Category: Moyen-Orient et Afrique du Nord

  • APPEL URGENT

    Demain se déroulera à 12h30 une action de solidarité avec les activistes de la Flottille de la Liberté vers Gaza, devant l’ambassade d’Israël, avenue de l’Observatoire 40, 1180 Uccle (00322/3735500)

    Le 4 novembre, le bateau Irlandais MV Saoirse et le canadien Tahrir ont été déviés vers Haïfa par l’armée Israélienne. Les activistes ont étés enfermés à la prison Giv’on. Parmi les prisonniers se trouve le député européen membre de la fraction du GUE, Paul Murphy, élu à Dublin pour le Socialist Party irlandais – le parti frère du Parti Socialiste de Lutte. Ces derniers jours, des actions ont pris place à Haifa et à Tel Aviv, mais aussi à l’ambassade d’Israël en Irlande. Visiblement, l’Etat d’Israël soutient que les activistes sont illégalement entrés en Israël, ces derniers disant qu’ils ont étés enlevés alors qu’ils se trouvaient dans les eaux internationales en direction de Gaza avec de l’aide humanitaire.   

    Lettres de protestation à envoyer à : MINISTRY OF DEFENCE PUBLIC RELATIONS DEPARTMENT– pniot@mod.gov.il et à l’ambassade d’Israël en Belgique – israelinfo@brussels.mfa.gov.il. Envoyez une copie à info@socialisme.be

  • [PHOTOS] Rassemblement pour une reconnaissance de l’État palestinien

    Ce mercredi 21 septembre, quelques centaines de manifestants pro-palestiniens se sont rassemblés dans le centre de Bruxelles. Ce rassemblement fait suite à l’annonce il y a une semaine, de la demande d’adhésion d’un État palestinien à l’ONU par le président palestinien, Mahmoud Abbas. Bien qu’en total désaccord avec la politique menée par ce dernier ainsi qu’avec la corruption de l’élite palestinienne, le PSL a tenu à être présent lors de cette action pour montrer sa solidarité envers le peuple palestinien opprimé par l’État d’Israël.

    Par Stéphanie (Bruxelles)

    Paul Murphy au sujet de la reconnaissance de l’Etat palestinien

    Les discussions de l’ONU concernant la reconnaissance d’un Etat palestinien ont suscité de nombreux espoirs. Dans cette vidéo, le député européen Paul Murphy (Socialist Party, CIO-Irlande) prévient toutefois que cette résolution ne suffira pas. De nombreuses résolutions ont déjà condamné la violence israélienne, par exemple, et les divers gouvernements israéliens les ont ignorées. Paul Murphy a déclaré lors d’un débat au Parlement qu’il faut une lutte de masse dans les territoires occupés, une troisième Intifada. Il a aussi appelé à ce que le mouvement de masse pour la ‘‘justice sociale’’ en Israël prenne position contre l’oppression des Palestiniens. Plus tôt cette année, Paul avait pris part à la Flotille de la Liberté pour Gaza, qui a finalement été sabotée par le régime israélien.

  • [DOSSIER] Libye : L’impérialisme essaie de récupérer le mouvement révolutionnaire à son avantage. Comment la gauche réagit-elle?

    Pendant quelques mois, l’impérialisme a été paralysé par les évènements en Afrique du Nord et au Moyen Orient. En Egypte et en Tunisie, les dictateurs ont été chassés du pouvoir en peu de temps par un mouvement de masse. Tout a été tenté pour assurer que les changements de régime dans ces pays se limitent à de simples changements de marionnettes, sans fondamental changement social. Mais les révolutions se sont répandues, avec la conviction que les masses opprimées sont capables de se débarrasser des régimes dictatoriaux et pro-capitalistes.

    Par Michael B. (Gand)

    De semaine en semaine, une vague de protestations de masse sans précédent a progressé dans des pays aussi divers que le Yémen, le Bahreïn, le Maroc, la Libye et la Syrie. Les mouvements en Tunisie et en Egypte ont construit de profondes racines sociales parmi les opprimés, en balayant les divisions ethniques et religieuses. Grâce aux comités populaires dans les quartiers et aux comités ouvriers dans les usines, toutes les couches des masses de travailleurs et de pauvres ont été impliquées. Mais ces révolutions sont loin d’être terminées : les forces de la contre-révolution essaient maintenant de regagner le contrôle de ces pays.

    Alors qu’aujourd’hui beaucoup – mais pas tous – de Libyens célèbrent la disparition du régime de Kadhafi, les véritables socialistes doivent clarifier que, contrairement à la disparition de Moubarak en Egypte et de Ben Ali en Tunisie, la disparition de Kadhafi est, cette fois, également une victoire pour l’impérialisme.

    L’objectif des interventions impérialistes en Libye était de développer son contrôle dans la région, de créer un régime fiable aux pays occidentaux (même si les puissances impérialistes avaient par le passé conclu des marchés avantageux avec Kadhafi), et d’introduire un nouveau modèle dans la région, c’est-à-dire un changement de régime rendu possible grâce à l’aide des pays occidentaux, et au service de ces derniers bien entendu.

    Ces éléments doivent tous entrer en ligne de compte lorsque les marxistes essaient d’analyser les récents développements en Libye et en Syrie. Les vautours se rassemblent autour du cadavre de l’ancien régime ; les entreprises occidentales veulent conclure des transactions ultra-avantageuses avec le nouveau régime en échange des bons services rendus par l’Occident, qui a porté le nouveau régime au pouvoir.

    Mais cette critique de l’intervention impérialiste ne signifie toutefois pas que les marxistes peuvent défendre la situation qui prévalait jusque là, ou encore qu’ils peuvent entretenir des illusions envers le caractère de l’ancien régime de Kadhafi. C’est pourtant exactement ce qui a été fait par les organisateurs d’une manifestation à la Bourse de Bruxelles le vendredi 2 septembre dernier (1), des organisations liées au PTB (qui a défendu Kadhafi dans son hebdomadaire ‘‘Solidaire’’ (2)). Nous n’avons pas soutenu la plate-forme de cette action et nous voulons expliquer cette décision.

    L’ennemi de notre ennemi n’est pas notre allié par définition !

    L’action a eu lieu sous le slogan principal ‘‘Manifestation pour la paix en Libye et contre les bombardements de l’OTAN – Stop aux bombes "humanitaires" de l’OTAN’’. Évidemment, nous sommes pour la paix en Libye et opposés à l’intervention de l’OTAN, cette dernière ne pouvant en effet que conduire à une sorte de ‘‘recolonisation par l’Occident.’’ Mais de quelle paix parlons-nous ? Et de quelle façon devons nous concrètement traduire cela ?

    Notre problème avec l’appel pour cette manifestation se situe principalement au niveau de la question de l’alternative. Une série de faits divers sur la Libye énumérés dans la plateforme tentait d’éviter d’aborder le mécontentement, réel, qui existe parmi de larges couches de la population libyenne. Ainsi, par exemple, était totalement ignoré le mécontentement chez les pauvres, les travailleurs et les jeunes dans l’Est du pays, une région victime des tactiques de division de Kadhafi destinées à protéger son règne. Les ‘‘faits’’ présentés insinuaient un soutien à l’ancien régime de Kadhafi en disant que le dictateur avait offert la médicine gratuite, l’égalité entre hommes et femmes et qu’il avait permis d’atteindre un niveau de vie élevé.

    Il est vrai que Kadhafi a offert un certain niveau de vie à la population libyenne. Kadhafi est arrivé au pouvoir en 1969 après que l’ancienne monarchie ait été abattue. A cette époque, il soutenait le soi-disant ‘‘socialisme arabe’’, qui n’était en rien un socialisme démocratique mais bien une tentative de se positionner entre l’impérialisme et le stalinisme dans le contexte de la guerre froide. Il a nationalisé de nombreuses industries, y compris l’industrie pétrolière et le rendement du secteur n’allait pas vers les dirigeants d’une clique de multinationales occidentales, mais à l’Etat libyen lui-même. Cela a permis à Kadhafi de garantir dans une certaine mesure l’accès à des soins de santé et à l’éducation avec une sorte d’Etat-providence. Cela a donné au régime un certain soutien parmi la population.

    Mais le texte de l’appel semble supposer qu’il s’agit là d’une réussite qui mérite tous les hommages. Kadhafi – mi-monarque, mi-militaire – savait comment maintenir un soutien de la part de la population tout en préservant des liens avec les grandes puissances, parfois en se liant à l’Union soviétique, parfois à l’ouest. Occasionnellement, il s’était profilé comme un ‘‘communiste’’, mais il n’a jamais aboli les interdictions portant sur les syndicats et les organisations de travailleurs libres dans le pays. En 1971, Kadhafi a aussi renvoyé un grand nombre de communistes soudanais de Libye vers le Soudan, où ils sont tombés aux mains du dictateur Jafaar Nemeiry. Est-ce cette ‘‘liberté’’ que nous voulons voir revenir aux Libyens ?

    Après la chute de l’Union Soviétique, la Libye a tenté de se rapprocher de l’Occident. Cela a conduit à serrer vigoureusement la main de Sarkozy et d’Obama, par exemple. Ou encore à la conclusion d’un accord avec Berlusconi concernant le blocage des réfugiés africains qui tentaient de franchir la Méditerranée, mais aussi à laisser les multinationales pétrolières entrer dans le pays et encore à se lancer dans de nombreuses privatisations. La Libye est également devenue une célèbre investisseuse en Europe. Le fonds d’investissement libyen (FIL) gérerait pas moins de 70 milliards de dollars d’investissements. Kadhafi possède une partie de la plus grande banque italienne (UniCredit), de Juventus, de Fiat et 3% de la société qui possède le plus grand journal du monde, le Financial Times. Il possède également des actions dans des sociétés russes et turques, etc. Kadhafi était donc un ennemi de l’impérialisme dans les termes, mais dans les actes, il en allait autrement…

    Quand un politicien social-démocrate cumule les postes dans des Conseils d’administration d’entreprises et essaye de couvrir cela par une rhétorique ‘‘socialiste’’, il est dénoncé (à juste titre!) mais, quand il s’agit de Kadhafi, tout est soudainement vu comme de grands gestes contre l’impérialisme !

    Nous sommes évidemment d’accord pour dire que le soutien européen et américain aux rebelles est hypocrite. Les puissances impérialistes ont appris des révolutions en Afrique du Nord et au Moyen Orient, et elles voulaient cette fois être capable d’intervenir du premier rang. Mais cette hypocrisie provient aussi de leurs relations passées avec le régime de Kadhafi. Il n’était pas toujours fiable, mais quand même: Berlusconi – un vrai capitaliste – a même appelé à un cessez-le-feu. Ni l’impérialisme, ni Kadhafi ne défendent les intérêts de la population libyenne. Nous ne pouvons pas soutenir n’importe qui sous prétexte qu’il se positionne contre l’impérialisme occidental en mots (ou même en actes) alors qu’il mène simultanément une politique réactionnaire. Nous ne pouvons donc pas non plus soutenir un dictateur réactionnaire comme Ahmadinejad en Iran. Les ennemis de nos ennemis ne sont pas nécessairement nos amis ou nos alliés. Certes, le monde et les positions politiques seraient beaucoup plus faciles ainsi mais, hélas, ce n’est pas le cas !

    Il est également étrange de lire dans un texte de militants de gauche, affiliés à un parti qui s’appuie sur les idées du socialisme, que sous Kadhafi il existait une égalité entre hommes et femmes. En termes de sexisme, Kadhafi pourrait très bien s’entendre avec son ami italien Silvio Berlusconi… Il est important de voir les choses dans leur processus. Il y a eu une certaine émancipation sous Kadhafi en termes d’éducation, de droit de vote, d’abolition du mariage forcé des enfants, etc. mais ce n’était certainement pas plus que, disons, en Europe. Le taux de chômage était environ de 10% mais, pour les femmes, il était de 27% en 2006 (soit une augmentation de 6% depuis 2000).

    L’égalité ne peut pas être atteinte avec un régime dictatorial. Il faut lutter pour l’obtenir. Durant les révolutions en Afrique du Nord et du Moyen-Orient, nous avons pu voir le rôle actif joué par les femmes. Les révolutions doivent être renforcées pour leur assurer un progrès réel. L’intervention de l’Occident et le gouvernement de transition qu’il soutient ne va pas dans cette direction.

    Une perspective marxiste sur la révolte en Libye

    Comme expliqué dans l’introduction, nous n’imaginons pas que l’Occident représente une meilleure alternative pour les masses du pays. En outre, la plate-forme de la manifestation a raison de dire que la situation actuelle est souvent expliquée de manière très partiale. De nombreux facteurs ont déterminé l’impasse militaire en Libye.

    Aujourd’hui, la situation en Libye est particulièrement polarisée et compliquée. Tout d’abord, le mouvement de masse spontané contre le régime de Kadhafi a illustré que de larges couches de la population détestent ce régime. Ce mouvement n’est pas, contraire à ce qu’affirme la plateforme de la manifestation, le résultat des activités d’un groupe de rebelles terroristes et islamistes et il n’est pas basé sur d’anciens combattants de Kadhafi. Ce fut un mouvement de masse dans l’Est du pays (les images de l’occupation de Benghazi parlent d’elles-mêmes). Par ailleurs, le mouvement initial a énormément perdu de son potentiel radical.

    Le mouvement spontané a, faute d’une classe ouvrière organisée et d’une stratégie révolutionnaire claire, vite été dévié par des leaders des rebelles autoproclamés. Ces derniers sont des anciens amis de Kadhafi ou des soldats et des partisans de l’ancienne monarchie. Par conséquent, le mouvement a rapidement perdu son caractère de masse et a également perdu le soutien dont ils jouissaient à ses débuts.

    Contrairement à l’Egypte et à la Tunisie, il n’y avait pas eu d’expansion des comités et des assemblées populaires, et il n’y a pas eu d’appel à la grève générale. La vigueur que l’on a pu voir à l’œuvre en Tunisie et en Egypte a manqué en Libye. Cela est partiellement dû à une population très divisée, qui a également bénéficié de divers privilèges sous le régime de Kadhafi, et à une classe ouvrière faiblement organisée. Au lieu de la perspective d’une élévation des conditions de vie, ce que des comités de base auraient pu soulever, il était déjà clair avant même l’intervention de l’OTAN que les choses avaient tourné en un affrontement entre forces pro et anti Kadhafi. Les forces pro-Kadhafi voyaient dans le drapeau monarchiste utilisé par certains rebelles la contestation des gains sociaux obtenus par le peuple libyen durant les premiers temps de Kadhafi. De leur côté, les dirigeants rebelles autoproclamés comptaient sur l’intervention de l’OTAN pour l’emporter. En échange de l’aide matérielle et d’une reconnaissance diplomatique comme représentants légitimes du peuple libyen, l’impérialisme aurait vu sa position largement renforcée en Libye. Le conseil national de transition a obtenu son soutien en échange de concessions sur l’exploitation du pétrole (33% pour la France par exemple).

    ‘‘Soutien aux masses et à leurs révolutions ! Aucune confiance dans l’intervention impérialiste!’’

    La plateforme semble aboutir en conclusion à un soutien au nationalisme libyen, à la souveraineté du pays. Qu’est-ce que cela veut dire ? La souveraineté de chaque dictateur à faire ce qu’il veut avec son peuple ? La souveraineté de décider de la nature des liens à entretenir avec l’impérialisme ? Le peuple libyen devait-il subir le régime de Kadhafi parce qu’il y a d’autres bandits ? Nous ne pensons pas ainsi. Nous sommes pour l’autodétermination des peuples et des nations, mais cela n’a rien à voir avec un choix entre la domination occidentale et une domination intérieure. La souveraineté réelle d’un peuple ou d’une nation réside dans la classe des travailleurs et des jeunes, qui doivent se libérer des intérêts d’une élite capitaliste – qu’elle soit autochtone ou étrangère.

    Le retour à une sorte de "restauration" est une revendication réactionnaire. L’intervention de l’OTAN est contre-révolutionnaire. Ainsi, nous pouvons mettre en avant pour chaque révolte actuelle le slogan: ‘‘Soutien aux masses et à leur révolution ! Aucune confiance envers les interventions impérialistes et leurs gouvernements fantoches! Pour des comités de travailleurs et des comités populaires démocratiques en à la révolution et pour son développement!"

    Nous ne sommes pas opposés par principe à une résolution pacifique du conflit, mais une solution pacifique ne peut pas se limiter à un ‘‘retour à l’ordre’’ de Kadhafi. Si nous proposons seulement des solutions pacifistes, nous sapons la possibilité de la population à s’armer et de s’opposer à la domination de leur propre élite (Kadhafi ou le gouvernement de transition). Si le peuple libyen veut se débarrasser lui-même du joug de Kadhafi et du capital occidental, nous devons soutenir la révolution. Des comités de travailleurs, de jeunes, etc. peuvent constituer la base de la révolution avec des grèves générales et des manifestations.

    Comme on peut le voir, cela n’a rien d’un processus linéaire. Même en Tunisie et en Egypte, ces comités font l’expérience de difficultés pour former une opposition solide en défense de la révolution. Mais c’est la seule méthode capable d’assurer et de développer les acquis des masses. Nous sommes pour la renationalisation complète des secteurs clés en Libye mais, cette fois, sous le contrôle démocratique des travailleurs et non pas sous le contrôle d’une élite comme c’était le cas sous Kadhafi. Seuls des comités démocratiques de travailleurs peuvent assurer que les acquis sociaux soient maintenus et renforcés. Grâce à des grèves et des manifestations de masse, ils peuvent organiser la résistance contre la clique de Kadhafi et contre l’OTAN pour acquérir une véritable liberté et une véritable démocratie, libérée de la dictature des marchés.

    Les révolutions en Tunisie et en Egypte doivent se poursuivre, non seulement pour renvoyer les dictateurs, mais aussi pour renverser l’ensemble du système et le remplacer par une alternative socialiste démocratique. Cela serait une gigantesque source d’inspiration pour renouveler le mouvement des travailleurs et des pauvres en Libye.


    Notes

    (1) Intal et Comac-ULB. Voir aussi: http://www.intal.be/fr/manifestation-pour-la-paix-en-libye-et-contre-les-bombardements-de-lotan

    (2) “Libye : Au moins trente morts après une attaque des rebelles”, de façon plus explicite dans le paragraphe “Le Conseil national de transition fera-t-il mieux que le gouvernement Kadhafi?” sur http://www.ptb.be/nieuws/artikel/libye-au-moins-trente-morts-apres-une-attaque-des-rebelles.html

  • Israël : les plus grandes mobilisations de l’histoire du pays !

    Israël n’est pas ce pays homogène et uni contre un monde hostile cher à la propagande bourgeoise israélienne. Le vent des mouvements de masses sud-européens (les indignés espagnols et grecs), et bien sûr, des formidables révolutions au Moyen-Orient et en Afrique du Nord a soufflé sur les braises de la situation sociale dans le pays. Ainsi, le gouvernement – surpris et médusé – a vu pas moins de 300 000 personnes bousculer le régime en défilant dans la rue le 6 août après des protestations qui sont allées grandissantes depuis la mi-juillet.

    Par Thomas (Namur)

    Les raisons de cette explosion de protestations de masses, de loin les plus imposantes jamais observées en Israël, sont à rechercher au cœur même de la société de classe israélienne. La classe bourgeoise et son appareil d’État écrasent non seulement les Palestiniens et les arabes Israéliens, mais également sa propre population juive. À côté des salaires faramineux du patronat se trouvent, comme partout ailleurs dans la société capitaliste, énormément de laissés-pour-compte.

    Plus d’un million de personnes survivent avec un salaire de 750 euros par mois dans un pays où le coût de la vie est supérieur à l’Europe occidentale, et 1.750.000 Israéliens vivent sous le seuil de pauvreté (sur une population de moins de huit millions de personnes). Le travail précaire est en hausse, et la politique néolibérale de l’État implique un sous-financement des secteurs publics au profit des groupes capitalistes privés (baisses de taxes,…). Si le gouvernement de droite et d’extrême droite joue la carte des colonies et du nationalisme en niant les droits démocratique à la population arabe du pays (27% de la population israélienne environ) et en faisant de Gaza une prison à ciel ouvert, la xénophobie et les discriminations touchent aussi les immigrés juifs d’Afrique du nord ou de Russie. On notera que la police israélienne n’a pas détruit les installations des Indignés du centre de Tel-Aviv devant les médias et les touristes, mais n’a par contre eu aucun remord pour brutalement intervenir dans les quartiers pauvres de la capitale ou dans les villes de province.

    Le mouvement des tentes, qui n’est pas l’œuvre d’étudiants capricieux comme le hurle la bourgeoisie israélienne, n’a pas encore de perspectives politiques à long terme, se concentrant d’abord sur le droit au logement abordable. Il est composé, comme la jeunesse sud européenne, de jeunes qui cherchent une alternative au système néolibéral. Les professeurs, les cheminots, les taxis, les gardiens de prisons et mêmes des policiers ont aussi protesté à la suite de ce mouvement afin de dénoncer leurs conditions de travail, leurs salaires ou encore l’interdiction de se syndiquer.

    Ce mouvement n’est pas isolé. Il y a également eu une manifestation pour une Palestine indépendante de plus de 10.000 personnes à Tel-Aviv le 4 juin, une grève des médecins qui dure depuis le mois d’avril, la lutte des travailleurs sociaux (sans l’appui des syndicats officiels) avec un grand soutien de la population,…

    Nos camarades de Maavak Sozialisti, section du CIO en Israël/Palestine, militent notamment dans le syndicat Worker’s power (le pouvoir aux travailleurs), où ils incarnent la gauche de ce nouveau syndicat combatif. Celui-ci mène notamment la lutte syndicale à Haïfa chimicals, où les travailleurs sont en grève depuis le mois de mai et revendiquent un statut égal et un salaire à la hausse pour tous, arabes et juifs !

    Parler de lutte de classe en Israël n’est pas un fantasme idéaliste, il s’agit d’une réalité que le régime cherche à masquer en instrumentalisant la question nationale. En ce sens, nos camarades de Maavak Sozialisti et les syndicalistes combatifs, notamment au sein de Worker’s power, doivent être soutenu par la gauche européenne.

    Nous comprenons les objectifs de la campagne BDS (boycott-désinvestissement-sanction) et nous soutenons les actions contre les Dexia, deutsche Bank et autres groupes capitalistes comme Alstrom qui investissent dans les colonies. Mais un Boycott généralisé comme il est préconisé par BDS risquerait d’étouffer la classe ouvrière et la jeunesse précarisée et de les pousser dans les bras du régime sioniste, qui ne manque aucune occasion pour tenter de détourner la colère des masses.

    Notre camarade Irlandais le député européen Paul Murphy (du Socialist Party, la section du CIO en République irlandaise) était présent sur l’un des bateaux de la Flottille de la Liberté pour Gaza (voir son interview). Le fait que le gouvernement israélien ai été jusqu’au sabotage démontre sa brutalité et sa stratégie mal calculée, embarrassée par les protestations de masses qui affluent de toutes parts, internationales mais aussi nationales.

    Si cette contestation sociale en Israël est sans commune mesure avec les révolutions en Afrique du Nord et au Moyen Orient, les opportunités pour une gauche combative et réellement socialiste existent. Construire un parti de masse des travailleurs en Israël et en Palestine est essentiel pour donner à la colère populaire des perspectives politiques résolument anticapitalistes et joindre la question nationale aux luttes sociales. Comme le disait Karl Marx ; ‘‘Un peuple qui en opprime un autre ne saurait être libre’’.

  • Retour sur la crise de Suez de 1956

    Le 5 novembre 1956, les paras britanniques et français descendent sur Port Saïd, en Égypte, afin de prendre contrôle de l’accès au canal de Suez. Deux mois plutôt, devant une foule enthousiaste, le président égyptien Gamal Abdel Nasser avait déclaré : ‘‘nous défendrons notre liberté. J’annonce la nationalisation du canal de Suez.’’ Au vu des récents évènements révolutionnaires en Egypte, il est bien entendu utile de revenir sur la crise de Suez et sur le Nassérisme.

    Dossier de Dave Carr

    La Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis avaient refusé d’accorder à l’Égypte un emprunt pour la construction du barrage d’Assouan, un projet qui avait pour objectif de rendre l’eau disponible toute l’année, d’étendre les surfaces irriguées, d’améliorer la navigation sur le fleuve et de produire de l’électricité. Nasser a répliqué qu’il prendrait les 100 millions de dollars de revenus du canal de Suez afin de financer le projet.

    Cette nationalisation a, bien entendu, glacé le sang de l’impérialisme britannique et français. Nasser avait maintenant le contrôle d’un passage stratégique par où défilaient les stocks de pétrole arabe vers l’occident. De plus, il commençait à obtenir de plus en plus de soutien de la part des ouvriers et paysans pauvres dans toute la région. Ces mouvements menaçaient directement les régimes fantoches de différents du Moyen-Orient.

    Après 1945, les ouvriers et paysans du monde colonial étaient entrés dans un nouveau stade de leur lutte anti-impérialiste et pour la libération nationale et sociale. Les jours de la domination directe des vieilles puissances coloniales étaient désormais comptés.

    Le Premier ministre britannique Anthony Eden avait été encouragé par son gouvernement conservateur pour tenter de remettre le royaume britannique plus fortement en avant sur la scène internationale. Malgré le déclin économique et politique grandissant de l’impérialisme britannique consécutif à la seconde guerre mondiale, Eden pensait que la Grande-Bretagne pouvait jouer un rôle de premier plan dans le cours des grands évènements mondiaux. La classe dirigeante française pensait elle aussi qu’il était possible de redorer le blason de la gloire coloniale du pays. Mais l’approche brutale de l’impérialisme français au cours des guerres coloniales avait conduit à la défaite de la guerre d’Indochine et la guerre d’Algérie, déjà entamée, allait elle-aussi bientôt se solder par une cuisante défaite conduisant au retrait du pays.

    Réaction occidentale

    ‘‘Nous bâtirons ce barrage avec les crânes des 120.000 ouvriers égyptiens qui ont donné leur vie pour la construction du canal’’. Cette déclaration de Nasser avait constitué, pour les ouvriers et les chômeurs des bidonvilles du Caire et d’Alexandrie ainsi que pour la population de la région entière, une attraction énorme.

    La réaction de l’occident était prévisible. Tant au Parlement britannique qu’au Parlement français, Nasser a été comparé à Mussolini et Hitler. En Grande –Bretagne, les médias bourgeois et les parlementaires conservateurs n’avaient de cesse de parler de ‘‘Nasser-Hitler’’, tandis que les parlementaires travaillistes ou libéraux demandaient eux-aussi des mesures contre l’Égypte. Le Premier Ministre Eden ne le désirait que trop, et les avoirs du canal de Suez ont été immédiatement gelé dans les banques britanniques. Il s’agissait de presque deux tiers des revenus du canal.

    Le dirigeant du Parti Travailliste Hugh Gaitskell a soutenu le gouvernement conservateur auprès des Nations Unies, et a même déclaré qu’une intervention armée n’était pas à exclure contre Nasser. Le Premier Ministre français Guy Mollet promettait lui aussi une sévère riposte.

    Le gouvernement britannique a tout d’abord voulu montrer qu’il désirait résoudre la crise de façon diplomatique. Une conférence de 24 pays maritimes a été convoquée à Londres afin de discuter de la ‘‘menace contre la libre navigation internationale’’. Pendant ce temps, l’armée appelait les réservistes, et une grande force navale a commencé à se rassembler.

    En réponse, Nasser a lancé un appel pour une grève internationale de solidarité à l’occasion du début de la conférence. Le 16 août, des grèves massives ont donc eu lieu en Libye, en Égypte, en Syrie, en Jordanie et au Liban, ainsi que de plus petites actions de solidarité au Soudan, en Irak, en Tunisie et au Maroc. Partout, les ambassades britanniques et françaises étaient assaillies par des manifestants.

    La conspiration

    Le président américain Eisenhower, en pleine campagne électorale, a refusé de soutenir toute intervention militaire franco-britannique. L’impérialisme américain était en fait engagé dans un bras de fer avec les impérialismes français et britanniques pour gagner de l’influence dans le Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

    Le prétexte servant à intervenir en Égypte a été une intervention israélienne armée dans le Sinaï, négociée au préalable avec les gouvernements français et britanniques. Les troupes britanniques et françaises sont ensuite venues s’interposer entre les troupes israéliennes et égyptiennes pour ‘‘protéger’’ le canal de Suez.

    Les représentants des gouvernements israéliens, français et britanniques s’étaient réunis secrètement le 24 octobre dans le voisinage de Paris, à Sèvres, et un pacte avait été conclu lors de cette réunion. Le Ministre des Affaires étrangères britannique, Anthony Nutting, a plus tard ouvertement expliqué que l’intervention britannique faisait partie d’une ‘‘conspiration commune avec les Français et les Israélien’’. Les Protocoles de Sèvres stipulaient que ‘‘L’État hébreu attaquera l’Égypte le 29 octobre 1956 dans la soirée et foncera vers le canal de Suez. Profitant de cette agression ‘surprise’, Londres et Paris lanceront le lendemain un ultimatum aux deux belligérants pour qu’ils se retirent de la zone du canal. Si l’Égypte ne se plie pas aux injonctions, les troupes franco-britanniques entreront en action le 31 octobre.’’

    Israël a utilisé le prétexte d’attaques transfrontalières de Palestiniens et du fait que le port d’Eilat avait été fermé par Egyptiens, et sont donc passé à l’offensive le 29 octobre. Le lendemain, comme convenu, les Français et les Britanniques lançaient un ultimatum commun pour imposé aux deux pays de se retirer à une quinzaine de kilomètres du canal.

    L’Égypte a bien entendu refusé cet ultimatum hypocrite. Les troupes britanniques et françaises sont donc intervenues. Les aéroports égyptiens ont été attaqués et, le 5 novembre, la zone de canal a été envahie. 1.000 Egyptiens, principalement des civils, sont décédés lors de l’invasion de Port Saïd.

    La défaite

    Le mouvement ouvrier s’est mobilisé contre cette intervention et, à Londres, une grande manifestation s’est tenue à Trafalgar Square. Lorsque les manifestants sont parvenus aux environs de Downing Street, où réside le Premier Ministre, des confrontations avec la police ont eu lieu.

    Au même moment, une révolte ouvrière éclatait en Hongrie, contre la dictature stalinienne, et cette révolte a été écrasée par les tanks soviétiques. Le même jour, l’Égypte était envahie.

    Les conséquences internationales ont été extrêmes. Les plupart des pays arabes ont rompu leurs relations diplomatiques avec la Grande-Bretagne et la France. Le pipeline britannique de Syrie a été saboté et l’Arabie Saoudite a bloqué les exportations pétrolières destinées à la Grande-Bretagne tandis que les USA exigeaient un retrait d’Égypte. L’Union Soviétique menaçait elle aussi de représailles.

    La faiblesse économique et politique de l’impérialisme britannique a été révélé au grand jour à la lumière de ces évènements. Le canal de Suez a été bloqué, des navires coulés. Très vite, l’essence a dû être rationnée en Grande Bretagne. De leur côté, les Etats-Unis ont refusé d’accorder un emprunt au pays, et ont empêché le gouvernement britannique d’en avoir un de la part du FMI. La Livre britannique a chuté, et ses réserves de monnaie étrangères ont rapidement été épuisées.

    Après six semaines, les troupes britanniques et françaises ont dû quitter l’Egypte, en pleine déroute, de même que les troupes israéliennes. Nasser est apparu comme le grand vainqueur qui avait humilié l’impérialisme. En Grande Bretagne, le Premier Ministre Eden a été brisé politiquement et moralement, et a dû démissionner.

    Après la crise de Suez, le processus révolutionnaire dans la région a connu un nouveau dynamisme.

    Qu’est ce que le nassérisme?

    Nasser est parvenu au pouvoir après un coup d’Etat militaire contre le monarque corrompu Farouk, renversé en 1952. Le Roi Farouk était une marionnette de l’occident, et plus particulièrement de l’impérialisme britannique.

    A ce moment, 6% de la population du pays détenait 65% des terres cultivables tandis que 72% de la population devait se contenter de seulement 13% de la terre. Il y avait des millions de paysans sans terre ou de chômeurs, obligés de vivre dans les bidonvilles du Caire et d’Alexandrie. Les occupations de terres et les grèves s sont développées, mais aucune formation politique des travailleurs n’était en mesure de conduire les ouvriers et les paysans dans la lutte pour le pouvoir. Le colonel Nasser a profité de ce vide politique.

    Ce dernier a opéré diverses réformes, tout en laissant le capitalisme intact. Il recourait à une rhétorique socialiste afin d’obtenir le soutien des ouvriers, mais n’a en même temps pas hésité à arrêter et à faire fusiller des dirigeants de grève. Il désirait recevoir l’appui des puissances occidentales, mais s’est finalement appuyé sur la bureaucratie soviétique en contrepoids contre l’impérialisme. Cet exercice d’équilibre dans son propre pays et face aux pouvoirs étrangers a assuré qu’il devienne un dictateur avec des caractéristiques de type bonapartiste.

  • Libye: La fin du régime de Kadhafi

    Non à l’intervention militaire étrangère : les travailleurs, les jeunes et les pauvres libyens ne doivent accorder aucune confiance à l’impérialisme

    Après six longs mois de combats sanglants, le renversement du régime dictatorial de Kadhafi a été fêté par de larges couches de la population. A nouveau, un dictateur a connu la déroute. L’intervention directe de l’impérialisme fait toutefois planer une ombre sur l’avenir de la révolution.

    Les impérialistes ont présenté leur intervention comme étant ‘‘humanitaire’’, alors que ces mêmes puissances travaillent main dans la main avec des alliés tels que les régimes dictatoriaux d’Arabie Saoudite et du Qatar. L’objectif de l’intervention militaire n’était aucunement de protéger les intérêts du peuple, mais bien de garantir l’instauration d’un régime fiable pour contrôler les ressources pétrolières et gazières tout en tentant de freiner la vague révolutionnaire qui parcourt la région.

    Le Conseil National de Transition s’est appuyé à la fois sur le soutien de la force aérienne de l’OTAN ainsi que sur la large insatisfaction ressentie à l’encontre de Kadhafi. Il manquait des organisations indépendantes des travailleurs, des jeunes et des pauvres pour organiser la lutte vers la conquête du pouvoir. L’élan de la révolution libyenne à ses premiers jours a été perdu. Contrairement au Caire et à Tunis, Tripoli n’a pas connu des manifestations de masse les unes après les autres ou des grèves pour saper le régime.

    Cela n’est pas simplement dû à la répression brutale de la part du régime de Kadhafi. Ainsi, la répression n’a pas empêché les manifestations de se poursuivre en Syrie. Cela est aussi dû à l’absence de toute organisation et à l’immédiate ingérence impérialiste, destinée à s’assurer de disposer à l’avenir d’un allié fiable dans le pays.

    Ce qui va dorénavant se produire n’est pas clair. Le soutien dont bénéficie le Conseil National de Transition est encore incertain. L’assassinat du chef militaire des rebelles, le général Younes, n’est pas encore résolu. Le chef du Conseil National de Transition, Jibril, était plus à l’étranger qu’en Libye car, même à Benghazi, il craignait pour sa sécurité. Si Jibril ne se sentait jusqu’à présent pas en sécurité à Benghazi, la base du Conseil de transition, il est compréhensible que le Conseil lui-même doute d’aller à Tripoli.

    Les différences régionales, nationales et religieuses pourraient gagner en importance dans la période à venir, de même que les affrontements tribaux, dans un contexte où une couche importante de la population est armée. Les impérialistes vont certainement tenter de remédier à la situation et de la ‘‘stabiliser’’, mais il est certain que la reconstruction du pays et les concessions sociales entreront bientôt en collision avec ce système capitaliste en crise.

    La construction d’un mouvement indépendant des travailleurs de Libye ou issus de l’immigration, des pauvres et des jeunes, basé sur des actions propres et sur une lutte orientée vers un changement véritablement révolutionnaire est le seul moyen d’à la fois contrer les projets impérialistes, mettre réellement fin à toute dictature et changer fondamentalement la vie des masses.

  • Ecole d’été du CIO – Tunisie et Égypte, deux révolutions qui ont ébranlé le monde

    Les révolutions qui se sont développées ces derniers mois au Moyen-Orient et en Afrique du Nord peuvent être considérées comme le plus grand changement survenu au cours de cette dernière décennie. Cette éruption collective est l’expression spontanée d’une société en profonde crise, toute comme l’avait été l’auto-immolation de Mohamed Bouazizi, ce jeune chômeur tunisien qui a été l’étincelle de la révolution tunisienne de 2011.

    Par Thomas (Gand)

    En Égypte et en Tunisie, les masses ont renversé des régimes qui tenaient depuis trente ans. Peut-être la Tunisie, après avoir été un véritable laboratoire pour le néolibéralisme, est-elle en passe de devenir le laboratoire de la lutte de classe moderne. Ces révolutions ont beaucoup signifié pour le Comité pour une Internationale Ouvrière, ce que nous avons bien remarqué durant l’école d’été du CIO, où étaient aussi présents quelques camarades tunisiens, ce que chaque participant a pu apprécier.

    Le classe ouvrière organisée peut faire la différence

    La session spécifiquement consacrée aux révolutions en Tunisie et en Égypte a insisté sur quelques points cruciaux. Tout d’abord a été soulignée la mesure dans laquelle la présence ou l’absence de la classe ouvrière organisée a une influence sur le caractère du mouvement. Bien plus que Twitter, YouTube ou Facebook, ce sont les travailleurs organisés qui ont permis l’arrivée de changements profonds.

    Même si, place Tahrir par exemple, beaucoup de gens ne savaient pas ce qu’est exactement le capitalisme, même si leurs slogans donnent seulement une traduction limitée de la crise systémique, c’est cependant bien la présence de la classe ouvrière qui a donné un caractère radical aux protestations.

    Au fur et à mesure de la poursuite des protestations dans ces pays, nous pouvons constamment plus vérifier que les secteurs de la classe ouvrière poussent le conflit de l’avant, vers le moment ou sera clairement posée la question du contrôle des moyens de production. Actuellement, ils tâtent les limites du capitalisme. Après le départ du dictateur tunisien Ben Ali, des villes entières ont parfois été occupées, tandis qu’en Égypte, des milices populaires ont remplacés la police à certains endroits.

    En Tunisie, une série de grèves générales, en particulier dans les grandes villes, a été cruciale pour la création d’une unité de la population. C’est ce qui a obligé le dictateur Ben Ali de partir. Après un certains temps, ces actions se sont spontanément développées jusqu’à un caractère très mature et à la hauteur des tâches à réaliser. Lorsque la police et l’armée ont été chassées, les manifestants ont ainsi organisé des milices, ont pris soins d’assurer la distribution de l’eau, de nourriture, etc.

    Cela ne signifie bien entendu pas qu’un programme politique n’est pas essentiel. La pure spontanéité des masses a ses limites. Une fois que le mouvement manquera de perspectives, l’euphorie pourrait se transformer en démoralisation et toutes les réalisations pourraient à nouveau devenir bien précaires. Il est également important que les manifestants essaient d’impliquer les couches moins actives de la population.

    Le rôle des syndicats est lui aussi crucial. Depuis la chute de Moubarak en Égypte, de plus en plus de syndicats indépendants ont été créés. Récemment, pas moins de 66 syndicats ont encore participé à une manifestation.

    Le mouvement syndical en Tunisie a une histoire qui date de la période coloniale et de la lutte contre les colonisateurs français. Le mouvement syndical est désormais représenté par la fédération nationale syndicale UGTT. C’est une organisation vers laquelle regardent de nombreux jeunes et travailleurs non syndiqués une fois qu’ils entrent en action.

    L’UGTT, sous la pression de la base, a donné le mot d’ordre, trois jours avant la chute de Ben Ali, d’organiser des manifestations et des grèves dans tout le pays. Le 14 janvier, des marches sur la capitale ont été organisées avec la revendication de la démission du président et du gouvernement. Cette force révolutionnaire pourrait faire tomber le régime et pourrait aussi forcer les gouvernements successifs à faire des concessions. Mais, maintenant, le gouvernement veut briser ce mouvement.

    Après la fuite de Ben Ali, cette fédération a connu une augmentation de ses adhérents. Par conséquent, l’UGTT a créé de nombreuses nouvelles sections. Selon le CIO, l’attitude de cette fédération est cruciale pour l’avenir de la révolution en Tunisie. Cette attitude et l’approche du CIO envers cette fédération a d’ailleurs constitué un important sujet de discussion lors de la session de l’école d’été du CIO consacrée à ces évènements.

    Un autre sujet dont nous avons parlé est la question de l’unité et de la division. La classe dirigeante est très consciente des failles dans la société égyptienne et tunisienne. La force principale du mouvement est l’unité parmi les travailleurs, particulièrement ceux des secteurs traditionnels tels que la métallurgie, et les jeunes chômeurs. Cette dernière couche est une très grande proportion de la population.

    Les oligarques ne sont pas seuls à vouloir stopper une telle unité, beaucoup de dirigeants syndicaux le souhaitent eux aussi. Parmi ces derniers, quelques uns ont reçu leur position grâce aux dictateurs, et sont aujourd’hui contestés.

    Cela réaffirme la question de l’organisation du mouvement ouvrier et du rôle qui devrait être alloué à l’UGTT en Tunisie. D’un côté, nous avons vu le succès des manifestations en Egypte et en Tunisie grâce aux ouvriers organisés, et d’un autre, nous devons aussi réaliser que malgré les pressions d’en bas, il existe une couche de bureaucrates qui a tendance à limiter le mouvement.

    Certains bureaucrates relient leur destin avec les dirigeants actuels. Les dirigeants du gouvernement sont surtout des membres de la bourgeoisie et se sont engagés à concrétiser le slogan de ‘‘retour au travail’’. Ils se sentent soutenus par l’Union Européenne et en particulier la France, l’ancienne puissance coloniale.

    Réformes démocratiques et révolution permanente

    Un autre point important souligné lors de la session est l’attitude à adopter contre le gouvernement et les élections promises. Récemment, le gouvernement provisoire de Tunisie a essayé d’appréhender des organisateurs de grève. Et, en plus, il y a maintenant une interdiction de faire grève. En mars, le gouvernement intérimaire égyptien, le conseil militaire, a lui aussi interdit les grèves, sous la menace de poursuites pénales.

    Ces attitudes réactionnaires et paternalistes, qui veulent voler la révolution à la grande majorité des gens et au bénéfice des gestionnaires, des bureaucrates et de ceux qui restent encore fidèles à l’ancienne dictature, donne à la classe des travailleurs tunisiens et égyptiens le sentiment que l’ancien régime est en train de revenir peu à peu.

    Avec le succès de la révolution en mémoire, beaucoup de jeunes et de militants résistent au nom de la révolution à ces mesures coercitives. Mais la tâche de la révolution reste de se débarrasser de l’épine dorsale de l’ancien régime et du nouveau.

    Cette épine dorsale est formée par le vaste appareil policier et militaire dans les deux pays. Mais parmi les jeunes, la crainte de la police est parfois très limitée. A leur apogée, les révolutions ont montré la vulnérabilité de la police, et la revendication d’accepté l’entrée des syndicats ainsi que la liberté d’expression politique dans l’armée s’est généralisée.

    Mais, dans le passé, la gauche en Tunisie et en Egypte a sous-estimé ce mot d’ordre et a parfois manqué de slogans destinés à convaincre l’armée des protestations populaires. Il a souvent été uniquement réfléchi en termes de gouvernement provisoire devant s’assurer de la “démocratie” avant de pouvoir progressivement compléter la révolution (et puis l’armée serait démocratisée).

    Les comités populaires et les milices ont été au mieux considérés comme un moyen de pression contre le gouvernement, et non pas comme des précurseurs de l’autogouvernement de la classe ouvrière et de leurs alliés parmi les pauvres, les paysans et les étudiants. Les victoires remportées contre la police et le fait que l’armée égyptienne n’ait pas tiré ont été considérés comme un fait accompli.

    Récemment toutefois, des accrochages ont eu lieu entre les troupes du gouvernement et des manifestants. Les tentatives de réoccuper la place Tahrir ont rencontré une résistance brutale de l’armée. Cela a démontré pour différentes couches de la population quelle est la position réelle de l’armée. Les leaders militaires ne veulent pas d’un projet démocratique, mais d’une relance de l’économie capitaliste dans le pays.

    Les régimes actuels sont encore faibles et instables. Les élections en Tunisie, qui devaient avoir lieu en Juillet, ont été reportées jusqu’en octobre, selon les souhaits des impérialistes, parce qu’ils veulent encore du temps afin de laisser le gouvernement intérimaire se stabiliser. Le référendum en Egypte concernant les amendements constitutionnels a eu une faible participation, ce qui indique une certaine méfiance de la population.

    Le conseil militaire a été initialement capable de ralentir le développement des nouvelles protestations en utilisant l’idée qu’il fallait du temps pour former un nouveau gouvernement. Mais quelques couches de la classe ouvrière ont rapidement vu qu’ils ne pouvaient plus continuer avec l’ancienne élite (y compris les chefs militaires). C’est dans ce contexte que les exigences démocratiques jouent encore un grand rôle.

    La situation rappelle fortement les révolutions de 1848-1850 en Europe occidentale et Europe centrale. A cette époque aussi, les rangs de la classe ouvrière et de la classe moyenne ont manifesté dans la rue contre les régimes réactionnaires. Marx, Engels et leurs alliés de la Ligue des communistes ont demandé aux travailleurs de réduire les mesures des soi-disant démocrates, qui voulaient conquérir le pouvoir (ou qui ont déjà conquit le pouvoir), à leur résultat le plus extrême et logique. Et c’est l’une des opinions qui ont conduit à la conception d’une «révolution permanente».

    C’est pourquoi le CIO est défend les comités de quartier et les comités qui existent sur les lieux de travail. Nous ne nous limitons pas à soutenir l’exigence d’une révision constitutionnelle et la convocation d’un Parlement qui devrait être élu démocratiquement. Nous voulons renforcer l’organisation des travailleurs, qui pourraient ainsi mieux mobiliser les masses dans leur propre intérêt.

    Les régimes de transition ne sont pas neutres, ils ne sont pas les représentants de la grande majorité de la population. En Egypte, le conseil militaire a dû faire un certain nombre de concessions pour répondre aux manifestants. Mais ces concessions étaient également des concessions aux revendications de la classe dirigeante, qui souhaitait avant tout que les manifestations ne se développent pas.

    Il est de l’intérêt de la classe ouvrière de considérer toutes les ‘‘réformes démocratiques’’ comme quelque chose de positif. Pour beaucoup d’Egyptiens et de Tunisiens, l’apprentissage révolutionnaire a été tel une côte particulièrement pentue. Ils ont expérimenté beaucoup, sur un laps de temps considérablement court en ce qui concerne la lutte et les actions. Mais il reste encore beaucoup de choses à accomplir, et chaque victoire reste précaire et dépendant d’un changement dans le rapport des forces entre les protestations populaires et les gouvernements provisoires.

    On peut trouver tous les éléments d’un programme socialiste dans la lutte actuelle des travailleurs. Mais beaucoup de personnes – mais pas tous les socialistes – s’attachent à une exigence démocratique tel que l’appel pour une l’assemblée constitutionnelle comme si c’était une chose en soi et non l’expression d’un processus de révolution et de contre-révolution. Pour que la révolution puisse vaincre, nous devons aller plus loin, notamment par des occupations d’usines et la création d’organisations d’auto-organisation chez les paysans pauvres, les étudiants et les travailleurs.

    Les partis d’opposition tombent dans des pièges classiques

    Sur base du sentiment que le régime n’a pas changé, beaucoup de forces réactionnaires essayent de restaurer leur position, comme les islamistes et autres conservateurs. Leurs opinions sur les révolutions sont, comme celles des autres partis bourgeois, que toute l’énergie révolutionnaire doit être détournée vers des canaux sûrs. Les conservateurs sont bien entendu totalement en défaveur de la révolution socialiste…

    Les Frères Musulmans en Egypte ont attendu avant d’enfin supporter le mouvement, qui constituait un énorme défi pour eux. En Juin, ils ont présenté leur propre parti, un parti qui se dit pour la justice et la liberté et est composé d’un mélange entre libéraux, des éléments essentiellement nationalistes et des forces pro-gouvernementales.

    La principale force des Frères Musulmans est le fait que, au cours de ces dernières trente années, ils ont constitué la seule organisation visible de l’opposition. Même les impérialistes ont commencé, en l’absence d’autres partis, à négocier avec eux.

    Mais que les Frères Musulmans le veulent ou non, la dernière grève générale a démontré que la révolution n’est pas terminée, et que l’absence des islamistes à des moments si cruciaux est, pour les militants radicalisés, la preuve qu’ils ne peuvent pas donner de réponse aux problèmes sociaux.

    En avril et en mai, le mouvement de grèves et de manifestations en Egypte a de nouveau relevé la tête, atteignant des centaines de milliers de participants. Beaucoup de gens ont depuis lors exigé la démission du conseil militaire. L’armée a réagit avec des mesures répressives similaires à celles de l’ancien dictateur Moubarak. Dans le plus pur style de véritables démagogues néolibéraux, ils ont accusé les manifestants de perturber la croissance économique.

    Mais les divisions sectaires continuent de poser un grand danger, de même que l’éventualité de voir un nouveau ‘‘Bonaparte’’ s’installer au pouvoir, quelqu’un capable de s’élever au-dessus des différentes groupes avec l’aide des forces de police.

    La Gauche en Egypte reste relativement faible. Une nouvelle plate-forme est un front des forces de gauche, y compris le vieux Parti Socialiste Arabe et le Parti Communiste. Parfois, la revendication pour la nationalisation démocratique est posé, mais ce qui concerne le programme et en particulier la volonté révolutionnaire tout reste très floue.

    En Tunisie, les membres des partis de la gauche radicale ont joué un rôle clé, en particulier au sein du syndicat UGTT. En conséquence de leur travail clandestin, ils ne disposent pas de bureaucrates typiques dans leurs rangs, mais ils restent parfois encore défendeurs de vieilles idées découlant du stalinisme ou du réformisme, et ils ont été complètement dépassés par les événements. Dans un passé tout récent, nombreux étaient encore ceux qui parmi eux pensaient qu’une révolution était impossible en Tunisie.

    A ce moment, le Parti Communiste Ouvrier de Tunisie et d’autres organisations se sont organisées dans le ”Front du 14 janvier”, un front populaire qui comprend également, comme en Egypte, des “démocrates” bourgeois. Ils croient en une opposition de gauche dans une future ”démocratie” tunisienne capitaliste, un peu suivant le modèle européen de ”démocratie”. Comme ceux-ci et d’autres mouvements relient leurs idées aux points de vue défendus par l’UGTT, ils ne proposent pas une voie pour poursuivre – et encore moins pour approfondir – la révolution.

    Cela a pour conséquence que la révolution est presque entièrement dépendante des dirigeants, des militaires ou des figures de l’ancien régime. Ces dirigeants sont sous la pression des exigences économiques de pays tels que la France et la Grande-Bretagne. Par ailleurs, ces pays participent à l’intervention militaire en Libye, situé entre la Tunisie et l’Egypte, les ”pays révolutionnaires”.

    Afin de parvenir à une solution au bénéfice de la grande majorité de la population de la région, il est nécessaire d’élargir et d’approfondir la révolution. Il faut aussi que les régimes d’autres pays, comme en Algérie et en Arabie Saoudite, tombent eux aussi. Quand les dominos tombent un à un, les révolutionnaires peuvent s’entraider au-delà des frontières, une situation idéale pour contrecarrer toute intervention militaire de l’OTAN et d’autres puissances impérialistes.

    Approfondir le processus révolutionnaire signifie en outre d’occuper les usines et de les nationaliser sous le contrôle des organisations des travailleurs. Cela permettrait aux travailleurs, aux étudiants et aux paysans pauvres dans la région de combattre à la fois le gouvernement et les intérêts impérialistes.

    Une révolution permanente est également cruciale pour la guerre civile en Libye et au Yémen, cela peut leur apporter la victoire. C’est soit cela, soit une lutte continuelle entre tribus avec à l’occasion une victoire brutale et sanglante d’un groupe sur les autres. D’autre part, le régime israélien dépendant notamment de l’existence de dictatures dans la région, une expansion de la révolution pourrait également résoudre la question nationale là aussi.

    Une page a été tournée, un nouveau chapitre dans la politique mondiale commence

    La conclusion de cette session de l’école d’été du CIO concernant la Tunisie et l’Egypte a été que ces révolutions sont des révolutions ”classiques”. Rien, sauf une tendance opportuniste de type bureaucratique, ne peut stopper les révolutionnaires et les militants dans cette région d’apprendre des leçons positives et riches des révolutions qui se sont déroulées en Russie, en Allemagne, en Espagne, etc.

    Ces derniers mois, beaucoup de choses ont changé. Après trente ans de néolibéralisme, la révolution est de nouveau à l’ordre du jour. Pour les révolutions en Afrique du Nord et au Moyen-Orient et les marxistes à travers le monde, les défis sont énormes, de même que les pièges dans lesquels les révolutions peuvent tomber.

    Néanmoins, nous avons de quoi être confiant au vu de l’attitude remarquable des jeunes et des travailleurs et leurs compétences politiques et organisationnelles. Cet impact ne peut être sous-estimé.

    La vague révolutionnaire partie de la région s’est très vite diffusée à d’autres pays. Même en Europe du Sud, nous avons vu comment les jeunes ont voulu ”copier” les révoltes du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, en allant jusqu’à tenter d’installer leurs propres places Tahrir. Même si ces protestations n’ont pas eu la même ampleur, on ne peut exclure que les jeunes et les travailleurs puissent apprendre à leur propre rythme et à travers leur propre expérience à s’organiser et qu’ils puissent déterminer l’agenda politique de l’Europe.

  • Kadhafi: du ‘socialisme arabe’ au capitalisme

    Une région en révolte – ce qui a précédé… (4)

    Le dictateur libyen Kadhafi est une des figures parmi les plus étranges de la scène politique mondiale. Tout d’abord partisan de Nasser, il s’était retrouvé ces dernières années à mener une politique de privatisations et de concessions aux grandes multinationales. Il nous semble utile de revenir sur un certain nombre d’éléments historiques.

    La monarchie libyenne s’est effondrée en 1969 avec un coup d’Etat opéré par un groupe d’officiers, les ‘‘Officiers libres pour l’unité et le socialisme’’, dont était membre Kadhafi. Ce groupe était d’inspiration nassériste, du nom du leader égyptien Nasser. Nasser était lui-aussi parvenu au pouvoir après un coup d’Etat militaire, et avait lui-aussi renversé un roi corrompu. Nasser n’a pas mis fin au régime capitaliste dans son pays, mais utilisait par contre une rhétorique ‘‘socialiste’’ afin de disposer d’un soutien plus large parmi la population. Sa politique consistait essentiellement à louvoyer entre l’impérialisme occidental et le soutien de l’Union Soviétique. Il appelait cela le ‘‘socialisme arabe’’. Au vu de la période de croissance économique mondiale de l’époque, il lui a été possible d’améliorer le niveau de vie de la population sur base de réformes, entre autres en investissant dans l’enseignement, le développement d’un secteur public, en opérant des nationalisations,…

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    Quelques photos que certains aimeraient beaucoup oublier aujourd’hui…

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    Kadhafi était devenu membre des ‘‘Officiers libres pour l’unité et le socialisme’’ en 1963, alors qu’il était en formation à l’académie militaire de Benghazi. En 1969, cette organisation a commis un coup d’Etat contre le Roi Idris Ier, qui devait abdiquer en faveur de son fils. Les militaires proclament la ‘‘République arabe libyenne’’ et portent Kadhafi au pouvoir. Ce dernier mêlait des idées islamistes au panarabisme de Nasser. En 1972, il est même arrivé, purement officiellement, à une ‘‘Union des républiques arabes’’ dont étaient membres la Libye, l’Égypte et la Syrie, mais qui ne verra jamais véritablement le jour. Par la suite, en 1973-1974, il a tenté d’établir une union tuniso-libyenne qui, après un accord initial du président Habib Bourguiba, ne se concrétise pas non plus. Kadhafi a également soutenu des organisations telles que l’OLP (Organisation de Libération de la Palestine) avec des armes et des camps d’entraînement.

    Cet échec dans ses tentatives d’instaurer une fédération régionale ont poussé Kadhafi à rechercher du soutien plus à l’extérieur. Cette nécessité avait particulièrement été inspirée par la crise économique internationale à partir de 1974. Le soutien qu’a alors trouvé Kadhafi auprès de l’Union Soviétique ne représentait pas un choix idéologique conscient. En 1971, Kadhafi avait encore envoyé à une mort certaine un grand nombre de communistes soudanais en les renvoyant de Libye vers le Soudan, où ils sont tombés aux mains du dictateur Jafaar Numeiri. L’Union Soviétique était de son côté fort intéressée par le pétrole libyen, certainement après que Kadhafi ait nationalisé les possessions de British Petroleum dans le pays. Une partie des militaires impliqués dans le coup d’Etat de 1969 ont eu des problèmes avec ce nouveau cours et ont tenté de démettre Kadhafi en 1975, sans succès. Un d’eux, Omar Mokhtar El-Hariri, est une des figures actuelles du Conseil National de Transition et dirigeant du gouvernement provisoire de Benghazi. Entre-temps, d’innombrables indications démontraient l’implication de la Libye dans des attentats terroristes, dont le plus connu est probablement celui de Lockerbie en 1988, où un Boeing 747 de la compagnie américaine Pan American World Airways a explosé au-dessus du village de Lockerbie en Écosse et causa le décès de 270 personnes.

    Kadhafi a essayé d’idéologiquement étayer son virage et a publié son ‘‘Livre vert’’ à la moitié des années ’70. Il y décrivait sa vision de ce qu’il qualifiait de ‘‘socialisme’’, un mélange de rhétorique à consonance socialiste concernant des comités populaires et des congrès populaires jusqu’à la ‘‘suppression du travail salarié’’, en plus d’influences religieuses, sans toutefois les appeler ainsi. Mais après la chute du stalinisme, Kadhafi a à nouveau opéré un virage. Mais il est frappant de constater que des mesures anti-travailleurs décidées dès 1969 (comme l’interdiction de tout syndicat indépendant et les restrictions du droit de grève) n’ont jamais été remises en question, quelque soit le virage de Kadhafi…

    Dans le contexte de la nouvelle situation mondiale qui a suivi la chute du mur et l’effondrement de l’Union Soviétique, Kadhafi a dû rechercher de nouveaux alliés, ce qui impliquait un nouveau virage. Le régime libyen a donc recherché à se rapprocher de l’impérialisme occidental, et Kadhafi a donc été le premier dirigeant arabe à condamner les attentats du 11 septembre 2001. Il s’est aussi excusé pour l’attentat de Lockerbie, et lors de l’invasion de l’Irak, il a expliqué que le pays stoppait son programme de développement ‘‘d’armes de destruction massive’’,… Ces dix dernières années Kadhafi a pu installer ses tentes chez presque tous les dirigeants du monde à Bruxelles, à Paris, à Washington,… Très peu ont continué à le considérer comme un ‘‘anti-impérialiste’’, le président vénézuélien Hugo Chavez est l’un des derniers. Chavez se trompe lourdement d’ailleurs : soutenir un dictateur qui s’oppose aux intérêts des travailleurs et des pauvres ne signifie pas d’avancer dans la lutte contre le capitalisme et l’impérialisme. Chavez se trouve en douteuse compagnie à cet égard, car Kadhafi a même reçu le soutien de l’extrême-droite européenne pour son ‘‘anti-impérialisme’’ bien particulier (il a été chuchoté ça et là que les contrats pétroliers entre la Libye et la province autrichienne de Carinthie à l’époque où le dirigeant d’extrême-droite Jörg Haider y était au pouvoir a été obtenu grâce aux très bons liens personnels entre Haider et Saïf Al-Islam Kadhafi, le fils de Kadhafi).

    Les revenus du pétrole ont donné durant plusieurs années la possibilité à la dictature de louvoyer entre les différentes classes sociales et les puissances internationales. Une certaine forme d’Etat-Providence a même pu être développée, qui a accordé au régime un relatif soutien. D’ailleurs, malgré la politique de privatisations de ces dernières années, il reste encore certaines mesures sociales.

    L’accès au pétrole libyen pour les multinationales occidentales a assuré que la Libye soit peu à peu retirée de la liste des ‘‘Etats voyous’’. Le premier dictateur tombé cette année en Afrique du Nord (Ben Ali en Tunisie), a toujours pu compter sur le soutien de Kadhafi. Berlusconi a aussi conclu un accord avec la Libye pour empêcher les immigrants africains de parvenir en Italie. D’autre part, des dirigeants internationaux tels que Tony Blair ou Condoleezza Rice se sont rendus en Libye pour discuter avec Kadhafi.

    Mais malgré ce nouveau virage de Kadhafi, il n’a jamais été considéré comme un allié véritablement fiable. La possibilité de le faire tomber sur base du mouvement initié à Benghazi a été saisie par l’impérialisme pour partir en guerre contre lui. Mais la victoire n’est pas venue rapidement. Les exemples des pays voisins comme l’Égypte et la Tunisie illustrent la meilleure manière de faire chuter un dictateur: par un mouvement de masse, initié par la base même de la société.

  • Algérie: De la lutte pour l’indépendance au développement du fondamentalisme

    Une région en révolte – ce qui a précédé… (1)

    Cette semaine, nous allons accorder une attention particulière à l’histoire du mouvement ouvrier en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Bien entendu, au vu des révoltes et des révolutions qui touchent cette région, jeter un coup d’œil au contexte sur base duquel prennent place ces développements est particulièrement important. Nous commençons cette série avec cet article, consacré à l’Algérie et basé sur dossier plus long rédigé par nos camarades de la section allemande du Comité pour une Internationale Ouvrière.

    C’est en 1830 qu’a commencé l’occupation française de l’Algérie, et la répression coloniale a de suite été particulièrement brutale pour les populations arabes et berbères. La résistance et la lutte pour l’indépendance se sont rapidement développées, avec notamment les massacres de Sétif, Guelma et Kherrata, où quelque 40.000 Algériens ont été tués par l’armée française en 1945 lors d’une révolte. En septembre 1947 est arrivée une loi visant à stopper le mouvement indépendantiste en accordant la citoyenneté française à tous les Algériens. Mais c’était bien trop tard pour enrayer la lutte pour l’indépendance.

    Lors de la période qui a suivi la seconde guerre mondiale, le niveau de vie de la population n’avait pas fondamentalement évolué. Le revenu moyen d’un Algérien européen était de sept fois supérieur à la moyenne de la population autochtone. Deux tiers du pays appartenaient alors à des sociétés françaises ou à de gros propriétaires terriens. En 1954, à la veille de la guerre d’Algérie, au moins un million de personnes étaient au chômage, et pas moins de deux millions de personnes connaissaient des emplois temporaires. Pas moins de 82% de la population autochtone était analphabète, alors que tous les Algériens européens savaient lire et écrire. La mortalité infantile connaissait l’un des taux les plus élevé au monde : 284 pour 1.000, soit quatre fois plus que parmi les Algériens européens.

    Le 1er novembre 1954 éclata une révolte. Une fois rendu clair le fait que les mouvements nationalistes traditionnels étaient dans l’impasse et que la voie parlementaire ne conduisait pas à l’indépendance, la voie était libre pour la lutte armée. Au début, les combattants de l’indépendance étaient à peine armés, alors qu’ils avaient engagé le combat contre une nation industrielle puissante disposant en outre d’une minorité européenne raciste au sein même du pays. L’élément déterminant grâce auquel l’indépendance a finalement pu être arrachée a été le soutien grandissant parmi la population et la résistance croissante de la classe ouvrière. Les jeunes français se sont aussi de plus en plus retournés contre la guerre d’Algérie.

    En 1962, l’indépendance a été obtenue sous la direction du mouvement de libération FLN, le Front de Libération National, après une guerre qui a coûté la vie à 1,5 million de personnes (soit 10% de la population totale). Environ un million de colons français (généralement des capitalistes, des ingénieurs, des techniciens, des fonctionnaires, etc.) ont quitté le pays, et c’est à peine si une bourgeoisie indigène existait pour reprendre en main l’économie capitaliste algérienne.

    Au sein du FLN, la direction du mouvement était dominée par des éléments petit-bourgeois radicaux qui avaient fait appel à la classe ouvrière ainsi qu’aux agriculteurs. Le FLN, sous la pression des masses, a adopté des positions socialistes. Si ces positions avaient été mises en pratique de façon conséquente, il aurait été possible de balayer la grande propriété terrienne et le capitalisme avec un mouvement de masse. Mais ce n’est pas la voie qu’a suivi la direction du FLN. Lors des accords d’Evian, en mars 1962, les sociétés et le gouvernement français ont ainsi obtenu la garantie que leurs intérêts économiques seraient défendus.

    Le FLN s’était développé de la guérilla en un parti qui, sous la pression issue d’en bas, a toutefois dû prendre des mesures contre les capitalistes. Durant l’été et l’automne 1962, de nombreuses propriétés étrangères ont été nationalisées. En mars 1963, les comités ouvriers qui avaient repris différentes entreprises des propriétaires européens qui les avaient abandonnées ont été légalisés. Environ la moitié des terres cultivables étaient en possession de l’Etat. En 1963, un système a été introduit sous le nom ‘‘d’autogestion’’, la base de se qui sera connu comme le ‘‘socialisme algérien’’. Les travailleurs pouvaient alors élire leur propre administration pour collaborer avec un directeur désigné par l’Etat.

    Toutes ces mesures ont été imposées par décret et n’étaient pas le résultat d’une large implication des ouvriers et paysans et du contrôle de ces derniers sur le processus. À cause de cela, les bases ont de suite été jetées pour la corruption et une mauvaise planification. De plus, l’indépendance était uniquement politique, l’Algérie restait économiquement dépendante des puissances impérialistes, et de la France en particulier.

    L’Etat qui a surgi de la guerre d’indépendance était un type de régime bourgeois-bonapartiste qui recourait à une rhétorique ‘‘socialiste’’ mais était dirigé par une élite petite-bourgeoise. Cela signifiait que les décisions n’étaient pas démocratiquement prises, il n’y avait pas d’implication active des travailleurs et des paysans dans le processus de prise de décision. C’est ce vide qui a permis l’arrivée d’un gouvernement autoritaire. En 1965, Ben Bella – qui essayait de pousser le FLN dans une direction anticapitaliste et socialiste – a été arrêté à l’occasion du coup d’Etat militaire de Houari Boumediene. Mais la misère économique et sociale s’est toutefois poursuivie sous ce régime, et ce dernier a été forcé de prendre des mesures contre le capitalisme. Le régime a ainsi renforcé les interventions d’Etat dans des secteurs qui auparavant étaient laissés au secteur privé. Une entreprise de construction publique a été mise en place et, en 1966, onze mines qui étaient encore en possession étrangère (avec des propriétaires absents) ont été expropriées et nationalisées. Toutes les activités d’assurance ont aussi été placées sous le contrôle de l’Etat et une Banque Nationale a été instaurée.

    En 1971, un conflit entre le gouvernement algérien et les grandes entreprises pétrolières françaises concernant le prix du pétrole a été réglé par la décision du gouvernement de prendre en main 51% de deux sociétés françaises et d’entièrement nationaliser les oléoducs de gaz et de pétrole. La même année, un programme de réforme agraire a été adopté, qualifié de ‘‘révolution agricole’’. Une forme d’élection de ‘‘conseils ouvriers’’ a également été instaurée dans le secteur public. La distribution de nourriture est elle aussi arrivée dans les mains de la collectivité.

    Lors d’une deuxième phase, en 1973, les propriétaires terriens qui ne faisaient rien avec leurs terres cultivables ont été obligés d’entreprendre des activités agricoles ou de donner leurs terres aux fermiers. Un programme a été mis en place afin d’instaurer des ‘‘villages socialistes’’ et les jeunes étaient encouragés d’aller travailler et étudier à la campagne durant leurs vacances. L’enseignement privé a été supprimé en 1976.

    Après la mort de Boumediene, en 1978, le comité central du FLN a pris le pouvoir. Les nationalisations opérées sous Boumediene avaient assuré un énorme développement économique, la mortalité infantile avait diminué de moitié, le nombre de médecins avait augmenté de 1279 à 29.506 et le degré d’alphabétisation avait augmenté, de 12% à 80% parmi les femmes par exemple.

    Mais, en Algérie également, on a pu constater que le développement du pays, en restant dépendant du capitalisme mondial, n’était pas possible. Le pays a été durement touché par la récession mondiale des années ‘80 et par l’effondrement des prix du pétrole. Le régime a réagi par des libéralisations et, ainsi, les fermes d’Etat ont été bradées au privé.

    Le déclin économique continuel a conduit à des protestations contre le régime, et le pays a ainsi connu des ‘‘émeutes de la faim’’ en 1988. La fin des interventions des autorités avait assuré qu’une majorité de la population souffre de la faim. Plus de 500 personnes, majoritairement des jeunes, ont perdu la vie lors de ces protestations. Cette révolte avait été précédée d’une grève des ouvriers de l’automobile, ces derniers exigeant des augmentations de salaire. Cette grève a été suivie par le personnel postier et, plus tard, d’autres pans de la classe des travailleurs ont eux aussi rejoint la protestation. Les revendications ont alors été élargies, jusqu’à s’en prendre directement au régime de parti unique.

    Le calme a été rétabli après 1988, mais a au prix fort. Tout d’abord, la répression a été cruelle, avec quelques bien maigres concessions. Les magasins ont reçu plus de nourriture, les salaires ont connu une augmentation et on a parlé de réformes politiques mais, au final, le mouvement n’a pas rencontré la victoire. C’est ce contexte qui a assuré que l’espace existe pour le développement du FIS (Front Islamique du Salut) qui, lors des élections locales de 1990, les premières élections ‘‘libres’’ du pays, a de suite remporté 54% des voix. Lors des élections parlementaires, le FIS a récolté 47% au premier tour, un an plus tard. Le FLN craignait de perdre le pouvoir et l’armée craignait l’arrivée d’un régime fondamentaliste. L’appareil d’Etat bourgeois est alors intervenu, et le FIS a été interdit, ce qui a conduit à une guerre civile qui a fait plus de 100.000 morts.

  • Ecole d’été du CIO : Révolution et Contre-révolution au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

    Les vidéos des manifestations de masse, des grèves et des occupations, ainsi que des attaques violentes contre les travailleurs et la jeunesse ont ouvert la session consacrée aux révolutions en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Les images de la vague de lutte de masse partie de Tunisie et d’Egypte et s’étendant à toute la région contrastent avec celles du Président Sarkozy souhaitant longue vie à Ben Ali et du président Obama discutant amicalement avec Moubarak.

    Par David Johnson, Socialist Party (CIO-Angleterre et pays de Galles)

    Comme Robert Bechert l’a déclaré en présentant la discussion, certaines scènes se sont reproduites ces jours derniers. Les protestations au Caire ont à nouveau été attaquées par des bandits armés, illustrant ainsi que la lutte entre la Révolution et la contre-révolution est toujours bien présente.

    Les victoires initiales remportées en Tunisie et en Egypte ont prouvé que l’action de masse peut renverser des régimes autoritaires et répressifs. Des millions de travailleurs et de jeunes à travers le monde ont suivi ces événements en temps réel. L’impact international de ces luttes a été démontré quelques semaines seulement après la chute de Moubarak, quand un mouvement de masse a éclaté au Wisconsin, aux Etats-Unis, contre des attaques contre les syndicats. On pouvait y voir des pancartes et des banderoles faisant clairement référence aux luttes en Tunisie et en Egypte. Peu après, l’inspiration de ces mouvement a donné naissance au mouvement ‘‘Indignés’’ en Espagne, en Grèce et dans d’autres pays.

    Chaque révolution a ses caractéristiques propres, mais il existe toutefois des processus généraux que les marxistes doivent apprendre. Une stratégie claire est nécessaire, non seulement pour assurer la victoire finale pour la classe ouvrière, mais également à chaque étape de la lutte.

    La révolution tunisienne a pris la classe dirigeante par surprise. Les grèves générales se sont développées, les couches dirigeantes ont été prises de panique et se sont débarrassées de Ben Ali pour tenter de garder le contrôle de la situation. Moubarak a lui essayé de s’accrocher au pouvoir par tous les moyens, et il était clair que l’occupation des places n’était pas suffisante pour le faire dégager. Le Comité pour une Internationale Ouvrière a défendu que le mouvement prenne des initiatives pour passer à l’offensive avec des marches vers les bâtiments gouvernementaux et une grève générale. Quand une vague de grève a commencé à se développer, la hiérarchie militaire, avec le soutien de l’impérialisme américain, a forcé Moubarak à démissionner. Dans ces deux pays, les vieux dirigeants ont été sacrifiés de sorte que la classe dirigeante puisse s’accrocher au pouvoir.

    L’explosion initiale de joie a temporairement masqué le fait que les vieux régimes étaient toujours bel et bien au sommet de la société. Mais l’obtention de droits démocratiques, même limités, a donné aux travailleurs les moyens de lutter pour de meilleures conditions de vie, dans l’ensemble de la Tunisie et de l’Egypte. Par ce processus, la confiance et la compréhension des travailleurs ont augmenté, approfondissant par la même le processus révolutionnaire. Mais comment la classe ouvrière et la jeunesse peuvent-elles tirer de complètes conclusions révolutionnaires de leurs expériences ? Comment peut-on construire un mouvement capable de totalement changer la société ? Ce sont là des questions auxquelles les marxistes doivent répondre.

    Le CIO essaye d’appliquer à la situation concrète actuelle les enseignements tirés des événements révolutionnaires du passé. La tâche à laquelle fait face la classe ouvrière n’est pas simplement de s’organiser, mais de parvenir au pouvoir, en tirant derrière elle les autres couches opprimées de la population.

    En Egypte, le pouvoir réel reste entre les mains du Conseil suprême des forces armées. La revendication croissante d’un véritable gouvernement civil est progressiste, mais pas si cela signifie un gouvernement capitaliste, qui entrerait ensuite en conflit avec la classe ouvrière. Le CIO s’oppose à toute organisation de travailleurs participant et collaborant à n’importe quel gouvernement reposant sur le capitalisme. Le mouvement ouvrier doit se battre et faire grève pour créer un gouvernement des travailleurs et des pauvres.

    Nous voyons déjà en Tunisie et en Egypte le sentiment croissant que le pouvoir est volé à la classe ouvrière, et que les travailleurs n’obtiennent pas ce qu’ils voulaient en entrant en lutte. Les changements de gouvernement ont été rapides en Tunisie, et les mobilisations de masse se sont succédées en Egypte, reflétant les différentes revendications du mouvement. Mais à ce stade, la clarté n’existe toujours pas concernant les objectifs du mouvement.

    Nécessité d’un programme

    Il est insuffisant de combiner une rhétorique révolutionnaire abstraite avec des revendications de type réformiste tout en refusant de mettre en avant la nécessité de renverser le capitalisme, comme le font quelques groupes de gauche. Il faut un programme capable de relier les nécessités quotidiennes à la nécessité cruciale de transformer fondamentalement la société, comme lors de la Révolution russe de 1917, quand le parti Bolchevique a combiné des slogans tels que ‘terre, pain, paix’ à ‘tout le pouvoir aux soviets’.

    Un autre élément auquel les marxistes doivent faire face est celui de la religion, face aux mouvements religieux qui ont émergé à côté des mouvements ouvriers. Tous ne sont pas identiques. Construire le soutien pour les idées socialistes signifie de mettre en relation les questions démocratiques et sociales. En même temps, les socialistes doivent éviter de s’adapter de façon opportuniste aux mouvements religieux. Les hésitations et virages des dirigeants des Frères Musulmans en Egypte vis-à-vis des récentes protestations sont une illustration des pressions contradictoires à la base de leur mouvement. L’Egypte montre également les possibles dangers des conflits sectaires. Des dangers de ce type, ou à caractère national, sont également présents dans d’autres pays. C’est d’ailleurs cette crainte qui a été instrumentalisée par le régime de Bachar el-Assad en Syrie pour tenter de rester au pouvoir. Le régime a effrayé les chrétiens et les autres minorités avec le spectre du conflit sectaire qui s’est développé en Irak afin de les pousser à soutenir le régime.

    Syrie et Libye

    Les soulèvements en Syrie et en Libye ne se sont pas développés comme en Tunisie et en Egypte. Les régimes d’Assad et de Kadhafi disposent d’une assise plus forte au sein de la société par rapport à Ben Ali et Moubarak. En Libye, cela est partiellement dû aux revenus du pétrole, qui ont donné aux travailleurs libyens un niveau de vie légèrement plus élevé que dans le reste de la région, en dépit du taux de chômage élevé. Kadhafi et Assad utilisent aussi la crainte de d’une intervention impérialiste et sioniste.

    En Libye, la révolte de la jeunesse s’est développée contre la corruption et la répression du clan dirigeant. Mais cela n’a pas immédiatement été suivi dans les mêmes proportions à l’ouest du pays, où vivent la majorité des Libyens. Au fur-et-à-mesure que la direction autoproclamée de l’opposition s’est adressée à l’impérialisme et a commencé à utiliser le vieux drapeau monarchiste, cela a aidé Kadhafi et a gêné la construction du soutien pour l’opposition à Tripoli et à l’ouest du pays. En Syrie, jusqu’ici, les protestations n’avaient pas encore affecté Damas et Aleppo, les deux plus grandes villes. Cela a toutefois maintenant commencé à changer, avec de grandes protestations à Aleppo. Si celles-ci pouvaient atteindre Damas, cela signifierait la fin du régime sous sa forme actuelle.

    L’impérialisme craint une division de la Syrie ‘‘à al yougoslave’’ en différents Etats séparés, ce qui déstabiliserait la région entière, cela ouvre la possibilité de négocier avec Assad. Seul un mouvement ouvrier uni peut passer au-delà des divisions ethniques et religieuses.

    Le bombardement de la Libye par l’OTAN ne constitue pas simplement une guerre pour le pétrole, mais aussi une guerre pour le prestige de l’impérialisme occidental. L’intervention militaire a provoqué de nombreuses discussions, certains à gauche reflétant l’opinion libérale selon laquelle ‘‘quelque chose devait être fait pour empêcher la répression de Kadhafi’’ et ont donc soutenu l’intervention militaire. Le Comité pour une Internationale Ouvrière s’était quant à lui inspiré de l’expérience des pays voisins de la Libye, où c’est la lutte de masse qui a renversé les dictatures, maintenant renforcée par la lutte croissante en Syrie. Un mouvement ouvrier indépendant possédant un programme indépendant pourrait conduire à la chute de Kadhafi et d’Assad. Avec l’adoption d’un programme socialiste, la possibilité est réelle de rompre avec l’impérialisme et de renverser le capitalisme. Les récents signaux selon lesquels la Grande-Bretagne, la France et d’autres puissances permettraient maintenant à Kadhafi de rester en Libye reflètent l’impasse militaire dans laquelle se trouve l’impérialisme et le contrôle que le régime exerce toujours à l’Ouest.

    Ailleurs dans la région, le soulèvement au Bahreïn a temporairement été réprimé par les troupes saoudiennes, sujet sur lequel très peu a été dit par les divers gouvernements impérialistes. De petites protestations ont eu lieu en Arabie Saoudite, qui pourraient se développer à l’avenir. Au Maroc, des manifestations ont également eu lieu contre le paquet de réformes du roi, pour dire qu’elles sont insuffisantes. L’Algérie reste marquée par son expérience de guerre civile, mais ne restera pas immunisée longtemps aux mouvements révolutionnaires qui envahissent la région.

    En Palestine, les protestations se sont développées aussi, tant contre le Hamas que le Fatah, les conduisant à conclure un pacte d’unité pour tenter de garder le contrôle de la situation. Au Liban se sont développées des protestations contre le sectarisme, mais la situation est également compliquée par les développements en Syrie. Même en Israël, les révolutions ont eu un effet, illustré par le mouvement de protestation et d’occupation de places (depuis lors, le pays a connu les plus grandes protestations de son histoire, NDLR).

    A la fin de son introduction, Robert a noté que presque chaque décennie du 20ème siècle a connu des révolutions. Pourtant, seule la révolution russe de 1917 a été réussie, en raison de l’existence d’un parti qui avait une idée claire ce qui était nécessaire, et de comment le faire. Les Bolcheviques ont ainsi pu gagner le soutien de masse de la classe ouvrière. Le capitalisme peut seulement être renversé par le mouvement conscient de la classe ouvrière, ce que vise à construire le CIO.

    Témoins de Tunisie et d’Egypte

    Deux orateurs de la région ont illustré les processus à l’oeuvre en Egypte et en Tunisie. Lors du Congrès Mondial du CIO qui s’est tenu en décembre 2010, nous avions prévu que la situation en Egypte était extrêmement tendue et pouvait conduire à des mouvements de masse, mais nous ne nous attendions pas à ce que cela éclate aussi rapidement. Maintenant Tantawi, le chef du Conseil suprême des forces armées en Egypte, prétend ‘‘préserver les gains de la révolution’’. Sous la pression des énormes manifestations qui se sont à nouveau développées et avec la réoccupation de la place Tahrir, le gouvernement a annoncé plus de concessions, comme celle de diminuer l’âge pour participer aux élections de 30 à 25 ans, d’assurer que la moitié au moins des membres du nouveau Congrès des Peuples seraient des ouvriers et des paysans, et de supprimer la loi d’exception si détestée (à l’exception des ‘bandits’).

    Ces annonces n’ont toutefois pas suffit à satisfaire les protestataires, qui veulent aussi la suppression de toute mention de la famille de Moubarak sur les lieux publics. Parallèlement, le gouvernement tente de limiter le mouvement en prenant, par exemple, des mesures antigrèves. Ces développements, combinés à la politique économique du gouvernement, signifient clairement pour les ouvriers que ce gouvernement est un gouvernement de la contre-révolution, pas de la Révolution. Quand les grèves commencent à se développer, le gouvernement et le Grand Capital clament haut et fort que cela fait reculer l’économie. La classe ouvrière va davantage entrer en conflit avec le gouvernement. Le lendemain de la chute de Moubarak, l’atmosphère était à l’unité entre l’armée et la population. Cela change actuellement, mais l’alternative n’est pas claire aux yeux des travailleurs.

    Les cinq principaux partis de gauche manquent de stratégie. Certains estiment même que les élections devraient être remises à plus tard, jusqu’à ce qu’un front populaire soit organisé, qui inclurait également des représentants des partis capitalistes. Le CIO met en avant la nécessité d’un front unique véritable des organisations des travailleurs et celle de la création d’un parti des travailleurs de masse.

    Un camarade tunisien a parlé, et a souhaité que tous les participants à l’école d’été puissent vivre de semblables développements révolutionnaires. Les racines de la lutte ne se situent pas dans ‘Facebook’, mais dans les luttes ouvrières de 2008, fortement réprimées. Mais le régime, en dépit de sa dureté, du contrôle des médias, de l’infiltration des syndicats et des mouvements étudiants, en dépit aussi du soi-disant ‘miracle économique’ a été incapable de contenir les contradictions croissantes dans la société. Toutes les forces politiques, à l’exception du Parti Communiste Ouvrier de Tunisie (de type maoïste) et d’une poignée de marxistes avaient signé un pacte avec Ben Ali après le coup de 1987.

    Mais ce régime qui paraissait invincible s’est décomposé. ‘‘Nous voulons renverser le système’’ était un slogan populaire, mais ce que cela signifie concrètement est bien peu clair aux yeux de beaucoup. Les travailleurs et les pauvres sont déterminés à défendre la révolution. Ils tentent dans les faits de réaliser la ‘‘révolution permanente’’, bien qu’ils n’aient jamais lu Trotsky.

    Le régime est toujours en place en dépit des changements opérés dans les ministères. Il fait campagne contre les grévistes, et les amis de Ben Ali dirigent toujours la fédération syndicale UGTT, qui doit être nettoyée par les syndicalistes.

    Le futur de la révolution tunisienne est important pour les travailleurs et les pauvres partout à travers le monde. L’unification de toutes les luttes dans le but de renverser le système est essentielle. C’est là la tâche des marxistes à travers tout le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

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