Category: Transports publics

  • Le personnel de la STIB a raison : sans sécurité, pas question de travailler !

    Avec l’ouverture d’un plus grand nombre d’entreprises et de magasins cette semaine et le redémarrage partiel des écoles la semaine prochaine, les transports publics doivent également revenir à un horaire plus soutenu, ce qui ramène à la surface un grand nombre de problèmes préexistants. Ceux-ci combinés à la pandémie de Covid-19 créent des situations inacceptables pour le personnel et les usagers.

    La foule dans les bus, les trams et les métros augmente lentement depuis plusieurs semaines maintenant. Souvent, le nombre de passagers prévu a déjà été dépassé. La semaine prochaine, les écoles rouvriront également en partie. La STIB a donc voulu revenir à son cours normal, sans garantie que les bus, les trams ou les métros ne seraient pas surchargés.

    En outre, le personnel de conduite peut prendre son service en ligne sans passer par le dépôt. Au cours du service alternatif, chaque changement de conducteur était effectué au dépôt, sans voir un autre collègue et avec suffisamment de temps et d’espace pour décontaminer correctement le véhicule. Avec la prise du service en ligne, le conducteur et les passagers doivent attendre sur des quais éventuellement surchargés et/ou se rendre au dépôt avec un bus, un tramway ou un métro éventuellement surchargé. En outre, ce changement doit être effectué immédiatement, sans prendre suffisamment de temps pour décontaminer la cabine.

    Il n’est donc pas surprenant que certains membres du personnel considèrent ces circonstances comme dangereuses et s’appuient sur le droit de retrait, un droit souvent appliqué en France, qui repose sur l’obligation de l’employeur d’offrir des conditions de travail sûres. Un travailleur qui s’estime en situation dangereuse peut selon ce droit refuser de travailler sans subir aucun désavantage. En cas de danger grave et imminent, un travailleur peut donc quitter son lieu de travail. La direction de la STIB refuse de reconnaître de droit et considère ses employés comme étant en congé injustifié et, puisque les syndicats refusent de reconnaître cette action, cela ouvre la voie à des mesures disciplinaires individuelles. C’est scandaleux ! Cette attitude est irresponsable tant de la part de la direction que de la par des directions syndicales. Les dirigeants syndicaux feraient mieux de reconnaître cette action et de soumettre toute proposition d’accord au personnel afin que la base puisse décidée par un vote.

    Bien entendu, ce ne sont pas les seuls points de discorde : outre la sécurité immédiate du personnel, il est aussi question d’un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Dans l’horaire ajusté du confinement, il n’y avait pas de service fractionnés, mais cela revient également maintenant sur la table. De nombreux employés veulent se débarrasser de cela depuis longtemps déjà. Cette crise aurait pu être l’opportunité de le faire et d’ainsi permettre de limiter le nombre de trajets pour se rendre au travail et en revenir. En raison des services fractionnées aux heures de pointe du matin et du soir, un travailleur doit se rendre au travail et en revenir deux fois par jour. Cela comporte évidemment des risques. Celles et ceux qui habitent loin n’ont d’autre choix que de rester au dépôt entre deux quarts de travail. C’est aussi un risque.

    Une fois de plus, il est clair que des conditions de travail sûres et décentes pour le personnel des transports publics ne sont pas une priorité sous le capitalisme. Pour les voyageurs également, la sécurité des transports publics est impossible en suivant la logique d’austrité. À New York, l’une des villes les plus touchées au monde, les scientifiques estiment que le métro a joué un rôle important dans la propagation du virus.

    Se concentrer sur les intérêts des passagers et du personnel présuppose un investissement massif dans les transports publics. Comme dans d’autres secteurs essentiels, assurer la sûreté de l’environnement de travail exige davantage de moyens et de personnel. Transporter un nombre normal de passagers dans des conditions sûres nécessite en fait davantage de trajets et le contrôle du nombre maximum de passagers. En outre, des masques gratuits pourraient être distribués et du personnel supplémentaire est nécessaire pour décontaminer les véhicules et les stations de métro. L’organisation de trajets supplémentaires avec plus de personnel peut ne pas sembler évidente en ce moment. Mais du personnel ayant un savoir-faire dans le secteur des transports (les autocars par exemple) est actuellement au chômage. Pourquoi ne pas faire étudier les pénuries en fonction des possibilités ? Mais cela nécessite une planification plus globale de l’économie.

    Pour cela, nous devrons nous organiser dans des syndicats combatifs où les membres décident ensemble des revendications nécessaires et des tactiques à utiliser pour obtenir satisfaction. Cette crise du covid-19 n’a pas mis fin aux divisions de classe, nous devons donc poursuivre la lutte pour les intérêts de la nôtre. Contrairement à ce que les médias traditionnels voudraient nous faire croire, nous ne sommes pas tous dans le même bateau.

     

  • [INTERVIEW] SNCB “L’épidémie de Coronavirus est surtout révélatrice de l’importance du combat syndical”

    Nous avons discuté avec un cheminot de la manière dont la crise du Coronavirus a été gérée à la SNCB, de la pression des travailleurs qu’il a fallu instaurer pour les premières mesures de sécurité sanitaire et des perspectives immédiates pour le rail.

    Comment s’est développée la réaction à l’épidémie de Coronavirus au sein des Chemins de fer ?

    Comme dans beaucoup d’entreprises nous avons été confrontés à un manque de préparation flagrant, ce qui a entraîné énormément de retard dans la mise en place des mesures de précaution nécessaires. Les cheminots paient bien sûr le manque de prévention des gouvernements – comme la pénurie de masques –, les conséquences de la confusion dans les recommandations sanitaires et leur annonce tardive.

    Bien que ces derniers jours l’atmosphère soit plutôt à la stabilisation, il a fallu plusieurs semaines et une énorme pression « venant d’en bas » pour assurer des conditions de travail un tant soit peu sécurisées. Tout n’est pas encore réglé, loin de là. Parallèlement à ça, des différends ou des contradictions qui existaient déjà se retrouvent sous le feu des projecteurs, alors que d’autres sont apparus.

    Nous avons connaissance de cas de contamination au Covid-19 par des cheminots. Ceux-ci reçoivent évidemment beaucoup de marques de soutien. Malheureusement au moins l’un d’entre eux y a laissé la vie, et beaucoup d’autres ne sont pas tirés d’affaire. C’est pourquoi notre tâche prioritaire reste de veiller à ce que les normes sanitaires les plus strictes soient d’application, partout.

    Les trains continuent de rouler, comment est organisé le travail ?

    Le personnel administratif a été invité à utiliser massivement le télétravail. Il n’y avait pas d’autres solutions dans la crise mais cela pose de nombreux problèmes pratiques. Il est par exemple très difficile d’organiser ses tâches professionnelles tout en s’occupant de ses enfants. Ces travailleurs n’ont pas tout le matériel et l’infrastructure habituelle pour effectuer leur travail dans de bonnes conditions. Des questions se posent aussi concernant la méthode de comptabilisation de leur temps de travail et les jours de récupération.

    Une grande partie du personnel – dit « opérationnel » – continue de travailler sur le terrain pour assurer un service de train adapté (plan STIN). Il s’agit notamment des ateliers, des cabines de signalisation, des techniciens, du personnel roulant, d’une partie des guichetiers, des services de nettoyage, etc. Les conditions de travail ont été adaptées pour permettre la distanciation sociale et une meilleure hygiène. Ces adaptations ont parfois été faites par la concertation, parfois dans le conflit. L’organisation traditionnelle du travail n’était évidemment pas du tout adaptée à une situation de crise épidémique. Mais certains facteurs ont aggravé les tensions, comme la volonté de la direction de la SNCB de vouloir maintenir un maximum d’agents sur leurs lieux de travail quitte à mettre leur santé en péril.

    Les travailleurs et les bases syndicales ont dû mettre une énorme pression pour réclamer les mesures nécessaires. Il y a eu quelques arrêts de travail, notamment à l’atelier de traction de Schaerbeek à la mi-mars. Les collègues devaient intervenir sur des rames sans avoir la moindre garantie qu’elles étaient nettoyées et sans matériel de protection. La température était bouillante sur ces lieux de travail qui ont souvent été par le passé des points de départ de mouvements spontanés massifs, comme en 2016. La direction a eu peur, à très juste titre, que survienne un mouvement généralisé. Mais le plus gros de la contestation s’est finalement orienté vers des méthodes individuelles : le taux de maladie a dans un premier temps explosé, car les agents refusaient de travailler en risquant leur vie ou n’avaient par exemple aucune solution pour la garde de leurs enfants.

    La question du personnel faisant partie des « catégories à risque » n’est pas du tout réglée. Il n’y a pas eu de mesure généralisée pour protéger les agents les plus susceptibles d’avoir des complications en cas de contamination. Ces collègues sont renvoyés vers les médecins traitants mais leurs décisions ne sont pas toujours cohérentes. La médecine du travail se contente de suivre mollement les recommandations de Sciensano [ndlr : l’institut scientifique de santé publique] qui sont lacunaires. Cette problématique est réglée de manière individuelle et non collective, avec tous les problèmes que cela entraîne. Certains travailleurs viennent donc au boulot la peur au ventre.

    N’est-ce pas un moindre mal puisque personne n’avait prévu une telle crise ?

    L’épidémie de Coronavirus est surtout révélatrice de l’importance du combat syndical. Bien qu’elle ait surpris tout le monde de par son ampleur, le danger d’une extension de l’épidémie de l’Asie vers l’Europe avait été mis à l’ordre du jour par des délégués syndicaux dans des CPPT déjà au mois de février [ndlr : il existe 77 CPPT au sein des chemins de fer belges]. Ceux-ci ont surtout l’impression de ne pas avoir été pris assez au sérieux… Par après le travail de nombreux délégués de terrain a permis beaucoup d’adaptations nécessaires pour limiter les risques. La santé au travail est un des combats historiques des syndicats et il est de nouveau à l’avant-plan, sans doute pour longtemps.

    Comment ont réagi les syndicats, justement ?

    Lors du déclenchement de la crise, les trois « grands » syndicats ont accepté la proposition de la direction de cantonner toutes les négociations sur les mesures de crise au sein du « Comité de pilotage », un organe paritaire déjà existant mais extrêmement restreint. Cette résolution a été justifiée par l’importance de gérer les décisions de manière très centralisée, vu l’urgence dans les mesures à prendre. Cela peut aussi se justifier par la structure complexe de la concertation sociale au sein des chemins de fer belges en temps normal, avec près d’une centaine d’organes paritaires officiels. Enfin, la difficulté à organiser des réunions par visioconférence a été invoquée, bien qu’il s’agisse d’un argument bancal.

    Cette méthode a eu pour conséquence de tordre le bras à la logique de démocratie syndicale. Alors que le Comité de pilotage ne comprend que quelques dirigeants syndicaux, les délégués qui siègent dans les commissions paritaires régionales et les comités pour la prévention et la protection au travail ont tous été élus lors des élections sociales de décembre 2018. Les résultats des élections sociales ont donc été en quelque sorte suspendus. Le fait que la plupart des réunions internes aux syndicats aient été annulées n’a fait qu’aggraver les choses. L’organisation du travail syndical s’en retrouve donc aussi perturbée et dépend du bon vouloir des responsables syndicaux locaux et nationaux. Du côté des « petits » syndicats, certaines bonnes initiatives ont été prises comme la demande d’écartement du personnel à risque, mais sans succès.

    Malgré ces difficultés et grâce à une pression intense, nous avons pu obtenir des victoires pour faire respecter les mesures de précaution. Quelques exemples : des vitres ont été installées aux guichets (comme dans les supermarchés), du matériel de désinfection distribué à une grande partie du personnel, un nettoyage sérieux des locaux et des trains, une série de concessions dans l’organisation du travail, la suspension de mesures de répression des malades,… Une écrasante majorité de ces mesures n’auraient pas été instaurées sans la pression des travailleurs et de leurs syndicats.

    D’autres dossiers ne sont toujours pas conclus ou ont donné un résultat mitigé. La direction a par exemple instauré des mesures d’hyper-flexibilité dans à peu près tous les services en argumentant que c’était nécessaire pour pouvoir gérer les variations importantes des taux d’absentéisme. Et elle profite de la baisse de la charge de travail dans certains services pour apurer de force les jours de récupération qu’elle doit au personnel, une dette historique créée par un sous-effectif structurel. Sans réponse de notre part, elle va utiliser cyniquement cette situation. Nous devrions peut-être exiger une baisse collective du temps de travail avec maintien des salaires, organisée par le personnel lui-même. La direction n’a pas hésité à avancer son propre programme pour défendre ses intérêts, en mettant ainsi des vies en danger. Mais cela a permis aussi de sensibiliser les collègues sur la nécessité de construire le nôtre.

    « Never waste a good crisis », comme disait Churchill ?

    Exactement. Une série de mesures exceptionnelles qui s’imposent aujourd’hui pour raison sanitaire ont historiquement été combattues par les syndicats. Le télétravail par exemple, n’a jamais été vu d’un bon œil. Le maintien des guichets dans les petites gares est une revendication principale des organisations syndicales. Mais avec les risques de contamination, nous avons dû nous adapter. Le personnel et ses représentants syndicaux ont demandé la fermeture des guichets, avec plus ou moins de succès. La SNCB a fait afficher partout des messages incitants les voyageurs à utiliser uniquement les automates ou le site web. Une diminution de la fréquentation dans les guichets « physiques » pourrait servir d’argument à la direction pour diminuer les effectifs plus tard.

    Ce sont des débats qui compliquent la situation. La direction pourrait aussi « jouer la montre » pour faire perdurer autant que possible certaines mesures de flexibilité lorsqu’elles deviendront obsolètes. C’est pourquoi il est crucial de construire un rapport de force en faveur du personnel, pour pouvoir peser dans la suite de la crise et dans l’après. Surtout que de nouvelles négociations sur un protocole d’accord social doivent reprendre d’ici septembre.

    Mais si nous sommes conscients de ces dangers, nous sommes déjà plus forts. D’autant que l’importance des services publics n’avait plus été mise en avant de telle manière depuis longtemps. Quels que soient les risques, on nous demande de continuer à travailler… Beaucoup de cheminots sont d’accord de travailler pour autant qu’ils soient correctement protégés et que cela soit pour assurer les trajets essentiels ! Il y a aussi beaucoup de débats autour de ces trajets. Il faut souligner que nous vivons un « confinement hypocrite », des entreprises qui ne produisent rien d’essentiel continuent pourtant à tourner pour faire du profit. Et les dégâts du virus capitaliste rendent difficile l’application du confinement : allez expliquer à un SDF de rester chez lui et de ne pas se déplacer…

    Quelles sont les perspectives pour les prochaines semaines ?

    Nous avons obtenu des victoires syndicales, mais elles sont fort variables en fonction des lieux de travail car elles dépendent pour beaucoup du rapport de force local. Peut-être qu’il aurait été plus judicieux d’utiliser le haut niveau de combativité qui existait sur certains lieux de travail pour obtenir un maximum de concessions pour l’ensemble des cheminots, plutôt que de laisser s’installer des inégalités. Nous allons donc devoir, petit à petit, faire un bilan pour que toutes ces expériences soient assimilées et mises à profit pour être plus forts lors des prochaines situations de ce genre.

    On se dirige vers un « déconfinement progressif » en Belgique. Il est donc probable qu’à moyen terme une série d’activités reprennent progressivement mais que les rassemblements restent interdits. Nous avons besoin d’un plan pour répondre aux questions que cette nouvelle phase va poser. Cela concerne des questions très pratico-pratiques, comme la problématique du port du masque pour le personnel en première ligne. Mais aussi des sujets plus conflictuels : nous ne pouvons plus accepter, par exemple, que les CPPT et les organes paritaires soient suspendus.

    Nous devons aussi travailler sur les dossiers toujours en cours : exiger une solution pour le personnel à risque, ne pas baisser la garde concernant les mesures de précaution, le respect de la réglementation sur les jours de récupération, etc.

    Ces événements illustrent aussi l’importance de la défense du statut cheminot. Ce statut nous a servi de bouclier pendant la crise ; nous voyons les ravages qu’elle fait chez les travailleurs du secteur privé. La part de contractuels aux chemins de fer a sensiblement augmenté ces dernières années mais le rapport de force a été à priori suffisant pour les protéger. Défendre ce bouclier, exiger la statutarisation du personnel contractuel, revendiquer la réintégration des services qui ont été externalisés, tous ces sujets devront être mis à l’agenda. Une partie des tâches de nettoyage des trains est sous-traitée depuis des années par exemple, c’est l’un des facteurs qui a été à l’origine du chaos que nous avons connu fin mars, car une société privée a lâché la SNCB au pire moment.

    Enfin, nous réclamerons un véritable plan d’action contre la libéralisation du chemin de fer. C’est assez ironique, des politiciens et des dirigeants d’entreprises qui hier encore vantaient la loi du marché privé abondent aujourd’hui en faveur de l’importance du service public. Nous n’avons aucune illusion envers ces gens, ce sont les mêmes qui défendent le projet de libéralisation du rail. Au Royaume-Uni, la crise a entraîné la quasi-faillite de sociétés ferroviaires privées qui doivent aujourd’hui être reprises en main par l’Etat. En Belgique, le gouvernement a sollicité la SNCB pour mettre en place un service des trains considéré comme « d’utilité publique » mais qui est financièrement « à perte » ; cela n’aurait pas été possible en suivant la logique du profit. Ce ne sont pas des choses que nous oublierons lorsque la crise sera passée.

    Les dégâts des politiques néolibérales sont catastrophiques, elles détruisent les infrastructures essentielles dont la population a besoin. Cela n’a jamais été autant visible qu’aujourd’hui dans le secteur de la santé. Les syndicats devraient organiser en front commun une grande campagne pour la défense du service public. En ce qui concerne le rail nous avons besoin d’un transport public accessible, efficace et lui aussi refinancé. Il est encore temps de bloquer ce projet de libéralisation !

  • Coronavirus. De Lijn : ‘‘Ne pas attendre les mesures de la direction’’

    Photo : Jean marie Versyp

    Divers experts et médias recommandent fréquemment d’éviter les transports publics, en particulier aux heures de pointe. En combinaison d’une gestion de crise où la confiance fait défaut, cela provoque beaucoup d’anxiété chez les chauffeurs et le reste du personnel.

    Par un chauffeur

    De Lijn s’est vanté dans la presse que les véhicules seraient nettoyés quotidiennement. Beaucoup de collègues ont entendu ça avec colère. C’est faux. Au mieux, les véhicules sont rapidement balayés. Il est impossible d’effectuer un nettoyage adéquat après toutes les économies réalisées et le manque de personnel que cela implique dans les services de soutien et les services techniques.

    Un comité Covid19 a été créé à De Lijn, mais il ne comporte que des représentants de la direction et des médecins d’entreprise. Les représentants du personnel, les syndicats, en sont exclus ! La communication est principalement effectuée via l’intranet, ce qui est largement insuffisant. En outre, les mesures sont prises trop tard et reposent sur des considérations autres que la santé du personnel et des voyageurs.

    Le jeudi 12 mars, plusieurs CPPT (Comité pour la prévention et la protection au travail) ont demandé que plus aucun trajet ne soit vendu sur les véhicules, de ne plus accepter de paiements en espèces, de laisser les passagers monter à l’arrière des véhicules et de protéger le chauffeur, afin qu’une distance d’au moins 1 mètre ou 1,5 mètre puisse être respectée.

    Jeudi soir, un certain nombre de mesures ont été annoncées, telles que la distribution de gels ou de lingettes désinfectantes,… Ces mesures sont nécessaires, mais insuffisantes. Les questions soulevées par les CPPT n’ont suscité aucune réaction.

    Le front commun syndical a demandé l’organisation d’une réunion d’urgence en exigeant l’adoption immédiate de mesures supplémentaires. Parallèlement, des initiatives ont été prises en divers endroits par les délégations syndicales. Les syndicats ont distribué des affiches aux chauffeurs de bus anversois avec le message ‘‘montez à l’arrière du bus’’ et ‘‘pas de vente de billets’’. Des rubans ont également été tendus dans les bus pour assurer qu’une distance soit respectée. Si la direction refuse de prendre soin de notre santé et de notre sécurité, à nous de le faire !

    En fin de compte, la direction n’a pas eu d’autre choix que d’adopter ces mesures. Mais elle a tout d’abord refusé d’autoriser les rubans de démarcation. À Anvers, la direction les a faits enlever des bus. Un nouveau collègue faisait remarquer : ‘‘C’est comme une guerre entre les cadres et les chauffeurs’’. Finalement, la mesure de protection a été imposée. Mais il est typique que cela n’ait pu être le cas que sous pression de la base.

    Heureusement, la solidarité entre collègues est très grande. Mais beaucoup se demandent combien de temps ils devront rouler ainsi. Ne ferions-nous pas mieux de passer à un service minimum avec des équipes plus restreintes ? Ce système a déjà été testé lors d’une grève (pour les lignes prioritaires), cela peut donc être appliqué assez rapidement (cela permettrait que le système soit utilisé à l’avantage du personnel au moins une fois au lieu de servir à briser les grèves).

    En tout cas, il est clair que nous ne devons pas rester assis à attendre que la direction prenne des mesures. C’est une honte qu’aucun représentant du personnel ne figure dans le comité Covid19. C’est de notre santé qu’il s’agit ! C’est exactement pour cela qu’un CPPT existe, avec des représentants du personnel ! La direction veut profiter de cette situation de crise pour établir une nouvelle norme dans le processus décisionnel en excluant toute participation des représentants syndicaux.

    Il est scandaleux que nos droits démocratiques soient ainsi bafoués. Et également scandaleux que la direction refuse de se réunir avec les délégués en raison des risques pour la sécurité : ces mêmes délégués circulent chaque jour avec des bus et des trams pleins. Et il existe aujourd’hui des possibilités technologiques suffisantes pour tenir des réunions à distance.

    Une fois de plus, il est évident que nous ne devons pas compter sur le gouvernement ou la direction pour la protection du personnel. Sur les lieux de travail, nous savons mieux que quiconque ce qui doit être fait pour notre protection. Nous l’avons démontré une fois de plus. Nous ne devons pas nous arrêter aux initiatives spontanées, mais mieux nous organiser. Pourquoi ne pas créer nos propres comités pour discuter des mesures à prendre et, si la direction n’est pas prête à les accepter, les mettre en œuvre nous-mêmes ?

    Les mesures en faveur de notre sécurité, de notre santé et de nos intérêts sociaux ne doivent pas dépendre de la direction. C’est nous qui faisons tourner la boutique, nous devons pouvoir participer aux décisions qui nous concernent !

    Nous publions différentes réactions de travailleurs et de jeunes confrontés à la crise du Coronavirus dans leur travail et dans leur vie. N’hésitez pas à nous envoyer votre contribution via redaction@socialisme.be

  • Coronavirus. SNCB : ‘‘Il y a eu chez nous comme ailleurs une sous-estimation du danger’’

    Alors que le pays est petit à petit mis à l’arrêt, nous constatons que ce sont les fonctionnaires, régulièrement pointés du doigt par les politiciens de droite pour leurs soi-disant « privilèges », qui sont appelés à la rescousse. Les hôpitaux et les services de secours sont sur le pied de guerre, les enseignants sont en première ligne, et les agents des transports en commun sont appelés à continuer de travailler malgré les risques.

    Par un cheminot

    Bien qu’il soit encore trop tôt pour tirer des conclusions, il semble clair pour de plus en plus de cheminots que les mesures prises en interne dans la lutte contre le coronavirus sont insuffisantes. Il y a eu chez nous comme ailleurs une sous-estimation du danger que représente cette pandémie. La prise de conscience s’est rapidement développée ces derniers jours, mais la direction semble être toujours un temps en retard.

    L’argent en liquide continue à être manipulé aux guichets alors qu’il semble être un facteur important de contamination. Comme à la TEC, la direction annonce des mesures de nettoyage spéciales depuis plusieurs jours mais nous ne les constatons pas sur le terrain. Dans certains services, les gels hydroalcooliques n’ont toujours pas été distribués, même aux nettoyeurs. L’ordre fait aux accompagnateurs de train d’effectuer un « contrôle visuel » des titres de transports manque manifestement de clarté et constitue donc un risque. Certaines mesures positives ont bel et bien été prises – lorsqu’elles sont appliquées –, comme la suppression des trains qui ne possèdent pas de toilettes en service équipées d’eau et de savon. Mais face à l’urgence et aux mesures radicales qui semblent nécessaires, nous constatons surtout des actions de communication et des « préconisations ».

    Les managers ont cultivé ces dernières années une culture du « présentéisme ». La mise en place de la nouvelle procédure de contrôle des malades basée sur l’indice de Bradford, et l’introduction prévue dans les prochaines semaines d’ « entretiens maladies » entre la hiérarchie et les agents considérés comme « trop souvent malades » est en contradiction totale avec les mesures de précaution sanitaires nécessaires. Les nouvelles directives indiquant de rester chez soi lorsqu’on se sent malade, publiées tardivement et laissant toujours planer la menace de la visite d’un médecin contrôle, commencent seulement à faire leurs effets. La suspension immédiate de toutes les mesures de répression des agents malades est une nécessité absolue si nous voulons limiter la propagation du virus au sein de la société.

    La SNCB s’apprête à mettre en place dans les prochains jours un « service alternatif des trains » si elle n’a plus à sa disposition suffisamment d’agents en bonne santé pour assurer le service habituel. L’opportunité d’activer ce scénario le plus tôt ou le plus tard possible fait débat, car la diminution du nombre de trains en circulation aurait pour conséquence une augmentation de l’occupation des rames alors que la distanciation sociale est conseillée par les experts. Dans le même temps, de nombreux agents qui sont en permanence au contact des usagers évoquent leurs craintes d’être contaminés et de contaminer à leur tour leurs proches malades, âgés, ou des voyageurs.

    Certains parents sont toujours à la recherche d’une solution pour faire garder leurs enfants qui n’auront plus école : les garderies, lorsqu’elles acceptent les enfants des cheminots, ne seront ouvertes que pendant les horaires d’écoles, alors qu’il y a des cheminots au travail à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit. La revendication qui pourrait naître de cette situation serait la mise sur pied d’un service alternatif des trains sur base volontaire et accompagnée de mesures sanitaires renforcées.

    Les transports publics sont un service structurel dans la société, et de nombreuses personnes travaillant dans des services essentiels comme les soins de santé les utilisent. Dans quelle mesure devrait-on pouvoir suspendre ou non le trafic des trains pour limiter la propagation d’une épidémie ? Cette question n’avait jamais été abordée auparavant, nous manquons de recul et elle fait donc toujours débat. La réponse devrait être tranchée sur base d’une discussion démocratique à propos des besoins sociaux absolument nécessaires. Une chose est sûre : un gouvernement capitaliste, pour qui le profit des grandes sociétés a été la priorité durant les 6 dernières années, n’est pas capable de faire cela. Les travailleurs et leurs organisations, en étant organisés et déterminés, le pourraient.

    La direction des chemins de fer a son avis sur la question : en annulant toutes les réunions paritaires avec les représentants élus des travailleurs comme les CPPT, elle entend bien faire à sa manière. La santé des travailleurs a pourtant rarement été mise autant en danger, et des alternatives respectant les mesures de distanciation sociale sont possibles. Plus que jamais, la participation démocratique du personnel aux mesures de santé est nécessaire ! Non à l’affaiblissement des droits démocratiques !

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  • Une grève des cheminots bien suivie et qui appelle à d’autres actions

    A Liège, une délégation de syndicalistes de la CGT était présente et a électrisé le piquet.

    Les partis de droite espéraient que l’introduction du service minimum permettrait de révéler à quel point les grèves ne bénéficient pas de soutien parmi le personnel. C’est tout l’inverse qui a été démontré ce 19 décembre. La direction a fait valoir que près d’un tiers des trains circulaient, mais a dû reconnaître en même temps qu’une grande majorité du personnel était en grève. Il n’y avait pas de différence fondamentale dans la volonté d’agir entre la Flandre, la Wallonie et Bruxelles. Ainsi, à Anvers, près de 80% des accompagnateurs de train étaient en grève. Le personnel des guichets et le service de sécurité Securail y étaient également en grève.

    Après des années d’économies sur le rail, la colère est profonde. Avec 30 % de personnel en moins, comment peut-on offrir un service décent avec 50% de voyageurs en plus ? L’été dernier, les accompagnateurs de train ont même dû faire grève parce qu’ils ne parvenaient pas à prendre le congé qui leur revenait de droit ! Et maintenant, la direction veut encore plus réduire le personnel. Dans le cadre des négociations d’un accord social, la direction souhaite supprimer progressivement le statut et employer de nouveaux travailleurs à des conditions moins favorables, notamment en prolongeant la semaine de travail. Selon la direction, il est ors de question d’augmentation le salaire minimum, ce qui serait pourtant une première depuis 10 ans. L’argent ne manquait cependant pas pour augmenter le nombre de membres du conseil d’administration.

    La pénurie de personnel se fait sentir dans toutes les catégories professionnelles. Au piquet de grève d’Anvers-Berchem, un des sujets abordés était la situation désastreuse des guichetiers, qui souvent ne savent pas à l’avance quand ils devront travailler et ne sont parfois que deux pour tenir les guichets. Les conducteurs de train sont “hors série” quelques mois par an, durant lesquels ils ne savent pas non plus quand ils doivent travailler, mais contrairement au passé, ils n’y a pas de place pour quelques jours de repos. Et tant pis pour la vie sociale. Mais la direction s’en moque. D’une logique de service à la communauté, le management va de plus en plus loin dans la logique d’une entreprise privée.

    Le soutien dont qu’on reçu les grévistes aux piquets de grève démontre que les voyageurs se rendent bien compte de la situation. Lorsque des passagers passaient pour prendre les quelques trains qui roulaient, essentiellement aux heures de pointe, les réactions négatives étaient extrêmement minimes, surtout en comparaison des politiciens et des médias traditionnels. C’est logique, n’importe quel voyageur sait que les problèmes sont nombreux. Les passagers sont eux aussi fatigués du manque d’investissements dans de bons services.

    La question par excellence sur les piquets étaient de savoir comment continuer. Il n’y a pas eu de réponses concrètes, sauf que le plan d’action sera poursuivi en janvier. Lors du point d’information à la gare d’Anvers-Berchem, un militant a proposé de formuler des revendications offensives qui ne se limitaient pas aux salaires, mais qui comprenaient aussi, par exemple, la demande de 3.000 recrues statutaires supplémentaires afin de remédier à la pénurie de personnel et d’améliorer le service. Ce serait une excellente revendication à défendre lors des réunions du personnel des différentes catégories professionnelles, là où un plan d’action peut être proposé et voté. Lors de ces réunions, les revendications spécifiques des différentes catégories professionnelles peuvent également être élaborées. De cette façon, la participation aux actions peut être accrue.

    Il était très clair hier que la volonté d’agir ne manque pas, y compris en allant au-delà des frontières syndicales, mais aussi avec l’implication d’autres secteurs. Les problèmes s’accumulent partout : la politique d’austérité suscite le mécontentement dans tous les domaines. Il est grand temps de se battre !

    Bruxelles.
    Anvers
    Namur
    Namur
  • La SNCB et Infrabel condamnées dans le procès Buizingen : réaction d’un cheminot

    Monument d’hommage aux victimes de Buizingen. Photo : Wikimedia

    Le jugement est tombé dans le procès Buizingen, la collision ferroviaire qui avait fait 19 morts et 162 blessés le 15 février 2010. La SNCB et Infrabel ont été reconnues comme principales responsables de l’accident pour « défaut de prévoyance » et condamnées chacune à 550 000 euros d’amende. Quant au conducteur du train, la justice a considéré qu’il était en tort tout en soulignant les difficultés auxquelles il était soumis. Familles de victimes et responsables syndicaux se sont dit soulagés du verdict.

    Par un Cheminot

    Les débats sur la sécurité ferroviaire se limitent trop souvent à une discussion sur la mise en place de systèmes de freinage, chargés de stopper les trains lorsqu’une erreur humaine est commise. Bien qu’ils soient cruciaux, la sécurité ferroviaire est un domaine bien plus large. Un accident résultant toujours d’une combinaison de facteurs défaillants – erreur humaine, bug technique, hasard, procédure non respectée, malentendus – une véritable « culture de la sécurité » nécessite un investissement dans la fiabilité de chacun de ses facteurs. Une formation suffisante, des conditions de travail décentes et une réflexion approfondie après chaque incident sont notamment nécessaires pour limiter drastiquement le risque d’erreur humaine. Un investissement massif dans les dernières technologies de sécurité, qui doivent équiper tant les voies que le matériel roulant, permet lui aussi d’augmenter le niveau de fiabilité.

    Il a fallu plusieurs accidents tragiques sur le réseau ferroviaire belge pour que l’implémentation des systèmes d’aide à la conduite soit prise au sérieux, mais le retard n’a jamais été complètement résorbé. Une mère d’une des victimes de l’accident de Buizingen soulignait à juste titre que les conclusions judiciaires de l’accident de Pecrot (2001, 8 morts) et celles de Buizingen sont scandaleusement semblables : les entreprises ferroviaires n’avaient pas mis tout en œuvre pour assurer la sécurité des voyageurs, contrairement à leur mission.

    Mais à notre avis, ce verdict sévère et justifié pour la SNCB et Infrabel ne doit pas masquer les responsabilités politiques de ces drames. La « culture de la sécurité » coûte cher, tant en moyens humains que techniques. Des coupes budgétaires successives ont été imposées au service public ferroviaire, alors même que le nombre de voyageurs était en croissance. L’augmentation du trafic est un facteur de risque qui ne peut être compensé que par une amélioration de tous les facteurs touchant à la sécurité en parallèle. Mais alors que les besoins n’ont fait que croître, les subventions publiques ont diminué (lire notre article à ce sujet).

    Les dernières coupes budgétaires du gouvernement Michel ainsi que le projet européen de libéralisation du rail ont une nouvelle fois mis une énorme pression sur la SNCB et Infrabel. Les patrons du rail ne cessent de répéter que « la productivité doit encore augmenter » et souhaitent négocier de nouvelles réformes pour accroître la flexibilité des cheminots. Alors que le rapport de la commission d’enquête parlementaire mise en place après l’accident de Buizingen recommandait que les journées de travail ne puissent pas dépasser les 8h pour des raisons de sécurité, Infrabel souhaite aujourd’hui mettre en place des shifts de 12h dans les cabines de signalisation. Le président de cette commission était l’actuel ministre des transports en affaires courantes, François Bellot.

    Pour un transport public ferroviaire sûr et efficace, cheminots et usagers doivent exiger un plan d’investissement public massif, développé dans l’intérêt collectif et non dans une perspective de rentabilité.

  • Le gouvernement flamand détruit les transports en commun. Et tant pis pour le climat…

    Les médias sont prompts à dénigrer le personnel de la société flamande de transport en commun De Lijn lorsque celui-ci dénonce tout ce qui n’y tourne pas rond. Il a fallu que le malaise atteigne des proportions telles que la direction a publiquement parlé d’un ‘‘navire en perdition’’ pour que le problème soit reconnu. L’évidence est d’augmenter les moyens publics pour améliorer la qualité du service et en élargir la portée. C’est d’ailleurs une urgence climatique. C’est aussi, bien évidemment, à l’exact opposé des projets du gouvernement flamand.

    Le gouvernement austéritaire arrogant de Jan Jambon (N-VA) a fait savoir on ne peut plus clairement qu’il ne saurait y avoir de protestations contre la politique menée. La jeunesse doit arrêter de manifester pendant les heures de cours. Quant à la société civile, elle voit ses subsides réduits, même la chaîne de télévision publique VRT est touchée. Il ne faudra pas s’attendre à des reportages critiques de ce côté-là, le manque de moyens rendra difficile d’aller au-delà de la simple répétition des déclarations des autorités.

    Le gouvernement n’entend pas changer de logique concernant De Lijn : chaque voix dissidente doit être réduite au silence. Ainsi, l’annonce des nouvelles mesures d’économies a immédiatement été liée à l’intention d’augmenter le niveau de service minimum en cas de grève. Toute l’absurdité de la situation tient au fait que le déficit de moyens humains et matériels est si criant que le service minimum est souvent impraticable en temps normal. Le niveau de service minimum requis en cas de grève signifiera bientôt que plus de personnel sera au travail les jours de grève qu’un jour normal !

    Il y aura des recrutements, c’est certain, essentiellement en raison du taux élevé de rotation du personnel. Les horaires rendus compliqués par le trafic de plus en plus dense et la limitation des périodes de repos ainsi que les salaires bien peu attractifs font que le nombre de travailleurs prêts à partir reste élevé. La pénurie de personnel permet d’ailleurs souvent de masquer le manque d’équipement. Un chauffeur de bus nous a raconté qu’un jour, un voyage sur quatre n’a pas été effectué à son dépôt, faute de chauffeur ! Difficile de rendre les transports publics fiables dans ces conditions, tandis que grandit la frustration des passagers et du personnel. Ce cocktail toxique est imposé par le gouvernement flamand et la direction de De Lijn.

    Aujourd’hui, même des cadres supérieurs jettent l’éponge ! Selon le quotidien flamand De Standaard, trois à cinq managers (sur un total de 55) quittent leurs fonctions tous les mois. Le journal a notamment relayé les propos d’un membre de la direction technique de la société, qui a déclaré sous le couvert de l’anonymat : ‘‘Un navire en perdition, on le quitte.’’ Un autre ancien directeur de De Lijn expliquait: ‘‘Avec les ressources qu’on m’a données, il m’était impossible de faire ce que j’avais à faire.’’

    Le pire est encore à venir. C’est à peine si l’accord de coalition flamand envisage d’investir dans De Lijn. Le gouvernement prévoit de laisser davantage pourrir la situation. Dans l’une des régions de transport (la Flandre est divisée en 15 de ces régions), un appel d’offres doit être lancé d’ici la fin de la législature pour que De Lijn ne soit plus la seule société de transport public. Tout ce qui fait barrage à l’arrivée d’opérateurs privé doit disparaître. Au profit de l’usager ? Nous en doutons. La libéralisation du marché de l’énergie a considérablement alourdi nos factures et il n’en ira pas autrement ici. Le gouvernement flamand a déjà annoncé que De Lijn ‘‘continuera à atteindre un degré plus élevé de recouvrement des frais’’, un jargon qui signifie que l’usager devra payer de plus en plus cher.

    Il y a des années, Noam Chomsky avait expliqué le mécanisme de privatisation de cette manière : ‘‘Comment détruire un service public ? Commencez par réduire son financement. Il ne fonctionnera plus. Les gens s’énerveront, ils voudront autre chose. C’est la technique élémentaire pour privatiser un service public.’’ A moins que nous résistions ensemble. L’appel grandissant en faveur de mesures climatiques peut être concrétisé par des actions offensives des jeunes en faveur de transports publics plus nombreux, meilleurs et gratuits. Associons cela aux protestations du personnel et des usagers en faveur de meilleurs services et donc de meilleures conditions de travail.

  • Entretien avec Joachim Permentier, secrétaire général du Syndicat Indépendant pour Cheminots

    Les accompagnateurs de train ont droit à leurs congés !

    Un mouvement de grève a touché le rail ces 27 juillet et 17 août à l’initiative du Syndicat Indépendant pour Cheminots (SIC), sans le soutien des autres syndicats. Les actions ont toutefois trouvé un certain écho parmi l’ensemble du personnel et beaucoup d’accompagnateurs de train se sont mis en grève, signe de la profondeur de la colère. Nous en avons parlé avec Joachim Permentier, secrétaire général du SIC.

    Propos recueillis par Thomas

    Quelles sont les raisons de la colère ?

    ‘‘La cause immédiate, c’est l’incapacité de prendre congé pour les accompagnateurs de train. La pénurie de personnel sévit depuis plus de dix ans. La direction prétend que personne n’est intéressé par un emploi statutaire dans les chemins de fer tant que des emplois mieux rémunérés existent. C’est n’importe quoi. Tout d’abord, les exigences médicales, psychologiques et linguistiques élevées jouent un rôle important. Mais n’oublions pas non plus l’incertitude qui règne quant à l’avenir de la SNCB. Les conditions de travail et de salaire n’aident pas à convaincre quelqu’un de commencer cette carrière ou de la poursuivre. La SNCB recherche maintenant du personnel de manière plus intensive et alloue davantage de moyens aux campagnes de recrutement. Mais, au même moment, de nouvelles économies sont réalisées sur le dos du personnel !

    ‘‘La revendication centrale des grèves était qu’au moins 15% du personnel de chaque dépôt puisse quotidiennement être en congé. C’est en deçà de la marge habituelle, mais ça offre tout de même un peu de sécurité. Aujourd’hui, dans certains dépôts, à peine 10 % du cadre effectif est atteint, même pendant les périodes de vacances où les trains circulent moins. La SNCB veut apporter une solution partielle, mais essaie directement d’en profiter. Une partie du cadre connaît une flexibilité accrue avec l’argument que, dans les petits dépôts, la marge n’est pas atteinte en cas d’absence. On parle de ‘‘papillons’’, envoyés dans des dépôts éloignés sur base d’une planification de dernière minute sans grande certitude quant au moment où il faudra travailler.

    ‘‘La pénurie de personnel continue de s’aggraver. Nous ne défendons aucune suppression de trains, mais on ne peut en faire circuler autant qu’avec suffisamment de personnel. L’initiative est aux mains du gouvernement et de la direction : sans ressources suffisantes, il n’y a pas assez de personnel avec de bonnes conditions de travail, ce qui rend le travail moins attractif et renforce la pénurie de personnel. La direction renvoie la patate chaude au personnel sous prétexte que le contrat de gestion doit être rempli et que la mission consiste à transporter des passagers. C’est du chantage. Bien sûr, les syndicats approuvent la mission d’organiser les transports publics collectifs de la meilleure manière possible, et mieux qu’aujourd’hui. Mais cela exige des moyens pour le personnel.’’

    Pourquoi la grève a-t-elle éclaté à ce moment-là ?

    ‘‘Nous devons augmenter la pression sur la direction pour l’obliger à faire des concessions. Après avoir gentiment demandé ces dix dernières années sans succès, cela s’impose. Pour une garantie minimale de congé, les agents de train doivent attendre un an de plus, et même là, il y a un risque de flexibilisation importante d’une partie du personnel. Il faut que les choses changent.’’

    Comment les actions ont-elles été structurées ?

    ‘‘Les représentants élus de tous les syndicats du CPPT (Comité pour la prévention et la protection au travail) se sont réunis pour élaborer une stratégie visant à répondre à la pénurie de personnel. Des campagnes de sensibilisation et d’information ont été lancées au niveau local. Une pétition a suivi, qui a reçu beaucoup de soutien. Les collègues ont pris conscience que des mesures pourraient être prises par la suite.

    ‘‘Le personnel voulait remettre la pétition à la directrice générale Sophie Dutordoir le 16 mai, mais elle ne l’a pas acceptée. On nous a dit qu’il fallait suivre les voies habituelles et que la pénurie de personnel relevait de la Commission paritaire nationale. C’est une réaction compréhensible, mais c’était trop peu pour les accompagnateurs de train.

    ‘‘Les accompagnateurs ont ensuite soulevé à nouveau la question dans leurs syndicats. Le SIC a au départ également réagi prudemment, avant de déclencher des grèves. La question a été soulevée à plusieurs reprises, sans aucune menace. Ce n’est qu’après la menace via la procédure de la sonnette d’alarme que le minimum garanti en matière de congés est prévu, mais elle a été immédiatement renvoyée vers les groupes de travail pour gagner du temps et assouplir les exigences.

    ‘‘Nous avons pris nos responsabilités en tant que syndicat et nous nous sommes engagés à faire grève. Cela a contraint HR-Rail à s’asseoir, bon gré mal gré, avec nous à la table de négociation. Après tout, pour eux, un ‘‘partenaire social acceptable’’ ne fait pas grève. Et refuser une réunion qu’ils qualifient ‘‘d’extrêmement constructive’’, c’est aussi inacceptable. La grève était donc inévitable.

    ‘‘Et ce fut un succès : la moitié des trains n’ont pas roulé. Après cela, nous avons repris contact avec la direction. L’annonce d’un nouveau préavis de grève a cependant été nécessaire pour que la direction accepte de revenir à la table de négociation. Il subsistait une différence fondamentale, à savoir que la direction ne veut pas reconnaître la norme des 15 % comme une garantie, mais seulement comme un objectif conditionnel. C’est pourquoi la deuxième grève était nécessaire.’’

    Quelle sera la prochaine étape ?

    ‘‘Nous devons maintenir la pression et ne pas exclure de nouvelles actions, qui devront être au moins aussi puissantes et de préférence encore mieux suivies. L’attitude des autres syndicats est également importante. Jusqu’à présent, ils ont préféré la négociation à la grève. Mais la direction exige une plus grande flexibilité de la part du personnel tout en considérant la garantie minimale de congé comme étant seulement conditionnelle.

    ‘‘Le SIC n’a jamais eu l’intention de tirer la couverture à soi. Coopérer est vital pour gagner la bataille. Cela ne s’applique pas seulement au niveau syndical, mais aussi au niveau politique et nous allons écrire aux partis progressistes et au ministre responsable.’’

    Un protocole d’accord devrait être conclu en septembre. Qu’en attendez-vous ?

    ‘‘Des économies ont été réalisées pendant des années et aucun investissement n’a été fait. Le gouvernement et la direction veulent nous préparer à la libéralisation. Les exigences de la direction doivent être considérées dans ce contexte. L’objectif est d’abolir le statut et de ne plus avoir que du recrutement contractuel. La combinaison d’agents contractuels et d’agents statutaires sur le même plan de travail crée de l’espace pour la division, ce sur quoi compte la direction. Je n’ai pas besoin d’expliquer que cela rend encore plus difficile la lutte pour de meilleures conditions de travail pour le personnel statutaire. Le SIC veut travailler avec les autres syndicats pour protéger les acquis statutaires et, bien sûr, obtenir des améliorations. Il ne suffit pas de limiter la casse : nous devons exiger des améliorations.

    ‘‘Le personnel hésite à faire la grève. Ils veulent un bon service et de bonnes conditions de travail en font partie. Mais si la direction et le gouvernement mènent invariablement des attaques, ils ne nous laissent aucun choix. Avec le personnel, nous sommes les premiers témoins de la destruction de l’entreprise. Ils essaient de monter le personnel et les passagers les uns contre les autres et font appel au sens des responsabilités des cheminots envers les usagers. Mais nous prenons nos responsabilités en défendant une entreprise ferroviaire qui fonctionne correctement. Les attaques constantes contre le personnel et l’absence d’investissements dans le matériel sont les facteurs qui détruisent la SNCB. Le personnel et les passagers doivent s’y opposer.’’

     

  • Premières élections sociales à la SNCB : votez pour des candidats combatifs

    Début décembre se tiennent les premières élections sociales de l’histoire des Chemins de fer belges. Le personnel y élit 561 représentants pour 88 comités et sous-comités Prévention et protection au travail (CPPT), 3 comités d’entreprise pour la prévention et la protection au travail et 5 commissions paritaires régionales (CPR, similaire à un comité d’entreprise au niveau local). Ces élections ne concernent pas la Commission paritaire nationale ; l’argument de la ‘‘démocratisation’’ ne s’applique visiblement pas au principal organe consultatif. Six organisations syndicales présentent des listes.

    L’agenda politique du gouvernement

    Il aurait été logique que ces élections sociales se tiennent en 2020, au même moment que dans les entreprises du privé et certaines du public (comme la société de transports en commun flamande De Lijn). Mais puisque le gouvernement souhaitait que cela survienne avant les élections fédérales de 2019, l’événement a été organisé au pas de course, avec trop peu de bureaux de vote, une campagne trop courte et vraisemblablement une faible participation. Les premiers élus ne siégeront pas pendant quatre ans, mais pendant six ans, jusqu’en 2024.

    L’objectif de la N-VA était clair dès le départ : ‘‘L’attitude irresponsable des syndicats wallons détruit progressivement mais sûrement l’entreprise. Chaque grève coûte des millions d’euros. C’est pourquoi la N-VA veut introduire des élections sociales dans les Chemins de fer, tout comme dans les entreprises privées.’’ Le gouvernement espère saper la position historique de l’ACOD/CGSP en ne déterminant plus la représentativité des travailleurs via le nombre d’affiliés mais via des élections sociales.

    Tout a été fait pour donner plus d’ancrage au petit syndicat libéral (SLFP), y compris en l’incluant dans la Commission paritaire nationale où il est le seul petit syndicat. Heureusement, la tentative de museler les autres petits syndicats avec la loi Bellot de 2016 a été balayée par la plainte déposée par le Syndicat indépendant des cheminots (SIC) à la Cour constitutionnelle. L’argumentation démocratique du gouvernement comporte une bonne dose de cynisme : il tente d’exclure les syndicats par des mesures antidémocratiques et ne tolère pas d’élections au principal organe consultatif !

    Le gouvernement refuse d’investir dans le personnel et le service : 663 millions d’euros de moins pour la SNCB

    A côté des vieux routards expérimentés des syndicats, des militants plus récents veulent jouer un rôle plus actif dans la défense de leurs collègues. Des débats plus approfondis ont eu lieu sur l’importance du syndicat, mais aussi sur l’utilité des organes de consultation sociale et leurs limites. La poursuite de cette discussion ne peut que renforcer les syndicats.

    Nous connaissions quels gadgets (comme des bics) allaient être offerts avant même que les programmes ne soient prêts. Les petits cadeaux sont amusants, mais ce n’est pas ça qui va combler le manque de personnel et répondre aux besoins du service. Les affiches et les tracts des syndicats étaient généralement assez vagues et avec un contenu fort limité. Les défis à relever ne sont pourtant pas des moindres.

    Les économies budgétaires et tout ce qui ouvre la voie à la libéralisation exercent une énorme pression sur le personnel. En 2018, le nombre d’équivalents temps plein est tombé en dessous des 30.000. Nous étions pourtant plus de 40.000 en 2004 ! Sur le même laps de temps, le nombre de passagers a augmenté de 40 %. Des collègues ne parviennent plus à obtenir leurs jours de congé, la charge de travail augmente et des gares sont vidées de leur personnel. Une augmentation de la productivité de 4% est encore prévue jusqu’en 2019. Et comme si cela ne suffisait pas, la direction exige d’accroitre la productivité à chaque fois que le personnel reçoit une miette (revalorisation des conducteurs, jours de crédit,…).

    Il suffit de prendre le train une seule fois pour se rendre compte que les moyens manquent, mais les subsides de l’Etat belge à la SNCB et à Infrabel ont été réduits de 20% par ce gouvernement. En 2019, cette dotation sera inférieure de 663 millions d’euros à celle de 2014 !

    Votez pour des candidats combattifs !

    Les pressions exercées par le gouvernement et la direction exposent les limites du syndicalisme de concertation. L’offensive vient de tous les côtés et adopte les formes les plus diverses. Les dossiers sont unilatéralement poussés à un rythme de malade pour contourner les syndicats. L’absence de riposte ferme a causé beaucoup d’insatisfaction envers les dirigeants syndicaux. Nous devons utiliser ces élections sociales pour nous renforcer et démocratiser le syndicalisme. La force des syndicats réside dans leur capacité à rassembler le personnel dans la lutte pour la défense de nos intérêts.

    Les syndicats se contentent souvent de se plaindre de ce qui pose problème, mais chaque collègue en fait l’expérience au quotidien. Les solutions proposées restent trop générales. Nous savons tous que la pénurie de personnel sera résolue avec plus de personnel. Qui peut s’opposer à la revendication du travail faisable et de plus de sécurité ? Comment ce travail faisable sera-t-il organisé ? Comment défendre nos pensions ? Comment stopper les économies qui menacent la sécurité ? Des différences existent entre les syndicats et entre les lieux de travail, notamment à l’initiative des militants. Nous serons plus forts là où seront élus des militants partisans d’un syndicalisme de combat.

    Chaque catégorie de personnel a des préoccupations spécifiques et chaque lieu de travail a besoin de militants qui font tout ce qui est en leur pouvoir pour défendre leurs collègues. Ces militants combatifs et conséquents doivent être soutenus, quel que soit le syndicat pour lequel ils sont candidats. Nous devons utiliser ces positions élues pour informer, impliquer et mobiliser davantage nos collègues. De cette façon, il est possible d’élaborer une stratégie comprise et soutenue par le plus grand nombre. C’est ainsi que nous construirons un rapport de force sur les lieux de travail pour défendre des Chemins de fer publics forts, qui respectent le personnel et les usagers.

     

    Cet article est le fruit d’un travail collectif de cheminots du PSL de Flandre, Wallonie et Bruxelles, dont des candidats de différentes listes pour les élections sociales.

  • [ENTRETIEN] SNCB. “Le fatalisme n’a pas sa place au syndicat”

    Le PTB a récemment découvert et dénoncé que la SNCB engageait un ‘‘Specialist Rail Liberalization’’. Le gouvernement prépare-t-il la libéralisation du rail ? Est-il vrai de dire que cela ouvre la voie à la privatisation ? Nous en avons discuté avec un cheminot.

    Que signifie la libéralisation du rail ?

    La libéralisation signifie la fin du monopole public de la SNCB au profit d’un système où l’entreprise publique serait mise en concurrence avec d’autres opérateurs qui seraient tous libres de faire circuler des trains sur le réseau. C’est un principe différent de la privatisation, qui quant à elle signifierait la vente pure et simple de la SNCB à des actionnaires privés.

    La privatisation n’est officiellement pas à l’ordre du jour en Belgique, mais des provocateurs de droite dure comme Alexander de Croo (Open VLD) y font régulièrement allusion. Ce qui se prépare, c’est la libéralisation du trafic voyageur intérieur à partir de 2023. C’est un processus qui a commencé dans les années 2000 au niveau européen et qui a abouti en 2005 à la scission Infrabel (qui gère le réseau et qui est destiné à rester public) / SNCB (qui est un opérateur public destiné à être mis en concurrence). C’est une obligation européenne mais qui prévoit des exceptions. Il est inutile de préciser que le gouvernement Michel n’a aucune intention d’entrer dans un rapport de force avec l’UE sur ce sujet. Le spectre de la libéralisation, tout proche, lui permet d’exercer une énorme pression sur les entreprises du rail.

    Qu’est-ce que ça a comme conséquences pour les usagers et le personnel ?

    La raison pour laquelle beaucoup de gens confondent « libéralisation » et « privatisation » est que la libéralisation entraîne une mise en conformité du service public avec les exigences du privé. J’ai vu ce même processus à l’œuvre dans l’hôpital public où j’ai travaillé avant d’entrer à la SNCB : la mise en concurrence d’organismes publics avec le privé fait en sorte que les services publics sont transformés pour fonctionner de la même manière qu’une entreprise privée qui cherche à faire des bénéfices. L’objectif premier n’est alors plus de fournir un service de qualité à la population, mais bien de faire « du chiffre ». C’est une sorte de privatisation larvée, qui ne dit pas son nom. Tu travailles dans un service public mais on te demande de fonctionner exactement comme le ferait le privé. En même temps, les usagers, eux, te reprochent – à raison – de ne plus respecter les règles d’équité et d’accessibilité du service public, ce qu’est encore officiellement la SNCB. Le personnel est écartelé entre des valeurs et des exigences totalement incompatibles. Le tout dans un contexte où ses droits sont sans cesse attaqués. Cela provoque énormément de frustration.

    Concrètement ?

    Il y a quelques mois des nouvelles statistiques de ponctualité des trains sont sorties. On y voyait que la ponctualité sur la dorsale wallonne est l’une des pires du pays. Le porte-parole de la SNCB a provoqué un petit scandale en minimisant les faits par une déclaration : « ce n’est pas sur cette ligne que nous avons la majorité de nos clients ». Certains y ont vu une bataille communautaire, c’est une grosse erreur d’analyse. S’il y a un abandon de certaines « petites » lignes en Wallonie, ce n’est certainement pas pour des raisons linguistiques. Les entreprises ferroviaires délaissent les lignes les moins fréquentées car ce n’est pas là qu’elles font leur « chiffre d’affaire ». C’est la simple application de la logique du marché.

    Chaque décision d’ampleur prise aujourd’hui à la SNCB est basée sur la libéralisation à venir. C’est devenu une obsession dans le top management. En quelques années, l’usager est devenu le client. Le client est le core business. Tout le baratin managérial du privé est asséné dans chaque service. Le changement de vocabulaire a son importance car il a pour objectif d’imposer un nouveau cadre idéologique et de faire comprendre aux « anciens » qu’ils doivent « s’adapter » ou partir. C’est un processus qui peut devenir extrêmement violent. On apprend qu’en France, où le niveau d’attaque est encore supérieur à celui que nous vivons, les cas de suicides de cheminots sur leur lieu de travail se multiplient.

    La ponctualité et la sécurité sont officiellement la priorité de la SNCB et d’Infrabel. Mais avec les coupes budgétaires du gouvernement Michel et la chute des effectifs, ce n’est clairement pas le cas. Le manque de personnel a des conséquences très concrètes sur la ponctualité et la qualité du service. On peut prendre pour exemple le plan stratégique « 20-20-20 » mis en place pour les guichetiers. Dans les grandes gares la SNCB ouvre volontairement trop peu de guichets par rapport à la demande, ce qui provoque des files monstre, obligeant les voyageurs à acheter leur ticket sur internet ou aux automates. Les managers présentent ensuite les chiffres de vente et expliquent qu’il est normal d’avoir moins de guichetiers puisque les voyageurs utilisent de plus en plus les canaux de vente électroniques… Ils se moquent du monde ! Mais cela fait augmenter la productivité. C’est la seule chose importante pour eux.

    Depuis le début de son mandat, le ministre Bellot parle de « moderniser » le rail. Le gouvernement prévoit aussi de permettre à la SNCB de baisser ses tarifs en heures creuses. Qu’en penses-tu ?

    Les négociations sur le prochain contrat de gestion sont en cours. Jo Cornu, à son époque (CEO de 2013 à 2017), réclamait déjà plus de « liberté tarifaire » pour la SNCB. L’argument principal, toujours repris aujourd’hui, est que cela permettrait de faire baisser les prix du train en heures creuses afin de mieux répartir le flux de voyageurs. Mais Jo Cornu se plaignait aussi que les tarifs de la SNCB n’avaient que très peu augmenté par rapport à ceux de Bpost, selon sa propre comparaison. Baisser les tarifs pour rendre le transport ferroviaire plus accessible serait une bonne chose. Mais ça pourrait être aussi un prétexte pour permettre à la SNCB de réguler les prix comme bon lui semble, et augmenter d’autres types de tarifs dans un second temps. La SNCF utilise par exemple depuis des années le Yeald management, une politique des prix constamment changeante en fonction de l’offre, de la demande et de contraintes internes, où le prix d’un même voyage peut passer du simple ou double en quelques heures.

    Au nom de la lutte contre le gaspillage, le top management réorganise chaque service des chemins de fer. La nouvelle philosophie est celle du flux tendu, une méthode qui vise à produire toujours plus avec toujours moins de moyens humains et techniques. Cela explique en partie pourquoi nous n’arrivons toujours pas à améliorer les chiffres de ponctualité. Lors du nouveau plan de transport de décembre 2017, le nombre de trains que la SNCB fait circuler sur le réseau a été augmenté de 5,1%. Mais les ressources et l’infrastructure ne suivent pas. Lorsqu’un train tombe en panne en pleine ligne, nous aurions besoin d’avoir du matériel roulant et du personnel de réserve pour pouvoir le remplacer rapidement sur son parcours suivant. Beaucoup de facteurs entrent en jeu pour qu’un train circule à l’heure, et ce d’autant plus en heure de pointe. La priorité devrait être l’augmentation du degré de fiabilité de chacun d’entre eux. Mais avec le flux tendu, où chaque élément n’est prévu qu’en quantité minimale, il n’y a plus de « marge » pour pallier l’imprévu.

    La question du « One man car », des trains qui circuleraient sans accompagnateur, revient aussi dans l’actualité. Dutordoir prétend ne pas en vouloir, mais son argument principal est que la SNCB « n’est pas (encore) prête » pour ça. La confusion qui règne dans ce dossier illustre que des tensions existent aussi dans les hautes sphères.

    Les élections sociales à la SNCB se dérouleront en décembre de cette année. C’est une première. Pourquoi ce changement et quelle est la position des militants combatifs ?

    5 610 candidats se présentent pour 561 mandats syndicaux qui seront effectifs pendant 6 ans. En termes d’organisation, tant pour le management que pour les syndicats, c’est un défi. Les enjeux sont multiples. Il en va bien sûr du rapport de force entre chaque organisation (la CGSP Cheminots est historiquement le syndicat le plus important), mais aussi du taux d’abstention. Le taux de participation, s’il est élevé, renforcerait la légitimité des syndicats. A l’inverse, les directions d’entreprises pourraient profiter d’un taux de participation faible pour accélérer leurs attaques.

    Les chemins de fer sont historiquement un bastion syndical. Mais en quelques années, les syndicats ont subi énormément de revers. La droite dure multiplie les attaques, qui proviennent à la fois du gouvernement – comme les pensions ou le service minimum – ou des entreprises elles-mêmes. L’obsession autour de l’augmentation de la productivité entraine une réduction du nombre de jours de repos, des changements incessants dans l’organisation du travail, une augmentation de la charge et de la pression au travail, etc.

    Les dirigeants syndicaux avaient auparavant l’habitude de négocier plutôt tranquillement, ils ont été formés avec ces méthodes… Mais dans un contexte où ceux qui dirigent ne veulent même plus négocier et privilégient le passage en force, les méthodes habituelles ne fonctionnent plus.

    Nous devons aller au rapport de force, mais pas sans avoir mis sur pied une stratégie solide au préalable. Il faut aller chercher le soutien des voyageurs, leur expliquer pourquoi les usagers autant que les cheminots ont besoin d’un vrai service public. Il faut discuter et rendre des comptes aux affiliés beaucoup plus que ça n’a été fait ces dernières années. Il faut organiser un plan d’action à long terme, car les grèves « one shot » ont montré leurs limites. Je pense que beaucoup de choses nécessaires ne sont pas faites actuellement. Mais cela nécessite avant tout de bien comprendre les enjeux auxquels nous faisons face.

    Lorsqu’il a imposé les élections sociales aux chemins de fer, le gouvernement Michel avait probablement en tête d’affaiblir la position historique de la CGSP. Mais dans la pratique, cela pourrait avoir pour conséquence de renforcer le dynamisme dans tous les syndicats. Je pense que les militants combatifs doivent mener campagne activement en profitant de cette opportunité pour discuter avec leurs collègues de la manière de démocratiser le fonctionnement des syndicats, et d’impliquer un maximum de travailleurs dans le combat.

    Mon avis est que le fatalisme n’a pas sa place dans une organisation syndicale. Nous allons travailler pour renverser le rapport de force. Nous voulons un vrai service public, fort, accessible, financé à la hauteur des enjeux sociétaux. La peur doit donc changer de camp.

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