Category: Moyen-Orient et Afrique du Nord

  • Tunisie : Grandes manœuvres au sommet, profonde méfiance parmi les masses

    L’alliance du Front populaire avec ‘‘Nidaa Tounes’’ provoque du remous dans la gauche

    Dans la foulée de l’assassinat politique du dirigeant de gauche nassérien Mohamed Brahmi, le 25 Juillet, une cascade de protestations a traversé tous les coins de la Tunisie. Une grève générale massive a secoué le pays le vendredi 26, et un ‘sit-in’ permanent a eu lieu depuis en face de l’édifice de l’Assemblée Nationale Constituante, à la place du Bardo à Tunis, rejoint par la suite par de nombreux manifestants venus des régions de l’intérieur pour marcher sur la capitale, déterminés à en découdre avec le pouvoir en place.

    Serge Jordan, Comité pour une Internationale Ouvrière

    (Photo ci-contre : le porte-parole du Front populaire, Hamma Hammami, aux côtés du président de Nidaa Tounes, Béji Essebsi)

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    Le 6 août, la plus grande manifestation anti-gouvernementale depuis le meurtre de Brahmi a pris place, les estimations les plus sérieuses faisant état de plus de 450.000 manifestants. Le mouvement ‘Tamarrod’ (‘Rébellion’) affirme avoir recueilli plus de 1,7 million de signatures (à peu près 10% de la population) en faveur de la destitution du gouvernement de la ‘Troika’, dirigé par les islamistes d’Ennahda. Et dans les régions pauvres de l’intérieur du pays, les mobilisations ont été accompagnées par le développement de diverses structures de pouvoir révolutionnaires locales : dans certaines régions, les manifestants ont occupé les gouvernorats et mis en place des comités autogérés, en défi direct au gouvernement d’Ennahda.

    Laïcs contre islamistes ?

    Contrairement à ce qui a été clamé par de nombreux commentateurs dans les médias, les principaux acteurs de la bataille en cours ne sont pas simplement des ‘islamistes’ contre des ‘laïques’. Présenter les choses de cette manière tend à nourrir le jeu de pouvoir au sein de l’élite, une élite qui a tout intérêt à essayer d’obscurcir les questions de classe sous-jacentes.

    Bien sûr, il serait faux de nier la colère de masse liée à la bigoterie religieuse de la clique au pouvoir, ainsi que les attaques et menaces perpétrées au nom de l’islam politique. L’encouragement du fondamentalisme religieux et les frontières poreuses entre Ennahda et certains groupes salafistes violents a sans aucun doute nourri la colère du peuple tunisien contre le régime actuel. Alors que chaque jour qui passe apporte son lot d’histoires d’attaques aux frontières, de menaces à la bombe ou de tentatives d’assassinats, la situation sécuritaire du pays et la menace de la violence terroriste sont devenus une préoccupation importante pour la population.

    Les récentes déclarations gouvernementales caractérisant officiellement le mouvement salafiste extrémiste « Ansar al-Sharia » comme une «organisation terroriste» doivent être comprises dans ce contexte: il s’agit d’une tentative des dirigeants d’Ennahda d’écarter leurs propres responsabilités en affichant une certaine dose de pragmatisme politique envers la rue et le mouvement d’opposition, dans un geste désespéré pour tenter de restaurer leur crédibilité, quitte à s’aliéner certains de leurs alliés potentiels et une partie de leur propre base ultraconservatrice.

    Les socialistes s’opposent sans ménagement à la tendance croissante au fondamentalisme religieux, utilisé comme un instrument d’oppression par le pouvoir en place, qui représente une grave menace pour la liberté d’expression et les droits démocratiques, en particulier en ce qui concerne ses effets corrosifs sur les femmes.

    La manifestation en défense des droits des femmes appelée par le syndicat UGTT le 13 août a été ralliée par une foule nombreuse de dizaines de milliers de personnes, réclamant la chute du gouvernement. Cela indique que de nombreux manifestants intègrent très justement la lutte pour défendre les droits des femmes dans une lutte plus large contre le gouvernement actuel.

    Mais si ces questions ont incontestablement joué un rôle important, le cœur de la lutte en cours remonte directement aux aspirations initiales de la révolution de 2010-2011, qui n’ont tout simplement pas été satisfaites.

    Une enquête menée au début de 2011 indiquait que 78% des jeunes Tunisiens pensaient à ce moment-là que la situation économique s’améliorerait au cours des prochaines années, ce qui est bien loin de la réalité actuelle. Pour une grande partie de la population en effet, les difficultés croissantes de la vie quotidienne, la hausse constante des prix des denrées alimentaires, la terrible absence d’emplois pour les jeunes, l’état catastrophique des infrastructures publiques, les bas salaires et les conditions de travail épouvantables dans les usines, la marginalisation continue des régions de l’Ouest et du Sud, toutes les questions sociales au sens large fournissent le ‘carburant’ de la rage actuelle contre le gouvernement.

    Dans la ville de Menzel Bourguiba, au Nord de Tunis, 4000 travailleurs ont été récemment licenciés du jour au lendemain sans préavis, après la fermeture totale de leur usine de chaussures. C’est à ce genre de préoccupations que la clique au pouvoir a été absolument incapable de répondre tout au long de son mandat.

    Les enjeux ici portent sur qui détient le pouvoir économique dans la société, et au service de quels intérêts de classe le gouvernement travaille. En ce sens, tout gouvernement fonctionnant dans le cadre du système capitaliste, centré sur la maximalisation du profit pour les grosses entreprises (qu’il s’agisse d’un gouvernement avec Ennahda, avec des partis laïques, d’un ‘cabinet de technocrates’, d’un ‘gouvernement d’élections’, de ‘compétences’, d’unité nationale’ ou de n’importe quelle autre formule de ce genre) ne livrera rien d’autre que sensiblement la même politique, voire pire encore, pour la masse de la population.

    Le caractère supposément ‘laïque’ du régime de Ben Ali, par exemple, ne l’a nullement empêché de détruire la vie des gens, d’écraser toute opposition à son règne, de briser le niveau de vie des travailleurs, et d’être finalement renversé par un mouvement révolutionnaire sans précédent.

    Est-ce que ‘les ennemis de nos ennemis’ sont nos amis ?

    Bien qu’ayant initialement subi des coups sévères par la révolution, les anciens vestiges du régime, les milieux et réseaux de l’ex-RCD, ainsi que les familles bourgeoises qui ont rempli leurs poches pendant les années Ben Ali, n’ont pas ‘disparu’. Ils sont toujours représentés à l’intérieur de l’appareil d’Etat, dans de nombreux secteurs de l’économie, dans les médias, dans de nombreux partis politiques, organisations et associations, ils ont aussi des connections, entre autres, au sein du régime algérien, et des liens avec les puissances impérialistes.

    L’héritage politique le plus évident de l’ancien régime est le parti ‘Nidaa Tounes’ (=‘Appel pour la Tunisie’), épine dorsale de la coalition ‘Union pour la Tunisie’. Nidaa Tounes, dirigé par le dinosaure politique de 87 ans Beji Caïed Essebsi (une figure de premier plan pendant la dictature de Habib Bourguiba, qui dirigea le pays de 1957 à 1987) est essentiellement un refuge politique de vieille garde de la dictature: éléments liés à la bureaucratie qui constituait le tronc de l’ancien parti au pouvoir, groupes d’ intérêts avec des connections à l’intérieur de l’‘Etat profond’, riches capitalistes dont les intérêts commerciaux sont en conflit avec la stratégie d’Ennahdha, couplés avec toutes sortes de nostalgiques et parasites de l’ancien régime qui abusaient de leurs positions à travers le vaste système de népotisme.

    Cependant, c’est précisément avec ce parti et avec ses partenaires politiques, tous farouchement défenseurs du ‘marché’, que les dirigeants de la gauche tunisienne ont décidé de conclure un accord politique, comme si l’élan populaire contre Ennahda, qui avait atteint un point de quasi-ébullition dans les dernières semaines, rendait soudainement ces forces plus acceptables ou ‘amies’ de la révolution populaire.

    En effet, après l’assassinat de Mohamed Brahmi, une alliance politique a été mise en place par la direction de la coalition de gauche du ‘Front populaire’ avec la coalition ’Union pour la Tunisie’, ainsi qu’avec d’autres forces de droite (y compris avec la principale fédération des patrons, l’UTICA). Cet accord a donné naissance à la création du ‘Front de Salut National’, dont l’objectif commun proclamé est de faire campagne pour la formation d’un gouvernement de ‘salut national’, dirigé par une soi-disant ‘personnalité nationale indépendante’.

    Cette alliance a jeté un seau d’eau froide sur les désirs révolutionnaires de beaucoup de militants, à la base du Front populaire ainsi que parmi de nombreux jeunes et de travailleurs tunisiens. Cet accord ne fut pas une réelle surprise pour le CIO. Nous avions mis en garde depuis longtemps, dans notre analyse du caractère et de l’évolution de l’orientation du Front populaire au cours des derniers mois, contre la stratégie erronée, poursuivie par ses dirigeants, de la ‘révolution par étapes’: en gros, l’idée qu’il faut d’abord consolider la ‘démocratie’ et la réalisation d’un ‘État civil’, tout en reportant les tâches de la révolution socialiste à un avenir indiscernable.

    Ce récent accord est le point culminant d’une telle approche erronée. S’unir contre l’ennemi islamiste commun, perçu comme une menace pour la démocratie, est devenue la ligne de justification pour la conclusion d’accords avec une force politique complètement réactionnaire, armée d’un programme néolibéral qui ne diffère en rien de fondamental de celui de ses opposants islamistes. Cet accord subordonne de facto les intérêts de la classe ouvrière et des pauvres, qui constituent la majorité des forces militantes du Front populaire, à des forces motivées par un programme résolument pro-capitaliste et pro-impérialiste.

    Arguer du fait qu’un accord de cette nature est ‘nécessaire’ pour le mouvement afin d’être ‘suffisamment fort’ si l’on veut faire tomber le gouvernement actuel, comme certains l’ont prétendu, ne tient pas la route.

    Le magnifique mouvement qui avait débuté après la mort de Brahmi a connu depuis une chute significative, la vague de grèves s’est en partie épuisée, et la composition de classe des manifestations de rue a également changé, ayant été partiellement reprise en charge par des forces pro-bourgeoises, déguisés pour l’occasion par les chefs de la gauche comme étant du côté du peuple. Une certaine nostalgie pour le régime de Bourguiba a également refait surface, avec une couche de manifestants essentiellement issus de la classe moyenne, encouragés par Nidaa Tounes et d’autres forces similaires, affichant des portraits de l’ancien autocrate dans les rues.

    Cela ne signifie pas pour autant que le mouvement est ‘mort’. La situation reste extrêmement volatile, et la colère qui existe parmi de larges couches de la population tunisienne contre l’état général du pays, sur les plans à la fois social et politique, pourrait rapidement resurgir au travers de nouvelles explosions de masse.

    Mais incontestablement, l’alliance entre la gauche et Nidaa Tounes & cie a eu pour effet immédiat d’affaiblir le mouvement de masse et la confiance des travailleurs et des jeunes dans ce pour quoi ils se battaient et sont sortis dans la rue au départ.

    La campagne ‘Erhal’ (‘Dégage’) a été lancée par le Front de Salut National il y a deux semaines, dans le but de faire dégager les gouverneurs, administrateurs et dirigeants d’institutions publiques nommés par le gouvernement d’Ennahdha. Essebsi est sorti publiquement à la fin du mois d’août contre cette campagne, en disant qu’il ‘plaçait son soutien dans le concept de l’Etat’.

    Cela montre encore une fois que Essebsi et ses forces poursuivent un agenda aux antipodes du mouvement révolutionnaire, en utilisant leur position pour tenter de briser la dynamique du mouvement, qui avait pourtant vu plusieurs exemples de structures de double pouvoir émerger dans diverses localités, et des gouverneurs et chefs locaux d’Ennahda chassés par la population.

    Le côté ironique de l’histoire est que récemment, il a été révélé que des négociations secrètes avaient eu lieu à Paris entre Rached Ghannouchi, dirigeant d’Ennahda, et Essebsi lui-même, dans une tentative de trouver un accord commun entre les deux partis. Selon toute vraisemblance, ils ont été poussés dans le dos par les pays impérialistes, afin de désamorcer la crise actuelle et éviter une impasse politique prolongée qui pourrait exacerber les tensions et potentiellement donner lieu à de nouveaux soulèvements révolutionnaires.

    Les centaines de milliers de jeunes, de travailleurs et de pauvres qui ont inondé les rues pour manifester leur colère contre le pouvoir en place durant le courant du mois dernier se rendent compte que toute cette énergie pourrait arriver à un accord pourri entre les deux principales forces de la contre-révolution, et tout cela avec l’accord tacite des dirigeants des principaux partis de gauche.

    Turbulences à gauche

    A nos yeux, c’est seulement autour des revendications de la classe ouvrière et des opprimés, ceux et celles qui ont fait la révolution et partagent un intérêt commun à la poursuite et à la victoire de celle-ci, qu’une alternative politique viable peut être construite, capable de répondre aux préoccupations profondes de la majorité.

    C’est pour cette raison que beaucoup de militants, syndicalistes, chômeurs et autres sympathisants de la gauche radicale avaient accueilli avec enthousiasme les objectifs initiaux de la mise en place du Front Populaire: rassembler tous ceux et toutes celles qui ressentent la nécessité d’un pôle d’attraction révolutionnaire indépendant, explicitement distinctif, dans ses objectifs, à la fois d’Ennahda et des diverses forces néolibérales ou/et liées a l’ancien régime qui se trouvent dans l’opposition.

    Pour les mêmes raisons, l’adoption, par les dirigeants du Front populaire, du ‘Front de Salut National’ rencontre maintenant de vives critiques et un remous croissant dans les rangs du Front Populaire et dans la quasi-totalité des partis qui le constituent. Un état de semi- révolte est en gestation dans certains de ces partis. Selon un militant de l’aile jeune du ‘Parti des Travailleurs’ (ex- PCOT), cité dans un article publié sur le site nawaat.org, ‘‘Au sein de notre parti, le gros de la jeunesse est contre cette alliance.’’ Dans le même article, un membre du syndicat étudiant UGET, et sympathisant du Front Populaire, fait également valoir qu’il est contre cette alliance ‘‘avec des libéraux, qui ont un projet à l’opposé du nôtre et qui sont dirigés par des personnes ayant eu des postes importants sous Bourguiba et Ben Ali.’’ Un autre partisan du Front Populaire explique: ‘‘Cette alliance est une faute sur le plan stratégique et une trahison des principes de la gauche. Nidaa Tounes est un parti de droite sur les plans économique et social, tout comme Ennahda, et c’est un lieu de recyclage pour des anciens du RCD.’’

    La LGO, le parti dans lequel les partisans du CIO ont été actifs depuis un certain temps, n’a pas été immunisée par ces développements. Une partie de la direction de la LGO s’est alignée sur l’orientation suivie par les principaux dirigeants du Front Populaire, laissant tomber leur revendication précédente pour un ‘‘gouvernement ouvrier et populaire autour de l’UGTT’’, et se cadrant au contraire dans la revendication de ‘‘gouvernement de salut national’’ préconisée par la direction du Front Populaire.

    Le 3 août, la LGO a produit une déclaration, reproduite sans la moindre critique en anglais sur le site ‘International Viewpoint’ (le site international du Secrétariat International de la Quatrième Internationale) arguant que ‘‘Pour faire face aux conditions économiques et sociales actuelles, il faut combattre les facteurs de l’hémorragie financière de l’Etat et augmenter ses ressources, afin de permettre au gouvernement de salut de mettre en œuvre son programme en se basant essentiellement sur nos propres capacités nationales ( … ).’’ De manière incroyable, le texte va jusqu’à demander à ‘‘soumettre les cadres de l’Etat et ses rouages à un plan d’austérité strict’’ et exiger ‘‘une contribution de solidarité volontaire des salarié-es d’un jour de travail pendant six mois’’ !

    Dès le premier jour des manifestations anti-gouvernementales après l’assassinat de Brahmi, le groupe de supporters du CIO a été le premier à sortir avec des tracts contestant cette orientation, refusant tout accord politique avec des forces qui défendent le capitalisme, exigeant une grève générale ouverte, et plaidant pour structurer la lutte dans tout le pays au travers de comités d’action de masse démocratiquement élus, afin de jeter les bases d’un ‘‘gouvernement révolutionnaire des travailleurs, des jeunes, des chômeurs et des pauvres, soutenu par l’UGTT et les militants du Front Populaire , l’Union des Chômeurs Diplômés (UDC) et les mouvements sociaux.’’

    En collaboration avec d’autres, les partisans du CIO en Tunisie sont désormais engagés dans un processus de recomposition de la gauche, en vue de fonder une nouvelle plateforme d’opposition, ouverte à tous, qui puisse organiser les militants du Front Populaire dissidents, et les travailleurs et les jeunes au sens large, autour d’un programme en adéquation avec les véritables aspirations de la majorité des Tunisiens.

    Le mouvement de masse a un besoin urgent de construire sa propre organisation politique indépendante. Cela ne peut être fait, à nos yeux, qu’en rejetant résolument toute transaction avec des forces de classe étrangères telles que la coalition autour de Nidaa Tounes. Agir en conformité avec ces forces ne peut que conduire à la défaite ; l’appel aux sacrifices au nom du bien commun, voilés sous la bannière du «salut national » ou de toute autre façade similaire, servira en réalité à ouvrir la voie à de nouvelles attaques sauvages sur les droits et les conditions de vie des travailleurs et des masses pauvres en Tunisie, et de faire reculer la révolution pour les bénéfices de la classe capitaliste.

    Tout indique qu’un ‘‘automne chaud’’ de grèves et de protestations sociales se profile en Tunisie. Si les batailles entre clans politiques au sommet peuvent, dans certaines circonstances, prendre le dessus sur les luttes sociales, et les dissimuler dans une certaine mesure, ces dernières ne peuvent être supprimées pour autant. Les couches de la classe ouvrière qui sont sorties pour réclamer la chute du gouvernement sont pleines d’amertume, et reviendront inévitablement sur la scène pour réclamer leur du, et cela quelque soit le visage du nouveau gouvernement qui suivra la chute, quasi inévitable, de celui d’Ennahda.

    La gauche doit se préparer à donner une direction effective à ces couches qui vont entrer en lutte dans les prochaines semaines et les prochains mois, et leur fournir une stratégie claire sur la façon dont elles peuvent enfin obtenir un gouvernement qui leur est propre et qui puisse représenter pleinement leurs intérêts. Le cas échéant, d’autres forces réactionnaires vont s’engouffrer dans le vide politique, et se voir offrir la possibilité de se présenter comme étant les meilleurs défenseurs soit de la foi, soit de «l’intérêt national», faisant usage d’une rhétorique sans contenu de classe afin de détourner les objectifs initiaux de la révolution et d’imposer leur agenda contre-révolutionnaire.

    Les événements qui se déroulent en Égypte doivent servir d’avertissement: l’explosion révolutionnaire sans précédent du 30 Juin dernier contre le règne des Frères Musulmans a été détournée par les militaires, du fait que le mouvement ouvrier ne disposait pas de sa propre expression politique. L’ex-président de la Fédération égyptienne des syndicats indépendants (EFITU), Kamal Abou Eita, a accepté un poste de ministre du Travail et de l’Immigration dans le nouveau gouvernement post-Morsi. Une fois nommé à son poste, il a proclamé: ‘‘Les travailleurs, qui étaient champions de la grève sous l’ancien régime, doivent maintenant devenir champions de la production’’! Les erreurs de certains dans la gauche égyptienne à avoir offert une caution à la prise du pouvoir par l’armée ont été utilisées pour désarmer politiquement les travailleurs et pour attaquer leurs luttes, tandis que les vestiges de l’‘‘Etat profond’’ de l’ère Mubarak, certaines figures-clés de l’ancien régime, les services de sécurité intérieure et les réseaux de patronage de l’ex-parti au pouvoir le NPD font clairement un retour en force sur la scène.

    Direction et programme

    Ni Ennahda et ses partenaires au sein de la Troïka, ni ‘l’Union pour la Tunisie’, ni aucune des variations islamistes du type salafiste ou djihadiste, n’ont un programme sérieux de transformation économique à offrir aux masses. Tous utilisent différentes cartes idéologiques afin de sanctifier une société fondée sur des privilèges matériels considérables attribués à une poignée de gens, tandis que la majorité de la population doit accepter une spirale incessante vers le bas.

    La gauche marxiste doit offrir un chemin visant à couper court aux divisions ‘‘religieux / non-religieux’’, à travers la construction d’une lutte commune de tous les travailleurs et les pauvres visant à renverser le capitalisme. Une telle lutte doit intégrer la défense de droits politiques égaux pour tous, y compris le droit de chacun et de chacune à pratiquer sa religion, ou de n’en pratiquer aucune, sans ingérence de l’État.

    Les deux grèves générales de masse anti-gouvernementales qui ont déjà eu lieu en Tunisie cette année , parmi beaucoup d’autres exemples, ont démontré qu’il existe une volonté incontestable parmi la classe ouvrière, la jeunesse et les pauvres, de se battre pour un véritable changement révolutionnaire, et, pour commencer, de faire tomber le gouvernement actuel– à condition qu’il existe une direction digne de ce nom pour animer leur lutte. Mais c’est bien là que le bât blesse.

    Comme un article de l’agence de presse ‘Reuters’ le mentionnait récemment, en faisant des références aux événements en Egypte ‘‘L’Union générale tunisienne du travail (UGTT ) n’a ni chars, ni ambitions militaires, mais elle peut se targuer d’une armée d’un million de membres qui éclipse les partis politiques, maintenant à couteaux tirés à Tunis.’’

    Pourtant, l’image assez révélatrice de manifestants tunisiens scandant « le peuple veut la chute de l’Assemblée nationale constituante », tandis que l’UGTT plaidait officiellement pour son maintien, a mis en évidence le contraste évident entre les «solutions» offertes par la direction nationale de l’UGTT et le sentiment qui règne parmi les masses.

    Plutôt que de jouer le rôle embarrassant de conciliateurs entre le parti au pouvoir et l’opposition, et de réanimer sans cesse les tentatives futiles au ‘dialogue national’, rôle que les principaux leaders de l’UGTT ont joué allégrement dans le cours des dernières semaines, ces mêmes dirigeants auraient pu utiliser -et pourraient toujours utiliser- la force massive et influente de leur syndicat pour paralyser le pays du jour au lendemain et balayer d’un revers de la main le gouvernement et l’Assemblée Constituante. C’est ce que les partisans du CIO en Tunisie n’ont eu cesse de mettre en avant.

    Un tel geste audacieux, déployant la pleine puissance du mouvement ouvrier organisé, couplée avec la mise en place de comités d’action élus démocratiquement et structurés dans tout le pays, pourrait servir de base pour contester et renverser le pouvoir en place et le remplacer par une Assemblée Constituante révolutionnaire, véritable Parlement des masses opprimées, basée sur la puissance et l’organisation du mouvement révolutionnaire dans tous les recoins de la Tunisie: dans les rues, dans les usines et les lieux de travail, dans les écoles et les universités, dans les quartiers, etc

    Un gouvernement révolutionnaire des travailleurs, des jeunes et des pauvres pourraient couronner ce processus, et entamer ainsi la transformation de la société selon les désirs de la majorité de la population, en nationalisant les secteurs-clés de l’économie, afin d’élaborer une planification rationnellement organisée de la production pour répondre aux besoins sociaux de tout un chacun.

    A cet effet, la reconstruction d’un front unique, sur la base d’une perspective de classe indépendante, armée d’un véritable programme socialiste et internationaliste, est à notre avis la seule voie vers la victoire révolutionnaire.

  • Syrie : Non à l’intervention impérialiste !

    Un flot incessant d’images sanglantes, de vidéos et de rapports de l’insupportable souffrance infligée aux masses syriennes a été diffusé dans le monde entier via les médias sociaux, les smart phones et les canaux d’information traditionnels. Initialement, en 2011, à la suite des révolutions en Tunisie et en Egypte, un soulèvement populaire a pris place contre le régime policier de Bachar el-Assad. Mais les monarchies semi-féodales d’Arabie Saoudite et du Qatar ainsi que les puissances impérialistes sont intervenues et ont livré un énorme soutien financier et militaire dans l’espoir de faire dérailler ce mouvement.

    Editorial de l’hebdomadaire The Socialist (journal du Socialist Party, CIO-Angleterre et Pays de Galles)

    Le soulèvement contre la dictature d’Assad a été détourné en un conflit sectaire et a, en outre, déclenché une lutte dangereuse entre sunnites et chiites à l’échelle régionale. Le bilan des décès après ces années de conflit est estimé à plus de 100.000 morts. Deux millions de personnes ont fui la Syrie et environ cinq millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du pays. Les horreurs se succèdent les unes aux autres.

    Pour l’écrasante majorité des gens, la révélation de l’utilisation d’armes chimiques à Ghouta, un quartier de Damas, parait ouvrir un infernal nouveau chapitre de souffrances pour les masses. Les rapports qui font état de centaines de morts de milliers de blessés sont véritablement horribles.

    Compte tenu de tout ce qui s’est déjà passé et de la menace de la déstabilisation régionale qui se profile, l’aspiration à trouver une solution face à cette horreur est une réaction tout à fait humaine. Mais espérer que les gouvernements américain et britannique ainsi que leurs alliés en France, en Allemagne et en Turquie puissent livrer cette solution est une terrible erreur au vu de l’Histoire à la fois récente et plus ancienne.

    Les frappes aériennes

    Au cours de ces derniers mois, le président américain Barack Obama a averti à cinq reprises que l’utilisation d’armes chimiques en Syrie constituerait une ‘‘ligne rouge’’ qui déclencherait une riposte internationale. Trois navires de guerre américains se trouvent déjà en Méditerranée, et un autre est destiné à les rejoindre. Des pilotes chypriotes ont rapporté avoir aperçu des avions de guerre sur l’aérodrome britannique à Chypre.

    Le ministre des Affaires Etrangères britanniques, William Hague, a préparé le terrain pour une intervention en Grande-Bretagne, ce qui indique que l’absence de mandat de la part de l’ONU ne constituera pas un obstacle : ‘‘Il est possible de prendre des mesures fondées sur une grande détresse humanitaire.’’ Il a laissé entendre qu’une intervention, très probablement des bombardements aériens intensifs, pourrait prendre place au cours de ces prochaines semaines, si pas au cours de ces prochains jours. Le conseil de sécurité des Nations Unies est divisé, la Russie et la Chine s’opposant à toute intervention dans l’intérêt de leurs propres classes capitalistes.

    Il semblerait également que William Hague soit en contact avec les régimes dictatoriaux et répressifs du Qatar et d’Arabie Saoudite, qui accueilleraient avec bienveillance une défaite d’Assad pour les répercussions que cela aurait sur l’Iran et le Hezbollah. L’Iran a averti que l’intervention militaire occidentale va déstabiliser la région.

    Le spécialiste du Moyen Orient Patrick Cockburn (correspondant au Moyen Orient depuis 1979, pour le Financial Times initialement et actuellement pour The Independent). a souligné la difficulté de déterminer qui est véritablement responsable de la récente attaque à l’arme chimique.

    Les inspecteurs de l’ONU avaient reçu la garantie de l’accès aux lieux et d’un cessez-le-feu, mais ils ont essuyé des tirs et ont été retirés de la région en quelques heures. Cela n’est pas en soi de nature à démontrer qui est responsable, et ces inspecteurs n’avaient de toute manière pour fonction que de déterminer s’il y avait bien eu recours aux armes chimiques, pas de prendre position quant au responsable.

    Avant que les inspecteurs de l’ONU se soient prononcés sur cette question, le secrétaire d’Etat américain John Kerry a déclaré que les Etats-Unis trouvaient ‘‘incontestable’’ l’utilisation d’armes chimiques en Syrie et que les forces du président Bachar el-Assad avaient commis une ‘‘obscénité morale’’ contre son propre peuple.

    ‘‘Obscénité morale’’, voilà une expression qui pourrait très bien s’appliquer à la destruction de l’Irak et l’utilisation de phosphore blanc et d’uranium appauvri, à la prison à ciel ouvert où sont enfermés les Palestiniens dans le dénis de leurs droits démocratiques et nationaux, au silence face au génocide commis au Sri Lanka contre la minorité tamoule, sans encore mentionner l’emploi massif d’armes nucléaires et chimiques de la part des puissances impérialistes.

    En dépit de l’aspiration à mettre fin au massacre en cours en Syrie, il existe une large opposition publique intérieure tant aux Etats-Unis qu’en Grande-Bretagne quant à une intervention militaire. Le souvenir de l’invasion de l’Irak et des ‘‘preuves’’ montées de toute pièce selon lesquelles Saddam Hussein disposait d’armes de destruction massive sont encore vifs. Ce sentiment est encore aggravé par le fait que le gouvernement britannique n’ait pas publié les résultats de l’enquête Chilcot, la commission d’enquête publique concernant l’intervention du Royaume-Uni en Irak.

    Dans le cadre de ses promesses électorales, Obama s’était engagé à mettre fin à l’engagement américain en Irak et à en finir avec l’ère belliciste des années Bush. Mais il est au contraire devenu un président en guerre avec la multiplication de l’utilisation de drones meurtriers en Afghanistan et au Pakistan, malgré le retrait d’une partie des troupes sur le terrain, et le maintien de la prison de Guantanamo. 60% de la population américaine s’oppose à une intervention militaire US en Syrie.

    Mais tant le gouvernement américain que le gouvernement britannique ont intérêt à apparaître comme des héros et des ‘‘défenseurs de la démocratie’’ aux yeux des masses syriennes, car ils sont embourbés dans cette profonde crise du capitalisme sans avoir de solution pour y faire face, sur fonds d’une colère croissante contre eux.

    La guerre d’Irak

    Dans la période qui a précédé l’invasion de l’Irak, les Libéraux-Démocrates (actuellement au pouvoir avec les Conservateurs de David Cameron) s’étaient vaguement présentés comme un parti anti-guerre en s’opposant à toute intervention sans mandat de l’ONU. Selon nous, l’ONU ne saurait être invoquée en tant qu’arbitre dans l’intérêt du peuple irakien, car cette institution est dominée et composée de représentants des principaux gouvernements impérialistes et bellicistes. Mais aujourd’hui, l’ancien dirigeant des Libéraux-Démocrates, Paddy Ashdown, fait valoir que, dans le cas de la Syrie, une action unilatérale est préférable à l’inaction.

    Le Ministre des Affaires Etrangères du cabinet fantôme travailliste (le ‘‘gouvernement en opposition’’) Douglas Alexander a demandé que le Parlement soit convoqué sur cette question. David Cameron semble enclin à le faire, même s’il fait face à une légère opposition de certains de ses propres députés en raison des complications et des risques qu’une intervention représenterait pour l’avenir de toute la région.

    Les Travaillistes n’ont cependant pas indiqué comment ils voteraient au Parlement. Un véritable parti de gauche représentant les intérêts des travailleurs et de leurs familles serait massivement opposé à toute forme d’action militaire en Syrie. Mais le Parti Travailliste a derrière lui une longue expérience de fauteur de guerre, notamment avec l’envoi de troupes en Irak dans le cadre d’une guerre pour le pétrole unilatéralement bénéfique aux intérêts des grandes entreprises et à des fins stratégiques.

    Dans l’opposition, les Travaillistes ont fait preuve d’une attitude qui n’a consisté qu’à se prosterner devant les politiques d’austérité pourries du gouvernement. Encore une fois, il est nécessaire de construire une nouvelle force politique large pour donner une voix à l’écrasante majorité de la population qui s’oppose à la guerre et à l’austérité.

    Il n’existe aucun espoir qu’une action de la part de ce gouvernement ou de ses homologues internationaux aboutisse au soulagement des peines des populations de Syrie ou du Moyen-Orient. En fait, il est précisément certain que l’augmentation des bombardements conduira à une augmentation des souffrances des masses. Et c’est pourquoi il faut combattre l’intervention impérialiste.

    Un ‘‘Changement de régime’’ ne figure pas dans les objectifs publiquement cités, car Assad dispose d’un régime relativement fort, en raison de l’opposition farouche de la Russie et parce que la question de savoir ce qui remplacerait le régime actuel est problématique. Compte tenu de l’importance de la présence d’Al-Qaïda en Syrie, il existe aussi de graves dangers qu’un ‘‘retour de manivelle’’ avec une croissance du terrorisme dans la région et en Grande-Bretagne et parmi ses alliés dans cette aventure.

    Le capitalisme n’a aucune solution à offrir dans ce conflit autre que de menacer, comme c’est le cas dans la région, de conduire à un conflit ethnique plus important et qui pourrait durer des années. Il ressort très clairement d’Irak, de Libye et de tous les autres cas d’interventions militaires impérialistes que les intérêts de la classe ouvrière et des pauvres ne sont pas pris en compte.

    Il n’existe aucun raccourci permettant d’éviter la question de l’encouragement de la construction des forces indépendantes de la classe ouvrière, seules capables d’unir les pauvres et les opprimés qui souffrent de l’activité des forces impérialistes et de leurs alliés semi-féodaux et capitalistes dans la région.

    • Non à l’intervention impérialiste ! Pour le retrait de toutes les forces étrangères de Syrie et de la region.
    • Contre toutes les oppressions, le peuple doit démocratiquement décider de son destin.
    • Pour la construction de comités de défense unifés et non-sectaires afin de défendre les travailleurs, les pauvres et les autres contre les attaques sectaires de n’importe quel camp.
    • Pour la construction d’un mouvement de lutte pour un gouvernement de représentants des travailleurs et des pauvres.
    • Pour une assemblée constituante révolutionnaire en Syrie.
    • Pour l’instauration des droits démocratiques et nationaux des masses, y compris le droit à l’auto-détermination des Kurdes avec, si tel est leur souhait, le droit de disposer de leur propre Etat.
    • Pour la construction de syndicats et de partis des travailleurs avec un programme de distribution des terres aux masses et de gestion des entreprises par les travailleurs, dans le cadre d’un programme pour une économie socialiste démocratiquement planifiée.
    • Pour une confédération socialiste démocratique du Moyen Orient et d’Afrique du Nord.
  • Égypte : Non aux généraux ! Non aux islamistes ! Pour une action indépendante des travailleurs et des pauvres !

    Des centaines de victimes tandis que l’armée tente de consolider son pouvoir dans le sang

    Des millions de personnes dans le monde entier, et surtout au Moyen-Orient, ont été choquées par le meurtre de centaines de civils désarmés au cours du nettoyage brutal des deux camps pro-Morsi au Caire. Au cours des jours qui ont suivi, l’armée a poursuivi son offensive. Le sectarisme croissant menace l’avenir de la révolution : il est urgent pour les travailleurs d’entreprendre une action indépendante de classe.

    Robert Bechert, Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO)

    En dépit de leur ampleur, les récentes manifestations de soutien au président déchu Morsi n’ont pas été aussi grandes que les immenses manifestations anti-Morsi d’il y deux mois. En fait, les deux camps pro-Morsi, bien qu’embarrassants pour le nouveau régime militaire, ne constituaient pas de menace directe et immédiate pour le régime. Le calendrier et la brutalité de ces interventions étaient essentiellement une démonstration de force des généraux, un avertissement destiné à intimider toute opposition, future ou actuelle, au règne de l’armée.

    C’est pourquoi on constate déjà une grande remise en question de cette situation et à une opposition, même parmi ceux qui n’ont que très peu de sympathie, voire aucune, pour les Frères Musulmans. Il est clair que ces attaques sont organisées par des généraux corrompus qui n’ont absolument aucun crédit “démocratique’’. La population craint maintenant – à juste titre – que tout cela soit une tentative d’instaurer un nouvel “État sécuritaire” à l’instar de celui du dictateur déchu Moubarak, sous une nouvelle direction. Ces attaques ont également énormément polarisé la société, cette polarisation ne se faisant toutefois pas selon des lignes de classe, mais selon une ligne anti- ou pro-militaires.

    Nombreux sont ceux qui ont été choqués par la violence. On fait état du développement de groupes d’auto-défense, pro- comme anti-Morsi, dans divers quartiers du Caire. Ces groupes doivent être construits démocratiquement et être coordonnés afin de construire un large mouvement non-sectaire des travailleurs pour prendre le contrôle de leurs propres vies et de leur propre avenir. Mais si n’apparait aucun mouvement indépendant organisé par la classe des travailleurs, et si la bataille pour l’avenir de l’Égypte reste cantonnée aux deux camps des généraux et des forces religieuses conservatrices, alors ces évènements risquent de sérieusement dérailler le cours de la révolution débutée en 2011. Les véritables syndicats et les organisations des travailleurs sont la seule force capable d’unifier toutes les couches de la société en lutte contre la dictature et contre l’exploitation capitaliste.

    Dès le lendemain de la chute du président Morsi, le CIO avait prévenu du fait que le coup d’État perpétré par les généraux égyptiens, loin de servir les intérêts de la révolution, avait pour but de mettre un terme à l’énorme mobilisation de plus de 17 millions de manifestants anti-Morsi en juin et juillet pour éviter qu’elle ne dégénère en une nouvelle révolution démocratique, et de confisquer le pouvoir pour eux-mêmes (voir notre article à ce sujet). Ce coup d’État ‘‘a ouvert les portes aux dangers du sectarisme, à différentes variétés de contre-révolution et à la possible défaite finale de la révolution.’’

    La brutalité employée pour vider les camps et la répression sanglante des manifestations qui ont suivi, avec leur cortège de morts parmi les manifestants pro-Morsi, ne fait que nous donner un avant-gout de la manière dont ces généraux ont décidé de gérer toute opposition à leur règne.

    Attaques contre les travailleurs

    Si, à présent, ce sont surtout des manifestants pro-Morsi qui sont réprimés, deux jours avant l’attaque sanglante du 14 août sur les camps pro-Morsi, le régime a entamé une offensive contre les travailleurs qui occupent l’usine de Suez Steel, arrêtant deux des dirigeants du comité de grève.

    En plus de démontrer le caractère de classe de ces généraux pro-capitalistes, l’attaque sur Suez Steel n’était pas la première subie par les travailleurs dans l’Égypte post-Moubarak. Le gouvernement Morsi avait lui aussi révélé son caractère pro-capitaliste lorsqu’en février dernier, les forces de sécurité avaient attaqué l’occupation de l’usine Portland Cement à Alexandrie.

    Depuis la chute de Morsi le 3 juillet, les chefs de l’armée, dirigés par le général Al-Sisi, ont tout fait pour consolider leur pouvoir. Les anciennes unités de sécurité de l’ère Moubarak ont été réactivées. Les deux-tiers des nouveaux gouverneurs provinciaux qui ont été nommés par le régime le 13 août sont des généraux de l’armée ou de la police, dont certains ont déjà ‘‘brillamment démontré à maintes reprises leur hostilité à la révolution de 2011’’ (The Economist, 17 août 2013).

    Un analyste a affirmé que : ‘‘Ce qu’a vécu l’Égypte depuis le coup d’État a été le retour systématique de l’armée et de l’État policier, avec des arrestations arbitraires, la censure des médias et le meurtre de manifestants,… L’appareil sécuritaire est en train de prendre sa revanche sur les deux années pendant lesquelles il s’est senti menacé par la possibilité d’un nouvel ordre qui le forcerait à devoir rendre des comptes. Depuis le coup d’État, cet appareil estime qu’il a repris entre ses mains le contrôle de la situation et qu’il est prêt à frapper durement quiconque se dresse devant lui, quelle que soit son idéologie.’’ (The Guardian, 16 aout 2013)

    Mais l’armée n’a pas simplement effectué un coup d’État. Elle prétend toujours agir en vertu du mandat que lui aurait soi-disant conféré le peuple via le puissant mouvement anti-Morsi du mois de juin. Si les généraux ont pu prendre le pouvoir, c’est parce que, malheureusement, cet immense mouvement rassemblant des millions de personnes ne bénéficiait pas de sa propre direction indépendante et représentative capable et déterminée à montrer au mouvement comment il pourrait lui-même prendre le pouvoir. Les généraux ont donc pris l’initiative, et se sont emparés du pouvoir en prétendant agir au nom des manifestants.

    Le fait que l’armée ait pris le pouvoir a permis aux dirigeants des Frères Musulmans de se présenter comme les ‘‘défenseurs de la démocratie’’, même si la brève présidence de Morsi avait été marquée par des méthodes de plus en plus autoritaires. En même temps, il ne fait aucun doute que – au vu de la brutalité avec laquelle les camps ont été réprimés et de la violence avec laquelle les manifestations ont été réprimées en plus de la manière dont les généraux sont en train de consolider leur pouvoir de plus en plus ouvertement – même ceux qui ont souhaité la chute de Morsi vont maintenant se poser des questions, connaitre des doutes et entrer en opposition. Mais ce processus ne va pas forcément se développer de manière linéaire.

    Le sectarisme croissant, qui se reflète dans les attaques contre les églises de la minorité chrétienne à cause du soutien apparent donné à l’armée par les dirigeants chrétiens, pourrait avoir pour conséquence le fait que certaines personnes en viennent à considérer l’armée comme une force protégeant le pays du conflit religieux et de la violence djihadiste. Mais ce n’est pas le cas. C’est en réalité le coup d’Etat de l’armée contre Morsi, et le soutien accordé à ce coup d’État par de nombreux gouvernements étrangers, qui suscitera le développement d’une guérilla islamiste et d’une activité terroriste, vu que les partisans des partis islamistes de droite tireront de tout ceci la conclusion que la stratégie suivie par les Frères Musulmans (l’arrivée au pouvoir via les élections) a échoué. L’impact de ces évènements se fera ressentir à travers tout le Moyen-Orient et au-delà.

    Le danger dans la situation actuelle est qu’il semble à présent n’y avoir qu’une bataille entre les Frères Musulmans et autres dirigeants sectaires, conservateurs et réactionnaires, d’un côté, et les chefs de l’armée de l’autre côté, comme le Comité pour une Internationale Ouvrière l’avait déjà dit. ‘‘Dans une telle situation, il est absolument essentiel de redoubler les efforts en vue de la construction d’un mouvement des travailleurs indépendant, pas seulement des syndicats, qui puisse offrir une véritable alternative et force d’attraction pour tous les travailleurs et les pauvres qui soutiennent Morsi à cause de leur opposition à l’armée et à l’ancienne élite. C’est la seule manière par laquelle le mouvement prolétaire peut tenter de limiter la capacité de nuisance des groupes religieux fondamentalistes réactionnaires qui se présentent comme les principaux adversaires du régime militaire.’’ (Égypte : la polarisation grandit – Aucune confiance dans les généraux!)

    Depuis le début de la révolution de 2011, on a vu une impressionnante croissance du mouvement ouvrier en Égypte. Les luttes des travailleurs, qui étaient déjà importantes avant la chute de Moubarak, se sont énormément développées. Il y a un énorme mouvement en direction des syndicats indépendants, dont le nombre de membres est passé de moins de 50.000 au moment de la chute de Moubarak à plus de 2,5 millions aujourd’hui ; en plus des 4 millions de personnes qui sont membres des syndicats officiels contrôlés par l’État. Ces derniers temps, on a vu le nombre de grèves atteindre 800 par mois ; pas seulement pour une amélioration des salaires et des conditions de travail, mais aussi pour contester les directeurs mis en place par Moubarak et encore à leur poste, le licenciement de délégués et la privatisation.

    Cependant, depuis la chute de Moubarak, on n’a pratiquement pas entendu de voix indépendante en provenance du mouvement ouvrier. En fait, Kamal Abu Eita, président de la Fédération des syndicats indépendants d’Égypte (EFITU), est devenu ministre du Travail et a du coup commencé à se prononcer contre les grèves. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire que nous voyons un dirigeant syndical être nommé dans un gouvernement capitaliste dans le but expres de freiner les luttes et de tenter de faire accepter aux travailleurs un gouvernement militaire. Officiellement, trois fédérations syndicales ont soutenu l’appel du général Al-Sisi à une manifestation de masse le 26 juillet pour soutenir le nouveau gouvernement. Il est à ce titre intéressant de noter que l’exécutif de l’EFITU ait voté cette motion de soutien à 5 voix contre et 9 voix pour.

    Cette politique de soutien au régime militaire est la meilleure route pour le désastre du point de vue syndical. Les organisations des travailleurs doivent formuler leur propre programme indépendant de classe, afin de présenter une voie de sortie de crise qui évite à la fois la consolidation du régime militaire et la hausse des divisions et de la violence sectaires.

    Directement, la question principale est l’organisation de comités de défense des quartiers et des entreprises qui soient non-sectaires et démocratiques partout dans le pays, afin de se protéger contre les attaques de l’État et des forces sectaires. Les organisations des travailleurs ont le potentiel de mener à bien cette tâche, combinée à l’expression d’une alternative politique à l’armée, aux Frères Musulmans et au règne des capitalistes. Avec un tel programme, il serait possible au mouvement des travailleurs de commencer à saper l’autorité à la fois des généraux et des Frères Musulmans.

    Les syndicats, et en particulier l’EFITU, doivent exiger qu’Abu Eita quitte le gouvernement, doivent lancer leur propre campagne contre la répression, le sectarisme et le régime militaire, pour la défense des droits démocratiques et pour des élections immédiates à une Assemblée Constituante Révolutionnaire afin que le peuple égyptien puisse décider lui-même de son avenir.

    Pour le général Al-Sisi et ses camarades de l’armée, la tâche de rebâtir un “État sécuritaire” ne sera pas aisée. La révolution n’est pas finie. La rapidité de la désillusion et l’explosion de l’opposition au régime Morsi montrent aussi la vitesse à laquelle une opposition peut à nouveau se développer.

    Bien que le caractère sanglant des évènements de ces derniers jours puisse évidemment produire une hésitation et la crainte de la répression et de la croissance du sectarisme, cette peur ne va pas durer éternellement. La profonde crise économique et sociale que connait l’Égypte, en plus de l’émergence d’une puissante force ouvrière, va forcément mener à un renouveau des luttes.

    L’expérience des travailleurs sous ce nouveau régime militaire, comme on l’a vu avec le conflit autour de Suez Steel, en plus de la violence horrible avec laquelle les manifestations ont été réprimées, va saper une grande partie du soutien qui avait été accordé au départ au dégagement de Morsi par l’armée. Cela peut créer des possibilités de gagner un soutien à une politique socialiste. Mais cela ne se fera pas de manière automatique, car les forces religieuses sont elles aussi dans la danse et pourront elles aussi bénéficier du soutien de l’opposition ou de ceux qui rejoindront prochainement l’opposition au nouveau régime.

    Les organisations de gauche et les organisations des travailleurs ne doivent pas accorder le moindre soutien à ce régime militaire d’aucune manière ; il n’a jamais eu le moindre caractère progressiste. L’armée a agi pour chasser Morsi, non seulement pour défendre ses propres intérêts et privilèges, mais surtout pour couper court au mouvement de masse anti-Morsi qui ne cessait de croître et qui aurait pu mener à un approfondissement de la révolution, à un affaiblissement de l’État capitaliste et à des tentatives de s’en prendre au capitalisme lui-même. C’est la raison pour laquelle ce régime a été soutenu par les puissances occidentales dont les dirigeants, comme Obama, n’ont jusqu’à présent prononcé aucune véritable critique de la violence avec laquelle l’opposition est réprimée.

    Des erreurs à éviter

    Malheureusement, depuis le début de la révolution, la plupart de la gauche égyptienne s’est empêtrée dans de profondes contradictions.

    Un des plus grands groupes, les Socialistes révolutionnaires (SR, section égyptienne de l’IST, International Socialist Tendancy), sont passés de zigzag en zigzag. Au départ, dans leur déclaration du 6 juillet, les SR n’ont pas émis la moindre critique envers le coup d’État militaire.

    Contrairement au Comité pour une Internationale Ouvrière, les SR n’ont pas dénoncé le régime militaire ni cherché à expliquer que la véritable alternative à Morsi devait être la construction d’un mouvement capable de diffuser l’idée d’un gouvernement composé de représentants des travailleurs, des paysans et des pauvres. Maintenant, à la suite du dernier bain de sang, les SR ont publié une déclaration (le 14 août) dans laquelle ils s’écrient ‘‘À bas le régime militaire ! À bas Al-Sisi, chef de la contre-révolution !’’ Dans cette même déclaration, les SR déclarent n’avoir ‘‘jamais accordé le moindre soutien au régime de Mohamed Morsi ni aux Frères Musulmans. Nous avons toujours été dans les rangs de l’opposition à ce régime criminel et impuissant.’’ Pourtant, le fait est que les SR aient appelé à voter pour Morsi lors du second tour des élections présidentielles de 2012. Un tel manque de cohérence envers l’armée comme envers Morsi, ne peut que semer la confusion parmi les personnes que leurs discours atteignent.

    Dans le cadre d’évènements aussi tumultueux, le mouvement des travailleurs et la révolution, plus que jamais, ont besoin de clarté. Dès le moment du renversement de Moubarak, dans l’euphorie de février 2011, le CIO avait prévenu du fait que la révolution ne pourrait triompher que si elle était accomplie dans les intérêts des travailleurs, en ces termes : ‘‘Les masses égyptiennes doivent faire valoir leur droit de décider de l’avenir du pays. Aucune confiance ne doit être accordée aux personnalités du régime et à leurs maîtres impérialistes pour diriger le pays et les élections. Il doit y avoir immédiatement des élections libres, sous l’autorité de comités de masse des travailleurs et des pauvres, pour une Assemblée Constituante Révolutionnaire qui peut décider de l’avenir du pays.

    ‘‘Les comités locaux et de véritables organisations indépendantes de travailleurs qui se sont créés doivent être développés et reliés entre eux. Un appel clair pour la formation de comités démocratiquement élus sur tous les lieux de travail, dans les quartiers et dans les rangs de l’armée serait largement suivi.

    ‘‘Ces organes pourraient ainsi coordonner le renversement de l’ancien régime, maintenir l’ordre et la livraison de nourriture et, le plus important, constitueraient la base d’un gouvernement des travailleurs et des pauvres capable de détruire les restes de la dictature, de défendre les droits démocratiques et de construire une économie qui répondrait aux besoins économiques et sociaux des masses égyptiennes.’’ (Voir : Égypte : Moubarak est parti – que tout le régime dégage!)

    La réalisation de ce programme est encore plus cruciale et plus urgente aujourd’hui qu’alors.

  • Tunisie: A bas Ennahda, à bas la ‘Troika’ !

    L’UGTT et le Front Populaire doivent offrir une stratégie pour en finir avec le capitalisme – Non à des accords avec des forces liées à l’ancien régime!

    Vers un gouvernement révolutionnaire et socialiste des travailleurs, de la jeunesse, des chômeurs et des masses pauvres!

    Par Serge Jordan (CIO)

    Deux ans et demi après la chute de Ben Ali, la situation pour les masses tunisiennes n’a fait qu’aller de mal en pis, et la colère gronde comme jamais aux quatre coins du pays. Le fameux slogan de la révolution « pain, liberté, dignité nationale » n’a sans doute jamais autant été en contraste avec la réalité vécue sur le terrain par des millions de Tunisiens et de Tunisiennes, faite d’une explosion insupportable des prix, de l’absence d’emplois et de perspectives pour les jeunes, d’une augmentation de l’insécurité et de la violence terroriste, d’une paupérisation accélérée des classes moyennes, d’une « colonisation » rampante des rouages de l’appareil de l’Etat par le parti islamiste, d’attaques redoublées sur les maigres acquis démocratiques….

    Dans ce contexte, l’assassinat politique du dirigeant d’opposition de gauche Mohamed Brahmi ne pouvait être qu’un nouveau catalyseur de la furie des travailleurs, des jeunes et des masses révolutionnaires, dont la volonté de se débarrasser du régime de la ‘Troïka’ (la coalition au pouvoir dirigée par Ennahda) a atteint un point de non-retour. Depuis cet assassinat, le pays traverse une crise politique sans précédent, et, malgré la chaleur intense et le jeûne du Ramadan, vit au rythme des manifestations quotidiennes, des sit-in et des grèves, et d’un climat proche de l’insurrection dans certaines régions pauvres et militantes de l’intérieur du pays en particulier.

    Le pouvoir Nahdaoui au pilori

    La survie du régime islamiste en Tunisie est clairement posée. Les masses demandent partout la chute de ce dernier, et la centrale syndicale UGTT a émis un ultimatum d’une semaine au gouvernement pour se rendre avant d’envisager d’autres actions. Dans la capitale Tunis, tous les jours, des dizaines de milliers de manifestants se réunissent devant le Parlement au Bardo pour exiger la fin du gouvernement, un sit-in ouvert joint aussi par des ‘caravanes’ provenant de l’intérieur du pays.

    Même dans les coins les plus reculés de la Tunisie, des manifestations massives, y compris en pleine nuit, expriment clairement le rejet viscéral du pouvoir en place, tandis que le rassemblement pro-Ennahda de samedi dernier, point culminant de la contre-offensive du parti au pouvoir, faisait toujours pâle figure face au « million » de personnes annoncées au préalable par la direction de ce parti, et ce malgré tous les efforts logistiques déployés. Surtout lorsque l’on sait que beaucoup de ces manifestants étaient payés pour manifester leur attachement à la ‘légitimité’ !

    Le gouvernement est isolé comme jamais, sa cote de popularité est en chute libre dans les sondages, et son emprise sur la situation, en particulier dans les régions intérieures du pays, est proche de zéro. Dans certaines localités, des structures de pouvoir parallèles ont émergé de la lutte, montrant ce qu’il est possible de faire pour se débarrasser dans les faits de ce pouvoir honni. Le silence quasi complet dans les médias dominants sur ces développements indique l’état de panique qui traverse les classes dirigeantes quant au risque d’ « émulation » de ces expériences ailleurs.

    Dans la ville de Sidi Bouzid par exemple, berceau de la révolution tunisienne, les habitants refusent désormais tout lien avec les autorités officielles nahdaouies, et ont érigé un comité de Salut qui a pris en mains les affaires de la ville. La permanence locale du parti Ennahda a été fermée, et les manifestants se rassemblent quotidiennement devant les bâtiments du gouvernorat pour empêcher le retour de l’ancien gouverneur. Les forces vives de ce mouvement sont constituées de militants du ‘Front Populaire’ (coalition de divers partis de gauche et nationalistes) et de syndicalistes de l’UGTT. Des conseils similaires ont été créés dans trois localités dépendant du gouvernorat de Sidi Bouzid: Regueb, Mekessi et Menzel Bouzaine. Mais Sidi Bouzid n’est pas la seule région du pays à ne plus reconnaître le pouvoir central. Au Kef, à Gafsa, à Sousse, à Kairouan, et en bien d’autres endroits, des comités locaux sous diverses formes ont été mis sur pied en vue de gérer les affaires locales.

    Pour agrandir leur soutien de masse et assurer leur caractère authentiquement révolutionnaire, ces comités devraient être élus démocratiquement par la base, avec des délégués soumis à révocabilité. Par ailleurs, il est essentiel que ces expériences ne restent pas isolées à l’échelon local, car une telle situation donnerait plus de latitude à l’appareil d’Etat pour les étouffer dans l’œuf. Il est essentiel que tous les efforts soient au contraire entrepris en vue de les élargir à l’ensemble du territoire et, en les liant entre eux au travers de comités démocratiquement élus à chaque niveau, de poser les bases en vue de l’établissement d’un gouvernement des travailleurs, des jeunes et des masses pauvres. Un simple appel dans ce sens de la part de l’UGTT serait suffisant pour transformer la situation dans le pays en l’espace de quelques heures, de balayer le régime actuel dans les poubelles de l’histoire, et de donner un nouveau souffle à la révolution.

    Crise au sommet

    Le pouvoir tremble sur ses bases et est maintenant entré dans une phase avancée de désintégration. Les prétentions pathétiques des dirigeants d’Ennahda à parler encore au nom de la révolution ne vont tromper personne. Depuis que ce parti est arrivé au pouvoir, plus de 40.000 grèves, plus de 120.000 sit-ins, et environ 200.000 manifestations ont eu lieu à travers le pays. De quelle révolution parlent-ils donc?

    Tout indique que le gouvernement actuel ne survivra pas la présente crise. Déjà le ministre de l’Éducation, Salem Labyedh, a remis sa démission, et d’autres ministres ont menacé de faire de même. Ettakatol et le CPR, partis fantoches qui jouent depuis le début le rôle de cinquième roue du carrosse nahdaoui, continuent leur descente aux enfers, tandis que le porte-parole d’Ettakatol a annoncé que le parti se retirerait de la coalition gouvernementale à moins que le cabinet ne soit dissous et remplacé par un cabinet d’union nationale. La chute du gouvernement de la ‘Troïka’ n’est sans doute plus maintenant qu’une question de temps.

    Le grand révolutionnaire russe Lénine définissait comme « crise révolutionnaire » une situation marquée par l’impossibilité pour les classes dominantes de maintenir leur domination sous une forme inchangée, par l’aggravation plus qu’à l’ordinaire de la détresse et de la misère des classes opprimées, et par une accentuation considérable de l’activité des masses. Sans aucun doute, ces ingrédients évoquent la situation en Tunisie aujourd’hui, et le scénario exprimé par tant d’activistes d’une « nouvelle révolution » n’est pas loin.

    Cependant, Lénine rajoutait que la révolution ne surgit pas de toute situation révolutionnaire, mais seulement dans le cas où, à tous les changements objectifs énumérés ci-dessus, vient s’ajouter un changement subjectif, à savoir : « la capacité, en ce qui concerne la classe révolutionnaire, de mener des actions révolutionnaires de masse assez vigoureuses pour briser complètement l’ancien gouvernement, qui ne ‘tombera’ jamais, même à l’époque des crises, si on ne le ‘fait choir’. »

    D’où l’importance pour les révolutionnaires de s’armer d’un programme d’action audacieux et répondant aux nécessités du moment. Un parti de masse véritablement marxiste pourrait, dans une telle situation, faire une différence énorme et décisive. Les forces pour construire un tel parti ne manquent pas, parmi les dizaines de milliers de travailleurs et de jeunes tunisiens qui s’identifient aux idées socialistes et communistes, et dont beaucoup sont dans et autour de la coalition du Front populaire. Un programme pour un tel parti aurait besoin de s’enrichir des expériences passées, et en dégage les leçons nécessaires à chaque étape. Et une de ces leçons essentielles en Tunisie aujourd’hui est la nécessaire indépendance politique des forces révolutionnaires, des travailleurs et de leur syndicat l’UGTT, par rapport aux velléités et tentatives de sabordage de la révolution orchestrées par les classes ennemies.

    En effet, les forces néolibérales, celles liées à l’ancien régime ainsi que les puissances impérialistes, traversées par une vague de frayeur quant à la possibilité d’une nouvelle conflagration révolutionnaire, cherchent par tous les moyens à bloquer la dynamique en cours et à reconstruire un pouvoir politique capable de faire barrage aux revendications des masses, de préserver les intérêts de l’élite capitaliste et la continuité de son appareil d’Etat, mis à mal par les développements récents.

    Les déclarations de Néjib Chebbi, dirigeant du parti d’opposition libéral ‘Al Joumhouri’, qui évoque le risque d’un mois de septembre socialement « très chaud » et réfère aux conséquences de la crise sociale en termes quasi apocalyptiques, en disent long sur l’état d’esprit qui doit régner dans les villas et les salons de la bourgeoisie tunisienne. « Ce sera Siliana 1, 2, 3 .. à Sidi Bouzid, Gafsa, Kasserine, le Kef sans oublier les grandes villes du littoral, avec leurs cortèges de comités autonomes », dit-il.

    Ces gens savent maintenant que le régime de la Troïka est sur ses genoux, et tentent d’exploiter le mouvement en cours pour avancer leurs pions sur l’échiquier politique et, en jouant d’une certaine fibre populistes dans leurs discours, essaient par tous les moyens de canaliser la colère populaire dans un sens favorable aux classes dirigeantes. Face à ces pressions, Ennahda tente de sauver la face, et se dit prêt à ouvrir le gouvernement à d’autres partis, tout en refusant de céder le poste de chef du gouvernement.

    Cependant, la crise actuelle ne peut se résumer à une question de postes ministériels, à l’incompétence ou à la mauvaise foi de l’un ou de l’autre politicien. La crise actuelle trouve sa source dans l’incapacité de ceux au pouvoir d’offrir autre chose qu’une voie de garage aux revendications révolutionnaires des masses tunisiennes. Et ce pour une raison bien simple : ce pouvoir défend les intérêts de la classe capitaliste, des multinationales et des fonds d’investissements, des hommes d’affaires et des spéculateurs, tous ceux dont le seul but est de continuer par tous les moyens à exploiter le peuple tunisien pour satisfaire leur soif de profits.

    Dans cette optique, toutes les forces politiques qui défendent ce même système capitaliste, un système qui nage dans une crise économique profonde à l’échelle internationale, se retrouveront rapidement confrontées aux mêmes problèmes. C’est pour cela que pour accomplir les objectifs originaux de la révolution, derrière Ennahda c’est tout ce système qui doit dégager !

    Le Front Populaire face à ses responsabilités

    La coalition de gauche du Front Populaire rassemble de nombreux militants révolutionnaires, syndicalistes et de jeunes qui aspirent à poursuivre la révolution jusqu’au bout, jusqu’à un pouvoir au service des travailleurs et des masses populaires, un pouvoir qui en finisse avec le système d’exploitation capitaliste, et son lot de misère, de chômage et de répression.

    Cependant, la direction du Front Populaire lorgne de plus en plus ostensiblement vers des compromissions avec des forces hostiles au camp des travailleurs, des pauvres et de tous ceux et toutes celles qui ont fait la révolution. Les dirigeants du Front Populaire et de ‘l’Union pour la Tunisie’ ont ainsi tenu samedi une réunion de coordination qui scelle le rapprochement entre la direction du Front et un ensemble de partis dont plusieurs abritent des forces liées directement à l’ancien régime et à la bourgeoise destourienne.

    Le Front fait écho à ‘l’Union pour la Tunisie’ dans son appel à la constitution d’un gouvernement de « salut national ». Bien que nous comprenons que dans un contexte marqué par un vomissement du parti islamiste en place, un gouvernement dans lequel ce parti n’occupe plus le siège de conducteur pourrait être accueilli favorablement par une partie de la population, il est du devoir pour tous les révolutionnaires d’appeler un chat un chat. Il n’y a pas de « salut » possible avec des gens qui défendent le camp des patrons licencieurs, des semeurs de misère du FMI, et qui n’hésiteront pas demain à brandir la matraque face aux grèves et aux revendications des travailleurs, de la jeunesse au chômage et des masses pauvres au sens large. Les habitants de Sidi Bouzid l’avaient pourtant compris, eux qui l’an dernier criaient « ni Jebali, ni Sebsi, notre révolution est une révolution des pauvres ».

    Le seul objectif de partis comme ‘Nida Tounes’ est d’en finir avec la lutte des masses populaires, des jeunes et de classe ouvrière, au profit de certains clans de l’élite dirigeante et de grandes puissances qui sentent le vent tourner. Nida Tounes, c’est le parti de la restauration, et de la dictature sous une autre forme. Le règne de Sebsi sous son bref mandat provisoire a clairement démontré en quoi sa politique consiste : accords de Deauville avec les puissances du G8 pour poursuivre l’endettement de la Tunisie, ‘autorité de l’Etat’ érigé en dogme justifiant la répression systématique des mouvements sociaux, la torture et le meurtre de manifestants…

    Le CIO pense que la force du mouvement syndical tunisien et le poids du Front Populaire, au lieu de servir de ‘flanc gauche’ à des forces contre-révolutionnaires, devraient au contraire être mis au service de la lutte indépendante des masses laborieuses, en vue de constituer un pouvoir à elles, appuyé et contrôlé démocratiquement par des comités d’action à l’échelle de tout le pays. Si les dirigeants du Front refusent de respecter les aspirations de leur base, laquelle rejette en grande majorité des accords politiques avec des forces telles que ‘L’Union pour la Tunisie’, alors il revient aux militants et militantes de base de prendre les choses en main partout où c’est possible, afin de changer le cours des choses avant qu’il ne soit trop tard.

    Mettre sur pied une plate-forme organisée d’opposition de gauche regroupant tous les militants du Front populaire qui sont en désaccord avec la trajectoire politique actuelle menée par la direction pourrait être une étape vers la reconstruction d’une force de gauche de masse sur la base des aspirations initiales des membres et sympathisants du Front Populaire.

    L’UGTT

    De même, l’abandon par l’UGTT de la demande pour en finir avec l’Assemblée Nationale Constituante (ANC) a été largement perçue comme une trahison par nombre de militant(e)s. Cet abandon s’inscrit dans une logique de concessions vers un pouvoir pourtant rejeté dans la rue, alors que cette ANC n’a plus aucune légitimité, ni formelle, ni réelle. Aux yeux des masses, elle n’évoque qu’amertume et colère, une Assemblée remplie de politiciens opportunistes en tout genre, dont le train de vie est à mille lieux des préoccupations et des souffrances des travailleurs, des pauvres et de leurs familles. Cette ANC a failli, elle doit dégager. La seule Assemblée Constituante légitime serait une Assemblée composée de représentants sincères des couches qui ont fait la révolution, de syndicalistes, de chômeurs, de militants et de gens ordinaires qui partage le même quotidien que la majorité de la population.

    Au lieu de chercher à composer avec l’ANC actuelle, l’UGTT pourrait lancer une vaste campagne visant à encourager, dans toutes les localités du pays, la convocation d’assemblées générales sur les lieux de travail et dans les quartiers, visant à élire démocratiquement des représentants directement issus des masses et de leurs luttes, qui auraient la confiance et le contrôle de ceux et celles qui les ont élus, et seraient responsables et révocables à tout instant pour le travail qu’ils font. En partant directement de la base, de telles élections pourraient ainsi permettre l’érection d’une véritable Assemblée Constituante révolutionnaire, caisse de résonance la plus représentative possible du mouvement réel et des aspirations de la masse en lutte.

    Il n’y a pas de compromis possible ! L’UGTT et le Front Populaire peuvent et doivent en finir avec le régime pourri actuel et prendre le pouvoir dans leurs mains

    La direction du Front Populaire et celle de l’UGTT, au lieu de se tourner vers des forces de droite dont les intérêts divergent à 180 degrés avec ceux de la révolution, feraient bien mieux plutôt de proposer un plan d’action révolutionnaire clair aux masses tunisiennes afin de balayer non seulement le pouvoir actuel, mais aussi tout l’échafaudage économique sur lequel ce dernier repose. Chercher le grand écart avec des forces hostiles au peuple et à sa révolution ne peuvent mener qu’au manque de clarté, à la confusion et en définitive, à la défaite, dont la gauche risque de payer un prix très lourd.

    Bien sur, nous ne pouvons qu’appuyer l’appel à poursuivre les moyens de pression et la « désobéissance civile », mais ces mots d’ordre ont le défaut de rester assez flous. Le seul langage que ce gouvernement peut comprendre est le même langage que celui qui a fait tomber Ben Ali : celui du rapport de force dans la rue et dans les entreprises, celui du déploiement massif et coordonnée de la force de frappe de la classe ouvrière et de son puissant syndicat, l’UGTT.

    A temps exceptionnel, mesures exceptionnelles ! L’enjeu de la situation exige plus qu’une grève générale de 24H, surtout si celle-ci reste sans lendemain et sans objectifs précis. D’ores et déjà, plusieurs secteurs ont annoncé des actions de grève dans les jours et les semaines qui viennent. D’autant plus que la situation économique et sociale ne fait que se détériorer chaque jour un peu plus : les usines ferment, les patrons licencient, le chômage s’étend, et les mesures d’austérité imposées par le FMI frappent à la porte. Ce contexte sert de toile de fond aux bouleversements actuels.

    C’est avec toute cette situation qu’il faut en finir ! La dynamique du mouvement actuel doit être utilisée pour entamer une vaste campagne visant à restituer le pouvoir économique et les richesses à ceux qui travaillent et produisent. Dans ce sens, les exemples tendant vers l’occupation des bâtiments publics et vers l’auto-administration des affaires par la population elle-même doivent être encouragés à l’échelle des entreprises, des usines et des lieux de travail également.

    Pour en finir avec la dictature des bas salaires, des mauvaises conditions de travail et des licenciements, exigeons la nationalisation immédiate des entreprises qui ne garantissent pas l’emploi, et des centaines d’entreprises qui ont été privatisées dans les dernières décennies au profit d’une poignée de riches actionnaires ! Pour en finir avec la corruption des hauts cadres, avec l’augmentation continue des prix et l’évasion fiscale, exigeons l’ouverture immédiate des livres de comptes des grandes entreprises à des représentants élus du personnel ! Pour en finir avec le sous-développement des régions et le manque cruel d’emplois dignes de ce nom, luttons pour un plan massif d’investissement public, géré démocratiquement par la population !

    Pour réaliser tout ca, rien ne sera donné, tout devra être arraché par la lutte et la construction d’un rapport de force à la hauteur des enjeux. C’est dans ce sens que les sympathisants du CIO en Tunisie défendent la perspective d’une grève générale ouverte, en encourageant les travailleurs à occuper leurs lieux de travail. Un tel mouvement permettrait non seulement d’apporter le coup de grâce au gouvernement de la Troïka, mais aussi de remettre toutes les questions sociales et économiques au centre du jeu. Il permettrait de couper l’herbe sous le pied des partis pro-capitalistes de l’opposition qui surfent sur le mouvement actuel, et de préparer le terrain en vue d’une véritable révolution, sociale celle-là, donnant le pouvoir aux travailleurs, à la jeunesse révolutionnaire, aux chômeurs et aux pauvres, en vue de réorganiser la société selon leurs propres besoins sociaux.

    Au contraire, l’absence de mots d’ordre clair à l’échelle nationale sur comment prolonger et organiser les actions dans les jours prochains risquent de laisser place à la lassitude, la frustration et la démobilisation, et en définitive, pourrait laisser un terrain plus favorable à la contre révolution pour s’engager dans toutes sortes de manœuvres de coulisses pour restituer l’ordre selon le bon vouloir des classes dirigeantes et des grandes puissances impérialistes. <p< Pour éviter un tel scenario, structurer démocratiquement le mouvement par la base est d’une importance cruciale. Les sympathisants du CIO en Tunisie appellent à la constitution de comités révolutionnaire à l’échelle des entreprises, des lieux de travail et d’étude, des quartiers populaires, en vue d’organiser collectivement et démocratiquement le mouvement selon la volonté des masses mobilisées. De tels comités sont essentiels pour assurer le contrôle du mouvement par la base, et, par leur structuration locale, régionale et nationale, pourraient ainsi servir de levier vers l’institution d’un gouvernement révolutionnaire au service des travailleurs, des jeunes et des opprimés, appuyée par la force de l’UGTT, par les milliers de militants du Front Populaire, de l’UDC (Union des Diplômés Chômeurs) et des divers mouvements sociaux.

    Terrorisme

    Parallèlement au mouvement actuel, une montée fulgurante des actes de violence terroriste a pris place dans les deux dernières semaines sur plusieurs parties du territoire tunisien. Le gouvernement a multiplié les opérations policières et militaires « anti-terroristes » contre certains groupes ou individus jihadistes armés, tandis que 8 soldats tunisiens ont été sauvagement tués le 29 juillet au mont Chaambi, près de la frontière algérienne.

    Bien que les responsabilités derrière ces attaques ne soient pas clairement établies à ce stade, force est de constater que le gouvernement cherche à les instrumentaliser à son avantage, en tentant de recréer un sentiment d’unité derrière lui. C’est ainsi que Lotfi Ben Jeddou, ministre de l’Intérieur, s’est empressé de déclarer que « lorsqu’un pays est frappé par le terrorisme, tous ses citoyens serrent les rangs ».

    Pourtant, il est significatif que dans un récent sondage, 74% des Tunisiens font endosser à Ennahda la responsabilité de la montée du terrorisme dans le pays. La montée de l’extrémisme religieux a été favorisée tout au long du règne de la Troïka par le parti au pouvoir et ses milices, certains représentants nahdaouis appelant même ouvertement au meurtre d’opposants. C’était Bhi Atik, chef du Bloc Ennahda à l’Assemblée constituante, qui avait promis récemment que « Toute personne qui piétine la légitimité en Tunisie sera piétinée par cette légitimité et (…) la rue tunisienne sera autorisée à en faire ce qu’elle veut y compris de faire couler son sang » Pas étonnant dans ces conditions qu’une majorité de Tunisiens refusent de donner au gouvernement carte blanche sur ce sujet, pas plus que sur tous les autres sujets d’ailleurs.

    Face à la montée généralisée de la violence, la multiplication des assassinats politiques, des actions de milices réactionnaires, du terrorisme sanglant, il est essentiel que la population s’organise. L’autodéfense des quartiers, du mouvement révolutionnaire, des bâtiments publics, des syndicats, s’impose plus que jamais.

    La répression des mouvements pacifiques par les forces de l’Etat, telles que les tentatives de répression du mouvement populaire à Sidi Bouzid, montre aussi que la violence, bien que loin d’être au même niveau de barbarie, n’est pas l’exclusive de groupes terroristes pour autant. Pour éviter que les armes utilisées dans la lutte anti-terroriste aujourd’hui ne soient utilisées contre les révolutionnaires demain, il est essentiel de forger des liens entre le mouvement révolutionnaire et les forces armées sur lesquelles le pouvoir s’appuie aujourd’hui pour l’exercice de la violence, dont beaucoup sont issues du peuple. De plus, les soldats envoyées dans des opérations difficiles telles que celle au Mont Chambi gagnent bien souvent une misère, et n’ont pas de droits syndicaux.

    C’est pourquoi les sympathisants du CIO en Tunisie appellent à la constitution de comités de défense ouvriers et populaires partout où c’est possible. Et cela y compris au sein des forces armées, afin de faire valoir les intérêts des soldats du rang et leur droit à une rémunération et des conditions de travail décentes, à la hauteur des sacrifices exigés. Des appels à la constitution de comités de soldats démocratiquement élus dans l’armée, des appels à la désobéissance des forces de l’Etat et la défense de leur droit à refuser d’être utilisés pour réprimer la lutte des travailleurs et des jeunes, pourraient servir de base pour opérer la jonction entre les masses révolutionnaires en lutte d’une part, et, d’autre part, ces couches qui servent aujourd’hui de chair à canon pour les calculs abjects de la clique au pouvoir.

     

    • Troïka dégage! Pour une grève générale ouverte, jusqu’à la chute du régime
    • Non à des accords gouvernementaux avec des forces politiques qui défendent la continuation du capitalisme. L’ « Union pour la Tunisie » défend les hommes d’affaire, pas la révolution ni les travailleurs !
    • Pour un gouvernement des travailleurs, de la jeunesse et des masses pauvres, appuyé par les organisations de gauche, syndicales et populaires (UGTT, Front Populaire, UDC…)
    • Pour la répudiation de la dette – pour le rejet des accords avec le FMI – pour la nationalisation sous contrôle démocratique des travailleurs et de la collectivité, des banques et des secteurs vitaux de l’économie
    • Pour la lutte internationale des jeunes et des travailleurs contre le capitalisme et l’impérialisme – pour une société socialiste mondiale, où l’économie est planifiée démocratiquement selon les intérêts de la majorité.
  • L’eurodéputé Paul Murphy défend son appel à l’Intifada

    Le journal israélien Jerusalem Post a publié une condamnation de la prise de position de notre camarade le député européen Paul Murphy (membre de notre parti-frère irlandais le Socialist Party) en faveur d’une nouvelle intifada basée sur une lutte de masse pour renverser l’establishment capitaliste israélien. Cette déclaration était initialement apparue dans une interview accordée à Russia Today. Paul confirme et signe avec ce communiqué de presse.

    Par Paul Murphy

    Le prétendu scandale dont parlent des députés européens et d’autres partisans de l’élite israélienne au sujet de mon appel pour un mouvement de masse afin de stopper l’occupation israélienne est truffé de références aux ‘‘pourparlers de paix’’. En regardant le contexte de ces négociations dites de paix, on constate qu’une nouvelle autorisation a été accordée pour construire 1.000 nouvelles maisons pour les colons entre Bethléem et Jérusalem. Le gouvernement israélien poursuit sa stratégie de ‘‘politique par les faits’’ afin de rendre impossible toute base pour un Etat palestinien viable. Il est malheureusement clair que, sans un mouvement de masse avec des manifestations, des grèves et une résistance de masse contre l’occupation continuelle et la discrimination, rien ne pourra jamais conduire à la reconnaissance du droit à l’autodétermination du peuple palestinien.

    Au sein des frontière d’Israël, l’oppression et la discrimination à l’encontre de la population arabe se poursuit. Le raciste plan Prawer, approuvé par la Knesset, est un plan visant à détruire les logements de 40.000 nomades arabes dans le désert du Néguev.

    Les députés européens qui condamnent mon appel pour un mouvement de masse à l’instar de celui de la première Intifada le considèrent comme un appel à la violence ou à la terreur. Ils détournent délibérément mes propos ou alors ne connaissent rien de l’histoire de la lutte palestinienne. ‘‘Intifada’’ est tout simplement le terme arabe pour ‘‘rébellion’’, quelque chose de tout à fait justifié – et même de nécessaire – contre cette oppression systématique.

    La première Intifada, à laquelle je me réfère, a été en grande partie basée sur les tactiques de lutte de masse par la base. De grandes manifestations ont eu lieu, ainsi que des grèves, des manifestations aux postes de contrôle,… C’est selon moi toujours nécessaire aujourd’hui. La première Intifada a forcé l’establishment israélien à s’assoir à la table de négociation. Mais les aspirations de la population palestinienne ont été honteusement trahies par la direction de l’Autorité Palestinienne qui a signé les Accords d’Oslo.

    La déclaration de l’eurodéputé conservateur irlandais Sean Kelly selon qui il s’agit ‘‘d’un appel à la violence’’ est, au mieux, une expression de son ignorance. Mon appel visait explicitement à un mouvement de masse, je me suis toujours opposé aux tactiques contre-productives du terrorisme. Mais où peut-on trouver sa condamnation de la violence de l’État d’Israël contre les prisonniers palestiniens, contre ceux qui vivent à Gaza – qui est dans les faits une prison à ciel ouvert – et contre les manifestants pacifiques de Cisjordanie?

    La déclaration du député conservateur Gay Mitchell pour qui je serais ‘‘essentiellement à la recherche de publicité’’ est remarquable. Peut-être les milieux conservateurs ont-ils l’habitude d’utiliser les médias pour défendre leurs propres positions individuelles. En tant qu’internationaliste et socialiste, je lutte quotidiennement contre l’oppression à travers le monde, et je soutiens la lutte des opprimés. L’interview originale est d’ailleurs parue dans Russia Today, une chaîne qui ne peut pas compter sur un intérêt considérable en Irlande.

    Sans justice – ce qui signifie que l’occupation est entérinée et que le droit à l’autodétermination du peuple palestinien est nié – il ne peut y avoir de paix ou de sécurité. Les exemples des mouvements révolutionnaires en Egypte et en Tunisie constituent une source d’inspiration pour de nombreux Palestiniens. L’arrivée d’un ‘‘printemps palestinien’’ – un mouvement révolutionnaire de masse à l’instar celui d’Egypte ou de Tunisie – serait une énorme riposte contre l’establishment israélien.

    Une majorité de la population ordinaire juive israélienne ne soutient pas la politique d’occupation. Elle partage un ennemi commun avec les Palestiniens : l’establishment capitaliste israélien qui attaque les conditions de vie et les droits de tous les opprimés. Un mouvement de masse palestinien avec des manifestations et des grèves peut également toucher les travailleurs juifs israéliens et poser les bases d’une lutte commune pour que tous les travailleurs puissent jouir d’une réelle sécurité et de conditions de vie décentes.

    Le parti-frère du Socialist Party irlandais en Israël / Palestine, Maavak Sotzyalisti / Harakat Nidal Eshteraki (Mouvement Socialiste de Lutte) comprend des membres tant juifs israéliens que palestiniens et s’est engagé à tout faire pour construire une telle lutte de masse et un mouvement unitaire afin de renverser l’establishment capitaliste et de poser les bases d’une paix véritable fondée sur les intérêts des travailleurs et de leurs familles. Cela signifie concrètement une Palestine socialiste aux côtés d’un Israël laïc, démocratique et socialiste avec Jérusalem comme capitale commune, ouverte à tout le monde, et sur base du contrôle total des ressources et de l’économie par les travailleurs, dans le cadre d’une confédération socialiste des Etats de la région.

  • Égypte : la polarisation grandit – Aucune confiance dans les généraux !

    L’évolution orageuse et sanglante de la situation en Égypte après le retrait et l’arrestation du président Morsi par l’armée marque une nouvelle étape dangereuse et difficile dans le déroulement de la révolution égyptienne. Malgré l’immense mobilisation, sans précédent, des masses contre Morsi, l’absence d’un mouvement socialiste des travailleurs indépendant a ouvert les portes aux dangers du sectarisme, à différentes variétés de contre-révolution et à la possible défaite finale de la révolution.

    Robert Bechert, Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO)

    Le retrait de Morsi est survenu dans un contexte de mobilisation rapide avec un mouvement de 17 millions de manifestants (20 % de la population égyptienne) dans une série de manifestations de masse. (voir notre article “Protestations massives pour la chute de Morsi”)

    L’ampleur, la puissance et la rapidité de ce mouvement ont été époustouflantes. Cela reflète quelque chose que l’on voit souvent au cours des révolutions : après une période initiale d’euphorie et d’espoir, on voit souvent une nouvelle vague de mouvements de masse de la part de toutes les personnes déçues par les maigres résultats de la révolution.

    Morsi a connu une chute très rapide de sa popularité, qui était de toute façon dès le départ fort limitée. Au premier tour des élections présidentielles, Morsi n’avait remporté que 5,7 millions de voix, soit 11 % des 51 millions d’électeurs égyptiens. Les 13,2 millions de voix obtenues par Morsi au deuxième tour provenaient surtout du désir d’empêcher son rival, Shafiq, ancien commandant de l’armée de l’air et ex-ministre de Moubarak, d’arriver au pouvoir.

    Morsi et son gouvernement des Frères Musulmans ont été de plus en plus confrontés à une opposition de masse faisant irruption de toutes parts. L’échec apparent de la révolution, qui n’est jusqu’ici pas parvenue à apporter la moindre véritable amélioration sociale ou économique, en plus de la crise économique croissante, a suscité des grèves et des manifestations de plus en plus nombreuses. Pour beaucoup de gens, la tentative de “coup d’État constitutionnel” de Morsi en novembre 2012, par lequel il voulait s’octroyer plus de pouvoirs, a été le point tournant qui a provoqué la construction d’une opposition contre ce qui était perçu comme une tentative des Frères Musulmans de prendre le pouvoir. Au même moment, des membres de la vieille élite, y compris des chefs militaires qui contrôlent entre 8 et 30 % de l’économie nationale (Der Spiegel, 5 juin), se sont sentis menacés par la politique qui favorisait les hommes d’affaires proches des Frères musulmans. Ce n’est donc pas par hasard que les soutiens financiers des Frères Musulmans ont été parmi les premières cibles de l’armée.

    Ce qui était considéré comme une tentative par les Frères musulmans de s’assurer une domination politique a en outre accru l’opposition de la part des éléments laïcs et chrétiens parmi la population, ainsi que de la part de leurs rivaux islamistes, comme le parti Al Nour (fondamentalistes sunnites), qui ont rejoint les manifestations fin juin. Tout ceci a jeté les bases de la rapide réponse qu’a reçu l’appel du mouvement Tamarod (“Rébellion”) récemment formé qui a fait signer une pétition de masse demandant la démission de Morsi.

    Dans un certain sens, nous avons vu deux luttes bien distinctes contre Morsi. D’un côté, le mouvement populaire de masse ; de l’autre, les reliques du régime Moubarak, en particulier les chefs de l’armée qui ont leurs propres intérêts politiques et économiques, et qui tentent d’utiliser l’opposition de masse à leur propre avantage. Ainsi, The Economist (6 juillet) suggérait l’existence d’actions de sabotage de la part de sections anti-Morsi de la classe dirigeante, en écrivant que : ‘‘Personne n’a jusqu’à présent été capable d’expliquer l’effondrement soudain des stocks d’essence’’, juste avant la manifestation anti-Morsi de masse du 30 juin.

    Potentiel révolutionnaire et menace contre-révolutionnaire

    Ces deux éléments illustrent tous deux le potentiel et la menace autour de la révolution égyptienne.

    La rapidité et l’ampleur du mouvement démontre l’immense énergie et potentiel de la révolution. Mais en l’absence du développement d’un mouvement des travailleurs indépendant capable de lutter pour une alternative socialiste, les chefs de l’armée, aidés par toute une série de politiciens pro-capitalistes, ont été capables de tirer profit de la situation. Il est clair que les généraux voulaient à la fois neutraliser et éliminer Morsi, mais en même temps, ils craignaient que la situation ne puisse, de leur point de vue, “échapper à tout contrôle”. On rapporte que des travailleurs ont commencé à partir en grève le 3 juillet, et que d’autres encore prévoyaient de lancer une série de grèves anti-Morsi à partir du 4 juillet. Cela aurait pu mener la classe ouvrière à prendre l’initiative via une action de grève générale de masse. Les généraux ont évidemment tout fait pour conserver l’initiative et empêcher que Morsi ne soit chassé par une insurrection populaire.

    Les dirigeants militaires ont agi afin de défendre leurs propres intérêts personnels et ceux d’une partie de la classe dirigeante égyptienne. Au même moment, ils bénéficient du soutien tacite des grandes puissances impérialistes et de la classe dirigeante israélienne. Obama, Hague (ministre britannique des Affaires étrangères) et d’autres dirigeants impérialistes ont aussi émis de très faibles critiques envers le coup d’État des généraux. Étant donné leur rôle dans le passé, l’armée et les sécurocrates égyptiens ne peuvent que difficilement passer pour des “démocrates”. Mais cela n’inquiète pas forcément Obama & Co, qui sont toujours heureux de pouvoir compter sur tous les régimes autoritaires de la sous-région comme le Qatar, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, etc. de leur vendre des armes.

    Ce coup d’État militaire (appelons un chat un chat) a permis aux Frères Musulmans de Morsi de se faire passer pour les défenseurs de la démocratie et d’affirmer que l’opposition était coordonnée par “des partisans de l’ancien régime” qui auraient payé des miliciens avec “l’argent de la corruption” pour attaquer les Frères Musulmans et “remettre l’ancien régime en place”. Il ne fait aucun doute que l’ancien régime Moubarak est impliqué dans le mouvement contre Morsi. Le Financial Times a raconté la manière dont les dirigeants de l’opposition “consultent régulièrement” les chefs militaires et dont “un establishment hostile” et des “éléments agissant dans l’ombre” ont été impliqués dans la campagne anti-Morsi (6 juillet).

    Mais l’immense ampleur des manifestations et leur base de masse provient bel et bien de l’opposition populaire et de la déception du peuple envers le régime des Frères Musulmans.

    En même temps, la taille et la détermination des contre-manifestations pro-Morsi ne provient pas purement d’une base religieuse. Il ne fait aucun doute que certaines sections de l’actuel mouvement pro-Morsi agissent parce qu’elles sont opposées à l’armée, surtout étant donné le souvenir du vieux régime Moubarak et de sa répression brutale de toute opposition, y compris de celle des Frères Musulmans.

    Les conflits qui se développent en ce moment représentent un réel danger pour la révolution, surtout parce qu’ils semblent être une bataille entre les Frères Musulmans et autres dirigeants sectaires, conservateurs et réactionnaires, d’un côté, et les chefs de l’armée de l’autre côté.

    Dans une telle situation, il est absolument essentiel de redoubler les efforts en vue de la construction d’un mouvement des travailleurs indépendant, pas seulement des syndicats, qui puisse offrir une véritable alternative et force d’attraction pour tous les travailleurs et les pauvres qui soutiennent Morsi à cause de leur opposition à l’armée et à l’ancienne élite. C’est la seule manière par laquelle le mouvement ouvrier peut tenter de limiter la capacité de nuisance des groupes religieux fondamentalistes réactionnaires qui se présentent comme les principaux adversaires du régime militaire.

    L’importance de ce facteur se reflète dans le danger constant de la division sectaire qui s’approfondit entre les sunnites, les chrétiens et les chiites, et les couches laïques. Déjà, certains commentateurs attirent l’attention sur le fait que les Frères Musulmans pourraient se voir écartés par des groupes djihadistes fondamentalistes dans leur lutte contre l’armée laïque et pro-occidentale. En ce moment, le parti salafiste Al Nour tente de se distancer de l’armée et de se repositionner comme une force d’opposition.

    L’Algérie constitue à ce titre un fameux avertissement. Bien que la situation aujourd’hui en Égypte soit assez différente, après que l’armée algérienne soit intervenue en janvier 1992 pour empêcher les élections et éviter la victoire du Front Islamique du Salut (FIS), cela a plongé le pays dans une guerre civile qui a duré huit ans et couté la vie à entre 44.000 et 200.000 personnes – ce qui freine encore aujourd’hui le développement des luttes de masse dans ce pays.

    Les travailleurs ne doivent pas soutenir ce coup d’État

    Les travailleurs ne doivent pas accorder le moindre soutien à ce coup d’État. Le mouvement de masse des travailleurs doit à tout prix conserver son indépendance par rapport à l’armée et par rapport à Morsi. L’implication des soi-disant forces d’opposition “libérales” ou “de gauche” comme le groupement Tamarod avec l’armée ne fera que se retourner contre elles. Ces forces seront perçues comme des collabos, surtout si l’armée décide d’étendre au futur mouvement ouvrier et aux grèves les méthodes qu’elle utilise en ce moment pour réprimer les Frères Musulmans. Le choix par l’armée d’El-Beblaoui comme premier ministre est un avertissement quant à ses projets. Il y a quelques jours à peine, El-Beblaoui disait dans une interview que le niveau de subsides gouvernementaux sur l’essence et la nourriture est ‘‘insoutenable, la situation est critique… L’annulation des subsides requiert des sacrifices de la part de la population.’’ Toute tentative par un gouvernement soutenu par l’armée de mettre en œuvre une telle politique suscitera une résistance ; la question est de savoir si celle-ci viendra du mouvement ouvrier ou des fondamentalistes.

    Malheureusement, beaucoup de personnes parmi la gauche égyptienne soutiennent en ce moment l’armée en ne lui accordant que quelques critiques très modérées. On a beau appeler cela du “pragmatisme”, cela ne fait que désarmer politiquement la classe ouvrière. L’an dernier, certains groupes de gauche ont appelé à voter pour Morsi au deuxième tour, et maintenant, ils soutiennent l’armée qui l’a renversé. Bien qu’il est nécessaire pour les marxistes de comprendre, par sympathie, que des millions de gens s’apprêtaient à voter pour Morsi lors du deuxième tour, ce n’était pas une raison pour le soutenir comme l’ont fait certains petits groupes de gauche. À présent, on voit certains de ces mêmes groupes de gauche se retourner complètement, comme les “Socialistes révolutionnaires” (SR), section égyptienne de l’International Socialist Tendancy (IST, dont la section britannique est le SWP), qui, dans leur déclaration du 6 juillet, n’ont écrit absolument aucune critique du coup d’État militaire. En l’espace d’une année donc, l’IST est passée d’un soutien envers Morsi contre son rival, Shafiq, à un soutien aux anciens collègues de Shafiq qui viennent de dégager Morsi.

    D’autres groupements tels que Tamarod (auquel sont affiliés les SR) ont souhaité que ce soit El Baradei – un politicien absolument et totalement pro-capitaliste – qui devienne premier ministre, et ont ‘‘condamné la marche arrière de la présidence’’ lorsque le parti salafiste Al Nour s’opposait à El Baradei (Ahram, 7 juillet). De la même manière les SR n’appellent pas de manière conséquente à une solution pour l’Égypte qui provienne de la classe des travailleurs et des pauvres. Les SR ne font même pas le lien entre son appel à la ‘‘reconstitution de comités révolutionnaires’’ et la question de qui devrait former le gouvernement, à part la vague notion selon laquelle ‘‘qui que ce soit qui sera premier ministre, il faut qu’il soit issu des rangs de la révolution de janvier (2011).’’

    Les dirigeants ouvriers ne doivent rien avoir à faire avec le moindre gouvernement pro-capitaliste ou militaire. S’ils ne font pas tout pour se distancier de ce gouvernement, alors il est possible que les Frères Musulmans ou d’autres forces similaires tentent de s’emparer de la direction des futures luttes contre l’austérité et contre la répression.

    Déjà, l’armée est en train de montrer la manière dont elle voudrait voir les choses se dérouler. D’abord, elle met en place des structures de pouvoir dominées par des éléments pro-capitalistes, puis, au départ, elle dit qu’elle autorisera la population à voter dans le futur mais uniquement après qu’un comité ait révisé la constitution, tandis que la Cour suprême rédige un projet de loi sur les élections législatives et prépare les élections législatives et présidentielles. Ensuite, confrontés à la résistance des Frères Musulmans et forcés de battre en retraite après le massacre du 8 juillet, les généraux se sont vus forcés de promettre des élections dans les quelques mois qui viennent – sans qu’il soit certain que celles-ci se produiront pour du bon.

    Il a été rapporté que beaucoup de manifestants anti-Morsi se sont sentis “remplis de force” après le départ de Morsi. Mais bien que la chute de popularité rapide et les manifestations de masse contre Morsi aient été extrêmement importantes, ces évènements n’impliquent pas en soi que le peuple ait “pris le pouvoir”. Cette question est une question concrète d’organisation et de qui détient le pouvoir d’État. En ce moment en Égypte, ce sont les généraux, malgré les problèmes croissants auxquels ils sont confrontés, qui tentent de consolider leur propre pouvoir sur le dos du mouvement de masse.

    Inéluctablement, dans cette économie en crise, le nouveau gouvernement subira rapidement la pression du FMI et autres qui le forceront à adopter des soi-disant “réformes” sous la forme d’abandon des subsides contre la vie chère et autres mesures d’austérité. Cela jettera la base pour une nouvelle lutte de classes au moment où l’armée et son gouvernement chercheront à passer à l’offensive, en utilisant peut-être des mesures de plus en plus autoritaires et brutales pour tenter d’imposer leur volonté.

    Quelle que soit la manière dont on l’envisage, ce coup d’État militaire ne peut être qualifié de “progressiste” comme par exemple celui qui a déclenché la révolution portugaise de 1974. Mais alors que ce coup d’État avait jeté à bas une dictature vieille de plusieurs décennies, l’échec de la construction d’un mouvement des travailleurs indépendant capable de prendre le pouvoir pour soi a finalement causé, après un certain temps, le retour définitif au pouvoir de la classe dirigeante portugaise et du capitalisme.

    C’est pourquoi il est tellement important que le mouvement populaire, dirigé par les travailleurs et les jeunes, s’organise pour lutter pour ses propres revendications et contre l’installation d’un régime militaire.

    Les travailleurs doivent construire leur propre alternative

    Deux ans et demi plus tôt, le jour où Moubarak a démissionné, le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) distribuait un tract au Caire dans lequel il était écrit ‘‘Aucune confiance dans les chefs de l’armée ! Pour un gouvernement des représentants des travailleurs, des paysans et des pauvres !’’ (voir cet article ici)

    Ces revendications sont toujours d’actualité aujourd’hui. Dans ce tract, nous disions que :‘‘Les masses égyptiennes doivent faire valoir leur droit de décider de l’avenir du pays. Aucune confiance ne doit être accordée aux personnalités du régime ni à leurs maitres impérialistes pour diriger le pays et organiser des élections. Il doit y avoir immédiatement des élections libres, sous l’autorité de comités de masse des travailleurs et des pauvres, pour convoquer une assemblée constituante révolutionnaire afin de décider de l’avenir du pays.

    Maintenant que des comités locaux et de véritables organisations indépendantes des travailleurs se sont créés, leur développement doit être accéléré, ils doivent s’élargir et être reliés entre eux. Un appel clair pour la formation de comités démocratiquement élus et gérés sur tous les lieux de travail, dans tous les quartiers et dans les rangs de l’armée recevrait une grande réponse.

    Ces organes pourraient ainsi coordonner le renversement de l’ancien régime, maintenir l’ordre et la livraison de nourriture et, surtout, pourraient constituer la base d’un gouvernement des travailleurs et des pauvres capable de briser les restes de la dictature, de défendre les droits démocratiques et de construire une économie qui répondrait aux nécessités économiques et sociales des masses égyptiennes.’’

    Depuis lors, nous avons vu un développement incroyable du mouvement ouvrier égyptien sous la forme de syndicats, de comités et en termes d’expérience de lutte. Tout cela fournit la base pour la création du type de mouvement de masse qui est nécessaire.

    En février 2011, nous écrivions que la révolution égyptienne pourrait constituer ‘‘un grand exemple pour les travailleurs et les opprimés du monde entier, prouvant que des actions de masse déterminées peuvent vaincre des gouvernements et des dirigeants, quelle que soit la force qui semble être la leur.’’

    Cette affirmation est tout aussi vraie aujourd’hui. La reprise du mouvement de masse en Égypte peut inspirer tous ceux qui ont connu des révolutions qui n’ont pas mené au moindre véritable changement, comme en Tunisie, ou qui ont causé une descente dans une guerre civile sectaire comme en Syrie, ou une répression accrue comme en Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, etc. Mais tandis que lors de ces derniers jours, l’Égypte a de nouveau démontré l’immense potentiel de l’action de masse, elle a également montré qu’il faut absolument construire un mouvement des travailleurs armé d’un programme socialiste clair et d’un plan d’action afin de résoudre la crise politique, sociale et économique de l’Égypte, sans quoi d’autres forces tenteront de détourner la révolution pour, au final, la vaincre.

  • Egypte : Protestations massives pour la chute de Morsi

    Non à l’intervention des généraux, pour un gouvernement des travailleurs!

    Le premier anniversaire du règne du président égyptien Mohammed Morsi a été marqué par des manifestations dont l’ampleur a dépassé celles qui avaient conduit à la chute du dictateur Hosni Moubarak en janvier 2011. Selon des sources des ministères de la Défense et de l’Intérieur, entre 14 et 17 millions de personnes ont manifesté dans tout le pays ce dimanche 30 juin!

    David Johnson, Socialist Party (CIO-Angleterre et Pays de Galles)

    22 millions de signatures ont été collectées pour une pétition (avec vérification ID) exigeant le départ de Morsi. Il s’agit de plus d’un quart de la population égyptienne, un nombre également supérieur aux 13,2 votes qu’il avait reçu au second tour des élections présidentielles qu’il avait remportées en 2012 ! De grandes foules de manifestants sont restées sur les places du Caire, d’Alexandrie et d’ailleurs toute la nuit durant tandis qu’une nouvelle journée de mobilisation a été convoquée pour le 3 juillet. Les locaux des Frères Musulmans ont aussi été attaqués et des manifestants ont été tués par des tirs à l’intérieur des bâtiments. Ces manifestations gigantesques représentent une nouvelle étape dans la révolution mais, tout comme nous avons pu le constater ces dernières années, l’absence d’un mouvement socialiste conséquent ouvre la voie à la récupération de cette situation par d’autres forces que celles défendant les intérêts des travailleurs et des pauvres.

    Les raisons de la colère ressentie contre le régime du gouvernement Morsi dominé par les Frères Musulmans sont nombreuses. Les conducteurs doivent faire des files de jusqu’à 7 heures pour enfin avoir de l’essence, de nombreuses régions connaissent des coupures de courant de plus de dix heures et la valeur de la Livre égyptienne a chuté de 20%, ce qui a fait augmenter les prix bien plus vite que le taux d’inflation officiel qui est maintenant de 8,2% sur base annuelle. Le chômage reste très grand alors que la croissance économique s’est ralentie avec la baisse du tourisme et des investissements étrangers. Le taux d’occupation des Hôtels est de 15% seulement au Caire et est même sous les 5% à Louxor. Seules les installations autour de la Mer Rouge sont réellement en activité.

    la politique de Moubarak se poursuit, mais la contestation ne fait que croître

    Toute la politique du dictateur déchu a été endossée par le gouvernement Morsi. Des hommes d’affaire accusés de corruption sous le régime de Moubarak ont été relaxés. La Business Development Association, fondée par un dirigeant des Frères Musulmans, Hassan Malek, réunit de proéminents capitalistes afin d’influencer la politique du gouvernement de la même manière que l’avait fait en son temps le fils de Moubarak, Gamal. De nombreuses personnes craignent de voir apparaître un nouvel Etat clientéliste sous la poigne des Frères Musulmans et sont profondément en colère contre les salaires des membres des Frères Musulmans occupant des postes publics (gouverneurs,…) ou aux postes dirigeants de la Fédération syndicale égyptienne. Des journalistes ont été physiquement attaqués pour avoir couvert des manifestations de protestation et certains d’entre eux – connus pour leurs critiques à l’encontre des Frères Musulmans – ont perdu leur emploi dans les médias publics. Des comédiens ont aussi été arrêtés pour avoir ‘‘insulté le président’’. Même les chanteurs et musiciens de l’Opéra du Caire sont entrés en grève en solidarité avec leur directeur après qu’il ait été renvoyé par le Ministre de la Culture en mai.

    Selon les données de L’International Development Centre (IDC), les protestations avaient atteint ces derniers temps un niveau continuellement élevé. Au cours de la dernière année du règne de Moubarak, la moyenne était de 176 actions de protestation par mois alors que la moyenne actuelle pour 2013 est de… 1.140 par mois ! Au total, il y a eu 9.427 actions de protestation Durant la première année du mandat présidentiel de Morsi. La moitié de ces actions étaient des protestations ouvrières, avec notamment 1013 grèves et 811 sit-in. Il y a eu 500 manifestations et 150 blocages routiers.

    Ceux qui espéraient que la chute de Moubarak allait marquer l’ouverture d’une ère de droits démocratiques en ont été pour leurs frais. Le régime de Morsi a adopté des mesures très répressives. Les travailleurs ne reçoivent pas un traitement identique à celui des hommes d’affaires qui se sont enrichis sous Moubarak… Ainsi, le Ministre de l’Aviation a encore récemment renvoyé quinze travailleurs de l’aéroport du Caire après que ces derniers aient pris part à une grève. Cinq dockers de la société Alexandria Port Containers ont été condamnés à trois ans de prison pour avoir dirigé une grève en octobre 2011. Ils sont toutefois parvenus à faire annuler cette décision en appel. Le 26 juin, Morsi avait annoncé l’adoption de nouvelles mesures destinées à faire face à la ‘‘brutalité’’ et au ‘‘terrorisme’’, notamment contre les barrages routiers. Il s’agissait là d’une menace à peine voilée contre les travailleurs entrant en action pour défendre leur niveau de vie.

    Les manifestations du 30 juin

    Un nouveau groupe, Tamarod (Rebelle), a été lancé en avril derniers par d’anciens membres de Kefaya, le groupe qui avait organisé des manifestations pour les droits démocratiques sous Moubarak. L’objectif que s’était fixé le nouveau collectif était de parvenir à réunir 15 millions de signatures sur une pétition réclamant la démission de Morsi, un objectif dépassé. Cette pétition est principalement axée sur les questions brûlantes des droits démocratiques et de la situation sociale et économique. Le texte déclare notamment qu’il n’existe aucune justice pour les victimes des forces de sécurité décédées au cours du soulèvement anti-Moubarak, que les ‘‘pauvres n’ont pas de place dans la société’’, que l’économie s’est ‘‘effondrée’’ à tel point que le gouvernement est obligé d’aller ‘‘mendier’’ auprès du FMI et que le régime de Morsi est condamné pour avoir ‘‘suivi les traces des Etats-Unis’’. En quelques semaines, cette campagne de pétition a rassemblé 6.000 volontaires et plus de 100.000 fans sur Facebook. Beaucoup de mouvements politiques d’opposition ont soutenu cette campagne, dont le Mouvement de la Jeunesse du 6 Avril, le Parti de la Constitution libéral, le Parti de l’Alliance Populaire Socialiste et le Parti Egypte Forte, fondé par l’ancienne figure de proue des Frères Musulmans Abdel-Moneim Aboul-Fotouh, qui s’était opposé à Morsi à l’occasion des élections présidentielles.

    Leur but est ‘‘d’éviter de reproduire les erreurs de la période écoulée et de poursuivre sur la voie de la révolution du 25 janvier’’, selon le co-fondateur de Tamarod, Mohamed Abdel Aziz. Les organisateurs avaient aussi déclaré avant le 30 juin qu’il ‘‘n’y aura pas de drapeaux ou de banderoles aux manifestations à l’exception de drapeaux égyptiens, de photos de martyrs, à commencer par les martyrs de la révolution du 25 janvier.’’

    Il faut un parti de masse des travailleurs

    Cette approche antiparti est à considérer comme une réflexion des déceptions éprouvées face aux dizaines de partis qui ont émergé après la chute de Moubarak. La plupart de ceux-ci se sont limités à plaider pour l’instauration d’une sorte de démocratie capitaliste tout en laissant les véritables maîtres de l’Égypte en place – les capitalistes et les généraux. L’enthousiasme des dirigeants de ces partis pour l’obtention de postes grassement rémunérés n’a pas inspiré de confiance aux travailleurs et aux pauvres.

    D’autre part, certains à gauche (comme les Revolutionnary Socialists) ont semé la confusion en soutenant en juin 2012 la candidature de Morsi contre celle d’Ahmed Shafiq, qui représentant l’aile pro-Moubarak. L’élément le plus crucial dans la situation actuelle est le développement de l’action et de l’organisation indépendantes de la classe des travailleurs et des pauvres. Ces derniers ont besoin de disposer de leur propre parti de masse pour défendre leurs intérêts et leurs droits démocratiques.

    Tamarod appelle Morsi à démissionner pour être remplacé par un Premier ministre indépendant pour une durée de six mois qui ‘‘dirigerait un gouvernement technocratique dont la mission principale serait de mettre sur pied un plan économique d’urgence afin de sauver l’économie égyptienne et de développer des politiques de justice sociale.’’ Mais ‘‘sauver l’économie (capitaliste) égyptienne’’ signifie très clairement de lancer plus d’attaques contre les travailleurs et les pauvres avec la suppression des subsides à l’alimentation et de nouvelles privatisations destinées à satisfaire le Fonds Monétaire International. Tout cela est à l’opposé des revendications qui avaient émergé en janvier 2011 et qui étaient basées sur le pain, la liberté et la justice sociale.

    Ce dont les travailleurs et les pauvres ont besoin, c’est d’un salaire minimum décent, d’une semaine de travail plus courte (sans perte de salaire et avec embauches compensatoires), d’un logement abordable et de qualité, d’un enseignement gratuit et de qualité, d’un programme de construction d’hôpitaux et d’autres infrastructures, de transports en commun gratuits,… Tout cela créerait une masse d’emplois. Ces revendications socialistes combinées à un programme de défense des droits démocratiques pourraient obtenir un soutien massif pour autant qu’elles soient défendues par un parti des travailleurs construits avec et autour des syndicalistes combatifs.

    Sans un tel programme, les dirigeants des Frères Musulmans pourront continuer à s’appuyer sur la couche conservatrice qui existe au sein des masses pauvres, surtout dans les campagnes. Tout comme Erdogan en Turquie a réussi à mobiliser un nombre important de partisans, de grandes manifestations ont eu lieu en soutien à Morsi, avec environ 100.000 personnes au Caire le 21 juin. Peu de rapports font par contre état de mobilisations en sa faveur le dimanche 30 juin. Seul un programme clairement socialiste défendant unilatéralement les intérêts des travailleurs et des pauvres tout en exposant au grand jour les intérêts capitalistes de certains dirigeants de premier plan des Frères Musulmans pourrait diviser la base de soutien du Président Morsi.

    Un coup d’Etat militaire ?

    Le général Abdul Fattah Al-Sisi, commandant en chef des forces armées et ministre de la Défense a déclaré le 23 juin que l’armée pourrait intervenir afin de prévenir le pays de sombrer dans le ‘‘sombre tunnel de la criminalité, de la trahison, des luttes sectaires et de l’effondrement des institutions d’Etat.”

    Ce que les généraux et toute la classe dirigeante craignent le plus, c’est l’action de masse indépendante de la classe ouvrière et de la jeunesse, ce qui pourrait menacer leurs intérêts. En outre, des éléments liés à l’ancien régime de Moubarak cherchent à défendre leurs intérêts propres, de même que l’impérialisme américain. Les généraux ne semblent toutefois pas encore confiants de suivre la voie d’une répression militaire directe. Pour le moment, ils tentent encore de se présenter comme des ‘‘arbitres’’ qui veulent forger un gouvernement ‘‘d’unité nationale’’.

    Certains dirigeants de Tamarod suggèrent qu’ils soutiendraient l’armée si elle voulait reprendre le pouvoir en main. Il s’agit d’une position très dangereuse, illustrée notamment par les propos tenus par Mahmoud Badr, un porte-parole de Tamarod, qui a salué la déclaration des chefs militaires en ce sens. De même, la foule réunie place Tahrir aurait applaudi en entendant ces nouvelles, en scandant ‘‘L’armée et le peuple sont main dans la main.’’

    Il semble possible que, dans les coulisses, le gouvernement américain ait changé son fusil d’épaule et décidé de plutôt considérer l’armée comme le meilleur moyen de stabiliser le pays et son économie capitaliste. Dix ministres du gouvernement ont démissionné le 1er juillet, suggérant que Morsi pourrait rester plus longtemps. Ce dernier tente d’éloigner les critiques des Frères Musulmans et accuse ses ‘‘anciens collaborateurs’’ du régime déchu de Moubarak. Le 2 juillet, il a rejeté les conditions de l’armée.

    A ce stade, la plupart des officiers supérieurs ne veulent pas prendre la responsabilité directe du gouvernement. Cependant, sans aucun doute, certains militaires et membres des forces de sécurité aspirent à reprendre le pouvoir qu’ils ont exercé pendant si longtemps sous le règne de Moubarak. Les forces armées contrôlent des pans entiers de l’économie, des officiers supérieurs ont réussi à faire fortune grâce à ce contrôle. Ils désirent disposer de la stabilité économique et politique tout autant que d’autres hommes d’affaires capitalistes afin de poursuivre à amasser de l’argent.

    Il y a dix-huit mois encore, le gouvernement militaire tirait sur les manifestants au Caire. Tout gouvernement – islamique ou laïc, civil ou militaire – basé sur la défense du système capitaliste va s’en prendre aux intérêts de la majorité des Egyptiens.

    La menace sectaire

    L’absence d’un programme capable de répondre aux besoins quotidiens des masses de la part de Tamarod ou de tout autre parti majeur laisse un vide dangereux dans lequel le poison du sectarisme pourrait exploser.

    Les chrétiens coptes se sont sentis menacés par le programme d’islamisation des Frères Musulmans et par les attaques contre des églises. Morsi et les Frères Musulmans se sont alignés sur l’Arabie saoudite réactionnaire et sur les cheikhs du Golfe et soutiennent l’opposition sunnite au régime d’Assad en Syrie. Mais il y a trois millions de musulmans chiites en Egypte. Des extrémistes religieux salafistes s’en sont pris aux chiites, un parlementaire déclarant qu’ils étaient ‘‘plus dangereux que des femmes nues’’ et constituaient une menace pour la sécurité nationale. Dans cette atmosphère sectaire, une foule de 3000 personnes a attaqué des maisons de chiites dans le village de Zawyat Abu Musulam le 23 juin. Quatre hommes avaient été traînés hors de leurs maisons pour être tués.

    Pour un gouvernement des travailleurs et une démocratie socialiste

    Les véritables socialistes et les syndicalistes peuvent construire des mouvements qui permettraient de surmonter les divisions sectaires avec un programme de solidarité de classe contre l’ennemi commun capitaliste, qu’il soit impérialiste ou égyptien.

    Les luttes de masse initiées par le début de la révolution en 2011 sont toujours en cours. De nombreux syndicats indépendants ont surgi dans tout le pays. Morsi a lui-même attiré l’attention sur les 4.900 grèves enregistrées au cours de ces 12 derniers mois. Une grève générale peut réunir tous les opprimés de la société et jouir d’un grand soutien de la part de la classe moyenne. Mais une grève générale ne doit pas servir à renverser un dictateur pour qu’il soit remplacé par un autre, qu’il soit général, homme d’affaires ou politicien capitaliste.

    Des comités de grève élus démocratiquement et des comités d’action de masse doivent être construits dans chaque grande entreprise et chaque collectivité locale pour discuter de l’élaboration d’un programme et d’un plan d’action orienté vers le renversement révolutionnaire du régime. Ils pourraient être reliés aux niveaux local et national, posant ainsi les bases d’un gouvernement de représentants des travailleurs et des pauvres.

    Un appel lancé aux travailleurs de la région pour prendre des mesures similaires contre la pauvreté, le sectarisme et la répression pourrait bénéficier d’un très large écho et aider à construire un mouvement pour le socialisme dans tout le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

  • Tunisie : Le ministère de la femme couvre les atteintes aux droits des femmes !

    Dans l’article ci-dessous, Aïda, une sympathisante du Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) en Tunisie, revient sur la situation des droits des femmes en Tunisie, dans le contexte particulier de révolution et de contre-révolution qui y prend place. La lutte pour les droits des femmes est intégralement liée à celle du mouvement des travailleurs et de la jeunesse pour la défense et la poursuite de la révolution, afin d’en finir avec le pouvoir actuel, ses visées intégristes et le capital qui le nourrit.

    Prêches et propagande Wahhabite

    La Tunisie du gouvernement Ennhadha accueille à bras ouverts les Imams et les Cheikhs wahhabites. Le prédicateur égyptien Wajdi Ghonim, défenseur de l’excision, a donné plusieurs conférences dans de nombreuses régions en Tunisie en février 2012. D’autres imams et prêcheurs wahhabites (tel que Amr Khaled, Safwet Hejazy, ou récemment Nabil Al Aouadhi) se relaient en Tunisie afin de propager leurs prêches. Interrogée sur l’accueil de Nabil Al Aouadhi à Zarzis par des petites filles à l’âge des fleurs, toutes en Hijab (portant le voile), la ministre des affaires de la femme et de la famille, Sihem Badi (du parti CPR, allié d’Ennahda dans le gouvernement de la Troïka tunisienne) répond : ‘‘Au lieu de le rapatrier, il faudrait laisser les idées s’affronter, c’est l’essence même de la démocratie que nous sommes en train d’instituer. L’invitation du prédicateur koweïti s’inscrit dans ce cadre.’’

    Pas un mot sur l’instrumentalisation de fillettes âgées de 4 à 7 ans, qui ont de plus eu droit à l’appellation de ‘‘princesses de Zarziz’’ par le site islamiste ‘Zitouna Tv’. Ce site est dirigé par Oussama Ben Salem, fils de Moncef Ben Salem, ministre de l’Enseignement supérieur, cofondateur de l’association ‘‘Liberté et Equité’’, et actuel membre du comité de la Choura d’Ennahdha (le Conseil de direction du parti). Ce dernier point ne fait d’ailleurs que confirmer la relation étroite entre Ennahdha et le Wahhabisme, version ultraréactionnaire de l’Islam sunnite, et ossature idéologique du régime théocratique et capitaliste saoudien.

    Tandis que le gouvernement d’Ennahdha refuse d’octroyer le visa d’entrée en Tunisie à certains militants ou personnalités de gauche, on ne compte plus le nombre de prédicateurs wahhabites ayant visité le pays et prêché dans des mosquées et espaces culturels, propageant l’extrémisme religieux et servant de porte-paroles aux ennemis de la révolution, notamment aux fortunés du Golfe. La récente ‘‘tournée’’ fort médiatisée et chaleureusement accueillie par les dirigeants du mouvement Ennahdha du prédicateur Béchir Ben Hassen, met encore en évidence la nécessité de s’organiser partout dans le pays pour prévenir le danger de ces prêches.

    Jeunes filles envoyées en Syrie

    La ministre des Affaires de la femme Sihem Badi observe sa confortable posture de garder le silence face au nouveau phénomène de ‘‘Djihad du Nikah’’ : une vingtaine, peut-être plus, de jeunes filles se trouvent ainsi en Syrie afin d’assouvir les désirs sexuels des djihadistes combattant le régime de Bachar Al Assad. Face au désarroi des parents et des familles qui ont signalé la disparition de leurs jeunes filles adolescentes, après des suppositions qu’elles partiraient en Syrie, le ministère des affaires de la femme et de la famille appelle à l’encadrement familial et dénonce le manque d’éducation religieuse !

    Vague de viols sur tout le territoire

    Un nombre croissant et sans précédent d’agressions et de viols sont aussi constatées à travers plusieurs régions du territoire. Au mois de février, une femme enceinte accompagnée de son mari a été violée à Ben Arous par deux malfrats sous les yeux de son mari qui n’a rien pu faire. Le 23 mars 2013, une jeune fille handicapée âgée de 11 ans a été violée à Boumhel, dans la banlieue sud de Tunis. Le 26 mars deux adolescentes de 14 ans, sortant du domicile de leur professeur qui leur donnait des cours particuliers, ont été violées par deux délinquants au Kef. À Béjà au nord-ouest du pays, une jeune fille handicapée âgée de 20 ans a été kidnappée et violée par un groupe de personnes ; le viol a malheureusement provoqué la grossesse de la victime. Une autre femme a été violée à Kairouan par un policier et deux de ses amis sur la route, ainsi qu’une mère de famille et sa sœur, victime d’un cambriolage et d’un viol par deux énergumènes aux casiers judiciaires garnis, à l’intérieur même de leur maison. Il ne s’agit là que de cas déclarés et médiatisés, mais on ne compte plus les tentatives de viols, agressions physiques et viols non déclarés.

    Le viol de la petite fille de trois ans dans un jardin d’enfant à la Marsa a bouleversé le pays. La forte médiatisation autour de cette affaire a contribué à raviver la lutte des Tunisiennes pour leurs droits et leurs libertés. L’affaire de la jeune femme de 27 ans violée en septembre 2012 par trois policiers -qui ont également extorqué l’argent du fiancé de la victime- avait déjà suscité la colère et les mobilisations de rue, le ministère de la justice ayant même fait passer la victime de la barre des témoins au banc des accusés. Cette culpabilisation de la victime s’inscrit dans la banalisation du viol, une des conséquences d’un système capitaliste inégalitaire et expression ultime de la domination d’un être humain sur un autre.

    Réactions scandaleuses de la ministre Sihem Badi, à l’image d’un gouvernement de réactionnaires

    Les représentants des autorités et du gouvernement tunisien ont une manière bien particulière de répondre à l’indignation de la société face à ces crimes, ou à la peine et à la souffrance des victimes et de leurs familles, ou encore aux luttes et aux revendications de l’opposition et des militants féministes. Si Khaled Tarrouche, porte-parole du ministère de l’intérieur, avait déclaré que la jeune fille violée par trois policiers en septembre 2012 était ‘ ‘‘dans une mauvaise posture avec son fiancé’’, Sihem Badi a implicitement pris la défense du violeur de la petite fille de trois ans en déclarant que celui-ci faisait partie de la famille de la victime -remettant ainsi en question les déclarations des parents et de l’enfant elle-même- et déresponsabilisant la direction du jardin d’enfants qui n’avait pas de licence, comme des milliers de jardins d’enfants clandestins en Tunisie.

    Face au viol de la femme enceinte en présence de son mari, même indifférence et aucune mesure d’encadrement ou de protection, surtout que la famille du mari qui logeait le couple a mis la victime et son mari à la porte après le « scandale » que cette affaire a provoqué à la famille.

    Sihem Badi n’a cependant pas hésité à descendre victorieusement et fièrement à l’Avenue Bourguiba (l’avenue centrale de la capitale) pour participer à la manifestation du 9 février 2013 en soutien au gouvernement Ennahdha et à la ‘‘légitimité des élus’’. Cette manifestation ne fut qu’une ‘‘démonstration de force’’ contre la vraie légitimité, celle du peuple et de la rue, et une réponse à la grève générale de l’UGTT et de l’enterrement du militant du Front Populaire, Cholri Belaid, le 8 février, lorsque des millions de gens ont répondu présents dans la capitale comme dans l’ensemble du pays. (voir notre article à ce sujet)

    Sous ce gouvernement, la lutte pour les droits des femmes est plus que jamais d’actualité

    La ministre des affaires de la femme n’est qu’une bonne élève du clan nahdhaoui et n’a qu’une réponse à la bouche : ‘‘Je ne démissionnerai pas’’. Face à un régime clairement contre-révolutionnaire et capitaliste, l’inquiétude sur la situation des femmes en Tunisie grandit.

    Les acquis des femmes marquent de ce fait plusieurs pas en arrière. D’un combat sous le régime de Ben Ali concentré sur les énormes sommes d’argents volées au pays afin de financer des associations féminines détenues par des corrompus du système, des responsables du RCD et la femme du président elle-même, ainsi que des questions fondamentales telles que l’égalité dans l’héritage ou le droit au mariage à un non musulman sans que celui-ci ne soit obligé de changer de religion, on passe à une étape où on doit se battre pour préserver les droits anciennement acquis et protéger l’intégrité physique de la femme.

    Tandis que la situation de la femme rurale, des ouvrières à l’usine et des femmes de ménage est des plus précaires, les députés nahdhaouis se préoccupent au sein même de l’Assemblée Constituante de retour à la polygamie et d’une constituante qui se base sur la loi islamique, la ‘‘Châria’’. Aucun progrès n’est exprimé en ce qui concerne le statut de la femme dans la société tunisienne, qui reste inférieur à celui de l’homme, en raison entre autres de l’inégalité salariale et d’embauche, et à la double tâche qui reste propre à la femme. Cette dernière restera tiraillée entre son exploitation matérielle et sociale, et la charge majoritairement féminine des tâches ménagères et de l’éducation des enfants, tant qu’il n’y aura pas de réponses collectives claires se substituant aux « solutions » individuelles prônées par le système capitaliste. Pour cela, il faut des revendications qui trouvent pleinement leur place dans la lutte du mouvement ouvrier et de la jeunesse pour la défense et la poursuite de la révolution, afin d’en finir avec ce pouvoir, avec ses visées intégristes et avec le capital qui le nourrit. Ces revendications doivent comprendre des emplois décents rémunérés sans aucune discrimination de sexe – à travail égal, salaire égal ; de bons services publics et sociaux, incluant des crèches publiques gratuites en nombre suffisant et bien encadrées en termes de personnel, le financement public de centres de soutien pour les femmes abusées, victimes de viol etc.

  • Égypte : Le gouvernement des Frères musulmans confronté à l'opposition populaire

    Aucune confiance dans l’une ou l’autre faction politique capitaliste ! Pour une lutte de masse pour les revendications des travailleurs !

    En Egypte, le début de l’année 2013 a été marqué par une vague de manifestations populaires de masse contre le président Morsi et son gouvernement des Frères musulmans. Les plus importants soulèvements ont eu lieu non au Caire, mais dans des villes du delta du Nil et le long du canal de Suez. Ces régions ont été négligées pendant des années et donc ont connu une nouvelle vague de luttes contre la misère, la répression étatique et dans certains cas, contre le nouveau régime lui-même. Notre camarade Georg Maier, qui a récemment visité le Caire, analyse ici la crise politique, sociale et économique qui vit en Égypte.

    Par Georg Maier, Sozialistische LinksPartei (SLP, CIO-Autriche)

    Impasse économique

    Le chômage a constamment augmenté au cours de ces derniers mois. Les prix de la plupart des marchandises, surtout des produits de base, ont également augmenté. Le régime tente d’arranger un emprunt de 4,8 milliards de dollars auprès du FMI afin d’accroitre ses réserves en monnaie étrangère, qui s’élèvent aujourd’hui à 13,6 milliards de dollars (comparé à 36 milliards en 2011).

    Le régime a produit une liste de 100 “produits de luxe non-nécessaires” (y compris par exemple, des “luxes” tels que les noix !), sur lesquels il y aura des restrictions à l’importation. On constate avec intérêt que le gaz lacrymogène ne semble par contre pas être un produit de luxe, puisque le gouvernement en a récemment acheté une quantité équivalente à 2,5 millions de dollars auprès d’une entreprise américaine. Tout cela a déclenché des manifestations de mécontentement, même parmi les membres des Frères Musulmans (dont beaucoup de commerçants qui forment la base des Frères musulmans, et qui souffrent en ce moment des restrictions à l’importation), ce qui a encore plus sapé l’autorité du régime aux yeux de beaucoup de personnes.

    Si le FMI accepte cette nouvelle demande d’emprunt, cela sera évidemment avec les conditions du FMI. Celles-ci visent en général la réduction des subsides. On a déjà vu la coupe des subsides des prix du gaz et de certains produits pétroliers, qui ont déclenché des manifestations dans le delta du Nil, accompagnées de barrages routiers et sur les lignes de chemin de fer. On s’attend à ce que l’effet le plus dévastateur de ces coupes soit l’impact sur le prix du pain. Le pain subsidié coûte en ce moment 5 piastres dans la plupart des boulangeries. Or, la rumeur et les discussions mentionnent le fait que le prix pourrait tout d’un coup se rehausser à 25 piastres ! Déjà des gens parlent d’une possible “révolte du pain”, ou, comme certains l’ont appelée, d’une “intifada du pain”. Les médias ont fait état d’émeutes au cours desquelles des supermarchés et des boulangeries auraient été vandalisées.

    L’industrie du tourisme (qui employait naguère à peu près 12 % de la main d’œuvre du pays) est soumise à une très grande pression, et ceux qui autrefois vivaient de la vente de services ou marchandises aux touristes connaissent maintenant beaucoup de difficultés.

    Les Frères musulmans en perte de soutien

    Il y a un sentiment largement répandu selon lequel le parti au pouvoir n’est pas mieux que l’ancien régime Moubarak. Le vieux système de népotisme a été à son tour adopté par les Frères musulmans – suscitant la colère du peuple. Avec le “rattrapage” opéré par les Frères musulmans, des dizaines de milliers de sympathisants des Frères musulmans reçoivent un poste dans la fonction publique, les membres du parti sont promus plus rapidement, et les contrats publics sont attribués de gré à gré à des entreprises appartenant aux membres du parti. Même en zone rurale, où le soutien en faveur des Frères musulmans lors des dernières élections était particulièrement élevé, cela a causé des manifestations massives contre les autorités régionales, y compris l’incendie du QG des Frères musulmans dans plusieurs villes provinciales.

    Par exemple, à Kafr el-Cheik, ville de 150.000 habitants dans le delta du Nil, complètement négligée par le gouvernement central depuis des décennies, le gouverneur a publiquement déclaré ceci : ‘‘Je soutiens la “frère-musulmanisation” du pays, parce que c’est ça, la démocratie.’’ Alors qu’au même moment, le président Morsi et de hauts cadres gouvernementaux du Parti pour la liberté et la justice (le parti des Frères musulmans) nient l’existence de ce rattrapage.

    La situation économique désespérée a causé à Kafr el-Cheik l’immolation d’un jeune chômeur, à qui les autorités avaient conseillé d’aller cirer des chaussures dans la rue ou d’aller demander l’aumône auprès d’une association caritative. Ce suicide a déclenché des manifestations dans cette ville normalement calme et conservatrice, connue uniquement pour être la ville natale de Mohammed Atta, un des terroristes qui ont causé l’attentat du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Des milliers de gens ont marché sur le bureau du gouvernement pour réclamer des droits sociaux et la chute du régime.

    Le président Morsi et les Frères musulmans ne cessent de perdre du soutien. Ils ont été élus sur base de leur promesses de démocratie et de justice sociale, mais ne peuvent ni ne veulent mettre en place la moindre amélioration. Les gens sont de plus en plus scandalisés, et de plus en plus de gens réclament le départ du gouvernement précisément dans ces circonscriptions qui ont voté des candidats Frères musulmans au parlement lors des élections de 2011-2012. Au cours des élections syndicales aussi, les Frères musulmans sont en net recul depuis plusieurs mois. Dans le syndicat des vétérinaires, qui était traditionnellement sous contrôle des Frères musulmans tout au long de l’ère Moubarak, ceux-ci ont été entièrement chassés de la direction du syndicat lors des dernières élections en son sein.

    Une nouvelle vague de révoltes

    La lutte la plus importante de celles qui se déroulent en ce moment à été la révolte à Port-Saïd, ville portuaire à l’extrémité nord du canal de Suez. Durant des semaines, la ville a été quotidiennement ébranlée par des manifestations et a connu de ce fait un état de grève générale virtuel. La police a été battue et contrainte de quitter la ville. À la place, les citoyens ont mis en place une “police populaire”. Lorsque la police est revenue début mars, elle n’a été capable de se réinstaller qu’avec la “protection” de l’armée. Cela reflète le changement de rôle au sein des structures étatiques, et pourrait indiquer un rôle renouvelé et plus actif pour l’armée (voir plus bas).

    La lutte de Port-Saïd est à un très haut niveau de confrontation avec l’État capitaliste et de remise en question de son rôle. Mais il y a aussi certainement des caractéristiques “spéciales” de cette lutte, qui reflètent l’incertitude sur le plan politique et le manque d’une réelle perspective pour la lutte des travailleurs et des masses pauvres. Une revendication centrale, qui représente surtout les intérêts des capitalistes et des commerçants locaux, est la réouverture de la zone franche du port. Il semble que cette revendication ait été reprise par certains jeunes et travailleurs. La deuxième caractéristique “spéciale”, qui vit surtout parmi les jeunes actifs dans la lutte, est la revendication de la libération des martyrs de la répression policière de même que des supporters de l’équipe de foot du al-Masry Club qui ont été condamnés à mort à la suite du massacre de bon nombre de supporters d’al-Ahly. Cette revendication isole du coup le mouvement du Caire, où la plupart des supporters d’al-Ahly demandent au contraire une plus forte condamnation des auteurs. Mais ce sont les forces de sécurité responsables du massacre qui devraient être jugées. Une enquête indépendante et démocratique accomplie par les supporters des deux camps et par les syndicats devrait être organisée afin de déterminer ce qu’il s’est réellement produit ce jour-là. Les véritables criminels sont les cadres du gouvernement qui désiraient prendre leur revanche sur les al-Ahly Ultras pour leur rôle héroïque pendant et depuis la révolution, c’est eux qui devraient répondre à la justice.

    À ces deux revendications, les travailleurs ont ajouté leurs revendications économiques (de meilleurs salaires, etc.). Mais, face à la répression policière et à la mauvaise volonté du régime qui refuse la moindre concession (au moins tant que le mouvement en reste à ce stade), la plus importante revendication développée par le mouvement est celle de la chute du régime et de la fin du règne des Frères musulmans. Le gouvernement a peur que le mouvement ne se répande. Des mouvements similaires sont déjà nés (bien que d’une moindre ampleur) dans d’autres villes du canal et du delta, comme à Suez, à Ismaïlia, à Mansourah, et à el-Mahallah.

    L’appareil d’État

    Toutes ces révoltes et manifestations représentent une réelle menace pour l’élite dirigeante – la nouvelle comme l’ancienne. Il est possible, comme cela est largement discuté parmi la population, que le Conseil suprême des forces armées (CSFA) prenne le pouvoir, comme il l’a fait après la chute de Hosni Moubarak en 2011. De plus en plus de gens, partisans de l’ancien régime, grands commerçants et entrepreneurs, qui aimeraient voir une “main forte” diriger le pays. Il y a des manifestations dans les quartiers riches du Caire pour demander le retour au pouvoir du CSFA.

    L’intervention de l’armée à Port-Saïd, où elle a affirmé ne jouer qu’un rôle “neutre”, sans attaquer directement les manifestants, tout en protégeant les institutions publiques, est censé nous rappeler du rôle qu’a joué le CSFA en février 2011. Confronté à une détermination et à une confiance accrue de la part des manifestations de masse qui se déroulaient à l’époque, le CSAF n’était pas certain que les simples soldats obéissent à l’ordre de tirer, c’est pourquoi l’ordre n’a pas été donné. L’armée n’a pas attaqué les manifestants, mais en même elle s’est assurée que le mouvement n’échappe pas à tout contrôle et ne renverse les fondations mêmes du capitalisme égyptien et de son État.

    Il semble aussi y avoir des fractures au sein de la police. Des milliers de policiers sont en ce moment en grève indéterminée afin d’exiger de ‘‘ne pas se retrouver impliqués dans le conflit politique entre le gouvernement et l’opposition’’, comme l’a déclaré dans les médias un colonel de police, qui a également revendiqué la démission du ministre de l’Intérieur, Mohammed Ibrahim. Cela alors que le gouvernement s’efforce de renforcer la police et sa capacité à disperser les manifestations. Depuis la mi-février, les simples agents de police ont le droit de porter des pistolets et des munitions (auparavant, le port d’armes était réservé aux officiers et à certaines forces spéciales). L’appareil d’État de manière générale fait toutes sortes d’efforts dans le but de pouvoir dans les faits réprimer l’opposition et les révoltes. Le parti d’extrême-droite salafiste Gamaad al-Islamiya est lui aussi en train de mettre en place des “comités de citoyens” (dans les faits, des milices islamistes) afin d’attaquer les manifestations.

    Toutes ces évolutions sont dangereuses pour le mouvement ouvrier et pour la gauche. Confronté à la répression policière, aux miliciens pro-gouvernementaux et aux groupes islamistes de droite, le mouvement ouvrier doit développer une stratégie claire afin de se défendre. On a vu récemment dans les manifestations l’apparition d’un “Black Block” (“Bloc noir”), groupe assez désorganisé de jeunes portants des masques noirs afin de se battre avec la police et les miliciens. Bien qu’un tel développement soit compréhensible, l’existence d’un tel mouvement est utilisée comme prétexte par le gouvernement pour attaquer les manifestants et au final, le Bloc s’est avéré impuissant à protéger les manifestations de manière adéquate.

    Ce qui est nécessaire est la mise en place de comités d’auto-défense organisés démocratiquement, basés dans les quartiers populaires et dans les usines. Il nous faut des structures démocratiques afin de protéger de manière efficace le mouvement ouvrier contre toutes les attaques. Les luttes doivent être articulées en un programme révolutionnaire clair, qui s’en prenne non seulement à l’État bourgeois, mais au système capitaliste dans son ensemble.

    Il faut une organisation indépendante de la classe ouvrière et un programme

    Il y a en ce moment deux grandes fédérations syndicales indépendantes, dont le nombre de membres total s’élève à 2,5 millions de travailleurs. Certains de ces syndicats au sein de ces deux fédérations ont organisé des grèves et des occupations massives et puissantes. Mais lorsque les travailleurs participent aux manifestations contre le régime ou dans les révoltes générales de masse comme à Port-Saïd, où les travailleurs constituent la vaste majorité de la population participante, ils ne le font pas en tant que travailleurs ou en tant que classe, mais en tant que manifestants à titre individuel. Seule la classe ouvrière peut montrer la voie en avant pour la lutte. Ce qu’il manque ici, c’est une voix politique ouvrière qui puisse développer la lutte et combiner les revendications économiques légitimes avec la revendication de la nationalisation des usines, etc. sous contrôle et gestion ouvriers, et développer un véritable programme socialiste révolutionnaire pour la lutte.

    Ce qu’il nous faut est un parti socialiste révolutionnaire pour les travailleurs et pour les jeunes. Un tel parti peut se développer sur base des luttes quotidiennes des travailleurs dans les entreprises comme sur base des révoltes de masse. Les socialistes, les syndicalistes et les militants de groupes locaux doivent s’unir sur une base de lutte commune contre les attaques perpétrées par le gouvernement Morsi, contre les capitalistes qu’il sert et contre le système capitaliste pourri dans son ensemble, et mettre en avant un programme socialiste clair qui satisfasse aux besoins des masses pauvres et qui fasse progresser la lutte pour une Égypte socialiste.

    Tandis que les Frères musulmans perdent leur soutien et que de nouvelles vagues de lutte massives ébranlent le pays, toute une série d’organisations de gauche et socialistes soutiennent toujours les forces de l’opposition laïque libérale telles que le Front de salut national (FSN) dirigé par Mohammed El Baradei, Amr Moussa et Hamdeen Sabbahi. Une telle position, dans la perspective de révoltes et d’insurrections de masse à cause de la situation économique, ne peut être qualifiée que de désastreuse.

    Le FSN, tout comme le Parti pour la liberté et la justice, les salafistes ou le CSFA, ne représente au final qu’une autre faction de la classe dirigeante capitaliste. Le soutien d’une faction capitaliste par la gauche ne fait que rendre la tâche plus ardue pour le développement d’une organisation indépendante de la classe ouvrière et de la jeunesse. Lorsque les socialistes suivent une faction capitaliste, décrite comme étant “progressiste”, c’est un signe de manque de confiance dans la force de la classe ouvrière, et cela fait dévier de son objectif la lutte qui peut être menée et remportée par la classe ouvrière organisée. Tout comme certains socialistes autoproclamés soutenaient jusqu’à récemment les Frères musulmans, le soutien à El Baradei et au FSN ne fera que freiner le développement d’une organisation des travailleurs véritablement socialiste, dont l’Égypte (et les autres pays du monde) a pourtant tellement besoin.

    Afin de rallier la vaste majorité des travailleurs, des jeunes et des masses pauvres, il est nécessaire de rompre avec toute faction de la classe capitaliste et de développer et de discuter des revendications communes de lutte autour desquelles les militants syndicaux et de groupes locaux, les jeunes et les travailleurs puissent s’organiser et lutter.

    • Non aux dictats du FMI ! Non à toute coupe dans les subsides aux denrées de base !
    • Droits démocratiques : droit de manifester, droit d’organiser des syndicats
    • Non au “rattrapage” des Frères musulmans ! Élections et contrôle démocratiques de l’administration et des cadres étatiques
    • Salaire minimum de 1200 livres par mois (86 000 francs CFA/135 €), indexation automatique des salaires en fonction du cout de la vie
    • Programme massif d’investissements public afin d’améliorer l’infrastructure, les soins de santé, l’enseignement, fournir à tous des logements de qualité à cout accessible, et créer des emplois décents
    • Nationalisation de toutes les banques, ex-entreprises étatiques privatisées et grandes entreprises sous contrôle et gestion démocratique par les travailleurs, reliées entre elles pour une planification démocratique de l’économie
    • Appel à tous les travailleurs partout au Moyen-Orient et en Afrique du Nord pour la solidarité en une lutte commune
    • Pour un gouvernement socialiste démocratique en Egypte et une fédération socialiste d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
  • Tunisie: le calme avant la tempête? De nouvelles confrontations à l'horizon

    Quatre lycéens morts dans un accident de la circulation sur la route de l’école, fauchés à la fleur de l’âge, entassés qu’ils étaient à l’arrière d’un vieux pick-up arpentant une route non goudronnée dans un état lamentable: un fait divers, tragique, passant presqu’inaperçu, illustrant pourtant la réalité amère que continue à vivre tant de Tunisiens après la révolution. 

    Par un reporter du CIO à Tunis

    Les investissements dans l’entretien des routes, les transports publics et autres infrastructures de base sont négligés depuis de nombreuses années, en particulier dans les régions marginalisées de l’intérieur du pays. Sans compter la pratique courante de hauts fonctionnaires corrompus empochant au passage une partie des maigres fonds publics alloués au développement des régions. 

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    Pour en savoir plus

    • Achever le processus révolutionnaire : après la chute de Ben Ali, la chute du capitalisme !
    • Tunisie : Non au gouvernement Larayedh! Grève générale, jusqu’à la chute du régime! Le pouvoir aux travailleurs, aux masses pauvres et à la jeunesse ! Tract distribué lors du Forum Social Mondial
    • Tunisie: Non à Larayedh, ministre de la chevrotine! A bas Ennahdha! Pour la chute du système!
    • Tunisie : La grève générale fait trembler le pays et précipite la crise politique au sommet de l’Etat – Le fouet de la contre-révolution provoque une nouvelle étape dans la lutte de masse
    • Tunisie : L’assassinat du dirigeant de gauche Chokri Belaïd provoque des protestations de masse dans tout le pays

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    Les hautes sphères de la société tunisienne continuent d’être gangrénées par le népotisme, les privilèges, les passe-droits et la corruption. La vie de la majorité des Tunisiens, quant à elle, s’empire de jour en jour. L’explosion des prix (le taux d’inflation réel actuel est estimé à 10% par certains économistes) continue de rogner le pouvoir d’achat des travailleurs et des pauvres, tandis qu’elle permet d’engraisser la poignée d’hommes d’affaires qui contrôlent l’essentiel des circuits de distribution. 

    Déliquescence sociale

    Comme corolaire à la crise que connaît le pays, les symptômes de désintégration sociale et les actes de désespoir individuel se multiplient. En atteste par exemple la banalisation, dans le paysage tunisien, des immolations par le feu, dont la Tunisie est en passe de battre le record mondial absolu, "rivalisant" seulement avec le Tibet sur ce macabre sujet. 

    Se nourrissant du désespoir et de l’aliénation sociale, des prédicateurs obscurantistes multiplient les appels et les recrues pour mener le "jihad" en Syrie, ciblant dans les quartiers populaires les proies faciles que représentent ces milliers de jeunes désœuvrés et sans perspectives, enrichissant au passage quelques "marchands de la mort" organisateurs et profiteurs de ce trafic morbide.

    Les potions du FMI s’invitent une nouvelle fois en Tunisie 

    Bien loin de prendre des mesures pour rendre la vie des masses plus supportables, le gouvernement remanié de la "Troïka" concocte de nouveaux plans antisociaux, sous les recommandations du Fonds Monétaire International, de la Banque Mondiale et l’œil bienveillant des grandes puissances impérialistes. 

    Un accord de principe vient d’être conclu entre le gouvernement et le FMI, suite à des négociations (tenues secrètes pendant plusieurs semaines…bienvenue en Tunisie "démocratique"). Cet accord a pour but d’octroyer un prêt "de précaution" de 1.7 milliards de dollars à la Tunisie. Un prêt destiné à assurer la viabilité du paiement des dépenses courantes, parmi lesquelles le remboursement de la dette déjà existante, héritée de la dictature de Ben Ali, constitue le premier pilier : un montant qui, soit dit en passant, représente trois fois le budget de la santé et cinq fois celui de l’emploi. Et cela alors que les hôpitaux sont étranglés par le manque de moyens et de personnel et que le chômage continue sa course folle vers des sommets inégalés.

    L’idée qu’un tel prêt va aider à "soutenir la croissance tunisienne", tel que clamé officiellement, est une vaste supercherie. Le long héritage des politiques du FMI dans la région et les exemples plus récents des pays d’Europe du Sud sont là pour nous montrer où nous mène cette logique de l’endettement et des conditions "douloureuses" qui s’y rattachent: vers une dépendance encore accrue à l’égard du capital international, un étouffement de la croissance, et surtout, un désert social pour la masse de la population.

    Les conditions attachées à ce prêt vont être en effet, comme partout, des armes de destruction massive contre les travailleurs et les masses pauvres. Au menu: augmentation du prix des produits de base via une réforme du système de subventions publiques, nouvelle baisse de charges pour les entreprises, privatisations en cascade, modération salariale, gel des embauches, …. C’est sans doute ce que la présidente du FMI, Christine Lagarde, décrit cyniquement comme étant « de bonnes nouvelles » pour la Tunisie. 

    L’augmentation des prix des carburants décidée en février n’a été qu’un hors-d’œuvre de ce vaste plan d’attaques en préparation. Entre autres, le ministère des Finances s’est penché avec le FMI sur l’élaboration d’une étude approfondie sur l’ensemble du système des subventions publiques en Tunisie, visant à des "réformes structurelles" dans ce domaine. S’attaquant aux maigres filets qui permettent à des milliers de Tunisiens de tenir encore la tête hors de l’eau, de telles réformes sont une véritable bombe à retardement sociale.

    De nouvelles explosions sociales se préparent

    Surtout que pendant ce temps, les ministres et députés mènent allègrement leurs trains de vie faste, à mille lieux des préoccupations du plus grand nombre. Comble de l’ironie, certains ont même voulu faire passer une augmentation de leurs salaires et indemnités -avec effet rétroactif- pendant qu’on s’apprête une nouvelle fois à demander aux travailleurs et aux pauvres de se serrer la ceinture. Alors que les nombreux chômeurs et chômeuses qui s’accumulent dans le pays ne bénéficient d’aucune indemnité de subsistance, la vice-présidente de l’Assemblée Nationale Constituante, Maherzia Laabidi, du parti Ennahda, s’octroie un salaire de pas moins de 39.000 dinars (près de 20.000 euros)! 

    Tout cela ne fait que jeter de l’huile sur les braises encore chaudes de la colère populaire. Il s’en faut de peu de choses pour que ces dernières s’enflamment à nouveau. D’ailleurs, elles n’ont jamais été complètement éteintes. En témoigne les chiffres procurés par le Ministère des Affaires Sociales, qui parle de 126 grèves ayant pris place durant le premier trimestre de l’année 2013, un chiffre en hausse de 14% par rapport à la même période l’an dernier. 

    La fin du mois d’avril a vu une nouvelle poussée de grèves en cascade: grève nationale des magistrats les 17 et 18 avril, grève générale à Sidi Thabet (gouvernorat de l’Ariana, Nord-Ouest de Tunis) le 20 avril, grève des agents de douane le 22, grève de l’enseignement de base le 24, grève générale régionale à Zaghouan (Nord Est) le 26, grève des boulangers les 29 et 30. Et le mois de mai démarre déjà sur les chapeaux de roue, avec une grève des transporteurs de carburant les 2, 3 et 4 mai.

    Si ces grèves sont pour la plupart déclenchées sur des questions liées au statut, aux heures de travail ou aux salaires (y compris pour exiger l’application de gains obtenues lors de grèves précédentes), le mépris profond du pouvoir en place est bien là en toile de fond, et la frontière entre grèves économiques et celles plus politiques de la contestation du pouvoir en place est souvent très vite franchie.

    Les instituteurs, dont la grève visant à protester contre leurs mauvaises conditions de travail a été suivie à plus de 90%, n’ont pas hésité par exemple à donner à leur combat une dimension franchement politique. A Tunis, devant le siège de la centrale syndicale Place Mohamed Ali, les instituteurs grévistes criaient «Oui, on y laissera nos vies, mais Ennahdha finira par être déraciné de notre terre» ; ils ont ensuite rejoint, à la fin de leur rassemblement, la manifestation hebdomadaire organisée par la coalition de gauche du Front Populaire, organisée tous les mercredis à l’avenue Bourguiba pour demander aux autorités: «Qui a tué Chokri Belaïd?».

    Discrédit profond du pouvoir en place

    Le pouvoir est profondément discrédité et impopulaire. Les défaites écrasantes subies par les Nahdaouis aussi bien lors des élections des représentants des étudiants dans les conseils de faculté des universités en mars dernier (l’UGET, le syndicat étudiant de gauche, a décroché 250 sièges contre 34 en faveur du syndicat islamiste de l’UGTE, proche du pouvoir) que lors des élections de l’Association des Jeunes Avocats, ne sont que deux exemples récents et symptomatiques d’un climat qui se développe plus largement dans toute la société.

    Face à la colère bouillonnante et à l’érosion du pouvoir en place, ce dernier n’a pratiquement que l’arme de la répression pour tenter d’imposer le silence et la mise au pas de ceux et celles qui luttent. Agressions en hausse contre les journalistes, menaces de mort à l’encontre des opposants politiques et des syndicalistes,…La troisième mouture de la constitution, rendue publique récemment, met directement en cause le droit de grève et vise clairement à la compression des libertés syndicales.

    A côté de cela, on assiste à une multiplication des procès politiques, ciblant en premier lieu les jeunes révolutionnaires. C’est toute une génération engagée, qui était aux premières loges du soulèvement contre le régime de Ben Ali, qui se trouve maintenant sur le banc des accusés. Deux jeunes tagueurs de Gabès (sur la côte Est) risquaient ainsi jusqu’à cinq ans de prison pour avoir peint sur des murs : "Le pauvre est un mort-vivant en Tunisie" et "le peuple veut des droits pour les pauvres". Ils n’ont finalement écopé que de 100 dinars d’amende, suite entre autres à la furie populaire que leur incrimination a suscitée. Les habitants de la région d’Ajim, sur l’île de Djerba, avaient quant à eux observé une grève générale le 22 avril dernier en signe de protestation contre les jugements prononcés dans l’affaire dite de "la jeunesse d’Ajim" : 10 jeunes originaires de la région avaient en effett été condamnés à 10 ans de prison ferme pour incendie de la maison d’un fonctionnaire de police lors des événements révolutionnaires qui ont suivi la chute de Ben Ali le 14 janvier 2011.

    Importation du terrorisme jihadiste en Tunisie ?

    Beaucoup de Tunisiens ont été choqués par la découverte de camps d’entrainement jihadistes dans la zone montagneuse de Chaambi, dans le gouvernorat de Kasserine (près de la frontière algérienne) et par les explosions de mines anti-personnel posés par ces terroristes, qui ont fait plusieurs blessés parmi des agents de l’armée et de la Garde Nationale, dont certains ont perdu des membres.

    Cela ne peut pourtant surprendre. Bien que le rôle d’Ennahda dans ces événements n’est pas clair à cette heure, le pouvoir actuel en porte une responsabilité évidente quoiqu’il en soit : la prolifération du salafisme jihadiste a pignon sur rue et a bénéficié d’un climat d’impunité, quand ce n’est pas de la complicité directe, par ceux-là mêmes qui dirigent le pays depuis plus d’un an et demi.

    Dans le tract que le CIO avait distribué au récent Forum Social Mondial à Tunis, nous avions mis en garde contre les risques d’éléments de déstabilisation et de violence devenant plus prégnant en Tunisie en cas de stagnation du processus révolutionnaire :

    « La misère grandissante dans les quartiers pauvres nourrit le terreau à partir duquel les salafistes et jihadistes embrigadent, surtout parmi des jeunes qui n’ont plus rien à perdre. Les couches de la population pauvre les plus désespérées, si elles ne voient pas d’issue du côté du mouvement syndical et de la gauche, pourraient devenir la proie de ces démagogues réactionnaires. La seule façon dont la classe ouvrière et la jeunesse révolutionnaire peuvent gagner à elles la masse des laissés-pour-compte est de créer un mouvement national puissant capable de lutter pour les revendications de tous les opprimés. Cela implique de lier la nécessaire lutte pour la défense et l’élargissement de tous les droits démocratiques avec le combat sur des problèmes tels que l’emploi, le logement, la vie chère,…Dans le cas contraire, l’érosion du pouvoir nahdaoui pourrait partiellement profiter aux salafistes et à leur surenchère, lesquels pourraient gagner de nouveaux secteurs de la population pauvre, des exclus et des marginalisés à leur cause et les mobiliser contre la révolution. Le pays pourrait glisser dans une spirale de violence dont les masses paieraient le premier prix. »

    Bien sûr, la classe ouvrière et la jeunesse révolutionnaire n’ont pas jusqu’à présent subi de défaites d‘importance majeure ; elles disposent encore de réserves de force insoupçonnables, et ont goûté à l’expérience d’avoir renversé une dictature il y a de cela pas si longtemps. La réponse magnifique des masses tunisiennes à l’assassinat de l’opposant de gauche Chokri Belaïd a donné un aperçu des difficultés auxquelles la classe dirigeante sera confrontée si elle veut passer à des méthodes plus brutales de répression. Pour les mêmes raisons, la descente du pays dans une situation de guerre civile ouverte, à l’instar de ce qui s’est passé en Algérie dans les années 1990, n’est pas immédiatement posée. Cela étant dit, il serait dangereusement illusoire de minimiser les conséquences potentielles qu’aurait une défaite de la révolution sur le long terme.

    La classe ouvrière et ses organisations

    A la base dans la société, la volonté de lutter est manifeste, s’exprimant quotidiennement de mille et une façons. Les conditions objectives qui ont initié la révolution, les problèmes sous-jacents -et s’aggravant- de la pauvreté et de la répression, préparent clairement le terrain pour de nouveaux soulèvements. Par ailleurs, l’existence d’une puissante centrale syndicale et d’organisations de gauche dont l’implantation n’est pas négligeable est un atout puissant pour la poursuite de la révolution. Encore faut-il que celles-ci soient utilisées à bon escient.

    La centrale syndicale, l’UGTT, et le Front Populaire sont les organisations les plus représentatives des couches de la population tunisienne qui ont fait la révolution, et qui partagent un commun intérêt à poursuivre celle-ci jusqu’au bout. Cependant, le potentiel que ces forces représentent est loin d’être mis à profit comme il pourrait l’être.

    La bureaucratie nationale du syndicat bloque de facto la perspective d’une confrontation décidée avec le pouvoir en place, et laisse les régions, les localités et les secteurs se battre chacun dans leurs coins. Les appels futiles au "dialogue national", encore réitérés par le secrétaire général Hassine Abassi lors du premier mai, se substituent à l’organisation, vitale et urgente, d’une lutte unifiée à l’échelle du pays visant à la chute de la Troïka au pouvoir et à la poursuite ferme et décidée des mobilisations révolutionnaires jusqu’à la victoire.

    Le Front Populaire représente un vecteur potentiellement vital de reconstruction d’une représentation politique pour la révolution, la classe ouvrière et les opprimés. Mais une certaine amertume légitime est cependant perceptible parmi beaucoup de ses sympathisants et de militants de base, face au manque d’initiatives d’ampleur prises par sa direction, et à l’absence de mots d’ordre clair à la suite du succès de la grève générale du 8 février. Entre l’optique résolument révolutionnaire encouragée par beaucoup des militants, et le choix de la « transition démocratique » et des formules réformistes et institutionnelles respectant les règles posés par l’Etat capitaliste en place, -orientation encouragée par une partie importante de la direction-, le Front navigue à vue. 

    Tel que le CIO l’a mis en garde à plus d’une reprise, si le Front Populaire ne se dote pas urgemment d’un plan d’action stratégique audacieux, axé sur des réponses socialistes claires, résolument orienté vers la lutte des masses laborieuses et ce jusqu’à la mise en place d’un gouvernement qui représentent directement ces dernières, l’élan qui a été construit autour du Front pourrait être perdu.

    Le danger d’une certaine édulcoration politique (à savoir d’une évolution vers la droite et vers la recherche de compromis avec des forces non ouvrières), pourrait pointer le bout de son nez remonter à la surface d’une manière plus explicite. En particulier, il est vital que le Front maintienne une indépendance totale à l’égard de toutes les forces pro-capitalistes qui prônent « l’union sacrée » contre les islamistes afin de mieux dévier l’attention de la guerre de classe à l’œuvre dans le pays. L’histoire de toute la région est parsemée de défaites révolutionnaires catastrophiques du fait que la gauche s’est fourvoyée dans des alliances dangereuses avec des forces nationales bourgeoises. Il s’agit d’en dégager toutes les leçons nécessaires.

    Le ralliement au Front Populaire du mouvement « El Chaâb », par exemple, n’est pas forcément de bonne augure. Les déclarations de son secrétaire général, annonçant récemment que le Front Populaire représente « l’espoir de voir réaliser un jour les objectifs de la révolution à savoir : la justice, la démocratie et la productivité » ( !) représentent une sérieuse entorse à ce pourquoi se battent l’immense majorité des militants, syndicalistes, jeunes, chômeurs, qui sont aujourd’hui membres ou sympathisants du Front.

    Plus que jamais, le Front Populaire a besoin de se doter d’un programme révolutionnaire clair et offensif. Un programme qui:

    1) Lutte pour les pleins droits démocratiques, pour le droit de manifester, de se rassembler et de faire grève, pour la fin immédiate de l’état d’urgence, pour l’arrêt de tout procès politique et de la brutalité policière.

    2) Engage clairement les mobilisations dans la perspective d’une lutte soutenue visant à dégager pour le bon le pouvoir en place. Cela pourrait commencer par un appel à une nouvelle grève générale, soutenue par de solides mobilisations à l’échelle de tout le pays. Non pas une grève générale d’un jour sans aucun lendemain comme ce fut le cas pour la grève du 8 février, mais une grève générale comme point de départ d’un combat déterminé, prolongé et sans répit, déployant toute la force du mouvement ouvrier organisé jusqu’à la chute du gouvernement actuel (ainsi que de son Assemblée Constituante pourrie et non représentative).

    3) En appelle à la mise en œuvre de mesures économiques radicales telles que :

    • l’occupation des sites qui menacent de fermeture, de licenciements ou de délocalisation, ainsi que leur expropriation et leur nationalisation sous le contrôle démocratique des salariés ;
    • le refus intégral et inconditionnel du paiement de la dette, et la préparation d’un vaste travail d’agitation et de mobilisation pour engager la contre-attaque face aux plans de misère concoctés par le FMI et le gouvernement ;
    • l’introduction de l’indexation automatique des revenus à l’évolution des prix, et l’ouverture immédiate des livres de compte de toutes les grandes compagnies de distribution ;
    • la nationalisation, sous contrôle de la collectivité, des banques et des grandes industries, et l’introduction d’un monopole d’Etat sur le commerce extérieur ;
    • la mise en place d’un vaste programme d’investissement public dans des projets d’infrastructure (routes, centres hospitaliers, éclairage public, zones vertes, complexes pour les jeunes,…) pour fournir de l’emploi aux centaines de milliers de chômeurs et en finir avec la marginalisation des régions ;
    • la division du travail disponible entre tous et toutes, au travers de l’introduction de la semaine de 38h/semaine sans perte de salaires, dans tous les secteurs d’activité.

    4) Encourage, partout où c’est possible, l’élection de structures d’organisation révolutionnaires, à l’échelle des quartiers, des villages, des lieux de travail et d’étude, sous la forme de comités d’action composées de délégués élus et combatifs, afin de coordonner la lutte des masses à chaque niveau. Des organes collectifs d’auto-défense doivent aussi urgemment être mis sur pied, pour contrer les violences des milices ainsi que la répression de la machine d’Etat. Cela doit être combiné à des appels de solidarité de classe en direction des couches inférieures des forces de l’Etat, en particulier vers les soldats conscrits.

    5) Popularise dès à présent la perspective d’un gouvernement révolutionnaire composé de véritables représentants des acteurs-clés de la révolution : des travailleurs, de la jeunesse révolutionnaire, des chômeurs, des paysans pauvres. L’appel à un « Congrès de Salut» initié par le Front populaire, compris de cette façon, prendrait alors tout son sens: un Congrès révolutionnaire, composé de délégués élus provenant directement des forces vives de la révolution aux quatre coins du pays, érigeant son propre pouvoir, capable de contester directement le régime existant et tous ses appendices.

    En fin de compte, la viabilité d’un tel pouvoir dépendra de la réalisation d’un programme qui puisse rassembler le soutien de la majorité de la population, en Tunisie comme internationalement. Seule une économie planifiée, socialiste et démocratique, peut permettre cet objectif. C’est un tel programme que les sympathisants du CIO en Tunisie, actifs au sein de la Ligue de Gauche Ouvrière (LGO), elle-même composante du Front Populaire, continueront à défendre dans les présentes et futures mobilisations.

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