Category: Moyen-Orient et Afrique du Nord

  • Kurdistan : « L'Etat Islamique » chassé de Kobanê

    La fin du siège de Kobanê va-t-elle inverser la tendance contre l’EI ?

    kobane-300x160« L’Etat Islamique » (EI) avait promis de célébrer la fête musulmande de l’Aïd al-Adha dans les mosquées de Kobanê. Mais après 134 jours de résistance héroïque par les unités de guérilla, les YPG/YPJ (Unités de Protection du Peuple et Unité de Protection des Femmes), « assistés » par les bombardements de la coalition dirigée par les Américains et plus marginalement par les troupes de Peshmerga kurdes irakiennes et des éléments de « l’Armée Syrienne Libre », l’EI a été repoussé hors de la ville la semaine dernière. Le drapeau noir du groupe jihadiste a été retiré des toîts de Kobanê et des millions de Kurdes dans le monde entier célèbrent la libération de la ville symbole.

    Serge Jordan, Comité pour une Internationale Ouvrière

    C’est un important revers militaire et psychologique pour l’EI. Il érode le prestige du groupe et la légende de ce mastodonte. Le 27 octobre 2014, l’EI avait publié une vidéo proclamant que la bataille pour Kobanê était « presque finie » et que les jihadistes étaient en train de « nettoyer de rue en rue et d’immeuble en immeuble ». Bien que l’EI ait envoyé certains de ses meilleurs combattants à Kobanê, surpassant la résistance en nombre et ayant à sa disposition de grandes réserves d’armes lourdes et de forces blindées, il a fini par être forcé dans une retraite humiliante.

    Le chiffre exact des pertes de l’EI dans la bataille pour Kobanê n’est pas connu avec certitude, mais tous les observateurs l’estiment proche de 1000, sinon plus. A mesure que les revers de l’EI à Kobanê apparaissaient, ils créaient de la confusions et des brèches dans les rangs des jihadistes. Le groupe a même procédé à l’exécution de combattants qui refusaient l’ordre de ce déployer dans cet endroit. « Les combattants arguaient que la ville n’était pas suffisamment importante stratégiquement pour justifier les pertes qu’ils subissaient », indique le Financial Times de décembre 2014.

    La victoire de Kobanê est aussi un coup pour le régime turc de Recep Tayyiploç Erdo?an, dont le soutien militaire, logistique et médical officieux aux jihadistes a été bien documenté – autant que son aversion pour la rébellion à dominante kurde de Kobanê et dans les autres « cantons autonomes » de Rojava. La possibilité de retombées terroristes en conséquence des intrigues de l’Etat turc a été vue à domicile le 6 janvier 2015 quand une femme kamikaze liée à l’EI s’est fait exploser dans le district Sultanahmet à Istambul, tuant un policier.

    Hypocrisie des USA

    Le Département d’Etat américain et le Pentagone ont félicité les combattants résistants de Kobanê pour leur victoire, tout en vantant la campagne aérienne menée par les Américains. Bien qu’il ne serait pas raisonnable de soutenir que les bombardements américains n’ont joué aucun rôle dans la défaite de l’EI à Kobanê, il est clair qu’en premier lieu, le gouvernement américain n’aurait pas fait de cette ville une priorité sans la résistance sans répit des combattants des YPG/YPJ sur le terraint, dont 600 ont payé de leur vie la libération de la ville.

    La position à double face de l’impérialisme américain ne peut être mieux illustré que par les mots de John Kerry, Secrétaire d’Etat, qui expliquaient en octobre 2014 que d’empêcher de la chute de Kobanê ne faisait pas partie de la stratégie des USA, mais qui maintenant déclare sans rougir que « Kobanê était un vrai objectif symbolique et stratégique » !

    La deuxième plus grande ville d’Irak, Mossoul, a été prise par l’EI en quelques jours en juin dernier, malgré l’investissement de milliards de dollars par le gouvernement américain dans l’entraînement de l’armée irakienne. La petite ville de Kobanê, avec bien moins de main d’oeuvre et de capacités militaires, est devenue un symbole mondial de résistance bien avant que les USA ne décident d’intervenir dans ce qu’ils considéraient comme secondaire dans leur plan général.

    Il y a 2 siècles, Napoléon Bonaparte observait : « l’efficacité d’une armée dépend de sa taille, de son entraînement, de son expérience et de son moral, mais le moral vaut plus que les autres facteurs réunis. » La victoire de la résistance de Kobanê a démontré qu’une lutte résolue basée sur les aspirations sociales et démocratiques du peuple, plutôt que sur les affiliations sectaires et les ambitions motivées par le profit et la corruption, peuvent vaincre même les plus impitoyables des forces terroristes.

    Cela peut servir d’encouragement aux millions qui vivent sous la poigne de fer de l’EI dans d’autres régions de l’Irak et de la Syrie. Dans certains de ces endroits, des signes de dissension apparaissent qui indiquent l’exaspération grandissante chez une partie de la population et les problèmes que le groupe jihadiste rencontre en administrant ces régions comme une force occupante de facto.

    Alors que l’EI est encore fonctionnel et bien-organisé, et qu’il contrôle de vastes étendues de territoire à la fois en Syrie et en Irak, sa répression brutale des aspirants déserteurs à Raqqa, son bastion syrien, ou la coupure des réseaux téléphoniques dans la ville de Mossoul indiquent que l’organisation jihadiste n’est pas aussi invulnérable qu’elle voudrait le faire croire. Elle n’est pas exempte de la possibilité de l’approfondissement de la crise ou même de l’éclatement d’un soulèvement populaire.

    Nouveaux dangers

    La fin du siège de Kobanê est un grand soulagement pour tout ceux qui ont anxieusement suivi les 4 mois de bataille contre l’assaut meurtrier de l’EI. Pourtant, il ne faut pas le tenir pour garanti. Les YPG/YPJ ont récemment repris des dizaines de villages dans les environs, mais des centaines de villages qui font partie du canton de Kobanê restent sous contrôle de l’EI.

    Kobanê est en ruine à présent. Cela a été illustré d’une façon poignante par une réfugiée de Kobanê en larmes qui disait à la presse internationale : « Nous voulons tous rentrer à la maison. Mais qu’allons-nous y trouver ? » Les tirs d’obus, attentats à la bombe et tirs de l’EI qui s’ajoutent aux lourds bombardements aériens de la coalition dirigée par les USA ont détruit des quartiers entiers, les laissant sans accès au chauffage, à l’eau ou à l’électricité.

    Des compagnies privées pourraient utiliser la reconstruction de la ville pour tirer profits de l’adversité des habitants de Kobanê, et les puissances occidentales et locales pour renforcer leur emprise politique sur la région. C’est pourquoi il est essentiel que toute l’aide extérieure et les efforts de reconstruction soient contrôlés démocratiquement et organisés par les communautés locales. La frontière avec la Turquie devrait aussi être ouverte immédiatement pour permettre le passage des réfugiés qui veulent rentrer chez eux comme celui des convois d’assistance et du matériel de construction.

    Manoeuvres politiques

    Si le coût matériel de la victoire de Kobanê est énorme, le rapprochement initié par les dirigeants du PYD (Parti d’Union Démocratique, le bras politique des YPG/YPJ) avec l’impérialisme occidental au cours de la bataille de Kobanê peut se révéler coûteux politiquement. On peut maintenant s’attendre à ce que toutes sortes de personnalités politiques douteuses s’allient pour essayer de cueillir les fruits de la libération de Kobanê.

    Les troupes Peshmerga kurdes irakiennes, envoyées à Kobanê en octobre dernier avec l’appui réticent du gouvernement turc, prennent leurs ordres du régime pro-big business et profiteur de Masoud Barzani. Ses plans ne s’accordent pas bien avec les attentes de changement social chez beaucoup de kurdes et de soutiens de base des YPG/YPJ et du PYD.

    L’esprit combattant de la résistance de Kobanê et du Rojava a été stimulé en particulier par le soutien massif parmi les Kurdes pour une patrie kurde longtemps niée. Mais le Kurdistan de Barzani n’est pas grand chose de plus qu’un état-client corrompu et autoritaire des corporations multinationales, où les travailleurs sont exploités et les droits syndicaux bafoués. Ce n’est qu’en rompant avec les élites dominantes, y-compris les factions pro-capitalistes kurdes, que les Kurdes pourront obtenir une auto-détermination authentique et viable.

    Beaucoup de gens trouvent une inspiration dans la lutte courageuse des Kurdes pour la liberté et dans la libération de Kobanê. Mais pour la considérer comme consistante et durable, la résistance de Kobanê et dans toutes les parties du Rojava devrait chercher de nouveaux alliés parmi les travailleurs, la jeunesse et les peuples opprimés dans toute la région, sur une base de classe claire. Cela demandera un plan d’action indépendant non seulement des puissances impérialistes et de leurs copains les régimes de la région, mais aussi tourné vers le renversement de ceux-ci.

    Les tueries de dizaines de civils par les bombes américaines dans les endroits contrôlés par l’EI, à la fois en Irak et en Syrie, ont entraîné davantage de radicalisation et attiré de nouvelles recrues Sunnites dans les rangs de l’EI. Cela montre que toute coopération avec Washington ou d’autres régimes capitalistes, dont certains partagent une responsabilité directe dans la montée de l’EI, détruira les acquis obtenus et diminuera l’attrait de la lutte à Rojava parmi les masses de la région.

    Affrontements sectaires

    Les YPG/YPJ ont fait le plus gros du travail de terrain en repoussant l’EI hors de Kobanê. Au Nord de l’Irak cependant, les Peshmerga kurdes donnent surtout le ton dans la contre-campagne contre l’EI, qui à plus d’une occasion a pris un tour « ethnique » dangereux. Les dangers de représailles et d’annexions de territoire contre la population arabe sunnite en particulier sont bien réels. Une violence vengeresse à grande échelle par des milices chiites a aussi été signalée dans des parties de l’Irak. En Syrie aussi, une guerre civile sectaire mufti-dimensionnelle fait rage.

    Tout cela produit une poudrière de tensions sectaires. Dans ces limites, le caractère de la résistance armée à Kobanê et dans les deux autres cantons du Rojava, qui repose beaucoup sur des combattantes femmes et sur la solidarité laïque et multi-ethnique, continue d’être vue par beaucoup comme « un phare dans l’obscurité ».

    Mais le désir de changement qui a uni les travailleurs et les pauvres du Rojava a besoin de trouver une issue claire ; autrement, la violence sectaire pourrait revenir en représailles. Un avertissement de ce danger s’est produit en novembre 2013, quand Salih Muslim, co-président du PYD, a déclaré : « Un jour ces arabes qui ont été amenés dans les régions kurdes vont devoir être expulsés. »

    La mise en place de comités de défense non-sectaires est une tâche cruciale pour prévenir un bain de sang entre les communautés et pour protéger du danger des milices réactionnaires, qu’elles soient de l’EI ou autre. Mais balayer les dangers de la terreur sectaire pour de bon demande la construction d’organisations de masse capables de galvaniser les travailleurs, les travailleurs agricoles pauvres et les jeunes derrière un programme de changement socialiste profond, tout en soutenant les droits démocratiques et les aspirations nationales des peuples du Moyen-Orient.

    La libération de Kobanê ré-affirme l’idée que si les masses ont un but socialement progressiste pour lequel il vaut le coup de se battre et de mourir, elles feront des miracles. Si au contraire, le combat contre l’EI est laissé à des milices gangsters et des armées corrompues en concurrence pour leur prestige, les marchés capitalistes et les zones d’influences impérialistes, ce sera la recette du désastre.

  • Kurdistan : La bataille de Kobanê à la croisée des chemins

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    Que signifie l’ « assistance » militaire américaine pour la lutte kurde ?

    La situation à Kobanê a mis la question kurde au centre de l’attention dans le monde entier. Le canton de Kobanê, qui fait partie de Rojava (ou Kurdistan Occidental), est assiégée depuis la mi-septembre par criminels de « l’État Islamique » (EI) et est devenu l’un des centres de la résistance contre le déchaînement djihadiste.

    Serge Jordan, Comité pour une Internationale Ouvrière

    Alors que le majeure partie de la Syrie a sombré dans la guerre sectaire, les 3 enclaves à majorité kurde de Rojava ont été désertées par les forces du régime d’Assad en 2012. Depuis au Rojava, « l’auto-administration » et l’autonomie territoriale ont été proclamées par les forces qui ont saisi le pouvoir politique, dominées par le PYD (Parti de l’Union Démocratique – la version Syrienne du Parti des Travailleurs Kurdes, ou PKK), et un équilibre ethnique et religieux fragile a été maintenu. L’identité et la langue kurdes longtemps niés et ont été reconnus ainsi que les droits formels pour les groupes religieux et les minorités ethniques.

    L’État Islamique a attaqué Kobanê, le canton le plus vulnérable et exposé de Rojava, de presque tous les côtés avec des armes lourdes, des tanks et des missiles, en essayant pendant plus de 5 semaines d’écraser la résistance de la ville. Rojava et son modèle explicitement laïc représentaient un défi direct au programme théocratique réactionnaire de EI. Les femmes combattantes armées d’AK-47 en première ligne contre un groupe totalement misogyne ont stimulé l’imagination de beaucoup de gens dans le monde entier.

    Contrairement aux atrocités qui ont lieu dans beaucoup d’endroits d’Irak et de Syrie, les cantons de Rojava ont été un symbole de résistance pour des millions de Kurdes, de travailleurs et de jeunes de la région. Des manifestations, des occupations et des actions ont eu lieu dans toute l’Europe en soutien à la lutte à Kobanê, auxquelles les membres du CIO ont pris part.

    Les acquis de Rojava et la résistance à Kobanê ont offert un pont potentiel sur la route des Kurdes pour l’auto-détermination et, plus généralement, un possible point de référence pour raviver la lutte des travailleurs et des pauvres contre les horreurs de EI et les régimes dictatoriaux au Moyen-Orient. Cependant, toutes les complications politiques et les dangers de ce qui s’est récemment développé dans cette régions doivent être abordés, car une défaite dans cette lutte, au contraire, lâcherait encore plus de souffrances sur les personnes de la région.

    Kobanê tient bon

    Beaucoup de commentateurs prédisaient que Kobanê tomberait en quelques jours mais son destin est encore sur la balance, bien que certaines parties de la ville soient sous contrôle des djihadistes. L’une des raisons pour cela est que le PYD et ses unités armées, le YPG (Unités de Protection du Peuple) et le YPJ (Unités de Protection des Femmes) se sont battus héroïquement. En fait, ils ont été jusqu’ici les seuls combattants efficaces contre l’avancée d’EI. Ils se distinguent des faibles performances de l’armée irakienne complètement corrompue et des forces Peshmerga (les forces armées du gouvernement semi-autonome Kurde du Nord de l’Irak qui ont cédé les montagnes Sinjar et d’autres territoires à EI presque sans combattre. Cela montre que lorsque le peuple a un but sérieux pour lequel se battre, leur moral et leur détermination peut même surmonter, dans une certaine mesure, leur infériorité technique et militaire.

    Cela a mis l’impérialisme américain et sa croisade militaire contre EI – jusqu’ici, qui n’est pas du tout couronnée de succès – sous une pression de plus en plus forte. Initialement, les stratèges américains étaient prêts à voir Kobanê capturée par les troupes de EI. « Aussi horrible que ce soit de voir en temps réel ce qui se passe à Kobanê… vous devez vous retirer et comprendre l’objectif stratégique », commentait John Kerry fin septembre. Mais il y a deux semaines, les USA sont passé de quelques frappes aériennes parcimonieuses et réticentes contre EI à Kobanê à des efforts plus déterminés d’assistance aux combattants de YPG, y-compris en parachutant des armes, des munitions et du matériel médical, disant que ce serait « moralement difficile et irresponsable de ne pas aider ceux qui combattent EI à Kobanê ». Pour illustrer ce retournement, un représentant de YPG occupe maintenant une position dans le centre des opérations jointes de la coalition à Erbil, la capitale du Nord de l’Irak, pour coordonner les frappes aériennes à Kobanê avec l’armée américaine.

    La motivation de ce changement de politique était qu’ils réalisaient de plus en plus que la prise de la ville par EI serait un coup humiliant au prestige et à la crédibilité américaines : Obama ne pouvait pas se permettre qu’EI remporte une nouvelle victoire militaire. Et permettre à un groupe affilié à ce que les USA et l’UE listent encore comme organisation terroriste (le PKK) faire le gros des combats de terrain contre les combattants d’EI n’améliorait pas non plus l’image des puissances occidentales. L’impérialisme américain avait donc besoin de reprendre l’initiative.

    Les politiques turques en lambeaux

    Il n’est pas un secret que l’armée turque laisse sa frontière ouverte pour permettre aux militants Djihadistes d’entrer dans le territoire Syrien, permettant même aux combattants de EI de retraverser vers la Turquie pour recevoir des soins médicaux comme pour vendre du pétrole au marché noir. Ces manœuvres étaient motivées, en partie, par les illusions « néo-Ottomanes » du président Turc Erdo?an et son Parti de la Justice et du Développement (AKP). Cela a laissé croire au dirigeant Turc, pendant les premières étapes de la guerre civile Syrienne, que le régime d’Assad serait rapidement renversé et que la Turquie deviendrait un élément dirigeant de l’axe régional dominé par les Sunnites. Mais cette politique a été explosée par les événements du terrain.

    Similairement, le gouvernement Turc a clairement voulu voir Kobanê vaincu par EI, pour donner une leçon brutale au mouvement Kurde en Turquie. Beaucoup de gens ont vu à la télé des images de dizaines de tanks Turcs alignés à la frontière turque-syrienne, alors que les combats faisaient rages à quelques kilomètres de là. Bien sur, la plupart des Kurdes ont raison de rejeter toute intervention de l’armée Turque dans la région, car cela ne serait que pour satisfaire la soif de pouvoir et l’hégémonie de l’élite dirigeante turque, certainement pas pour les droits des habitants locaux. La principale revendication était d’ouvrir la frontière pour permettre aux renforts et aux équipements d’entrer, mais l’armée turque a bloqué l’aide envoyée aux combattants Kurdes, empêchant des milliers de gens de traverser la frontière et de rejoindre la défense de la ville assiégée.

    La perception internationale que le régime Turc passe des accords sous la table avec EI contre les Kurdes Syriens gagne du terrain. Enflammées par la politique d’Erdo?an à Kobanê, les manifestations et émeutes récentes des Kurdes de Turquie (affrontements entre des militants Kurdes et les forces de l’État turc, mais aussi avec des fondamentalistes islamistes Kurdes, ainsi qu’avec des nationalistes Turques d’extrème-droite), ont fait 44 morts. Ces événements ont rappelé au régime qu’entretenir une guerre détournée contre les Kurdes de Syrie était difficile à faire sans raviver le conflit avec les Kurdes de Turquie.

    Le processus de paix au bord du gouffre

    Dans un message du 28 octobre, Abdullah Öcalan, le dirigeant emprisonné du PKK, a dit que le processus de paix engagé début 2013 entre le PKK et l’État Turc était « passé à une autre étape », ajoutant qu’il était maintenant « plus optimiste ». Cette déclaration a été faite juste après que la colère de la population Kurde de Turquie ait explosé, montrant que les masses Kurdes ne semblent pas partager ces vues optimistes. Pendant ce temps, de violents incidents impliquant les forces de l’État Turc et les militants Kurdes se sont multipliés ces dernières semaines.

    La grande majorité du peuple de Turquie, d’origine Turque comme Kurde, ne veulent pas retourner à l’état de guerre. Pour empêcher ce scénario sanglant, la gauche Kurde et Turque comme le mouvement syndical, ont la première responsabilité dans la reconstruction d’une lutte de masse pour les droits du peuple Kurde, et pour lier cette lutte à la lutte nécessaire d’organiser tous les travailleurs, les jeunes et les pauvres de toute ethnies et régions contre le régime capitaliste de l’AKP.

    Ce dernier a annoncé récemment un plan extensif de privatisations – dont les conséquences humaines ont été démontrées par un autre accident minier dans le Sud du pays mardi dernier – qui montre, une fois encore, que le gouvernement AKP n’est pas seulement un ennemi des Kurdes mais aussi un ennemi de la classe ouvrière et des pauvres vicieusement au service du big-business.

    Le demi-tour d’Erdo?an

    Erdo?an et son cercle dirigeant qualifient officiellement le PYD et EI d’organisations « terroristes ». En vérité, Erdo?an a clairement favorisé le poison djihadiste. Cela ne sera pas sans conséquences pour le peuple de Turquie. EI a développé des réseaux de recrutement et des cellules d’opération en Turquie, et ses rangs comportent des centaines de jeunes Turcs. Le danger d’un retour de feu terroriste en Turquie est réel.

    La tension monte aussi entre les USA et le régime d’Erdo?an. La classe dirigeante américaine est de plus en plus mécontente de la Turquie, qui est membre de l’OTAN. Washington pense que la Turquie a appuyé les forces même que les USA bombardent depuis quelques semaines, ce qui montre le manque de volonté de certains des partenaires des USA dans la mal-nommée « Coalition des Volontaires ».

    Étant donnés ces facteurs, le gouvernement Turc a finalement été forcé de faire demi-tour en ce qui concerne Kobanê. Insatisfaits de la décision unilatérale des USA d’assister le PYD, Erdo?an a essayé de trouver une alternative sans perdre la face, en permettant à 150 combattants Peshmerga, liés au Gouvernement Régional du Kurdistan (KRG) de l’Irak du Nord, d’aller à Kobanê via la Turquie.

    Le régime d’Erdo?an a développé des relations très étroites avec les dirigeants notoirement corrompus et pro-capitalistes du KRG. Le président du KRG, Masoud Barzani, et son parti, le KDP (Parti Démocratique du Kurdistan), qui jusque récemment étaient eux-même apparemment contents de voir le YPG se faire écraser à Kobanê, ont un historique de collaboration directe avec l’armée Turque pour essayer d’éliminer les combattants du PKK sur le territoire dirigé par le KDP.

    Ces Peshmerga doivent rester à l’écart du front de Kobanê. En fait, la signification politique de ce coup est bien plus pertinent que sa justification militaire. Par cette manœuvre, les dirigeants Kurdes essaient de diluer et de contre-balancer l’influence de PYD, et de mettre un pied dans le Kurdistan Syrien en faisant entrer en jeu leurs partenaires de droite. Le fait même que les Peshmerga soient encore autorisés à aller et venir en franchissant la frontière alors que beaucoup de manifestants Kurdes de Turquie et de réfugiés de Kobanê sont systématiquement empêchés de le faire, montre les machinations cyniques d’Erdo?an.

    Les socialistes et la bataille pour Kobanê

    Bien avant que la bataille pour Kobanê soit sous les projecteurs des médias, le Comité pour une Internationale Ouvrière (CIO) avait souligné le besoin de construire partout dans la région des organes non-sectaires et démocratiques comme base pour organiser une défense populaire de masse non seulement contre EI, mais aussi contre tout autre groupe extrémiste religieux, contre les forces brutales et sectaires des régimes Syrien et Irakien, et contre l’intervention impérialiste – ces dernière ayant une grande responsabilité dans la croissance des bandes djihadistes qui attaquent maintenant Kobanê.

    Pour cimenter l’unité au travers des lignes nationales, ethniques et religieuses, une telle lutte demande d’être équipée d’un programme qui soit sans compromis en faveur des droits égaux pour tous les peuples et communautés opprimés de la région, leur droit à l’auto-détermination inclut.

    Face à la menace de génocide ethnique par les meurtriers d’EI, les défenseurs de Kobanê et beaucoup de Kurdes dans le monde entier ont demandé à la « communauté internationale » de les assister contre les unités de EI, bien mieux équipées. C’est une demande compréhensible étant donné les circonstances, cependant c’est une approche erronée dont les masses de Kobanê et d’autres endroits de Rojava peuvent payer un lourd prix. Si les gouvernements occidentaux étaient vraiment intéressées au bien-être de la population de Kobanê, ou même à vaincre EI sans arrières-pensées, il y a longtemps qu’ils auraient procuré des armes aux défenseurs de la ville, sans demander de concessions politiques en contre-partie. Cependant, ce qui se passe maintenant est toute une autre histoire.

    L’assistance américaine en termes d’armement est, en effet, utilisée pour faire du chantage et pousser les combattants de Kobanê à la soumission politique, et le PYD à s’aligner de plus en plus sur la politique américaine. Washington a essayé de donner du pouvoir au Conseil National Kurde (KNC), une coalition de droite des partis Kurdes Syriens qui sont appuyés par Barzani, comme contre-poids aux PYD à Rojava. Mais le 22 octobre, le PYD a officiellement signé un accord de partage du pouvoir avec les pro-capitalistes du KNC pour administrer conjointement les régions Kurdes de la Syrie.

    3 jours plus tôt, le commandement général de l’YPG a publié une déclaration : « Nous allons travailler à consolider le concept d’un véritable partenariat pour l’administration de ce pays en rapport avec les aspirations du peuple syrien avec toutes ses classes ethniques, religieuses et sociales ». C’est un précédent dangereux. Alors que la Constitution du Rojava mentionne la protection du droit du travail, le développement durable et le bien-être général, ces buts ne peuvent être obtenus en plaidant l’harmonie entre toutes les classe sociales.

    Ces développements marquent une tentative claire de l’impérialisme américain et ses partenaires d’installer une direction Kurde plus complaisante à Rojava. Le CIO avait averti de ces développements : « toute solution à la lutte Kurde reposant sur l’appui politique de l’impérialisme occidental devrait être rejetée, et les livraisons d’armes ne peuvent être acceptées que sur base du rejet des « conditions » imposées par les puissances extérieures qui vont contre les intérêts des masses du peuple Kurde. » (‘The battle for Kobanê’, 02/10/2014) .

    Aussi épouvantables et menaçantes que soit l’action de EI, ce n’est pas le seul danger qui pèse sur Kobanê et Rojava. Les accord secrets avec l’impérialisme doivent être rejetés, car ils font courir le risque de créer un changement qualitatif dans le caractère des combats sur le terrain.

    Même le régime syrien de Bashar al-Assad et le gouvernement russe ont bien accueilli le déploiement des forces Peshmerga à Kobanê. Tous les vautours survolent la région pour y imposer leur influence, avec l’intention de restaurer « l’ordre » seulement sur base de leurs intérêts de classe. Kobanê et les autres cantons de Rojava pourraient être réduits à des pions dans les manœuvres des puissances extérieures et leurs mandataires locaux, mettant sur le côté les éléments authentiques de la résistance des peuples, et poignardant dans le dos la lutte que des milliers de personnes ont déjà paye de leur vie.

    Lutte pour la démocratie socialiste

    Le CIO pense que la force et la survie de le lutte à Rojava sont directement liés à l’implication active des masses de la population locale. Alors que des pas ont été faits dans cette direction, les manœuvres mentionnées ci-dessus montrent le manque de transparence démocratique dans la façon dont la lutte est menée et comment les décisions sont prises.

    Sans contrôle démocratique et auto-organisation authentique des masses, il y a un danger réel que ces caractéristiques démocratiques prennent le dessus. La lutte dans toutes les enclaves de Rojava, sous ses aspects militaires et politiques, devrait être organisée aussi largement et démocratiquement que possible, sur base de transparence des décisions à tous les niveaux. Les assemblées populaires rapportées devraient être élargies et démocratisées avec des représentants révocables. Les partis politiques devraient exercer le pouvoir seulement sur base de leur poids réel dans la société, et non sur base des accords secrets imposés par en haut par des pouvoirs extérieurs. A Kobanê, malgré leur bravoure indiscutable, les quelques milliers qui sont restés défendre la ville se sont battus tous seuls. Le gros de la population locale a fui la ville. Mais plus tôt, le PYD aurait pu appeler à l’initiative de tous les travailleurs, paysans et jeunes, en encourageant à s’unir, à mettre en place des comités de défense, à monter des barricades, et à jouer ainsi un rôle actif dans la protection et la fortification de leur ville – sur le modèle de la résistance anti-fasciste à Barcelone en 1936, bien que dans des circonstances différentes. Ceux qui n’étaient pas en position d’être directement impliqués dans la lutte aurait pu être impliqués dans l’assistance à la résistance de d’autres façons (logistique, infirmerie etc).

    Malheureusement, les méthodes de guérilla du PKK/PYD, basées sur l’idée d’une minorité vaillante combattant au nom de la masse de la population, a été un obstacle à l’organisation des dizaines de milliers de personnes qui pouvaient jouer un rôle crucial dans le reversement des flux et reflux du siège de EI.

    Face à la menace continuelle d’EI, la masse de la population de chaque ville et village de tout Rojava a besoin d’être énergiquement encouragée à effectuer un entraînement militaire basique et à organiser des organes de défense, sur des bases non-sectaires. Cela permettrait de forger une force et une unité maximum et de préparer la résistance à l’ennemi djihadiste assiégeant.

    Les combattants restant à Kobanê ne seront pas capables de maintenir leur combat indéfiniment dans l’isolation si leur lutte n’est pas activement reprise par un plus grand nombre dans les régions environnantes. Cela aiderait à rompre le siège de Kobanê par les djihadistes dans l’Ouest, l’Est et le Sud de la ville et aussi par l’armée turque dans le Nord.

    Les premiers alliés de la résistance Kurde ne devraient pas être la super-puissance impérialiste américaine ni aucune force capitaliste, mais la mobilisation active et indépendante de la classe ouvrière et des pauvres dans cette région du monde et au niveau mondial. Le sabotage des acquis de Rojava par les forces pro-capitalistes et pro-impérialistes serait, au contraire, un retour en arrière et compliquerait la lutte durable des Kurdes pour leurs droits, ainsi que la lutte unifiée dont tous les pauvres et les opprimés de la région pour une vie meilleure ont besoin. C’est pourquoi il et nécessaire d’approfondir la lutte Kurde, et d’essayer de l’étendre géographiquement en atteignant les masses ouvrières et pauvres de toute la région avec un programme audacieux pour le changement social.

    Le magazine allemand Der Spiegel a rapporté qu’une centaine d’usines et d’ateliers de la ville syrienne Alep ont récemment été déménagées dans le canton occidental de Rojava, Efrîn. L’attitude du gouvernement régional d’Efrîn, cherchant activement à attirer des entreprises privées dans la région souligne la contradiction interne de tenter de construire un nouveau modèle basé sur la justice sociale tout en fonctionnant dans le cadre du capitalisme. Le développement de ce que le PYD et le PKK appellent « con-fédéralisme démocratique », sans se débarrasser de la nature profiteuse et exploiteuse de la propriété capitaliste, et sans implanter une réforme terrienne en profondeur, va mener à la compétition entre localités pour l’investissement des capitaux et son inévitable corollaire : un nouveau « nivellement par en-bas » des droits des travailleurs et des conditions de vie.

    Cela montre le besoin pour les masses de Rojava d’élever leur lutte sur le terrain économique, en prenant les usines et en collectivisant les terres, et d’établie les conditions d’un plan de production socialiste démocratique. Cela et la garantie des pleins droits démocratiques pour tous, donnerait un exemple aux masses de toute la région sur la façon de construire une voie pour sortir de la pauvreté, de la guerre, du sectarisme religieux et de l’oppression nationale.
    • Solidarité avec le peuple de Kobanê et de Rojava – Stop au massacre djihadiste
    • Rupture du siège de Kobanê – pour l’ouverture immédiate de la frontière turco-syrienne à tous ceux qui veulent aider la défens de la ville. Pour l’envoi à Kobanê de colonnes de volontaires organisés en commun par la gauche kurde et turque, les organisations communautaires et les syndicats
    • Pour le renforcement de comités de défense non-sectaires de masse pour sécuriser toutes les parties de Rojava sur la base de l’organisation démocratique et implantée des travailleurs, des jeune et des paysans pauvres
    • Aucune confiance en l’impérialisme – non aux accord secrets avec les puissances étrangères et autres forces pro-capitalistes
    • Pour la construction d’une lutte unifiée de tous les travailleurs et les pauvres de Turquie contre les politiques capitalistes et le règne autoritaire de l’AKP
    • Non aux lois patriotiques sécuritaires et à toutes les lois répressives en Turquie
    • Retrait de l’interdiction des organisations kurdes en Europe et aux USA
    • Pleins droits démocratiques pour le peuple kurde – pour le droit à l’auto-détermination des Kurdes dans toutes les régions du Kurdistan, ainsi que de toutes les communautés opprimées de la région
    •Pour une Rojava socialiste et démocratique au sein d’une confédération socialiste et volontaire du Moyen-Orient

  • Kurdistan : défendre Kobané et tous ceux qui sont menacés par Daesh, l’AKP et l’impérialisme

    KobaneLe canton de Kobané, qui fait partie de Rojava, est assiégé depuis le 16 septembre et est devenu un des points centraux de la résistance contre l’Etat Islamique (Daesh). Beaucoup d’informations font états des défenseurs de Kobanê qui stoppent l’avancée de Daesh, alors que beaucoup pensaient que Kobané était sur le point de tomber. Mais le danger n’est toujours pas écarté et des milliers de personnes font face à la menace d’un massacre.

    Traduction d’un tract de Sosyalist alternatif (Alternative Socialiste, CIO -Turquie)

    L’organisation barbare de l’Etat Islamique attaque Kobanê avec des tanks et des missiles, une force militaire semblable à celle d’un Etat de taille moyenne. L’Etat turc et son gouvernement AKP (Parti pour la justice et le développement, au pouvoir depuis 2002) ont offert un énorme soutien à l’Etat Islamique et tentent de bloquer tout soutient en direction de l’YPG (Unité de protection du peuple, branche armée du parti kurde de l’union démocratique – PYD), les forces armées qui combattent à Kobané. Ils ont aussi terrorisé la population qui manifeste en solidarité à Kobané, mettant des obstacles à la lutte contre l’Etat Islamique, y compris par le renforcement d’une législation répressive en Turquie.

    Les habitants de Rojava se sont mobilisés pour prendre le contrôle de la région qu’ils habitent – un processus qui a débuté à Kobané en 2012. Ils ont essayé d’établir une région autonome basée sur le modèle de laïcité et d’auto-détermination, au delà des divisions ethniques et religieuses. Cette situation a constitué une avancée considérable pour la plus grande nation apatride du monde, les Kurdes, mais elle s’oppose aussi au sombre agenda de groupes réactionnaires comme l’Etat Islamique et d’autres présents au Moyen-Orient.

    L’Etat Islamique recourt aux méthodes les plus brutales pour créer une atmosphère de peur et essaie d’instaurer un Etat théocratique basé sur des lois des plus réactionnaires. Parmi ses nombreuses cibles, Daesh veut anéantir le PKK (Parti des Travailleurs Kurdes) et le PYD (le Parti de l’union démocratique) de cette région parce qu’avec leur idéologie laïque, ils prônent des politiques contraires à l’Etat Islamique et représentent une menace face à ses objectifs. À côté de ça, Daesh veut élargir son ‘‘Etat islamique’’, son califat autoproclamé, en prenant la ville stratégique de Kobané et en augmentant son emprise dans la région.

    Le régime turc, de son côté, veut réduire en miettes les accomplissements des Kurdes, et veut assurer son statut de puissance impérialiste régionale en lançant une intervention militaire contre le régime d’Assad en Syrie avec, ils l’espèrent, le soutien des grandes puissances impérialistes occidentales. Ces puissances impérialistes occidentales perdent graduellement du terrain dans cette région, elles souhaitent donc également restaurer leur mainmise en se faisant passer comme les sauveurs des peuples de la région.

    Les impérialistes sont-ils ou non des sauveurs ?

    C’est surtout après l’attaque de l’Etat Islamique sur Shingal que de nombreuses personnes se sont mises à demander une intervention miliaire et des livraisons d’armes de la part des puissances impérialistes. Pareilles demandes sont apparues dès le début du siège de Kobané. Mais l’idée de stabilité des impérialistes et des gouvernements de Turquie et des autres pays de la région n’a rien à voir avec le véritable désir de stabilité des masses de la classe ouvrière.

    Pour ces régimes, la stabilité signifie le pillage continu du pétrole et des ressources de la région ainsi que le maintien de leur rapport de force ; cela ne signifie pas la fin des bombardements, des morts, de l’oppression ou de l’exploitation. Les organisations ou Etats favorables au capitalisme veulent détourner les revendications concernant l’aide humanitaire et militaire des populations qui risquent de se faire massacrer dans le but de poursuivre leurs propres intérêts.

    Il est facile de comprendre pourquoi la population, qui est sous la menace d’un massacre, demande le bombardement des positions de l’Etat Islamique autour de Kobané ou l’ouverture d’un corridor humanitaire à partir de la Turquie pour venir en aide à la résistance de Kobané. Mais les récents évènements ont montré comment les différentes puissances agissent afin de défendre leurs intérêts et maîtriser le mouvement de masses. Les USA ont commencé à fournir un armement limité aux défenseurs de Kobané mais demandent déjà une compensation politique au mouvement de résistance qui ne devra pas menacer les intérêts américains dans la région !

    Bien que toujours dissimulées sous des objectifs humanitaires, toutes les interventions militaires dans la région soutenues par les impérialistes se sont transformées en bains de sang (Irak, Lybie) et, de plus, sont en grande partie à l’origine même du cauchemar actuel que vivent les Kurdes ainsi que d’autres populations de la région.

    La décision du gouvernement AKP de permettre à sont allié corrompu, le régime de Barzani (président du gouvernement régional du Kurdistan du sud, région semi-autonome du Nord de l’Irak), d’envoyer ses propres forces à Kobané a pour double but de repousser Daesh et de tenter de contrôler le mouvement à Rojava en essayant d’écarter les combattants les plus à gauche du PKK et du PYD.

    C’est pourquoi le combat contre Daesh doit faire partie d’une guerre révolutionnaire qui ferait appel à tous les travailleurs et les opprimés dans le but de les unir contre l’oppression et pour une réelle alternative à tous les gouvernement pro-capitalistes corrompus et répressifs d’un bout à l’autre de la région. C’est aussi la meilleure façon d’ébranler le soutien dont dispose l’Etat Islamique en unissant tous les travailleurs, qu’ils soient kurdes, turcs, arabes, sunnites, chiites, chrétiens ou autres.

    Défendre Rojava

    Défendre Rojava est important à bien des égards. La chute de Kobané signifierait non seulement le probable massacre de nombreuses personnes, mais aussi l’écrasement d’une lutte qui a inspiré nombre de kurdes, de jeunes et de travailleurs à travers le monde. Cela renforcerait aussi l’Etat Islamique géographiquement et logistiquement.

    Auparavant, les régimes staliniens de l’ancienne URSS et d’Europe de l’Est, malgré leurs monstrueuses dérives dictatoriales, exerçaient un contrepoids international aux politiques capitalistes et impérialistes. Après leur effondrement dans les années ‘90, le mouvement des travailleurs a essuyé d’énormes revers internationalement à cause du désenchantement des travailleurs dans une alternative au capitalisme. Les organisations socialistes du Moyen Orient se sont dispersées ou ont viré à droite. La masse des travailleurs et des paysans du Moyen Orient ont souffert encore plus de l’oppression à travers la pauvreté, les interventions impérialistes et les régimes dictatoriaux. Ces masses ont commencé à chercher une alternative et une couche s’est tournée vers des islamistes de droite voire même vers des organisations djihadistes. Cela ne règle pas les problèmes des gens ordinaires ; au contraire la situation a empiré et est devenue plus compliquée.

    Cependant, l’ère du triomphalisme capitaliste est terminée. Le capitalisme se trouve actuellement dans une crise historique. Des révoltes de travailleurs, de pauvres et de jeunes contre le capitalisme ont également secoué le monde. Les masses égyptiennes et tunisiennes ont renversé des dictateurs il y a bientôt quatre ans. La défense, et enfin le succès, de la lutte à Rojava pourraient définitivement influencer ces luttes et aider à les faire progresser. Mais ces mouvements de masse ont aussi montré à quel point il est vital de maintenir une évolution indépendante de toute force pro-capitaliste afin de construire la lutte la plus efficace.

    Le modèle de gestion de Rojava ne peut pas être prospère s’il est basé sur le capitalisme et confiné à ses petits cantons. Rojava a une structure industrielle très limitée, ces zones isolées ne peuvent être viables si elles ne deviennent pas des pôles d’attraction pour les travailleurs et les pauvres paysans qui vivent dans la région aux alentours.

    Pour que cela arrive, il est plus que nécessaire que la majorité de la population soit impliquée dans la résistance et la défense de Rojava. Prenant ses inspirations des meilleurs exemples de résistance militaire de la classe ouvrière, comme la lutte des travailleurs de Barcelone contre le coup d’Etat fasciste de 1936 en Espagne, des milices de volontaires et des comités organisés démocratiquement doivent être construit, et renforcés là où ils existent, afin d’impliquer l’essentiel de la population et construire la résistance la plus puissante contre l’offensive menaçante de l’EIIL.

    Cela devrait être fait avec l’objectif conscient de construire une lutte massive et internationale pour renverser la course au profit du système économique qu’est le capitalisme au Moyen Orient par les masses, l’action et l’organisation indépendante et non sectaire de la classe des travailleurs et des pauvres de toute la région. C’est pourquoi Alternative Socialiste lutte pour le développement d’une Rojava socialiste dans le cadre d’une confédération volontaire socialiste du Moyen Orient et d’un monde socialiste.

  • Moyen-Orient : L’échec de la politique des frappes aériennes américaines sur l’État islamique

    Tandis que la bataille pour Kobanê fait rage, les forces de l’EI gagnent de plus en plus de terrain en Irak

    Tony Saunois, secrétaire général du Comité pour une Internationale Ouvrière

    article_MO_USObama et ses alliés occidentaux voulaient faire croire qu’une politique d’intervention se limitant à des frappes aériennes suffirait à empêcher l’avancée des forces du groupe ‘‘État islamique’’ en Irak et en Syrie.

    Mais à présent, tandis que se la perspective d’une défaite des forces kurdes qui combattent EI pour le contrôle de la ville de Kobanê se rapproche, cette politique a prouvé son inefficacité. Les forces de l’EI avancent dans la ville et, au moment où nous rédigeons cet article, semblent sur le point d’engranger une nouvelle victoire. Alors qu’on fait état de scènes de massacres horribles dans la ville par les forces enragées du groupe réactionnaire qu’est l’EI, les frappes aériennes américaines sur les forces de l’EI n’ont eu que très peu d’effet et se sont avérées impuissantes à contrer leur progression. La population kurde de Kobanê mène une lutte courageuse tout autant que désespérée : elle sait que si elle ne vainc pas l’EI, c’est le massacre qui l’attend.

    Ce n’est pas qu’en Syrie que la politique de frappes aériennes prônée par Obama est vouée à l’échec. L’évolution de la situation en Irak, surtout dans la province d’al-Anbâr, dans l’Ouest du pays (à la frontière avec la Syrie, la Jordanie et l’Arabie), voit les forces de l’EI effectuer de grandes percées. La province d’al-Anbâr, qui compte pour près de 25 % du territoire irakien, ainsi que toutes les plus grandes villes de la province, à l’exception de Haditha et de deux bases militaires près de Hit et de Falloujah, sont tombées entre les mains de l’EI. Une fois de plus, l’armée irakienne a été mise en déroute sans avoir offert la moindre résistance. Le bilan de l’incessante catastrophe humanitaire en Irak s’alourdit en conséquence avec le départ de la province de 750.000 nouveaux réfugiés.

    Al-Anbâr

    Il est maintenant probable que les forces de l’EI se préparent à lancer une nouvelle offensive dont l’objectif sera de s’emparer des quartiers ouest de Bagdad, à majorité sunnite. La province d’al-Anbâr avait constitué le cœur de l’insurrection sunnite contre l’occupation américaine en 2003. Le facteur principal qui explique les victoires actuelles de l’EI en Syrie et en Irak n’est pas seulement la quantité d’armes lourdes qu’il est parvenu à capturer à la suite de ses victoires sur l’armée irakienne, mais aussi au fait que cette avancée a acquis le caractère d’une nouvelle insurrection sunnite généralisée.

    Les milices chiites qui ont quelque peu progressé dans les quartiers nord et nord-est de Bagdad, ont répondu aux attaques de l’EI d’une manière brutale et sans chercher à distinguer les combattants de l’EI des simples civils sunnites. Cela a contribué à pousser encore plus de sunnites à rejoindre les rangs de l’EI, puisque nombre d’entre eux ne voient pas d’autre force à même de les “défendre”. Les milices chiites dans Bagdad parlent ouvertement de chasser les sunnites des quartiers encore mixtes de la ville. Si les forces de l’EI ont pu trouver une base sociale, c’est à cause de l’oppression perpétrée à l’encontre de la population sunnite par le gouvernement irakien de Maliki, installé par les États Unis à la suite de l’invasion de 2003.

    Cette crise va certainement s’intensifier à la suite de ces évènements en Irak, avec la chute possible de Kobanê entre les mains des forces de l’EI. En Turquie, le régime du Premier ministre Erdogan a consciemment refusé toute intervention contre les forces de l’EI qui marchaient sur Kobanê, car il craint qu’une victoire des forces kurdes qui défendent Kobanê n’encourage la lutte de libération nationale des 15 millions de Kurdes dont le territoire appartient à la Turquie.

    La plupart des combattants à Kobanê sont regroupées dans les unités de protection populaire dirigées par le Parti de l’union démocratique (PYD, Partiya Yekîtiya Demokrat) de la branche syrienne du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK, Partiya Karkerên Kurdistan) dont la base se trouve en Turquie. Ce serait un grand soulagement pour le régime Erdogan de voir la ville tomber entre les mains de l’EI plutôt que de voir le PYD sortir victorieux de cette bataille. On voit d’ailleurs que des accords semblent avoir été conclus entre lui et l’EI à ce sujet, vu la récente libération d’otages turcs par l’EI.

    Aucune confiance dans les dirigeants régionaux et dans l’impérialisme

    Nous ne pouvons accorder la moindre confiance dans les dirigeants régionaux ni dans l’impérialisme occidental en ce qui concerne la résolution de cette crise.

    Aucune “solution” proposée par ces puissances ne permettra d’améliorer le sort de l’ensemble de la population de la sous-région. L’intervention impérialiste occidentale ne fait qu’aggraver le désastre. D’ailleurs, faut-il rappeler que la crise actuelle tire en grande partie ses origines de la série d’“interventions” impérialistes qui ont eu lieu dans toute la sous-région au cours des dernières années ? Nous ne pouvons pas non plus avoir la moindre confiance dans les élites et dirigeants sunnites ou chiites des différents pays de la sous-région, qui ne s’impliquent dans ce conflit que dans le but de satisfaire leurs propres intérêts. La Turquie cherche à renforcer son expansion en Syrie, désireuse de rétablir son empire sur cette région comme à l’époque ottomane.

    Obama parle maintenant de mettre en place une coalition avec des puissances sunnites telles que l’Arabie Saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis afin de contrer l’EI. Cependant, même si certaines des dynasties corrompues et répressives au pouvoir à la tête de ces pays ne soutiennent pas pleinement les actions de l’EI, d’autres l’ont activement soutenu ; et toutes ont leurs propres intérêts à défendre, qui ne sont pas ceux d’Obama. Pour elles, vaincre l’EI n’est pas une priorité. De plus, sur le court terme, ces régimes considèrent que l’EI cause et causera plus de problèmes à leurs rivaux chiites (au Liban, en Iran, etc.) qu’à eux-mêmes.

    Il faut un mouvement uni des masses

    Afin de contrer la terreur semée par l’EI et par les autres forces sectaires réactionnaires dans la sous-région, il faut construire un mouvement uni des masses arabes sunnites et chiites ensemble avec les Kurdes, les Turcs et les autres peuples de la sous-région. Pour combattre la menace réactionnaire et sanglante que fait peser l’EI sur Kobanê et ailleurs en Syrie et en Irak, il faut mettre sur pied des comités dont la ta?che sera de former des milices de masse. Il faut lutter pour contraindre la Turquie à lever l’embargo sur les armes, afin d’armer ces milices d’auto-défense. En Turquie, il faut former des comités de travailleurs turcs et kurdes pour mener une lutte unie. La construction de comités de masse mixtes regroupant sunnites et chiites en Irak, ensemble avec le peuple kurde, contre les forces sectaires, quelles qu’elles soient, nous permettra d’aller de l’avant.

    Ces comités pourraient former la base d’un nouveau gouvernement – un gouvernement des travailleurs, des paysans et de tous les exploités du capitalisme et de l’impérialisme. Une fédération socialiste des États de la sous-région, constituée sur une base volontaire et égalitaire, serait seule à même de garantir les droits démocratiques, nationaux, ethniques et religieux pour toute la population de la sous-région.

  • Tunisie: élections législatives du 26 octobre

    Tous les partis pro-capitalistes se bousculent pour nous imposer la même politique – il est urgent de reconstruire une voix politique pour la classe ouvrière et la jeunesse

    Déclaration du Comité pour une Internationale Ouvrière – Tunisie 

    tunisie_electionsDans à peine quelques jours, le dimanche 26 octobre, les Tunisiens se rendront aux urnes pour les élections législatives. Les élus à l’Assemblée auront cette fois-ci un mandat de 5 ans, le mode de scrutin restant le même que celui qui a été choisi lors des élections de 2011.

    Toutefois un grand nombre d’observateurs anticipent déjà un taux d’abstentions record (déjà de 50.4% lors des dernières élections d’octobre 2011). Un autre élément important est le nombre d’indécis, qui varie entre 40 et 60% selon les sondages.

    Cette large proportion d’indécis et le probable taux d’abstention renseignent les révolutionnaires -et inquiètent l’establishment politique et la bourgeoisie. Inquiétude telle que le ministère des Affaires religieuses a même émis une fatwa indiquant que participer aux élections est une obligation religieuse!

    Ces éléments illustrent avant tout la large méfiance qui anime de larges pans de la population tunisienne à l’égard d’élections dont peu attendent grand-chose pour améliorer leurs conditions de vie.

    D’une part, on assiste à la montée en puissance d’hommes d’affaires qui s’investissent directement dans la politique, surtout pendant la campagne électorale. Ceux-ci n’ont rien de bon à offrir à la masse des Tunisiens mais se fraient un chemin grâce à leurs millions et leurs pratiques clientélistes. Cela est clairement illustré entre autres par la campagne de l’Union Patriotique Libre (UPL) emmenée par le milliardaire Slim Riahi, président du Club de football « Club Africain », parmi les hommes les plus riches de Tunisie.

    De nombreuses tentatives d’achats de voix ont été signalées de différents côtés. Mais là où l’influence de l’argent des capitalistes est la plus évidente c’est dans les médias, où grand nombre de télés, radios et journaux sont la propriété d’homme d’affaires qui se présentent aux élections sous différentes bannières, et sont donc juges et parties en même temps, donnant systématiquement le ton du débat dans un sens qui n’arrangent que les intérêts que de leur classe.

    A titre d’exemple, si on calcule le temps consacré aux interventions des militants du Front Populaire, ces dernières arrivent en 10éme position bien que le Front soit la troisième force politique du pays.

    Plusieurs anciens ministres et responsables du régime de Ben Ali sont également de la partie, et figurent en bonne place sur certaines listes, en particulier sur celles du parti « Nidaa Tounes » dirigé par Beji Caid Essebsi, qui abrite de nombreux nostalgiques de la vieille garde de l’ancien régime.

    Sans oublier les thèmes imposés pour ces élections qui font la sourde oreille aux questions socio-économiques. Pourtant, les résultats d’un récent sondage indiquent une insatisfaction généralisée sur la situation économique, avec 88% des sondés déclarant celle-ci comme «mauvaise» et 56% comme «très mauvaise». La situation des travailleurs et des couches populaires n’a fait que se détériorer davantage dans la dernière période, y compris sous le gouvernement « technocrate » de Mehdi Jomaa -dont le caractère prétendument provisoire ne l’a pas empêché de prendre de nouvelles mesures d’appauvrissement des ménages, à travers notamment l’augmentation des prix du gaz, du carburant et de l’électricité.

    Le grand paradoxe de ses élections est que les partis de droite (soi-disant « modernistes » tels que Nidaa Tounes, ou islamistes de droite comme Ennahda et ses acolytes) affichent leur programme pro-capitaliste (retraites à 62 ans, suppression des caisses de compensations, libéralisation des prix des matières premières, privatisation du secteur de l’énergie et des banques…), tandis qu’en face, quasiment aucune force de gauche ne s’oppose sérieusement à ce genre de discours.

    Beaucoup comprennent ainsi les limites de cette nouvelle « démocratie » où un éventail d’une centaine de partis et de plus de 13.000 candidats se présentent aux élections, mais dans laquelle la grande majorité d’entre eux, moyennant certaines nuances, défendent dans le fond le même programme et système économique, au service des classes dirigeantes, des grandes puissances impérialistes et de leurs institutions financières.

    Le Front Populaire

    Il est clair que le programme du Front Populaire est loin d’un quelconque programme socialiste. Au fil du temps, la direction du Front Populaire a profondément adouci son discours, rangeant aux archives beaucoup de ses mesures les plus radicales, et recherchant de plus en plus un terrain d’entente, pourtant inexistant, entre le monde du capital et celui du travail -le porte-parole du Front, Hamma Hammami, allant jusqu’à affirmer dans une interview que le programme du Front s’adresse aussi aux « chefs d’entreprise patriotes », et que le Front ne se définit même pas en tant que front de gauche !

    Cela confirme la droitisation qu’a subi le Front, entre autre à cause du manque de démocratie interne et du réformisme et électoralisme de plus en plus étroit du ‘conseil des secrétaires généraux’ qui dirige cette coalition. Cette orientation de plus en plus droitière a profondément miné les capacités du Front à offrir une alternative politique crédible, non seulement pour les élections, mais aussi et avant tout pour poursuivre la révolution dans la rue, dans les syndicats et sur les lieux de travail. Ses militants de base peuvent limiter la casse en puisant dans le capital sympathie que vouent une partie de la population pour le courage et l’audace qu’ont eu un grand nombre d’entre eux durant des années. Cela dit, d’un point de vue programmatique, les travailleurs, les jeunes, les pauvres, les chômeurs auront malheureusement bien souvent du mal à distinguer le Front Populaire des autres partis.

    Pour autant, le CIO Tunisie ne se fera pas l’écho des sirènes du « vote utile », souvent la justification pour remettre au pouvoir l’un des deux grands partis capitalistes dominants.

    Bien que nous comprenons ceux et celles qui n’iront pas voter, nous pensons que face au danger du retour des ex-RCDistes, d’Ennahda et d’autres arrivistes néo-libéraux à l’Assemblée et au gouvernement, nous ne pouvons adopter une position de « neutralité », en particulier vis-à-vis de certaines listes ouvrières et militantes existant dans certaines régions, et qui offrent un vecteur, bien que souvent insuffisant, pour continuer la lutte révolutionnaire et reconstruire un outil politique au service des travailleurs, des couches populaires et de la révolution.

    C’est dans ce sens que nous encourageons les travailleurs et les jeunes en Tunisie de voter pour les listes les plus à gauche et les plus combatives possible, dépendant des listes existantes dans les différentes gouvernorats. Cela pourrait se traduire par un vote pour le Front Populaire dans certaines circonscriptions spécifiques, mais parfois aussi pour certaines listes indépendantes, ou des listes ayant scissionné du Front.

    Notre attention se porte particulièrement sur le cas de la liste du Front Populaire dans la circonscription de Sidi Bouzid (portée par Mbarka Brahmi, la veuve du député Mohamed Brahmi assassiné en juillet dernier, et dans laquelle figure entre autres le militant Abdessalem Hidouri, membre du bureau syndical régional de l’UGTT de Sidi Bouzid), la liste « La haute voix de la région oubliée du Kef » dans le gouvernorat du Kef, ou encore celle tirée par le dirigeant syndical Adnane Hajji dans le bassin minier de Gafsa.

    Cette campagne électorale a montré plus que jamais la nécessité d’une alternative politique indépendante et combative qui puisse exprimer à une échelle de masse la voix des travailleurs et des jeunes révolutionnaires. De bons résultats pour les listes susmentionnées auront au moins le mérite de remettre ce débat sur la table, offrant un potentiel point d’appui pour reconstruire une telle force après les élections.

  • Etat islamique : Les bombardements n’apporteront aucune stabilité

    EtatislamiqueD’où provient l’État islamique et comment lutter contre ?

    La barbarie des exécutions arbitraires ne se limitent pas aux territoires d’Irak et de Syrie actuellement sous le contrôle de l’État islamique (EI). En Arabie Saoudite, pays qui abrite un grand nombre de bailleurs de fonds de l’EI, 19 décapitations publiques ont au moins eu lieu depuis début août. Mais comme il s’agit d’un allié de l’impérialisme américain, l’attention qui y est accordée est moindre… L’hypocrisie de l’impérialisme ne connaît pas de limites. Mais les pratiques barbares de l’État islamique engendrent des questions légitimes : d’où vient ce groupe et comment peut-il être stoppé ?

    Dossier de Geert Cool, tiré de l’édition d’octobre de Lutte Socialiste

    Le monstre de Frankenstein

    L’État islamique (EI) est soutenu par les cheikhs des pays du Golfe riches en pétrole. Tout comme Al-Qaïda, l’EI s’inscrit dans la version wahhabite de l’islam politique de l’élite dirigeante d’Arabie saoudite et du Qatar même si l’État islamique, tout comme Al-Qaïda, qualifie la famille royale saoudienne de ‘traîtres’.

    La doctrine conservatrice du wahhabisme date du 18ème siècle, lorsque la péninsule arabique avait largement perdu de son importance économique et stratégique. Par la suite, la Première Guerre mondiale a conduit à ce que la région soit redessinée (avec notamment la création d’une frontière artificielle entre l’Irak et la Syrie selon les accords Sykes-Picot de 1916 conclus entre la Grande-Bretagne et la France) mais a également entraîné le retour du wahhabisme en Arabie Saoudite, les Britanniques y voyant un allié.

    Après la Seconde Guerre mondiale, le régime conservateur saoudien fût un allié important de l’impérialisme américain. Ce régime était autorisé à commettre des ‘actes barbares’ qui ne posaient aucun problème tant que l’accès au pétrole était garanti.

    Les États-Unis disposaient aussi de cette façon d’un accès facile à des alliés tels que les moudjahidines, en lutte contre l’invasion soviétique de l’Afghanistan après 1979. La formation de combattants pakistanais qui, plus tard, sont allés combattre les Soviétiques en Afghanistan a ainsi notamment été soutenue. La barbarie et le désespoir croissants liés à l’extrême misère – encore renforcée par l’ampleur accrue des politiques néolibérales après la chute du stalinisme – a constitué la base sociale qui a favorisé l’ascension de seigneurs de guerre rivaux. Dans ce contexte chaotique, les talibans, issus des combattants moudjahidines, ont pu s’emparer du pouvoir en tant que facteur de stabilisation.

    Après les attentats du 11 septembre 2001, l’impérialisme américain s’est retourné contre son ancien allié. Alors qu’en _1988 encore le célèbre film d’action ‘‘Rambo III’’ était dédié aux ‘‘courageux combattants Moudjahidines’’, en 2001, ces mêmes combattants étaient décrits comme la cheville ouvrière de ‘‘l’Axe du mal’’ contre lequel Bush et Blair sont partis en guerre.

    Les guerres d’Afghanistan et d’Irak n’ont pas permis à l’impérialisme américain d’en finir avec des groupes comme Al-Qaïda. Le terrain leur est toujours fertile : la misère sociale persiste et laisse même encore plus d’espace pour le sectarisme religieux et la barbarie. Cette barbarie bénéficie d’un important soutien financier de la part des cheikhs conservateurs des pays du Golfe. Il en résulte une étrange combinaison de pratiques féodales et de pétrodollars défendue par une stratégie de propagande moderne qui accorde notamment une grande attention aux réseaux sociaux afin d’attirer des combattants occidentaux.

    Jusqu’il y a peu, l’impérialisme américain mais aussi son allié turc de l’OTAN soutenaient à tout le moins indirectement l’EIIL (Etat Islamique en Irak et au Levant) – le groupe qui a proclamé l’État islamique (EI). Dans le cadre de la lutte contre le régime d’Assad en Syrie, l’EIIL était après tout un facteur bien utile. Mais maintenant que l’EIIL, sur base du mécontentement des Sunnites dû à la domination chiite dans l’Irak d’après-guerre, a obtenu un soutien plus large et se développe au point de menacer les ressources pétrolières de la région kurde, l’EIIL est devenu un danger pour les intérêts impérialistes. En mai 2013 encore, le sénateur conservateur américain John McCain (une sorte de Rambo contemporain) s’était rendu en Syrie où il s’était fait photographier en compagnie de combattants qui ont ensuite contribué au développement de l’EIIL, à l’instar de l’ancien chef de la branche irakienne d’Al-Qaïda, al-Baghdadi, devenu par la suite le ‘calife’ auto-proclamé de l’État islamique…

    Les décennies d’ingérence impérialiste et de soutien à des régimes dictatoriaux sont un échec. Ces régimes ont donné naissance à une infime couche de super-riches d’un côté, et de l’autre à une misère croissante pour la majorité de la population (y compris la majorité de la population saoudienne, qui vit sous le seuil de pauvreté). La population est victime de divisions sectaires et de barbarie. Même du point de vue de l’impérialisme américain, cette stratégie a entraîné le développement de monstres de Frankenstein incontrôlables. Mais que ce soit bien clair : ces monstres sont l’œuvre des classes dominantes et de leurs marionnettes locales, pas de la population.

    Les bombardements vont-ils arrêter l’EI ?

    L’EI a connu une progression rapide au cours de laquelle il n’a pas hésité à piller des banques ou à prendre en main des ressources gazières et pétrolières (ce qui, incidemment, stimule aussi le commerce avec la Syrie). La cible principale de l’EI est constituée de tous ceux qui ne suivent pas la version sunnite ultra-conservatrice de l’islam, c’est-à-dire essentiellement les musulmans chiites. Les décapitations de journalistes et la persécution atroce de dizaines de milliers de Yézidis a attiré l’attention du monde entier sur l’ascension de l’EI. Mais la raison principale derrière l’intervention militaire est le fait que ce groupe ne s’est pas limité à la Syrie et prend maintenant pour cible l’ensemble du Moyen-Orient.

    Les divisions sectaires en Irak – dont les USA sont partiellement responsables avec leur soutien au régime chiite irakien – ne sont pas terminées. Ce régime n’a pas hésité à discriminer et à persécuter les Sunnites, lesquels occupaient une position privilégiée sous Saddam Hussein. L’EI est principalement composé de jeunes désespérés et radicalisés complètement marginalisés et qui, faute de perspectives, déversent leur colère causée par la persécution des sunnites au sein de l’EI, qui les entraîne dans une révolte réactionnaire.

    Sans perspective d’avenir, la porte reste ouverte aux expressions réactionnaires de désespoir financièrement soutenues dans le cadre d’un large conflit sectaire régional. Les bombes ne pourront rien y faire si ce n’est causer plus de ravages. Le soutien militaire direct au régime chiite irakien ne fera qu’accroître les divisions sectaires, cela peut même aider à bétonner la position de l’EI alors que ses prédécesseurs d’Al-Qaïda en Irak avaient perdu tout appui à cause de leur attitude violente à l’égard de la population locale.

    Même si les frappes aériennes parviennent à refouler l’EI, qu’arrivera-t-il ensuite pour remplir le vide ? Quelles seront les conséquences pour la région ? Un état kurde où la population aura écarté les dirigeants mafieux irakiens ? Un renforcement de l’Iran ? Comment s’organiseront ensuite les Sunnites irakiens ?

    Avec la présence de groupes fondamentalistes au nord du Nigeria et au Pakistan en passant par le Mali, la Libye, la Somalie et le Yémen, garder la situation sous contrôle commence à devenir très compliqué pour l’impérialisme américain et la Coalition of the Willing. Que se passera-t-il si l’EI ou une force similaire a demain accès aux armes nucléaires du Pakistan ? Les bombardements ne régleront rien, pas plus que les interventions en Afghanistan en 2001 et en Irak en 2003 n’ont apporté la stabilité.

    Que doit-il alors se passer?

    La vague révolutionnaire de 2011 au Moyen-Orient et en Afrique du Nord n’était pas seulement le début d’une nouvelle ère de protestation des travailleurs, elle a également prouvé la faillite de la stratégie d’Al-Qaïda & Cie. Ce n’est pas la terreur de masse mais la lutte collective de masse qui a conduit à la chute des dictateurs et aux discussions sur ce qui devait ensuite se produire pour sortir la population de la misère.

    Les événements de Tunisie et d’Egypte ont eu de grandes répercutions régionales ainsi qu’un effet unificateur. Ces soulèvements révolutionnaires n’ont pas abouti à leur conclusion logique, c’est-à-dire à une rupture anticapitaliste, et le processus révolutionnaire s’est enlisé pour laisser les coudées franches à d’autres forces telles que les salafistes ou les militaires. L’impasse a encore été accentuée par les interventions impérialistes directes et indirectes en Libye et en Syrie.

    La question essentielle est celle de la construction d’un mouvement unifié des travailleurs pour se battre contre l’élite locale et internationale. En Irak, les actions communes des Chiites et des Sunnites de 2004 contre l’occupation américaine (200.000 personnes avaient notamment manifesté ensemble) illustre que ce n’est pas de l’ordre du fantasme. Si les masses de travailleurs des différents groupes ethniques et religieux sont incapables de s’organiser et de mener la lutte en commun, alors la violence impérialiste et sectaire menace de se poursuivre.

    La construction, depuis la base, d’organisations démocratiques et non-sectaires est essentielle pour organiser la défense de toutes les communautés et pour mettre en avant un programme anticapitaliste afin de sortir de l’effusion de sang, de la répression et de la pauvreté. Un tel programme doit être orienté contre les intérêts et la cupidité des dirigeants politiques et militaires pro-capitalistes qui veulent accroître leur emprise en Irak. Ce programme anticapitaliste devrait plaider pour leur éviction du pouvoir et leur remplacement par des représentants du mouvement des travailleurs démocratiquement élus et défendant une solution socialiste pour servir les intérêts de tous les travailleurs et les pauvres.

  • Socialisme et droits nationaux

    Contribution au débat autour de la situation en Ukraine, Israël-Palestine et autres pays

    manifestation contre la guerre à Gaza, 17 août 2014, délégation du PSL et des Étudiants de Gauche Actifs. Photo : MediActivista.

    Avec le conflit sanglant en Ukraine et le massacre du peuple palestinien à Gaza, la “question nationale” revient une fois de plus en force à l’avant-plan du débat. Quelle feuille de route pour résoudre des conflits apparemment vieux de plusieurs siècles ? C’est la question qui est directement posée au mouvement des travailleurs, dans les régions immédiatement affectées par la guerre mais aussi à l’échelle internationale.

    Article de Peter Taaffe, secrétaire général du Socialist Party, section du CIO en Angleterre et Pays de Galles.

    L’Ukraine

    Les évènements de ces derniers mois ont fort bien illustré le fait que les différentes puissances capitalistes n’ont pas la moindre volonté ni d’ailleurs la moindre capacité à trouver une solution démocratique et équitable à la situation en Ukraine. D’un côté, l’hypocrisie éhontée du capitalisme américain et du capitalisme européen ; de l’autre, le régime oligarchique de Poutine en Russie – et ces deux camps cherchent à se faire passer pour le défenseur des “minorités et nations opprimées” – bien que peu de travailleurs conscients en soient dupes. Tout cela n’est que pur calcul, couplé à des enjeux cruciaux sur le plan stratégique, politique et militaire. Le “droit à l’auto-détermination” n’est pour ces puissances qu’un slogan vide de toute substance, une petite monnaie politique facilement jetable au cas où elle irait à l’encontre de leurs intérêts.

    « Nous allons mettre la Russie à genoux avec nos sanctions », crient les puissances impérialistes occidentales, États-Unis en tête. « Nous répondrons par nos propres sanctions, en confisquant les actifs des entreprises britanniques comme Shell ou British Petroleum », leur répond le régime poutinien.

    Si les capitalistes, leurs partis et leurs représentants politiques n’offrent aucune solution, certains militants de gauche, dont certains se considèrent même marxistes, révèlent une profonde confusion idéologique et une totale incapacité à s’y retrouver parmi ces graves conflits ethniques et nationaux en Ukraine et au Moyen-Orient. Au Royaume-Uni, il n’y a pas une once de socialisme – et encore moins de marxisme – dans l’approche et l’analyse mises en avant par la plupart des forces qui se réclament pourtant de la “gauche”.

    Par exemple, un tract distribué à Londres par la campagne “Solidarité avec la résistance antifasciste en Ukraine” lors de la dernière manifestation de soutien à la population de Gaza, proclamait : « Nous sommes contre le soutien accordé au régime d’extrême-droite de Kiev par les gouvernements britannique et occidentaux ». Nous sommes d’accord avec cela, surtout vu que le gouvernement de Kiev se base sur des forces de droite radicale, voire néofascistes, pour mener sa campagne meurtrière dans l’Est ukrainien.

    Mais pourquoi ne pas également condamner le régime oligarchique impérialiste russe dirigé par Poutine, en donnant une critique de son intention de dominer le “proche étranger”, ce qui inclut plusieurs pays de l’ex-Union soviétique, en mettant de côté les droits nationaux et démocratiques de ces pays ?

    Nulle mention de cela dans ce tract. Par contre, un des principaux dirigeants de cette campagne est intervenu lors du meeting de lancement pour dire : « Ce n’est pas mon rôle de critiquer l’oligarchie russe ; mais si je devais le faire, alors ma critique porterait non pas sur le fait qu’elle intervient trop, mais sur le fait qu’elle n’intervient pas du tout ! ». Poursuivant sur sa lancée, cette même personne a été jusqu’à dire que « il n’y a pas de question nationale » en Ukraine, et que « Quand je vois arriver en face l’impérialisme américain, l’Otan, Angela Merkel, le gouvernement britannique et les fascistes ukrainiens – moi je connais mon camp ». L’idée donc est que le mouvement des travailleurs – puisque cette intervention vient d’un “marxiste” – devrait se ranger du côté du régime oligarchique de Poutine et soutenir son intervention en Ukraine.

    Notre analyse est que nous soutenons sans réserve les aspirations nationales légitimes des peuples de l’Ukraine, de Crimée, etc. tout en nous opposant et en combattant les forces d’extrême-droite et ouvertement fascistes en Ukraine, qui n’ont en réalité pas obtenu plus de 3 % des voix lors des dernières élections. En même temps, nous cherchons à forger et renforcer une unité de classe, en donnant un soutien critique aux forces véritablement socialistes sur le terrain, même si elles sont faibles.

    Pas de formule toute faite

    Il est extrêmement important de soutenir les aspirations nationales et démocratiques authentiques des peuples de l’Ukraine et de la sous-région. Par exemple, si on prend la question de la Crimée, il était correct de soutenir le droit à l’auto-détermination – y compris la sécession d’avec l’Ukraine, ce qui semblait être le souhait de l’immense majorité de la population. Mais en même temps, les marxistes ont pour devoir, lorsqu’ils donnent leur soutien critique à tout mouvement pro-indépendance authentique, de défendre les droits de toutes les minorités : dans le cas de la Crimée, cela inclut les Ukrainiens de Crimée, les Tatars, et les autres minorités nationales (Biélorusses, Arméniens, Juifs, Grecs, Rroms)

    Des voix ont dénoncé le fait que le référendum en Crimée n’a pas été organisé de manière équitable et pacifique. Mais il ne fait aucun doute que la majorité de la population désirait réellement revenir à la Russie. Tous ces doutes auraient pu cependant être dissipés par l’élection d’une assemblée constituante – ou parlement – révolutionnaire composé de délégués élus lors d’assemblées de masse locales afin de faire respecter la décision populaire ou d’organiser un référendum démocratique.

    Cela signifie-t-il que nous sommes pour le séparatisme et la désagrégation de tout État multinational ? Non, pas de manière automatique. Devant la question nationale, il n’existe aucune solution ou formule toute faite. La situation sur le terrain en Ukraine est d’ailleurs extrêmement fluide : ce qui peut être une revendication correcte aujourd’hui pourrait se voir demain emporter par les évènements.

    Par contre, nous sommes contre la rétention par la force d’un groupe ou d’une nationalité au sein d’un État qui est considéré par ce groupe ou cette nationalité comme étant un oppresseur. Nous sommes pour une confédération socialiste sur base volontaire. C’est en suivant cette méthode qu’a été créée la véritable Union soviétique fondée par Lénine et Trotsky – pas sa caricature sanglante stalinienne qui ne faisait en fait que masquer la domination de l’élite bureaucratique russe centralisée.

    Mais comme Lénine le disait d’ailleurs il y a un peu plus de cent ans, la société nouvelle, qui devrait nécessairement être démocratique tout autant que socialiste, ne pourra être ba?tie sur base de “la moindre contrainte” envers un groupe ou une nationalité. De manière générale, le droit à l’auto-détermination s’applique à une nationalité liée à une entité territoriale bien définie. Cependant, cette entité peut aussi parfois prendre la forme d’une ville, ou d’une entité plus petite qui se considère malgré tout comme différente et à part des autres pays ou régions l’entourant. Par exemple, nous avons déjà envisagé l’éventualité de voir apparaitre dans le futur une entité spéciale pour la ville de Bruxelles – au sein d’une confédération socialiste belge –, vu que la population de cette ville se considère clairement ni flamande, ni wallonne.

    De même, la lutte en Ukraine, et en particulier dans l’Est, pourrait se voir si fragmentée par le conflit sanglant en cours aujourd’hui, que cela pourrait avoir pour résultat non pas un État ni un micro-État continu, mais un processus de “cantonisation” de la région. Dans la grande ville de Donetsk, bombardée par les forces du gouvernement ukrainien et dont la majorité de la population (autrefois d’un million de personnes) a pris la fuite, on pourrait voir se développer une situation où la population réclamerait une séparation de l’Ukraine comme de la Russie. Il incombera dans ce cas aux marxistes, si c’est la volonté de la population de la ville, de soutenir cette aspiration, tout en liant cette revendication à celle d’une confédération socialiste d’Ukraine et de la sous-région.

    Une telle solution n’est pas du tout utopique, comme le suggèrent nos adversaires. Le monde unipolaire des dernières décennies, dans lequel les États-Unis étaient en mesure d’imposer leur volonté et d’influencer directement le cours des évènements sur la scène mondiale, n’est plus. Les États-Unis restent, il est vrai, la première puissance économique et militaire, et le resteront encore pendant un certain temps. Mais cette puissance a des limites. Un nouveau “syndrome” post-iraqien est apparu aux États-Unis, où la population est fatiguée de la politique guerrière menée par son État et exprime de plus en plus son opposition à l’interventionnisme. C’est pourquoi les bombardements aériens et l’utilisation de drones sont devenues les méthodes d’intervention préférées. D’un autre côté, de tels bombardements ne produisent bien souvent que l’effet inverse de celui qui était désiré.

    Israe?l-Palestine

    Tel un fil d’Ariane, seule une analyse marxiste consistante peut nous mener à travers le dédale de la question nationale. Ceci vaut en particulier pour la question très complexe des droits nationaux des peuples palestinien et israélien, une fois de plus mis en avant par la dernière offensive sur Gaza – qui ressemble maintenant plus à Grozny en Tchétchénie, avec d’innombrables morts et dont un quart de la population de 1,2 millions d’habitants a fui.

    Le CIO a toujours et patiemment expliqué que la seule issue par rapport à ce conflit sanglant qui puisse satisfaire les droits des Palestiniens comme des Israéliens serait de mettre en avant une solution à deux États sur le long terme – une Palestine et un Israël socialiste – avec la possibilité d’une capitale partagée à Jérusalem, en liant cela au concept d’une confédération socialiste. C’est cette idée, ainsi que notre opposition à des sanctions non ciblées envers Israël – parce que cela pourrait avoir pour conséquence de pousser les travailleurs israéliens encore plus dans les bras de la droite et du gouvernement israélien – qui est maintenant attaquée aux États-Unis par l’Organisation socialiste internationale (ISO).

    Cette organisation a émis le 17 aout une critique de nos camarades américains du groupe Socialist Alternative, selon laquelle “Leur attitude envers les travailleurs juifs israéliens coïncide avec la position traditionnelle de ce groupe et du CIO selon laquelle l’existence d’Israël serait légitime (…) C’est cette croyance dans le droit des Israéliens à former leur propre nation qui justifie également le CIO à s’opposer au boycott d’Israël. Mais cette approche se base sur une compréhension fondamentalement erronée du principe socialiste du droit des nations à l’auto-détermination. Dans toute la tradition du marxisme authentique, il n’y a jamais eu le moindre soutien envers le droit à l’existence d’un État colonisateur – qui est par définition un État d’apartheid, que ce soit un État juif dans lequel les non Juifs sont privés de droits politiques, ou que ce soit l’État d’apartheid sud africain dans lequel les non-blancs étaient également privés de ces droits.”

    Le droit à l’auto-détermination n’est pas un “principe socialiste”, comme l’affirme l’ISO, mais une tâche démocratique ; même s’il est vrai qu’à notre époque, les véritables principes démocratiques ne peuvent plus être défendus et résolus que par la révolution socialiste. Nous avons déjà répondu à de nombreuses reprises à ces arguments et à beaucoup d’autres. Dans notre ouvrage “Marxism in Today’s World”, nous écrivions ceci : « La loi la plus importante de la dialectique est que la vérité est concrète. Si on prend les débats historiques, il est clair que le trotskisme, en partant de Trotsky lui-même, s’est opposé à la formation d’un État juif sur le territoire de la Palestine. C’était la position qu’il a adoptée dans la période de l’entre-deux-guerres. Cependant, il a modifié sa position après que la persécution des Juifs par les Nazis soit devenue évidente. Une nouvelle situation était survenue. Trotsky a toujours été très flexible lorsqu’il fallait prendre en compte de nouveaux facteurs importants. Il y avait réellement un sentiment de la part de la population juive qu’il fallait absolument quitter l’Allemagne et l’Europe, et cela était accompagné du rêve d’une nouvelle terre promise.”

    « Sous le socialisme, raisonnait Trotsky, si les Juifs désiraient un État, disons, quelque part en Afrique, avec l’accord des populations africaines, ou en Amérique latine – cela pourrait être considéré ; mais pas en Palestine. Car il s’agirait là pour les Juifs d’une véritable souricière ». Il est surprenant de voir à quel point cette prédiction s’est réalisée… Le mouvement trotskiste s’est opposé à la création d’un État juif séparé en Israël, parce qu’il aurait constitué un frein à la révolution arabe. Israël a été créé sur base de la colonisation des terres arabes en en chassant les Palestiniens et en utilisant un mélange de rhétorique nationaliste radicale, voire “socialisante”, destinée à la population juive qui avait échappé au cauchemar de l’Holocauste et de la Seconde Guerre mondiale.

    Sur la question des États colonisateurs, nous avons déclaré : « Un État ou une série d’États peuvent être établis par le déplacement brutal de populations. Jetons un œil par exemple à la déportation forcée de la population grecque de nombreuses régions d’Asie mineure ou à celle des Turcs de Grèce à la suite de l’effondrement de l’Empire ottoman. Si on revenait en arrière pour redessiner la carte, on aurait de nouveau d’énormes échanges de population. Ailleurs, les crimes terribles commis en Europe à l’encontre des Juifs sous le capitalisme nazi ont été utilisés en tant que justification pour un nouveau crime à l’encontre du peuple palestinien. Cela demeure un fait historique indiscutable.

    “Cependant, la réalité aujourd’hui est que, au fil du temps, nous avons vu se former une conscience nationale juive ou israélienne. Que disent les marxistes à ce sujet ? Devrions-nous simplement ignorer la situation réelle et maintenir coute que coute notre vieille position ? La solution de [l’ISO] et d’autres militants de gauche est d’avoir un seul État palestinien – ce qui était notre position au début –, un État palestinien unifié avec des droits à l’autonomie pour les Juifs en son sein. Cependant, ces gens ont mis en avant cette revendication dans un cadre capitaliste, alors que nous ne l’avions jamais envisagé autrement que sur base du socialisme. Nous n’avons pas non plus une position d’une solution à deux États sur base capitaliste, comme le font certains petits groupes. Car il s’agit là d’une utopie ».

    “D’autres propositions considéraient seulement de donner une petite portion de la Palestine historique au peuple palestinien. La proposition de l’ancien Premier ministre israélien Olmert,  pour une redivision de la Palestine (dont plus personne ne parle à présent), n’aurait laissé que 10 % du territoire aux Palestiniens pour y former leur État : un véritable bantoustan. Et certainement pas une solution pour un État viable du point de vue des Palestiniens. Dans le cadre du capitalisme, il n’y a pas la moindre possibilité de parvenir à une solution viable à deux États. On ne peut exclure un arrangement temporaire, mais cela ne serait pas non plus une solution aux problèmes nationaux des Palestiniens ni des Israéliens. Néanmoins, l’idée d’une solution à deux États, d’une Palestine socialiste et d’un Israël socialiste dans le cadre d’une confédération socialiste du Moyen-Orient est, à ce stade, une revendication programmatique correcte.” (Marxism in Today’s World, édition 2013, pp. 29-30)

    Il ne fait aucun doute que l’ISO et autres rejettent l’idée d’une confédération socialiste du Moyen-Orient en tant que solution irréalisable par rapport aux souffrances des masses à travers la sous-région. Mais les capitalistes eux-mêmes se rendent bien compte des énormes retombées économiques qui pourraient provenir de la mise en place d’une telle confédération : « Par exemple, l’Égypte bénéficie d’une main d’œuvre à bon marché mais a un taux de chômage élevé. La Libye a du capital en excès, d’immenses projets d’infrastructures et une demande insatiable de main d’œuvre. La Turquie a l’expertise pour la construction d’aéroports, de ponts et de routes. Tous ces éléments doivent être rassemblés. Selon notre recherche, au moins 20 milliards de dollars ont été promis à l’Égypte par les pays du Golfe au cours des derniers mois, mais sans aucun plan sur le long terme. La Ligue arabe, en tant que structure régionale, ne possède pas non plus ni la crédibilité, ni la capacité, ni la créativité nécessaires au rassemblement de toutes ces nations ». (Financial Times, 20 June 2014)

    Les capitalistes du Moyen-Orient sont incapables de réaliser un tel projet. Mais la classe des travailleurs, œuvrant de manière unifiée tout en instaurant le socialisme démocratique à travers toute la sous-région, serait bien capable de mettre sur pied une confédération socialiste.

    Les campagnes de boycott d’Israël

    L’ISO compare de manière grossière Israël aujourd’hui à l’Afrique du Sud de l’apartheid. Cependant, cela ne renforce pas sa critique du CIO, bien au contraire. Contrairement à ce que prétend l’ISO, il y a de profondes différences entre le régime d’apartheid sud-africain et Israël, surtout du point de vue démographique. En Afrique du Sud, il y avait sept fois plus de Noirs et “colorés” que de Blancs. Cela ne correspond pas du tout à la situation actuelle en Israël-Palestine. Si elle se sent menacée de destruction, la population israélienne ripostera.

    Nous écrivions dans Marxism in Today’s World (p. 32) que : « Même le “camp de la paix” prendra les armes si il voit remis en question le droit des Juifs à un État séparé. La classe des travailleurs israéliens se battra si elle se voit menacée de se faire jeter à la mer. Par conséquent, il nous faut employer des revendications transitoires afin d’approcher les masses. Pour nous, la population doit décider d’elle-même quelles seront les frontières du futur État dans le cadre d’une confédération socialiste. Nous pourrions même voir, à la suite d’une révolution socialiste au Moyen-Orient, les Israéliens et Palestiniens décider de vivre ensemble dans le cadre d’un seul État avec une autonomie pour les deux peuples. Nous ne pouvons rien prédire à l’avance. Mais la dialectique de cette situation est que, dans le contexte actuel, si vous tentez d’imposer un État unique à ces peuples, cette proposition sera rejetée.

    Israël est une plaie béante au beau milieu de la sous-région. Un enjeu vital pour la révolution au Moyen-Orient est de trouver une méthode pour dissocier les travailleurs israéliens de leur classe dirigeante. Mais si vous les menacez ou remettez en question l’idée d’un “foyer” israélien, alors il n’y a aucune chance d’arriver à cet objectif ».

    En ce moment, nous devons assumer le fait que les peuples palestinien et juif ont décidé qu’ils ne peuvent pas vivre ensemble au sein d’un même État. C’est ce que leur dicte leur conscience. Que doivent dire les marxistes ou les trotskistes dans une telle situation ? L’ISO se contente tout bonnement de répéter des formules abstraites qui n’ont absolument aucun lien avec la situation sur le terrain. Les socialistes et marxistes ne peuvent forcer différents peuples à vivre au sein d’un même État.

    À propos des campagnes de boycott, l’ISO a maintenant commencé à s’en prendre à un article de Judy Beishon, publié il y a un an dans notre magazine Socialism Today (nº 169). Une fois de plus, leurs arguments sont non seulement erronés, mais tombent en plus à côté de la plaque. Ni Judy, ni le CIO n’est contre le boycott de manière générale. Nous préférons, il est vrai, insister sur le fait que seule une action de masse et unie de la part des travailleurs israéliens et palestiniens pourra donner naissance à une force capable de renverser les capitalistes, en Israël comme en Palestine. Cependant, des boycotts ciblés peuvent jouer un rôle auxiliaire afin d’affaiblir l’État israélien : par exemple, le boycott des exportations d’armes israéliennes, ainsi que des marchandises produites dans les territoires occupés, ou des universités qui y sont situées. De telles mesures pourraient être utiles, car elles serviraient à dénoncer l’oppression des Palestiniens. Mais en elles-mêmes, elles ne seront jamais suffisantes pour sérieusement saper l’emprise du gouvernement et de la classe dirigeante israéliens – pas plus que les sanctions et boycotts de produits sud-africains n’ont véritablement affaibli le régime d’apartheid. En outre, cette campagne ciblée, qui pourrait acquérir un nouveau soutien vu la vague d’horreur qui vient de déferler à Gaza, devrait être discutée non seulement avec les Palestiniens, mais surtout avec les travailleurs israéliens. Tout cela était décrit et détaillé dans l’article de Judy, avec lequel nous sommes en plein accord.

    La même approche unilatérale a été adoptée par l’ISO par rapport aux tirs de missiles lancés par le Hamas sur Israël en guise de représailles. Nous ne nous sommes jamais opposés au droit des Palestiniens à se défendre contre les attaques israéliennes, y compris à organiser une défense armée de Gaza et à lancer des attaques légitimes sur des cibles militaires en Israël même. Mais nous avons toujours par contre souligné non seulement l’inefficacité des méthodes employées actuellement – c’est comme lancer des cailloux sur des tanks – mais aussi leur caractère carrément contre-productif lorsque ces méthodes sont employées envers des civils, car elles ne font que repousser les travailleurs israéliens dans les bras de leur propre pire ennemi : le gouvernement de droite de Netanyahu – tout comme les attaques d’Israël envers des civils ne fait en réalité que renforcer le Hamas plutôt que l’affaiblir.

    La question nationale est incomparablement plus compliquée aujourd’hui que celle qui existait à l’époque de Lénine et Trotsky. Pour les marxistes, elle a deux facettes. D’un côté, nous sommes opposés au nationalisme bourgeois, qui cherche à diviser la classe des travailleurs. Nous sommes pour l’unité maximale de la classe des travailleurs au-delà des frontières et des continents et à l’échelle mondiale. Mais de l’autre côté, nous sommes contre toute incorporation forcée de nationalités distinctes au sein d’un même État contre leur volonté. Nous sommes pour l’indépendance de l’Ukraine, mais sommes totalement opposés au régime de Kiev et à sa politique de répression des droits des minorités tout en s’appuyant sur des éléments de droite néofasciste et nationalistes ukrainiens. De même, nous sommes contre le chauvinisme grand-russe de Poutine et de ses partisans, et luttons pour une indépendance de classe dans la lutte pour une confédération socialiste de la sous-région.

    Ce n’est que de cette manière, avec un programme de classe et des perspectives nettes, qui évitent la propagande abstraite, que nous pourrons tracer un chemin afin de gagner les travailleurs aux idées du socialisme et du marxisme, même dans des situations objectives difficiles faites de guerres et de conflits.

  • [PHOTOS] Manifestation nationale contre la guerre à Gaza (4)

    Ce dimanche, une manifestation nationale a eu lieu à Bruxelles afin de protester contre le terrorisme d’Etat israélien et contre l’offensive menée contre la bande de Gaza. Le cessez-le-feu temporaire na pas arrêté les horreurs subies par la population palestinienne. Le conflit n’est toujours pas résolu. Les actions de protestation et de solidarité restent donc de première importance. Cette manifestation nationale a pu compter sur la présence d’environ 5000 participants, moins que la dernière fois, alors que les attaques contre Gaza étaient plus au cœur de l’attention. Cette mobilisation n’en reste pas moins remarquable durant les vacances d’été.

    Le PSL et les Étudiants de Gauche Actifs (EGA) étaient bien entendu présents lors de cette manifestation, au sein d’une délégation combative aux nombreux slogans contre la guerre, le blocus, l’occupation et l’exploitation capitaliste. Dans ce bloc du cortège, on pouvait aussi trouver d’autres groupes, notamment des militants des JOC (Jeunes Organisés et Combatifs) et un groupe de Cachemiris de gauche. Nous sommes intervenus avec un tract spécifique, un supplément à notre journal Lutte Socialiste, des affiches et des badges.

    Les photos ci-dessous sont de Mediactivista.

  • [PHOTOS] Manifestation nationale contre la guerre à Gaza (3)

    Ce dimanche, une manifestation nationale a eu lieu à Bruxelles afin de protester contre le terrorisme d’Etat israélien et contre l’offensive menée contre la bande de Gaza. Le cessez-le-feu temporaire na pas arrêté les horreurs subies par la population palestinienne. Le conflit n’est toujours pas résolu. Les actions de protestation et de solidarité restent donc de première importance. Cette manifestation nationale a pu compter sur la présence d’environ 5000 participants, moins que la dernière fois, alors que les attaques contre Gaza étaient plus au cœur de l’attention. Cette mobilisation n’en reste pas moins remarquable durant les vacances d’été.

    Le PSL et les Étudiants de Gauche Actifs (EGA) étaient bien entendu présents lors de cette manifestation, au sein d’une délégation combative aux nombreux slogans contre la guerre, le blocus, l’occupation et l’exploitation capitaliste. Dans ce bloc du cortège, on pouvait aussi trouver d’autres groupes, notamment des militants des JOC (Jeunes Organisés et Combatifs) et un groupe de Cachemiris de gauche. Nous sommes intervenus avec un tract spécifique, un supplément à notre journal Lutte Socialiste, des affiches et des badges.

    Les photos ci-dessous sont de Jean-Marie.

  • [PHOTOS] Manifestation nationale contre la guerre à Gaza (2)

    Ce dimanche, une manifestation nationale a eu lieu à Bruxelles afin de protester contre le terrorisme d’Etat israélien et contre l’offensive menée contre la bande de Gaza. Le cessez-le-feu temporaire na pas arrêté les horreurs subies par la population palestinienne. Le conflit n’est toujours pas résolu. Les actions de protestation et de solidarité restent donc de première importance. Cette manifestation nationale a pu compter sur la présence d’environ 5000 participants, moins que la dernière fois, alors que les attaques contre Gaza étaient plus au cœur de l’attention. Cette mobilisation n’en reste pas moins remarquable durant les vacances d’été.

    Le PSL et les Étudiants de Gauche Actifs (EGA) étaient bien entendu présents lors de cette manifestation, au sein d’une délégation combative aux nombreux slogans contre la guerre, le blocus, l’occupation et l’exploitation capitaliste. Dans ce bloc du cortège, on pouvait aussi trouver d’autres groupes, notamment des militants des JOC (Jeunes Organisés et Combatifs) et un groupe de Cachemiris de gauche. Nous sommes intervenus avec un tract spécifique, un supplément à notre journal Lutte Socialiste, des affiches et des badges.

    Les photos ci-dessous sont de David (Gent).

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