Category: Moyen-Orient et Afrique du Nord

  • Ecole d’été du CIO : Le rôle de la classe ouvrière dans les révolutions du monde néocolonial

    Lors de l’édition 2012 de l’école d’été du Comité pour une Internationale Ouvrière, un meeting a donné la parole à trois camarades de notre internationale (issus respectivement de Tunisie, du Brésil et du Sri Lanka). Ils ont ainsi abordé la situation des luttes sociales et des mouvements révolutionnaires dans leur pays de même que notre implication en tant que parti révolutionnaire mondial dans ces mouvements. Peter Taafe, président du Socialist Party (parti-frère du PSL en Angleterre et Pays de Galles), est lui aussi intervenu, notamment au sujet des 50 ans de l’indépendance de l’Algérie.

    Rapport par Julien (Bruxelles)

    Le premier intervenant a activement participé au mouvement et à la lutte contre le dictateur tunisien Ben Ali. Il a commencé par rappeler l’histoire populaire de la Tunisie qui, comme c’est le cas pour beaucoup de pays néocoloniaux, a connu l’imposition du capitalisme de manière dictatoriale sur base de la collaboration de l’impérialisme et des monarchies sur place. Cela s’est accompagné d’un processus d’endettement dû à l’industrialisation et aux réformes agraires inachevées.

    La ‘‘singularité tunisienne’’ provient du fait que la réforme agraire a été accompagnée de révoltes contre le régime, ce qui a permis le remplacement de la monarchie par une république. La colonisation a, elle, forcé l’industrialisation. La cohabitation entre les deux systèmes a été dure, ce qui a impliqué une double rébellion : premièrement, un mouvement réactionnaire et conservateur, qui disparu assez vite, au profit du deuxième mouvement : le mouvement ouvrier progressiste. C’est ce dernier qui a combattu l’impérialisme français.

    Il n’y a aucun doute sur le rôle du mouvement ouvrier dans ‘‘l’exception tunisienne’’ : c’est le premier pays de la région à s’être doté d’une organisation syndicale (qui refusa la collaboration avec les nazis, contrairement à d’autres mouvements nationalistes du monde arabe qui y voyaient un moyen de lutter contre la métropole). C’est la classe ouvrière qui a réellement brisé la colonisation. En 1943, les femmes avaient, entre autre, le droit de vote ainsi que le droit au travail. Les mouvements ouvrier et féministe sont totalement liés en Tunisie. Le camarade a insisté : ‘‘Ce que la bourgeoisie présente aujourd’hui comme la Tunisie Moderne ne sont que les acquis de la Tunisie Ouvrière’’.

    En 1978 et 1984, suite à des réformes économiques néolibérales, des luttes syndicales se sont développées contre l’Etat bourgeois. En 1986, un mouvement similaire est né contre le Plan d’Ajustement Structurel du Fonds Monétaire International (FMI). Avec un mouvement ouvrier organisé et des syndicats combatifs, l’impérialisme a été conduit à soutenir des putschistes comme Ben Ali afin de maintenir son pouvoir sur la région.

    Comment la bourgeoisie présente-t-elle la révolution actuelle ? De manière scolastique : ‘‘Les gens ne sont pas contents’’. C’est oublier son rôle dans la dictature. Depuis 2008, la classe ouvrière a repris le chemin de la lutte après une longue période de repos. Il s’agissait d’une sorte de revanche sur les années ’80, quand elle avait échoué à chasser Ben Ali. Elle s’est de mieux en mieux organisée et est devenue plus combative.

    Actuellement, le pays vit une période de grèves générales. Que peuvent-elles apporter au mouvement ? Si on regarde l’histoire de la Tunisie, ce sont les grèves générales qui permettent de virer des dictateurs ! C’est un réel conflit de classe.

    Une partie de l’extrême-gauche n’a pas compris cela et a abandonné l’idée des Comités Ouvriers, des Comités de Quartier,… et a préféré courir vers les institutions bourgeoises ! C’est pourtant une question importante qui fait le lien avec la nécessité d’un gouvernement ouvrier.

    Notre camarade brésilienne est revenue sur la crise économique qui frappe ce pays. Le Brésil connait une crise similaire à celle qui touche l’Europe, un processus qui conduit à une augmentation des luttes. Des illusions restent toutefois encore présentes concernant l’avenir que réserve ce système (meilleur que celui de la génération précédente aux yeux de nombreuses personnes).

    Après la crise des années ’90, il y a eu une croissance économique essentiellement basée sur les exportations à destination de la Chine. Jusqu’en 2010, le pays a connu une croissance de la consommation et des crédits. Mais cette croissance est forcément limitée par la dépendance du pays envers le reste du monde à cause de la désindustrialisation du pays et de la réorientation de sa production vers l’extraction de matières premières.

    Le pays est, à la fois parmi les 6 plus grandes puissances économiques du monde et parmi les 12 pays qui comprennent le plus large fossé entre riches et pauvres. La majorité des richesses sont donc concentrées entre quelques mains seulement. Une baisse des conditions de travail a accompagné les progrès effectués dans la construction d’infrastructures.

    Cela a impliqué une augmentation des luttes liées aux projets de prestiges industriels et sportifs et à l’expulsion de travailleurs qu’ils impliquaient. Beaucoup de luttes spontanées ont vu le jour, y compris au beau milieu de l’Amazonie. Toute une série de travailleurs qui se croyaient privilégiés dans la dernière période sont aujourd’hui convaincus qu’une grève générale est nécessaire. 90% des universités fédérales sont en grève (les projets de prestiges ont fait de l’ombre aux budgets pour l’enseignement, ce qui force certains enseignants à donner cours dans des églises, dans des restaurants abandonnés,… bref, là où il y a de la place). Le mouvement de grève dure depuis 2 mois avec des manifestations, des occupations,… partout dans le pays, tant dans le secteur public que privé.

    Le défi aujourd’hui est de surmonter la fragmentation de la lutte. C’est ce que le PSOL (Partido Socialismo e libertad) tente de faire. Nos camarades de la LSR (section sœur du PSL au Brésil) travaillent au sein du PSOL et y sont considérés comme une référence de gauche au sein du PSOL et à l’extérieur car, depuis toujours, ils défendent la perspective d’une société socialiste et un programme de rupture fondamental avec le système d’exploitation capitaliste. La LSR a un candidat aux élections communales et il existe des possibilités d’élus du PSOL dans différentes villes. Ces élections seront un moment important afin de tester l’impact que peuvent avoir nos idées à notre échelle, qui reste encore limitée dans ce pays.

    Au-delà de cette question électorale, un autre point de cristallisation des luttes existe autour du CSP-Conlutas (syndicat de gauche) qui a organisé 6000 personnes dans des occupations destinées à défendre le droit à la terre avec le MTST (le Mouvement des paysans sans-terre, la plus importante organisation de sans-domiciles). Il y a eu de nombreuses expulsions à cause des spéculations criminelles.

    De plus en plus de gens commencent à véritablement voir les limites du capitalisme et se tournent dorénavant vers nous. En étant membre du PSOL tout en défendant des critiques constructives concernant ses méthodes, la nécessité d’intervenir dans les luttes et le besoin de clarifier les idées politiques de cette formation large, nous avons pu construire une certaine périphérie autour de notre organisation.

    Le troisième intervenant était issu du Front Line Socialist Party (une organisation de gauche large avec laquelle travaillent nos camarades sri-lankais de l’United Socialist Party), au Sri-Lanka. Elle a commencé par expliquer que selon la constitution sri-lankaise, le pays est ‘‘socialiste’’ et est dirigé par des partis ‘‘socialistes’’ ! Mais la crise dévoile très clairement, et cruellement, qu’il ne s’agit que d’une rhétorique vide de sens. De plus en plus de gens sont jetés à la rue et doivent voler pour survivre. A côté de cette situation se développent de grandes illusions concernant l’Europe, qui est vue comme un paradis. Mais pour ceux qui y arrivent, c’est plutôt un enfer qui les attend, celui de l’univers des sans-papiers et de leur exploitation.

    Enfin, notre camarade Peter Taafe a pris la parole, en commençant son intervention en expliquant que nous vivons la plus sérieuse crise du capitalisme depuis les années ’30. Cette idée est aujourd’hui largement comprise et acceptée dans les couches larges de la population. Aux dires du dirigeant de la principale banque anglaise, il s’agirait même de la plus grave crise jamais connue, et le pire serait encore à venir.

    Mais le degré des luttes est lui aussi sans précédent, avec des mouvements de masses dans de nombreux pays. Après la guerre de 40-45, la lutte a été marquée par son impact dans le monde néocolonial (Asie, Afrique, Amérique-latine, tous y passaient). Au Sri-Lanka, un vrai parti de masse trotskyste des travailleurs et des paysans a joué un rôle clef à l’époque. Mais le LSSP (Lanka Sama Samaja Party) a fait de nombreux compromis avec la bourgeoisie et a brisé de lui-même sa position parmi la jeunesse et le mouvement des travailleurs, une leçon qui reste cruciale pour l’avenir.

    Ce meeting était aussi une manière de célébrer le 50e anniversaire de la victoire du FLN (le Front de Libération National) en Algérie contre l’impérialisme français. Cette guerre a cause la mort d’un 1,5 million de civils et a duré de 1954 à 1962. Finalement, une guérilla de 40.000 combattants a vaincu 600.000 soldats français. Les Algériens qui vivaient en France avaient énormément sacrifié pour la victoire de cette lutte pour l’indépendance, il n’était pas rare que 50% de leurs revenus servent à financer le combat.

    En dépit du fait qu’il s’agissait d’un mouvement nationaliste bourgeois, le FLN a été soutenu de façon critique par ce qui allait devenir par la suite le Comité pour une Internationale Ouvrière, dont les membres considéraient qu’une victoire allait affaiblir l’impérialisme français. Ce soutien n’a pas été uniquement verbal, mais a également eu une dimension pratique. Ainsi, des camarades ingénieurs se sont rendus en Algérie afin d’aider à divers actes de sabotage le long de la frontière avec le Maroc.

    Ce soutien a contrasté avec celui d’autres prétendus “trotskistes” qui avaient refuse de soutenir le FLN a avaient soutenu le MNA (Mouvement National Algérien) dirigé par Messali Hadj. Ce dernier avait joué un role important dans le passé mais était devenu un véritable larbin de l’impérialisme français.

    La révolution algérienne a eu un énorme impact en France, qui a notamment conduit à la révolte des officiers d’Alger (la capitale du pays) en 1961. Avant cela, Charles De Gaulle était arrivé au pouvoir en 1958 et avait instauré une sorte de bonapartisme parlementaire, sans que la direction de la classe ouvrière française – la Section française de l’internationale ouvrière (qui deviendra le Parti Socialiste en 1969) et le Parti Communiste – ne fassent rien.

    Après la victoire de mouvements de guérilla dans des pays comme l’Algérie, certains ont commence à développer l’idée selon laquelle la paysannerie détenait le rôle clé à jouer dans la révolution mondiale plutôt que la classe ouvrière. Ce point de vue a notamment été développé par le Secrétariat Unifié de la Quatrième Internationale (SUQI, dont la LCR est la section en Belgique) et en particulier par son théoricien, Ernest Mandel.

    Ainsi, début 1968, Ernest Mandel s’était adressé au public venu l’écouter lors d’un meeting à Londres organisé par les partisans du SUQI en déclarant que la classe ouvrière européenne ne partirait pas en action décisive contre le système pour au moins 20 années en raison de la force du dollar et de la croissance économique mondiale. Cette Remarque a été faite un mois à peine avant les évènements révolutionnaires de Mai 1968 en France !

    Il existait pourtant de nombreux signes avant-coureurs du potentiel d’un tel développement, comme l’envoi de gardiens armés dans les entreprises et le blocage d’élèves dans des classes fermées à clefs pour les empêcher d’aller manifester ! Par après, la France a connu la plus grande grève générale de l’histoire, avec 10 millions de travailleurs en grève et d’innombrables piquets de grève partout dans le pays. De Gaulle était totalement désarmé. Le pouvoir aurait pu être pris par els travailleurs, mais les dirigeants du mouvement ouvrier ont préféré détourner la lutte vers le parlementarisme.

    Il y a peu, le Financial Time expliquait que ‘‘l’Europe est en feu et Rajoy jette de l’huile sur le feu par l’augmentation des taxes alors que celles-ci devrait baisser pour atténuer le mouvement.’’ Il y a quelques années que le CIO s’attend et anticipait l’arrivée des luttes actuelles. L’impact des luttes en Afrique du Nord et au Moyen-Orient a été bien plus grand que prévu. La révolution égyptienne n’est pas morte, les masses ne font que digérer l’expérience nouvellement acquise. Les Frères Musulmans seront testés sur leur politique, et il en va de même pour le nouveau régime tunisien.

    Peter a poursuivi en expliquant que nous entrons dans une ère qui pourra voir le développement de révolutions de type socialistes, où la question de la collectivisation des secteurs clés de l’économie et leur fonctionnement sur base d’une planification sera posée. Mais l’exemple de Cuba est là pour nous rappeler que la classe ouvrière doit avoir le contrôle démocratique de son Etat, sans quoi le développement du bureaucratisme est inévitable. La victoire de la classe ouvrière dans un pays résonnera à travers tout le globe.

    Ce danger, la bourgeoisie en est bien consciente. Une des nombreuses illustrations de cet état de fait est la campagne médiatique menée en Irlande contre notre camarade Joe Higgins et notre parti-frère le Socialist Party. De tout temps, la presse s’est opposée à la révolution. Déjà en 1917, 124 journaux tentaient de semer la discordes en affirmant que Lénine avait tué Trotsky (ou inversement, tant qu’à faire…). Il en allait de même avec nos camarades anglais dans les années ’80, à Liverpool, lorsque nous avons eu une majorité communale sous Thatcher et où les médias ont attaqués de manière tout aussi honteuse les acquis que notre organisation a apportés aux travailleurs et à leurs familles.

    Avec le Comité pour une Internationale Ouvrière, soyons à la hauteur de l’histoire, pour la lutte et la solidarité, pour le socialisme ! Préparons-nous à cet avenir tumultueux qui est devant nous en construisant un parti révolutionnaire international de masse !

  • Egypte : Quelle issue pour les Frères Musulmans ?

    Pour des millions d’égyptiens pour qui la chute de Moubarak par les mouvements de masse fut une première expérience, la révolution était une voie à sens unique. Un peu plus d’une année plus tard, le processus de révolutions et contre-révolutions apparaît comme plus compliqué que prévu. S’il est clair que la classe dirigeante n’est pas en mesure de restaurer son programme comme jadis, de son côté la classe ouvrière n’a pas encore pu s’armer d’un programme pour aboutir à un gouvernement de la classe ouvrière et des pauvres.

    Rapport d’une discussion tenue à l’école d’été du CIO, par Baptiste L.

    Les Frères Musulmans contre le CSFA : deux représentants pour les classes dirigeantes

    De nombreux changements brusques ont pris place dans la dernière période. Parallèlement à l’élection de Morsi (Frères Musulmans, de droite, se réclamant de l’islam politique) le Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA) a dissout le parlement et s’est de fait octroyé le pouvoir législatif, provoquant le rassemblement d’un million de personnes place Tahrir à l’appel des Frères Musulmans. C’est une situation très complexe qui s’est développée avec la lutte entre les Frères Musulmans et le CSFA pour le pouvoir. Fondamentalement, ces deux forces représentent les classes dirigeantes, les travailleurs et les pauvres se retrouvent quant à eux spectateurs de cette lutte.

    Depuis la chute de Moubarak, le mouvement a clairement été dévié vers les élections, avec pas moins de 6 échéances en 7 mois. L’évolution des résultats électoraux est riche en enseignements. Les Frères Musulmans sont ainsi passés de 45 % à 22 %, tandis que les Nasseristes sont passés de 4 % à 22 %, auxquels résultats il faut encore ajouter la percée des salafistes à 18%. Ces scores expriment la volatilité omniprésente dans la situation, avec d’une part la déjà perte de crédit des Frères Musulmans suite à leur inaction, et d’autres part le potentiel et la marge de progression que possèdent les Nasseristes, qui apparaissent comme les seuls représentants à ce niveau des intérêts des travailleurs et pauvres. S’il est clair que leur programme comporte son lot de confusions, il est clairement ancré à gauche. Pour Morsi, il est désormais clair que sa victoire ne signifie pas une adhésion mais avant tout le rejet de l’ancien régime.

    Aucune illusion à avoir dans l’islam politique de Morsi

    Pendant 30 ans, Moubarak a pu s’octroyer l’appui des impérialistes sur base de la rhétorique « moi ou l’aventure islamiste ». Ce soutien considérable se chiffrait par exemple à hauteur d’1 milliard $ chaque année de la part des USA, uniquement pour ce qui est du soutien militaire. Les islamistes représentaient une « menace » surtout dans le sens où l’équilibre régional, essentiellement la relation avec Israël, aurait pu voler en éclat. Ce qui est compromettant pour les nombreux enjeux stratégiques pour les impériales dans le Moyen-Orient.

    Pourtant, l’élection de Morsi a été largement saluée aussi bien par Hillary Clinton que par les marchés financiers à Londres. Tout simplement parce qu’une victoire de Morsi était préférable par rapport une victoire d’un ancien de la clique de Moubarak qui aurait à coup sûr jeté de l’huile sur le feu de la révolte. Dans ce sens, Morsi incarne un candidat idéal pour les capitalistes car lui et les Frères Musulmans peuvent jouir d’une certaine tolérance (dans un premier temps en tout cas) vis-à-vis du mouvement de masse qui secoue le pays depuis des mois. En outre, Morsi n’a d’ailleurs en rien changé la relation avec Israël, et sa recherche de l’appui des impérialistes ne devrait pas le faire dévier de cette attitude.

    Cette lune de miel vis-à-vis des masses ne devrait pas durer étant donné le caractère néolibéral de la politique de Morsi. Un de ses axes n’est autre que de s’attaquer à la législation du travail. Récemment, le FMI a exigé de son côté du gouvernement de Morsi des coupes dans les aides alimentaires, ce qui pourrait raviver encore un peu plus la colère de la population. Il y a quelques années, les émeutes de la faim ont démontré à quel point ce sujet pouvait être brûlant.

    Le processus de révolution et contre-révolution est à l’œuvre

    Au même titre qu’en Tunisie, le processus révolutionnaire est loin d’être terminé. Néanmoins, quel chemin prendra-t-il ? Ce 7 juillet, la coalition des jeunes révolutionnaires a annoncé sa dissolution. Leur argument était que la lutte était finie maintenant que des élections avaient pu prendre place après Moubarak. Cet exemple illustre les clarifications nécessaires. Parallèlement, des pas en avant ont été faits à travers cette école qu’est la lutte de masse. Les syndicats libres se sont considérablement développés : on y comptabilise aujourd’hui 2,5 millions de syndiqués, contre 50 000 avant la chute de Moubarak ! Cela illustre le pôle d’attraction que représente le mouvement ouvrier organisé dans une telle période, mais aussi la force potentielle entre les mains de ces organisations.

    Malgré la chute de Moubarak et la concession des élections, le cœur du régime est toujours là, et le coup d’Etat latent du CSFA durant le déroulement des élections en est une preuve. L’omniprésence de l’armée restreindra systématiquement la marge de manœuvre politique de Morsi, et cette situation pourrait se cristallisé en une forme d’Etat comme au Pakistan, où c’est en dernière instance l’armée qui tire les ficelles.

    C’est une forme de contre-révolution qui a pu s’exprimer par l’absence de l’intervention décisive d’une classe ouvrière armée de son programme. Comme dans tout processus, cette situation n’est pas une situation finale mais temporaire, qui sera soumise aux prochains développements. Le tournant vers la droite qu’imprime cette avancée de la contre-révolution impulsera inévitablement des explosions avec ses éléments de renforcement de la révolution.

    La classe ouvrière doit s’organiser de manière indépendante autour de son programme

    Face à l’armée, aux salafistes et à l’ancien régime, il serait erroné de croire que les Frères Musulmans soient un rempart plus progressiste pour les travailleurs, les jeunes et les pauvres. La gauche ne doit pas tomber dans ce piège et prendre à bras le corps la tâche cruciale qui est d’organiser le mouvement ouvrier autour de son programme. C’est la seule manière de continuer la lutte pour de meilleures conditions de vie et de travail.

  • Tunisie : Quelle situation un peu plus d’un an après la chute du dictateur et après les premières élections ?

    Dans son rapport du mois de juin, l’International Crisis Group (ICG) soulignait le risque de nouvelles explosions de colère en Tunisie, du fait de l’incapacité du gouvernement à faire face à des problèmes majeurs du pays, à savoir le chômage, les inégalités et la corruption. Ces problèmes sont exactement les mêmes qui ont causé les mouvements de masse des jeunes, travailleurs et pauvres qui aboutirent à la fuite de Ben Ali.

    Rapport d’une discussion tenue à l’école d’été du CIO, par Baptiste L.

    La Tunisie pieds et poings liés au marasme économique mondial

    Les causes économiques de ces maux sont toujours à l’œuvre et la grave crise économique qui touche la Tunisie ne permet pas d’envisager d’autre perspective. Alors que le gouvernement dirigé par Ennahdha annonçait 2012 comme l’année de la reprise (croissance prévue entre 2,6% et …4,7% selon le ministre), le plus probable est que cette année amorce une nouvelle phase de contraction de l’économie. De fait, les exportations vers l’Europe chutent substantiellement, or c’est le cœur de l’économie. En outre, des partenaires traditionnels de la région comme la Lybie ne sont pas dans une situation pour stimuler les échanges commerciaux.

    Depuis la chute de Ben Ali, 134 entreprises ont quitté le pays et parmi ces 134, environ 100 se justifient par les risques de grève accrus. Un tel fait suffit à illustrer à quel point la moindre tentative d’amélioration des conditions de vie ou de travail est d’emblée confrontée au chantage. Cela se retrouve encore de différentes manières dans l’économie. Ainsi, si l’inflation est officiellement de 5,7%, l’augmentation des prix des denrées de base est totalement disproportionnée. En un an, le prix des tomates a par exemple été multiplié par 8 !

    Une situation sociale toujours dans l’impasse

    Cela n’est pas un hasard ou la conséquence des méfaits du climat, mais une politique consciente du patronat de sorte à reprendre d’une main ce qu’ils ont dû concéder de l’autre (comme des augmentations de salaires conséquentes aux luttes et grève de la dernière période). Les luttes n’ont pas pris fin avec la chute de Ben Ali, que du contraire : la chute du dictateur honni a ouvert une boîte de Pandore en termes de revendications sociales. D’ailleurs, les magouilles derrière l’augmentation des prix des denrées de base pourraient donner naissance à une nouvelle vague de luttes sur ce sujet et où serait en train de germer l’idée de comités populaires pour contrôler les prix.

    De son côté, le chômage n’a pas baissé depuis la fin de Ben Ali, que du contraire. Les grèves de la faim et les immolations sont autant d’actes de désespoir en augmentation face à cette situation. Le gouvernement fait d’ailleurs aveu de son échec et de son incapacité en proposant explicitement aux chômeurs d’aller tenter l’aventure en Lybie pour gagner de quoi vivre.

    Ennahdha et l’islam politique déjà totalement discrédités

    Dans une telle situation, les sondages faisant part du discrédit du gouvernement ne sont guère surprenants : pour 86 % des sondés le gouvernement Ennahdha est en échec complet sur la question de l’emploi et du chômage, pour 70 % il est également en échec face à la corruption et pour 90 % également sur la question des prix, où il apparaît qu’ils n’ont strictement rien fait. Ce bilan pour le gouvernement est si lourd qu’il va jusqu’à remettre en question l’existence de ce gouvernement, comme cela est avancé à juste titre dans le rapport de l’ICG.

    Ennahdha, parti de droite et se réclamant de l’islam politique, est arrivé au pouvoir en octobre 2011. Cette victoire aux premières élections depuis Ben Ali ne signifiait pas pour autant un virage vers la droite des masses qui avaient mis fin à la dictature. Il suffit de voir que la participation électorale n’était que de 75 % et que 60 % de ceux-là n’ont pas voté en faveur d’Ennahdha. La base sociale d’Ennahdha prend plutôt ses racines dans des couches de la population qui furent inactives durant la révolution. En fait, cette victoire par défaut signifiait plus l’absence d’une alternative crédible pour répondre aux attentes sociales. Il est également crucial de voir ce résultat électoral comme une photo, un « instantané », et non comme une vue complète sur le processus dans lequel a pris place l’élection. Si Ennahdha a pu gagner en autorité suite à sa victoire, ils n’ont que plus perdu en crédit depuis avec le test de la pratique.

    La contre-révolution prend ses marques

    Suite à son incapacité à avancer une réponse sur le plan socio-économique, Ennahdha s’est décidé à s’engouffré sur la voie de la répression. Les contrôles arbitraires et la répression policière rappellent parfois ni plus ni moins que les méthodes de Ben Ali, à un degré différent toutefois. Cela est d’autant plus choquant quand on sait que le président Moncef Marzouki a été représentant pour Amnesty International et pour la ligue des droits de l’homme, et que le premier ministre Hamadi Jebali fut lui-même victime de la répression et connut la prison sous Ben Ali. La manière dont de telles figures ont adopté si rapidement ces méthodes répressives nourrit l’idée que ce qui est nécessaire est de renverser l’ensemble du système et pas seulement les têtes les plus visibles du régime. Ennahdha n’hésite d’ailleurs pas à déclarer que le vrai problème de l’ancien régime était avant tout une question de personnes. Une telle déclaration achève d’enterrer le mythe de l’islam politique.

    L’enracinement dans l’appareil d’Etat de la nouvelle couche dirigeante de Ennahdha n’est évidemment pas encore aboutie comme a pu l’être l’enracinement du RCD de Ben Ali. Cette espace permet à des déchus du l’ancien régime de s’organiser derrières d’anciennes figures encore présentes surtout dans l’appareil militaire. Cette situation génère un conflit latent entre le nouvel et l’ancien establishment. Cette réorganisation des anciens de Ben Ali s’opère également au sein de « l’Appel de Tunisie ». Au sein de ce mouvement on retrouve d’anciens diplomates, ministres et notamment de l’ancien premier ministre provisoire Béji Caïd Essebsi. « Appel de Tunisie » se profile comme ‘moderniste’ et libéral, en contraste avec le caractère islamiste de Ennahdha et dans le but de se présenter comme des partenaires plus fiables pour les impérialistes et la bourgeoisie tunisienne. Sur base de l’expérience au sein de l’ancien régime, ils cherchent également à se profiler comme un gage de stabilité par rapport à Ennahdha dont le gouvernement est en crise.

    Au final, Ennahdha et l’Appel de Tunisie ne sont rien d’autre que deux des visages de la contre-révolution. Leur volonté commune est de faire plier le mouvement ouvrier, son organisation, et de pérenniser le capitalisme en Tunisie. Ce n’est pas un hasard si une solidarité de classe apparaît lors de certaines situations socialement chaudes, comme lors de la répression d’un piquet de grève.

    Les défis pour le mouvement ouvrier restent d’une importance critique

    L’idée selon laquelle la Tunisie est le miracle du printemps arabe est donc loin d’être vrai. Bien sûr, il n’y a pas eu les interminables scénarios de guerre civile et de violence comme le connaissent la Syrie, la Lybie ou l’Egypte. Une des raisons qui explique cette différence est le poids conséquent de l’UGTT. Dans les autres pays cités précédemment, la structuration du mouvement ouvrier est beaucoup plus affaiblie. De toute la région (Afrique du Nord et Moyen-Orient), la Tunisie présente la plus grande tradition syndicale.

    Depuis la chute de Ben Ali, le nombre de syndiqués a doublé pour atteindre un million de personnes. Sous Ben Ali, l’UGTT était le seul syndicat reconnu et sa direction avait tendance à être plus loyale au gouvernement qu’à sa base. Depuis le congrès de décembre 2011, une nouvelle direction a été élue à l’UGTT, largement plus sensible aux militants syndicaux de la base. Si à l’époque de la chute de Ben Ali le renversement de la direction de l’UGTT était une nécessité, aujourd’hui il s’agit plutôt de réaliser la tactique du front unique pour permettre au mouvement ouvrier de décrocher des victoires et d’augmenter sa conscience de classe.

    Chaque occasion ratée donnera des opportunités à la droite

    Le climat social est toujours bouillonnant, en atteste le nombre accru de grèves. Aux mois de mars et d’avril, une vague de grèves générales de villes pris place. Vingt villes réalisèrent à tour de rôle une grève générale. Cette expérience unique n’avait rien d’un mouvement de grèves désordonné. Que du contraire, ce mouvement de grève fut massivement suivi dans chaque ville avec la solidarité à chaque fois d’un grand nombre de petits commerçants. La solidarité de telles couches de la société est significative de l’autorité qu’a gagnée l’UGTT et de son potentiel. Ce potentiel est tel qu’il a donné lieu à certaines situations de double pouvoir.

    Néanmoins, l’attitude de la direction de l’UGTT reste défensive et manque d’audace. Cela reflète en dernière instance un manque de confiance dans les capacités de la classe ouvrière et le manque d’une alternative politique. La direction actuelle pratique en fait un populisme de gauche, fait de balancement entre un radicalisme, poussé par la base, et des appels à la conciliation, faute de perspective politique. Un tel manque de stratégie n’est pas anodin et peut rapidement mener à une démoralisation ; d’autant plus que dans une période révolutionnaire chaque occasion manquée est une opportunité pour l’ennemi : la contre-révolution.

    Les salafistes, l’immonde symptôme d’un régime agonisant

    La situation actuelle peut être caractérisée comme très volatile : tout peut basculer d’un côté comme de l’autre. Une polarisation extrême se développe entre des éléments de révolution et contre-révolution. Cela s’est récemment illustré avec la croissance des forces de salafistes, qui défendent une lecture très réactionnaire de l’islam avec notamment l’organisation d’une police morale en défense de la charia. Ces salafistes ont une base sociale similaire aux fascistes : du lumpen (le ‘‘sous-prolétariat en haillons’’), des éléments de la petite bourgeoisie et des éléments aliénés de la classe ouvrière. Ils ont en commun également le recours à la violence envers le mouvement ouvrier organisé. De nombreux cas d’attaques envers des femmes « mal habillées », des bars à alcool et des militants politiques sont à recenser. Il faut toutefois remarquer que tous les salafistes ne sont pas des intégristes religieux. Il s’y trouve parfois de simples délinquants et autres petites frappes, ce qui est lié à la base sociale des salafistes.

    L’attitude d’Ennahdha vis-à-vis des salafistes est symptomatique : les critiques sont toujours contrebalancées de justifications. Cette attitude s’explique en partie par le fait qu’au sein d’Ennahdha est présente une aile plus radicale, liée aux salafistes. La direction d’Ennahdha n’affronte donc pas les salafistes pour s’accommoder cette aile plus radicale. En outre, les salafistes sont consciemment instrumentalisés par Ennahdha pour faire le sale boulot envers les militants politiques et les travailleurs en lutte, mais également pour dévier les tensions de classe vers des tensions religieuses ou encore de profiter du climat délétère pour justifier la mise en place de couvre-feux. Parallèlement, des soupçons existent sur le fait que d’anciens pontes du RCD renforceraient les salafistes afin de déstabiliser le pouvoir en place.

    Une stratégie vers la victoire est nécessaire pour écraser la réaction

    Au mois de juin, dans la foulée des plus grandes manifestations depuis la chute de Ben Ali, les salafistes ont mis le feu à des bureaux de l’UGTT. Ce développement des forces salafistes appuie et illustre l’absolue nécessité pour le mouvement ouvrier de s’organiser de manière indépendante, pour pouvoir répondre à de tels défis critiques. Ces évènements de juin sont une première alarme à cet égard. La gauche doit construire un pôle indépendant de la classe ouvrière autour de l’UGTT. Nous n’avons aucune illusion à avoir dans le rôle soi-disant progressiste de l’Appel de Tunisie d’Essebsi ; les prochaines victoires du processus révolutionnaire seront le fait de la classe ouvrière et non des capitalistes à visage démocratique.

    Les expériences de luttes pour les masses furent une véritable école révolutionnaire. Nous devons capitaliser sur cette expérience pour continuer la lutte pour une société basée sur des conditions de vie décentes, pour créer massivement des emplois, pour la nationalisation des banques et des grandes entreprises, pour un plan de développement des infrastructures par des investissements massifs. Seule la lutte pour le socialisme permet une économie démocratiquement gérée dans les intérêts des travailleurs et des pauvres.

  • Syrie : Le massacre de Houla augmente la crainte d’une véritable guerre civile

    Le meurtre de 108 personnes près de la ville syrienne de Houla a interpelé et choqué dans le monde entier. Le meurtre de 49 enfants, dont beaucoup ont été tués à bout portant, est particulièrement odieux. Les tensions sectaires alimentées par cet acte barbare font planer la terrible menace d’un glissement vers un conflit plus large et d’une véritable guerre civile. Comme toujours, les travailleurs et les pauvres en souffriront le plus. En lutte contre le régime brutal de Bachar El Assad, la classe ouvrière doit s’opposer au sectarisme et à l’intervention impérialiste

    Niall Mulholland, Comité pour une Internationale Ouvrière

    Depuis 15 mois maintenant, des manifestations massives ont lieu dans beaucoup d’endroits de Syrie contre le règne dictatorial de la famille Assad, qui dure depuis plus de 40 ans. A l’origine, ces protestations se sont déroulées dans le cadre des révolutions au Moyen Orient et en Afrique du Nord. Mais en l’absence d’un mouvement indépendant de la classe ouvrière dirigeant la lutte et avec de plus en plus d’intervention dans la région de la part de régimes réactionnaires tels que ceux du Qatar et d’Arabie Saoudite ainsi que l’ingérence impérialiste, le conflit syrien a de plus en plus adopté un caractère de guerre civile teinté de sectarisme.

    Les puissances occidentales, en particulier les USA, la Grande Bretagne et la France, ont été rapides à condamner les atrocités de Houla. Elles ont fait reporter tout le poids de la faute sur le régime syrien du président Bachar el-Assad, qui décline de son côté toute responsabilité. Il est certain que beaucoup de témoins et de survivants accusent les forces armées syriennes et les gangs de Shabiha (qui peut se traduire par ‘‘bandits’’), qui massacrent et enlèvent régulièrement les opposants. Les investigateurs de l’ONU ont dit qu’il y a des indices que les Shabiha aient accompli au moins une partie de la tuerie des 25 et 26 mai.

    Les accusations des puissances impérialistes sont toutefois profondément hypocrites et écœurantes. Des centaines de milliers de civils ont perdu la vie en Irak comme en Afghanistan du fait de l’invasion occidentale et de l’occupation. Dans le cadre de leur quête de pouvoir, d’influence et de contrôle des ressources, des attaques aériennes impérialistes de drones ont quotidiennement lieu au Pakistan, en Somalie et au Yémen. Le lendemain du massacre de Houla, une attaque de l’OTAN dans l’est de l’Afghanistan a déchiqueté les 8 membres d’une famille.

    Les puissances occidentales justifient l’utilisation de la force militaire en déclarant attaquer des cibles ‘‘terroristes’’, ce qui est une rhétorique similaire à celle de la dictature de Bachar el-Assad. Dans les deux cas, ces attaques au hasard, approuvées par l’Etat, équivalent à des exécutions sommaires et à de potentiels crimes de guerre.

    Environ 15.000 personnes sont mortes en Syrie, majoritairement des mains de l’armée Syrienne et des forces pro-Assad, depuis l’insurrection de mars 2011. Mais sous le mandat d’Obama, plus de 500 civils ont été tués par des attaques aériennes dans le seul Pakistan, dont 175 enfants.<p

    A couteaux tirés

    Les USA, appuyant l’opposition syrienne, et la Russie, soutenant le régime d’Assad, sont de plus en plus à couteaux tirés à mesure qu’empire la situation du pays. Cela se traduit par des conflits au Conseil de Sécurité des Nations Unies sur la manière de traiter la dossier syrien.

    La Russie et la Chine ont voté contre les résolutions anti-Assad soutenues par les USA, la Grande Bretagne et la France. Malgré cette rhétorique, les positions des USA et de la Russie n’ont rien à voir avec la situation critique du peuple Syrien. Elles sont liées aux intérêts de leurs classes dominantes respectives et à celles de leurs plus proches alliés.

    Les USA, la Grande Bretagne et la France ont clairement affirmé qu’ils veulent la fin du régime d’Assad. Depuis longtemps, ils le considèrent comme un obstacle à leurs intérêts impérialistes dans la région. Ils veulent à sa place un gouvernement docile et pro-occidental. Suite aux révolutions de l’année dernière qui ont renversé deux alliés cruciaux de l’occident dans la région – Ben Ali en Tunisie et Moubarak en Egypte – les puissances impérialistes sont déterminées à s’assurer que la révolte populaire en Syrie ne dépasse pas des barrières de ‘‘l’acceptables’’ (c’est-à-dire vers une position d’indépendance de classe) et qu’elle reste à l’avantage des impérialistes.

    Les USA instrumentalisent l’échec du ‘‘plan de paix’’ de Kofi Annan (émissaire conjoint de l’Organisation des Nations unies et la Ligue arabe sur la crise en Syrie ) pour menacer d’entrer en action ‘‘en dehors du plan Annan’’ et de l’autorité du Conseil de Sécurité des Nations Unies, avec le soutien des plus proches alliés dans le conflit Syrien ; la Grande Bretagne et la France. Cela rappelle l’infâme coalition militaire menée par George Bush et Tony Blair qui a envahi l’Irak en toute illégalité.

    D’un autre côté, la Russie considère le régime d’Assad comme un allié crucial dans la région, un allié qui lui offre un accès à un port de Méditerranée. Le ministre russe des affaires étrangères a ainsi indiqué qu’il pourrait être préparé à mettre en œuvre ce qu’il appelle la ‘‘solution Yéménite’’, c’est-à-dire qu’Assad soit renversé alors que la plupart de la structure de son régime resterait en place. Cette solution est calquée sur un plan de la Ligue Arabe au Yémen, où le président Ali Abdullah Saleh a perdu le pouvoir en février 2012, après des mois de manifestations massives.

    Le Kremlin est cependant fermement opposé à toute intervention militaire occidentale, en particulier après l’expérience amère du conflit libyen l’an dernier. La Russie soutenait une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU basée sur la constitution d’une zone d’exclusion aérienne, une ‘‘no-fly-zone’’. Mais les puissances occidentales ont utilisé cette résolution pour permettre une intervention armée de l’OTAN en Lybie, déviant la révolution de sa trajectoire, renversant le régime du Colonel Kadhafi et, selon leurs propres termes, installant un régime pro-occidental.

    L’OTAN

    Bachar el-Assad ne semble pas prêt de perdre le pouvoir ou d’être placé devant le risque imminent d’un coup d’Etat. Alors que la Syrie est frappée par des sanctions économiques, une part significatrice de la population dont beaucoup d’hommes d’affaires sunnites, n’ont pas encore catégoriquement rompu leurs liens avec le régime. Damas parie aussi sur le fait que l’Ouest serait incapable de mener une intervention militaire directe du type libyen.

    Le ministre des affaire étrangères britannique, William Hague, a récemment menacé qu’aucune option ne puisse être écartée dans le traitement de Bachar el-Assad, laissant entendre la possibilité d’une action militaire occidentale. Mais l’attaque de l’OTAN contre la Lybie l’an dernier ne peut pas tout simplement être répétée en Syrie, un pays qui possède une population beaucoup plus élevée et dont les forces d’Etat sont, selon les experts militaires, plus puissantes, mieux entrainées et mieux équipées.

    Assad a à sa disposition une armée de 250.000 personnes, en plus de 300.000 réservistes actifs. L’an dernier, l’OTAN a été capable d’envoyer des milliers de missions aériennes et de missiles sur la Lybie sans rencontrer de réelle résistance. Mais la Syrie possède plus de 80 avions de chasse, 240 batteries anti-aériennes et plus de 4000 missiles sol-air dans leur système de défense aérien. Les stratèges militaires occidentaux admettent qu’une invasion du pays demanderait un effort monumental. Leurs troupes seraient irréductiblement embourbées dans de larges zones urbaines hostiles.

    Quant aux diverses propositions visant à aider la population et à affaiblir le régime Syrien sans offensive militaire directe (‘‘corridor humanitaire’’, ‘‘zone d’exclusion aérienne’’,…), elles exigent tout de même des opérations militaires offensives.

    Chaque ère protégée devraient très certainement être sécurisés avec des troupes au sol, qu’il faudrait ensuite défendre contre des attaques, ce qui exigerait l’envoi de forces aériennes. Les stratèges britanniques de la défense admettent qu’une action militaire quelconque contre la Syrie ‘‘conduirait presqu’inévitablement à une guerre civile encore plus aigüe et sanglante.’’

    De plus, la composition complexe de la Syrie (une majorité sunnite avec des minorités chrétienne, alaouite, druze, chiite, kurde et autres) entraîne le risque de voir l’intervention militaire occidentale déclencher une véritable explosion dans la région, sur bases de divisions ethniques et sectaires.

    Même sans une intervention occidentale directe, la Syrie continue de glisser vers une guerre civile ‘‘à la libanaise’’. L’implication directe des régimes locaux de droite et des puissances mondiales qui soutiennent soit l’opposition, soit le régime, encourage cela.

    Les puissances sunnites réactionnaires de la région, avec à leur tête l’Arabie Saoudite et le Qatar, utilisent la crise syrienne pour appuyer leur position contre les régimes chiites. Avec le soutien des USA et d’Israël, les régimes sunnites s’opposent à l’Iran, le plus important allié de la Syrie dans la région.

    Il apparait que la Turquie, l’Arabie Saoudite, le Qatar et les autres Etats du Golfe, chacun suivant son plan, acheminent des fonds et des armes à l’opposition Syrienne, avec le soutien tacite des USA. Une base de passage à la frontière existe même depuis la Turquie. Les forces d’opposition armée disent avoir tué 80 soldats syriens le weekend du début du mois de juin. En même temps, un commandant en chef des Gardiens de la Révolution en Iran a récemment admis que les forces iraniennes opèrent dans le pays pour soutenir Assad.

    Patrick Cockburn, le journaliste vétéran du Moyen-Orient, a écrit que les rebelles armés ‘‘pourraient probablement commencer une campagne de bombardement et d’assassinats sélectifs sur Damas’’ (Independent, dimanche 03/06/12). Le régime d’Assad riposterait en ayant recours à des ‘‘sanctions collectives’’ encore plus sauvages. Damas serait ‘‘ victime de la même sorte de haine, de peur et de destruction qui ont ébranlé Beyrouth, Bagdad et Belfast au cours de ces 50 dernières années.’’

    Le sectarisme s’approfondit. La minorité chrétienne craint de subir le même sort que les chrétiens d’Irak, ‘‘ethniquement purgés’’ après l’invasion américaine de 2003. Le régime d’Assad exploite et alimente cette peur pour se garder une base de soutien dans la minorité chrétienne, ainsi que chez les Alaouites, les Druzes et les Kurdes. Les USA, la Grande Bretagne, la France et l’Arabie Saoudite et leurs alliés sunnites dans la région ont utilisé sans scrupules la carte du sectarisme pour défendre un changement de régime à Damas et pour leur campagne contre l’Iran et ses alliés. Tout cela a des conséquences potentiellement très dangereuses pour les peuples des Etats frontaliers et dans toute la région.

    Le conflit Syrien s’est déjà déployé au Liban frontalier, où le régime d’Assad a le soutien du Hezbollah, qui fait partie de la coalition gouvernementale. Le conflit entre les sunnites et les alaouites pro-Assad dans la ville de Tripoli au Nord du Liban a fait 15 morts en un weekend. Ces dernières semaines, le conflit s’est dangereusement exporté à Beyrouth, faisant craindre la ré-irruption d’un conflit sectaire généralisé au Liban.

    La classe ouvrière de Syrie et de la région doit fermement rejeter toute forme de sectarisme et toute intervention ou interférence impérialiste.

    Intervention

    L’insurrection de mars 2011 en Syrie a commencé par un mouvement authentiquement populaire contre la police d’Etat d’Assad, l’érosion des aides sociales, les degrés élevés de pauvreté et de chômages et le règne de l’élite riche et corrompue.

    En l’absence d’un mouvement ouvrier fort et unifié avec un programme de classe indépendant, les courageuses manifestations massives semblent avoir été occultées et dépassées par des groupes d’oppositions armés et hargneux. Alors que beaucoup de Syriens restent engagés pour un changement révolutionnaire et résistent à la provocation sectaire, de plus en plus de dirigeants de ces forces sont influencés par les régimes réactionnaires de la région et par l’impérialisme.

    Les combattants islamistes de la province irakienne d’Anbar, de Lybie et d’ailleurs ont rejoint l’opposition armée libyenne. Une attaque à la voiture piégée à Damas qui a tué un nombre de personnes record en mai dernier est largement reproché aux combattants de l’opposition liés à Al-Qaeda.

    Le Conseil National Syrien (CNS), un groupe d’opposition exilé, demande une résolution du Conseil de Sécurité des Nations Unies autorisant l’usage de la force contre Assad, ce qui paverait la voie à une intervention armée, à l’instar de la Lybie.

    Alors qu’une grande partie du peuple libyen est dans une situation désespérée et que certains peuvent sincèrement espérer une intervention militaire extérieure, les évènements en Lybie illustrent que l’implication de l’OTAN ne conduit ni à la paix, ni à la stabilité. Le nombre de morts a connu une percée après que l’OTAN ait commencé ses attaques aériennes sur la Lybie, se multipliant par 10 ou 15 selon les estimations. Le pays, ruiné par la guerre, est maintenant dominé par des centaines de milices en concurrence qui dirigeants des fiefs.

    Environ 150 personnes sont mortes dans un conflit tribal dans le sud de la Lybie en mars, et le weekend dernier, une milice a temporairement pris le contrôle du principal aéroport du pays. La supposée administration centrale du pays (le Conseil National de Transition, non-élu et imposé par l’Occident) a sa propre milice, le Conseil Suprême de Sécurité, fort de 70.000 hommes. Les dirigeants de l’opposition bourgeoise et pro-impérialiste en Syrie cherchent sans doute à être mis au pouvoir d’une manière similaire par le pouvoir militaire occidental.

    Révolutions

    Cependant, la menace d’une intervention impérialiste en Syrie et l’implication de plus en plus forte des régimes réactionnaires Saoudiens et Qataris n’ont aucune raison de soutenir le régime d’Assad. Pour les socialistes, l’alternative a été clairement montrée lors des révolutions de l’année dernière en Tunisie et en Egypte, ainsi qu’aux débuts de la révolte syrienne en 2011.

    Elles ont illustré que c’est le mouvement massif et unifié des la classe ouvrière et des jeunes qui est capable de renverser les despotes et leurs régimes pour engager la lutte pour un changement réel aux niveaux politique et social. La reprise du mouvement révolutionnaire en Egypte, suite à l’issue injuste du procès de Moubarak et de ses sbires, souligne que ce n’est que par un approfondissement de l’action de masse du fait de la classe ouvrière et des jeunes qu’il peut y avoir un véritable changement.

    Les travailleurs de Syrie, quelle que soit leur appartenance ethnique ou religieuse, ont le droit de se défendre eux-mêmes contre la machine d’Etat d’Assad et contre toutes les milices sectaires. Les véritables socialistes, basés sur les traditions du marxisme révolutionnaire, appellent à la constitution immédiate de comités de défense indépendants, démocratiquement élus et contrôlés par les travailleurs, pour défendre les manifestations, les quartiers et les lieux de travail.

    Cela doit être lié à une nouvelle initiative de la classe ouvrière en Syrie, construisant des comités d’action dans toutes les communautés et les lieux de travail, en tant que base pour un mouvement indépendant des travailleurs.

    L’une de ses tâches serait d’enquêter indépendamment sur les responsables de la tuerie de Houla et de tous les autres massacres et assassinats sectaires. Cela montrerait aussi le rôle du régime d’Assad et de ses milices, ainsi que celui des puissances voisines et impérialistes.

    Comme partout, les Nations Unies sont incapables, à cause de leur asservissement aux principales puissances mondiales, d’empêcher les atrocités contre les civils ou de résoudre les conflits armés dans l’intérêt de la classe ouvrière.

    Suite au massacre de Houla, les grèves de ‘‘deuil’’ ont éclaté dans certains endroits de la Syrie. Les manifestations contre Assad continuent dans certaines villes, dont à Damas. Il est crucial que de telles manifestations prennent un caractère anti-sectaire et pro-classe ouvrière. Un mouvement de la classe ouvrière en Syrie développerait les manifestations de travailleurs, les occupations de lieux de travail et les grèves, dont des grèves générales, pour rompre avec le sectarisme et lutter pour le renversement du régime d’Assad. Un appel de classe aux soldats pauvres du rang à s’organiser contre leurs généraux, à se syndiquer et à rejoindre les manifestants, pourrait diviser les forces d’Etat meurtrières et les neutraliser.

    Les travailleurs syriens de toutes religions et ethnies ont besoin d’un parti qui leur est propre, avec une politique socialiste indépendante. Un tel parti avec un soutien massif peut résister avec succès au sectarisme et aux politiques empoisonnées du diviser pour mieux régner d’Assad, des régimes sunnites et chiites de la région et de l’impérialisme hypocrite.

    Un programme socialiste – appelant à un contrôle et une gestion démocratiques de l’économie par les travailleurs pour transformer les conditions de vie, créer des emplois avec des salaires décents et une éducation, la santé et les logements gratuits et de qualités – inspirerait les travailleurs et les jeunes à rejoindre le camp de la révolution.

    Sous un drapeau authentiquement socialiste, en opposition aux forces prétendument ‘‘socialistes’’ qui soutiennent le régime dictatorial de Bachar el-Assad, la révolte populaire contre le régime syrien appellerait les travailleurs de la région à étendre la révolution.

    En liant ensemble les mouvements révolutionnaires qui ont lieu en Syrie, en Tunisie, en Egypte et ailleurs en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, sur base d’un programme d’orientation socialiste, où les secteurs clés de l’économie seraient aux mains des masses, la classe ouvrière pourrait dégager les tyrans et porter de puissants coups au capitalisme pourri et à l’ingérence impérialiste. Cela pourrait se transformer en une lutte pour une confédération socialiste volontaire et équitable du Moyen-Orient, dans laquelle les droits de toutes les minorités seraient garantis.

  • Egypte : Le candidat aux présidentielles le plus identifié à la révolution remporte 22% des voix

    Le premier tour des élections présidentielles égyptiennes (les 23 et 24 mai dernier) ont placé en tête Mohamed Morsi, le candidat du Parti de la liberté et de la justice (la vitrine politique des Frères Musulmans). Avec ses 25%, il se place un pourcent devant Ahmed Chafik, qui fut le dernier premier ministre du président déchu Hosni Moubarak. La révolution commencée le 25 janvier 2011 fait-elle marche arrière ? Les résultats illustrent au contraire qu’elle peut bien avoir dévié, mais qu’elle ira à nouveau de l’avant. Le gagnant de ces élections est en fait le principal perdant de celles-ci !

    David Johnson, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de galles)

    Au Caire, à Alexandrie et dans d’autres villes et villages, des manifestations de masse ont suivi l’annonce des résultats. Des centaines de personnes ont notamment pris d’assaut le QG de campagne de Chafiq au Caire afin d’y mettre le feu. Mais ces manifestations de colère n’auraient pas seulement été dirigées contre Chafik, mais également contre le candidat des Frères Musulmans.

    Les Frères Musulmans (FM) ont obtenu dix millions de voix (soit 47%) à l’occasion des récentes élections législatives tenues il y a quelques mois à peine. Mais cette fois, Morsi n’a pu compter que sur un peu plus de cinq millions de votes (25%). Il était en fait le second choix des Frères Musulmans pour les représenter, puisque leur premier choix, Khairat al-Chater, a été disqualifié pour cause de condamnation sous le régime Moubarak. Al-Chater est l’un des plus riches hommes d’affaires d’Egypte, ce qui constitue en soi une excellente indication de la vision des choses adoptée par la direction des Frères Musulmans et de ce que doivent en attendre les travailleurs et les pauvres.

    Lors des élections législatives, le parti des ultra-conservateurs salafistes, Al-Nour, avait recueilli 24% des voix. Leur candidat, Hazem Abu Ismail, a également été disqualifié pour les présidentielles en raison de la double nationalité américaine de sa mère. Un candidat qui avait fait défection des Frères Musulmans et s’est présenté comme un indépendant en faisant appel aux libéraux laïques, Abdel Moneim Aboul El-Fotouh, a obtenu 18% des voix – beaucoup moins que prévu dans les sondages. Il avait gagné le soutien des salafistes, ce qui lui a probablement fait perdre le soutien d’autres couches qui espéraient de lui qu’il comble le fossé entre les partisans islamistes et laïques de la révolution.

    Un autre candidat avait été mis en avant dans les sondages ; l’ancien secrétaire général de la Ligue arabe Amr Moussa, qui a terminé cinquième avec 11% des suffrages. Il était l’un des favoris de l’establishment, avec juste ce qu’il fallait d’opposition pour être en mesure de prétendre soutenir la révolution du 25 janvier. Moussa et Aboul Fotouh étaient considérés comme les deux principaux candidats, jusqu’à un débat télévisé qui semble leur avoir fait perdre du soutien à tous les deux!

    La croissance rapide du candidat de gauche

    Les deux candidats qui ont fait mieux que prévu ont été Chafiq, un vestige de l’ancien régime, et Hamdine Sabahi. Parmi les principaux candidats, Hamdine Sabahi était le plus identifié à la révolution. Il a reçu 22% des suffrages, c’est-à-dire le double de ce que les sondages laissaient prévoir une semaine plus tôt, arrivant même en tête au Caire, à Alexandrie et à Port Saïd. Aux élections législatives de janvier dernier, son parti de la dignité (Karama) n’avait remporté que 6 des 478 sièges. Sabahi a derrière lui plus de 30 ans d’opposition à l’ancien régime de Moubarak, et a été emprisonné pour cela. Son slogan électoral – ‘‘L’un d’entre nous’’ – reflétait cela, ainsi que ses origines familiales modestes.

    Sabahi défendait un programme comprenant l’augmentation du salaire minimum de 700 Livres Egyptiennes (94 euros) à 1200 Livres Egyptiennes (161 euros) par mois, l’instauration d’un salaire maximum, des allocations de chômage pour els jeunes et une subvention minimale de 500 Livres Egyptiennes (67 euros) pour quatre millions de familles pauvres. Il s’est opposé aux mesures d’austérité qui ‘‘ont un effet nocif sur les conditions de vie des citoyens et contribuent à la récession.’’ Il défendait également une forte augmentation de l’utilisation de l’énergie solaire, la création d’une banque d’Etat pour aider les agriculteurs, un enseignement gratuit et l’éradication de l’analphabétisme.

    Toutes ces mesures sont bien entendu les bienvenues, mais le programme de Sabahi pour leur mise en œuvre est basé sur l’idée nassérienne d’une ‘‘économie de développement planifiée, en créant un équilibre entre les trois secteurs économiques – public, privé et coopératif.’’

    Bien que Nasser ait réussi à quelques années à se maintenir en équilibre entre l’Ouest capitaliste et la Russie stalinienne (en savoir plus), l’actuelle domination mondiale du capitalisme signifie qu’il ne peut y avoir d’équilibre entre les secteurs public et privé. Seule la propriété collective de toutes les grandes entreprises, des banques et des grandes propriétés terriennes est capable de poser les bases d’une ‘‘économie de développement planifiée.’’ Cette planification doit de plus être réalisée sous le contrôle démocratique des travailleurs, des petits commerçants et des petits agriculteurs, plutôt que sous les ordres d’une élite bureaucratique de fonctionnaires et de militaires.

    Le soutien du candidat de l’ancien régime

    Chafiq est devenu le candidat qui a reçu le plus de soutien afin de restaurer ‘‘la loi et l’ordre’’ et pour répondre au sentiment sécuritaire de tous ceux qui se sentent menacés par les bouleversements que le pays a connu depuis le 25 janvier 2011. Beaucoup d’entre eux sont de petits commerçants, des négociants et de petits entrepreneurs qui ont perdu leur commerce (notamment dans le tourisme) pendant les troubles. D’autres se sentent fatigués après 16 mois de soulèvements révolutionnaires et contre-révolutionnaires, la classe dirigeante et l’ancien régime semblant encore s’accrocher au pouvoir. Une certaine nostalgie d’un passé apparemment plus calme se développe. Sa campagne a été financée par ce qui reste de l’ancien régime et par les grandes entreprises, qui veulent un président capable de revenir sur les acquis de la révolution.

    La minorité chrétienne semble aussi également très fortement voté pour lui pour des raisons similaires ainsi qu’en raison de leurs craintes concernant l’islamisation de l’État et la menace de persécutions. Cependant, les suffrages combinés des deux principaux candidats islamistes, Morsi et Aboul Fotouh, représentent seulement 43% des votes, chiffre qu’il faut comparer aux 72% obtenus par les Frères Musulmans et Al-Nour lors des élections législatives.

    Le taux de participation pour le premier tour des élections présidentielles était en baisse, et s’est situé à environ 45%, reflétant ainsi l’opinion largement répandue selon laquelle ces élections ne vont pas changer grand-chose dans la vie de la population. Une certaine déception se développe concernant le parlement. Un électeur d’Al-Nour avait déclaré aux élections de janvier : ‘‘Nous attendons beaucoup de ce parlement. Nous attendons qu’ils répondent à nos besoins et soit capable de résoudre les problèmes auxquels le pays est confronté, y compris le chômage et la pénurie de gaz.’’ (Ahram, 23/01/12)

    Les luttes industrielles

    Les deux candidats pour le second tour, Morsi et Chafiq, représentent seulement 49% des voix exprimées au premier tour. La classe ouvrière et la jeunesse radicalisée ne pourront pas voter pour un candidat qui représente les objectifs de la révolution et lutte pour une politique favorable à la classe ouvrière et aux pauvres. Compte tenu de cela, le taux d’abstention pourrait être encore plus élevé au second tour, puisque de nombreux travailleurs et jeunes ne verront aucune raison de voter pour des candidats qui représentent les partis et les forces se dressant sur la voie du changement fondamental, c’est-à-dire un changement social, économique et politique. Les Frères Musulmans pourraient toutefois jouer le rôle de ‘‘moindre mal’’ et ramasser des votes de la classe ouvrière et des jeunes afin d’empêcher l’arrivée au pouvoir de Chafik. D’autres électeurs, en particulier les chrétiens, peuvent voter pour le candidat de l’ère Moubarak par crainte de l’arrivée à la présidence d’une force islamiste. Les vieux amis de Moubarak issu du monde des grandes entreprises feront tout pour que Chafiq l’emporte afin de pouvoir continuer à faire fortune sur la souffrance des pauvres et des travailleurs.

    Quelle que soit le vainqueur, la classe ouvrière et les pauvres auront besoin de se battre pour défendre leurs intérêts contre la classe dirigeante. Une victoire de Morsi conduira à la déception des électeurs des Frères Musulmans, en clarifiant que les dirigeants des Frères ne représentent pas de changement réel pour la vie des masses. Par la suite, cela pourrait conduire à de nouveaux gains électoraux pour le parti salafiste Al-Nour si aucune alternative crédible pour les travailleurs n’est construite.

    Les travailleurs ont déjà une certaine expérience d’une victoire de l’islma politique de droite. Les conducteurs de bus en grève au mois de mars avaient dû aux briseurs de grève de l’armée, tandis que les députés des Frères Musulmans et les députés salafistes avaient ignoré les revendications des grévistes, comme l’avait expliqué l’un d’eux au journal Egypt Independant le 13 mars dernier. ‘‘Ils ne défendent pas nos droits’’, avait-il ajouté.

    Les Frères Musulmans déclarent vouloir construire un gouvernement de coalition avec ‘‘tous les groupes politiques, en particulier les groupes révolutionnaires’’. Un de leurs porte-parole affirme qu’il ‘‘croit en la valeur réelle d’un consensus national.’’

    Chaque groupe révolutionnaire rejoignant une coalition dirigée par les Frères Musulmans pour tenir Chafiq à l’écart sera très vite entaché par la politiques antisociale. Sabahi a eu raison de refuser de participer à ces négociations (même si son parti, Karama, a rejoint le parti des Frères Musulmans au sein de ‘‘L’Alliance démocratique’’ pour quelques mois l’an dernier).

    Quel que soit le résultat de l’élection présidentielle, il est clair que la société égyptienne reste dans un état extrêmement mouvant. Ni la réaction, ni la révolution n’ont été en mesure de stabiliser leur soutien. Si Shafiq devient le nouveau président, il fera face à une opposition généralisée dès ses débuts au pouvoir, en particulier des travailleurs et des jeunes qui ont mené la lutte révolutionnaire. Après près de six mois de campagne électorale, l’attention commence à se tourner vers d’autres moyens pour améliorer les conditions de vie de la population. Plus grèves sont susceptibles d’arriver, et d’ainsi fournir aux nouveaux syndicats indépendants autant d’occasions de montrer que la solidarité et la lutte peuvent remporter des victoires.

    Mais chaque victoire sera systématiquement sous la menace des patrons, y compris le Conseil suprême des forces armées, qui a de grands intérêts économiques. La construction d’un parti politique capable d’unir travailleurs, jeunes et pauvres autour d’un programme d’action destiné à changer la société peut remettre en cause le pouvoir de la classe dirigeante. C’est une des tâches les plus urgentes à l’heure actuelle.

    Un gouvernement des travailleurs et des pauvres basé sur la réalisation d’un programme socialiste de nationalisation des grandes entreprises sous le contrôle démocratique des travailleurs pourrait mettre fin à la dictature du capitalisme et à la pauvreté, la répression et l’insécurité qu’il apporte. La lutte pour la démocratie réelle ne peut pas être distincte de la lutte pour le socialisme.

  • Iran : Libérez Reza Shahabi, le syndicaliste emprisonné !

    Le dirigeant syndical des chauffeurs d’autobus de Téhéran condamné à 6 ans de prison

    Reza Shahabi a été arrêté par le régime iranien en Juin 2010 en raison de ses activités à la tête du «Syndicat des travailleurs de Téhéran et de la Compagnie des Autobus de banlieue», Sherkat-e Vahed. En dépit de son état de santé précaire, Reza Shahabi est détenu dans des conditions ignobles dans la sinistrement célèbre prison d’Evin.

    Selon les tout derniers rapports, un «tribunal révolutionnaire islamique" condamne Reza Shahabi à six ans d’emprisonnement ainsi qu’à une interdiction de toute activité, interdiction qui ne serait levée qu’après une période de cinq années. Le dirigeant syndical est accusé d’ « activités propagandistes menées à l’encontre du système » et de « conspiration contre la sécurité nationale avec intention de passer à l’acte ». Il a également été condamné à rendre l’argent qu’il avait collecté auprès des travailleurs en vue de le redistribuer entre les familles de travailleurs emprisonnés.

    Il faut voir dans cette sanction punitive qui a frappé Reza Shahabi, (membre du conseil et trésorier du syndicat des chauffeurs de bus), une nouvelle tentative d’intimidation orchestrée par le régime de Téhéran dans le but de décourager les travailleurs qui chercheraient à se défendre contre les réductions de salaires, les salaires impayés et les conditions de travail déplorables. Il s’agit bel et bien d’annihiler via la peur tout projet d’organisation qui permettrait aux ouvriers de se battre pour la défense de leurs droits. .

    Malgré la gravité de ces attaques menées contre lui, Reza Shahabi a fait preuve d’une résistance courageuse et a entrepris plusieurs grèves de la faim afin de dénoncer l’injustice de son incarcération ainsi que les conditions de vie déplorables qui lui sont imposées.

    Le CIO demande :

    • La libération immédiate de Reza Shahabi ainsi que de tous les autres syndicalistes emprisonnés en Iran
    • La libération de tous les prisonniers politiques, la cessation de la torture et la suppression de la peine de mort.
    • L’arrêt des attaques menées par le gouvernement à l’encontre des conditions de vie des travailleurs, ! Le droit pour les travailleurs de s’organiser, de partir en grêve, de défendre leur train de vie et leurs conditions de travail.
    • Le droit de former des partis politiques et des organisations de travailleurs indépendantes

    Envoyez vos messages de protestation à:

    • Le Guide suprême, Sayyid Ali Khamenei : info@leader.ir
    • Mahmoud Ahmadinejad, président de l’Iran : dr-ahmadinejad@president.ir
    • Merci d’ envoyer vos copies à : solidarity@socialistworld.net
  • Action de protestation à l'ambassade de Tunisie

    Hier matin, une délégation du PSL/ LSP a été reçue par M. Farhat, actuel ambassadeur de Tunisie en Belgique. Nous lui avons communiqué notre inquiétude à propos des atteintes aux droits démocratiques actuellement en cours en Tunisie et plus spécifiquement à propos de la violence policière lors des évènements du 9 avril. Nous lui avons aussi rappelé qu’il y a à peine un an et demi, nous nous trouvions avec la communauté tunisienne de Belgique en face de cette même ambassade, alors encore occupée par les agents de l’ancien dictateur Ben Ali. Nous lui avons dit que nous ne voulons pas une répétition du glissement vers la dictature. Et que la répression du syndicat des chômeurs diplômés, les attaques contre les locaux de l’UGTT et maintenant la répression abusive des manifestants Avenue Bourguiba semblaient pourtant le confirmer. Nous avons aussi ajouté que le gouvernement a indiqué lui-même avoir compris qu’il avait été trop loin en retirant l’interdiction de manifester Avenue Bourguiba, symbole important de la révolution qui avait chassé Ben Ali.

    Par Eric

    L’ambassadeur nous a remerciés pour l’attention que nous portons à son pays. Il ne se trouvait pas lui-même en Belgique lors des événements de décembre 2010 et janvier 2011, mais ses collaborateurs confirmaient se rappeler notre présence. L’ambassadeur a reconnu les difficultés à instaurer un régime démocratique. Il se rendait compte des dangers, y compris les attaques qui ont eu lieues sur les universités, attaques mentionnées sur le site du PSL, mais non citées dans notre dernière lettre. Entre les lignes, mais sans le dire explicitement, il a suggéré que les attentes, tant de la droite que de la gauche, sont trop élevées et que le gouvernement essaye de trouver le juste milieu. Il a parlé des difficultés à redémarrer l’économie, à faire aboutir l’assemblée constitutionnelle et à faire fonctionner les institutions. Avant de quitter l’entretien, la délégation du PSL à transféré la lettre que l’ambassadeur donnera au ministre de l’intérieur. Nous avons aussi affirmé suivre de près les événements en Tunisie comme ailleurs. L’ambassadeur nous a promis de nous informer du suivi.

  • Tunisie: la ‘Journée des Martyrs’ laisse de nombreux blessés par la répression policière

    La troïka tunisienne tombe le masque

    Le lundi 9 avril, au centre de Tunis, une brutalité effroyable a été utilisée par la police tunisienne afin de réprimer des manifestants pacifiques. Il s’agit sans doute de la pire vague de répression policière dans le pays depuis des mois. Ce qui est déjà évoqué comme le ‘‘lundi noir’’ livre une lumière des plus éclairantes sur le véritable caractère de la nouvelle coalition tripartite au pouvoir (la ‘troïka’), une coalition prête à assimiler les pires méthodes de la dictature de Ben Ali pour mater toute opposition à son pouvoir.


    Protestation à l’ambassade tunisienne de Belgique

    • Stop à la répression politique contre les militants politiques et syndicaux
    • Défendons la liberté d’expression et d’organisation
    • Pour la libération immédiate de tous les manifestants arrêtés
    • Pour une enquête indépendante réalisée par les le syndicat UGTT, l’UDC,… pour rechercher les responsables de cette violence policière

    Ce vendredi 13 avril, 10h Avenue de Tervuren, n°278, 1150 Bruxelles (A partir de Bruxelles Central (environ 20 min), métro 1 direction Stockel jusqu’à Montgomery, Tram 39 direction Ban-Eik, jusqu’à l’arrêt Jules Ceasar ou le Tram 44 direction Tervuren jusqu’à l’arrêt Jules Ceasar)


    Différentes manifestations et rassemblements avaient lieu dans la capitale ce jour-là pour commémorer l’anniversaire de la ‘‘Journée des Martyrs’’, en référence à la répression sanglante de manifestants pro-indépendantistes par les troupes coloniales françaises en 1938.

    Cette occasion a été saisie par un grand nombre de gens afin de protester contre le gouvernement dirigé par le parti Ennahda, pour honorer les martyrs tombés sous les coups de la contre-révolution l’an dernier, ainsi que pour défier l’interdiction de manifester avenue Bourguiba, interdiction imposée par le ministère de l’Intérieur à la fin du mois de mars. Certains manifestants avaient marché plusieurs jours en provenance des régions de l’intérieur du pays pour manifester dans la capitale.

    Les gens ont commencé à se rassembler au centre-ville tôt le matin, le plus grand rassemblement ayant lieu sur l’avenue Mohamed V. Alors que la foule de manifestants, comprenant des enfants et des personnes âgées, se dirigeait sur l’avenue Bourguiba, une répression brutale s’est soudainement déchainée: une énorme quantité de gaz lacrymogène a été balancée, tandis que les coups de matraque et de gourdin ont commencé à pleuvoir dans tous les sens.

    La scène est rapidement devenue le théâtre d’une vengeance aveugle par la police, provoquant l’évanouissement et la suffocation de personnes à cause des gaz, des fourgons de police ainsi que des motos avec des flics masqués fonçant dans la foule, et des dizaines de personnes ont été sauvagement tabassées, y compris de simples passants, des avocats , des journalistes et des membres de Assemblée constituante présents sur les lieux.

    Beaucoup de gens ont du être transportés à l’hôpital avec des blessures graves, et un nombre inconnu d’arrestations a également eu lieu. Ces arrestations et passages à tabac ont particulièrement ciblé des militants de gauche connus. Un jeune manifestant, victime d’une hémorragie cérébrale suite à un tabassage en règle, se trouve toujours à l’hôpital entre la vie et la mort.

    Ajouté à cela, de nombreux rapports et des photos et vidéos mettent en évidence la présence de milices de civils armés aidant la police à pourchasser les manifestants et a ‘nettoyer’ les rues avoisinantes, en utilisant des méthodes de violence de rue peu différentes de celles de groupes fascistes. La plupart des gens soupçonnent ces voyous ayant assisté les flics dans leur sale besogne d’être des partisans notoires d’Ennahda.

    Les mensonges du gouvernement

    Le ministère de l’Intérieur, relayé par d’autres voix officielles, a inventé et tronqué un certain nombre de faits afin d’incriminer les manifestants, prétendant entre autres que des cocktails Molotov auraient été utilisés par ces derniers. Bien qu’il y ait de nombreuses preuves attestant de la provocation violente de la police, rien de tel ne peut être trouvé pour étayer de telles affirmations.

    Dans la même logique, le président Moncef Marzouki a condamné le ‘‘degré inacceptable de violence’’, en mettant sur un même pied d’égalité l’agression arbitraire d’une force de police lourdement armée d’une part, et la prétendue ‘violence’ de civils sans défense, dont la réaction la plus ‘violente’ a été que certains jeunes en colère ont jeté des pierres sur les policiers en réaction au comportement sauvage de ces derniers.

    Apres ces déclarations, ceux qui pensaient encore que le passé de Moncef Marzouki en tant que militant des droits de l’homme pourrait être une sorte de ‘garantie’ contre les abus sauront désormais à quoi s’en tenir.

    ‘‘La Tunisie n’est pas menacée par la dictature, elle est menacée par le chaos’’, a déclaré Rached Ghannouchi, chef de file d’Ennahda, en mettant le blâme sur ce qu’il décrit comme des ‘‘anarchistes staliniens’’ qui veulent semer le chaos dans le pays. Ces couvertures politiques de la répression policière trahissent le fait que ce qui s’est passé lundi n’est pas du tout accidentel, mais orchestré par ceux au pouvoir dans une tentative d’intimider et de décourager les couches les plus actives et les plus combatives de la population de poursuivre leurs aspirations au changement.

    Ces événements sont censés servir d’’exemple’ a l’égard de tous ceux qui osent défier le gouvernement, dont l’incapacité et la réticence à répondre à ces aspirations est de plus en plus claire de jour en jour aux yeux des masses populaires. Mais la réussite d’une telle opération par les nouvelles autorités est une toute autre question.

    Un point tournant

    La répression d’hier suit directement la répression d’une autre marche, organisée samedi par l’UDC (Union des Diplômés Chômeurs), avec la revendication centrale du droit à un travail décent pour tous. La réponse de la police fut similaire, avec plusieurs personnes arrêtées et/ou blessées, une sorte de ‘‘répétition générale’’ des événements de lundi. La semaine dernière, une manifestation à laquelle participaient des blessés de la révolution et des familles de martyrs en face du siège du ministère des droits de l’homme (!) a également été violemment attaquée par la police. Nous avions déjà signalé en février les raids physiques organisés contre les bureaux de l’UGTT.

    Mais ce nouvel élan de répression représente un point tournant. Bien que la manifestation de lundi fût relativement petite, l’impact de la répression est lui déjà très large, et est susceptible d’encourager la radicalisation d’une plus large couche de la population contre le gouvernement d’Ennahda.

    Cela va renforcer la compréhension croissante du fait que les partis au pouvoir sont des ennemis de la révolution, et n’ont aucune réponse si ce n’est la répression aux revendications de la population. Il y a un sentiment largement partagé d’un retour aux méthodes traditionnelles de la police de Ben Ali, et des dangers de tentatives visant à restaurer une nouvelle dictature. Nombreux sont ceux qui ne manqueront pas de remarquer le ‘deux poids deux mesures’ du gouvernement, dont l’attitude complaisante à l’égard de groupes salafistes réactionnaires contraste étrangement avec la répression brutale déchainée contre les actions de gauche et syndicales.

    Dans tout le pays, le climat est maintenant particulièrement tendu, et cette répression pourrait susciter un ‘retour de flamme’; plusieurs manifestations de solidarité (notamment à Monastir, Sousse et Sfax), ainsi que des affrontements de jeunes avec la police ont déjà eu lieu depuis lundi dans plusieurs régions du pays. Une grève générale a eu lieu à Ktar (dans la région de Gafsa), une autre est en cours à Sidi Bouzid, et les bureaux d’Ennahda ont été brûlés en plusieurs endroits. Une grève de tous les élèves et étudiants a été engagée à Sousse, et d’autres actions par le syndicat étudiant, l’UGET, sont également l’objet de discussions en ce moment.

    Aujourd’hui (le 11 avril), un Conseil des ministres a décidé de lever l’interdiction de manifester sur l’avenue Bourguiba. Cela montre que le gouvernement n’est pas complètement confiant de s’engager dans une attaque frontale contre la jeunesse révolutionnaire et les travailleurs, et craint une réaction plus large dont le contrôle pourrait lui échapper. Le choc immédiat occasionné par l’ampleur de la répression, ainsi que les réactions populaires qui l’ont suivi, ont poussé le gouvernement à prendre une telle décision afin de tenter de calmer la situation.

    Après ce qui s’est passé lundi, cette victoire est petite mais lourde de significations. La répression brutale utilisée par le régime l’a finalement conduit, entre autres choses, à céder sur l’une des principales revendications des manifestants: se réapproprier leur avenue Bourguiba, un symbole historique de la révolution qui a renversé le dictateur Ben Ali en janvier de l’année dernière.

    Cependant, les événements des derniers jours indiquent clairement la direction dans laquelle le nouveau régime veut s’engager. De nouvelles tentatives de contre-attaquer vont nécessairement resurgir.

    Une nouvelle période, faite de luttes acharnées, ne fait en réalité que commencer. L’UGTT et l’UGET pourrait considérer la possibilité d’organiser une journée de grève nationale, en signe de protestation et d’avertissement au gouvernement comme quoi toute tentative de porter atteinte aux droits démocratiques et sociaux se heurtera à une résistance solide des travailleurs, des étudiants, de la jeunesse révolutionnaire, et de tous ceux qui veulent que la ‘révolution de la liberté, de l’emploi et la dignité’ accomplisse ses objectifs.

    Le CIO dénonce la répression policière croissante et le harcèlement des militants politiques et syndicaux, exige la liberté d’expression et de rassemblement pour tous, la fin immédiate de l’état d’urgence toujours en cours, ainsi que la libération immédiate de tous les manifestants arrêtés au cours des derniers jours. Une enquête indépendante doit être menée par l’UGTT, l’UDC et d’autres organisations populaires afin de déterminer les responsabilités dans les violences policières qui ont eu lieu au cours du week-end et lundi.

    Nous exprimons notre solidarité avec tous ceux qui luttent pour leurs droits en Tunisie, et ferons tout ce qui est entre notre pouvoir pour dévoiler le vrai visage de la prétendue nouvelle Tunisie ‘‘démocratique’’, et pour aider comme nous le pouvons les militants révolutionnaires dans ce qui sera une lutte prolongée contre les tentatives de réaffirmation d’un nouveau régime autoritaire et oppressif.

  • Tunisie : Nouvel essor de la lutte, alors que le gouvernement s’attaque aux syndicats

    "Plus de peur, le pouvoir est aux mains du peuple" – Des dizaines de milliers de personnes dans les rues de Tunis pour exiger la chute du gouvernement

    Le samedi 25 février, des milliers de personnes sont descendues dans les rues du centre-ville de Tunis, dans ce qui représente à n’en pas douter une des plus grandes démonstrations de force des masses révolutionnaires tunisiennes depuis des mois. Ceci fait suite à des raids physiques contre la fédération syndicale l’UGTT, qui ont avaient lieu dans différentes régions du pays les jours précédents (lire notre article à ce sujet). Ces attaques coordonnées, visant à essayer de détruire la capacité de résistance du syndicat contre l’agenda réactionnaire du nouveau régime pro-capitaliste dirigé par Ennahda, ont agi comme un déclencheur pour pousser les gens dans les rues en masse afin de défendre leurs droits et leur révolution.

    Par des correspondants du CIO

    Une réaction de défi contre le gouvernement

    La protestation a commencé vers midi, sur la place Mohamed Ali, là où se trouve le siège de l’UGTT. Les centaines se sont rapidement transformés en milliers et, alors que la place était devenue trop étroite pour accueillir le nombre croissant de manifestants, la foule s’est déplacée vers l’avenue Bourguiba dans une marée humaine composée de travailleurs, des syndicalistes, des sympathisants de l’UGTT, d’organisations de gauche, de jeunes, de défenseurs des droits de l’homme, etc. Les femmes, inquiétées par les menaces croissantes sur leurs droits et libertés, étaient présentes en grand nombre.

    "Le peuple veut la chute du régime", "Manifestations et affrontements jusqu’à la chute du gouvernement ", "Citoyens réveillez-vous, le gouvernement essaie de se jouer de vous!", "Ennahda dégage!", "Emploi, liberté, dignité nationale" , "Vive l’UGTT", "Pas touche à notre UGTT", "L’UGTT est la force réelle dans le pays", "Plus de peur, le pouvoir est aux mains du peuple", "Fidèles, fidèles au sang des martyrs " ; tels sont seulement quelques-uns des slogans criés par les manifestants, attestant de la réplique militante face au gouvernment, fortement soupçonné d’être derrière les actes de provocation et de vandalisme contre les bureaux de l’UGTT. A la pointe de la manif se trouvaient les travailleurs municipaux, impliqués dans une grève nationale depuis lundi dernier.

    La colère des manifestants était également dirigée contre la tenue à Tunis de la Conférence des « Amis de la Syrie ». Cette initiative, parrainée par les puissances impérialistes et les cheiks du Golfe, est destiné à la planification de la période post-Assad en accordance avec les intérêts de ce gang de régimes criminels. L’influence croissante des régimes qatari et américain sur la politique tunisienne était également dénoncée par les manifestants.

    "Une ambiance de 14 Janvier"

    Les rapports dans les médias parlent de ce qui transparaît comme un tout petit nombre de manifestants lors de cette manif de samedi, de l’ordre de 3.000 à 5.000 personnes. Toutefois, un simple coup d’œil aux photos et aux vidéos prises lors de la manif, montrant une avenue bondée de manifestants portant bannières de l’UGTT, drapeaux rouges et tunisiens, portraits de Farhat Hached – le fondateur de l’UGTT, assassiné en 1952 par un groupe armé pro-colonial lié aux services secrets français et dont la tombe avait été vandalisée seulement deux jours avant la manifestation de samedi – est suffisante pour nier ces allégations ridicules.

    Un partisan du CIO présent dans la manif mentionnait qu’il y avait "une ambiance de 14 Janvier", en référence à la date de la manifestation gigantesque qui avait pris place sur la même avenue en 2011, précédant de quelques heures le départ du dictateur Ben Ali. L’UGTT, qui parle de «dizaines de milliers de manifestants », est sans aucun doute plus proche de la réalité que certains médias pro-establishment, dont la capacité a dénigrer les actions des travailleurs n’a plus besoin d’être expliquée.

    Répression policière sauvage

    La fin de la manif a été marquée par lune importante violence policière déployée contre des manifestants pacifiques, ainsi que contre un certain nombre de journalistes et de passants. Lorsque la marche s’est approchée de l’infâme bâtiment du ministère de l’Intérieur, en scandant le slogan désormais familier, "Dégage!", la police est devenue de plus en plus nerveuse. Autour de 15 heures, après qu’une partie de la manif s’était dispersée, des gaz lacrymogènes, des insultes et des coups se sont déchaînés sur la foule, suivant ensuite un schéma bien connu, avec des groupes de policiers traquant arbitrairement les gens sur l’Avenue Bourguiba et les ruelles avoisinantes, et recourant à la violence aveugle, blessant et arrêtant plusieurs personnes dans la foulée.

    Un témoin parle sur son blog d’ « images dignes d’une guerre au centre-ville… des hordes de policiers dont certains sont cagoulés et armés de bâtons et de matraques, lançant du lacrymo. Une férocité incroyable. Des blessés, des femmes et des enfants transportés en urgence à l’hôpital Charles Nicole… Atmosphère étouffante.. Les affrontements se poursuivent à l’heure qu’il est par les bourreaux de la république qui répriment gratuitement et illégalement une manifestation pacifique autorisée dans cette Tunisie post-révolutionnaire"

    Une douzaine de journalistes ont été tabassés, une tentative évidente pour les empêcher de faire des rapports sur les abus policiers. Les actes de violence policière contre des journalistes ont subis une augmentation importante dans la période récente. Le SNJT (Syndicat national des journalistes tunisiens) a déclaré que «Les agressions répétées des journalistes entrent dans le cadre d’une stratégie visant à mettre la main sur les médias et à reproduire le scénario de l’oppression novembriste exercée par le dictateur Ben Ali».

    Cela illustre une fois de plus la menace permanente de la brutalité d’un Etat policier omnipotent, mais aussi la vulnérabilité des manifestations si elles ne sont pas correctement encadrées. La répression policière et les provocations, qui visent à instaurer un climat de peur pour dissuader les gens d’assister aux manifestations de rue, a été une caractéristique constante durant la quasi-totalité des manifestations de taille importante qui ont eu lieu dans le centre de Tunis au cours de l’année écoulée.

    Les leçons de tels événements doivent être tirées, afin d’éviter que cette stratégie de la police devienne un facteur important de démobilisation de larges couches. Les syndicats ont une responsabilité importante à faire en sorte que les manifestations qu’ils organisent soient encadrées et protégées de manière adéquate, avec des équipes disciplinées de stewards tout au long du parcours, armés de bâtons si nécessaire, pour défendre les manifestants et veiller à ce que tout mouvement engagé par ceux-ci soit fait de la manière la plus collective possible. Cela devrait empêcher que des individus vulnérables et sans défense, ou de petits groupes de personnes, puissent être ciblés et attaqués par des policiers lourdement armés, ou que certains jeunes soient poussés dans des réactions qui prennent la forme d’émeutes contre-productives.

    Les dirigeants syndicaux doivent nommer une date pour une grève générale de 24 heures

    La manifestation de samedi, malgré son succès, n’a montré qu’un petit aperçu de ce que le mouvement ouvrier organisé est capable. Bien que la manifestation était grande, il ne s’agit que d’une petite indication de ce que l’UGTT, forte de centaines de milliers d’adhérents, peut mobiliser, dans les rues aussi bien que sur les lieux de travail et dans les entreprises. Tout en donnant un signal fort, cette manifestation ne sera pas suffisante, en tant que telle, pour écarter les menaces contre-révolutionnaires qui pèsent sur les forces vives de la révolution, la classe ouvrière, la jeunesse révolutionnaire et sur leurs organisations.

    C’est pourquoi ce combat ne peut être laissé sans suite, car il est clair que le gouvernement et ses partisans feront tout pour reprendre l’initiative, pour à nouveau essayer d’affaiblir le rôle de l’UGTT. Il n’y a pas de «négociation» ou de « dialogue » possible avec un gouvernement qui pratique une politique de la terre brûlée, visant à museler la classe ouvrière, saper les syndicats et envoyer ses voyous et la police contre ceux qui veulent maintenir en vie la révolution et ses objectifs.

    Déjà, sur une station de radio privée, le Premier ministre Jebali a qualifié les participants à la marche de samedi de « résidus du RCD » (l’ex-parti unique au pouvoir), et a accusé des « hommes d’affaires » d’avoir financé le transport des manifestants vers la capitale pour protester contre le gouvernement.

    Cette déclaration est une tentative consciente d’essayer de salir l’héritage combatif du puissant syndicat qu’est l’UGTT, ainsi que de sa résistance contre les diktats du nouveau régime. C’est aussi une insulte profonde a l’égard des centaines de milliers de militants syndicaux sincères qui ont joué un rôle crucial dans le mouvement révolutionnaire. Ce rôle héroïque de beaucoup de travailleurs a été joué en dépit du rôle traître des bureaucrates pro-Ben Ali qui ont dirigé le syndicat jusqu’à une date récente (dont certains ont eu le culot de se présenter a la manif de samedi), et qui ont contribué à saper pendant toute une période historique la lutte des travailleurs qu’ils étaient censés représenter.

    L’élection, lors du dernier Congrès, d’une nouvelle direction de l’UGTT, qui est perçue comme plus militante, a été suivie par une croissance certaine des conflits du travail dans de nombreux secteurs et régions. Cela a convaincu la classe dirigeante de se livrer à des tentatives plus déterminées pour ‘dompter’ le syndicat.

    La direction actuelle de l’UGTT ne devrait pas permettre que l’élan initié par la manifestation de samedi lui glisse des mains, mais doit au contraire entamer immédiatement une campagne visant à la construction d’un mouvement de masse capable de défier ce gouvernement pro-impérialiste et ses politiques néolibérales. Le slogan populaire dans la manif « Des manifestations et affrontements jusqu’à la chute du gouvernement » reflète la volonté d’un grand nombre, parmi les travailleurs et les couches populaires, d’engager une telle bataille sans compromission. Le potentiel pour une telle lutte pourrait rapidement être concrétisé par des couches importantes de militants de gauche, de syndicalistes, de jeunes et de travailleurs.

    L’UGTT doit déployer tous ses efforts pour mobiliser toute sa puissance, ce qui ne peut se faire qu’en abordant non seulement les problèmes immédiats des récentes attaques contre ses locaux, mais aussi en liant cela avec les questions politiques et sociale plus générales qui forment la base de la frustration actuelle de millions de personnes, dont la révolution n’a pas conduit au changement fondamental qu’ils attendaient ou espéraient.

    Le rôle de la gauche organisée dans ce processus est crucial, par exemple en encourageant l’UGTT à nommer sans plus tarder la date pour une grève générale de 24 heures. Des assemblées de masse, sur les lieux de travail, dans les usines et les quartiers, etc, dans tous les coins du pays, pourrait jouer un rôle clé dans la préparation d’une telle grève et permettre une véritable contribution de chacun à la lutte et à l’élaboration de sa stratégie. Un tel programme d’action combatif et déterminé pourrait susciter un grand enthousiasme parmi les masses, et leur donner la confiance que la bataille entamée est une bataille digne d’être menée.

    • Non aux attaques contre l’UGTT et contre les droits démocratiques! Non à la violence policière!
    • Non au détournement de la révolution! Non à une nouvelle dictature!
    • Pour le renouvèlement de la lutte pour mettre fin au règne des patrons, des riches et de leurs représentants politiques. Pour la construction d’un mouvement de masse pour la chute de ce gouvernement, et pour la mise sur pied d’un gouvernement basé sur de véritables représentants des masses pauvres, de la jeunesse et de la classe ouvrière!
    • Pour l’adoption par le mouvement d’un programme de nationalisation, sous contrôle démocratique des travailleurs, de toutes les grandes entreprises privées ; pour la planification des secteurs-clés de l’économie pour répondre aux besoins toujours pressants de la majorité de la population.
  • Tunisie: Bas les pattes de l'UGTT !

    • Contre le gouvernement pro-capitaliste et antisocial
    • Pour la construction d’une grève générale de masse de 24H, en riposte aux attaques contre les syndicats et pour la défense des droits démocratiques
    • Pour l’accomplissement des objectifs de la révolution

    Ces derniers jours, plusieurs sièges de la centrale syndicale tunisienne UGTT ont été attaqués, saccagés, brûlés, ou ont été la cible de différents actes de vandalisme, tels que le déversage de déchets devant les bureaux du syndicat. Ce n’est pas une pure coïncidence que ces actes, répétés dans différentes régions du pays, ont lieu juste après le début d’une grève nationale de trois jours lancée par les employés municipaux affiliés à l’UGTT, parmi lesquels les éboueurs, grève qui a débuté le lundi 20 février pour exiger une amélioration générale des conditions de travail et des salaires.

    Déclaration du Déclaration du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO/CWI)

    Au bureau local du syndicat à Feriana, dans le gouvernorat de Kasserine, certains des agresseurs ont exigé du fonctionnaire local de l’UGTT d’ouvrir son bureau, en menaçant de le brûler dans le cas où il n’obtempérait pas. Par la suite, le bureau a été saccagé et brûlé, et des documents syndicaux officiels ont été détruits dans l’incendie. Les quartiers généraux de la centrale syndicale à Tunis, ainsi que plusieurs locaux régionaux et locaux du syndicat à Monastir, Kairouan, Kebili, Ben Arous, Douze, Thala et La Manouba, ont subis des attaques similaires.

    Tant que la tête de l’UGTT était dominée par de serviles bureaucrates de droite pro-Ben Ali, la classe capitaliste pouvait vivre avec une telle situation. Cependant, depuis le récent Congrès de la centrale en décembre dernier, qui a vu l’élection d’un Bureau Exécutif bien plus hostile à Ben Ali et aux gouvernements provisoires qui se sont succédés depuis le début de la révolution, la situation a changé, les actions de grève et revendicatives se sont accélérées, et les tensions se sont accumulées entre l’UGTT d’un côté, et la nouvelle coalition au pouvoir de l’autre, laquelle s’appuie sur la vieille machine d’Etat qui, bien qu’ayant été coupée de certaines de ses figures les plus notoires, est en substance toujours celle de la dictature de Ben Ali.

    Le caractère systématique de ces attaques suggère qu’il ne s’agit pas d’incidents isolés, mais d’une série d’attaques planifiées et coordonnées dans tout le pays, dans le but d’intimider et de briser l’esprit de résistance qui anime de larges couches de la classe ouvrière, résistance symbolisé par leur puissante centrale syndicale. En effet, à travers l’UGTT, c’est bien tous ceux qui persévèrent dans la lutte pour leurs droits sociaux et démocratiques, toutes les organisations et les individus qui sont déterminés à poursuivre et à approfondir la lutte révolutionnaire contre les tentatives des dirigeants actuels de la faire reculer, qui sont indirectement visés.

    Ces actions vicieuses et préméditées sont destinées à paralyser l’opposition des travailleurs au nouveau gouvernement, et à son agenda pro-capitaliste visant à la restauration de ‘l’ordre’, au détriment des droits et des conditions de vie de la majorité des Tunisiens qui ont été au cœur de la révolution. Il s’agit d’une offensive calculée par des éléments liés à la nouvelle élite dirigeante, qui cherchent à mettre l’UGTT sous la botte de son régime, lequel est fondamentalement opposé aux intérêts de la classe ouvrière et des couches populaires.

    Attaquer les bâtiments de l’UGTT est hautement symbolique, car ceux-ci ont toujours été une sorte de refuge contre la répression engagée par les différents régimes autoritaires tunisiens par le passé. Les affiliés de l’UGTT ont joué un rôle clé dans le mouvement de masse qui a fait tomber la dictature de Ben Ali, et, au début de la révolution en particulier, dans différents régions, c’est souvent à partir des locaux de l’UGTT que les premières mobilisations ont été organisées et sont parties.

    En janvier 1978 déjà, après l’appel à la grève générale par l’UGTT, qui avait été l’étincelle pour un soulèvement populaire contre le régime de Bourguiba, celui-ci avait tenté de briser le syndicat et envoyé ses milices pour attaquer le siège du syndicat. Ces méthodes ont été répétées en 1985, au travers d’une campagne massive visant à détruire le syndicat, dans la suite de la répression des ‘émeutes du pain’ de 1984. Maintenant, une fois de plus, le régime tunisien, cette fois sous la façade d’un gouvernement ‘démocratiquement’ élu, a décidé de passer à l’offensive par une tentative d’intimider ce qui représente sa plus grande menace: la classe ouvrière organisée.

    Les chiffres récents dévoilés par le Premier ministre Hamadi Jebali ont révélé que les 12 derniers mois ont vu 22.000 ‘mouvements de protestation’, avec 600.000 journées de travail perdues par des grèves. C’est exactement ce dont se plaint la classe capitaliste, dont la nouvelle coalition au pouvoir dirigée par le parti religieux Ennahda a promis de défendre les intérêts. Le gouvernement actuel préfère en effet défendre les intérêts de ses amis milliardaires Qataris plutôt que d’améliorer les conditions sociales de la majorité de la population. Et ce gouvernement s’empresse d’assurer qu’il paiera la dette contractée sous Ben Ali -et donc n’étant pas celle du peuple tunisien- (5 milliards de dollars pour la prochaine échéance, d’après la Banque centrale de Tunisie) tandis qu’il refuse de satisfaire les revendications des travailleurs et des masses.

    L’UGTT occupe une position unique dans le Maghreb par sa force organisationnelle, et c’est bien pourquoi les exploiteurs, leurs nouveaux représentants politiques et les restes de l’ancien régime, tous rêvent de lui briser le cou.

    Le secrétaire général du bureau syndical régional de Kasserine a affirmé qu’un groupe d’activistes appartenant à Ennahdha est venu dans la matinée au siège du syndicat le mardi pour protester contre la grève des employés municipaux, et que ce sont eux qui auraient mis le feu au bâtiment par la suite. Le communiqué publié par l’UGTT, pour sa part, a accusé les partis au pouvoir actuel de la volonté de « restaurer une dictature ». Sami Tahri, un porte-parole de l’UGTT, a fait remarquer qu’ « il s’agit d’un acte politique, bien organisé par le mouvement Ennahda. »

    Bien que l’identité exacte des auteurs de ces attaques ne soit pas connue, il est hors de doute que la responsabilité première de ces actes repose sur les épaules de l’actuel gouvernement, de ces bailleurs de fond et de ces soutiens issus du monde de la finance et des grosses entreprises, et de leurs relais dans les médias et dans l’appareil d’État. La campagne idéologique de dénigrement contre le syndicat et contre les grèves et les sit-in, consistant à accuser les travailleurs, les chômeurs et les pauvres qui luttent pour leurs droits d’être responsables de la crise économique, du chaos et de la destruction d’emplois, a été systématique et perpétuelle dès le 14 janvier de l’année dernière, et a pris un ton de plus en plus agressif dans les dernières semaines.

    À la fin du mois de janvier, Sadok Chourou, un éminent dirigeant d’Ennahda, a déclaré à l’Assemblée nationale que les grévistes étaient des ‘ennemis de Dieu’ et a ouvertement déclaré que la meilleure solution pour mettre fin aux grèves et aux sit-in consécutives était la force, suggérant, en citant un verset du Coran, de les exécuter ou de les crucifier, ou de leur couper une main ou une jambe.

    Voilà tout ce qu’ont à répondre les riches dirigeants d’Ennahdha, face à des gens qui luttent pour en finir avec des conditions de travail dangereuses et insalubres, en particulier les éboueurs qui jouent un rôle majeur pour assurer la propreté des villes et des quartiers.

    Les partenaires gouvernementaux d’Ennahda, le CPR et Ettakatol, qui ont été dans l’opposition à Ben Ali, vont-ils continuer à participer à un gouvernement qui s’attaque de front aux droits des travailleurs, des jeunes et des masses populaires, un gouvernement qui s’attelle à mettre peu à peu en place une nouvelle dictature ?

    Zoubeir Ch’houdi, un porte-parole d’Ennahda, a déclaré que le ministère de la Justice a été chargé d’ouvrir une enquête pour déterminer qui se cache derrière les récentes agressions. Aucune confiance ne peut être mise dans un corps qui n’a guère été réformé depuis la révolution. Seul un organisme indépendant, composé de représentants véritables des travailleurs et des syndicats locaux, devraient être en charge d’une telle enquête.

    Mais bien que nécessaire, cela ne sera pas suffisant. En plus de dénicher les coupables de ces attaques barbares, il y a une question beaucoup plus large qui est en jeu ici. La question de savoir comment renforcer le mouvement ouvrier et d’éviter que de telles attaques contre-révolutionnaires soient répétées dans le futur.

    En juin de l’année dernière déjà, le CIO commentait: « Des forces de défense bien organisées par les travailleurs ont besoin d’être mises en place pour protéger les grèves et les actions contre les briseurs de grève, quelque soit leur origine. Toutes les manifestations, sit-in et autres protestations doivent être systématiquement encadrées par des militants volontaires ; les bâtiments syndicaux, qui ont été attaqués ou pillés à plusieurs reprises en de nombreux endroits, doivent être défendus de la même manière ». Cette remarque retient toute sa pertinence à la lumière des récents événements.

    Déjà plusieurs manifestations locales, telles qu’à Bizerte, ont pris place dans les derniers jours contre ces attaques. Une grande manifestation, sous le slogan «Tout le monde avec l’UGTT contre la violence» est appelée pour ce samedi 25 Février. Le CIO soutient pleinement ces initiatives, mais pense aussi qu’une réponse plus audacieuse sera nécessaire pour poursuivre le combat. En effet, ces attaques prennent place dans un contexte plus large de menaces croissantes, de violence, de répression et d’intimidation contre les militants politiques, les organisations et associations de gauche, contre les femmes, et contre tous et toutes celles qui représentent le progrès et la lutte pour un avenir meilleur.

    Une grève générale de masse de 24H pourrait vraiment permettre d’inscrire le mouvement ouvrier dans la situation, de réaffirmer sa force, de donner un nouvel élan à tous les opprimés qui se battent avec ténacité depuis des mois, de renforcer toutes les actions industrielles locales et les protestations en cours, et de les unir au travers d’une réponse puissante, organisée à l’échelle nationale. Cela donnerait une leçon solide à tous les ennemis de la classe ouvrière, comme premier avertissement en prévision de futures actions.

    A cette fin, des assemblées générales et des réunions de quartier devraient être organisées, par l’UGTT et ses soutiens, et par tous ceux qui ne veulent pas voir se mettre en place une nouvelle dictature, pour s’organiser et mobiliser collectivement, pour cette action mais aussi pour ses suites, afin de discuter ensemble de la continuation de la lutte et des revendications, et de comment inscrire le mouvement dans la durée pour poursuivre la révolution jusqu’à la victoire.

    Cela implique une lutte durable et conséquente non seulement pour la défense des droits démocratiques et syndicaux, mais aussi pour la réalisation des nombreuses revendications sociales, pour en finir avec la pauvreté, les bas salaires, le chômage de masse ! Pour un emploi décent pour tous et toutes avec un salaire permettant de vivre dignement, pour un logement décent pour tous et toutes, pour l’amélioration des infrastructures et pour des services publics de qualité et accessibles dans toutes les régions du pays, contre le paiement de la dette, pour une purge effective de l’appareil d’Etat et pour un gouvernement des travailleurs et des masses populaires.

    Pour réaliser tout cela, en dernière instance, une rupture complète avec le capitalisme et un changement socialiste de la société seront nécessaires.

    Le CIO apporte sa pleine solidarité à tous les travailleurs, les jeunes, les femmes, les chômeurs, et tous ceux qui en Tunisie continuent leur combat courageux contre l’exploitation, la misère et la violence imposée par le système actuel.

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