Juste avant que Donald Trump, négationniste du changement climatique, n’entame son second mandat, il a été annoncé qu’en 2024, les températures moyennes avaient franchi la limite cruciale d’une hausse de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Nous en avons vu la réalité à Los Angeles, où des feux de forêts incessants ont détruit des milliers de maisons, tuant des dizaines de personnes.
Par Donal Devlin (Socialist Party, Irlande)
« Drill, baby, drill »
L’une des premières mesures de Donald Trump est de retirer, pour la deuxième fois, les États-Unis, deuxième pollueur mondial après la Chine, de l’accord de Paris de 2015 sur le climat Contrairement à d’autres gouvernements, son administration ne s’engagera pas, même de manière nominale, à lutter contre le changement climatique. En fait, il se vante de son désir de faire la guerre à la nature – son slogan de campagne caractéristique et grossier « Drill, Baby, Drill » en est un exemple. Sa présidence donnera aux compagnies pétrolières et gazières toute latitude pour extraire et fracturer indéfiniment, sans se soucier des coûts extrêmement destructeurs.
Le ministre de l’énergie choisi par Trump est Christ Wright, évangéliste de la fracturation, PDG de la société pétrolière et gazière Liberty Energy. Dans son empressement à prouver sa sécurité, Wright a bu du liquide de fracturation dans une vidéo qu’il a postée sur Facebook en 2019. Comme la plupart des Trumpistes, il semble ignorer superbement la science du changement climatique. Le gaz naturel liquide issu de la fracturation contient 85 % de méthane, qui est 80 fois plus puissant que le CO2.
Trump nomme des milliardaires
Plus généralement, le cabinet de Trump est rempli de milliardaires et de cadres supérieurs de Wall Street qui épousent des idées et des théories du complot toxiques, racistes, transphobes et misogynes. Parmi eux figure son ministre de la santé, Robert Kennedy Jr, qui a propagé le mythe honteux selon lequel les vaccins seraient à l’origine de l’autisme.
Son ambassadeur à l’ONU sera Elise Stefanic, qui a proclamé la « théorie du grand remplacement » raciste, y compris dans ses publicités de campagne pour le Congrès. Le nouvel ambassadeur d’Israël est Mike Huckabee, qui soutient l’affirmation sioniste absurde selon laquelle « les Palestiniens n’existent pas » – un argument utilisé pour justifier 76 ans de nettoyage ethnique, d’occupation et de génocide israéliens.
Donald Trump menace également les membres de la Cour pénale internationale (CPI) de sanctions, telles qu’une interdiction de voyager aux États-Unis, en représailles à sa décision d’émettre des mandats d’arrêt contre les criminels de guerre israéliens que sont le Premier ministre Benjamin Netanyahou et l’ancien ministre de la défense Yoav Gallant.
Elon Musk dirigera le nouveau département de l’efficacité gouvernementale (Department of Government Efficiency, DOGE), une agence qui sera probablement remplie de patrons de la Silicon Valley. L’objectif de l’agence est d’élaborer un plan de réduction des dépenses du gouvernement fédéral, avec un objectif de 2 000 milliards de dollars d’économies. Ce faisant, elle perpétue le fantasme néolibéral de la réduction des « grosses dépenses publiques ». Ils ont jeté leur dévolu sur la sécurité sociale, Medicare et Medicaid.
Un tel programme se heurte à des obstacles politiques fondamentaux. Par exemple, de nombreux partisans de Trump ont exprimé leur sympathie pour les actions de Luigi Mangione et leur aversion pour les sociétés de santé privées, ce qui montre qu’ils sont opposés à l’affaiblissement du rôle de l’État dans la fourniture de services de santé. En outre, à l’ère de la rivalité inter-impérialiste, en particulier avec la Chine, le capitalisme américain a besoin d’un « grand gouvernement » pour continuer à investir dans des industries stratégiques cruciales telles que les semi-conducteurs.
Renforcement de l’extrême droite
Comme en 2016, l’élection de Trump va encore enhardir l’extrême droite dans le monde entier, compte tenu de la position qu’il occupe et de la rhétorique et des politiques racistes qu’il préconise. Il est déterminé à mettre fin à la « citoyenneté de naissance » (selon laquelle vous avez droit à la citoyenneté américaine si vous êtes né dans ce pays), à criminaliser les enfants de millions de migrants dits « illégaux » et a promis d’expulser 11 millions d’entre eux. Criminaliser les migrants n’est pas seulement un acte raciste flagrant, c’est aussi un acte totalement hypocrite. La peur de l’expulsion et de l’arrestation signifie qu’ils peuvent plus facilement être utilisés comme source de main-d’œuvre super exploitée, ce qui est crucial pour le capitalisme américain et fait sans aucun doute partie du calcul.
L’élection de Trump a été accueillie avec un réel sentiment d’effroi par les personnes trans et queer aux États-Unis et à l’étranger. Cela s’inscrit dans le contexte d’une attaque vicieuse contre leurs droits et de tentatives d’alimenter les LGBTQ phobies dans ce que l’on appelle de manière trompeuse les « guerres culturelles ». Trump a promis de « tenir les hommes à l’écart des sports féminins » et de priver de fonds Medicare et Medicaid les hôpitaux qui dispensent aux mineurs des soins conformes à leur genre. Vingt-six assemblées législatives des États fédérés, dirigées par des républicains, ont déjà adopté une telle législation.
Le président des riches
Avec sa victoire, Trump est adopté par différentes sections de la classe dirigeante américaine, y compris celles qui soutenaient auparavant les démocrates. Le magazine Time l’a nommé « homme de l’année ». Après avoir été écarté de Meta en 2020, Dana White (de l’Ultimate Fighting Championship), grand fan de Trump, a rejoint le conseil d’administration de cette société. Mark Zuckerberg a promis d’abolir la « vérification des faits » sur Facebook et Instagram, ouvrant ainsi la voie aux théories du complot racistes et rétrogrades. Amazon, Uber, Google et Microsoft, ainsi que Tim Cook, PDG d’Apple, ont tous fait don d’un million de dollars au fonds d’inauguration de Trump.
Dans une période de crise et de décomposition du système, les dirigeant.es capitalistes se dépouillent de plus en plus de la mince couche progressiste – ou « woke » – qu’ils et elles ont été contraint.es de revêtir dans le cadre d’une large opposition aux oppressions ces dernières années. Trump est leur nouveau représentant à la Maison-Blanche et il est l’incarnation vivante de tout ce qui est pourri dans ce système.
Son élection est un signal d’alarme. À l’heure de la montée du racisme, de la LGBTQIA+phobie, du génocide, de la catastrophe climatique et des inégalités, la nécessité de l’unité dans la lutte internationale, dans le respect de toute la diversité de la société, contre le capitalisme et pour le socialisme démocratique est plus urgente que jamais.
Un salut nazi, voici le message envoyé par Elon Musk lors de l’investiture de Donald Trump. Voici bien l’extrême-droite fascisante, raciste, masculiniste et décomplexée qui vient d’arriver à la tête de l’empire états-unien. Elle est représentée par ses plus puissants capitalistes, cette “broligarchie” comme l’appelle Carole Cadwalladr dans le journal The Guardian.
Par Jonas (Liège)
Né sous le régime ségrégationniste de l’apartheid en Afrique du Sud, fils d’un actionnaire d’une mine d’émeraude en Zambie, mais présenté comme un self-made man de génie, Musk est le profil parfait de l’AltRight (droite alternative) Trumpiste. Il a racheté Twitter pour imposer son agenda anti-woke en trafiquant les algorithmes et en enlevant toute régulation contre les harcèlements racistes, sexistes ou anti-LGBTQIA+. On se souvient de ses tweets appelant à la guerre civile en Angleterre lors des émeutes racistes en août dernier ou qui soutiennent des complotistes antisémites.
À l’image de Henry Ford dans les années 1920, Elon Musk soutient l’extrême-droite européenne dès qu’il le peut, en Angleterre Tommy Robinson ou dernièrement en Allemagne l’AFD, reliée à divers groupes nazis. De même, il a témoigné de son soutien à Nétanyahou dans son entreprise génocidaire à Gaza.
Musk a misé sur le bon cheval
Après avoir bombardé la campagne de Trump à coup de 120 millions de dollars, le propriétaire de Tesla, X et SpaceX se retrouve bien récompensé. Non seulement les actions de Tesla ont gagné 15%, mais en plus ce grand libertarien se retrouve à la tête du nouveau département de l’efficacité gouvernementale. On lui donne la main pour détruire l’appareil public ainsi que les réglementations contraignantes. C’est 30% du budget fédéral qu’il compte couper avec la même tronçonneuse que Javier Milei en Argentine.
De plus, Trump combine un programme protectionniste à une violente agressivité envers l’Union européenne. Tesla va obtenir l’hégémonie totale aux États-Unis, en tenant la tête sous l’eau aux marques européennes qui dépendent de l’exportation. Il cherche aussi à faire plier l’Union européenne sur les restrictions qu’elles mettent sur le marché des données. Le duo Trump et Musk forme un bélier de l’impérialisme états-unien contre le vieil impérialisme européen en pleine déperdition. Il y a une contradiction entre les deux qui pourrait faire surface au sujet de la Chine, dont Elon Musk est tout à fait dépendant, et contre laquelle Trump est à couteaux tirés. Mais pour le moment, il est question que le plus riche des milliardaires rachète la filiale étasunienne de TikTok sous la menace que cette dernière soit tout simplement interdite.
L’histoire s’accélère
Cette fois-ci, Trump a les mains libres, il domine le Parti républicain et les deux chambres sont avec lui. Trump déclarait même durant la campagne “Vous n’aurez plus à voter après”. Nous sommes bel et bien dans un tournant ouvertement autoritaire, lorsque la grande bourgeoisie – la classe dominante – décide qu’il est dorénavant dans son intérêt de sortir de la démocratie. En face, la pression sociale se fait de plus en plus forte, notamment suite à la pandémie de covid-19. Selon Human Right Watch, “les 50 % d’Américains les plus pauvres [ne détiennent] que 1,5 % seulement de la richesse privée du pays”. On a vu apparaître un certain nombre de grèves : professions médicales, enseignant·es, scénaristes, ouvrier.ères, dockers. Près de 500.000 personnes ont participé à l’une des 342 grèves recensées aux États-Unis en 2023. Et n’oublions pas que sans les mobilisations pour la Palestine, Trump n’aurait pas forcé Nétanyahou au cessez-le-feu (aussi fragile qu’il soit).
Cette vague mondiale d’extrême droite est résistible. Nous devons absolument nous organiser, consolider nos campagnes antifascistes, rester mobilisé·es et solidaires dans toutes les luttes contre le capital, contre l’impérialisme et contre toutes les oppressions.
Le « Wir schaffen das » de Merkel appartient clairement au passé. Dans un contexte marqué par la montée de l’extrême droite et les problèmes économiques, presque l’ensemble du spectre politique allemand recourt de plus en plus à un discours anti-migrants. La première partie de notre dossier sur l’Allemagne était principalement consacrée à la crise économique que traverse le pays, qui redevient peu à peu « l’homme malade de l’Europe ». Dans cette deuxième partie, nous nous concentrons sur la question de la migration.
Dossier de Christian (Louvain)
Depuis la parution de ce dossier en néerlandais début décembre, certaines tendances mentionnées se sont confirmées. Les élections fédérales de février approchent. La semaine dernière, des milliers de manifestants ont tenté d’entraver l’accès à une conférence du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) qui s’est tenue dans la ville saxonne de Riesa, où les détails de sa plateforme de campagne ont été finalisés. Encouragée par les développements outre-Atlantique, la conférence a publiquement adopté les « rapatriements à grande échelle », également appelés « remigration ». Selon les derniers sondages, l’AfD est crédité de 20 % des intentions de vote, soit près du double par rapport à 2021.
La migration face aux avancées internationales de l’extrême-droite
Peu après sa réélection, Trump a déclaré qu’« aucun prix n’était trop élevé » lorsqu’il s’agit d’expulser massivement les migrants sans papiers. Il entend mettre en œuvre, dès le premier jour de son mandat, « la plus grande campagne d’expulsion de l’histoire des États-Unis ». Son colistier, JD Vance, a estimé qu’un million de personnes pourraient être expulsées chaque année.[1] Le système de réinstallation des réfugiés pourrait être complètement démantelé.[2] Trump affirme vouloir faire appel à l’armée ou à la garde nationale pour réaliser son projet. Il est vrai que, durant son dernier mandat, les mesures anti-migrants de Trump n’ont pas été à la hauteur de sa rhétorique outrancière. Il n’a, par exemple, jamais atteint les quelque 400 000 expulsions annuelles observées au début de l’administration Obama.[3] Toutefois, il est probable que la deuxième administration Trump sera mieux préparée que ne l’était la première. Quelle que soit l’ampleur des objectifs affichés, le trumpisme attise le débat sur l’immigration de l’autre côté de l’Atlantique.
En Europe, l’immigration est sans doute l’une des causes favorites de l’extrême droite. Elle regroupe des enjeux tels que l’insécurité et l’identité nationale, dans un contexte de concurrence féroce pour des ressources prétendument limitées au sein d’un système capitaliste en crise. La question de l’immigration offre ainsi d’innombrables opportunités de capitaliser sur le racisme et le ressentiment. Cependant, depuis plusieurs années, face à la crise de leur système, les partis traditionnels s’aventurent de plus en plus sur ce même terrain rhétorique. De surcroît, ces partis font adopter des lois sur l’immigration qui concrétisent d’importants aspects du programme de l’extrême droite.
Alors qu’en 2016, Orbán était quasiment le seul chef d’État de l’Union européenne à célébrer l’élection de Donald Trump, le tableau est bien différent aujourd’hui. En Italie, où Berlusconi a préfiguré le phénomène Trump, l’absence d’une alternative de gauche a conduit à l’élection du gouvernement Meloni, dont les racines plongent dans le passé fasciste du pays. On peut également mentionner le gouvernement de Geert Wilders aux Pays-Bas, ainsi que l’Autriche, où le Parti de la liberté (FPÖ) d’extrême droite est arrivé en tête lors des élections de septembre. En France, le Rassemblement national (RN) est désormais invariablement présent au second tour des élections présidentielles. Ce qui reste des Républicains (centre-droite) a totalement capitulé devant le RN. Le gouvernement de François Bayrou gouverne grâce au soutien du parti de Marine Le Pen. De nouvelles élections pourraient avoir lieu dès l’été prochain. Un point positif demeure : en France, il existe encore une offre politique de gauche.
Politique migratoire allemande – un cas emblématique
En matière d’immigration, l’Allemagne est depuis longtemps au cœur des polémiques concernant des politiques d’immigration jugées trop permissives. En 2015, 1,1 million de réfugiés, pour la plupart fuyant des conflits, notamment en Syrie et en Afghanistan, ont été accueillis en Allemagne. Entre 2015 et 2017, l’Allemagne a ainsi reçu environ la moitié de toutes les demandes d’asile déposées dans l’UE. Cependant, la politique de porte ouverte, le « Wir schaffen das » (Nous y arriverons) d’Angela Merkel, semble aujourd’hui bien lointaine. À présent, l’élite politique allemande, et en particulier les chrétiens-démocrates CDU/CSU de Merkel, est plus déterminée que jamais à se distancer radicalement de ses prétendues largesses passées. Merkel elle-même, dans une interview récente avec la BBC, affirme que la seule façon de lutter contre l’extrême droite est de mettre un terme à l’immigration illégale.[4]
La posture d’ouverture de 2015 n’avait déjà pas été une évidence. Lorsque Merkel a prononcé ses célèbres mots en août 2015, le mouvement de protestation islamophobe d’extrême droite Pegida (Patriotische Europäer gegen die Islamisierung des Abendlandes : Européens patriotes contre l’islamisation de l’Occident) était à son apogée.
La législation allemande sur l’asile a été sévèrement restreinte dès 1993 à la suite de l’incident de Rostock-Lichtenhagen. Cet incident, délibérément orchestré par les autorités à des fins politiques, a vu des centaines de personnes, menées par des éléments d’extrême droite, attaquer un abri pour réfugiés à l’aide de pierres et d’engins incendiaires. Il est possible que la chancelière ait accueilli favorablement l’arrivée des réfugiés, car la sympathie populaire largement répandue à l’époque ne lui permettait pas de les repousser violemment à la frontière. De plus, une partie du capital allemand voyait d’un bon œil ce que cet influx pourrait apporter au marché du travail. Une étude récente a montré que les réfugiés en Allemagne s’étaient globalement bien intégrés dans le marché de l’emploi. Cela pourrait indiquer que ce segment du capital a effectivement fait le bon choix.[5]
En revanche, l’ouverture envers les migrants n’a pas duré. Les réfugiés ont rapidement été identifiés comme une source de criminalité et d’insécurité, notamment dans le contexte de plusieurs attentats terroristes, dont certains ont eu lieu en Allemagne. Suite aux critiques concernant la couverture médiatique des incidents survenus lors des fêtes de fin d’année 2015-2016 à Cologne (vols et agressions sexuelles massives de femmes), les directives relatives à la couverture médiatique des délits ont été assouplies. Cela a entraîné une augmentation des mentions de l’origine (notamment étrangère) des suspects. Ce constat intervient alors que les statistiques criminelles n’ont pas révélé d’augmentation notable du nombre de criminels étrangers durant cette période.[6]
Merkel a tenté en vain d’imposer des quotas de migrants aux autres pays de l’UE afin de partager le « fardeau ». Dès lors, les gouvernements allemands successifs se sont concentrés sur la réduction du flux de réfugiés à un niveau minimal, notamment à travers des accords visant à réprimer la « migration irrégulière ». Cela inclut le traité de 2016 entre l’UE et la Turquie, ainsi que divers accords entre Frontex (l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes) et les autorités libyennes. Les politiques de déportation et de refoulement de l’UE vers des pays tiers dangereux, où elle finance la détention dans des conditions inhumaines, sont responsables de plus de 30 000 décès de migrants en Méditerranée.[7]
Fantasmes d’extrême droite et chrétiens-démocrates
Il y a tout juste un an, en novembre 2023, des politiciens du parti AfD ont organisé une rencontre avec d’autres militants d’extrême droite pour discuter d’un « plan directeur » visant à expulser des millions de personnes d’Allemagne. Deux politiciens de la CDU/CSU étaient également présents. Les propositions incluaient même l’expulsion de citoyens allemands naturalisés jugés « encombrants » ou considérés comme « non assimilés ». Ce plan était présidé par Martin Sellner, le chef de file du Mouvement identitaire autrichien, adepte de la théorie du « grand remplacement ». Ce même Sellner avait déjà été invité quelques mois plus tôt par le NSV, l’organisation étudiante du Vlaams Belang, pour s’exprimer à l’Université catholique de Louvain (KUL).
Bien qu’il soit possible d’établir un parallèle avec la situation actuelle aux États-Unis, la réunion susmentionnée a dû se tenir à huis clos. Lorsqu’elle a été révélée par des journalistes en janvier 2024, cela a déclenché des manifestations rassemblant plusieurs centaines de milliers de personnes. Cette situation a contraint l’AfD à faire marche arrière, avec des démentis confirmant sa participation à la réunion tout en niant son adhésion au projet de « remigration » défendu par Sellner.[8] En plus d’une déclaration favorable à la SS émise par un haut responsable de l’AfD, c’est sans doute cette controverse, ainsi que les vastes mobilisations qu’elle a engendrées, qui ont conduit le RN français et les Fratelli d’Italia de Meloni à expulser l’AfD de leur groupe au Parlement européen.
Jusqu’à présent, le cordon sanitaire contre l’AfD reste solide dans les trois Länder de l’Est où se sont déroulées les élections de septembre. En Thuringe, une coalition entre la CDU, le Parti social-démocrate (SPD) et le Bündnis Sahra Wagenknecht (BSW) a été formée, tandis qu’une coalition SPD-BSW a été établie dans le Brandebourg. La Saxe pourrait envisager une coalition minoritaire entre la CDU et le SPD.
Si, en Allemagne, l’AfD ne fera sans doute pas partie du prochain gouvernement fédéral, les chrétiens-démocrates CDU/CSU qui dominent celui-ci s’orientent clairement sur l’AfD. Le 12 juillet dernier les ministres de l’Intérieur des régions appartenant à la CDU/CSU en réunion à Dresde publièrent une déclaration intitulée ‘Créer de la sécurité – pour un changement de cap dans la Politique d’asile.’[9] Les ministres se plaignent du manque de ressources des communes pour intégrer correctement un nombre excessif de réfugiés qui arrivent en Allemagne. Ceci, d’après eux, est en raison du manque d’engagement pour l’accord de Dublin de certains autres États membres de l’UE. Ils dénoncent la croissance de la criminalité violente chez les plus jeunes et réclament des moyens légaux pour permettre une “offensive de rapatriement”. Ils exigent notamment l’expulsion de criminels vers l’Afghanistan, la Syrie et la Libye, la suspension du regroupement familial, l’allongement de la liste des « pays sûrs » et l’externalisation de procédures d’asile vers des États tiers.
Dans les mois suivants, l’opportunité allait se présenter pour pousser un tel changement de cap.
Attaque de Solingen et élections régionales, contrôles aux frontières
Le 24 août, à Solingen en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, une attaque au couteau lors d’un festival fit trois morts et huit blessés. Le crime fut ultérieurement revendiqué par ISIS. L’accusé est un réfugié syrien qui aurait dû déjà être expulsé l’année dernière vers son premier pays d’entrée dans l’UE, la Bulgarie. Cet incident fut fortement instrumentalisé lors des élections régionales de septembre en Thuringe, en Saxe et dans le Brandebourg. Des cris s’élevèrent dans les médias et presque tous les partis politiques réclamant l’application définitive des règles de Dublin, qui, dans la pratique, transfèrent la responsabilité de la majorité des réfugiés aux pays du sud de l’Europe. Le chef de l’opposition allemande Friedrich Merz (CDU) alla jusqu’à suggérer au gouvernement de déclarer l’état d’urgence national si les règles ne pouvaient être appliquées.[10]
À la suite des succès électoraux de l’AfD en Thuringe et en Saxe, le gouvernement fédéral de centre-gauche se pressa à donner écho à la surenchère anti-réfugiée. Il fallait agir pour « lutter contre l’immigration irrégulière et la criminalité transfrontalière ». Ainsi, le 16 septembre, le gouvernement étend les contrôles ponctuels des passeports pour les six prochains mois à toutes les frontières terrestres de l’Allemagne. De tels contrôles avaient déjà été introduits sur la frontière autrichienne durant la “crise migratoire” de 2015. En octobre 2023, ces mesures furent étendues aux frontières polonaises, tchèques et suisses. Désormais, ces contrôles concernent également les frontières françaises, luxembourgeoises, belges, néerlandaises et danoises.
Le système Schengen en danger ?
Bien que d’abord critiquées par de nombreux gouvernements de l’UE, à l’extrême droite, ces mesures sont très appréciées. En Belgique, le Vlaams Belang se félicita que l’introduction de ses mesures, pour lesquelles il affirme avoir longtemps plaidé, démontre que « les esprits en Europe mûrissent ».[11] En Hongrie, Orban, lui, se sent enfin « compris ». Il accueillit ostensiblement les Allemands et leur chancelier dans le club de ceux qui se sont réveillés aux méfaits de l’immigration.[12] Pour Geert Wilders aux Pays-Bas, la conclusion a été : « Si l’Allemagne peut le faire, pourquoi pas nous ? »[13]
Les médias parlent déjà de la fin du système Schengen. Ce qui est certain, c’est que ces contrôles par le plus puissant État de l’UE représentent une accélération de l’effritement du principe fondamental de l’espace Schengen, c’est-à-dire celui d’un espace de libre circulation sans contrôles aux frontières intérieures. Bien que de tels contrôles temporaires aient déjà été présents auparavant, l’initiative allemande a déclenché une nouvelle vague de mesures du même type. Les contrôles aux frontières intérieures sont autorisés par le Code des Frontières Schengen (CFS) comme mesure de dernier recours. Toutefois, de plus en plus, elles sont en train de devenir la règle plutôt que l’exception.
La France a rétabli les contrôles à toutes ses frontières terrestres, aériennes et maritimes avec le Luxembourg, la Belgique, l’Allemagne, la Suisse, l’Espagne et l’Italie pour une durée de six mois à partir du 1ᵉʳ novembre 2024.[14] L’Autriche a également réintroduit des contrôles aux frontières tchèque, hongroise et slovène. Aux Pays-Bas, le gouvernement Wilders a annoncé des contrôles dès la fin de novembre.[15]
La Belgique, où une coalition fédérale nettement plus à droite que la précédente est en cours de négociation, pourrait suivre ses voisins en matière de contrôles aux frontières.[16] C’est notamment le président du MR, Georges-Louis Bouchez, en phase avec sa trajectoire trumpiste, qui prône le renforcement des contrôles aux frontières nationales pour lutter contre l’immigration illégale.
Mesure surtout symbolique
Scholz se félicite déjà de la réduction du flux des réfugiés. Pourtant, au moment de l’introduction des contrôles, les nouvelles arrivées de réfugiés en Allemagne étaient déjà en baisse de 22 % par rapport à la même période en 2023.[17]
En effet, ces contrôles qui se concentrent sur les grandes routes et les autoroutes ne sont pas particulièrement efficaces pour endiguer les flux migratoires. Même des politiciens locaux de la CDU expriment des critiques quant aux inconvénients causés aux citoyens qui traversent la frontière pour travailler ou faire des courses. Dans la Sarre, en moyenne, seul un passage frontalier sur 13 fait l’objet d’un contrôle aléatoire. Certaines critiques de droite suggèrent ainsi qu’au lieu de telles mesures symboliques, il faudrait redoubler les efforts pour sécuriser correctement les frontières extérieures de l’UE. Là, les conséquences mortelles seront moins visibles et ne gêneront pas les électeurs.
Malgré les tendances observées, la fin définitive du système Schengen que représenterait la réintroduction permanente et surtout plus systématique des contrôles aux frontières n’est donc pas assurée. Cela représenterait un coup administratif et économique considérable. De plus, la fin de ce que les citoyens européens considèrent comme l’une des réalisations les plus importantes de l’UE risquerait d’ébranler profondément la confiance dans le projet européen, tant sur le plan politique qu’en termes d’investissements.[18]
Surenchère ; qui saura dissuader les demandeurs d’asile ?
Scholz a déclaré mi-octobre que l’Allemagne devait commencer à expulser « à grande échelle » les migrants qui n’ont pas le droit de rester. Le gouvernement fédéral « feu tricolore » (SPD, Verts et libéraux, FDP) a approuvé le 23 octobre une loi visant à faciliter l’expulsion des demandeurs d’asile déboutés. Elle étend la garde à vue avant expulsion de 10 à 28 jours, autorise les perquisitions résidentielles pour obtenir des documents permettant d’établir l’identité d’une personne et, dans certains cas, supprime l’obligation de notifier à l’avance les expulsions.[19]
Pour les chrétiens-démocrates, ces mesures sont insuffisantes. Ils ont voté contre. Lors de son congrès début octobre, le CSU (chrétiens démocrates de Bavière) s’est déclaré en faveur d’une limite aux requêtes d’asile. Celle-ci devrait être nettement inférieure à 100,000 par an. Les libéraux du FDP, alors encore au gouvernement, voudraient aussi aller plus loin ; de mettre les réfugiés obligés de quitter le pays au régime « Bett, Seife, Brot » (un lit, du savon et du pain).[20] Une coupe de toute aide financière à ceux qui résistent à se faire expulser promet que la misère augmenterait probablement l’insécurité et le recours à la criminalité. Le BSW reproche lui aussi au gouvernement de ne pas être assez conséquent dans sa politique migratoire.
Le SPD et les Verts sont ainsi attaqués depuis la droite. Ils sont accusés de créer de faux espoirs d’une réduction des arrivées de réfugiés et des déportations à grande échelle alors que leurs mesures, surtout symboliques, n’ont aucune chance d’arriver à de tels résultats. D’après le CDU/CSU le contraste entre la rhétorique et la réalité alimente le soutien à l’AfD et au BSW. Les chrétiens démocrates prétendent s’attaquer plus sérieusement au problème, barrant ceci faisant aussi le passage aux extrêmes. Ils prônent ainsi des mesures dites efficaces, par exemple, l’externalisation des procédures d’asile vers des pays tiers sûrs. L’examen de cette mesure avait même déjà été inclus dans le contrat de coalition du gouvernement « feu tricolore ». En trois ans, cet examen n’a toutefois jamais eu lieu. Probablement, cela est-il dû au fait de son impopularité auprès d’une partie de l’électorat « progressiste » ou de gauche.[21]
Externaliser la politique de l’asile
L’Australie a commencé à mettre en place un traitement extraterritorial de l’asile dès 2001. Des demandeurs d’asile furent notamment envoyés à Nauru (2001-2007) puis sur l’île de Manus en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Illégale, selon le droit international, cette approche a causé des conditions de vie terribles pour les réfugiés. Ceci a particulièrement entraîné de nombreux suicides, y compris parmi les enfants. Malgré cela, ou plutôt à cause de cela (à des fins de dissuasion), une majorité de pays de l’UE sont désormais intéressés à suivre la même voie. Peu après le passage du nouveau pacte européen sur les migrations et l’asile de mai 2024, un groupe de 15 États membres dirigé par le Danemark a demandé à la Commission européenne d’examiner une possible sous-traitance de ses demandeurs d’asile.[22] Le futur gouvernement allemand Merz appuiera sans doute une telle démarche.
Le gouvernement de Meloni en Italie a cherché à jouer un rôle de pionnier en fournissant un modèle pour d’autres gouvernements. Le protocole signé entre l’Italie et l’Albanie en 2023 prévoit de confier à l’Albanie le traitement allant jusqu’à 36 000 demandes d’asile par an, soit 3 000 par mois.[23] Les premiers migrants ont été envoyés en Albanie à la mi-octobre, mais le camp de Gjäder reste aujourd’hui vide. Le projet est pour l’instant bloqué par des juges italiens qui ont ordonné à deux reprises le renvoi de demandeurs d’asile en Italie. C’est notamment la très longue liste de pays “sûrs” qui soulève des questions. Les migrants concernés venaient d’Égypte et du Bangladesh. Outre les obstacles juridiques, l’externalisation se heurte à des problèmes de coûts élevés et des difficultés à trouver des pays de « décharge » adaptés. Par ailleurs, l’évolutivité présente un grand problème. Selon les estimations les plus généreuses, le programme Italie-Albanie permettrait de traiter seul un cinquième des migrants traversant actuellement la Méditerranée.[24]
Surtout pas de « largesses » !
Suivant la philosophie « Bett, Seife, Brot », le Bundestag débat aussi présentement de l’introduction d’une carte de paiement destinée aux demandeurs d’asile. 14 des 16 Länder (régions) allemands s’étaient mis d’accord fin 2023 et en avril, le feu vert avait été donné au niveau fédéral. D’abord testée dans quelques petites villes bavaroises, elle a déjà été introduite dans plusieurs régions et communes à travers le pays. Au niveau fédéral, elle devrait arriver avant la fin de l’année. La mesure prévoit que les demandeurs d’asile reçoivent leurs prestations sur une carte à utiliser uniquement dans les magasins locaux et pour payer certains services. L’accès au cash serait limité à 50 euros par mois. Cette politique repose sur la stigmatisation des réfugiés comme recevant des prestations plus que généreuses, ce qui leur permettrait d’envoyer de l’argent à l’étranger. On prétend que cela devrait, entre autres, rendre l’Allemagne moins attractive aux réfugiés.[25]
Une telle approche reflète la trajectoire de la politique migratoire un peu partout sur le continent. En France, notamment, le débat sur la suppression de l’aide médicale d’État (AME), une aide qui assure des soins gratuits aux sans-papiers, ne cesse de refaire surface. Malgré sa valeur non seulement humanitaire, mais aussi de santé publique, la droite traditionnelle soutient largement les efforts du RN pour la supprimer. Quel qu’en soit le prix, réduire les migrants au rang de pestiférés ne peut qu’être utile au discours d’extrême droite.[26]
Maigres alternatives de « gauche » …
Il est inquiétant de constater que la seule force politique qui propose quelque chose qui ressemble quelque peu à une position alternative, Die Linke, a presque disparu de la scène politique. Le BSW, qui s’est séparé de Die Linke et a dépassé celle-ci électoralement et dans le débat public, suit volontiers le glissement général vers la droite sur la question migratoire observé dans l’ensemble du spectre des partis traditionnels.
Depuis sa fondation au début de l’année, le discours migratoire du BSW s’est déplacé encore plus à droite. La devise du BSW « Vernunft und Gerechtigkeit » (raison et justice) sous-entend un appel à ce qui est raisonnable d’après les règles du système. Le raisonnement de Wagenknecht accepte pleinement les prémisses d’un ordre économique où les travailleurs sont obligés de se battre l’un contre l’autre pour les miettes laissées par les patrons, un monde d’États-nations où il faut d’abord s’occuper « des siens ». Wagenknecht exige que la fraude à l’aide sociale soit combattue, près de la moitié des bénéficiaires de l’aide sociale étant des non-citoyens, venus en Allemagne non pas à cause d’un ordre mondial inégal source de conflits impérialistes, mais parce que la politique allemande de migration et d’intégration a échoué. D’après elle, « un État-providence fort ne fonctionne que si tout le monde ne peut pas y immigrer.” L’écrasante majorité des demandeurs d’asile arrivés de “pays tiers sûrs” ne devrait avoir “ni droit à une procédure ni à des prestations”. Les réfugiés reconnus ne devraient avoir droit aux allocations sociales qu’après avoir d’abord cotisé. L’argent économisé devrait être « utilisé pour des retraites plus élevées et de meilleurs soins de santé pour notre propre population ». La politique migratoire du Danemark est notamment pointée comme un exemple à suivre.[27]
Die Linke, désormais beaucoup moins en vue, se positionne plus ou moins correctement dans plusieurs débats autour de la migration. Par rapport à l’extension des contrôles aux frontières, elle décrit particulièrement qu’une « revendication fondamentale de l’extrême droite, vieille de plusieurs décennies, a [ainsi] été satisfaite. Enfin, une reprise des contrôles aux frontières allemandes. Voilà donc le progrès de l’auto-proclamée Coalition du progrès. »[28] Par ailleurs, dans le débat sur les cartes de paiement, Die Linke affirme à juste titre que, loin d’être trop généreuse, l’aide financière que perçoivent les demandeurs d’asile est déjà inférieure au minimum existentiel.
Toutefois, la politique de Die Linke est très loin d’être à la hauteur de ce que devrait être son rôle. Beaucoup de ses positions sont anodines et confuses, en partie le résultat de vastes divergences internes, de quoi décourager les militants engagés dans les luttes. Là où Die Linke a pris part à des gouvernements régionaux, elle a d’ailleurs participé aux expulsions de réfugiés. Sa position sur la cause palestinienne est de loin inférieure à celle du BSW. Dans sa déclaration sur les nouveaux contrôles frontaliers, elle préconise aussi que pour assurer la sécurité, il faut plutôt s’en prendre à l’islamisme. À cette fin, elle prône un mix d’investissements publics et de mesures répressives.
Répression politique ; Israël et son génocide
Même si, en tant que socialistes, nous opposons l’islam politique de droite (par exemple, nous prenons une part active au soutien au mouvement « femmes, vie, liberté « en Iran) et entendons qu’il est nécessaire de combattre ses expressions violentes, nous sommes également extrêmement conscients du danger de donner davantage de pouvoirs répressifs à l’État bourgeois. Les exemples, allant des luttes pour la décolonisation à la « guerre contre le terrorisme », sont légion. Par ailleurs, est-il dangereux de laisser la souveraineté d’interprétation, que cela concerne « l’islamisme » ou d’autres catégories vilipendées, à l’État bourgeois. C’est d’autant plus vrai que cet État est actuellement en prise à une radicalisation dans une direction répressive, raciste et islamophobe.
La position particulièrement répugnante et complicite de l’État allemand à l’égard du génocide à Gaza, même selon les critères de l’impérialisme occidental, est un parfait exemple de ce danger. L’opposition au Sionisme ou tout bonnement aux crimes de l’État d’Israël est assimilée à l’antisémitisme. Tout au plus, l’actuel gouvernement d’extrême droite en Israël peut être critiqué, mais cette critique ne peut jamais s’étendre au système colonial / d’apartheid en tant que tel. Dans le discours officiel, ce « nouvel antisémitisme » se situe surtout auprès de la « gauche radicale » et parmi les musulmans. À ce titre, les militants sont criminalisés et le mouvement de solidarité avec la Palestine se voit privé de son droit de manifester. Ceci donne aussi l’occasion à l’extrême droite, laquelle bien sûr admire l’apartheid et les boucheries coloniales, de se blanchir de sa profonde haine des juifs et de son négationnisme.
Une résolution définissant l’antisémitisme presque exclusivement comme une opposition au sionisme et permettant le refus ou le retrait du financement des chercheurs et des artistes exprimant leur soutien aux droits des Palestiniens a été récemment approuvée par le Bundestag. Seul le BSW a voté contre, tandis que Die Linke s’est honteusement abstenue. Après le vote, l’AfD a félicité les Verts d’avoir enfin compris qu’en Allemagne, les migrants musulmans sont la principale source de l’antisémitisme contemporain.[29]
« Valeurs allemandes »
Selon le récit officiel de l’État allemand, les Juifs en Allemagne, qu’ils aient la citoyenneté israélienne ou non, sont censés exprimer une loyauté inconditionnelle à l’État d’Israël, sous peine d’être réduits au silence. Une récente une du magazine Der Spiegel a notamment identifié l’ambassade d’Israël comme « l’ambassade juive ». Les Juifs ne sont valorisés que dans la mesure où ils font partie du projet sioniste expiatoire, une pierre angulaire de la légitimation de l’État bourgeois allemand.[30] En tant que tels, ils ne peuvent pas véritablement être considérés comme allemands. Ce projet expiatoire est aussi commodément aligné sur l’impérialisme occidental dirigé par les États-Unis. Compte tenu de la réalité géopolitique post-invasion de l’Ukraine, la bourgeoisie allemande s’est vue obligée de redoubler son alignement sur Washington.
Après les attaques du 7 octobre, le ministre allemand de l’Intérieur Faeser et le leader du SPD Klingbeil ont appelé à « l’expulsion des partisans de l’Hamas ». Des propos similaires sont également venus de la CDU, dont le secrétaire général a même appelé à la « révocation » de la citoyenneté allemande. Qui peut faire confiance à ces politiciens pour décider ce qui constitue un soutien de l’Hamas ? De plus, étant donné leur soutien actif au génocide, ils n’ont aucune légitimité pour porter un jugement là où de telles sympathies pourraient exister.
Même si l’expulsion ou la révocation de nationalité pourrait rester exceptionnelle, les refus du séjour permanent ou de la naturalisation pourraient devenir des mesures généralisées.[31] Plus récemment, le ministre de l’Intérieur a déclaré que ceux qui partagent, aiment ou commentent le slogan pro-Palestine « Du fleuve à la mer » sur les réseaux sociaux ne seraient pas éligible d’obtenir la citoyenneté allemande.[32] Ces déclarations ont depuis donné lieu à de nouvelles lois. La nouvelle loi allemande sur la citoyenneté exige que les candidats déclarent leur conviction que l’État d’Israël a le droit d’exister. Un ensemble de lois initialement destinées à simplifier le parcours vers la citoyenneté pour les migrants de première génération a ainsi été reformulé comme une mesure visant à garantir le respect des « valeurs allemandes ».[33] Bien entendu, les cibles implicites de ces lois sont les musulmans.
D’ailleurs, l’Allemagne n’est pas un cas exceptionnel. Aux Pays-Bas, à la suite des émeutes d’Amsterdam en novembre, le gouvernement Wilders cherche à élargir les possibilités du retrait du passeport des Néerlandais ayant la double nationalité. Une telle loi visant des individus accusés de terrorisme, introduite en 2017 et rendue permanente en 2022, pourrait ainsi être étendue à « l’antisémitisme ».[34] Des immigrants de deuxième ou troisième génération pourraient ainsi être menacés d’expulsion du pays.[35]
La politique des partis établis accroît non seulement le racisme systémique, mais alimente également le discours de l’extrême droite, facilitant son ascension et encourageant des groupes violents à passer à l’acte. Une récente enquête par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) a révélé que les musulmans de l’UE ont connu depuis 2016 « une forte augmentation » (voir plus de 39 %) du racisme et de la discrimination dans leur vie quotidienne. Les taux de racisme les plus élevés ont été enregistrés en Allemagne, ainsi qu’en Autriche et en Finlande.[36]
L’Allemagne (et l’Europe) a besoin de migration
Avec l’approfondissement de la crise capitaliste, le système a besoin de l’échappatoire de la haine anti-migrants. C’est ainsi que la surenchère sur ce thème est devenue monnaie courante parmi à peu près tous les partis bourgeois. Pourtant, à ce stade, ceci comporte aussi des risques majeurs. D’une part, en normalisant l’extrême droite, cela peut lui ouvrir une voie vers le pouvoir. De l’autre part, il y a le fait qu’actuellement toutes les économies développées ont un besoin structurel d’immigration pour rester compétitives. Selon les experts, en raison de la baisse de la main-d’œuvre couplée au vieillissement de la population, l’Allemagne a besoin d’une migration annuelle d’environ 400 000 travailleurs qualifiés. Outre les facteurs démographiques, l’immigration contribue également à compenser le manque d’investissement dans des domaines tels que l’éducation. Elle aide aussi à trouver du personnel pour des secteurs dans lesquels la logique du marché et l’austérité ont créé des conditions de travail désastreuses et un niveau de rémunération inacceptable. Des secteurs essentiels, tels celui de la santé et des soins ou encore de l’agriculture, en sont de parfaits exemples. Même en période de récession, le besoin d’immigrants reste donc assez important.[37]
C’est ainsi que les mêmes experts qui prônent l’externalisation des procédures d’asile se soucient aussi de l’impact économique des contrôles aux frontières internes de l’UE et de l’image anti-immigration qui pourrait effrayer de potentiels migrants dont l’économie aurait besoin. La bourgeoisie allemande a déjà fait l’expérience des méfaits d’une rhétorique anti-migrants outrancière. Lors d’une précédente crise structurelle, à savoir au début du mandat du chancelier Gerhard Schröder, le gouvernement visait à recruter 20 000 informaticiens à l’étranger, notamment en Inde. Le slogan de la CDU lors des élections régionales, “Kinder statt Inder” (des enfants plutôt que des Indiens), avait nui à ses efforts.[38] Encore aujourd’hui, l’Allemagne connaît un grand retard dans le secteur de l’IT.
La tension entre les intérêts économiques et la recherche de boucs émissaires est toujours présente. Parallèlement à l’intensification de la rhétorique anti-migrants contre les réfugiés, comme étrangers illégaux, profiteurs et criminels, l’Allemagne simplifie les procédures de citoyenneté. Selon la nouvelle loi introduite en juin, la même qui exige la reconnaissance d’Israël, les étrangers peuvent désormais obtenir la nationalité allemande après cinq ans de résidence dans le pays au lieu de huit ans auparavant. En outre, la nouvelle loi autorise à présent également la multiple citoyenneté, ce qui signifie que les candidats à la naturalisation n’ont plus besoin de renoncer à leur citoyenneté précédente.[39]
Des programmes élaborés visant à discipliner et à expulser les demandeurs d’asile coexistent avec des pratiques de longue date d’un recrutement actif à l’étranger, par exemple aux Balkans pour le travail dans les Ehpad et les maisons de retraite. La bourgeoisie allemande est tout à fait favorable à une approche à l’immigration qu’elle qualifie de « gagnant-gagnant ». Un exemple d’une telle approche furent les accords convenus entre le chancelier allemand et le président kényan William Ruto en septembre. Ces mesures visent à permettre à des Kényans qualifiés de s’installer en Allemagne, tout en facilitant un rapatriement plus rapide des migrants Kényans qui se verraient refuser le droit de séjour.
Jusqu’à présent, l’expérience de gouvernements d’extrême droite encore pragmatiques quant aux besoins du capital pourrait aujourd’hui encore rassurer la bourgeoisie. Tout en cherchant en grande pompe à externaliser les procédures d’asile en Albanie, le gouvernement de Meloni espère, par exemple, faire venir 10 000 infirmières indiennes en Italie en 2025.[40] Cependant, la fenêtre d’Overton s’est déjà déplacée très loin vers la droite et restreint ce que les gouvernements, même sans la participation de l’extrême droite, peuvent faire. Les gouvernements qui vont à contre-courant de la politique de plus en plus dure à l’encontre des migrants sans papiers se font rares. Ainsi, le cas de l’Espagne, qui prévoit d’accorder des permis de séjour et de travail à environ 900 000 sans-papiers au cours des trois prochaines années pour répondre à un besoin croissant de main-d’œuvre, fait désormais figure d’exception.[41] Il n’est pas certain que l’extrême droite au pouvoir dans des États plus puissants comme la France ou l’Allemagne n’agisse pas de manière beaucoup plus décomplexée qu’en Italie, pays plus lourdement endetté et dépendant. De plus, la surenchère anti-migrants pourrait encore devenir incontrôlable face à des crises toujours plus profondes et multiples.
Reconstruire la gauche
L’avenir qui nous est proposé est un avenir dans lequel le prix à payer pour l’exercice de droits démocratiques fondamentaux comme la liberté d’opinion, d’association ou de manifestation sera excessivement élevé pour de larges pans de la population, celle d’origine immigrée, sans parler des demandeurs d’asile. La création de couches de la classe ouvrière qui ne sont tolérées que si elles se conforment à « nos valeurs », c’est-à-dire aux intérêts de la bourgeoisie et de son État, stigmatise également la dissidence parmi les couches qui sont moins à risque. La surenchère droitière sur l’immigration divise, affaiblissant ainsi le potentiel de lutte de la classe ouvrière dans son ensemble.
Cependant, les capitalistes dépendent entièrement de la classe ouvrière, une classe ouvrière de plus en plus diversifiée, de plus en plus issue de l’immigration, pour faire fonctionner leur système. La tendance à la droite n’est inévitable que si le capitalisme reste incontesté, sans qu’aucune alternative systémique réelle et structurée. Une restructuration de la gauche est inévitable, mais c’est une course contre-la-montre.
Face à la crise environnementale existentielle à laquelle l’humanité est confrontée, de nombreux jeunes en Allemagne ont peut-être considéré les Verts comme le moindre mal. Mais face à la fausseté de plus en plus criante de l’écologisme-progressiste moral de ce parti impérialiste libéral, il y a des limites. Une récente scission dans l’organisation de jeunesse des Verts sous le label « Zeit für was Neues » (un temps pour du nouveau) déclare vouloir contribuer à un « parti de gauche fort » avec l’intention de construire une conscience de classe, non pas parmi les « capitalistes verts et les petits-bourgeois », mais parmi la population travailleuse.[42] Quel que soit le résultat de ce réalignement, éventuellement au profit de Die Linke, c’est un signe qui donne espoir que face à une droitisation générale de la politique électoraliste, des changements de conscience sont toujours possibles. Ces changements n’atteindront toutefois l’ampleur nécessaire que s’ils sont l’expression de véritables mouvements de masse en lutte pour un avenir vivable pour tous.
D’après les statistiques de la police allemande (2018-2019) près de 70 % des crimes étaient commis par des ressortissants allemands. Dans les reportages télévisés et les journaux la nationalité des suspects étrangers étaient toutefois mentionnés respectivement 19 et 32 fois plus souvent que leur part statistique.
Une étude sur le cas de la ‘Sächsische Zeitung’ démontre que mentionner systématiquement les origines des criminels augmente la saillance relative de la criminalité des autochtones et réduit ainsi les inquiétudes de ces derniers à l’égard de l’immigration, brisant ainsi le lien implicite entre immigration et criminalité.
[9]Dresdner Erklärung der Innenministerinnen und -minister von CDU/CSU in den Ländern vom 12. Juli 2024: Sicherheit schaffen – für einen Kurswechsel in der Asylpolitik
[18]https://economy-finance.ec.europa.eu/document/download/40321e7d-fa57-4a6b-8047-f208dca5e1a0_en?filename=box3_en.pdf Plusieurs modèles ont été élaborer pour calculer l’impact de telles mesures à l’échelle de l’UE. L’impact sur les travailleurs et les voyageurs transfrontaliers de l’UE, le transport routier de marchandises et l’administration publique pourrait entraîner une perte cumulée du PIB entre 5 à 18 milliards d’euros par an. Il est aussi question d’une augmentation des prix sur les produits importés de 1 à 3%. Selon encore un autre modèle, l’impact négatif sur le PIB dès 2025 serait d’environ 0,2 à 0,5 % pour la zone euro (soit 20 à 55 milliards d’euros).
[37] Ceci a naturellement aussi de lourdes conséquences pour les pays d’Europe de l’Est qui font face à la dépopulation. Même de nombreux pays néo-coloniaux ont aujourd’hui une natalité fortement en baisse. Il y a un exode de main-d’œuvre qualifié des pays néo-coloniaux. Il y a plus d’infirmières d’origine ghanéenne travaillant pour la santé publique en Grande-Bretagne (NHS) qu’il n’y a d’infirmières au Ghana. Voir: Monde Diplomatique, Manière de voir n°194 : Immigration – Avril Mai 2024.
La manifestation et les actions de grève de lundi ont été remarquables. Dans le secteur de l’enseignement néerlandophone, la participation a été phénoménale. Aux chemins de fer aussi, la grève a été très suivie, et beaucoup sont venus manifester. Cela montre la colère que suscite les attaques que l’Arizona veut mettre en œuvre. Nous en avons discuté avec un accompagnateur de train.
La journée d’action a-t-elle été un succès sur votre lieu de travail ?
“Oui, sur de nombreux lieux de travail, en particulier dans les services opérationnels, nous avons des taux de grévistes compris entre 75 et 100 %”.
“En termes d’impact sur le trafic ferroviaire, il s’agit de la plus forte grève depuis l’introduction du service minimum. Moins d’un quart seulement du nombre normal de trains a circulé. Sans que les blocs de signalisation ne soient fermés. Sur certaines lignes, il n’y a tout simplement eu aucun train. La couverture dans la presse bourgeoise est trompeuse ou mensongère”.
“Nous avons été d’une certaine manière victimes de notre propre succès. De nombreux manifestants n’ont pas pu se rendre place de l’Albertine parce qu’ils n’avaient pas de moyen de transport ou parce que leurs enfants étaient à la maison en raison de la fermeture de l’école ou de la crèche. Cela souligne une fois de plus l’importance des services publics”.
“La grève a tout de même renforcé la manifestation. J’estime qu’environ 500 cheminots ont participé à la manifestation. Ca s’est déjà produit au début de ma carrière. Plus de 10 % de mon dépôt s’est également rendu à Bruxelles. D’habitude, seuls quelques militants le font. Beaucoup étaient en grève ou manifestaient pour la première fois. Dans mon dépôt, même la moitié des nouveaux collègues ont fait grève. C’est rare”.
Que signifie l’Arizona pour vous et vos collègues ? S’agit-il uniquement des pensions ?
“Il y a trop de choses à énumérer. Cela signifie travailler plus longtemps pour des centaines d’euros de pensions en moins. Dans le cas du personnel roulant, jusqu’à 12 ans de plus ! La suppression de l’interdiction du travail du dimanche et du travail de nuit à partir de minuit au lieu de 20 heures mettra en danger les primes. En net, pour les accompagnateurs de train par exemple, ce sont des centaines d’euros qui sont dans le collimateur chaque mois. Aujourd’hui, nous conservons 100 % de notre prime forfaitaire pendant les six premiers mois de maladie. L’Arizona veut faire passer ce pourcentage à 60 % après un mois seulement. Il suffit d’avoir subi une intervention chirurgicale importante ou d’être gravement malade. Cela pousse les gens dans la pauvreté !”
“Notre employeur juridique est HR Rail. L’Arizona veut le supprimer. La SNCB et Infrabel vont-elles reprendre notre statut ? Ou est-ce qu’on va nous mettre sous le nez un contrat encore plus mauvais ? Qu’en est-il de l’assurance hospitalisation pour les cheminots actifs et retraités ? On veut supprimer notre mutualité. Le gouvernement a l’argent de notre caisse de solidarité sociale dans le viseur. Et pour affaiblir l’arme qu’est la grève, il veut introduire la réquisition des grévistes”.
Cette manifestation a été une réussite, qu’est-ce qu’il faudrait construire maintenant ?
“Avec le plan de départ, nous aurions probablement été à la tour des pensions avec quelques milliers de militants. La pression de la base pour aller de l’avant était forte. Des préavis de grève ont été déposés aux chemins de fer, à la STIB et dans le secteur de l’enseignement néerlandophone. Cela s’est traduit non seulement par une forte participation dans ces secteurs, mais aussi par leur fermeture en grande partie. La concentration s’est transformée en manifestation. Peu à peu, des préavis de grève ont été déposés, par exemple, à la poste et dans les prisons. Le potentiel de croissance du mouvement est énorme”.
“Dans tous les secteurs nous avons besoin de tracts expliquant concrètement les attaques prévues, de réunions du personnel avec des arrêts de travail pour parler du type d’actions dont nous avons besoin et des exigences que nous formulons à l’égard de l’Arizona. Des grèves mensuelles de 24 heures ne suffiront pas.”
“L’âge légal de la pension est déjà trop élevé. La plupart des pensions sont trop faibles. De nombreux métiers sont pénibles sans possibilité de pension anticipée. Il faut répondre au soi-disant besoin d’austérité budgétaire. Par exemple en pointant du doigt les réductions de l’impôt sur les sociétés qui nous privent de 16 milliards d’euros par an. Et en surmontant les divisions entre les fonctionnaires, les petits indépendants et les employés du privé.”
Réaction de la délégation CGSP aux allégations d’une attaque des services de police par les pompiers
Les récents communiqués de presse accusant nos pompiers d’avoir attaqué la police avec du gaz lacrymogène et causé des blessures à plusieurs agents sont d’une extrême gravité. Ces allégations, relayées rapidement portent atteinte à l’honneur et à l’intégrité de notre profession. Des images ont été diffusées.
Nos collègues pompiers ne sont ni armés, ni équipés de casques ou d’équipements similaires à ceux des forces de l’ordre. Les faits dont nous avons pris connaissance par les vidéos diffusées montrent clairement un pompier isolé projeté au sol puis durement immobilisé par plusieurs policiers. Des collègues inquiets de l’état de l’homme au sol ont tenté de lui porter assistance.
Nous dénonçons fermement ces accusations visiblement non fondées et déplorons une vision unilatérale, sans interroger la réaction policière. Un pompier (qui avait peut-être dépassé le cordon policier de quelques centimètres ?) a, d’après les images mises en ligne, été frappé et projeté au sol.
L’usage d’un « peper-spray » est attesté également, mais il est dans les mains d’un policier. Les policiers ne portent pas de masque et l’estimation raisonnable est que le spray qui a incommodé ses collègues était tenu par un policier.
Une fois ces faits confirmés, il conviendrait de :
1. La Police diffuse un rectificatif adéquat
2. La direction diffuse un rectificatif adéquat.
La délégation interroge la direction sur la façon dont elle aborde « l’information » reçue. Est-il adéquat de réagir très rapidement alors qu’une situation peut demander la prise de connaissance de quelques informations. Le sentiment transmis par l’ensemble de nos collègues est que vos agents opérationnels sont considérés en tort par défaut. « On verra bien s’ils peuvent prouver qu’ils sont innocents ! »
On peut pourtant se poser la question d’emblée. On communique que 3 ou 4 Pompiers fous (armés de peper sprays, mais sans aucunes protections) ont décidé de charger seuls des policiers casqués, équipés de matraques, de boucliers, de peper sprays et présents en surnombre. A l’issue de cette attaque, quatre policiers sont blessés ! C’est surprenant déjà à la lecture.
Si nous nous limitons à l’information du communiqué, on peut supposer qu’aucun pompier n’a subi la moindre lésion… C’est plus que surprenant au vu du rapport de force établi et de la projection à laquelle nous assistons.
Il est urgent d’entamer un dialogue respectueux et constructif pour restaurer un climat serein. Si dépasser la zone de manifestation prévue n’est pas autorisé (à condition que ce soit le cas), il nous parait difficilement concevable que cette situation justifie la projection spectaculaire au sol à laquelle nous avons assisté. Les autres collègues présents ont les mains ouvertes, devant eux pour éviter un mauvais coup et tente de relever leur collègue pour lui venir en aide. Ils sont visiblement stressés mais sans gestes agressifs. Le pompier projeté est probablement la seule personne chez qui on puisse spontanément craindre des blessures lorsqu’on visionne les images diffusées.
Nous attendons une réaction de la part de la direction,
« Les ingrédients qui sont au buffet c’est avec ça qu’on va cuisiner », dit De Wever sans être contredit par les autres partis de l’Arizona. Nous savons ce qui nous attend : « l’austérité la plus sévère depuis les années 1980 » qui veut nous faire travailler plus longtemps, nous imposer plus de flexibilité, attaquer les salaires, réduire fortement les pensions des fonctionnaires et restreindre l’accès à la pension minimum, s’attaquer aux chômeurs et aux malades, saper notre force d’organisation et notre droit de manifester. Un buffet qui sera amer pour la classe ouvrière !
Ces mesures ne sont pas prises parce qu’il n’y a « pas d’autre solution », mais parce qu’après des années de bénéfices records, les grandes entreprises veulent nous faire payer le prix de la transition écologique et des tensions géopolitiques. Leur système de production est à l’origine du ralentissement économique, mais ils veulent nous en faire payer le coût !
Il y a des milliards dans les paradis fiscaux, les gros actionnaires se réjouissent d’être encore plus choyés, des milliards sont disponibles pour la guerre et la destruction, mais nous devrions assainir parce qu’il n’y a pas d’autre moyen ! Georges-Louis Bouchez a déclaré lors de la réception du Nouvel An de son parti : « Les réformes que nous voulons ne vont pas faire mal, elles vont faire la vertu. » « Le paradis des riches est fait de l’enfer des pauvres », disait déjà Victor Hugo.
Que faire ?
Il faut des actions, mais aussi de la stratégie. Après l’action du 13 décembre, aujourd’hui ce n’est pas seulement une manifestation, mais une grève des chemins de fer et de l’enseignement, maintenant aussi du côté néerlandophone. Et ce, avant même que le gouvernement fédéral ne soit formé ! Cela montre la colère et la volonté d’agir. Nous sommes plus forts avec un plan d’action qui active la force de nos collègues. Un plan qui indique clairement dans chaque lieu de travail ce que De Wever et Bouchez nous réservent comme pourriture et ce que nous devons faire pour la contrer.
Avec quel ‘buffet’ d’actions pourrions-nous riposter : journaux d’information accessibles, webinaire, page spéciale sur les réseaux sociaux, mais surtout convaincre les collègues, les ami.e.s, collectivement et individuellement, assemblées du personnel, assemblées des militant.es. par secteur et/ou région, manifestations locales, grandes manifestations nationales, journées de grève provinciales et/ou sectorielles, journées de grève nationale. La pression et l’organisation de la base à travers des assemblées générales d’entreprise ou des assemblées régionales sont nécessaires pour éviter que la direction du syndicat ne décide seule des actions. Les assemblées de lutte et des réseaux de syndicalistes combatifs peuvent y contribuer.
Nous sommes à un tournant : la bourgeoisie tente d’assurer sa propre position. Depuis 2014, il y a eu de nombreux mouvements, notamment contre le racisme et le sexisme, pour le climat et contre le génocide. Une nouvelle génération d’activistes est en train d’émerger. Le mouvement syndical peut tirer des enseignements de ces mouvements et transposer ces expériences sur le lieu de travail. La droite parle de « guerres culturelles », mais elle mène une guerre contre notre classe sociale. Nous devons y répondre par des luttes adaptées aux enjeux. Les luttes se renforcent mutuellement. Les comités d’action et de mobilisation ouverts contre l’Arizona, comme celui mis en place à Bruxelles par Commune Colère, sont d’excellentes initiatives et méritent d’être suivis.
L’attaque contre nos conditions de travail et de vie s’est accompagnée d’une augmentation de l’autoritarisme (contre le droit de protester et de s’organiser), d’une accentuation de la militarisation avec des investissements dans la défense, et d’un accroissement de la division de notre classe sociale particulièrement à l’aide du racisme et de la transphobie. L’Arizona prépare une augmentation de la répression et un soutien continu au génocide en Palestine. De Wever et Bouchez sont des partisans déclarés du colonialisme sioniste et du génocide. La lutte contre cela est une partie essentielle de l’opposition à l’Arizona. Une manifestation nationale pour la Palestine aura lieu le 26 janvier, n’hésitez pas à y participer avec des collègues ou des amis !
CALENDRIER D’ACTION
26 janvier : manifestation nationale contre le génocide en Palestine
8 mars : actions dans le cadre de la Journée internationale des droits des femmes
Le 7 janvier, 120 personnes ont participé à une assemblée de lutte à Bruxelles, dont de nombreux jeunes et nouveaux militants. L’objectif est de renforcer et de coordonner les luttes de chacun.e. Des appels sont lancés pour renforcer les piquets de grève de l’enseignement francophone à la fin du mois de janvier.
Plan d’urgence sociale
Pas d’attaques, mais des pensions plus élevées et une baisse de l’âge de la retraite !
Notre point de départ est ce dont la classe travailleuse a besoin pour vivre décemment.
Des conditions de travail réalistes grâce à des réductions collectives du temps de travail sans perte de salaire et avec des embauches supplémentaires pour réduire la charge de travail. Faire de la semaine de 32 heures le nouveau temps plein, avec un salaire à temps plein. Un travail faisable signifie également ne pas travailler jusqu’à l’épuisement. Travailler jusqu’à 67 ans n’est pas possible. La pension doit être ramenée à 60 ans ! Préservons les RCC, le crédit-temps fin de carrière et le crédit-temps !
Nous devrions pouvoir vivre d’une pension. Dans une maison de repos, on paie en moyenne 2200 euros, une pension minimale de 1500 euros n’est donc pas suffisante. Il faut revaloriser toutes les pensions, la pension minimale doit être plus accessible à tous, et en même temps développer drastiquement les soins publics aux personnes âgées pour faire baisser les prix. Non à l’attaque sur les retraites des fonctionnaires, généraliser au contraire ces retraites à tou.te.s les travailleur.se.s !
Défendez nos services publics et nos salaires !
Un plan massif d’investissement public dans les services publics est nécessaire non seulement pour réduire la charge de travail dans le secteur, mais aussi pour développer les services.
Pour joindre les deux bouts, nous avons besoin de salaires et des allocations sociales plus élevés. Il ne faut pas jouer avec l’indice, mais le rétablir pleinement pour que les salaires suivent l’augmentation des prix. Nous devenons plus productifs, mais cela ne se traduit pas par une augmentation des salaires. Brisez la loi sur les salaires ! Des salaires et des allocations plus élevés devraient soutenir notre pouvoir d’achat. Non au gel des salaires pendant quatre ans !
Reprendre contrôle sur notre industrie
Il Laissons-nous notre industrie aux actionnaires et aux PDG qui, aujourd’hui, jettent la main-d’œuvre à la poubelle et liquident le savoir-faire technique ? Il faut un plan national public pour le maintien et le développement de la production industrielle et des emplois qui l’accompagnent (sans concessions sur les salaires et les conditions de travail). Les personnes qui travaillent dans ces secteurs et la population dans son ensemble sont les mieux placées pour déterminer les besoins, y compris un cadre de vie qui ne passe pas de l’inondation à l’ouragan et à l’incendie de forêt ; ce sont aussi les personnes qui savent le mieux comment tout produire.
Il faut un plan d’urgence sociale. En construisant notre relation de force, nous avons besoin de ce plan d’urgence sociale et, par nos actions, nous pouvons créer les conditions pour le mettre en œuvre efficacement. En ce qui nous concerne, cela signifie que tout le système capitaliste doit disparaître pour laisser place à quelque chose de beaucoup plus démocratique : une société socialiste dans laquelle l’économie est planifiée démocratiquement pour le bien des personnes et de la planète.
Venez aux assemblées de lutte des syndicalistes, antiracistes, féministes… à Bruxelles. Suivez nos médias (journal, site, médias sociaux), contactez-nous pour devenir actif dans la lutte pour le changement de société socialiste.
Dans ce cinquième épisode de “Marx, la lutte et nous”, nous plongeons au cœur de l’un des événements les plus marquants de l’histoire révolutionnaire : la Commune de Paris. Nous explorerons les origines de ce soulèvement populaire, ses principaux acteurs et les idéaux qui ont animé cette période tumultueuse de 1871.
Pour enrichir notre discussion, nous avons l’honneur d’accueillir Sixtine Van Outryve, chercheuse spécialiste de la démocratie. Avec elle, nous mettrons en lumière le rôle crucial des femmes dans la Commune de Paris.
Début octobre, nous avons publié la première partie d’un dossier sur la situation politique et sociale en Allemagne.Cette deuxième partie se concentre principalement sur la discussion concernant la migration mais, étant donné le temps écoulé depuis le mois d’octobre, nous tenons tout d’abord à faire le point sur l’évolution de la crise politique en Allemagne.
Le 6 novembre, le chancelier allemand Olaf Scholz a limogé son ministre des Finances Christian Lindner du parti (ultra)-libéral FDP. Avec la démission de trois autres ministres libéraux, ceci a entraîné la chute de la coalition ‘feu tricolore’ (Ampel-Koalition) composée du Parti social-démocrates (SPD), du Parti libéral-démocrate (FDP) et de l’Alliance 90 / Les Verts. Ce qui resta fut un gouvernement minoritaire SPD et Vert. Comme prévu, le 16 décembre, le gouvernement a perdu le vote de confiance auquel il avait été contraint de se soumettre au Bundestag. Des élections législatives anticipées auront lieu le 23 février, sept mois plus tôt que la date prévue pour les élections fédérales.
Scholz avait d’abord essayé de repousser le vote de confiance et les élections à une date ultérieure, respectivement le 15 janvier et en mars. Cette proposition avait été rejetée autant par les partis d’opposition, notamment les chrétiens-démocrates, largement donnés comme gagnants lors des prochaines élections, que par l’opinion publique.[i] La coalition minoritaire espérait encore faire passer des projets de loi sur base de majorités parlementaires bricolées, mais ceci était voué à l’échec.
La coalition fédérale était surtout divisée concernant la manière de répondre à la crise économique. Il ne s’agit ici pas d’une crise passagère, mais d’une crise de l’ensemble du modèle allemand des dernières décennies (voir l’article lié ci-dessus).
La coalition fédérale était extrêmement impopulaire. Le FDP risque même de passer sous le seuil électoral de 5 %. N’ayant rien à perdre, il semble que Lindner ait décidé de saborder la coalition tout en ralliant sa base à travers une adhésion absolue à la « Schuldenbremse » (frein à l’endettement, limitation des dépenses). Lindner propose des coupes budgétaires (réduction des prestations sociales), de s’attaquer aux objectifs environnementaux (fin à l’élimination progressive du charbon, fin aux subventions aux énergies renouvelables, l’introduction de la fracturation hydraulique pour obtenir du gaz allemand), tout en prévoyant des cadeaux aux entreprises et aux riches sous forme de réductions d’impôts et d’un gel des « entraves bureaucratiques » (comme la limitation des heures de travail). Cette approche est accueillie avec des applaudissements par les chrétiens-démocrates.[ii]
Le SPD et les Verts, de leurs côtés préfèrent aider le capital allemand à sortir de la crise en gardant une certaine flexibilité budgétaire pour des dépenses ciblées, tel que des tarifs préférentiels pour l’électricité industrielle ou des primes à la casse en faveur des voitures électriques.
Chose assez incroyable, la coalition ‘feu tricolore’ a été la première coalition tripartite en Allemagne depuis la deuxième guerre mondiale. Avant 2021, un ou deux partis suffisaient toujours pour former un gouvernement. Cela montre à quel point l’Allemagne jouissait d’une stabilité relative par rapport à une grande partie du continent.
Avec la crise du modèle allemand, l’Allemagne rattrape rapidement son retard en termes d’instabilité. Alors que les chrétiens-démocrates CDU/CSU sont en tête dans les sondages, le FDP, s’il survit aux élections, sera trop faible pour former un gouvernement de centre-droit avec ceux-ci. Le CDU/CSU devra former une coalition avec le SPD ou l’AfD, actuellement en troisième et en deuxième position respectivement dans les sondages. Avec le SPD, cela pourrait s’avérer difficile en raison des différences de stratégie face à la crise, tandis qu’une coalition avec l’AfD paraît encore peu probable à ce stade, surtout au niveau fédéral, en raison du manque de retenue tactique de l’extrême droite.
La chute du gouvernement et l’élection de Trump, qui promet d’augmenter les tarifs douaniers contre ses alliés européens, ont encore davantage miné la confiance économique. L’économie allemande, dépendante des exportations, est fort vulnérable à une guerre commerciale entre les États-Unis et l’UE. D’ici 2027 et 2028, cela pourrait représenter une contraction de 1,5 %. L’économie allemande devrait se contracter pour la deuxième année consécutive en 2024, et une stagnation ou une contraction est probable pour 2025. Il s’agira alors de la plus longue période sans croissance économique depuis la réunification en 1990.[iii]
C’est dans ce contexte que se dérouleront les prochaines élections et que des débats auront également lieu sur, entre autres, les problèmes économiques et les tentatives de les lier à la migration.
Article traduit d’une publication de notre projet international revolutionarymarxism.com le 9 décembre 2024
La dictature brutale d’Assad, qui dure depuis plus d’un demi-siècle, est tombée en Syrie. Des milliers et des milliers de prisonnier.e.s politiques ont pu retrouver leur famille, souvent après des années pendant lesquelles on les croyait mort.e.s. Des millions d’autres personnes déplacées à l’intérieur du pays se réjouissent de retrouver leur famille. La perte de l’emprise de la peur sur les gens a été visible dans les rues de Syrie et dans la diaspora.
Alors que l’euphorie retombe, beaucoup s’inquiètent de ce que l’avenir leur réserve, espérant prudemment que la tragédie de l’écrasement de la révolution syrienne est désormais terminée. Bien que beaucoup de choses ne soient pas encore claires, l’histoire montre que cela nécessitera une reconstruction décisive d’organisations de travailleur.euse.s authentiques et politiques en tant que force de masse, armée des leçons de 2011, et capable de présenter une véritable alternative au Hayat Tahrir al-Sham (HTS), à toutes les forces réactionnaires et aux puissances impérialistes : la construction d’une société véritablement libre, démocratique et juste nécessite l’unité des masses ouvrières et pauvres de Syrie pour lutter contre toutes les formes de sectarisme et d’oppression, et porter la révolution au niveau du renversement de la dictature économique du capitalisme et de ses divers représentants impérialistes.
Le régime détesté du dictateur Bachar al-Assad s’est effondré de manière spectaculaire lorsque les forces militaires de la coalition dirigée par le HTS ont balayé les villes d’Alep, de Hama, de Homs avant d’entrer dans Damas, au cours d’une offensive éclair qui n’a duré que onze jours. En chemin, les forces militaires du régime ont semblé se volatiliser. À Damas, les foules ont scandé « Assad est parti, Homs est libre ». Toutefois, malgré le soulagement et la jubilation, certains secteurs de la population syrienne ont des craintes et des inquiétudes quant à la suite des événements. Les zones autonomes du Kurdistan syrien sont déjà frappées par des attaques soutenues par les Turcs, et l’approche des nouveaux dirigeants à l’égard des droits des Kurdes et des femmes sera révélatrice de ce qui les attend.
Dans de nombreux endroits, les forces d’opposition armées semblent avoir été accueillies par des partisan.e.s enthousiastes et n’ont rencontré que peu ou pas de résistance civile ou militaire. Une fois entrées à Damas, elles ont libéré les prisonnier.e.s détenu.e.s dans la tristement célèbre prison militaire de Sednaya, théâtre d’horribles tortures infligées aux partisans de l’opposition par les hommes de main d’Assad. L’ambassade d’Iran, considérée comme un soutien essentiel du régime, a été saccagée, tandis que les combattant.e.s du HTS sont entré.e.s dans le palais présidentiel, se photographiant assis derrière le bureau d’Assad.
Certain.e.s des millions de Syrien.ne.s qui avaient été contraint.e.s de fuir à l’étranger pour échapper au régime brutal seraient déjà de retour. Dans le même temps, les forces de droite et d’extrême droite profitent cyniquement de l’occasion pour faire avancer leur programme raciste. L’Allemagne, l’Autriche, la Grèce et Chypre ont déjà suspendu les demandes d’asile en provenance de Syrie et des menaces d’expulsion de réfugié.e.s se trouvent déjà en Allemagne. Les Syrien.ne.s et tous.tes les réfugié.e.s doivent se voir garantir le droit volontaire de retourner ou de rester dans leur nouveau lieu de résidence avec tous les droits et sans discrimination.
Les ambassades syriennes à Istanbul, Athènes et même Moscou arborent le drapeau de l’opposition. Les pays voisins renforcent leurs frontières. L’armée libanaise a envoyé des unités militaires pour « protéger » ses frontières nord et est, tandis que les forces de « défense » israéliennes ont envoyé des troupes et des chars au-delà de la « zone tampon » du plateau du Golan occupé, marquant la première entrée d’Israël en territoire syrien officiel depuis 1973. Selon le journal israélien « Maariv », les FDI ont tiré sur le village de Barika, dans la zone tampon, afin d’éloigner les militant.e.s de la frontière.
M. Assad a quitté Damas à bord d’un avion russe Iliouchine qui a ensuite été vu en train de voler à très basse altitude avant de disparaître des radars, une manœuvre visant apparemment à dissimuler sa fuite. Des sources du régime russe confirment aujourd’hui qu’Assad et sa famille se trouvent à Moscou et ont obtenu l’asile politique.
Le pouvoir, selon la déclaration du commandant du HTS al-Julani, a été remis temporairement au Premier ministre en exercice al-Jalali, qui supervisera toutes les institutions de l’État jusqu’à la passation officielle des pouvoirs. Dans les premières émissions diffusées à la télévision syrienne, l’opposition a annoncé avec joie que « nous avons gagné le pari et renversé le régime criminel d’Assad ». Pourtant, malgré toute sa rhétorique sur la libération du pays du régime d’Assad, il semble que le HTS soit déjà prêt à collaborer avec un Premier ministre nommé par Assad afin d’assurer une transition « ordonnée » au sommet de l’État. Cela devrait être un avertissement que le HTS préférerait ne pas permettre au peuple syrien de façonner son propre avenir.
Al-Julani s’efforce manifestement de projeter l’image d’un homme d’État civil et acceptable pour l’Occident – en d’autres termes, il signale qu’il peut offrir une paire de mains fiables pour établir un nouvel ordre dans le cadre des tensions inter-impérialistes. Ses prêches de tolérance pour tous les groupes ethniques et religieux et de « non-revanche » représenteraient, s’ils étaient mis en pratique, un répit bienvenu. Mais certaines des contradictions inhérentes aux manœuvres et aux accommodements entre les puissances impérialistes et régionales sont déjà visibles dans les attaques turques contre les zones autonomes du Kurdistan syrien. Et le bilan du HTS au pouvoir dans la province d’Idlib laisse entrevoir le risque d’un régime oppressif, de droite et fondamentaliste, à moins que les travailleur.euse.s et les pauvres ne s’organisent pour s’assurer que cela ne se produise pas.
Qui était Assad ?
Le parti Baas (le parti Baas arabe « socialiste ») est arrivé au pouvoir pour la première fois à la suite de la révolution du 8 mars 1963, qui s’apparentait davantage à un coup d’État militaire, même si elle bénéficiait d’un soutien populaire. À cette époque, les masses de nombreux pays du monde, dont les économies avaient été exploitées par des décennies de domination impérialiste, s’efforçaient de parvenir à une révolution. En l’absence de forces révolutionnaires de masse véritablement à gauche, des couches de l’armée, s’appuyant sur le soutien de l’URSS, se sont emparées du pouvoir. Le régime policier à parti unique qui en a résulté a utilisé les méthodes autoritaires de la bureaucratie soviétique pour garder le contrôle, mais a acquis une certaine autorité grâce à la nationalisation de l’économie et à l’amélioration du niveau de vie.
Le père de Bachar al-Assad, Hafez al-Assad, qui avait participé activement au coup d’État de 1963, a été en 1966 l’un des principaux instigateurs d’un nouveau coup d’État au sein de l’élite dirigeante, puis d’un troisième en 1970, qui l’a laissé à la présidence. Toujours adossé à l’URSS, il s’est montré plus « pragmatique » dans sa relation avec la propriété privée, en sapant les avantages de la planification étatique et en introduisant une division sectaire selon des lignes religieuses dans la structure de l’État. Après sa mort en 2000, son fils Bashar lui a succédé.
L’effondrement de l’URSS en 1991 a vu Hafez ouvrir la Syrie au capitalisme mondial, un processus qui s’est intensifié sous Bashar. La privatisation des biens de l’État, l’austérité, le chômage de masse et les terribles inégalités, combinés à une accumulation rapide de richesses entre les mains de la famille régnante et d’un cercle étroit d’élites liées au régime, ont alimenté un mécontentement de masse qui a contribué à la révolte en Syrie en 2011, dans le cadre de la vague de soulèvements révolutionnaires qui s’est propagée à travers l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient.
Bien que Bashar ne jouisse pas du même degré d’autorité personnelle que son père, en 2011, il a conservé la loyauté des principales institutions du régime, qui ont joué un rôle déterminant dans l’orchestration d’une répression brutale du soulèvement. Cette répression a pris une tournure de plus en plus sectaire, avec l’utilisation de forces dominées par les alaouites contre les zones d’opposition majoritairement sunnites.
La révolution de 2011 n’a pas manqué d’engagement héroïque ni de soutien de masse, même si, en raison de l’exploitation de longue date par le régime des divisions sectaires à travers la peur et les réseaux de patronage, ce soutien n’a pas été uniforme dans les différentes communautés. Mais la conclure victorieusement aurait nécessité le renversement du régime Assad, le démantèlement de toutes ses institutions répressives, l’expulsion de toutes les forces impérialistes de Syrie et le remplacement de l’exploitation capitaliste par une planification socialiste, gérée par des structures démocratiquement élues réunissant la classe ouvrière et les pauvres de tous les groupes ethniques, de tous les sexes et genres, et de toutes les confessions.
Mais aucune force politique, même à petite échelle, n’a articulé un tel programme. Les syndicats, pour leur part, n’ont pas joué un rôle significatif dans l’opposition, car ils ont été soit écrasés, soit absorbés dans l’appareil d’État au fil des décennies. La Fédération générale des syndicats syriens (SGFTU), le principal organe « syndical » du pays, a fonctionné comme un bras armé du régime, étouffant la possibilité pour le mouvement ouvrier de jouer un rôle indépendant dans le soulèvement.
Au lieu de cela, le pouvoir est resté entre les mains de l’élite corrompue d’Assad. Le pays a sombré dans la guerre civile, avec l’intervention de différentes forces impérialistes (turques, américaines, russes, iraniennes et autres) et religieuses qui ont vu le régime recourir à une violence brutale contre les masses, y compris l’utilisation d’armes chimiques. La guerre a fait plus d’un demi-million de morts et a entraîné la plus grande crise de déplacement de l’histoire, avec plus de 13 millions de Syrien.ne.s – plus de la moitié de la population d’avant-guerre – qui ont été déplacé.e.s de force, à l’intérieur du pays ou à l’étranger.
Au départ, l’« Armée syrienne libre » (ASL) a été formée par une section d’officiers de l’armée ayant fait défection et sympathisant avec l’opposition. Dès le départ, elle ne disposait pas d’une structure de commandement unifiée et s’apparentait davantage à un ensemble hétéroclite de divers groupes armés qu’à une armée centralisée. Elle appelait au renversement d’Assad et à la transition vers un régime démocratique pluraliste. Cependant, sa stratégie n’avait rien en commun avec une véritable révolution sociale. Au lieu de cela, il tentait d’utiliser des tactiques de guérilla pour saper le régime, en s’appuyant sur l’aide des puissances occidentales et régionales pour mener ses campagnes. L’Occident avait cependant ses propres intérêts.
L’intervention de l’Iran, qui utilise ses militants pour soutenir le régime, ainsi que le soutien financier et militaire apporté aux groupes armés islamistes par des régimes sunnites tels que l’Arabie saoudite et le Qatar, ainsi que par la Turquie, ont accentué les divisions confessionnelles au sein du pays, tandis que l’Armée syrienne libre voyait sa position s’affaiblir. La guerre civile a de plus en plus dégénéré en un conflit multisectoriel entre différentes milices soutenant les intérêts de puissances impérialistes concurrentes et/ou contrôlées par des fondamentalistes religieux.
L’intervention militaire de la Russie à partir de septembre 2015 visait ostensiblement à aider à combattre l’« État islamique » (Daesh), mais elle était principalement dirigée contre les forces de l’ASF soutenues par l’impérialisme américain et a joué le rôle fondamental de soutien au régime d’Assad. Sans le soutien de la Russie et de l’Iran, le régime baasiste se serait effondré depuis longtemps.
Selon une analyse de la publication « Syria direct », l’économie est en chute libre depuis 2011. La livre syrienne a perdu 99,64 % de sa valeur par rapport au dollar et l’effondrement s’est accentué ces dernières années. L’impression d’un billet de banque coûte désormais plus cher que sa valeur réelle. Jusqu’à 90 % de la population vit dans la pauvreté, dépendant généralement des envois de fonds de leurs proches travaillant à l’étranger pour survivre. Les politiques inhumaines des gouvernements occidentaux à l’égard des réfugiés syriens n’ont rien fait pour aider la population, tandis que les sanctions occidentales n’ont réussi qu’à aider Assad à construire un réseau serré de copains corrompus autour de son cercle intérieur.
Comment expliquer la victoire rapide du HTS ?
La victoire rapide de HTS ne peut s’expliquer par des facteurs purement nationaux. Alors que le monde a les yeux rivés sur Gaza et l’Ukraine, l’effet de ces conflits, qui a conduit à l’affaiblissement spectaculaire de la position d’Assad, est passé presque inaperçu.
Le Hezbollah, agissant en partie dans son propre intérêt, mais aussi au nom du régime iranien, a joué un rôle déterminant dans le soutien apporté au régime d’Assad, en particulier dans son conflit avec les forces de Daesh. Maintenant que le Hezbollah a reçu de sérieux coups militaires de la part des FDI, décapitant ses dirigeants et perdant une grande partie de son équipement, il n’a pas été en mesure d’intervenir pour soutenir Assad comme il l’a fait dans le passé.
Dans le même temps, le Kremlin a retiré ses forces de Syrie et les a détournées vers l’Est de l’Ukraine et Koursk, où il rencontrait des difficultés. Assad s’est donc retrouvé privé du soutien de deux éléments clés de sa puissance militaire, sans lesquels il aurait été déposé il y a quelques années. Les frappes aériennes répétées d’Israël sur les installations iraniennes en Syrie ont contribué à diminuer la capacité de l’Iran à soutenir les forces d’Assad.
Alors que les États-Unis semblent avoir été pris au dépourvu par ce succès rapide, le régime turc a saisi l’occasion offerte par les faiblesses du Hezbollah et de la Russie pour pousser le HTS à poursuivre son avancée. Il l’a fait en partie dans le but d’affaiblir le régime syrien et de faire pression sur lui après l’échec de leurs pourparlers de normalisation, de procéder au rapatriement forcé de millions de réfugié.e.s syrien.ne.s en Syrie et, ce qui est probablement le plus important, de lui permettre de prendre de nouvelles mesures contre les régions autonomes du Kurdistan syrien dans le nord du pays.
À l’heure où nous écrivons ces lignes, de violents combats entre l’ANS (Armée nationale syrienne, elle-même composée de plusieurs factions différentes dont certaines sont très proches du régime turc et qui ont combattu pour les intérêts militaires turcs également « en dehors de la Syrie, notamment en Azerbaïdjan, en Libye et au Niger ») soutenue par la Turquie et les milices kurdes locales sont signalés à Manbij. Selon le réseau de communication indépendant « Bianet », l’ANS a été soutenue par « un bombardement terrestre intensif des forces armées turques ». La vulnérabilité renouvelée et déchirante des Kurdes, suivie avec anxiété par des millions de personnes qui craignent que Kobané ne soit la prochaine cible, souligne une fois de plus le cadeau empoisonné que représente le fait de compter sur les manœuvres entre des puissances impérialistes concurrentes.
Par ailleurs, le régime d’Assad s’est avéré n’être qu’une coquille vide. De nombreux rapports indiquent que son armée a simplement déposé les armes face à l’avancée du HTS, et lorsqu’il est arrivé à Damas, la hiérarchie de l’armée n’a même pas essayé de résister. L’armée syrienne a simplement abandonné son équipement – les combattants du HTS ont pris des photos assis dans les cockpits des avions de chasse laissés sur place. Ailleurs, des soldats sont montrés marchant sur la route en vêtements civils, leurs uniformes militaires étant simplement laissés en tas sur le sol.
Assad a trouvé si peu de soutien parmi la population, alliés et opposants confondus, qu’il s’est retrouvé isolé ces derniers jours. Il a demandé de l’aide aux Russes, qui ont répondu qu’ils n’avaient pas les moyens de le faire. Malgré les promesses publiques de soutien au régime d’Assad par le régime iranien, ce dernier a commencé dès vendredi à évacuer ses forces militaires sur le terrain, y compris les hauts commandants de la Force Qods, abandonnant de fait Assad à son sort. Il a apparemment demandé indirectement de l’aide à Trump, qui lui a tourné le dos. Il a proposé de négocier avec les HTS, mais ceux-ci n’en ont pas vu l’utilité. Même dans la ville alaouite de Qardaha, ville d’origine de la famille al-Assad, la foule a détruit les statues de son père.
Qui est Hayat Tahrir al-Sham ?
Hayat Tahrir al-Sham – Organisation pour la libération du Levant – est plutôt un regroupement de milices armées. Son chef, Abu Mohammed al-Julani, était un partisan de Daesh après 2011, chargé de mettre sur pied Jabhat al-Nusra pour lutter en faveur de l’instauration d’un État islamique en Syrie. Selon Al-Jazeera, al Julani s’est ensuite séparé de Daesh, a prêté allégeance à Al-Qaïda, puis a rejeté Al-Qaïda en 2017 pour former HTS. Cette décision s’est accompagnée d’un changement d’objectifs, passant de la lutte pour l’établissement d’un califat à la « libération » de la Syrie du régime d’Assad et à la mise en place d’une république islamique nationale.
Le HTS est devenu une force sérieuse, parmi les milices les plus puissantes combattant en Syrie, après la reprise d’Alep en 2016 par les forces d’Assad soutenues par la puissance aérienne russe. De nombreux combattants de l’opposition fuyant Alep se sont retrouvés à Idlib, qui, en 2017, était effectivement sous le contrôle de HTS, qui compterait 30 000 combattants. Ce contrôle a fourni une base économique au HTS, car une grande partie du pétrole du pays traverse la région jusqu’au principal port de Lattaquié et l’un des principaux postes-frontières avec la Turquie est sous le contrôle du HTS.
Il a dirigé le gouvernement (le « gouvernement syrien du salut »), fournissant des services tels que des écoles et des soins de santé, ainsi que la distribution de l’aide, alors que le régime Assad poursuivait son horrible campagne de bombardements. Des centaines de milliers de Syrien.ne.s ont fui vers la région dans une tentative désespérée de rejoindre la Turquie, mais la frontière est restée fermée. Ils vivent dans des camps de réfugié.e.s, la plupart du temps sans électricité, dans des conditions désespérées. Un habitant ironise : « Ici, les gens sont égaux – tout le monde partage la pauvreté, le manque de nourriture et le manque de travail ».
Cependant, le HTS dirige la région comme un État islamique autoritaire. Les journalistes de l’opposition sont arrêtés et la pratique des « personnes disparues » est très répandue. Les femmes doivent porter le hijab, elles ne sont pas autorisées à suivre des cours importants à l’université et les écoles sont séparées en fonction du sexe. Mais la mémoire du soulèvement de 2011 reste forte, ce qui conduit à la résistance ; comme l’a expliqué une femme, « la révolution syrienne a brisé les tabous ». Depuis septembre, les femmes d’Idlib organisent des manifestations contre les politiques de sécurité et la répression du HTS, et demandent la destitution de son chef al-Julani.
Les vautours impérialistes planent
Soudain, bien qu’ils aient été pris au dépourvu par l’avancée rapide de HTS, qui a été décrite comme une « organisation terroriste » par les États-Unis, le Royaume-Uni, l’UE, la Russie, la Turquie et d’autres, les gouvernements réévaluent leur approche de la Syrie – non pas pour aider les masses à améliorer leur situation, mais pour s’emparer de ce qu’ils peuvent. Hypocritement, des gouvernements comme celui de la Grande-Bretagne s’empressent d’annuler l’étiquette « terroriste ».
L’Iran a perdu un partenaire stratégique clé. Une grande partie de son aide au Hezbollah passait par la Syrie, élément clé de l’« axe de la résistance » de l’Iran qui, espérait-il, s’opposerait à l’impérialisme occidental dans la région. La Russie a perdu un allié clé au Moyen-Orient, un gouvernement qu’elle avait essentiellement protégé de l’effondrement au cours des années précédentes. Tardis, dans le nord de la Syrie, est la principale base navale russe à l’étranger, utilisée non seulement pour soutenir les attaques aériennes d’Assad contre son opposition, mais aussi pour contester l’influence de l’OTAN en Méditerranée. Sa base aérienne de Hmeymin a également joué un rôle essentiel en tant que centre de transport pour soutenir les opérations des forces russes (y compris Wagner) au Sahel et ailleurs en Afrique. Depuis plusieurs jours, le Kremlin retire ses navires et ses avions et, même s’il parvient à conclure un accord avec le nouveau gouvernement, il a subi une atteinte considérable à son prestige.
Alors que le monde entier a les yeux rivés sur la prise de Damas, les États-Unis calculent comment exploiter ce que M. Biden a qualifié de « moment de risque » et d’« opportunité historique ». Ils ont profité du week-end pour envoyer une flotte de bombardiers attaquer 75 cibles de Daesh. Mais alors que M. Trump a rapidement tweeté en lettres capitales que « ce n’est pas notre combat. Laissons-le se dérouler. Ne pas s’impliquer », il est clair que les Etats-Unis se trouvent dans l’obligation de réévaluer fortement leur stratégie. Selon l’Atlantic Council, « l’approche américaine de la Syrie au cours de la dernière décennie – tolérer Assad et ses protecteurs iraniens, se concentrer sur l’État islamique, fournir une assistance humanitaire mais cesser l’aide politique et militaire à l’opposition, apporter un soutien illimité au YPG/PKK – s’est effondrée. Washington, et Jérusalem, devront proposer une approche cohérente et constructive à la nouvelle direction de Damas ».
Naturellement, Israël, qui a revendiqué la responsabilité d’aider à la chute d’Assad en détruisant la capacité du Hezbollah, a déjà profité de l’occasion pour étendre sa présence en Syrie. Netanyahou a ordonné à Tsahal d’avancer plus loin dans les hauteurs du Golan occupé et les médias israéliens ont rapporté le bombardement de dépôts d’armes dans le nord de la Syrie et même à Damas, qui, selon le ministre israélien de la Défense, Katz, sera intensifié pour « détruire les armes stratégiques lourdes dans toute la Syrie ».
Que le régime israélien tente de tirer parti de la situation actuelle en Syrie n’est pas une surprise. Mais soutenir, comme le font certains à gauche, que la chute d’Assad, en affaiblissant le soi-disant « axe de la résistance », porte un coup à la lutte de libération des Palestinien.ne.s, c’est ignorer totalement le fait que la dictature d’Assad ne s’est jamais souciée le moins du monde des Palestinien.ne.s. Comme beaucoup d’autres États de la région, elle a au contraire cyniquement instrumentalisé leur cause pour renforcer son propre régime despotique. Tout en se posant en défenseur anti-impérialiste des droits des Palestinien.ne.s, le régime a réprimé les organisations politiques palestiniennes, assiégé et bombardé le camp de réfugiés de Yarmouk pendant la guerre, et est resté inactif face au génocide en cours à Gaza. Sa trêve de facto avec Israël, qui dure depuis des décennies, pour garantir le calme sur le plateau du Golan occupé, a même valu une fois les louanges de Netanyahou lui-même, qui a déclaré en 2018 : « Nous n’avons pas eu de problème avec le régime d’Assad depuis 40 ans ».
Quant à la Turquie, elle a renforcé sa main même en s’opposant aux intérêts des États-Unis et de ses partenaires de l’OTAN. Il est clair que, bien qu’elle ait qualifié le HTS d’organisation terroriste, elle l’a aidé à se procurer des armes et aurait encouragé sa progression. Elle en profite aujourd’hui pour étendre sa présence dans le Nord.
Il s’agit bien là d’un avertissement. Le HTS et les milices qui lui sont désormais alliées ont peut-être vaincu Assad et pris Damas, mais ils n’exercent pas un contrôle inconditionnel sur l’ensemble de la Syrie. À ce stade, il semble que HTS ne cherche pas activement à attaquer les Unités de défense du peuple (YPG) et les Unités de protection de la femme (YPJ), composées principalement de militants kurdes. Il tente de se rendre « respectable » auprès des gouvernements internationaux, y compris occidentaux.
Cependant, l’armée nationale syrienne est plus étroitement alignée sur l’agenda de la Turquie, ce qui pourrait conduire à une « division du travail » entre les deux groupes armés, ou potentiellement déclencher des conflits entre eux sur leurs stratégies respectives. Bien que HTS dise que c’est aujourd’hui une victoire “pour tous.tes les Syrien.ne.s”, l’opposition totale de la Turquie à l’autonomie kurde crée un réel danger, d’une nouvelle phase de guerre avec la Turquie dans le nord-est pour affronter les YPG/YPJ, qui ont été soutenus par les États-Unis comme leur principal atout dans la lutte contre Daesh.
Dans cette situation dangereuse, le seul allié fiable du peuple kurde dans la défense de ses gains durement acquis en matière d’autonomie et de droits démocratiques, féministes et laïques, ce sont les masses ouvrières et pauvres de toute la Syrie et de la région. Un appel à une véritable révolution socialiste pour s’opposer à toutes les élites gouvernant par les armes, en tant que marionnettes ou occupants impérialistes, y compris les agressions racistes et génocidaires de l’État d’Israël, a le potentiel de déclencher des soulèvements de la classe ouvrière.
Y a-t-il une voie à suivre ?
Au-delà des célébrations du renversement du dictateur, la réalité du nouveau régime va commencer à s’imposer. Toute tentative d’instaurer un État islamique autoritaire, comme l’a fait le HTS à Idlib, avec des restrictions importantes sur les droits des femmes et des minorités sexuelles, est susceptible de se heurter à la résistance d’un peuple qui a maintenant soif d’un nouvel avenir après 54 ans de dictature d’Assad.
Parallèlement, le coup dur que représente la chute d’Assad pour les intérêts et le prestige du régime iranien, tout en enhardissant ses adversaires impérialistes dans une certaine mesure, pourrait également raviver la confiance des travailleur.euse.s et des personnes opprimé.e.s à l’intérieur même de l’Iran. La récente recrudescence des manifestations d’enseignant.e.s, d’étudiant.e.s et de retraité.e.s dans tout le pays au cours du week-end pourrait être le signe d’un changement dans cette direction.
En outre, le renversement de la dictature brutale, qui semblait inimaginable pour beaucoup il y a seulement dix jours, pourrait raviver les aspirations révolutionnaires des masses laborieuses et opprimées contre leurs propres dirigeants autoritaires dans d’autres pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord et renforcer encore l’esprit de résistance contre le colonialisme et l’impérialisme exprimé dans le puissant mouvement de solidarité avec la Palestine dans la région.
Comme le souligne Oraib al Rantani, directeur du Centre d’études politiques Al-Quds, basé à Amman, dans un article de Bloomberg: « Le deuxième printemps arabe arrive, sans aucun doute, tous les moteurs sont toujours là : la pauvreté, la corruption, le chômage, le blocage politique et la tyrannie ».
Dans le même temps, la nature militarisée du renversement d’Assad – par le biais d’un groupe armé dépourvu de contrôle démocratique à la base, plutôt que par la lutte massive et active de la classe ouvrière et des personnes opprimées – pourrait également contribuer à un climat de peur et d’intimidation, et signifie que tout mouvement d’en bas pourrait devoir rapidement faire face à la puissance militaire de ce groupe, et à sa volonté de la déployer. Le HTS, qui est lui-même une coalition de différentes forces, devra faire face à de futurs conflits à mesure que des intérêts divergents apparaîtront, que d’autres factions armées réactionnaires se disputeront le contrôle et l’influence, et que le nouveau régime tentera probablement de vaincre d’autres forces telles que les Kurdes. À ce mélange déjà explosif s’ajoute l’intervention avide des forces impérialistes qui poussent toutes leurs propres intérêts contre ceux des Syriens ordinaires.
Une nouvelle approche est nécessaire pour construire une société véritablement démocratique, une approche basée sur l’organisation de la classe ouvrière, la seule force capable d’unir la population au-delà des frontières nationales et ethniques, capable de lutter contre l’autoritarisme, l’oppression, les attaques contre les droits nationaux et les droits des femmes et des personnes LGBTQ+. Une telle force s’attaquerait également à l’horrible situation économique de la Syrie en faisant passer les ressources naturelles du pays en propriété publique. Cela nécessiterait également de chasser toutes les puissances impérialistes du pays et de s’opposer à leur contrôle et à leurs intérêts, tels que le contrôle américain sur une grande partie des champs pétroliers. Les richesses du pays étant détenues et contrôlées démocratiquement par l’État, il serait possible de mettre en place une économie planifiée contrôlée démocratiquement et de tendre vers une fédération socialiste démocratique du Moyen-Orient. Si cela peut sembler lointain, la chute d’Assad, il y a quelques semaines, l’est tout autant. Un premier pas pourrait consister à poursuivre les manifestations de masse dans les rues et sur les places et à les transformer en manifestations permanentes pour la reconstruction d’une Syrie libérée de toute oppression.
À Courtrai, 16 femmes ont récemment porté plainte pour avoir été droguées et abusées sexuellement lors de sorties. En France, Gisèle Pélicot mène un combat courageux contre ses plus de 50 agresseurs et le système judiciaire sexiste. L’extrême droite a reçu un nouvel élan avec l’élection de Trump, condamné pour abus sexuels. Solidarité avec les personnes trans, les personnes victimes de racisme et toutes celles qui sont menacées et écœurées par cette situation. L’extrême droite est en plein essor. Le génocide du peuple palestinien se poursuit. L’accès à l’avortement ou les soins de santé adéquats pour personnes transgenres sont sous attaque. Les masculinistes comme Andrew Tate empoisonnent l’imaginaire des garçons alors qu’au moins 89.000 féminicides ont eu lieu dans le monde en 2022 – un record depuis 20 ans. Aujourd’hui, plus que jamais, le combat féministe international est nécessaire !
Féministes trans-inclusives, antiracistes et anticapitalistes : nous avons besoin de votre aide pour construire un mouvement féministe socialiste en tant qu’expression de la lutte sur le terrain, pour construire la solidarité active entre toutes les personnes exploitées et opprimées dans le but d’arracher la libération de tou.te.s à travers le monde !
En tant que féministes socialistes internationalistes, nous estimons que le sexisme, le racisme, la queerphobie, le validisme et toutes les autres formes d’oppression découlent du système de classe et sont renforcés par le capitalisme. Atteindre une égalité réelle est impossible dans un système au service de la classe dominante. Battons-nous en faveur d’un monde socialiste démocratique, une révolution où la classe travailleuse aura le contrôle de la société et adoptera les décisions qui s’imposent non pas dans un but de profit, mais en veillant à la satisfaction des besoins de chacun.e tout en posant les bases matérielles pour l’éradication des discriminations.
Cet événement international regroupera des activistes en lutte pour le droit à l’avortement, pour les droits des peuples autochtones au Brésil, contre la violence sexiste au Mexique,… au côté des organisateur.ice.s de la Trans & Intersex Pride d’Irlande, d’activistes des syndicats de nombreux pays qui stimulent l’adoption d’une approche féministe socialiste dans l’ensemble du mouvement ouvrier, etc. C’est un événement à ne pas manquer !
Inscrivez-vous dès maintenant ! Toute personne désireuse d’échanger autour de l’expérience des luttes féministes, antiracistes, pro-palestiniennes et ouvrières contre l’oppression à travers le monde entier est chaleureusement invitée à participer au Festival du féminisme socialiste. La Campagne ROSA met à disposition un bus pour partir ensemble à Vienne depuis Bruxelles.
Toutes les informations pratiques sont disponibles dans le formulaire d’inscription : linktr.ee/campagnerosa et via le code QR. N’hésitez pas à nous envoyer un DM sur instagram campagnerosa_fr ou un email international@campagnerosa.be pour toute remarque ou question.
Infos pratiques
Dates : du 4 au 6 avril. Le programme complet commence le 2 avril.
Dates de voyage : 1er avril pour les participant.e.s aux 5 jours, le 4 avril pour participer au programme de 3 jours.
Voyage de retour : 7 avril
L’hébergement et la nourriture seront fournis
Inscription via linktr.ee/campagnerosa
Il est également possible de suivre l’événement via Zoom.