Category: Moyen-Orient et Afrique du Nord

  • [PHOTOS] Action de solidarité avec la Freedom Flotila.

    Ce lundi 4 juillet, une centaine de personnes ont participé au rassemblement de soutien à la Freedom Flotila II devant les institutions européennes, à l’initiative de la plateforme Freedom Flotila-Belgium. L’action de solidarité avec la flottille visait à mettre pression sur l’UE et à dénoncer la politique du gouvernement grec consistant à empêcher les bateaux de partir briser le blocus de Gaza. Nous avons diffusé à cette occasion le communiqué de presse de Paul Murphy, député européen du Socialist Party (parti frère du PSL) qui participe à la flottille pour Gaza et dénonce cette situation inadmissible.

  • Freedom Flotilla : Communiqué de presse de Paul Murphy, député européen du parti socialiste irlandais

    • Le blocus de Gaza maintenant étendu aux ports grecs
    • Le Sabotage du Saoirse et le blocus grec ont montré jusqu’où l’Etat israélien est prêt à aller pour maintenir l’inhumain siège imposé au peuple de Gaza.

    "Les actes commis par le gouvernement grec, qui a choisi d’appliquer le blocus de Gaza aux ports grecs, sont extrêmement choquants. Avec leurs masques de commandos prenant d’assaut le bateau américain, "Audacity of hope", ils ont collaboré avec les autorités israéliennes pour empêcher l’aide humanitaire d’arriver jusqu’à Gaza. Des militants essayent en ce moment de faire pression sur les autorités grecques pour qu’elles changent leur décision, et j’appelle tous les travailleurs grecs à protester fermement contre de telles agissements.

    ”Cependant je ne pense qu’il est peu probable que cette décision soit modifiée et en pratique cette décision marque probablement la fin de la flottille de la liberté II.

    ”L’Etat israélien a une fois de plus montré qu’il était prêt à tout pour empêcher que le siège de Gaza ne soit brisé. Cela montre également qu’il était essentiel pour les forces de défenses israéliennes ou le Mossad de saboter le bateau irlandais le Saoirse, le seul bateau qui n’était pas amarré dans un port grec. Cette action était un acte de quasi-terrorisme, qui a mis en danger la vie de tout les passagers à bord.  

    ”Si nous somme déçus, nous sommes plus que jamais déterminés à mettre en lumière les conditions de vie à Gaza et à briser le blocus. Les conditions sur place contredisent totalement la propagande faite par les autorités israéliennes qui essayent de minimiser l’importance de la flottille. 66% des gazaouis sont dans l’insécurité alimentaire, 80% vivent de l’aide étrangère et 300.000 personnes vivent avec moins d’1 dollar par jour. Ces chiffres se sont dramatiquement aggravés depuis le blocus de Gaza, punition collective imposée au peuple de Gaza.

    ”Je tiens à remercier tous les organisateurs de la campagne du bateau irlandais pour Gaza et la flottille de liberté II pour tous les efforts qu’ils ont déployés pour mettre en place cette flottille. C’était une incroyable expérience de mener cette action avec tant de personnes pour essayer d’atteindre Gaza et je suis persuadé que nous retournerons sur place à nouveau pour tenter de briser le blocus.

    ”Les révolutions en Afrique du Nord et au Moyen-Orient nous ont apporté l’espoir incroyable que même la pire des répressions, comme celle mise en place par l’Etat israélien, peut être vaincue par une mobilisation de masse. Je travaillerai avec nos partis politiques frères en Israël et en Palestine, le Mouvement socialiste de lutte, pour construire un mouvement uni de Palestiniens et du peuple arabe et des travailleurs juifs israéliens pour mettre en échec les autorités israéliennes de droite et lutter pour une Palestine indépendante socialiste côte à côte avec un Etat israélien faisant parti d’une confédération socialiste régionale.”

  • [INTERVIEW] Paul Murphy, eurodéputé du Socialist Party, embarque à bord de la deuxième Flottille de la liberté pour Gaza

    ‘‘L’objectif de la Flottille est de briser le siège et de montrer l’impact qu’a le blocus sur la population de Gaza’’

    Paul Murphy, l’eurodéputé de nos camarades irlandais du Socialist Party a embarqué à bord de la “Freedom Flotilla II” afin de livrer de l’aide humanitaire à la population de la bande de Gaza. L’an dernier, la “Freedom Flotilla I” avait brutalement été attaquée dans les eaux internationales par les Forces de défense israéliennes (IDF), causant la mort de neuf militants des droits de l’Homme.


    Les organisateurs de l’expédition de la Flottille de la liberté II ont annoncé le sabotage de bateaux de la flottille en route pour aller délivrer de l’aide humanitaire à la Bande de Gaza. Parmi eux se trouve le navire irlandais Saoirse (liberté), sur lequel se trouvait le député européen Paul Murphy. Voici ci-dessous son communiqué de presse.


    Pourquoi as-tu décidé de rejoindre la Flottille ?

    Avant tout, ma décision de rejoindre la “Flottille de la liberté” est motivée par la lutte contre les conditions auxquelles sont confrontés les habitants de Gaza, et par la tentative d’apporter un réconfort humanitaire à leurs souffrances. L’État israélien interdit l’entrée de médicaments de base et de matériaux de construction à Gaza, ce qui a bien entendu un effet désastreux sur les conditions de vie de la population. L’objectif de la Flottille est de rompre le siège en apportant un approvisionnement de médicaments et de matériaux de construction tout en soulevant le problème du blocus et l’impact que cela a sur la population.

    La bande de Gaza est une des régions les plus densément peuplée du monde, avec 1,6 million d’habitants entassés sur à peine 360km². Les conditions de vie y sont horribles, et se sont gravement aggravées depuis le début du blocus israélien. Selon les Nations-Unies, le taux de chômage à Gaza a atteint les 45,2% fin 2010. Le nombre de gens qui y vivent avec moins d’un dollar par jour a triplé, atteignant 300.000 habitants, directement en conséquence du blocus. L’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (UNRWA) a rapporté que les salaires y ont chuté d’un tiers au cours du blocus.

    Le blocus de Gaza entre maintenant dans sa cinquième année, et a été imposé par l’État israélien lorsque le Hamas y a remporté les élections. Ceci revient à un châtiment collectif de la population de Gaza pour avoir pris la décision d’élire le Hamas. C’est un viol révoltant des droits de l’Homme et de la démocratie que d’imposer une telle souffrance à la population civile de Gaza pour avoir “mal” voté !

    Quelle est ta réaction par rapport à ce qui est arrivé à la Flottille l’an dernier ?

    L’assaut sur la première Flottille de la liberté organisé par l’IDF l’an passé a démontré l’impunité avec laquelle l’establishment israélien se sent capable d’agir, sans aucune considération pour la loi internationale, sans même parler des droits de l’Homme. J’ai vu récemment une vidéo du raid sur la flottille, et j’ai eu la chance de parler avec certains des participants qui ont été témoins du meurtre de 9 militants pacifiques. La brutalité de l’IDF a été extrême, tout comme l’a été de manière générale la réponse du gouvernement israélien qui a cyniquement décider de lancer cette attaque sur ces militants des droits de l’Homme.

    J’ai un immense respect pour la détermination de nombre de ces militants dans leur désir d’apporter de l’aide humanitaire à la population assiégée de Gaza. Lorsque j’ai entendu que la Flottille s’apprêtait à un nouveau départ, et qu’elle cherchait des figures publiques avec qui voyager, j’ai senti que ce serait une très bonne opportunité d’exprimer ma solidarité avec le peuple palestinien, de même que, espérons-le, d’accorder une certaine protection aux autres militants à bord du navire.

    Qui fait partie du voyage pour Gaza ?

    Des centaines de militants vont tenter de rompre le siège de Gaza dans quelques jours. Ces personnes proviennent de différents groupes pour les droits des Palestiniens, et bien entendu de diverses organisations politiques. Un autre eurodéputé du groupe de la Gauche unie européenne nous accompagnera, Williy Meyer, du parti espagnol Izquierda Unida. Il y a 25 participants à bord du navire irlandais, y compris le joueur de rugby Trevor Hogan et le conseiller communal Hugh Lewis, du mouvement “Les gens avant le profit” (qui fait partie, tout comme le Socialist Party, de l’Alliance de la gauche unie, United Left Alliance). Le navire irlandais est organisé par l’association Irish Ship to Gaza (irishshiptogaza.org), qui fait partie de la coalition internationale pour la deuxième Flottille de la liberté.

    Tu penses que vous allez réussir à arriver à Gaza ?

    Je pense que la réponse à cette question est quasi entièrement entre les mains de l’establishment israélien et des forces de défense. S’ils décident d’attaquer les navires à nouveau, ce qui, je pense, est le plus probable, il ne sera pas possible de les distancier. Toutefois, s’ils prennent cette décision, ils risquent de déclencher un important mouvement de protestation dans le monde entier, comme cela s’est produit au moment de leur attaque de la dernière flottille.

    Au cas où nous parvenons à atteindre Gaza, nous y apporterons notre aide humanitaire et y resterons quelques jours pour y organiser toute une série de meetings de solidarité et de débats citoyens, ainsi que des rencontres avec des militants des droits de l’Homme et autres. Je serais particulièrement intéressé de rencontrer les syndicalistes qui ont organisé d’importantes grèves à Gaza ces dernières années.

    L’ouverture du passage de Rafah (entre l’Égypte et la bande de Gaza) ne signifie-t-elle pas que la Flottille n’est plus nécessaire ?

    Non, et cela, à mon avis, pour deux raisons. La première est que la frontière de Rafah n’est pas réellement ouverte. Les autorités égyptiennes ont annoncé son ouverture à la fin du mois de mai. Ils ont permis aux civils de passer la frontière, mais interdisent les entrées et sorties de marchandises. Il est vrai que l’ouverture du poste-frontière permet aux gens d’aller en Égypte pour y acheter des produits, médicaments, etc. Mais début juin, le Hamas a annoncé la fermeture de la frontière de son côté, selon lui en guise de protestation contre les files au poste-frontière, et contre la fermeture de la frontière par l’Égypte la veille, qui avait été opérée sans avertissement. Quelle que soient les motivations réelles du Hamas, il est clair que le problème n’est pas résolu et que l’objectif de la Flottille reste valide.

    Deuxièmement, même si le passage de Rafah était complètement ouvert, la Flottille garderait quand même toute sa pertinence. La population de Gaza ne devrait pas être forcée à n’emprunter qu’un seul point de passage à cause du blocus d’Israël, et devrait être capable d’utiliser librement ses ports maritimes, sans interférence israélienne.

    Quel impact penses-tu que les révolutions en Afrique du Nord et au Moyen-Orient auront sur les développements dans la région ?

    Il est évident que ces révolutions ont un impact sur la situation en Israël/Palestine. Partout dans la région, il y a eu des manifestations et des protestations en solidarité avec les masses palestiniennes opprimées. En même temps, le peuple palestinien a été inspiré par les événements révolutionnaires dans la région. Il ne faut pas s’étonner que les manifestations pour commémorer la Nakba (“catastrophe” en arabe – le jour où l’État d’Israël a été installé, en commençant par l’expulsion d’environ 700.000 Palestiniens) tenues en Israël même et dans les territoires occupés palestiniens ont connu une affluence record. Les révolutions ont aussi eu un impact sur le Hamas et le Fatah qui sentent monter la pression d’en-bas et se sont vus contraints d’entamer des discussions en vue de former un gouvernement d’unité nationale.

    Il est important de constater que ces mouvements de protestation étaient principalement composés d’une nouvelle génération de jeunes Palestiniens, et semblent avoir gagné en importance. Le 15 mars, on a vu des manifestations massives dans les rues de nombreuses villes et villages de la bande de Gaza et de Cisjordanie. Le jour de la Nakba, le 15 mai, a aussi connu de grands mouvements, comme je l’ai déjà dit, auxquels se sont ajoutés les débuts d’un mouvement de masse des réfugiés palestiniens dans les pays arabes. Le 5 juin, des conflits ont eu lieu à la frontière près du plateau du Golan, où les attaques brutales de l’armée israélienne ont tué 20 Palestiniens et blessé des centaines d’autres.

    D’un autre côté, le gouvernement israélien a tenté d’utiliser les révolutions pour semer la peur parmi les juifs israéliens, en agitant l’épouvantail d’une menace des forces de l’islam politique. C’est la tactique traditionnelle de l’establishment capitaliste israélien, qui insiste sur le fait qu’Israël est entouré de pays hostiles, et qu’il est par conséquent d’avoir une “unité nationale” au sein d’Israël et de se concentrer sur les questions de sécurité. Le régime israélien est très inquiet d’avoir perdu des alliés importants tels que l’ex-dictateur égyptien Hosni Moubarak. En même temps, il lui sera de plus en plus difficile de se présenter comme étant la seule “démocratie” dans la région, qui doit se défendre contre les dictatures qui l’encerclent.

    Il est clair, de par l’expérience de mon voyage en Tunisie et des expériences des membres du Comité pour une Internationale Ouvrière en Égypte et ailleurs, que le futur des révolutions n’est toujours pas décidé. Partout à travers la région, les forces de la contre-révolution sont en train de se réorganiser et cherchent à consolider leur puissance. À moins que la révolution n’aille de l’avant et que les masses ouvrières et pauvres ne prennent le plein contrôle démocratique de la gestion de la société et de l’économie, les espoirs des peuples qui ont bravement renversé des dictateurs brutaux ne seront hélas pas exhaussés.

    Quelle est ton attitude par rapport au Hamas ?

    J’ai toujours reconnu la victoire électorale légitime du Hamas à Gaza en 2006, comme je me suis opposé au blocus imposé par l’État israélien. De mon point de vue, le Hamas est parvenu à gagner son soutien du fait de la frustration et de la désillusion croissante des masses palestiniennes par rapport à l’échec du processus de paix d’Oslo qui avait été signé par l’aile Fatah de l’OLP sous Arafat. En outre, les masses palestiniennes ont été de plus en plus mécontentes par rapport à la corruption et au népotisme de l’Autorité palestinienne dirigée par le Fatah.

    Toutefois, j’ai de très profonds désaccords avec la direction politique du Hamas. Le Hamas est fondamentalement une organisation de droite, dont la politique est dirigée contre les intérêts du mouvement ouvrier, des syndicalistes et des véritables socialistes. Le Hamas n’offre aucune issue et ne mènera pas à un État palestinien indépendant et viable.

    Je suis en désaccord avec la stratégie et les tactiques du Hamas en ce qui concerne la manière d’aboutir à un État palestinien indépendant. Je soutiens de manière inconditionnelle le droit à l’auto-détermination et à l’auto-défense du peuple palestinien contre l’État d’Israël, mais je suis absolument opposé aux méthodes des attentats suicides, des tirs de roquettes sur les civils israéliens, etc.

    À mon avis, ce genre d’actions apporte en réalité une aide à l’establishment politique de droite en Israël et à la machine d’État israélienne, et ne va certainement pas apporter la paix à la région ni un État palestinien indépendant. Cela, parce que ces méthodes permettent justement à l’establishment israélien de jouer sur la peur à l’intérieur d’Israël, et de lier les simples travailleurs israéliens aux partis de droite qui mènent une propagande constante sur le thème de la sécurité.

    Comment pouvons-nous selon toi obtenir un État palestinien ?

    Ce qu’on appelle le “printemps arabe” – la série de révolutions, de mouvements révolutionnaires et d’insurrections en Afrique du Nord et au Moyen-Orient – a démontré, encore une fois, que la résistance de masse, l’action collective par les opprimés contre les oppresseurs est la méthode la plus efficace pour obtenir un véritable changement. La première insurrection des masses palestiniennes en 1987 – la première intifada – a ébranlé la classe dirigeante israélienne et l’impérialisme, et a forcé le régime israélien à des “pourparlers de paix”, qui n’ont toutefois mené qu’au frauduleux accord d’Oslo, en 1993, qui a été un cruel cul-de-sac pour les Palestiniens.

    Un redéveloppement de lutte de masse est à mon avis vital pour faire progresser la lutte. Pour parvenir à cela, il ne faut donner aucune confiance dans les diverses puissances occidentales qui prétendent parfois de temps en temps être “favorables” au peuple palestinien.

    Au lieu de ça, ce qu’il faut construire, à mon avis, est un mouvement révolutionnaire de masse des masses palestiniennes, des masse insurgées du monde arabe, de même que des travailleurs et des pauvres en Israël même. De tels mouvements pourraient parachever le renversement des élites corrompues dans le monde arabe, de même que dégager l’establishment israélien de droite, et lutter pour créer une Palestine socialiste, aux côtés d’un Israël socialiste, en tant que membres d’une confédération socialiste du Moyen-Orient.

    En ce moment, il y a énormément de discussions sur la possible déclaration d’un État palestinien indépendant devant l’Assemblée générale des Nations-Unies le 1er septembre. On comprend bien qu’il y ait beaucoup d’espoir parmi le peuple palestinien par rapport à ce 1er septembre qui pourrait enfin mener à la création d’un État palestinien indépendant.

    Toutefois, bien qu’il soit possible que le 1er septembre apporte une certaine forme de reconnaissance pour la cause palestinienne, il ne va malheureusement pas satisfaire aux aspirations du peuple palestinien. Le régime israélien ne permettra pas l’établissement d’un État souverain palestinien avec Jérusalem en tant que capitale commune. Malgré le fait qu’Israël semble plus isolé en ce moment, les États-Unis et les autres puissances occidentales ont toujours besoin d’Israël en tant qu’allié de poids dans une région dont la composition n’est toujours pas stable pour les intérêts de l’impérialisme occidental.

    Afin de parvenir à une véritable solution, le régime politique actuel en Israël doit être renversé. Pour ce faire, la classe ouvrière israélienne est un allié potentiel crucial. Je pense qu’il est extrêmement important d’insister sur le fait – souvent oublié par de nombreuses personnes à gauche – que malgré la propagande massive au sein d’Israël et sa nature militarisée, Israël reste une société de classes.

    Cela a été démontré récemment par les mouvements de protestation contre la hausse des prix, par d’importantes grèves des travailleurs sociaux, des docteurs et des cheminots, et par la grève des ouvriers de la chimie à Haïfa. Ces luttes ont impliqué des juifs israéliens aux côtés d’arabo-palestiniens israéliens. Mes camarades juifs et palestiniens du Mouvement de lutte socialiste en Israël/Palestine (www.maavak.org.il) jouent un rôle actif dans la construction d’un soutien pour la grève de Haïfa, de même que dans d’autres luttes, et jouent un rôle actif dans la lutte contre l’occupation et l’oppression des Palestiniens. Ils cherchent à unifier les travailleurs juifs et arabes de manière générale contre la classe capitaliste israélienne. Je crois qu’avec un appel de classe, une majorité des travailleurs et des pauvres israéliens peuvent être gagnés à une lutte unie contre l’ennemi commun. J’applaudis aussi la manifestation courageuse début juin à Tel Aviv contre l’occupation, dans laquelle le CIO a participé de manière fort visible.

    Comment les partisans de la cause palestinienne partout dans le monde peuvent-ils contribuer à cette lutte ?

    Un des débats parmi ceux qui soutiennent les droits du peuple palestinien concerne l’appel au boycott, au désinvestissement et aux sanctions contre Israël. Ceux qui parlent du boycott en tant que tactique majeure prétendent que le fait d’encourager les gens à boycotter les produits et les institutions israéliens partout dans le monde est une activité importante que les gens peuvent faire où qu’ils se trouvent. Je comprends évidemment pourquoi certains militants cherchent à promouvoir cette campagne, mais je ne pense pas qu’un boycott général représente la meilleure solution pour militer en faveur des droits des Palestiniens et d’un État palestinien.

    Certains types de boycotts et de sanctions, tels que contre les armes qui sont utilisées dans les territoires occupés, ou des produits fabriqués dans les colonies juives – surtout si organisées par les syndicats – peuvent jouer un rôle utile dans la lutte.

    Mais je crois que l’establishment politique israélien utiliserait à son avantage le développement d’une campagne de boycott général, en tant qu’outil de propagande pour semer la haine à l’encontre des masses palestiniennes parmi les travailleurs israéliens. Cela permettrait à l’État israélien d’aller encore plus loin dans sa propagande selon laquelle les juifs israéliens sont seuls au monde et par conséquent doivent tenir bons tous ensemble afin de défendre leurs intérêts. Pour cette raison, bien que je reste bien entendu en bons termes avec ceux qui appellent au boycott, je crois que cette revendication pourrait renforcer la droite chauviniste en Israël, ce qui nous rendrait la tâche plus difficile pour convaincre les travailleurs juifs israéliens, qui je pense sont cruciaux pour une solution durable au Moyen-Orient.

    Plutôt que de poursuivre une stratégie de boycott, j’aimerais encourager les gens à s’emparer de l’opportunité qu’offre la Freedom Flotilla II pour organiser des manifestations de masse contre la manière dont l’État israélien traite la population de Gaza, et en soutien au droit des Palestiniens d’avoir leur propre État véritablement indépendant. En particulier, j’aimerais encourager les travailleurs à débattre de cet enjeu au sein du mouvement ouvrier pour y faire adopter des motions autour de ce problème, de même que les étudiants devraient le faire dans le mouvement étudiant.

  • Scandaleux sabotage de navires de la Flottille de la Liberté

    Communiqué de presse: Paul Murphy, Eurodéputé (Parti socialiste irlandais)

    Les organisateurs de l’expédition de la Flottille de la liberté II ont annoncé le sabotage de bateaux de la flottille en route pour aller délivrer de l’aide humanitaire à la Bande de Gaza. Parmi eux se trouve le navire irlandais Saoirse (liberté), qui se trouvait au port turc de Gocek. Le député européen Paul Murphy se trouvait à bord de ce dernier.

    Paul Murphy, présent sur le navire irlandais de la flottille de la liberté pour Gaza:

    • Condamne le sabotage du navire irlandais pour Gaza, sabotage qui a menacé la vie de citoyens irlandais et d’autres nationalités
    • Si l’Etat d’Israël ne condamne pas l’attentat, l’ambassadeur israélien doit être expulsé d’Irlande
    • ‘‘Ce sabotage ne va pas me décourager’’ – Paul Murphy participera tout de même à flottille de la Liberté II à bord du bateau italien

    ‘‘Le fait que le bateau “Saoirse MV” ait été saboté causant de sérieux dommages au navire et mettant en danger de mort les personnes présente à bord est extrêmement grave. Les preuves mettant en cause l’Etat d’Israël sont accablantes. Le sabotage identique de deux des bateaux en route pour Gaza, dont les arbres de transmission d’hélice ont été endommagés, ne peut pas être une coïncidence.

    ‘‘Ces attaques sont cohérentes avec le discours du gouvernement israélien qui avait annoncé qu’ils feraient tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher la flottille de poursuivre sa route. Ceux qui, comme Hillary Clinton, ont implicitement donné le feu vert à une agression par les forces de défense israéliennes de la flottille ont une part de responsabilité dans ce sabotage. Le sabotage a non seulement causé des dizaines de milliers d’euros de dommages à ces navires, mais il a surtout menacé la vie de toutes les personnes à bord. Si nous étions parti vers Gaza à pleine vitesse, une explosion aurait pu se produire, ce qui aurait fait coulé le bateau et menacé l’ensemble de nos vies. Une enquête internationale indépendante doit être lancée pour enquêter pleinement sur le sabotage des navires.

    ‘‘J’exige une condamnation par l’Etat israélien de ces attaques terroristes. Si une telle déclaration n’est pas faite, je demanderai au gouvernement irlandais d’expulser l’ambassadeur israélien d’Irlande.

    ‘‘Même si je suis très déçu de ne pas pouvoir être à bord du “Saoirse MV” à cause des dommages causés au navire, ce sabotage ne va pas me dissuader de naviguer vers Gaza pour protester contre le blocus et le quasi-emprisonnement des 1,6 millions Palestiniens qui y vivent. Je participerai à la flottille de la liberté à bord du bateau italien qui se mettra en route vers Gaza dans les jours qui viennent.

    ‘‘Ce fut un plaisir d’être aux côtés des autres participants sur le “Saoirse MV”. Ils ont tous fait de grands sacrifices pour tenter de briser le blocus à Gaza. Les organisateurs et membres d’équipage, en particulier, ont fait d’immenses efforts pour préparer le bateau et je leur en suis très reconnaissant. Je suis profondément déçu pour ceux qui ne seront pas en mesure de se rendre à Gaza à cause de cet acte de terrorisme. Cependant, je souhaite pouvoir apporter leurs messages de solidarité au peuple palestinien.’’

    A lire également:

  • [VIDEO] Paul Murphy concernant les relations commerciales européennes avec la Palestine

    Mercredi, l’euro-député du CIO Paul Murphy est intervenu au Parlement Européen au sujet de la Flotilla, la flotte destinée à apporter de l’aide à Gaza. Paul a aussi abordé les relations commerciales de l’Union Européenne avec la Palestine en déclarant que la décision de l’UE d’ouvrir ses marchés à l’exportation palestinienne est un élément positif, mais que cela aura dans les faits très peu d’impact au vu du blocus de Gaza. Les exportations palestiniennes représentent aujourd’hui 2% de ce qu’elles étaient avant le blocus. Gaza est en fait une prison à ciel ouvert. Paul Murphy participera à la Freedom Flotilla II.


    Interview plus ancienne concernant la Freedom Flotilla 2

  • Moyen-Orient et Afrique du Nord : L’intervention impérialiste nuit gravement aux révolutions

    Les travailleurs et les pauvres doivent prendre leurs révolutions en main

    Les mouvements révolutionnaires en Tunisie et en Égypte ont démontré que les changements basés sur la lutte des masses sont à nouveau d’actualité. Il est toutefois certain que ce processus révolutionnaire est complexe et son développement soulève de nouveaux défis. Chasser les dictateurs est parfois plus difficile et, en soi, cela ne suffit pas pour parvenir à un changement véritable.

    Par Geert Cool

    Tunisie et Egypte : poursuivre la révolution !

    Le 1er mai et les jours suivants, des milliers de jeunes et de travailleurs ont manifesté à Tunis et ont exprimé leur frustration face à l’absence de véritable changement. Le chômage continue à progresser et le ‘‘nouveau’’ gouvernement reste lié à l’ancien régime. Le 1er mai, la manifestation radicale à Tunis a pu compter sur près de 5.000 participants malgré la répression. Les manifestants criaient : ‘‘Nous devons poursuivre cette révolution au nom des travailleurs.’’

    En Égypte, le soulèvement révolutionnaire prend un second souffle sur base de la colère face au gouvernement, qui prétend ne pas avoir suffisamment de moyens pour améliorer le niveau de vie et applique une politique néolibérale. Le 1er mai, 4.000 ouvriers du textile sont entrés en grève à Mahalla (le centre textile du pays) afin de protester contre la hausse des prix et pour le développement de syndicats indépendants. Les médecins sont eux aussi partis en grève afin d’exiger une augmentation du budget destiné aux soins de santé publics. Les manifestants égyptiens disaient (à juste titre) : ‘‘Nous avons fait chuter le dictateur, il reste encore la dictature.’’ Il ne suffit en effet pas de simplement décapiter le sommet du système pour que celui-ci s’effondre.

    Le fait même que l’opposition se poursuive en Tunisie et en Egypte illustre qu’il n’est plus possible de simplement revenir à la situation connue jadis. La peur de protester a disparu et ne reviendra pas simplement ‘‘comme ça’’. Cela doit être saisi comme une opportunité de mettre en place des syndicats, partis et organisations ouvriers indépendants, avec leur propre programme orienté vers un changement socialiste de la société.

    Libye et Syrie : organiser les travailleurs

    En Égypte et en Tunisie, les dictateurs ont été chassés dès que le mouvement ouvrier organisé est apparu sur le devant de la scène. En Libye et en Syrie aussi, les travailleurs et les pauvres doivent s’organiser afin de prendre le devant de la lutte. L’intervention militaire en Libye n’était pas uniquement dirigée vers Kadhafi. Il était aussi crucial pour l’impérialisme de stopper la vague des révolutions avant que celle-ci ne submerge également l’Arabie Saoudite et les États du Golfe. L’impérialisme veut récupérer son contrôle de la situation et avoir des régimes de pantins fiables laissant libre accès aux matières premières pour l’occident.

    Dès le début de la révolte sont apparus à Benghazi des slogans tels que : ‘‘Non à l’intervention étrangère, les libyens peuvent le faire eux-mêmes.’’ Cette position se trouve peut être bien isolée aujourd’hui en Libye, elle n’en reste pas moins correcte. Maintenant que Kadhafi est toujours debout, après plusieurs semaines de guerre, le soutien à l’intervention est probablement plus fortement remis en question. Il reste nécessaire d’organiser les travailleurs et les pauvres à travers le pays entier dans une lutte offensive contre le régime de Kadhafi.

    Une intervention militaire en Syrie n’est pas directement à l’agenda. Pour les USA, notamment, le problème est que les interventions ne sont toujours pas finies en Irak, en Afghanistan et en Libye. Mais il existe aussi la crainte que les divisions ethniques et religieuses – très fortes dans le pays – ne conduisent à un scénario ‘‘à la yougoslave’’ de violence et de guerre civile.

    Pour prévenir un tel scénario, les travailleurs et les jeunes doivent développer leurs propres organisations indépendantes. Des comités de lutte de quartiers doivent être construits à côté de conseils ouvriers dans les usines. Voilà qui peut dépasser les divisions parmi les travailleurs tout en donnant une voix et une organisation aux masses pour défendre la révolution. Il faut lancer un appel à instaurer démocratiquement des comités à chaque lieu de travail, dans tous les quartiers, parmi les soldats du rang,…

    Renverser totalement les vieux régimes

    Il est insuffisant de stopper un dictateur pour qu’il soit remplacé par un autre groupe de gangsters. Le mouvement doit s’organiser et s’armer d’un programme de changement socialiste contre la répression, le chômage, la misère et l’impérialisme. Ce mouvement doit se construire de la base, d’en bas et démocratiquement, pour coordonner la lutte contre le vieux régime tout en assurant la sécurité de l’opposition et en organisant le ravitaillement. Ces structures seraient la base d’un futur gouvernement de représentants des travailleurs et des pauvres. Un tel gouvernement empêcherait le retour de la réaction, défendrait les droits démocratiques et commencerait à répondre enfin aux besoins économiques et sociaux des masses. Pour réaliser une rupture totale avec les régimes actuels, il faut un gouvernement des travailleurs et des pauvres. Un tel gouvernement organiserait immédiatement des élections libres et prendrait de toute urgence les mesures qui s’imposent afin d’améliorer le niveau de vie des masses. Nous défendons donc la tenue d’une Assemblée constituante révolutionnaire et démocratique ainsi que l’arrivée d’un gouvernement des travailleurs et des paysans pauvres qui s’engage dans la voie d’une économie démocratiquement planifiée, dans les mains publiques, pour le plus grand intérêt de la majorité de la population.


    Aucune confiance envers l’intervention militaire

    La guerre en Libye ne visait pas à défendre la population. Si les Droits de l’Homme motivaient vraiment cette décision, pourquoi ne rien faire pour le Bahreïn ou le Yémen ? La raison est simple : un dictateur qui est un fiable allié des puissances occidentales (Bahreïn) ou un pays qui possède trop peu d’intérêts stratégiques (Yémen).

    Notre résistance à l’intervention militaire ne signifie toutefois aucunement que nous laissons les rebelles de Benghazi à leur sort. Nous pensons seulement que les travailleurs et les pauvres doivent eux-mêmes prendre en main la lutte contre Kadhafi et qu’aucune avancée réelle ne viendra avec ceux qui hier encore armaient Kadhafi.

    Après plus de deux mois de guerre, Kadhafi est toujours là. L’impérialisme semble provoquer une partition du pays avec un partenaire fiable à l’est (autour de Benghazi) afin de garantir l’accès aux matières premières comme le pétrole, avec un régime qui mènera une politique néolibérale qui apportera chômage et pauvreté pour la majorité de la population.


    Aucun soutien aux dictateurs !

    Dans notre pays, le dictateur syrien Bachar el-Assad peut, étrangement, compter sur beaucoup de crédit au PTB. L’hebdomadaire du parti se réfère à l’opinion des ‘‘communistes syriens’’ qui affirment que ‘‘Ces événements pourraient être évités si la logique sécuritaire est remplacée par la logique politique.’’ Ils affirment encore que ‘‘La tragédie en cours profite seulement aux ennemis de la Syrie, aux ennemis de notre projet national, aux forces qui veulent enrayer le processus de réformes.’’

    Le régime syrien applique une politique de privatisations et, dans la passé, n’a pas hésité à commettre des massacres contre sa propre population (notamment en 1982). Nous n’avons aucune confiance envers de semblables dictatures. Ce n’est pas parce qu’ils adoptent une rhétorique anti-impérialiste que cela en fait des alliés dans la lutte contre l’impérialisme. Le raisonnement selon lequel ‘‘l’ennemi de mon ennemi est mon ami’’ ne tient aucunement compte de la situation des travailleurs et de leurs familles.


    La mort de Ben Laden ne signifie pas la fin des fondamentalistes

    Les révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ont miné l’impact de la stratégie d’Al-Qaeda : ce n’est pas le terrorisme, mais bien la lutte de masse des travailleurs et des pauvres qui a provoqué un changement. L’élimination de Ben Laden arrive à un moment où le soutien au terrorisme est au plus bas. Mais la liquidation de Ben Laden a été l’opportunité pour les USA d’emballer une défaite de presque dix ans comme une victoire, qui ne met d’ailleurs pas du tout un terme à la situation explosive en Afghanistan et au Pakistan.

    Si les révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ne se poursuivent pas vers l’obtention d’un changement fondamental, la désillusion peut conduire à un regain de soutien pour le terrorisme individuel et le fondamentalisme religieux. Mais si les révolutions se poursuivent, il n’est pas exclu qu’elles soient imitées au Pakistan, en Afghanistan, en Inde,… là où le mécontentement face à la hausse des prix et à la corruption est au plus haut.

  • Égypte : Nasser et le nationalisme arabe

    Des millions d’Égyptiens ont renversé Moubarak, le président tant haï. Maintenant, les travailleurs et les jeunes sont en train de discuter de ce qu’il faudrait faire ensuite. Les idées mises en avant par Nasser il y a 50 ans sont en train d’être réexaminées. Dans cet article, David Johnson revient sur l’histoire du régime de Nasser, et sur les leçons qui peuvent en être tirées pour la révolution qui a lieu aujourd’hui.

    David Johnson, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

    Les jeunes manifestants de la place Tahrir n’avaient jamais connu que la vie sous Hosni Moubarak, qui a régné pendant 30 ans. Leurs aînés se souviennent par contre de ses prédecesseurs – Gamal Abdel Nasser et Anouar el-Sadate. Certains des travailleurs les plus âgés parlent toujours de la période Nasser, pendant les années ’50 et ’60, comme étant celle du “socialisme” – le parti établi par Nasser s’appelait en effet l’Union socialiste arabe (USA).

    Au cours des années ’70, Sadate a promu le libre marché capitaliste, allant jusqu’à changer le nom de l’UAS en Parti démocratique national – qui a été le parti au pouvoir jusqu’à l’éjection de Moubarak.

    Pendant le 19ème siècle, l’Égypte faisait partie de l’empire turc ottoman, mais en 1882, au cours d’une rébellion nationaliste, l’impérialisme britannique y a envoyé sa flotte et une armée d’occupation. La classe dirigeante britannique désirait protéger le canal de Suez et la route commerciale vers son empire des Indes, de même que ses investissements dans le coton, le principal produit d’exportation de l’Égypte. Le commerce du coton s’est accru pendant les vingt années qui ont suivi, enrichissant ainsi toute une couche de propriétaires terriens. C’est ainsi qu’en 1913, 13 000 propriétaires possédaient près de la moitié de toutes les terres cultivées, tandis qu’un million et demi de paysans n’en avaient que le tiers. Pendant la Première Guerre mondiale, les prix du coton ont fortement grimpé, de sorte que les riches propriétaires ont pu planter encore plus, augmenter leurs immenses profits, mais causant par là des pénuries de nourriture, et la hausse des prix pour les pauvres. De nos jours, l’agriculture égyptienne est également de plus en plus orientée vers des cultures non-vivrières d’exportation.

    Toute une série de financiers et d’hommes d’affaires ont émergé de cette couche de riches propriétaires terriens, grâce au profit obtenu par la production de marchandises qui ne pouvaient plus être importées, à cause de la guerre. L’industrie locale s’est rapidement développée, de sorte que la classe ouvrière s’est agrandie en termes de taille, mais aussi de militance, rejointe par tous les travailleurs employés dans les chemins de fer et dans les ports, secteurs florissants grâce à l’économie de guerre. Les classes capitaliste et ouvrière égyptienne en plein essor se sont alors toutes deux heurtées à un obstacle face à leurs propres intérêts : l’occupation de longue date par l’impérialisme britannique.

    Les capitalistes et les propriétaires terriens désiraient l’indépendance du Royaume-Uni afin de pouvoir consolider leurs intérêts politiques et économiques – mais ils craignaient un mouvement des travailleurs et des campagnes. Des postes gouvernementaux leur accorderaient le prestige et le pouvoir de récompenser leurs relations avec des contrats et des postes. Le plus grand des partis indépendantistes était le Wafd (la Délégation). Quarante pourcent de ses membres étaient des propriétaires terriens, les autres étaient des banquiers, des industriels et des hauts fonctionnaires.

    Les travailleurs désiraient l’indépendance afin de mettre un terme à l’exploitation et à leurs souffrances, qui s’étaient grandement accrues au cours de la guerre. En 1919, une vague de grèves massive et des manifestations ont forcé le gouvernement britannique à accepter des négociations pour l’indépendance. Trois ans plus tard, après des troubles persistans accompagnés de larges grèves, la Déclaration britannique annonçait la création d’un État égyptien “indépendant”, tout en maintenant un veto sur la politique étrangère, en protégeant les intérêts économiques britanniques et en maintenant une garnison britannique le long du canal de Suez.

    Révolution permanente

    Le sultan ottoman a été nommé roi. L’Éypte est ensuite passée par une phase d’instabilité gouvernementale, au cours de laquelle les gouvernements tombaient aussi rapidement qu’ils étaient mis en place – de 1922 à 1952, la durée de vie moyenne des gouvernements était moins d’un an. Les mêmes ministres (dont 60% étaient des propriétaires terriens) se relayaient aux différents postes. Les capitalistes égyptiens étaient incapables et d’ailleurs peu désireux d’accomplir les tâches d’une révolution capitaliste (ou “bourgeoise”) : le rejet de la domination étrangère, la suppression du pouvoir des seigneurs féodaux, le développement d’une économie capitaliste moderne. Les capitalistes, les banquiers et les propriétaires terriens étaient liés les uns aux autres. Tous craignaient la petite mais potentiellement puissante classe ouvrière plus qu’ils ne craignaient l’impérialisme britannique. En 1923, le premier gouvernement du Wafd avait d’ailleurs mis en place des lois visant à réprimer les partis de gauche et à bannir de nombreuses grèves.

    Seule la classe ouvrière, attirant à elle les masses des paysans pauvres, aurait pu accomplir les tâches de la révolution bourgeoise. C’est là l’essence de la théorie de la révolution permanente, développée par Trotsky dans le cadre de la Russie du début du 20ème siècle. Un gouvernement révolutinnaire ouvrier ne s’arrêterait cependant pas à la création des conditions d’un développement harmonieux du capitalisme, mais irait encore plus loin, en nationalisant l’industrie, les banques, et les terres, jetant les bases pour un plan de production socialiste. Un appel aux travailleurs des pays plus avancés sur le plan économique à suivre leur exemple aurait alors pour effet de propager la révolution socialiste partout à travers le monde, et fournirait aussi les ressources matérielles nécessaires au développement des pays pauvres.

    La révolution russe a brillamment confirmé cette théorie. Toutefois, les révolutions qui ont été déclenchées partout en Europe après celle-ci ne sont pas parvenues à produire d’autres États ouvriers. Les dirigeants du mouvement ouvrier soit ne sont pas parvenus à saisir l’occasion de prendre le pouvoir, soit, plus tard, sous l’influence de la bureaucratie stalinienne qui s’est développée dans l’Union soviétique dégénérescente, ont fait dérailler les mouvements révolutionnaires. Néanmoins, les privilèges de de la bureaucratie stalinienne dépendaient de l’économie étatique soviétique – un retour au capitalisme aurait signifié la perte de leur pouvoir. Les avantages de la planification étatique ont résulté en une rapide croissance économique, bien qu’à un cout bien plus élevé que si la démocratie ouvrière des premiers jours de la révolution avait survécu.

    Le Parti communiste égyptien a été fondé en 1922, mais était essentiellement basé parmi les minorités ethniques et religieuses. Il a suivi la ligne politique désastreuse prônée par Staline, et n’est jamais parvenu à devenir une force de masse. Au lieu de ça, la déception face aux maigres résultats fournis par l’indépendance ont mené à la croissance de l’association des Frères musulmans, fondée en 1928.

    La crise qui a suivi la Seconde Guerre mondiale a contraint l’armée britannique à ordonner au roi Farouk de former un gouvernement Wafd, tandis que les tanks britanniques devant son palais garantissaient qu’il comprenne bien le message. Cette action a encore une fois révélé à quel point au final le pouvoir demeurait entre les mains de l’impérialisme. Elle a aussi révélé la faiblesse et l’hypocrisie de la classe dirigeante égyptienne, y compris du Wafd, qui vingt ants auparavant militait pour l’indépendance. Une période de stagnation et de conflit entre le roi et le gouvernement s’en est suivie, chacun tentant de placer ses propres partisans aux postes de pouvoir.

    Bien que l’économie du pays s’était accruee entre 1922 et 1952, le niveau de vie de la plupart des gens avait chuté. Le fossé entre les riches et les pauvres s’accroissait. Il était courant de prester des journées de 15 heures, et les usines employaient encore des enfants âgés de moins de dix ans. En 1950, seuls 30% des enfants recevait une éducation secondaire. Il y avait en 1952 deux millions de travailleurs dans l’industrie, soit un dixième de la force de travail. Des grèves de plus en plus larges, voire générales, ont eu lieu après la guerre, avec des manifestations d’étudiants et autres. Les partis et les journaux de gauche étaient interdits, et les militants arrêtés.

    La prise du pouvoir par les Officiers libres

    En 1947, la résolution des Nations-Unies qui divisait la Palestine en deux, préparant la formation d’Israël, a alimenté la colère, qui s’est accrue après la défaite de l’armée égyptienne au cours de la guerre de 1948. En 1949, treize officiers désaffectés ont commencé à se réunir en secret. Ils étaient tous âgés de 28 à 35 ans, fils de petits propriétairs terriens ou de fonctionnaires gouvernementaux. Nasser est devenu président de ce Mouvement des officiers libres. Sadate en était un des membres fondateurs.

    Le Mouvement a graduellement commencé à gagner en influence auprès des autres officiers. Lorsque, le 20 juillet 1952, un autre gouvernement faible a démissionné après seulement 18 jours, les Officiers libres sont entrés en action. Au cours de la nuit du 22 au 23 juillet, les troupes ont pris le contrôle de tous les bâtiments, routes et ponts stratégiques du Caire. Le roi corrompu s’est vu ordonner de prendre l’exil. C’est Sadate qui a annoncé la prise du pouvoir à la radio. Nasser est devenu vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur, puis premier ministre et président en 1954.

    Les Officiers libres représentaient la frustration de la classe moyenne par rapport à l’échec complet des politiciens capitalistes à développer la société. Contrairement à la faible classe propriétaire-capitaliste, l’armée était une force puissante et organisée. Les officiers désiraient le pouvoir politique, et se sont opposés à toute action indépendante de la part de la classe ouvrière. En janvier 1953, tous les partis politiques furent dissous. Tout comme les autres régimes du “tiers-monde” de cette période, l’armée égyptienne a joué un rôle “bonapartiste”, liguant les différentes classes sociales et groupements politiques les uns contre les autres afin de maintenir un équilibre. La presse, les conseils communaux et l’Ordre des avocats ont été purgés. En 1954, l’association des Frères musulmans a été bannie, ses dirigeants arrêtés et exilés en Arabie saoudite, de laquelle ils allaient revenir bien plus tard, après avoir adopté la version la plus extrême de l’islam wahhabite.

    Le programme du nouveau gouvernement parlait de nationalisme et de justice sociale. Ses objectifs étaient la destruction de l’impérialisme, l’éradication du féodalisme et la fin des monopoles. Toutefois, il n’y avait pas une politique économique claire, l’économie étant censée continuer sur base de la propriété privée. « Nous ne sommes pas socialistes. Je pense que notre économie ne peut prospérer que sur base de la libre entreprise », disait ainsi Gamal Salim, un des chefs des Officiers libres.

    Néanmoins, la plupart des capitalistes étaient pris de panique et beaucoup d’entre eux ont décidé d’émigrer. Les investissements dans le secteur privé ont fortement chuté, forçant le régime à aller dans une nouvelle direction. Une des premières mesures a été la réforme agraire, qui limitait la taille des possessions terriennes à 80 hectares. L’infime minorité de très gros propriétaires qui avaient dominé les précédents gouvernements a ainsi perdu la base économique de son pouvoir. Quinze pourcent des terres cultivées a été transféré à des paysans sans terre. Des coopératives ont été créées pour fournir des crédits à bas taux d’intérêt, des graines et des engrais. Mais plus de la moitié de la population rurale pauvre demeurait sans terre, les principaux gagnants étant les petits propriétaires.

    La crise du canal de Suez

    Deux superpuissances mondiales avaient émergé à la suite de la Seconde Guerre mondiale : les États-Unis et l’URSS. Elles essayaient toutes deux d’étendre leur sphère d’influence, ce qui les faisait entrer en conflit l’une avec l’autre dans de nombreuses régions du monde. Puisque leur arsenal nucléaire les menaçait toutes deux de “destruction mutuelle assurée”, les conflits prenaient la forme de guerres par agent interposé entre leurs régimes vassaux. Les gouvernements dits “non-alignés”, comme le régime de Nasser, tentaient de maintenir un équilibre entre ces deux superpuissances.

    En 1955, Nasser a indiqué un revirement de sa position en commandant des armes à l’URSS. Ceci pourrait avoir été un outil de pression afin d’obtenir plus d’armes de la part des USA. Il avait confié à l’ambassadeur américain qu’il préférait toujours une aide militaire américaine. Le pacte de Bagdad, signé en 1955 par le gouvernement britannique, avait aussi mis Nasser en colère. Ce traité crucial confirmait le maintien des intérêts de l’impérialisme en Iran, en Iraq et ailleurs au Moyen-Orient. Nasser s’était aussi attiré les foudres du gouvernement français en refusant d’appeler à la fin de l’insurrection en Algérie contre l’occupation française. Les mouvements indépendantistes se propageaient alors comme un feu de brousse à travers toutes les vieilles colonies européennes.

    Le gouvernement égyptien était au même moment en train de négocier des emprunts internationaux pour pouvoir construire le barrage d’Assouan – un immense projet qui allait grandement accroitre la superficie des terres cultivables et générer l’électricité nécessaire à l’industrialisation du pays. Les États-Unis et le Royaume-Uni avaient offert d’avancer l’argent pour couvrir un cinquième du cout, espérant que cela leur permettrait de se payer une influence auprès du régime. Toutefois, après le contrat d’armes en provenance de l’URSS, les États-Unis ont annulé leur offre en juillet 1956.

    Nasser a répondu à cela en annonçant la nationalisation du canal de Suez. La proclamation a été faite lors d’un meeting de masse à Alexandrie, où il expliquait que les revenus tirés du canal permettraient de financer le barrage. Un témoin a décrit la manière dont « Les gens sont devenus fous d’excitation ». À l’époque, l’exploitation du canal revenait à une compagnie française dont le principal actionnaire était le gouvernement britannique (la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, aujourd’hui connue sous les noms de “GDF Suez” , NDT).

    Ces deux gouvernements s’associèrent en secret avec le gouvernement israélien pour lancer une invasion de l’Égypte en octobre 1956. Cette invasion s’est révélée désastreuse pour le Royaume-Uni et pour la France, qui sont parvenues à atteindre leurs objectifs militaires, mais en suscitant une énorme opposition internationale. Les masses arabes partout au Moyen-Orient soutenaient le régime Nasser. Au Royaume-Uni, il y avait une opposition de masse. Le gouvernement américain voyait ses intérêts régionaux menacés, et exigeait la fin de l’invasion, allant jusqu’à imposer des sanctions économiques contre le Royaume-Uni. Ces trois gouvernements se sont vus forcés à une retraite humiliante. Au même moment, des tanks soviétiques parcouraient la Hongrie pour y réprimer la révolution politique qui y était en cours.

    Contrôle étatique de l’économie

    Nasser est sorti du conflit avec la réputation d’un dirigeant qui osait défier l’impérialisme – au contraire de tous les pseudo-nationalistes bourgeois qu’il avait remplacé. Il a immédiatement nationalisé les banques et entreprises françaises et britanniques. Deux mois plus tard, le reste du secteur bancaire et des compagnies d’assurance était nationalisé.

    Après l’échec du secteur privé à investir entre 1952 et 1956, la plupart de l’industrie, des entreprises commerciales et des autres services ont été nationalisés. Puis on est passé au contrôle étatique sur le commerce avec l’étranger, à la taxation progressive et à la confiscation de la propriété des 600 plus riches familles du pays. L’investissement d’État a renforcé l’industrie, dont la part dans le PIB est passée de 10% en 1952, à 20% en 1962. Le barrage d’Assouan a été terminé en 1968, triplant la production d’électricité.

    Entre 1952 et 1967, les salairs reéls ont augmenté de 44%, sans compter les subsides sur l’alimentation, la réduction du temps de travail, et la sécurité sociale. L’enseignement primaire est devenu gratuit en 1956, de même que l’enseignement secondaire en 1962, lorsque l’on garantissait à tous les diplômés un emploi dans le secteur public. Le nombre d’étudiants s’est accru de 8% par an entre 1952 et 1970. Le nombre d’employés d’État est passé de 350 000 en 1952 à 1,2 million en 1970, puis 1,9 millions en 1978.

    Ces mesures reflétaient l’équilibre des forces au niveau mondial ainsi qu’en Égypte. Le monde connaissait alors une période sans précédent de croissance écononique quasi ininterrompue et d’une ampleur jamais vue auparavant. Après la débacle de Suez, l’impérialisme était incapable d’intervenir en Égypte. La Russie stalinienne soutenait ce régime qui ressemblait tant au sien.

    En 1957, le contrôle étatique a transformé les syndicats en une de ses institutions ; les dirigeants syndicaux étaient grassement rémunérés pour empêcher toute organisation ou lutte ouvrière indépendante. Aucun élément de contrôle ouvrier ou de démocratie ouvrière n’était autorisé, sans lesquels le socialisme authentique ne peut exister. L’opposition était brutalement réprimée, y compris le Parti communiste. Les petits-bourgeois qu’étaient les Officiers libres trouvaient très attirante l’absence de droits démocratiques qui leur accordait un pouvoir sans conteste.

    Malgré le fait que le régime se décrivait comme étant du “socialisme arabe”, le capitalisme survivait en Égypte, bien que sous une forme déformée. Le capitalisme égyptien avait été trop faible pour se développer sans une intervention étatique massive. Sadate et Moubarak ont plus tard lancé des privatisations sans pour autant changer la nature de l’État – les secteurs clés de l’économie étant alors repris par des chefs de l’état-major et par des proches de Moubarak.

    Le nationalisme arabe

    En 1919, le Royaume-Uni, la France et la Turquie avaient redessiné entre eux la carte du Moyen-Orient, reflétant leurs propres intérêts impérialistes. L’appel au “pan-arabisme” qui embrassait l’ensemble de la région était en partie une réaction à ces États créés de manière artificielle, et aussi face au terrible héritage laissé par l’exploitation capitaliste. Nasser a utilisé le nouveaux média de cette période, la radio, pour obtenir une audience de masse à travers l’ensemble du Moyen-Orient. La Voix des Arabes, une station radio basée au Caire, lancée en 1953, surmontait les frontières nationales et l’analphabétisme, diffusant les idées du nationalisme arabe directement par-dessus la tête des autres gouvernements.

    En 1957, la Syrie traversait une profonde crise politique ; sa classe capitaliste était faible et incapable de gérer le pays. Les deux partis les plus influents étaient le Baas (Renaissance) et le Parti communiste (PC). Le PC, comme tous les autres partis staliniens, ne proposait ni un programme d’action indépendante de la classe ouvrière ni le socialisme. Ces deux partis espéraient pouvoir récupérer une partie de la popularité de Nasser, et l’ont approché avec des plans visant à unifier les deux pays. Les chefs de l’état-major syrien étaient eux aussi en faveur de ce plan. Parmi les conditions de Nasser pour l’unification, se trouvaient le démantèlement de tous les partis politiques, à part un parti unique contrôlé par l’État.

    C’est ainsi qu’a été fondée la République arabe unie (RAU), en 1958, renforçant encore plus la réputation de Nasser à travers l’ensemble du monde arabe. L’impact de cette union a mené la même année à la révolution en Iraq, et a presque causé la chute des gouvernements au Liban et en Jordanie.

    Cependant, aucun autre État n’a rejoint la RAU, et la Syrie a fini par la quitter après trois ans. Le programme de réforme agraire avait mis en colère les propriétaires terriens syriens, tandis que les capitalistes syriens refusaient les nationalisations. Les politiciens et les officiers militaires étaient mécontents de leur exclusion du pouvoir. La classe ouvrière, les ouvriers agricoles et les paysans n’avaient pas le droit de former leurs propres organisations et n’avaient aucun contrôle démocratique sur l’État.

    Un véritable État ouvrier aurait obtenu un soutien de masse grâce à la hausse du niveau de vie, à des programmes en faveur de l’éducation et d’une sécurité sociale. Une fédération d’États socialistes démocratiques aurait pu devenir un exemple éclatant pour l’ensemble du monde arabe. Mais un régime bureaucratique sans droits démocratiques et qui ne rompait pas pleinement avec le capitalisme était incapabe de surmonter les contradictions de l’État-nation. Chaque classe dirigeante mettait ses propres intérêts égoïstes avant tout.

    Après l’échec de la RAU, Nasser s’est encore plus tourné en direction de l’Union soviétique, avec encore plus de nationalisations. En 1962, une charte nationale définissait les objectifs de la révolution : “Liberté, socialisme, unité arabe”. Le parti officiel d’État a été renommé “Union socialiste arabe”, dont une partie allait en 1976 devenir le Parti national démocratique, qui allait constituer la base des régimes de Sadate et de Moubarak. (En novembre dernier, toute une série d’hommes d’affaires ont payé d’immenses sommes pour pouvoir devenir candidats du PND aux élections à la soi-disant assemblée populaire, sachant que le fait d’être élu les aiderait à obtenir des contrats gouvernementaux).

    Nasser soutenait la révolution algérien contre le régime colonial français, puis a soutenu en 1962 le renversement de la famille royale yéménite. Près de la moitié de l’armée égyptienne a été envoyée pour se battre au Yémen, où elle a subi de lourdes pertes pendant les cinq années suivantes. Sans un appel de classe envers les travailleurs et les pauvres, lié à un programme socialiste incluant la redistribution des terres et des droits démocratiques, les troupes égyptiennes se sont retrouvées embourbées dans une sanglante guerre civile.

    Cette intervention a été suivie en 1967 par la guerre de Six Jours contre Israël qui s’est soldée par une lourde défaite militaire, vu l’ampleur des pertes subies par les forces armées égyptiennes lors de leur intervention prolongée au Yémen. Pendant les tous premiers jours de cette guerre, le gouvernement égyptien a maintenu toute une série d’histoires concernant ses prouesses militaires, même alors que l’ensemble sa force aérienne avait été détruite et que son armée avait subi d’importants dommages.

    Nasser a assumé la pleine responsabilité de ses actes et a démissionné. Mais une manifestation de masse au Caire a demandé qu’il reste. Pendant 17 heures, les gens ont refusé de quitter les rues, jusqu’à ce qu’il retire sa démission. Toutefois, il n’a jamais pu regagner l’autorité dont il jouissait auparavant auprès des masses arabes. Des émeutes d’étudiants ont éclaté en 1968, en guise de protestation contre les responsables de la défaite militaire, mais reflétant aussi un mécontentement plus profond.

    Néamoins, lorsque Nasser est décédé en 1970, on estime à dix millions le nombre de gens qui sont descendus dans les rues pour assister à son enterrement. L’héritage de Nasser persiste, avec la nostalgie des années d’anti-impérialisme, de hausse du niveau de vie et d’amélioration de l’éducation.

    Le nassérisme de nos jours

    À l’époque, l’idée du socialisme bénéficiait d’un soutien large parmi les travailleurs, les pauvres et les jeunes partout dans le monde. Malgré le fait qu’il utilisait le mot “socialisme”, Nasser jouait en fait sur la rivalité entre l’impérialisme occidental et les États ouvriers déformés staliniens. Sans l’implication de la classe ouvrière, accompagnée des pauvres ruraux et urbains, le socialisme authentique ne peut être construit. Au lieu de ça, la voie était pavée pour les contre-réformes de Sadate et de Moubarak, basées sur le fait de donner un plus grand rôle au marché capitaliste.

    La population égyptienne est plus de deux fois plus grande qu’elle ne l’était dans les années ’60. La classe ouvrière est beaucoup plus grande, incluant de nombreuses personnes qui travaillent dans des usines géantes employant des milliers de personnes. La plupart vivent maintenant dans des villes. Il y a aujourd’hui une base bien plus forte qu’il y a un demi-siècle pour la fondation d’un socialisme démocratique dirigé par la classe ouvrière, et soutenu par les pauvres ruraux et urbains.

    La situation internationale en 2011 est complètement différente. L’Union soviétique a disparu, laissant la place à un monde dominé par une seule superpuissance. Mais les États-Unis et le capitalisme mondial ne sont plus dans la situation de pleine croissance longue de 25 ans qu’ils ont connue dans les années ’50 et ’60. Bien au contraire, ils se trouvent au beau milieu de la pire crise financière qu’ils aient connue depuis les 80 dernières années. Il n’y a aucune possibilité pour le développement rapide d’un nouveau gouvernement égyptien capable de fournir des emplois et de rehausser le niveau de vie, s’il demeure dans le cadre du capitalisme.

    L’idée de pan-arabisme a elle aussi changé. Bien qu’un fort sentiment de solidarité ait poussé la vague révolutionnaire partie de Tunisie à se propager à travers l’ensemble de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, les pays qui ont été formés de manière artificielle par les impérialistes européens il y a maintenant près d’un siècle ont depuis développé chacun leur propre identité nationale. Les manifestants brandissent leurs drapeaux nationaux, symbolisant leur désir de récupérer leur État qui se trouve entre les mains de dictateurs corrompus. Plutôt qu’un État arabe unifié tel que Nasser a tenté de le bâtir, une fédération démocratique d’États socialistes recevrait maintenant un large soutien à travers l’ensemble de la région. Mais l’idée du socialisme est aujourd’hui moins populaire, en conséquence de l’effondrement du stalinisme et de toutes ses retombées. La tâche des socialistes est de rebâtir ce soutien en le liant à un programme qui réponde à l’ensemble des problèmes auxquels sont aujourd’hui confrontés les travailleurs, les pauvres et les jeunes.

  • Les révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord en danger

    Les semaines passées ont montré qu’aucune victoire des révolutions en Afrique du Nord n’est véritablement acquise, et ce malgré l’appel des masses à de vrais changements et à la liberté, et aussi malgré les événements héroïques des semaines passées. En Égypte et en Tunisie les classes dominantes font des efforts désespérés pour maintenir leur richesse et leur pouvoir.

    Par Robert Bechert

    Depuis la fuite de Ben Ali, la Tunisie a connu trois gouvernements qui ont dû accepter des élections pour une assemblée constitutionnelle. L’élite fait tout ce qu’elle peut pour préserver ses positions privilégiées. L’ancienne police secrète devait être dissoute, mais le nouveau ministre aux affaires intérieures Habib Essid est l’ancien chef du cabinet du ministère aux affaires intérieures entre 1997 et 2001. Le ‘nouveau’ ministre a donc été impliqué dans les tortures, la répression et tout le sale boulot de l’ancien régime de Ben Ali.

    De même, le gouvernement militaire qui a remplacé Moubarak en Égypte se bat continuellement contre la révolution. Comme en Tunisie, un nombre croissant de salariés et de jeunes se rendent compte du fait que l’armée n’est pas l’amie de la révolution. Les militaires ont déjà annoncé des plans pour criminaliser des grèves, des actions de protestations, des sit-in et des réunions rassemblant jeunes et travailleurs.

    Le 8 avril, ces travailleurs et ces jeunes sont retournés la place Tahrir afin de reprendre eux-mêmes l’initiative. Des centaines de milliers de salariés, de jeunes et d’officiers militaires (contre la volonté du sommet de l’armée) se sont réunis pour un ‘vendredi du nettoyage’. On y a lancé des appels pour balayer le régime de Moubarak. Les salariés du secteur textile ont revendiqué la renationalisation des entreprises privatisées, la disparition de l’ancien syndicat d’Etat, un salaire minimum d’environ 200 dollars et la poursuite judiciaire de la bande de gangsters corrompus autour de Moubarak.

    L’armée a déjà tenté de réprimer ces protestations. Cette répression a été soutenue par un représentant des Frères Musulmans, Al-Bayourni. Celui-ci a déclaré que ‘‘rien ne doit empêcher l’unité de la population et de l’armée’’. Derrière cette soi-disant unité, il y a des tentatives des Frères Musulmans d’arriver à un accord avec le sommet de l’armée. La répression ne s’est pas arrêtée après cette action du 8 avril. Le 11, le bloggeur Mikel Nabil a été condamné à trois ans de prison après avoir mis à nu les crimes de l’armée durant la révolution. Il est clair que nous ne pouvons pas faire confiance au sommet de l’armée. Il faut une force indépendante des masses.

    Sans une telle force de la population laborieuse, le contrôle se maintiendra dans les mains des classes dominantes et des élites. Ce n’est qu’en construisant des organisations de masse, dont de véritables syndicats libres, et avant tout un parti indépendant, que les vrais révolutionnaires (les travailleurs, les jeunes, les petits paysans et les pauvres) pourront disposer d’un instrument avec lequel combattre les tentatives de l’ancien régime qui s’accroche au pouvoir et avec lequel créer une véritable alternative, à savoir un gouvernement formé par les représentant des salariés, de petits paysans et des pauvres.

    Quelle voie en avant en Libye ?

    En Libye, l’absence d’organisations propres aux masses a contribué au déraillement de la révolution. La révolte initiale des masses a échoué dans la partie occidentale du pays autour de Tripoli. Cela est dû en partie au fait que le régime disposait d’une certaine base (entre autres grâce à une série d’éléments de progrès social réel obtenus ces dernières quarante années), mais aussi parce que la révolution ne disposait pas d’une réelle direction.

    Quelques rebelles dans l’Est ont brandi l’ancien drapeau monarchiste, un symbole très impopulaire dans l’Ouest du pays. Les éléments plus radicaux à Benghazi ont été mis de côté et les éléments pro-capitalistes, renforcés par les déserteurs du régime de Kadhafi, ont gagné le contrôle du processus avec le soutien de l’impérialisme. La résistance contre Kadhafi est très limitée à l’Ouest de la Libye, où habitent les deux tiers de la population.

    Ainsi, le mouvement se trouve sans issue. Il est probable que la Libye sera divisée en deux pour une certaine période au moins. L’intervention de l’ONU et de l’OTAN ne vise pas la défense des masses, mais vise à établir un régime pro-capitaliste fiable. Kadhafi était un allié trop incertain. Le journal britannique Financial Times a déclaré très honnêtement qu’il fallait ‘‘amplifier les actions militaires dans la région afin de défendre les intérêts du Royaume-Uni’’ (FT, 08/04).

    Le fait que les grandes puissances mondiales se taisent sur la répression continuelle au Bahreïn et qu’ils protestent de manière sélective contre la conduite du régime syrien illustrent que les intérêts de la majorité de la population ne comptent pas du tout. L’argument ne sert qu’à masquer les intérêts de classe de l’impérialisme.

    Il faut l’action décisive du mouvement ouvrier !

    Les révolutions en Afrique du Nord et au Moyen-Orient font face à des tournants. Au Bahreïn, en Libye, en Syrie et au Yémen, la question centrale est : comment progresser et renverser la dictature ? En Égypte et en Tunisie, les anciens vestiges des anciens régimes doivent être balayés. La solution appartient aux masses. En Tunisie et en Égypte, il s’est avéré que la lutte déterminée peut mettre de côté des dictateurs. Mais la volonté de se battre ne suffit pas.

    Les masses doivent s’organiser dans des syndicats indépendants et démocratiques et dans un parti de masse des travailleurs et des pauvres autour d’un programme clair qui puisse protéger et étendre les acquis des révolutions.

    Des forces révolutionnaires sincèrement au côté des masses doivent rejeter toute alliance avec des forces pro-capitalistes telles que l’ONU ou l’OTAN. Afin de l’emporter sur des régimes dictatoriaux, les travailleurs et les jeunes doivent forger leurs propres instruments, seuls capables d’amener la victoire des révolutions, une victoire qui n’impose pas uniquement les droits démocratiques, mais qui assure aussi que les richesses de la société reviennent véritablement aux masses et soient gérées et contrôlées démocratiquement dans leurs propres intérêts.

    Cela pourrait créer la base pour une liberté véritable et pour un véritable socialisme démocratique.

  • La “zone d’exclusion aérienne” et la gauche

    Les puissances impérialistes ont mis en place une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Libye afin de protéger leurs propres intérêts économiques et stratégiques et de restaurer leur prestige endommagé. Il est incroyable de voir que certaines personnes de la gauche marxiste soutiennent cette intervention militaire.

    Peter Taaffe – article paru dans Socialism Today, le magazine mensuel du Socialist Party (CIO – Angleterre et Pays de Galles)

    La guerre est la plus barbare de toutes les activités humaines, dotée comme elle l’est dans l’ère moderne de monstrueuses armes de destruction massive. Elle met aussi à nu la réalité des relations de classe, nationalement et internationalement, qui sont normalement obscurcies, cachées sous des couches d’hypocrisie et de turpitude morale des classe dirigeantes. Elle est l’épreuve ultime, au côté de la révolution, des idées et du programme, non seulement pour la bourgeoisie, mais égalemet pour le mouvement ouvrier et pour les différentes tendances en son sein.

    La guerre en cours en ce moment en Libye – car c’est bien de cela qu’il s’agit – illustre clairement ce phénomène. Le capitalisme et l’impérialisme, déguisés sous l’étiquette de l’“intervention militaire à but humanitaire” – totalement discréditée par le massacre en Irak – utilisent ce conflit pour tenter de reprendre la main. Pris par surprise par l’ampleur de la révolution en Tunisie et en Égypte – avec le renversement des soutiens fidèles de Moubarak et de Ben Ali – ils cherchent désespérément un levier afin de stopper ce processus et avec un peu de chance de lui faire faire marche arrière.

    C’est le même calcul qui se cache derrière le massacre sanglant au Bahreïn, perpétré par les troupes saoudiennes, avec un large contingent de mercenaires pakistanais et autres. Aucun commentaire n’est parvenu du gouvernement britannique quant aux révélations parues dans l’Observer au sujet d’escadrons de la mort – dirigés par des sunnites liés à la monarchie – et au sujet de la tentative délibérée d’encourager le sectarisme dans ce qui avait auparavant été un mouvement non-ethnique uni. Les slogans des premières manifestations bahreïniennes étaient : « Nous ne sommes pas chiites ni sunnites, mais nous sommes bahreïniens ».

    De même, les “dirigeants du Labour” – menés par le chef du New Labour Ed Miliband, qui a promis quelque chose de “différent” par rapport au régime précédent de Tony Blair – sont maintenant rentrés dans les rangs et soutiennent la politique de David Cameron en Libye et l’imposition de la zone d’exclusion aérienne. 

    Il est incroyable de constater que cette politique a été acceptée par certains à gauche, y compris quelques-uns qui se revendiquent du marxisme et du trotskisme. Parmi ceux-ci, il faut inclure Gilbert Achar, qui a écrit des livres sur le Moyen-Orient, et dont le soutien à la zone d’exclusion aérienne a au départ été publié sans aucune critique dans International Viewpoint, le site internet du Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale (SUQI). Son point de vue a toutefois été répudié par le SUQI par après.

    Mais on ne peut par contre pas qualifier d’ambigüe la position de l’Alliance pour la liberté des travailleurs (Alliance for Workers’ Liberty, AWL). Les cris stridants de cette organisation, en particulier dans ses critiques d’autres forces de gauche, sont en proportion inverse de ses faibles forces et de son influence encore plus limitée au sein du mouvement ouvrier. L’AWL a même cité Leon Trotsky pour justifier l’intervention américaine avec la zone d’exclusion aérienne. Un de leurs titres était : « Libye : aucune illusion dans l’Occident, mais l’opposition “anti-intervention” revient à abandonner les rebelles » Un autre titre impayable était : « Pourquoi nous ne devrions pas dénoncer l’intervention en Libye » (Workers Liberty, 23 mars).

    Ces derniers exemples sont en opposition directe avec l’essence même du marxisme et du trotskisme. Celle-ci consiste à insuffler dans la classe ouvrière et dans ses organisations une indépendance de classe complète par rapport à toutes les tendances de l’opinion bourgeoise, et à prendre les actions qui en découlent. Ceci s’applique à toutes les questions, en particulier pendant une guerre, voire une guerre civile, ce dont le conflit libyen comporte clairement des éléments.

    Il n’y a rien progressiste, même de loin, dans la tentative des puissances impérialistes que sont le Royaume-Uni ou la France de mettre en place une zone d’exclusion aérienne. Les rebelles de Benghazi ne sont que menue monnaie au milieu de leurs calculs. Hier encore, ces “puissances” embrassaient Mouammar Kadhafi, lui fournissaient des armes, achetaient son pétrole et, via Tony Blair, visitaient sa “grande tente” dans le désert et l’accueillaient au sein de la “communauté internationale”. Ce terme est un complet abus de langage, tout comme l’est l’idée des Nations-Unies, utilisée à cette occasion en tant qu’écran derrière lequel cacher que l’intervention en Libye avait été préparée uniquement en faveur des intérêts de classe crus de l’impérialisme et du capitalisme.

    Il ne fait aucun doute qu’il y a des illusions parmi de nombreux jeunes et travailleurs idéalistes qui attendent de telles institutions qu’elles résolvent les problèmes que sont les guerres, les conflits, la misère, etc. Certains sont également motivés dans leur soutien à la zone d’exclusion aérienne parce qu’ils craignaient que la population de Benghazi serait massacrée par les forces de Kadhafi. Mais les Nations-Unies ne font que rallier les nations capitalistes, dominées de manière écrasante par les États-Unis, afin de les faire collaborer lorsque leurs intérêts coïncident, mais qui sont de même fort “désunis” lorsque ce n’est pas le cas. Les guéguerres de positionnement et les querelles entre les différentes puissances impérialistes quant à l’intervention libyenne illustre bien ceci.

    Éparpillement américain et incertitude

    Les révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ont tout d’abord révélé l’incertitude – voire la paralysie – de la plus grande puissance impérialiste au monde, les États-Unis, quant à l’intervention adéquate. L’administration de Barack Obama a été forcée de tenter de se distinguer de la doctrine de George Bush d’un monde unipolaire dominé par l’impérialisme américain, avec son écrasante puissance militaire et économique. Les USA conservent toujours cet avantage militaire comparés à leurs rivaux, mais il est maintenant sapé par l’afaiblissement économique des États-Unis.

    Il y a aussi le problème de l’Afghanistan et la peur que cela ne mène à un éparpillement militaire. C’est ce qui a contraint Robert Gates, le secrétaire à la défense américain, à dès le départ déclarer son opposition – et, on suppose, celle de l’ensemble de l’état-major américain – par rapport à l’utilisation de troupes américaines terrestres où que ce soit ailleurs dans le monde. Il a aussi affirmé être “certain“ qu’Obama n’autoriserait aucune troupe au sol américaine à intervenir en Libye. Il a souligné cela lors de son interview où il se déclarait “dubitatif par rapport aux capacités des rebelles”, décrivant l’opposition comme n’étant en réalité rien de plus qu’un groupe disparate de factions et sans aucun véritable “commandemet, contrôle et organisation”. (The Observer du 3 avril).

    Obama, a sur le champ cherché à formuler une nouvelle doctrine diplomatique militaire, en ligne avec la nouvelle position des États-Unis sur le plan mondial. Il a tenté de faire une distinction entre les intérêts “vitaux” et “non-vitaux” de l’impérialisme américain. Dans les cas “vitaux”, les États-Unis agiront de manière unilatérale si la situation le requiert. Cependant les États-Unis, a-t-il proclamé de manière arrogante, ne sont plus le “gendarme du monde”, mais agiront dans le futur en tant que “chef de la gendarmerie” mondiale. Ceci semble signifier que les États-Unis accorderont leur soutien et seront formellement à la tête d’une “coalition multilatérale” tant que cela ne signifie pas le déploiement effectif et automatique des troupes.

    Malgré cela, la pression qui s’est effectuée pour empêcher un “bain de sang” a obligé Obama à signer une lettre publique avec Nicolas Sarkozy et Cameron, déclarant que ce serait une “trahison outrageuse” si Kadhafi restait en place et que les rebelles demeuraient à sa merci. La Libye, ont-ils déclaré, menace de devenir un “État déchu”. Ceci semble jeter les bases pour un nouveau saut périlleux, en particulier de la part d’Obama, qui verra l’emploi de troupes terrestres si nécessaire. Lorsqu’il a été incapable d’intervenir directement, à cause de l’opposition domestique par exemple, l’impérialisme n’a pas hésité à engager des mercenaires pour renverser un régime qui n’avait pas sa faveur ou pour contrecarrer une révolution. Telle était la politique de l’administration Ronald Reagan lorsqu’elle a employé des bandits soudards, les Contras, contre la révolution nicaraguayenne.

    L’impérialisme a été forcé dans la dernière intervention par le fait que Kadhafi semblait sur le point de gagner ou, en tous cas, d’avoir assez de force militaire et de soutien résiduel pour pouvoir éviter une complète défaite militaire, à moins d’une invasion terrestre. Les rebelles ne tiennent que l’Est, et encore, une partie seulement. L’Ouest, dans lequel vivent les deux tiers de la population, est toujours en grande partie contrôlé par Kadhafi et par ses forces. Ce contrôle n’est pas uniquement dû à un soutien populaire par rapport au régime. Ses forces possèdent la plupart des armes, y compris des armes lourdes, des tanks, etc. Il a toujours surveillé l’armée régulière de peur qu’un coup d’État n’en provienne. Patrick Cockburn a écrit dans The Independant du 17 avril : « L’absence d’une armée professionnelle en Libye signifie que les rebelles ont dû se fier à de vieux soldats à la retraite depuis longtemps pour entraîner leurs nouvelles recrues». Kadhafi est aussi capable d’attirer un soutien de la part des tribus, de même que du capital politique qu’il a accumulé pour son régime grâce au bon niveau de vie en Libye (avant le conflit) par rapport aux autres pays de la région.

    La révolution espagnole

    De nombreux partisans de la zone d’exclusion aérienne ont pris cette position en supposant que l’impérialisme ne serait pas capable d’aller plus loin que ça. Mais que feront-ils si, comme on ne peut l’exclure, des troupes au sol sous une forme ou une autre sont déployées avec la complicité des puissances impérialistes que sont les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ?

    Lors du débat à la Chambre des Communes (House of Commons) du 21 mars, Miliband (le nouveau chef du Parti travailliste) a accordé un soutien enthousiaste pour l’action militaire de Cameron. Voilà encore une nouvelle confirmation de la dégénerescence politique du Labour Party, qui d’un parti à base ouvrière, est devenu une formation bourgeoise. Les rédacteurs de la classe capitaliste reconnaissent eux aussi platement cette réalité : « Il fut un temps où le Labour party était le bras politique de la classe ouvrière organisée. Tous les trois principaux partis constituent maintenant le bras politique de la classe capitaliste organisée. Ce phénomène n’est pas propre à la Grande-Bretagne. Presque chaque démocratie avancée, surtout les États-Unis, lutte pour contrôler le monde des affaires » (Peter Wilby, The Guardian du 12 avril).

    Comparez seulement la position du dirigeant “travailliste” actuel avec celle de son prédécesseur Harold Wilson au moment de la guerre du Vietnam. Au grand regret de Lyndon Johnson, le président américain de l’époque, Wilson – bien qu’il n’aurait pas été contre l’idée de soutenir des actions militaires à l’étranger s’il avait cru pouvoir s’en tirer après coup – a refusé d’impliquer les troupes britanniques. Toute autre décision aurait provoqué une scission du Labour de haut en bas, ce qui aurait probablement mené à sa démission. En d’autres termes, il avait été forcé par la pression de la base du Labour et des syndicats à refuser de soutenir l’action militaire de l’impérialisme américain.

    Aujourd’hui Miliband soutient Cameron, en provoquant à peine un froncement de sourcils de la part des députés Labour ou de la “base”. Il a invoqué le cas de l’Espagne pendant la guerre civile afin de justifier le soutien au gouvernement, déclarant ceci : « En 1936, un politicien espagnol est venu au Royaume-Uni afin de plaider notre soutien face au fascisme violent du général Franco, disant “Nous nous battons avec des bâtons et des couteaux contre des tanks, des avions et des fusils, et cela révolte la conscience du monde qu’un tel fait soit vrai” » (Hansard, 21 mars).

    Le parallèle avec l’Espagne est entièrement faux. C’était alors une véritable révolution des travailleurs et des paysans pauvres qui se déroulait, avec la création (tout au moins au cours de la période initiale après juillet 1936) d’un véritable pouvoir ouvrier, de comités de masse et avec l’occupation des terres et des usines. L’Espagne était confrontée à une révolution sociale. Cette révolution a surtout été vaincue non pas par les forces fascistes de Franco, mais par la politique erronnée de la bourgeoisie républicaine qui a fait dérailler la révolution, aidée et soutenue par le Parti communiste sous les ordres de Staline et de la bureaucratie russe. Ceux-ci craignaient à juste titre que le triomphe de la révolution espagnole ne soit le signal de leur propre renversement.

    Dans une telle situation, la classe ouvrière du monde entier se rassemblait pour soutenir la revendication d’envoyer des armes à l’Espagne. Alors l’impérialisme, et en particulier les puissances franco-anglaises, ont tout fait pour empêcher l’armement des travailleurs espagnols. Pourtant, le député Tory Bill Cash était entièrement d’accord avec Miliband pour affirmer qu’il y a en effet “un parallèle avec ce qui s’est passé en 1936”, et soutenait donc “l’armement de ceux qui résistent contre Kadhafi” à Benghazi. Cela n’est-il pas un indicateur de la nature politique de la direction actuelle à Benghazi et à l’Est, qui inclut d’anciens partisans de Kadhafi tels que l’ancien chef des forces spéciales Abdoul Fattah Younis ? Si la tendance au départ à Benghazi (des comités de masse avec la participation de la classe ouvrière) s’était maintenue, il n’y aurait maintenant pas la moindre question d’un soutien de la part des Tories de droite ! Miliband a donné une nouvelle justification pour son soutien de la zone d’exclusion aérienne : « Il y a un consensus international, une cause juste et une mission faisable… Sommes-nous réellement en train de dire que nous devrions être un pays qui reste sur le côté sans rien faire ? »

    Aucune force de gauche sérieuse ne peut prôner une politique d’abstention lorsque des travailleurs sont soumis aux attaques meurtrières d’un dictateur brutal tel que Kadhafi. Il est clair qu’il fallait donner un soutien politique à la population de Benghazi lorsqu’elle a éjecté les forces de Kadhafi de la ville par une insurrection révolutionnaire – et ceci était la position du CIO dès le départ. Voilà une réponse suffisante pour ceux qui cherchent à justifier le soutien à l’intervention militaire de l’extérieur, sur base du fait que la population de Benghazi était sans défense. Les mêmes personnes ont utilisé les mêmes arguments au sujet de l’impuissance du peuple irakien qui se trouvait sous l’emprise d’un dictateur brutal pour justifier le bombardement puis l’invasion de l’Irak, avec les résultats criminels que nous voyons à présent. Mais cet argument a été mis en pièces par les révoltes des populations tunisienne et égyptienne qui ont écrasé les dictatures, sous leurs puissants millions.

    Les gens de Benghazi ont déjà vaincu les forces de Kadhafi une fois. Cela a été réalisé lorsque des méthodes révolutionnaires ou semi-révolutionnaires ont été employées. Ces méthodes semblent maintenant avoir été reléguées à l’arrière-plan par des forces bourgeoises et petites-bourgeoises qui ont mis de côté les forces véritablement révolutionnaires. Sur base de comités ouvriers de masse, une véritable armée révolutionnaire – plutôt que le ramassis de soudards qui soutient le soi-disant “gouvernement provisoire” – aurait pu être mobilisée afin de capturer toutes les villes de l’Est et d’adresser un appel révolutionnaire aux habitants de l’Ouest, et en particulier à ceux de la capitale, Tripoli.

    Il y a dans l’Histoire de nombreux exemples victorieux d’une telle approche, en particulier dans la révolution espagnole à laquelle Miliband se réfère mais qu’il ne comprend pas. Par exemple, après que les travailleurs de Barcelone aient écrasé l’insurrection fasciste de Franco en juillet 1936, José Buenaventura Durruti a formé une armée révolutionnaire qui a marché à travers la Catalogne et l’Aragon jusqu’aux portes de Madrid. Ce faisant, il a placé les quatre-cinquièmes de l’Espagne entre les mains de la classe ouvrière et de la paysannerie. C’était bel et bien une guerre “juste” de la part des masses qui défendaient la démocratie tout en luttant pour une nouvelle société socialiste, plus humaine. En outre, cette guerre bénéficiait d’un réel soutien international de la part de la classe ouvrière européenne et mondiale. Les critères utilisés par Miliband pour décider de ce qui est “juste” ou pas se situent dans le cadre du capitalisme et de ce qui est mieux pour ce système, et non pas pour les intérêts des travailleurs qui se trouvent dans une relation opposée et antagoniste par rapport à ce système, et de plus et plus aujourd’hui.

    Le “deux poids, deux mesures” des puissances occidentales

    Notre critère pour mesurer ce qui est juste et progressiste, y compris dans le cas de guerres, est de savoir dans quelle mesure tel ou tel événement renforce ou non les masses ouvrières, accroit leur puissance, leur conscience, etc. Tout ce qui freine cette force est rétrograde. L’intervention impérialiste capitaliste, y compris la zone d’exclusion aérienne, même si elle devait parvenir à ses objectifs, ne va pas renforcer le pouvoir de la classe ouvrière, ne va pas accroitre sa conscience de sa propre puissance, ne va pas la mener à se percevoir et à percevoir ses organisations comme étant le seul et véritable outil capable d’accomplir ses objectifs. Au lieu de ça, l’intervention attire l’attention des travailleurs de l’Est vers une force de “libération” venue de l’extérieur, abaissant ainsi le niveau de conscience des travailleurs de leur propre puissance potentielle.

    Comme l’ont fait remarquer même les députés Tory lors du débat à la Chambre des Communes, Miliband semble complètement adhérer à la “doctrine Blair” – une intervention militaire soi-disant humanitaire en provenance de l’extérieur – dont il avait pourtant semblé se distancier lorsqu’il avait été élu dirigeant du Labour. Ceci revient à justifier les arguments de Blair comme ceux de Cameron concernant le où et quand intervenir dans le monde. Miliband s’est rabattu sur la vague affirmation suivante : « L’argument selon lequel parce que nous ne pouvons pas faire n’importe quoi, alors nous ne pouvons rien faire, est un mauvais argument ». “Nous” (c’est-à-dire l’impérialisme et le capitalisme) ne pouvons pas intervenir contre la dictature en Birmanie, ne pouvons pas hausser “notre” ton contre les attaques meurtrières de la classe dirigeante israélienne contre les Palestiniens de Gaza. “Nous” sommes muets face aux régimes criminels d’Arabie saoudite et du Bahreïn. Néanmoins, il est “juste” de “nous” opposer à Kadhafi – même si “nous” le serrions encore dans “nos” bras pas plus tard que hier – et d’utiliser “notre” force aérienne (pour le moment) contre lui et son régime.

    C’est le journal “libéral” The Observer qui a fait la meilleure description de l’approche hypocrite arbitraire du capitalisme : « Pourquoi ce régime du Golfe (le Bahreïn) a-t-il le bénéfice du doute alors que d’autres dirigeants arabes n’y ont pas droit ? Il est clair qu’il n’est pas question d’intervenir au Bahreïn ou dans tout autre État où les mouvements de protestation sont en train d’être réprimés. L’implication en Libye ne laisse aucun appétit pour le moindre soutien actif, diplomatique ou militaire, pour les autres rébellions. S’il fallait choisir de n’attaquer qu’un seul méchant dans l’ensemble de la région, alors le colonel Kadhafi était certainement le meilleur candidat. » (The Observer du 17 avril)

    Ce qui est par contre entièrement absent de cette argumentation, ce sont les véritables raisons derrière l’intervention en Libye, qui sont les intérêts matériels du capitalisme et de l’internationalisme, pour le pétrole avant tout – la Libye comporte quelques-unes des plus grandes réserves de toute l’Afrique. Certains ont nié cet argument – ils ont dit la même chose à propos de l’Irak. « La théorie de la conspiration pour le pétrole … est une des plus absurdes qui soit » affirmait Blair le 6 février 2003. Aujourd’hui, The Independant (19 avril) a publié un mémorandum secret de l’Office des affaires étrangères datant du 13 novembre 2002, à la suite d’une rencontre avec le géant pétrolier BP : « L’Irak comporte les meilleures perspectives pétrolières. BP meurt d’envie de s’y installer ».

    Un soutien honteux pour l’intervention militaire

    Tandis que la position de Miliband et de ses comparses n’est guère surprenante étant donné l’évolution droitière des ex-partis ouvriers et de leurs dirigeants, on ne peut en dire de même de ceux qui prétendent s’inscrire dans la tradition marxiste et trotskiste. Sean Matgamna de l’AWL cite même Trotsky pour justifier son soutien à l’intervention militaire en Libye : « Un individu, un groupe, un parti ou une classe qui reste “objectivement” à se curer le nez tout en regardant des hommes ivres de sang massacrer des personnes sans défense, est condamné par l’Histoire à se putréfier et à être dévoré vivant par les vers ». Dans ce passage tiré des écrits de Trotsky sur la guerre des Balkans avant la Première Guerre mondiale, celui-ci dénonce les porte-paroles du capitalisme libéral russe qui restaient silencieux face aux atrocités commises par la Serbie et la Bulgarie à l’encontre des autres nationalités.

    Il ne justifiait pas le moins du monde le moindre soutien en faveur des dirigeants d’une nation contre l’autre. Cela est clair à la lecture de la suite de ce passage, que Matgamna ne cite pas : « D’un autre côté, un parti ou une classe qui se dresse contre chaque acte abominable où qu’il se produise, aussi vigoureusement et décidément qu’un organisme réagit pour protéger ses yeux lorsqu’ils sont menacés par une blessure externe – un tel parti ou classe est pur de cœur. Le fait de protester contre les outrages dans les Balkans purifie l’atmosphère sociale dans notre propre pays, élève le niveau de conscience morale parmi notre propre population… Par conséquent, une opposition obstinée contre les atrocités ne sert pas seulement l’objectif d’autodéfense morale au niveau de l’individu ou du parti, mais également l’objectif de sauvegarde politique de notre peuple contre l’aventurisme caché sous l’étendard de la “libération”. »

    Le dernier point de cette citation ne peut être à tout le moins compris qu’allant à l’encontre de la position de l’AWL, qui soutient l’intervention impérialiste cachée sous l’étendard trompeur de la “libération”. Et pourtant, nous trouvons ici l’affirmation surprenante selon laquelle : « La soi-disant gauche s’emmêle encore une fois dans un faux dilemme politique : la croyance selon laquelle il est obligatoire de s’opposer de manière criarde à l’“intervention libérale” franco-britannique en Libye au sujet de chacun de ses actes (ou au moins de chacun de ses actes militaires), sans quoi cela reviendrait à lui accorder un soutien général. En fait, ce dilemme n’est que de leur propre invention ». Tentant de trouver la quadrature du cercle, Matgamna ajoute ensuite que : « Bien entendu, les socialistes n’accordent aucun soutien aux gouvernements et aux capitalistes au pouvoir au Royaume-Uni, en France et aux États-Unis, ni aux Nations-Unies, ni en Libye, ni nulle part ailleurs ».

    Même un enfant de dix ans se rendrait compte que le fait de soutenir la moindre forme d’action militaire est une forme de “soutien politique actif”. L’AWL prétend pouvoir nettement séparer le soutien pour ce type d’action des perspectives plus globales concernant les puissances qui entreprennent ce type d’action. Mais elle agit dans la pratique comme un défenseur de la France et du Royaume-Uni : « L’ONU, se servant du Royaume-Uni et de la France, a fixé des objectifs très limités en Libye. Il n’y a aucune raison de croire que les “Grandes Puissances” veulent occuper la Libye ou sont occupées à quoi que ce soit d’autre que d’effectuer une opération de police internationale limitée sur ce qu’elles perçoivent comme constituant la “frontière sud” de l’Europe ». L’AWL ajoute même gratuitement que : « Les âpres leçons du bourbier iraqien sont encore très vives dans la mémoire de ces puissances ». Et poursuit avec ceci : « Au nom de quelle alternative devrions-nous leur dire de ne pas utiliser leur force aérienne pour empêcher Kadhafi de massacrer un nombre incalculable de ses propres sujets ? Voilà quelle est la question décisive dans de telles situations ». Et quiconque ne s’aligne pas sur ce non-sens est selon l’AWL un pacifiste incorrigible.

    Pour montrer à quel point ces annonciateurs “trotskistes” sont éloignés de la réelle position de Trotsky par rapport à la guerre, regardons sa position au cours de la guerre civile espagnole concernant la question du budget militaire du gouvernement républicain. Max Shachtman, qui était en ce temps un de ses partisans, s’est opposé à Trotsky qui défendait en 1937 le fait que : « Si nous avions un membre dans le Cortes [le parlement espagnol], nous voterions contre le budget militaire de Negrin ». Trotsky a écrit que l’opposition de Shachtman à sa position « m’a étonné. Shachtman était prêt à exprimer sa confiance dans le perfide gouvernement Negrin ».

    Il a plus tard expliqué que : « Le fait de voter en faveur du budget militaire du gouvernement Negrin revient à lui donner un vote de confiance politique… Le faire serait un crime. Comment expliquer notre vote aux travailleurs anarchistes ? Très simplement : Nous n’accordons pas la moindre confiance en la capacité de ce gouvernement à diriger la guerre et à assurer la victoire. Nous accusons ce gouvernement de protéger les riches et d’affamer les pauvres. Ce gouvernement doit être broyé. Tant que nous ne serons pas assez forts que pour le remplacer, nous nous battrons sous son commandement. Mais en toute occasion, nous exprimerons ouvertement notre méfiance à son égard : voici la seule possibilité de mobiliser les masses politiquement contre ce gouvernement et de préparer son renversement. Toute autre politique constituerait une trahison de la révolution » (Trotsky, D’une égratignure au risque de gangrène, 24 janvier 1940). Imaginons maintenant à quel point Trotsky dénoncerait le soutien honteux de l’AWL à l’intervention impérialiste en Libye aujourd’hui.

    Une position de classe indépendante

    On reste sans voix devant le fait que l’AWL, avec son apologie de l’intervention impérialiste, prétende défendre par-là une “politique ouvrière indépendante”. Mais il n’y a pas le moindre atome de position indépendante de classe dans son approche. Nous nous opposons à l’intervention militaire, tout comme s’y sont opposées les masses de Benghazi au cours de la première période. Les slogans sur les murs proclamaient en anglais : « Non à l’intervention étrangère, les Libyens peuvent se débrouiller par eux-mêmes ». En d’autres termes, les masse avaient un instinct de classe bien plus solide, une suspicion par rapport à toute intervention militaire extérieure, en particulier par les puissances qui dominaient autrefois la région – le Royaume-Uni et la France. Elles craignaient à juste titre que la zone d’exclusion aérienne, malgré les grands discours proclamant le contraire, ne mènent à une invasion, comme cela a été le cas en Irak.

    Cela signifie-t-il que nous nous contentons de rester au niveau de slogans généraux, que nous restons passifs face à l’éventuelle attaque de Kadhafi sur Benghazi ? Non. Mais dans une telle situation, nous insistons sur la nécessité d’une politique de classe indépendante, sur le fait que les masses ne doivent avoir confiance qu’en leur propre force, et ne pas accorder le moindre crédit à l’idée que l’impérialisme agit pour le bien des masses. Il est tout à fait vrai que nous ne pouvons en aucun cas répondre à l’argument du massacre potentiel par des affirmations du style : “La triste réalité est que les massacres sont une caractéristique chronique du capitalisme. La gauche révolutionnaire est, hélas trop faible pour les empêcher » (Alex Callinicos, un des dirigeants du SWP britannique).

    Les forces du marxisme peuvent être physiquement trop faibles pour empêcher des massacres – comme dans le cas du Rwanda par exemple. Nous sommes néanmoins obligés de défendre le fait que le mouvement ouvrier large adopte la position la plus efficace afin de défendre et de renforcer le pouvoir et l’influence de la classe ouvrière dans toute situation donnée. Par exempe, en Irlande du Nord en 1969, les partisans de Militant (prédécesseur du Socialist Party) se sont opposés à l’arrivée des troupes britanniques pour “défendre” les zones catholiques nationalistes de Belfast et de Derry contre l’attaque meurtrière des milices B-specials à prédominance loyaliste. Le SWP, bien qu’il l’ait plus tard nié, soutenait le débarquement des troupes britanniques. Lorsque les troupes sont arrivées, elles ont protégé ces zones des attaques loyalistes et ont été accueillies en tant que “défenseurs”. Mais, comme nous l’avions prédit, à partir d’un certain point ces troupes se transformeraient en leur contraire et commenceraient à être perçues comme une force de répression contre la minorité catholique nationaliste. Et c’est exactement ce qui s’est passé.

    Toutefois, confrontés au massacre potentiel de la population catholique, nous n’avons pas adopté une position “neutre” ou passive. Dans notre journal Militant de septembre 1969, nous appelions à la création d’une force de défense unitaire ouvrière, au retrait des troupes britanniques, au démantèlement de la milice B-specials, à la fin des discriminations, à la création d’emplois, de logements, d’écoles, etc. pour tous les travailleurs. En d’autres termes, nous étions donc en faveur d’une unité de classe et pour que les travailleurs se basent sur leurs propres forces et non pas sur celles de l’État capitaliste. Une approche similaire, basée sur l’indépendance de classe la plus complète, et adaptée au contexte concret de la Libye et du reste de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, est la seule capable de mener à la victoire de la lutte des travailleurs dans une situation aussi compliquée.

    Nous ne pouvons suivre Achar non plus, lorsqu’il dit : « Selon ma conception de la gauche, quiconque prétend appartenir à la gauche ne peut tout bonnement ignorer la demande de protection émanant d’un mouvement populaire, même de la part des ripoux impérialistes, lorsque le type de protection demandé n’en est pas un par lequel le contrôle sur leur pays peut être exercé. Aucune force progressiste ne peut se contenter d’ignorer la demande de protection provenant des rangs des insurgés ».

    Il est erroné d’identifier “les insurgés”, qui provenaient au départ d’un authentique mouvement de masse – comme nous l’avons fait observer – à leur direction actuelle, bourrée d’éléments bourgeois et pro-bourgeois, y compris de renégats en provenance du régime de Kadhafi. Qui plus est, il est entièrement faux – comme certains l’ont fait – de comparer l’acceptation de la part de Lénine de nourriture et d’armes fournies par une puissance impérialiste pour en repousser une autre, sans aucune condition militaire ou politique liée, à un soutien à la zone d’exclusion aérienne. La question pour les marxistes n’est pas de ce qui est fait, mais de qui le fait, comment et pourquoi.

    Défendre la révolution

    Au final, l’objectif de l’intervention impérialiste est de sauvegarder sa puissance, son prestige et son revenu de la menace de la révolution qui se développe dans la région. Comme l’a bien expliqué un porte-parole de l’administration Obama, la principale source d’inquiétude n’est pas ce qui se passe en Libye, mais bien les conséquences que cela pourrait avoir en Arabie saoudite et dans les États du Golfe, où sont concentrées la plupart des réserves pétrolières desquelles dépend le capitalisme mondial. Les impérialistes considèrent une intervention victorieuse en Libye comme étant un rempart contre toute menace de révolution dans ces États et dans l’ensemble de la région. Ils sont aussi inquiets de l’influence régionale de l’Iran, qui s’est énormément accrue en conséquence de la guerre d’Irak.

    La situation en Libye est extrêmement fluide. La manière dont se résoudra le conflit actuel est incertaine. En ce moment, il semble que cela se termine par une impasse, dans laquelle ni Kadhafi ni les rebelles ne sont capables de porter un coup décisif pour s’assurer la victoire dans ce qui est à présent une guerre civile prolongée. Ceci pourrait mener à une réelle partition du pays, ce qui est déjà le cas dans les faits. Dans cette situation, toutes les divisions tribales latentes – qui étaient en partie tenues en échec par la terreur du régime Kadhafi – pourraient remonter à la surface, créant une nouvelle Somalie au beau milieu de l’Afrique du Nord, avec toute l’instabilité que cela signifie, en particulier en ce qui concerne la lutte pour les réserves de pétrole de la Libye. D’un autre côté, l’impérialisme cherche désespérément à éviter de donner l’impression que Kadhafi ait obtenu une victoire partielle dans cette lutte, ce qui renforcerait la perception d’impuissance des puissances impérialistes à pouvoir décider de l’issue des événements.

    Mais la responsabilité du mouvement ouvrier au Royaume-Uni et dans le monde est claire : opposition absolue à toute intervention impérialiste ! Que le peuple libyen décide de son propre destin ! Soutien maximum de la part de la classe ouvrière et du mouvement ouvrier mondial aux véritables forces de libération nationale et sociale en Libye et ailleurs dans la région, y compris sous la forme d’un approvisionnement en nourriture et en armes !

    L’impérialisme ne sera pas capable d’arrêter la marche en avant de la révolution en Afrique du Nord et dans le Moyen-Orient. Certes, comme le CIO l’avait prédit, il existe une grande déception parmi les masses, qui estiment que les fruits de leurs victoires contre Moubarak et Ben Ali ont jusqu’ici été volées par les régimes qui les ont remplacés. L’appareil de sécurité et la machine d’État tant haïs qui existaient auparavant demeurent largement intacts, malgré les puissantes convulsions de la révolution. Mais ceux-ci sont en train d’être combattus par des mouvements de masse.

    Les révolutions tiennent bon, et des millions de gens ont appris énormément de choses au cours du mouvement. Espérons que leurs conclusions mèneront à un renforcement de la classe ouvrière et au développement d’une politique de classe indépendant. Un tel renforcement serait symbolisé par le développement par les travailleurs de leurs propres organisations, de nouveaux et puissants syndicats et partis ouvriers, avec l’objectif de la transformation socialiste de la société, accompagnée par la démocratie en Libye et dans l’ensemble de la région.

  • LIBYE: Soutien aux masses et à leur révolution ! Aucune confiance dans l’intervention impérialiste !

    Face à l’avance rapide des troupes de Kadhafi, la décision du Conseil de sécurité de l’ONU a été fêtée dans les rues de Benghazi et de Tobrouk. Les puissances coalisées se présentent aujourd’hui en sauveurs de Benghazi. Mais l’intervention militaire va-t-elle véritablement aider la révolution en Libye ?

    Par Boris Malarme

    La chute des dictateurs Ben Ali et Moubarak a inspiré des millions de jeunes, de travailleurs et de pauvres en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et partout dans le monde. Presque chaque pays de la région est touché par les contestations contre l’absence de libertés démocratiques et contre la misère. Ces victoires ont encouragé les masses en Lybie à suivre la même voie.

    Kadhafi et ses anciens amis

    L’Italie, la France, l’Espagne et l’Allemagne sont les principaux partenaires commerciaux de la Libye. Tous sont engagés dans l’offensive militaire (comme la Belgique), à l’exception de l’Allemagne qui vient de décider d’augmenter son engagement militaire en Afghanistan.

    En octobre 2010, la Commission Européenne a passé un contrat de 50 millions d’euros sur trois ans, en échange d’efforts visant à empêcher les réfugiés d’arriver en Europe ! La Libye est aussi un grand investisseur en Europe via le fond d’investissements “Libyan investment Authority”. Khadafi est encore actionnaire de la banque UniCrédit, de Fiat, de la Juventus,… La Lybie – douzième producteur mondial de pétrole et première réserve de pétrole d’Afrique – exporte 80% de son pétrole à destination de l’Europe. La panique sur les bourses et la montée du prix du baril, qui a dépassé le seuil des 120$, a illustré que les marchés craignent le développement de la révolution libyenne et la remise en cause des profits que garantissait le régime.

    Nombreux sont ceux qui se souviennent de la visite de Kadhafi à l’Elysée, en 2007, quand Sarkozy balayait toute critique avec ses 10 milliards d’euros de contrats commerciaux. L’Espagne a fait de même pour 11 milliards d’euros.

    La Belgique n’est pas en reste (141 millions d’euros d’exportation vers le pays en 2008). La Belgique a d’ailleurs été le premier pays à recevoir Kadhafi en 2004, quand la communauté internationale a cessé de l’isoler. Après une entrevue avec la Commission Européenne, la tente du dictateur a été plantée dans les jardins du palais de Val Duchesse, où Kadhafi a été reçu en grande pompe par Guy Verhofstat, Louis Michel et Herman de Croo. Louis Michel avait préparé sa venue en lui rendant visite à Syrte, entouré de patrons belges. Le CDh et Ecolo avaient bien protesté, mais cela ne les a pas empêché de participer au gouvernement Wallon avec le PS et de valider ensemble la livraison d’armes de la FN en Libye.

    Après une première rencontre avec Kadhafi en 1989, Robert Urbain, ministre (PS) du Commerce extérieur des gouvernements Martens et Dehaene, a conduit une mission commerciale en Libye en 1991, avec de nombreux industriels et confirmant l’accord commercial général conclu avec la Libye et gelé en 1983. Les investisseurs ont même dégoté un contrat immobilier mégalomane : deux livres vert monumentaux à la gloire du régime…

    Les gouvernements successifs connaissaient les crimes et les atrocités commises par le régime de Kadhafi contre les opposants et la population, mais ont maintenu des liens commerciaux étroits. La participation belge à l’intervention n’est qu’hypocrisie, les politiciens qui tendaient encore hier leur main à Kadhafi essayent aujourd’hui de faire oublier leur attitude passée, tout en tentant de sauvegarder les positions commerciales et les profits des entreprises belges.

    En Europe et ailleurs, un fort sentiment de sympathie envers ces révolutions est présent parmi la population. Le soutien de nos gouvernements aux régimes dictatoriaux et répressifs à travers tout le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord a écorné leur image “démocratique”. Après avoir soutenu et armé la dictature de Kadhafi, l’entrée en guerre des puissances de la coalition n’a pas pour objectif de venir au secours des masses libyennes et de leur révolution. Jusqu’ici, elles étaient plutôt enchantées de faire affaire avec le régime de Kadhafi au vu des ressources gazières et pétrolières contrôlées par le régime.

    Aujourd’hui, les puissances occidentales tentent d’exploiter la révolution afin de restaurer leur prestige et d’obtenir un régime plus favorable à l’emprise des multinationales sur les richesses du pays, ou au moins de sa partie Est, au vu de la possibilité d’une partition du pays. Comment la présence des Emirats Arabes Unis et du Qatar au sein de la coalition peut-elle effacer le caractère impérialiste de celle-ci, alors que ces deux Etats sont militairement impliqués au côté de la monarchie semi-féodale d’Arabie Saoudite dans la répression de la population du Bahreïn ? Les puissances de la coalition n’ont rien fait contre l’Arabie Saoudite et la Belgique ne remet pas en cause son commerce d’armes avec celle-ci.

    Malgré ses efforts depuis une dizaine d’années, le régime de Kadhafi n’est pas un allié suffisamment fiable pour l’impérialisme. Mais Kadhafi n’a jamais été l’allié des masses et des révolutions, comme en témoigne son attitude après la fuite de Ben Ali, qu’il considérait comme une grande perte pour les Tunisiens. En 1971 déjà, Kadhafi s’est rangé du côté de la contre-révolution en livrant le dirigeant du puissant parti communiste du Soudan (un million de membres à l’époque) à la dictature de Nimeiry et en l’aidant à écraser la tentative de coup d’Etat de gauche qui avait fait suite à l’interdiction des forces de gauche. Kadhafi a beau qualifier son régime de ‘‘socialiste et populaire’’, ce dernier n’a jamais rien eu à voir avec le socialisme démocratique. Kadhafi et ses fils ont toujours dirigé la Lybie d’une poigne de fer.

    “Non à une intervention étrangère, les libyens peuvent le faire eux-mêmes”

    C’est ce qu’on pouvait lire fin février sur une pancarte à Benghazi. Cela exprimait le sentiment qui dominait contre toute intervention impérialiste. Mais le maintien du contrôle de Kadhafi sur l’Ouest (malgré les protestations dans la capitale et les soulèvements à Misrata et Zuwarah) et sa contre-offensive vers l’Est ont provoqué un changement d’attitude. Mais les révolutionnaires qui espèrent que l’intervention les aidera se trompent.

    La résolution de l’ONU, la ‘‘no-fly-zone’’ aux commandes de l’OTAN et les bombardements des puissances coalisées vont miner tout le potentiel pour concrétiser les véritables aspirations de la révolution libyenne. De plus, le régime essaye d’exploiter les sentiments anti-impérialistes qui vivent parmi la population. Le maintien du régime de Kadhafi ne s’explique pas seulement par la supériorité de son armement, mais surtout par les faiblesses présentes dans le processus révolutionnaire. Ainsi, l’absence de véritables comités populaires démocratiques sur lesquels se baserait le mouvement révolutionnaire et l’absence d’un programme clair répondant aux aspirations sociales de la majorité de la population a fait défaut. Cela aurait permis de bien plus engager les 2/3 de la population de l’Ouest (au-delà des divisions tribales et régionales), de fractionner l’armée et d’unifier les masses contre Kadhafi.

    Le Conseil National de Transition rebelle (CNT) est un conseil autoproclamé, largement composé d’anciens du régime de Kadhafi et d’éléments pro-capitalistes, favorables aux puissances occidentales. Parmi eux ; l’ancien dirigeant du Bureau national de développement économique, que l’on trouve derrière des politiques néolibérales et le processus de privatisations qui a pris son envol à partir de 2003. Cela laisse une relative marge de manœuvre à Kadhafi, qui bénéficie encore d’un certain souvenir de ce qui a pu être fait en termes d’enseignement et de soins de santé grâce aux revenus du pétrole depuis 1969, et qui a récemment fait des concessions en termes de salaires et de pouvoir d’achat sous la pression de la révolte.

    C’est ce qui explique que l’envoyé spécial du quotidien Le Monde dans l’Est du pays a témoigné “on ne sent pas parmi la population un enthousiasme phénoménal vis-à-vis du Conseil National de transition.” (23/03/2011) Il affirme aussi que si les Libyens de l’Est étaient à ce moment favorables à un zone d’exclusion aérienne, ils sont fortement opposés à une intervention au sol.

    Les travailleurs et leur syndicat peuvent aider la révolution libyenne en s’opposant à la participation belge dans l’intervention, en bloquant les exportations de la Libye et en gelant les avoirs de la clique de Kadhafi. Mais l’avenir de la révolution libyenne doit se décider en Libye même. Contrairement à la Tunisie et l’Egypte, la classe des travailleurs n’a pas encore joué un rôle indépendant dans la révolution. La création d’un mouvement indépendant des travailleurs, des jeunes et des pauvres est la seule façon d’empêcher le projet impérialiste, d’en finir avec la dictature et d’élever le niveau de vie de la population.

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