mouvement ouvrier se construira dans la lutte contre ce système barbare.


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  • Qu’est-ce que le socialisme ?

    Il n’est pas possible d’élaborer une image détaillée de ce que sera la future société socialiste, car le socialisme n’est pas un “idéal” de société paradisiaque, mais l’aboutissement naturel des contradictions à l’œuvre dans le cadre du mode de production capitaliste.

    Par Cédric, MAS-Bruxelles

    Sous le capitalisme, la recherche de profit est la seule chose qui gouverne l’activité économique et oriente le travail humain. Il en résulte un chaos généralisé, des crises régulières, des gaspillages monstrueux et des inégalités aberrantes. Le socialisme présuppose au contraire la mise en commun des ressources et des richesses ainsi que la planification de l’économie, afin de faire correspondre la production aux besoins réels de la société.

    Aujourd’hui, des franges entières de la population n’ont pas de travail et se sentent inutiles, pendant que l’on presse les autres comme des citrons en exigeant qu’ils travaillent toujours davantage. Parallèlement, une clique de parasites baigne dans l’opulence sans travailler, uniquement grâce à l’exploitation du travail d’autrui. Les travailleurs ne peuvent trouver aucune satisfaction dans leur travail : au contraire, comme l’expliquait Marx, la vie d’un travailleur commence là ou son travail s’arrête.

    Dans une société socialiste, une division équitable du temps de travail entre tous les membres de la société, combinée à une utilisation rationnelle des merveilles de la science et de la technique, permettraient d’améliorer qualitativement la vie de chacun, tout en libérant du temps pour que tous les êtres humains puissent profiter pleinement des plaisirs de la vie. Le travail ne serait plus perçu comme un fardeau abrutissant, mais comme une tâche naturelle et nécessaire au bien de tous. La prétendue « négation de l’individu » qu’engendrerait le socialisme est une caractéristique propre au capitalisme lui-même : sous ce dernier, la liberté individuelle n’existe que pour les riches, tandis qu’elle reste une illusion pour la grande majorité dont la seule liberté est d’entretenir celle des autres. A l’inverse, une société socialiste poserait les bases matérielles afin que les talents et les aptitudes de chacun puissent s’épanouir sans entrave, afin que l’art, la culture, la science, ne soient plus le privilège de quelques-uns, mais puissent au contraire, comme le disait Trotsky “élever l’homme moyen à la taille d’un Aristote, d’un Goethe, d’un Marx.”

    Grâce aux techniques informatiques et à la technologie moderne, la planification de l’économie pourrait se faire beaucoup plus aisément que par le passé. Une telle planification se ferait au travers de la participation et de la gestion démocratique par l’ensemble des travailleurs, via des comités élus à chaque niveau, coordonnés sur une base locale, nationale et internationale. Des mesures telles que le partage du temps de travail et la prise en charge des tâches domestiques par la collectivité fourniraient à tout le monde la possibilité de s’engager activement dans la gestion quotidienne de la société.

    La participation démocratique pourrait ainsi être stimulée à un degré jamais vu. Aujourd’hui, la majorité de la population n’a pas voix au chapitre: les politiciens bourgeois mènent un train de vie totalement coupé de celui des gens ordinaires, et appliquent des décisions sur lesquels la population n’a aucun contrôle. Dans une société socialiste, les représentants politiques seraient éligibles et révocables à tous les niveaux, et seraient rémunérés d’un salaire ne dépassant pas celui d’un travailleur qualifié.

    Bien sur, on entend déjà les sceptiques de toute espèce crier en chœur: « ça ne marchera jamais !» L’histoire nous montre pourtant que les embryons d’une telle société apparaissent dans chaque lutte massive entamée par les travailleurs. La prétendue impossibilité d’une société socialiste ne sera surmontée que par le rapport de force politique que le mouvement ouvrier se construira dans la lutte contre ce système barbare.


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  • La crise de 1929

    La haute conjoncture de la bourse, les bénéfices infinis, la croissance sans borne, l’enrichissement à court terme grâce à la spéculation, une prolifération de sociétés d’investissement et un optimisme sans faille du côté capitaliste au sujet de la durée de ce développement voilà les caractéristiques des années 1920. Cette période a également connu une hausse considérable de la productivité, principalement dans les pays capitalistes développés, et aux USA en particulier.

    par Tanja, MAS-Gand

    Avec le vendredi noir, le 25 octobre 1929, le conte de fée capitaliste s’est terminé par un retour abrupt et brutal à la réalité. Suite au crash boursier s’est déclarée une grave crise (dépression) dont l’intensité a varié durant une décennie. Après cela, une courte période de rétablissement économique a pris place, mais la fin des années ’30 a sonné le glas de la recherche de nouveaux débouchés et la concurrence entre les pays capitalistes les plus puissants a conduit à la deuxième guerre mondiale.

    La pilule est amère pour les capitalistes.

    United Founders, un des plus gros fonds d’investissement, avait encaissé du vendredi noir à la fin de l’année 1935 une perte de 301.385.504 dollars. En 1929, ses actions valaient 75 dollars, pour moins de 0,75 dollars par la suite. En 1929, 346 banques avaient fait faillite, soit une valeur cumulée de 115 millions de dollars.

    Mais la pilule a été bien plus amère pour la classe des travailleurs, jeunes ou vieux. Le nombre de chômeurs a grimpé de 1 million en 1929 à 4 millions en 1930 et jusqu’à 14 millions en 1933, soit un quart de la population active.

    Crise économique mondiale

    La crise n’est pas restée confinée aux USA. Différents pans de l’économie mondiale étaient déjà tellement liés entre eux que les conséquences ont été également graves pour la classe ouvrière des autres pays. Le commerce mondial s’est effondré, le volume de production atteignant le tiers de ce qu’il était. En Allemagne, entre 1929 et 1933, la production industrielle a chuté de 40%. Tout ceci a bien entendu eu des conséquences sur l’emploi et le niveau de vie de la classe ouvrière. Au milieu des années 30, le niveau de vie aux USA était de 40% inférieur à celui de 1925.

    Ces évènements n’ont pas pris place sans réaction de la part de la classe ouvrière. En 1934, à San Fransisco, une grève générale de 4 jours a été couronnée de succès. Des franches du mouvement syndical se radicalisaient vers la gauche et elles ont obtenu d’avantage d’influence. Dans l’industrie automobile, des grèves et des occupations d’usines ont pris place.

    Radicalisation politique et New Deal

    La radicalisation s’est aussi exprimée dans le parti démocrate. Les années ‘20 avaient été celles du libéralisme économique et l’interventionnisme de l’Etat était alors diabolisé. Au fur et à mesure que la conjoncture s’affaiblissait, que le pouvoir d’achat diminuait, que les bénéfices de la classe capitaliste étaient menacés, un mouvement de radicalisation a commencé à percer, en particulier au sein de la classe ouvrière. Cette vague en faveur de l’intervention de l’Etat s’est propagée jusqu’aux représentant de la classe dirigeante.

    Parfois, cette dynamique a causé de l’inquiétude à la classe dirigeante. En 1928, par exemple, le démocrate Huey Long, élu gouverneur de Louisiane, a introduit la gratuité des livres scolaires et augmenté l’impôt pour les sociétés locales. Selon lui, il n’était pas normal que quand dix personnes participent à un barbecue, une seule mange ce qui était prévu pour les neuf autres. Sa conclusion : obliger cette personne à rendre ce qui ne lui était pas destiné.

    Le président Roosevelt, un autre démocrate, n’est pas allé aussi loin. Mais son New Deal comprenait des réformes sociales. A la fin des années ‘30, Trotsky décrivait le New Deal de Roosevelt comme suit : “La crise profonde du système économique nécessite une intervention de l’Etat pour éviter un effondrement complet. Les prix des produits agricoles ont été fixés par l’Etat. Le système de crédit a été sauvé d’un effondrement par des garanties d’Etat. Des salaires minimum ont été appliqués, la semaine de travail a été raccourcie. Ce n’est bien entendu pas une solution durable pour la crise mais un déplacement du problème. Les dettes de l’Etat doivent à un certain moment être payées – dans la plupart des cas par des augmentations de taxes et/ou une démolition sociale sur le dos de la classe ouvrière.” (Traduction libre).


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